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Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

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UNIVERSITE AIX-MARSEILLE II<br />

LABORATOIRE D’ECONOMIE ET DE SOCIOLOGIE DU TRAVAIL<br />

THESE POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR EN SOCIOLOGIE<br />

Présentée et soutenue publiquement par<br />

THOMAS LE BIANIC<br />

Le 8 avril 2005<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

LES « INGENIEURS DES AMES ». SAVOIRS ACADEMIQUES,<br />

PROFESSIONNALISATION ET PRATIQUES DES PSYCHOLOGUES DU TRAVAIL DE<br />

L’ENTRE DEUX GUERRES A NOS JOURS<br />

Directeur de thèse : M. Eric Verdier<br />

JURY<br />

M. ALAIN CHENU, Professeur <strong>des</strong> Universités, Institut d’étu<strong>des</strong> politiques de Paris,<br />

rapporteur,<br />

MME GENEVIEVE PAICHELER, Directrice de recherche au CNRS (CERMES),<br />

MME CATHERINE PARADEISE, Professeur <strong>des</strong> Universités, Université de Marne-La-<br />

Vallée, rapporteur,<br />

M. FRANÇOIS VATIN, Professeur <strong>des</strong> Universités, Université de Paris X,<br />

M. ERIC VERDIER, Directeur de recherche au CNRS (LEST), directeur de thèse.


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La Faculté n’entend donner aucune approbation ni<br />

improbation aux idées émises dans cette thèse ; ces<br />

opinions doivent être considérées comme propres à<br />

l’auteur<br />

3


REMERCIEMENTS<br />

Mes remerciements vont en premier lieu à Eric Verdier et François Vatin, qui m’ont<br />

accompagné tout au long de cette recherche. Leurs conseils stimulants, leur enthousiasme<br />

intellectuel et leur extrême disponibilité ont constitué un véritable apprentissage du travail de<br />

recherche. Qu’ils soient assurés de ma plus profonde gratitude.<br />

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Je remercie chaleureusement Florent Champy et Antoine Vion pour leurs lectures, leurs<br />

remarques ou critiques sur <strong>des</strong> versions préliminaires de ce travail, ainsi que l’ensemble <strong>des</strong><br />

chercheurs du LEST, qui m’ont fait bénéficier de leur expérience au cours de séminaires ou<br />

de discussions informelles. Je remercie aussi Christian Bessy, Claude Dubar et Catherine<br />

Paradeise qui ont accepté de venir discuter <strong>des</strong> parties de cette recherche et m’ont encouragé<br />

lors de séminaires de thèse. Je remercie Bernard Duquennoy, informaticien au LEST, pour ses<br />

précieux conseils dans l’utilisation <strong>des</strong> logiciels statistiques.<br />

Je remercie Patrice Duran et Pierre-Paul Zalio, pour m’avoir accueilli en 2002 au département<br />

de sciences sociales de l’ENS de Cachan pendant six mois, facilitant l’accès à <strong>des</strong> terrains<br />

d’enquête et à <strong>des</strong> fonds d’archives situés en région parisienne.<br />

La réalisation et la diffusion du questionnaire sur lequel s’appuie une partie de ma recherche<br />

n’auraient pas été possible sans l’aide financière et les moyens techniques mis à disposition<br />

par le Syndicat national <strong>des</strong> psychologues (SNP). Je remercie tout particulièrement son ancien<br />

Président, Patrick Cohen, pour l’intérêt qu’il a porté à cette recherche depuis son<br />

commencement.<br />

Je remercie l’ensemble <strong>des</strong> acteurs de l’histoire ici retracée qui ont accepté de m’ouvrir un<br />

pan de leur mémoire ou de leurs archives, plus particulièrement Pierre Goguelin, récemment<br />

disparu, Colette Bénassy-Chauffard, Raymond Carpentier, Pierre Jardillier, Maurice de<br />

Montmollin, Michel Roche, Marcel Turbiaux et Nelly Xydias.<br />

Il n’est pas possible de mentionner ici tous les psychologues du travail qui m’ont accordé un<br />

ou plusieurs entretiens à l’AFPA, à la RATP, à la Poste, dans <strong>des</strong> cabinets de conseil ou dans<br />

<strong>des</strong> associations professionnelles. Ils n’ont souvent pas compté leurs heures pour me parler de<br />

leur travail ou de leur engagement militant. Je les en remercie vivement et j’espère qu’ils ne<br />

me tiendront pas grief de les avoir réduits ici à de simples numéros afin de préserver leur<br />

anonymat.<br />

Je remercie mes parents, qui ont accepté de mettre à contribution leurs compétences<br />

informatiques pour la phase ingrate de la saisie <strong>des</strong> données du questionnaire. Je les remercie<br />

aussi pour le soutien sans faille qu’ils m’ont apporté pendant ces longues années de thèse.<br />

Merci enfin à Emmanuelle pour sa patience, son soutien et ses conseils avisés : elle connaît<br />

les affres de la thèse et sera aussi heureuse que moi, je pense, de voir cette aventure achevée.<br />

4


INTRODUCTION<br />

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5


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« Nous, psychologues de l’avenir…, nous considérons<br />

presque comme un signe de dégénérescence l’instrument<br />

qui veut se connaître lui-même, nous sommes les<br />

instruments de la connaissance et nous voudrions avoir<br />

toute la naïveté et la précision d’un instrument, donc nous<br />

ne devons pas nous analyser nous mêmes, nous connaître » 1<br />

Nietzsche, La volonté de puissance, livre III, § 335<br />

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Les psychologues sont partout, dit-on. A l’école, dans les tribunaux, dans les<br />

entreprises, dans les services sociaux, dans le monde associatif. Partout, ils véhiculent leurs<br />

outils et leurs métho<strong>des</strong> : ils observent, évaluent, font passer <strong>des</strong> tests, classent les individus.<br />

L’investigation psychologique permettrait de mettre au grand jour les secrets les plus intimes<br />

de chacun, faisant <strong>des</strong> individus <strong>des</strong> sujets calculables, dont le comportement, les aspirations<br />

et les envies deviendraient entièrement prévisibles. Leur pouvoir de normalisation et de<br />

catégorisation a souvent été dénoncé : les tests d’aptitude, d’intelligence ou de personnalité<br />

feraient violence à la complexité de l’âme humaine ; ils porteraient atteinte à la liberté<br />

individuelle. La littérature a longtemps évoqué cette crainte d’une société entièrement<br />

gouvernée par les psychologues. Ainsi, Musil, que sa formation de psychologue<br />

expérimentaliste avait rendu particulièrement sensible au rôle social de la jeune discipline<br />

s’interroge dans L’homme sans qualités : « peut-on se figurer que l’homme aura encore une<br />

âme, quand la biologie et la psychologie auront appris à le comprendre, à le traiter dans son<br />

entier ? » 2 . La presse syndicale ou de gauche <strong>des</strong> années 1950 dénonçait elle aussi l’emprise<br />

grandissante de ces « <strong>ingénieurs</strong> <strong>des</strong> âmes » 3 capables de scruter au moyen de tests les<br />

moindres recoins de l’âme humaine et devenus <strong>des</strong> symboles de l’opression capitaliste. La<br />

1 Cité in CANGUILHEM (1994 [1957], p. 377)<br />

2 MUSIL (1969 [1933], p. 327)<br />

7


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critique se fait plus virulente en France dans les années 1970, dans le sillage <strong>des</strong> travaux de<br />

Michel Foucault. Jacques Donzelot et Robert Castel dénoncent ainsi la « discipline <strong>des</strong><br />

esprits » imposée par les psychologues et leur rôle dans le contrôle panoptique <strong>des</strong><br />

populations par l’Etat. Quelques années plus tôt, Canguilhem (1994 [1957]) avait lui aussi<br />

dénoncé dans un article resté célèbre la tentation <strong>des</strong> psychologues de n’être que de purs<br />

instruments de mesure, totalement dégagés de préoccupations éthiques 4 .<br />

Ces critiques sont pourtant paradoxales si l’on songe que la profession de<br />

psychologue trouve ses origines dans un généreux projet de réforme sociale dont l’objectif<br />

était, en mettant chacun à sa place, d’œuvrer à la réalisation de la justice sociale. La<br />

psychologie appliquée était vue au début du XX e siècle comme un moyen de diminuer « les<br />

déclassés et les mécontents » 5 , mais aussi de préserver la santé physique et mentale <strong>des</strong><br />

travailleurs en les orientant vers <strong>des</strong> emplois conformes à leurs aptitu<strong>des</strong>. Dans l’esprit de ses<br />

promoteurs, elle s’ancrait donc dans un vaste projet de transformation de la société, où la<br />

place de chacun ne serait plus déterminée par son appartenance à un groupe social particulier<br />

mais par ses seules aptitu<strong>des</strong> individuelles. Comment comprendre alors le décalage entre les<br />

intentions généreuses de ces savants républicains qui sont aux sources de la psychologie<br />

appliquée dans les années 1900-1930 et les usages qui ont été faits de cette discipline dans le<br />

monde du travail ou à l’école au lendemain de la seconde guerre ? Comment comprendre<br />

aussi la virulence <strong>des</strong> critiques adressées par la gauche et les syndicats à partir <strong>des</strong> années<br />

1960 contre ces « <strong>ingénieurs</strong> <strong>des</strong> âmes », au nom de la liberté psychique, alors que leur projet<br />

visait précisément à promouvoir l’émancipation individuelle et l’égalité <strong>des</strong> chances ?<br />

Le paradoxe n’est pas moins grand aujourd’hui. D’un côté, le raisonnement<br />

psychologique, qui a progressivement gagné toutes les sphères de la vie privée et sociale,<br />

semble n’avoir jamais été aussi envahissant. Cette profession ne suscite pourtant plus les<br />

débats d’hier dans l’espace politique ou la communauté scientifique. Les psychologues<br />

professionnels semblent avoir conquis les faveurs du grand public. Etre écouté par l’un<br />

d’entre eux devient un « droit », dont chacun doit pouvoir bénéficier dans les moments<br />

difficiles de sa vie (catastrophes, accidents, perte d’un proche…). Un public toujours plus<br />

nombreux se tourne désormais vers cette profession en quête de solutions, d’une « aide »<br />

susceptible de l’aider à surmonter <strong>des</strong> difficultés passagères ou existentielles. Car le mandat<br />

3 Voir par exemple « Les <strong>ingénieurs</strong> <strong>des</strong> âmes », Le Populaire-Dimanche, 16 octobre 1960.<br />

4 Canguilhem achevait son article en forme de boutade, en évoquant les deux possibilités qu’avaient les<br />

psychologues en sortant de la Sorbonne : soit monter vers le Panthéon (« qui est le Conservatoire de quelques<br />

grands hommes »), soit <strong>des</strong>cendre vers la Préfecture de Police !<br />

5 BINET 1974 [1909]<br />

8


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<strong>des</strong> psychologues s’est considérablement transformé en l’espace d’un demi-siècle. Assis au<br />

départ sur la méthode <strong>des</strong> tests et la psychotechnique, leur rôle se tourne davantage<br />

aujourd’hui vers l’aide aux personnes et le soutien thérapeutique. Leur quotidien est<br />

désormais d’écouter, de parler, d’aider les individus à dénouer leurs problèmes intimes, dans<br />

les situations pathologiques comme dans les situations plus « normales » de la vie quotidienne<br />

(difficultés scolaires, entretien d’embauche, aide à la recherche d’emploi…). L’État lui-même<br />

devient de plus en plus empathique dans sa gestion <strong>des</strong> problèmes sociaux, comme en<br />

témoigne la création en mars 2004 d’un « Secrétariat d’État aux Droits <strong>des</strong> victimes ». Lors<br />

<strong>des</strong> crises, attentats ou accidents, <strong>des</strong> « cellules d’urgence médico-psychologiques » sont<br />

dépêchées pour permettre aux victimes de soigner leurs plaies psychiques 6 . Mais on voit aussi<br />

de plus en plus les psychologues s’imposer comme <strong>des</strong> acteurs incontournables dans la<br />

gestion de certaines questions sociales comme le chômage, l’insertion <strong>des</strong> jeunes, la santé au<br />

travail ou le traitement de la délinquance 7 .<br />

LA PSYCHOLOGIE : UN OBJET DE RECHERCHE DELAISSE PAR LES SOCIOLOGUES<br />

Face à la force de ce nouveau discours, il n’y a guère plus que les sociologues pour<br />

s’élever contre les dangers d’une psychologisation accrue <strong>des</strong> problèmes sociaux. Cette<br />

critique se développe toutefois sur fond de grande confusion. Le terme de<br />

« psychologisation » apparaît comme un fourre-tout commode qui embrasse un ensemble de<br />

situations sociales, de disciplines ou de techniques plus ou moins bien établies sur le plan<br />

scientifique (le coaching, la psychologie du travail, les « nouvelles thérapies »…). La<br />

confusion est également fréquente entre les diverses professions « psy- » (psychologue,<br />

psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste), alors que celles-ci ont <strong>des</strong> histoires, <strong>des</strong> formes<br />

d’organisation et <strong>des</strong> pratiques radicalement différentes 8 . Dans le champ <strong>des</strong> professions<br />

« psy- », celle qui s’est structurée le plus tôt est la psychiatrie, qui s’est développée comme<br />

une branche de la médecine dans la première moitié du XIX e siècle, avec la naissance de<br />

l’institution asilaire (loi de 1838). Elle est toujours restée dans le giron de la médecine, dont<br />

elle est aujourd’hui une spécialité. La psychologie apparaît quelques décennies plus tard, à la<br />

fin du XIX e siècle, alors qu’elle tente de se tirer de la gangue de la philosophie idéaliste pour<br />

se développer comme une science expérimentale, en suivant le modèle de la physiologie et de<br />

la biologie. Contrairement à la psychiatrie, elle ne traite pas uniquement <strong>des</strong> cas<br />

6 Voir BOLTANSKI (1993).<br />

7 Les différents champs d’exercice de la psychologie sont présentés dans le tableau III-2, annexe 3.<br />

9


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pathologiques mais aussi <strong>des</strong> situations normales de la vie sociale. Les découvertes de la<br />

psychologie expérimentale donnent lieu à <strong>des</strong> applications sociales dès le début du XX e siècle,<br />

principalement dans les écoles (expériences de Binet et Simon) et dans le monde du travail,<br />

où se développe la méthode <strong>des</strong> tests (Toulouse, Lahy…). Ces expériences posent les bases<br />

d’une nouvelle profession dont les effectifs resteront mo<strong>des</strong>tes jusqu’à la seconde guerre,<br />

mais qui connaîtra une expansion spectaculaire dès la fin <strong>des</strong> années 1950. La psychothérapie<br />

et la psychanalyse se distinguent <strong>des</strong> deux professions précédentes en cela qu’elles ne se sont<br />

jamais développées dans un cadre institutionnel. Elles ne sont pas non plus soumises à ce jour<br />

à une réglementation spécifique et ne « s’autorisent que d’elles-mêmes » 9 . Ainsi, si les<br />

échanges entre ces quatre groupes professionnels sont multiples (de nombreux psychologues<br />

ou médecins sont aussi psychanalystes ou psychothérapeutes), ils n’en gardent pas moins <strong>des</strong><br />

frontières relativement étanches et ne relèvent pas <strong>des</strong> mêmes formes d’organisation<br />

collective.<br />

Le sens donné par les sociologues à l’idée de « psychologisation <strong>des</strong> rapports<br />

sociaux » est lui aussi ambigu. Tantôt elle est désignée comme l’écume d’une vague de fond<br />

individualisante qu’on fait remonter aux Lumières, en s’appuyant sur les analyses de<br />

Durkheim ou d’Elias ; tantôt, on dénonce ouvertement le rôle actif de la profession de<br />

psychologue et <strong>des</strong> médias dans la genèse de ce nouveau regard sur la société 10 . Les critiques<br />

<strong>des</strong> sociologues sont particulièrement vives à l’encontre du rôle ambigu joué par les<br />

psychologues dans le champ du travail et de l’emploi. Il est devenu monnaie courante de<br />

dénoncer la psychologisation <strong>des</strong> questions de l’emploi et du chômage, qui tendent à<br />

responsabiliser l’individu et à reporter sur lui un risque par essence collectif. La<br />

psychologisation serait ainsi l’envers d’un libéralisme économique en progression 11 .<br />

Le contraste entre les dénonciations formulées par les sociologues à l’encontre <strong>des</strong><br />

psychologues et la relative méconnaissance de ce monde professionnel n’en apparaît qu’avec<br />

plus de force. Malgré les dénonciations récurrentes, presque aucun travail sociologique<br />

d’ampleur n’a été consacré à cette profession, qui a pourtant vu ses effectifs multipliés par<br />

cinq en l’espace de vingt-cinq ans, passant de 7000 praticiens au début <strong>des</strong> années 1980 à près<br />

8 Pour une présentation synthétique <strong>des</strong> différentes professions « psy », voir le tableau III-1, annexe 3.<br />

9 De ce point de vue, ce n’est pas le moindre <strong>des</strong> paradoxes de l’amendement Accoyer, présenté à l’Assemblée<br />

Nationale le 14 octobre 2003, que de réglementer les professions psychothérapeutiques, tout en reconnaissant la<br />

pleine autonomie <strong>des</strong> psychanalystes : « …sont dispensés de l’inscription au registre national <strong>des</strong><br />

psychothérapeutes les titulaires d’un titre de docteur en médecine, les psychologues titulaires d’un diplôme<br />

d’Etat et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations ».<br />

10 Voir par exemple BOLTANSKI (1993); EHRENBERG (1991)<br />

11 Voir notamment les analyses de BENARROSH (2000), DIVAY (2000), DUGUE (2003) et EBERSOLD (2004).<br />

10


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de 35000 aujourd’hui. Parmi les ouvrages de référence consacrés au sujet en France, citons<br />

celui de Geneviève Paicheler (1992), qui mobilise l’approche théorique de la sociologie <strong>des</strong><br />

professions dans la lignée <strong>des</strong> travaux de Magali Larson et défend la thèse d’une<br />

monopolisation progressive d’un nouveau marché par les psychologues. Mais l’ouvrage porte<br />

sur la professionnalisation de la psychologie aux Etats-Unis de 1880 aux années 1930 et<br />

n’évoque la situation française que de façon allusive. Citons également, parmi les<br />

contributions historiques sur le sujet, l’ouvrage d’Henri Eckert (1993) qui s’intéresse à un<br />

segment particulier : les conseillers d’orientation-psychologues et qui n’offre de ce fait pas de<br />

vision d’ensemble de la profession. Deux thèses de psychologie sociale ont été consacrées à la<br />

profession de psychologue, l’une en 1986 et l’autre en 1987, mais d’une part elles mobilisent<br />

peu les outils d’analyse sociologique <strong>des</strong> professions, et d’autre part elles sont assez anciennes<br />

et le paysage de la profession s’est considérablement transformé depuis lors 12 .<br />

Ainsi, bien que la psychologisation <strong>des</strong> rapports sociaux intéresse les sociologues,<br />

qui y trouvent parfois un miroir de leur propre pratique, la sociologie et l’histoire de cette<br />

profession restent largement à écrire. Cette situation accroît la difficulté de l’exercice : les<br />

sources sont rares, dispersées et il existe peu de travaux soli<strong>des</strong> sur lesquels s’appuyer 13 .<br />

Divers facteurs peuvent expliquer ce relatif désintérêt de l’étude <strong>des</strong> psychologues par les<br />

sociologues. D’une part, c’est un terrain qui se prête difficilement à la méthode de<br />

l’observation participante, qui recueille aujourd’hui la faveur de bon nombre de sociologues<br />

<strong>des</strong> professions. Or, les psychologues n’ouvrent pas facilement les portes de leur cabinet : ils<br />

sont soucieux de garantir la confidentialité <strong>des</strong> informations de leurs clients et peu enclins à<br />

soumettre leurs pratiques au crible d’un certain réductionnisme sociologique. D’autre part,<br />

pour le sociologue qui est davantage porté vers l’étude <strong>des</strong> phénomènes institutionnels ou <strong>des</strong><br />

formes d’organisation collective, le monde de la psychologie apparaît de prime abord comme<br />

un univers terriblement complexe, peu unifié et aux frontières floues. Point d’acteur collectif<br />

immédiatement repérable sur lequel faire porter l’analyse ; point d’histoire longue et<br />

glorieuse, à la différence <strong>des</strong> professions canoniques de médecin ou d’avocat ; peu de<br />

régulation étatique de l’activité. On trouve au contraire une profession jeune, incertaine de son<br />

12 Voir FLATH (1986) et DE PAOLIS (1987). Une thèse a également été soutenue en 2001 sous la direction de<br />

Jean-Yves Trépos (ETIENNE, 2001), dans une perspective essentiellement inspirée de l’interactionnisme.<br />

13 Citons toutefois deux sources qui nous ont été très utiles dans notre travail. Il s’agit d’une part de l’ouvrage<br />

collectif dirigé par Yves CLOT (1999) sur l’histoire de la psychologie du travail et d’autre part de celui d’Annick<br />

OHAYON (1999) sur les relations entre psychologie et psychanalyse de 1919 à 1969 qui offre une excellente<br />

synthèse historique sur la profession de psychologue en France.<br />

11


savoir, fortement balkanisée, déchirée par ses tensions internes et en lutte constante avec <strong>des</strong><br />

groupes professionnels adjacents pour faire reconnaître la spécificité de son territoire.<br />

ANALYSER LES RELATIONS ENTRE UN GROUPE PROFESSIONNEL ET L’EMERGENCE D’UN<br />

NOUVEAU REGARD SUR LE MONDE SOCIAL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Comment alors aborder un objet aussi fuyant et mal défini ? Comment une sociologie<br />

<strong>des</strong> psychologues peut-elle être écrite et que peut-elle nous apprendre de façon plus large sur<br />

la psychologisation <strong>des</strong> rapports sociaux ? Comment le savoir psychologique est-il apparu,<br />

comment s’est-il diffusé dans différents domaines de la vie sociale et quel a été le rôle <strong>des</strong><br />

acteurs professionnels de la psychologie dans ce mouvement ? De telles interrogations<br />

supposent d’aller au-delà <strong>des</strong> analyses traditionnellement menées en sociologie <strong>des</strong><br />

professions, qui se limitent trop souvent à la thèse du « monopole économique ». Selon cette<br />

thèse, la question macro-sociale soulevée par les professions serait la manière dont celles-ci<br />

cherchent à construire puis défendre un monopole sur un domaine donné de la vie sociale. La<br />

fermeture d’un marché du travail, la construction et le maintien d’une rente, susceptible<br />

d’apporter aux membres du groupe <strong>des</strong> ressources économiques et symboliques, forment le<br />

centre de l’analyse. Une telle perspective relève d’une approche purement « externaliste » <strong>des</strong><br />

professions, au sens où l’entend Canguilhem à propos <strong>des</strong> sciences, c’est-à-dire une « façon<br />

d’écrire l’histoire <strong>des</strong> sciences en conditionnant un certain nombre d’évènements par leurs<br />

rapports avec <strong>des</strong> intérêts économiques et sociaux, avec <strong>des</strong> exigences ou <strong>des</strong> pratiques<br />

techniques, avec <strong>des</strong> idéologies religieuses ou politiques » 14 . On pourrait ainsi faire une<br />

sociologie <strong>des</strong> médecins sans parler de la santé ni de la médicalisation de la société, une<br />

sociologie <strong>des</strong> avocats sans parler de la judiciarisation de la société, et une sociologie <strong>des</strong><br />

<strong>ingénieurs</strong> sans parler du rôle de ces derniers dans la rationalisation et la diffusion de l’esprit<br />

technique. Notre ambition est de sortir de ce schéma pour nous pencher sur les savoirs<br />

psychologiques en eux-mêmes, leurs mo<strong>des</strong> de construction, leurs déplacements au fil du<br />

temps et montrer leur articulation avec un groupe professionnel qui leur donne une résonance<br />

et <strong>des</strong> applications sociales. L’histoire de la psychologie n’est pas faite d’un mouvement<br />

unilinéaire et indéfini vers la clôture sociale et le contenu de la « science psychologique »<br />

n’était pas inscrit dès le départ dans le projet professionnel du groupe. Les voies d’application<br />

inabouties ou abandonnées ont été nombreuses et le mandat s’est élargi et rétréci au gré de la<br />

14 CANGUILHEM (1994 [1968], p. 15).<br />

12


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demande sociale et <strong>des</strong> évolutions scientifiques. On le voit notamment à travers l’abandon de<br />

la méthode <strong>des</strong> tests comme support du projet professionnel <strong>des</strong> psychologues à partir de la<br />

fin <strong>des</strong> années 1960, et l’hégémonie progressivement acquise par la méthode de l’examen<br />

clinique. Un tel constat devrait nous inviter à prendre au sérieux la remarque suivante de<br />

Canguilhem : « L’histoire <strong>des</strong> sciences, ce n’est pas le progrès <strong>des</strong> sciences renversé, c’est-àdire<br />

la mise en perspective d’étapes dépassées dont la vérité d’aujourd’hui serait le point de<br />

fuite. Elle est un effort pour rechercher et faire comprendre dans quelle mesure <strong>des</strong> notions ou<br />

<strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> ou <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> dépassées ont été, à leur époque, un dépassement et par<br />

conséquent en quoi le passé dépassé reste le passé d’une activité à laquelle il faut conserver le<br />

nom de scientifique » 15 . Cette règle méthodologique, qui va d’une certaine façon à rebours du<br />

schéma téléologique sous-jacent à la notion de « monopolisation », est d’autant plus<br />

importante à suivre dans l’étude de la psychologie que, comme nous le verrons, le projet<br />

scientifique et social qui a animé les premières recherches et applications de cette discipline<br />

peut parfois prêter à sourire tant il apparaît à l’observateur contemporain exotique et désuet.<br />

C’est donc seulement en réinscrivant les savoirs et les formes de professionnalisation<br />

dans la densité d’une époque et d’un contexte social que nous pourrons comprendre la logique<br />

interne de cette profession. Cela suppose de faire coexister trois perspectives : d’une part une<br />

sociologie <strong>des</strong> sciences, attentive à la constitution <strong>des</strong> savoirs et à leurs transformations ;<br />

d’autre part la sociologie d’un groupe professionnel, de ses tentatives de conquête de statut et<br />

de clôture ; enfin l’évolution d’un mandat défini à la fois par la demande sociale émanant<br />

d’un « marché » de services psychologiques et par <strong>des</strong> formes particulières d’action publique.<br />

La difficulté est de faire tenir ensemble ces différents éléments car les relations ne sont pas à<br />

sens unique : la science seule n’entraîne pas de nouvelles manières de conceptualiser les<br />

problèmes sociaux, car elle est elle-même totalement immergée dans la société. Comme l’a<br />

bien montré Latour (1987), un certain nombre de facteurs sociaux doivent être réunis pour<br />

qu’un énoncé acquière une validité scientifique : <strong>des</strong> forces doivent se rassembler, <strong>des</strong> alliés –<br />

humains et non humains – doivent être cooptés. De même, nous nous efforçons de montrer<br />

que <strong>des</strong> conditions sociales particulières ont dû être réunies pour que <strong>des</strong> conceptualisations<br />

de l’homme comme « sujet psychologique » voient le jour, précisément parce qu’elles<br />

apparaissaient comme une réponse pertinente aux problèmes du moment. Le mandat, les<br />

savoirs et la clôture sont donc en interaction permanente et ne sauraient être traités de façon<br />

isolée.<br />

15 Ibid., p. 14<br />

13


PSYCHOLOGIE ET REGULATION DES CONDUITES INDIVIDUELLES SUR LE MARCHE DU<br />

TRAVAIL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La psychologie est une profession très segmentée, faite d’un grand nombre de<br />

spécialités et d’applications, dans <strong>des</strong> domaines aussi variés que la santé, le travail,<br />

l’éducation, la gérontologie… Il nous fallait donc un point d’entrée pour guider l’analyse.<br />

Dans cette entreprise ambitieuse, nous avons privilégié l’étude d’un champ d’application<br />

particulier de la discipline : celui du travail. Trois raisons au moins peuvent justifier ce choix.<br />

La première résulte certainement d’un « effet de perspective ». Les questions du sociologue,<br />

comme celles de l’historien, sont imprégnées par l’esprit de son temps et le retour sur le passé<br />

traduit souvent le souci de répondre à <strong>des</strong> interrogations urgentes. Le point de départ de nos<br />

interrogations a partie liée avec les transformations actuelles <strong>des</strong> formes de travail,<br />

caractérisées par une emprise croissante, si ce n’est <strong>des</strong> psychologues, tout au moins <strong>des</strong> outils<br />

issus de la psychologie sur les questions de travail et d’emploi. Cela se manifeste notamment<br />

dans l’usage croissant <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychologiques dans le recrutement <strong>des</strong> cadres, dans les<br />

bilans de compétence, dans la prise en charge <strong>des</strong> chômeurs, mais aussi dans les diverses<br />

formes de gestion de la fatigue et du stress au travail. Les sociologues analysent cette<br />

évolution comme le produit d’un changement <strong>des</strong> formes de régulation du travail salarié, qui<br />

se traduit par le passage d’une logique collective de la qualification à une logique individuelle<br />

de la compétence. On s’interroge peu en revanche sur la genèse de ce nouveau discours et de<br />

ce nouveau regard sur le travail. Est-il dû à une emprise croissante <strong>des</strong> psychologues sur les<br />

questions de travail et d’emploi dans un contexte où la question <strong>des</strong> débouchés se pose de<br />

façon particulièrement aigüe pour les psychologues sortant de l’université, l’offre créant en<br />

quelque sorte sa propre demande ? Faut-il y voir le signe d’un « projet professionnel » réussi,<br />

comme tendent à le suggérer certaines analyses sociologiques ? 16 Il nous a semblé nécessaire,<br />

pour répondre à ces différentes questions, de comprendre comment s’était structurée la<br />

profession de psychologue du travail, quel avait été son mandat, comment il s’était recomposé<br />

au fil du temps, au gré <strong>des</strong> conjonctures du marché du travail et de la demande sociale.<br />

Cette interrogation est venue croiser un autre programme de recherche, issu de<br />

l’économie <strong>des</strong> conventions, portant sur les acteurs et les institutions du marché du travail.<br />

Cette approche suggère que, contrairement à la vision promue par le modèle classique du<br />

16 Voir sur ce point par exemple l’ouvrage de Marc LORIOL (2000), qui analyse la manière dont les psychologues<br />

se font complices –parfois à leur insu – d’une psychologisation <strong>des</strong> questions de fatigue au travail, en reportant<br />

sur les salariés la responsabilité de leur mauvaise fatigue afin de mieux préserver les formes d’organisation<br />

existantes.<br />

14


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marché du travail, la mise en relation entre offre et demande de travail est soutenue par un<br />

ensemble d’acteurs, d’institutions et de supports cognitifs qui construisent socialement la<br />

qualification <strong>des</strong> travailleurs, à travers <strong>des</strong> épreuves de jugement mettant face à face un<br />

« évaluateur » et un travailleur 17 . La plupart de ces recherches se concentrent toutefois sur <strong>des</strong><br />

situations d’interaction inscrites dans l’« ici » et le « maintenant » et ne s’intéressent guère<br />

aux dispositifs cognitifs inscrits dans la durée. Or, il est permis de penser que ceux-ci<br />

encadrent fortement l’activité <strong>des</strong> intermédiaires du marché du travail en les alimentant<br />

régulièrement en schémas théoriques et pratiques. De ce point de vue, la forte emprise de la<br />

psychologie du travail sur les pratiques <strong>des</strong> acteurs du marché du travail (à travers la méthode<br />

<strong>des</strong> tests jusqu’aux années 1970, puis la méthode clinique aujourd’hui) mérite d’être<br />

interrogée et réinscrite dans un ensemble de réflexions plus vaste sur l’encastrement social du<br />

marché du travail et ses formes de rationalisation : quels sont les effets de cette discipline sur<br />

le fonctionnement du marché du travail, que nous apprennent ses transformations sur celles du<br />

marché du travail, en quoi guide-t-elle les conduites <strong>des</strong> travailleurs sur le marché du travail ?<br />

Comme dans bien d’autres domaines, le processus décrit ici est celui d’une économicisation<br />

croissante <strong>des</strong> relations sociales sur le marché du travail, la psychologie permettant de décrire<br />

dans <strong>des</strong> registres toujours plus fins les caractéristiques <strong>des</strong> travailleurs susceptibles de donner<br />

lieu à une valorisation marchande. Ainsi, au langage <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psycho-physiologiques du<br />

début du XX e siècle a succédé, dans les années 1920 celui <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychologiques, puis<br />

celui <strong>des</strong> tests de personnalité dans les années 1950. La période actuelle semble ouvrir de<br />

nouveaux chantiers pour la psychologie du travail avec le développement d’outils<br />

d’inspiration clinique ou thérapeutique, qui permettent de faire entrer dans le registre<br />

marchand <strong>des</strong> dimensions du travailleur jusqu’alors négligées. Encore une fois, il ne s’agit pas<br />

pour nous de prétendre que ces savoirs disciplinaires ont <strong>des</strong> effets directs sur le marché du<br />

travail, mais d’analyser les processus d’échanges réciproques entre un savoir scientifique et<br />

un domaine de la pratique, à travers l’action <strong>des</strong> professionnels.<br />

La dernière raison qui nous a conduit à nous pencher sur les applications de la<br />

psychologie dans le domaine du travail tient au fait que ce domaine est l’un <strong>des</strong> premiers à<br />

avoir donné lieu à <strong>des</strong> applications professionnelles de la psychologie. Il nous permettait ainsi<br />

d’étudier sur une longue période (depuis le tout début du XX e siècle) les déplacements du<br />

regard psychologique, et de mettre au jour différentes formes de « psychologisation » de la<br />

17 Cet évaluateur est le plus souvent un recruteur (EYMARD-DUVERNAY et MARCHAL, 1997) mais il peut aussi<br />

s’agir d’un salarié du service public de l’emploi (BENARROSH, 2000 pour l’ANPE, BEAUD, 1996 pour les<br />

missions locales) ou d’une agence d’intérim (CAIRE et KARCHEVTSKY, 2000).<br />

15


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question du travail. L’histoire est de ce point de vue d’un utile secours, comme le fait<br />

remarquer Lucien Karpik (2002, p. 70) dans son plaidoyer en faveur d’une sociologie<br />

historique <strong>des</strong> professions, cette méthode étant selon lui « l’un <strong>des</strong> moyens les plus sûrs de<br />

rompre avec l’ethnocentrisme et de construire le cadre théorique de la diversité ». L’une <strong>des</strong><br />

hypothèses importantes de notre travail est que la psychologisation du travail a pris <strong>des</strong><br />

formes différentes au cours du temps et qu’elle s’est accompagnée à chacun de ces moments<br />

de formes d’organisation professionnelle spécifiques et de modalités d’action <strong>des</strong> pouvoirs<br />

publics en direction du marché du travail elles aussi spécifiques. On a ainsi pu distinguer trois<br />

temps forts de l’articulation entre savoirs psychologiques / groupe professionnel et action<br />

publique. Le premier de ces moments est l’entre-deux-guerres, lorsque le savoir prend corps à<br />

travers la naissance de la psychotechnique. Les applications demeurent toutefois peu<br />

nombreuses au départ : elle-ci servent principalement à étayer la validité du cadre théorique<br />

de la psychologie scientifique, sans prise réelle sur la société. Le seul secteur où les<br />

applications se développent est celui de l’orientation professionnelle. Les régulations<br />

publiques du marché du travail s’appuient dans cette première période sur une représentation<br />

du marché du travail comme juxtaposition de « métiers » immuables, inscrits dans l’ordre de<br />

la nature, et faisant appel à <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> elles aussi naturellement ancrées dans les individus,<br />

que la psychologie scientifique doit s’efforcer de mettre à jour. Dans la période suivante<br />

(1945-1970), on assiste à une diffusion <strong>des</strong> usages de la psychotechnique dans les régulations<br />

du marché du travail. La passation de tests psychotechniques devient alors la règle pour tous<br />

les demandeurs d’emploi (services de la main d’œuvre du Ministère du travail), les<br />

demandeurs de formation professionnelle (AFPA), ou le recrutement sur <strong>des</strong> marchés internes<br />

(notamment dans les entreprises publiques, l'armée etc.). Cette évolution doit être reliée à la<br />

mise en place par les pouvoirs publics au cours de la période d’une « convention keynésienne<br />

de plein emploi » (Baverez, Reynaud, Salais, 1986) adossée à <strong>des</strong> grilles de classification, qui<br />

se substituent progressivement aux « métiers » de la période précédente. La profession, de son<br />

côté, développe <strong>des</strong> stratégies de fermeture de marché, notamment au sein de la fonction<br />

publique (AFPA, entreprises publiques, Education nationale…), mais assez peu sur le marché,<br />

où elle subit la double concurrence <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>-conseils et <strong>des</strong> graphologues. La période la<br />

plus récente (de 1970 à aujourd’hui) révèle une plus grande complexité dans l’articulation<br />

science/profession/besoin social. D’une part, les contours de l’espace professionnel<br />

s’élargissent, en raison du développement de nouveaux segments – notamment la psychologie<br />

clinique – qui éloignent la profession de son socle théorique initial. Cette évolution trouvera<br />

un aboutissement dans la protection légale d’un titre unique de « psychologue » pour tous les<br />

16


champs d’application, en 1985. L'une <strong>des</strong> conséquences de cette unité du titre sera l’emprise<br />

croissante de la psychologie clinique et de la psychanalyse sur la psychologie du travail, qui<br />

ne parvient pas à maintenir la spécificité de ses origines « expérimentales » face à ce segment<br />

dominant. Parallèlement, on assiste à une emprise croissante de la psychologie clinique sur les<br />

questions d’emploi. Ce qui était autrefois perçu comme un problème d'ajustement externe au<br />

marché du travail devient un problème individuel, une pathologie qu'un spécialiste (le<br />

psychologue) doit traiter. La méthode <strong>des</strong> tests, issue de la psychologie expérimentale, décline<br />

considérablement et est peu à peu supplantée par l’entretien clinique, notamment dans le<br />

secteur de l’insertion et de l’aide à la recherche d’emploi (CIBC, Missions locales, AFPA…).<br />

L’action publique en direction du marché du travail devient elle aussi plus complexe, en<br />

raison de la montée du chômage, de la diversité accrue <strong>des</strong> trajectoires individuelles et de la<br />

multiplication <strong>des</strong> phases de « transitions professionnelles » (Rose, 1994).<br />

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METHODOLOGIE<br />

Notre travail repose sur l’utilisation de moyens d’investigation empiriques variés :<br />

principalement <strong>des</strong> entretiens, <strong>des</strong> archives et les données d’une enquête par questionnaire<br />

réalisée auprès de 1900 psychologues du travail en activité, pour laquelle nous avons obtenu<br />

557 questionnaires exploitables.<br />

Pour la période antérieure à 1970 nous nous sommes appuyé sur <strong>des</strong> sources de<br />

première main, faute d’étu<strong>des</strong> historiques approfondies sur ce segment de la profession 18 . Les<br />

premiers pas de notre recherche ont ainsi consisté à dépouiller systématiquement différentes<br />

revues centrales dans le champ étudié : l’Année psychologique, sur la période 1900-1950 ; le<br />

BINOP (Bulletin de l’Institut National d’Orientation Professionnelle) et la revue Le Travail<br />

Humain. Pour la période postérieure à 1945, nous nous sommes principalement appuyé sur<br />

deux revues professionnelles : le Bulletin de psychologie, qui a été dépouillé sur toute sa<br />

période d’existence (de 1947 à aujourd’hui) et Psychologie Française, l’organe de la SFP<br />

(Société Française de Psychologie), dépouillé sur la même période. Sans avoir au départ une<br />

idée très précise de ce que nous cherchions dans ces différentes revues, la problématique de la<br />

18 Cette remarque concerne d’ailleurs aussi les autres segments. Contrairement aux cas <strong>des</strong> Etats-Unis<br />

(CAPSHEW, 1999 ; BENJAMIN et BAKER, 2004) de la Grande-Bretagne (ROSE, 1990) ou de l’Allemagne<br />

(GEUTER, 1992), il n’existe pas de synthèse historique ou sociologique sur la profession de psychologue en<br />

France. Une série d’autobiographies de seize psychologues de lange française a été rassemblée dans un ouvrage<br />

(PAROT et RICHELLE, 1992) mais le danger inhérent au genre – celui de l’hagiographie – ne sont pas toujours<br />

écartés et surtout aucun psychologue clinicien, à l’exception de Didier Anzieu, n’y est présent. Saluons<br />

l’initiative de la revue Psychologie et histoire, née en 1997, mais qui reste malheureusement très centrée sur les<br />

aspects scientifiques et bien peu sur les applications de la psychologie.<br />

17


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sociologie <strong>des</strong> professions s’est rapidement imposée : comment la psychotechnique /<br />

psychologie du travail s’était-elle institutionnalisée dans le champ académique et dans les<br />

entreprises ? Comment les premiers psychologues étaient-ils parvenus à importer dans le<br />

monde du travail leur nouvelle discipline ? Quelles résistances y avaient-ils rencontrés ?<br />

Comment les premiers praticiens s’étaient-ils organisés ? Sur ces différents aspects, les<br />

informations apportées par les revues se sont rapidement révélées limitées, car elles ne nous<br />

donnaient qu’une vision officielle et apaisée <strong>des</strong> débats qui agitaient ce monde professionnel.<br />

Surtout, elles nous permettaient difficilement d’accéder aux pratiques <strong>des</strong> psychotechniciens<br />

eux-mêmes et au rôle qu’ils avaient joué sur le marché du travail. Armé <strong>des</strong> mêmes questions,<br />

notre recherche socio-historique s’est donc poursuivie par l’exploitation plus systématique de<br />

fonds d’archives dont le détail est en annexe dans les sources p. 607 sq.). Trois types<br />

d’archives ont été consultés : <strong>des</strong> archives de services psychotechniques d’entreprises (plus<br />

particulièrement ceux de Renault, de la RATP et de la Poste), <strong>des</strong> archives d’associations<br />

professionnelles (essentiellement le Syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT et le<br />

Syndicat national <strong>des</strong> psychologues) et <strong>des</strong> archives d’établissements de formation <strong>des</strong><br />

psychologues du travail (notamment celles de la chaire de psychologie du travail du CNAM,<br />

celles de l’INOP et celles de l’Institut de psychologie de l’université de Paris). Cette<br />

recherche historique sur la genèse et les transformations de la profession a enfin été complétée<br />

par une dizaine d’entretiens auprès de quelques-unes <strong>des</strong> figures centrales de la<br />

professionnalisation de la psychologie : anciens psychotechniciens, responsables<br />

d’associations professionnelles, universitaires ou chercheurs. Ces entretiens ont cherché à<br />

reconstituer la biographie <strong>des</strong> enquêtés : leur origine sociale, leur formation, les raisons de<br />

leur engagement dans le projet professionnel de la psychologie du travail, parfois aussi les<br />

raisons qui les avaient amené à prendre leurs distances vis-à-vis de cette profession au<br />

tournant <strong>des</strong> années 1960-1970. Le principe qui a guidé notre recherche n’a pas été celui<br />

d’une reconstitution exhaustive de ce monde professionnel mais d’une compréhension <strong>des</strong><br />

mécanismes permanents de décomposition / recomposition du groupe, en faisant jouer<br />

différentes échelles temporelles : temporalité individuelle de la carrière, temporalité collective<br />

de la profession, et du segment particulier que nous étudiions, temporalité longues de la vie<br />

économique, qui déterminent dans une large mesure la nature du mandat assigné aux<br />

psychologues du travail.<br />

Les évolutions plus récentes de la profession (depuis 1970) ont été appréhendées<br />

principalement à travers deux sources : <strong>des</strong> entretiens et une enquête par questionnaire. Une<br />

18


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première série d’entretiens 19 exploratoires a tout d’abord été menée au printemps 2001 auprès<br />

de directeurs de DESS et d’une quinzaine de psychologues du travail en activité, exerçant<br />

dans différents secteurs : cabinets de recrutement, associations d’insertion, service public de<br />

l’emploi (ANPE, AFPA, missions locales). Cette enquête nous a fait découvrir une profession<br />

bien plus hétérogène que ce que nous imaginions au départ. En dépit de l’existence d’un<br />

référent unificateur (le titre de psychologue) et d’un socle de pratiques communes, centré sur<br />

l’évaluation <strong>des</strong> personnes, il est rapidement apparu que les personnes interrogées<br />

connaissaient une grande diversité de statuts, en raison notamment <strong>des</strong> caractéristiques du<br />

public auquel elles étaient confrontées (allant du cadre de haut niveau jusqu’au chômeur de<br />

longue durée) et de leur créneau d’activité (mobilité interne dans les entreprises, mobilité<br />

externe dans les cabinets de conseil ou l’intérim, insertion <strong>des</strong> publics en difficulté). En outre,<br />

si les techniques psychologiques semblaient connaître un vif succès sur le marché du travail<br />

depuis une quinzaine d’années, les psychologues évoquaient souvent la fragilité de leur<br />

position, du fait notamment de la concurrence de catégories professionnelles voisines<br />

(gestionnaires de ressources humaines, travailleurs sociaux…) et de la tension, inhérente à<br />

leur activité, entre une logique d’aide aux personnes et une logique de catégorisation. La<br />

question se posait en effet, pour la plupart <strong>des</strong> personnes enquêtées, de savoir au service de<br />

qui ils mettaient leur expertise : celui <strong>des</strong> personnes rencontrées au cours <strong>des</strong> entretiens<br />

(salariés en reconversion ou en « bilan de compétences », demandeurs d’emplois…) ou celui<br />

<strong>des</strong> prescripteurs de leurs services (chefs d’entreprise souhaitant recruter la « perle rare »,<br />

administrations…). Ces différents éléments nous ont conduit à privilégier la thèse de la<br />

segmentation comme analyseur <strong>des</strong> évolutions récentes de la profession : comment cette<br />

profession peut-elle maintenir son unité face à la diversité <strong>des</strong> statuts ? Comment résiste-t-elle<br />

à la diffusion de son expertise auprès d’acteurs qui n’ont pas reçu de formation en<br />

psychologie ? comment construit-elle son territoire entre la logique de ses "clients" et celle de<br />

ses "prescripteurs" ?<br />

L’exploitation du questionnaire nous a permis de répondre en partie à ces questions.<br />

D’une part, elle nous a donné une connaissance plus fine <strong>des</strong> contours de ce groupe<br />

professionnel, en faisant apparaître par une méthode d’analyse factorielle quatre segments aux<br />

statuts nettement différenciés (chapitre V). D’autre part, le questionnaire a fourni de riches<br />

éléments empiriques sur les pratiques <strong>des</strong> psychologues du travail et la manière dont celles-ci<br />

19 La grille suivie au cours de ces entretiens, ainsi que la liste complète <strong>des</strong> entretiens réalisés figure en annexe<br />

dans les sources (pp. 595-596). L’ensemble <strong>des</strong> entretiens a été retranscrit, mais pour <strong>des</strong> raisons d’espace ils<br />

n’ont pas été reproduits en annexe. Ils sont en revanche abondamment cités dans le corps du texte.<br />

19


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se déclinent sur les différents segments du marché du travail et auprès de différents publics.<br />

Sur un plan plus méthodologique, enfin, le questionnaire nous a permis de mesurer à quel<br />

point les questions du sociologue, loin d’être neutres, participent de l’élaboration symbolique<br />

du groupe qu’il étudie. Nombre <strong>des</strong> répondants me faisaient part, en dehors du cadre prévu<br />

par le questionnaire, <strong>des</strong> difficultés rencontrées dans leur travail, ou me faisaient parvenir <strong>des</strong><br />

projets de « statuts » de psychologue du travail qu’elles avaient élaboré au sein de leurs<br />

entreprises ou administrations. D’autres déploraient le manque d’esprit collectif <strong>des</strong><br />

psychologues du travail et se réjouissaient de ce que ce questionnaire allait pouvoir apporter.<br />

Les objectifs du syndicat de psychologues qui a financé le questionnaire (le SNP – Syndicat<br />

national <strong>des</strong> psychologues) n’étaient pas non plus dépourvus d’ambiguïtés. A travers le<br />

questionnaire, le SNP souhaitait tout à la fois mieux connaître les difficultés rencontrées par<br />

les psychologues du travail dans leurs divers lieux d’exercice, mais aussi mobiliser un vivier<br />

potentiel de nouveaux adhérents, qui lui avait jusqu’alors échappé en raison de la forte<br />

dispersion professionnelle <strong>des</strong> psychologues du travail 20 .<br />

Parallèlement à l’exploitation du questionnaire, une enquête plus approfondie a été<br />

menée auprès <strong>des</strong> psychologues de deux structures ayant une longue tradition d’utilisation <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> psychologiques dans l’évaluation <strong>des</strong> personnes : la RATP (6 entretiens) et l’AFPA<br />

(23 entretiens). Ces deux établissements ont joué un rôle important dans la<br />

professionnalisation de la psychologie du travail, le premier dans l’entre-deux-guerres avec la<br />

mise en place de l’un <strong>des</strong> premiers services de psychologie appliquée en France, le second au<br />

lendemain de la seconde guerre à travers la diffusion <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychotechniques auprès<br />

<strong>des</strong> demandeurs d’emploi et de formations professionnelles. Nous cherchions à appréhender à<br />

travers ces entretiens la manière dont s’était opéré le passage d’une conception<br />

expérimentaliste de l’évaluation (à travers la méthode <strong>des</strong> tests) à une conception davantage<br />

inspirée de la clinique ou de la psychothérapie. Il s’agissait aussi de voir comment une série<br />

de facteurs externes (émergence de la logique compétence dans l’entreprise, montée en<br />

puissance <strong>des</strong> politiques d’insertion pour les demandeurs d’emploi) avaient transformé les<br />

pratiques <strong>des</strong> psychologues du travail dans ces institutions, les mettant en concurrence avec de<br />

nouveaux acteurs. Au-delà <strong>des</strong> spécificités propres aux deux établissements étudiés, les<br />

entretiens ont également été réalisés dans une perspective de reconstitution d’itinéraires<br />

20 A la différence <strong>des</strong> psychologues cliniciens qui sont localisés dans les hôpitaux et <strong>des</strong> psychologues scolaires<br />

qui sont dans les établissements scolaires, il n’y a pas de lieu d’exercice « typique » pour les psychologues du<br />

travail. Ceux-ci se retrouvent aussi bien dans <strong>des</strong> entreprises privées que dans <strong>des</strong> cabinets de conseil ou le<br />

service public de l’emploi (ANPE, AFPA, Missions locales…).<br />

20


iographiques, qui nous semble constituer un outil particulièrement pertinent pour l’analyse<br />

sociologique <strong>des</strong> professions. Comme l’a souligné Claude Dubar à travers la distinction entre<br />

"identité pour soi" et "identité pour autrui", c’est au carrefour d’un <strong>des</strong>tin collectif et d’une<br />

trajectoire individuelle que s’élaborent les processus d’identification professionnelle, et les<br />

changements macrosociologiques qui affectent les professions ne prennent tout leur sens que<br />

lorsqu’ils trouvent une résonance au niveau individuel. Les trente entretiens biographiques<br />

sont ainsi venus éclairer certaines <strong>des</strong> informations recueillies par le biais du questionnaire.<br />

Pour autant, notre travail ne donne aucun privilège particulier à la méthode biographique et<br />

s’attache toujours à établir <strong>des</strong> médiations entre les histoires individuelles qui transparaissent<br />

dans les entretiens et la trajectoire collective du groupe professionnel.<br />

CHEMINEMENT DE LA REFLEXION<br />

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Notre travail s’ouvre sur une réflexion théorique sur les relations entre sociologie <strong>des</strong><br />

professions et sociologie <strong>des</strong> sciences (chapitre I). Un tel exercice nous semblait<br />

indispensable pour aborder les évolutions de la profession de psychologue, sa base cognitive<br />

s’étant profondément transformée en l’espace d’un siècle en passant du domaine <strong>des</strong> "sciences<br />

exactes" à celui <strong>des</strong> "sciences humaines" 21 . L’interrogation qui parcourt l’ensemble de ce<br />

chapitre est de savoir comment le mandat d’une profession se transforme en lien avec<br />

l’évolution de ses savoirs. L’examen de la littérature française et anglo-saxonne sur le sujet<br />

révèle que dans leur rejet unanime du fonctionnalisme (et de l’accent qu’il mettait sur les<br />

origines scientifiques <strong>des</strong> professions), les courants critiques de la sociologie <strong>des</strong> professions<br />

ont depuis les années 1970 peu manifesté d’intérêt pour cette question, jetant d’une certaine<br />

façon « le bébé avec l’eau du bain ». Il s’agit donc pour nous de voir comment penser<br />

simultanément les phénomènes de clôture, de mandat et de construction et déconstruction<br />

permanente de savoirs, tout en nous appuyant sur les acquis de la sociologie <strong>des</strong> professions.<br />

Le plan choisi suit ensuite une progression chronologique et s’attache à dégager<br />

différents compromis autour de la psychologisation du travail, qui mettent en scène à la fois et<br />

une figure du travailleur (le travailleur « apte » de la psychotechnique, le travailleur<br />

« motivé » de la psychosociologie, le travailleur « autonome » de la psychologie clinique du<br />

travail…), un groupe professionnel qui cherche à délimiter son territoire et un corpus de<br />

savoirs. Nous présentons tout d’abord le projet scientifique de la psychotechnique dans<br />

21 Il est à noter que par un singulier retour de balancier, la psychologie semble revenir aujourd’hui vers son passé<br />

scientifique en portant une attention renouvelée à <strong>des</strong> branches comme la psychologie cognitive, la<br />

21


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l’entre-deux-guerres, qui nourrit le projet utopique d’une société entièrement gouvernée par<br />

les aptitu<strong>des</strong> (chapitre II). Au cours de cette période, ce projet à la fois scientifique et social<br />

reste toutefois principalement confiné au monde du laboratoire et c’est seulement au<br />

lendemain de la seconde guerre que les applications de la psychotechnique se diffuseront,<br />

posant les bases d’une véritable professionnalisation de cette activité dans l’orbite publique<br />

entre 1945 et le début <strong>des</strong> années 1960 (chapitre III). La psychotechnique connaît alors son<br />

heure de gloire, mais son unité est bientôt menacée par l’apparition d’un segment concurrent<br />

au sein de la psychologie qui cherche à construire son projet professionnel sur d’autres bases :<br />

la psychologie clinique. Le chapitre IV s’attache précisément à montrer le glissement d’une<br />

représentation expérimentaliste du travail du psychologue à une représentation clinique<br />

construite sur le modèle médical et les répercussions de ce changement sur la<br />

professionnalisation de la psychologie. Les débats sur l’identité de la psychologie du travail se<br />

nouent principalement à l’occasion de la loi sur la protection du titre de psychologue (1985),<br />

qui consacre la victoire de la psychologie clinique sur la psychologie expérimentale et place la<br />

psychologie du travail dans une position marginale par rapport au reste de la profession. Dans<br />

le chapitre V, nous présentons les tensions qui traversent aujourd’hui la profession, celle-ci se<br />

trouvant segmentée en de multiples sous-groupes et révélant un attachement divers à la<br />

profession de psychologue dans son ensemble. Alors que certains s’en déclarent très proches<br />

(notamment les psychologues qui travaillent dans l’insertion professionnelle ou dans le<br />

recrutement) d’autres manifestent une plus grande distance et trouvent <strong>des</strong> identités de<br />

substitution dans d’autres groupes professionnels (c’est le cas notamment <strong>des</strong> psychologues<br />

qui travaillent dans le conseil ou dans les ressources humaines). Nous nous appuyons<br />

principalement dans ce chapitre sur les résultats du questionnaire, mais nous mobilisons aussi<br />

abondamment les entretiens biographiques, pour rendre compte <strong>des</strong> trajectoires qui<br />

conduisent à privilégier telle ou telle spécialité au sein de la psychologie du travail. Notre<br />

travail s’achève sur une réflexion plus large sur le « mandat » <strong>des</strong> psychologues du travail<br />

(chapitre IV). Nous nous efforçons de voir en quoi l’action <strong>des</strong> psychologues sur le marché du<br />

travail promeut aujourd’hui de nouvelles normes en matière de régulation <strong>des</strong> conduites, à la<br />

fois sur le marché « externe » (stratégies de recherche d’emploi, techniques de recrutement…)<br />

mais aussi sur les marchés internes (coaching, gestion de la mobilité par les compétences…).<br />

On s’interroge surtout sur les effets pervers de cette psychologisation <strong>des</strong> questions de travail<br />

et d’emploi, qui conduit à une situation paradoxale. Il semble en effet que le mandat <strong>des</strong><br />

psychophysiologie ou les neurosciences.<br />

22


psychologues du travail n’a jamais été aussi large, touchant à l’ensemble <strong>des</strong> catégories<br />

socioprofessionnelles et à une grande diversité de conduites sur le marché du travail, mais que<br />

parallèlement la licence qui permettrait de protéger cette activité de ses éventuelles dérives<br />

n’a jamais été aussi faible.<br />

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23


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CHAPITRE I<br />

LES SAVOIRS DANS LA RECOMPOSITION DES GROUPES<br />

PROFESSIONNELS<br />

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25


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« Aucune science ne saurait être<br />

véritablement comprise sans sa propre<br />

histoire, toujours inséparable de l’histoire<br />

générale de l’humanité »<br />

Auguste Comte, Système de politique<br />

positive, 1853, t. III, p. 2<br />

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Dans un article écrit en 1952 à la demande de l’Association Américaine de<br />

Psychologie (APA), Everett Hughes suggérait que la psychologie aurait à affronter au cours de<br />

son évolution un problème redoutable : celui du décalage croissant entre les recherches de<br />

laboratoire et un exercice professionnel de la psychologie 1 . Hughes distinguait deux horizons<br />

possibles et difficilement conciliables pour la discipline : celui qui consistait à être avant tout<br />

une science, une « profession savante », ou celui d’être une « profession consultante ». Ces<br />

deux horizons engagent <strong>des</strong> postures sensiblement différentes. Dans le modèle le plus pur,<br />

« l’homme de science, n’a pas de client. Il découvre, systématise et communique <strong>des</strong><br />

connaissances sur un ordre de phénomènes » (art. cit., p. 139). Le seul jugement qu’il a à<br />

affronter est celui de ses pairs, qui sont d’ailleurs souvent les seuls à comprendre l'intérêt de<br />

son travail. Toute autre est la posture du « professionnel », qui « gagne sa vie en délivrant un<br />

service ésotérique » (art. cit., p. 140) et qui est quotidiennement confronté au jugement de ses<br />

clients. Ces derniers attendent de lui <strong>des</strong> résultats tangibles, une solution pratique à leurs<br />

problèmes quotidiens.<br />

Pendant <strong>des</strong> décennies, la psychologie s’est maintenue à l’écart du danger évoqué par<br />

Hughes. Le discours savant et les applications pratiques se sont renforcées mutuellement :<br />

l’activité <strong>des</strong> praticiens puisait sa légitimité dans la science et inversement la science se<br />

nourrissait <strong>des</strong> applications pratiques. L’utilisation de tests psychotechniques à l’école, dans<br />

les entreprises ou dans certaines administrations (armée, service public de l’emploi…) se<br />

fondait sur <strong>des</strong> résultats tangibles produits dans d’éminents laboratoires et inversement ces<br />

utilisations sociales justifiaient pleinement l’activité <strong>des</strong> savants et leur donnait matière à de<br />

1 Cet article, initialement publié dans un numéro spécial de The American Psychologist à l’occasion de la mise<br />

en place d’un « code de déontologie <strong>des</strong> psychologues » par l’APA (1952), a été repris dans HUGHES (1981<br />

[1958]).<br />

27


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nouvelles expériences. Ce cercle vertueux de collaboration entre savants et praticiens semble<br />

aujourd’hui révolu et les craintes de Hughes bien fondées. D’un côté, la pratique de la<br />

psychologie devient de plus en plus une activité de conseil « clinique », relativement<br />

déconnectée <strong>des</strong> schémas théoriques, mais répondant à un besoin social pressant. De l’autre,<br />

les chercheurs en psychologie, dont les recherches prennent un caractère de plus en plus<br />

ésotérique et s’éloignent de la demande sociale, n’ont plus besoin <strong>des</strong> praticiens ni <strong>des</strong><br />

applications pour justifier leur activité. Comment est-on parvenu à cette situation, tout<br />

particulièrement dans le domaine de la psychologie du travail qui a longtemps été<br />

caractérisée, comme nous le verrons, par une collaboration étroite entre savants et praticiens,<br />

et où les praticiens étaient animés d’un profond idéal de transformation de la société par la<br />

science ?<br />

Pour répondre à une telle question, il est nécessaire de prendre au sérieux la question<br />

du lien entre svaoir et professions. Une tendance actuelle de la sociologie <strong>des</strong> professions en<br />

France conduit à délaisser cette question au profit d’une approche trop souvent formaliste <strong>des</strong><br />

phénomènes de professionnalisation 2 et à ne prêter attention qu’à la question de la fermeture<br />

de marché. Dans l’histoire de la psychologie du travail, il nous semble au contraire nécessaire<br />

de ne pas dissocier les applications pratiques de la discipline elle-même. Une socio-histoire de<br />

la profession qui se centrerait trop exclusivement sur ses formes d’institutionnalisation (mise<br />

en place de diplômes, co<strong>des</strong> de déontologie, autorisations d’exercice, fermeture de marchés du<br />

travail…) sans s’intéresser aux évolutions de la science et <strong>des</strong> savoirs impliqués dans la<br />

pratique conduirait à une approche trop téléologique <strong>des</strong> phénomènes de professionnalisation.<br />

On reproduirait alors l’inlassable récit de la construction progressive de barrières autour d’un<br />

groupe, qui cherche à se protéger de la concurrence d’autres professions, comme nous le<br />

montrent la plupart <strong>des</strong> histoires « néo-wébériennes » de la professionnalisation. A l’inverse,<br />

une histoire de la science psychologique dissociée de la demande sociale en matière<br />

d’expertise psychologique risquerait de faire du champ scientifique un lieu situé à l’abri <strong>des</strong><br />

contingences sociales et de ne voir dans la science qu’un processus d’accumulation<br />

progressive de savoirs, un triomphe de la raison sur l’obscurantisme 3 . Les « histoires »<br />

2 D’une façon plus générale, la sociologie française <strong>des</strong> professions s’intéresse peu à la professionnalisation <strong>des</strong><br />

disciplines <strong>académiques</strong>, dans la mesure où la maîtrise d’un savoir ésotérique n’apparaît pas comme une<br />

condition indispensable de la professionnalisation. Voir toutefois quelques exceptions notables : les recherches<br />

de BEDARIDA (1995) sur la « profession » d’historien, de PIRIOU (1999) sur les sociologues, de PHILIPPONEAU<br />

(1999) sur les géographes. Les économistes comme profession ont été récemment étudié par LEBARON (2000)<br />

dans le cas français et FOURCADE-GOURINCHAS (2002) dans une recherche comparative sur la France, les Etats-<br />

Unis et la Grande-Bretagne. L’institutionnalisation de la gestion, enfin, a été étudiée par PAVIS (2003a et 2003b).<br />

3 KUHN (1972 [1962], p 18) fait remarquer que dans une telle conception, qui fait de la science un processus<br />

28


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produites ne pourraient guère dépasser le stade d’une hagiographie <strong>des</strong> leaders du monde<br />

professionnel dans un cas, <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> figures du monde scientifique dans l’autre 4 .<br />

Une analyse <strong>des</strong> phénomènes de professionnalisation doit prendre simultanément en<br />

compte trois ordres de facteurs : 1°) les transformations de la base cognitive de la profession<br />

(modification de l’équilibre entre les différents segments de la profession savante, ruptures<br />

épistémologiques…) ; 2°) l’évolution du champ de la pratique (évolution de la demande<br />

sociale dans le champ d’expertise de la profession, évolution <strong>des</strong> structures formelles,<br />

législation en direction de la profession) et ; 3°) le lien entre les deux : en quoi les attributs<br />

« extérieurs » de la profession (co<strong>des</strong> de déontologie, associations professionnelles, licences<br />

d’exercice, protection du titre…) sont-ils le produit de ruptures épistémologiques ? Quel est le<br />

lien entre les savoirs et leur reconnaissance sociale ? Quelle est la « prise » de ces savoirs sur<br />

une réalité sociale ? Il est nécessaire de définir au préalable ce que nous entendrons ici par<br />

« savoirs ». Pour <strong>des</strong> raisons qui s’éclairciront au fil de ce chapitre, nous avons délibérément<br />

choisi de restreindre le sens de ce terme aux savoirs disciplinaires qui sont produits et<br />

développés au sein de la sphère académique 5 .<br />

Avant d'apporter une réponse à ces différentes questions, il est nécessaire de poser<br />

les jalons théoriques qui nous permettront de mieux comprendre le lien qui unit savoirs et<br />

professions. Cette question, aujourd'hui quelque peu délaissée par la sociologie française pour<br />

<strong>des</strong> raisons que nous tenterons d'élucider 6 , a été abordée par différentes traditions depuis le<br />

fonctionnalisme de Parsons jusqu'aux approches néo-wébériennes plus récentes. Celles-ci<br />

seront présentées et abordées tour à tour sous l'angle de notre questionnement : celui du lien<br />

entre transformation <strong>des</strong> savoirs et processus de légitimation <strong>des</strong> professions.<br />

d’accroissement continu, l’historien ne peut guère que se faire le « chroniqueur » <strong>des</strong> victoires de la science sur<br />

l’obscurantisme et les superstitions <strong>des</strong> « pré-sciences ». De telles histoires de la psychologie, qui montrent les<br />

progrès constants de la raison dans le passage de la phrénologie de GALL (1758-1828) à la psychologie<br />

expérimentale de la fin du XIX e siècle, puis aux neurosciences actuelles, sont encore fréquentes aujourd’hui.<br />

4 Ces hagiographies sont souvent produites par le monde professionnel lui-même. Dans le cas de la psychologie<br />

appliquée, les Traités de psychologie qui se sont succédés depuis les années 1950 en fournissent un excellent<br />

exemple : voir notamment PIERON (1959), FRAISSE (1961) et REUCHLIN (1971). Cet exercice semble avoir<br />

tourné court en France dans les décennies plus récentes : faut-il y voir une réticence accrue de la psychologie à<br />

se pencher sur son propre passé ?<br />

5 En dépit de son fort ancrage dans le contexte de la société nord-américaine, la définition de FREIDSON (1986, p.<br />

225) nous semble fournir un cadre pertinent pour notre propre analyse : : « J’ai choisi de restreindre le terme de<br />

savoir à celui qui est associé aux universités et à leur mission de créer et de systématiser le savoir. J’accorde une<br />

place plus particulière aux savoirs formels, qui sont <strong>des</strong> savoirs spécialisés, développés et consolidés dans les<br />

institutions d’enseignement supérieur et soumis à un processus de rationalisation. Ils consistent en l’organisation<br />

d’idées et de théories et en <strong>des</strong> constats systématiques portant à la fois sur la nature de cette part de l’expérience<br />

à laquelle ils s’intéressent et aux activités humaines qui peuvent être entreprises sur la base de cette expérience ».<br />

6 Précisons d’emblée que cette tendance n’est pas sans lien avec le développement d’une approche en termes de<br />

« groupes professionnels » qui s’est progressivement imposée dans le sillage de l’ouvrage de DUBAR et TRIPIER<br />

(1998).<br />

29


A. PROFESSIONS ET SAVOIRS DANS LA THEORIE SOCIOLOGIQUE<br />

1. Les savoirs naturalisés : la tradition fonctionnaliste<br />

Nous plaçons sous le vocable de « tradition fonctionnaliste » l’ensemble <strong>des</strong> théories<br />

qui voient dans les professions <strong>des</strong> formes sociales contribuant au fonctionnement<br />

harmonieux du système social. Une telle conception a été développée notamment par<br />

Durkheim à la fin du XIX e siècle, puis par la sociologie fonctionnaliste nord-américaine dans<br />

les années 1940-1960. En dépit d’un certain nombre de points communs, la question <strong>des</strong><br />

savoirs occupe une place radicalement différente dans les deux approches, c’est pourquoi<br />

nous les présenterons successivement.<br />

a) La vision durkheimienne du rapport savoir/professions<br />

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L’œuvre de Durkheim est ponctuée de références éparses, mais récurrentes, au rôle<br />

que les associations professionnelles et corporatives sont appelées à jouer face au<br />

développement de l’anomie dans les sociétés modernes 7 . L’anomie résulte en effet dans une<br />

large mesure de la division croissante du travail, génératrice d’individualisme et d’égoïsme<br />

lorsqu'elle n’est pas contrebalancée par <strong>des</strong> forces sociales susceptibles de redonner à la<br />

société cohésion et solidarité 8 . Cet individualisme provient notamment du fait qu’en se<br />

spécialisant, chaque groupe social développe une conscience collective et un ensemble de<br />

représentations qui lui sont propres. Ainsi, contrairement aux sociétés à solidarité mécanique,<br />

où la source de la conscience collective était une (la religion), les sources de régulation dans<br />

les sociétés à solidarité organique sont multiples, d’où un risque d’anomie sociale, avec le<br />

cortège de fléaux qui l’accompagnent (montée du suicide, crises économiques…).<br />

Dans sa seconde préface à la Division du travail social (1902 [1893]), Durkheim voit<br />

dans la restauration <strong>des</strong> groupes professionnels une solution au problème de l’anomie. Le<br />

développement de la société industrielle a en effet placé l’activité économique au cœur <strong>des</strong><br />

sociétés modernes et cette sphère de la vie sociale, qui est « largement soustraite à la<br />

morale », doit être selon Durkheim le lieu privilégié d’une moralisation afin de contrebalancer<br />

les forces centrifuges de la division du travail et les conséquences néfastes de<br />

l’affaiblissement de la solidarité familiale. Il est donc urgent de resserrer les liens entre les<br />

individus participant à une même activité économique. On retient généralement de l’œuvre<br />

7 Cette question est développée de manière plus approfondie dans La division du travail social (1893) et Le<br />

suicide (1897).<br />

8 DURKHEIM (1960 [1893])<br />

30


Durkheim sa défense <strong>des</strong> groupes professionnels, seuls susceptibles de constituer ce milieu<br />

moral intermédiaire entre les individus et l’Etat.<br />

Durkheim reste toutefois évasif sur une question importante : celle <strong>des</strong> fondements<br />

sociaux <strong>des</strong> groupes professionnels. Sur quelles bases les individus se regroupent-ils ? Qu’estce<br />

qui fonde leur solidarité et leur cohésion ? La réponse apportée par Durkheim semble<br />

privilégier avant tout <strong>des</strong> facteurs d’ordre morphologique : la source de cette cohésion réside<br />

dans la participation <strong>des</strong> individus à une même « industrie », à une même sphère d’activité<br />

économique :<br />

« Puisque [le groupe professionnel ou la corporation] est composée d'individus qui<br />

se livrent aux mêmes travaux et dont les intérêts sont solidaires ou même confondus,<br />

il n'est pas de terrain plus propice à la formation d'idées et de sentiments sociaux »<br />

(Durkheim, 1897, p. 435)<br />

Plus loin il écrit :<br />

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« [le groupe professionnel] n'agit pas sur les individus d'une manière intermittente<br />

comme la société politique, mais il est toujours en contact avec eux par cela seul que<br />

la fonction dont il est l'organe et à laquelle ils collaborent est toujours en exercice. Il<br />

suit les travailleurs partout où ils se transportent ; ce que ne peut faire la famille. En<br />

quelque point qu'ils soient, ils le retrouvent qui les entoure, les rappelle à leurs<br />

devoirs, les soutient à l'occasion. Enfin, comme la vie professionnelle, c'est presque<br />

toute la vie, l'action corporative se fait sentir sur tout le détail de nos occupations qui<br />

sont ainsi orientées dans un sens collectif » (op. cit., 1897, p. 435)<br />

Cette définition de la profession en termes d’activité économique est bien conforme<br />

aux premières thèses défendues dans la Division du travail social et le Suicide, où Durkheim<br />

défend un certain matérialisme morphologique, flambeau repris ultérieurement par Mauss :<br />

c’est la densité <strong>des</strong> contacts entre les individus qui donne aux milieux sociaux leur<br />

consistance et cohésion, et les transforme peu à peu en milieux « moraux ». De même, dans le<br />

cas <strong>des</strong> groupes professionnels, c’est la densité <strong>des</strong> interactions entre les membres d’une<br />

même industrie qui en fait <strong>des</strong> milieux moraux susceptibles d’apporter aux individus leurs<br />

règles de conduite. Il est intéressant de noter que cette conception morphologique <strong>des</strong> groupes<br />

professionnels traverse également l’analyse durkheimienne du suicide : c’est parce que les<br />

professions de l’industrie et du commerce ont une faible densité sociale – et constituent donc<br />

<strong>des</strong> milieux anomiques – qu’elles connaissent <strong>des</strong> taux de suicide nettement plus élevés que<br />

les professions libérale ou militaire caractérisées au contraire par une vie collective plus<br />

intense (op. cit., 1897, p. 287).<br />

Si l’importance <strong>des</strong> facteurs morphologiques est fréquemment soulignée dans les<br />

premières œuvres de Durkheim, il n’en va pas de même de la dimension <strong>des</strong> savoirs ou<br />

savoir-faire qui sont à l’œuvre dans les différentes professions. Ceux-ci ne semblent pas jouer,<br />

31


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

dans un premier temps, un rôle important dans la constitution d’une morale collective. II<br />

faudra attendre les premières fondations d’une « sociologie de la connaissance » chez<br />

Durkheim 9 pour voir évoquée la question <strong>des</strong> savoirs dans la constitution <strong>des</strong> professions. Une<br />

telle posture est à l’œuvre dans Education et sociologie (1922), où Durkheim définit le groupe<br />

professionnel comme un « milieu sui generis qui réclame <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> particulières et <strong>des</strong><br />

connaissances spéciales, où règnent certaines idées, certains usages, certaines manières de<br />

voir les choses » (op. cit., 1922, p.8)<br />

On voit que ce n’est plus seulement ici la densité <strong>des</strong> interactions qui constituent le<br />

socle d’une morale professionnelle mais plutôt un ensemble de catégories de perception : <strong>des</strong><br />

manières de voir, de penser et d’agir partagées par l’ensemble du groupe. Une telle<br />

conception rejoint clairement le projet durkheimien d’une sociologie de la connaissance<br />

fondée sur les états de la conscience collective, telle qu’elle apparaîtra dans les formes<br />

élémentaires de la vie religieuse (1912) : La vie collective est au fondement <strong>des</strong> catégories de<br />

connaissance et <strong>des</strong> schémas de pensée partagés par le groupe.<br />

Dans l’Evolution pédagogique en France (1938), Durkheim va plus loin, et insiste<br />

sur l’importance de la socialisation aux différentes professions, question qui avait largement<br />

échappé à ses premières recherches sur les groupes professionnels. Il s’agit désormais de se<br />

pencher sur l’origine <strong>des</strong> catégories élémentaires partagées par les membres de la profession.<br />

Durkheim distingue diverses formes de socialisation, selon la nature <strong>des</strong> savoirs à l’œuvre<br />

dans l’exercice de chaque profession. Pour une première catégorie de professions 10 – celles<br />

auxquelles prépare l’université – la « jeune génération » doit être mise au contact d’un savoir<br />

essentiellement théorique, en vue de développer « ses facultés de réflexion et ses facultés<br />

spéculatives », car « pour s’acquitter de ces fonctions, il ne suffit pas de posséder de l’habileté<br />

technique, il faut de plus savoir réfléchir, savoir juger, savoir raisonner » (op. cit., p. 361). A<br />

l’opposé, « les futurs praticiens de l’industrie et du commerce (…) ont besoin, non de théorie,<br />

non d’un grand développement <strong>des</strong> facultés spéculatives, mais de qualités pratiques, et il y a<br />

lieu d’éveiller et d’exercer sans retard ces qualités chez les enfants qui y sont plus aptes qu’à<br />

la réflexion » (op. cit., p. 363).<br />

Une dichotomie aussi radicale entre <strong>des</strong> « professions pratiques » et <strong>des</strong> « professions<br />

théoriques » peut sembler contradictoire avec le projet d’une sociologie de la connaissance où<br />

précisément les idées abstraites « sont <strong>des</strong> produits du milieu social, bien loin qu’elles le<br />

9 DURKHEIM et MAUSS (1904), DURKHEIM (1912)<br />

10 DURKHEIM (1938, p. 361) range dans ces professions les « médecins, professeurs, savants, avocats,<br />

administrateurs etc. ».<br />

32


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

produisent » (Durkheim, 1912, p. 245). En toute logique, Durkheim ne devrait pas accorder<br />

de statut particulier aux professions « savantes », puisque les catégories de connaissance à<br />

l’œuvre dans un milieu professionnel devraient toutes être vues comme le produit de la vie<br />

collective du groupe, de ses traditions, de ses pratiques et non comme la simple transposition<br />

d’un savoir théorique 11 . Différentes hypothèses peuvent être avancées pour comprendre la<br />

position prise ici par Durkheim. D’une part, son propos n’est en réalité pas aussi tranché. Il<br />

reconnaît que les professions savantes elles-mêmes sont « de l’ordre de l’action, de la<br />

pratique », bien que dans leur cas la théorie constitue un élément essentiel de cette pratique. Il<br />

n’y a donc pas opposition entre l’idée que les connaissances pratiques sont produites par la<br />

vie collective du groupe et l’idée que leur socialisation doit les mettre au contact d’un<br />

enseignement théorique. De même, les professions pratiques comportent elles aussi une part<br />

de théorie. Aussi, les jeunes gens qui se <strong>des</strong>tinent aux carrières industrielles et commerciales<br />

« ont-ils besoin du Collège aussi bien que le futur magistrat. Tout au moins, il ne peut y a voir<br />

entre eux sous ce rapport que <strong>des</strong> différences de degré » (op. cit., p. 363). Par ailleurs, ces<br />

écrits sont antérieurs aux recherches sur les formes élémentaires de la vie religieuse, où la<br />

sociologie durkheimienne de la connaissance sera poussée à son terme. La thématique <strong>des</strong><br />

groupes professionnels ne sera d’ailleurs pas reprise par Durkheim par la suite, ce qui<br />

explique que la question du rôle <strong>des</strong> savoirs dans les groupes professionnels soit restée en<br />

suspens. C’est au sein d’une autre tradition théorique et dans un autre contexte social, celui de<br />

la sociologie fonctionnaliste anglo-saxonne, que la question sera de nouveau abordée.<br />

b) Parsons : les professions et l'avènement de la rationalité<br />

Bien qu’elle joue aujourd’hui largement le rôle d’un modèle « repoussoir » dans<br />

l’analyse sociologique <strong>des</strong> professions, la théorie fonctionnaliste n’en constitue pas moins un<br />

point de passage obligé dans l’analyse <strong>des</strong> rapports entre savoirs et professions. Les auteurs<br />

s’inscrivant dans ce courant nous décrivent l’avènement d’une société où la légitimité <strong>des</strong><br />

processus de décision sera fondée sur la rationalité scientifique et sur les détenteurs de cette<br />

rationalité : les professionnels.<br />

Cette thèse se trouve d’abord exprimée par Carr-Saunders et Wilson, dans leur essai<br />

The professions (1964, [1933]). Comme Durkheim, les auteurs insistent sur les vertus<br />

11 Cette ligne de recherches sera poursuivie ultérieurement par HALBWACHS (1994 [1925], pp 222-265) qui<br />

établit une hiérarchie <strong>des</strong> professions selon le type de compétence qu’elles mettent en œuvre. Compétences<br />

essentiellement « sociales », qui prennent leur source en dehors de la matérialité du monde du travail, dans les<br />

catégories supérieures (juges, médecins, enseignants…) ; compétences « techniques » pour les employés et<br />

ouvriers.<br />

33


égénératrices <strong>des</strong> professions : celles-ci sont susceptibles de sortir la Grande-Bretagne de la<br />

crise morale qu’elle traverse dans l’entre-deux guerres, caractérisée notamment par la crainte<br />

de la montée d’un Etat collectiviste et omniprésent. Face à cette menace, les professions<br />

représentent aux yeux <strong>des</strong> auteurs <strong>des</strong> îlots de stabilité sociale, <strong>des</strong> contrepoids à l’emprise<br />

trop forte d’un Etat bureaucratique et anonyme 12 . Mais à la différence de Durkheim, ils<br />

placent les vertus moralisatrices <strong>des</strong> professions dans leur expertise, celle-ci devant devenir la<br />

source ultime de légitimité <strong>des</strong> démocraties :<br />

« L’association de la recherche scientifique avec l’art de gouverner est devenu une<br />

nécessité première. Le savoir est le pouvoir. Une autorité sans savoir est sans<br />

pouvoir. Le pouvoir dissocié de la connaissance est une force révolutionnaire. A<br />

moins que le monde moderne ne travaille à une relation satisfaisante entre le savoir<br />

expert et le contrôle du peuple, les jours de la démocratie sont comptés » (op. cit.,<br />

p. 485)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Cette vision prophétique, qui fait <strong>des</strong> professionnels les hérauts d’un nouveau type de<br />

société où prédomineraient l’expertise et la rationalité est également présente chez Parsons,<br />

même s’il ne partage pas totalement l’idée d’une régénérescence de la morale collective par<br />

les groupes professionnels. Chez lui, les professions sont avant tout un attribut de la<br />

modernité et sont l’aboutissement d’un lent processus historique entamé au Moyen-âge ; cette<br />

forme sociale ne saurait être produite par la seule force du droit, comme chez Durkheim.<br />

Dans la perspective fonctionnaliste, les professions sont vues comme <strong>des</strong> « espèces<br />

naturelles » du monde social, <strong>des</strong> activités présentant un certain nombre de « traits »<br />

spécifiques les distinguant <strong>des</strong> autres occupations. Dans un article fréquemment cité,<br />

Wilensky (1964, p. 139) donne la formulation la plus aboutie du concept fonctionnaliste de<br />

« professionnalisation ». Selon lui, toute occupation aspirant à devenir une profession doit<br />

nécessairement franchir les étapes suivantes (dans l’ordre chronologique) 13 :<br />

(i) Exercice de l’activité à plein temps<br />

(ii) Mise en place d’un cursus de formation<br />

universitaire de haut niveau<br />

(iii) Association professionnelle au niveau<br />

national<br />

12 Il faut souligner l’importance de ce débat qui, dans l’Europe <strong>des</strong> années 1930, fait <strong>des</strong> professions une<br />

« troisième voie » face à la double menace du collectivisme et de l’individualisme libéral. L’exaltation<br />

romantique <strong>des</strong> métiers et <strong>des</strong> professions est ainsi l’un <strong>des</strong> thèmes favoris de la droite et de l’extrême droite<br />

française depuis les maurassiens. Ce thème est également présent en Grande-Bretagne, comme le montre<br />

l’analyse de T. H. MARSHALL (1939) pour qui le rôle <strong>des</strong> professions était de « trouver aux démocraties mala<strong>des</strong><br />

et souffrantes une solution pacifique à leurs problèmes ».<br />

13 Une critique de cette approche, sur la base de données statistiques portant sur environ 2000 récits de<br />

professionnalisation est proposée par ABBOTT (1991).<br />

34


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(iv) Délégation du « sale boulot » à <strong>des</strong><br />

subordonnés<br />

(v) Conflit intergénérationnel au sein de la<br />

profession, entre les plus âgés déjà installés, et<br />

les jeunes qui cherchent à améliorer le statut<br />

collectif de l’occupation<br />

(vi) Concurrence entre la nouvelle profession et<br />

<strong>des</strong> occupations voisines<br />

(vii) Recherche d’une protection légale<br />

(viii) Mise en place d’un code de déontologie<br />

Cette histoire naturelle de la professionnalisation a été critiquée au sein même de la<br />

tradition fonctionnaliste. Dans un article sur les « limites théoriques du concept de<br />

professionnalisation », Goode (1969, p. 275) reproche à Wilensky de ne pas suffisamment<br />

hiérarchiser les différents critères retenus dans sa définition de la professionnalisation : « Ces<br />

étapes formelles passent à côté <strong>des</strong> éléments essentiels de la professionnalisation. Ils ne<br />

séparent pas les traits centraux, générateurs, de ceux qui en dérivent. Bien <strong>des</strong> occupations ont<br />

franchi toutes ces étapes sans accéder au rang de professions (…) on acceptera généralement,<br />

je pense, que les deux qualités centrales sont (1) un corpus de connaissances abstraites (2)<br />

l’idéal de service 14 ».<br />

Goode (art. cit., p. 277-278) impose <strong>des</strong> restrictions supplémentaires au type de<br />

connaissance susceptible de donner naissance à une profession. Celle-ci doit selon lui<br />

présenter certaines caractéristiques particulières, qui la rapproche à bien <strong>des</strong> égards de la<br />

science moderne :<br />

« En ce qui concerne la connaissance, sept caractéristiques majeures conditionnent<br />

l’acceptation d’une occupation comme profession :<br />

(i) Idéalement, la connaissance et les compétences doivent être abstraites et<br />

organisées au sein d’un corpus de connaissances codifié.<br />

(ii) La connaissance doit pouvoir être appliquée aux problèmes concrets de<br />

l’existence, ou supposée telle (notez que la connaissance métaphysique, bien<br />

qu’organisée, peut ne pas être applicable).<br />

(iii) La société, ou ses membres les plus concernés, doit penser que la<br />

connaissance peut véritablement résoudre ces problèmes.<br />

(iv) Les membres de la société doivent également accepter que le règlement de ces<br />

problèmes soit délégué à une occupation, dans la mesure où celle-ci possède la<br />

connaissance que les autres ne possèdent pas.<br />

14 « L’idéal de service, parfois appelé orientation vers la collectivité, peut être défini dans ce contexte comme la<br />

norme selon laquelle les solutions techniques auxquelles parvient le professionnel devraient être basées sur les<br />

besoins du client, et non sur l’intérêt matériel ou les besoins du professionnel lui-même » (op. cit., p. 278)<br />

35


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

(v) La profession elle-même doit aider à créer, organiser et transmettre la<br />

connaissance.<br />

(vi) La profession doit être acceptée comme l’arbitre ultime dans tout débat sur la<br />

validité d’une solution technique s’inscrivant dans le champ de sa compétence<br />

supposée.<br />

(vii) La somme de connaissances et de compétences et la difficulté à les acquérir<br />

doit être telle que les membres de la société voient la profession comme possédant<br />

une sorte de mystère qu’il n’est pas donné à tout un chacun d’acquérir, même au prix<br />

d’efforts, ou avec une aide »<br />

On le voit, si tout travail entraîne la mobilisation de connaissances ou la mise en<br />

œuvre de compétences pratiques, les professions constituent une espèce particulière, dans la<br />

mesure où le savoir sur lequel elles s’appuient est de nature essentiellement théorique et ne<br />

peut être routinisé. Goode suggère même, dans la suite du texte, que certains types d’activités<br />

qualifiées de « semi-professions » (bibliothécaires, infirmières, travailleurs sociaux) ne<br />

parviendront pas à développer un corpus de connaissances suffisant pour accéder au rang de<br />

profession.<br />

Dans un texte de synthèse, Parsons (1968) retient lui aussi trois attributs principaux,<br />

qui placent le savoir au cœur de sa définition <strong>des</strong> professions : 1°) les professions requièrent<br />

<strong>des</strong> compétences techniques appuyées sur <strong>des</strong> savoirs théoriques. Par conséquent la formation<br />

délivrée aux professionnels doit mettre au premier plan une composante intellectuelle et <strong>des</strong><br />

valeurs de « rationalité cognitive appliquées à un domaine particulier » 15 2°) Cette<br />

connaissance abstraite doit s’incorporer sous forme de compétences pratiques (« skills »)<br />

pouvant donner lieu à <strong>des</strong> applications concrètes 3°) Dans la mesure où la détention de ce<br />

savoir spécialisé instaure une relation dissymétrique entre le professionnel et son client, les<br />

professions doivent développer <strong>des</strong> formes institutionnelles garantissant la protection du<br />

public, afin que ce savoir soit mis au service « d’usages sociaux responsables » (art. cit., p.<br />

536).<br />

Contrairement à Durkheim, les fonctionnaliste accordent une place de premier plan<br />

aux savoirs. Comme le constatait Marc Maurice (1972), ce trait caractéristique <strong>des</strong><br />

professions est d’ailleurs le seul sur lequel l’ensemble <strong>des</strong> auteurs fonctionnalistes se<br />

rejoignent : « Si l’on compare les caractéristiques <strong>des</strong> professions utilisées par huit auteurs<br />

parmi les plus éminents, on constate que sur les dix critères les plus souvent cités, l’accord<br />

entre eux ne se fait que sur un seul : la spécialisation du savoir » 16 . Les autres critères<br />

généralement retenus par les auteurs fonctionnalistes apparaissent comme <strong>des</strong> conséquences<br />

naturelles de cette caractéristique première.<br />

15 PARSONS, art. cit., p. 536<br />

16 art. cit., p. 215.<br />

36


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Pourquoi donner une telle prééminence aux savoirs ? Une première série de réponses<br />

est apportée dans l’article de 1968, où Parsons se livre à un long exercice de sociologie<br />

historique visant à replacer les professions modernes dans leur trame historique. Il avance<br />

l’idée que les professions, telles qu’elles apparaissent en particulier dans les pays anglosaxons,<br />

sont le fruit d’un lent processus de différentiation à partir d’une matrice originelle : le<br />

clergé médiéval. Cette matrice, qui s’inscrit initialement dans le champ du « sous système<br />

culturel » 17 , a subi au fil du développement historique un processus qualifié par Parsons de<br />

« différentiation », donnant naissance aux professions modernes. La « différenciation »,<br />

concept récurrent chez Parsons, correspond à l’idée qu’une même fonction peut-être assurée<br />

sous <strong>des</strong> formes différentes (de manière toujours plus complexe) au fil de l’évolution<br />

historique. Les professions sont issues d’un double processus de différentiation :<br />

1°) une différentiation au sein du sous-système culturel, par une sécularisation progressive du<br />

discours religieux au sein de disciplines intellectuelles. Les différentes spécialités<br />

scientifiques sont vues par Parsons comme le produit d’une matrice religieuse originelle qui<br />

se serait différenciée en trois disciplines : la philosophie, la médecine et le droit. Celles-ci se<br />

différencient à leur tour en nouvelles disciplines depuis le XIX e siècle 18 ;<br />

2°) une différentiation dans le sous-système social, par une pénétration progressive de<br />

l’expertise savante dans <strong>des</strong> domaines jusque là dominés par l’empirisme (Parsons donne<br />

l’exemple de la profession d’ingénieur progressivement investie par <strong>des</strong> savoirs issus de la<br />

physique, et celui de la profession de psychologue qui a succédé aux savoirs empiriques mis<br />

en œuvre par différents groupes : éducateurs, prêtres, philanthropes…).<br />

Si les professions se sont lentement autonomisées vis-à-vis du sous-système culturel<br />

dont elles étaient issues, pour former <strong>des</strong> guil<strong>des</strong> relativement distinctes de l’université, la<br />

période récente (que Parsons fait remonter à la fin du XIX e siècle) se caractérise au contraire<br />

par un rapprochement entre les professions et le sous-système culturel, par le biais de<br />

l’université. Mais Parsons fait ici référence à un système universitaire bien précis, organisé<br />

sur le modèle de l’université allemande du XIX e siècle, c’est-à-dire imbriquant étroitement<br />

fonctions de recherche et fonctions d’enseignement. Ainsi, « la recherche a pénétré les écoles<br />

17 Rappelons que l’édifice théorique de Parsons décompose l’action humaine en quatre sous-systèmes : 1°) Le<br />

sous-système culturel, spécialisé dans la production et le maintien <strong>des</strong> modèles culturels et <strong>des</strong> système<br />

symboliques 2°) le sous-système social, spécialisé dans l’intégration <strong>des</strong> individus 3°) le sous-système de la<br />

personnalité, spécialisé dans la réalisation <strong>des</strong> objectifs du système 4°) l’organisme de comportement, spécialisé<br />

dans l’adaptation du système à son environnement (1966, pp. 36-38).<br />

18 PARSONS (op. cit., p. 544) voit par exemple dans l’économie et les relations internationales <strong>des</strong> prolongements<br />

du droit, alors que la psychologie, la physiologie et les sciences du comportement seraient directement issues de<br />

la médecine.<br />

37


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professionnelles d’une façon si importante que l’école n’est plus seulement, ni même d’abord,<br />

une institution d’enseignement. Finalement, il est très important de noter que l’acceptation<br />

complète <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> d’ingénieur dans le complexe académique s’est accompagnée de<br />

l’incorporation de cet enseignement dans le schéma plus général du système universitaire »<br />

(1968, p. 542). L’université moderne est donc devenue le principal point d’ancrage de<br />

l’institutionnalisation <strong>des</strong> professions dans la société 19 .<br />

Dans la mesure où l’essence <strong>des</strong> professions modernes réside dans l’application d’un<br />

savoir scientifique à <strong>des</strong> problèmes pratiques, elles instaurent un « lien crucial entre le<br />

système culturel et l’ordre pratique de la société » (art. cit, p. 544). Ce lien se révèle<br />

particulièrement net dans les quatre activités auxquelles Parsons accorde pleinement le statut<br />

de professions : les professions médicale, juridique, technologique (engineering) et le<br />

professorat universitaire. Il s’inscrit également dans <strong>des</strong> espaces institutionnels bien précis.<br />

Dans le cas de la profession médicale, l’hôpital universitaire, qui imbrique étroitement les<br />

fonctions de recherche et la mise au service d’une communauté sociale, remplit cette fonction.<br />

Le professorat (teaching) présente une situation assez proche de la précédente puisque<br />

l’université moderne est à la fois ancrée dans la structure de la société et au service du<br />

maintien de ses valeurs culturelles. Pour la profession d’ingénieur, c’est principalement<br />

l’institution militaire qui a permis, depuis la seconde guerre mondiale, la rencontre la plus<br />

achevée <strong>des</strong> deux sous-systèmes. Enfin, les tribunaux permettent la mise en contact d’un<br />

corpus de savoirs avec une demande sociale, à tel point que Parsons considère que la<br />

profession juridique est devenue « l’agent professionnel le plus important dans la mise en<br />

œuvre du consensus moral de la société américaine (aussi incomplet soit-il), et plus<br />

généralement <strong>des</strong> sociétés modernes » (art. cit., p. 544).<br />

Dans ces différents domaines, le professionnel apparaît finalement comme un<br />

« médiateur » entre deux mon<strong>des</strong> : celui <strong>des</strong> valeurs (le monde de la science, de la rationalité),<br />

et celui <strong>des</strong> affaires pratiques (le monde social). En cela sa position est proche de celle du<br />

clergé médiéval, intermédiaire entre la communauté <strong>des</strong> hommes (le sous-système social) et le<br />

monde <strong>des</strong> valeurs (sous-système culturel), à ceci près que dans la société moderne les valeurs<br />

de la rationalité scientifique se sont substituées aux valeurs de la religion, par le processus de<br />

différenciation décrit plus haut. Le professionnel devient ainsi une sorte de « grand prêtre du<br />

domaine de connaissance où une compétence lui est reconnue » (Jackson, 1970, p. 7). Le<br />

19 Sur le lien entre le discours du professionnalisme et l’émergence <strong>des</strong> universités de recherche américaines au<br />

tournant du XX e siècle, voir GEIGER (1986)<br />

38


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

savoir positif dont il est porteur, acquis au terme d’une longue formation spécialisée, le place<br />

dans une situation ontologiquement différente de celle <strong>des</strong> autres occupations.<br />

Si le savoir détenu par les professionnels revêt dans la perspective fonctionnaliste<br />

une telle importance – un caractère quasi sacré – c’est parce qu’il joue un rôle de premier plan<br />

dans le système de valeurs promu par la société. Tous les savoirs ne sont donc pas<br />

susceptibles de donner naissance à une profession. Ils doivent pour cela être fonctionnels du<br />

point de vue de l’équilibre du système social dans son ensemble, c’est-à-dire dotés d’une<br />

certaine valeur dans la société considérée. C’est là le sens <strong>des</strong> différentes remarques de Goode<br />

(art. cit., p. 277-278) : « La connaissance doit être supposée applicable aux problèmes<br />

concrets de l’existence » ; « Il n’est pas nécessaire que la connaissance résolve effectivement<br />

ces problèmes, il suffit que les gens croient dans sa capacité à les résoudre »… Contrairement<br />

à une vision répandue, la perspective fonctionnaliste ne détache donc jamais complètement les<br />

savoirs de leur valorisation sociale. Cet aspect est longuement développé par Parsons (1970<br />

[1955]) à partir du cas de la pratique médicale. Il y justifie la centralité du savoir médical, qui<br />

permet la pleine participation <strong>des</strong> individus au système social. La santé constitue en effet un<br />

pré requis fonctionnel de toute vie collective : « pour un individu normal la maladie le frustre<br />

dans ses espérances de vie normale. Il est coupé de ses activités, de ses distractions et de ses<br />

plaisirs (…) ses relations sociales se trouvent plus ou moins disloquées » (art. cit., p. 174). Le<br />

malade apparaît comme un déviant, incapable de s’acquitter du rôle social qui lui est<br />

normalement dévolu. Le rôle du médecin, titulaire d’une « haute compétence dans le domaine<br />

<strong>des</strong> sciences médicales », est alors de combattre cette déviance afin de rétablir le<br />

fonctionnement normal de la société. Parsons prend bien soin de préciser que si la valeur<br />

sociale <strong>des</strong> savoirs du médecin est reconnue, c’est bien, in fine, parce que ces savoirs prennent<br />

place dans un type de société qui valorise la santé et la pleine participation <strong>des</strong> individus au<br />

système social.<br />

Dans cette veine, de nombreux sociologues ont ainsi défini la psychologie comme<br />

une « profession » au sens fonctionnaliste du terme, puisque l’objectif <strong>des</strong> pratiques<br />

psychologiques est bien de contribuer à la meilleure « adaptation » possible <strong>des</strong> individus à<br />

leurs conditions d’existence dans les différents domaines de la vie sociale (santé mentale,<br />

institution scolaire, monde du travail etc…). En cela la psychologie est bien<br />

« fonctionnelle » : elle participe au fonctionnement efficace et sans « à-coups » (smooth<br />

functioning) du système social.<br />

39


c) Bilan de l'approche fonctionnaliste <strong>des</strong> relations savoirs/professions<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La perspective fonctionnaliste présente <strong>des</strong> limites évidentes du point de vue de<br />

l’analyse <strong>des</strong> rapports entre savoirs et professions. Tout d’abord elle résiste mal à l’épreuve de<br />

la confrontation avec <strong>des</strong> situations concrètes : où commence et où s’arrête une connaissance<br />

« théorique et abstraite » ? Les auteurs font généralement preuve sur ce point de la plus<br />

grande imprécision. Wilensky (art. cit., p. 168), par exemple, rencontre de sérieuses<br />

difficultés à fournir une définition précise de la « base [de connaissances] optimale que doit<br />

présenter une profession » : celle-ci ne doit être « ni trop vague ni trop précise, ni trop large ni<br />

trop étroite ». Une telle définition laisse une marge d’interprétation importante aux<br />

investigations empiriques. De même Goode modère considérablement ses critères dans la<br />

suite de son texte lorsqu’il reconnaît que « la quantité de connaissances que doit posséder une<br />

profession est définie en partie par la société elle-même. Le sorcier peut posséder très peu de<br />

connaissances vali<strong>des</strong>, mais en posséder beaucoup dans les canons de sa société (…), le<br />

médecin, jusqu’à la fin du XIX e siècle, nous apporte un exemple similaire. Et certainement la<br />

validité de nombre <strong>des</strong> connaissances psychodynamiques d’aujourd’hui repose sur <strong>des</strong> bases<br />

peu soli<strong>des</strong> » (art. cit., p. 282). Les différentes « semi-professions » auxquelles il s’intéresse<br />

(bibliothécaires, infirmières, instituteurs…) ne sont finalement pas étudiées du point de vue de<br />

leur base théorique (qui serait insuffisante), mais du point de vue de la reconnaissance sociale<br />

qui est accordée à ces savoirs, ce qui peut sembler contradictoire avec le projet initial d’établir<br />

une typologie <strong>des</strong> professions sur la base de leurs connaissances objectives. Goode ne pousse<br />

toutefois pas le constructivisme plus loin et ne s’interroge pas sur la dynamique sociale qui<br />

institue et maintient la légitimité de certains types de savoirs.<br />

D’autre part, la théorie fonctionnaliste postule un certain évolutionnisme dans les<br />

changements internes à la sphère <strong>des</strong> savoirs : celle-ci est perçue comme le lieu d’un progrès<br />

continu, allant dans le sens d'une rationalité toujours croissante. En conformité avec ce<br />

schéma général, l'application <strong>des</strong> savoirs – à travers les professions – connaît elle aussi un<br />

progrès constant, phénomène que les fonctionnalistes désignent sous le terme de<br />

"professionnalisation". Les progrès de la science et la professionnalisation sont ainsi les deux<br />

faces d'un même phénomène inéluctable : la rationalisation. Comme l'écrit Parsons, à bien <strong>des</strong><br />

égards, "le processus de professionnalisation est presque synonyme de celui de<br />

rationalisation" (1968, p. 545). Contrairement à d’autres auteurs fonctionnalistes – Merton<br />

(1973) ou Ben-David (1971) notamment – Parsons n’ouvre pas de véritable perspective de<br />

sociologie <strong>des</strong> sciences, qui permettrait de mieux resituer les évolutions internes <strong>des</strong><br />

40


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

disciplines dans leur contexte social, et les répercussions éventuelles de ces changements sur<br />

les professions. Il ne montre pas non plus le rôle que peuvent jouer certains segments de la<br />

profession savante dans la professionnalisation d'une activité, situation qui a été bien décrite<br />

par Paicheler (1992) à propos de la psychologie américaine. Inversement, contrairement à ce<br />

qu’a montré Ben David (1960) à partir de l’exemple de la médecine allemande au XIX e , le<br />

rôle <strong>des</strong> praticiens dans l’évolution <strong>des</strong> savoirs n’est pas envisagée. Les professions sont avant<br />

tout définies comme de la science appliquée : la production du savoir est première et les<br />

applications ne peuvent venir que dans une seconde étape.<br />

Enfin, les fonctionnalistes promeuvent une vision monolithique et pacifiée de la<br />

science. Celle-ci n'est jamais le lieu éventuel d’un conflit entre différents segments ou<br />

différentes tendances, prétendant chacune incarner une représentation légitime de l’activité<br />

scientifique en question. Or, dans le cas de la psychologie comme ailleurs 20 plusieurs<br />

définitions de la science coexistent à un moment donné. Comment ces différentes définitions<br />

sont-elles prises en compte dans la structure professionnelle ? Coexistent-elles, sous <strong>des</strong><br />

formes pacifiées, au sein de la profession, ou donnent-elles naissance à <strong>des</strong> segments<br />

distincts ? Un début de réponse à ces questions viendra de la tradition interactionniste, à<br />

travers les notions de « conventions » (Becker, 1988 [1982]) et de « segments<br />

professionnels ». (Bucher et Strauss, 1992 [1961]).<br />

2. Les savoirs négociés : la tradition interactionniste<br />

En réaction contre les taxinomies fonctionnalistes, qui placent la connaissance<br />

théorique au cœur de la définition <strong>des</strong> professions, la sociologie interactionniste montre le<br />

caractère construit et constamment négocié <strong>des</strong> savoirs mobilisés par les groupes<br />

professionnels. Chez les fonctionnalistes, le savoir expert détenu par le professionnel justifiait<br />

l’asymétrie de position entre ce dernier (détenteur ultime d’un savoir positif et « affectivement<br />

neutre » vis-à-vis <strong>des</strong> problèmes de son client) et son client (techniquement incompétent et<br />

sujet à l’émotion). Les attributs extérieurs <strong>des</strong> professions avaient pour fonction de protéger le<br />

client contre toute tentative d’abus de pouvoir de la part du professionnel. Mais en mettant les<br />

savoirs théoriques et « l’idéal de service » (Goode, 1969) au cœur de la définition <strong>des</strong><br />

professions, les fonctionnalistes adoptaient implicitement le point de vue <strong>des</strong> professionnels<br />

sur eux-mêmes, toujours enclins à placer l’expertise au cœur de leur propre définition 21 . La<br />

20 Pour les définitions concurrentes de la pratique médicale en France au XX e siècle, voir JAMOUS et PELOILLE<br />

(1971) et PARADEISE (1985, p. 23)<br />

21 Les nombreuses affinités existant entre la sociologie interactionniste et le discours indigène <strong>des</strong> professions<br />

41


sociologie interactionniste, à travers Everett Hughes tout d’abord, puis Howard Becker et<br />

Anselm Strauss, entend resituer les connaissances et compétences professionnelles dans le<br />

contexte d’interactions sur lequel elles se détachent. Le retournement de perspective est<br />

complet par rapport à la démarche fonctionnaliste : alors que les fonctionnalistes voyaient<br />

dans le professionnel le « réceptacle » d’un savoir positif, les interactionnistes insistent au<br />

contraire sur les mécanismes sociaux de construction de ces savoirs. Cette construction<br />

sociale s’opère à deux niveaux : au fil de la trajectoire biographique de l’individu, amené à<br />

intérioriser progressivement les normes d’un groupe de pairs ; dans la situation d’interaction<br />

entre le professionnel et son « client ».<br />

a) Hughes et Becker : les mon<strong>des</strong> professionnels et leurs « conventions »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les situations du premier type ont été décrites par Hughes (1956) dans ses recherches<br />

sur la socialisation <strong>des</strong> médecins, et par Becker (1988), à propos <strong>des</strong> professions artistiques. A<br />

l’opposé du schéma fonctionnaliste décrit précédemment, les savoirs ne s’acquièrent pas au<br />

cours d’une « formation spécialisée de haut niveau » mais à travers un modèle séquentiel qui<br />

se déroule au cours de la socialisation puis tout au long de la carrière, par interaction avec le<br />

groupe de pairs. La répétition <strong>des</strong> interactions avec les pairs permet l’insertion progressive du<br />

néophyte au sein du cercle magique <strong>des</strong> initiés. Celui-ci adopte progressivement le point de<br />

vue <strong>des</strong> professionnels et s’éloigne de la société <strong>des</strong> profanes. Le jeune médecin apprend ainsi<br />

à voir la maladie sous un angle qu’il n’avait jamais soupçonné auparavant. De même le jeune<br />

policier peut prendre la mesure de la fragilité de sa position lorsqu’il est confronté à <strong>des</strong><br />

situations délicates. Dans les deux cas le regard porté par le jeune professionnel sur son<br />

champ d’intervention s’infléchit progressivement, au fur et à mesure qu’il découvre les<br />

« coulisses » de la profession. Cette transformation du regard se rapproche à bien <strong>des</strong> égards<br />

du mécanisme de la conversion religieuse. Hughes en donne un exemple dans ses recherches<br />

sur la « fabrication » du médecin :<br />

« On pourrait dire que l'apprentissage du rôle médical consiste en une séparation,<br />

presque une aliénation, de l'étudiant du monde médical profane ; un passage de<br />

l'autre côté du miroir, de telle sorte qu'il regarde le monde par derrière, comme si les<br />

choses y étaient écrites à l'envers » (1955, p. 119)<br />

La socialisation à une nouvelle communauté professionnelle implique donc<br />

l’adoption progressive de manières de voir le monde et de répertoires de comportement face à<br />

<strong>des</strong> situations typiques 22 . Contrairement au postulat fonctionnaliste, ces répertoires ne<br />

ont été bien soulignées en France par CHAPOULIE (1973) et TURMEL (1974)<br />

22 En faisant de tous les étudiants <strong>des</strong> "profanes" dépouillés de propriétés sociales antérieures, l’approche<br />

42


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

s’appuient pas nécessairement sur un savoir rationalisé ou de type scientifique. Tout type de<br />

savoir (celui du concierge comme celui du médecin) est susceptible de donner naissance à une<br />

profession puisque quelle que soit l’activité considérée, une frontière peut toujours être tracée<br />

entre le monde <strong>des</strong> profanes et celui de la communauté professionnelle 23 . Les mécanismes de<br />

transmission et de mise en œuvre <strong>des</strong> savoirs ne diffèrent pas en nature selon que le<br />

sociologue s’intéresse à <strong>des</strong> professions prestigieuses ou à <strong>des</strong> métiers mo<strong>des</strong>tes.<br />

L’intériorisation <strong>des</strong> co<strong>des</strong> de conduite propres à un milieu professionnel est<br />

également décrite par Becker (1988) dans ses recherches sur les professions artistiques. A la<br />

suite de Lewis (1969), Becker emprunte la notion de « convention » pour décrire l’ensemble<br />

<strong>des</strong> connaissances partagées par une communauté artistique à un moment donné. Dans leur<br />

activité, les professionnels s’appuient sur un certain nombre de conventions, qui doivent être<br />

lisibles à la fois par les pairs et par le public. La maîtrise de ces conventions n’atteint toutefois<br />

pas le même degré de raffinement chez les professionnels et chez le public (même averti) :<br />

« Les connaissances du public initié n’englobent pas la totalité du savoir <strong>des</strong><br />

professionnels du monde de l’art. Il n’en sait pas plus que nécessaire pour jouer son<br />

rôle dans l’activité coopérative, c’est-à-dire pour comprendre, apprécier et soutenir<br />

les activités de ceux qui ont qualité d’artistes dans le monde considéré » (1988,<br />

p. 72)<br />

Cette perception légèrement différente <strong>des</strong> conventions <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> de l’art chez les<br />

professionnels et le public peut parfois conduire à <strong>des</strong> conflits entre les deux mon<strong>des</strong>, comme<br />

l’a montré Becker (1985) dans ses premiers travaux sur les musiciens de jazz. Des conflits<br />

peuvent également traverser le monde de l’art lui-même, et segmenter la profession en deux<br />

groupes : les uns cherchant avant tout à plaire au public, parfois au détriment <strong>des</strong> canons de la<br />

beauté qui sont reconnus dans le monde de l’art, les autres cherchant plutôt à rendre hommage<br />

à leur art et se souciant peu de l’avis <strong>des</strong> profanes. Ce raisonnement peut également se révéler<br />

fécond pour l’analyse <strong>des</strong> groupes professionnels se partageant entre « praticiens » et<br />

« savants » : alors que les savants peuvent se livrer librement à leur science et exceller du<br />

point de vue <strong>des</strong> conventions du monde professionnel, les praticiens sont toujours soupçonnés<br />

d’une compromission avec les conventions du monde profane.<br />

On peut s’interroger sur l’origine de ces conventions. Si elles ne constituent pas un<br />

stock de savoirs codifiés et rationalisés, transmis par l’université comme le postulait<br />

l’approche fonctionnaliste, d’où proviennent-elles ? Becker (1988 [1982]) soutient qu’elles<br />

interactionniste touche l’une de ses limites les plus évidentes. N’y a-t-il pas <strong>des</strong> étudiants qui sont "plus<br />

profanes" que d’autres et qui dès lors n’ont pas la même capacité à s’orienter et à réaliser <strong>des</strong> choix de carrière ?<br />

23 Comme les médecins ou les prêtres, les concierges eux-mêmes détiennent <strong>des</strong> « savoirs coupables » dans la<br />

43


trouvent leur origine dans la répétition <strong>des</strong> interactions entre les participants à une même<br />

entreprise collective. Elles constituent <strong>des</strong> « investissements de forme » qui permettent de<br />

stabiliser le cadre d’interaction et de réduire l’incertitude sur le comportement <strong>des</strong> différents<br />

participants :<br />

« En bonne logique, il n’y a pas de raison d’accorder les instruments de musique sur<br />

le « la » du diapason fixé à 440 pério<strong>des</strong> par seconde. Il n’y a pas de raison<br />

d’appeler cette note « la », ni de la transcrire sur une portée à cinq lignes au lieu de<br />

quatre ou six par exemple. Mais tout le monde fait ainsi, car chaque participant est<br />

assuré, en agissant de la sorte, de pouvoir coordonner son activité avec celle <strong>des</strong><br />

autres sans risque de malentendu » (1988, p. 78).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Il y a souvent, dans la sociologie <strong>des</strong> professions interactionniste, la tentation<br />

d’élargir ce raisonnement à toute activité professionnelle. La prescription par un médecin de<br />

tel médicament plutôt que tel autre serait le produit d'une longue chaîne d'interactions<br />

comprenant le patient, la famille du patient, le médecin, le pharmacien, la Sécurité Sociale<br />

etc… Le fait même de désigner une maladie sous un certain terme serait le résultat d’une<br />

convention réunissant sous une même étiquette <strong>des</strong> cas qui sous d’autres aspects, peuvent<br />

présenter plus d’hétérogénéité que de similitude. Si les conventions expliquent bien la<br />

permanence de l’ordre social, comment comprendre les changements qui les affectent et la<br />

manière dont ceux-ci se répercutent sur la profession ? Là encore, il faut recourir à un<br />

paradigme interactionniste : les changements de conventions sont induits par les changements<br />

<strong>des</strong> conditions d’exercice de l’activité professionnelle :<br />

« Les conventions traduisent l’adaptation continuelle <strong>des</strong> acteurs de la coopération<br />

aux conditions d’exercice de leur activité. Quand les conditions changent, les<br />

conventions évoluent de même. Les écoles enseignent ce qui correspond à un stade<br />

donné, et généralement dépassé, de ce processus d’adaptation (…) Aussi ne peut-on<br />

apprendre les conventions en vigueur qu’en prenant directement part au cours <strong>des</strong><br />

choses [c’est nous qui soulignons] » (1988 [1982], p. 81)<br />

On le voit, il y a chez Becker une certaine désacralisation <strong>des</strong> savoirs<br />

institutionnalisés (sous forme de disciplines ou de cursus universitaires), qui ne peuvent<br />

constituer le socle d’une pratique professionnelle, puisqu’ils sont partiellement extraits du<br />

lacis d’interactions qui caractérise un monde professionnel à un moment donné. Une telle<br />

posture entraîne bien évidemment une certaine dose de soupçon sur l’effectivité <strong>des</strong> savoirs<br />

institutionnalisés qui sont enseignés aux professionnels. A la limite, les disciplines sur<br />

lesquelles s’appuient les professions ont toujours un temps de retard sur ce qui constitue la vie<br />

réelle d’un monde professionnel à un moment donné. Les interactionnistes diffèrent en cela<br />

<strong>des</strong> fonctionnalistes, puisque ces derniers voyaient au contraire dans les savoirs rationalisés le<br />

mesure où en ayant accès aux déchets <strong>des</strong> habitants ils ont partiellement accès à <strong>des</strong> éléments de leur vie privée<br />

44


fondement de la légitimité <strong>des</strong> professionnels et la condition de leur efficacité. Par<br />

conséquent, les facteurs de changement d’une profession ne se situent pas dans la sphère <strong>des</strong><br />

savoirs (qui seraient le lieu d’une rationalisation continue), mais davantage dans la vie du<br />

groupe et les interactions entre membres de la profession.<br />

b) Strauss et le concept d’« ordre négocié »<br />

Avec le concept d’ « ordre négocié » 24 , le processus de déconstruction <strong>des</strong> savoirs<br />

entrepris par Hughes et Becker atteint son paroxysme. Dans la perspective d’Anselm Strauss,<br />

les savoirs pratiques mobilisés par le professionnel ne sont pas puisés dans un répertoire<br />

préexistant mais se produisent dans le cours même de l’interaction :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Les règles qui régissent les activités <strong>des</strong> divers professionnels, tandis qu’ils<br />

accomplissent leurs tâches, sont loin d’être exhaustives, ou clairement établies, ou<br />

clairement contraignantes. Ceci implique la nécessité d’une négociation<br />

continuelle » (Strauss, 1992, p. 92)<br />

Dans le cas de l’hôpital psychiatrique, plus particulièrement étudié par Strauss (op.<br />

cit.), ce réseau d’interactions inclut à la fois le médecin, les patients, et l’ensemble <strong>des</strong><br />

professions exerçant au sein d’une organisation. Ces professions voisines sont essentiellement<br />

les infirmières, les ai<strong>des</strong>-soignantes, les psychologues et les assistantes sociales. Chaque<br />

groupe professionnel infléchit à sa façon le diagnostic qui va être finalement porté par le<br />

psychiatre, à tel point qu’on chercherait en vain dans l’article de Strauss le moindre indice<br />

d’une « autonomie » du médecin dans la formulation de son diagnostic, ou une quelconque<br />

référence à un corps de savoirs préexistants. Le diagnostic est toujours le résultat d’une<br />

négociation avec le patient et le tissu dense <strong>des</strong> professions voisines. Il n’est pas jusqu’aux<br />

ai<strong>des</strong>-soignantes qui prennent part au traitement administré au malade, à travers les divers<br />

moyens de contrôle qu’elles ont sur leurs supérieurs, allant de la « non communication<br />

d’information à <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> plus ou moins coopératives dans la tenue <strong>des</strong> dossiers et la<br />

fréquentation <strong>des</strong> réunions (op. cit., p. 101). Les infirmières sont elles aussi « habiles à<br />

imposer et à développer <strong>des</strong> accords quant à l’action à mener vis-à-vis du patient » (op. cit., p.<br />

101). Il y a donc loin du savoir théorique appris par le psychiatre sur les bancs de l’université<br />

à sa mise en œuvre dans <strong>des</strong> situations de travail concrètes. Le choix par Strauss de l’hôpital<br />

psychiatrique n’est d’ailleurs certainement pas anodin. L’absence de consensus chez les<br />

praticiens 25 sur la « bonne manière » de traiter un cas introduit un principe d’équivalence<br />

24 STRAUSS, 1992<br />

25 Le principal clivage observé par Strauss et ses collègues oppose <strong>des</strong> psychiatres d’orientation somatique<br />

(formés en neurologie) à <strong>des</strong> psychiatres d’orientation psychothérapeutique. D’autres travaux sociologiques ont<br />

45


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

entre tous les savoirs, qui place du même coup le savoir profane <strong>des</strong> ai<strong>des</strong>-soignantes ou <strong>des</strong><br />

infirmières au même niveau que celui <strong>des</strong> psychiatres. Les ai<strong>des</strong>-soignantes ne parviennent<br />

d’ailleurs pas à « distinguer très clairement entre ce que fait le médecin avec le patient "en lui<br />

parlant" et ce qu’elles font elles-mêmes lorsqu’elles lui parlent. Même les ai<strong>des</strong>-soignantes<br />

qui ont travaillé en contact plus étroit avec <strong>des</strong> surveillantes ne réalisent pas vraiment qu’il<br />

existe une importante différence entre le fait de parler et la psychothérapie » (op. cit., pp. 99-<br />

100). Les observations de Strauss et de son équipe auraient peut-être abouti à <strong>des</strong> conclusions<br />

légèrement différentes s’ils s’étaient intéressé à un service de cardiologie ou de cancérologie,<br />

où l’accord entre praticiens est certainement plus grand que dans les services de psychiatrie.<br />

Strauss rappelle d’ailleurs bien dans sa conclusion que le cadre d’analyse qu’il propose est<br />

plus particulièrement ajusté aux organisations « comprenant <strong>des</strong> groupes professionnels<br />

constitués d’individus formés selon <strong>des</strong> traditions différentes, ceux-ci ayant alors toutes les<br />

chances de posséder <strong>des</strong> philosophies professionnelles s’appuyant sur <strong>des</strong> valeurs plus ou<br />

moins différentes » (op. cit., p 112).<br />

Les analyses de Hughes, de Becker ou de Strauss ouvrent un vaste champ pour la<br />

dénonciation du « pouvoir professionnel » : le constat d’un décalage entre les savoirs officiels<br />

de la profession (ce que les professionnels disent qu’ils font) et leur mise en œuvre pratique<br />

(ce qu’ils font effectivement), autorise une critique <strong>des</strong> bases du pouvoir professionnel et du<br />

monopole qu’il construit. Si les professions ne présentent pas dans les faits tous les attributs<br />

postulés par le modèle fonctionnaliste (désintéressement, capacité à s’auto-réglementer, idéal<br />

de service…), et se caractérisent plutôt par leur égoïsme ou une recherche de pouvoir et de<br />

monopole économique, leur position privilégiée doit être dénoncée. Les interactionnistes<br />

s’appuient pour cela sur un registre souvent moralisateur. On peut toutefois reprocher à ce<br />

zèle dénonciateur de faire trop souvent l’impasse d’une interrogation plus fondamentale sur la<br />

permanence <strong>des</strong> structures professionnelles et les formes d’institutionnalisation <strong>des</strong> savoirs.<br />

Les recherches marxiste et néo-wébérienne traduisent ce souci de réintroduire une dimension<br />

macro-sociale dans l’analyse <strong>des</strong> professions, tout en maintenant une posture critique.<br />

également montré le conflit entre les deux orientations précédentes (physique et psychologique) et une troisième<br />

qui attribue l’origine <strong>des</strong> troubles psychologiques à <strong>des</strong> facteurs sociaux, et développe par conséquent <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> de type « socio-thérapeutique » (Armor et Klerman, 1968). Le conflit entre ces trois orientations se<br />

retrouve formulée sensiblement dans les mêmes termes au sein de la psychologie entre psychométriciens,<br />

psychologues cliniciens et psychologues sociaux.<br />

46


3. Les savoirs monopolisés : les sociologies marxiste et néo-wébérienne<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Au fur et à mesure que se développait l’approche interactionniste <strong>des</strong> occupations, la<br />

critique de la théorie fonctionnaliste s’organisait sur un autre front : celui <strong>des</strong> sociologies néowébérienne<br />

et néo-marxiste. La sociologie interactionniste avait soulevé la question du<br />

pouvoir professionnel au niveau microsociologique, à partir <strong>des</strong> tâches effectivement réalisées<br />

par les professions dans leurs contextes de travail. Les sociologies néo-wébérienne et néomarxiste<br />

vont élargir cette question en analysant la position <strong>des</strong> professions au sein de la<br />

structure sociale dans son ensemble. Le point commun de ces deux approches est de rejeter<br />

l’idée que les professions détiennent un savoir positif susceptible d’améliorer le système<br />

social. Les professions, comme les savoirs qu’elles détiennent sont <strong>des</strong> phénomènes sociaux<br />

qui ne font que refléter l’état <strong>des</strong> rapports sociaux. Les auteurs s’inscrivant dans ces deux<br />

courants s’opposent donc en tout point à l’optimisme excessif <strong>des</strong> fonctionnalistes, qui<br />

voyaient au contraire dans la montée du professionnalisme l’avènement d’une société<br />

nouvelle, dominée par les experts. Les principaux représentants du premier courant (Berlant,<br />

1975 ; Larson, 1977 ; Collins, 1979, 1990) insistent sur le lien entre un savoir expert et<br />

l’établissement par un groupe social de « chasses gardées » (exclusionary shelters) sur un<br />

marché 26 . Les seconds (Johnson, 1972, 1977 ; Boreham, 1983 ; Navarro, 1976) mettent<br />

davantage l’accent sur la position <strong>des</strong> professions dans la structure de classe et sur les<br />

mécanismes de domination et de répartition du pouvoir au sein de la société.<br />

L’ouvrage de Berlant Profession and Monopoly (1975), est particulièrement<br />

représentatif de l’usage qui est fait de la théorie wébérienne de la monopolisation dans<br />

l’analyse <strong>des</strong> professions et <strong>des</strong> dérives auxquelles celle-ci peut conduire lorsqu’elle se limite<br />

à n’être qu’une analyse purement externe <strong>des</strong> professions. Après un premier chapitre<br />

entièrement consacré à une critique en règle de Parsons, accusé de développer une théorie<br />

normative <strong>des</strong> professions totalement détachée de la réalité 27 , Berlant cherche à convaincre<br />

son lecteur de la fécondité de la théorie wébérienne de la monopolisation dans l’analyse du<br />

comportement de certains groupes professionnels. Pour Weber (1995, tome 2, pp. 55-58 et pp.<br />

410-416) le processus de monopolisation, ou de « fermeture de marché » (social closure), est<br />

26 BERLANT (1975) fournit certainement l’exemple le plus radical d’application de la théorie wébérienne de la<br />

monopolisation aux phénomènes de professionnalisation. Bien que s’appuyant également sur Weber, l’ouvrage<br />

de LARSON (1977) est une application moins « pure » <strong>des</strong> intuitions wébériennes puisqu’elle tente de concilier la<br />

thèse de la monopolisation avec l’idée néo-marxiste que les professions sont une émanation historique du<br />

capitalisme.<br />

27 « la théorie de Parsons n’est pas une <strong>des</strong>cription de la profession médicale, mais une entreprise plus étroite. Il<br />

s’agit d’une analyse morale qui ne décrit pas les conditions réelles de la profession médicale et son rapport aux<br />

patients, mais qui souhaite plutôt produire un ensemble de règles morales qui entraîneraient certains effets<br />

47


une caractéristique fondamentale du capitalisme, qui se manifeste aussi bien dans le travail<br />

que dans le capital ou dans la propriété foncière. Il consiste en l’appropriation par un groupe<br />

particulier <strong>des</strong> chances de profit que renferme un marché :<br />

« Plus le nombre <strong>des</strong> compétiteurs est grand par rapport à l’étendue <strong>des</strong> possibilités<br />

de gains qui leur sont ouvertes, plus les personnes engagées dans la lutte ont intérêt à<br />

limiter d’une manière ou d’une autre la concurrence.<br />

Cela se passe généralement de la manière suivante : une partie <strong>des</strong> concurrents tirent<br />

argument de certaines caractéristiques extérieures de leurs adversaires réels ou<br />

virtuels pour chercher à les exclure de la compétition. Ces caractéristiques peuvent<br />

être la race, la langue, la confession, le lieu d’origine ou l’extraction sociale,<br />

l’ascendance, le domicile, etc. Il est indifférent que, dans telle circonstance donnée,<br />

on choisisse telle caractéristique, car on recourt, en fait à celle qui apparaît le plus<br />

immédiatement.<br />

(…) dès lors, les compétiteurs qui adoptent un comportement commun vis-à-vis de<br />

l’extérieur forment une « communauté d’intérêts » tout en continuant à se<br />

concurrencer les uns les autres » (op. cit., tome 2, p 56).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Appliqué aux professions, ce modèle peut conduire à différentes stratégies de<br />

« monopolisation » sur la base de la possession d’un titre, ou d’une façon plus générale de<br />

toute autre caractéristique attestant la possession d’un savoir expert non détenu par un groupe<br />

de « profanes » 28 . La question d’une « sociologie <strong>des</strong> professions » devient alors : « comment<br />

un groupe acquiert-il une position privilégiée au sein de l’économie ? ». Les différentes étapes<br />

de la stratégie de professionnalisation dans l’optique néo-wébérienne sont énumérées par<br />

Berlant (op. cit., pp 51-56). Selon lui, elles font nécessairement entrer en jeu :<br />

1. La création d’un bien (commodity) susceptible d’être échangé sur un marché.<br />

2. La distinction entre la réalisation du service et la satisfaction du client (i.e. : le client ne doit<br />

pas être juge de la qualité de la prestation du professionnel).<br />

3. La création de la rareté par restriction de l’offre ou la mise en œuvre de stratégies visant à<br />

accroître la demande (normalisation et amélioration de la qualité <strong>des</strong> services rendus par<br />

exemple).<br />

4. La monopolisation de l’offre (qui s’est traduite, dans le cas <strong>des</strong> professions, par une<br />

monopolisation de l’éducation et une protection légale du monopole par l’Etat).<br />

5. La limitation de la taille du groupe professionnel<br />

6. L’élimination de la concurrence externe en revendiquant l’exclusivité de la production du<br />

bien authentique susceptible d’être échangé sur le marché (les biens ou services comparables<br />

produits par un autre groupe n’en sont que de pâles imitations)<br />

souhaitables si on y adhérait » BERLANT (1975, chap. 1, pp. 15-16)<br />

28 Ajoutons qu’à la différence <strong>des</strong> fonctionnalistes, le public de profanes n’est jamais donné d’avance dans les<br />

approches néo-wébériennes. Il se construit par un jeu d’opposition au fur et à mesure qu’un groupe parvient à<br />

monopoliser un champ de la vie sociale. La construction d’un marché de services professionnels suppose la<br />

48


7. La capacité d’établir les prix à un niveau supérieur à celui qui résulterait du libre jeu du<br />

marché.<br />

8. L’unification <strong>des</strong> offreurs, afin de contrôler la vente et le prix <strong>des</strong> services.<br />

9. L’élimination de la concurrence interne (interdiction de la publicité par exemple).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Une telle énumération n’est pas sans rappeler les théories fonctionnalistes de la<br />

professionnalisation. Berlant prend pourtant soin de préciser qu’à la différence <strong>des</strong><br />

fonctionnalistes, sa théorie de la monopolisation n’est pas un modèle pur mais a été établie sur<br />

la « base d’observations historiques » (op. cit., p. 51). On s’étonnera toutefois du caractère a-<br />

historique du modèle et de la faiblesse <strong>des</strong> illustrations empiriques, toutes tirées de sources de<br />

seconde main concernant la médecine américaine 29 . Comme les fonctionnalistes (qu’il<br />

critique pourtant vigoureusement) Berlant prétend tirer une théorie générale de la<br />

professionnalisation de l’observation d’un seul groupe : la médecine américaine du XX e<br />

siècle. Comme les fonctionnalistes également, sa théorie <strong>des</strong> professions prend la forme d’une<br />

mécanique inéluctable (un certain nombre d’étapes doivent être nécessairement franchies, et<br />

ce, quel que soit le contexte historique ou la nature du travail concret <strong>des</strong> professionnels), à<br />

ceci près qu’il appelle « monopolisation » ce que les fonctionnalistes qualifiaient de<br />

« professionnalisation » et que son modèle est mis au service d’une dénonciation <strong>des</strong><br />

professions et non de leur apologie.<br />

Indépendamment de la faiblesse de son investigation empirique, l’ouvrage de Berlant<br />

révèle – par son caractère excessif et presque caricatural – une limite plus générale les<br />

approches néo-wébériennes de la professionnalisation (que l’on trouve y compris chez<br />

Larson). Comme les fonctionnalistes, elles ne s’intéressent qu’au versant extérieur <strong>des</strong><br />

professions : code de déontologie, système de formation, associations professionnelles et ne<br />

s’intéressent que de façon secondaire aux activités concrètes <strong>des</strong> professions, à la place<br />

qu’elles occupent dans la division du travail. Ainsi, Berlant s’intéresse aux médecins et à leurs<br />

stratégies de monopolisation, sans s’intéresser véritablement à la maladie. Il ne montre pas<br />

pourquoi le corps médical peut répondre de façon adéquate aux problèmes qui se posent à un<br />

moment donné. Du coup, l’expertise <strong>des</strong> professions n’est jamais prise au sérieux. Elle n’est<br />

construction simultanée d’une demande et donc d’une clientèle pour ce marché.<br />

29 Dans les deux premiers chapitres, pas un seul exemple n’est emprunté à une autre profession que la profession<br />

médicale, ce qui peut surprendre au regard du projet initial d’établir une théorie générale <strong>des</strong> professions.<br />

Comme le souligne FREIDSON (1976, p. 406) dans une note critique consacrée au livre de BERLANT (1975),<br />

« [Berlant] ne mobilise pas la littérature sociologique sur les professions et ne se livre à aucune comparaison<br />

entre la médecine et d’autres occupations, ce qui pourrait donner une certaine généralité à ses conclusions. Et<br />

comme il s’appuie sur un petit nombre de sources secondaires, sa présentation et ses conclusions semblent<br />

49


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

qu’un faux-semblant, une « rhétorique » qui tourne en boucle ouverte, puisqu’elle n’est<br />

jamais confrontée à un quelconque principe de réalité. Potentiellement, tout groupe peut ainsi<br />

monopoliser un champ du savoir et se constituer un monopole, indépendamment de<br />

l’efficacité de ces savoirs. Dans un tel cadre théorique, les histoires de professionnalisation<br />

sont condamnées à être le perpétuel recommencement <strong>des</strong> mêmes étapes (codification <strong>des</strong><br />

produits ou <strong>des</strong> services proposés par les professionnels, restriction de l’offre, coalition <strong>des</strong><br />

offreurs…).<br />

Une critique encore plus radicale du pouvoir professionnel se trouve dans la<br />

sociologie néo-marxiste. Ces auteurs relient le pouvoir professionnel aux mécanismes plus<br />

larges de distribution du pouvoir dans la société. Les professions, à travers l’hégémonie<br />

idéologique qu’elles exercent sur la société, sont un rouage dans la reproduction <strong>des</strong> formes<br />

de domination. Ce point de vue, particulièrement développé par la sociologie <strong>des</strong> professions<br />

britannique au cours <strong>des</strong> années 1980 est défendu notamment par Johnson qui affirme que<br />

« Le professionnalisme (…) ne peut apparaître que là où les processus idéologiques et<br />

politiques soutenant [cette idéologie] coïncident avec les besoins du capital » (Johnson, 1977,<br />

p. 106). Le propos de l'auteur est illustré par quelques exemples tirés de l’histoire britannique.<br />

Dans un article de 1982, il s’intéresse aux relations entre l’État et certaines professions<br />

(comptables, médecins, architectes) au cours de la période de colonisation. Il montre que<br />

l'emprise de l'État sur de nouveaux secteurs de la vie sociale n'a été rendue possible que parce<br />

qu'une partie de ses missions de contrôle a été déléguée aux professionnels. En retour, ces<br />

derniers ont pu asseoir progressivement leur légitimité et leur statut au sein de la société.<br />

Navarro, dans son ouvrage Medicine under capitalism (1976), illustre lui aussi un point de<br />

vue « néo-marxiste » sur les professions, à partir de l’exemple de la médecine britannique.<br />

Selon lui les principaux déterminants de l’organisation et du fonctionnement <strong>des</strong> systèmes de<br />

santé sont à rechercher non dans le pouvoir professionnel <strong>des</strong> médecins eux-mêmes, mais<br />

dans l’attitude <strong>des</strong> classes dominantes de la société capitaliste à l’égard de la médecine. La<br />

pratique de la médecine a ainsi pu émerger comme profession dans la mesure où elle servait<br />

les intérêts de la classe capitaliste, en véhiculant un discours scientifique neutralisateur jetant<br />

un voile sur les véritables déterminants – sociaux – de la maladie.<br />

La nature <strong>des</strong> savoirs que les professions mettent en œuvre ne sont pas neutres et<br />

doivent être analysés à l’aune de la contribution qu’ils apportent à <strong>des</strong> fonctions plus<br />

générales de reproduction sociale : ils reflètent l’hégémonie idéologique de la classe<br />

minces et malhonnêtes »<br />

50


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

dominante. Ce ne sont pas les savoirs en tant que tels qui sont sources de pouvoir mais plutôt<br />

leur signification sociale et la manière dont ils s’insèrent dans <strong>des</strong> jeux de pouvoir qui les<br />

dépassent.<br />

L’ouvrage de Larson (op. cit.) constitue une tentative intéressante de synthèse <strong>des</strong><br />

approches néo-marxistes et néo-wébériennes sur les professions, puisque sont pris en compte<br />

simultanément le rapport <strong>des</strong> professions au marché (dans une perspective néo-wébérienne) et<br />

leur rapport à la structure sociale dans son ensemble (perspective marxiste). Dans leur rapport<br />

au marché, les professions apparaissent comme <strong>des</strong> entreprises collectives, <strong>des</strong> groupes<br />

d’intérêt qui cherchent à s’approprier les chances de profit associées à un domaine d’activité.<br />

Pour cela la profession doit au préalable « trouver un accord sur une base cognitive et imposer<br />

une définition prédominante de la marchandise [commodity] professionnelle » (op. cit., p.<br />

211). On voit que, comme chez Berlant, le préalable de toute stratégie de conquête d’un<br />

monopole est de définir simultanément le bien qui va être échangé et le marché sur lequel il<br />

va être échangé. Le concept central proposé par Larson dans cette optique est celui de « projet<br />

professionnel » (Professional project), qui désigne le travail collectif du groupe en vue de<br />

monopoliser un segment du marché du travail. Le projet professionnel englobe trois<br />

dimensions : la recherche d’un monopole sur un champ d’activité (avec la garantie <strong>des</strong><br />

pouvoirs publics) ; la définition <strong>des</strong> savoirs légitimes associés à ce monopole et la conquête<br />

d’un statut social. La clôture du monopole économique est directement liée à la clôture du<br />

monopole dans l’ordre cognitif 30 puisque le travail du projet professionnel est précisément<br />

d’établir un pont entre ces deux dimensions, transformant ainsi un ordre de ressources<br />

symboliques en ressources économiques. Larson partage avec les fonctionnalistes l’idée que<br />

tous les types de connaissances ne sont pas susceptibles de donner naissance à une<br />

« profession ». Pour que le projet professionnel ait quelque chance de succès, il faut que la<br />

connaissance portée par le groupe « soit suffisamment spécifique pour rendre distinctive la<br />

marchandise professionnelle, elle doit être suffisamment codifiée ou formalisée pour<br />

permettre une standardisation du produit, et en dernier ressort <strong>des</strong> producteurs, et enfin elle ne<br />

doit pas être trop clairement codifiée afin de permettre à un principe d’exclusion de jouer »<br />

(op. cit., p. 30-31). L’ouvrage ne s’intéresse d’ailleurs qu’aux seules professions établies et le<br />

30 La clôture dans l’ordre cognitif joue un rôle de premier ordre chez Larson : « (…) la standardisation cognitive<br />

semble être une variable cruciale, si ce n’est la plus cruciale, dans la séquence qui, partant de la mise en place de<br />

centres de formation monopolistiques, conduit à une professionnalisation certifiée [credentialed] et au contrôle<br />

du marché » (1977, p. 46). On voit bien l’opposition entre un tel point de vue et l’existence, au sein d’une même<br />

profession de « segments » construits sur la base de paradigmes différents. La standardisation cognitive est par<br />

nature exclusive : elle suppose la cohésion du groupe et interdit par conséquent la coexistence de paradigmes<br />

51


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

propos n’est pas élargi aux autres formes de coalition sur le marché du travail (syndicats de<br />

travailleurs par exemple).<br />

Larson ajoute à cette analyse néo-wébérienne une étape supplémentaire, qui permet<br />

de relier l’idéologie professionnelle aux formes de reproduction sociale. Cette étape est celle<br />

de la mise en place d’une structure nationale d’éducation autorisant la standardisation du<br />

produit professionnel lui-même. En effet, sans structure nationale de formation, il n’y a pas<br />

d’homogénéisation, pas de mise en équivalence possible <strong>des</strong> « produits professionnels »<br />

délivrés par l’université en termes de nombre d’années d’étu<strong>des</strong>. Historiquement, c’est<br />

l’université 31 qui a joué ce rôle de standardisation <strong>des</strong> produits professionnels. Or, dans le<br />

raisonnement de Larson – qui s’inspire ici directement d’Althusser – « la légitimation centrale<br />

<strong>des</strong> nouvelles formes d’inégalité, qui réside dans leurs fondement idéologiques, prend sa<br />

source dans le système éducatif » (op. cit., p. 239). L’une <strong>des</strong> conséquences de la diffusion du<br />

modèle professionnel est donc d’obscurcir les bases réelles de la domination capitaliste en<br />

associant étroitement <strong>des</strong> rétributions individuelles à <strong>des</strong> performances dans le système<br />

éducatif (elles-mêmes fortement inégalitaires) :<br />

« L'appareil idéologique de l'école standardise les structures générales de l'idéologie<br />

dominante, dans <strong>des</strong> termes qui renforcent l'inégale distribution de la connaissance.<br />

Le respect pour la science, pour la connaissance, pour la "construction de la réalité"<br />

opérée par les professionnels s'accroît dans l'immense masse <strong>des</strong> gens qui ne verront<br />

jamais une université. Ce respect est incarné dans une hiérarchie sociale : ce n'est<br />

pas seulement du respect pour un homme qui possède une connaissance supérieure,<br />

c'est le respect pour ceux qui "savent mieux" parce que leur position de pouvoir<br />

relatif prouve qu'ils savent mieux [c'est l'auteur qui souligne] ». (op. cit., p. 242)<br />

On voit donc, à travers la démarche de Larson, que comme dans les perspectives<br />

précédentes – wébériennes et marxistes – l’auteur s’en tient à une analyse purement extérieure<br />

<strong>des</strong> savoirs mobilisés par les professions. Les fondements épistémologiques de ces savoirs ne<br />

sont pas analysés en eux-mêmes, mais en fonction de leur capacité à convaincre certains<br />

auditoires, dans un objectif de clôture sociale. Une stratégie de professionnalisation réussie<br />

apparaît dès lors comme le pur produit d’une entreprise de conviction, d’une rhétorique qui ne<br />

s’enracine pas dans <strong>des</strong> pratiques concrètes. A l’extrême, on peut imaginer que le travail de<br />

codification et de construction sociale <strong>des</strong> savoirs importe plus que leurs fondements<br />

épistémologiques. Un tel point de vue est développé par exemple chez Gieryn (1983), qui<br />

développe l’idée qu’un « travail de démarcation » (boundary work) accompagnerait toute<br />

activité professionnelle ou scientifique. Cette démarcation entre « science » et « non-science »<br />

divergents.<br />

31 Dans la forme qu’elle a prise notamment aux Etats-Unis dans le dernier quart du XIX e siècle (GEIGER, 1986).<br />

52


est analysée comme un travail idéologique, ou purement rhétorique, qui permet aux<br />

professions scientifiques 32 de défendre au mieux leurs intérêts en donnant de leur travail une<br />

image qui soit la plus conforme possible aux attentes du public. Les professions disposent<br />

ainsi d’une multitude de « répertoires » leur permettant de se présenter toujours au public sous<br />

le jour le plus favorable possible (c’est-à-dire leur permettant de gagner en autorité et en<br />

autonomie) :<br />

« Lorsqu’ils sont confrontés au public ou aux hommes politiques, les savants<br />

revêtent la science de caractéristiques qui sont de nature à promouvoir leur propre<br />

intérêts professionnels. Les savants ont à leur disposition un certain nombre de<br />

« répertoires culturels » disponibles pour construire <strong>des</strong> auto-<strong>des</strong>criptions<br />

idéologiques » (art. cit., p. 783).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La principale ressource <strong>des</strong> professions dans le processus de professionnalisation<br />

réside dès lors dans la rhétorique, le travail de construction sociale qu’elles sont capables<br />

d’opérer, et non dans l’efficacité réelle <strong>des</strong> savoirs qu’elles mobilisent. Un voile d’idéologie<br />

s’interpose entre les professions et leur public.<br />

Un tel point de vue, qui s’intéresse uniquement à la dimension idéologique du<br />

discours professionnel, présente certaines limites qui ont déjà été soulignées à propos de<br />

Berlant (1976). Les mêmes remarques pourraient être faites au sujet de Larson (1977), dont le<br />

modèle n’intègre pas les changements affectant la sphère de production <strong>des</strong> savoirs euxmêmes.<br />

Ces changements sont toujours analysés dans la perspective d’une recherche de<br />

monopole, ou d’un pouvoir accru de la part <strong>des</strong> professions. La recherche de gratifications<br />

économiques est toujours à la source de la codification et de la standardisation <strong>des</strong> savoirs. Or<br />

cette sphère, bien qu’elle ne soit pas totalement à l’abri <strong>des</strong> déterminations sociales, présente<br />

néanmoins une certaine autonomie dans ses évolutions. Jacques Léonard (1981) le montre<br />

bien dans son ouvrage sur la médecine française au XIX e siècle et dans ses travaux ultérieurs.<br />

Dans un article de synthèse sur l’ouvrage de 1981, Léonard écrit :<br />

« L’histoire <strong>des</strong> sciences médicales commence par l’histoire de ceux qui conçoivent,<br />

enseignent et diffusent les sciences médicales. (…) Et l’histoire de l’information<br />

médicale englobe – cela va de soi – la peinture <strong>des</strong> milieux qui élaborent les<br />

publications et qui se disputent le consensus de la communauté scientifique<br />

médicale. Cela ne signifie pas que, pour l’historien, tout ce qui se produit dans un<br />

groupe social serait le pur produit de ce groupe social. L’originalité du travail du<br />

savant ne se dissout pas dans l’ambiance psycho-sociologique qui l’entoure. Décrire<br />

le conditionnement psycho-sociologique à fond se révèle nécessaire, indispensable,<br />

mais insuffisant » (1992, p. 242)<br />

32 GIERYN (art. cit., p 792) souligne dans sa conclusion que ce raisonnement peut être élargi à l’ensemble <strong>des</strong><br />

professions.<br />

53


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le point de vue de Léonard n’est pas unilatéral puisque les savoirs sont abordés dans<br />

toute leur complexité, et pas du seul point de vue de la conquête d’un monopole économique.<br />

Le succès de la professionnalisation de la médecine est au contraire analysé comme un<br />

« rendez-vous » historique entre un groupe social, un savoir en évolution constante et un<br />

besoin social lui aussi en mouvement. Le modèle d’analyse privilégié par Léonard est donc de<br />

nature « séquentielle », là où les marxistes et les wébériens adoptaient un point de vue plutôt<br />

déterministe. La réussite de la médecine ne s’analyse pas par l’efficacité de la « rhétorique »<br />

que les médecins auraient su développer face à leurs concurrents, mais par le fait que leur<br />

savoir apportait effectivement une réponse adéquate aux problèmes du moment.<br />

En disant que les savoirs présentent une certaine efficace, nous ne retombons pas<br />

pour autant dans la posture positiviste qui tend à naturaliser les savoirs professionnels. Nous<br />

ne suggérons pas non plus que cette efficacité est scellée de toute éternité. Nous voulons<br />

simplement dire que ces savoirs ont une certaine prise sur le réel ou plutôt sur la réalité telle<br />

qu’elle se présente dans un contexte historique donné. Ce qu’il faut analyser c’est donc ce<br />

rapport mouvant entre <strong>des</strong> savoirs – lieux de transformation plus ou moins autonomes – une<br />

situation de besoin, au sens économique social et historique du terme, et un groupe social.<br />

Les professions sont aussi confrontées dans leur évolution à cet autre acteur, lui aussi<br />

relativement autonome, qu’est l’Etat. Ce point de vue a été développé notamment au sein de<br />

la science politique par le courant du néo-institutionnalisme historique 33 . A l’opposé <strong>des</strong><br />

thèses néo-marxistes, L'État est vu comme une structure plurielle, souvent conflictuelle, qui<br />

présente une forte autonomie face aux deman<strong>des</strong> de la société. Une conviction commune de<br />

ces auteurs est que les politiques menées par l'État à un moment donné donnent naissance à<br />

une "dépendance de sentier" qui affecte durablement son action dans ce domaine de la vie<br />

sociale. Ce schéma a été appliqué dans différents champs, notamment celui <strong>des</strong> politiques<br />

sociales (Skocpol, 1992) ou du développement économique (Evans, 1995).<br />

Aussi, contrairement aux points de vue marxiste et wébérien, ces deux sphères<br />

précédentes – la sphère de production <strong>des</strong> savoirs et l’Etat – ne sont pas le simple reflet <strong>des</strong><br />

structures de pouvoir qui traversent la société mais doivent être analysées dans leurs<br />

interactions avec les groupes professionnels.<br />

33 EVANS, RUESCHEMEYER et SKOCPOL, 1985<br />

54


4. La tradition française : les professions sous le prisme du salariat<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le sociologue Joan Heilbron constatait en 1986 qu’il existait « très peu de textes de<br />

sociologues français où la question <strong>des</strong> professions et de la professionnalisation est abordée<br />

dans le sens anglo-saxon <strong>des</strong> termes » (1986, p. 61). Les mêmes incompréhensions semblent<br />

exister aujourd’hui entre sociologues français et anglo-saxons, en dépit du considérable<br />

développement de la sociologie <strong>des</strong> professions en France depuis une quinzaine d’années 34 .<br />

Les sociologues anglo-saxons, toutes tendances théoriques confondues, continuent de placer<br />

les savoirs théoriques au cœur de leur définition <strong>des</strong> professions 35 , là où les sociologues<br />

français adoptent la conception la plus large possible du concept de profession 36 . Cette<br />

divergence théorique fondamentale tient principalement à deux facteurs : 1) <strong>des</strong> différences de<br />

contexte historique et national dans les mo<strong>des</strong> d’émergence <strong>des</strong> groupements professionnels<br />

2) <strong>des</strong> traditions de recherche différentes dans le domaine de la sociologie du travail et <strong>des</strong><br />

professions.<br />

a) Le poids <strong>des</strong> contextes nationaux dans la définition du<br />

« professionnalisme »<br />

Comme dans beaucoup d’autres pays, le terme de « profession » ne désigne pas<br />

aujourd’hui en France une classe particulière d’occupations. Il s’applique aussi bien aux<br />

occupations les plus prestigieuses (médecins, avocats, <strong>ingénieurs</strong>…) qu’aux plus humbles.<br />

Cette acception du terme est en réalité le fruit d’un travail de construction historique.<br />

Heilbron (art. cit., p. 61) nous rappelle en effet que jusqu’au dix-septième siècle le terme de<br />

« profession » s’applique aux groupes possédant une technique, un « art », plus<br />

particulièrement dans le domaines <strong>des</strong> « arts libéraux » (médecins, juristes, notaires,<br />

professeurs…). Le terme de « métier » était quant à lui davantage réservé aux « arts<br />

mécaniques ». Le terme trouvait son origine dans la « profession à accomplir par le nouvel<br />

entrant lors d’une cérémonie rituelle qu’on trouvait à l’entrée de toutes les corporations, qui<br />

suivaient ainsi le modèle religieux de la profession de foi » (art. cit., p. 63). Il était donc<br />

directement lié au régime corporatif en vigueur sous l’ancien régime et c’est précisément la<br />

34 Développement qui a toutefois été davantage marqué par l’influence de Hughes et de l’interactionnisme,<br />

popularisé par J.-M. Chapoulie, que par les autres courants de la sociologie <strong>des</strong> professions anglo-saxonnes (voir<br />

sur ce point GADEA, 2003, p. 214-215).<br />

35 Il suffit pour cela d’observer le sous titre de quelques ouvrages récents, qui font tous deux référence à un type<br />

bien particulier de savoir : le dernier ouvrage de FREIDSON (2001) a pour sous titre « On the Practice of<br />

knowledge » ; celui d’ABBOTT (1988) : « An Essay on the division of expert labor ».<br />

36 Il suffit pour s’en convaincre d’observer le large éventail d’activité recensées dans l’ouvrage de DUBAR et<br />

TRIPIER (1998), qui va <strong>des</strong> médecins aux chauffeurs routiers en passant par les moniteurs de ski.<br />

55


diffusion de ce modèle corporatif à <strong>des</strong> catégories de plus en plus gran<strong>des</strong> d’activités, entre le<br />

quinzième et le dix-huitième siècle, qui aurait entraîné la neutralisation et la banalisation<br />

progressive du terme. Le recours à la notion de « profession » dans les procédures<br />

d’enregistrement administratif mises en place par les bureaucraties d’Etat à partir du dixhuitième<br />

siècle aurait parachevé la généralisation de son usage (Desrosières, 1993), sans que<br />

disparaisse pour autant totalement la distinction sémantique entre « professions » et<br />

« métiers », comme le note bien Edmond Goblot dans La barrière et le niveau (1925) :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Ce sont les classes qui groupent les professions et les séparent. La langue<br />

enregistre cette séparation : les fonctions exercées par <strong>des</strong> artisans ne s'appellent pas<br />

<strong>des</strong> professions, mais <strong>des</strong> métiers. La nuance subsiste même quand on intervertit les<br />

termes. Si, au lieu de dire d'un médecin ou d'un avocat qu'il est savant, ou habile, on<br />

dit qu'il sait son métier,c'est à <strong>des</strong>sein, pour signifier qu'on le juge en dehors de toute<br />

considération de classe et qu'on ne considère dans l'homme que le travailleur qui<br />

travaille bien. Si les écoles où l'on apprend un métier s'appellent écoles<br />

professionnelles plutôt qu'écoles d'apprentissage, c'est qu'on a voulu, en les créant,<br />

leur donner une désignation qui les relève. Dans ces interversions de termes, il y a<br />

une pointe d'esprit démocratique en même temps qu'une reconnaissance implicite de<br />

l'inégalité sociale »<br />

Les Etats-Unis présentent de ce point de vue un net contraste avec la France et la<br />

plupart <strong>des</strong> pays européens. Outre-atlantique, l’usage du terme de profession tel que nous le<br />

connaissons aujourd’hui s’est généralisé dans la seconde moitié du XIX e siècle, en lien avec<br />

la montée d’une nouvelle classe moyenne qui cherchait à puiser sa légitimité dans les idéaux<br />

de méritocratie, d’universalisme et d’efficience portés par la science et un système<br />

universitaire en profond changement. Dans son ouvrage sur la culture du professionnalisme et<br />

la classe moyenne américaine Bledstein (1976), caractérise ce modèle comme un mouvement<br />

culturel porté par une classe moyenne en voie d’ascension sociale rapide. Cette nouvelle<br />

classe moyenne, composée de médecins, de journalistes, de travailleurs sociaux, d’avocats,<br />

d’enseignants, trouve un appui et une source de légitimité dans les universités, qui<br />

s’établissent aux Etats-Unis dans les années 1880 sur le modèle <strong>des</strong> universités alleman<strong>des</strong>.<br />

Jusqu’aux années 1870 en effet, l’enseignement supérieur était principalement dispensé au<br />

sein de Colleges comprenant en moyenne une demi-douzaine d’enseignants, pasteurs pour la<br />

plupart 37 . Les programmes, tournés vers l’étude <strong>des</strong> langues anciennes, de la philosophie et de<br />

la théologie, visaient surtout à inculquer aux jeunes gens <strong>des</strong> valeurs morales et un certain<br />

esprit de discipline (Geiger, 1986). Face à ces Colleges, un modèle éducatif alternatif se<br />

développe au sein de nouvelles universités, pour la plupart entre les mains d’une nouvelle<br />

37 Selon les historiens de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis HOFSTADTER et METZGER (1955, p. 211), il y<br />

avait en 1861 182 Colleges aux Etats-Unis. L’effectif moyen du personnel enseignant était de 6 personnes, dont<br />

90% appartenaient au clergé.<br />

56


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

génération de présidents incarnant eux aussi les idéaux de méritocratie et d’ascension sociale<br />

de la nouvelle classe moyenne américaine (G. Stanley Hall à Chicago, Charles W. Eliot à<br />

Harvard…) 38 . Ces universités (Clark University, Chicago University, Stanford, John<br />

Hopkins...) abritent un nombre croissant d’« écoles professionnelles » (professional schools)<br />

qui développent <strong>des</strong> cursus de formation nettement plus spécialisés et appliqués que ceux qui<br />

avaient cours dans les anciens Colleges, tout en maintenant les principaux éléments d’une<br />

culture humaniste. Mais l’objectif est bien de créer une nouvelle catégorie d’experts,<br />

d’« hommes pratiques » animés par le culte de l’efficience et capables de transposer dans un<br />

certain nombre de registres pratiques les connaissances scientifiques. Ce modèle présente <strong>des</strong><br />

affinités certaines avec l’idéologie libérale américaine. En arrière-plan, se trouve le modèle du<br />

travailleur « libre », qui va faire reconnaître une expertise certifiée sur un marché. Mais pour<br />

que le marché fonctionne, il faut précisément que l’information sur les qualités individuelles<br />

soit suffisante, donc que la certification construise un dispositif de confiance suffisamment<br />

solide. Comme le note Rossi<strong>des</strong> (1998, p. 38) :<br />

« Armé de son savoir, le professionnel est un individu vraiment libre, indépendant et<br />

autonome, et par conséquent en harmonie avec un thème central de la culture<br />

américaine »<br />

La référence à un savoir spécialisé et appliqué, acquis au terme d’une longue<br />

formation supérieure, se trouve donc dès l’origine au cœur de la définition américaine <strong>des</strong><br />

professions. Tout au long du XX e siècle, et plus particulièrement après 1945 39 , ce modèle du<br />

« professionnalisme » va donner le cadre au sein duquel les différentes couches de la société<br />

américaine vont traduire leurs revendications et leurs stratégies d’ascension sociale. De<br />

nombreuses occupations (travailleurs sociaux, bibliothécaires, conseillers d’orientation…)<br />

vont ainsi revendiquer un statut analogue à celui <strong>des</strong> professions établies, en s’appuyant<br />

souvent sur les modèles fournis par les sociologues eux-mêmes 40 . En France, au contraire, un<br />

mouvement ouvrier politico-syndical solidement structuré dès le début du XX e siècle va<br />

donner aux classes moyennes un cadre radicalement différent pour exprimer leurs<br />

revendications (Chapoulie, art. cit., p. 99-100) et favorisera l’émergence dans l’entre-deuxguerres<br />

d’un syndicalisme de classes moyennes. Par ailleurs, comme l’a montré Kramarz<br />

38 BLEDSTEIN (1976, p. 129) qualifie cette génération de présidents d’université de « porte-parole idéologiques<br />

d’une classe moyenne en expansion ».<br />

39 Aux Etats-Unis, la distinction entre les « professions », autorisées à s’organiser au sein d’associations<br />

professionnelles et les « occupations », relevant de formes d’organisations syndicales adhérant au principe du<br />

« collective bargainig », sera juridiquement sanctionnée par le Taft Hartley Act de 1947 (Tripier, 1991, p. 30).<br />

40 Citons par exemple le cas d’E Hughes et de W. Goode, tous deux sollicités par l’American Psychological<br />

Association au cours <strong>des</strong> années 1950 sur <strong>des</strong> questions de déontologie et d’organisation professionnelle.<br />

57


(1991, p. 10-11), lorsque les personnes sont amenées à déclarer leur profession en situation<br />

d’enquête, elles font davantage référence à un modèle de la « charge », hérité de l’ancien<br />

régime (statut, position ou grade dans la fonction publique ou l’entreprise) qu’à une discipline<br />

ou une spécialité particulière. C’est dire que l’Etat, avec le cortège de catégorisations et de<br />

distinctions qu’il produit, offre plus de ressources en France pour dire sa position que dans un<br />

pays comme les Etats-Unis, où la référence à une affiliation disciplinaire, attestant une<br />

« compétence » reconnue dans un domaine, ou une spécialisation disciplinaire, sera plus<br />

fréquent.<br />

b) La « sociologie <strong>des</strong> professions » en France et aux Etats-Unis :<br />

conditions d’émergence<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Au-delà <strong>des</strong> dimensions d’histoire nationale qui viennent d’être évoquées, l’étude<br />

sociologique <strong>des</strong> professions a vu le jour en France et aux Etats-Unis dans <strong>des</strong> contextes très<br />

différents. Aux Etats-Unis, l’émergence <strong>des</strong> professions comme objet d’étude pour les<br />

sociologues est lié à la professionnalisation de la sociologie elle-même au cours de l’entredeux<br />

guerres, et à sa séparation progressive d’avec la tradition d’enquête sociale et de<br />

journalisme d’où elle était issue (Heilbron, art. cit., p. 65). En effet, jusqu’aux années 1900-<br />

1910, la sociologie américaine, faiblement implantée dans les universités, rassemblait<br />

principalement <strong>des</strong> philanthropes, <strong>des</strong> travailleurs sociaux et plus généralement toute<br />

personne intéressée par l’étude d’une question « sociale » particulière. La référence à un<br />

savoir théorique distant de la réalité et acquis à l’université permit aux sociologues de se<br />

démarquer d’une sociologie trop engagée 41 , et de répondre avec « neutralité » à une demande<br />

croissante d’expertise sociale, qui s’exprima notamment après la crise de 1929 sous la<br />

présidence de Roosevelt. Cette évolution se confirmera dans les décennies suivantes : il n’est<br />

en effet pas hasardeux que l’idéal-type fonctionnaliste <strong>des</strong> professions se soit cristallisé dans<br />

les années 1950, à un moment précisément où la demande sociale en matière d’expertise<br />

sociologique connaissait une très forte croissance, à la fois au sein <strong>des</strong> pays mais aussi dans<br />

les organisations internationales qui se mettent en place après 1945 (UNESCO, ONU…). La<br />

croyance en une sociologie neutre et totalement dégagée <strong>des</strong> contingences sociales constituera<br />

alors le terreau d’un professionnalisme débridé :<br />

« En tant que professionnels – comme universitaires ou comme praticiens – les<br />

sociologues se considèrent essentiellement comme capables de séparer, au nom de<br />

41 BRESLAU (1983) rappelle que Robert E. Park qualifiait les enquêteurs sociaux et les femmes réformistes de<br />

son époque de « fichus bienfaiteurs ». L’écologie humaine sera pour lui le moyen de faire entrer l’enquête<br />

sociale dans une logique plus « scientifique ».<br />

58


leur responsabilité sociale, leur idéologie personnelle de leur rôle professionnel dans<br />

leurs rapports avec leurs clients, leurs publics et leurs pairs. Il est clair que c’est là le<br />

résultat le plus accompli de l’application du concept de professionnalisation à la<br />

sociologie » (Janowitz, 1972)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Là encore, il faut insister sur tout ce qui sépare la France <strong>des</strong> Etats-Unis. En France,<br />

la sociologie <strong>des</strong> professions est venue se « greffer » sur une tradition de sociologie du travail<br />

à deux moments de l’histoire de cette discipline (Gadéa, 2003, pp. 199-216) 42 . Cette greffe<br />

s’est inscrite chaque fois dans un contexte de crise de la discipline : crise d’une confrontation<br />

à de nouveaux objets, que les cadres d’analyse existants permettent difficilement de saisir,<br />

lorsque les sociologues du travail ont commencé à s’intéresser à la question <strong>des</strong> « cadres »<br />

dans les années 1960 ; crise <strong>des</strong> paradigmes explicatifs de la discipline elle-même face au<br />

déclin <strong>des</strong> explications marxistes en terme d’appartenance de classe dans les années 1980-<br />

1990. Lorsque les concepts de « profession » et de « professionnalisation » sont introduits en<br />

France dans les années 1960, via la sociologie industrielle nord-américaine 43 , les sociologues<br />

français manifestent un certain désarroi face à cet objet théorique mal identifié. La plupart <strong>des</strong><br />

sociologues le traduisent dans <strong>des</strong> termes qui reflètent parfaitement les préoccupations de la<br />

sociologie du travail du moment. Pierre Naville, par exemple, dans un texte sur « les<br />

tendances à la professionnalisation » du Traité de sociologie du travail (1964 [1961], pp. 237-<br />

240), interprète la notion dans la seule perspective du salariat. Pour lui, la<br />

« professionnalisation » désigne « l’accès du salarié à un statut déterminé de manière précise,<br />

étendu au plus grand nombre d’aspects possibles de la vie de travail et garanti avec plus ou<br />

moins de force par la loi, les conventions collectives et les contrats d’entreprise » (art. cit., p.<br />

237). Cette évolution s’inscrit donc dans un mouvement historique de salarisation et de<br />

sécurisation du rapport de travail, exprimé par la dissociation croissante entre le travail direct<br />

et les avantages associés à l’exercice de ce travail (salaires, statut, retraites, avantages sociaux,<br />

possibilité de « faire carrière »…) 44 . En réalité, Naville joue sur l’ambiguïté du terme de<br />

"profession" : tout en faisant référence aux travaux anglo-saxons, il s’en tient ici à une<br />

variante du terme français où la « profession », lorsqu’elle est synonyme d’industrie ou de<br />

42 Il faut ajouter que la sociologie <strong>des</strong> professions s’est développée au sein d’autres traditions de la sociologie<br />

française ou francophone, sans toujours ouvrir d’échanges avec la sociologie du travail : la sociologie de l’art<br />

(MOULIN, 1967 ; MENGER, 1983 ; CHAMPY, 1998), la sociologie de la médecine (HERZLICH, 1969 ; ARLIAUD,<br />

1987), la sociologie du droit (KARPIK, 1995), la sociologie <strong>des</strong> religions (WILLAIME, 1986).<br />

43 Dans cette perspective, il est intéressant de noter que l’article de sociologie <strong>des</strong> professions le plus souvent cité<br />

par les sociologues du travail français dans les années 1950 est l’article de Nelson FOOTE (1953) sur la<br />

« professionnalisation » <strong>des</strong> ouvriers de l’automobile à Détroit, qui est finalement très peu représentatif de la<br />

tradition américaine de sociologie <strong>des</strong> professions de cette période.<br />

44 « Le salaire global est de moins en moins la rémunération d’un travail direct, résultant de l’exercice d’un<br />

métier proprement dit. Il devient à la fois le prix d’une tâche et le coût d’un statut garanti par la collectivité. Il est<br />

59


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

branche, désigne davantage un niveau de la négociation collective qu’une classe particulière<br />

d’activités (telle qu’il apparaît dans les « accords de branches professionnelles » par<br />

exemple).<br />

Jean-René Tréanton, dans un texte antérieur à celui de Naville, s’était au contraire<br />

montré bien conscient de la difficulté de transposer terme à terme le concept anglo-saxon à la<br />

réalité française (Tréanton, 1960). Il propose donc de traduire professionalization par deux<br />

mots différents : lorsqu’elle se rattache au mouvement de stabilisation <strong>des</strong> relations de travail<br />

dans l’entreprise ou la branche, Tréanton suggère de recourir au concept de « carriérisation »,<br />

qui s’applique alors plutôt aux métiers manuels. En revanche, lorsqu’il désigne l’organisation<br />

de certaines activités sur le modèle <strong>des</strong> professions anglo-saxonnes, Tréanton propose<br />

d’utiliser le terme d’« ordonnation », puisque l’objectif est d’atteindre le modèle <strong>des</strong><br />

professions « ordonnées » (c’est-à-dire organisées au sein d’un ordre).<br />

Sur quels critères Tréanton fonde-t-il la distinction entre « professions ordonnées » et<br />

« professions carriérisées » ? Un premier critère réside dans la nature du « bagage technique<br />

et théorique » mis en œuvre par les différentes activités : les professions ordonnées font appel<br />

à un savoir théorique complexe, acquis au terme d’une formation universitaire, ce qui n’est<br />

pas le cas <strong>des</strong> professions carriérisées (art. cit., p. 74). Mais le critère le plus important est<br />

ailleurs. Il réside dans le fait que les professions ordonnées répondent à <strong>des</strong> « besoins sociaux<br />

relativement stables » alors que les professions carriérisées répondent à « <strong>des</strong> besoins plus<br />

fluctuants » et que par conséquent « leur statut s’expose aux hasards de la concurrence, aux à-<br />

coups du progrès » (art. cit., p. 79). Il est intéressant de noter qu’à la différence <strong>des</strong><br />

fonctionnalistes, Tréanton ne naturalise pas les savoirs mis en œuvre par les professions. La<br />

science n’est pas pour lui l’attribut suprême <strong>des</strong> professions et il n’y a pas de marche<br />

irréversible vers la rationalité : les savoirs doivent au contraire toujours être mis en rapport<br />

avec <strong>des</strong> besoins sociaux et le système social dans son ensemble. Mais le problème n’est pas<br />

résolu pour autant : la naturalisation est simplement repoussée en amont à travers la<br />

distinction faite par Tréanton entre <strong>des</strong> « besoins sociaux stables » (médecine, justice,<br />

éducation…) et <strong>des</strong> « besoins sociaux fluctuants ». Cette distinction conduit Tréanton à<br />

proposer une représentation du marché du travail divisé en trois niveaux : au sommet, les<br />

professions ordonnées (qui répondent aux besoins sociaux les plus stables), dans l’entre-deux,<br />

<strong>des</strong> professions carriérisées présentant une certaine sécurité, parce qu’elles répondent aux<br />

le signe de plus en plus lâche d’une appartenance à "la profession" » (NAVILLE, art. cit., p. 239)<br />

60


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

besoins sociaux du moment, et à la base <strong>des</strong> activités « anonymes et aléatoires », exposées à<br />

la concurrence.<br />

C’est donc principalement à travers la question du salariat et de son avenir qu’est<br />

abordée, à ses débuts, la sociologie <strong>des</strong> professions en France. Peu de recherches de<br />

sociologie du travail portent sur <strong>des</strong> objets situés en dehors du monde industriel. Le<br />

développement d’une sociologie <strong>des</strong> professions appliquée à l’objet « cadres », entre la fin<br />

<strong>des</strong> années 1960 et le début <strong>des</strong> années 1970 ne fera que confirmer cette tendance générale, en<br />

faisant fonctionner <strong>des</strong> schémas d’opposition simples (professionnalisation /<br />

bureaucratisation ; localisme / cosmopolitisme ; professionnalisme / syndicalisme…). Mais là<br />

encore, seuls les cadres de l’industrie – les <strong>ingénieurs</strong> principalement – retiendront l’attention<br />

<strong>des</strong> sociologues 45 . D’une manière plus générale, on voit bien les difficultés d’une sociologie<br />

imprégnée par le marxisme à aborder <strong>des</strong> objets qui occupent un statut ambigu dans ce cadre<br />

d’analyse, ne formant partie ni du prolétariat ni de la bourgeoisie : en se centrant trop<br />

exclusivement sur les inégalités engendrés par le capitalisme, elle a eu tendance à traiter<br />

davantage la question <strong>des</strong> professions sous l’angle de la stratification sociale que comme une<br />

véritable force politique ou comme un contrepoids à l’Etat et au marché.<br />

Un autre trait caractéristique de cette sociologie, lorsqu’on la compare aux<br />

recherches menées aux Etats-Unis au cours de la même période, est le peu d’attention qu’elle<br />

porte aux situations de travail concrètes <strong>des</strong> professionnels. La nature <strong>des</strong> savoirs portés par<br />

les professions, et l’articulation entre savoirs et pratiques ne font pas partie <strong>des</strong> domaines<br />

d’investigation de la sociologie française de l’époque, notamment si l’on songe aux<br />

recherches menées sur les <strong>ingénieurs</strong>. Les questions qui orientent les recherches relèvent dès<br />

lors davantage d’une macro-sociologie du monde industriel (à travers <strong>des</strong> thèmes comme le<br />

passage du syndicalisme au professionnalisme ; ou de la bureaucratie à l’expertise…), que<br />

d’une véritable sociologie <strong>des</strong> professions. De ce point de vue, les interactionnistes et les<br />

fonctionnalistes sont finalement plus proches que ne laissent supposer les divergences<br />

affichées entre les deux courants : tous deux tentent de faire coexister une sociologie <strong>des</strong><br />

groupes professionnels et de leurs formes d’organisation avec une sociologie de la pratique<br />

professionnelle. Chez Parsons, comme chez Strauss ou Hughes l’étude de la profession<br />

45 Les quelques allusions faites par TOURAINE (1964 [1961], p. 421) à la « professionnalisation <strong>des</strong> cadres<br />

administratifs » <strong>des</strong> entreprises (psychologues, médecins, avocats…) ne suffisent pas à infléchir cette tendance<br />

générale, qui sera confirmée par les recherches de Georges BENGUIGUI, Dominique MONJARDET et Marc<br />

MAURICE sur les <strong>ingénieurs</strong>.<br />

61


médicale et de ses formes d’organisation est indissociable <strong>des</strong> situations de travail<br />

quotidiennes du médecin et, partant, d’une sociologie de la pratique médicale elle-même.<br />

5. Synthèse <strong>des</strong> principaux courants théoriques de la sociologie <strong>des</strong><br />

professions dans leur rapport aux savoirs<br />

a) Essai de typologie<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le tableau I-1 (annexe 1) propose une vue d’ensemble <strong>des</strong> théories présentées<br />

jusqu’ici, en essayant de dégager pour chacune d’elle la conception dominante <strong>des</strong> savoirs.<br />

Au terme de ce premier parcours, on peut résumer le champ <strong>des</strong> relations entre savoirs et<br />

professions comme structuré autour de deux axes :<br />

- Un premier axe oppose <strong>des</strong> approches externes <strong>des</strong> professions (courants néomarxistes<br />

et néo-wébériens, sociologie du travail française…), à <strong>des</strong> approches<br />

internes (fonctionnalistes et interactionnistes). Les termes méritent d’être précisés. Par<br />

approches « internes », nous entendons les théories qui s’intéressent simultanément<br />

aux formes d’organisation <strong>des</strong> professions et à leur pratique, à leur position dans la<br />

division du travail. Les approches « externes » s’intéressent au contraire<br />

principalement au versant extérieur <strong>des</strong> professions, c’est-à-dire à la manière dont<br />

elles s’organisent, dont elles délimitent un marché du travail et conquièrent une<br />

position sociale privilégiée. L’objectif <strong>des</strong> approches externes est tantôt de<br />

perfectionner notre connaissance du fonctionnement général <strong>des</strong> marchés du travail,<br />

tantôt de déceler les mécanismes de domination et de mystification à l’œuvre dans la<br />

construction de ces marchés 46 .<br />

- Un second axe oppose différentes conceptions <strong>des</strong> savoirs à l’œuvre dans les<br />

professions. Certains courants privilégient un principe d’équivalence <strong>des</strong> savoirs, là où<br />

d’autres pensent au contraire que les savoirs <strong>des</strong> professions sont d’une nature<br />

différente de ceux <strong>des</strong> autres occupations (principe de différenciation). Cet axe<br />

redouble en réalité une opposition plus profonde entre les théories qui tiennent l’objet<br />

« profession » pour donné d’avance et celles qui pensent que cet objet, non fondé<br />

46 Les deux perspectives se rejoignent d’ailleurs fréquemment, comme dans la conclusion d’un article de Marc<br />

MAURICE (1972, pp. 223-224), qui appelle simultanément de ses vœux une sociologie <strong>des</strong> professions<br />

d’inspiration marxiste, qui contribuerait à « désenclaver la sociologie <strong>des</strong> professions <strong>des</strong> limites évidentes du<br />

fonctionnalisme » et une sociologie <strong>des</strong> professions qui ne serait « qu’un aspect d’une sociologie de la division<br />

sociale du travail [c’est l’auteur qui souligne] » et rejoindrait ainsi les questionnements de l’économie<br />

institutionnaliste <strong>des</strong> marchés du travail.<br />

62


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théoriquement, n’est en réalité qu’une catégorie de la pratique quotidienne (un « folk<br />

concept », selon les termes de Becker 47 ).<br />

Il est intéressant de noter, à partir du tableau I-1 (annexe 1), que le fait de<br />

s’intéresser à <strong>des</strong> questions générales, comme la « domination » ou la fermeture <strong>des</strong><br />

marchés du travail, n’interdit pas de prendre l’objet théorique « profession » pour donné<br />

d’avance, comme c’est le cas chez Berlant (1975) ou chez Larson (1977) : dans leur<br />

perspective, le concept de profession est un point de départ qui doit être expliqué, non le<br />

résultat d’une construction théorique. On notera aussi que les objets de la sociologie du<br />

travail française ne se confondent jamais totalement avec l’approche anglo-saxonne <strong>des</strong><br />

professions, même lorsque celle-ci se donne pour objet la fermeture <strong>des</strong> marchés du<br />

travail. Ces derniers appliquent leur cadre d’analyse au seul objet profession alors que les<br />

français prétendent l’élargir à l’ensemble <strong>des</strong> occupations. Cette tendance à appliquer une<br />

grille d’analyse néo-wébérienne à l’étude <strong>des</strong> marchés du travail n’est pas absente <strong>des</strong><br />

préoccupations anglo-américaines, mais dans ce cas les auteurs ne se réclament pas de la<br />

sociology of the professions, mais davantage de la sociologie du travail (Haug et Sussman,<br />

1973 ; Burrage, 1990) 48 .<br />

b) Ce qui reste à expliquer : le triptyque savoir/besoin/profession<br />

Il reste à déterminer en quoi les différentes approches théoriques présentées jusqu’à<br />

présent peuvent se révéler ou non pertinentes pour aborder notre objet. Notre interrogation<br />

principale porte sur le déclin relatif d’un segment professionnel face à un autre dans<br />

l’émergence de la psychologie comme profession. Alors que la profession s’était initialement<br />

construite autour d’un discours de la « science » et d’un paradigme 49 expérimentaliste,<br />

dominé par la psychologie du travail et la psychométrie, ses applications actuelles tendent à<br />

l’éloigner de ce modèle pour en faire une pratique tournée vers la clinique et l’examen de cas<br />

toujours singuliers. Les outils et paradigmes orientant la pratique professionnelle <strong>des</strong><br />

psychologues ont connu de profonds changements au cours <strong>des</strong> dernières décennies,<br />

entraînant le rejet <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui avaient fondé, pendant <strong>des</strong> décennies, la « rhétorique<br />

professionnelle » <strong>des</strong> psychologues : la méthode <strong>des</strong> tests.<br />

47 BECKER, 1962.<br />

48 HAUG et SUSSMAN (1973, p. 97) écrivent que les stratégies professionnelles et syndicales « cherchent toutes<br />

deux de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail pour eux et leurs collègues. Les dernières<br />

emploient un dialogue ouvert de droits, deman<strong>des</strong>, réclamations, besoins et privilèges, alors que les premiers<br />

masquent leur agenda derrière les mots de service, gratification, savoir-faire, mystère et privilège ».<br />

49 Nous définissons, à la suite de KUHN (1962), un paradigme comme un ensemble d’éléments théoriques et<br />

conceptuels cohérents « qui servent de cadre de référence à la communauté <strong>des</strong> chercheurs de telle ou telle<br />

63


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Une telle évolution, qui entraîne la « déprofessionnalisation » d’un <strong>des</strong> segments de<br />

la profession – la psychologie du travail – ne peut être comprise par une sociologie <strong>des</strong><br />

professions qui mettrait trop exclusivement l’accent sur les rapports de pouvoir et les<br />

déterminants sociaux <strong>des</strong> professions. Les approches néo-marxistes et néo-wébériennes se<br />

préoccupent en effet très peu <strong>des</strong> activités en voie de « déprofessionnalisation » : si les savoirs<br />

sont toujours <strong>des</strong> « rhétoriques », instrumentalisées par la profession dans une perspective de<br />

clôture de marché (néo-wéberiens), comment comprendre que la profession n’ait pas pu<br />

adapter sa rhétorique à <strong>des</strong> conditions changeantes ? De même, dans une perspective néomarxiste<br />

ou foucaldienne, comment comprendre qu’une profession aussi asservie au capital 50<br />

ou à l’Etat que peut l’être la psychologie du travail ait vu sa place décliner progressivement au<br />

sein de la psychologie ?<br />

Une explication univoque, en termes de déterminants sociaux, ne peut donc suffire à<br />

comprendre les évolutions internes de la psychologie du travail. Il est nécessaire de concevoir<br />

au contraire la sphère <strong>des</strong> savoirs comme le lieu d’évolutions relativement autonomes, qui ne<br />

sont pas la simple transposition, le simple reflet <strong>des</strong> rapports sociaux. De même, les besoins<br />

sociaux auxquels répond la profession sont le lieu d’une constante évolution. Les attentes et la<br />

« demande sociale » formulée à l’égard de la psychologie du travail se sont considérablement<br />

transformées au fil <strong>des</strong> décennies. Au départ outil de répartition rationnelle <strong>des</strong> individus dans<br />

la société, au service de la productivité, elle s’est transformée à partir <strong>des</strong> années 1970 en<br />

technique de gestion sociale du chômage, chargée de panser les plaies d’un marché du travail<br />

déficient.<br />

Le modèle d’explication que nous proposons pour comprendre les évolutions de la<br />

profession repose donc sur trois éléments indissociables : 1) un savoir en évolution<br />

permanente ; 2) une demande sociale en direction de la psychologie du travail ; 3) un groupe<br />

social porteur d’une expertise. Ces trois éléments sont étroitement interdépendants, mais<br />

chacun connaît néanmoins une temporalité et <strong>des</strong> évolutions qui lui sont propres et ne peuvent<br />

se ramener à un facteur explicatif unique. Le projet de Léonard pour étudier la profession<br />

médicale n’est pas différent :<br />

« On doit au moins distinguer trois protagonistes : les conceptions <strong>des</strong> intellectuels<br />

de la médecine, celles <strong>des</strong> praticiens de la médecine et celles <strong>des</strong> populations ; elles<br />

branche scientifique »<br />

50 Les analyses de ce type ont été particulièrement nombreuses dans les années 1950 et 1960. Voir notamment,<br />

sur l’exemple américain : BARITZ (1960) et NAPOLI (1981). Dans le cas français, <strong>des</strong> critiques marxistes de la<br />

psychologie du travail ont été formulées par FOUGEYROLLAS (1951), LE GUILLANT (1951), CANGUILHEM (1994<br />

[1957]), DELEULE (1969).<br />

64


s’opposent en partie. J’aimerais imaginer un modèle explicatif de leurs interactions.<br />

Je suppose qu’il serait très complexe » (Léonard, 1992 [1983], p. 243)<br />

Figure 1 – Relations savoirs/professions/besoin social<br />

Profession<br />

<strong>Savoirs</strong><br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Besoin<br />

Social<br />

L’approche relativiste <strong>des</strong> savoirs telle qu’elle apparaît dans la sociologie<br />

interactionniste ou dans la sociologie du travail française ne nous semble pas non plus<br />

totalement adaptée à notre questionnement, compte tenu du niveau d’analyse auquel nous<br />

nous plaçons. En effet, nous examinons simultanément l’évolution d’une profession et d’une<br />

discipline, car comme nous le verrons dans les chapitres II et III, les transformations internes<br />

de la profession ne peuvent être comprises indépendamment de l’évolution du corpus de<br />

savoirs qui guident et orientent la pratique. Il sera donc nécessaire de disposer d’outils<br />

d’analyse de l’un comme de l’autre. L’une <strong>des</strong> caractéristiques de la profession de<br />

psychologue est précisément de se définir comme un savoir appliqué. Elle s’est développée<br />

en prise directe avec une discipline académique qui lui a apporté sa légitimité, même s’il elle<br />

s’en est progressivement détachée 51 . De ce point de vue, le cadre d’analyse le plus pertinent<br />

pour notre objet est bien la sociologie <strong>des</strong> professions anglo-saxonne puisqu’elle s’intéresse<br />

aux liens qui unissent un « savoir sanctionné » (certified knowledge) et un groupe<br />

professionnel. Laissons provisoirement en suspens la difficile question de savoir si dans leur<br />

pratique quotidienne les savoirs mobilisés par les professions sont d’une nature différente de<br />

ceux mobilisés par les autres travailleurs. Le fait que la profession de psychologue soit<br />

51 A la différence de la sociologie, étudiée par PIRIOU (1999), le segment praticien de la psychologie est bien plus<br />

important que son segment « scientifique ».<br />

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adossée à une discipline académique soulève <strong>des</strong> problèmes différents de ceux que l’on peut<br />

trouver dans d’autres activités qui elles ne se réfèrent pas explicitement à un corps de savoirs<br />

constitué et institutionnalisé.<br />

Si l’on se réfère au graphique I-1 (annexe 1), notre modèle d’analyse se situe donc au<br />

croisement du principe de différenciation <strong>des</strong> savoirs et du modèle interne, c’est-à-dire dans le<br />

quadrant sud-est du graphique. Pour autant, nous ne souhaitons pas développer une approche<br />

« fonctionnaliste » de la profession étudiée. Comme nous l’avons montré, le fonctionnalisme<br />

n’apporte pas véritablement d’outils permettant de comprendre l’évolution conjointe <strong>des</strong><br />

savoirs et d’une profession. Nous n’adhérons pas non plus à la vision téléologique promue par<br />

les auteurs fonctionnalistes qui voient dans la tendance à la professionnalisation généralisée<br />

de la société la conséquence naturelle d’un progrès continu <strong>des</strong> savoirs et de l’expertise. Une<br />

telle représentation ne permet pas de comprendre le processus inverse qui précisément nous<br />

intéresse : celui de la déprofessionnalisation 52 .<br />

Nous nous appuierons principalement sur deux auteurs, Eliot Freidson et Andrew<br />

Abbott, qui tentent de combiner une approche interne <strong>des</strong> professions et le principe de<br />

différenciation <strong>des</strong> savoirs dans le cadre d’un fonctionnalisme renouvelé. En dépit de leurs<br />

profon<strong>des</strong> différences, que nous explorerons, ces deux auteurs partagent une certaine forme de<br />

« réalisme empirique », qui leur permet de relier les analyses micro- et macrosociologique <strong>des</strong><br />

professions.<br />

B. REINTRODUIRE LES SAVOIRS DANS LA THEORIE DES PROFESSIONS<br />

Nous avons montré, dans la section précédente que les savoirs professionnels ont été<br />

successivement abordés par les théories sociologiques comme <strong>des</strong> phénomènes « naturels »<br />

(fonctionnalisme), comme <strong>des</strong> « conventions » négociées par un groupe social<br />

(interactionnisme), puis comme <strong>des</strong> enjeux de pouvoir et de domination (approches néomarxistes<br />

et néo-wéberiennes en termes de monopole). Compte tenu <strong>des</strong> limites de chacune<br />

de ces approches, il nous faut maintenant rechercher <strong>des</strong> théories articulant de manière<br />

satisfaisante professions et savoirs.<br />

Dans notre travail, nous avons choisi de prendre pour point de départ non le « statut<br />

d’emploi » occupé par les professionnels, mais leur formation initiale et la discipline à<br />

laquelle ils se réfèrent. Un tel choix permettait d’éviter plusieurs écueils. D’une part, de<br />

52 Cette téléologie est exprimée par l’un <strong>des</strong> principaux représentants du courant fonctionnaliste, GOODE (1961),<br />

qui écrit qu’ « il ne semble pas y avoir d’exemple de professions qui aient perdu ce statut » (p. 309).<br />

66


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

limiter la population aux seules personnes qui portent effectivement le titre de « psychologue<br />

du travail » dans leur activité professionnelle. Un tel choix aurait limité à l’extrême le champ<br />

de l’enquête puisque seuls auraient été concernés les psychologues du travail exerçant dans un<br />

cadre académique (enseignants chercheurs, chercheurs), dans les services de recrutement de<br />

certaines entreprises publiques (SNCF, RATP, La Poste…) ou dans le champ de la formation<br />

et de l’insertion (AFPA, GRETA, CIBC). D’autre part, cela nous évitait d’avoir à définir a<br />

priori ce que recouvre exactement la « pratique » de la psychologie du travail, ce qui nous<br />

aurait confronté à <strong>des</strong> difficultés quasi insurmontables. Car, qui « fait » de la psychologie ?<br />

De nombreux gestionnaires de ressources humaines ou spécialistes du recrutement<br />

affirmeraient certainement que leur travail inclut une part importante de « psychologie », sans<br />

avoir pour autant reçu de formations dans ce domaine. D’autre part, peut-on par exemple<br />

confondre utilisation de tests psychologiques et psychologie du travail ? Cela n’est pas<br />

certain, d’autant plus que les principales maisons d’édition de tests psychotechniques (EAP et<br />

ECPA) diffusent aujourd’hui leurs tests auprès d’un public de plus en plus large, incluant<br />

notamment les professionnels <strong>des</strong> ressources humaines non psychologues (voir entretien<br />

n°11).<br />

La quasi-totalité <strong>des</strong> personnes interrogées dans le cadre du questionnaire ou <strong>des</strong><br />

entretiens sont donc titulaires d’un DESS de psychologie du travail, c’est-à-dire qu’elles<br />

portent le titre de « psychologue », ou tout au moins sont légalement autorisées à le porter si<br />

elles le souhaitent. La plupart d’entre elles disent également avoir recours à la psychologie du<br />

travail dans leur pratique quotidienne, même si cela se produit dans <strong>des</strong> contextes d’emploi<br />

sensiblement différents. L’entrée par la formation initiale nous permettait donc de mieux<br />

cerner la population étudiée, d’autant plus que la loi de 1985 a le mérite de nous fournir un<br />

critère efficace de délimitation, unanimement accepté au sein de la profession. Cela revient<br />

bien entendu à adopter par d’autres voies une définition « indigène » de la pratique, en<br />

admettant l’équivalence, légalement sanctionnée, entre la dénomination de « psychologue » et<br />

le fait d’avoir obtenu un DESS dans cette discipline, mais cette approche a au moins le mérite<br />

de donner une plus grande prise à la population étudiée.<br />

La sociologie française <strong>des</strong> professions n’est pas coutumière de ce type d’approche<br />

<strong>des</strong> groupes professionnels. La majorité <strong>des</strong> recherches privilégient soit l’étude d’un métier ou<br />

d’une branche d’activité (la profession cheminote, la marine marchande, l’artisanat…), soit<br />

l’étude d’un groupe partageant un même statut d’emploi ou une même position<br />

professionnelle (les médecins du travail, les policiers, les enseignants…). En dehors <strong>des</strong><br />

nombreux travaux du CEREQ (Centre d’étu<strong>des</strong> et de recherches sur l’emploi et les<br />

67


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

qualifications) sur le lien formation/emploi, seul un nombre limité de recherches prend en<br />

compte le rôle de la formation dans les logiques d’identification professionnelle. L’étude<br />

d’Odile Piriou (1999) sur les sociologues est de ce point de vue exemplaire, puisqu’elle<br />

s’intéresse à un groupe dont les frontières ne sont pas tracées a priori (par le statut<br />

notamment) et dont les logiques d’identification peuvent varier d’un secteur à l’autre.<br />

Peut-être faut-il voir dans ce trait dominant de la sociologie <strong>des</strong> professions<br />

française, le reflet du rôle important joué par les pouvoirs publics dans la construction <strong>des</strong><br />

groupes professionnels. Pour reprendre la distinction de McClelland (1990), le statut est<br />

généralement conféré aux professions « d’en haut » (from above) et n’est pas le résultat <strong>des</strong><br />

efforts internes d’un groupe de pression, qui chercherait à valoriser sur un « marché » <strong>des</strong><br />

compétences et une expertise particulières (from within). Comme nous l’avons souligné plus<br />

haut, ce modèle de la certification, que les anglo-saxons qualifient de « credentialism »,<br />

présente <strong>des</strong> affinités avec une logique de marché. A l’inverse, le modèle de la « charge », où<br />

le prestige et le monopole sont conférés par l’Etat, sont beaucoup plus prégnants en France et<br />

plus généralement dans les pays continentaux (Burrage, 1990 ; McClelland, 1990 ; Svensson<br />

et Evetts, 2003, pp. 5-9).<br />

1. Apports et limites <strong>des</strong> approches en termes de segmentation<br />

De quelles ressources théoriques disposons nous pour étudier le rôle joué par la<br />

formation et les affiliations disciplinaires dans les logiques d’identification professionnelle ?<br />

Deux auteurs nous semblent apporter <strong>des</strong> outils théoriques particulièrement pertinents pour<br />

aborder cette question : Anselm Strauss (1992 [1961]), qui propose le concept de « segment<br />

professionnel » et Eliot Freidson (2001, pp. 201-204) celui de « communauté disciplinaire ».<br />

a) Strauss et l’approche en termes de « segment professionnel »<br />

La sociologie interactionniste de Strauss a déjà été brièvement présentée dans la<br />

section précédente. Nous avons montré que sa démarche, essentiellement ethnographique, le<br />

conduisait à mettre sur un même plan les savoirs mobilisés par les différents intervenants<br />

(médecins, infirmières, ai<strong>des</strong>-soignantes…) au sein de l’hôpital psychiatrique. L’une <strong>des</strong><br />

limites d’une telle représentation <strong>des</strong> groupes professionnels est qu’elle ne tient pas compte le<br />

fait que les savoirs formels sont aussi <strong>des</strong> formes institutionnalisées, qui ont par conséquent<br />

une existence relativement indépendante de leur mise en œuvre dans <strong>des</strong> situations<br />

d’interaction. Le lien n’est donc pas établi entre une « sociologie de la connaissance », qui<br />

s’intéresserait aux corpus théoriques, et une sociologie <strong>des</strong> professions, qui s’intéresserait aux<br />

68


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

pratiques et aux « savoirs en acte ». Pour autant, l’interactionnisme de Strauss est<br />

certainement moins radical que celui de Hughes, ou plus encore de Becker. Le concept de<br />

« segment professionnel », qu’il propose dans un article écrit en collaboration avec Bucher<br />

(1992 [1961]) introduit une dimension institutionnelle particulièrement intéressante dans son<br />

approche <strong>des</strong> professions. Les professions sont étudiées dans cet article comme <strong>des</strong><br />

« processus sociaux », c’est-à-dire <strong>des</strong> institutions qui ont une vie propre et <strong>des</strong><br />

développements relativement indépendants <strong>des</strong> membres qui les composent.<br />

Dans leur article, Bucher et Strauss critiquent ouvertement l’approche<br />

fonctionnaliste, qui voit dans les professions <strong>des</strong> « communautés relativement homogènes,<br />

dont les membre partagent identité, valeurs, définition <strong>des</strong> rôles et intérêts » (1992 [1961], p.<br />

68). Une telle conception nourrit l’intérêt de certains fonctionnalistes (Merton par exemple)<br />

pour les étu<strong>des</strong> de socialisation professionnelle, en étudiant la manière dont un nouveau<br />

membre est initié aux valeurs centrales du groupe. Le processus de socialisation vise alors à<br />

accroître la cohésion au sein de la communauté professionnelle. A l’opposé de cette<br />

conception, Bucher et Strauss proposent une vision plus éclatée <strong>des</strong> professions, qui sont<br />

définies comme une « agrégation de segments poursuivant <strong>des</strong> objectifs divers, plus ou moins<br />

subtilement maintenus sous une appellation commune à une période particulière de<br />

l’histoire » (1992 [1961], p. 69). Bien plus que le consensus et l’harmonie, c’est le conflit qui<br />

est la caractéristique principale <strong>des</strong> professions et qui en fait de véritables « mouvements<br />

sociaux » en transformation permanente. Au sein d’une profession, chaque segment<br />

développe <strong>des</strong> identités, <strong>des</strong> pratiques, <strong>des</strong> statuts, <strong>des</strong> lieux de travail différents. Les lignes de<br />

partage entre les segments d’une même profession peuvent être d’origine diverses : elles<br />

peuvent se confondre par exemple avec les « spécialités » (radiologistes, chirurgiens,<br />

pédiatres, psychiatres ; ou, dans le cas de la psychologie : psychologues de la santé, de<br />

l’éducation, du travail). Mais ce n’est là qu’une <strong>des</strong> formes possibles de segmentation.<br />

D’autres types de clivages peuvent naître au sein même <strong>des</strong> spécialités, à la faveur de<br />

divergences méthodologiques ou théoriques (dans le cas <strong>des</strong> psychologues du travail, une<br />

ligne de partage particulièrement nette oppose les « différentialistes », les « psychologues<br />

sociaux » et les « psychopathologistes du travail », les uns tournés vers les tests alors que les<br />

autres s’intéressent davantage aux problèmes liés aux groupes sociaux ou aux problèmes<br />

pathologiques tels que la fatigue ou le stress au travail). Le type de clientèle, ou les lieux de<br />

travail, sont également <strong>des</strong> lignes de clivage importantes dans toute profession : quoi de<br />

commun entre un avocat d’affaire et un avocat commis d’office dans <strong>des</strong> affaires pénales ;<br />

entre un médecin généraliste et un chirurgien ? L’établissement ayant dispensé la formation<br />

69


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

peut également être source de segmentation. C’est notamment le cas en France, où existent<br />

<strong>des</strong> tensions entre les <strong>ingénieurs</strong> issus de gran<strong>des</strong> écoles et ceux formés à l’université ou dans<br />

<strong>des</strong> écoles de « second rang ». Cela a également été le cas en psychologie, où une différence<br />

s’est longtemps maintenue entre les psychologues titulaires de la licence de psychologie et<br />

ceux issus <strong>des</strong> autres formations apparues avant la licence, et à vocation plus<br />

« professionnelle » (INETOP, CNAM, Institut de psychologie de la Sorbonne).<br />

D’une façon plus générale, l’intérêt d’une approche en terme de « segmentation » est<br />

de montrer que toute profession est le lieu d’un mouvement dialectique permanent entre unité<br />

et diversité, consensus et conflit. La profession apparaîtra « une » ou « divisée » au gré <strong>des</strong><br />

circonstances : elle peut resserrer ses rangs et devenir visible, lorsqu’il s’agit d’obtenir <strong>des</strong><br />

avantages économiques ou matériels, ou de gagner une reconnaissance officielle (ce fut le cas<br />

lorsque tous les « segments » de la psychologie se rassemblèrent, entre 1980 et 1985, pour<br />

obtenir une protection légale du titre de psychologue). Le titre devient alors la bannière<br />

officielle, le plus petit dénominateur commun derrière lequel tous les membres de la<br />

profession acceptent provisoirement de se réunir. Dans d’autres circonstances, la<br />

« profession » (qui d’ailleurs n’a d’existence visible qu’à l’occasion de ces manifestations<br />

sporadiques) peut demeurer invisible ou rester dominée par les oppositions et les conflits.<br />

Le recours à la notion de segment présente également l’avantage d’introduire une<br />

dimension historique au sein d’un interactionnisme qui limite trop souvent son horizon à<br />

l’« ici » et au « maintenant ». Bien que ce programme n’ait pas été poussé à son terme par<br />

Strauss lui-même, il l’a été par l’un de ses disciples, Abbott (1988) que nous présenterons<br />

dans la section suivante et dont l’analyse en terme de « juridiction » (jurisdiction) n’est pas<br />

sans lien avec celle de segment 53 . Pour Bucher et Strauss (1992 [1961]) les segments se<br />

transforment au fil du temps, au gré de l’apparition de nouveaux segments, <strong>des</strong> relations avec<br />

les métiers voisins, <strong>des</strong> changements dans les conditions de travail etc. Appliqué à notre objet,<br />

ce recul historique est nécessaire pour comprendre la situation actuelle de la psychologie du<br />

travail : autrefois dominant au sein de la profession, ce segment s’est trouvé progressivement<br />

marginalisé en raison du discrédit jeté sur la méthode <strong>des</strong> tests, de la montée en puissance de<br />

la psychologie clinique et du développement <strong>des</strong> applications de la psychologie dans d’autres<br />

domaines (psychologie ergonomique, neuro-psychologie, psycho-gérontologie…). Nous<br />

53 Le concept de juridiction désigne chez ABBOTT (1988) le lien entre une profession et le contenu de son travail.<br />

Le principal avantage de cette notion par rapport à celle de profession est qu’elle déplace la question de la<br />

sociologie <strong>des</strong> professions <strong>des</strong> formes institutionnelles vers celle de la division du travail et de la répartition <strong>des</strong><br />

activités de travail entre différents groupes sociaux plus ou moins bien organisés.<br />

70


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

proposons de nous situer dans un cadre temporel qui remonte jusqu’aux origines de la<br />

psychologie appliquée, c’est-à-dire à la période de l’entre-deux guerres, pour comprendre les<br />

évolutions de ce segment par rapport à l’ensemble de la psychologie.<br />

Une approche en termes de « segments » se révèle particulièrement féconde pour<br />

comprendre les transformations de la psychologie du travail. Les processus de segmentation<br />

jouent en effet à deux niveaux :<br />

1) au sein de la configuration de la profession de psychologue dans son ensemble, où la<br />

position de la psychologie du travail a considérablement évolué au cours <strong>des</strong> dernières<br />

décennies, passant d’une position dominante dans les années 1950 à une situation<br />

relativement marginale aujourd’hui. Le segment auquel nous nous intéressons a connu <strong>des</strong><br />

appellations diverses au cours de son histoire : désignée d’abord comme « psychologie<br />

appliquée » ou « techno-psychologie » dans les années 1920-1930, le terme de<br />

« psychotechnique » a été consacré dans la période 1940-1970, avant d’être supplanté par<br />

celui de « psychologie du travail » au début <strong>des</strong> années 1970 54 . Les termes de<br />

« psychodynamique du travail » et de « psychologie ergonomique » semblent être aujourd’hui<br />

en voie d’officialisation, mais ils désignent deux orientations très différentes, qui peuvent<br />

conduire à un éclatement de la psychologie du travail. Ces termes désignent bien l’existence<br />

d’une ligne directrice tout au long de la période, d’une certaine continuité dans la position<br />

relative de la « psychologie du travail » par rapport aux autres segments qui composent la<br />

psychologie. Mais une étude plus attentive montrerait également les influences et les<br />

emprunts réciproques (le choix du terme de « psychologie du travail », préféré à celui de<br />

psychotechnique, révèle bien par exemple l’influence croissante de la psychologie clinique<br />

sur l’ensemble du champ de la psychologie).<br />

2) Mais, et c’est là un second niveau de segmentation, la psychologie du travail elle-même est<br />

loin d’être homogène : les différences de clientèles et de situation d’emploi sont à la source de<br />

profonds clivages entre psychologues travaillant dans le domaine de l’insertion ou de la<br />

formation professionnelle, et ceux travaillant par exemple en cabinet de recrutement ou dans<br />

les ressources humaines. Les références théoriques <strong>des</strong> psychologues différentialistes sont aux<br />

antipo<strong>des</strong> de celles <strong>des</strong> psychosociologues ou <strong>des</strong> tenants d’une psychologie « pathologique »<br />

du travail. La profession ne constitue donc pas un « tout » homogène, défini par un statut<br />

d’emploi ou le recours à <strong>des</strong> techniques précises. Elle est au contraire une forme sociale<br />

54 Voir le lexique <strong>des</strong> différentes branches de la discipline, annexe 8.<br />

71


fluctuante, qui évolue au gré <strong>des</strong> alliances ou conflits entre les différents segments qui la<br />

composent.<br />

Avant de présenter la démarche de Freidson, il nous semble important d’élargir la<br />

notion de « segment », telle qu’elle apparaît chez Strauss, en soulignant les nombreuses<br />

proximités qu’elle présente avec les points de vue développés par deux auteurs qui ne se<br />

réclament pas de la « sociologie <strong>des</strong> professions », mais dont les réflexions peuvent enrichir<br />

ce débat : Norbert Elias et Pierre Bourdieu.<br />

b) Norbert Elias et la profession de marin : les professions comme<br />

« configurations »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La sociologie de Norbert Elias ne fait pas partie du corpus généralement mobilisé en<br />

sociologie <strong>des</strong> professions. Cet auteur a pourtant apporté une contribution très éphémère à ce<br />

domaine dans un article publié en 1950 sur la « genèse de la profession de marin » en Grande-<br />

Bretagne (Elias, 1950). A travers sa définition <strong>des</strong> professions, Elias entend développer une<br />

théorie plus générale de la genèse <strong>des</strong> institutions. Pour lui, « les professions sont, (…) dans<br />

leur forme pleinement achevée, <strong>des</strong> systèmes institutionnalisés de relations humaines<br />

[souligné par nous] » 55 (1950, p. 291). Cette définition est bien conforme au point de vue<br />

développé ailleurs par Elias (1969 ; 1993), au travers duquel il cherche à sortir <strong>des</strong><br />

oppositions factices entre « individu » et « société », à travers la notion de « configuration » 56 .<br />

Celle-ci désigne les formes multiples d’interdépendance entre les individus, qui à la fois<br />

contraignent les actions individuelles et sont constitutives du jeu social au sein duquel elles<br />

s’inscrivent. La métaphore du jeu, souvent employée par Elias, est particulièrement<br />

éclairante :<br />

« Quatre hommes assis autour d’une table pour jouer aux cartes forment une<br />

configuration. Leurs actes sont interdépendants (…) Ce qu’il faut entendre par<br />

configuration, c’est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs ;<br />

elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les<br />

relations réciproques » (Elias, 1993, p. 157)<br />

Les configurations peuvent être de dimensions variables. Elles peuvent concerner<br />

une partie de carte, comme les rapports sociaux entre le roi et sa cour ou encore les relations<br />

entre les Etats-Unis et l’URSS pendant la Guerre Froide. De ce point de vue, Elias penche<br />

davantage du côté d’une macro-sociologie que de l’interactionnisme, malgré les ambiguïtés<br />

55 “Professions are (…) in their fully developed form, institutionalized sets of human relationships” (1950, p.<br />

291).<br />

56 On peut bien voir, dans cet article de 1950, les prolongements d’intuitions formulées antérieurement par Elias.<br />

En effet, bien que La Société de cour n’ait été publié qu’en 1969, Elias en avait achevé la rédaction dès 1933.<br />

72


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contenues dans le concept d’interdépendance. Il reproche d’ailleurs à cette dernière théorie<br />

d’être « incapable de faire avancer la recherche sociologique empirique » puisqu’elle s’appuie<br />

sur l’idée d’un « individu totalement autonome, renfermé sur lui-même, un homo clausus ».<br />

Elle se barre dès lors l’accès aux « aspects <strong>des</strong> rapports humains qui fournissent le cadre à<br />

leurs interactions » (op. cit., p. 151). La notion d’interdépendance est préférée à celle<br />

d’interaction car elle traduit mieux les déterminations multiples <strong>des</strong> actions individuelles,<br />

chaque individu se situant au carrefour de réseaux de contraintes multiples.<br />

Dans cette problématique générale, la naissance d’une nouvelle profession peut être<br />

vue, elle aussi, comme le produit d’une « configuration » sociale particulière. L’individu<br />

membre d’une profession se trouve en effet engagé dans une entreprise collective dont l’issue<br />

lui échappe partiellement. Génération après génération, les membres d’une profession peuvent<br />

se heurter aux mêmes problèmes, aux mêmes difficultés, sans pouvoir y apporter de solution<br />

définitive. Cette configuration révèle l’interdépendance étroite entre différents groupes, à la<br />

fois alliés et adversaires dans ce projet de mobilité collective :<br />

« La naissance d’une nouvelle profession (…) est, fondamentalement un processus<br />

d’essai et d’erreurs par lequel les gens essaient de faire correspondre <strong>des</strong> techniques<br />

ou <strong>des</strong> institutions professionnelles avec <strong>des</strong> besoins humains. Chaque étape<br />

franchie dans cette direction est exécutée par <strong>des</strong> individus. Pourtant, le processus en<br />

lui-même, le développement et la genèse d’une profession, ou de toute autre<br />

occupation, est plus que la somme totale <strong>des</strong> actes individuels. Il suit un schéma qui<br />

lui est propre » (1950, p. 291)<br />

Le modèle sous-jacent est un modèle séquentiel d’allers-retours entre les actions<br />

individuelles et l’ensemble plus large au sein duquel elles s’insèrent. On notera les affinités<br />

entre ce modèle et l’assimilation <strong>des</strong> professions à <strong>des</strong> « mouvements sociaux » chez Bucher<br />

et Strauss.<br />

L’exemple sur lequel Elias s’appuie est la professionnalisation du métier d’officier<br />

de marine en Grande-Bretagne entre le quinzième et le début du dix-huitième siècle. Il montre<br />

que cette profession est le résultat d’une fusion lente et difficile entre deux groupes d’officiers<br />

socialement très différents : <strong>des</strong> « marins » issus <strong>des</strong> classes moyennes et formés par<br />

apprentissage aux techniques de la navigation (les « tarpaulins ») 57 , et <strong>des</strong> « militaires »,<br />

d’origine aristocratique, connaissant la stratégie et l’art de la guerre (les gentlemen). Les<br />

membres de ce dernier groupe ne pouvaient combiner les deux fonctions de militaire et de<br />

marin leur ethos aristocratique leur interdisant de pratiquer un métier « artisanal » et<br />

Sur ce point, voir la préface de Roger Chartier à La Société de cour (1985, p. VII).<br />

57 Les tarpaulins étaient <strong>des</strong> capitaines de navire, formés par apprentissage dès l’âge de 10 ans. Ils exerçaient<br />

principalement dans le domaine de la marine de commerce et étaient réunis en corporation.<br />

73


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nécessitant un long apprentissage, comme celui de marin. Au-delà de l’intérêt du texte pour<br />

une théorie <strong>des</strong> professions, on y voit donc se <strong>des</strong>siner sur un autre registre l’opposition<br />

classique chez Elias entre « noblesse de cour » et « classe moyenne », caractéristique d’un<br />

grand nombre de configurations qu’il a étudiées (la société de cour au temps de Louis XIV, le<br />

processus de civilisation, la relation entre Mozart et l’aristocratie…).<br />

Tarpaulins et gentlemen étaient étroitement interdépendants, au sens où l’entend<br />

Elias, c’est-à-dire que les actions <strong>des</strong> uns étaient contraintes et délimitées par l’espace ouvert<br />

par les actions <strong>des</strong> autres, comme dans un jeu. La noblesse militaire nourrissait un profond<br />

mépris à l’égard <strong>des</strong> tarpaulins, mais elle ne pouvait mener à bien sa mission guerrière qu’en<br />

s’appuyant sur les compétences maritimes de ces derniers. Il n’était d’ailleurs pas rare que les<br />

décisions prises par les tarpaulins interfèrent avec celles <strong>des</strong> gentlemen : Elias consacre dans<br />

un autre texte de longs développements au conflit entre Francis Drake (lui-même tarpaulin) et<br />

le commandant de son navire, Thomas Doughty. Bien que d’un statut social supérieur aux<br />

tarpaulins, les gentlemen ne disposaient donc pas d’un pouvoir illimité à bord <strong>des</strong> navires.<br />

Leur compétence s’arrêtait là où commençait le domaine de la technique navale. Pour<br />

comprendre la situation d’interdépendance <strong>des</strong> militaires, il faut quitter l’espace étroit du<br />

navire, et se projeter dans la société anglaise de l’ancien régime, qui oppose les « occupations<br />

nobles » et les « occupations viles », interdites au gentlemen. Les interdépendances à<br />

l’intérieur du navire sont donc le prolongement de processus sociaux situés en amont.<br />

Ce n’est qu’après deux siècles d’âpres rivalités entre tarpaulins et gentlemen qu’une<br />

profession d’officier de marine, combinant la maîtrise <strong>des</strong> techniques navales et <strong>des</strong><br />

techniques de guerre, pourra voir le jour en Grande-Bretagne. Comme chez Simmel (1995), le<br />

conflit a chez Elias une fonction intégratrice, un rôle dynamique et structurant dans la genèse<br />

de la profession. Elias élargit ce propos à toute institution (1950, p. 308) :<br />

« Si l’on essayait d’élaborer une théorie générale de la genèse <strong>des</strong> institutions, on<br />

pourrait probablement dire que le conflit initial est l’une <strong>des</strong> caractéristiques<br />

fondamentales d’une institution naissance »<br />

L’exemple d’Elias peut être généralisé. La diversité et le conflit sont certainement le<br />

lot de toute profession naissante : la « professionnalisation » consiste alors à rassembler dans<br />

une même entreprise <strong>des</strong> ressources et <strong>des</strong> éléments qui étaient au départ disparates et<br />

hétérogènes. Nous verrons que ce modèle, qui attribue un rôle structurant au conflit entre les<br />

segments d’une profession dans la constitution d’un ensemble plus vaste se révèle d’une<br />

grande pertinence lorsqu’on l’applique au cas de la psychologie française entre 1950 et 1985.<br />

L’obtention en 1985 d’une loi protégeant un titre unique de « psychologue » pour tous les<br />

74


champs d’application de la psychologie peut être vu comme le produit d’un conflit intégrateur<br />

qui opposait les différents segments de la profession depuis le début <strong>des</strong> années 1960 et la<br />

mise en place du « Comité de liaison <strong>des</strong> organisations de psychologues » (1964). La structure<br />

même du principal organisme de représentation professionnelle actuel (qui est une fédération<br />

d’une vingtaine d’associations), montre bien la forte segmentation de la profession en France,<br />

à l’opposé de ce qui existe dans la plupart <strong>des</strong> autres pays 58 . L’obtention du titre de<br />

psychologue, pas plus que la constitution d’une profession unifiée d’officier de marine en<br />

Grande-Bretagne au début du XIX e siècle, n’éteint pas pour autant définitivement les conflits<br />

qui ont précédé l’unification de ces professions : celles-ci peuvent rester profondément<br />

divisées derrière une unité de façade.<br />

c) Les professions comme « champs » : Bourdieu<br />

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La sociologie de Pierre Bourdieu permet elle aussi d’enrichir le contenu de la notion<br />

de « segment », formulée par Strauss. Comme Elias, Bourdieu insiste sur le rôle du conflit, de<br />

la dynamique qui habite toute profession. Mais, alors qu’il y a un certain évolutionnisme dans<br />

la sociologie d’Elias, dans laquelle le conflit débouche sur une synthèse entre ses différents<br />

éléments, celui-ci est au contraire toujours « ouvert » chez Bourdieu, il est la traduction d’un<br />

rapport de forces qui se reproduit en permanence au sein de la profession. Pour Bourdieu, les<br />

professions, au sens anglo-saxon du terme, sont avant tout <strong>des</strong> constructions sociales.<br />

L’analyse <strong>des</strong> professions est donc rabattue sur une approche plus générale en terme de<br />

champs, qui sont d’abord et avant tout, <strong>des</strong> « champs de bataille » :<br />

« Profession est un mot du langage commun qui est passé en contrebande dans le<br />

langage scientifique ; mais c’est surtout une construction sociale, le produit de tout<br />

un travail social de construction d’un groupe et d’une représentation de ce groupe,<br />

qui s’est glissé en douce dans la science du monde social (…) Mais si, prenant acte<br />

de l’espace <strong>des</strong> différences qu’a dû surmonter le travail d’agrégation qui a été<br />

nécessaire pour construire la profession, je me demande s’il ne s’agit pas d’un<br />

champ, alors tout devient difficile. Comment tirer un échantillon dans un champ ?<br />

Si, dans une étude du champ de la magistrature, vous ne tirez pas le président de la<br />

Cour suprême, ou si, dans une étude sur le champ intellectuel en France en 1950,<br />

vous ne tirez pas Jean-Paul Sartre, votre champ est détruit, parce que ces<br />

personnages marquent, à eux tout seuls, une position » (1992, p. 212)<br />

En poursuivant l’analogie entre le concept de « profession » et celui de « champ »,<br />

on peut voir toute profession comme un espace de lutte pour le monopole d’une compétence<br />

légitime, au cours de laquelle les différents segments cherchent à s’approprier le pouvoir de<br />

58 Les structures de représentation <strong>des</strong> psychologues ont soit pris la forme d’une association professionnelle<br />

(Grande-Bretagne, Etats-Unis, Allemagne), soit d’un ordre (Espagne, Canada). La France est le seul pays où la<br />

psychologie soit représentée par une fédération d’associations (voir tableau II-7, annexe 2)<br />

75


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dire ce qui constitue le cœur, le noyau central de l’activité professionnelle. Ce point de vue<br />

introduit, plus explicitement que ne le fait Strauss, le rôle <strong>des</strong> divergences théoriques comme<br />

ligne de clivage au sein <strong>des</strong> professions, permettant de relier plus étroitement sociologie <strong>des</strong><br />

sciences et sociologie <strong>des</strong> professions. Ainsi, peuvent entrer dans le champ professionnel <strong>des</strong><br />

capitaux extérieurs, provenant notamment du champ scientifique : comme nous le verrons, la<br />

professionnalisation d’un certain type de psychologie appliquée, aux bases essentiellement<br />

expérimentales, dans l’entre-deux guerres en France tient pour partie à l’action déterminante<br />

de gran<strong>des</strong> figures du monde scientifique comme Henri Piéron ou Henri Laugier.<br />

Inversement, l’influence croissante de Daniel Lagache puis de Didier Anzieu après 1950<br />

donnera une tonalité nettement plus clinique à l’ensemble de la profession. Une telle situation<br />

n’est possible que parce qu’existe une circulation de capitaux entre le monde scientifique et le<br />

monde professionnel. L’influence du noyau constitué autour <strong>des</strong> personnes de Henri Piéron<br />

ou de Laugier entre 1930 et 1950 s’explique par leur position de passeurs, d’intermédiaires<br />

entre le monde scientifique, le monde industriel et l’opinion publique. C’est donc<br />

l’accumulation de capitaux dans chacun de ces « champs » qui explique la naissance d’un<br />

modèle professionnel au cours de la période. Les influences pourtant ne sont pas à sens<br />

unique, comme le suggère notre schéma (figure 1 supra) : si la science institutionnalisée<br />

exerce une influence sur la profession, elle n’est pas non plus à l’abri <strong>des</strong> contingences<br />

sociales 59 . Elle subit les influences combinées de la profession et de la « demande sociale » 60 .<br />

Le passage à la fin <strong>des</strong> années 1960 de la figure du « psychotechnicien » à celle du<br />

« psychologue du travail », au domaine de compétence plus large, est tout à la fois le résultat<br />

de transformations de la demande sociale (demande d’expertise en matière de formation<br />

professionnelle et d’insertion notamment) et du souhait <strong>des</strong> psychotechniciens de ne plus se<br />

cantonner à <strong>des</strong> missions jugées trop étroites. En retour, ces évolutions alimenteront de<br />

nouveaux domaines de recherche pour une science alors « en crise », prise en étau entre<br />

59 « L’univers "pur" de la science la plus "pure" est un champ social comme un autre, avec ses rapports de force<br />

et ses monopoles, ses luttes et ses stratégies, ses intérêts et ses profits » (BOURDIEU 1976, p. 89)<br />

60 Une telle conception va bien entendu à l’encontre du point de vue défendu par PIERON dans le Traité de<br />

psychologie appliquée (1959, Vol. VII, p. 1395), où sont distinguées une « science pure » et une « science<br />

appliquée », la première dédiée à « l’élargissement de nos connaissances », « la découverte, par exploration, de<br />

ce qui reste encore inconnu », alors que les efforts de la seconde porteraient sur « l’utilisation <strong>des</strong> connaissances<br />

nouvelles et l’élaboration <strong>des</strong> techniques grâce auxquelles l’humanité peut pleinement profiter <strong>des</strong> progrès de la<br />

science ». Une telle division du travail, qui donne la part belle à une science pure et désintéressée, est tout entière<br />

contredite par l’histoire de la psychologie du travail, comme l’avait relevé LAHY dès 1932 (p. 276) : « Les<br />

applications de la psychotechnique se confondent avec l’expérimentation. Cela n’a rien de spécial. La genèse et<br />

l’évolution <strong>des</strong> sciences sont assez connues pour que nous n’entreprenions pas de démontrer que ce sont les<br />

préoccupations pratiques qui se trouvent à l’origine <strong>des</strong> sciences ». Voir encore le point de vue exprimé par<br />

REUCHLIN (1971, p. 28) : « la psychologie appliquée tout entière a été orientée en partie, dans son<br />

développement, par certains facteurs sociaux »<br />

76


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l’ergonomie (qui la concurrençait par une surenchère de « scientificité ») et la psychologie<br />

clinique (qui la tirait vers un paradigme différent de celui autour duquel elle s’était construite<br />

la psychologie du travail).<br />

Bien qu’utile pour comprendre les principes de division internes d’une profession,<br />

une approche en termes de « champs » ne permet pas d’éviter les écueils qui ont été évoqués<br />

dans la section précédente, puisque là encore, seule la dimension « rhétorique » <strong>des</strong> savoirs<br />

est prise en compte. Leur évolution n’est interprétée que dans la perspective de fermeture d’un<br />

marché du travail. A la limite, n’importe quel savoir pourrait être « vendu », pourvu que le<br />

groupe parvienne à convaincre <strong>des</strong> clients qu’ils en ont effectivement besoin. Or l’examen de<br />

la psychologie du travail montre que les évolutions internes de la discipline n’ont pas été<br />

systématiquement guidées par ce principe de fermeture. Comme nous le verrons, les<br />

transformations récentes de ce segment professionnel (depuis les années 1970) tiennent<br />

davantage à <strong>des</strong> clivages disciplinaires et à l’évolution du rapport de forces entre psychologie<br />

clinique et psychologie expérimentale qu’à tout autre facteur. Plutôt qu’un modèle purement<br />

causal, qui voit dans les changements <strong>des</strong> savoirs un simple prétexte, il faut privilégier un<br />

modèle séquentiel d’allers et retours entre une « profession » et une « discipline », qui ont<br />

chacune une relative autonomie et une durée structurale qui leur est propre.<br />

2. Les savoirs comme sources de segmentation <strong>des</strong> professions<br />

Un modèle séquentiel doit être en mesure d’expliquer les interactions entre les<br />

changements survenant dans la sphère de production <strong>des</strong> savoirs et ceux touchant les<br />

configurations professionnelles. Comment une transformation d’ordre scientifique affecte-telle<br />

une profession et ses mo<strong>des</strong> d’organisation ? Cette question est bien au cœur de notre<br />

recherche puisque la psychologie du travail s’est construite, <strong>des</strong> années 1920 aux années 1970<br />

autour d’un paradigme positiviste et expérimentaliste 61 qui a donné naissance à la profession<br />

de « psychotechnicien » et qu’elle doit aujourd’hui redéfinir sa place face au déclin de ce<br />

paradigme au sein d’une psychologie française dominée par la clinique. Le traitement de cette<br />

question n’échappe pas aux grilles d’analyse présentées précédemment puisqu’elle a été<br />

abordée successivement dans un cadre fonctionnaliste (Toren, 1975), néo-marxiste (Jamous et<br />

Peloille, 1973) puis constructionniste (Abbott, 1988).<br />

61 Les origines de cette conception expérimentaliste de la psychologie, adossée au modèle <strong>des</strong> sciences de la<br />

nature, sont en réalité bien antérieures aux années 1920 et remontent aux recherches de Wundt (1832-1920) en<br />

Allemagne dans les années 1860. Voir infra.<br />

77


a) Un point de vue fonctionnaliste sur le phénomène de<br />

« déprofessionnalisation »<br />

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Dans son analyse du phénomène de « déprofessionnalisation », Nina Toren (1975)<br />

s’appuie sur l’idéal type <strong>des</strong> professions élaboré par la sociologie fonctionnaliste, notamment<br />

par Goode (1969, pp. 276-279), qui retient, comme nous l’avons vu, deux traits fondateurs<br />

(generating traits) du phénomène professionnel : l’existence d’une base théorique<br />

suffisamment importante et formalisée (« knowledge base ») et un idéal de service, qui met le<br />

professionnel à l’abri de tout soupçon d’égoïsme (« service ideal »). Une fois le phénomène<br />

professionnel naturalisé de la sorte, il est relativement aisé de définir en quoi consiste la<br />

« déprofessionnalisation » : celle-ci n’est rien d’autre que la perte de l’un ou l’autre de ces<br />

deux attributs. L’auteur se concentre tout particulièrement sur les transformations de la base<br />

théorique <strong>des</strong> professions, à travers l’exemple <strong>des</strong> comptables et <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>. Ces deux<br />

groupes sont exposés à une menace de déprofessionnalisation, en raison de deux facteurs : 1)<br />

la possibilité de rationaliser ou d’automatiser une partie de leur travail sous forme de logiciels<br />

informatiques 2) le rythme de changement rapide de leur base théorique.<br />

Pour les comptables, deux éléments ont contribué à fragiliser les bases théoriques de<br />

la profession : il s’agit d’une part d’une routinisation croissante du travail, permise par les<br />

développements de l’informatique, et d’autre part du développement de normes nationales et<br />

internationales en matière de pratiques comptables, qui a enlevé à la profession une partie de<br />

sa liberté et de son caractère ésotérique. D’activité essentiellement intellectuelle, la<br />

comptabilité serait devenue une simple technique, pratiquée avec une marge de manœuvre<br />

très étroite, d’où une « déprofessionnalisation » <strong>des</strong> comptables (Toren, 1975, pp. 330-331).<br />

La profession d’ingénieur subit un sort sensiblement différent : ici, c’est surtout<br />

l’accélération du rythme du progrès technologique qui expose les <strong>ingénieurs</strong> à une<br />

« déprofessionnalisation » rapide, en rendant leurs savoirs rapidement obsolètes. Ils doivent<br />

donc se former régulièrement, au risque de subir une dévalorisation <strong>des</strong> savoirs acquis en<br />

cours de formation initiale 62 . Ceci est particulièrement net pour les <strong>ingénieurs</strong> en<br />

informatique, compte tenu <strong>des</strong> évolutions très rapi<strong>des</strong> de ce secteur : <strong>des</strong> langages de<br />

programmation encore enseignés il y a moins d’une quinzaine d’années sont aujourd’hui<br />

devenus totalement inutiles pour la majorité <strong>des</strong> informaticiens (Abbott, 1988, p. 93). Cette<br />

situation trouve toutefois une solution dans l’organisation <strong>des</strong> carrières d’ingénieur au sein<br />

62 Une analyse plus détaillée de l’impact de l’obsolescence rapide du système de connaissances <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong><br />

sur leurs trajectoires professionnelles se trouve dans PERRUCCI et ROTHMAN (1969)<br />

78


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<strong>des</strong> entreprises, qui leur donne en général la possibilité de passer d’un poste de spécialiste à<br />

un poste de généraliste, offrant un meilleur statut et de plus gran<strong>des</strong> garanties de carrière 63 . La<br />

fragilité de la base théorique de la profession expliquerait toutefois, dans une perspective<br />

fonctionnaliste, que la profession en elle-même ne soit pas parvenue à se professionnaliser<br />

complètement, même si les <strong>ingénieurs</strong> parviennent individuellement à <strong>des</strong> postes de pouvoir<br />

au sein <strong>des</strong> entreprises. On regrettera que Toren ne s’intéresse pas aux professions favorites<br />

de la sociologie fonctionnaliste : les médecins et les juristes. Mais l’inscription de l’auteur<br />

dans une perspective étroitement fonctionnaliste lui interdit certainement de voir les<br />

mouvements de déprofessionnalisation qui peuvent être à l’œuvre dans ces deux « piliers » du<br />

modèle fonctionnaliste. On pourrait pourtant s’interroger sur la manière dont les<br />

transformations du savoir juridique ou médical affectent ces deux professions. Les juristes,<br />

comme les comptables, doivent se tenir informés de l’évolution d’un corpus juridique en<br />

accroissement permanent. Le savoir <strong>des</strong> médecins, comme celui <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>, peut lui aussi<br />

se révéler rapidement obsolète, compte tenu <strong>des</strong> progrès rapi<strong>des</strong> de la recherche bio-médicale,<br />

réalisée non par <strong>des</strong> médecins mais par <strong>des</strong> biologistes, <strong>des</strong> physiologistes ou <strong>des</strong> spécialistes<br />

d’autres disciplines. Par ailleurs, l’apparition sur le marché d’appareillages médicaux d’une<br />

complexité croissante ôte aux médecins une partie de leur pouvoir : ils sont de plus en plus<br />

fonctionnellement dépendants de techniciens ou de spécialistes d’autres disciplines (Freidson,<br />

2001, pp. 191-192) 64 .<br />

L’analyse de Toren présente une autre limite du point de vue de notre propre<br />

recherche : les mouvements auxquels elle s’intéresse sont d’une ampleur limitée : il s’agit de<br />

simples transformations d’ordre technique, qui ne sont pas à proprement parler <strong>des</strong><br />

changements de « paradigme » au sein d’une discipline. Les transformations mises en<br />

évidence par Toren (informatisation et accélération du rythme de production <strong>des</strong><br />

connaissances) ne sont d’ailleurs pas absentes de l’univers de la psychologie du travail :<br />

l’informatique a contribué à mécaniser la passation d’un grand nombre de tests<br />

psychotechniques, autrefois monopole quasi exclusif <strong>des</strong> psychologues du travail. Elle a<br />

permis à <strong>des</strong> non psychologues d’utiliser eux aussi ces logiciels de passation de tests,<br />

63 Selon ABBOTT (1988, p. 180), plus de 50% <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong> occupent <strong>des</strong> positions généralistes au sein <strong>des</strong><br />

entreprises, totalement détachées de la production.<br />

64 Cette évolution est sensible au sein même <strong>des</strong> facultés de médecine : « Alors que pendant l’Age d’Or [de la<br />

profession médicale] les facultés de médecine étaient dominées par <strong>des</strong> médecins, entourés de quelques docteurs<br />

en science qui assuraient les enseignements de science fondamentale dans les premières années de formation,<br />

aujourd’hui, une part de plus en plus importante <strong>des</strong> enseignants n’ont pas de diplôme en médecine (…) Il y a<br />

par conséquent un affaiblissement de la domination <strong>des</strong> médecins au sein de leurs propres écoles » (FREIDSON,<br />

2001, p. 191)<br />

79


notamment dans les procédures de recrutement. Cette évolution, toutefois, n’a pas été à sens<br />

unique : elle a développé, en amont, <strong>des</strong> postes plus qualifiés pour <strong>des</strong> psychologues chargés<br />

de la conception de tels programmes de tests informatisés.<br />

Les transformations de la psychologie du travail sont pourtant d’une nature plus<br />

profonde que cette simple « déprofessionnalisation », au sens où l’entend Toren. Pour les<br />

comprendre il est nécessaire d’analyser l’évolution <strong>des</strong> différents paradigmes au sein de la<br />

psychologie, que l’on pourrait caractériser, à la suite de Paul Fraisse (1982), comme le<br />

passage d’un paradigme de la psychologie expérimentale, qui dominait le champ de la<br />

psychologie du travail française depuis les années 1920, à un paradigme de la psychologie<br />

clinique 65 . L’article de Jamous et Peloille (1973) ouvre <strong>des</strong> pistes intéressantes pour une telle<br />

analyse, puisqu’il se penche précisément sur les répercussions professionnelles d’un<br />

changement de paradigme au sein de la médecine dans la première moitié du XX e siècle.<br />

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b) Changements de paradigme et reconfigurations professionnelles :<br />

l’exemple de la médecine en France XIX e -XX e siècle<br />

L'article de Haroun Jamous et Bernard Peloille (1973) préfigure à bien <strong>des</strong> égards la<br />

sociologie marxiste <strong>des</strong> professions qui s’épanouira dans les années 1970 et 1980, puisque les<br />

auteurs évoquent "l'auto-perpétuation" d'un système de privilèges au sein du corps médical<br />

français au cours du XIX e et XX e siècle. Cet article, quelque peu tombé dans l’oubli en<br />

France, est en revanche abondamment cité par la littérature anglo-saxonne, qui y a vu une<br />

remise en cause du schéma fonctionnaliste de la relation médecin/malade 66 . Le fond de<br />

l’article réside dans l’examen du passage d’un mode de légitimité dominant à un autre au sein<br />

de la médecine française, à l’occasion de la réforme Debré de 1958 qui institua les Centres<br />

Hospitalo-Universitaires (C.H.U.). Cette réforme mit un point final à une querelle qui divisait<br />

la médecine française depuis la seconde moitié du XIX e siècle, entre les partisans d’une<br />

médecine à orientation principalement empirique et clinique (dans la tradition de Laënnec, de<br />

Broussais et <strong>des</strong> « grands patrons » de la faculté de médecine de Paris) et une médecine à<br />

orientation bio-médicale qui, située aux marges de la profession, remettait en cause le credo<br />

65 « La conception du rôle <strong>des</strong> psychologues dans les tâches d’application a beaucoup évolué. Le psychologue a<br />

longtemps été considéré comme un psychotechnicien à qui l’on confiait <strong>des</strong> tâches ponctuelles : sélection du<br />

personnel, orientation professionnelle, diagnostic psychologique comme document d’un dossier médical. Tous<br />

s’appuyaient sur <strong>des</strong> tests qui étaient, qui sont d’utiles constats, mais dont la rationalité scientifique et la valeur<br />

prédictive restent faibles. Aussi bien la plupart <strong>des</strong> testeurs ont fait éclater leur rôle. Ils sont aujourd’hui<br />

ergonomes, psychologue d’entreprise, conseiller en organisation, conseiller en éducation, psychosociologue,<br />

psychothérapeute, etc. » (FRAISSE, 1982, pp. 20-21)<br />

66 Il faut préciser que dans sa version initiale l’article avait été publié en anglais, dans JACKSON (1970). Une<br />

version française a été publiée ultérieurement dans JAMOUS (1973). Je remercie Michel Arliaud de m’avoir<br />

80


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clinique, sur la base <strong>des</strong> savoirs issus <strong>des</strong> différentes sciences expérimentales. La médecine<br />

hospitalière française s’était en effet construite, tout au long du XIX e siècle, autour d’une<br />

définition essentiellement « clinique » de l’activité, appuyée sur le postulat que la médecine<br />

ne peut s’apprendre et progresser « qu’au chevet du malade », par l’observation continue et<br />

approfondie <strong>des</strong> pathologies. L’école anatomo-clinique, qui se développe à Paris dans la<br />

première moitié du XIX e siècle, redouble d’ingéniosité dans la mise au point de nouvelles<br />

métho<strong>des</strong> d’observation (le stéthoscope de Laënnec), et de statistiques médicales (Pinel,<br />

Esquirol). Pour les auteurs, qui reprennent en grande partie les thèses de Foucault (1963) sur<br />

l’émergence de la clinique, la mise en place d’un tel système au lendemain de la Révolution<br />

française n’a été possible que parce que les médecins ont pu « rentrer dans un hôpital libéré de<br />

l’emprise <strong>des</strong> congrégations religieuses ébranlées par la Révolution, délié <strong>des</strong> caprices et <strong>des</strong><br />

volontés <strong>des</strong> anciens fondateurs, mis sous l’autorité formelle <strong>des</strong> communes, c’est-à-dire de<br />

ces nouveaux notables triomphants dont font partie les médecins eux-mêmes » (1973, p. 19).<br />

Ces hôpitaux étaient, pour <strong>des</strong> médecins qui se voyaient investis de la triple mission de<br />

produire, de transmettre et d’appliquer les savoirs, une source inépuisable d’observations. Ils<br />

devinrent aussi le lieu de formation <strong>des</strong> futurs médecins, par la mise en place d’un concours<br />

spécifique visant à recruter la future élite médicale : « l’internat ». Ce système, organisé<br />

autour de la relation clinique, contribua à entretenir une certaine opacité dans la relation entre<br />

le médecin et le malade, et plus largement entre le médecin et la société. Il se fonde sur un<br />

modèle libéral où le médecin seul peut avoir, en raison <strong>des</strong> compétences presque magiques<br />

dont il est investi, le bon « regard » sur le malade :<br />

« Valoriser la clinique, c’est valoriser les virtualités et le talent du producteur dans<br />

l’obtention du résultat, c’est faire dépendre la qualité de celui-ci moins de<br />

techniques et de règles transmissibles que d’un rapport toujours singulier et<br />

aléatoire, de la "rencontre d’une conscience et d’une confiance" comme aiment à le<br />

répéter la majorité <strong>des</strong> médecins » (Jamous et Peloille, 1973, p. 39).<br />

Mais si les « dons » attribués au médecin ont une telle valeur aux yeux de la société,<br />

c’est parce que cette élite médicale appartient elle-même aux catégories dominantes et qu’elle<br />

est par conséquent en mesure de reproduire son propre système de légitimation. D’où la<br />

qualification donnée par les auteurs de « système auto-perpétué », qui traduit cette association<br />

étroite entre un mode de production et de diffusion du savoir médical et un ordre social<br />

entièrement dominé par une élite bourgeoise.<br />

signalé l’existence de ce texte.<br />

81


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Après s’être maintenu pendant plus d’un siècle et demi, ce mode de fonctionnement<br />

de la médecine hospitalière a été brutalement remis en cause par la réforme Debré de 1958,<br />

qui modifia en profondeur le schéma <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> médicales ainsi que le statut <strong>des</strong> médecins<br />

hospitaliers et <strong>des</strong> professeurs <strong>des</strong> facultés de médecine. Cette réforme était en réalité<br />

l’aboutissement de deux évolutions, poursuivies en parallèle depuis la période de l’entre-deux<br />

guerres : l’une, sur le « front socio-économique », se caractérisait par une socialisation<br />

croissante de la médecine (à travers les systèmes d’assurance sociales tout d’abord, puis la<br />

mise en place d’une Sécurité sociale en 1945). Cette socialisation introduisit progressivement<br />

un tiers – la société – dans le colloque singulier entre le médecin et son patient, brisant<br />

progressivement l’idéologie libérale qui sous-tendait la relation clinique. L’autre évolution<br />

prenait place sur le « front scientifique » : le modèle de production et de diffusion <strong>des</strong> savoirs<br />

qui s’était construit autour de la médecine clinique se trouvait remis en cause depuis la fin du<br />

XIX e siècle (et plus particulièrement depuis la révolution pasteurienne), par les progrès<br />

d’autres disciplines, notamment en bactériologie, biologie et physiologie 67 .<br />

L’intérêt de l’article ne réside pas tant dans cette histoire, désormais bien connue<br />

(Léonard, 1981), que dans la théorie <strong>des</strong> professions développée par les auteurs.<br />

Contrairement aux fonctionnalistes, qui voient dans la professionnalisation la constitution<br />

progressive d’un « tout » cohérent, les auteurs insistent – comme Strauss, Bourdieu et Elias –<br />

sur les principes de segmentation et de division interne <strong>des</strong> professions : la<br />

professionnalisation est le résultat toujours incertain d’une dialectique d’inclusion/exclusion.<br />

Mais contrairement aux interactionnistes ou aux sociologues du monopole et de la<br />

domination, Jamous et Peloille placent les changements de paradigme au cœur de ces<br />

mouvements : un nouveau paradigme ne parviendra à s’imposer que si l’état <strong>des</strong> rapports<br />

sociaux le permet ; mais ce paradigme ne saurait être en lui-même le simple reflet <strong>des</strong><br />

rapports sociaux (perspective marxiste ou bourdieusienne), ou une « machine de guerre » en<br />

vue de la conquête d’un monopole économique (néo-wéberiens) :<br />

« L’évolution et les changements d’une profession ne se font généralement pas de<br />

façon continue et selon un processus auto-régulé, mais par la constitution successive<br />

de systèmes qui cherchent à se fermer, s’auto-entretenir et se perpétuer, y<br />

parviennent pendant un certain temps, puis sont remis en cause par <strong>des</strong> éléments<br />

qu’ils ont parfois eux-mêmes contribué à fabriquer. Ces éléments, porteurs d’une<br />

définition nouvelle, prônant l’ouverture et s’appuyant sur <strong>des</strong> forces externes à la<br />

profession, tenteront, une fois victorieux, de perpétuer et de se réserver, à leur tour<br />

67 Il n’est d’ailleurs pas anodin que Pasteur ait été totalement étranger au monde de la médecine clinique, ce qui<br />

lui a d’ailleurs été vivement reproché par l’Académie et la faculté de médecine. Sur la controverse entre Pasteur<br />

et les médecins voir LEONARD (1981, pp. 242-250).<br />

82


les privilèges, les règles et les co<strong>des</strong> qui fondent cette définition triomphante »<br />

(Jamous et Peloille, 1973, p. 16)<br />

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L’extrait précédent renferme toute une théorie du changement social au sein <strong>des</strong><br />

professions : pour qu’une profession puisse se transformer, c’est-à-dire pour que le système<br />

puisse « s’ouvrir », il faut que se conjuguent <strong>des</strong> facteurs sociaux (ce que les auteurs appellent<br />

la « dynamique externe » de la profession) et <strong>des</strong> facteurs scientifiques (la dynamique<br />

« interne »). Les CHU et le cortège de mutations qui les a accompagné, n’ont pu voir le jour<br />

que grâce à la réunion de deux facteurs : sur le « front scientifique », les sciences<br />

fondamentales damaient le pion à la méthode clinique depuis la fin du XIX e siècle ; sur le<br />

« front socio-économique », la Sécurité Sociale, devenue un lieu du contre-pouvoir médical<br />

brisa progressivement le modèle libéral de la relation patient/malade en faisant pénétrer<br />

l’ensemble de la société dans ce colloque singulier. Il n’est pas inintéressant de contraster le<br />

point de vue de Jamous et Peloille, formulé dans l’extrait précédent, avec l’analyse qu’en<br />

donne Larson (1977, p. 43-44) qui cherche au contraire à rendre plus floue la frontière entre<br />

facteurs externes et facteurs internes et à mettre davantage l’accent sur les déterminants<br />

sociaux <strong>des</strong> savoirs eux-mêmes :<br />

« Il se peut que la crise générale de légitimité analysée par Jamous et Peloille soit un<br />

cas très isolé ; il met néanmoins en lumière la dynamique générale de la structure<br />

professionnelle : <strong>des</strong> éléments de rationalité cognitive sont utilisés dans le cadre<br />

d’un projet professionnel de contrôle de marché, dans <strong>des</strong> conflits internes de<br />

pouvoir et dans <strong>des</strong> revendications collectives de statut. La rationalité cognitive ne<br />

peut pas être formellement traitée comme un attribut isolé de la profession, car elle<br />

n’apparaît jamais dans sa forme pure [souligné par nous], elle s’incarne toujours<br />

dans <strong>des</strong> institutions de formation, de sélection et de contrôle professionnels, et<br />

devient visible au milieu d’un combat politique »<br />

Le cadre d’analyse de Jamous et Peloille se révèle relativement adapté à notre propre<br />

étude. La dynamique « interne » de la psychologie du travail s’est en effet caractérisée par le<br />

glissement progressif, entre les années 1950 et 1970, d’un paradigme dominant de la<br />

psychologie expérimentale vers un paradigme de la psychologie clinique, qui se résume dans<br />

le débat qui opposa Paul Fraisse et Juliette Favez-Boutonnier à la Sorbonne (Nicolas, 2002, p.<br />

296 ; Ohayon, 1999, pp. 398-406), dont les gran<strong>des</strong> lignes seront rappelées dans le chapitre<br />

IV. La dynamique « externe » mettait quant à elle en jeu le passage d’une société de plein<br />

emploi et d’industrialisme triomphant, qui utilisait la psychotechnique dans une optique<br />

dirigiste de répartition rationnelle de la main d’œuvre, à une société de chômage et<br />

d’exclusion, qui attribue aux psychologues du travail un autre mandat, davantage tourné vers<br />

l’individu, sa réinsertion ou son « épanouissement » professionnel.<br />

83


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L’article de Jamous et Peloille ouvre une voie alternative à celle tracée par<br />

Geneviève Paicheler (1992, voir supra) dans son analyse de la professionnalisation de la<br />

psychologie aux Etats-Unis. Paicheler partait du constat d’une psychologie américaine divisée<br />

depuis ses origines entre une « tendance métaphysique et idéaliste » et une « tendance<br />

expérimentale et réaliste » : la professionnalisation de la discipline aux Etats-Unis n’aurait pu<br />

se faire qu’en se raccrochant au modèle <strong>des</strong> sciences de la nature et en se libérant<br />

progressivement du carcan d’une psychologie introspective et spiritualiste telle qu’elle fut<br />

pratiquée par un William James à partir de 1890 (Paicheler, 1992, p. 95-96). Ce choix est<br />

directement lié au souci de professionnalisation de certains psychologues expérimentalistes<br />

(Granville Stanley Hall, James McKeen Cattell, Edwin Titchener, Walter Dill Scott, Hugo<br />

Münsterberg…), qui se transformèrent entre 1890 et 1930 en véritables « entrepreneurs » de<br />

leur discipline, la diffusant dans l’industrie, les écoles, les services sociaux… 68 . Les produits<br />

professionnels qu’ils proposèrent se seraient montrés plus convaincants que les obscures<br />

spéculations philosophiques <strong>des</strong> psychologues idéalistes, construisant ainsi les bases soli<strong>des</strong><br />

d’un projet professionnel. La définition donnée de la professionnalisation révèle bien le<br />

modèle néo-wébérien dont s’inspire l’auteur : « La professionnalisation est un processus à la<br />

fois dynamique et dialectique de conquête et de conservation d’un territoire de savoirs et de<br />

pratiques (…) [qui] implique l’existence d’une communauté unie par <strong>des</strong> consensus<br />

minimaux et engagée dans une entreprise de persuasion du public » (1992, p. 24). Là encore,<br />

les savoirs sont placés au rang de simples rhétoriques. Deux limites d’une telle approche<br />

peuvent être pointées à la lumière de l’article de Jamous et Peloille :<br />

1) Du point de vue de la « dynamique interne », Paicheler postule l’homogénéité d’un groupe<br />

qui serait porteur du projet professionnel, là où existent en réalité <strong>des</strong> espaces professionnels<br />

segmentés. La question de la professionnalisation de la psychologie consisterait alors<br />

davantage à savoir comment ces deux tendances – l’une métaphysique, issue <strong>des</strong> spéculations<br />

philosophiques ; l’autre réaliste issue du laboratoire – ont pu malgré tout se maintenir et<br />

coexister au fur et à mesure que la psychologie émergeait comme profession, sans que l’une<br />

ne soit totalement anéantie par l’autre. La plupart <strong>des</strong> diplômés de psychologie qui sortent<br />

aujourd’hui <strong>des</strong> universités américaines ont <strong>des</strong> diplômes de psychologie clinique et la<br />

méthode <strong>des</strong> tests ne sert plus guère aujourd’hui à légitimer le projet professionnel <strong>des</strong><br />

psychologues 69 . Si Paicheler montre bien la manière dont un paradigme se « ferme », elle ne<br />

68 Les stratégies de mise sur le marché <strong>des</strong> « produits disciplinaires » de la psychologie industrielle ont été<br />

étudiées dans un cadre assez proche de celui de Paicheler par VAN DE WATER (1997).<br />

69 D’après les statistiques du NCES (National Center for Education Statistics), 46% <strong>des</strong> 15196 étudiants ayant<br />

84


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

montre pas en revanche le cadre disciplinaire plus général dans lequel il s’inscrit, ni ses<br />

remises en cause internes.<br />

2) La perspective néo-wéberienne prend difficilement en compte la « dynamique externe »<br />

<strong>des</strong> professions, au sens où l’entendent Jamous et Peloille : on comprend mal le contexte<br />

social qui a rendu possible l’émergence de cette nouvelle psychologie, et pourquoi son<br />

fondement a été remis en cause à une certaine période. En ce sens, les savoirs sont toujours<br />

déshistoricisés, puisqu’ils ne sont rien d’autre que le support anonyme d’un projet de mobilité<br />

collective. Mais dans le même temps, ils sont socialement surdéterminés puisque subordonnés<br />

à la stratégie du groupe. La psychologie, en tant que discipline académique, n’a par<br />

conséquent aucune autonomie vis-à-vis de ce projet professionnel. Comme l’écrit Paicheler :<br />

« [les applications sociales de la psychologie] ne sont pas un sous-produit ou un<br />

épiphénomène d’un savoir psychologique qui échapperait à un milieu académique isolé sur<br />

l’Olympe de la science abstraite, elles sont constitutives de la science même [souligné par<br />

nous] (1992, p. 27) ». On peut contraster ce point de vue avec celui de Léonard (1992 [1983],<br />

p. 242), qui se montre beaucoup plus modéré sur ce point : « L’originalité du travail du savant<br />

ne se dissout pas dans l’ambiance psycho-sociologique qui l’entoure. Décrire le<br />

conditionnement psycho-sociologique à fond se révèle nécessaire, indispensable, mais<br />

insuffisant ».<br />

c) Des savoirs contingents : le réalisme empirique d’Abbott et<br />

Freidson<br />

Les sociologies fonctionnalistes, néo-marxistes et néo-wébériennes partageaient la<br />

même vision téléologique <strong>des</strong> professions, même si la direction suivie par les professions<br />

divergeait radicalement d’une théorie à l’autre. Les approches théoriques plus récentes,<br />

incarnées par Eliot Freidson et Andrew Abbott perdent de vue cette conception messianique :<br />

Les professions ne préfigurent pas l’avènement d’un nouveau type de société dirigée par les<br />

experts (fonctionnalistes) ; elle ne sont pas non plus appelées à se prolétariser, ni à instituer de<br />

nouvelles formes de domination sociales (néo-marxistes et néo-wébériens). Tout, au contraire,<br />

n’est que contingence : aucune tendance, aucune direction générale ne se dégage. Certes,<br />

Freidson comme Abbott ont retenu les leçons <strong>des</strong> sociologies du monopole : les professions<br />

s’éloignent <strong>des</strong> idéaux qu’elles sont supposées incarner (expertise, idéal de service,<br />

obtenu un master de psychologie en 2001 (équivalent à notre DESS) avaient choisi la spécialité « psychologie<br />

clinique » ; 27% étaient diplômés en « psychologie générale » ; 9% en « psychologie du travail » et 6% en<br />

« psychologie scolaire ».<br />

85


altruisme). Mais elles ne sont pas pour autant dénoncées. Aussi l’essentiel de l’approche<br />

d’Abbott et Freidson réside-t-il dans un « réalisme empirique » qui consiste à remonter de<br />

l’activité concrète <strong>des</strong> professions vers leurs formes sociales de reconnaissance.<br />

La démarche générale de Andrew Abbott (1988) se distingue de celle de Jamous et<br />

Peloille sur de nombreux points. Contrairement à ces derniers, qui se situaient à un niveau<br />

macro-social, Abbott s’intéresse aux activités concrètes <strong>des</strong> professionnels et à la façon dont<br />

ils négocient, par leurs tâches quotidiennes, un contrôle sur <strong>des</strong> espaces de travail : « les<br />

fondements de la concurrence interprofessionnelle résident dans les actes concrets du travail<br />

professionnel lui-même » (op. cit., p. 35). Il s’inspire pour cela de la sociologie urbaine de<br />

Chicago <strong>des</strong> années 1930, et <strong>des</strong>sine les contours d’une "écologie <strong>des</strong> professions" 70 ,<br />

composée de groupes en lutte permanente pour la maîtrise de territoires ou de "domaines<br />

réservés" (jurisdictions) au sein de la division du travail :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

"Le défaut de la notion actuelle de professionnalisation réside dans le fait qu'elle met<br />

plus l'accent sur les structures organisationnelles <strong>des</strong> professions que sur leur travail<br />

concret. (…) C'est pourtant le contrôle du travail qui fait entrer en conflit les<br />

professions les unes avec les autres et qui rend leurs histoires interdépendantes. (…)<br />

En déplaçant le point d'analyse <strong>des</strong> structures organisationnelles <strong>des</strong> professions vers<br />

les groupes réalisant les mêmes tâches, un grand nombre de questions se posent en<br />

<strong>des</strong> termes différents. Le phénomène central de la vie professionnelle est dès lors le<br />

lien qu'une profession entretient avec son travail, un lien que j'appellerai<br />

"juridiction". Analyser le développement d'une profession revient à analyser la<br />

manière dont ce lien est créé dans le travail, dont il se matérialise dans <strong>des</strong> structures<br />

sociales formelles et informelles, et dont le jeu <strong>des</strong> liens de juridictions entre<br />

professions détermine l'histoire de chacune de ces professions." (op. cit., p. 20)<br />

L’extrait précédent montre bien la place centrale qu'Abbott accorde aux conflits de<br />

juridiction survenant entre professions sur un même lieu de travail. Le cœur de l’analyse se<br />

déplace donc de l’objet « profession » vers l’étude <strong>des</strong> tâches et <strong>des</strong> domaines réservés au sein<br />

de la division du travail. Abbott s'efforce de prendre en compte l'inscription macro-sociale <strong>des</strong><br />

professions et distingue pour cela trois « arènes » où peuvent être portés les conflits de<br />

juridiction : 1) le lieu de travail ; 2) l'opinion publique (clients, médias…) 3) la législation et<br />

les pouvoirs publics. Le projet d’Abbott est finalement de produire une analyse de la division<br />

du travail, en reliant le travail concret (les luttes au sein <strong>des</strong> espaces de travail) aux différentes<br />

formes de sanction sociale de l’expertise.<br />

Les savoirs détenus par une profession sont un atout essentiel dans chacune <strong>des</strong> trois<br />

arènes décrites par Abbott. Ils sont, pour reprendre ses termes, « la monnaie ultime de la<br />

70 Le point de vue développé par Abbott est bien conforme à la définition de l’écologie donnée par, l’un <strong>des</strong><br />

pères de l’écologie urbaine, Roderick MCKENZIE (1967 [1925], p.64) : « l’écologie humaine s’intéresse<br />

fondamentalement au rôle que joue la position, à la fois dans le temps et dans l’espace, sur les institutions<br />

humaines et le comportement humain ».<br />

86


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concurrence entre professions » (op. cit., p. 9). Sur le lieu de travail, c’est principalement<br />

l’efficacité du savoir et son adéquation aux ambitions juridictionnelles qui va déterminer le<br />

succès ou l’échec du groupe. L’une <strong>des</strong> stratégies pour accroître l’efficacité de ce savoir<br />

consiste à développer <strong>des</strong> systèmes de connaissance de plus en plus abstraits. Cette<br />

abstraction peut prendre, selon Abbott deux formes très différentes 71 . Dans un premier cas,<br />

elle s’apparente à de la formalisation. Elle se limite à un sujet précis, mais est formellement<br />

très abstraite. C’est le cas <strong>des</strong> sciences de la nature (physique, biologie). Une telle catégorie<br />

d’abstraction entraîne généralement un lien très fort entre la profession et sa juridiction, la<br />

mettant à l’abri de la concurrence d’autres professions. Mais pour qu’une profession puisse<br />

étendre ses revendications, il ne faut pas que les chaînes d’inférence mises en œuvre soient<br />

trop longues. La profession ne peut pas, par exemple, revendiquer de traiter chaque cas<br />

comme un cas particulier, au risque de voir le lien de juridiction s’affaiblir par l’arrivée de<br />

concurrents proposant <strong>des</strong> solutions plus routinisées. Une seconde catégorie d’abstraction<br />

consiste à généraliser un mode de raisonnement et à l’étendre à phénomènes toujours plus<br />

nombreux. Dans ce cas, la profession cherche à redéfinir la nature d’un problème dans son<br />

propre langage, afin de montrer qu’il tombe sous sa juridiction. C’est par exemple le cas <strong>des</strong><br />

médecins lorsqu’ils revendiquent de traiter les problèmes d’alcoolisme, ou de délinquance<br />

juvénile, au motif qu’il s’agit dans les deux cas de pathologies sociales et que la médecine<br />

traite de la pathologie. Le mandat est potentiellement plus étendu, mais aussi moins solide 72 .<br />

Du côté de l’opinion publique et de l’arène législative, c’est surtout l’alliance entre<br />

une profession et une discipline scientifique prestigieuse qui va consolider les revendications<br />

du groupe (Abbott, 1988, p. 54). Contrairement à ce qui se produit sur le lieu de travail,<br />

l’image de la profession dans ces deux arènes est souvent stéréotypée et très éloignée de la<br />

réalité du travail professionnel (on retrouve ici, sous une autre forme, la distinction <strong>des</strong><br />

interactionnistes entre profane et sacré, voir supra). Par exemple, l’image dominante de la<br />

71 La distinction entre ces deux formes d’abstraction se trouve exprimée en <strong>des</strong> termes très proches de ceux<br />

d’Abbott par HALLIDAY (1987, chap. 2, pp. 28-59), qui distingue <strong>des</strong> « professions scientifique » (au mandat<br />

solide mais limité à <strong>des</strong> questions techniques) et <strong>des</strong> « professions normatives » (au mandat plus large mais<br />

également plus vulnérable). Bien entendu, Halliday (comme Abbott d’ailleurs) développe longuement l’idée que<br />

les frontières entre ces deux formes d’abstraction sont loin d’être étanches : il est peu de problèmes techniques<br />

qui n’aient d’implications morales, et vice-versa. Toutefois, comme le souligne à juste titre Halliday, si cette<br />

différence tend à s’effacer dans les conflits quotidiens sur le lieu de travail, elle joue néanmoins un rôle<br />

important dans les représentations que les professions donnent d’elles-mêmes vis-à-vis du public : sur quoi une<br />

profession fonde-t-elle le cœur de son mandat : une dimension instrumentale ou une dimension morale ?<br />

72 Comme nous le verrons plus loin, une telle distinction se révèle très utile pour confronter la position <strong>des</strong><br />

ergonomes à celle <strong>des</strong> psychologues du travail. En se construisant explicitement en référence au modèle <strong>des</strong><br />

sciences de l’ingénieur, les ergonomes, revendiquent un mandat moins large que celui <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail, qui ont progressivement déserté le domaine instrumental (celui <strong>des</strong> tests et de la psychologie<br />

différentielle) pour s’orienter vers <strong>des</strong> dimensions plus normatives.<br />

87


profession médicale dans l’opinion publique est celle de la médecine libérale, alors qu’elle<br />

représente une part décroissante de l’ensemble de la profession au profit de la salarisation. Les<br />

stéréotypes jouent également en ce qui concerne le lien entre les professionnels praticiens et le<br />

savoir académique : ce lien est généralement pensé sur le mode de la continuité, alors que les<br />

savoirs <strong>académiques</strong> ont souvent une fonction davantage symbolique que réelle. Bien<br />

entendu, la profession a tout intérêt à maintenir l’illusion de cette continuité, bénéficiant ainsi<br />

de la forte légitimité généralement associée aux savoirs <strong>académiques</strong>.<br />

Figure 2 – Le système <strong>des</strong> professions selon Abbott (1988, p. 86)<br />

Arène<br />

publique<br />

Arène<br />

légale<br />

Arène du lieu<br />

de travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Contrôle<br />

social<br />

Lien de<br />

juridiction<br />

Contrôle<br />

culturel<br />

Science<br />

En dépit du rôle prééminent qu’Abbott confère aux savoirs, il n’y a chez lui,<br />

contrairement à l’analyse fonctionnaliste, aucune « naturalisation » <strong>des</strong> savoirs professionnels.<br />

S’exprimant sur la place de l’abstraction dans les conflits entre professions, il écrit : « ce qui<br />

est important, c’est une abstraction suffisamment efficace pour soutenir la concurrence dans<br />

un contexte historique et social particulier, pas une abstraction mesurée à l’aune d’un critère<br />

supposé absolu » (op. cit., p. 9). Les savoirs se révèlent donc toujours contingents : ils<br />

reflètent l’état du système <strong>des</strong> professions à un moment donné. C’est la raison pour laquelle il<br />

prête dans tous ses travaux une grande attention aux activités qui se<br />

« déprofessionnalisent » 73 . Quelles sont les sources de changement au sein du système <strong>des</strong><br />

73 ABBOTT (op. cit., pp. 92-93) s’intéresse plus particulièrement au <strong>des</strong>tin d’une éphémère profession, qui s’était<br />

développée au sein <strong>des</strong> entreprises de chemin de fer américaines à la fin du XIX e siècle : celle de « chirurgien<br />

ferroviaire ». Il s’intéresse également à <strong>des</strong> professions aujourd’hui disparues comme celle d’électrothérapiste<br />

88


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

professions ? Conformément à l’approche écologique, Abbott distingue <strong>des</strong> facteurs externes<br />

et <strong>des</strong> facteurs internes à l’environnement. Parmi les facteurs externes, il insiste plus<br />

particulièrement sur trois éléments : les facteurs technologiques, les facteurs organisationnels<br />

et les facteurs scientifiques.<br />

La création <strong>des</strong> chemins de fer par exemple (facteur technologique) a entraîné<br />

l’apparition d’une myriade de professions, qui sont venues se greffer sur cette innovation<br />

technologique initiale : chefs de gares, conducteurs, mécaniciens, régulateurs de trafic,<br />

guichetiers…. L’apparition d’un nouveau type d’organisation s’accompagne lui aussi<br />

fréquemment de nouvelles professions. Ainsi, comme l’a bien montré Di Maggio (1991<br />

[1983]) dans ses travaux sur la naissance <strong>des</strong> musées américains, le modèle organisationnel de<br />

« musée public » qui se diffuse au cours <strong>des</strong> années 1920 aux Etats-Unis a donné naissance à<br />

une nouvelle profession, celle de conservateur de musée. Cette fonction, initialement apparue<br />

de façon indépendante dans différents musées s’est ensuite unifiée par le regroupement<br />

progressif de toutes les personnes exerçant <strong>des</strong> fonctions similaires dans <strong>des</strong> organisations<br />

elles aussi devenues de plus en plus similaires 74 . Les professions du travail social ou de la<br />

psychiatrie ont suivi un schéma d’évolution assez proche de celui qui vient d’être décrit. La<br />

dernière catégorie de facteurs – ceux liés aux changements de paradigmes scientifiques – nous<br />

intéresse plus particulièrement puisque ceux-ci sont au cœur <strong>des</strong> transformations de la<br />

profession de psychologue du travail. Il n’est pas anodin de relever que Abbott (op. cit., pp.<br />

177-184) situe ces changements scientifiques parmi les facteurs « externes » du système <strong>des</strong><br />

professions : pour lui, l’espace social de la science est relativement autonome <strong>des</strong> autres<br />

dimensions de la société. Il se distingue en cela <strong>des</strong> néo-marxistes et <strong>des</strong> néo-wébériens, qui<br />

ont une vision beaucoup plus « endogène » <strong>des</strong> savoirs professionnels (cf supra). En<br />

revanche, ce postulat d’autonomie du champ scientifique n’est pas sans rappeler les<br />

contributions de certains fonctionnalistes dans le domaine de la sociologie <strong>des</strong> sciences<br />

(Merton, 1973 ; Ben David, 1997). Abbott distingue deux formes de changements<br />

scientifiques susceptibles d’affecter les professions : le premier réside dans l’accroissement<br />

du volume de connaissances et le second dans le remplacement de anciennes connaissances<br />

par <strong>des</strong> nouvelles. L’accroissement conduit en général à une subdivision au sein <strong>des</strong><br />

professions. Le cas de la médecine est particulièrement caractéristique d’une telle situation<br />

puisque les découvertes médicales conduisent souvent à l’apparition de nouvelles spécialités.<br />

(spécialité de la psychiatrie) et celle de codeur informatique. En règle générale, les facteurs technologiques et<br />

scientifiques jouent pour Abbott un rôle essentiel dans les mouvements de déprofessionnalisation.<br />

74 Ce phénomène est qualifié par DI MAGGIO et POWELL (1983) d’ « isomorphisme organisationnel ».<br />

89


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La profession de psychologue s’est elle aussi considérablement subdivisée depuis sa<br />

naissance, en lien avec l’apparition de nouveaux domaines de recherche : psychologie de<br />

l’enfant, psychopathologie, psychologie différentielle, et plus récemment : psychologie<br />

cognitive, psychologie ergonomique, psycho-gérontologie ou encore psychologie de<br />

l’environnement... Le phénomène de remplacement <strong>des</strong> anciens savoirs par <strong>des</strong> nouveaux a<br />

<strong>des</strong> effets plus ambigus sur les professions. L’histoire <strong>des</strong> sciences montre généralement que<br />

les changements dans les sciences se font de manière brutale, et non incrémentale (Kuhn,<br />

1962) : la communauté scientifique a tendance à s’organiser autour d’un paradigme dominant<br />

(voir supra) et à l’approfondir, jusqu’à ce qu’une théorie radicalement nouvelle voie le jour.<br />

Kuhn qualifie ces pério<strong>des</strong> de régime de science « normale », par opposition aux « révolutions<br />

scientifiques », qui voient se mettre en place un nouveau paradigme. En période de science<br />

normale, le volume de connaissance s’accroît, mais les convictions partagées par la<br />

communauté scientifique restent identiques. Abbott (op. cit., p. 179) soutient qu’à l’inverse du<br />

savoir scientifique, le savoir professionnel évolue de manière incrémentale :<br />

« Dans les professions, où la connaissance est appliquée de manière active, les<br />

changements mineurs et incrémentaux semblent plus fréquents que les changements<br />

de paradigmes. La loi et les règlements changent souvent ; mais pas la jurisprudence<br />

ni la comptabilité. L’information sur les médicaments et les autres traitements<br />

médicaux changent chaque semaine ; mais pas l’approche générale <strong>des</strong> soins<br />

médicaux ».<br />

Ainsi les deux sphères (scientifique et professionnelle) ne suivent pas la même<br />

temporalité : les connaissances <strong>des</strong> praticiens, acquises en période de formation initiale, ont<br />

tendance à se cristalliser au fil <strong>des</strong> carrières et à s’éloigner de plus en plus <strong>des</strong> connaissances<br />

qui sont au goût du jour. A l’opposé, les connaissances scientifiques apparaissent nettement<br />

moins rigi<strong>des</strong>. L’exemple de la médecine française, tel qu’il a été décrit par Jamous et<br />

Peloille, ou par Léonard (1981), pourrait être appelé en renfort de cette thèse. Il a fallu<br />

plusieurs dizaines d’années pour que la structure et l’organisation de la profession médicale<br />

intègre le passage d’une médecine clinique à une médecine expérimentale et que cela affecte<br />

l’activité quotidienne et les carrières <strong>des</strong> médecins. Selon Abbott, l’un <strong>des</strong> moyens grâce<br />

auxquels une profession peut se prémunir contre un rythme de changements <strong>des</strong><br />

connaissances trop rapide consiste à développer un degré élevé l’abstraction : celle-ci permet<br />

en effet aux membres de la profession de disposer d’un socle de connaissances suffisamment<br />

large pour absorber et interpréter les nouvelles connaissances produites. Ainsi l’abstraction,<br />

au sens précisé plus haut (prétention à appliquer <strong>des</strong> savoir-faire à une classe de phénomènes<br />

de plus en plus large) est une manière d’échapper à la dévalorisation <strong>des</strong> techniques<br />

90


professionnelles. Les psychotechniciens et les conseillers d’orientation psychologues de<br />

l’Education nationale furent confrontés à une telle situation au milieu <strong>des</strong> années 1960 : face à<br />

la remise en cause de la valeur prédictive <strong>des</strong> tests psychotechniques qu’ils utilisaient, les<br />

premiers se sont réorientés vers le domaine de la formation <strong>des</strong> adultes et de la psychologie<br />

sociale, alors que les seconds ont redéfini leur mission dans un sens nettement plus clinique<br />

autour de la thématique de l’adaptation de l’enfant au système scolaire (et non plus son<br />

adaptation au monde du travail, par la mesure de ses aptitu<strong>des</strong>) 75 .<br />

Figure 3 – Les changements externes au système <strong>des</strong> professions selon Abbott (1988)<br />

Environnement externe du système <strong>des</strong> professions<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Facteurs<br />

technologiques<br />

Remplacement<br />

d’anciennes connaissances<br />

par de nouvelles<br />

Développement de<br />

l’abstraction<br />

Facteurs<br />

scientifiques<br />

Accroissement <strong>des</strong><br />

connaissances<br />

Segmentation de la<br />

profession par<br />

spécialités<br />

Facteurs<br />

organisationnels<br />

Eliot Freidson est certainement, avec Andrew Abbott, la figure la plus marquante de la<br />

sociologie <strong>des</strong> professions nord-américaine de ces deux dernières décennies. Son parcours<br />

intellectuel l’a conduit à glisser progressivement d’une sociologie néo-marxiste qui traque les<br />

racines de la domination professionnelle, notamment dans le domaine de la médecine<br />

(Freidson, 1970), vers une sociologie que l’on pourrait qualifier de « néo-fonctionnaliste »<br />

75 Voir sur ce point PROST (1996)<br />

91


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puisque son dernier ouvrage (Freidson, 2001) est un fervent plaidoyer en faveur du maintien<br />

du professionnalisme comme forme idéal-typique de coordination alternative au marché et à<br />

la bureaucratie 76 . La sociologie de Freidson présente, comme celle d’Abbott, un grand intérêt<br />

du point de vue qui nous intéresse (celui du lien entre la sphère de production <strong>des</strong> savoirs et le<br />

monde <strong>des</strong> praticiens). Cet auteur trace dans tous ses ouvrages une frontière entre l’espace de<br />

production <strong>des</strong> connaissances et celui de la pratique professionnelle. Cette distinction<br />

constitue même l’un <strong>des</strong> fils conducteurs de ses travaux : dans son premier ouvrage (1970) il<br />

distingue, à la suite de Hughes deux segments très différents au sein de chaque profession : un<br />

segment « savant », chargé de la production et du développement <strong>des</strong> connaissances, et un<br />

segment « consultant », qui a un rapport direct avec le client et s’occupe principalement de<br />

traduire et d’appliquer ce savoir à <strong>des</strong> problèmes quotidiens. Cette distinction est affinée dans<br />

Professional Powers (1986) puisque Freidson met en évidence un troisième segment au sein<br />

de chaque profession : celui <strong>des</strong> administrateurs, dont le rôle consiste principalement à<br />

« orienter le travail <strong>des</strong> praticiens d’une manière qui satisfasse les puissances politiques et<br />

économiques dont dépend leur organisation » (1986, p. 212). Ces administrateurs occupent<br />

une fonction essentielle d’intermédiaires entre la sphère <strong>des</strong> savoirs et celle de l’organisation :<br />

ils mettent en forme les connaissances d’une manière directement mobilisable par les<br />

praticiens. Les savoirs qui sont produits au sein de la sphère académique subissent donc un<br />

processus de « dégradation » au fur et à mesure qu’ils se dirigent vers <strong>des</strong> situations plus<br />

concrètes en passant <strong>des</strong> savants, aux administrateurs puis aux praticiens 77 . Une telle vision<br />

implique une rupture vis-à-vis de la théorie fonctionnaliste, qui insistait au contraire sur la<br />

continuité entre savoirs <strong>académiques</strong> et savoirs appliqués. Mais il s’agit aussi d’une rupture<br />

radicale vis-à-vis <strong>des</strong> théories du pouvoir, puisque ces dernières prennent pour argent<br />

comptant le pouvoir inhérent à toute forme de savoir (voir Berlant et Larson, supra). Cette<br />

rupture est exprimée très clairement dans la conclusion de Professional Powers (1986, p.<br />

230) : « La réalité semble suffisamment fluide et complexe pour remettre sérieusement en<br />

question la validité de termes aussi imposants que ceux de technique, de contrôle social,<br />

d’hégémonie, de domination ou de monopole de discours pour la caractériser ». Freidson<br />

76 Cette distinction entre marché, profession et bureaucratie comme mo<strong>des</strong> alternatifs de coordination de l’action<br />

économique est au cœur <strong>des</strong> travaux <strong>des</strong> premiers fonctionnalistes (PARSONS, 1939). Quoiqu’en dise SAVAGE<br />

(2003) la parenté est grande entre ce dernier ouvrage de Freidson et la sociologie fonctionnaliste.<br />

77 Cette distance entre les savoirs scientifiques et l’activité concrète <strong>des</strong> praticiens se retrouve dans ce que<br />

FREIDSON (1984 [1970], p. 336) nomme l’ « esprit du clinicien » : « A l’opposé du savoir médical, qui est la<br />

médecine en tant que telle, se trouvent toutes les pratiques qui se développent lorsque ce savoir est appliqué aux<br />

patients concrets dans un environnement social concret. Le savoir médical « pur » est transformé, souillé même,<br />

au cours de son application : en fait, il ne peut rester savoir pur, mais doit au contraire s’organiser socialement en<br />

92


s’attache au contraire à toujours montrer la distance entre les « savoirs <strong>académiques</strong> » et les<br />

« savoirs appliqués », par la mise en évidence de leurs contextes sociaux d’application (qu’il<br />

nomme « contingencies of knowledge »). Le pouvoir d’une profession ne dérive donc pas<br />

mécaniquement du statut épistémologique <strong>des</strong> savoirs, il dépend d’un certain nombre de<br />

« contingences » que le sociologue doit s’efforcer de mettre au jour :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Le cadre institutionnel de la pratique influence considérablement la capacité <strong>des</strong><br />

disciplines à s’attirer le soutien <strong>des</strong> autres de manière, tout d’abord, à assurer leurs<br />

privilèges et ensuite à exercer une influence dans le domaine public. Celles qui ont<br />

le même statut épistémologique ne jouissent pas toutes ni <strong>des</strong> mêmes privilèges, ni<br />

de la même influence. Et une même discipline, pour un statut épistémologique<br />

donné, peut avoir divers degrés d’influence sur les affaires publiques en différents<br />

endroits et à différents moments. Manifestement, nous devons examiner <strong>des</strong> critères<br />

supplémentaires pour pouvoir comprendre la façon dont le caractère <strong>des</strong> disciplines<br />

conditionne les privilèges politiques ou économiques. Nous devons aller au-delà de<br />

l’épistémologie et nous appuyer sur la substance ou le contenu <strong>des</strong> tâches que les<br />

disciplines réalisent ainsi que sur les conditions requises pour leur réalisation »<br />

(Freidson, 2001, p. 161)<br />

On voit à l’œuvre chez Freidson le même parti pris de « réalisme empirique » que<br />

chez Abbott : il y a loin de la production <strong>des</strong> savoirs à leur application, et il y a loin de leur<br />

application au « pouvoir social » d’une profession. Il faut donc reconstruire les chaînes qui<br />

assurent aux savoirs leur solidité et leur efficacité dans différents contextes sociaux. Le niveau<br />

d’analyse pertinent pour cela n’est pas celui <strong>des</strong> associations professionnelles et du<br />

« monopole » que les professions cherchent à acquérir par leur intermédiaire mais, comme<br />

chez Abbott, celui <strong>des</strong> tâches et du travail concret. La distinction faite par Freidson entre<br />

« sphères institutionnelles primaires » et « sphères institutionnelles secondaires » est de ce<br />

point de vue particulièrement intéressante 78 , puisqu’elle montre à quel point le lien entre les<br />

savoirs <strong>académiques</strong> et le pouvoir d’une profession dans un contexte donné peut se distendre.<br />

La plupart <strong>des</strong> professions se caractérisent en effet par l’existence de « sphères<br />

institutionnelles primaires », où leur pouvoir est solidement établi : les médecins dans les<br />

hôpitaux, les enseignants dans le système scolaire, les avocats dans les tribunaux, et à un<br />

degré moindre les <strong>ingénieurs</strong> dans l’industrie…. A l’inverse, une profession peut être amenée<br />

à s’exercer dans <strong>des</strong> contextes où la légitimité de son jugement est moins assurée, puisque ces<br />

espaces sont dominés par d’autres groupes 79 : les médecins dans l’armée ou dans l’industrie,<br />

<strong>des</strong> avocats dans <strong>des</strong> entreprises privées, le clergé dans le travail social etc. Il est clair par<br />

exemple que la légitimité d’un psychologue du travail sera moins forte dans une entreprise<br />

pratique ».<br />

78 Cette distinction trouve son origine chez HALLIDAY (1987, pp. 41-47)<br />

79 Les sphères institutionnelles secondaires sont proches de ce qu’Abbott qualifie sous le terme de « Juridictions<br />

contestées »<br />

93


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

industrielle où il exerce <strong>des</strong> fonctions de ressources humaines, que dans un cabinet de<br />

recrutement ou que dans le secteur de l’insertion ou du travail social. Les conséquences du<br />

contenu d’un savoir diffèrent donc d’un espace à l’autre. Mais une fois ces différences<br />

constatées, comment les expliquer ? Freidson (2001, pp. 161-167) dresse une liste de critères<br />

qui devraient être systématiquement examinés dans l’analyse <strong>des</strong> liens entre les savoirs et leur<br />

mise en œuvre pratique. Ceux-ci constituent l’ensemble <strong>des</strong> médiations qui séparent les<br />

savoirs de leur application. Le premier critère est celui de la reconnaissance officielle de la<br />

discipline : est-elle jugée d’une importance vitale pour la société, parce qu’elle traite de<br />

questions ultimes et conditionne sa survie (médecine, droit, religion) ? Est-elle jugée<br />

simplement nécessaire parce qu’elle rend <strong>des</strong> services utiles à la société (travail social,<br />

enseignement) ou dépend-elle entièrement du bon vouloir <strong>des</strong> élites de la société pour sa<br />

survie (arts et humanités…) ? Le second critère concerne les formes de division du travail<br />

associées aux différentes disciplines. Certaines professions, par la nature du savoir qu’elles<br />

mettent en œuvre, sont solitaires, et ne supposent pas <strong>des</strong> formes de division du travail très<br />

développées (magistrats, avocats, universitaires). D’autres, à l’inverse, comme la médecine,<br />

l’ingénierie ou l’architecture dépendent plus souvent d’un réseau complexe de coopérations<br />

entre différentes spécialités ou différentes professions et s’inscrivent dans <strong>des</strong> divisions du<br />

travail plus poussées 80 . Le troisième critère, qui dérive du précédent est celui <strong>des</strong> ressources<br />

socio-économiques requises dans l’exercice de la profession. Très peu de professions<br />

s’exercent aujourd’hui dans un vide socio-économique, pas même celle d’artiste, qui s’efforce<br />

pourtant d’entretenir l’image du travailleur libre et dégagé <strong>des</strong> contraintes économiques<br />

(Menger, 2002). Un enseignant a également besoin d’infrastructures nombreuses pour être<br />

mis au contact de ses élèves (bâtiments, manuels scolaires, personnels administratifs…) ; les<br />

architectes et les <strong>ingénieurs</strong> dépendent souvent de structures capitalistiques qui seules<br />

disposent <strong>des</strong> fonds nécessaires à la réalisation de leurs projets. De même, un médecin a<br />

aujourd’hui besoin d’appareils médicaux autrement plus complexes qu’un stéthoscope ou un<br />

simple scalpel. Ces dimensions socio-économiques ont <strong>des</strong> implications directes sur<br />

l’organisation <strong>des</strong> marchés du travail professionnels dans la mesure où la position au sein de<br />

ceux-ci dépend de l’accès différencié à ces ressources économiques rares qui soutiennent<br />

l’existence de la profession 81 . Enfin, la formation <strong>des</strong> professionnels eux-mêmes repose sur un<br />

80 « Le caractère épistémologique <strong>des</strong> disciplines pèse sur le degré de division du travail dans la mesure où<br />

lorsqu’elles sont empiriques ou techniques plutôt que normatives, il est probable qu’apparaisse une organisation<br />

complexe, composée de nombreuses spécialités et sous-spécialités » (FREIDSON, 2001, p 164)<br />

81 Voir sur ce point les travaux de CHAMPY (1998) sur la segmentation de la profession d’architecte en fonction<br />

de l’accès différencié à cette ressource socio-économique rare qu’est la commande publique.<br />

94


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

certain nombre de contingences : les facultés de droit, de lettres ou de sciences humaines<br />

requièrent moins d’infrastructures, de personnels ou de financements que les facultés de<br />

sciences, de médecine ou que les écoles d’<strong>ingénieurs</strong>. Ceci rend certaines disciplines et donc<br />

certaines professions plus vulnérables que d’autres aux contraintes socio-économiques.<br />

Freidson illustre ensuite sa démarche par une comparaison entre deux professions qui<br />

s’appuient sur <strong>des</strong> disciplines épistémologiquement voisines : les <strong>ingénieurs</strong> et les architectes.<br />

Alors que ces deux groupes mettent en œuvre un savoir théorique et formalisé, seul l’un d’eux<br />

– les architectes – est parvenu à se constituer en profession. La raison, nous dit Freidson, doit<br />

être cherchée tant dans les conditions économiques d’exercice de l’activité (les <strong>ingénieurs</strong><br />

travaillent pour la plupart au sein de gran<strong>des</strong> firmes et n’interviennent qu’à un moment précis<br />

de la division du travail interne à l’entreprise, alors que les architectes peuvent exercer en<br />

libéral) que dans les valeurs mises en avant par le groupe (les <strong>ingénieurs</strong> fondent la légitimité<br />

de leur action sur une valeur purement instrumentale : l’efficacité, alors que les architectes<br />

cherchent ajoutent à ce critère instrumental un critère esthétique).<br />

L’analyse de Freidson apparaît en revanche beaucoup plus fragile lorsqu’il<br />

s’intéresse aux transformations épistémologiques et à leurs conséquences sur les professions.<br />

Sur ce point, son analyse ne diffère guère de celle <strong>des</strong> fonctionnalistes. La sphère académique<br />

est vue comme le lieu d’un progrès continu de la recherche, qui donne aux professions les<br />

moyens de consolider leurs territoires et de mieux faire face à la concurrence d’autres groupes<br />

ou à la diffusion de leurs savoirs dans le monde « profane » :<br />

« La différence la plus importante entre les professions et les métiers de type<br />

artisanal tient peut-être au fait que les institutions idéal-typiques de formation <strong>des</strong><br />

professionnels ne se contentent pas de recruter, de former et de certifier leurs<br />

étudiants. Ce qui leur donne, à elles et à la profession dont elles font partie, la<br />

capacité de préserver et d’étendre leur domaine de compétence, c’est le fait qu’en<br />

plus d’enseigner, les enseignants se vouent à la systématisation, au raffinement et à<br />

l’extension du corps de connaissances et de savoir-faire propre à la profession »<br />

(Freidson, 2001, p. 96)<br />

Par ailleurs, Freidson ne s’intéresse qu’aux changements épistémologiques<br />

incrémentaux et est totalement silencieux sur les transformations de plus grande ampleur, du<br />

type de celles étudiées par Jamous et Peloille à propos de la médecine ou par Abbott à propos<br />

de la psychiatrie.<br />

Les analyses de Freidson et de Abbott nous invitent à mettre l’accent sur deux éléments qui<br />

concernent directement les rapports entre savoirs et professions :<br />

1) il est important de distinguer le statut épistémologique d’une discipline de ses applications<br />

sociales. Entre l’un et l’autre, s’intercalent un ensemble de « contingences », qui ne peuvent<br />

95


être comprises que par une analyse approfondie du travail concret de la profession considérée<br />

dans ses différents contextes sociaux. Cette dimension sera approfondie dans le chapitre V, où<br />

nous explorons les variations prises par les savoirs psychologiques selon les lieux d’activité,<br />

en nous appuyant sur les principaux éléments d’un questionnaire envoyé aux psychologues du<br />

travail.<br />

2) La sphère de production <strong>des</strong> savoirs et la sphère de la pratique connaissent <strong>des</strong> évolutions<br />

relativement autonomes l’une de l’autre, chacune suivant une temporalité et un rythme qui lui<br />

sont propres. Les changements internes <strong>des</strong> savoirs n’atteignent donc la profession qu’avec un<br />

écho largement diminué. La configuration de la profession elle-même peut favoriser une<br />

diffusion rapide <strong>des</strong> nouveaux paradigmes (ex : <strong>ingénieurs</strong>) ou au contraire une diffusion très<br />

lente (médecine clinique, psychiatrie…).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

C. LA PSYCHOLOGIE : SCIENCE HUMAINE OU SCIENCE NATURELLE ?<br />

« L’ancienne psychologie est une conception bâtarde<br />

qui doit périr par les contradictions qu’elle renferme (…) elle<br />

est imbue de métaphysique : elle est la science de l’âme »<br />

(Théodule Ribot, La psychologie allemande contemporaine,<br />

1879, p. III)<br />

Il serait prétentieux de vouloir résumer en quelques pages l’histoire de la psychologie<br />

en tant que discipline scientifique. Un tel exercice est périlleux, car il cherche à rendre<br />

cohérentes <strong>des</strong> évolutions qui se sont faites par tâtonnements, par à-coups, et où le hasard a<br />

pris une part importante. Le résultat en est souvent un récit convenu et dépassionné (celui de<br />

la "science froide", pour reprendre l’expression de Latour, 1989), là où l’historien <strong>des</strong><br />

sciences voudrait pénétrer plus en profondeur les méandres <strong>des</strong> voies de recherche non<br />

abouties, qui font la véritable histoire d’une discipline. La mise en évidence <strong>des</strong> lignes de<br />

force de l’histoire de la science psychologique est néanmoins nécessaire si l’on veut<br />

comprendre la position de la psychologie du travail et son évolution au sein de cet ensemble<br />

plus vaste 82 . Pourtant, cet exercice serait en lui-même insuffisant, car l’histoire de la<br />

82 Nos principales sources pour l’histoire de la psychologie générale en France sont : REUCHLIN (1971) ;<br />

BRAUNSTEIN et PEWZNER (1999) ; OHAYON (1999) ; NICOLAS (2002). Pour les Etats-Unis : NAPOLI (1981),<br />

PAICHELER (1992) et CAPSHEW (1999). Pour l’Allemagne : DANZIGER (1990) et GEUTER (1992).<br />

96


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

psychologie du travail ne se subsume pas tout entière sous celle de la psychologie. En effet, si<br />

la psychologie du travail s’est définitivement ancrée dans l’orbite de la psychologie<br />

expérimentale au début du XX e siècle, elle plonge en réalité ses racines dans une « science du<br />

travail » plus ancienne, qui, elle, n’est pas seulement psychologique mais emprunte également<br />

à un grand nombre d’autres disciplines : chimie, physique, physiologie, biologie (Vatin,<br />

1999). Selon l’heureuse expression de Maurice Reuchlin (1971, p. 28) la psychologie du<br />

travail est le produit du « rendez-vous » historique entre la nouvelle psychologie<br />

« scientifique » née en Allemagne 83 puis introduite en France par Théodule-Armand Ribot<br />

(1839-1916) et Henri Beaunis (1830-1921), et une réflexion politique sur le travail (la<br />

« science du travail »), qui lui était bien antérieure et puisait à d’autres traditions que la<br />

psychologie spéculative. Le lieu n’est pas ici de retracer la genèse de cette science du travail,<br />

dont les origines se situent dans la physique et la chimie de la fin du dix-huitième siècle :<br />

d’autres l’ont fait avant nous (Vatin, 1999 ; Rabinbach, 1990) et cela nous éloignerait de notre<br />

interrogation principale qui porte sur l’émergence, bien plus tardive, d’une profession de<br />

psychologue du travail. Signalons simplement qu’en raison de cette double filiation<br />

(psychologie expérimentale et science du travail), l’histoire de la psychologie du travail ne<br />

peut se résumer à l’action énergique de quelques « entrepreneurs » porteurs d’un projet<br />

professionnel, au sens où l’entend Larson (1977). L’évolution « interne » de la discipline –<br />

qui ne se limite pas ici à la seule action d’un groupe social tourné vers la conquête d’un<br />

monopole économique – doit elle aussi être prise en considération.<br />

Nous reviendrons ultérieurement (chapitre II) sur la position de la psychologie du<br />

travail par rapport à cette science du travail, mais pour l’heure, et puisque le <strong>des</strong>tin de la<br />

psychologie du travail s’est scellé au début du XX e siècle au sein de la jeune psychologie<br />

expérimentale, il nous faut présenter les conditions d’émergence de cette nouvelle science en<br />

France.<br />

83 Les historiens de la psychologie situent généralement la naissance de ce nouveau paradigme de la psychologie<br />

expérimentale à la création du laboratoire de psychologie expérimentale de Wilhelm Wundt à l’université de<br />

Leipzig en 1879.<br />

97


1. Le « front scientifique » : La genèse du paradigme expérimentaliste en<br />

psychologie<br />

a) L’héritage <strong>des</strong> Lumières : la psychologie entre médecine et<br />

philosophie<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La psychologie a longtemps été considérée en France comme une branche de la<br />

philosophie et à ce titre, son enseignement s’est d’abord institutionnalisé au début du XIX e<br />

siècle au sein <strong>des</strong> chaires de philosophie <strong>des</strong> facultés de lettres. On fait généralement remonter<br />

cette tradition de psychologie philosophique au dix-huitième siècle et au matérialisme de<br />

certains Encyclopédistes – Condillac (1714-1780), d’Holbach (1723-1789) Destutt de Tracy<br />

(1754-1836) – pour qui toute forme d’entendement et de connaissance peut être dérivée du<br />

monde matériel et corporel. Ce courant philosophique, qualifié de « sensualisme », remet en<br />

cause la dichotomie héritée de Descartes entre l’âme et le corps : la sensation est le fait<br />

premier de l’âme humaine. Par conséquent, l’ensemble <strong>des</strong> facultés humaines (l’attention, la<br />

mémoire, l’imagination, la comparaison, la réflexion, l’entendement…) prennent leur source<br />

dans la sensation et le rapport au monde matériel. Certains philosophes <strong>des</strong> Lumières<br />

(Christian Wolff, Condillac…) empruntent le terme de « psychologie » pour désigner ce<br />

nouveau domaine d’investigation de l’âme humaine. D’autres (Destutt de Tracy,<br />

Laromiguière, Maine de Biran) le refusent, et lui préfèrent le terme d’ « Idéologie », estimant<br />

le projet d’une psychologie (littéralement : « science de l’âme ») trop ambitieux.<br />

Il serait arbitraire de tracer <strong>des</strong> frontières trop rigi<strong>des</strong> entre la pensée médicale et la<br />

pensée philosophique du dix-huitième siècle : comme le souligne Jacques Léonard (1992) les<br />

deux domaines se fécondent mutuellement. Des personnalités comme Cabanis, Pinel ou<br />

Corvisart établissent un pont entre la philosophie sensualiste <strong>des</strong> Lumières et une pensée<br />

médicale qui se renouvelle au lendemain de la Révolution. La naissance de la méthode<br />

anatomo-clinique au début du XIX e siècle ne saurait d’ailleurs être comprise sans l’arrière<br />

fonds <strong>des</strong> Lumières et ce souci d’aller puiser dans l’expérience et l’observation l’origine <strong>des</strong><br />

différentes affections corporelles :<br />

98<br />

« Antiscolastique, l’analyse en médecine (…) refuse les classifications a priori et les<br />

systèmes ex cathedra, réclame la liberté de critique et de recherche et épouse la<br />

méthode inductive (Condillac, Lavoisier, Laplace, Cabanis : même combat). Elle<br />

doit d’abord décomposer les apparences, disséquer les organes et les tissus, recenser<br />

les symptômes, passer en revue les circonstances, en remontant éventuellement dans<br />

le passé (…) » (Léonard, op. cit., p. 221).<br />

La première moitié du XIX e siècle, voit s’épanouir une floraison de doctrines<br />

psychologiques qui prolongent les débats <strong>des</strong> Lumières. Les unes sont plus ou moins inscrites


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dans l’héritage du sensualisme : c’est le cas de la phrénologie de Franz-Joseph Gall (1758-<br />

1828), qui tente de relier les facultés mentales et le fonctionnement de l’esprit humain à la<br />

configuration matérielle du cerveau 84 . D’autres s’inscrivent davantage dans l’esprit<br />

romantique de l’époque : on songe par exemple à l’électro-psychologie de l’écossais James<br />

Braid (1795-1860), qui propose une nouvelle interprétation <strong>des</strong> phénomènes d’hypnose,<br />

fondée sur l’idée que ce sont les fonctions physiologiques internes du sujet, et non un fluide<br />

externe, qui provoquent l’hypnose ; on songe aussi à la psychologie éclectique et spiritualiste<br />

de Victor Cousin (1792-1867) et de Théodore Jouffroy (1796-1842), qui prônent le recours à<br />

l’introspection et l’observation intérieure de l’esprit par lui-même 85 .<br />

Ces différentes théories, qui représentent à bien <strong>des</strong> égards le « côté obscur » du<br />

savoir médical, suscitent l’intérêt de nombreux médecins, mais n’en demeurent pas moins en<br />

marge de la médecine officielle. La psychologie n’est pas enseignée en tant que telle dans les<br />

facultés de médecine, qui restent tournées vers ces deux disciplines phares que sont la<br />

physiologie et l’anatomie. C’est donc principalement au sein de la philosophie classique<br />

universitaire que la psychologie trouvera sa place au cours du XIX e siècle, à travers les<br />

enseignements de philosophes comme Laromiguière (1756-1837), héritier de Condillac, Elme<br />

Caro (1826-1887), Paul Janet (1823-1899) 86 ou Adolphe Garnier (1801-1864) 87 . Un<br />

enseignement de psychologie sera même en vigueur dans l’enseignement secondaire à partir<br />

de 1832, grâce à l’action de Victor Cousin au ministère de l’Instruction publique. Mais,<br />

comme le note D. Nolen dans sa préface à l’édition française de l’œuvre de Wilhelm Wundt<br />

(op. cit., p. XII) il s’agit là d’une psychologie essentiellement métaphysique et spiritualiste,<br />

qui ne s’est pas encore engagée dans les voies de la science. Elle s’inscrit directement dans la<br />

tradition de la psychologie morale de Maine de Biran et de Cousin, qui prend l’étude <strong>des</strong> états<br />

d’âme, <strong>des</strong> humeurs et du sens intime comme point de départ de toute investigation<br />

psychologique :<br />

« (…) la psychologie de ces auteurs est surtout une théorie de la connaissance et une<br />

métaphysique de l’âme, une étude <strong>des</strong> lois de la connaissance et du principe pensant.<br />

C’est à démontrer la liberté et l’unité du moi, et la valeur <strong>des</strong> vérités a priori qu’une<br />

84 Sur la phrénologie de Gall, voir GIERYN, op. cit. et LEONARD (1981, p. 112-114)<br />

85 La psychologie spiritualiste de Victor Cousin fera l’objet <strong>des</strong> plus vives critiques d’Auguste Comte dans sa<br />

première leçon du Cours de philosophie positive. Chez Comte, l’idée que l’esprit humain puisse s’observer luimême<br />

est une absurdité. Il ne peut s’étudier qu’à travers ses actes et ses manifestations collectives, visibles dans<br />

la marche de l’histoire, d’où l’importance accordée à la sociologie par Comte. La position <strong>des</strong> Idéologues, qui<br />

ramenaient l’esprit à ses conditions matérielles, apparaît tout aussi absurde aux yeux de Comte. Seule la<br />

phrénologie de Gall était appelée à occuper une place dans son système <strong>des</strong> sciences, car si Comte récusait les<br />

fondements de la psychologie, il ne condamnait pas pour autant l’étude physiologique <strong>des</strong> organes intellectuels.<br />

86 Paul Janet, psychologue spiritualiste, est l’oncle du célèbre psychopathologiste Pierre Janet (1859-1947).<br />

87 NICOLAS, op. cit., 2002, pp. 35-37<br />

99


grande partie de ces ouvrages est consacrée. Or ce sont là <strong>des</strong> objets métaphysiques<br />

au premier chef, dont la psychologie n’a pas à s’occuper. On ne peut se résoudre à<br />

admettre qu’on ne parle pas de la nature de l’âme dans une psychologie. Pourtant, on<br />

fait bien une physique sans se prononcer sur la nature de la matière. Pourquoi n’en<br />

serait-il pas de même en psychologie ? »<br />

b) Les sciences exactes au service de la psychologie : le modèle<br />

allemand<br />

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C’est vers l’Allemagne qu’il faut se tourner pour trouver le modèle de la « nouvelle<br />

psychologie» 88 qui essaimera en Europe et aux Etats-Unis dans les dernières décennies du<br />

XIX e siècle. Jusque vers 1850, la situation institutionnelle de la psychologie en Allemagne est<br />

assez semblable à celle que connaît la France : un paysage scientifique dominé par une<br />

psychologie philosophique, laquelle se trouve partagée entre doctrines concurrentes. Les<br />

débats sont particulièrement vifs entre les philosophes partisans d’une psychologie<br />

introspective et spiritualiste (Schelling, Fichte, Carus), et les tenants d’une psychologie<br />

matérialiste et empirique, qui établissent un lien entre le physique et le moral, sans toutefois<br />

entrer sur le terrain de l’expérimentation (Lotze, Drobisch, Herbart). Comment comprendre<br />

alors que soit apparue précisément en Allemagne au cours de cette période cette psychologie<br />

nouvelle, accompagnée d’un nouveau rôle professionnel : celui de « psychologue », qui ne se<br />

limite pas à être celui d’un médecin, ni d’un philosophe ou d’un physiologiste ?<br />

L’institutionnalisation de la psychologie en France est bien plus tardive : jusqu’au début <strong>des</strong><br />

années 1920 la psychologie académique reste sous la coupe de la médecin ou de la<br />

philosophie (Pierre Janet et Edouard Toulouse se définissent davantage comme <strong>des</strong> médecins<br />

ou <strong>des</strong> psychiatres que comme <strong>des</strong> psychologues par exemple ; Théodule-Armand Ribot se<br />

définit plutôt comme un philosophe, et Charles Richet ou Henri Beaunis comme <strong>des</strong><br />

physiologistes).<br />

Ben-David et Randall Collins (1966) ont ouvert <strong>des</strong> pistes intéressantes pour<br />

comprendre le contraste entre les situations allemande, française et américaine du point de<br />

vue de l’émergence de cette psychologie scientifique. Leur analyse met au premier plan<br />

l’organisation du système universitaire allemand de la seconde moitié du XIX e siècle. Dans<br />

leur perspective, les idées ne suffisent pas à elles seules à expliquer l’apparition d’une<br />

nouvelle science : encore faut-il que celles-ci prennent corps dans <strong>des</strong> institutions<br />

88 Les termes d’ « ancienne » et de « nouvelle » psychologie étaient utilisés pour désigner en France l’opposition<br />

entre la psychologie philosophique principalement spéculative de Victor Cousin ou Paul Janet et la psychologie<br />

expérimentale de Wilhelm Wundt. En ce qui concerne l’histoire de la nouvelle psychologie en Allemagne, nous<br />

nous appuyons principalement sur RIBOT (1879)<br />

100


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(laboratoires, universités…), <strong>des</strong> réseaux de diffusion (revues, colloques…) et <strong>des</strong> « rôles<br />

professionnels » 89 spécifiques. C’est à cette condition qu’une nouvelle science pourra se<br />

pérenniser et « faire école », en permettant la formation de disciples. Selon les auteurs, la<br />

nouvelle psychologie est née de l’hybridation de deux rôles professionnels : celui du<br />

philosophe universitaire, principalement tourné vers la spéculation métaphysique et celui du<br />

physiologiste, tourné vers les sciences naturelles et l’expérimentation. Dans le contexte de<br />

l’Allemagne scientiste et progressiste <strong>des</strong> années 1850-1860, la physiologie jouissait d’un<br />

prestige supérieur à celui de la philosophie ; les opportunités d’y faire carrière y étaient<br />

cependant moindres, car la discipline s’était développée très rapidement entre 1850 et 1860,<br />

bloquant pour plusieurs décennies la plupart <strong>des</strong> postes de professeurs. Ce différentiel entre<br />

les deux disciplines a provoqué la migration de nombreux physiologistes de formation vers la<br />

philosophie, donnant naissance à un rôle professionnel hybride : celui de « philosophe<br />

expérimentateur », qui applique les métho<strong>des</strong> de la physiologie a <strong>des</strong> objets philosophiques 90 .<br />

L’analyse de Ben-David et Collins pourrait être soumise à discussion. Elle donne une<br />

place démesurée aux facteurs sociaux dans la naissance de la psychologie scientifique, au<br />

détriment de la continuité dans l’histoire <strong>des</strong> idées 91 . Wundt par exemple, dans les Principes<br />

de psychologie physiologique (op. cit.), se reconnaît <strong>des</strong> antécédents dans la psychologie du<br />

dix-huitième siècle (Wolff) et du XIX e siècle (Herbart, Lotze). Malgré tout, leur analyse est<br />

utile pour comprendre pourquoi une profession de psychologue universitaire est née en<br />

Allemagne dans les années 1870-1890 et pourquoi cette situation n’a pu se produire en France<br />

qu’une trentaine d’années plus tard. Wundt et ses disciples ne se reconnaissaient ni dans la<br />

figure du physiologiste, à laquelle ils n’avaient pu accéder, ni dans celle du philosophe qu’ils<br />

jugeaient trop spéculatif. Wundt lui-même avait commencé sa carrière comme médecin, puis<br />

physiologiste en 1857. Il était resté Dozent pendant 17 ans ; en 1875, faute de trouver un poste<br />

89 La sociologie <strong>des</strong> sciences de Ben David et Collins accordent une place prédominante à la notion de rôle telle<br />

qu’elle a été définie par MERTON (1965), c’est-à-dire comme un code de comportement inscrit dans un réseau<br />

d’anticipations réciproques.<br />

90 Ce schéma d’analyse pourrait être appliqué terme à terme à l’émergence <strong>des</strong> "sciences de gestion" en France<br />

depuis les années 1960. Comme l’a bien montré Fabienne PAVIS (2003a et 2003b), la relative rareté <strong>des</strong> postes<br />

dans certaines disciplines universitaires comme l’économie et la sociologie à partir <strong>des</strong> années 1980, où les<br />

vagues de recrutement les plus importantes avaient eu lieu dans les années 1960, ont favorisé la migration<br />

d’individus (et donc de concepts et théories scientifiques) vers la gestion, discipline en forte expansion à partir<br />

du début <strong>des</strong> années 1970. On regrettera toutefois que Pavis n’explore pas davantage l’impact de ces facteurs<br />

morphologiques sur l’évolution du corpus disciplinaire lui-même, lisible dans les trajectoires individuelles de ses<br />

membres.<br />

91 BEN-DAVID et COLLINS (1966, pp. 462-463) expliquent très bien pourquoi <strong>des</strong> facteurs sociaux ont pu<br />

conduire <strong>des</strong> philosophes à mettre en œuvre <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> expérimentales. Ils n’expliquent pas en revanche la<br />

situation inverse : pourquoi <strong>des</strong> physiologistes comme Heinrich Weber (1795-1878) Emil Du Bois-Reymond<br />

(1818-1896) ou Hermann von Helmholtz (1821-1894) manifestaient-ils un intérêt pour la philosophie, dans un<br />

101


en physiologie, il accepte une chaire de philosophie à Heidelberg, tout en donnant une<br />

tournure physiologique et expérimentale à ses travaux philosophiques. En 1879, il crée un<br />

laboratoire de psychologie expérimentale à l’université de Leipzig, qui resta un modèle<br />

inégalé jusqu’à la fin du XIX e siècle. Des étudiants de nombreux pays vinrent s’y former, et<br />

développèrent par la suite dans leur pays les structures institutionnelles d’une psychologie<br />

scientifique.<br />

c) La situation française : La « psychologie nouvelle » en marge de<br />

l’Université<br />

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En France, à la différence de ce qu’il en a été en Allemagne, la physiologie et la<br />

philosophie jouissaient toutes deux d’un prestige important dans la seconde moitié du XIX e<br />

siècle. L’université, dominée par les disciples de cousin, faisait une large place à la<br />

psycholoige, dans une sorte de spiritualisme néo-kantien, mais la psychologie expérimentale<br />

restait à l’écart <strong>des</strong> enseignements. Pour comprendre la lenteur de l’institutionnalisation de<br />

cette « nouvelle psychologie » en France, il faut se tourner vers la structure même du système<br />

universitaire et de recherche. La psychologie nouvelle se développe en France à une période<br />

où la Sorbonne et plus généralement les facultés sont peu propices à l’audace et aux<br />

innovations intellectuelles 92 . Le Collège de France, en revanche, connaît dans le même<br />

moment un véritable apogée et se montre plus ouvert que tout autre établissement aux<br />

innovations scientifiques. C’est donc cet établissement qui accueille la psychologie nouvelle,<br />

à travers la création d’une chaire de « Psychologie expérimentale et comparée » pour<br />

Théodule-Armand Ribot en 1888. Mais le Collège de France était davantage tourné vers la<br />

valorisation <strong>des</strong> talents individuels que vers celle d’un projet collectif, et se prêtait donc assez<br />

mal à l’institutionnalisation d’une nouvelle discipline. Par ailleurs, l’absence d’un public<br />

d’auditeurs réguliers ne permettait pas la formation d’une cohorte de « disciples »<br />

susceptibles de pérenniser la discipline 93 .<br />

Le parcours académique de Théodule-Armand Ribot illustre particulièrement bien<br />

cette situation. Philosophe de formation, Ribot soutient en 1873 une thèse à la Sorbonne sur<br />

l’hérédité <strong>des</strong> facteurs psychologiques, dans laquelle il affirme que les traits psychologiques<br />

contexte où celle-ci était méprisée par les sciences expérimentales ?<br />

92 Cette sclérose de l’université française entre 1840 et 1880, soulignée par Robert FOX (1984) et Christophe<br />

CHARLE (1997 [1986], p. 1990) ne prit fin qu’avec les réformes mises en œuvre par le directeur de<br />

l’enseignement supérieur Louis Liard dans les années 1890.<br />

93 La sociologie connut une situation semblable au début du XX e siècle. Selon Terry CLARK (1973) et Ian LUBEK<br />

(1981, p. 376), l’une <strong>des</strong> raisons pour lesquelles c’est la sociologie de Durkheim et non celle de Tarde qui s’est<br />

institutionnalisée en France tient au fait que Durkheim occupait une chaire à la Sorbonne alors que Tarde était au<br />

102


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sont héréditaires, au même titre que les facteurs biologiques. La méthode qu’il met en œuvre<br />

n’est pas à proprement parler « expérimentale », au sens où l’entend Wundt, ni au sens où<br />

l’entendront quelques années plus tard les psycho-physiologistes français Beaunis, Binet ou<br />

Richet. Sa thèse apparaît toutefois révolutionnaire aux yeux <strong>des</strong> philosophes spiritualistes de<br />

la Sorbonne puisqu’il entend engager la philosophie dans les voies de la science, en fondant<br />

une psychologie objective appuyée sur la seule observation minutieuse <strong>des</strong> faits. En raison de<br />

ses positions théoriques, Ribot eut beaucoup de mal à développer un enseignement autonome<br />

de psychologie. Grâce au soutien de Louis Liard 94 , chargé de la réforme de l’enseignement<br />

supérieur, il obtient entre 1885 et 1888 un éphémère « cours de psychologie expérimentale » à<br />

la Sorbonne (financé par le Ministère de l’Instruction publique, et non par la Sorbonne) mais<br />

il n’y occupe pas de chaire, en raison de la vive opposition <strong>des</strong> philosophes spiritualistes<br />

(Nicolas, op. cit., p. 126-131). Elu au Collège de France en 1888, ce précurseur de la<br />

psychologie scientifique française est resté relativement isolé durant toute sa carrière. A la<br />

différence de Wundt en Allemagne, ou de Granville Stanley Hall aux Etats-Unis, il n’a pas<br />

créé de laboratoire de psychologie, qui lui aurait permis de s’entourer d’une équipe de jeunes<br />

gens partageant son intérêt pour la psychologie « scientifique ». Au demeurant, même s’il<br />

introduit une rigueur et une méthode qui n’existait pas dans la philosophie spiritualiste, Ribot<br />

reste principalement un philosophe, un théoricien de la psychologie, et non un<br />

expérimentateur. Il n’est pas un homme de laboratoire. Ainsi, la revue qu’il fonde en 1876 (la<br />

Revue philosophique de la France et de l’étranger) ne réserve qu’une place limitée à la<br />

psychologie expérimentale et à la physiologie, recevant surtout <strong>des</strong> articles de métaphysique<br />

ou d’histoire de la philosophie 95 . Ribot est donc essentiellement un précurseur, un diffuseur<br />

d’idées et son importance dans l’histoire de la psychologie française tient essentiellement au<br />

fait qu’il a introduit en France les travaux de ses contemporains anglais et allemands à travers<br />

deux ouvrages : La psychologie anglaise contemporaine (1870) et surtout La psychologie<br />

allemande contemporaine (1879).<br />

L’influence de Henri Beaunis (1830-1921) et d’Alfred Binet (1857-1911) d’un côté,<br />

d’Edouard Toulouse (1865-1947) de l’autre, a certainement été plus grande que celle de Ribot<br />

Collège de France et n’avait donc pas accès à un public d’auditeurs réguliers.<br />

94 Louis Liard, directeur de l’enseignement supérieur de 1884 à 1902 aura exercé une grande influence sur<br />

l’institutionnalisation de la psychologie expérimentale en France. L’ouvrage d’Alfred BINET Introduction à la<br />

psychologie expérimentale (1894) lui est d’ailleurs dédié.<br />

95 Cela tient certainement au fait que cette revue avait été créée en collaboration avec Paul Janet (voir supra),<br />

héritier de la philosophie spiritualiste de Victor Cousin.<br />

103


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au point de vue de l’institutionnalisation de la psychologie comme science autonome 96 . Grâce<br />

à eux, elle a pu acquérir progressivement son autonomie vis-à-vis de la double tutelle de la<br />

psychologie et de la médecine. Beaunis, médecin et physiologiste à la faculté de médecine de<br />

Nancy, s’était illustré par <strong>des</strong> travaux de psychologie physiologique <strong>des</strong> sensations sur<br />

l’hypnotisme menés entre 1870 et 1880. Peu de temps après la nomination de Ribot au<br />

Collège de France, Beaunis sollicite l’appui de ce dernier auprès de Louis Liard en vue de<br />

créer un « laboratoire de psychologie physiologique ». Celui-ci est créé en 1889, et rattaché à<br />

l’Ecole Pratique <strong>des</strong> Hautes Etu<strong>des</strong> (EPHE). Ce laboratoire de psychologie – le premier en<br />

France – eut par la suite une grande importance ; <strong>des</strong> psychologues de renom comme Alfred<br />

Binet (qui prend la direction du laboratoire en 1894), Victor Henri (1872-1940) ou Jean-<br />

Philippe (1862-1931) y effectuèrent de nombreuses recherches sur les temps de réaction, la<br />

mémoire ou les sensations visuelles et auditives. Toutefois, bien que situé dans les locaux de<br />

la Sorbonne, ce laboratoire reste en marge de l’Université et les philosophes universitaires de<br />

l’ancienne école continuent à s’opposer fermement à l’enseignement de la « psychologie<br />

nouvelle » au sein de l’université.<br />

Cette position marginale de la psychologie pesa sans aucun doute sur le <strong>des</strong>tin de la<br />

discipline, puisque jusqu’à l’entre-deux guerres, comme nous le verrons, la psychologie n’eut<br />

pas véritablement droit de cité dans l’université. Cela fut particulièrement vrai de la<br />

psychologie du travail qui ne parvint à s’établir qu’à sa périphérie : au CNAM en 1928<br />

(Conservatoire <strong>des</strong> Arts et Métiers), à l’INOP en 1928 (Institution National d’Orientation<br />

Professionnelle) et à l’Institut de psychologie (Sorbonne) en 1922.<br />

d) Les débuts de la psychologie appliquée aux Etats-Unis<br />

A la différence de la France ou de l’Allemagne, la psychologie scientifique voit le<br />

jour aux Etats-Unis sur un terrain académique pratiquement vierge. Les figures du médecin,<br />

du physiologiste ou du philosophe ne viennent donc pas compromettre le développement<br />

d’une discipline qui semble dès le départ étroitement liée aux métho<strong>des</strong> du laboratoire et donc<br />

aux progrès de la science. On peut difficilement évoquer la naissance de la psychologie<br />

96 Nous n’évoquerons pas ici le rôle joué par Jean-Martin Charcot (1825-1893) dans l’institutionnalisation de la<br />

psychologie en France, puisque ses travaux concernent principalement la psychologie pathologique (hypnotisme,<br />

hystérie, aliénation mentale), et que cette branche de la psychologie n’a trouvé qu’un écho limité dans les<br />

recherches de psychologie du travail. La double influence de Charcot (médecin aliéniste) et de Ribot<br />

(philosophe) donne naissance à <strong>des</strong> secteurs de la psychologie assez nettement différenciés (la psychopathologie<br />

d’un côté, la psychologie expérimentale de l’autre) ce qui montre bien qu’il n’y a pas eu en France d’<br />

« hybridation de rôle » semblable à celle qui a vu le jour en Allemagne. On peut peut-être voir dans ce "double<br />

héritage" de la psychologie française (médecine et psychologie) l’une <strong>des</strong> raisons <strong>des</strong> divisions durables entre les<br />

applications médicales de la psychologie et les applications sociales.<br />

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américaine sans mentionner la figure centrale de William James (1842-1910), érudit<br />

cosmopolite issu de la bourgeoisie de la côte Est <strong>des</strong> Etats-Unis. Bien qu’il fût médecin de<br />

formation, James n’exerça jamais cette profession et se tourna très jeune vers la psychologie<br />

expérimentale, qu’il découvrit à l’occasion d’un voyage en Allemagne en 1867 (où il suivit<br />

notamment les cours de Du Bois Reymond et de Helmholtz et se familiarisa avec les travaux<br />

de Weber et Fechner). De cette expérience, James garda longtemps la conviction que le<br />

laboratoire est une source inépuisable d’information et de progrès dans le domaine de la<br />

psychologie. Mais, si James donna donc une impulsion décisive à la psychologie, en créant à<br />

l’Université de Harvard un « laboratoire de psychologie » en 1891 et en délivrant <strong>des</strong><br />

enseignements au sein de cette université, il semblait lui-même manifester peu d’intérêt pour<br />

le travail de laboratoire. Il se détourna rapidement de la psychologie expérimentale pour<br />

développer dans les années 1890 une philosophie d’inspiration pragmatique, qui le conduisit à<br />

s’intéresser principalement aux conséquences de l’expérience immédiate sur les états de la<br />

conscience 97 . Après avoir obtenu le poste de « professeur de psychologie » à Harvard en<br />

1889, il demande à reprendre celui de « professeur de philosophie » en 1897. Dès 1892, il fut<br />

remplacé à la tête du laboratoire de Harvard par un psychologue allemand formé par Wundt à<br />

Leipzig : Hugo Münsterberg (1863-1916). Ce psychologue, qui fonda la psychologie<br />

industrielle aux Etats-Unis, fut le réel animateur de la psychologie scientifique à ses débuts. Il<br />

organisa le laboratoire de Harvard sur le modèle de celui de Leipzig, aussi bien du point de<br />

vue <strong>des</strong> thèmes de recherche (temps de réaction, attention, mémoire, calcul, psychophysiologie<br />

<strong>des</strong> sensations) que sur le plan de l’organisation interne (ainsi, par exemple, les<br />

étudiants partageaient leur temps entre leurs propres travaux et la participation aux recherches<br />

de leurs collègues en tant que sujets ou en tant qu’expérimentateurs). Münsterberg apporta par<br />

ses recherches personnelles une contribution majeure au développement de la psychologie du<br />

travail (étu<strong>des</strong> psycho-physiologiques de professions, élaboration de tests de sélection…). On<br />

aurait toutefois tort de ne voir en lui qu’un pur technicien. C’était un homme d’une grande<br />

culture, qui entretenait une correspondance régulière avec les plus grands penseurs de son<br />

époque : Pierre Janet, Georg Simmel, Ralph Waldo Emerson, Max Weber, Werner Sombart,<br />

mais aussi avec <strong>des</strong> personnalités politiques : le syndicaliste Samuel Gompers, le leader noir<br />

William Du Bois, l’homme politique Théodore Roosevelt 98 . Grâce à lui et à un autre disciple<br />

97 James écrivait en 1896 à son ami le psychologue suisse Théodore Flournoy : « Je me suis tout à fait débarrassé<br />

du laboratoire et j’offrirais sur-le-champ ma démission si l’on voulait m’en charger à nouveau. Les résultats de<br />

ce travail de laboratoire m’apparaissent de plus en plus décevants et insignifiants » (cité par REUCHLIN, op. cit.,<br />

p. 22)<br />

98 Arch. Münsterberg, Boston Public Library<br />

105


de Wundt, Granville Stanley Hall (1844-1924), les Etats-Unis acquirent rapidement une<br />

position dominante dans le domaine de la psychologie expérimentale. En 1894, le pays<br />

compte 16 laboratoires de psychologie (quatre fois plus que l’Allemagne, voir tableau 1) ; en<br />

1900, il en compte plus de quarante (Capshew, 1999, p. 4).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 1 – Les laboratoires de psychologie en 1894<br />

Nombre de laboratoires de<br />

psychologie<br />

Etats-Unis 16<br />

Allemagne 4<br />

Grande-Bretagne 2<br />

France 1<br />

Source : Binet (1894)<br />

C’est en réalité une génération entière de jeunes psychologues (James McKeen<br />

Cattell, Granville Stanley Hall, Hugo Münsterberg, Walter Dill Scott, Edward Titchener) qui<br />

a été formée au laboratoire de Wundt à Leipzig entre 1880 et 1900. Ils reviennent aux Etats-<br />

Unis armés de leurs nouvelles métho<strong>des</strong>, avec l’espoir de pouvoir les appliquer rapidement à<br />

une société industrielle en plein essor. Le terrain qu’ils investissent est presque totalement<br />

inoccupé, à la fois sur le plan <strong>des</strong> applications pratiques et sur le plan académique, puisqu’il<br />

n’y a pas de tradition solidement ancrée de philosophie, ni de physiologie. La psychologie<br />

industrielle n’a pas eu, par conséquent, à réellement lutter pour trouver sa place dans le monde<br />

académique et dans la société 99 : elle est apparue d’emblée comme une branche, une<br />

subdivision de cette nouvelle science d’importation allemande qu’était la psychologie.<br />

Comme le note Napoli (1981, p. 8) dans son histoire de la profession de psychologue aux<br />

Etats-Unis :<br />

« Les psychologues praticiens furent le premier groupe professionnel à être formés<br />

dès le départ à l’université. Ils ne se reconnaissaient dans aucun ancêtre du XIX e<br />

siècle et ne connurent donc pas le passage d’une formation par apprentissage ou par<br />

expérience à une formation universitaire formalisée. Dès le début de la psychologie<br />

appliquée, les praticiens détenaient <strong>des</strong> titres universitaires ».<br />

Par ailleurs, comme l’a montré Paicheler (op. cit., pp. 110-112) la psychologie s’est<br />

développée aux Etats-Unis dans un contexte d’extension rapide <strong>des</strong> marchés du travail<br />

universitaires, puisque les graduate schools commencent à se développer à partir de 1876,<br />

offrant ainsi <strong>des</strong> possibilités d’ascension rapide pour cette génération de jeunes chercheurs<br />

formés en Allemagne.<br />

99 Le modèle de « juridictions » proposé par ABBOTT (1988) trouverait certainement <strong>des</strong> prolongements au sein<br />

de la sphère académique : de même qu’il y a une « écologie <strong>des</strong> professions », il y a aussi une « écologie » <strong>des</strong><br />

disciplines <strong>académiques</strong>.<br />

106


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L’institutionnalisation de la psychologie en Allemagne et aux Etats-Unis apparaît<br />

donc comme un « succès », en comparaison de la situation française. En Allemagne, ce succès<br />

tient principalement au dynamisme <strong>des</strong> universités alleman<strong>des</strong> dans la période 1860-1900 et à<br />

l’ « hybridation de rôles » qui a été rendue possible par le discrédit dans lequel était tombée la<br />

philosophie. Aux Etats-Unis, le facteur principal réside très certainement dans le « vide » que<br />

la psychologie est venue combler dans le milieu académique, face à la combinaison d’une<br />

philosophie discréditée, d’une physiologie peu développée et d’un marché universitaire en<br />

pleine extension 100 .<br />

De telles considérations invitent à mener une réflexion plus large sur la portée du<br />

modèle de Larson (1977) lorsqu’on cherche à l’étendre à d’autres réalités que l’Amérique<br />

libérale de la fin du XIX e siècle. Cette période a vu la conjonction, peut-être unique dans<br />

l’histoire, d’une société extrêmement fluide autorisant <strong>des</strong> ascensions sociales rapi<strong>des</strong>, et de<br />

l’émergence de nouveaux savoirs scientifiques sur un terrain académique quasi vierge. Les<br />

savoirs ont donc été totalement dissociés de leur contexte de production scientifique, pour<br />

servir de simples supports à <strong>des</strong> projets d’ascension sociale. Vue sous cet angle, et dans le<br />

contexte d’une société « ouverte », l’interprétation de Larson semble correcte, mais<br />

finalement limitée à un contexte historique et géographique bien précis. Elle s’accommode<br />

mal, par contre, de situations plus complexes où les connaissances suivent une temporalité qui<br />

leur est propre au sein du débat <strong>des</strong> idées, et où la profession elle-même doit trouver sa place<br />

dans un système de professions et de disciplines <strong>académiques</strong> préexistant. Par exemple,<br />

Larson (1977, p. 43) reconnaît elle-même que la situation de conflit entre médecine anatomoclinique<br />

et médecine expérimentale, décrite par Jamous et Peloille, aurait été impensable dans<br />

l’Amérique du XIX e siècle où « les effets de la révolution bactériologique ont été différents<br />

(…) la médecine scientifique n’est pas venue menacer une hiérarchie médicale déjà reconnue<br />

et établie » 101 . Il en va de même de la professionnalisation de la psychologie appliquée : il est<br />

probable qu’elle puisse être comprise aux Etats-Unis en dehors de toute référence à la<br />

médecine ou à la philosophie – c’est le parti pris adopté par exemple par Napoli (1981) ou<br />

100 Les sources relatives à l’histoire de la psychologie américaine exploitées par BEN-DAVID et COLLINS (1966,<br />

p. 457) mentionnent un nombre très réduit de médecins, de physiologistes ou de philosophes parmi les<br />

précurseurs de la psychologie américaine. Cette discipline ne s’est donc pas développée à l’ombre de ces<br />

professions, à la différence du cas de la France.<br />

101 Cette citation de Larson montre à quel point il est important de distinguer « société ouverte » et « société<br />

fermée » dans l’application de son modèle. La codification <strong>des</strong> savoirs peut permettre de créer une élite et donc<br />

d’ouvrir <strong>des</strong> voies à la professionnalisation dans le contexte d’une société ouverte. Cette codification est en<br />

revanche certainement insuffisante dans une société fermée où les postions de pouvoir sont déjà en grande partie<br />

verrouillées. Dans un tel contexte, le modèle d’ABBOTT (1988) en termes de juridiction est certainement plus<br />

pertinent.<br />

107


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Capshew (1999) dans leurs ouvrages. Il est possible aussi d’analyser le développement de la<br />

psychologie dans les termes larsoniens de la « conquête de marché », comme le font Paicheler<br />

(1992) ou Leary (1987), qui s’intéressent tous deux à la « rhétorique scientifique » de la<br />

psychologie nouvelle aux Etats-Unis. Mais un tel schéma d’analyse semble difficilement<br />

transposable au cas de la psychologie française, puisque la naissance de ce nouveau savoir et<br />

de cette nouvelle profession doivent être resitués dans les juridictions complexes qui lui<br />

préexistent, tant dans le champ scientifique que dans celui <strong>des</strong> applications sociales. Face à<br />

cet enchevêtrement de déterminations multiples, on voit que le modèle larsonien apparaît trop<br />

schématique et ne saurait s’appliquer trait pour trait à la situation française. En l’espèce, il ne<br />

peut expliquer la coexistence durable en France de deux paradigmes tout au long du XX e<br />

siècle : un paradigme de la psychologie clinique, issu de la médecine et de la<br />

« psychopathologie » de Jean-Martin Charcot et de Pierre Janet ; et un paradigme de la<br />

psychologie scientifique et expérimentale, issu de Henri Beaunis et Alfred Binet (voir l’arbre<br />

généalogique <strong>des</strong> principaux courants de la psychologie, annexe 2, figure II-1).<br />

2. L’évolution « interne » de la discipline : de l’œcuménisme de Lagache<br />

à l’impérialisme de la clinique<br />

a) La psychologie : science humaine ou science de la nature ?<br />

L’une <strong>des</strong> principales questions qui se pose au sujet de l’identité disciplinaire de la<br />

psychologie est de savoir si elle est d’abord une « science de la nature » ou une « science de<br />

l’homme ». La réponse apportée à cette question, posée par Lagache (1949) dans un texte<br />

célèbre sur « l’unité de la psychologie », engage <strong>des</strong> démarches et <strong>des</strong> pratiques différentes,<br />

souvent même opposées : d’un côté, la mesure, les tests, l’explication ; de l’autre l’écoute, la<br />

compréhension et une « psychologie en profondeur ». Les historiens de la psychologie<br />

mettent eux aussi l’accent sur cette dimension hybride, ou syncrétique de la psychologie, qui<br />

apparaît déjà dans la citation de Wundt citée en exergue : la psychologie occupe une place<br />

« intermédiaire » dans le tableau <strong>des</strong> sciences : un pied dans l’objectivité et la rigoureuse<br />

exactitude <strong>des</strong> sciences de la nature, l’autre dans les sciences humaines, la prise en compte <strong>des</strong><br />

subjectivités et une orientation psychodynamique 102 . Quels que soient les termes employés<br />

102 On appelle psychologie dynamique ou "psychodynamique" l’ensemble <strong>des</strong> courants de la psychologie ou de<br />

la psychiatrie qui s’appuient sur l’idée d’une relation de transfert – ou tout au moins d’une relation<br />

intersubjective – entre le thérapeute et son patient. Cette psychologie est plus tournée vers l’étude de la<br />

personnalité globale que vers celle <strong>des</strong> fonctions objectives du psychisme.<br />

108


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

pour désigner cette opposition fondamentale 103 , les auteurs insistent sur la tension constitutive<br />

entre deux orientations internes à la discipline depuis le XIX e siècle : une orientation<br />

humaniste et introspective, qui a principalement recours aux métho<strong>des</strong> de l’introspection et à<br />

l’examen approfondi de cas individuels et une orientation naturaliste et expérimentale, qui<br />

applique aux phénomènes psychologiques le modèle proposé par les sciences exactes et<br />

naturelles et s’appuie pour cela sur <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> issues du laboratoire 104 . Il est intéressant de<br />

noter qu’en dépit de la prétention du paradigme expérimentaliste à se substituer au paradigme<br />

spiritualiste à la fin du XIX e siècle 105 , comme nous venons de le voir, ces deux orientations ne<br />

se sont pas succédées au fil du temps, au sens où le paradigme expérimentaliste aurait<br />

progressivement tiré la psychologie métaphysique <strong>des</strong> profondeurs de l’obscurantisme, mais<br />

elles ont coexisté et coexistent encore aujourd’hui, aussi bien dans le domaine de la recherche<br />

que dans l’activité quotidienne <strong>des</strong> praticiens 106 . Bien sûr, l’application <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> du<br />

laboratoire aux phénomènes psychiques a constitué une rupture radicale par rapport à<br />

l’ancienne psychologie introspective issue de la tradition philosophique, rupture semblable à<br />

celle entreprise par Durkheim dans le domaine de la sociologie, ou par Pasteur et Claude<br />

Bernard dans le domaine de la médecine, mais il n’en demeure pas moins que le paradigme<br />

expérimentaliste ne s’est jamais totalement substitué à la psychologie introspective et que<br />

l’histoire de la psychologie révèle plus une diversification <strong>des</strong> paradigmes que la marche vers<br />

un paradigme unique, comme en témoigne le point de vue de ce psychologue universitaire :<br />

« Ce qui frappe, dans cette juxtaposition <strong>des</strong> théories psychologiques, c’est<br />

l’insensibilité au fait que chacune d’entre elles comporte quelque mise en question<br />

<strong>des</strong> autres. C’est un peu comme si une pluralité de Newton avaient énoncé leurs<br />

conceptions de l’univers, et poursuivaient leur chemin en pleine satisfaction sans<br />

s’inquiéter <strong>des</strong> contradictions entre leurs systèmes, nous laissant perpétuellement en<br />

présence de plusieurs paradigmes également reconnus dans leur zone d’influence<br />

respective – et non, comme Kuhn l’a montré pour les sciences de la matière, d’un<br />

paradigme dominant et de tentatives marginales plus ou moins menaçantes pour lui,<br />

103 Derrière <strong>des</strong> termes différents, c’est bien toujours de la même opposition dont il s’agit : psychologie clinique /<br />

psychologie expérimentale (LAGACHE, 1949) ; psychologie normative / psychologie expérimentale (PACAUD,<br />

1955) ; psychologie dynamique / psychologie fonctionnaliste (REUCHLIN, 1971) ; psychologie implicite /<br />

psychonomie (FRAISSE, 1982)…<br />

104 Michel FOUCAULT (1994 [1957], p. 138) raconte que lorsqu’il est allé faire part à un éminent professeur de<br />

psychologie de son projet de poursuivre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> dans ce domaine, celui-ci lui a demandé s’il voulait « faire de<br />

la "psychologie" comme M Pradines et M Merleau-Ponty ou de la "psychologie scientifique" comme Binet ou<br />

d’autres ».<br />

105 Les principaux entrepreneurs de cette nouvelle psychologie scientifique, pour la plupart formés en Allemagne<br />

au laboratoire de Wilhelm Wundt furent, en France : Théodule Ribot et Alfred Binet (1857-1911), aux Etats-<br />

Unis : Hugo Münsterberg (1863-1916), James McKeen Cattell (1860-1944) et Granville Stanley Hall (1844-<br />

1924)<br />

106 Cette ambiguïté relative au statut épistémologique de la psychologie (science humaine ou science la nature ?)<br />

se retrouve au plan institutionnel à travers l’opposition entre université et CNRS. Alors que la psychologie est<br />

rattachée aux facultés de lettres et sciences humaines dans les universités, elle relève au CNRS du secteur <strong>des</strong><br />

sciences de la vie.<br />

109


préparant les dépassements et contenant en germe le paradigme de demain »<br />

(Richelle, 1982, p. 57)<br />

b) La « profession » de psychologue, ou comment créer une unité<br />

professionnelle à partir d’une multiplicité de paradigmes ?<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’histoire de la profession de psychologue représente donc un défi pour l’analyse <strong>des</strong><br />

phénomènes de professionnalisation : comment comprendre le succès relatif du projet<br />

professionnel <strong>des</strong> psychologues dans la plupart <strong>des</strong> pays, alors même que les savoirs sur<br />

lesquels ils s’appuient ne sont pas stabilisés ni codifiés et qu’un désaccord existe sur la nature<br />

même du savoir psychologique et sur ce qui constitue « l’acte professionnel le plus<br />

caractéristique » d’un psychologue (Bucher et Strauss, 1992) ?<br />

Différentes pistes peuvent être explorées pour comprendre une telle situation. On<br />

peut d’abord imaginer que chaque paradigme ait donné naissance à un segment particulier de<br />

la profession, et que ces segments se soient finalement séparés les uns <strong>des</strong> autres pour donner<br />

naissance à <strong>des</strong> professions différentes, qui n’ont plus rien de commun en dehors de leur<br />

appellation (ce qu’Abbott nomme les subdivisions, voir figure 3 supra). L’appellation de<br />

psychologue ne serait alors rien d’autre que le signe d’un « pacte de coexistence pacifique<br />

conclu entre professionnels » (Canguilhem, 1994 [1957], p 366). Le paradigme<br />

expérimentaliste, par exemple, aurait donné naissance à une profession de<br />

« psychotechnicien » ou de psychométricien, expert dans le domaine <strong>des</strong> tests et de la mesure<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, alors que le paradigme clinique aurait donné naissance à une profession de<br />

psychologue clinicien, exerçant principalement dans le domaine de la santé. Deux éléments<br />

viennent toutefois contredire un tel point de vue. D’une part, on trouve <strong>des</strong> psychométriciens<br />

dans le champ de la santé, de même qu’il y a de nombreux « cliniciens » dans le champ du<br />

travail ou de l’orientation professionnelle, même s’il est vrai que la psychologie clinique est<br />

plus étroitement associée au domaine de la santé et au traitement <strong>des</strong> pathologies, et que la<br />

psychométrie est davantage tournée vers les applications sociales non pathologiques (travail,<br />

école…). En réalité, la clinique et la psychométrie ne s’opposent pas tant par leur objet que<br />

par le type de démarche qu’elles mettent en œuvre. Par ailleurs – et cela est vrai également<br />

dans la plupart <strong>des</strong> autres pays – c’est le titre de « psychologue » qui est légalement protégé<br />

en France, non celui de psychologue de telle ou telle spécialité. On voit donc que les<br />

personnes se reconnaissent comme membres d’une seule et même profession au-delà de la<br />

diversité de leurs métho<strong>des</strong>.<br />

110


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Si l’on observe l’évolution <strong>des</strong> pratiques psychologiques en France, la tendance<br />

depuis les années 1950 est celle d’un éloignement progressif du modèle <strong>des</strong> sciences<br />

expérimentales, contrebalancé par une adhésion sans limites au modèle de la « psychologie<br />

clinique », y compris dans les deux domaines d’application qui avaient été historiquement le<br />

plus étroitement associés au paradigme expérimentaliste : la psychologie du travail et<br />

l’orientation scolaire. Les tests, et plus généralement toute forme d’expertise technique<br />

susceptibles de placer le psychologue en position de « décideur » (évaluations individuelles,<br />

mesure <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>…) ont été rejetés par les praticiens au profit d’un nouveau discours qui<br />

valorise l’écoute, l’expression libre, l’acceptation de l’autre etc. Finalement, l’accent n’est pas<br />

mis tant sur un savoir-faire codifiable, transmissible par le biais d’une formation elle aussi<br />

codifiée, que sur la singularité de l’intervention du psychologue, sa subjectivité, son<br />

investissement dans une relation interpersonnelle. Une telle évolution va à l’encontre du<br />

schéma de professionnalisation mis en avant par Larson, qui suppose au contraire une<br />

rationalisation et une codification croissante <strong>des</strong> savoirs professionnels, en vue d’éliminer<br />

toute part de subjectivité dans la production professionnelle et d’établir un accord minimal<br />

autour <strong>des</strong> pratiques acceptables 107 . Mais, une fois encore, le modèle néo-wébérien postule<br />

une trop grande porosité entre les trois dimensions distinguées précédemment : la profession<br />

comme groupe social, le besoin social auquel elle répond et les savoirs sur lesquels elle<br />

s’appuie. Le passage de la psychologie expérimentale à la psychologie clinique à partir <strong>des</strong><br />

années 1950 ne peut pas être compris comme la simple expression d’un « projet<br />

professionnel ». Il fait entrer en jeu de nombreuses autres dimensions, parmi lesquelles : les<br />

changements internes à la sphère <strong>des</strong> savoirs, caractérisés par la diffusion de la psychanalyse<br />

dans les milieux universitaires français à partir <strong>des</strong> années 1950 108 . L’évolution <strong>des</strong> missions<br />

attribuées par les pouvoirs publics aux psychologues doit également être considérée :<br />

jusqu’aux années 1970, leur action s’inscrivait principalement dans une perspective dirigiste<br />

de classement et d’ajustement « externe » <strong>des</strong> individus à leurs conditions sociales<br />

(orientation professionnelle, catégorisation <strong>des</strong> troubles du comportement, dépistage<br />

intellectuel…). A partir <strong>des</strong> années 1970 leur mission consiste davantage à assurer<br />

l’ajustement « interne » <strong>des</strong> individus à leurs conditions d’existence, en les aidant dans la<br />

107 Dans l’analyse de Larson, la conquête d’un marché suppose la codification préalable <strong>des</strong> « produits<br />

professionnels » qui vont être échangés sur ce marché. Ces produits ne peuvent eux-mêmes être codifiés que si<br />

les producteurs sont eux aussi produits selon <strong>des</strong> normes standardisées, au sein <strong>des</strong> établissements<br />

d’enseignement supérieur. D’où le lien nécessaire chez Larson entre l’unification paradigmatique qui s’opère par<br />

le biais de l’université et la conquête du marché.<br />

108 Daniel Lagache, Didier Anzieu et surtout Juliette Favez-Boutonnier ont joué un rôle particulièrement<br />

111


construction d’un « projet personnel » dans les différents champs d’intervention du<br />

psychologue, (qui se confondent d’ailleurs le plus souvent avec <strong>des</strong> domaines d’intervention<br />

de l’Etat providence : travail, école, santé, famille…).<br />

c) D’un paradigme à l’autre : l’exemple <strong>des</strong> psychologues dans le<br />

champ scolaire<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Un exemple tiré <strong>des</strong> applications de la psychologie dans le champ scolaire permettra<br />

d’éclairer notre propos sur ce point. Jusqu’aux années 1960, les conseillers d’orientation<br />

professionnelle de l’Education nationale (psychologues de formation) exerçaient en dehors<br />

<strong>des</strong> établissements scolaires dans <strong>des</strong> centres spécialisés (les centres d’orientation<br />

professionnelle). Leur mission quasi exclusive était de dépister, au moyen de tests<br />

psychotechniques, les aptitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> élèves, afin de préparer le passage de l’école au monde du<br />

travail. Ils se situaient dans un lieu neutre, à l’articulation de l’école et du marché du travail et<br />

assuraient l’ajustement externe <strong>des</strong> individus d’une institution à un autre. La psychologie<br />

expérimentale constituait le socle <strong>des</strong> pratiques et légitimait la position d’expert du<br />

psychologue, situé en quelque sorte en dehors du jeu social par la mise en œuvre de métho<strong>des</strong><br />

scientifiques d’évaluation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>. A partir <strong>des</strong> années 1960 et 1970, face à la<br />

démocratisation de l’enseignement secondaire et à la généralisation de l’entrée en premier<br />

cycle, les conseillers d’orientation se voient contraints de redéfinir profondément leurs tâches,<br />

puisqu’une proportion de plus en plus faible de leur public (les élèves <strong>des</strong> collèges et lycées)<br />

s’oriente directement vers le monde du travail. Leur activité se replie donc exclusivement sur<br />

l’école elle-même et de nouveaux objectifs apparaissent : la lutte contre l’échec scolaire, le<br />

soutien psychologique aux personnes, la médiation élève/professeur, le conseil aux<br />

enseignants etc. On voit que d’une fonction d’expertise externe au milieu scolaire, le<br />

psychologue glisse vers une logique de compréhension <strong>des</strong> problèmes internes à l’école et<br />

doit pour cela participer de plus en plus au jeu social de l’école. Peu à peu, les techniques de<br />

psychologie expérimentale sur lesquelles les conseillers d’orientation s’étaient appuyés<br />

pendant <strong>des</strong> décennies sont accusées de véhiculer un scientisme d’un autre âge et ces derniers<br />

se rangent derrière la bannière de la psychologie clinique, venant d’ailleurs rejoindre un<br />

mouvement qui avait touché l’ensemble de la profession 109 .<br />

important dans cette évolution (OHAYON, op. cit., pp. 398-408).<br />

109<br />

Jusqu’aux années 1970, les conseillers d’orientation professionnelle (devenus en 1991 « conseillers<br />

d’orientation-psychologues ») étaient pour la plupart <strong>des</strong> anciens instituteurs ou enseignants du secondaire<br />

formés à la psychologie expérimentale au sein d’établissements spécialisés de l’éducation nationale situés à Paris<br />

et en province et organisés sur le modèle de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation<br />

112


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

On voit donc que pour comprendre l’évolution de la psychologie en milieu scolaire,<br />

trois éléments doivent être pris en compte simultanément : 1) un glissement de paradigme, qui<br />

se traduit par le passage d’une psychologie expérimentale à une psychologie clinique 2) une<br />

évolution du « besoin social » auquel répondent les psychologues qui tient à une évolution<br />

externe à la profession (la généralisation de l’accès <strong>des</strong> élèves aux premiers cycles<br />

universitaires) 3) les évolutions internes de la profession de psychologue, caractérisée par un<br />

déclin relatif <strong>des</strong> segments « expérimentalistes » face aux segments cliniciens.<br />

On pourrait objecter à notre argumentation que la psychologie clinique est tout aussi<br />

« scientifique » que la psychologie expérimentale puisqu’elle induit nécessairement elle aussi<br />

une certaine dose de codification et de rationalisation. Elle ne laisse pas le champ entièrement<br />

libre à la subjectivité et à l’intuition du psychologue : elle s’appuie sur <strong>des</strong> types idéaux, <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> éprouvées, <strong>des</strong> procédés d’enregistrement et de mesure, parfois même <strong>des</strong> tests<br />

cliniques comme le TAT (Thematic Aperception Test) ou le test de Rorschach (test <strong>des</strong><br />

« tâches d’encre ») etc. Ainsi, la collecte <strong>des</strong> faits pertinents et leur ordonnancement occupent<br />

une place primordiale dans l’activité du clinicien. Cette collecte n’est pas aléatoire, mais<br />

organisée selon <strong>des</strong> principes de rationalité qui tiennent aux savoirs psychologiques acquis par<br />

les intéressés au cours de leur formation. Les psychologues cliniciens ne disent pas autre<br />

chose lorsqu’ils insistent sur l’importance du « regard psychologique » dans leur travail,<br />

regard qu’ils n’ont pu acquérir qu’au contact <strong>des</strong> différentes théories psychologiques, telle<br />

cette psychologue de l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle <strong>des</strong> Adultes) :<br />

« J’ai quand même l’impression que par rapport aux conseillers de l’ANPE on<br />

apporte une dimension psychologique qui est différente. Je crois que <strong>des</strong> fois on a<br />

une perception plus rapide, plus vive <strong>des</strong> personnes qui sont en face de nous, surtout<br />

<strong>des</strong> gens en difficulté. Moi ils m’envoient <strong>des</strong> personnes qui visiblement sont en<br />

dépression, en maladie, donc qui sont sous médicaments. Je vois tout de suite qu’il y<br />

a un problème qui n’avait pas été détecté à l’ANPE. Hein… Donc quand même on a<br />

une perception de l’individu dans sa dynamique personnelle qui apporte un plus<br />

dans l’investigation » (entretien n°19, femme, psychologue du travail à l’AFPA)<br />

Un constat voisin pourrait être fait en analysant le travail d’autres professions, dont<br />

le corpus de connaissances s’éloigne lui aussi du modèle de la rigueur physicomathématique<br />

: les avocats par exemple introduisent <strong>des</strong> éléments de rationalisation et de<br />

prévisibilité dans leur travail à travers <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> éprouvées de collecte <strong>des</strong> faits, une<br />

connaissance fine <strong>des</strong> textes de jurisprudence etc. (Halliday, 1987). Les architectes s’appuient<br />

professionnelle). La formation de ces personnels a été de plus en plus tirée du côté de la psychologie clinique à<br />

partir <strong>des</strong> années 1980-1990, du fait de l’entrée d’un nombre croissant de diplômés universitaires de psychologie<br />

dans la profession. Voir sur ce point le graphique III-1 (annexe 3) qui présente l’évolution du nombre de<br />

diplômés en psychologie parmi les conseillers d’orientation-psychologues.<br />

113


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

eux aussi dans leur travail sur un corpus de théories architecturales qui ne sont pas à<br />

proprement parler « scientifiques » mais sont autant d’éléments de codification du travail,<br />

d’un système de références partagées (Champy, 1998). On pourrait à l’inverse insister sur les<br />

éléments de subjectivité qui envahissent en permanence le travail <strong>des</strong> psychologues<br />

expérimentalistes, et plus généralement celui de toutes les professions qui aspirent à la rigueur<br />

de la pensée physico-mathématique. La médecine moderne, qui est pour les fonctionnalistes<br />

ou les néo-wébériens l’archétype du modèle professionnel est traversée de part en part par un<br />

« esprit clinique » qui pousse les médecins à raisonner en terme de particularisme, de<br />

subjectivité, d’expérience et à laisser de côté les manuels et les théories scientifiques 110 . Dans<br />

le même esprit, il s’est toujours trouvé <strong>des</strong> psychologues du travail, même parmi les plus<br />

positivistes d’entre eux (J.-M. Lahy ou Edouard Toulouse par exemple), pour soutenir que les<br />

tests n’avaient en soi aucune valeur, tant que le psychologue n’avait pas opéré la synthèse <strong>des</strong><br />

données éparses obtenues par l’expérimentation, donnant ainsi à voir la « totalité psychique »<br />

de l’individu 111 . Certains psychologues formés à l’école expérimentale ont été jusqu’à<br />

soutenir que les tests n’avaient d’intérêt que s’ils étaient le prétexte à une observation clinique<br />

du comportement du candidat en situation d’examen (Carrard, 1953, p. 14). Les frontières<br />

entre psychologie expérimentale et psychologie clinique ne seraient donc pas si étanches, et<br />

ce que nous avons présenté comme une dichotomie s’apparenterait davantage dans la pratique<br />

à un continuum. Cette thèse d’une continuité entre psychologie clinique et psychologie<br />

expérimentale a donné à Lagache (1949) un argument en faveur de l’« unité de la<br />

psychologie » à un moment où celle-ci s’organisait comme profession et devait faire front<br />

commun dans ses revendications. Pourtant, cette vision œcuménique est loin de faire<br />

l’unanimité au sein de la profession. La plupart <strong>des</strong> psychologues reconnaissent aujourd’hui<br />

que les praticiens sont profondément divisés. Dans un ouvrage collectif consacré à l’avenir de<br />

la psychologie, l’un d’entre eux s’exprimait en ces termes :<br />

« Deux faisceaux se <strong>des</strong>sinent, qui tendent de façon évidente à dissocier notre<br />

communauté. (….) Certaines lignes de force orientent les psychologues qui<br />

définissent formellement leur activité par son caractère explicite et vérifiable,<br />

psychologues que l’on qualifie souvent de "scientifiques". D’autres lignes de force<br />

orientent les psychologues qui attachent plus d’importance à d’autres critères, tel le<br />

110 FREIDSON (1984, p. 179) note à propos du médecin praticien que « La confiance qu’il accorde à son<br />

expérience clinique personnelle pèse d’un si grand poids qu’[il] finit par privilégier l’autorité de ses facultés<br />

sensorielles, s’affranchissant ainsi de l’hégémonie générale de la tradition ou de la science »<br />

111 L’initiateur de l’école française de psychotechnique, Edouard Toulouse écrit en 1929 : « la psychotechnique,<br />

si elle veut progresser, ne doit pas se cantonner dans <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> strictement objectives et quantitatives dont se<br />

servent encore exclusivement beaucoup de psychotechniciens (…) la psychotechnique doit devenir, par une de<br />

ses activités une science clinique, une science d’observation » (TOULOUSE, 1929)<br />

114


caractère "concret" ou "vécu" de leur activité, et que l’on qualifie souvent de<br />

"cliniciens" ». (Reuchlin, 1982, pp. 25-26)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Plus qu’une tension entre ces deux orientations on constate plutôt aujourd’hui<br />

l’abandon quasi définitif du paradigme expérimentaliste dans le monde <strong>des</strong> praticiens,<br />

phénomène d’ailleurs accentué au cours <strong>des</strong> dernières années par l’ascension de la<br />

psychanalyse dans les milieux universitaires français. Contrairement aux années 1950, la<br />

psychologie n’appuie plus aujourd’hui ses revendications professionnelles sur la maîtrise d’un<br />

savoir-faire technique ou un discours scientifique extérieur et objectif, mais sur une pratique,<br />

qui s’« internalise » en quelque sorte dans la personne du praticien et ses virtualités. Les<br />

psychologues semblent abandonner toute prétention généralisante, face à l’infinie complexité<br />

de chaque cas individuel.<br />

Les conséquences de cette évolution doivent être discutées à plusieurs niveaux. Le<br />

premier est celui de l’organisation de la profession et de sa capacité à protéger son marché du<br />

travail. On pourrait penser, avec les fonctionnalistes et les néo-wébériens, que la rhétorique<br />

scientifique à l’œuvre dans la psychologie expérimentale représente un atout important dans<br />

la construction d’un projet professionnel. Il n’en a rien été en réalité puisque les principales<br />

étapes du projet professionnel <strong>des</strong> psychologues (organisation de la formation, protection du<br />

titre….) ont été franchies à un moment où la rhétorique de la psychologie de laboratoire<br />

connaissait un discrédit important et était supplantée par un autre type de psychologie mettant<br />

au contraire l’accent sur la subjectivité du psychologue et sur l’aspect non codifiable ce son<br />

travail.<br />

3. Les transformations du « mandat cognitif » <strong>des</strong> psychologues<br />

La sociologie <strong>des</strong> professions a longtemps porté une attention exclusive aux activités<br />

mettant en œuvre un savoir de type scientifique (médecins, <strong>ingénieurs</strong>…). Pour les<br />

fonctionnalistes, la professionnalisation était synonyme d’une rationalisation de la société, qui<br />

était elle-même liée à la diffusion du mode de raisonnement physico-mathématique à un<br />

éventail croissant d’activités. Certains sociologues (Rueschemeyer, 1972) ont fait remarquer<br />

que la nature <strong>des</strong> savoirs mis en œuvre par <strong>des</strong> professions telles que le clergé ou les<br />

professions juridiques se distinguait pourtant radicalement de ce mode de pensée, et que<br />

personne ne songeait pour autant à contester le statut de « profession » qui leur était<br />

traditionnellement accordé dans les sociétés anglo-saxonnes. Il apparaît donc utile de<br />

distinguer différents types de connaissances et de voir en quoi celles-ci affectent l’influence<br />

115


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

sociale exercée par la profession, c’est-à-dire sa capacité à se prononcer et à intervenir dans<br />

un domaine de la vie sociale.<br />

Les travaux de Halliday (1985 ; 1987) sur les avocats du barreau de Chicago<br />

fournissent de ce point de vue un cadre d’analyse intéressant. Dans un ouvrage au titre<br />

évocateur – Beyond monopoly – Halliday cherche à se démarquer de sociologies du monopole<br />

(néo-maxistes et néo-wébériennes), qui occupaient encore le devant de la scène au milieu <strong>des</strong><br />

années 1980, au moment où il écrivait son livre. A l’opposé de ces deux courants, il suggère<br />

que les efforts principaux d’une profession ne portent pas tant sur la construction et la<br />

protection d’un marché du travail (problème qui ne se pose finalement qu’à un stade initial de<br />

la professionnalisation) que sur la recherche d’une influence dans le domaine de la vie sociale<br />

qui les concerne (la santé pour les médecins, le bien-être psychique pour les psychologues,<br />

l’éducation pour les enseignants, le droit pour les avocats…). De ce point de vue, les<br />

professions ont un rôle positif à jouer dans la fabrique <strong>des</strong> politiques publiques, puisqu’elles<br />

peuvent se substituer à l’Etat pour définir les actions pertinentes à mener dans un domaine de<br />

la vie sociale, tout particulièrement dans le contexte de désengagement de l’Etat qui<br />

caractérisait la décennie 1980 aux Etats-Unis 112 . Halliday illustre cette thèse tout au long de<br />

son livre, en montrant le rôle joué par le barreau de Chicago dans le vote de certaines lois ou<br />

l’adoption de certains mesures gouvernementales concernant son champ d’influence<br />

(l’adoption, les droits civiques, les assurances, les relations de travail….).<br />

Halliday précise toutefois que les professions ne sont pas toutes susceptibles<br />

d’exercer le même type d’influence, et c’est là qu’intervient la notion de « mandat cognitif »<br />

(knowledge mandate). Dans sa perspective, le mandat cognitif désigne la capacité d’une<br />

profession à exercer une influence dans un domaine de la vie sociale, en raison <strong>des</strong><br />

fondements épistémologiques de la discipline sur laquelle elle s’appuie. Tout en étant<br />

pleinement conscient <strong>des</strong> débats philosophiques entre « faits » et « valeurs » qui sous-tendent<br />

une telle opposition, Halliday (op. cit., p. 132) propose de distinguer <strong>des</strong> « professions<br />

scientifiques », qui s’appuient sur <strong>des</strong> faits empiriquement vérifiables et <strong>des</strong> « professions<br />

normatives », qui relèvent davantage du domaine <strong>des</strong> normes sociales et <strong>des</strong> valeurs :<br />

« (…) les professions peuvent être divisées en deux classes selon que leur assise<br />

cognitive est d’ordre principalement <strong>des</strong>criptif ou prescriptif. Pour les professions<br />

112 Nous n’insisterons pas sur les affinités certaines d’un tel modèle avec la réalité socio-politique nordaméricaine,<br />

qui tend à limiter sa portée lorsqu’on l’applique au cas français. Voir cependant, pour nuancer cette<br />

critique, les travaux français montrant la part importante prise par les professions dans la fabrication de certaines<br />

politiques publiques en France, tantôt pour les dénoncer (THOENIG, 1973 ; ILLICH, 1975 ; JOBERT et MULLER,<br />

1987 ; BOURDIEU, 1989), tantôt au contraire pour insister sur leur contribution positive (HASSENTEUFEL, 1997),<br />

quoique ce dernier point de vue soit plus rarement défendu.<br />

116


scientifiques, qui se situent d’un côté de cette séparation logique, la connaissance<br />

dérive empiriquement de l’observation et de l’investigation expérimentale, suivant<br />

<strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qu’incarnent les sciences naturelles et biologiques. Pour les<br />

professions normatives, qui se situent de l’autre côté de la séparation, la substance<br />

de leur discours et la manière dont il se construit touchent principalement à <strong>des</strong><br />

questions de valeurs – valeurs relatives à la manière dont on devrait atteindre le<br />

salut, dont ce salut devrait façonner la morale sociale et individuelle, et dont les<br />

individus devraient se comporter dans leurs rapports aux autres et à l’Etat. »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Cette distinction analytique, qui ne doit d’ailleurs pas être confondue avec un<br />

« modèle » prétendant rendre compte de la diversité <strong>des</strong> situations empiriques 113 , nous semble<br />

particulièrement pertinente pour analyser l’évolution de la psychologie, qui est devenue en<br />

l’espace de quelques décennies une profession principalement « normative », prétendant<br />

apporter aux individus <strong>des</strong> schémas de conduite moraux, alors qu’elle s’était initialement<br />

construite sur le modèle <strong>des</strong> professions scientifiques, en puisant aux modèles de la biologie<br />

et de la physiologie. Une telle dérive du positif vers le normatif n’est d’ailleurs pas sans poser<br />

<strong>des</strong> cas de conscience à certains psychologues qui soulignent le rôle parfois ambigu qu’ils<br />

sont amenés à jouer, tel ce psychologue qui évoque la place de ses confrères dans le secteur<br />

de l’insertion professionnelle :<br />

« En ce qui concerne le développement récent du secteur de l’insertion, c’est un peu<br />

paradoxal d’inciter les gens à faire un travail psychique, un travail sur eux-mêmes,<br />

alors qu’ils sont en demande sociale d’un emploi ! Donc… Et on pourrait dénoncer<br />

le même phénomène… ce qu’on pourrait appeler la « psychologie d’urgence »,<br />

quand on met en place <strong>des</strong> cellules de psychologues au moment d’attentats ou autres<br />

(…) On leur fait faire <strong>des</strong> opérations un peu commandos, et qui sont <strong>des</strong> façons de<br />

faire prendre en charge par les individus quelque chose qui devrait être pris en<br />

charge par la collectivité… la gestion individuelle d’un phénomène social, qui n’a<br />

pas lieu d’être » (entretien n°2, homme, 40 ans, chargé de recherche en<br />

psychologie du travail)<br />

Une partie du malaise évoqué ici provient, semble-t-il, du fait que le psychologue est<br />

amené à se prononcer sur <strong>des</strong> dimensions qui sont déléguées à son expertise, alors qu’elles<br />

devraient en réalité faire l’objet d’une délibération de type politique ou social. Cet exemple<br />

illustre bien un point souligné par Halliday (1985, p. 427) : l’influence d’une profession<br />

(c’est-à-dire son aptitude à se prononcer sur les « fins » du domaine qu’elle couvre) varie à<br />

raison de la nature de son mandat cognitif :<br />

« la distinction opérée entre différents socles de connaissance professionnelle a <strong>des</strong><br />

implications importantes du point de vue de l’influence collective de la profession :<br />

les professions scientifiques reposent sur le charisme de la science mais sont par là<br />

même limitées dans la portée de leurs contributions normatives aux politiques<br />

publiques ; les professions normatives, qui se spécialisent dans <strong>des</strong> discours moraux<br />

ou normatifs sont légitimement aptes à se prononcer sur un large spectre de<br />

113 Ainsi, certaines professions peuvent avoir à la fois une dimension scientifique et une dimension normative,<br />

comme l’a montré FREIDSON (1984) à propos <strong>des</strong> médecins.<br />

117


problèmes politiques, mais en s’appuyant sur une base cognitive qui est<br />

certainement moins sûre, et plus en quête de légitimité que celle de la science »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Pour autant, la prise en compte de la base épistémologique de la profession ne<br />

constitue qu’une étape de l’analyse de Halliday. Elle ne suffit pas à rendre compte de son<br />

influence réelle car, entre l’épistémologie d’une profession et son influence sociale, viennent<br />

s’intercaler deux autres dimensions sociales : les lieux d’exercice de la profession et les<br />

mo<strong>des</strong> d’organisation de son action collective. En ce qui concerne les lieux d’exercice,<br />

Halliday distingue <strong>des</strong> « sphères institutionnelles primaires » et <strong>des</strong> « sphères institutionnelles<br />

secondaires », qui permettent de rendre compte de la portée différenciée <strong>des</strong> savoirs selon<br />

qu’ils s’exercent dans <strong>des</strong> lieux dominés par la profession ou dans <strong>des</strong> lieux où elle occupe au<br />

contraire une position marginale 114 . L’influence de la profession médicale sera bien entendu<br />

plus grande dans le milieu hospitalier que dans <strong>des</strong> institutions où les médecins jouent un rôle<br />

mineur (armée, services sociaux…). Les formes d’action collective conditionnent elles aussi<br />

l’influence sociale <strong>des</strong> professions. Il est plus facile pour certaines d’entre elles de se<br />

coaliser : ainsi les professions scientifiques ont moins de difficultés à s’engager dans <strong>des</strong><br />

actions collectives et à se regrouper en associations professionnelles puisque les questions<br />

qu’elles traitent sont en général moins controversées que celles <strong>des</strong> professions normatives,<br />

un accord minimal s’étant déjà établi sur la nature du savoir mis en œuvre 115 .<br />

La distinction proposée par Halliday entre professions scientifiques et professions<br />

normatives s’avère intéressante du point de vue de notre analyse, mais elle présente<br />

néanmoins certaines limites. D’une part, comme le souligne Freidson (2001, p. 157), elle ne<br />

rend pas compte d’un troisième type de profession qui ne place son mandat cognitif ni dans la<br />

« science » ni dans les « valeurs », mais dans l’esthétique. C’est le cas <strong>des</strong> professions<br />

purement artistiques (peinture, musique, sculpture) ou semi-artistiques (architectes,<br />

<strong>des</strong>igners…) qui traitent <strong>des</strong> normes du beau, et non du « vrai » ou du « bien ». Une seconde<br />

critique est que les professions étudiées par Halliday sont figées : dans sa perspective, leur<br />

mandat cognitif est fixé une fois pour toutes et ne peut évoluer au fil du temps. Or on<br />

trouverait de nombreux exemples de professions qui sont passées historiquement d’un modèle<br />

à l’autre. Ainsi, la profession artistique est passée d’un modèle « scientifique » qui<br />

prédominait jusqu’au XIX e siècle (où l’art officiel était étroitement codifié et produit au sein<br />

<strong>des</strong> académies ou <strong>des</strong> conservatoire) à un modèle « esthétique » qui l’affranchit de toute<br />

114 Sur la distinction entre « sphères institutionnelles primaires » et « sphères institutionnelles secondaires », voir<br />

supra.<br />

115 Les difficultés <strong>des</strong> psychologues et plus encore <strong>des</strong> psychothérapeutes à se regrouper en associations tiennent<br />

118


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

codification et valorise la liberté de l’artiste 116 . On pourrait également évoquer le cas <strong>des</strong><br />

psychologues et <strong>des</strong> psychiatres, qui sont passés d’un modèle scientifique mettant l’accent sur<br />

un déterminisme somatique et physiologique à un modèle normatif orienté vers la<br />

psychodynamique et la recherche <strong>des</strong> obstacles ou conflits intérieurs qui empêchent l’individu<br />

d’atteindre un état désiré. La psychiatrie semble aujourd’hui opérer un retour vers les<br />

dimensions biologiques <strong>des</strong> troubles et s’écarter de la psychopathologie et de la psychanalyse<br />

en raison <strong>des</strong> progrès <strong>des</strong> neurosciences (Golse, 2004). Une dernière critique, enfin, tient au<br />

fait que Halliday n’explore pas suffisamment les variations prises par les savoirs dans<br />

différents contextes sociaux et historiques. En dépit de la distinction faite entre « sphère<br />

institutionnelle primaire » et « sphère institutionnelle secondaire » il y a dans son analyse un<br />

certain déterminisme, qui voit dans la base épistémologique la cause ultime de l’influence<br />

d’une profession. Or une telle hypothèse ne résiste pas à l’investigation historique. Karpik<br />

(1995) montre bien que l’influence sociale <strong>des</strong> avocats s’est transformée entre le XIX e siècle<br />

et aujourd’hui, bien que leur mandat cognitif n’ait guère changé. Dans un esprit différent<br />

Abbott (1988) montre aussi, en s’appuyant sur de nombreux exemples historiques, que les<br />

conflits de juridiction et les effets de position ont une importance tout aussi grande que la<br />

nature <strong>des</strong> savoirs mobilisés dans l’influence qu’exerce une profession.<br />

En dépit de ces limites, la distinction proposée par Halliday entre « professions<br />

scientifiques » et « professions normatives » nous semble analytiquement intéressante, dès<br />

lors qu’elle n’est pas détachée <strong>des</strong> conditions sociales dans lesquelles sont mis en œuvre les<br />

savoirs. Ainsi, dans le cas de la psychologie, l’opposition entre psychologues scientifiques et<br />

psychologues normatifs ne doit pas être comprise comme une opposition tranchée désignant<br />

deux groupes clairement identifiés et figés au cours du temps, mais comme une tension qui<br />

traverse la profession depuis ses origines et qui a orienté la direction prise par le projet<br />

professionnel. Pour reprendre l’exemple de la psychologie dans le champ scolaire, cette<br />

tension se retrouve en partie dans l’opposition entre psychologues scolaires et conseillers<br />

d’orientation-psychologues, les premiers étant issus d’une tradition de psychologie<br />

dynamique et les seconds d’une tradition de psychologie expérimentale, mais elle ne s’y<br />

en grande part à <strong>des</strong> divergences d’orientation théorique.<br />

116 HEINICH (1987) montre bien la professionnalisation <strong>des</strong> arts au sein <strong>des</strong> Académies royales en France au dixseptième<br />

siècle, en lien avec l’émergence d’un art officiel. FREIDSON (1994) montre au contraire l’impossibilité<br />

<strong>des</strong> arts à se professionnaliser dans les pays où il n’existe pas d’art officiel qui soit suffisamment codifié pour<br />

donner naissance à un projet professionnel, point de vue qui est partiellement contredit par les travaux de<br />

MENGER (2002) qui montre que la figure de l’artiste libre peut s’accompagner d’une certaine forme de fermeture<br />

de marché.<br />

119


éduit pas. On a vu notamment que l’orientation clinique était de plus en plus prégnante dans<br />

le travail <strong>des</strong> conseillers d’orientation-psychologues depuis les années 1960-1970.<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE I<br />

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Nous nous sommes efforcé de pointer au fil de ce chapitre les principales limites <strong>des</strong><br />

différentes approches théoriques qui abordent la question du lien entre savoirs et professions<br />

dans la littérature sociologique. D’un côté, la sociologie fonctionnaliste (Parsons, Goode…)<br />

tend à naturaliser les savoirs et à présenter une conception « sous-socialisée » du rapport entre<br />

savoirs <strong>académiques</strong> et professionnalisation. La science devient alors la cause efficiente d’une<br />

professionnalisation qui se confond avec une rationalisation accrue de la société. Mais les<br />

fonctionnalistes nous présentent le plus souvent un schéma à sens unique, qui interdit de<br />

comprendre les phénomènes de déprofessionnalisation ou l’évolution du rapport social entre<br />

différents segments au sein d’une même profession, compte tenu de la vision unitaire et<br />

intégrée <strong>des</strong> professions qu’ils promeuvent. A l’opposé, et en réaction contre ce point de vue,<br />

les sociologies du « monopole » ou de la « domination » (Larson, Berlant, Johnson,<br />

Bourdieu…) et la sociologie interactionniste (Hughes, Becker, Strauss) véhiculent une<br />

conception « sur-socialisée » du rapport savoir/professions. Les savoirs sont tantôt tous placés<br />

sur un même plan, sans considération de l’environnement social et scientifique qui les produit<br />

– c’est le cas notamment de la sociologie du travail française ou de la sociologie<br />

interactionniste –, tantôt dénoncés dans leur rapport instrumental au projet professionnel, où<br />

ils servent alors de support à une domination sociale (Johnson, Navarro, Bourdieu) ou à un<br />

projet de conquête d’un monopole économique (Larson, Berlant). Les sociologies de Freidson<br />

et surtout d’Abbott permettent d’éviter ce double écueil d’un relativisme ou d’un positivisme<br />

excessifs, en proposant <strong>des</strong> outils plus souples qui permettent d’analyser le lien entre<br />

évolution <strong>des</strong> savoirs, transformation de la profession et transformation du besoin social<br />

auquel répond la profession. L’approche interactionniste en termes de segments fournit elle<br />

aussi <strong>des</strong> outils intéressants qui nous permettront de comprendre l’évolution <strong>des</strong> différents<br />

segments au sein de la psychologie (segment expérimentaliste et segment clinique),<br />

perspective nécessaire pour comprendre la professionnalisation de la psychologie en France.<br />

La plupart <strong>des</strong> recherches françaises qui ont été menées jusqu’à aujourd’hui sur la<br />

profession de psychologue s’inscrivent dans une perspective strictement hagiographique, et se<br />

contentent de dérouler inlassablement la liste <strong>des</strong> progrès accomplis par la discipline et la<br />

120


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

profession depuis ses origines, comme autant d’étapes ayant permis de passer d’un stade<br />

« pré-scientifique » à celui de science positive (Reuchlin, 1957 ; Braunstein et Pewzner,<br />

1999 ; Nicolas, 2002). Il en va de même de la plupart <strong>des</strong> travaux américains, qui sont <strong>des</strong><br />

récits très factuels, ne s’inscrivant dans aucune perspective théorique précise de sociologie <strong>des</strong><br />

professions (Napoli, 1981 ; Capshew, 1999 ; Benjamin et Baker, 2004). Dans ce panorama, il<br />

faut faire exception notable de deux contributions. Il s’agit tout d’abord de l’intéressant travail<br />

de Paicheler (op. cit.), qui étudie la genèse de la profession de psychologue aux Etats-Unis<br />

dans la période 1890-1930 sous un angle néo-wébérien inspiré par Larson. La perspective<br />

théorique adoptée – en terme de fermeture de marché – est pertinente au regard de la situation<br />

américaine au cours de la période, qui se caractérisait par un marché ouvert tant sur le plan<br />

<strong>des</strong> pratiques que sur le plan scientifique. Mais on peut toutefois discuter la validité de son<br />

analyse transposée au cas français, où le contexte scientifique et social de professionnalisation<br />

de la psychologie a été très différent. Il a fallu compter notamment avec l’ombre jetée sur la<br />

psychologie par les deux figures du médecin et du philosophe. La thèse d’Esther Flath (1986)<br />

apporte elle aussi une contribution originale à la connaissance de la profession de<br />

psychologue en France, en s’inscrivant dans une perspective psycho-sociale qui n’est pas sans<br />

lien avec certains travaux interactionnistes (le thème de l’identité est particulièrement<br />

approfondi par l’auteur). Mais au total, comme le souligne Paicheler (op. cit., p. 17), « tout<br />

reste à faire » du point de vue de la connaissance de la profession de psychologue en France et<br />

de son histoire. Nous proposons donc d’apporter ici une mo<strong>des</strong>te contribution à cette<br />

entreprise, en examinant la manière dont a évolué depuis le début du siècle la position d’un<br />

<strong>des</strong> principaux segments expérimentalistes – la psychologie du travail – vis-à-vis <strong>des</strong> autres<br />

segments qui forment la profession. Le choix de la psychologie du travail n’est pas anodin :<br />

c’est autour de cette spécialité que s’est initialement construit le projet professionnel de la<br />

psychologie au cours de l’entre-deux guerres. Les évolutions de la discipline à partir <strong>des</strong><br />

années 1960-1970 et le discrédit jeté sur la « méthode <strong>des</strong> tests » ont peu à peu relégué ce<br />

segment à une position marginale, qui s’est éloigné du cœur de la profession au fur et à<br />

mesure que celle-ci délaissait le paradigme expérimentaliste pour rejoindre un paradigme<br />

clinique.<br />

La psychologie du travail a subi au cours de son évolution l’influence combinée de<br />

trois types de facteurs : <strong>des</strong> facteurs d’ordre scientifique (évolution interne de la discipline),<br />

d’ordre professionnel (évolution de la position relative <strong>des</strong> différents segments au sein d’une<br />

même profession) et d’ordre social (apparition d’une demande de services psychologiques et<br />

transformation de cette demande). Ces trois facteurs forment un réseau de déterminations que<br />

121


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

nous nous efforcerons de garder présent à l’esprit au fil de notre travail. Nous présenterons<br />

tout d’abord la genèse et le développement du paradigme expérimentaliste en psychologie du<br />

travail au cours de la période 1920-1970, puisque celui-ci a fortement orienté les pratiques et<br />

fourni un certain nombre de modèles professionnels que l’on retrouve encore aujourd’hui<br />

dans certaines institutions, du secteur public notamment (chapitres II et III). Dans le chapitre<br />

suivant (chapitre IV), nous mobiliserons une approche en termes de « segments » pour étudier<br />

l’évolution de la position de la psychologie du travail au sein de la discipline dans son<br />

ensemble (vis-à-vis de la psychologie clinique et de la psychologie de l’éducation<br />

notamment). Nous retracerons ici les débats autour de la reconnaissance du titre délivré après<br />

cinq années d’étu<strong>des</strong> (loi du 25 juillet 1985) et examinerons ses répercussions sur les<br />

psychologues du travail. Le chapitre V s’appuie sur les résultats d’un questionnaire diffusé<br />

auprès d’environ 2000 psychologues du travail pour examiner les situations professionnelles<br />

de la population étudiée et la mobilisation <strong>des</strong> savoirs psychologiques dans leur travail. Le<br />

dernier chapitre (chapitre VI) propose une réflexion plus générale sur la place de la<br />

psychologie dans les régulations du marché du travail et s’interroge sur les conséquences du<br />

passage du paradigme expérimentaliste au paradigme clinique dans ce domaine.<br />

122


CHAPITRE II<br />

NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DU PARADIGME<br />

POSITIVISTE EN PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : 1920-1950<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

123


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


« Quant à la sélection à instituer en vue d’attribuer à chaque ouvrier<br />

un travail en rapport avec ses aptitu<strong>des</strong>, je ne crois pas que le patron ait<br />

qualité pour le faire (…) le mieux serait peut-être, après <strong>des</strong> recherches<br />

<strong>des</strong>tinées à fournir bien <strong>des</strong> données qui manquent encore, d’en préparer la<br />

solution dès l’Ecole… » Armand Imbert, 1907, p. 244<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Notre but est d’esquisser le cadre d’une nouvelle science, qui<br />

devra se situer entre la psychologie expérimentale moderne et les<br />

problèmes de l’économie : il s’agit de mettre systématiquement<br />

l’expérimentation au service du commerce et de l’industrie » Hugo<br />

Münsterberg, Psychology and Industrial Efficiency, 1913, p. 3<br />

Nous avons exposé dans le chapitre précédent la genèse du paradigme<br />

expérimentaliste en psychologie et tenté de montrer en quoi il constituait un effort de<br />

codification et de rationalisation d’un savoir psychologique resté jusque-là teinté de<br />

métaphysique et de spiritualisme. Le recours au laboratoire a mis la psychologie sur le chemin<br />

<strong>des</strong> applications, mais encore fallait-il qu’elle rencontre un besoin social. Nous nous attachons<br />

à montrer dans ce chapitre comment cette nouvelle psychologie, sortie du laboratoire, a<br />

rencontré un terrain d’applications dans les questions du travail, de la fatigue et de la sélection<br />

professionnelle. Les déterminations entre les deux ordres de phénomènes sont réciproques : la<br />

nouvelle psychologie trouve un terrain d’application dans un certain nombre de problèmes<br />

sociaux et inversement, ces applications contribuent à lui ouvrir de nouveaux domaines de<br />

recherche.<br />

Nous montrerons d’abord en quoi la nouvelle discipline entend apporter une réponse<br />

à <strong>des</strong> besoins sociaux qui sont en lien direct avec l’évolution de la structure industrielle<br />

française au début du siècle : fatigue ouvrière, sélection professionnelle, conflits entre capital<br />

et travail (section 1). Nous montrerons ensuite la manière dont la psychologie appliquée s’est<br />

progressivement institutionnalisée dans le champ scientifique en France, en se développant<br />

d’abord à ses marges (instituts spécialisés, CNAM, Collège de France…) (section 2). La<br />

section 3 évoque la difficile professionnalisation de la psychologie appliquée dans le monde<br />

du travail au cours de l’entre-deux-guerres, en raison notamment de la rhétorique scientifique<br />

125


trop rigoureuse qui l’anime au cours de cette période, mais aussi <strong>des</strong> réticences du patronat<br />

français à se lancer dans les applications à grande échelle. C’est finalement surtout dans la<br />

sphère publique que s’épanouira la psychologie du travail, en lien avec l’impératif de<br />

classement de flux importants de personnes.<br />

A. UN PROJET DE REGLEMENT TECHNOCRATIQUE DE LA QUESTION SOCIALE<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ce que nous désignons aujourd’hui sous le terme de « psychologie du travail »<br />

trouve son origine dans trois domaines étroitement liés. Le premier est celui couvert par la<br />

nouvelle psychologie de laboratoire, dont les caractéristiques principales viennent d’être<br />

rappelées (étu<strong>des</strong> expérimentales <strong>des</strong> processus d’apprentissage, de mémorisation,<br />

d’attention…) et qui se développent au départ en France dans le laboratoire de psychologie<br />

physiologique de Henri Beaunis à la Sorbonne (1889), puis dans celui de psychologie<br />

expérimentale créé par Edouard Toulouse à Villejuif (1900) 1 . Ce courant « structuraliste »,<br />

qui cherche à dégager les structures générales <strong>des</strong> processus psychologiques, valables pour<br />

tout individu, se distingue d’un autre courant, celui de la psychologie différentielle 2 , qui<br />

s’efforce au contraire de classer un individu particulier au sein d’une population de<br />

référence. Ce dernier courant, qui s’inscrit dans le sillage <strong>des</strong> travaux statistiques de Francis<br />

Galton (1822-1911), rend possible les applications de la psychologie sur une grande échelle.<br />

La troisième influence a été celle de la physiologie du travail, qui s’intéresse dès les années<br />

1890 à la question de la fatigue ouvrière, d’abord musculaire puis nerveuse, et qui débouche<br />

sur l’aménagement de certains outillages ou postes de travail. Cette branche constituera le<br />

cadre de la future ergonomie, qui se développera véritablement en France à partir <strong>des</strong> années<br />

1960, à la suite <strong>des</strong> travaux de Faverge et Ombredanne (1955).<br />

On voit à travers ces multiples influences que la psychologie du travail ne trouve pas<br />

son unité dès le départ : elle fait partie d’un domaine plus large qualifié tantôt de science du<br />

travail, de psychotechnique, ou de psychologie appliquée 3 , qui trouve <strong>des</strong> applications aussi<br />

bien dans les questions du travail que de l’orientation professionnelle <strong>des</strong> enfants, la publicité<br />

1 Sur l’histoire et le fonctionnement du laboratoire de Toulouse à Villejuif, voir HUTEAU (2002)<br />

2 Comme son nom l’indique, la psychologie « différentielle », qui s’identifie le plus souvent à la méthode <strong>des</strong><br />

tests, s’intéresse en premier lieu aux différences interindividuelles.<br />

3<br />

Pour <strong>des</strong> éclaircissements sur les différents termes utilisés (psychologie appliquée, psychotechnique,<br />

psychologie du travail, physiologie du travail, psychophysiologie du travail…) voir le lexique figurant en annexe<br />

8.<br />

126


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

ou la justice 4 . On peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé les psychologues à se<br />

pencher sur les questions liées au travail, et plus précisément celle de la sélection<br />

professionnelle, pour en constituer progressivement un domaine de recherche autonome. Il<br />

faut auparavant rappeler les antécédents en matière de sélection professionnelle et la position<br />

de cette nouvelle pratique par rapport aux pratiques antérieures.<br />

Il serait certainement erroné d’appliquer à la lettre le schéma larsonien de la<br />

« conquête de marché » pour décrire les débuts de la psychotechnique en France. Le groupe<br />

d’hommes qui se trouve à l’origine de cette nouvelle science ne cherche en effet nullement à<br />

mettre sur le marché un nouveau produit professionnel, dans l’espoir d’y conquérir un<br />

monopole. La psychotechnique ne saurait être vue comme la conséquence logique <strong>des</strong> succès<br />

pratiques <strong>des</strong> tests d’aptitude dans l’industrie française avant 1914. On a bien plutôt affaire à<br />

un groupe de personnes très engagées politiquement à gauche, situées à la frontière du monde<br />

savant et du monde politique, et qui caressent l’espoir de résoudre par <strong>des</strong> voies scientifiques<br />

la « question sociale », en trouvant notamment une issue au problème de la fatigue ouvrière.<br />

Leur position doit donc être davantage comprise sous le signe de cette « biopolitique » qu’ils<br />

appellent de leurs vœux, que sous celui d’une recherche de profits ou d’un monopole<br />

économique.<br />

1. Les antécédents : la sélection avant les psychologues<br />

L’idée d’une sélection rationnelle <strong>des</strong> travailleurs selon <strong>des</strong> critères physiologiques<br />

ou psychologiques, au moyen de tests, émerge progressivement dans les premières années du<br />

XX e siècle, à peu près simultanément en France (avec les travaux d’Edouard Toulouse, de J.-<br />

M. Lahy et d’Armand Imbert), en Allemagne (avec les tests de fatigue du psychiatre Emil<br />

Kraepelin) et aux Etats-Unis (Hugo Münsterberg, Walter Dill Scott). Compte tenu de la<br />

structure industrielle française et de la faiblesse <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> organisations industrielles avant<br />

1914, le recrutement s’opérait essentiellement par le jeu de la « main chaude » du marché 5 : il<br />

était l’affaire <strong>des</strong> contremaîtres ou <strong>des</strong> petits patrons, qui ne se fiaient dans leur jugement qu’à<br />

leur « coup d’œil », hérité d’une longue pratique et d’une bonne connaissance <strong>des</strong> hommes et<br />

4 Il est intéressant de noter que dans son ouvrage Psychology and Industrial Efficiency (1913), Münsterberg<br />

consacre de longs passages à la psychologie de la publicité et à la psychologie judiciaire, ce qui montre bien la<br />

conception extensive qu’il donne au terme de psychologie industrielle.<br />

5 Nous empruntons cette expression à COCHOY (1999), qui, discutant l’hypothèse de la main invisible<br />

smithienne, l’applique à la normalisation progressive <strong>des</strong> produits apparue avec la naissance du marketing au<br />

début du XX e siècle. Il s’agit bien aussi, dans le cas qui nous intéresse, de « normaliser » les qualités de la force<br />

de travail afin de lui donner accès à un marché plus étendu.<br />

127


du métier. Les principaux traits de cet ancien système sont décrits par Yovanovitch (1923, p.<br />

206), dans un ouvrage vantant les mérites de la psychologie scientifique appliquée au travail :<br />

« On est stupéfait de constater le peu de soin que prennent les industriels dans le<br />

choix de leur personnel ouvrier (…) l’on se contente de quelques questions et d’une<br />

feuille de sortie délivrée par l’ancien patron. Un contremaître apprécie les qualités et<br />

les défauts <strong>des</strong> candidats, sans aucun moyen sûr de connaître leurs facultés générales<br />

et leurs capacités spéciales… »<br />

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Le pivot du système est le contremaître, intermédiaire entre les ouvriers et le patron,<br />

qui dispose du « flair » nécessaire à une juste appréciation de la valeur <strong>des</strong> hommes. Cette<br />

pratique, qui place la vérité de l’évaluateur dans le face à face et l’immédiateté de la relation à<br />

autrui, constituera longtemps un obstacle à la professionnalisation de la psychologie du<br />

travail, dont les métho<strong>des</strong> apparaissent au contraire décontextualisantes et menacent le<br />

pouvoir discrétionnaire du petit patron ou du contremaître. La prégnance de cette technique de<br />

la main chaude tient pour une bonne part à l’organisation du marché du travail tout au long du<br />

XIX e siècle, qui pourrait se résumer dans la formule suivante : le « refus de l’enfermement<br />

ouvrier ». En effet, si Foucault a pu parler à propos de la période moderne d’un « grand<br />

enfermement » <strong>des</strong> populations au sein d’institutions chargées de les surveiller, de les<br />

contrôler, de les quadriller, son propos décrit assez mal la réalité du monde ouvrier du XIX e<br />

siècle. Ce siècle vit en effet sous le régime de la liberté du travail, et la population ouvrière<br />

manifeste un refus très fort de toute forme d’embrigadement ou d’enfermement dans l’usine.<br />

A l’inverse, il y a un goût prononcé pour une organisation proto-industrielle, qui valorise le<br />

travail à domicile et le travail alterné 6 . L’opposition durable au livret ouvrier introduit par<br />

Napoléon en 1803 traduit bien ce souci du monde ouvrier de se préserver de toute<br />

surveillance externe.<br />

Cette organisation trouve l’une de ses formes d’expression dans le système du<br />

« marchandage », étudié par Bernard Mottez (1966) 7 . Ce système, interdit en France par les<br />

révolutionnaires de 1848 au motif qu’il favorisait l’exploitation <strong>des</strong> ouvriers, perdura dans les<br />

faits jusqu’à la fin du XIX e siècle, en raison de l’ambiguïté de la définition du marchandage<br />

donnée par la loi de mars 1848 8 . Le maintien du marchandage au long du XIX e siècle vient de<br />

ce qu’il est recherché à la fois par les ouvriers et par les patrons : les ouvriers y voient un<br />

6 Voir sur ce point DEWERPE (1996) et SEWELL (1983)<br />

7 MOTTEZ (1966, p. 23) reprend la définition du marchandage donnée par l’Office du travail en 1898 : « Le<br />

marchandeur (appelé parfois tâcheron) est un sous-entrepreneur de main d’œuvre qui, avec les matières<br />

premières et le gros outillage fourni par le patron, fait exécuter <strong>des</strong> travaux à lui confiés, soit dans l’atelier ou le<br />

chantier du patron, soit à son domicile propre avec l’aide d’ouvriers embauchés et payés par lui à la journée ou<br />

aux pièces sans l’intervention du patron ».<br />

8 Le marchandage fut définitivement aboli en France par un décret de 1899, qui interdit cette pratique dans les<br />

128


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

moyen de préserver une organisation corporative et d’éviter l’enfermement dans <strong>des</strong><br />

organisations du travail trop rigi<strong>des</strong> ; les patrons de leur côté se débarrassent <strong>des</strong> questions<br />

d’organisation du travail et notamment de recrutement, de licenciement, de contrôle, qui sont<br />

laissées à la discrétion du marchandeur ; ils peuvent ainsi se consacrer pleinement à de pures<br />

tâches de gestion commerciale et laisser aux gens du métiers le soin d’organiser le travail. Il<br />

arrive parfois que <strong>des</strong> formes intermédiaires de marchandage voient le jour, le patron<br />

négociant directement avec les ouvriers les conditions de rémunération, et déléguant à un<br />

tâcheron 9 le soin de recruter l’équipe et d’organiser le travail (Mottez, op. cit., p. 36). Les<br />

économistes libéraux et nombre de juristes font également l’apologie du marchandage,<br />

considéré comme le mode d’organisation le plus rationnel économiquement, car le plus<br />

proche du jeu de la « main invisible » du marché. Pour Leroy-Beaulieu (1896, p. 494), le<br />

marchandage est le système « qui permet le maximum d’économie dans toute l’organisation<br />

d’une entreprise, et, techniquement celui qui permet le maximum d’efficacité technique<br />

puisque l’œil du maître s’est ainsi subdivisé et multiplié au point d’être présent dans chaque<br />

groupe ».<br />

On comprend aisément qu’une telle organisation du marché du travail favorise le jeu<br />

de la « main chaude » : les conditions de rémunération et de travail se négocient de gré à gré,<br />

en fonction <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui se présentent au marchandeur. Celui-ci, qui revêt le double<br />

visage de « petit patron » et « d’homme du métier » est mieux à même que quiconque (a<br />

fortiori que le patron) de connaître et recruter les hommes capables de mener à bien la<br />

mission confiée ; plus encore, la répétition <strong>des</strong> interactions avec les ouvriers, à chaque nouve<br />

contrat, lui permet d’éliminer les moins efficaces et de se constituer progressivement une<br />

équipe de travailleurs réguliers (Mottez, op. cit., p. 43).<br />

La psychotechnique peut difficilement trouver sa place sur un tel marché du travail.<br />

Elle produit <strong>des</strong> individus désincarnés, purs supports d’aptitu<strong>des</strong> abstraites, là où le<br />

marchandage s’appuie sur les réseaux de solidarité du métier, la connaissance interpersonnelle<br />

et la répétition <strong>des</strong> interactions. La persistance d’une telle organisation en France et la<br />

faiblesse de la grande industrie jusqu’au lendemain de la Première Guerre fera que, à la<br />

différence <strong>des</strong> Etats-Unis ou de l’Allemagne 10 , la psychotechnique ne naîtra pas du problème<br />

du recrutement au sein <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> industries, mais davantage <strong>des</strong> problèmes posés par la<br />

entreprises exerçant pour le compte de l’Etat, puis progressivement dans les autres secteurs.<br />

9 L’appellation de « tâcheron » est synonyme de celle de « marchandeur » (voir supra)<br />

10 Sur les conditions d’apparition de la psychotechnique aux Etats-Unis, voir BARITZ (1960). Sur l’Allemagne,<br />

voir RABINBACH (1995)<br />

129


« question sociale » et de la nécessité d’arbitrer d’une manière neutre et scientifique dans les<br />

conflits entre capital et travail.<br />

2. Conditions d’émergence de la psychologie industrielle aux Etats-Unis :<br />

le marché<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les conditions sociales qui président à l’émergence de la psychotechnique en France<br />

rendent inadéquat le modèle de la conquête de marché, pour la simple raison qu’il n’existait<br />

pas, jusqu’à une période assez tardive, de véritable « marché » <strong>des</strong> services qui pouvaient être<br />

offerts par les psychologues du travail compte tenu du maintien d’un tissu économique rural<br />

et artisanal. On peut par contraste examiner la situation <strong>des</strong> Etats-Unis, où une grande<br />

industrie se développe dès la fin du XIX e siècle, créant les conditions favorables à la diffusion<br />

<strong>des</strong> techniques de la psychologie industrielle. Le parcours de Hugo Münsterberg (1863-1916)<br />

illustre particulièrement bien la manière dont la jeune discipline s’institutionnalise et se<br />

codifie progressivement aux Etats-Unis, en vue d’offrir aux industriels de véritables<br />

« produits » psychologiques pouvant donner lieu à <strong>des</strong> applications pratiques. Né à Danzig en<br />

1863, Münsterberg obtient son doctorat sous la direction de Wilhelm Wundt en 1885, à<br />

Leipzig, où il s’initie à la psychologie expérimentale. En 1892, il est appelé par William<br />

James à Harvard pour s’occuper du laboratoire de psychologie expérimentale. Il s’y consacre,<br />

pendant une quinzaine d’années, à <strong>des</strong> travaux de recherche ne donnant lieu à aucune<br />

application pratique (étude de l’attention, de la concentration, de la vue, de l’ouïe, <strong>des</strong><br />

mouvements etc.), dans l’esprit de ce qui se pratiquait alors au laboratoire de Wundt. Son<br />

intérêt pour la psychologie appliquée s’éveille progressivement entre 1900 et 1910 d’abord<br />

dans le domaine judiciaire (1908), puis de la psychologie industrielle (1913). Son souci<br />

d’étendre les applications de la psychologie à l’industrie tient en grande part à la diffusion <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> tayloriennes dans l’industrie américaine au cours de la période 1900-1910. A la<br />

différence de J.-M. Lahy en France quelques années plus tard 11 , Münsterberg ne remet pas<br />

radicalement en cause les fondements de la méthode de « direction scientifique » proposée par<br />

Taylor. Il voit même dans la psychologie industrielle un prolongement nécessaire de ce<br />

système, auquel elle peut apporter certaines améliorations 12 . Münsterberg reproche à Taylor<br />

de construire ses métho<strong>des</strong> de décomposition <strong>des</strong> tâches sur un individu idéal, sans souci <strong>des</strong><br />

variations <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> individuelles : la psychologie a là un rôle à jouer, en permettant<br />

l’affectation optimale <strong>des</strong> individus aux différentes tâches, selon leurs aptitu<strong>des</strong> individuelles.<br />

11 Voir LAHY (1916)<br />

130


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Par ailleurs, la décomposition <strong>des</strong> tâches nécessite elle-même une étude psychologique<br />

précise <strong>des</strong> différents postes de travail et <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> qu’ils requièrent. Mais une fois cette<br />

critique faite, Münsterberg ne remet pas fondamentalement en cause le système de Taylor et<br />

la course au rendement 13 qu’il entraîne ; il y voit au contraire la possibilité d’un marché<br />

florissant pour la psychologie expérimentale.<br />

Les facteurs économiques et sociaux n’ont pas à eux seuls permis cette mise sur le<br />

marché de la psychologie aux Etats-Unis : un certain nombre de facteurs cognitifs, liés à<br />

l’évolution interne de la discipline, y ont également contribué. Une efficacité accrue <strong>des</strong><br />

connaissances psychologiques est rendue possible dès les années 1900-1905 par la synthèse<br />

entre les métho<strong>des</strong> statistiques de Galton et la psychologie structuraliste de Wundt, qui donne<br />

naissance à une psychologie « différentielle » (voir lexique, annexe 8) appuyée sur les tests<br />

mentaux, largement mise en application dans l’industrie américaine. La psychologie<br />

structuraliste permet d’étudier de manière expérimentale les facultés d’un individu et de<br />

perfectionner au sein <strong>des</strong> laboratoires les outils d’observation et de mesure ; la référence aux<br />

normes statistiques galtoniennes permet d’opérer le classement entre différents individus au<br />

sein d’une population. Cette psychologie différentielle répond bien aux attentes <strong>des</strong><br />

industriels : en effet, tant que la psychologie s’intéressait uniquement à un individu universel,<br />

doté d’aptitu<strong>des</strong> indifférenciées, ils ne voyaient pas l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de telles<br />

recherches. Dès que celles-ci permettent de situer un individu particulier dans une population<br />

de référence, l’application massive et industrielle de la psychologie devient possible :<br />

« (…) dans la vie courante, même lorsqu’il s’agit d’influencer <strong>des</strong> masses, nous ne<br />

sommes jamais confrontés à ce que les êtres humains ont en commun ; nous avons<br />

affaire à <strong>des</strong> personnalités dont la vie mentale est caractérisée par <strong>des</strong> traits<br />

nationaux particuliers, ou par la race, ou par la profession, ou par le sexe, ou par<br />

l’âge, ou par <strong>des</strong> intérêts spécifiques, ou par d’autres traits par lesquels ces<br />

personnalités se différencient du modèle de l’esprit humain moyen tel qu’il pourrait<br />

être reconstruit par un théoricien de la psychologie » (Münsterberg, 1913, p. 9-10)<br />

La contribution principale de Münsterberg à la psychologie industrielle aura<br />

précisément été de lancer la discipline sur la voie <strong>des</strong> applications différentielles, en reprenant<br />

les recherches entreprises quelques années plus tôt par Alfred Binet en France. Münsterberg<br />

met en place entre 1910 et 1915 <strong>des</strong> services de « sélection psychologique » <strong>des</strong> employés<br />

dans quelques gran<strong>des</strong> entreprises américaines. C’est le cas notamment à l’American Tobacco<br />

Company, pour laquelle il élabore <strong>des</strong> tests de sélection <strong>des</strong> vendeurs ; la ville de Boston le<br />

12 Sur la position de Münsterberg vis-à-vis du taylorisme, voir RABINBACH (1992 [1990], p. 255-256)<br />

13 Critique faite en France par LAHY (1916), mais formulée deux ans plus tôt dans un autre registre par<br />

l’anarcho-syndicaliste Emile POUGET dans un ouvrage sur « l’organisation du surmenage » (1914)<br />

131


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sollicite également, pour créer <strong>des</strong> tests de recrutement <strong>des</strong>tinés à ses conducteurs de<br />

Tramways (Arch. Münsterberg). Certaines compagnies de navigation, comme la San<br />

Francisco and Portland Steamship Company, se montrent également intéressées par le<br />

recrutement psychologique de leurs capitaines de navire, face à une recru<strong>des</strong>cence <strong>des</strong><br />

accidents de navigation. Münsterberg, qui meurt en 1916, n’aura toutefois pas la possibilité de<br />

donner une grande ampleur aux applications de la psychologie industrielle. Son travail fut<br />

donc repris par <strong>des</strong> successeurs (Harold Burtt, Robert Yerkes, Walter Bingham, Henry<br />

Link…) qui construisirent <strong>des</strong> tests de sélection pour les téléphonistes, les dactylographes, les<br />

télégraphistes etc… 14<br />

Le souci de Münsterberg de créer un véritable marché de services psychologiques<br />

apparaît également dans l’acception volontairement très large qu’il donne au terme de<br />

« psychologie industrielle » : celle-ci englobe chez lui un ensemble de démarches<br />

managériales, allant du recrutement à la publicité en passant par le <strong>des</strong>ign et l’organisation <strong>des</strong><br />

différents services au sein de l’usine. Ces nouvelles métho<strong>des</strong> trouvent leur ancrage naturel<br />

dans une université qui est elle-même de plus en plus portée à produire <strong>des</strong> experts utiles à<br />

l’industrie (voir supra). Münsterberg apparaît ainsi comme un véritable entrepreneur de sa<br />

discipline, faisant le lien entre savoirs et applications pratiques :<br />

« Les résultats <strong>des</strong> expériences sur les aptitu<strong>des</strong> et inaptitu<strong>des</strong> naturelles <strong>des</strong><br />

différents individus sont maintenant si complets que de vastes possibilités s’offrent à<br />

nous pour les mettre en application dans le monde <strong>des</strong> affaires. Le chef du personnel<br />

habile a appris, d’une manière plus ou moins improvisée, à lire les capacités <strong>des</strong><br />

hommes sur leurs visages, leurs mains, à travers leurs paroles et leurs mouvements.<br />

Il est fier de savoir « mesurer » les hommes et de les placer là où il convient. (…) la<br />

psychologie, il me semble, se présente comme une nouvelle spécialité, une nouvelle<br />

application de la science dans l’industrie, réalisant d’une certaine façon pour les<br />

hommes ce que le chimiste a fait pour le charbon et l’acier, le ciment et les teintures<br />

et ce que l’ingénieur a fait pour les bâtiments, les machines et les routes. La<br />

psychologie offre <strong>des</strong> possibilités, nullement achevées mais qui méritent l’attention<br />

du monde <strong>des</strong> affaires, de placer dans les départements <strong>des</strong> usines une nouvelle<br />

fonction consistant à tester les candidats que vous devrez employer » 15<br />

On a souvent reproché à Münsterberg d’avoir été un pur « marchand », seulement préoccupé<br />

de vendre ses "recettes" aux industriels les plus offrants, et finalement peu préoccupé de faire<br />

avancer la science. Ainsi Van de Water (1997, p. 490) écrit :<br />

« Münsterberg a embrassé avidement le rôle de vendeur. Il a lancé la psychologie<br />

appliquée sur le marché, en écrivant <strong>des</strong> articles dans <strong>des</strong> magazines populaires, en<br />

faisant pression auprès du gouvernement et même en mettant sur pied une série de<br />

films psychologiques (…) Fondamentalement, Münsterberg a été l’un <strong>des</strong> premiers<br />

14 Sur l’entrée de la psychologie à l’usine dans les années 1910, voir CAMBROSIO (1980)<br />

15 Arch. Münsterberg, Boston Public Library, Mss. Acc. 2457, “The laboratory test for workers, by H.<br />

Münsterberg”<br />

132


entrepreneurs de la psychologie dans la mesure où ses produits de recherche ont été<br />

de plus en plus dirigés vers le marché et non vers le monde académique »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Cette thèse mérite toutefois d’être discutée 16 . D’une part, Münsterberg se montre soucieux de<br />

faire double allégeance auprès du monde académique et du monde industriel. Ainsi, si son<br />

ouvrage Psychology and Industrial Efficiency (1913), nourri de nombreux cas pratiques, est<br />

clairement <strong>des</strong>tiné au grand public l’ouvrage de l’année suivante Grundzüge <strong>des</strong><br />

Psychotechnik (1914) est tourné vers les milieu <strong>académiques</strong>. La correspondance de<br />

Münsterberg fait également apparaître une personnalité plus complexe, qui se rapproche<br />

davantage de l’image de l’universitaire classique telle qu’elle pouvait exister en Allemagne à<br />

la fin du XIX e siècle, que de celle d’un « marchand d’idées ». Il y a d’abord chez lui un<br />

profond scientisme et une croyance dans les progrès de la psychologie scientifique, qui doit se<br />

substituer à toutes les autres formes de psychologies métaphysiques et spiritualistes.<br />

Déplorant dans une lettre à Cattell la mise en place d’un programme de recherches sur<br />

l’immortalité à Harvard en 1913, il écrit :<br />

« Mon université, au sein de laquelle je me bats depuis 20 ans contre le mysticisme<br />

bon marché du public de la Nouvelle-Angleterre, a donné sa sanction officielle à de<br />

telles pseudo-recherches, répudiant par là tout l’esprit de mes efforts scientifiques.<br />

James lui même avait toujours su tracer une ligne claire entre ses lubies mystiques et<br />

le travail universitaire, où il ne laissait pas pénétrer ces fantaisies antiscientifiques<br />

» 17<br />

La psychologie scientifique n’est donc pas pour Münsterberg une simple<br />

« rhétorique », qui lui permettrait d’asseoir la valeur de ses produits sur un marché. Il est<br />

profondément convaincu qu’elle apporte une solution plus efficace que les autres aux<br />

problèmes posés par la naissance de la grande industrie aux Etats-Unis et par la diffusion du<br />

modèle organisationnel taylorien. Par ailleurs, il manifeste un certain mépris pour le monde<br />

<strong>des</strong> affaires, ne craignant pas à l’occasion de se mettre à dos les industriels qui ne croient pas<br />

en la valeur intrinsèque de ses métho<strong>des</strong>. Dns une réponse adressée à l’entreprise Ford, déçue<br />

de la teneur d’un enseignement de psychologie industrielle délivré par un de ses élèves<br />

(Harold Burtt), il répond que la demande de l’entreprise avait été construite sur de fausses<br />

espérances : le public s’attendait à une « causerie sur l’efficacité industrielle, dans l’esprit de<br />

ce que font les magazines populaires » et il ne trouva qu’un aride cours de psychologie<br />

scientifique, « un remède, qui aurait dû soigner tous ces industriels ». Les attentes de<br />

l’entreprise auraient certainement pu être comblées par un homme d’affaire, mais « aucun<br />

16 Pour un point de vue plus nuancé que celui de VAN DE WATER, voir la biographie très complète de<br />

Münsterberg par HALE (1980).<br />

17 Arch. Münsterberg, Boston Public Library, Mss. Acc. 2303, correspondance entre Münsterberg et Cattell, 29<br />

133


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

psychologue digne de ce nom ne détournerait sa science à de telles fins non-scientifiques » 18 .<br />

On voit donc qu’au-delà de son souci de multiplier les applications pratiques de la<br />

psychologie, Münsterberg maintient une ligne académique rigoureuse et que la codification<br />

<strong>des</strong> produits psychologiques ne se fait pas pour lui à n’importe quel prix, faute de quoi la<br />

psychologie finirait par se confondre avec une vulgaire doctrine de management entièrement<br />

soumise aux lois du marché et <strong>des</strong> entreprises.<br />

Pour autant, et malgré ces nuances, il faut noter la différence très nette qui sépare la<br />

France <strong>des</strong> Etats-Unis du point de vue de l’émergence de la psychologie du travail : si celle-ci<br />

relève à ses débuts aux Etats-Unis d’une logique marchande, elle naît davantage en France<br />

sous le signe d’un idéalisme positiviste et républicain qui marquera durablement les étapes<br />

ultérieures de la profession, celle-ci trouvant davantage sa place dans le secteur public<br />

(orientation professionnelle, services de recrutement <strong>des</strong> entreprises publiques…) que dans le<br />

monde industriel. Ce n’est véritablement qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale et<br />

sous l’influence <strong>des</strong> missions de productivité aux Etats-Unis que la psychologie du travail<br />

française prendra un tournant pragmatique plus marqué et se tournera vers le monde de<br />

l’entreprise.<br />

3. Conditions d’émergence de la psychologie du travail en France : la<br />

justice sociale<br />

a) Facteurs scientifiques<br />

Si l’on veut décrire les conditions d'émergence de la psychologie du travail en<br />

France, il est utile de distinguer là encore les facteurs proprement scientifiques <strong>des</strong> facteurs<br />

économiques ou sociaux (voir chronologie, annexe 6 p. 577). Sur le plan scientifique, la<br />

psychologie du travail se constitue sur la base du même paradigme "scientiste" qu’aux Etats-<br />

Unis : il s’agit avant tout de transposer les métho<strong>des</strong> scientifiques du laboratoire au monde du<br />

travail et aux questions de sélection du personnel. Mais cette parenté masque de profon<strong>des</strong><br />

différences. Aux Etats-Unis, la discipline s’est construite sur un terrain académique quasi<br />

vierge, elle a pu par conséquent se détacher <strong>des</strong> débats scientifiques de fond et de l’histoire<br />

propre à chaque discipline, pour se construire sur <strong>des</strong> bases purement utilitaires et pratiques.<br />

Les disciples de Wundt, qui reviennent aux Etats-Unis auréolés du prestige d’un<br />

passage par le laboratoire du « maître » incontesté de la psychologie scientifique de l’époque,<br />

janvier 1913<br />

18 Arch. Münsterberg, Boston Public Library, Mss. Acc. 2281, correspondance entre Münsterberg et la Société<br />

134


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

se soucient assez peu de situer leurs nouvelles théories dans un cadre académique préexistant.<br />

Ils le créent de toutes pièces, en cherchant avant tout à rendre leur discipline « utile » à la<br />

société. On retrouve bien là les principaux ingrédients d’un « projet professionnel » qui n’est<br />

freiné dans sa course par aucun obstacle, puisqu’il vient combler une « juridiction » presque<br />

vide (Abbott, 1988). Mais on voit aussi les affinités entre le modèle théorique et un type de<br />

société bien particulier qui, en raison de sa grande ouverture laisse la place à de telles<br />

entreprises de conquête de marché 19 . En France au contraire, il a fallu plus de trois<br />

décennies 20 pour que la psychologie du travail s’affranchisse de la double tutelle de la<br />

physiologie et de la philosophie et qu’elle rencontre la psychologie différentielle, qui ouvrira<br />

la voie <strong>des</strong> applications pratiques sur une plus grande échelle.<br />

La psychologie du travail française s’inscrit à ses débuts dans la double tradition de<br />

la physiologie du travail, qui étudie l’activité musculaire et la dépense d’énergie dans<br />

différents métiers, et de la psychologie expérimentale, principalement tournée vers l’étude <strong>des</strong><br />

sensations, perceptions et réactions. Du côté de la physiologie, <strong>des</strong> recherches sur les efforts<br />

musculaires liés au travail avaient été menées en France dès les années 1870 par les<br />

physiologistes Etienne-Jules Marey (1830-1904) et Auguste Chauveau (1827-1917), qui<br />

s’étaient intéressés le premier à la locomotion humaine et animale, en s’appuyant sur un<br />

procédé de décomposition <strong>des</strong> mouvements (la « chronophotographie »), et le second à la<br />

dépense énergétique associée aux différentes activités musculaires, plus particulièrement dans<br />

le cadre du travail. Ces deux médecins de formation s’inscrivaient en réalité dans le sillage<br />

d’une science du travail plus ancienne, que Reuchlin (1955) et Vatin (1999) font remonter aux<br />

travaux de Lavoisier sur la respiration animale à la fin du dix-huitième siècle, mais sur<br />

laquelle il n’y a pas lieu de s’attarder ici puisque ces travaux, essentiellement affaire de<br />

savants, ne débouchèrent sur aucune application pratique.<br />

Les travaux de Marey et de Chauveau ouvrent la voie à un ensemble d’étu<strong>des</strong> sur les<br />

professions manuelles dans les années 1900-1910, menées dans un esprit très pratique,<br />

puisqu’elles furent commandées pour nombre d’entre elles par l’Office du travail à partir de<br />

de psychologie appliqué de l’entreprise Ford, 11 mai 1916<br />

19 L’importation d’une discipline de toutes pièces, comme ce fut le cas de la psychologie aux Etats-Unis dans les<br />

années 1880-1900 ou de la gestion et du marketing en France dans les années 1960 (COCHOY, 1999 ; PAVIS,<br />

2003a) constitue certainement un facteur favorable au développement d’un projet professionnel, puisque la<br />

nouvelle discipline vient alors combler une juridiction vide et ne rencontre aucun obstacle. Inversement, la<br />

psychologie française a vécu dans l’ombre de la médecine et de la philosophie au moins jusqu’aux années 1960-<br />

1970.<br />

20 La physiologie du travail connaît son plein développement en France dans les années 1890 alors que la<br />

psychologie du travail, au sens où on l’entend aujourd’hui (c’est-à-dire principalement dans ses applications<br />

différentielles), n’émergera qu’au début <strong>des</strong> années 1920.<br />

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1905, puis par le Ministère du Travail. Ces premiers travaux 21 s’inscrivent au départ dans une<br />

veine strictement physiologique et étudient le travail humain sous ses seuls aspects<br />

musculaires. Ainsi, les recherches de Lahy sur les commis <strong>des</strong> postes et sur la fatigue<br />

musculaire (1905), d’Armand Imbert sur les coupeurs de sarments de vigne (1911) les<br />

travailleurs à la lime ou les portefaix (1905) et de Henri Laugier et Charles Richet sur les<br />

« variations du temps de réaction dans le travail professionnel » (1913) visent principalement<br />

à détecter les signes objectifs de la fatigue musculaire dans différentes professions, et<br />

conduisent à <strong>des</strong> propositions d’aménagements d’outillages, dans un esprit assez proche de ce<br />

que fera l’ergonomie quelques décennies plus tard. Ce regard physiologique sur le travail<br />

constituera longtemps une originalité de la France vis-à-vis <strong>des</strong> Etats-Unis, en raison très<br />

certainement de la formation médicale 22 <strong>des</strong> premières personnes qui s’intéressèrent à ces<br />

questions. Il n’y avait donc pas de véritable place pour une étude proprement<br />

« psychologique » du travail, à l’heure ou Charcot écrivait : « ce que j’appelle la psychologie,<br />

c’est la physiologie rationnelle de l’écorce cérébrale » 23 .<br />

Parmi tous les protagonistes que nous venons d’évoquer, seul Lahy n’était pas<br />

médecin 24 . Il n’est d’ailleurs pas indifférent de noter que l’introduction progressive d’une<br />

perspective psychologique dans l’étude du travail se fera par son intermédiaire, à partir de<br />

1910. Arrêtons nous quelques instants sur ce personnage, qui est une figure centrale de notre<br />

histoire puisqu’il fait le lien entre l’ancienne science du travail, encore placée sous la houlette<br />

de la médecine, et la psychologie du travail telle qu’elle s’épanouira dans l’entre-deux<br />

guerres. L’œuvre et la vie de Lahy restent mal connues. La restitution à la France de ses<br />

archives personnelles en 2001, saisies par les soviétiques en 1945, devrait permettre à terme<br />

de mener un travail plus approfondi sur ce personnage qui a exercé une influence considérable<br />

sur la psychotechnique et la sociologie du travail de l’après guerre 25 . Lahy peut être considéré<br />

21 Sur la filiation <strong>des</strong> travaux de Marey et Chauveau, voir l’arbre généalogique figurant en annexe II-1.<br />

22 Médicale et par conséquent physiologique, puisque la physiologie n’était alors enseignée que dans les facultés<br />

de médecine. Cette particularité française fut longtemps un frein à la diffusion de la physiologie du travail en<br />

dehors de la sphère d’influence de la médecine. On en trouve un exemple frappant en 1913, lorsque le<br />

Conservatoire <strong>des</strong> Arts et Métiers prit la décision de créer un « laboratoire de recherches sur le travail musculaire<br />

et professionnel » pour le physiologiste du travail Jules Amar. La direction du CNAM refusa de faire figurer le<br />

terme de « physiologie » dans l’intitulé du laboratoire et suggéra d’orienter les recherches vers l’hygiène<br />

industrielle plutôt que la physiologie du travail proprement dite, car cette discipline « ne rentre pas dans<br />

l’enseignement du Conservatoire, mais appartient plutôt à l’enseignement de la faculté de médecine » (Arch.<br />

CNAM, Conseil de perfectionnement du 13 décembre 1916)<br />

23 Cité par TURBIAUX (1982, p. 970)<br />

24 Pour la vie et la carrière <strong>des</strong> différents personnages mentionnés dans ce chapitre et le suivant, voir les notices<br />

biographiques figurant à l’annexe 9.<br />

25 Ces archives n’ayant été rendues disponibles qu’à un stade déjà avancé de notre travail, nous n’avons pu en<br />

exploiter qu’une petite partie, correspondant essentiellement à la période <strong>des</strong> années 1930.<br />

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comme le véritable père de la psychologie du travail française 26 et son influence sur la<br />

discipline restera considérable jusqu’aux années 1960. D’origine mo<strong>des</strong>te et autodidacte 27 ,<br />

Lahy entre au laboratoire d’Edouard Toulouse à Villejuif comme élève en 1902, où il se<br />

consacre d’abord à <strong>des</strong> travaux purement physiologiques sur la mesure de la pression<br />

sanguine (1902) et sur les procédés d’enregistrement graphiques, dans la continuité directe<br />

<strong>des</strong> travaux de Marey. Il travaille aux côtés de Henri Piéron, qui n’a alors que 22 ans et de<br />

Nicolas Vaschide, un ancien collaborateur de Binet. Il est très probable que Lahy s’initie à<br />

cette occasion à la psychologie expérimentale d’inspiration allemande, que Toulouse, Piéron<br />

et Vaschide diffusent dans un ouvrage à la même période (1904). A la différence de Lahy<br />

toutefois, ceux-ci n’appliqueront pas leurs métho<strong>des</strong> aux questions du travail, et surtout, ils<br />

n’auront pas le même souci que lui de transposer les techniques du laboratoire dans les<br />

milieux de travail eux-mêmes. En effet, dans la conception de Lahy, comme dans celle<br />

d’Armand Imbert, c’est le laboratoire qui doit aller vers le travailleur et non l’inverse. Il serait<br />

vain de vouloir étudier le travailleur in abstracto dans un laboratoire, car cette méthode fait<br />

disparaître toute la richesse <strong>des</strong> interactions entre le travailleur et son milieu :« (…) il ne<br />

s’agit pas d’étudier l’activité humaine dans les conditions ordinaires du laboratoire, mais dans<br />

un milieu déterminé, le milieu de travail. Au lieu de transporter l’ouvrier en travail dans le<br />

laboratoire et d’assimiler son activité ainsi déformée au travail habituel, il faut transporter<br />

l’outillage scientifique convenable dans l’atelier » (Lahy, 1916, p. 191). Plus loin il poursuit :<br />

« Nous sommes persuadé que les conditions extrinsèques du travail, la hâte, les émotions qui<br />

l’accompagnent, l’ennui, le rythme imposé, la contrainte morale, sont <strong>des</strong> causes qui<br />

échappent aux recherches de laboratoire et qui déterminent les accidents les plus graves pour<br />

le travailleur » (ibid., p. 191-192). Ces principes seront mis en œuvre par Lahy dans ses<br />

recherches menées dès 1908 sur les conducteurs de Tramways. A la différence de la plupart<br />

de ses contemporains qui tentent de reproduire de façon analytique les gestes professionnels<br />

26 Pas uniquement française d’ailleurs : Lahy a également exercé une grande influence en Europe de l’Est et en<br />

Amérique du Sud. L’Association Internationale de Psychotechnique, dont il fut le secrétaire général pendant<br />

toute la période de l’Entre-deux-guerres, fut un instrument efficace de diffusion de ses idées. La faible<br />

implication <strong>des</strong> Américains au sein de cette association durant l’entre-deux-guerres montre bien la conception<br />

différente qu’ils avaient du rôle que devait jouer la psychologie industrielle.<br />

27 Le parcours de Lahy avant son entrée au laboratoire d’ Edouard Toulouse demeure un mystère. La biographie<br />

que lui ont consacrée J. GIRAULT et M. TREBITSCH dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier<br />

français lui prête une carrière de commis <strong>des</strong> postes ; d’autres affirment qu’il aurait été percepteur d’impôts :<br />

autant d’activités qui étaient en tout cas sans lien direct avec la physiologie. TURBIAUX (1982) et VATIN (1999)<br />

suggèrent que c’est son engagement syndical ou sa participation active à la franc-maçonnerie qui ont pu conduire<br />

Lahy vers la psychophysiologie, dans la mesure où la franc-maçonnerie cherchait depuis les années 1890 une<br />

issue scientifique à la question sociale et s’intéressait par conséquent aux questions du travail, afin de contrer la<br />

politique de l’Eglise en direction du monde ouvrier depuis l’Encyclique de Léon XIII Rerum Novarum (1891).<br />

137


en laboratoire, Lahy place au premier plan la qualité de l’observation réalisée dans le milieu<br />

de travail lui-même. Il y a certainement là une trace de l’héritage de la formation reçue par<br />

Lahy auprès de Marcel Mauss en 1907. Cet ancrage anthropologique donne à ses <strong>des</strong>criptions<br />

une grande fraîcheur, ainsi ce passage de l’ouvrage de 1927 consacré à la sélection <strong>des</strong><br />

conducteurs de Tramways :<br />

« La sensation de vitesse due à l’impression <strong>des</strong> déplacements de son corps sur la<br />

voiture, les mouvements relatifs <strong>des</strong> divers mobiles qu’il aperçoit, l’appréciation <strong>des</strong><br />

distances, la discrimination <strong>des</strong> sons auxquels il doit obéir…, constituent, pour le<br />

machiniste au travail, <strong>des</strong> repères que son esprit ordonne et utilise plus ou moins<br />

consciemment » (Lahy, 1927, p. 190)<br />

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Il y a presque chez Lahy une « phénoménologie » du travail. A la différence <strong>des</strong><br />

psychologues ou physiologistes de laboratoire comme Piéron, il pense que l’activité de travail<br />

se situe avant tout dans un rapport immédiat au monde, et ne se réduit pas à une somme de<br />

sensations psychologiques et physiologiques 28 . Aucun test, d’ailleurs, ne « parvient jamais à<br />

reproduire les conditions réelles de la profession » (ibid, p. 15). La tâche du<br />

psychophysiologiste est donc de scruter le plus finement possible les interactions entre le<br />

travailleur et les conditions matérielles et sociales du travail, la construction de tests<br />

n’intervenant que dans un second temps. Certains <strong>des</strong> tests de sélection mis au point par Lahy,<br />

comme le « test d’attention diffusée », <strong>des</strong>tiné aux conducteurs de tramways, s’attachent<br />

même à reproduire avec la plus grande précision possible les diverses sensations<br />

psychologiques et physiologiques auxquelles est soumis le travailleur : sensations auditives,<br />

visuelles, résistance du volant… Pour ce test, qui se déroule dans un habitacle reproduisant<br />

exactement une cabine de tramway, Lahy a recours à une projection cinématographique où<br />

sont reproduites les conditions réelles de la circulation urbaine. L’orientation que Lahy<br />

souhaite donner à la psychologie du travail se situe donc à l’intersection de la psychologie de<br />

laboratoire et de la physiologie. On sent bien, en amont, une influence de la médecine et plus<br />

précisément de la méthode clinique, qui doit guider les observations du psychologue dans les<br />

milieux de travail.<br />

Il y a là une différence avec les orientations <strong>des</strong> psychologues du travail américains<br />

au cours de la même période qui situent plutôt la psychologie industrielle au confluent de la<br />

psychologie expérimentale et <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> statistiques, la physiologie étant finalement peu<br />

28 Lahy rejoint pleinement le physiologiste Armand IMBERT sur ce point, qui écrivait dès 1907 (pp. 258-259) :<br />

« Dans ce Ministère du travail humain, une place doit être réservée à l’étude de l’homme au travail. Et cette<br />

étude doit être faite dans <strong>des</strong> conditions plus directement pratiques que celles qui président à <strong>des</strong> recherches de<br />

laboratoire. C’est sur l’ouvrier lui-même que doivent porter les observations, c’est sur le chantier et à l’usine que<br />

les recherches doivent être poursuivies »<br />

138


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présente dans leurs recherches. Cette orientation dénote une moindre attention à la phase<br />

initiale d’analyse du travail, l’essentiel étant de mettre au point un test standardisé et<br />

applicable au plus grand nombre de situations de travail possibles, et non un test chaque fois<br />

spécifique, comme le suggère Lahy. Ainsi, lorsque Münsterberg commence à s’intéresser aux<br />

applications de la psychologie dans l’industrie vers 1909, il contacte environ un millier<br />

d’entreprises pour les interroger sur les aptitu<strong>des</strong> qu’elles attendent de leurs employés dans les<br />

différents métiers. Il construit ensuite ses tests sur la base de ces déclarations spontanées, mais<br />

ne se donne pas la peine de réaliser <strong>des</strong> observations de terrain plus approfondies 29 . En ce<br />

sens, la méthode de Lahy apparaît bien plus « artisanale » que celle proposée aux Etats-Unis<br />

par Münsterberg, Dill Scott ou Yerkes, ce qui limite singulièrement son champ d’application.<br />

Elle suppose un diagnostic précis de la situation de travail et la mise au point de tests chaque<br />

fois spécifiques. Cela renvoie également à une conception très différente de la fonction du<br />

psychologue : Lahy situe le psychologue du côté de la médecine, qui traite toujours <strong>des</strong> cas<br />

singuliers ; la psychologie industrielle américaine, à l’inverse, se construit davantage autour<br />

de la métaphore de l’ingénieur que de celle du médecin 30 .<br />

Ces deux positionnements ont <strong>des</strong> implications immédiates du point de vue de la<br />

professionnalisation de la psychologie du travail, qui se fait plus rapidement aux Etats-Unis<br />

qu’en France. Alors que les psychologues du travail américains sont en mesure de proposer à<br />

l’industrie (et à l’armée, dès la première guerre mondiale) <strong>des</strong> tests mentaux standardisés<br />

permettant de trier <strong>des</strong> populations sur une grande échelle, les psychophysiologistes français<br />

ne peuvent envisager de telles applications. Cette orientation ne tient pas seulement à l’état<br />

d’avancement de la science dans les deux pays. Si les français connaissaient également les<br />

métho<strong>des</strong> statistiques et les tests mentaux (mises au point par Binet dès 1905), ils se sont<br />

longtemps refusés à synthétiser un profil individuel au moyen d’un test unique d’aptitude<br />

générale tel que le test de QI. Dans leur perspective, les aptitu<strong>des</strong> mentales et physiologiques<br />

ont un caractère complexe et surtout interagissent les unes avec les autres. De ce fait, elles ne<br />

peuvent être mises au jour que par la combinaison de différents tests. Un travailleur peut<br />

présenter d’excellentes aptitu<strong>des</strong> d’un certain point de vue mais être beaucoup plus faible sous<br />

29 A la différence <strong>des</strong> tests de Lahy, qui étaient souvent à mi-chemin de la psychologie et de la physiologie (tests<br />

manipulatifs par exemple) ceux de Münsterberg mettaient exclusivement l’accent sur les « dispositions<br />

mentales » requises par différents métiers. Ainsi, il utilise <strong>des</strong> jeux de cartes pour mesurer les capacités de<br />

réaction <strong>des</strong> capitaines de navire.<br />

30 Sur la prégnance de la métaphore de l’ingénieur dans la psychologie américaine, voir BROWN (1992), qui<br />

développe tout au long de son ouvrage un projet assez semblable à celui poursuivi en France par PAICHELER<br />

(1992), à ceci près que là où Paicheler parle de « rhétorique », Brown parle de « métaphore ». Mais le projet est<br />

bien le même : montrer comment la science est tout entière imprégnée d’idéologie et ne vise qu’à servir les<br />

139


d’autres aspects, ce qui peut conduire à l’orienter vers un type de métier bien particulier, alors<br />

qu’un test de QI simple, nettement plus binaire dans son fonctionnement, ne permet pas la<br />

« récupération » <strong>des</strong> inaptes et introduit une hiérarchie unidimensionnelle <strong>des</strong> individus, à<br />

laquelle doit répondre une structure hiérarchique <strong>des</strong> positions sociales. Les caractéristiques<br />

essentielles de la conception française <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> se trouvent contenues dans ce passage de<br />

J.-M. Lahy (1933, p. 7) :<br />

« L’expérience a prouvé en premier lieu que les sujets, – sauf dans le cas<br />

d’anormaux graves qui relèvent de mesures d’hospitalisation –, ne sont jamais d’une<br />

infériorité totale dans tous les tests, et en second lieu que <strong>des</strong> fonctions de valeur<br />

médiocre sont compensées chez eux par d’autres fonctions meilleures. Toutes les<br />

combinaisons possibles, au point de vue <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, se trouvent donc représentées<br />

dans la masse <strong>des</strong> travailleurs, et répondent ainsi à la variété <strong>des</strong> activités<br />

professionnelles et <strong>des</strong> occupations existantes ».<br />

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La théorie <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> de Piéron se rapproche nettement de celle de Lahy, même s’il<br />

en développera davantage les applications dans le domaine scolaire que dans celui du travail.<br />

Dans sa conception (elle aussi empruntée à Toulouse) chaque individu dispose d’un répertoire<br />

d’aptitu<strong>des</strong>, qui sont les mêmes pour tous, mais inégalement réparties chez les différents<br />

individus. Il est donc possible pour chaque individu d’exceller dans un domaine particulier –<br />

et donc d’occuper une position sociale en rapport avec cette aptitude spécifique – même si le<br />

niveau moyen de ses aptitu<strong>des</strong> est mauvais.<br />

b) Facteurs politiques et sociaux : les hygiénistes contre Taylor<br />

En arrière plan <strong>des</strong> conceptions scientifiques qui viennent d’être évoquées, et qui<br />

entraînent une moindre codification du « produit » proposé par les psycho-physiologistes, se<br />

profile une conception particulière du rôle que les premiers praticiens entendaient faire jouer à<br />

leur discipline, à la frontière d’un souci de rationalisation et d’un certain hygiénisme social. Si<br />

la psychologie industrielle est née aux Etats-Unis sous le signe de « l’efficacité industrielle »<br />

(Münsterberg, 1913) et du meilleur rendement possible, elle relève davantage en France d’un<br />

souci d’équité et de justice sociale, et apparaît marquée du sceau d’un idéalisme républicain :<br />

la psychologie scientifique permettra d’orienter chacun vers la place qui correspond à ses<br />

aptitu<strong>des</strong> et à ses capacités, assurant ainsi une meilleure valorisation <strong>des</strong> individus et une<br />

meilleure utilisation <strong>des</strong> forces sociales. Cette orientation prise dès ses origines par la<br />

psychologie du travail française n’est pas sans lien avec les conceptions théoriques d’Imbert<br />

ou de Lahy qui viennent d’être exposées. Ces deux auteurs manifestent une attention<br />

constante aux facteurs de « milieu » dans la genèse <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, dans une conception<br />

intérêts économiques d’un groupe en voie d’ascension sociale.<br />

140


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davantage inspirée du lamarckisme (adaptation au milieu) que du darwinisme (sélection <strong>des</strong><br />

plus aptes). Les aptitu<strong>des</strong>, bien que naturellement ancrées dans les individus, ne sont pas chez<br />

Lahy et Imbert <strong>des</strong> données immuables. Elles sont susceptibles d’évoluer au fil du temps par<br />

un processus continu d’adaptation de l’individu à son environnement. Le milieu de travail<br />

n’est pas non plus considéré comme immuable ; l’une <strong>des</strong> tâches du psychologue est<br />

précisément de l’aménager, ce qui donne aux travaux de Lahy et d’Imbert une tonalité parfois<br />

proche de l’ergonomie. On voit donc que ce qui apparaissait aux Etats-Unis dans la période<br />

1900-1920 comme un facteur de sélection et d’exclusion <strong>des</strong> moins aptes, dans une<br />

perspective darwiniste et eugéniste, revêt davantage en France le caractère d’un hygiénisme,<br />

d’une « médecine sociale », qui vise à utiliser au mieux les aptitu<strong>des</strong> de chacun : utilisation<br />

dispendieuse <strong>des</strong> forces d’un côté, conservation de l’énergie et optimisation <strong>des</strong> forces<br />

existantes de l’autre 31 .<br />

Ces conceptions divergentes doivent certainement être rapportées au contexte<br />

démographique <strong>des</strong> deux pays durant la période : au moment où naît la psychologie du travail,<br />

les Etats-Unis disposent d’un réservoir inépuisable de main d’œuvre provenant d’une<br />

immigration massive et ininterrompue 32 , alors que la France vit dans la même temps la crainte<br />

d’un déclin démographique inéluctable, qui la pousse à préserver la santé nationale et à tirer le<br />

meilleur parti <strong>des</strong> capacités de chacun. Cette histoire particulière de la psychologie du travail<br />

en France a souvent été oubliée. L’histoire récente, d’inspiration marxiste 33 ou foucaldienne, a<br />

souvent confondu dans une même dénonciation la psychologie du travail et le taylorisme,<br />

alors que les fondateurs de cette discipline en France étaient aux antipo<strong>des</strong> <strong>des</strong> rationalisateurs<br />

tayloriens 34 . Ils étaient animés d’un réel souci de justice sociale et combattaient avec vigueur<br />

le taylorisme, accusé de gaspiller les énergies physiques et sociales du pays, au détriment de<br />

l’équilibre physiologique du travailleur, et plus largement de l’équilibre du corps social dans<br />

son ensemble 35 . Pour ces raisons, la psychologie du travail française ne cherche pas au départ<br />

31 Dans son ouvrage sur l’histoire <strong>des</strong> sciences du travail RABINBACH (1992 [1990], p. 179) relie cette différence<br />

entre la France et les Etats-Unis à <strong>des</strong> conceptions philosophiques : « La loi de conservation de l’énergie fut la<br />

réponse de l’Europe continentale à la vision Darwinienne ou Spencérienne d’une société guidée par les lois<br />

naturelles du conflit et du combat »<br />

32 Les Etats-Unis accueillent dix millions d’immigrants entre 1885 et 1900 et plus de treize millions entre 1900<br />

et 1915.<br />

33 Voir par exemple les travaux de MOUTET (1997), qui situent sur le même plan la psychologie du travail et le<br />

taylorisme.<br />

34 Il faut ici faire exception de Piéron, qui ne se rallia que tardivement à la position de Lahy. En 1913, il écrivait<br />

dans l’Année psychologique : « Bientôt on pourra augmenter le rendement en diminuant la fatigue, par <strong>des</strong><br />

procédés que suggèrent <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> précises, suivant la méthode qu’on peut appeler « tayloriste », du nom de<br />

l’initiateur Taylor qui a obtenu <strong>des</strong> résultats réellement merveilleux » (PIERON, 1913, p. 24).<br />

35 Voir sur ce point l’ouvrage de LAHY (1916).<br />

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à développer ses applications dans le domaine de la sélection et du recrutement dans<br />

l’industrie, pour lesquels il n’existe d’ailleurs qu’un marché très étroit (voir supra). C’est<br />

plutôt à un autre niveau, celui de la « question sociale » qu’ils vont situer le mandat de leur<br />

nouvelle science : en établissant les lois scientifiques de la fatigue, ils déplacent les<br />

revendications ouvrières sur un terrain neutre et objectif, situé au <strong>des</strong>sus de la mêlée sociale.<br />

Armand Imbert (1850-1922) et Edouard Toulouse (1865-1947), tous deux médecins<br />

de formation, incarnent particulièrement bien ce positionnement hygéniste de la<br />

psychophysiologie du travail à ses débuts, et son aspiration à jouer un rôle d’arbitre dans les<br />

conflits entre capital et travail. Imbert, professeur à la faculté de médecine de Montpellier,<br />

réformiste républicain et ardent défenseur du mouvement ouvrier a très tôt exposé ses<br />

positions en la matière. Dès 1903, parallèlement aux travaux menés par l’équipe d’Edouard<br />

Toulouse au laboratoire de Villejuif, il poursuit <strong>des</strong> recherches sur les causes <strong>des</strong> accidents du<br />

travail dans le département de l’Hérault, en collaboration avec un inspecteur du travail,<br />

Guilhem Mestre 36 . Les auteurs s’aperçoivent que la fréquence <strong>des</strong> accidents du travail n’est<br />

pas due au hasard ou à la maladresse <strong>des</strong> ouvriers mais s’accroît en fonction directe de la<br />

fatigue ouvrière, c’est-à-dire en fin de matinée et en fin de journée. Les auteurs préconisent<br />

donc <strong>des</strong> pauses plus régulières permettant à l’organisme de rétablir son équilibre interne. Si<br />

les accidents du travail ne trouvent pas leur origine dans la mauvaise qualité <strong>des</strong> ouvriers,<br />

mais dans le non respect <strong>des</strong> lois de fonctionnement du corps humain au travail et de ses<br />

conditions d’équilibre, un champ d’intervention s’ouvre pour le psychophysiologiste : celui-ci<br />

doit déterminer scientifiquement les lois du rendement et de la fatigue dans les différentes<br />

professions, œuvrant ainsi pour le bien public et la paix sociale :<br />

« Il est de l’intérêt général d’affirmer que, pour tous les problèmes sociaux dans<br />

lesquels interviennent, à un degré quelconque, la vie et les actes de l’organisme<br />

humain, la solution rationnelle ne peut être établie sans la considération <strong>des</strong> lois<br />

physiologiques du fonctionnement de cet organisme, et par suite sans qu’il soit fait<br />

appel aux connaissances de ceux qui font de la recherche et de l’étude de ces lois<br />

l’objet spécial de leurs travaux » (Imbert, 1907, p. 258)<br />

L’intervention <strong>des</strong> psycho-physiologistes du travail dans le débat politique et social<br />

est également rendue possible par une autre question brûlante <strong>des</strong> premières années du XX e<br />

siècle : la « journée de huit heures ». Comme ils l’ont fait à propos <strong>des</strong> accidents du travail, ils<br />

entendent déplacer cette question du terrain politique de la « lutte <strong>des</strong> classes » vers le terrain<br />

neutre et objectif de la science. Les sciences du travail permettront en effet d’établir sur <strong>des</strong><br />

bases soli<strong>des</strong> les conditions scientifiques de la fatigue dans les différentes professions. Une<br />

36 IMBERT et MESTRE, 1905<br />

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partie du monde politique suit avec attention les progrès <strong>des</strong> sciences du travail, et certains y<br />

voient l’occasion de justifier leurs réformes. Ainsi Edouard Vaillant, médecin de formation,<br />

entend s’appuyer sur les découvertes <strong>des</strong> physiologistes pour justifier le vote de la journée de<br />

huit heures. Dès 1901, il s’était intéressé à la physiologie du travail comme en témoignent<br />

certains passages de La législation ouvrière et l’hygiène (1901). Le discours qu’il prononce à<br />

la Chambre en 1912 en faveur de la journée de 8 heures contient de nombreuses références<br />

aux recherches <strong>des</strong> physiologistes du travail : « Il y a à la vitesse <strong>des</strong> mouvements du travail<br />

une limite qu’il ne faut pas dépasser. C’est ainsi que Maggiora en Italie, Richet et Broca en<br />

France ont montré dans quelles conditions, grâce à un rythme normal, à <strong>des</strong> intervalles de<br />

repos séparant les mouvements successifs, le muscle était capable de produire une quantité de<br />

travail beaucoup plus grande qu’il n’en donne si, sa fatigue croissant, ces intervalles de repos<br />

se réduisent, disparaissent. » (Discours à la Chambre, 11 mars 1912). En février 1913, alors<br />

qu’il est Ministre du travail, Vaillant demande la création au CNAM d’un centre de<br />

recherches sur le travail professionnel, projet qui serait réalisé sur un budget spécial alloué par<br />

le Ministère du Travail. Son projet est très ambitieux : il s'agit rien moins que d'établir, grâce<br />

à la physiologie, une réglementation de la durée du travail dans chaque profession :<br />

« L'étude de la fatigue professionnelle rencontre une application immédiate et<br />

pratique dans la détermination <strong>des</strong> travaux qu’il y a lieu d'interdire aux enfants et<br />

aux femmes (…) Cette étude pourrait également fournir <strong>des</strong> données précises qui<br />

interviendraient utilement dans la limitation de la durée du travail dans les<br />

différentes professions. » 37<br />

Un troisième champ d’application est celui de la sélection professionnelle : le psychophysiologiste<br />

doit veiller à ce que les ouvriers recrutés présentent les aptitu<strong>des</strong> requises, non<br />

dans le but d’atteindre le rendement maximum par la sélection <strong>des</strong> meilleurs, mais en vue<br />

d’optimiser l’utilisation <strong>des</strong> forces sociales, dans un contexte de rareté relative de la main<br />

d’œuvre. Optimiser, c’est-à-dire rechercher le point d’équilibre entre les besoins de la société<br />

et le bien-être <strong>des</strong> travailleurs :<br />

« Au lieu d’adopter aveuglément les principes de W Taylor, ils [les directeurs<br />

d’usines] auront avantage à recruter, au fur et à mesure <strong>des</strong> besoins, un jeune<br />

personnel possédant les qualités psychologiques nécessaires au parfait exercice de<br />

leur profession. Ceux qui ne sauraient être agréés chercheront, avec l’aide du<br />

psycho-physiologiste, <strong>des</strong> occupations conformes à leurs aptitu<strong>des</strong>. Au bout de<br />

quelques années, on verra diminuer le nombre <strong>des</strong> déclassés et augmenter le<br />

rendement industriel » (Lahy, 1916, p. 71, souligné par nous)<br />

On est bien ici aux antipo<strong>des</strong> de la conception d’un Taylor, qui recherche au<br />

contraire le rendement maximum à court terme, en essayant d’exploiter au maximum les<br />

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capacités productives de l’ouvrier, sans souci de leur régénération et de leurs lois d’équilibre.<br />

On remarque aussi au passage que le terme d’ « inaptitude » n’appartient pas au vocable <strong>des</strong><br />

psychophysiologistes de l’époque : ils parlent plus volontiers de « contre-indications », d’<br />

« incapacités »… Le terme d’inaptitude laisserait en effet entendre que les individus peuvent<br />

être hiérarchisés et se divisent en deux classes scellées de toute éternité. Or, Lahy et ses<br />

collègues définissent l’aptitude comme une « supériorité professionnelle » par rapport à une<br />

tâche donnée, et non par rapport à une quelconque norme absolue.<br />

Le point de vue de Taylor et de la psychologie du travail américaine contraste donc<br />

nettement avec celui défendu par les psycho-physiologistes du travail français à la même<br />

époque. Ces deux conceptions s’enracinent dans deux visions du monde opposées : recherche<br />

de l’efficacité et de la productivité maximale d’un système fonctionnant en « boucle ouverte »<br />

d’un côté, équilibre et récupération <strong>des</strong> forces d’un système « fermé » de l’autre.<br />

Plus fondamentalement, il faut insister sur la continuité qui existe, dans l’esprit <strong>des</strong><br />

premiers physiologistes du travail et plus généralement dans toute une partie de la société<br />

française, entre l’équilibre du corps humain au travail et l’équilibre du corps social dans son<br />

ensemble. La métaphore du corps humain au travail imprègne toutes les représentations de la<br />

société. Cette continuité est clairement exprimée par le député Adrien Veber 38 , chargé de<br />

rapporter devant la Chambre en 1914 un projet de création d’un laboratoire de psychophysiologie<br />

du travail :<br />

« La prospérité d’une nation dépend du développement, de la conservation et de la<br />

meilleure utilisation de toutes les énergies productrices qu’elle renferme, énergies au<br />

nombre <strong>des</strong>quelles il faut compter toutes les unités qui accomplissent un travail<br />

professionnel. Or chacune de ces énergies est un organisme vivant, c’est-à-dire une<br />

source d’énergie très spéciale dont le fonctionnement et la production totale peuvent<br />

être profondément altérés par un emploi non conforme à sa nature. La connaissance<br />

de cette nature du moteur humain et <strong>des</strong> lois de son fonctionnement est donc<br />

indispensable pour régler l’utilisation de ce moteur » (Veber, 1914, p. 205)<br />

Rabinbach (1992 [1990]) a bien montré dans son ouvrage sur l’histoire de la psychophysiologie<br />

du travail la circulation permanente <strong>des</strong> métaphores entre les deux domaines,<br />

ainsi que le lien étroit qui unit les savants républicains œuvrant dans le domaine de la<br />

physiologie à ceux qui militent en faveur d’une réforme politique et sociale. Dans les deux<br />

cas, il s’agit bien de faire reculer, grâce à la science, les différentes formes de pathologies<br />

sociales que produit le libéralisme. Ainsi, la position de psycho-physiologistes comme<br />

Edouard Toulouse, Armand Imbert ou J.-M. Lahy est à rapprocher de celle <strong>des</strong> sociologues<br />

37 Arch. CNAM, lettre du 21 février 1913 du ministre du travail au ministre du Commerce<br />

38 Je remercie Marcel Turbiaux, qui m’a transmis ce document<br />

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durkheimiens et d’économistes solidaristes tels que Charles Gide, Charles Rist ou Léon<br />

Bourgeois. Des deux côtés, on recherche avant tout les conditions de la paix et de l’harmonie<br />

sociale, à travers une vision organiciste de la société inscrite en réaction contre la montée<br />

d’une économie libérale. Les travaux de Durkheim sur le suicide ou la « morale<br />

professionnelle », bien que situés à un autre niveau, posent bien la même question que les<br />

psychophysiologistes : celle <strong>des</strong> conditions d’équilibre d’un corps social pensé en termes<br />

organicistes qui se protège de toute forme de gaspillage (anomie, suicide, individualisme…).<br />

Quelles que soient les critiques qu’il formule par ailleurs à l’encontre de la psychophysiologie<br />

de son temps, c’est bien la même idée de « moteur humain », guidé par un<br />

principe d’économie interne, qui traverse ses premières œuvres 39 . Ainsi, sa position se révèle<br />

parfois très ambiguë : tout en critiquant la validité de la psycho-physiologie en tant que<br />

principe explicatif, ses métaphores du corps social sont fréquemment empruntées à cette<br />

discipline. Il écrit ainsi dans la Division du travail social :<br />

« Quelques progrès que fasse la psycho-physiologie, elle ne pourra jamais<br />

représenter qu'une fraction de la psychologie, puisque la majeure partie <strong>des</strong><br />

phénomènes psychiques ne dérivent pas de causes organiques. C'est ce qu'ont<br />

compris les philosophes spiritualistes, et le grand service qu'ils ont rendu à la science<br />

a été de combattre toutes les doctrines qui réduisent la vie psychique à n'être qu'une<br />

efflorescence de la vie physique » (1960 [1893], p. 340)<br />

Et ailleurs il écrit :<br />

« Le droit joue dans la société un rôle analogue à celui du système nerveux dans<br />

l'organisme. Celui-ci, en effet, a pour tâche de régler les différentes fonctions du<br />

corps, de manière à les faire concourir harmoniquement : il exprime ainsi tout<br />

naturellement l'état de concentration auquel est parvenu l'organisme, par suite de la<br />

division du travail physiologique. Aussi, aux différents échelons de l'échelle<br />

animale, peut-on mesurer le degré de cette concentration d'après le développement<br />

du système nerveux. C'est dire qu'on peut également mesurer le degré de<br />

concentration auquel est parvenue une société par suite de la division du travail<br />

social, d'après le développement du droit coopératif à sanctions restitutives. » (1960<br />

[1893], p. 98)<br />

Les contacts étaient d’ailleurs nombreux entre ces différents milieux : Lahy avait<br />

fréquenté les durkheimiens avant la Première Guerre en suivant les cours de Marcel Mauss à<br />

l’EPHE de 1901 à 1907 (Turbiaux, 1982). Il connaissait donc bien la sociologie de Durkheim,<br />

à qui il emprunte d’ailleurs sa théorie <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> (Buretel, 1995). Le réformiste Léon<br />

Bourgeois était lui aussi un ardent défenseur de la psycho-physiologie du travail dans laquelle<br />

il voyait un instrument d’harmonie sociale. En 1913, alors qu’il est président du conseil<br />

39 De ce point de vue, et contrairement à ce que soutient NISBET (1984 [1966], p. 34), la métaphore organiciste<br />

n’est pas chez Durkheim l’expression d’une nostalgie héritée de la droite catholique (Bonald, Tocqueville…)<br />

mais plutôt la marque de l’héritage du matérialisme <strong>des</strong> Lumières.<br />

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d’administration du CNAM, il plaide en faveur de la création d’un laboratoire de physiologie<br />

du travail au sein de cet établissement. Après avoir rappelé à ses collègues la profonde<br />

différence entre la psycho-physiologie du travail et le système Taylor il conclut à la nécessité<br />

de créer un laboratoire d’étude du travail, dans la mesure où « la machine humaine n’a pas<br />

encore été étudiée ».<br />

La figure d’Edouard Toulouse fait le lien entre ces différents milieux. Né à Marseille<br />

en 1865, Toulouse se <strong>des</strong>tine d’abord à une carrière de journaliste avant de se tourner vers la<br />

médecine, mais il mènera parallèlement à sa carrière de médecin une activité de publiciste,<br />

écrivant plus de quatre mille articles au long de sa vie. En 1897, il est nommé médecin-chef à<br />

l’Asile de Villejuif où il crée trois ans plus tard un « laboratoire de psychologie<br />

expérimentale » qui deviendra le creuset de la psychologie appliquée française. Son influence<br />

fut considérable sur la génération de psychologues et physiologistes du travail qui prirent part<br />

aux travaux du laboratoire et lancèrent la psychologie sur les voies de la professionnalisation<br />

dans l’entre-deux guerres : Henri Piéron, Henri Laugier et Jean-Maurice Lahy. C’est<br />

certainement la pensée de Toulouse qui a conduit la psychologie appliquée à emprunter une<br />

voie si différente de celle suivie aux Etats-Unis. Par ses convictions politiques et sociales,<br />

Toulouse est une figure typique de l’univers intellectuel de la Troisième république, à michemin<br />

entre un scientisme rationalisateur et un humanisme généreux. Il est convaincu<br />

notamment que les progrès de la psychologie et de la physiologie permettront une répartition<br />

plus juste et plus efficace <strong>des</strong> individus. Comme Imbert, il pense que « l’étude <strong>des</strong> malaises<br />

dont souffre le monde du travail n’est pas encore entrée dans une période scientifique et<br />

même rationnelle » (1907, p. 191). Il suggère donc la création d’un laboratoire central du<br />

travail 40 qui aurait pour mission de déterminer « la résistance et les aptitu<strong>des</strong> nécessaires dans<br />

chaque industrie, et proposerait une épreuve tendant à sélectionner les travailleurs » (ibid, p.<br />

195). Ce laboratoire serait également appelé à jouer un rôle crucial en cas de conflit social :<br />

« Une grève est une maladie sociale. Quand une épidémie de fièvre typhoïde frappe<br />

une région, il semble maintenant naturel d’y envoyer une commission d’hygiénistes,<br />

qui examinent l’eau, les puits, les égouts. Semblablement, en cas d’une crise<br />

économique violente, le Laboratoire du Travail aurait à expédier sur place une<br />

commission de recherches qui saurait procéder à <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> méthodiques, établir les<br />

tares et les vices de fonctionnement, signaler les remè<strong>des</strong> efficaces. » (ibid, p. 198)<br />

40 Imbert défendait lui aussi la création de laboratoires du travail dans toutes les gran<strong>des</strong> villes de France. Dans<br />

un rapport remis à la Chambre de Commerce de Marseille en 1919, il propose la création à Marseille d’un<br />

« Centre d’étu<strong>des</strong> scientifiques et expérimentales <strong>des</strong> questions se rapportant au travail ouvrier », afin de<br />

prévenir les grèves de dockers (Arch. CCI Marseille, A 34,12)<br />

146


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De telles positions peuvent surprendre aujourd’hui. Elles le sont moins si l’on songe<br />

à la centralité de la question du travail et de la figure de l’homo faber dans les représentations<br />

politiques et sociales du début du XX e siècle 41 . Les découvertes de Marey ou de l’italien<br />

Angelo Mosso (1846-1910) dans le domaine de la physiologie du travail renvoient l’image<br />

harmonieuse d’un corps humain en équilibre permanent, qui se régénère et produit lui-même<br />

l’énergie nécessaire à son bon fonctionnement. Armand Imbert note ainsi avec fascination en<br />

1902 « la merveilleuse faculté d’adaptation [<strong>des</strong> muscles] en vue d’une réduction de la<br />

dépense énergétique » (1902). Lahy fait un constat similaire en étudiant les activités de<br />

surveillance (conducteur de tramways, dactylographes, linotypistes), qui font davantage appel<br />

à <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychologiques d’attention, de mémoire, ou d’acuité visuelle qu’à <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong> musculaires et physiologiques : « c’est à un effort d’ordre différent qu’est due la<br />

fatigue dans les professions modernes. Son siège n’est plus dans les muscles, mais dans le<br />

système nerveux » (Lahy, 1916, p. 156). Dans ces activités, Lahy remarque que le système<br />

nerveux trouve sont point d’équilibre et repousse les limites de la fatigue et du surmenage,<br />

jusqu’au point de rupture où les facultés psychologiques ne peuvent plus se régénérer. Le<br />

danger qu’entraîne le taylorisme est alors de ne pas permettre la reconstitution du système<br />

nerveux ou musculaire en le poussant constamment vers la productivité maximale et la<br />

rupture de l’équilibre interne. Que la métaphore soit d’ordre physiologique ou psychologique,<br />

le corps social est pensé en <strong>des</strong> termes identiques : il doit lui aussi se prémunir contre toute<br />

forme de gaspillage, de dépense énergétique inutile, telles que la fatigue 42 , le surmenage, ou la<br />

mauvaise utilisation <strong>des</strong> « aptitu<strong>des</strong> » individuelles. Comme le corps humain, qui se divise en<br />

autant de muscles et de facultés psychologiques auto-régulées, le corps social est une somme<br />

d’énergies individuelles dont l’utilisation doit être optimisée. Binet (1908) établit bien la<br />

continuité entre le corps et la société lorsqu’il écrit que l’orientation professionnelle doit<br />

contribuer à la construction d’une société « où chacun travaillerait selon ses aptitu<strong>des</strong><br />

41 Cette représentation reste très présente dans les sciences du travail françaises (sociologie, psychologie,<br />

physiologie) jusqu’aux années 1960. Que l’on songe par exemple aux travaux de Friedmann, grand lecteur et<br />

admirateur de Lahy, qui voit dans l’aliénation sociale un prolongement de l’aliénation <strong>des</strong> corps au travail. A<br />

l’inverse, à partir <strong>des</strong> années 1960, un nombre croissant de sociologues du travail s’attachent à montrer le<br />

divorce croissant entre l’homo faber et la production de la société, à travers <strong>des</strong> thèmes comme l’automation<br />

(Naville) ou la montée <strong>des</strong> mouvements sociaux (Touraine).<br />

42 Dans un ouvrage récent, Marc LORIOL (2000) établit une continuité historique entre le thème de la fatigue, tel<br />

qu’il était traité par les psychophysiologistes du début du XX e siècle et le thème actuel du « stress au travail ».<br />

La filiation n’est toutefois qu’apparente : <strong>des</strong> psychophysiologistes comme Imbert ou Lahy voyaient dans la<br />

fatigue individuelle la menace d’un dysfonctionnement du corps social dans son ensemble, par la mauvaise<br />

utilisation <strong>des</strong> énergies sociales. Aujourd’hui c’est bien plutôt le mouvement inverse qui se produit puisque c’est<br />

l’environnement social qui produit la fatigue et le stress individuel.<br />

147


econnues, de manière à ce qu’aucune parcelle de force physique ne fût perdue pour la<br />

société ».<br />

4. La psychologie du travail au tournant <strong>des</strong> années 1920 en France et<br />

aux Etats-Unis<br />

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La psychologie du travail s’établit donc en France dans les deux premières décennies<br />

du XX e siècle autour d’un paradigme différent de celui qui anime la psychologie du travail<br />

américaine dans la même période. Si les deux participent bien du même souffle d’optimisme<br />

positiviste, qui voit dans la science et le laboratoire une solution rationnelle aux différentes<br />

formes d’inadaptation sociale, la finalité poursuivie n’est pas le même. Aux Etats-Unis, il<br />

s’agit avant tout de vendre à la société et à l’industrie <strong>des</strong> outils simples et efficaces de<br />

classement <strong>des</strong> personnes, permettant de séparer le bon grain de l’ivraie, dans une logique<br />

avant tout inspirée par l’élimination <strong>des</strong> inaptes. Comme le note Baritz (1960, p. 57) à propos<br />

de la psychologie industrielle américaine :<br />

« Ayant obtenu peu d’ai<strong>des</strong> du gouvernement, les psychologues industriels durent<br />

persuader les directions d’entreprises de leur utilité. Quelques audacieux persistèrent<br />

dans leurs efforts de mise sur le marché de leurs connaissances. L’instrument le plus<br />

tangible qu’ils avaient développé était le test psychologique, et c’est le succès de<br />

celui-ci qui déterminerait de leur avenir »<br />

Le succès <strong>des</strong> tests mentaux, mis au point par Terman entre 1910 et 1915, témoigne<br />

bien de cette orientation initiale de la psychologie appliquée. Les tests de QI (Quotient<br />

Intellectuel) furent ainsi massivement utilisés pour l’évaluation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> soldats<br />

américains durant la Première Guerre mondiale 43 . Deux structures furent mises en place en<br />

1917 : le Committee for psychology, dirigé par Robert Yerkes, un élève de Münsterberg, était<br />

chargé de sélectionner les candidats aptes à devenir officiers sur la base de tests de QI. Ce<br />

comité examina environ 1 725000 soldats pendant toute la guerre (Baritz, op. cit., p. 45). Le<br />

Committee on Classification of Personnel, dirigé par Walter Dill Scott, avait une mission<br />

sensiblement différente, consistant à affecter les soldats vers les différents emplois militaires<br />

en fonction de leurs aptitu<strong>des</strong>. Ces deux comités permirent de perfectionner la technique de<br />

tests de recrutement et surtout ils consolidèrent la réputation de la psychologie du travail dans<br />

43 Le rôle <strong>des</strong> deux guerres dans la professionnalisation de la psychologie est un thème désormais bien couvert.<br />

Par les historiens et sociologues. Aux Etats-Unis, les deux principales références sur ce point sont CAMFIELD<br />

(1969) et CAPSHEW (1999) qui ont tous deux consacré leur thèse à cette question. PAICHELER (1992, pp. 162-<br />

165) traite également cette question dans son ouvrage. En ce qui concerne l’Allemagne, GEUTER (1992) défend<br />

l’hypothèse que le régime nazi aurait permis une professionnalisation sans précédent de la psychologie. Il existe<br />

en revanche peu de travaux sur le cas français. Un colloque international (dont les actes sont à paraître) s’est<br />

toutefois tenu en 2002 à la Sorbonne sur le thème « Les psychologues et les guerres ».<br />

148


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les milieux industriels, qui s’étaient jusque-là montrées assez réticents. La codification et la<br />

marchandisation de la psychologie appliquée se poursuit sur cette lancée dans l’immédiat<br />

après-guerre avec la création, en 1921 de la Psychological Corporation, organisme de conseil<br />

en psychologie industrielle qui regroupe les plus grands noms de la psychologie de l’époque<br />

et qui existe encore aujourd’hui : J. McKeen Cattell, Walter Bingham, Granville S. Hall, H.<br />

Holligworth. On peut ainsi dire qu’en 1917, il existe aux Etats-Unis un paradigme de la<br />

psychologie industrielle, structuré autour de deux piliers : la psychologie structuraliste de<br />

Wundt et la méthode <strong>des</strong> tests mentaux de Binet. Signe de cet accord général de la<br />

communauté scientifique américaine, le premier « manuel de psychologie appliquée », écrit<br />

par H.-L. Hoolingworth et A.-T. Poffenberg voit le jour en 1917, et une revue, le Journal of<br />

Applied Psychology naît la même année 44 .<br />

En France, en revanche, l’armée ne fait quasiment pas appel aux techniques <strong>des</strong><br />

psycho-physiologistes du travail pendant la Première Guerre, à l’exception de quelques<br />

expériences de sélection d’aviateurs menées par un physiologiste de la Faculté de Médecine,<br />

Jean Camus, qui avait d’ailleurs conduit ses recherches indépendamment de l’équipe de<br />

Toulouse ou d’Imbert 45 . On peut donc difficilement parler de « professionnalisation » de la<br />

psychologie du travail en France durant cette période. Il existe bien un noyau de psychologues<br />

et physiologistes gravitant autour du laboratoire de psychologie expérimentale de Toulouse, et<br />

partageant un certain nombre de techniques et surtout de convictions politiques, mais les rares<br />

applications qui voient le jour sont faites dans un but exclusif de législation sociale et aucune<br />

entreprise n’a recours aux services de psychologues du travail en France avant le milieu <strong>des</strong><br />

années 1920. Dans cette première période, qui va <strong>des</strong> années 1900 à 1918, les<br />

psychophysiologistes du travail se cantonnent dans un rôle d’experts auprès de<br />

l’administration, mais ils ne gagnent pas leur autonomie vis-à-vis de cette dernière et ne<br />

cherchent pas à développer une discipline académique. A la différence de leurs congénères<br />

américains, ils ne se perçoivent donc pas comme <strong>des</strong> professionnels vendant leurs services sur<br />

un marché, mais davantage comme <strong>des</strong> experts en hygiène sociale, investis d’une mission<br />

morale de régénération de la société, agissant au sein même de l’administration. Par<br />

conséquent, ils ne doivent pas se contenter de convaincre les industriels de la valeur de leurs<br />

44 Ce n’est que bien plus tard, en 1951 qu’une telle entreprise verra le jour en France avec le Traité de<br />

Psychologie appliquée dirigé par Henri Piéron, qui consacre plusieurs chapitres à la psychologie du travail.<br />

45 Voir PIERON (1920, p. 237) : « Toutes les sciences sont intervenues au cours de la guerre et ont fait, de leurs<br />

techniques, <strong>des</strong> armes de combat. La psychophysiologie a dû intervenir et aux Etats-Unis, son rôle a pris<br />

d’emblée une extension considérable. En Europe, ce rôle a été plus mo<strong>des</strong>te (…) en France par exemple, il n’y a<br />

guère eu d’intervention que dans le choix <strong>des</strong> candidats aviateurs. Et encore cette intervention n’a été ,dans notre<br />

149


métho<strong>des</strong>, mais aussi les syndicats de travailleurs et surtout le gouvernement : leurs auditoires<br />

sont plus divers. C’est bien ce même esprit qui perdurera avec la professionnalisation de la<br />

psychologie appliquée dans l’entre-deux-guerres, d’une part dans l’orientation professionnelle<br />

et d’autre part dans les quelques usines qui mettent en place <strong>des</strong> services de psychotechnique<br />

au lendemain de la guerre.<br />

B. L’INSTITUTIONNALISATION DE LA PSYCHOLOGIE APPLIQUEE DANS LE CHAMP<br />

SCIENTIFIQUE (1920-1939)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Durant les deux premières décennies du XX e siècle, la psycho-physiologie du travail<br />

avait été essentiellement l’affaire de quelques savants engagés politiquement, mais peu<br />

soucieux d’imposer cette nouvelle discipline au sein de l’Université. Celle-ci se montre<br />

d’ailleurs peu ouverte aux innovations et les psychophysiologistes ne trouvent pas dans les<br />

structures anciennes – en particulier la Sorbonne ou les facultés de médecine – un cadre<br />

adéquat à leurs recherches. Celles-ci se situent en effet au carrefour de différentes disciplines<br />

– la physiologie, la physique, la psychologie, la philosophie, les statistiques – ce qui fait<br />

obstacle à leur institutionnalisation dans l’université. Seules quelques institutions<br />

« marginales », comme l’EPHE, le Muséum d’Histoire Naturelle (Institut Marey) ou le<br />

CNAM réservent une petite place aux sciences du travail. La période de l’entre-deux guerres<br />

marque de ce point de vue une rupture importante. Les universités, les pouvoirs publics et le<br />

monde industriel commencent à s’intéresser aux applications de la psychologie, notamment<br />

en matière d’orientation et de sélection professionnelle. Les premières expériences<br />

d’orientation professionnelle constituent une occasion inédite de mettre en place à grande<br />

échelle la vision défendue par Toulouse et Imbert d’une répartition plus « juste » <strong>des</strong><br />

individus selon leurs aptitu<strong>des</strong>. Le passage aux applications pratiques, toutefois, ne se fait pas<br />

sans quelques concessions. Concessions scientifiques tout d’abord, puisque la<br />

psychophysiologie du travail, qui s’était jusqu’alors montrée ouverte à un spectre très large de<br />

disciplines se ferme peu à peu autour d’un nouveau savoir officiel plus étroitement codifié : la<br />

psychotechnique, qui dispose de ses centres de recherches (l’EPHE, l’INOP et l’Hôpital<br />

Henri-Rousselle), de ses associations savantes (l’Association Internationale de<br />

Psychotechnique) de ses revues (La Revue de la science du travail, Le Travail humain, le<br />

Bulletin de l’Institut National d’Orientation Professionnelle, l’Année psychologique) et de ses<br />

pays, ni très précoce ni complètement satisfaisante ».<br />

150


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propres organismes de formation (l’Institut de Psychologie, l’INOP, le CNAM) 46 . C’est à<br />

cette condition seulement que le savoir peut être transmis à <strong>des</strong> disciples : ce qui était<br />

jusqu’alors mouvant se solidifie progressivement et la rationalisation du système cognitif<br />

prend le pas sur les préoccupations politiques et de réforme sociale qui avaient animé les<br />

premiers psychophysiologistes. Alors que ceux-ci mêlaient étroitement dans leurs travaux <strong>des</strong><br />

raisonnements économiques, sociologiques, physiologiques et psychologiques, on voit le<br />

paradigme de la science du travail se fermer autour de la psychotechnique et de la méthode<br />

<strong>des</strong> tests, acquérrant progressivement une cohérence et une logique interne parfois détachée<br />

<strong>des</strong> enjeux sociopolitiques initiaux. Ce nouveau savoir est enseigné à un ensemble de<br />

professionnels – psychotechniciens, surintendantes d’usine, directeurs du personnel,<br />

conseillers d’orientation professionnelle – qui s’appliquent à mettre en œuvre ces<br />

technologies sociales dans l’industrie ou à l’école. On assiste aussi à l’émergence d’un<br />

marché du travail structuré autour de ce savoir, de diplômes, de réseaux de relations,<br />

d’associations professionnelles et savantes etc. La seconde concession qui est faite au projet<br />

initial <strong>des</strong> psychophysiologistes du travail est d’ordre plus idéologique : à la fin <strong>des</strong> années<br />

1930, seuls quelques rares psychotechniciens croient encore que leur science peut contribuer à<br />

résoudre les conflits entre le patronat et le monde ouvrier, et surtout qu’elle peut être mise au<br />

service <strong>des</strong> travailleurs. Cette discipline a rejoint, aux côtés du taylorisme, l’arsenal <strong>des</strong><br />

technologies sociales qui se sont diffusées dans les entreprises durant l’entre deux guerres.<br />

Lahy et Laugier font de ce point de vue certainement figures d’exceptions puisqu’ils placent<br />

encore leur science sous le signe de l’engagement politique 47 .<br />

Une précision s’impose avant de poursuivre : les nombreuses affinités entre les<br />

conseillers d’orientation professionnelle et les psychotechniciens durant l’entre-deux guerres<br />

justifient les parallèles fréquents que nous établirons entre ces deux groupes. D’une part, les<br />

deux professions participent bien toutes deux d’un même positivisme de la mesure, qui voient<br />

essentiellement la psychologie sous l’angle de la psychométrie et <strong>des</strong> tests. Orientation<br />

professionnelle et psychotechnique ne forment d’ailleurs qu’une seule et même discipline 48 et<br />

ce n’est que bien plus tard (dans les années 1950) qu’elles se différencieront plus clairement.<br />

46 Voir Annexe II-10, annexe 2 : « Le monde de la psychotechnique en France 1920-1939 »<br />

47 Laugier, bien que très engagé à gauche, gardait ses distances vis-à-vis du parti communiste, contrairement à<br />

Lahy et Piéron qui étaient membres de « Cercle de la Russie Neuve » et « collaborateur scientifique » à<br />

L’Humanité (voir RIBEILL, 1995).<br />

48 La première « Conférence internationale d’Orientation Professionnelle », organisée en 1920 à l’initiative du<br />

psychologue suisse Edouard Claparède deviendra l’année suivante « Conférence internationale de<br />

Psychotechnique », ce qui montre bien qu’au début <strong>des</strong> années 1920 orientation professionnelle et<br />

psychotechnique sont quasiment synonymes : elles se définissent toutes deux comme la « science <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> »<br />

151


D’autre part, ces deux groupes tendent parfois à se confondre dans l’entre-deux guerres : de<br />

nombreux conseillers d’orientation professionnelle réalisent, parallèlement aux évaluations<br />

menées dans le cadre scolaire, <strong>des</strong> opérations de recrutement ou d’évaluation de travailleurs<br />

en entreprise. Enfin, les cursus universitaires conduisant aux deux professions sont<br />

identiques : il s’agit dans les deux cas de l’INOP, de la section de psychologie appliquée de<br />

l’Institut de Psychologie ou du CNAM.<br />

1. Les premières formations : une marginalité assumée ?<br />

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Le visage actuel de la psychologie française nous fait parfois oublier que ce n’est pas<br />

d’abord dans le champ de la santé et de la pathologie, mais celui de l’orientation<br />

professionnelle et du travail qu’ont été réalisées les premières applications<br />

« professionnelles » de la psychologie. Il faut pour cela se replacer dans le contexte de la<br />

psychologie de la première moitié du XX e siècle, principalement expérimentale, et sûre de la<br />

validité de ses métho<strong>des</strong> scientifiques. Au premier rang de ces métho<strong>des</strong> se situent les tests.<br />

Ceux-ci ne visent pas seulement à détecter – encore moins à traiter – <strong>des</strong> situations<br />

pathologiques, mais davantage à veiller à l’adaptation « normale » <strong>des</strong> individus à la société,<br />

en fonction de leurs aptitu<strong>des</strong>. Les premières formations de psychologues professionnels<br />

portent la marque de cette conception scientiste. Entre 1921 et 1928, trois établissements de<br />

formation de psychologues « professionnels » voient le jour : l’Institut de Psychologie (1921),<br />

L’Institut National d’Orientation Professionnelle (1928) et la chaire de Physiologie du travail<br />

du Conservatoire <strong>des</strong> Arts et Métiers (1928). Ces trois établissements formeront la plupart <strong>des</strong><br />

psychologues du travail exerçant dans l’entre-deux-guerres.<br />

Jusqu’à la fin de la Première Guerre, la voie quasi exclusive pour devenir<br />

psychologue consistait à poursuivre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de médecine, puis à se faire recruter dans un<br />

laboratoire de psychologie expérimentale pour y faire l’apprentissage du métier (celui de la<br />

Sorbonne, celui de Villejuif ou celui de la Salpêtrière, pour ceux qui veulent se tourner vers la<br />

psychopathologie). Une formation complémentaire de philosophe était également bienvenue,<br />

cette voie étant choisie par un bon nombre de normaliens portant la double casquette de<br />

médecin et de philosophe (Janet, Wallon, Blondel, Dumas…). Au lendemain de la première<br />

guerre, un certain nombre de psychologues, portés par l’espoir d’appliquer les sciences<br />

humaines aux problèmes sociaux 49 manifestent un souci de formaliser davantage la formation<br />

donnant lieu aux mêmes applications dans le domaine scolaire et du travail.<br />

49 La participation massive <strong>des</strong> psychologues américains au dépistage <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> pendant la Première Guerre<br />

mondiale n’avait d’ailleurs pas échappé aux psychologues français. Voir PIERON (1920).<br />

152


de ces psychologues professionnels appelés à poursuivre <strong>des</strong> recherches mais aussi – tout au<br />

moins l’espère-t-on – à appliquer cette nouvelle science dans différents cadres sociaux.<br />

a) Les certificats de psychologie de l’université<br />

En 1920, la psychologie est quasi absente de l’université française. Elle n’est<br />

enseignée que dans le cadre de la licence de philosophie <strong>des</strong> facultés de lettres, dont elle<br />

constitue l’un <strong>des</strong> cinq certificats 50 . La psychologie universitaire est donc entièrement placée<br />

sous la tutelle de la philosophie et les enseignements n’ont que peu de rapport avec la<br />

psychologie de laboratoire qui s’était développée en France dans la lignée de Ribot et Binet.<br />

Paul Fraisse note en 1957 ce profond décalage entre la recherche en psychologie<br />

expérimentale et la psychologie philosophique <strong>des</strong> facultés de lettres :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« [En 1920], la psychologie est encore – et seulement – un aspect de la philosophie ;<br />

ce sont, en général, <strong>des</strong> philosophes authentiques qui l’enseignent. Suivant les<br />

Facultés, suivant les hommes, on enseigne surtout <strong>des</strong> doctrines psychologiques.<br />

C’est ici, de l’éclectisme, là du bergsonisme ; ici on cherche à faire triompher les<br />

points de vue empiriques, là <strong>des</strong> points de vue idéalistes. Cette psychologie reste<br />

coupée <strong>des</strong> révolutions de la seconde moitié du XIX e siècle qui ont transformé la<br />

psychologie, faisant d’une discipline philosophique une discipline scientifique »<br />

(Fraisse, 1957, p 212).<br />

Cette emprise de la philosophie sur la psychologie perdura pendant de nombreuses<br />

années, jusqu’à ce qu’une licence (1947) puis une maîtrise de psychologie (1966) fûssent<br />

créées. Aussi, pendant toute la période de l’entre-deux-guerres, un certain nombre de<br />

« psychologues-philosophes » furent-ils formés dans le cadre de la licence de philosophie. En<br />

1934, une quinzaine d’universités à Paris et en Province préparaient au certificat de<br />

psychologie (voir tableau II-1, annexe 2). Un « groupe d’étu<strong>des</strong> psychologiques » fut même<br />

créé à la Sorbonne en 1927, sur l’initiative de Pierre-Henri Delacroix, le fils d’un professeur<br />

de psychologie de la Sorbonne. Les effectifs toutefois, demeuraient très mo<strong>des</strong>tes, et l’on<br />

évalue à quelques centaines le nombre d’étudiants formés en psychologie dans le cadre <strong>des</strong><br />

facultés de lettres dans l’entre deux guerres (Frétigny, 1935).<br />

b) L’Institut de psychologie<br />

Une brèche avait toutefois été ouverte en 1920 dans l’hégémonie de la philosophie<br />

sur la psychologie, puisqu’au mois de juillet de cette même année, un décret de réorganisation<br />

<strong>des</strong> universités est publié donnant la possibilité de créer <strong>des</strong> « Instituts d’Université » à partir<br />

de ressources apportées par différents établissements scientifiques. Henri Piéron voit dans ce<br />

50 Aux côté du certificat de morale et sociologie, de philosophie générale et logique, d’histoire générale de la<br />

philosophie et d’étu<strong>des</strong> littéraires classiques.<br />

153


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

décret l’opportunité d’organiser un enseignement de psychologie enfin affranchi de la tutelle<br />

de la philosophie. Le projet est soutenu par Henri Delacroix et Georges Dumas, alors tous<br />

deux professeurs de psychologie à la Faculté <strong>des</strong> Lettres ainsi que Pierre Janet, titulaire de la<br />

chaire de "psychologie expérimentale et comparée" au Collège de France. L’Institut de<br />

Psychologie, qui voit le jour en 1921, a toutes les apparences d’un « bricolage »<br />

institutionnel : il ne dispose pas de locaux ni de personnel propres et peut simplement<br />

s’appuyer sur les enseignements existants délivrés par d’autres établissements universitaires.<br />

Il dispose par ailleurs d’un budget réduit lui permettant de faire venir <strong>des</strong> conférenciers et<br />

d’organiser les sessions d’examen. Le secrétariat de l’Institut, assuré par Ignace Meyerson, est<br />

fixé dans le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, dont Piéron avait pris la<br />

direction à la mort de Binet en 1911. On voit donc que l’Institut, bien que dépendant<br />

officiellement de l’Université de Paris, se développe dans une certaine précarité<br />

institutionnelle et avec <strong>des</strong> moyens très faible. Signe de cette marginalité, son conseil de<br />

direction est composé de personnes provenant d’horizons divers : Henri Piéron, alors<br />

directeur du laboratoire de psychologie de la Sorbonne, Henri Delacroix et Georges Dumas,<br />

professeurs à la Sorbonne, Etienne Rabaud, professeur de biologie à la Faculté <strong>des</strong> Sciences et<br />

Pierre Janet, professeur au Collège de France. L’organisation <strong>des</strong> cours est elle aussi rendue<br />

complexe par le fait que la psychologie se situe au carrefour de différentes disciplines et ne<br />

correspond à aucun enseignement socialement reconnu. Ainsi, la création d’un département<br />

de psychologie à la Sorbonne, sur le modèle de ceux qui avaient vu le jour aux Etats-Unis et<br />

en Allemagne avant 1914 est totalement impensable 51 . C’est donc à la marge de l’université<br />

que la psychologie pourra se développer. Trois sections sont créées au sein de l’Institut,<br />

conduisant chacune à un diplôme spécifique. Chacun de ces diplômes pouvait être préparé<br />

séparément, sans condition d’accès (le baccalauréat n’était pas obligatoire) et demandait au<br />

moins un an d’étu<strong>des</strong>. La première section de l’Institut est celle de « psychologie générale »<br />

dont le socle est constitué par le cours d’Henri Delacroix à la Sorbonne, auquel viennent<br />

s’adjoindre les cours de psychologie pathologique de Janet au Collège de France et les cours<br />

de psychologie physiologique de Piéron. La seconde section (« psychologie pédagogique »)<br />

regroupe les enseignements de Théodore Simon (l’ancien collaborateur de Binet) et d’Henri<br />

51 JAMOUS et PELOILLE (1971) montrent également bien la difficulté d’introduire <strong>des</strong> innovations scientifiques<br />

dans les facultés de médecine au cours de la première moitié du XX e siècle, compte tenu de la structure figée <strong>des</strong><br />

chaires et de la domination du paradigme clinique. Ce n’est donc qu’à la marge que les innovations pourront voir<br />

le jour, au sein <strong>des</strong> laboratoires de biologie et physiologie du CNRS à partir <strong>des</strong> années 1930. Ces évolutions ne<br />

pourront s’institutionnaliser que par un véritable « tour de force » : la réforme Debré de 1958, qui institua les<br />

Centres Hospitalo-Universitaires.<br />

154


Wallon. La dernière section, (« psychologie appliquée »), est <strong>des</strong>tinée aux applications<br />

sociales de la psychologie, c’est-à-dire principalement dans le domaine du travail, de<br />

l’industrie, de l’orientation et de la sélection professionnelles. Cette section est créée sur une<br />

initiative personnelle de Piéron, qui souhaite impliquer dans son projet différents partenaires<br />

socio-économiques susceptibles d’être intéressés par les applications de la psychologie. Dans<br />

une lettre adressée à Lahy en juin 1921, il écrit :<br />

« J’ai réussi à faire accepter par le conseil de l’Institut l’organisation de la section de<br />

psychologie appliquée à la rentrée prochaine sur les bases suivantes : un<br />

enseignement pratique qui vous est confié, quelques conférences techniques sur les<br />

métho<strong>des</strong> <strong>des</strong> tests ; enfin, si les ressources le permettent, un enseignement théorique<br />

par conférence qui seraient confiées à vous ou à moi. Une subvention a été<br />

demandée à l’Enseignement Technique, au Ministère du Travail, au conseil<br />

municipal de Paris, au comité <strong>des</strong> Forges et aux gran<strong>des</strong> Compagnies » 52<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les cours de la section, qui portent essentiellement sur la méthode <strong>des</strong> tests, la<br />

physiologie et les statistiques, sont assurés par Henri Piéron alors que Lahy est chargé <strong>des</strong><br />

travaux pratiques au laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE (techniques de<br />

psychophysiologie appliquées à la détermination <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, étude graphique et<br />

cinématographique <strong>des</strong> gestes professionnels, signes de la fatigue). A partir de 1924, les<br />

étudiants se <strong>des</strong>tinant à l’industrie vont suivre une partie de la formation pratique dans le<br />

laboratoire de sélection créé par Lahy au sein de l’entreprise de transports publics de la région<br />

parisienne : la STCRP 53 (future RATP). En 1926, un diplôme spécial est également mis en<br />

place par l’Institut de psychologie : le « diplôme d’expert-psychotechnicien », qui sanctionne<br />

un travail de recherches personnel réalisé à l’issue du diplôme de la section de psychologie<br />

appliquée de l’Institut et d’une année de perfectionnement. Lahy avait insisté auprès de Piéron<br />

pour que ce diplôme fût créé. Il estimait en effet qu’en se montrant très exigeant sur les<br />

conditions d’obtention « ce certificat pourrait avoir quelque valeur auprès <strong>des</strong> industriels et<br />

<strong>des</strong> pouvoirs publics ». Il ajoutait : « J’ai <strong>des</strong> places en perspective à offrir mais je n’ose les<br />

confier à <strong>des</strong> jeunes qui n’ont pas donné toutes les garanties nécessaires. Cela peut en effet<br />

avoir <strong>des</strong> conséquences sociales graves » 54 . Mais les prévisions de Lahy furent certainement<br />

trop optimistes puisque le diplôme d’expert-psychotechnicien n’attira en fait qu’un seul<br />

étudiant : le Dr Raymond Bonnardel (un élève de Lahy, directeur du service psychotechnique<br />

<strong>des</strong> usines Peugeot à Sochaux) qui obtint le diplôme en 1936.<br />

52 Arch. Lahy, lettre de Piéron à Lahy, 20 juin 1921.<br />

53 Société <strong>des</strong> transports en commun de la région parisienne<br />

54 Arch. Piéron 520 AP 6 – lettre de Lahy à Piéron, 12 février 1924<br />

155


La relative marginalité de la psychologie appliquée dans le monde universitaire <strong>des</strong><br />

années 1920-1930 se lit aussi à travers le profil <strong>des</strong> étudiants de l’Institut, qui se démarque<br />

nettement de celui d’étudiants plus « classiques ». S’il est difficile d’établir <strong>des</strong> généralités à<br />

partir <strong>des</strong> quelque 280 étudiants qui fréquentèrent la section de psychologie appliquée entre<br />

1920 et 1940 55 , on peut néanmoins dégager quelques tendances générales 56 :<br />

Tableau 2 – Les étudiants de psychologie appliquée de l’Institut de psychologie<br />

% femmes % étrangers Moyenne d’âge<br />

56,4% 59% 29,2 ans<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

D’une part, la moyenne d’âge est relativement élevée puisqu’elle se situe aux<br />

alentours de trente ans, en raison de la part importante d’étudiants ayant eu une activité<br />

professionnelle avant d’entrer à l’Institut (environ 30%). Bien que le baccalauréat ne soit pas<br />

obligatoire pour s’inscrire, près <strong>des</strong> deux tiers <strong>des</strong> étudiants ont déjà suivi une formation<br />

universitaire avant d’entreprendre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psycholologie. Parmi ceux-ci une très forte<br />

majorité (64%) vient de lettres, les autres venant de médecine (15%), <strong>des</strong> sciences (15%) ou<br />

du droit (6%).<br />

L’origine socioprofessionnelle <strong>des</strong> actifs fournit de précieuses indications sur le<br />

profil de ces premiers psychotechniciens et confirme l’orientation essentiellement<br />

« hygiéniste » de la psychotechnique dans l’entre deux guerres. Les professions participant de<br />

la constellation « médico-sociale » sont nettement surreprésentées parmi les élèves de<br />

l’Institut : visiteuses d’hygiène, surintendantes d’usine, médecins, infirmières d’usine,<br />

assistantes sociales… Les enseignants (instituteurs principalement) forment également une<br />

part importante du public. Ces groupes représentent ensemble les trois quarts du public <strong>des</strong><br />

actifs. En revanche, on relève seulement une infime proportion de professions de l’industrie et<br />

du commerce (<strong>ingénieurs</strong>, industriels, commerçants…), signe que la psychotechnique<br />

n’intéresse guère les industriels en France dans l’entre-deux guerres. Les psychotechniciens<br />

ne sont donc pas <strong>des</strong> « rationalisateurs » au sens taylorien du terme, mais participent plutôt<br />

d’un ensemble d’activités à vocation médicale ou sociale, qui visent avant tout à préserver la<br />

santé <strong>des</strong> travailleurs et à faire un meilleur usage <strong>des</strong> ressources démographiques du pays. On<br />

retrouve bien dans cette conception la philosophie de Toulouse et de Lahy, qui contraste<br />

nettement avec les réalisations alleman<strong>des</strong> ou américaines de la même période, où la<br />

55 Soit environ un quart <strong>des</strong> 1200 élèves qui fréquentèrent l’Institut dans l’une <strong>des</strong> trois sections entre 1920 et<br />

1940. Nous ne nous intéressons ici qu’aux diplômés de cette section, qui se <strong>des</strong>tinent à un exercice professionnel<br />

de la psychologie dans l’industrie ou l’orientation professionnelle.<br />

56 Les statistiques présentées ici ont été établies à partir <strong>des</strong> registres de l’Institut de Psychologie concernant la<br />

156


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

psychotechnique vient rejoindre l’arsenal <strong>des</strong> technologies de gestion du personnel qui<br />

s’étaient développées depuis 1919 57 . Les conditions de la « mise sur le marché » du savoir<br />

psychotechnique se font donc de manière différente d’un pays à l’autre selon les orientations<br />

prises par la discipline.<br />

Pour cet ensemble de raisons, la psychotechnique apparaît davantage comme un<br />

métier de femmes que d’hommes : elles représentent plus de la moitié <strong>des</strong> élèves (56%), ce<br />

qui est très atypique au regard de la composition du public étudiant de l’époque 58 . La dernière<br />

spécificité qui mérite d’être relevée a trait à la provenance géographique <strong>des</strong> étudiants : les<br />

étudiants français sont minoritaires de 1920 à 1940 puisqu’ils représentent en moyenne 40%<br />

du public, avec <strong>des</strong> fluctuations d’une année à l’autre (voir graphique II-2, annexe 2). La<br />

réputation internationale de psychologues comme Piéron ou Lahy a certainement contribué à<br />

cet afflux massif d’étudiants étrangers 59 , en provenance notamment d’Europe de l’Est et<br />

d’Amérique du Sud (voir graphique II-7, annexe 2).<br />

c) L’Institut National d’Orientation Professionnelle (INOP)<br />

Faute de pouvoir consolider les assises de leur discipline au sein d’une université<br />

sclérosée, les promoteurs de la psychologie appliquée vont déployer leurs efforts<br />

d’institutionnalisation dans une autre direction : celle de l’orientation professionnelle, en<br />

cherchant à convaincre la direction de l’Enseignement Technique <strong>des</strong> avantages d’une<br />

orientation rationnelle <strong>des</strong> enfants avant l’entrée en apprentissage. L’orientation<br />

professionnelle connaît une expansion considérable à partir du début <strong>des</strong> années 1920. Les<br />

pouvoirs publics, les industriels et une partie de la société voient dans les tests d’aptitude <strong>des</strong><br />

instruments efficaces et immédiatement applicables, susceptibles de conduire à une société<br />

plus juste. La guerre, qui a donné naissance à un certain nombre de courants de réformisme<br />

période de l’entre-deux-guerres (Arch. Institut de Psychologie).<br />

57 La spécificité de l’Allemagne sur ce point à été soulignée par RABINBACH (1995) et ECKERT (1993), celle <strong>des</strong><br />

Etats-Unis par VAN DE WATER (1997). En réalité, l’émergence de la psychologie du travail en Allemagne et aux<br />

Etats-Unis relève de deux logiques très différentes : logique de marché aux Etats-Unis, logique d’organisation<br />

en Allemagne. Dans le contexte allemand, il s’agit avant tout d’organiser la production de manière à optimiser le<br />

produit national. L’Etat peut être pour cela amené à agir de manière autoritaire sur la répartition de la main<br />

d’œuvre, d’où l’importance <strong>des</strong> services publics d’orientation professionnelle en Allemagne dès le début <strong>des</strong><br />

années 1920 dans le contexte de la reconstruction. La France relèverait quant à elle d’un troisième modèle, de<br />

« justice sociale », où on cherche à faire coexister l’exigence de rationalisation et la protection de la santé <strong>des</strong><br />

travailleurs.<br />

58 On pourra consulter à titre de comparaison les travaux de HANNA (1999) sur les étudiants de la Faculté <strong>des</strong><br />

Lettres de Paris dans l’entre deux guerres. Pour l’année 1923-1924, on comptait 42% de femmes et 23%<br />

d’étrangers. Pour l’Institut de psychologie les chiffres sont respectivement de 56% et 59%.<br />

59 La majorité <strong>des</strong> étudiants étrangers provenaient d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud, mais on relève aussi<br />

la présence de quelques américains, notamment celle de Morris Viteles, le futur président de l’association<br />

américaine de psychologie appliquée.<br />

157


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

social – notamment les « Compagnons de l’université nouvelle » – a renforcé cette conviction<br />

qu’il faut exploiter au mieux les ressources du pays et que la psychologie appliquée ouvre <strong>des</strong><br />

perspectives nouvelles. Dans le groupe <strong>des</strong> compagnons de l’université nouvelle se trouve un<br />

jeune médecin, Henri Laugier (1888-1973), qui avait poursuivi avant la guerre <strong>des</strong> recherches<br />

de psychophysiologie du travail auprès de Charles Richet à l’Institut Marey. Les choix<br />

idéologiques de Laugier se rapprochent nettement de ceux de Toulouse, dont il est très<br />

proche. Comme son maître, il défend ardemment l’orientation professionnelle, dans laquelle il<br />

voit un instrument de prophylaxie et de justice sociale. Grâce aux contacts qu’il avait noués<br />

pendant la guerre avec certaines personnalités du monde politique (notamment avec le futur<br />

ministre de l’Instruction Publique du Cartel <strong>des</strong> gauches, Yvon Delbos, dont Laugier fut<br />

directeur de cabinet entre 1924 et 1925), il obtient en 1924 la promesse que soit créé un<br />

institut d’orientation professionnelle, afin d’unifier la formation <strong>des</strong> conseillers d’orientation,<br />

jusqu’alors recrutés pour la plupart parmi les instituteurs. Après de nombreuses tractations<br />

auprès de la direction de l’Enseignement Technique, l’INOP est officiellement inauguré en<br />

novembre 1928. A la différence de l’Institut de Psychologie, l’INOP ne dépend pas de<br />

l’Université et restera totalement autonome jusqu’à 1940, date de son rattachement au<br />

CNAM 60 . L’établissement répond aux vœux de ses principaux promoteurs : Piéron, Laugier,<br />

Wallon et Lahy. Il assure aux conseillers d’orientation une formation complète en un an,<br />

essentiellement tournée vers l’apprentissage <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychométriques, mais abordant<br />

d’autres disciplines comme la physiologie, l’économie, la technique <strong>des</strong> métiers… L’INOP se<br />

distingue de l’Institut de Psychologie sur deux autres points. D’une part, alors que l’Institut de<br />

Psychologie reste tourné vers la recherche, l’INOP vise explicitement à former <strong>des</strong> praticiens<br />

de la psychologie, chargés de mettre en application le projet social souhaité par Toulouse et<br />

ses disciples. Armés d’un nouveau savoir, sûrs de la valeur intrinsèque de leurs métho<strong>des</strong>, ces<br />

premiers psychologues vont contribuer à la mise en place d’une nouvelle « politique<br />

publique » d’orientation en direction <strong>des</strong> enfants, située à l’articulation de l’école élémentaire<br />

et de l’entrée en apprentissage (voir infra). D’autre part l’INOP est un centre d’applications,<br />

qui diffuse ses produits dans tous les autres centres d’orientation existant en France. Son<br />

service <strong>des</strong> tests (dirigé par Mathilde Piéron, l’épouse d’Henri Piéron) produit et vend un <strong>des</strong><br />

60 Selon Mme Bénassy-Chauffard, qui fut secrétaire générale de l’INOP de 1939 à 1976, le rattachement de<br />

l’INOP au CNAM avait été décidé en 1940 pour <strong>des</strong> raisons politiques : « Nous avons été rattachés au CNAM au<br />

moment de la guerre, parce que nous avions été très mal placés, étant donné les idées de Piéron, de Wallon, et de<br />

tous ces gens là, vis-à-vis de l’occupant. Donc on était plutôt mal placés, et le Conservatoire, qui était une grosse<br />

organisation administrative faisait que nous étions un Institut du Conservatoire, et comme ça nous n’étions pas<br />

directement visés » (entretien n°52, Paris, août 2001)<br />

158


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appareils étalonnés et mis au point pour les psychologiques et physiologiques. L’INOP se<br />

situe donc bien à la croisée <strong>des</strong> réalisations scientifiques et du projet politique souhaité par<br />

Toulouse.<br />

L’évolution <strong>des</strong> caractéristiques du public de l’INOP met bien en évidence un<br />

mouvement rapide de professionnalisation de l’activité de conseiller d’orientation<br />

professionnelle en France entre 1920 et 1950. Cette professionnalisation ne tient nullement à<br />

l’émergence d’une demande privée en matière d’orientation au cours de la période (dans<br />

l’industrie ou les municipalités par exemple) mais bien plutôt à un acte législatif : le décret-loi<br />

du 25 mai 1938, rendant obligatoire de créer un centre d’orientation professionnelle dans<br />

chaque département, avec obligation d’embaucher un orienteur diplômé. Ce décret-loi, en<br />

tournant définitivement l’INOP vers une politique publique nationale d’orientation définie et<br />

contrôlée par l’Education nationale, isolera la profession de conseiller d’orientation <strong>des</strong> autres<br />

secteurs de la psychologie appliquée, tout en protégeant son marché. A partir de cette date,<br />

l’orientation professionnelle reste étroitement liée au <strong>des</strong>tin de la psychologie appliquée, mais<br />

constitue au sein de celle-ci un sous-groupe aux frontières étanches. On peut distinguer deux<br />

pério<strong>des</strong> principales dans l’histoire de l’INOP entre 1928 et 1950. Au cours de la première<br />

période (1928-1938), l’INOP est un établissement autonome de droit privé, qui vise, comme<br />

l’Institut de psychologie, à diffuser les applications sociales de la psychologie en formant <strong>des</strong><br />

praticiens généralistes. Les débouchés sont définis de façon très large : ils concernent aussi<br />

bien l’orientation professionnelle <strong>des</strong> enfants que la sélection du personnel dans les usines.<br />

Lahy donne par exemple à l’INOP un cours de « sélection professionnelle » de 1928 à 1937.<br />

Par ailleurs, de nombreuses personnes ayant suivi les cours de l’INOP au cours de cette<br />

période ont exercé ou exerceront dans l’industrie privée. C’est le cas notamment de Nelly<br />

Xydias, qui après avoir fréquenté l’établissement entre 1936 et 1937, entamera une carrière<br />

dans l’industrie et créera, en collaboration avec un ingénieur, le laboratoire de sélection<br />

psychotechnique de l’entreprise aéronautique Caudron-Renault 61 (entretien n°54). De même,<br />

les personnes ayant fréquenté l’INOP entre 1928 et 1939 se répartissent équitablement à la fin<br />

de leurs étu<strong>des</strong> entre <strong>des</strong> centres d’orientation publics et <strong>des</strong> centres de psychotechnique<br />

privés en entreprise ou dans <strong>des</strong> chambres de commerce (Bénassy-Chauffard, 1953). Ainsi,<br />

pendant toute l’entre-deux guerres, les carrières dans les deux domaines sont faiblement<br />

différenciées : on peut facilement passer d’un centre d’orientation pour enfants à un<br />

laboratoire psychotechnique en usine. Ces laboratoires d’usine examinent d’ailleurs<br />

61 Qui deviendra la SNECMA après la guerre.<br />

159


indifféremment <strong>des</strong> enfants souhaitant entrer dans les écoles d’apprentissage (Renault,<br />

Citroën, STCRP…) et <strong>des</strong> travailleurs souhaitant être recrutés. La psychologie appliquée<br />

apparaît comme un vaste champ, aux applications peu différenciées. Surtout, la frontière entre<br />

le segment <strong>des</strong> « conseillers d’orientation » et celui <strong>des</strong> « psychotechniciens », davantage<br />

tournés vers l’entreprise, ne s’est pas encore stabilisée. Il y a dans cette faible différenciation<br />

interne un trait caractéristiques de toutes les professions émergentes, qui n’ont pas encore<br />

établi de principes de segmentation et de différenciation interne (Abbott, 1988, p. 74 ;<br />

Ruellan, 1997). Pour toutes les raisons qui viennent d’être évoquées, on trouve sur les bancs<br />

de l’INOP <strong>des</strong> personnes aux profils très divers. Colette Bénassy-Chauffard, qui a fréquenté<br />

les cours de l’établissement en 1934-1935, témoigne du profil hétéroclite de ces premiers<br />

étudiants :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

T : Qui fréquentait l’INOP à cette époque ?<br />

Mme B.-C. : C’était <strong>des</strong> gens tout à fait étonnants… C’était cocasse au possible ! Il<br />

y avait beaucoup de personnes qui travaillaient déjà, il y avait <strong>des</strong> enseignants, <strong>des</strong><br />

instituteurs qui venaient et qui suivaient ça. Des gens tout à fait originaux. Je me<br />

rappelle qu’il y avait un garçon qui était très cultivé, qui avait fait je ne sais pas<br />

quoi, quelles étu<strong>des</strong>, et puis il était…. Collectionneur de timbres… Mais<br />

professionnellement j’entends. C’était son métier les timbres ! Il y avait <strong>des</strong> gens<br />

vous savez, c’était vraiment extraordinaire ! (entretien n°52)<br />

Les étudiants, relativement âgés, ont en moyenne 32 ans et sont dans leur majorité<br />

<strong>des</strong> femmes (environ 60%). Ils ont fréquemment eu une activité professionnelle avant leur<br />

entrée à l’INOP, dans <strong>des</strong> domaines assez divers. Une bonne moitié vient de l’enseignement<br />

(principalement instituteurs), et un tiers provient du secteur médical (infirmières visiteuses,<br />

médecins d’usine…) ou social (assistantes sociales, visiteuses d’hygiène, surintendantes<br />

d’usine…). Il faut également noter la présence de quelques personnes qui se déclarent<br />

« psychotechniciens » ou « orienteurs » et qui ont par conséquent déjà eu une activité dans le<br />

domaine de la psychologie appliquée, soit auprès d’enfants, soit en entreprise.<br />

Tableau 3 – Origine <strong>des</strong> élèves de l’INOP par secteur<br />

d’activité (1929-1937)<br />

Enseignement 56%<br />

Social/Médical 62 36%<br />

Professions de l’industrie et du commerce 11%<br />

Autres (dont étudiants) 8%<br />

Source : Arch. INOP, registres d’inscription 1929-1937<br />

Le caractère relativement flou <strong>des</strong> frontières de cette première génération de<br />

psychologues apparaît également à travers la faible assiduité <strong>des</strong> élèves aux cours et aux<br />

62 Les professions les plus représentées dans ce secteur sont : les assistantes sociales, les visiteuses d’hygiène, les<br />

surintendantes, les conseillers d’orientation, les psychotechniciens.<br />

160


examens. Entre 1928 et 1939, seulement un sur trois se présente à l’examen de sortie. Il y a<br />

donc tout un public d’auditeurs libres, qui s’intéresse à cette nouvelle discipline en amateurs,<br />

mais ne souhaite pas nécessairement en faire un usage professionnel 63 . La proportion<br />

d’étrangers, bien que plus faible qu’à l’Institut de psychologie est néanmoins élevée<br />

puisqu’un élève sur quatre est de nationalité étrangère. Là encore, la réputation de la<br />

psychotechnique française, notamment en Europe de l’Est attire de nombreux étudiants.<br />

Graphique 1 Effectifs de l'INOP (1928-1938)<br />

100<br />

90<br />

80<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

1928-<br />

1929<br />

1929-<br />

1930<br />

1930-<br />

1931<br />

1931-<br />

1932<br />

1932-<br />

1933<br />

1933-<br />

1934<br />

1934-<br />

1935<br />

1935-<br />

1936<br />

1936-<br />

1937<br />

1937-<br />

1938<br />

Elèves<br />

réguliers<br />

Reçus au<br />

diplôme<br />

Auditeurs<br />

libres<br />

Le décret-loi de 1938, puis le Diplôme d’Etat de conseiller d’orientation créé sur une<br />

initiative de Piéron (1944), transforment profondément le profil <strong>des</strong> élèves de l’INOP et<br />

stabilisent la profession de conseiller d’orientation autour d’un modèle qui perdurera<br />

jusqu’aux années 1970-1980. Ce qui dans la première période apparaissait comme instable et<br />

mouvant se stabilise au cours de cette seconde période (1938-1952). Le nouveau schéma se<br />

définit principalement par trois traits. Tout d’abord, les conseillers d’orientation sont le plus<br />

souvent <strong>des</strong> anciens instituteurs. Ceux-ci seront particulièrement nombreux à entrer à l’INOP<br />

entre 1940 et 1952, grâce aux facilités accordées par le ministère de l’Education (possibilités<br />

de conserver le traitement pendant la scolarité). Il y a là une originalité de l’orientation<br />

professionnelle en France par rapport à la plupart <strong>des</strong> autres pays : au lieu de se construire sur<br />

un marché « libre » de services psychologiques, la profession trouve sa place au sein du<br />

63 Les archives de l’INETOP ne nous livrent malheureusement aucune information sur ces auditeurs libres, les<br />

registres d’inscription ne concernant que les personnes ayant présenté le diplôme.<br />

161


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

marché interne de l’Education nationale, et devient une voie de promotion sociale pour les<br />

instituteurs, plus particulièrement dans la période 1945-1970 (Prost, 1996). La<br />

professionnalisation de l’activité de conseiller d’orientation n’offre donc pas de débouchés<br />

aux psychologues formés à l’Institut de psychologie ou à l’Université (près la création de la<br />

licence en 1947) puisqu’elle est en quelque sorte « réservée » à <strong>des</strong> enseignants qui vont<br />

suivre un cursus à l’INOP après quelques années d’exercice. La profession est donc le lieu<br />

d’une tension entre une logique horizontale d’identification à une profession dont les contours<br />

dépassent largement les frontières de l’Education nationale et une logique verticale<br />

d’appartenance à une administration. Les deux autres éléments qui vont dans le sens d’une<br />

professionnalisation de l’activité de conseillers d’orientation à partir de 1938 sont d’une part<br />

le rajeunissement du public de l’INOP (la moyenne d’âge <strong>des</strong> étudiants passant de 32 à 26<br />

ans) et d’autre part la très nette diminution <strong>des</strong> abandons en cours de scolarité : ceux-ci<br />

passent d’un taux de 70% dans la période 1928-1937 à environ 15% dans la période 1939-<br />

1952. Ces deux éléments traduisent bien la quasi-disparition du public d’amateurs qu’on<br />

trouvait à l’INOP dans la première période. Ainsi, sur les 476 élèves diplômés entre 1928 et<br />

1946, plus de la moitié (287) travaillaient dans un service d’orientation professionnelle, de<br />

sélection professionnelle ou dans un service de recherche de psychologie. Mais il y a une<br />

rupture très nette en 1938, puisqu’en moyenne 30% <strong>des</strong> élèves diplômés entre 1928 et 1937<br />

travaillaient dans le secteur de la psychologie appliquée à la sortie de l’INOP. Ce ratio était<br />

passé à 80% pour les promotions 1938-1943 64 . Le tableau suivant résume les points<br />

précédents :<br />

Tableau 4 Professionnalisation <strong>des</strong> conseillers d’orientation 1928-1952<br />

Période 1 (1928-1938) Période 2 (1939-1952)<br />

Elèves enseignants d’origine 56% 71,5%<br />

Proportion de femmes 60% 50%<br />

Age moyen 32 ans 26 ans<br />

Proportion d’élèves qui ne<br />

présentent pas le diplôme<br />

70% 20%<br />

Proportion d’étrangers 25% 5%<br />

Source. Arch. INOP ; Bénassy-Chauffard (1953)<br />

Comme l’Institut de psychologie, l’INOP vit donc en marge de l’université dans<br />

l’entre-deux guerres. Cette marginalité est recherchée et pleinement assumée par ses<br />

principaux promoteurs, qui cherchent avant tout à protéger leur discipline de la tutelle trop<br />

64 Arch. Piéron, 520 AP 12, « Statistiques INOP »<br />

162


encombrante de la philosophie. La composition du public ne correspond pas au profil<br />

classique <strong>des</strong> étudiants de la période : féminisation, forte proportion de personnes ayant déjà<br />

eu une activité professionnelle, moyenne d’âge élevée… : comme à l’Institut, tout tend à<br />

rapprocher les caractéristiques de ce public du monde du travail social qui se construit dans la<br />

même période (Verdès-Leroux, 1978), ce qui n’est pas sans lien avec l’orientation<br />

principalement hygiéniste de la psychotechnique au cours de la période, aux antipo<strong>des</strong> d’une<br />

rationalisation taylorienne.<br />

d) La chaire de Laugier au CNAM (1928) 65<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

On oublie souvent que le CNAM a été, durant l’entre-deux-guerres, l’un <strong>des</strong><br />

principaux foyers de la psychologie appliquée, aux côtés de l’Institut de Psychologie et de<br />

l’INOP 66 . L’évocation de cet épisode a pourtant le mérite d’infléchir notre regard sur la<br />

professionnalisation de la psychologie appliquée, en nous montrant qu’elle s’est souvent<br />

développée bien loin du giron médical et <strong>des</strong> applications « pathologiques » de la discipline.<br />

La création au CNAM d’une chaire de « physiologie du travail et orientation<br />

professionnelle » en 1928, confiée à Henri Laugier, illustre bien les stratégies<br />

d’institutionnalisation poursuivies par les milieux de la psychologie appliquée dans l’entredeux<br />

guerres, ceux-ci cherchant à promouvoir leurs services à la fois dans le domaine éducatif<br />

(INOP) et dans le monde du travail (CNAM). Il faut souligner ici le rôle joué par Henri<br />

Laugier, que nous avons présenté plus haut. Laugier, comme la plupart de ses collègues, est<br />

relativement jeune (il a 40 ans en 1928) et connaît une certaine précarité institutionnelle. Par<br />

précarité institutionnelle, nous n’entendons pas que ces personnes n’occupent pas, à titre<br />

individuel, <strong>des</strong> positions socialement valorisées : Piéron est professeur au Collège de France<br />

et dirige l’INOP ; Lahy est directeur du laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE et du<br />

laboratoire de psychotechnique de la STCRP ; Laugier dirige un laboratoire de physiologie<br />

appliquée à l’hôpital Henri-Rousselle, créé pour lui par Edouard Toulouse. Il faut plutôt y voir<br />

l’idée qu’il n’existe pas d’espaces clairement identifiés au sein <strong>des</strong>quels la psychologie<br />

appliquée ait <strong>des</strong> assises soli<strong>des</strong>. Celle-ci se développe aux confins de plusieurs institutions<br />

prestigieuses, mais n’occupe une place de premier plan dans aucune d’entre elles. Les<br />

carrières <strong>des</strong> chercheurs sont relativement sinueuses et se traduisent par <strong>des</strong> passages<br />

fréquents d’un établissement à l’autre, car il n’y a pas d’itinéraires balisés, pas encore de<br />

65 Un travail plus complet sur la chaire de Laugier au CNAM se trouve dans LE BIANIC, 2004.<br />

66 Cet épisode n’est pas évoqué par exemple par OHAYON (1999), ni par NICOLAS (2002).<br />

163


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

marché du travail universitaire bien défini 67 . Dans ce contexte d’instabilité et de fragilité<br />

relatives, il importe plus que jamais de mobiliser <strong>des</strong> ressources personnelles, extérieures au<br />

champ professionnel, pour se construire une carrière. Laugier et Piéron sont de ce point de<br />

vue très proches. L’un comme l’autre disent que leur orientation vers la psychologie et la<br />

physiologie a été une sorte de rébellion contre leurs milieux d’origine respectifs, qui auraient<br />

souhaité pour eux <strong>des</strong> carrières plus « classiques » dans la médecine, l’enseignement classique<br />

ou la haute administration. Piéron, issu de la grande bourgeoisie parisienne (son père,<br />

normalien et agrégé de mathématiques fut d’abord professeur au lycée Louis Le Grand, puis<br />

inspecteur de l’Académie de Paris) s’est orienté vers la philosophie et la physiologie contre<br />

l’avis de son père, qui aurait souhaité le voir entrer à l’Ecole normale (Piéron, 1992 [1951]).<br />

De même Laugier, bien que d’un milieu plus mo<strong>des</strong>te (son père était instituteur), évoque les<br />

pressions exercées par sa famille pour qu’il devienne ingénieur (Jakob et Morelle, 1994, p.<br />

50). Ce refus de suivre les itinéraires sûrs et balisés de la médecine ou de la philosophie est<br />

compensé chez eux par de soli<strong>des</strong> réseaux de connaissances qui leur permettent de poursuivre<br />

malgré tout une carrière brillante au Collège de France, au CNAM ou à la Sorbonne et qui<br />

leur procure une sécurité matérielle. Ainsi, Piéron obtient en 1912 la succession de Binet à la<br />

tête du laboratoire de psychologie de la Sorbonne grâce à une intervention de Louis Liard,<br />

devenu recteur de l’Académie de Paris et ami de sa famille. De même, c’est grâce à<br />

l’intervention de Janet que Piéron est élu au Collège de France en 1923, sur une chaire de<br />

« physiologie <strong>des</strong> sensations » dont les contours avaient été défini par Janet lui-même. A<br />

l’inverse, ceux qui sont dépourvus de ces capitaux restent confinés dans <strong>des</strong> positions moins<br />

prestigieuses et connaissent <strong>des</strong> carrières plus difficiles, ou tout au moins n’atteignent pas les<br />

sommets de la carrière universitaire. C’est par exemple le cas de Lahy, dont l’origine mo<strong>des</strong>te<br />

et l’absence de diplômes constituera un handicap tout au long de sa carrière. C’est également<br />

le cas <strong>des</strong> nombreuses assistantes ou préparatrices de laboratoire 68 , qui vivaient dans l’ombre<br />

<strong>des</strong> grands patrons et restaient souvent confinées aux tâches les plus « ingrates » de la<br />

recherche psychométrique (essais professionnels, calculs statistiques, expériences de<br />

laboratoire, passation de tests à grande échelle…) 69 . Bien que parfois associées aux<br />

67 Voir tableau II-10, annexe 2 : « Le monde de la psychotechnique en France 1920-1939 ».<br />

68 La division du travail scientifique entre ces jeunes femmes, pour la plupart originaires d’Europe de l’est, et les<br />

"patrons" de la psychologie appliquée mériterait à elle seule une étude particulière. Elle recoupe bien souvent<br />

une division du travail entre recherche pure et applications. On trouve ainsi <strong>des</strong> affinités nombreuses entre les<br />

carrières de Suzanne Pacaud-Korngold (l’assistante de Lahy), de Catherine Veil (l’assistante de Laugier), d’Irène<br />

Lézine, (l’assistante de Wallon), de Dagmar Weinberg (assistante de Laugier puis de Piéron) ou de Dora<br />

Kowarski (assistante de Laugier).<br />

69 Lahy et Laugier faisaient habituellement réaliser les pério<strong>des</strong> d’essais professionnels nécessaires à l’étude<br />

164


publications ou aux enseignements 70 , ces travailleuses de l’ombre ne pouvaient envisager de<br />

véritables carrières <strong>académiques</strong> et restaient de ce fait plus proches du champ <strong>des</strong> applications<br />

que de celui de la recherche. Ce sont d’ailleurs elles qui se verront confier, le plus souvent, la<br />

direction <strong>des</strong> premiers laboratoires psychotechniques d’application. Ceux-ci apportaient en<br />

retour la caution empirique aux recherches plus fondamentales de leurs maîtres, grâce aux<br />

possibilités d’expérimentation quasi illimitées qu’ils offraient, sur <strong>des</strong> sujets dociles et captifs.<br />

Ainsi, Suzanne Pacaud fut directrice du laboratoire <strong>des</strong> chemins du Nord de 1938 à 1954.<br />

Dagmar Weinberg dirigea le laboratoire <strong>des</strong> chemins de fer de l’Etat, puis (à la demande de<br />

Piéron) le laboratoire psychotechnique d’Air France, à partir de 1943 71 . Dans le domaine de la<br />

psychologie de l’éducation, Hélène Gratiot-Alphandéry, fut l’assistante de Wallon au<br />

laboratoire de biopsychologie de l’enfant, à Boulogne. Il y a donc une coupure entre ceux qui,<br />

comme Piéron, Laugier ou Wallon obtiennent un poste au Collège de France, au CNAM ou à<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

la Sorbonne et ceux (celles) dont la carrière est entièrement tributaire du bon vouloir de leurs<br />

maîtres.<br />

Tableau 5 – La place <strong>des</strong> femmes dans l’institutionnalisation de la psychologie : assistantes et<br />

collaboratrices de laboratoires dans l’entre-deux guerres<br />

Weinberg<br />

(Dagmar)<br />

Pacaud<br />

(Suzanne)<br />

Lézine<br />

(Irène)<br />

Nationalité<br />

Année de<br />

Naissance<br />

Polonaise 1897 Laugier puis<br />

Piéron<br />

« Patron » Diplômée de<br />

l’Institut de<br />

psychologie en :<br />

Position dans<br />

les années 1930<br />

1922 Laboratoire de<br />

physiologie du<br />

travail (CNAM)<br />

Polonaise 1902 Lahy puis Piéron 1929 Laboratoire de<br />

psychologie<br />

appliquée<br />

(EPHE)<br />

Russe 1909 Wallon 1928 Laboratoire de<br />

biopsychologie<br />

de l’enfant<br />

préalable <strong>des</strong> métiers par l’une ou l’autre de leurs assistantes. A titre d’exemple voir l’échange de lettres entre<br />

Lahy et le directeur <strong>des</strong> usines Citroën en 1928 : « Les recherches seront faites, sous mon contrôle et ma<br />

responsabilité, par l’une de mes assistantes qui consacrera tout son temps à l’usine pendant une période d’un<br />

mois, au moins, ou de deux mois au plus. Mon assistante aura pour mission d’analyser tous les gestes<br />

professionnels et de prendre elle-même une part directe au travail (…) ». Arch. Lahy, lettre de Lahy à M.<br />

Fontana, Administrateur général <strong>des</strong> Usines Citoën, 15/12/1927. A un niveau subalterne, on constate une très<br />

grande majorité de femmes dans les laboratoires de psychotechnique. En 1938, le laboratoire de physiologie du<br />

travail de la SNCF (alors dirigé par Weinberg) comptait 30 femmes sur 33 assistants techniques, toutes affectées<br />

à la passation et au dépouillement <strong>des</strong> tests.<br />

70 Suzanne Pacaud-Korngold et Dagmar Weinberg publièrent de nombreux articles en collaboration avec Lahy et<br />

Laugier, mais elles n’eurent pas de carrières universitaires, ou alors de façon très tardive (Pacaud obtint un poste<br />

au CNRS après la guerre).<br />

71 AN-CAC, Archives CNRS – 19800284 – art. 66 : « Air-France »<br />

165


Veil<br />

(Catherine)<br />

Kovarski<br />

(Dora)<br />

Gratiot-<br />

Alphandéry<br />

(Hélène)<br />

Laugier<br />

Service de<br />

recherche de<br />

l’INOP<br />

Polonaise 1906 Foucault<br />

1930 Laboratoire de<br />

(Marcel)<br />

psychologie<br />

expérimentale<br />

(Montpellier)<br />

Française 1909 Wallon 1930 (INOP) Laboratoire de<br />

biopsychologie<br />

de l’enfant<br />

(Boulogne)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La nomination de Laugier comme professeur au CNAM en 1928 illustre bien le rôle<br />

joué par les réseaux (notamment politiques) dans l’institutionnalisation de la psychologie<br />

appliquée et la manière dont <strong>des</strong> capitaux accumulés en dehors du champ professionnel<br />

permettent une institutionnalisation de la discipline à la marge, grâce à <strong>des</strong> initiatives<br />

individuelles. Contrairement à l’Université, le CNAM se prête particulièrement bien aux<br />

innovations scientifiques. Compte tenu de sa vocation, l’établissement donne en effet la<br />

possibilité de créer (ou de supprimer) une chaire à tout moment, au gré <strong>des</strong> besoins de la<br />

société et <strong>des</strong> évolutions techniques, avec lesquels il cherche constamment à être en phase.<br />

Les découpages traditionnels du savoir y jouent donc moins qu’ailleurs. La chaire créée pour<br />

Laugier en 1928 est la réunion de deux chaires : l’une, d’« Hygiène et physiologie du<br />

travail », créée pour Jean Pottevin en 1922, et l’autre d’ « organisation scientifique du<br />

travail », qui avait été occupée par Jean-Paul Langlois jusqu’en 1923 72 . Les deux chaires se<br />

trouvent vacantes en 1928, à la mort de Pottevin. Le remplacement de ce dernier donne lieu à<br />

<strong>des</strong> débats houleux au sein du CNAM : faut-il maintenir une chaire d’hygiène du travail, dont<br />

les enseignements portent principalement sur les conditions « extérieures » du travail en usine<br />

(sécurité, salubrité, propreté, aménagement de l’environnement de travail…) ou faut-il<br />

davantage mettre l’accent sur la physiologie interne du travailleur et les métho<strong>des</strong> de<br />

sélection ? L’affaire est rapidement entendue, grâce à une intervention personnelle d’Edouard<br />

Herriot auprès du directeur du CNAM 73 . Comme nous l’avons vu, Laugier avait eu au cours<br />

de sa carrière de nombreuses activités politiques : ardent défenseur de l’école unique, il avait<br />

été secrétaire puis président du mouvement <strong>des</strong> Compagnons de l’université nouvelle. En<br />

1925, il devient directeur de cabinet d’Yvon Delbos, alors ministre de l’Instruction Publique<br />

72 Voir figure VII-1, annexe 7 « Généalogie <strong>des</strong> chaires <strong>des</strong> sciences du travail au CNAM 1910-1990 ».<br />

73 Arch. CNAM, « Vacance de la chaire Hygiène et physiologie du travail (1928) », lettre d’E. Herriot au<br />

Directeur du CNAM (21 septembre 1928)<br />

166


du gouvernement Herriot. C’est donc assez naturellement qu’Edouard Herriot, ministre de<br />

l’Instruction Publique en 1928 pense à lui pour occuper la chaire devenue vacante au CNAM :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le Conseil d’Administration de l’établissement va être appelé à examiner dans une<br />

de ses prochaines réunions s’il convient de modifier le titre de la chaire d’hygiène et<br />

physiologie du travail qu’occupait le professeur Pottevin, récemment décédé, chaire<br />

dont l’enseignement portait sur la physiologie et l’hygiène du travail d’une part, et<br />

sur l’hygiène générale d’autre part.<br />

Avant de déclarer la vacance de la chaire, il m’a semblé qu’il y aurait lieu<br />

d’examiner si elle ne gagnerait pas à être transformée, de façon à ce que son<br />

enseignement et son activité générale fussent plus adaptés aux besoins de la vie<br />

sociale actuelle et à la solution <strong>des</strong> problèmes complexes que pose aujourd’hui avec<br />

acuité, dans le monde producteur, l’organisation rationnelle du travail. (…) Il ne faut<br />

pas limiter l’enseignement de cette chaire à <strong>des</strong> enseignements de physiologie<br />

générale et d’hygiène qui existent déjà dans toutes les facultés de médecine de<br />

France. (…) Au contraire, l’enseignement de la physiologie du travail n’existe pas<br />

pratiquement en France, sauf au Conservatoire <strong>des</strong> Arts et Métiers où elle a sa place<br />

marquée. (…) Enfin, un mouvement général entraîne les esprits dans le monde entier<br />

vers ces étu<strong>des</strong> très poussées de l’organisme humain au travail. L’Allemagne a créé<br />

récemment un institut pour l’étude de la physiologie du travail<br />

D’autre part, les questions de rendement de l’organisme humain, celles d’adaptation<br />

de la biologie <strong>des</strong> individus à leur fonction sociale et d’adaptation de la technique<br />

<strong>des</strong> métiers à la biologie <strong>des</strong> travailleurs sont de plus en plus à l’ordre du jour. Les<br />

milieux ouvriers, comme les milieux patronaux, en comprennent tous les jours<br />

davantage l’importance. Les étu<strong>des</strong> de rationalisation dans l’industrie ne seront<br />

fécon<strong>des</strong> que si elles tiennent compte éventuellement du facteur humain dont toutes<br />

les réactions physiologiques doivent être étudiées, connues, mesurées. Toute cette<br />

vaste entreprise qu’est l’organisation rationnelle du travail doit reposer sur la<br />

connaissance détaillée de la physiologie <strong>des</strong> travailleurs et la parfaite harmonie entre<br />

l’ouvrier et son métier, harmonie qui est source de rendement, de joie au travail, et<br />

de paix sociale. (…) C’est pourquoi une chaire consacrée à la physiologie du travail<br />

et à toutes les recherches théoriques et appliquées que comporte un pareil objet<br />

d’étu<strong>des</strong> a sa place marquée au Conservatoire.<br />

Toutefois, la physiologie du travail est une science si vaste qu’il y aurait avantage à<br />

signaler dans les nouvelles appellations qui sera donnée à la chaire l’une <strong>des</strong><br />

questions pratiques les plus immédiatement abordables sur lesquelles elle devra<br />

concentrer son effort. (…) C’est pourquoi la chaire pourrait être appelée :<br />

« physiologie du travail et biométrie humaine » ou, si l’on hésite devant une<br />

dénomination trop nouvelle, « physiologie du travail et orientation professionnelle ».<br />

(…) Préciser les différences fonctionnelles entre les individus, fixer par <strong>des</strong> chiffres<br />

autant que faire se pourra l’état de chacune de ces fonctions de l’individu, réaliser<br />

ainsi <strong>des</strong> profils physiologiques caractéristiques de l’état d’un sujet, tel serait le but<br />

essentiel de la biométrie humaine, science encore dans l’enfance, branche<br />

importante de la physiologie du travail et qui serait aussi à la base même de l’OP et<br />

de la sélection industrielle » (souligné par E. Herriot)<br />

Les références appuyées à la "biométrie humaine" et aux "différences fonctionnelles<br />

entre les individus" désignent sans équivoque possible Laugier comme l'homme de la<br />

situation, bien que ses travaux soient en réalité assez éloignés du contenu d'enseignement<br />

initial de la chaire. Contrairement à Lahy, Laugier n’est pas un homme de terrain et il n’a en<br />

1928 aucune expérience de la psychotechnique en entreprise. Il manifeste d’ailleurs un certain<br />

scepticisme à l’égard de cette discipline, qui a pour lui le défaut de traiter séparément chacune<br />

<strong>des</strong> fonctions mentales et biologiques <strong>des</strong> individus, au détriment de l'approche globale qu'il<br />

167


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

appelle de ses vœux. Son projet, plus ambitieux (mais moins directement applicable) est bien<br />

plutôt de rassembler les résultats épars obtenus par les différentes métho<strong>des</strong> d’observation<br />

(psychologie, physiologie, chimie, anthropométrie etc.) en vue de découvrir <strong>des</strong> « types<br />

humains ». Pour lui, il est préférable de demander cent renseignements à une seule personne<br />

qu’un même renseignement à cent personnes différentes, comme l’avaient fait Galton, Binet<br />

et les psychologues américains. On voit, par ces questions de méthode, que Laugier reste<br />

finalement très proche d’une approche médicale, centrée sur l’étude approfondie <strong>des</strong> cas<br />

individuel. Il s’attache ainsi à créer une nouvelle science, au croisement de la psychologie et<br />

de la biologie : la "biotypologie" 74 . Cette quête l'éloigne <strong>des</strong> visées essentiellement pratiques<br />

du CNAM et le pousse vers <strong>des</strong> recherches empreintes d'un certain eugénisme, dont l'issue se<br />

révéla plus qu'hasardeuse 75 . En réalité, un homme comme Lahy aurait certainement beaucoup<br />

mieux convenu que Laugier pour occuper la chaire, compte tenu de l’intérêt qu’il portait aux<br />

applications de la psychologie en entreprise et de sa connaissance très fine du monde du<br />

travail 76 . Laugier doit d’ailleurs beaucoup à Lahy, dont les travaux déterminèrent en partie<br />

l’orientation vers la physiologie du travail. Mais les réseaux de Lahy étaient nettement moins<br />

étendus que ceux de Laugier, et surtout l’absence de diplômes a certainement joué en sa<br />

défaveur pour une nomination au CNAM.<br />

Si ses travaux scientifiques sont contestables sur plus d’un point, Laugier contribua,<br />

grâce à sa réputation internationale et ses talents d’administrateur, à asseoir durablement<br />

l’enseignement <strong>des</strong> sciences du travail au CNAM. Il y développa, en collaboration avec les<br />

Chemins de Fer de l’Etat (future SNCF) un laboratoire de physiologie du travail, qui s’établit<br />

à la gare Saint-Lazare en 1933, puis à Viroflay en 1936. Les activités du laboratoire,<br />

contrôlées par son assistante Dagmar Weinberg, consistaient en partie à tester l’aptitude <strong>des</strong><br />

candidats et à diminuer ainsi les accidents de la circulation ferroviaire ; mais surtout, elles<br />

servaient à alimenter les analyses factorielles de Laugier et Weinberg en vue de découvrir <strong>des</strong><br />

« biotypes » : « Nous pensons qu’une classification ne peut espérer avoir une portée théorique<br />

profonde et ne peut développer <strong>des</strong> conséquences pratiques que si elle se fonde sur une<br />

<strong>des</strong>cription synthétique aussi complète que possible de tous les caractères différentiels <strong>des</strong><br />

individus » (Laugier et Weinberg, 1936, p. 260, souligné par les auteurs). L’approche<br />

74 Le premier bulletin de la société de biotypologie prend de ce point de vue l’allure d’un manifeste. Voir<br />

notamment LAUGIER, TOULOUSE et WEINBERG, 1932, 27-34.<br />

75 Sur l’évolution de la pensée de Laugier, voir JAKOB, 1995.<br />

76 Lahy s’était déjà présenté en 1913 pour occuper le poste de directeur du laboratoire du travail du CNAM, mais<br />

ce fut finalement le physiologiste (et médecin) Jules Amar qui fut choisi, grâce au soutien de son ami l’ingénieur<br />

taylorien Henry Le Châtelier<br />

168


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essentiellement spéculative <strong>des</strong> recherches de Laugier ne plut pas à la direction <strong>des</strong> chemins<br />

de fer, qui suspendit les activités du laboratoire en 1938. Celui-ci, devenu « laboratoire de<br />

biométrie » fut transféré avec tout son personnel au CNRS, dont Laugier avait pris la direction<br />

la même année 77 .<br />

La personnalité et la notoriété de Laugier conférèrent un certain prestige à<br />

l’enseignement <strong>des</strong> sciences du travail au CNAM, y compris au-delà <strong>des</strong> frontières. Laugier<br />

nourrissait de gran<strong>des</strong> ambitions, voulant faire du Conservatoire le terrain de cette rencontre<br />

entre science et société à laquelle il avait toujours œuvré 78 . C’est dans cette perspective qu’il<br />

demande, en 1930, la création au Conservatoire d’un « Institut du Travail » dont la finalité<br />

serait « l’étude méthodique du moteur humain et <strong>des</strong> conditions optima de son<br />

fonctionnement » (lettre au directeur du Conservatoire, 19 octobre 1930) 79 . L'Institut réunirait<br />

l’ensemble <strong>des</strong> laboratoires conduisant <strong>des</strong> recherches sur le travail humain : le laboratoire de<br />

physiologie du travail du CNAM, en premier lieu, mais également le service de recherches de<br />

l’INOP, le laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE et les laboratoires de la chaire de<br />

prévention <strong>des</strong> accidents du travail (CNAM). L’éventail <strong>des</strong> disciplines concernées était très<br />

large et ne se limitait nullement à la physiologie du travail et à la psychotechnique. Onze<br />

disciplines étaient concernées : 1) Physiologie du travail 2) Psychotechnique 3) Orientation<br />

professionnelle 4) Statistiques appliquées à la biométrie humaine et aux questions de main<br />

d’œuvre 5) Hygiène Industrielle 6) Maladies Professionnelles 7) Accidents du Travail 8)<br />

Organisation du travail 9) Associations ouvrières 10) Histoire du travail 11) Législation<br />

industrielle.<br />

Le projet puisait son inspiration dans les différents centres de recherches sur le<br />

travail qui avaient vu le jour à l’étranger au cours <strong>des</strong> années 1920 : le Kaisers Wilhelm<br />

Institut fur Arbeitsphysiologie de Berlin, l’Industrial Fatigue Research Board, en Grande-<br />

Bretagne, et le laboratoire de physiologie de la School of Business Administration à<br />

l’université d’Harvard 80 , alors dirigé par Elton Mayo. Le projet ne put finalement aboutir,<br />

faute de moyens très certainement 81 , mais aussi parce que la construction de nouveaux<br />

bâtiments pour l’INOP, rue Gay-Lussac, permettait d’accueillir une partie <strong>des</strong> disciplines et<br />

77 Sur les applications de la psychotechnique aux Chemins de Fer du Nord et au Chemins de Fer de l’Etat dans<br />

les années 1930, voir RIBEILL (1995)<br />

78 Cette doctrine trouve une traduction concrète quelques années plus tard dans la création du Centre national de<br />

la recherche scientifique, dont Laugier fut le premier directeur. Voir SCHNEIDER, 1991, 428-444.<br />

79 Arch. CNAM, 2 CC/5, « physiologie du travail – 1930-1942 ».<br />

80 Notons que Laugier avait établi de nombreux contacts, dès 1929, avec Elton Mayo. Sur ce point, voir AN, 520<br />

AP 7, Correspondance entre Laugier et Piéron.<br />

81 Laugier demandait 5 millions de francs au fonds de l’outillage national.<br />

169


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<strong>des</strong> laboratoires concernés par le projet. Le <strong>des</strong>sein de Laugier de réunir au sein d’un même<br />

centre de recherches les sciences psychophysiologiques et les disciplines socio-économiques<br />

ne se réalisa finalement pas.<br />

Les conditions dans lesquelles furent créés l’Institut de Psychologie, l’INOP et la<br />

chaire de Laugier au CNAM montrent bien que la psychologie appliquée offre un paysage<br />

relativement éclaté dans le champ universitaire français <strong>des</strong> années 1930. Cet éclatement tient<br />

pour une bonne part au fait que les créations institutionnelles sont dues au hasard <strong>des</strong><br />

initiatives individuelles et aux ressources personnelles que peuvent mobiliser les figures<br />

dominantes de la psychologie appliquée, davantage qu’à un projet institutionnel clairement<br />

tracé dès le départ. La naissance d’une nouvelle discipline comme la psychologie appliquée<br />

suppose donc de prendre à la fois en considération les dimensions cognitives qui sont à<br />

l’œuvre dans la constitution de la discipline (l’hybridation entre les savoirs de la physiologie,<br />

de la psychologie expérimentale et <strong>des</strong> statistiques) et les structures institutionnelles qui<br />

permettent la stabilisation et la transmission du paradigme.<br />

Il reste qu’il est difficile de parler de professionnalisation de la psychologie<br />

appliquée au travail dans l’entre-deux guerres. Celle-ci n’atteint en tout cas pas les mêmes<br />

dimensions qu’aux Etats-Unis, et surtout elle se développe autour d’un paradigme différent.<br />

On le voit à travers l’origine professionnelle <strong>des</strong> étudiants, qui sont dans leur majorité issus du<br />

monde du travail social ou de l’hygiène sociale, alors que les <strong>ingénieurs</strong>, les cadres ou les<br />

industriels restent insensibles aux recettes proposées par les psychologues. La présentation<br />

séparée qui a été faite <strong>des</strong> trois établissements de formation n’exclut pas les parcours mixtes,<br />

certaines personnes allant chercher une formation complémentaire dans l’un <strong>des</strong> deux autres<br />

centres (voir tableau 6 ci-<strong>des</strong>sous). Les doubles cursus à l’INOP et à l’Institut de psychologie<br />

sont relativement nombreux (ils concernent environ un quart <strong>des</strong> personnes formées à l’INOP<br />

entre 1929 et 1937), mais plus rares avec le CNAM, dont le public est plus âgé et d’origine<br />

plus populaire. On trouve les mêmes enseignants dans les trois centres : Laugier et Weinberg<br />

enseignent dans les trois établissements ; Lahy, Piéron et Wallon enseignent à la fois à l’INOP<br />

et à l’Institut de Psychologie.<br />

Tableau 6. Les parcours mixtes entre 1927 et 1938<br />

INOP et Institut de Psychologie INOP et CNAM CNAM et Institut de<br />

Psychologie<br />

Effectifs 27 6 10<br />

170


2. La psychotechnique : un mouvement international. L’Association<br />

Internationale de Psychotechnique (AIP) entre les deux guerres 82<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Si la psychotechnique connaît une institutionnalisation difficile et relativement<br />

éclatée dans le monde académique français de l’entre deux guerres, elle trouve en revanche<br />

ses appuis dans <strong>des</strong> réseaux internationaux, notamment l’« Association Internationale de<br />

Psychotechnique » (AIP), créée en 1920 par le psychologue Suisse Edouard Claparède (1873-<br />

1940), qui organise huit conférences internationales dans différentes villes européennes entre<br />

1920 et 1934. On voit s’inventer dans cette association de nouvelles formes de coopération et<br />

d’échange scientifique, qui consolident le paradigme psychotechnique et compensent en<br />

quelque sorte la fragilité institutionnelle de la discipline en France en lui ouvrant d’autres<br />

espaces de diffusion. L’association connaît une croissance rapide entre 1920 et 1939, qui se<br />

manifeste notamment à travers l’accroissement du nombre de communications présentées<br />

dans le cadre <strong>des</strong> conférences. Partie de 17 participants à la première Conférence (Genève,<br />

1921), l’association regroupe 308 participants à la conférence de Prague en 1934 :<br />

Graphique 2 Effectifs <strong>des</strong> participants aux Conférences<br />

internationales de psychotechnique (1920-1934)<br />

400<br />

350<br />

300<br />

250<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

1920 1921 1922 1927 1928 1930 1931 1934<br />

Source : Piéron (1952)<br />

Bien qu’étant a priori ouverte aux psychologues de toutes nationalités intéressés par les<br />

applications de leur discipline, l’AIP apparaît davantage marquée par l’influence de certains<br />

pays. Les psychologues Français sont particulièrement actifs (Lahy, Piéron, Weinberg,<br />

Laugier, Pacaud…), ainsi que les Suisses (Claparède, Bovet), les Belges (Christiaens,<br />

Decroly), les Espagnols (Emilio Mira, José Ruiz Castella) et les Russes (Spielrein). Les<br />

Allemands (Moede, Lipmann, Giese) ou Britanniques (Wilson) en sont en revanche quasi<br />

absents et ces pays n’accueillirent aucune <strong>des</strong> conférences organisée dans l’entre-deux guerres<br />

82 Nous nous appuyons ici sur la récente réédition <strong>des</strong> compte rendus <strong>des</strong> treize premières Conférence<br />

internationales de psychotechnique par Horst Gundlach en 1998.<br />

171


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(tableau II-2, annexe 2). Comme le remarquait en 1971 la présidente de l’AIP, « la<br />

psychologie appliquée a une grande dette envers les psychologues de langue française »<br />

(Hearnshaw, 1971). Cette influence de la psychotechnique française et francophone se<br />

manifeste à travers divers éléments.<br />

Tout d’abord, l’AIP s’inspire de la même philosophie générale, qui se traduit par une<br />

grande proximité avec l’hygiène sociale, davantage qu’avec la gestion du personnel ou le<br />

taylorisme. L’AIP n’est pas tournée vers le monde de l’entreprise ni vers la rationalisation<br />

taylorienne. Il s’agit au contraire de préserver la santé du travailleur œuvrant ainsi dans le<br />

sens d’une plus grande harmonie sociale. Les buts de l’association tels qu’ils sont formulés<br />

par Lahy à la Conférence de Barcelone (1921) sont de ce point de vue sans ambiguïté :<br />

« Nous voulons que le travailleur, sauvegardé dans sa santé et dans sa joie de produire, donne<br />

à la société le maximum de rendement avec le minimum de fatigue. Nous écartons<br />

délibérément les autres problèmes sociaux ». A l’instar de Lahy et Toulouse, Claparède<br />

défend lui aussi une conception malléable et multidimensionnelle <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

professionnelles et croit en « la possibilité de modifier les aptitu<strong>des</strong> originelles par la<br />

pratique » (Claparède, 1998 [1930], p. 96). L’éducabilité <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> et l’influence exercée<br />

par le milieu (social, éducatif…) passent chez lui au premier plan, ce qui le distingue de<br />

l’eugénisme et de la psychologie industrielle strictement utilitariste qui se développe au même<br />

moment aux Etats-Unis. Claparède voit aussi dans la psychologie appliquée le prolongement<br />

d’un humanisme appelé à jouer un rôle central sur la scène internationale, en contrant les<br />

effets néfastes de l’industrialisation. La création de l’AIP apparaît de ce point de vue comme<br />

la traduction sur le plan scientifique de l’humanisme internationaliste défendu dans la même<br />

période par la Société <strong>des</strong> Nations (SDN) ou le Bureau International du Travail (BIT). Les<br />

conceptions de Claparède trouvent une application concrète en Suisse dans la création de<br />

l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève, dédié à la recherche en pédagogie et en orientation<br />

professionnelle. Cet Institut cherche à promouvoir à la fois de nouvelles métho<strong>des</strong> éducatives,<br />

centrées sur l’enfant et sa personnalité 83 et à développer la psychologie appliquée, notamment<br />

dans le domaine de l’orientation et de la sélection professionnelle.<br />

Le public <strong>des</strong> premières conférences internationales de psychotechnique illustre bien<br />

cette ligne générale (tableau 7 infra). A la conférence de Paris (1927), le monde industriel est<br />

très faiblement représenté (13% seulement <strong>des</strong> participants à la Conférence), ce qui peut<br />

surprendre compte tenu <strong>des</strong> thèmes <strong>des</strong> sessions (sélection professionnelle, accidents du<br />

83 Le célèbre psychologue de l’enfant Jean Piaget sera formé à l’Institut Jean-Jacques Rousseau<br />

172


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travail…). On relève en revanche la présence de personnalités du monde politique ou de la<br />

haute administration : ministres, élus, hauts fonctionnaires 84 (20%), et un public nombreux<br />

d’universitaires (27%). Le dernier pôle est composé de professions gravitant autour du<br />

domaine de l’hygiène sociale : surintendantes, médecins du travail… (22%) mais aussi<br />

enseignants ou conseillers d’orientation (16%). La composition de ce public montre bien que<br />

la psychotechnique n’apparaît pas seulement comme l’affaire de quelques savants mais<br />

comme une question politique ou sociale, relevant d’une action <strong>des</strong> pouvoirs publics. Dans<br />

l’esprit <strong>des</strong> promoteurs de l’AIP, cette science est une chose trop sérieuse pour être laissée<br />

entre les mains <strong>des</strong> seuls industriels et chefs d’entreprise. Lahy exprimait ce point de vue dans<br />

un courrier adressé à Piéron en 1926 : « Je suis tout à fait partisan du Congrès à Paris en<br />

octobre 1927. Toutefois, je maintiens mon point de vue que seuls les hommes de science<br />

doivent y prendre part. Je ne suis pas du tout intéressé par ce qui peut donner à notre congrès<br />

un caractère de propagande commerciale » 85 . Les industriels se montrent d’ailleurs bien plus<br />

intéressés par les congrès « d’organisation scientifique du travail » qui se tiennent en France<br />

régulièrement dans l’entre deux guerres sous l’égide du CNOF (comité national de<br />

l’organisation française), réunissant <strong>des</strong> praticiens, directeurs du personnel, <strong>ingénieurs</strong>, chefs<br />

d’entreprise etc. mais qui laissent à l’écart le monde de la psychologie appliquée.<br />

Tableau 7 Origine socio-professionnelle <strong>des</strong> participants à la IV ème<br />

Conférence Internationale de Psychotechnique, Paris (1927)<br />

Entreprise/monde industriel 15 13%<br />

Politique/administration 22 20%<br />

Recherche 30 27%<br />

Education 18 16%<br />

Social/Santé 25 22%<br />

Total 110 100%<br />

Source : Congrès international de psychotechnique, 1929<br />

Le deuxième élément qui tend à faire de l’AIP un prolongement de la<br />

psychotechnique française tient à la prédominance <strong>des</strong> psychologues Français dans<br />

l’Association, bien que celle-ci soit née d’une initiative Suisse. Dès la deuxième Conférence<br />

(Barcelone, 1921), Piéron en devient le président et Lahy le secrétaire général permanent,<br />

fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1943. Le siège de l’association est fixé à Paris et<br />

84 Parmi les personnalités présentes, il faut signaler le Ministre de l’Instruction Publique Edouard Herriot, le<br />

Ministre du Travail André Faillières, le directeur de l’enseignement technique Louis Labbé, Ferdinand Buisson<br />

85 Arch. Piéron, 520 AP 12.<br />

173


elle bénéficie du soutien financier de la Ligue d’hygiène mentale (fondée par Toulouse). La<br />

langue française domine largement les débats jusqu’au début <strong>des</strong> années 1950, compte tenu<br />

<strong>des</strong> nombreux Français, Suisses et Belges qui y participent. La moitié <strong>des</strong> communications<br />

faites aux Conférences entre 1920 et 1958 ont utilisé le français, l’anglais venant en seconde<br />

position (25% <strong>des</strong> communications), puis l’allemand (18%) (voir graphique 3 ci-<strong>des</strong>sous). Le<br />

choix <strong>des</strong> thèmes reflète lui aussi les préoccupations <strong>des</strong> psychotechniciens français, avec de<br />

nombreuses communications consacrées au thème de l’orientation professionnelle, <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong>, de la sélection aux emplois dans les transports, à la standardisation <strong>des</strong> tests etc.<br />

Graphique 3 Langues utilisées dans les treize premières conférences<br />

internationales de psychotechnique (1920-1958)<br />

Espagnol<br />

Italien<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Russe<br />

Allemand<br />

Anglais<br />

Français<br />

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60%<br />

Source : Carpintero et Herrero (2003)<br />

Enfin, il faut noter que l’AIP met exclusivement l’accent sur une psychologie<br />

scientifique et objective, telle qu’elle se pratique dans les laboratoires universitaires. La<br />

psychologie philosophique, la psychologie dynamique (psychanalyse, psychopathologie…)<br />

ou la psychologie sociale n’ont par contre pas leur place dans les débats, comme le soulignent<br />

les statuts de l’association qui se donne pour but :<br />

« d’une part d’établir un contact entre les personnes qui, dans les divers pays,<br />

s’adonnent au travail scientifique dans le domaine de la psycho-physiologie<br />

appliquée, d’autre part de favoriser l’étude et la réalisation <strong>des</strong> mesures propres à<br />

contribuer au développement scientifique et social de la psychotechnique » (Piéron,<br />

1952, p. 28)<br />

Cette orientation scientifique transparaît dans les termes les plus récurrents <strong>des</strong> titres<br />

<strong>des</strong> communication entre 1921 et 1934 : « psychotechnique » (présent dans 19% <strong>des</strong> titres),<br />

« tests » (15%) « méthode » (6%) « scientifique » (6%). Le laboratoire et la technique<br />

expérimentale sont donc le principal instrument de légitimation de cette nouvelle discipline.<br />

Le nombre conséquent de communications collectives, co-signées par plusieurs auteurs,<br />

174


témoigne également de cette aspiration à la rigueur scientifique, qui prend pour modèle les<br />

sciences biologiques et expérimentales. Environ 10% <strong>des</strong> communications présentées aux<br />

treize premières conférences (1921-1958) sont co-signées par plusieurs auteurs,<br />

principalement <strong>des</strong> Français. A partir d’une analyse statistique <strong>des</strong> auteurs <strong>des</strong><br />

communications, Carpintero et Herrero (2003) font apparaître les principaux « collèges<br />

invisibles » 86 de la psychotechnique dans la période qui nous intéresse. Le Collège le plus<br />

important regroupe 13 personnes autour de trois figures dominantes : Piéron, Lahy et Laugier.<br />

Ce groupe présenta 20 papiers dans la période de l’entre deux guerres. Les rattachements<br />

institutionnels <strong>des</strong> membres de ce Collège montre bien qu’en dépit de l’éclatement et de<br />

l’appartenance de ces personnes à <strong>des</strong> structures différentes, on a bien affaire à un groupe<br />

présentant une grande homogénéité interne.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 8 – Les « collèges invisibles » de la psychotechnique française à travers les communications<br />

présentées aux conférences internationales de psychologie appliquée (1921-1934)<br />

Nombre de papiers écrits en<br />

Rattachement institutionnel<br />

collaboration 87<br />

Lahy 8 EPHE + Hôpital Henri Rousselle<br />

Piéron 5 Collège de France + Laboratoire de<br />

psychologie de la Sorbonne<br />

Laugier 5 CNAM + Hôpital Henri Rousselle<br />

Weinberg 4 CNAM<br />

Fessard 4 Collège de France + EPHE<br />

Pacaud 3 EPHE<br />

Mme Piéron 2 INOP<br />

Serin 2 Hôpital Henri-Rousselle<br />

Heuyer 2 Hôpital Henri-Rousselle<br />

Lévy 1 STCRP<br />

Mme Fessard 1 INOP<br />

Monnin 1 Collège de France<br />

Nouel 1 Laboratoire de physiologie (Henri Rousselle)<br />

Ainsi, s’il y a professionnalisation de la psychologie appliquée dans l’entre-deuxguerres<br />

celle-ci reste confinée à un secteur très étroit : celui de la recherche tout d’abord, où<br />

un certain nombre de laboratoires, d’établissements de formation et d’espaces de débats<br />

internationaux voient le jour. Dans le domaine de l’orientation professionnelle ensuite, qui est<br />

progressivement organisée sous l’égide de l’Education nationale à partir de 1938. La<br />

psychologie appliquée trouve donc progressivement son lieu, mais sous le contrôle étroit <strong>des</strong><br />

pouvoirs publics. Malgré tout, cette activité demeure longtemps très mo<strong>des</strong>te : au lendemain<br />

86 La notion de « collège invisible » est due à DE SOLLA PRICE (1963) et CRANE (1972). Elle met l’accent sur les<br />

réseaux d’échanges et d’activités scientifiques informelles (lecture de textes, séminaires, écriture en<br />

collaboration) qui lient entre eux <strong>des</strong> chercheurs appartenant à <strong>des</strong> laboratoires ou <strong>des</strong> structures institutionnelles<br />

différentes.<br />

87 Les chiffres donnés ici n’incluent que les publications croisées avec d’autres membres du « collège ».<br />

175


de la deuxième guerre, en 1946, on compte 250 conseillers d’orientation professionnelle en<br />

exercice, répartis dans 161 centres 88 . Le secteur plus éclaté <strong>des</strong> applications au travail et à la<br />

« sélection professionnelle » demeure en revanche assez peu organisé tout au long de la<br />

période, comme nous allons le voir.<br />

C. DU LABORATOIRE A L’USINE : LA PSYCHOTECHNIQUE AU RISQUE DES<br />

APPLICATIONS (1920-1939)<br />

1. Une neutralité mise à mal<br />

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Nous avons vu que les psychophysiologistes nourrissaient dans l’avant guerre<br />

l’espoir d’un règlement scientifique de la question sociale, en fixant les lois objectives de la<br />

fatigue dans les différentes professions. Les applications qu’ils envisageaient étaient toutefois<br />

strictement limitées à une expertise réalisée pour le compte de l’administration. Il s’agissait<br />

d’intervenir au coup par coup en cas de conflit social, et non de mettre en place un service de<br />

psychotechnique dans chaque usine. En effet, pour que la science du travail conserve sa<br />

neutralité il fallait qu’elle reste extérieure à l’entreprise, faute de quoi elle risquait de se<br />

compromettre en servant exclusivement les intérêts du patronat. Dans l’esprit de ses<br />

promoteurs, seul l’Etat pouvait être garant de cette neutralité. Ainsi Imbert envisageait la mise<br />

en place de laboratoires publics du travail dans les différentes villes 89 , où les syndicats de<br />

travailleurs et les patrons pourraient porter leurs revendications. De même les premières<br />

recherches de Lahy sont faites à l’occasion d’un conflit social opposant les ouvriers<br />

typographes à leurs employeurs, à la suite de l’introduction d’une nouvelle machine (le<br />

linotype) qui entraînait selon la CGT une fatigue plus importante <strong>des</strong> ouvriers. Mais il ne<br />

s’agit en aucun cas d’opérations de sélection professionnelle en entreprise.<br />

La guerre marque un tournant important dans le rôle attendu de la science du travail.<br />

La diffusion du taylorisme dans les entreprises et le discours productiviste qui s’empare du<br />

monde industriel français dans les années 1920 oblige la psychologie et la physiologie du<br />

travail à définir leur place vis-à-vis du taylorisme. Elles ne peuvent plus garder une position<br />

extérieure de neutralité et doivent pénétrer au sein même <strong>des</strong> entreprises. Pour certains<br />

88 Arch. Piéron, 520 AP 12, « Statistiques INOP ».<br />

89 Dans un rapport qu’il remet à la Chambre de Commerce de Marseille en 1920, Imbert écrit : « L’importance<br />

de la création [d’un laboratoire du travail] est si grande, sa portée est à ce point générale que l’on est tout d’abord<br />

conduit à envisager et à souhaiter une réalisation par l’Etat lui-même » (Arch. CCI Marseille A34,12). C’est<br />

précisément le désintérêt <strong>des</strong> pouvoirs publics pour cette question qui le poussera à se tourner vers la Chambre<br />

de Commerce de Marseille.<br />

176


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

physiologistes du travail, comme Jules Amar ou Josefa Joteyko, le taylorisme est une réalité<br />

inéluctable et il faut tenter de l’améliorer ou d’en atténuer les effets grâce aux connaissances<br />

de la physiologie. Ce revirement à l’égard du taylorisme qu’a entraîné l’expérience de la<br />

guerre par la rationalisation de nombreuses industries pousse les psychologues à diffuser leurs<br />

métho<strong>des</strong> au sein même <strong>des</strong> usines, et pas simplement dans les offices publics d’orientation<br />

professionnelle créés par le ministère du travail ou les municipalités. Les premières<br />

expériences dans ce domaine sont menées par Edouard Toulouse pendant la première guerre ;<br />

il se livre à la sélection de femmes pour une compagnie de tramways parisiens afin de<br />

remplacer les hommes partis au front (Turbiaux, 1995). Imbert mène <strong>des</strong> expériences<br />

similaires pour la compagnie de tramways de Marseille. Malgré ces expériences isolées, il<br />

faut attendre 1924 pour qu’une grande entreprise française, la STCRP, se dote de son propre<br />

laboratoire de psychotechnique. La France a de ce point de vue un retard important sur ses<br />

voisins. L’Allemagne comptait dèjà en 1922 170 laboratoires publics de psychotechnique,<br />

contrôlés par le Ministère du travail et plus de 60 gran<strong>des</strong> entreprises avaient mis en place un<br />

service de psychotechnique (Geuter, 1992, p. 218). Le retour du front et la nécessité de diriger<br />

les anciens combattants vers <strong>des</strong> professions civiles avaient en effet entraîné <strong>des</strong><br />

transformations profon<strong>des</strong> du marché du travail, ouvrant un vaste champ d’expérimentations<br />

pour la psychologie. De même aux Etats-Unis, on voit se multiplier dans les années 1920 les<br />

applications de la psychologie au domaine du travail. La première guerre a permis le<br />

développement de la psychologie appliquée et <strong>des</strong> tests mentaux. De ce fait, les psychologues<br />

trouvent un auditoire plus réceptif à leurs métho<strong>des</strong> de sélection dans les entreprises à partir<br />

<strong>des</strong> années 1920. Certains, comme James McKeen Cattell ou Walter Dill Scott fondent même<br />

leurs propres entreprises de psychologie industrielle (la Scott Company, créée par Scott en<br />

1919, et la Psychological Corporation, créée par Cattell en 1921). Une presse spécialisée voit<br />

le jour dès le début <strong>des</strong> années 1920 – le Journal of Applied Psychology (1917- ), le Journal<br />

of Personnel Research (1922- ), Industrial Psychology (1926-1928) – et la profession<br />

s’organise dans <strong>des</strong> associations professionnelles de praticiens qui se fédéreront au sein de<br />

l’AAAP (American Association of Applied Psychology) en 1937. Il n’existe en revanche pas<br />

d’initiatives du gouvernement en direction de la psychologie du travail (si on exclut<br />

l’impulsion considérable donnée par l’armée lors de la première guerre). Ainsi, à la différence<br />

de la France – et à un degré moindre de l’Allemagne – la psychologie industrielle s’organise<br />

aux Etats-Unis autour d’un marché libre de services psychologiques, principalement tourné<br />

vers les entreprises, et non vers un projet d’organisation de la société par les aptitu<strong>des</strong>.<br />

177


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En France Lahy lui-même tempère ses critiques à l’encontre du taylorisme à partir de<br />

1921. Dans la préface à la seconde édition de son ouvrage de 1916 (Le système Taylor), il<br />

reconnaît à Taylor le mérite d’avoir « en partie posé le problème de l’organisation du travail »<br />

et admet que sous certaines réserves son système « pourrait être en partie bénéfique pour les<br />

travailleurs de toutes catégories » 90 . Lahy collabore d’ailleurs activement à la presse <strong>des</strong><br />

<strong>ingénieurs</strong> tayloriens dans les années 1920. Il écrit de nombreux articles dans <strong>des</strong> revues<br />

comme l’Usine, Mon Bureau ou La technique moderne entre 1921 et 1927, dans lesquels il<br />

relate ses expériences, et la manière dont elles peuvent adoucir les effets d’un taylorisme mal<br />

tempéré (voir tableau II-3, annexe 2 : « Lahy et la vulgarisation scientifique »). Lahy est<br />

particulièrement actif dans la promotion de la psychophysiologie du travail auprès <strong>des</strong><br />

industriels : en 1919, il prend la tête d’une collection d’ouvrages <strong>des</strong>tinés au monde de<br />

l’entreprise : « la Bibliothèque française du chef d’industrie », qui publiera un certain nombre<br />

d’ouvrages de vulgarisation scientifique dans les années 1920. La position de Lahy est de ce<br />

fait très ambiguë : on sent chez lui une volonté de diffuser le plus largement possible les<br />

applications de la psychologie et de séduire les milieux industriels, mais il n’abandonne pas<br />

pour autant le projet social qu’il entend faire jouer à la psychotechnique. Dans sa perspective,<br />

celle-ci doit avant tout être mise au service du travailleur, et non du patron. Cette<br />

contradiction initiale rend difficile l’institutionnalisation de la psychotechnique, car elle<br />

menace souvent d’entrer en conflit avec les intérêts patronaux. Ceux-ci attendent avant tout de<br />

l’efficacité, <strong>des</strong> économies, <strong>des</strong> résultats quantifiables, là où Lahy recherche davantage une<br />

plus grande humanisation du travail face à l’industrialisation et à la menace du taylorisme.<br />

Seules les administrations ou les très gran<strong>des</strong> entreprises (STCRP, Chemins de fer…)<br />

semblent se montrer sensibles à l’argument de la santé psychophysiologique <strong>des</strong> travailleurs.<br />

On voit ainsi l’administration <strong>des</strong> PTT faire en 1925 l’éloge de la méthode Lahy, en la<br />

différenciant clairement de la méthode de Taylor :<br />

« Il faut soigneusement distinguer la psychotechnique du taylorisme. Elle en est<br />

exactement la contrepartie. Le système de Taylor – justement répudié par l’opinion<br />

ouvrière – est un ensemble de règles qui permettent de tirer de l’ouvrier le maximum<br />

de rendement. Nulle préoccupation humanitaire dans ce système (…) Le taylorisme<br />

est une méthode d’organisation du travail, issue du cerveau froid d’un ingénieur qui<br />

n’a en vue que le rendement du matériel humain. La psychotechnique prend, au<br />

contraire, pour sujet de son étude l’employé lui-même. Elle a le souci de diriger le<br />

candidat vers la profession où il se conviendrait le mieux, celle dont sa santé<br />

s’accomodera, où ses facultés s’exerceront avec facilité. La science se met au<br />

service <strong>des</strong> hommes pour le choix d’une carrière (…) on le voit, la psychotechnique,<br />

90 Cité par RABINBACH, 1992 [1990], p. 253<br />

178


avec l’autorité <strong>des</strong> preuves scientifiques, tend à limiter l’exploitation excessive du<br />

personnel » 91<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’expérience de la STCRP montre bien le poids de ces contradictions dans<br />

l’émergence de la psychotechnique en France. Les applications de la psychotechnique dans<br />

cette entreprise de transports en commun débutent en 1921, grâce aux contacts noués par<br />

Edouard Toulouse avec Louis Bacqueyrisse, le directeur <strong>des</strong> services techniques de la<br />

STCRP. La STCRP est à cette époque une entreprise relativement ouverte aux innovations en<br />

matière de gestion du personnel. Elle est confrontée à la sortie de la guerre à une question<br />

simple : comment recruter de bons conducteurs de tramways et d’autobus ? Cette question en<br />

recouvre en réalité deux : comment réduire les accidents de tramways liés à l’intensification<br />

de la circulation automobile à Paris ? Comment faire <strong>des</strong> économies d’énergie, dès lors que le<br />

style de conduite affecte considérablement la consommation d’électricité ? Lahy, qui avait<br />

mené <strong>des</strong> expériences sur les conducteurs de tramways dès 1908 propose de mettre en place<br />

un « laboratoire de psychotechnique » dans cette entreprise afin d’affiner les métho<strong>des</strong> de<br />

recrutement. Après trois années d’expérimentations menées au laboratoire de psychologie de<br />

l’hôpital Sainte-Anne, un service est créé en 1924, dans les locaux de la STCRP. Ce service<br />

se voit en fait attribuer deux missions distinctes. La première se situe au niveau du<br />

recrutement, et consiste à sélectionner les candidats à l’entrée dans l’école d’apprentissage.<br />

Cette mission est relativement bien acceptée par la direction et les syndicats, qui n’y voient<br />

pas de menaces particulières pour leur pouvoir discrétionnaire. Les résultats s’avèrent<br />

satisfaisants puisque entre 1923 et 1936, le nombre moyen d’accidents annuel par machiniste<br />

était passé de 1,53 accidents à 0,61 accidents, alors que dans le même temps, le nombre global<br />

d’accidents de la circulation automobile à Paris augmentait fortement 92 . L’examen<br />

psychotechnique permet par ailleurs de réduire les coûts de formation <strong>des</strong> machinistes puisque<br />

presque tous les apprentis réussissent l’examen de sortie de l’école d’apprentissage. Comme<br />

le note avec satisfaction le directeur de la STCRP en 1927 :<br />

« Avant la création du laboratoire, le nombre de machinistes reconnus incapables,<br />

pendant ou après leur apprentissage, était de 20%. Depuis que s’opère la sélection<br />

préalable, ce déchet est tombé à 3,4%. En raison du nombre élevé de nos apprentis et<br />

du coût de leur formation, nous réalisons ainsi une économie d’environ 150000<br />

francs » 93<br />

91 Arch. Lahy, carton n°38 Sous-dossier 645, « Bulletin officiel du ministère <strong>des</strong> PTT » (1925)<br />

92 Arch. RATP, Note DGEST, n°1547, 1929. Voir graphique II-4 (annexe 2) sur l’évolution <strong>des</strong> statistiques<br />

d’accidents <strong>des</strong> conducteurs de tramways dans la période 1923-1938.<br />

93 Cité par HUSSON (1935, p. 640)<br />

179


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Lahy lui-même recourt fréquemment à l’argument économique, auquel sont<br />

particulièrement sensibles les chefs d’entreprise. Il écrit ainsi en 1933 dans Le Travail<br />

Humain que la sélection psychotechnique « permet de faire <strong>des</strong> économies qui à elles seules,<br />

couvrent les dépenses du laboratoire qui a été créé ». De même, dans les rapports qu’il remet à<br />

la direction de la STCRP chaque année, il s’efforce d’évaluer le rendement financier du<br />

service, en se basant sur un chiffre hypothétique d’accidents évités grâce à la sélection<br />

psychotechnique 94 . Le même argument est avancé lors de la mise en place du laboratoire<br />

psychotechnique <strong>des</strong> usines Renault (1928) à laquelle Lahy a activement participé. Une baisse<br />

de 30% <strong>des</strong> accidents du travail est constatée dans les deux premières années de<br />

fonctionnement du service, entre 1928 et 1930 95 , et cet argument est avancé auprès <strong>des</strong><br />

compagnies d’assurance pour faire diminuer les primes versées. Une autre manière d’asseoir<br />

la rentabilité d’un service psychotechnique d’entreprise consiste à proposer les services du<br />

laboratoire à d’autres entreprises en vue de réaliser la sélection de leurs salariés. Cette<br />

pratique est courante dans l’entre deux guerres, ce qui peut laisser penser que la discipline<br />

s’est diffusée à une échelle plus large qu’il n’y paraît. On le voit par exemple lors de la mise<br />

en place du service psychotechnique de l’entreprise Hachette, en 1935 :<br />

« Le retentissement que ne manquerait pas d’avoir la création par les Messageries<br />

Hachette d’un laboratoire qui serait pour le travail de bureau équivalent de ce qu’a<br />

réalisé la STCRP pour les transports nous donnent la certitude que <strong>des</strong><br />

administration déjà préoccupées de la chose : Banques, compagnies d’assurance,<br />

sociétés industrielles et probablement certains journaux important seraient heureux<br />

d’utiliser contre rétribution (environ 30 frs par sujet), les services du laboratoire,<br />

pour faire établir ou contrôler les aptitu<strong>des</strong> de leur personnel nouveau ou ancien, tout<br />

comme les Réseaux français et certains étrangers utilisent actuellement les<br />

laboratoires du Nord et de l’Etat et les entreprises de transports automobiles celui de<br />

la STCRP » 96<br />

La seconde mission du laboratoire psychotechnique de la STCRP, plus délicate, est<br />

le contrôle périodique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> machinistes en fonction : ceux-ci sont soumis à un<br />

examen psychotechnique tous les 5 ans lorsqu’ils ont moins de 45 ans, tous les deux ans entre<br />

45 et 51 ans et tous les ans après 51 ans. Le but de ces visites périodiques est d’éliminer les<br />

agents qui se révèlent inaptes à la conduite et de les orienter vers d’autres services de<br />

l’entreprise en fonction de leurs résultats aux tests. La direction de l’entreprise prend bien<br />

soin de préciser que : « la STCRP évite absolument de priver de son gagne-pain un homme<br />

qui ne possède plus les aptitu<strong>des</strong> nécessaires à la conduite d’une voiture. En effet, elle le<br />

94 Chiffre établi en s’appuyant sur les statistiques d’accident antérieures à la mise en place du laboratoire<br />

95 AN 91 AQ 57 (2), « Note sur le fonctionnement et le budget du laboratoire de psychotechnique <strong>des</strong> usines<br />

Renault », 8 Novembre 1932.<br />

96 Arch. Lahy, « Rapport sur la sélection <strong>des</strong> employés <strong>des</strong> Messageries Hachette »<br />

180


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

maintient toujours à la fonction de receveur lorsque l’examen psychotechnique lui a été<br />

défavorable » 97 . Malgré ces garanties, la mesure est accueillie avec la plus grande réserve par<br />

les syndicats. D’une part parce que le passage du métier de machiniste à celui de receveur<br />

entraîne une diminution de salaire et un déclassement dans l’entreprise, ce que les<br />

conducteurs n’acceptent pas ; d’autre part parce les syndicats jugent la mesure arbitraire.<br />

Quelles garanties de neutralité le laboratoire de psychotechnique offre-t-il face à une<br />

évaluation qui se faisait autrefois par le jugement du chef immédiat, qui est le mieux placé<br />

pour connaître « ses » ouvriers ? Ceci d’autant plus que les tests mis en place par Lahy<br />

décomposent l’activité professionnelle en une multitude d’aptitu<strong>des</strong> différentes : un test pour<br />

mesurer les temps de réaction, un autre pour l’acuité visuelle, un autre pour la fatigabilité<br />

musculaire, un autre pour la dissociation du mouvement <strong>des</strong> mains etc. Cette représentation<br />

« analytique » de l’activité professionnelle ne satisfait pas les machinistes : ils préfèreraient<br />

une évaluation en situation de conduite, dans les bus ou les tramways eux-mêmes. Enfin, et<br />

c’est certainement là la critique la plus virulente, les syndicats se plaignent de ce que deux<br />

individus obtenant le même résultat à l’examen psychotechnique pourront l’un être maintenu<br />

dans son poste une année alors que l’autre sera éliminé l’année suivante, selon les besoins de<br />

l’entreprise en main d’œuvre. Qu’est-ce alors que cette prétendue objectivité de l’aptitude, qui<br />

place les mêmes personnes dans <strong>des</strong> positions différentes selon les fluctuations du marché du<br />

travail ? Cette dépendance du service de psychotechnique à l’égard <strong>des</strong> fluctuations de<br />

l’économie et du marché du travail apparaît sur le graphique II-3 (annexe 2), qui montre que<br />

l’activité du laboratoire a fortement chuté au plus fort de la crise, entre 1931 et 1936. Dans la<br />

même période, les taux d’élimination à l’entrée en apprentissage atteignent <strong>des</strong> niveaux<br />

jamais égalés d’environ 20% en 1930, 1932 et 1935 (Moutet, 2004, p. 88). C’est dire à quel<br />

point la neutralité du service psychotechnique est mise à mal. Le reproche est pourtant injuste<br />

aux yeux de Lahy : le laboratoire ne fait rien d’autre qu’établir un classement ordinal <strong>des</strong><br />

individus – le plus juste possible – et n’est en rien responsable <strong>des</strong> fluctuations du marché du<br />

travail : le niveau auquel va être placé le « curseur » qui partage la population entre « aptes »<br />

et « inaptes » relève de la seule responsabilité de l’entreprise et non du psychotechnicien.<br />

Cette position ambiguë <strong>des</strong> services psychotechniques ne se pose pas seulement à la<br />

STCRP. On la retrouve par exemple à l’usine Renault, qui met en place un laboratoire de<br />

psychotechnique en 1928, sous la direction d’un médecin formé à l’Institut de psychologie, le<br />

Dr Charles Perrot. Là aussi, le service sert rapidement de prétexte au licenciement de certains<br />

97 Arch. RATP, « Le laboratoire de psychotechnique. The right man in the right place », L’écho de la STCRP,<br />

181


ouvriers en période de difficultés économiques, davantage qu’à servir les intérêts <strong>des</strong> ouvriers.<br />

L’argument est à peine voilé par le directeur du laboratoire, qui écrit en 1932 :<br />

« Comme par suite de la crise et de la stabilité plus grande du personnel, le nombre<br />

d’embauches a diminué de 45%, nous en avons profité pour faire passer <strong>des</strong> ateliers<br />

entiers au laboratoire et avons tenu le plus grand compte <strong>des</strong> constatations<br />

enregistrées soit dans le choix qui a précédé certains licenciements, soit dans<br />

l’emploi de quelques ouvriers à de nouvelles fabrications » 98<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ce risque d’instrumentalisation de la psychotechnique n’échappe pas à certains<br />

représentants syndicaux de la CGT, qui dénoncent en 1933 cette « véritable perquisition du<br />

corps et du cerveau » mise en place « uniquement dans le but de compresser le personnel avec<br />

<strong>des</strong> excuses médicales ». Les syndicats d’ailleurs se montrent majoritairement hostiles aux<br />

applications de la psychotechnique pendant toute la période de l’entre-deux-guerres, voyant<br />

dans cette nouvelle méthode une menace pour les règles de recrutement et surtout de<br />

promotion interne. L’orientation professionnelle se trouve de ce point de vue dans une<br />

situation nettement plus confortable, puisqu’elle est moins soumise que la psychotechnique<br />

d’entreprise aux fluctuations de la conjoncture économique et n’a pas à décréter si l’individu<br />

est apte ou inapte à occuper un emploi déterminé. Il s’agit seulement pour elle de trouver<br />

l’emploi qui convient le mieux à ses aptitu<strong>des</strong>, en explorant une gamme très large de<br />

professions.<br />

Malgré les critiques syndicales qui s’accentuent avec la montée du chômage dans les<br />

années 1930, il serait inexact de dire que Lahy s’est entièrement plié aux volontés patronales.<br />

Il parvient à rester fidèle au programme initial de la science du travail en s’attachant<br />

davantage à tirer le meilleur parti <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> de chacun qu’à éliminer les inaptes. Les<br />

chiffres sont d’ailleurs éloquents : en 1935, seuls 1,2% <strong>des</strong> machinistes en poste examinés par<br />

le laboratoire ont été déclarés inaptes. Il serait donc inexact de dire que le laboratoire<br />

psychotechnique de la STCRP a servi de simple alibi au licenciement d’éléments indésirables,<br />

comme ce fut indéniablement le cas chez Renault.<br />

2. Science pure et science appliquée : un processus de légitimation croisée<br />

On s’est peu interrogé sur la position centrale du laboratoire psychotechnique de la<br />

STCRP dans l’institutionnalisation de la psychologie du travail française, et peut-être encore<br />

davantage dans la construction de l’imaginaire de cette discipline. Il n’est pas un livre, pas un<br />

manuel d’histoire de la psychologie qui ne relate cette expérience fondatrice, aux côtés <strong>des</strong><br />

n°2, novembre 1929, p. 3<br />

98 AN 91 AQ 57 (2), « Note sur le fonctionnement et le budget du laboratoire de psychotechnique <strong>des</strong> usines<br />

182


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

tests mentaux de Binet, du laboratoire de Toulouse et <strong>des</strong> expériences de Charcot à la<br />

Salpêtrière. Pourtant, les histoires officielles <strong>des</strong> disciplines accordent généralement peu de<br />

place aux « applications », surtout dans le domaine de l’entreprise, qui sont vues comme la<br />

simple mise en œuvre d’un savoir pur dont les déterminants se jouent ailleurs : dans les<br />

universités, les laboratoires, les revues, la communauté scientifique etc. Comment<br />

comprendre alors cette attention particulière portée aux applications pratiques dans l’histoire<br />

de la psychologie ? L’une <strong>des</strong> hypothèses que l’on peut avancer est que l’histoire de la<br />

psychotechnique dans l’entre-deux-guerres révèle un processus permanent de légitimation<br />

croisée entre le savoir et les applications pratiques : les applications reposent sur la croyance<br />

<strong>des</strong> industriels en la validité d’un savoir dont les déterminants se situeraient « ailleurs » (dans<br />

le monde neutre de la science) et simultanément ces applications légitiment le savoir luimême,<br />

en apportant la preuve qu’il est utile et en l’alimentant en expériences et en appareils<br />

de mesure sans cesse renouvelés. La psychotechnique connaît en effet un régime de<br />

production scientifique très particulier dans l’entre-deux guerres, qui suppose l’accès à <strong>des</strong><br />

volumes importants de population afin d’étalonner les tests et d’affiner les appareils de<br />

mesure, dont la construction repose sur la « loi <strong>des</strong> grands nombres ». Seules les<br />

administrations (Ecole, Armée, services de placement du ministère du travail…) ou les très<br />

gran<strong>des</strong> entreprises (STCRP, Renault, Peugeot, SNCF…) présentent les conditions requises<br />

pour faire avancer simultanément le savoir et les applications 99 . Ainsi, contrairement à la<br />

thèse foucaldienne, l’émergence de la psychotechnique dans les gran<strong>des</strong> organisations ne tient<br />

pas seulement à la volonté d’emprise d’un Etat tentaculaire sur <strong>des</strong> populations qu’il<br />

chercherait à quadriller et à discipliner. Elle tient à la logique même de production du savoir<br />

psychologique. Lahy note ainsi avec optimisme que « la méthode est encore appelée à<br />

progresser grâce à l’étalonnage de chaque test étendu à un nombre toujours plus grand de<br />

sujets. Un tel perfectionnement s’établit de façon automatique, lorsque, par suite du nombre<br />

de sujets examinés le nombre <strong>des</strong> expériences augmentant de 1000 une révision <strong>des</strong> courbes<br />

de rendement dans les tests a lieu. Ainsi, nous nous rapprochons toujours davantage du type<br />

humain moyen qui nous sert d’étalon psychologique » (Lahy, 1927, p. 215)<br />

Les psychotechniciens sont pleinement conscients de cette logique de production de<br />

leur savoir et s’attachent à effacer la frontière entre « science » et « applications pratiques ».<br />

Car pour la majorité <strong>des</strong> psychotechniciens français seule l’imbrication étroite de la recherche<br />

Renault », 8 Novembre 1932<br />

99 Sur les entreprises ayant mis en place un service de psychotechnique dans l’entre-deux-guerres, voir tableau<br />

II-4 en annexe.<br />

183


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

et <strong>des</strong> applications justifie l’argument selon lequel les ils sont de véritables professionnels, et<br />

pas les simples auxiliaires d’un savoir dont les déterminants se trouveraient ailleurs (dans le<br />

laboratoire ou les théories psychologiques). Cette thèse est défendue avec force par Lahy en<br />

1932 dans un article sur « Les fondements scientifiques de la psychotechnique » 100 . Il<br />

commence par reprocher aux fondateurs de la psychologie industrielle à l’étranger<br />

(Münsterberg aux Etats-Unis, Myers en Grande-Bretagne, Lipmann en Allemagne) d’avoir<br />

défini la psychotechnique comme « une sorte de technologie », un ensemble de recettes<br />

appliquant un savoir psychologique général à <strong>des</strong> objets particuliers – sélection du personnel,<br />

organisation du travail, publicité…. – sans se soucier d’ajuster les métho<strong>des</strong> à ces objets<br />

particuliers. Cette vision est bien conforme à l’idée que se font les anglo-saxons du<br />

professionnal, perçu comme un intermédiaire entre un savoir constitué au sein de la sphère<br />

académique et qui se diffuse dans différents registres pratiques. Toute la sociologie<br />

fonctionnaliste est construite autour de cette dualité science/applications et de l’idée que le<br />

professionnel va puiser dans un « ailleurs » – un espace presque sacré, au-delà du monde<br />

profane – les valeurs qui fondent son action. Lahy pense au contraire que « les applications de<br />

la psychotechnique se confondent avec l’expérimentation » 101 et que si la psychotechnique<br />

« utilise les métho<strong>des</strong> générales <strong>des</strong> sciences et en particulier celles de la psychologie<br />

expérimentale, elle en crée chaque jour de nouvelles qui enrichissent le fonds commun <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> et <strong>des</strong> techniques scientifiques ». La psychotechnique n’est donc pas une simple<br />

"branche" de la psychologie générale. Elle forme à elle seule une discipline autonome, qui<br />

construit son savoir et ses métho<strong>des</strong> en empruntant à d’autres disciplines mais qui ne saurait<br />

s’y réduire : « née de la psychologie théorique, la psychotechnique la dépasse, la transforme<br />

et va la remplacer comme le produit de son évolution nécessaire, comme une synthèse de la<br />

théorie avec une nouvelle pratique ».<br />

On comprend mieux alors pourquoi les « laboratoires » mis en place par Lahy dans<br />

toutes les entreprises qui ont adopté sa méthode ressemblent davantage à <strong>des</strong> laboratoires de<br />

recherche qu’à <strong>des</strong> services de recrutement du personnel. Il s’agit de produire simultanément<br />

le savoir et les applications pratiques qui sous-tendent et légitiment ce savoir. Les deux sont<br />

indissociables dans l’esprit de Lahy et de ses collègues : seule une science rigoureuse et<br />

exigeante peut être équitable et se maintenir à l’abri <strong>des</strong> pressions <strong>des</strong> directions.<br />

L’application de la méthode « à <strong>des</strong> choses sociales oblige à exiger que rien ne vienne la<br />

fausser dans la pratique. C’est pour fournir ces garanties de parfaite rigueur que nous avons<br />

100 LAHY (1932).<br />

184


essayé de la rendre aussi objective que possible » (Lahy, 1927, p.198). Tout tend donc à faire<br />

du laboratoire psychotechnique un espace clos, à l’abri <strong>des</strong> pressions du monde extérieur.<br />

Comme le souligne un élève de Lahy :<br />

« Conformément aux règles de la méthode expérimentale, il faut veiller à ce que,<br />

pendant l’exécution d’un test, le sujet soit soustrait à toute autre excitation<br />

psychique que celle de l’épreuve. Il sera pour cela placé dans un local approprié,<br />

isolé de tout bruit, soumis à un éclairage optimum toujours identique à lui-même, à<br />

ventilation réglée et à température constante. Les opérateurs doivent observer <strong>des</strong><br />

attitu<strong>des</strong> et <strong>des</strong> intonations toujours bienveillantes et immuables, et, dans de<br />

nombreux cas, sont avantageusement remplacés par <strong>des</strong> machines parlantes et par le<br />

cinématographe » (Husson, 1935, p. 600)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La neutralité scientifique se lit dans les moindres détails : les blouses blanches que<br />

porte l’ensemble du personnel <strong>des</strong> laboratoire, le strict cloisonnement entre le service<br />

psychotechnique et les autres services de l’entreprise (notamment service du personnel et<br />

service médical) afin d’éviter toute transmission d’information ou toute forme de pression, les<br />

impressionnants appareils de mesure <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, qui portent <strong>des</strong> noms incompréhensibles<br />

au profane (dynamographe, tachodomètre, chronoscope d’Arsonval…). La métrique est la<br />

meilleure garantie de cette neutralité, puisqu’elle traduit les questions profanes dans le<br />

langage sacré de la science. Dans un rapport <strong>des</strong>tiné à défendre auprès <strong>des</strong> salariés de la<br />

RATP l’action du service psychotechnique, André Ombredane écrit en 1946 que l’évaluation<br />

psychotechnique doit être faite au moyen de « procédés qui éliminent l’appréciation<br />

subjective, qui introduisent la mesure, condition indispensable de toute connaissance<br />

scientifique » 102 . La personnalité et la subjectivité du psychotechnicien n’ont donc pas de<br />

place dans cet univers où tout est fait pour maintenir à distance l’évaluateur et la personne<br />

évaluée.<br />

Pour ces raisons, il y a dans les laboratoires une division du travail très rigoureuse<br />

entre les « opérateurs-psychotechniciens », chargés de faire passer les tests aux candidats, et<br />

les psychotechniciens, qui élaborent et interprètent les tests. Lahy avait pour habitude de<br />

recruter les opérateurs-psychotechniciens parmi le personnel <strong>des</strong> entreprises qui le<br />

sollicitaient. Ces opérateurs n’avaient en effet pas besoin d’avoir suivi de formation<br />

particulière en psychologie. Ils devaient en revanche se conformer le plus rigoureusement<br />

possible aux instructions du psychotechnicien, en apprenant par cœur les consignes à adresser<br />

aux candidats lors de la passation <strong>des</strong> tests :<br />

101 Souligné par Lahy.<br />

102 Arch. RATP, Ombredane (André), « La psychotechnique au Chemin de fer métropolitain de Paris », Caisse<br />

de prévoyance, 1946.<br />

185


« Les expérimentateurs, ou plus exactement les opérateurs doivent agir<br />

mécaniquement [c’est l’auteur qui souligne] en ne se préoccupant ni <strong>des</strong> hypothèses<br />

qui sont à la base du travail qu’ils accomplissent, ni <strong>des</strong> interprétations qu’ils<br />

seraient tentés de faire d’après les résultats enregistrés. C’est pourquoi nous avons<br />

créé un outillage qui rend toutes les excitations automatiques et qui les enregistre –<br />

ainsi que les réponses <strong>des</strong> sujets – automatiquement. La part qui est réservée à nos<br />

opérateurs se réduit à la surveillance du fonctionnement mécanique rigoureux <strong>des</strong><br />

appareils et à la récitation <strong>des</strong> textes fixés par nous, qui ne doivent, sous aucun<br />

prétexte, être modifiés. Nos techniques peuvent donc être pratiquées par <strong>des</strong><br />

opérateurs qui ne sont pas <strong>des</strong> psychologues professionnels. Ceux-ci, choisis parmi<br />

les fonctionnaires de la STCRP appliquent les techniques de la même façon qu’un<br />

bon ouvrier se sert de l’outil approprié à sa besogne (…) Les instructions qu’ils<br />

doivent suivre sont fixées dans un brochure dite : Livre <strong>des</strong> techniques, qui règle leur<br />

activité professionnelle. (…) Les parties les plus intellectuelles de la méthode :<br />

l’hypothèse et l’interprétation ne sont pas exclues de notre laboratoire de<br />

psychotechnique. Elles restent dans nos attributions et dans celles de l’ingénieur qui<br />

nous assiste » (Lahy, 1927, p. 216)<br />

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Ainsi, Lahy recommande au directeur <strong>des</strong> Galeries Lafayette de recruter comme<br />

opérateur-psychotechnicien « une secrétaire, bonne sténo-dactylo, susceptible d’être formée à<br />

nos métho<strong>des</strong> (…) ce personnel serait sélectionné par la méthode psychotechnique et formé<br />

par mes soins ». Lahy se réserve en revanche la direction scientifique du laboratoire :<br />

« J’assumerai moi-même la direction scientifique dans <strong>des</strong> conditions pécuniaires que les<br />

Galeries Lafayette fixeront elles-mêmes. Je prendrai en outre l’entière responsabilité <strong>des</strong><br />

résultats prévus, mais il faudrait un chef de laboratoire qui dépendra de moi » 103 . Lahy<br />

procéda de la même manière au laboratoire de la STCRP, dont il assuma la direction<br />

scientifique jusqu’en 1938 (en collaboration étroite avec Suzanne Pacaud), mais dont il confia<br />

la direction technique et administrative à un ingénieur de l’entreprise, Gaston Guyot. Celui-ci<br />

avait également pour mission de construire les tests et appareils de mesure, d’après les<br />

instructions de Lahy 104 . La dizaine d’opérateurs-psychotechniciens de la STCRP furent<br />

choisis parmi le personnel de l’entreprise (principalement <strong>des</strong> machinistes) et formés<br />

personnellement par Lahy mais ne reçurent pas de formation psychologique approfondie, leur<br />

seule fonction étant de s’effacer le plus possible devant les tests, dont la précision ne devait<br />

pas être entachée par <strong>des</strong> éléments de subjectivité. Raymond Carpentier 105 rapporte ainsi<br />

qu’au moment où il est entré au service de psychologie appliquée de la RATP en 1948, les<br />

opérateurs-psychotechniciens devaient apprendre les consignes de tests par cœur et les réciter<br />

aux candidats d’une voix monocorde, afin de ne pas introduire de biais dans le résultat.<br />

103 Arch. Lahy, dossier n° 727.<br />

104 Gaston Guyot devait fonder, en 1927 une entreprise qui devint la principale maison d’édition de tests<br />

psychotechniques en France et qui existe encore aujourd’hui : les EAP (Etablissements d’applications<br />

psychotechniques)<br />

105 Entretien R. Carpentier, ancien directeur du laboratoire de psychologie appliquée de la RATP, août 2001<br />

(entretien n°51).<br />

186


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Cette neutralisation <strong>des</strong> conditions extérieures au laboratoire apparaît également dans<br />

les deux principales propriétés <strong>des</strong> tests, qui doivent selon Lahy « présenter les mêmes<br />

qualités qu’un instrument de mesure physique », c’est-à-dire être à la fois fidèles et vali<strong>des</strong>.<br />

La validité du test désigne « la concordance entre le résultat <strong>des</strong> tests et le phénomène à<br />

prévoir : la réussite professionnelle. Elle est exprimée par <strong>des</strong> coefficients de corrélation<br />

appelés coefficients de validité ». Sa construction repose donc sur une comparaison entre <strong>des</strong><br />

indicateurs de succès professionnel et <strong>des</strong> tests construits à partir d’une analyse du travail.<br />

Lahy demandait à la direction de l’entreprise de lui indiquer une dizaine d’employés réputés<br />

très bons, puis une dizaine d’employés très mauvais et choisissait les tests les plus pertinents<br />

en fonction <strong>des</strong> résultats de ces deux catégories aux tests. L’autre propriété <strong>des</strong> tests<br />

permettant de garantir leur parfaite neutralité est la fidélité. Celle-ci est définie une fois encore<br />

en référence à la science physique, modèle d’objectivité scientifique à atteindre par le<br />

psychologue :<br />

« Lorsqu’on a affaire à un instrument de mesure physique, on en exige certaines<br />

qualités ainsi définies :<br />

1°) L’exactitude<br />

2°) La précision<br />

3°) La sensibilité (la vitesse à laquelle il atteint la précision maxima)<br />

4°) la stabilité (répondre aux variations sans se laisser influencer par d’autres<br />

phénomènes et mesurer la même chose dans <strong>des</strong> conditions identiques).<br />

5°) L’objectivité (les relevés effectués par deux observateurs différents sont<br />

identiques).<br />

Le test doit présenter l’ensemble de ces qualités. » 106<br />

Pour répondre à ces exigences de rigueur, la production <strong>des</strong> tests doit être elle aussi<br />

standardisée, ce qui est rendu possible par l’apparition d’entreprises de fabrication de tests à<br />

la fin <strong>des</strong> années 1920. Hormis l’INOP, qui produit et diffuse les tests de Lahy, Piéron et<br />

Laugier, une maison d’éditions de tests est créée en 1927 sous l’égide de Lahy et de son<br />

assistant au laboratoire de la STCRP, Gaston Guyot : les EAP (établissements d’applications<br />

psychotechniques). Cette entreprise se spécialise au départ dans la mise au point de tests<br />

psychophysiologiques 107 , en vue de mettre au point <strong>des</strong> épreuves de sélection pour <strong>des</strong><br />

emplois manuels (conducteurs, dactylographes, aiguilleurs…). Les tests qui connaissent le<br />

plus grand succès dans la période sont le « test d’attention diffusée de Lahy » (voir supra) et<br />

106 AN-CAC, 19800284 art. 67, « Centre psycho-physiologique <strong>des</strong> chemins de fer de l’Etat »<br />

107 On distingue habituellement les tests psychophysiologiques, ou psychomoteurs qui mettent principalement en<br />

jeu <strong>des</strong> facultés physiologiques ou psychologiques (réaction à <strong>des</strong> stimuli externes visuels ou auditifs, force,<br />

rapidité de réaction etc.) et les tests mentaux qui mettent en jeu <strong>des</strong> facultés de compréhension ou de<br />

raisonnement logique. Les premiers supposent la mise au point d’appareillages alors que les seconds requièrent<br />

simplement du papier et un crayon (test de QI par exemple), d’où leur dénomination fréquente de tests « papiercrayon<br />

»<br />

187


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le « tachodomètre » 108 . A la différence <strong>des</strong> Etats-Unis, les laboratoires de psychotechnique<br />

français privilégient nettement les tests psychophysiologiques aux tests mentaux dans l’entredeux<br />

guerres. La raison en est double. Elle tient d’une part aux convictions de Lahy et Piéron<br />

sur les aptitu<strong>des</strong>, qui ne se laissent pas réduire selon eux à une dimension unique mais<br />

supposent au contraire l’exploration simultanée de différentes facultés chez l’individu, aussi<br />

bien psychologiques que physiologiques. Elle tient par ailleurs à la nature <strong>des</strong> emplois étudiés<br />

par les psychologues du travail dans la période, qui sont principalement <strong>des</strong> emplois manuels.<br />

A l’inverse, les psychologues américains se penchent dès la fin <strong>des</strong> années 1920 sur <strong>des</strong><br />

emplois non manuels (<strong>ingénieurs</strong>, journalistes, comptables, cadres…) 109 , compte tenu de<br />

l’utilisation plus massive <strong>des</strong> tests de QI dans ce pays et d’une moindre emprise de la<br />

physiologie sur la psychologie. C’est seulement en 1937 que les EAP se lancent dans l’édition<br />

de tests « papier-crayon », davantage appréciés <strong>des</strong> industriels car ils ne supposent pas l’achat<br />

d’appareils coûteux et difficiles à faire fonctionner sans l’aide d’un personnel spécialisé. Par<br />

ailleurs, les tests « papiers-crayon » permettent d’administrer les tests à plusieurs candidats en<br />

même temps, et sont donc plus facilement industrialisables que les tests<br />

psychophysiologiques.<br />

L’imbrication entre recherche scientifique et applications pratiques est plus étroite<br />

encore dans le laboratoire mis en place en 1933 par Henri Laugier et son assistante Dagmar<br />

Weinberg au réseau <strong>des</strong> chemins de fer de l’Etat. Cette fois, les exigences d’application de la<br />

méthode passent clairement au second plan, au profit de l’affinement de la méthode<br />

« biotypologique » voulue par Laugier et Toulouse. Bien que proches tous les deux de<br />

Toulouse et <strong>des</strong> Principes de psychologie expérimentale de Piéron, Toulouse et Vaschide<br />

(1904), Lahy et de Laugier divergent sur de nombreux points. Ils partagent la même<br />

fascination pour la méthode expérimentale et la psychologie scientifique, mais accordent une<br />

place différente aux déterminations psychologiques et physiologiques. Chez Lahy, on l’a vu,<br />

l’aptitude est une notion complexe, qui ne se laisse pas réduire à une métrique<br />

unidimensionnelle telle que le proposent les tests de QI. Les différentes caractéristiques<br />

psycho-physiologiques de l’individu peuvent se compenser mutuellement, à tel point qu’il<br />

vaudrait mieux parler d’aptitu<strong>des</strong> au pluriel que d’une aptitude globale qui serait un facteur<br />

général d’adaptation : « L’organisme humain est un complexe de fonctions diverses dont les<br />

108 Le tachodomètre est un appareil mis au point par Lahy à la STCRP pour évaluer l’appréciation <strong>des</strong> vitesses et<br />

<strong>des</strong> distances <strong>des</strong> conducteurs de tramways. Les candidats doivent indiquer à l’avance, sur une règle graduée, le<br />

point de rencontre entre deux mobiles fixés sur un rail arrivant de deux points opposés à <strong>des</strong> vitesses différentes.<br />

109 VAN DE WATER (1997, p. 493)<br />

188


activités se chevauchent et dont les valeurs, variables avec chaque individu, se suppléent les<br />

unes les autres (…) en d’autres termes, le rendement pour un seul test ne peut classer un<br />

groupe de sujets dans une activité professionnelle, en raison <strong>des</strong> suppléances qui se créent<br />

entre les diverses fonctions mises en jeu » (Lahy, 1927, p. 130). Rien de tel dans la pensée de<br />

Laugier : pour lui, le but de la psychotechnique est de rechercher une unité de l’individu<br />

derrière la diversité <strong>des</strong> mesures psycho-physiologiques. Sa grande affaire est donc la<br />

recherche <strong>des</strong> « types » humains, grâce aux informations apportées par les différentes sciences<br />

–psychologie, physiologie, anthropométrie, biologie, biométrie… Ces types émergent de<br />

l’analyse <strong>des</strong> corrélations entre toutes les variables, grâce à l’analyse factorielle. Mais quelles<br />

variables retenir ? Laugier ne fait preuve ici d’aucun sectarisme, puisque toutes les<br />

informations qui pourront être recueillies sur les individus sont bonnes à prendre. Il écrit ainsi<br />

à propos du laboratoire <strong>des</strong> chemins de fer de l’Etat :<br />

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« Un effort continu sera fait pour que tous les caractères de la personnalité<br />

biologique <strong>des</strong> individus entrent progressivement dans les profils qui servent de base<br />

à la classification et à la sélection du personnel » (Laugier et Weinberg, 1936, p.<br />

263)<br />

Une « fiche biotypologique » est mise au point par Laugier et Weinberg (1939), ne<br />

comprenant pas moins de 16 rubriques : 1) renseignements d’ordre général, 2) conditions<br />

d’entrée dans la profession, 3) âge et sexe, 4) forme humaine, 5) fonctions digestives, 6)<br />

fonctions circulatoires, 7) fonctions respiratoires et régulation thermique, 8) fonctions neuromusculaires,<br />

9)fonctions cutanées et kinesthésiques, 10) fonctions olfactives et gustatives, 11)<br />

fonctions auditives, 12) fonctions visuelles, 13) capacité d’efficience (attention), 14) fonctions<br />

mnésiques, 15) fonctions de l’intelligence, du langage, 16) fonctions affectives, caractère,<br />

« intelligence sociale ». On voit que l’éventail de fonctions explorées est nettement plus large<br />

que chez Lahy et qu’il empiète assez largement sur le territoire de la médecine. Le projet de<br />

Laugier dépasse donc la seule question de la sélection professionnelle, à laquelle s’était limité<br />

Lahy. Il est davantage le prétexte à <strong>des</strong> recherches fondamentales qui débouchèrent sur un<br />

nombre très réduit d’applications pratiques et qui n’eurent pas de suite après le départ de<br />

Laugier au Canada en 1940 110 . Il ne faudrait donc pas accorder une place trop importante à la<br />

méthode de Laugier, qui ne fut appliquée qu’aux chemins de fer de l’Etat. La méthode de<br />

Lahy, à l’inverse, connut un succès plus large dans l’entre deux guerres et fut appliquée dans<br />

une vingtaine d’entreprises 111 . Les milieux de l’orientation professionnelle ne cachaient<br />

110 D’abord réfugié à Londres, Laugier se rendit pendant la guerre au Canada où il occupa la chaire de<br />

physiologie à l’Université de Montréal<br />

111 Voir sur ce point le tableau II-4, annexe 2 « Les principaux services psychotechniques d’entreprise de 1920 à<br />

189


d’ailleurs pas leur scepticisme face à la méthode de Laugier. En novembre 1935, Lahy fait<br />

part de ses réserves au directeur de l’exploitation <strong>des</strong> chemins de fer du Nord : Laugier et son<br />

équipe ont en partie repris sa méthode, mais « pour se différencier d’elle, ils ont changé le<br />

nom de psychotechnique et y ont substitué celui de biotypologie. Pour légitimer cette<br />

substitution, ils prétendent faire <strong>des</strong> examens plus étendus. De ce fait, ils empiètent sur les<br />

services médicaux, ce qui ne présente aucune utilité pour la sélection professionnelle ». Mais<br />

surtout, Lahy ajoute que pour lui « la biotypologie n’est pas une science et ne possède aucune<br />

base scientifique ; elle apporte au contraire, une confusion dangereuse dans la science et ses<br />

applications » 112 .<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE II<br />

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L’entre deux guerres pose les bases scientifiques de la méthode psychotechnique,<br />

dont les applications se diffuseront à plus grande échelle après la seconde guerre mondiale.<br />

On assiste dans cette première période à l’émergence simultanée d’un milieu scientifique et<br />

d’établissements de formation de praticiens capables de détecter et de mesurer les aptitu<strong>des</strong> de<br />

la population. Ce projet est indissociable en France d’un projet politique et social ambitieux,<br />

qui vise à orienter chaque personne vers le métier qui correspond le mieux à ses aptitu<strong>des</strong><br />

« naturelles ». Dans l’esprit <strong>des</strong> psycho-physiologistes, seul l’Etat peut se porter garant de la<br />

neutralité de la méthode adoptée. Le patron n’est en revanche nullement qualifié pour<br />

organiser la sélection professionnelle dans son entreprise, car « il utiliserait pour cela le seul<br />

critérium qui l’intéresse : le rendement » (Imbert, 1907). C’est donc – à la différence <strong>des</strong><br />

Etats-Unis – à l’extérieur de l’entreprise que la psychotechnique trouve son lieu : soit dans les<br />

écoles (orientation professionnelle <strong>des</strong> enfants) soit dans <strong>des</strong> laboratoires du travail organisés<br />

sous l’égide <strong>des</strong> pouvoirs publics. Le premier terrain d’application (orientation<br />

professionnelle) connaîtra une certaine pérennité à travers l’organisation de la profession de<br />

conseiller d’orientation dès le début <strong>des</strong> années 1920. Le second (sélection professionnelle)<br />

aura en revanche plus de difficultés à s’implanter. Quelques psychotechniciens essayent<br />

d’introduire leurs métho<strong>des</strong> au sein <strong>des</strong> entreprises (Lahy, Laugier) mais c’est alors par une<br />

surenchère scientiste qu’ils mettent leurs métho<strong>des</strong> à l’abri <strong>des</strong> pressions patronales, rendant<br />

leurs métho<strong>des</strong> peu opérationnelles et peu attractives pour les milieux industriels.<br />

1940 ».<br />

112 Cité par RIBEILL (1995, p. 119)<br />

190


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Il faut voir dans cette orientation particulière de la psychotechnique française la<br />

marque d’un hygiénisme social qui s’efforce de tirer le meilleur parti <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> de chacun,<br />

dans une logique davantage inspirée par l’économie <strong>des</strong> ressources du pays que par une<br />

sélection darwinienne. Cette orientation, exigeante scientifiquement (notamment chez Lahy)<br />

laisse à partir <strong>des</strong> années 1930 une prise plus importante aux empiètements d’autres<br />

professions (<strong>ingénieurs</strong> notamment) sur le territoire <strong>des</strong> psychotechniciens. A partir de 1935,<br />

les milieux industriels se détourneront progressivement de la méthode de Lahy pour adopter<br />

celle d’un ingénieur et psychologue suisse, Alfred Carrard (1889-1948), nettement moins<br />

coûteuse en temps et en argent (voir infra). Comme le notait rétrospectivement Raymond<br />

Bonnardel en 1951 à propos de la psychotechnique française de l’entre deux guerres : « Ce<br />

que les industriels souhaitent, lorsqu’on leur soumet <strong>des</strong> idées nouvelles, c’est obtenir de suite<br />

<strong>des</strong> résultats, <strong>des</strong> preuves d’efficacité. De simples projets d’expérimentation ne les satisfont<br />

pas. C’est une <strong>des</strong> raisons pour lesquelles ils ont parfois donné la préférence à d’habiles<br />

thaumaturges peu avares de leurs promesses, plutôt qu’à <strong>des</strong> psychologues qualifiés qui se<br />

montrent généralement très circonspects » 113 .Les applications de la méthode Lahy restent<br />

d’ailleurs très mo<strong>des</strong>tes dans l’entre deux guerres, en raison surtout du coût de la mise en<br />

place <strong>des</strong> laboratoires et du temps requis par les examens individuels 114 . Contrairement à la<br />

méthode adoptée par les psychologues américains (tests de QI), la psychotechnique française<br />

est difficilement industrialisable. Le scientisme parfois outrancier dans lequel elle baigne<br />

suscite également <strong>des</strong> critiques de la part <strong>des</strong> travailleurs et <strong>des</strong> syndicats, alors que celui-ci<br />

était précisément <strong>des</strong>tiné à garantir la neutralité de la méthode. Le passage par le laboratoire<br />

de psychotechnique constitue pour bon nombre de travailleurs une expérience traumatisante.<br />

Ceux-ci ont tantôt le sentiment de servir de « cobayes » à <strong>des</strong> expériences impénétrables,<br />

tantôt manifestent un certain scepticisme face à <strong>des</strong> instruments de mesure qui, selon certains,<br />

tiennent davantage de la « baraque foraine que de la médecine » 115 . On notera le paradoxe qui<br />

consiste pour les syndicats et les travailleurs à dénoncer la rigueur et le scientisme excessifs<br />

de la psychotechnique, alors que dans l’esprit de ses promoteurs ceux-ci sont précisément<br />

<strong>des</strong>tinés à garantir la « neutralité sociale » de la méthode.<br />

De telles réactions montrent aussi les limites d’une psychotechnique généreuse et<br />

humaniste, qui se veut au service <strong>des</strong> travailleurs et qui cherche à construire une société plus<br />

113 BONNARDEL, 1951, p. 490.<br />

114 Le laboratoire de la STCRP, qui comptait un directeur et dix opérateurs psychotechniciens dans les années<br />

1930 faisait environ 10 examens par jour, d’une durée de trois à quatre heures chacun.<br />

115 « Le problème médical dans les chemins de fer. A propos de la psychotechnique », Le Peuple, 15 octobre<br />

1937<br />

191


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juste où chacun serait orienté selon ses aptitu<strong>des</strong>. Ces limites sont de deux ordres. Elles<br />

touchent d’abord au malentendu qui entoure les applications de la psychologie aux questions<br />

de sélection professionnelle. Les travailleurs y voient avant tout un instrument de contrôle<br />

social et d’élimination <strong>des</strong> indésirables, en quoi ils n’ont pas toujours tort puisque certains<br />

industriels instrumentalisent effectivement la psychotechnique, la transformant en pur outil de<br />

sélection dans les pério<strong>des</strong> de bonne conjoncture économique et en outil d’élimination dans<br />

les pério<strong>des</strong> de reprise du chômage. Les psychotechniciens ne peuvent contrôler les<br />

applications qui sont faites de leur savoir, d’autant plus que les rares praticiens de la<br />

psychotechnique en entreprise n’ont reçu que <strong>des</strong> rudiments de formation dans ce domaine.<br />

Mais les limites touchent aussi au contenu du savoir psychotechnique lui-même. Celui-ci s’est<br />

en effet construit à l’articulation de deux domaines : d’un côté <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychiques et<br />

physiologiques naturellement ancrées dans les travailleurs 116 , de l’autre <strong>des</strong> métiers,<br />

considérés eux aussi comme immuables et fixés dans un ordre presque naturel. Or les deux<br />

domaines évoluent rapidement : les psychotechniciens s’aperçoivent <strong>des</strong> limites du savoir<br />

psycho-physiologique pour aborder les métiers non manuels ou les nouvelles professions qui<br />

apparaissent dans l’industrie, les services ou les activités de surveillance. Celles-ci mettent<br />

davantage en jeu une fatigue nerveuse et <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> exclusivement psychiques que les<br />

psychotechniciens ont toutes les peines du monde à appréhender, puisqu’ils mettent avant tout<br />

l’accent sur la fatigue physique liée à une dépense musculaire et énergétique. Comme le notait<br />

Lahy dès 1910 dans son étude sur les ouvriers typographes, les métiers tendent de plus en plus<br />

« à mettre en jeu moins les muscles que l’activité intellectuelle de l’homme (…) un nombre<br />

croissant d’industries échappe de ce fait aux recherches purement physiologiques, car les<br />

métho<strong>des</strong> de cette science ne permettent de mesurer qu’imparfaitement la fatigue de l’habileté<br />

motrice, de l’attention, de la mémoire et les troubles que la fatigue impose à la synthèse<br />

mentale » 117 .<br />

C’est donc par <strong>des</strong> traditions extérieures à la psychotechnique – la psychiatrie d’un<br />

côté et de la sociologie du travail friedmannienne de l’autre – que sera reprise cette question<br />

de la fatigue professionnelle dans les années 1950 (Billiard, 2001). Les "métiers" qu’étudient<br />

les psychotechniciens semblent également inscrits dans l’ordre <strong>des</strong> choses et traduisent un<br />

déterminisme technique face auquel le psychologue est impuissant. A aucun moment la<br />

conjoncture technique, économique ou les acteurs sociaux ne sont intégrés à l’analyse. Il est<br />

116 Piéron définit encore en 1949 l’aptitude comme « la condition congénitale d’une certaine modalité<br />

d’efficience » (Traité de psychologie appliquée, vol. 1, p. 31).<br />

117 LAHY, 1910<br />

192


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ainsi frappant de constater que Lahy ou Laugier n’aient jamais songé à transformer le cadre de<br />

travail existant dans les métiers <strong>des</strong> transports en proposant par exemple <strong>des</strong> aménagements<br />

de postes de travail, comme le feront plus tard les ergonomes. La mission du<br />

psychotechnicien s’arrête clairement là où commence celle de l’ingénieur et de la technique,<br />

qui donnent aux métiers leurs contours. La forte prégnance d’une culture d’ingénieur dans les<br />

établissements qui virent naître les premières applications de la psychotechnique (entreprises<br />

de chemins de fer, Armée…) explique en partie que les psychotechniciens ne se soient pas<br />

aventurés sur ce terrain de la conception <strong>des</strong> outillages.<br />

L’échec de cette orientation exclusivement psycho-physiologique face aux emplois<br />

non manuels ouvre la voie à deux « dérives » de la psychotechnique qui se développent à la<br />

fin <strong>des</strong> années 1930. La première, initiée par les travaux de Raymond Bonnardel dans<br />

l’entreprise Peugeot, consiste à détacher totalement la psychotechnique de ses bases<br />

physiologiques en abandonnant la notion d’aptitude, sur la définition de laquelle les<br />

psychologues ne parviennent pas à s’accorder. Bonnardel suggère d’explorer les corrélations<br />

statistiques entre <strong>des</strong> tests psychométriques et <strong>des</strong> indicateurs de réussite professionnelle.<br />

L’analyse factorielle permet ensuite de déterminer différents « facteurs » discriminants du<br />

point de vue de l’activité professionnelle (intelligence globale, habileté motrice, précision,<br />

rapidité du travail…). Une telle méthode permet à la fois de se dispenser de l’analyse<br />

préalable du travail et d’une définition de l’aptitude, celle-ci devenant simplement « ce que<br />

mesure le test », pour paraphraser Binet 118 . Mais du même coup, l’analyse<br />

psychophysiologique du travail qui postulait une continuité entre l’équilibre physiologique du<br />

travailleur et l’équilibre de la société, sur laquelle s’était construit le projet social de la<br />

psychotechnique, est définitivement abandonnée. L’autre dérive de la psychotechnique face à<br />

l’échec du paradigme psycho-physiologique se trouve dans une psychologie de type<br />

comportementaliste, centrée sur l’observation clinique de l’individu et la mise en évidence<br />

<strong>des</strong> traits dominants de son « caractère » telle qu’elle se développe autour de l’ingénieur et<br />

psychologue suisse Alfred Carrard. La aussi, l’approche physiologique est abandonnée : les<br />

tests ne sont plus une fin en soi mais (conjugués avec un entretien approfondi) le simple<br />

prétexte à une rencontre entre deux subjectivités. Elle s’appuie sur une critique de la méthode<br />

psychométrique de Lahy et Piéron qui cherche en vain à « éliminer le facteur subjectif<br />

impliqué dans la personne de l’examinateur » transformant ce dernier en un « robot<br />

118 Interrogé sur la définition qu’il donnait à la notion d’intelligence, Binet aurait répondu : « l’intelligence, c’est<br />

ce que mesure mon test ! », témoignant par là d’une conception très positiviste, la méthode et l’objet de la<br />

mesure se construisant simultanément.<br />

193


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psychologique » (Carrard, 1953, p. 60). A cela, Carrard oppose « l’observation systématique<br />

et le sentiment d’autrui » qui permettent la « perception et la compréhension totales du sujet »<br />

(ibid., p. 64). Cette méthode connaît un grand succès en France entre 1935 et 1945 119 , au<br />

désespoir <strong>des</strong> psychotechniciens qui y voient une perversion de leur méthode. Bernard Lahy,<br />

le fils de J.-M. Lahy écrit ainsi à Piéron en 1943 : « Tout l’espoir de mon père était de rentrer<br />

près de vous pour effacer la honte d’avoir vu notre belle science (la psychotechnique) tomber<br />

au rang de jeux de société, d’amusements, et de charlataneries » 120 .<br />

Ainsi, tout en consacrant l’échec d’une analyse psycho-physiologique centrée sur<br />

l’analyse du travail et la correspondance stricte entre <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> individuelles et <strong>des</strong> métiers<br />

(méthode Lahy), les évolutions de la psychotechnique à la fin <strong>des</strong> années 1930 ouvrent la voie<br />

à une « industrialisation » <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychotechniques. Celle-ci prend deux directions :<br />

d’un côté <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> « comportementales » centrées sur l’observation du caractère individuel<br />

au cours d’épreuves standardisées (méthode Carrard), de l’autre <strong>des</strong> analyses factorielles qui<br />

permettent d’établir l’existence de facultés générales déterminant la réussite dans une gamme<br />

très large de métiers et non plus dans une activité précise (méthode Bonnardel). Cette dernière<br />

évolution, qui rapproche la psychotechnique de la méthode américaine <strong>des</strong> tests mentaux,<br />

permet la diffusion de la psychotechnique à une échelle qu’elle n’avait pu atteindre<br />

jusqu’alors.<br />

119 Parmi les entreprises ayant fait appel à Carrard entre 1935 et 1945 pour organiser leurs services de<br />

psychotechnique on trouve notamment : Michelin (Clermont-Ferrand), Alsthom, Merlin-Gerin (Grenoble),<br />

Péchinet, les Chantiers Penhoët (Nantes), l’ANIFRMO (future AFPA – Association pour la formation<br />

professionnelle <strong>des</strong> adultes).<br />

120 Arch Piéron, 520 AP 12<br />

194


CHAPITRE III<br />

L’AGE D’OR DES PSYCHOTECHNICIENS : EVOLUTION DES<br />

SAVOIRS ET MOUVEMENT DE PROFESSIONNALISATION<br />

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(1950-1970)<br />

195


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« A la sélection actuelle qui aboutit à détourner les plus<br />

doués de professions où ils pourraient rendre d’éminents<br />

services, doit se substituer un classement <strong>des</strong> travailleurs,<br />

fondé à la fois sur les aptitu<strong>des</strong> individuelles et les besoins<br />

sociaux »<br />

(Plan Langevin-Wallon, 1945)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La période de l’après guerre marque une étape fondamentale dans la<br />

professionnalisation de la psychotechnique. A bien <strong>des</strong> égards, cette période prolonge <strong>des</strong><br />

évolutions en gestation dans l’entre deux guerres. Sur le plan cognitif tout d’abord, on voit<br />

s’épanouir le paradigme positiviste qui s’était constitué au début du siècle. Celui-ci évolue,<br />

notamment grâce au recours à l’analyse factorielle, mais la ligne directrice demeure la même :<br />

la psychotechnique est avant tout scientifique et doit pour cela suivre les canons de la science<br />

expérimentale. Seule la recherche scientifique et expérimentale <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> permet une<br />

bonne adaptation de l’homme à son métier. Cet argument est répété à l’envi par <strong>des</strong><br />

psychologues comme Henri Piéron, Raymond Bonnardel ou Jean-Marie Faverge, qui<br />

apparaissent comme les gardiens d’un temple dont la cohérence interne importe parfois plus<br />

que les applications concrètes. Le deuxième élément qui traduit bien la continuité entre la<br />

psychotechnique <strong>des</strong> années 1950-1960 et celle de l’entre-deux guerres tient à sa position<br />

relative vis-à-vis du marché et de l’Etat. Nous avons vu qu’à la différence <strong>des</strong> Etats-Unis, la<br />

psychophysiologie du travail française cherchait davantage ses appuis auprès <strong>des</strong> pouvoirs<br />

publics (garants d’une bonne utilisation de la méthode) que d’un hypothétique « marché » de<br />

services psychologiques dans les milieux industriels. Cette tendance se poursuit également<br />

dans l’après guerre, puisque la psychotechnique parvient difficilement à s’institutionnaliser en<br />

dehors de la sphère publique et reste confinée au domaine de l’orientation professionnelle, du<br />

placement (services de sélection du ministère du travail) et aux services de recrutement <strong>des</strong><br />

gran<strong>des</strong> entreprises publiques. L’objectif s’infléchit toutefois par rapport à l’entre deux<br />

guerres. Dans les années 1900-1940, la psychotechnique s’inscrivait avant tout dans la<br />

perspective d’un hygiénisme humaniste : elle cherchait à éviter les déclassés sociaux et<br />

surtout la dégradation physiologique <strong>des</strong> travailleurs, qui résulterait d’une mauvaise<br />

197


utilisation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>. C’est avant tout l’équilibre physiologique « interne » du travailleur et<br />

l’utilisation optimale de ses énergies qui importaient. A partir de 1945, les usages sociaux de<br />

la psychotechnique s’infléchissent. Il s’agit plutôt d’assurer au mieux le plein emploi de la<br />

main d’œuvre, dans une perspective d’ajustement externe entre les ressources et les exigences<br />

de productivité de l’économie nationale. Le plan Langevin-Wallon (1945) fixe le mandat <strong>des</strong><br />

psychotechniciens : sélectionner les individus en vue d’adapter les qualifications aux besoins<br />

de l’économie moderne. Ainsi, la mise en place de services de psychotechnique par le<br />

ministère du travail ou dans les gran<strong>des</strong> entreprises publiques ne saurait être dissociée d’une<br />

représentation keynésienne du marché du travail, comme lieu de rencontre entre une offre et<br />

une demande de travail. La conséquence directe de cette évolution est la professionnalisation<br />

de l’activité de psychotechnicien dès le lendemain de la guerre, sous la tutelle <strong>des</strong> pouvoirs<br />

publics.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

A. DES SAVOIRS PSYCHOMETRIQUES PLUS EFFICACES : DU MEDECIN A L’INGENIEUR<br />

DES APTITUDES<br />

Dans quelle mesure peut-on dire que le début <strong>des</strong> années 1950 voit l’avènement en<br />

France d’une psychotechnique « industrialisée », par opposition à la psychotechnique<br />

« artisanale » qui était encore en vigueur dans l’entre-deux guerres ? En quoi cette évolution<br />

a-t-elle permis d’accélérer le mouvement de professionnalisation de la psychotechnique ?<br />

Pour comprendre la révolution théorique qui voit le jour au lendemain de la guerre, il n’est<br />

pas inutile de rappeler brièvement les principales lignes d’évolution <strong>des</strong> savoirs<br />

psychométriques <strong>des</strong> années 1910 aux années 1950. Auparavant, une précision<br />

terminologique s’impose. Les termes de psychométrie et de psychotechnique ne se<br />

confondent pas : alors que la première est tournée vers la mise au point d’outil de mesure <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong>, <strong>des</strong> comportements et <strong>des</strong> conduites (tests physiologiques, tests mentaux, tests de<br />

personnalité…), la seconde s’occupe <strong>des</strong> applications pratiques du savoir psychologique,<br />

principalement dans le domaine de l’orientation et de la sélection professionnelle (et est en ce<br />

sens synonyme de "psychologie appliquée"). Historiquement, la psychométrie est antérieure à<br />

la psychotechnique : les psychologues se sont en effet attachés à mesurer les aptitu<strong>des</strong><br />

psychologiques avant de songer à les appliquer à <strong>des</strong> questions pratiques : on pense ici aux<br />

recherches de Galton, de Binet ou de Cattell sur les différences individuelles à la fin du XIX e<br />

siècle, qui ne débouchèrent pas toujours sur <strong>des</strong> applications pratiques immédiates. Dans le<br />

même ordre d’idées, il y a <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychotechniques qui ne sont pas psychométriques<br />

198


(l’entretien, l’observation, les tests physiologiques…) et inversement tous les outils élaborés<br />

par la psychométrie ne sont pas utilisés en psychotechnique (tests <strong>des</strong>tinés aux mala<strong>des</strong><br />

mentaux par exemple). Nous distinguerons ici trois courants théoriques, qui ont guidé la<br />

théorie <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> au cours de la période 1910-1950 : la tendance empiriste (Münsterberg,<br />

Tramm, Rossolimo…), la tendance analytique (Lahy, Laugier, Pacaud…) et la tendance<br />

structurale (Bonnardel, Reuchlin…). On retrouve, au sein de ces trois tendances un opérateur<br />

commun : la notion d’"aptitude(s)", et c’est précisément de la définition donnée à celle(s)-ci<br />

que vont naître les divergences entre les psychotechniciens. Les différentes contributions<br />

théoriques ne se laissent pas toujours ranger de façon univoque sous l’une de ces étiquettes ;<br />

l’exposé que nous en ferons vise simplement à faire comprendre la ligne générale d’évolution<br />

<strong>des</strong> idées, afin de mieux situer la position de la psychotechnique en France au début <strong>des</strong><br />

années 1950.<br />

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1. La tendance empiriste 1<br />

Une première manière, assez intuitive, d’aborder les questions de sélection et<br />

d’orientation professionnelle consiste à déterminer les « aptitu<strong>des</strong> » nécessaires à l’exercice<br />

d’un métier (après l’avoir étudié de manière plus ou moins approfondie) et à mettre celles-ci<br />

en rapport avec <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> "naturellement" ancrées dans les individus. Dans cette<br />

perspective, il y aurait « une sorte de correspondance biunivoque entre un univers <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong> humaines et un univers <strong>des</strong> tâches professionnelles » 2 . On s’apercevra ainsi par<br />

exemple que le métier de conducteur de train requiert de bonnes aptitu<strong>des</strong> en matière d’<br />

« attention », soit par une étude de terrain approfondie (comme le fit Lahy), soit en<br />

interrogeant le supérieur hiérarchique sur les aptitu<strong>des</strong> nécessaires au métier (Münsterberg,<br />

Dill Scott). On recherche ensuite, grâce à un test approprié, les individus qui présentent une<br />

capacité d’attention satisfaisante et qui deviennent de ce fait aptes au métier de conducteur de<br />

train. Dans un cas comme dans l’autre, le sens donné au terme d’ « attention » ne diffère pas<br />

en profondeur de celui que lui donne le sens commun. Le problème de la définition<br />

psychologique de l’attention est en quelque sorte éludé et surtout, l’attention dont est capable<br />

l’individu est substantiellement identique à celle qui est en jeu dans le métier. Cette voie de<br />

recherche a donné lieu à <strong>des</strong> tentatives de systématisation à travers la notion de « profil<br />

1 D’autres auteurs ont qualifié cette tendance de « tendance dogmatique » (BONNARDEL, 1943) ou de « méthode<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> opérationnelles » (PALMADE, 1948). Nous l’appelons « tendance empiriste » pour bien souligner la<br />

confusion que fait cette méthode entre les représentations du sens commun sur les aptitu<strong>des</strong> et les représentations<br />

scientifiques.<br />

2 PAGES, 1964 [1961], p. 124<br />

199


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psychologique », introduite par Rossolimo en 1909, qui donne une liste de différents types<br />

d’aptitu<strong>des</strong> susceptibles d’être mobilisées dans les activités professionnelles, mesurées au<br />

moyen de tests appropriés : volonté, perception, mémoire visuelle, auditive et numérique,<br />

attention, compréhension, combinaison, adresse, imagination, observation… Les différentes<br />

aptitu<strong>des</strong> sont ensuite représentées sur un graphique unique qui permet de comparer<br />

rapidement les différents individus (le score à chaque épreuve étant représenté par un point).<br />

C’est de la même manière que procède le psychologue Julien Fontègne 3 , lorsqu’il met en<br />

rapport les aptitu<strong>des</strong> individuelles et celles requises par les différentes activités<br />

professionnelles et qu’il souligne la nécessité d’étudier ces deux dimensions séparément.<br />

Chez l’individu, elles sont explorées au moyen de tests ; au point de vue de la profession, il<br />

suffit de « déterminer le plus exactement possible les fonctions psychiques en jeu dans le<br />

processus de travail de la profession (attention, imagination, jugement etc.) » et de « faire<br />

ressortir quelles qualités morales sont indispensables pour l’exercer convenablement »<br />

(Fontègne, 1921, p. 89). Pour reprendre l’exemple de l’aptitude « attention », Fontègne<br />

distingue deux formes d’attention. L’attention concentrée, qui manifeste une capacité à se<br />

concentrer sur un seul objet, et qui est particulièrement recommandée dans les activités<br />

exigeant une grande concentration (chimiste ou ouvrier fondeur par exemple) ; et l’attention<br />

distribuée, qui révèle une aptitude à se diriger sur plusieurs objets à la fois et prédispose<br />

l’individu à un emploi de conducteur de tramway, qui, « pour éviter un danger, aura à<br />

manœuvrer <strong>des</strong> deux mains frein et manette » ou de téléphoniste, « dont l’attention devra se<br />

porter sur différents signaux lumineux » à la fois 4 .<br />

Une telle conception <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> révèle rapidement ses limites. D’une part, il y a<br />

une grande imprécision dans les termes utilisés, qui tient à la confusion entre le langage<br />

courant et le langage scientifique : que sont au juste ces aptitu<strong>des</strong> (intelligence, mémoire…) :<br />

que désignent-elles, sont-elles inscrites en tant que telles dans les individus ou révèlent-elles<br />

<strong>des</strong> processus d’interaction complexe entre différentes aptitu<strong>des</strong> élémentaires ? Existe-t-il<br />

entre elles une hiérarchie ? Sont-elles totalement indépendantes l’une de l’autre ou la réussite<br />

à l’une détermine-t-elle la réussite à toutes les autres ? Comme le souligne Bonnardel (1943,<br />

p. 133) :<br />

« Que penser de la tendance dogmatique qui voudrait résoudre le problème de<br />

l’adaptation de l’homme à son travail en déterminant d’abord les aptitu<strong>des</strong><br />

3 Instituteur de formation, Julien Fontègne (1878-1944) fut l’un <strong>des</strong> principaux organisateurs de l’orientation<br />

professionnelle en France dans les années 1920-1930, mais il s’intéressa assez peu aux questions de sélection<br />

professionnelle. Il fonda, avec Laugier et Piéron, l’INOP en 1928.<br />

4 FONTEGNE, 1921, p. 32<br />

200


nécessaires à l’exercice <strong>des</strong> métiers et en désignant ensuite <strong>des</strong> tests mesurant ces<br />

aptitu<strong>des</strong> ? C’est tout simplement deux sauts dans l’inconnu puisque d’une part on<br />

ignore à peu près tout <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> mentales et que d’autre part, a fortiori, on ignore<br />

ce que mesurent ces tests ».<br />

Sur le plan pratique, la méthode est longue et difficile à mettre en œuvre : il faut se livrer à<br />

une étude détaillée de chaque métier afin de dégager les principales aptitu<strong>des</strong> psychiques<br />

auxquelles il fait appel, mais où arrêter la liste ? L’idéal serait, comme le souligne Fontègne<br />

(1921, p. 93), « d’obtenir pour chaque profession la liste aussi complète que possible <strong>des</strong><br />

caractéristiques psychiques qui font la supériorité professionnelle d’un individu ». Cette visée<br />

exhaustive a donné lieu à une littérature abondante de « professiographies », que l’on trouve<br />

dans les mémoires de fin d’étu<strong>des</strong> <strong>des</strong> élèves de l’INOP ou dans certaines revues spécialisées.<br />

Les limites de cette tendance empiriste et le progrès <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> statistiques ont ouvert la<br />

voie, au début <strong>des</strong> années 1920, à une autre méthode psychométrique : la tendance analytique.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

2. La tendance analytique<br />

La principale caractéristique de la tendance analytique 5 par rapport à la tendance<br />

empiriste tient au fait qu’elle ne postule rien sur la nature réelle <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychologiques<br />

en jeu : celles-ci restent inaccessibles au psychologue et il lui est en général difficile de les<br />

nommer. En revanche, le psychotechnicien peut observer <strong>des</strong> corrélations statistiques entre la<br />

réussite à certaines épreuves psychologiques judicieusement choisies et <strong>des</strong> indicateurs de<br />

réussite professionnelle, ce qui peut le guider dans le choix <strong>des</strong> tests. C’est ainsi que procède<br />

Lahy dans ses recherches sur les conducteurs de tramways, mais aussi Piéron (lien entre<br />

réussite aux tests et résultats scolaire) ou Laugier (conducteurs de trains). Lahy fait par<br />

exemple passer à un échantillon-test de candidats une batterie d’épreuves psychométriques<br />

dont il suppose qu’elles ont un lien avec la réussite professionnelle et observe ensuite la<br />

corrélation entre les différentes épreuves et la réussite dans la profession, mesurée par les<br />

notations professionnelles attribuées par les supérieurs hiérarchiques. On établit ainsi la<br />

validité du test, c’est-à-dire sa pertinence par rapport à la sélection dans un emploi donné 6 , et<br />

l’on choisit sur cette base les tests qui serviront à la sélection <strong>des</strong> candidats. Au lieu de<br />

postuler d’emblée un lien entre deux séries d’aptitu<strong>des</strong>, la méthode procède par essai-erreur :<br />

« L’analyse provisoire du travail nous permet de déterminer les aptitu<strong>des</strong> psychomotrices<br />

qui semblent nécessaires aux bons machinistes [souligné par nous]. Nous<br />

5 Nous qualifions cette tendance d’ "analytique" car elle opère pour chaque profession une décomposition<br />

analytique <strong>des</strong> différentes aptitu<strong>des</strong> en jeu.<br />

6 La validité d’un test est définie par HUSSON (1937) comme le « degré de liaison qui existe entre le rendement<br />

du sujet dans l’épreuve et son rendement dans une autre activité (fonction mentale, travail professionnel etc.) que<br />

l’épreuve est censée mesurer ou prévoir »<br />

201


devons maintenant trouver les tests susceptibles de mesurer ces qualités, puis, en les<br />

appliquant à un assez grand nombre de machinistes de valeur différente, comparer<br />

notre classement psychotechnique ainsi obtenu au classement professionnel qui<br />

résultera de l’appréciation <strong>des</strong> chefs de service. Selon les corrélations que l’on<br />

pourra établir entre ces deux classements, nous jugerons de l’exactitude du choix <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong> psycho-motrices et de la valeur de la méthode par lesquelles les divers<br />

renseignements fournis par les tests sont combinés en vue du classement<br />

psychotechnique » (Lahy, 1927, p. 18)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Contrairement à la méthode précédente, qui naturalisait les aptitu<strong>des</strong>, celle de Lahy a<br />

l’avantage de ne formuler aucune hypothèse sur la nature <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> en jeu puisqu’elle<br />

passe, sans intermédiaire, <strong>des</strong> épreuves psychométriques au métier lui-même. Lahy se<br />

dispense parfois même de nommer les fonctions explorées chez les individus, en se contentant<br />

de les désigner par le test qui les mesure (« suggestibilité motrice », « attention diffusée »,<br />

« appréciation <strong>des</strong> vitesses »…). Il en va ainsi par exemple du test de « suggestibilité<br />

motrice » mis au point par Binet en 1901 et repris par Lahy dans ses expériences à la STCRP.<br />

Ce test se compose d’un appareil à deux manivelles reliées entre elles, dont l’une est maniée<br />

par l’examinateur et l’autre par le candidat. L’objectif est de mesurer la façon dont le candidat<br />

réagit aux impulsions motrices données par l’examinateur sur la manivelle. Lahy distingue<br />

trois réactions possibles : « soit le candidat suit exactement toutes les impulsions données par<br />

l’opérateur ; soit il continue les mouvement lorsque l’opérateur s’arrête (il "automatise") ; soit<br />

il résiste au mouvement donné (il "retient") » (ibid, p. 38). Un procédé d’inscription graphique<br />

permet de mesurer la réaction du candidat et d’établir ainsi un classement dont la forme<br />

générale est une courbe de Gauss. Le point important est que Lahy reconnaît lui-même qu’il<br />

ignore le type d’aptitude qui est mesurée précisément par ce test : « (…) quant à ce qui touche<br />

à la cause intime, physiologique, du phénomène, nous ne pouvons faire encore que <strong>des</strong><br />

hypothèses. Il nous semble que le sens tactile y a peu de part, les sensations musculaires et<br />

tendineuses en ont davantage. Mais nous pensons que les centres nerveux supérieurs jouent un<br />

rôle important dans l’appréciation <strong>des</strong> incitations motrices que le sujet reçoit de l’opérateur. »<br />

(ibid, p. 40) En revanche, en s’appuyant sur les statistiques d’accidents causés par les<br />

machinistes, Lahy est en mesure d’établir une corrélation entre la propension aux accidents et<br />

les résultats obtenus au test (les candidats qui "automatisent" ayant une propension plus forte<br />

à provoquer <strong>des</strong> accidents).<br />

La méthode analytique représente un progrès par rapport à la méthode empiriste,<br />

dans la mesure où elle permet d’échapper à la définition <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> en se plaçant, en<br />

apparence, sur un plan purement pragmatique. En apparence seulement, puisqu’on voit qu’en<br />

réalité les représentations spontanées sur les aptitu<strong>des</strong> nécessaires à un métier donné<br />

interviennent dans la phase initiale d’étude du travail, lorsque le psychotechnicien choisit le<br />

202


test qui lui semble le plus approprié. Bien qu’initiateur de cette méthode, Lahy lui-même<br />

n’échappe pas à ce travers, comme le souligne Ombredane dans un article intitulé<br />

« Organisons la psychotechnique » paru dans la Revue Française du Travail en 1946 :<br />

« Je crois qu’il est hasardeux de définir <strong>des</strong> tests d’aptitude par les fonctions<br />

mentales à la mesure <strong>des</strong>quelles on prétend les <strong>des</strong>tiner comme serait : test<br />

d’attention, test de mémoire brute, test de mémoire logique, test de compréhension<br />

etc. Je pense qu’il est plus sage de définir les tests en termes de comportement,<br />

comme on a défini les professions en terme de travail. Par exemple, au lieu de tests<br />

d’attention diffuse ou test d’attention concentrée [deux tests mis au point par Lahy à<br />

la STCRP, l’un au début <strong>des</strong> années 1920, l’autre en 1935], on dira test de réaction à<br />

une excitation élective, sans préjuger les moyens que le sujet peut mettre en œuvre<br />

dans ses réactions ». 7<br />

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Une autre difficulté de la méthode analytique porte sur les critères d’appréciation de<br />

la valeur professionnelle <strong>des</strong> candidats. Ceux-ci sont loin d’avoir la précision et la rigueur <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> psychotechniques. Or, c’est finalement sur ces bases fragiles que repose l’ensemble<br />

de l’édifice psychotechnique, puisque la validité <strong>des</strong> tests est toujours déterminée en fonction<br />

de leur corrélation avec <strong>des</strong> critères de réussite professionnelle. Tel test pourra être<br />

parfaitement fidèle (c’est-à-dire donner les mêmes résultats dans <strong>des</strong> épreuves successives) et<br />

avoir un pouvoir différentiateur 8 important, il sera totalement inutile si on ne parvient pas à le<br />

mettre en rapport avec <strong>des</strong> indicateurs fiables de réussite professionnelle. Si certains de ces<br />

indicateurs sont peu discutables (par exemple le nombre d’accidents annuels pour un<br />

chauffeur de tramway, ou les primes versées en fonction <strong>des</strong> résultats), d’autres semblent faire<br />

entrer une part de subjectivité plus importante chez l’évaluateur : notes professionnelles,<br />

classements réalisés par les supérieurs hiérarchiques etc. Comme le note Lahy (ibid, p. 200) :<br />

« les jugements que les chefs portent sur leurs subordonnés font toujours intervenir –<br />

consciemment ou non – <strong>des</strong> éléments psychologiques étrangers aux aptitu<strong>des</strong> que la<br />

psychotechnique cherche à mesurer. En outre, un chef – quelle que soit la précision de son<br />

esprit – juge par intuition autant que par raisonnement. Les jugements varient suivant son<br />

propre état psychologique et ses affirmations, qui ne reposent sur aucun élément objectif,<br />

restent incontrôlables ». Bonnnardel (1943) consacre également un chapitre entier de son<br />

ouvrage à critiquer les métho<strong>des</strong> d’évaluation par le supérieur hiérarchique, jugées peu<br />

fiables : « Chaque estimateur juge selon un point de vue personnel, sous une perspective qui<br />

7 OMBREDANE, 1946, p. 560<br />

8 Le pouvoir différentiateur d’un test est sa capacité à faire apparaître les différences individuelles entre les sujets<br />

examinés. Un test trop difficile, qui ne sera réussi que par un nombre réduit d’individus, a un faible pouvoir<br />

différentiateur entre les sujets moyens et mauvais, les deux se trouvant réunis dans un même groupe : il est peu<br />

« sensible » aux variations individuelles (de même, un test trop simple ne différencie pas suffisamment les bons<br />

sujets <strong>des</strong> moyens).<br />

203


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

lui est propre (…) le halo d’impression générale repose souvent sur <strong>des</strong> bases affectives. On<br />

juge fréquemment l’intelligence et le caractère d’un homme selon son comportement à votre<br />

égard ». On comprend que dans ces conditions, les tests psychotechniques tels que les conçoit<br />

la méthode analytique perdent une bonne partie de leur valeur. Sur quel repère concret de<br />

réussite professionnelle peuvent-ils s’appuyer dès lors que les évaluations fournies par les<br />

supérieurs hiérarchiques ne sont pas fiables ? La question est en général éludée par les<br />

psychotechniciens ou repoussée à <strong>des</strong> lendemains meilleurs, lorsque la méthode<br />

psychotechnique aura elle aussi pénétré les métho<strong>des</strong> de notation à l’école et dans la<br />

profession : « Le classement professionnel, dont on peut, à bon droit, mettre en doute la<br />

rigueur scientifique, n’est pas encore arrivé au point de perfectionnement où nous désirons le<br />

conduire ; mais la possibilité que donne la méthode de poursuivre sans arrêt l’analyse du<br />

travail par <strong>des</strong> techniques de plus en plus perfectionnées permet d’aboutir à une règle de<br />

classement professionnel tout à fait objective. Lorsque nous aurons atteint ce but, nos<br />

corrélations auront une valeur telle que nous pourrons établir sur <strong>des</strong> données certaines et<br />

définitives, le coefficient applicable à chaque test dans le classement général » (Lahy, op. cit.,<br />

p. 215). On touche ici aux limites de la méthode analytique qui, pour fonctionner<br />

correctement, doit s’appuyer sur un univers lui aussi entièrement métrologisé, d’où les<br />

prétentions hégémoniques de la méthode…<br />

On comprend mieux alors l’importance que revêtait la docimologie (étude <strong>des</strong><br />

examens et <strong>des</strong> procédures d’évaluation) chez <strong>des</strong> psychologues comme Laugier et Piéron :<br />

seules <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de notation fiables et standardisées pouvaient donner un soubassement<br />

solide aux métho<strong>des</strong> psychotechniques 9 . Mais la principale difficulté de la méthode analytique<br />

du point de vue de la professionnalisation de la psychotechnique ne réside pas dans cette<br />

faiblesse théorique. Elle tient surtout au fait qu’elle reste « artisanale » et est de ce fait<br />

difficilement généralisable. Il faut en effet établir, pour chaque métier, une batterie de tests<br />

chaque fois spécifiques et difficilement transposables à d’autres activités. Elle donne lieu elle<br />

aussi à de volumineuses professiographies détaillant les caractéristiques (physiques,<br />

psychologiques, caractérielles etc.) nécessaires à l’exercice d’un métier donné. Les<br />

psychologues s’appuient pour cela sur <strong>des</strong> listes de métiers irréductibles les uns aux autres,<br />

9 Sur les nombreuses expériences de docimologie menées dans les années 1930, voir notamment LAUGIER,<br />

PIERON et al. (1934) et les nombreuses notes consacrées par Piéron à ces questions dans ses « Chroniques<br />

docimologiques du BINOP ». L’argument vise bien entendu à montrer la supériorité <strong>des</strong> évaluations<br />

psychotechniques sur les évaluations scolaires, qui sont pour les auteurs pétries de subjectivité, mais surtout, elle<br />

est la condition de la cohérence interne du système psychotechnique, en lui donnant prise sur une réalité<br />

concrète.<br />

204


inscrits de toute éternité dans l’ordre du monde. Par ailleurs, comme dans la méthode<br />

précédente, il est difficile de savoir où arrêter la liste <strong>des</strong> tests pertinents. Comment s’assurer<br />

que toutes les dimensions ont été explorées ? Comment savoir si deux tests différents, ayant<br />

une forte corrélation avec la réussite professionnelle, ne mesurent pas en partie la même<br />

chose ? C’est à ces différentes questions que la méthode structurale entend apporter une<br />

réponse.<br />

3. La tendance structurale : une industrialisation de la méthode<br />

psychotechnique<br />

a) La découverte de l’analyse factorielle dans les tests<br />

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La principale innovation introduite par la tendance structurale 10 par rapport aux deux<br />

précédentes a consisté à utiliser les métho<strong>des</strong> d’analyse factorielle dans la détermination <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong> professionnelles. Les premières expérimentations dans ce domaine avaient été<br />

menées par le britannique Charles Spearman (1863-1945) au début du XX e siècle, dans ses<br />

recherches sur l’intelligence. Certains psychologues comme Galton ou Pearson s’étaient en<br />

effet aperçu depuis longtemps qu’il existait une corrélation étroite entre la réussite aux<br />

différentes épreuves psychométriques, suggérant par là l’existence d’un facteur commun<br />

déterminant la réussite <strong>des</strong> candidats à toutes les épreuves. L’apport de Spearman a été de<br />

systématiser les calculs de corrélation croisée entre les différents tests (par la méthode<br />

d’analyse factorielle), afin de mettre en évidence l’action d’un facteur commun à toutes les<br />

opérations psychologiques (appelé facteur "G" ou facteur général). Toute activité cognitive<br />

peut donc selon lui se décomposer comme combinant l’action de ce facteur général (« G ») et<br />

d’un facteur spécifique (« S »), la corrélation entre G et S étant nulle. L’approfondissement de<br />

la méthode de Spearman par Vernon et par Thurstone aux Etats-Unis, permit de mettre en<br />

évidence d’autres facteurs généraux que le « facteur G », et de hiérarchiser les différentes<br />

dimensions qui apparaissaient au terme de l’analyse factorielle (facteur verbal, numérique,<br />

pratique…). Ces facteurs se situent bien sûr tous sur <strong>des</strong> plans différents et la corrélation entre<br />

eux et le facteur d’intelligence générale est théoriquement nulle. Comme dans la méthode de<br />

Binet ou de Lahy, aucune hypothèse n’est formulée a priori sur la nature <strong>des</strong> facteurs euxmêmes<br />

et sur leur correspondance avec <strong>des</strong> facultés naturellement inscrites dans les individus.<br />

Comme l’écrit Thurstone (1947) : « Dans l’interprétation de l’esprit, nous supposons<br />

10 Nous qualifions cette méthode de "structurale" car elle tente de dégager, grâce à l’analyse factorielle, une<br />

"structure générale" <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> humaines. Voir sur ce point l’ouvrage de VERNON (1952), La structure <strong>des</strong><br />

205


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seulement que les phénomènes mentaux peuvent être identifiés en termes de fonctions<br />

distinctes, qui ne participent pas toutes également à chacune <strong>des</strong> choses que fait l’esprit (…)<br />

aucune hypothèse n’est faite sur la nature de ces fonctions, qu’elles soient innées ou acquises,<br />

qu’elles aient ou non <strong>des</strong> localisations cérébrales ».<br />

Les principaux facteurs mis en évidence par l’analyse factorielle mettent en jeu les<br />

capacités de calcul arithmétique simple ("facteur numérique"), la maîtrise du langage<br />

("facteur verbal"), la capacité de manipulation mentale d’objets dans l’espace ("facteur<br />

spatial"), la capacité de repérer <strong>des</strong> règles ou principes généraux dans une suite de données<br />

("facteur de raisonnement"). La mise en évidence de ces différentes dimensions présente un<br />

double avantage : par rapport à la méthode empiriste elle permet d’éviter de formuler <strong>des</strong><br />

hypothèses a priori sur la nature <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> humaines, s’éloignant ainsi de la vieille<br />

doctrine <strong>des</strong> "facultés" issue de la psychologie classique (l’esprit, le jugement, le<br />

raisonnement etc.). Par rapport à la méthode analytique, elle limite le champ <strong>des</strong> facteurs à<br />

explorer : il y a un nombre fini de facteurs qui interviennent (dans <strong>des</strong> combinaisons<br />

différentes) dans toutes les activités professionnelle, ce qui permet l’industrialisation de la<br />

méthode. Il n’est plus nécessaire de construire un test spécifique pour chaque activité<br />

professionnelle : les mêmes tests vont être utilisés, avec <strong>des</strong> pondérations différentes, dans<br />

toutes les professions. Ainsi, à la floraison de tests qui avaient vu le jour dans les années<br />

1930, se substitue un nombre plus limité d’épreuves "papier-crayon", visant chacune à<br />

mesurer <strong>des</strong> « facteurs généraux » différents : test <strong>des</strong> "matrices de Raven" pour l’intelligence<br />

concrète (créé en 1938), test <strong>des</strong> dominos (« D-48 ») pour l’intelligence générale (créé en<br />

1948), Batterie de Bonnardel (BV 16), pour la compréhension logique (créée en 1950). Il faut<br />

signaler également, parmi les tests les plus couramment utilisés à partir <strong>des</strong> années 1950 le<br />

TIG (Test d’intelligence générale), dérivé du test « Matrix », utilisé par l’Armée britannique<br />

pendant la seconde guerre mondiale.<br />

Une nouvelle entreprise spécialisée dans la traduction <strong>des</strong> tests américains vient<br />

concurrencer les EAP sur le marché <strong>des</strong> tests en 1946 : les ECPA (éditions du centre de<br />

psychologie appliquée). Au départ simple cabinet de conseil en organisation et en psychologie<br />

industrielle créé par l’ingénieur André Vidal (1908-1984), les ECPA développent rapidement<br />

un service d’édition et de vente de tests qui emploiera quelques psychologues de renom<br />

(Pierre Pichot, Pierre Rennes, Maurice de Montmollin…). L’évolution <strong>des</strong> publications<br />

scientifiques témoigne bien de cette nouvelle orientation prise par la psychotechnique. Dans<br />

aptitu<strong>des</strong> humaines.<br />

206


l’entre-deux guerres, les recherches physiologiques représentaient 40% <strong>des</strong> publications de la<br />

revue Le Travail Humain ; dans l’après guerre elles deviennent largement minoritaires et sont<br />

supplantées par <strong>des</strong> recherches statistiques et psychométriques qui occupent 50% <strong>des</strong><br />

publications de 1946 à 1959, traduisant bien les préoccupations du nouveau directeur de la<br />

revue : Raymond Bonnardel 11 .<br />

b) Des "métiers" aux "qualifications"<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La méthode d’analyse factorielle, importée <strong>des</strong> Etats-Unis par Bonnardel à la fin <strong>des</strong><br />

années 1930, connut très rapidement un grand succès en France 12 . Bonnardel la mit en œuvre<br />

dans son service de sélection psychotechnique <strong>des</strong> usines Peugeot 13 , où il réalisa les<br />

étalonnages de ses tests sur les différentes catégories de populations de l’entreprise (O.S.,<br />

ouvriers qualifiés, contremaîtres, cadres…), mettant en évidence <strong>des</strong> courbes différentes pour<br />

chacune d’entre elles. Il est intéressant de noter que la méthode ne s’appuie plus sur <strong>des</strong><br />

découpages de « métiers » définis a priori par <strong>des</strong> tâches immuables et irréductibles les unes<br />

aux autres, mais sur <strong>des</strong> catégories de classification définies au niveau de la branche ou de<br />

l’entreprise, ouvrant la voie à une gestion <strong>des</strong> flux de main d’œuvre à plus grande échelle.<br />

Bonnardel est ainsi le premier à avoir eu recours à <strong>des</strong> tests psychotechniques dans le<br />

recrutement d’OS, puisque jusqu’alors ces examens étaient réservés à <strong>des</strong> postes ayant <strong>des</strong><br />

exigences particulières (en matière de sécurité par exemple) ou renvoyant à une identité de<br />

métier bien définie. Dans d’autres entreprises, comme la SNECMA 14 , la psychotechnique est<br />

principalement utilisée pour assurer la promotion d’ouvriers qualifiés vers <strong>des</strong> postes de<br />

contremaîtres ou de cadres, en détectant chez les individus une capacité générale d’évolution<br />

professionnelle. Il ne s’agit donc plus, comme dans les années 1920-1930, d’assurer<br />

l’ajustement "naturel" entre <strong>des</strong> métiers et <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> ancrées dans les individus, mais de<br />

favoriser une évolution <strong>des</strong> individus dans une échelle hiérarchique :<br />

« La principale partie du travail dans les années 1950 c’était l’orientation pour les<br />

évolutions de carrière. Les recrutements, c’était au coup par coup quand ils avaient<br />

besoin… et c’était surtout <strong>des</strong> cadres à ce moment-là. Tandis que tout le reste, toute<br />

11 Bonnardel prit la direction de la revue en 1946, trois ans après la mort de Lahy. Laugier restera co-directeur<br />

jusqu’en 1951. Pour une analyse détaillée du contenu <strong>des</strong> 103 premiers volumes du Travail Humain, voir<br />

l’article de RESCHE-RIGON (1984), écrit pour le cinquantenaire de la revue.<br />

12 En réalité, comme le souligne REUCHLIN (1954, p. 215) les tests construits sur l’analyse factorielle arriveront<br />

en France avec une dizaine d’années de retard sur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui les avaient adoptés<br />

dès la fin <strong>des</strong> années 1920. L’empreinte de la physiologie demeure donc plus forte en Europe continentale que<br />

dans ces pays, ce qui est certainement à relier à la plus grande prégnance d’une représentation « corporelle » du<br />

travail humain.<br />

13 C’est d’ailleurs pour bien marquer sa différence vis-à-vis de l’approche de Lahy que Bonnardel nomma son<br />

laboratoire de Peugeot « laboratoire de psychométrie » et non « laboratoire de psychotechnique ».<br />

14 Entretien n°50 avec Mme Lavoëgie, élève de Bonnardel et ancienne psychotechnicienne pour la SNECMA<br />

207


l’évolution, c’était vraiment à partir <strong>des</strong> plus bas niveaux de qualification (…)<br />

Personnellement, j’ai dû commencer à m’occuper de la SNECMA dans les années<br />

50 et j’ai continué à travailler avec eux pendant plus de 20 ou 25 ans. Et j’ai fait<br />

énormément d’étu<strong>des</strong> avec eux, comme Bonnardel avait fait chez Peugeot… et <strong>des</strong><br />

promotions d’ouvriers professionnels à maîtrise, et de maîtrise à cadre. » (Entretien<br />

n°50, Paris, 2001)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Certaines administrations comme les PTT ou l’Armée font également appel à la<br />

psychotechnique dans le cadre de la mobilité interne. Aux PTT par exemple, l’évolution du<br />

service psychotechnique de 1945 au début <strong>des</strong> années 1960 souligne bien ce passage d’une<br />

conception analytique à une conception structurale <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> ainsi que le rôle<br />

progressivement dévolu à la psychotechnique dans le système de classification de l’entreprise.<br />

Le service est créé en 1945 (pour la région parisienne seulement) avec pour objectif d’orienter<br />

les nouveaux recrutés vers le métier qui correspond le mieux à leurs aptitu<strong>des</strong> psychophysiologiques,<br />

notamment pour les agents de catégorie C en s’appuyant sur <strong>des</strong> "profils<br />

psychologiques" assez semblables à ceux utilisés par Lahy dans les années 1930 15 . Il s’agit<br />

donc d’une véritable orientation professionnelle, en début de carrière, vers <strong>des</strong> types de<br />

métiers différents mais situés à un même niveau hiérarchique. A partir de 1962, le système est<br />

élargi à l’ensemble de du territoire 16 et devient davantage un instrument de sélection que<br />

d’orientation, visant à déterminer la capacité <strong>des</strong> agents déjà en poste à recevoir une<br />

promotion, notamment dans les services administratifs ou vers <strong>des</strong> fonctions plus valorisées<br />

que les postes d’exécution. L’évaluation par <strong>des</strong> tests – qui mettent davantage l’accent sur<br />

l’intelligence générale que les aptitu<strong>des</strong> psychophysiologiques – débouche sur un classement<br />

<strong>des</strong> employés <strong>des</strong> PTT en trois catégories : "aptes", "aptes avec réserves", "inaptes". La<br />

rigidité du classement est accrue par le fait que les personnes classées inaptes ne peuvent<br />

demander leur mutation pendant un délai de cinq ans, date à partir de laquelle ils pourront de<br />

nouveau se présenter à l’examen psychotechnique 17 .<br />

c) Psychotechnique et formation professionnelle <strong>des</strong> adultes : l’âge<br />

d’or de la méthode à l’ANIFRMO<br />

On note une évolution similaire vers la méthode structurale dans les centres de<br />

sélection psychotechnique de l’ANIFRMO 18 (future AFPA) à partir de 1948, grâce à la mise<br />

15 Voir figure II-2, annexe 2 « profil type <strong>des</strong> guichetiers PTT ».<br />

16 Le service compte alors une quarantaine de psychotechniciens, répartis dans trois centres régionaux : Paris,<br />

Montpellier et Nantes<br />

17 En 1978, les anciennes catégories (« apte », « inapte »…) sont remplacées par <strong>des</strong> expressions plus<br />

impersonnelles : « avis favorable », « avis plutôt favorable » et « avis défavorable ».<br />

18 ANIFRMO : Association Nationale Interprofessionnelle pour la Formation Rationnelle de la Main d’œuvre.<br />

Cette association tripartite composée de représentants <strong>des</strong> associations patronales, <strong>des</strong> organisations de salariés et<br />

208


au point <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’analyse factorielle par l’équipe du CERP (centre d’étu<strong>des</strong> et de<br />

recherches psychotechniques), dirigée alors par le statisticien Jean-Marie Faverge. Au<br />

lendemain de la guerre, Les stagiaires, après un stage de six mois dans ces centres de<br />

formation et un examen final, sortaient avec une qualification professionnelle. Pour y entrer,<br />

les stagiaires devaient, au préalable, passer un examen psychotechnique. Jusqu’alors, la<br />

méthode en vigueur à l’ANIFRMO, inspirée de la méthode Carrard, avait mis l’accent sur<br />

l’entretien clinique et l’observation du candidat en situation d’examen. Cette méthode est<br />

abandonnée en 1948, à la suite d’une étude psychométrique réalisée par Faverge et un chargé<br />

d’étude du CERP (Francis Baud), qui invalide la méthode Carrard sur la base d’une enquête<br />

comparative menée auprès de 72 stagiaires. Le Ministère du travail entérine ces décisions<br />

dans une circulaire du 15 février 1950 diffusée à l’ensemble <strong>des</strong> services de sélection :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Les étu<strong>des</strong> faites depuis deux ans par le CERP ont conduit à l’abandon pur et<br />

simple de la méthode dérivée de la technique de Carrard, précédemment employée<br />

par les centres de sélection. De l’aveu même de son auteur (Carrard, juin 1948) la<br />

méthode ne donnait, dans les cas les plus favorables, que 20% de succès. Tous les<br />

organismes mondiaux qui s’occupent de sélection ont peu à peu abandonné les<br />

procédés de sélection basés sur l’étude exclusive du comportement apparent »<br />

Comme dans l’entreprise Peugeot, le développement <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychométriques à<br />

l’ANIFRMO se fonde sur l’idée que la sélection vers les formations d’adultes doit se faire<br />

non en fonction d’aptitu<strong>des</strong> spécifiques à chaque métier, mais en fonction d’une capacité<br />

générale d’apprentissage, ce qui dénote une nette évolution par rapport aux conceptions de<br />

l’entre-deux guerres. Cette évolution est exprimée clairement par l’un <strong>des</strong> responsables de la<br />

FPA 19 au Ministère du travail en 1951 :<br />

« Il faut souligner du point de vue sélection un aspect de la FPA qu’on oublie trop<br />

souvent : cette formation exige, pour être suivie, avec fruit, un niveau intellectuel<br />

minimum. Les "seuils" de la sélection déterminent ce minimum indispensable. C’est<br />

la raison pour laquelle <strong>des</strong> candidats se trouvent éliminés bien qu’à longue échéance<br />

ils seraient capables de tenir convenablement le poste dans le métier considéré. Il<br />

n’est pas possible de sacrifier l’ensemble d’une classe pour un élément dont la<br />

compréhension trop lente ne peut s’adapter au rythme d’une formation en six mois »<br />

(ROSSIGNOL, 1951, p. 290, souligné par nous)<br />

L’utilisation massive du test « mécanique » (M) par les psychotechniciens de l’ANIFRMO à<br />

partir de 1948 révèle bien cette orientation. Ce test "papier-crayon" permet d’évaluer les<br />

capacités d’apprentissage <strong>des</strong> individus à l’utilisation d’outils ou de procédés mécaniques.<br />

du Ministère du travail organisa la formation professionnelle <strong>des</strong> adultes au lendemain de la guerre. Elle<br />

comprenait, à côté <strong>des</strong> centres de formation, <strong>des</strong> « services de sélection » (placés sous la tutelle directe du<br />

Ministère du Travail depuis 1938) <strong>des</strong>tinés à sélectionner les adultes vers les formations appropriées grâce aux<br />

métho<strong>des</strong> psychotechniques. Les stagiaires, après un stage de six mois dans ces centres de formation et un<br />

examen final, sortaient avec une qualification professionnelle.<br />

209


L’apparition de ces nouveaux tests facilite considérablement la tâche du psychotechnicien et<br />

rend sa méthode plus attractive pour les industriels : d’une part les tests peuvent être passés<br />

collectivement, ce qui évite d’avoir à mobiliser un psychotechnicien pour chaque candidat<br />

comme c’était le cas pour les tests psychomoteurs de Lahy ; d’autre part la standardisation de<br />

la méthode est plus grande au niveau <strong>des</strong> consignes, du temps de passation et de la correction<br />

<strong>des</strong> tests. Parallèlement, la psychotechnique entend jouer un rôle dans les régulations<br />

publiques du marché du travail : l’orientation et la sélection professionnelle ne doivent plus<br />

seulement tenir compte <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> ou de la vocation de chacun, mais <strong>des</strong> possibilités<br />

d’emploi dans les différentes professions et <strong>des</strong> besoins d’une économie nationale tout entière<br />

tournée vers la productivité. Comme le note encore Rossignol (ibid, p. 290) :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« La sélection ne doit jamais perdre de vue les débouchés. Trop souvent <strong>des</strong> jeunes<br />

gens ou <strong>des</strong> hommes aimeraient exercer un métier, qui se révèle encombré et<br />

risquerait de les réduire au chômage. Le sélectionneur doit avertir les candidats de ce<br />

fait, leur faire comprendre pourquoi la FPA a supprimé ou supprime l’enseignement<br />

de ces branches et les amener si possible vers un métier où, à l’issue de son stage, ils<br />

pourront trouver du travail »<br />

d) Un nouveau "marché" de l’évaluation : les cadres<br />

Les applications de la méthode psychotechnique s’étendent également à l’autre<br />

extrémité de l’échelle, vers les professions intellectuelles et les emplois de cadres alors que<br />

jusqu’au milieu <strong>des</strong> années 1940, la sélection aux emplois de cadres avait été peu pratiquée<br />

par les psychotechniciens. Il y a à cela plusieurs raisons. D’une part, comme on l’a vu, les<br />

tests élaborés par les psychotechniciens français dans l’entre deux guerres mettaient<br />

principalement en jeu <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psycho-physiologiques et étaient par conséquent peu<br />

adaptés à l’orientation vers <strong>des</strong> emplois de cadres, qui ne faisaient que faiblement appel à <strong>des</strong><br />

dimensions physiologiques. Les tests mentaux et de QI, largement diffusés aux Etats-Unis<br />

dans l’entre deux guerres, restaient peu exploités en France. L’autre raison de la faible<br />

diffusion de la psychotechnique en direction <strong>des</strong> cadres dans l’entre-deux guerres tient à <strong>des</strong><br />

facteurs sociaux : l’orientation professionnelle est née en partie de la crise de l’apprentissage 20<br />

et de la nécessité d’orienter les enfants issus de l’enseignement primaire et technique vers <strong>des</strong><br />

professions principalement manuelles. La question du chômage <strong>des</strong> cadres et <strong>des</strong> diplômés ne<br />

se posera que plus tard, au milieu <strong>des</strong> années 1930, et conduira à la création en 1932 par<br />

19 Formation Professionnelle <strong>des</strong> Adultes<br />

20 L’abolition par les révolutionnaires du système corporatif (décret d’Allarde de 1791) a entraîné un déclin de<br />

l’apprentissage tout au long du XIX e siècle ; ce processus s’est ensuite accéléré avec l’accroissement de la<br />

division du travail et l’apparition de la grande industrie à la fin du siècle. L’orientation professionnelle apparaît<br />

comme une manière de remettre l’apprentissage au goût du jour, en le construisant sur <strong>des</strong> bases plus<br />

210


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Alfred Rosier d’une structure parallèle à l’INOP 21 , <strong>des</strong>tinée non pas à l’orientation <strong>des</strong> élèves<br />

issus <strong>des</strong> ordres d’enseignement primaire et technique, mais à ceux de l’enseignement<br />

secondaire et supérieur : le BUS (Bureau Universitaire de la Statistique), qui deviendra<br />

l’ONISEP en 1970 22 . Il y aura là un autre foyer de diffusion de la psychologie appliquée en<br />

France, construit sur <strong>des</strong> bases sensiblement différentes de celles en vigueur à l’INOP et<br />

partiellement en concurrence avec cet organisme 23 . Après cette phase de balbutiement, les<br />

années 1950 verront se multiplier les applications de la psychotechnique en direction <strong>des</strong><br />

cadres, en s’appuyant sur les batteries de tests construites par Bonnardel 24 , mais également sur<br />

les nombreux tests de personnalité importés <strong>des</strong> Etats-Unis au cours de cette période.<br />

En dépit <strong>des</strong> progrès réalisés, un certain nombre de problèmes techniques ne sont<br />

toujours pas résolus, ce qui freine la diffusion de la méthode et ouvre la voie à <strong>des</strong> professions<br />

concurrentes sur le marché de l’évaluation et de la sélection professionnelle (graphologues et<br />

<strong>ingénieurs</strong> principalement). D’une part, les métho<strong>des</strong> d’analyse factorielle permettent<br />

d’éliminer les tests qui mesurent éventuellement le même facteur, mais elle ne règle pas le<br />

problème de la corrélation entre les tests et les critères de réussite professionnelle du candidat.<br />

La nouvelle méthode, telle qu’elle est proposée par Bonnardel, suppose en effet de s’appuyer<br />

– comme la précédente – sur <strong>des</strong> notations professionnelles dont on a vu l’extrême fragilité 25 :<br />

« La note psychométrique est établie progressivement (…) d’une part à l’aide de<br />

recoupements avec les résultats professionnels (…) d’autre part, en utilisant les métho<strong>des</strong><br />

d’analyse factorielle pour dégager le groupement <strong>des</strong> tests et apprécier les saturations <strong>des</strong> tests<br />

dans les facteurs mis en évidence » (Bonnardel, 1948). D’autre part, si le passage aux<br />

analyses factorielles et aux tests mentaux permet une certaine industrialisation de la méthode<br />

psychotechnique, elle tend à détourner celle-ci du projet social humaniste qui l’animait dans<br />

"rationnelles" (voir HUTEAU et LAUTREY, 1979, pp. 6-7).<br />

21 La prise de conscience <strong>des</strong> problèmes posés par le chômage <strong>des</strong> intellectuels et « l’encombrement <strong>des</strong><br />

professions libérales » émerge progressivement au tournant <strong>des</strong> années 1930, sous l’impulsion notamment <strong>des</strong><br />

ouvrages de GOBLOT (1925) et ROSIER (1934).<br />

22 Sur l’histoire du BUS et de la place de la psychologie différentielle au sein de cet établissement voir DANVERS<br />

(1990)<br />

23 Il y eut en particulier une querelle très vive dans les années 1950 entre Piéron et Rosier sur la question de<br />

savoir qui, <strong>des</strong> psychologues du BUS ou <strong>des</strong> conseillers d’orientation professionnelle titulaires du diplôme<br />

d’Etat, était habilité à assurer l’orientation <strong>des</strong> élèves <strong>des</strong> lycées. Sur ce point voir Arch. INOP "Fonds André<br />

Caroff, A4.1 – Statut <strong>des</strong> conseillers-psychologues"<br />

24 Pour un exemple <strong>des</strong> applications de la méthode Bonnardel au public <strong>des</strong> cadres, voir l’ouvrage d’une élève de<br />

Bonnardel : Madeleine LAVOËGIE, 1974, La sélection <strong>des</strong> cadres (coll. « Que Sais-je ? »)<br />

25 BONNARDEL (1946) s’était lui-même livré à <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> docimologiques sur les notations professionnelles et<br />

avait montré la difficulté d’établir une notation de type analytique, qui distingue clairement différents critères<br />

d’évaluation. Un "effet de halo" semble au contraire jouer très fortement dans toutes les évaluations réalisées par<br />

les supérieurs hiérarchiques en entreprise, ce qui rend difficile la mesure de corrélations entre <strong>des</strong> tests et <strong>des</strong><br />

notes professionnelles situées sur <strong>des</strong> plans différents.<br />

211


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les années 1930, en accordant une primauté exclusive au facteur « g ». De fait, dans les<br />

années 1950, la psychotechnique se transforme rapidement en une pure méthode de<br />

classement unidimensionnelle, en contradiction avec le projet <strong>des</strong> psychotechniciens de<br />

l’entre-deux guerres qui insistaient au contraire sur le caractère multidimensionnel <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong>, et la possibilité d’une compensation mutuelle entre les différentes aptitu<strong>des</strong>. A<br />

partir du moment où l’on reconnaît qu’un facteur d’ "intelligence générale" conditionne la<br />

réussite dans tous les domaines, la voie est ouverte à une sélection d’inspiration nettement<br />

plus darwinienne que celle que pratiquaient Lahy, Pacaud ou Piéron. C’est bien d’un<br />

changement de regard qu’il s’agit : alors que dans les années 1920-1930, les<br />

psychotechniciens portaient un regard essentiellement clinique et médical sur le travail et sur<br />

les aptitu<strong>des</strong>, les années 1950 sont davantage marquées par la métaphore du psychotechnicien<br />

comme « ingénieur <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> », capable de mesurer un matériau humain fait d’une pâte<br />

uniforme et comprenant un nombre fini d’aptitu<strong>des</strong>. Du même coup, la psychotechnique<br />

déserte le terrain de l’analyse concrète du travail pour s’enfermer dans <strong>des</strong> travaux statistiques<br />

de laboratoire, s’attachant à mettre en évidence les corrélations entre l’appartenance à telle ou<br />

telle catégorie de personnel et les résultats aux tests. C’est ainsi que procède Bonnardel chez<br />

Peugeot ou au laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE, dont il avait pris la direction<br />

en 1941 succédant à Lahy. Suzanne Pacaud, à qui cette évolution n’avait pas échappé écrivait<br />

ainsi en 1954 : « Nous assistons aujourd’hui (…) à ce fait inquiétant que l’extension<br />

extrêmement rapide <strong>des</strong> applications psychotechniques aboutit à l’abandon par certains<br />

psychotechniciens de l’analyse du travail » (Pacaud, 1954a, p. 580). On ne voit plus alors très<br />

bien quels sont les soubassements théoriques et psychologiques de cette psychotechnique de<br />

l’après-guerre, dès lors qu’elle a perdu tout lien avec l’étude expérimentale du travail.<br />

On voit ainsi se construire, à la fin <strong>des</strong> années 1940 et au début <strong>des</strong> années 1950, une<br />

nouvelle articulation entre les savoirs psychotechniques et un besoin social en matière de<br />

classement et d’orientation de la main d’œuvre, qui s’inscrit pleinement dans le cadre de la<br />

« convention keynésienne de plein emploi » (Salais, Reynaud et Baverez, 1986) mise<br />

progressivement en place dans l’après guerre. Celle-ci s’appuie sur une représentation macroéconomique<br />

du marché du travail comme lieu d’ajustement, ou plutôt d’emboîtement, entre<br />

une offre et une demande de travail. La psychotechnique n’est plus cet instrument de<br />

"prophylaxie sociale" qu’avaient voulu Toulouse, Lahy et Laugier, mais un outil tourné vers<br />

la productivité nationale, <strong>des</strong>tiné à sélectionner les salariés les plus aptes à être promus dans<br />

<strong>des</strong> grilles de classification standardisées, ou susceptibles d’être orientés vers les secteurs de<br />

212


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l’économie souffrant d’un déficit de main d’œuvre. Elle devient, notamment à l’ANIFRMO,<br />

un outil de correction, à la marge, <strong>des</strong> pénuries sectorielles en main d’œuvre qualifiée. Les<br />

transformations cognitives et socio-économiques participent d’un même mouvement : à la<br />

différenciation "horizontale" par métiers qui prévalait dans l’entre deux guerres, se substitue<br />

progressivement une différenciation "verticale" par niveau de classification et par emplois ;<br />

aux évaluations multidimensionnelles de Lahy se substituent les évaluations<br />

unidimensionnelles de Bonnardel. L’analyse factorielle, qui met l’accent sur les capacités<br />

générales <strong>des</strong> travailleurs, facilite cette transformation de la psychotechnique en outil de<br />

classement et apporte une réponse aux problèmes économiques et sociaux du moment<br />

(promotion sociale, productivité…). On voit donc que cette codification accrue <strong>des</strong> savoirs<br />

psychotechniques ne tient pas seulement au travail rhétorique que la profession réalise sur<br />

elle-même en vue de fermer son marché du travail et de faire valoir ses compétences ; elle<br />

tient aussi à une évolution de la fonction sociale occupée par la psychotechnique au<br />

lendemain de la guerre et à <strong>des</strong> évolutions socio-économiques plus larges. Il ne faut pas<br />

négliger non plus dans ces changements l’évolution interne de la science psychotechnique.<br />

Les progrès <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> statistiques d’analyse factorielle, importées <strong>des</strong> Etats-Unis et de<br />

Grande-Bretagne, jouent notamment un grand rôle dans le passage d’une psychotechnique<br />

artisanale à une psychotechnique industrielle. Compte tenu du poids de ces évolutions<br />

scientifiques et socio-économiques, la profession de psychotechnicien, qui s’organise<br />

progressivement au tournant <strong>des</strong> années 1950, n’apparaît pas comme le simple produit de sa<br />

propre action collective, mais davantage comme l’écume, la partie émergente d’évolutions<br />

plus profon<strong>des</strong> (sociales, économiques, scientifiques) qu’elle ne maîtrise pas entièrement.<br />

B. LE PAYSAGE ASSOCIATIF DE LA PSYCHOTECHNIQUE AU TOURNANT DES ANNEES<br />

1950 : DIVERSITE DES VOIES DE LA PROFESSIONNALISATION.<br />

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les formations de psychotechniciens<br />

étaient restées faiblement organisées dans l’entre-deux guerres et qu’elles s’étaient<br />

développées dans <strong>des</strong> institutions situées en marge de l’université : le CNAM, l’INOP et<br />

l’Institut de Psychologie. Les rares titulaires d’un diplôme de l’un de ces établissements<br />

n’avaient en général pas trouvé à s’employer comme psychologues du travail, soit parce qu’ils<br />

étaient de nationalité étrangère et étaient retournés dans leur pays d’origine 26 , soit parce qu’ils<br />

26 Rappelons que les étudiants de nationalité étrangère représentaient 60% du public de l’Institut de psychologie<br />

et environ 30% du public de la chaire de Laugier au CNAM dans l’entre deux guerres.<br />

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étaient simplement venus y chercher une formation complémentaire à une activité principale<br />

située en dehors de la psychotechnique (médecins, assistantes sociales, enseignants…). Seule<br />

l’INOP a fourni à ses diplômés quelques débouchés dans la psychologie industrielle au cours<br />

de la période : selon une enquête réalisée par Piéron en 1946, environ 10% <strong>des</strong> diplômés de<br />

l’INOP entre les deux guerres (1928-1945) exerçaient dans la psychotechnique 27 , la grande<br />

majorité travaillant dans les services d’orientation professionnelle de l’Education nationale.<br />

Qui se déclare alors « psychotechnicien » au lendemain de la guerre ? De même que<br />

sur le plan <strong>des</strong> outils scientifiques, les années 1945-1950 marquent un tournant important du<br />

point de vue de la construction d’un "marché du travail" de psychotechniciens. Au cours de<br />

cette période, le monde de la psychotechnique reste très composite, et fait cohabiter <strong>des</strong><br />

personnes aux profils sociaux très différents. S’il n’y a pas encore de trajectoire obligée pour<br />

accéder à la profession, on peut néanmoins essayer de dégager trois grands types de modèles :<br />

un modèle "savant", un modèle "militant" et un modèle "libéral-marchand". Chacun de ces<br />

modèle correspond à <strong>des</strong> formes d’action collective particulières : associations savantes dans<br />

le premier cas (l’APPD), syndicat de travailleurs dans le second (Psychotechniciens CGT,<br />

CFDT-psychotechhniciens), syndicat libre ou "chambre professionnelle" dans le dernier cas<br />

(Chambre syndicale <strong>des</strong> conseils en psychologie du travail, Syndicat national <strong>des</strong><br />

psychologues praticiens diplômés) 28 . Mais surtout, les schémas de professionnalisation suivis<br />

par ces différents groupes divergent fortement. Dans les deux premiers cas (modèle savant et<br />

modèle militant), c’est auprès de l’Etat que la profession va chercher <strong>des</strong> appuis, en tentant de<br />

défendre un modèle de professionnalisme bureaucratique qui se développe à l’abri de l’Etat.<br />

Dans cette perspective, la science est perçue comme un bien universel mis au service de tous<br />

les citoyens ; elle doit pour cela être étroitement contrôlée par l’Etat, soit parce que les<br />

professionnels sont <strong>des</strong> fonctionnaires, soit par <strong>des</strong> mesures de certification délivrées par une<br />

autorité supérieure. Dans le second cas de figure (modèle libéral-marchand), les<br />

professionnels se perçoivent avant tout comme <strong>des</strong> marchands vendant un service accrédité au<br />

client le plus offrant. L’accréditation dont il est ici question ne fait pas référence à une<br />

quelconque instance supérieure (l’Etat, le monde académique) mais elle est immanente à la<br />

communauté qui définit et contrôle elle-même la validité <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> employées 29 . On<br />

27 Arch. Piéron, 520 AP 12 – « Statistiques INOP »<br />

28 Pour un panorama synthétique <strong>des</strong> différentes associations professionnelles de psychotechniciens au tournant<br />

<strong>des</strong> années 1950, voir tableau II-6, annexe 2.<br />

29 On retrouve ici une opposition entre deux modèles d’acquisition de statut fréquemment soulignés par la<br />

sociologie <strong>des</strong> professions anglo-saxonne : « modèle de la charge bureaucratique » d’un côté (bureaucratic<br />

office-holders) et « modèle de certification marchande » de l’autre (licensed market-monopolizers). Sur ce point<br />

214


comprendra mieux alors, par l’identification de ces différents segments, le sens du travail<br />

d’unification qui s’opère au début <strong>des</strong> années 1950 à travers la création d’un "diplôme d’Etat<br />

de psychotechnicien" par le ministère de l’Education nationale.<br />

1. Le modèle savant : l’A.P.P.D.<br />

Le premier segment de la profession de psychotechnicien au tournant <strong>des</strong> années<br />

1950 se caractérise par sa proximité avec le monde académique et l’identification à un modèle<br />

de "service public". Ce qui prime ici est avant tout la compétence technique <strong>des</strong> praticiens et<br />

leur équivalence avec <strong>des</strong> titres universitaires. Ce segment insiste aussi sur l’autonomie de la<br />

psychotechnique vis-à-vis <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> du monde commercial ou industriel, héritant par là<br />

de la tradition psychotechnique de l’entre deux guerres, qui se veut d’une neutralité<br />

irréprochable vis-à-vis <strong>des</strong> pressions du patronat ou <strong>des</strong> salariés.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

a) Des professionnels « sérieux et diplômés »<br />

Une association professionnelle : l’APPD – Association professionnelle <strong>des</strong><br />

psychotechniciens diplômés – est particulièrement représentative <strong>des</strong> orientations de ce<br />

« modèle savant ». L’APPD a été créée en 1947, à l’initiative de Suzanne Pacaud, qui avait<br />

mené <strong>des</strong> démarches auprès de Piéron dès 1946 en vue de protéger les psychotechniciens<br />

« sérieux et diplômés » face à la multiplication « d’officines privées de psychotechnique » qui<br />

prétendaient réaliser de la sélection de personnel sans formation scientifique préalable 30 .<br />

Reuchlin fait état <strong>des</strong> mêmes préoccupations l’année suivante, dans un article resté célèbre sur<br />

« Le métier de psychotechnicien : son objet, son organisation, sa morale professionnelle ». Il<br />

écrit que « les psychotechniciens sont conscients du danger que font courir au public, et à leur<br />

profession même, les charlatans qui usurpent leur titre et emploient <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> dépourvues<br />

de toute valeur scientifique » (Reuchlin, 1948, p. 414). Au départ Piéron se montre<br />

relativement méfiant, comme le rappelle l’une <strong>des</strong> fondatrices de l’association :<br />

« Je me rappelle avoir présenté le projet à Piéron. D’abord il était un peu hésitant.<br />

Disons qu’il y avait tellement de gens qui faisaient parler d’eux, qui n’avaient<br />

aucune formation en psychologie mais qui disaient faire du recrutement en disant<br />

qu’ils faisaient de la psychologie, qu’il craignait un petit peu qu’on prenne ces genslà<br />

dans l’association. (…) Mais je me rappelle que nous lui avions apporté une liste<br />

de gens que nous pensions toucher pour les premières réunions de l’association, et<br />

voir COLLINS (1990, p. 18) et EVETTS et SVENSSON (2003, p. 6). Voir également la distinction faite par WEBER<br />

(1995 [1971], p. 202) entre « métiers obligatoires » où la « contrainte se fait par recrutement obligatoire dans le<br />

cadre d’un groupement princier, étatique, seigneurial ou communal » et le modèle du « libre choix du métier »<br />

caractérisé par « l’offre couronnée de succès de prestations professionnelles sur le marché du travail ou par<br />

acceptation de candidature pour un poste "libre" »<br />

30 Voir sur ce point Arch. Piéron 520 AP 12 – correspondance entre Pacaud et Piéron, lettre reproduite document<br />

II-1, annexe 2.<br />

215


dès qu’il l’a vue, il a été tout à fait d’accord parce que c’était <strong>des</strong> gens qui avaient<br />

une formation soit par l’INOP, soit par l’Institut de Psychologie, soit par les deux en<br />

général » (entretien n°54)<br />

Piéron accepte donc finalement de parrainer l’association, qui voit le jour en 1947.<br />

On trouve parmi les fondateurs de l’association Suzanne Pacaud, Jean-Marie Faverge (agrégé<br />

de mathématiques, alors chargé d’étude au CERP), Nelly Xydias (diplômée de l’INOP et<br />

psychotechnicienne à la SNECMA), Colette Benassy-Chauffard (Secrétaire générale de<br />

l’INOP) et Pierre Rennes (diplômé de l’Institut de psychologie et directeur du Centre de<br />

Psychologie Appliquée). L’association comprend également un prestigieux comité d’honneur<br />

dans lequel apparaissent les grands noms de la psychologie appliquée de l’après-guerre :<br />

Henri Piéron, Henri Wallon, Raymond Bonnardel et Alfred Fessard. La philosophie générale<br />

de l’association est clairement exprimée dans le préambule de 1947 :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Il importe que les usagers soient informés sur les possibilités mais aussi sur les<br />

limites de la psychotechnique. En effet, en présence de la multiplicité et de la<br />

diversité <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> proposées, les administrateurs et les chefs d’entreprises<br />

restent souvent perplexes. La facilité de certains procédés qui flattent l’imagination<br />

les séduit parfois davantage que l’aridité <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> scientifiques rigoureuses.<br />

L’APPD est à la disposition de tous ceux qui désirent utiliser la psychotechnique » 31<br />

Comme le précisent ses statuts, l’APPD se situe à mi-chemin entre une association<br />

savante et une association de défense professionnelle. Sur le plan professionnel, elle se donne<br />

pour but d’assurer « la défense <strong>des</strong> intérêts matériels et moraux de la profession » ainsi que<br />

« la sauvegarde et l’amélioration du niveau professionnel ». Sur le plan scientifique, elle vise<br />

à permettre « le développement <strong>des</strong> applications de la psychologie sur le plan théorique et<br />

pratique » et organise au cours <strong>des</strong> années 1950 un certain nombre de journées d’étu<strong>des</strong><br />

autour de thèmes tels que « la sécurité routière », la « validation <strong>des</strong> tests », les « syndicats et<br />

la psychotechnique »…<br />

b) Une nouvelle génération de praticiens<br />

Le niveau requis pour être membre de l’APPD est relativement exigeant puisqu’il<br />

faut avoir suivi une formation universitaire d’au moins trois ans dans le domaine de la<br />

psychologie appliquée 32 , ce qui exclut d’emblée nombre de psychotechniciens formés "sur le<br />

tas" et qui exerçaient sans diplôme depuis la guerre (voir infra).<br />

31 AN – CHAN F 17 17940 « Diplôme d’Etat de psychotechnicien »<br />

32 Les diplômes exigés à l’entrée de l’APPD étaient les suivants : un diplôme d’enseignement supérieur au moins<br />

équivalent à la licence complété par l’un <strong>des</strong> diplômes suivants : 1) diplôme de psychologie appliquée de<br />

l’Institut de psychologie ou 2) deux autres diplômes de l’Institut ou 3) diplôme de conseiller d’orientation<br />

professionnelle ou 4) licence de psychologie<br />

216


Tableau 9 Diplômes détenus par les membres de l’APPD en 1953 (total = 83 membres)<br />

Diplôme d’origine<br />

% <strong>des</strong> membres ayant le diplôme<br />

Diplôme de psychologie appliquée de l’Institut de<br />

80%<br />

Psychologie (IPA)<br />

Diplôme de l’INOP 37%<br />

IPA + INOP 32%<br />

Licence de psychologie 12%<br />

Docteur en médecine 10%<br />

Grande école 7%<br />

Source : registres APPD année 1953<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La formation qui est de loin la plus représentée parmi les membres de l’APPD en<br />

1953 33 est le diplôme de psychologie appliquée de l’Institut de Psychologie de Paris, dont<br />

sont titulaires 80% <strong>des</strong> membres, auquel se trouve fréquemment associé un diplôme<br />

universitaire général (le plus souvent une licence de philosophie ou de psychologie, mais<br />

parfois aussi un diplôme d’ingénieur ou de médecine). L’Institut connaît entre 1945 et 1950<br />

une croissance eceptionnelle du nombre de ses étudiants : en l’espace de trois ans (1946, 1947<br />

et 1948), il délivre plus de diplômes de psychologie appliquée qu’il n’en avait délivré au<br />

cours <strong>des</strong> vingt années précédentes 34 ! Le corps enseignant est lui aussi renouvelé passant de<br />

13 enseignants permanents en 1944 à 39 enseignants en 1956. De ce fait, on a affaire à une<br />

nouvelle génération de psychotechniciens dont les traits principaux sont la jeunesse (la plupart<br />

sont nés dans les années 1920) et le fait d’avoir été formés très récemment à la psychologie :<br />

75% <strong>des</strong> membres de l’APPD en 1955 qui sont titulaires du diplôme de psychologie appliquée<br />

l’ont obtenu après 1945, 15% l’ont obtenu entre 1940 et 1945 et seulement 10% l’ont obtenu<br />

avant 1940 (voir graphique II-9, annexe 2). Le monde de la psychotechnique est donc<br />

totalement renouvelé et il y a très peu de "passeurs" entre la génération de l’entre deux<br />

guerres et celle de l’après guerre. Les plus gran<strong>des</strong> figures de la psychotechnique <strong>des</strong> années<br />

1920-1930 ont soit disparu (Lahy est mort en 1943, Weinberg meurt en 1946 et Toulouse en<br />

1947), soit ont quitté le monde de la recherche (Laugier par exemple entame une carrière<br />

politique à partir de 1946, devenant secrétaire général adjoint aux Nations-Unies). Seuls<br />

restent Piéron, Pacaud et Bonnardel, mais ce dernier reste un cas à part, car bien qu’il ait<br />

commencé à s’intéresser à la psychotechnique vers 1935, il est davantage représentatif <strong>des</strong><br />

orientations de la génération de l’après guerre, en raison du peu d’intérêt qu’il porte aux<br />

dimensions physiologiques du travail et à la psychologie expérimentale. Le champ est donc<br />

totalement libre pour former une nouvelle génération de psychotechniciens ouverts à de<br />

33 L’association compte 83 membres en 1953 et 123 membres en 1955<br />

34 Sur ce point, voir graphique II-5, annexe 2.<br />

217


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

nouvelles métho<strong>des</strong> (statistiques, mais également psychologie sociale) et soucieux de se<br />

lancer résolument sur le terrain <strong>des</strong> applications. Cette brusque accélération du nombre de<br />

praticiens et du champ <strong>des</strong> applications de la psychotechnique après 1945 n’est pas propre à la<br />

France 35 , et il fait l’objet de nombreux débats et interrogations dans les Congrès<br />

Internationaux de Psychotechnique de l’après guerre, notamment aux congrès de Berne<br />

(1949) et Paris (1953), qui consacrent de nombreuses sessions à la formation et au statut <strong>des</strong><br />

psychotechniciens.<br />

Le contenu <strong>des</strong> enseignements de l’Institut connaît lui aussi <strong>des</strong> infléchissements qui<br />

témoignent d’une professionnalisation de la psychotechnique. D’une part, la durée <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

est portée à deux ans à partir de 1949 (puis trois ans en 1955), avec <strong>des</strong> exceptions pour les<br />

étudiants diplômés de l’INOP ou ayant obtenu le certificat de psychologie de la licence de<br />

philosophie. La première année est une année d’étu<strong>des</strong> préparatoires consacrée à une<br />

formation générale en psychologie et dans les disciplines scientifiques annexes (physiologie,<br />

statistiques). La deuxième année est vouée à la spécialisation dans l’une <strong>des</strong> quatre spécialités<br />

désormais proposées par l’Institut : psychologie générale, psychologie pédagogique,<br />

psychologie appliquée (sections existant depuis 1922), puis, à partir de 1949, psychologie<br />

pathologique (<strong>des</strong>tinée à former <strong>des</strong> étudiants dans les applications médicales et cliniques).<br />

L’évolutions <strong>des</strong> programmes d’enseignements de la section de psychologie appliquée<br />

souligne bien l’importance croissante de la psychométrie et <strong>des</strong> statistiques et le déclin<br />

parallèle de la physiologie, de la biologie et <strong>des</strong> sciences expérimentales, qui avaient constitué<br />

le cœur de la formation dans l’entre deux guerres (voir programmes d’enseignement de<br />

l’Institut en annexe 2, figure II-1).<br />

c) A la frontière du monde académique et <strong>des</strong> applications<br />

La proximité entre l’APPD et le monde académique transparaît également à travers<br />

l’intense activité de publication scientifique de ses adhérents. Celle-ci ne concerne pas<br />

seulement les membres de l’association poursuivant une carrière dans <strong>des</strong> services d’étu<strong>des</strong> et<br />

de recherche (20% <strong>des</strong> membres de l’APPD) mais aussi la plupart <strong>des</strong> praticiens, qui<br />

présentent dans les publications savantes la validité <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychotechniques mises en<br />

œuvre dans telle ou telle entreprise. En croisant les noms <strong>des</strong> membres de l’APPD en 1955<br />

avec l’index <strong>des</strong> publications référencées dans la base de données « Psychological<br />

35<br />

La croissance <strong>des</strong> adhésions aux associations de psychologues industriels américains est tout aussi<br />

spectaculaire : 130 membres à la section de psychologie du travail de l’APA (American Psychological<br />

Association) en 1945, 288 membres en 1950, 514 en 1955, 734 en 1960. Voir sur ce point le graphique II-8<br />

(annexe 2) : « Statistiques d’adhésion de psychologues du travail à l’APA »<br />

218


Abstracts », nous avons pu établir que les deux tiers environs <strong>des</strong> membres de l’association<br />

avaient publié au moins un article dans une revue scientifique au cours <strong>des</strong> années 1950. Le<br />

tableau ci-<strong>des</strong>sous illustre bien l’importance de cette activité scientifique, y compris parmi les<br />

praticiens, puisque plus de la moitié d’entre eux ont à leur actif au moins une publication dans<br />

une grande revue scientifique.<br />

Tableau 10 – Publications scientifique <strong>des</strong> membres de l’APPD (1955)<br />

Nombre de publications praticiens Membres de services d’étu<strong>des</strong> ou de Ensemble<br />

recherche<br />

Aucune 47% 0% 37%<br />

De 1 à 5 42% 16% 37%<br />

de 6 à 10 8% 24% 11,5%<br />

Plus de 10 2% 60% 14%<br />

Total 79,5% 20,5% 100%<br />

Source – Registres APPD année 1955 et Psychological Abstracts<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les publications recensées se concentrent dans un nombre restreint de revues. Nous en avons<br />

identifié huit principales, qui apparaissent dans le tableau suivant :<br />

Tableau 11 – Part <strong>des</strong> différentes revues dans les publications <strong>des</strong> membres de l’APPD<br />

Titre de la revue (année de création entre parenthèses)<br />

Part de la revue dans l’ensemble <strong>des</strong><br />

publications recensées 36<br />

Travail humain (1933) 11%<br />

Bulletin du CERP (1952) 10%<br />

Revue de psychologie appliquée (1950) 7,5%<br />

Bulletin de psychologie (1948) 5%<br />

BINOP (1929) 5%<br />

Année psychologique (1896) 4%<br />

Psychologie française (1955) 2,5%<br />

Journal de psychologie normale et pathologique (1904) 2%<br />

TOTAL 47%<br />

Source : Registres APPD année 1955 et Psychological Abstracts<br />

Trois revues occupent nettement le devant de la scène scientifique entre 1945 et 1970 : outre<br />

le Travail Humain, créé en 1933 par Lahy et Laugier, et repris par Bonnardel en 1946 après<br />

six années d’interruption, on trouve le Bulletin du CERP, créé en 1952 sous les auspices du<br />

CNRS et du Ministère du Travail 37 et la Revue de psychologie appliquée, créée en 1950 par<br />

un organisme privé de conseil en organisation, le CPA (centre de psychologie appliquée).<br />

D’autres occupent une position plus marginale dans les publications <strong>des</strong> psychotechniciens<br />

car elles sont plus généralistes et accueillent tout autant les contributions de spécialistes de<br />

36 Tableau établi à partir <strong>des</strong> 785 publications <strong>des</strong> 123 membres que comptait l’APPD en 1955<br />

37<br />

Parallèlement à la montée de ces revues spécialisées, les gran<strong>des</strong> revues de psychologie (l’Année<br />

psychologique et le Journal de psychologie normale et pathologique), qui accueillaient assez largement les<br />

contributions en psychologie appliquée dans l’entre deux guerres publient de moins en moins d’articles dans ce<br />

domaine et se consacrent à <strong>des</strong> thèmes plus généraux.<br />

219


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

psychologie clinique ou de l’éducation : il s’agit du Bulletin de psychologie (créé en 1948 par<br />

les étudiants de licence de psychologie nouvellement créée à la Sorbonne) de Psychologie<br />

française (la revue de la SFP) ou du BINOP (Bulletin de l’Institut National d’orientation<br />

professionnelle). On constate enfin que, conjointement à l’apparition de revues spécialisées en<br />

psychotechnique, les gran<strong>des</strong> revues de psychologie (l’Année psychologique et le Journal de<br />

psychologie normale et pathologique), qui accueillaient assez largement les contributions en<br />

psychologie appliquée dans l’entre deux guerres publient de moins en moins d’articles dans<br />

ce champ et se consacrent à <strong>des</strong> thèmes plus généraux. Parmi les revues « spécialisées », il<br />

faut souligner la position originale de la Revue de psychologie appliquée dans le champ de la<br />

psychotechnique <strong>des</strong> années 1950. Cette revue entend se placer au carrefour <strong>des</strong><br />

préoccupations <strong>des</strong> universitaires et de celles <strong>des</strong> praticiens. Dans l’éditorial de son premier<br />

numéro (octobre 1950), ses fondateurs (André Vidal et Pierre Rennes) expriment le paradoxe<br />

qui se trouve à son origine. Tout d’abord, ils la présentent comme une revue scientifique, qui<br />

entend « ne faire aucune concession, si minime soit-elle, à la rigueur scientifique, et accueillir<br />

tout travail de recherche, si élevé que soit son niveau ». Mais elle se veut aussi un espace de<br />

débat ouvert aux praticiens : « psychologues de la profession, orienteurs et<br />

psychotechniciens » (…) Nous voulons faire une large place aux problèmes concrets<br />

d’application quotidienne » afin de répondre à « la dualité profonde de la psychologie<br />

appliquée, qui est à la fois psychologie et application, et dont une face est tournée vers la<br />

connaissance scientifique, sous l’une de ses formes les plus hautes, l’autre vers l’application,<br />

avec ce qu’elle comporte inévitablement de recours au procédé et même au tour de main ».<br />

Les quatre revues mentionnées se montrent très ouvertes aux contributions <strong>des</strong> praticiens, ce<br />

qui permet au monde académique de maintenir un contact avec une réalité concrète du travail<br />

qu’ils ont pour la plupart désertée, pour s’enfermer dans de purs travaux de validation<br />

statistique. Comme on l’avait déjà noté à propos de l’entre deux guerre, la science et les<br />

applications pratiques s’alimentent et se légitiment mutuellement. La psychotechnique n’est<br />

donc pas une science « neutre » dont les déterminants seraient totalement coupés <strong>des</strong> réalités<br />

concrètes, mais elle se nourrit <strong>des</strong> applications pratiques elles-mêmes.<br />

Peut-être faut-il voir aussi dans cette grande proximité entre la science et le monde<br />

académique le signe d’une profession naissante, pour laquelle les conditions d’accès au<br />

marché du travail universitaire ne se sont pas encore fermées. Ainsi, un grand nombre de<br />

praticiens <strong>des</strong> années 1950 poursuivront une carrière universitaire après avoir exercé la<br />

psychotechnique pendant quelques années (voir tableau 12 infra). De nombreux praticiens<br />

collaborent également aux enseignements de l’Institut de psychologie, de l’INOP ou du<br />

220


CNAM : ainsi Raymond Carpentier, psychotechnicien à la RATP fut chargé de cours pendant<br />

plusieurs années au CNAM (entretien n°51) ; Nelly Xydias fut chargée de cours à l’Institut,<br />

ainsi que Madeleine Lavoëgie, qui enseigna pendant plusieurs années la méthode <strong>des</strong> tests à<br />

l’Institut (entretiens n°50 et n°54).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 12 – Praticiens de l’APPD ayant poursuivi une carrière universitaire<br />

CARRIERE DE PRATICIEN (1945-1960) CARRIERE UNIVERSITAIRE (1960- )<br />

Faverge (Jean-Marie) Psychotechnicien au CERP Professeur de psychologie à<br />

l’Université Libre de Bruxelles<br />

Goguelin (Pierre)<br />

Jardillier (Pierre)<br />

Le Ny (Jean-François)<br />

Psychotechnicien à EDF et consultant en<br />

psychotechnique pour la « Société<br />

française d’étu<strong>des</strong> et d’analyse du<br />

travail »<br />

Psychotechnicien à la CORT (Compagnie<br />

d’Organisation Rationnelle du Travail)<br />

Psychotechnicien dans les services de<br />

sélection du Ministère du travail<br />

(ANIFRMO)<br />

Professeur de psychologie du travail<br />

au CNAM<br />

Professeur de psychologie du travail à<br />

l’Ecole <strong>des</strong> psychologues praticiens<br />

Professeur de psychologie du travail à<br />

Paris VIII puis Orsay<br />

Leplat (Jacques) Psychotechnicien au CERP Directeur de recherches au CNRS<br />

Lévy-Leboyer (Claude) Psychotechnicienne chargée de sélection<br />

à la Croix-Rouge Française<br />

Professeur de psychologie du travail à<br />

Paris V<br />

Maucorps (Paul-Hassan) Psychotechnicien à la CORT puis au<br />

CPA<br />

Chargé de recherches au CNRS<br />

(Centre d’étu<strong>des</strong> sociologiques)<br />

Montmollin (Maurice de) Psychotechnicien au CPA Professeur d’ergonomie<br />

Pagès (Max)<br />

Psychotechnicien à la CEGOS (Centre de<br />

gestion et d’organisation scientifique)<br />

Professeur de psychologie clinique à<br />

Paris VII<br />

Reuchlin (Maurice) Conseiller d’Orientation professionnelle Professeur de psychologie à la<br />

Sorbonne, directeur de l’INOP<br />

Source : registres APPD année 1955<br />

d) Une professionnalisation dans le secteur public<br />

Le panorama <strong>des</strong> activités exercées par les membres de l’APPD met en lumière le<br />

mouvement de professionnalisation de la psychotechnique qui s’amorce au tournant <strong>des</strong><br />

années 1950 (tableau 13 infra).<br />

Tableau 13 – Répartition <strong>des</strong> membres de l’APPD par secteur d’activité<br />

SECTEUR D’ACTIVITE<br />

Conseil en psychologie appliquée 27%<br />

Administration et Armée 25%<br />

Etu<strong>des</strong> et recherches 19%<br />

Industrie privée 11%<br />

Industrie publique 16%<br />

Autre 2%<br />

Source : Registres APPD 1953<br />

On constate une très forte croissance <strong>des</strong> débouchés par rapport à la période de l’entre-deux<br />

guerres. Ces débouchés sont principalement situés dans l’orbite publique 38 (Ministère du<br />

38<br />

Le recensement de la population de l’INSEE de 1954 comptait 1020 personnes dans la catégorie<br />

« psychotechniciens et assimilés », dont 63% exerçaient dans les administrations publiques.<br />

221


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Travail ou de l’Education, entreprises publiques, services d’étu<strong>des</strong> et de recherche) ou dans de<br />

très gran<strong>des</strong> organisations patronales ou industrielles (gran<strong>des</strong> entreprises privées,<br />

associations patronales, chambres de commerce…). Seule une minorité de membres de<br />

l’APPD exerce à titre libéral. Le secteur le plus représenté est tout d’abord celui du conseil en<br />

psychologie appliquée (27% <strong>des</strong> membres de l’APPD), qui s’exerce principalement dans de<br />

grands cabinets comme le Centre de Psychologie Appliquée (qui emploie à lui seul plus de 30<br />

psychotechniciens) ou la CORT – Compagnie d’organisation rationnelle du travail – qui<br />

emploie une quinzaine de psychotechniciens et développe à partir de 1946 un service de<br />

psychologie industrielle 39 . Les psychotechniciens de ces cabinets, bien que récemment formés<br />

à la psychotechnique, investissent un certain nombre d’entreprises pour vendre leurs<br />

métho<strong>des</strong> ou les aider à mettre en place leur propre service psychotechnique, parfois même<br />

sans avoir été sollicités. Jeanne Monnin, responsable du service psychotechnique <strong>des</strong> usines<br />

Renault explique ainsi qu’elle a reçu en 1946 une visite de trois personnes de la CORT qui lui<br />

ont présenté un projet de réorganisation du service psychotechnique. Elle souligne<br />

« l’incompétence à peu près complète de ces personnes en matière psychotechnique » et<br />

rapporte qu’« un <strong>des</strong> assistants chargé d’assez grosses responsabilités dans la maison est venu<br />

parfois me demander <strong>des</strong> conseils au moment d’élaborer un schéma d’examen de sélection ;<br />

j’ai pu suivre ainsi d’assez près le niveau de leur travail. Il est en général inférieur, au plus<br />

égal à celui que fournissent les assistants de notre service » 40 . Un autre cabinet, la CEGOS 41 –<br />

commission générale d’organisation scientifique du travail – occupe également une place de<br />

premier plan dans la diffusion de la psychotechnique dans l’industrie française à partir de<br />

1945. Comme le CPA, la CEGOS mène de front plusieurs types d’activités : recherche en<br />

psychométrie, édition et vente de tests américains pour les entreprises, activité de conseil en<br />

direction <strong>des</strong> entreprises qui souhaitent mettre en place un service psychotechnique et activité<br />

de formation en psychologie industrielle pour les cadres d’entreprise. La CEGOS participe<br />

ainsi à la mise en place du service de psychologie industrielle <strong>des</strong> entreprises Ford en 1946,<br />

comme le rapporte L. Fanchon, la première directrice du service :<br />

39 Entretien P. Jardillier n°48, ancien psychotechnicien à la CORT ; Arch. Jean Normand<br />

40 Arch. Renault, VP 25 (III), correspondance Jeanne Monnin-direction du personnel, 22/03/1946<br />

41 La CEGOS, créée en 1934 par Jean Coutrot et Jean Stoetzel était dans l’après guerre l’un <strong>des</strong> principaux<br />

cabinets français de conseil en organisation, employant une cinquantaine de consultants, dont une dizaine dans sa<br />

section de « psychologie industrielle ». A partir de 1943, elle organise <strong>des</strong> sessions de formation à la psychologie<br />

industrielle <strong>des</strong>tinée aux <strong>ingénieurs</strong> et chefs d’entreprise, dans lesquelles viendront parler Piéron, Janet, Stoetzel<br />

etc. Elle développe en 1945 un bureau d’orientation et d’examens psychotechniques et participera à la mise en<br />

place de nombreux centres psychotechniques d’entreprises entre 1945 et 1950.<br />

222


« Dès 1944, le directeur du personnel <strong>des</strong> usines Ford songeait à adjoindre à son<br />

service Administratif du Personnel une section Mécanographie et à son service<br />

"questions sociales" une section Psychologie, celle-ci devant permettre d’améliorer<br />

le recrutement du personnel tout en favorisant les promotions. Après s’être<br />

documenté sur les possibilités de la psychologie industrielle, il décida d’envoyer à la<br />

CEGOS, à un stage de psychologie industrielle de trois semaines réservé à <strong>des</strong><br />

cadres, son chef de service "questions sociales". C’est au cours de ce stage – auquel<br />

nous participions nous même – que ce chef de service nous proposa d’entrer chez<br />

Ford. Pendant les premiers 6 mois, le service est directement rattaché et occupe les<br />

locaux du Service "questions sociales". Au cours <strong>des</strong> 6 premiers mois, les examens<br />

furent effectués dans les locaux et avec le matériel de la CEGOS (…) C’est par ce<br />

dernier organisme – qui nous avait déjà fait profiter de nombreux stages – que nous<br />

obtiendrons les épreuves de Rorschach et la série <strong>des</strong> 30 photos du Thematic<br />

Aperception Test (TAT), introuvables en France. De même, le prêt d’un cahier<br />

Matrix Penrose-Raven et l’autorisation de le faire reproduire à l’usine par tirage<br />

ozalide nous permettra d’utiliser ce cahier d’intelligence générale à une époque où il<br />

est encore fort peu connu. De nombreuses épreuves et la possibilité de les reproduire<br />

nous sont offertes par la CEGOS qui aide d’une façon très manifeste au démarrage<br />

du service et nous conseille, lorsque nous sollicitons un avis » (Fanchon, 1963, p.<br />

18).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Alors que la CORT et le CPA restent tournés vers les questions de psychométrie et<br />

de sélection professionnelle tout au long <strong>des</strong> années 1950, la CEGOS se tourne rapidement<br />

vers la psychosociologie et développe de nouvelles métho<strong>des</strong> importées <strong>des</strong> Etats-Unis<br />

comme le TWI (Training Within Industry), les métho<strong>des</strong> de "dynamique de groupe" ou la<br />

sociométrie de Moreno, grâce à l’un de ses membres : Max Pagès. Celui-ci s’inspire <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> employées au même moment à EDF-GDF dans le cadre de la « mission<br />

psychologique » dirigée par Guy Palmade, Jean Dubost et Pierre Goguelin. Il y a là un<br />

ensemble de métho<strong>des</strong> plus ou moins inspirées de la psychanalyse, très éloignées de l’esprit<br />

initial de la psychotechnique française et qui sont regardées avec la plus grande<br />

circonspection par les derniers représentants de la "vieille garde" : Henri Piéron et Suzanne<br />

Pacaud. Ainsi, dans un débat qui l’oppose à Pierre Goguelin, Pacaud (1954b, p. 693) dresse<br />

un tableau pessimiste de la psychotechnique française au début <strong>des</strong> années 1950 :<br />

« La psychologie appliquée paraît changer de tâche. On ne lui demande plus<br />

d’émettre un pronostic seulement. On lui demande d’agir. L’"adaptation de l’homme<br />

à son métier" est devenue moins urgente que l’apaisement, à l’intérieur de<br />

l’entreprise, <strong>des</strong> conflits intra et inter-humains et <strong>des</strong> conflits de groupes (…) de là<br />

l’information avant et après l’embauche, le « Counseling » à la disposition de tous<br />

les membres de l’entreprise, la formation sociale <strong>des</strong> cadres par le « role playing »<br />

afin que les chefs apprennent à gouverner sans heurts <strong>des</strong> hommes ! (…) que ces<br />

techniques séduisent par leur facilité et leur caractère spectaculaire les milieux non<br />

spécialisés <strong>des</strong> entreprises, ce n’est pas étonnant. Mais il y a de notre faute, aux<br />

aînés, si cet engouement éloigne de la méthode expérimentale les jeunes<br />

psychotechniciens »<br />

On trouve, à part égale avec celui du conseil, de nombreux débouchés dans le secteur<br />

industriel : celui-ci rassemble 27% <strong>des</strong> membres de l’APPD, dont une majorité (les deux tiers<br />

environ) exercent dans les entreprises publiques : ces entreprises ont soit mis en place un<br />

223


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service de psychotechnique avant la guerre, à l’initiative de Lahy ou Laugier (RATP, SNCF,<br />

RNUR 42 ) soit ont créé leur service pendant la guerre (SEITA, SNECMA, Air France…). Ces<br />

services ont pris de l’ampleur et emploient entre cinq et vingt psychotechniciens selon la taille<br />

de l’entreprise. On assiste souvent à un renouvellement du personnel au lendemain de la<br />

guerre, en privilégiant <strong>des</strong> critères de qualification plus rigoureux (diplôme de l’Institut de<br />

psychologie ou de l’INOP). Il en va ainsi à la RNUR où le docteur Perrot, mis en fonction par<br />

Lahy en 1928, est remplacé en 1945 par une assistante de Piéron à la tête du laboratoire<br />

(Jeanne Monnin). Celle-ci est chargée de la réorganisation du service, qui se poursuivra<br />

jusqu’en 1947 et entraînera l’embauche de psychotechniciens, tous diplômés de l’Institut. Les<br />

missions du service sont également redéfinies : auparavant confiné à <strong>des</strong> missions de<br />

recrutement vers les emplois de sécurité, sa mission s’élargit aux questions de promotion et de<br />

qualification de la main d’œuvre, en partant de la base <strong>des</strong> OS : « Il s’agit de choisir parmi <strong>des</strong><br />

O.S. assez jeunes, ceux qui, par leurs aptitu<strong>des</strong>, seraient capables de suivre un apprentissage<br />

(tourneurs, fraiseurs, tôliers etc…) à la suite duquel ils passeraient l’essai professionnel<br />

P1 » 43 . Dans ce but, ce ne sont pas tant <strong>des</strong> critères d’aptitu<strong>des</strong> fonctionnelles ou psychophysiologiques<br />

qui sont recherchés que <strong>des</strong> capacités d’apprentissage générales, en examinant<br />

« les possibilités individuelles : intellectuelles et pratiques qui permettent de pronostiquer une<br />

adaptation plus ou moins bonne à un enseignement professionnel » 44 . On note une orientation<br />

similaire au sein du service de psychologie industrielle de Ford dont l’activité consiste<br />

davantage à rechercher les compétences et à évaluer les possibilités de promotion interne <strong>des</strong><br />

OS vers <strong>des</strong> postes d’OQ qu’à réaliser <strong>des</strong> opérations de recrutement visant à éliminer les<br />

inaptes. Ainsi, pour l’année 1947, le service réalisa trois fois plus d’examens en vue d’une<br />

promotion interne que d’examens d’embauche. On voit donc bien, dans le cas de ces deux<br />

entreprises à quel point la psychotechnique s’inscrit dans une logique de gestion planificatrice<br />

de la main d’œuvre. Dans un contexte de pénurie relative et de recherche d’un accroissement<br />

<strong>des</strong> qualifications, la psychotechnique est mise à contribution pour détecter les compétences<br />

et orienter les OS vers <strong>des</strong> formations professionnelles spécialisées.<br />

Le secteur de la recherche et <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> constitue un autre débouché important pour<br />

les psychotechniciens de l’APPD, dont les intitulés d’emploi font souvent mention d’une<br />

activité scientifique : "chef de laboratoire", "chargé d’étu<strong>des</strong>", "chef du bureau <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>",<br />

"chargé de recherches"… Il s’agit d’ailleurs plus généralement d’"étu<strong>des</strong>" que de recherches à<br />

42 Régie Nationale <strong>des</strong> Usines Renault<br />

43 Arch. Renault, VP 25 (III), note de service n°442, 30/07/1946<br />

44 Ibid.<br />

224


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proprement parler car les activités scientifiques sont fréquemment associées à un travail de<br />

praticien dans le domaine de la sélection professionnelle. Ainsi, le laboratoire de<br />

psychotechnique créé par Michel Roche à la Fédération nationale <strong>des</strong> Transporteurs Routiers<br />

(FNTR) en 1951 est à la fois un laboratoire d’étu<strong>des</strong>, visant à produire <strong>des</strong> monographies<br />

professionnelles et mettre au point <strong>des</strong> tests de sélection pour les chauffeurs routiers et un<br />

laboratoire de sélection, de recrutement et d’évaluation mis à la disposition <strong>des</strong> entreprises<br />

membres de la FNTR qui souhaitent faire examiner leurs conducteurs par le personnel du<br />

laboratoire 45 . Michel Roche mène donc de front une activité de praticien et une activité<br />

scientifique, publiant entre 1950 et 1960 une dizaine d’articles dans les revues de<br />

psychotechnique sur les questions d’accidentologie (Le Travail Humain, la Revue de<br />

psychologie appliquée…). Il en va de même au CERP, où les activités de recherches se<br />

nourrissent <strong>des</strong> données abondantes fournies par les services de sélection du ministère du<br />

travail, ou à l’INOP à travers l’étroite collaboration entre le service de recherche et les centres<br />

d’orientation professionnelle disséminés sur l’ensemble du territoire, qui font remonter<br />

l’ensemble de leurs évaluations psychométriques au service central.<br />

Ces services d’étu<strong>des</strong> jouissent d’un important prestige dans le milieu professionnel :<br />

ils sont considérés comme <strong>des</strong> espaces où la science peut se déployer pleinement, affranchie<br />

de toutes les contingences de la pratique quotidienne 46 . Les psychotechniciens du "terrain"<br />

font remonter <strong>des</strong> informations psychométriques standardisées, susceptibles d’être exploitées<br />

dans un langage purement scientifique. Selon les termes d’Abbott (1981, p. 824), ce sont <strong>des</strong><br />

lieux caractérisés par leur "pureté professionnelle" :<br />

« Par pureté professionnelle, j’entends la possibilité d’exclure de la pratique les<br />

problèmes non professionnels ou non pertinents d’un point de vue professionnel. Au<br />

sein d’une profession donnée, les professionnels jouissant du statut le plus élevé sont<br />

ceux qui traitent de problèmes prédigérés et prédéfinis par leurs collègues. Ces<br />

collègues ont ôté toute la complexité et la difficulté humaines du phénomène pour<br />

n’en laisser que le substrat professionnel, même s’il est difficile à résoudre. A<br />

l’inverse, les professionnels ayant le statut le moins élevé sont ceux qui traitent de<br />

problèmes dont les complexités humaines n’ont pas, ou ne peuvent pas être<br />

enlevées. » 47<br />

45 Entretien M. Roche, n°55, novembre 2001<br />

46 Aujourd’hui encore, certains psychologues de l’AFPA évoquent le CERP avec un mélange de nostalgie et de<br />

déférence : « Il faut pas oublier aussi qu’à l’époque, on avait le CERP, avec les plus grands : Ombredane,<br />

Faverge, Leplat, Ancelin-Schutzenberger…. Tous les grands de la psychologie étaient là. Ils produisaient un<br />

petit bouquin, qui était une référence. Et ce service était extraordinaire parce qu’il y avait une critique<br />

systématique <strong>des</strong> tests utilisés par les psychologues (…) Et <strong>des</strong> gens très simples qui s’exprimaient à la fois de<br />

façon très simple et très scientifique. Bon, c’est-à-dire une relation, une équipe de praticiens et une équipe de<br />

chercheurs, et ça c’est l’idéal… » (entretien n°20)<br />

47 Bien que stimulant, le point de vue exprimé par Abbott présente <strong>des</strong> limites évidentes et ne s’applique que<br />

lorsqu’il existe une division du travail entre professionnels et scientifiques. La "pureté professionnelle" réside<br />

225


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Les deux dimensions, étu<strong>des</strong> et applications, restent toutefois indissociables dans<br />

l’esprit <strong>des</strong> psychotechniciens <strong>des</strong> années 1950 : <strong>des</strong> applications psychotechniques qui ne se<br />

nourriraient pas d’une activité constante de recherche risquent de se dégrader en pure routine<br />

potentiellement dangereuse pour les travailleurs examinés. Là encore les mises en garde de<br />

Pacaud (1954b, p. 693) sont on ne peut plus explicites : « Si l’expérimentation en psychologie<br />

appliquée ne peut dépasser l’étape de "testation" automatique, elle signera l’arrêt de sa fin, par<br />

l’arrêt de son évolution. L’esprit "testateur" ne peut remplacer l’esprit de "chercheur" car l’art<br />

sans la science ne tarde pas à dégénérer en routine ». Il y a une autre raison pour laquelle la<br />

dimension "étu<strong>des</strong>" l’emporte sur celle <strong>des</strong> recherches au sein de l’APPD : elle tient au fait<br />

qu’il n’y a dans l’association aucun universitaire, celle-ci restant avant tout une association de<br />

praticiens. Il existe par ailleurs une section de psychologie du travail au sein de la SFP<br />

(Société Française de Psychologie, créée en 1901), dont le caractère est plus ouvertement<br />

académique 48 .<br />

Le dernier secteur fortement représenté parmi les membres de l’APPD est celui de<br />

l’administration qui, en ce qui concerne la psychotechnique, recouvre principalement deux<br />

structures : l’Armée et les services de sélection du Ministère du Travail (ANIFRMO). Ces<br />

deux structures sont pratiquement les seules où les psychotechniciens jouissent d’un véritable<br />

statut professionnel. Au sein <strong>des</strong> Armées, <strong>des</strong> critères de recrutement et de classification assez<br />

rigi<strong>des</strong> avaient été établis dès 1944, avec la mise en place d’une grille de correspondance<br />

entre les gra<strong>des</strong> militaires et fonctions occupées dans les services psychotechniques : grade<br />

d’officier pour les psychotechniciens, de sous-officier pour les "ai<strong>des</strong>-psychotechniciens"<br />

(voir tableau II-5, annexe 2). Le projet proposé par Paul Maucorps à Piéron en 1944 49 , s’il ne<br />

fut pas adopté dans son ensemble, fixe les gran<strong>des</strong> lignes de fonctionnement <strong>des</strong> services<br />

psychotechniques dans l’Armée. Le projet est élaboré par une équipe de la CORT, qui<br />

comprend alors de nombreux anciens militaires passés par l’Institut de psychologie : Paul<br />

Maucorps (ancien officier de marine), Alfred Fessard (capitaine de réserve), André Morali-<br />

Daninos (médecin militaire). L’équipe envisage l’abandon de la méthode Carrard et <strong>des</strong><br />

alors dans le corpus "sacré" <strong>des</strong> savoirs dont dispose la profession, comme dans le cas de la psychotechnique et<br />

plus généralement de toutes les professions scientifiques. A l’inverse, dans les professions consultantes, qui<br />

mettent en avant la primauté de la "clinique" sur la science, le prestige intraprofessionnel naît de la complexité<br />

humaine <strong>des</strong> problèmes traité. Comme l’ont bien montré JAMOUS et PELOILLE (1970), le "grand patron" est celui<br />

qui connaît l’homme dans toutes ses dimensions et qui ne fie pas entièrement à la science. La position<br />

socialement subordonnée <strong>des</strong> fondamentalistes par rapport aux cliniciens dans les facultés de médecine<br />

(BOURDIEU, 1984), vient d’ailleurs contredire l’hypothèse d’Abbott.<br />

48 L’APPD et la section de psychologie du travail de la SFP se réuniront en 1958 au sein de la SFP, en partie<br />

pour permettre à la SFP d’atteindre le nombre de membres requis pour adhérer à l’IPA (Association<br />

internationale de psychologie)<br />

226


étu<strong>des</strong> caractérielles, et le recours aux seules métho<strong>des</strong> "scientifiquement vali<strong>des</strong>" issues de la<br />

physiologie ou de la psychologie expérimentale :<br />

« Les métho<strong>des</strong> que nous proposons d’appliquer sont celles qui ont été mises au<br />

point par les maîtres de la psychologie expérimentale française – JM Lahy, H<br />

Laugier, H Piéron, H Wallon – et qui sont enseignées à l’Institut de Psychologie de<br />

la Sorbonne et à l’INOP. Ces métho<strong>des</strong> sont employées dans de gran<strong>des</strong> entreprises<br />

telles que Peugeot, Renault, la STCRP, l’Usine St Jacques, nous les avons nous<br />

mêmes utilisées au laboratoire de sélection <strong>des</strong> Chemin de fer de l’Etat, à l’école de<br />

l’air de Versailles, dans <strong>des</strong> usines d’armement en 1939-1940 »<br />

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Le projet envisage par ailleurs de diviser le service en six sections comprenant entre<br />

autres une section « d’adaptation <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> étrangères », dirigée par Fessart, Morali,<br />

Maucorps et Stoetzel, <strong>des</strong>tinée à faire connaître au public français les tests <strong>des</strong> armées<br />

américaines et britanniques qui avaient fait leurs preuves pendant la guerre, et une section de<br />

« création de tests » (Fessart, Morali, Maucorps et Sallou) visant à étudier les différentes<br />

spécialités professionnelles de l’Armée et à mettre au point <strong>des</strong> tests appropriés. Le statut de<br />

psychotechnicien s’organise également au sein du Ministère du Travail, mais sur <strong>des</strong> bases<br />

sensiblement différentes de celles qui animent l’APPD, comme nous allons le voir à présent.<br />

2. Le modèle militant : le syndicalisme psychotechnicien au tournant <strong>des</strong><br />

années 1950<br />

Comme le modèle précédent, le modèle "militant" conçoit la professionnalisation de<br />

la psychotechnique en liaison étroite avec les pouvoirs publics, qui seuls peuvent garantir la<br />

neutralité <strong>des</strong> procédures d’orientation et de sélection mises en œuvre et permettre leur<br />

indépendance vis-à-vis <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> patronales. Dans cette perspective, la psychotechnique<br />

doit être mise au service <strong>des</strong> travailleurs, et son développement sur un marché "libre" de<br />

services est a priori perçu comme suspect, dans la mesure où elle ne la met pas toujours à<br />

l’abri <strong>des</strong> pressions extérieures. Mais, alors que dans le modèle précédent l’accent était mis<br />

sur la rigueur <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> scientifiques et la proximité avec le monde académique, c’est ici<br />

l’engagement politique qui passe au premier plan : la psychotechnique doit être un vecteur de<br />

progrès et de promotion sociale pour les travailleurs. Il est intéressant de noter qu’entre 1945<br />

et 1950, la psychotechnique fait l’objet d’un assentiment assez général parmi les syndicats,<br />

qui n’y voient pas une méthode de sélection taylorienne mais au contraire un outil équitable,<br />

qui permet aux ouvriers ayant un faible niveau scolaire initial d’accéder à <strong>des</strong> emplois<br />

d’ouvrier professionnel (OP) ou qualifié (OQ). La CGT, en particulier, nourrit l’espoir d’une<br />

promotion massive d’OS vers les postes d’ouvriers qualifiés dont a besoin l’industrie ; elle<br />

49 Arch. Piéron, 520 AP 14 « services psychotechniques de l’Armée 1944-1945 »<br />

227


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participe activement pour cela à la mise en place de centres de formation professionnelle de<br />

l’ANIFRMO dans les entreprises entre 1945 et 1947. Le consensus qui réunit syndicats,<br />

patronat et pouvoirs publics autour de la productivité, au moins jusqu’en 1950, accorde une<br />

place de premier plan à la psychotechnique, qui peut servir à la reconstruction du pays et à<br />

l’amélioration de la qualification <strong>des</strong> travailleurs.<br />

Malgré l’image globalement favorable dont bénéficie la psychotechnique parmi les<br />

syndicats, deux réserves sont généralement émises par ces derniers. D’une part la<br />

psychotechnique ne saurait être laissée entre les mains du seul patronat, mais doit faire l’objet<br />

d’un contrôle permanent par les organisations de salariés 50 . Le secrétaire général de la CGT-<br />

FO, Bruno Ventejol, estime par exemple « qu’il faut de toute nécessité une liaison étroite<br />

entre le médecin du travail, le psychotechnicien et l’organisation syndicale. Celle-ci doit être à<br />

même pratiquement et d’une manière permanente de contrôler les tests et l’application de la<br />

psychotechnique » 51 . Dans le même esprit, Jean Serdais, du Centre d’étu<strong>des</strong> économiques de<br />

la CGT, écrit en 1950 que « la psychotechnique a fait ses preuves, en particulier dans le sens<br />

de sélection et d’orientation professionnelle, quoique, là aussi, sous réserve de l’usage qui est<br />

fait <strong>des</strong> résultats obtenus par le psychotechnicien digne de ce nom. Donc et lors même qu’il<br />

s’agit de métho<strong>des</strong> et de psychotechniciens sérieux, l’applications <strong>des</strong> résultats, pour donner<br />

toute garantie désirable aux travailleurs de l’entreprise considérée, ne devra se faire que sous<br />

le contrôle et avec l’avis <strong>des</strong> travailleurs, du Comité d’entreprise » 52 . La seconde réserve<br />

concerne les métho<strong>des</strong> utilisées par les psychotechniciens. Les tests d’aptitude<br />

psychologiques ou psychophysiologiques sont en général accueillis favorablement par les<br />

syndicats, pour peu qu’ils ne servent pas exclusivement à l’"écrémage" de la main d’œuvre<br />

mais soient mis également au service de la promotion ouvrière en sélectionnant les ouvriers<br />

les plus aptes à suivre une formation. La psychosociologie et les métho<strong>des</strong> de "relations<br />

humaines" sont en revanche accueillies avec une grande hostilité, les organisations ouvrières<br />

y voyant <strong>des</strong> tentatives du patronat pour asseoir un contrôle politique sur les salariés. Le débat<br />

autour de ces techniques importées <strong>des</strong> Etats-Unis après la seconde guerre mondiale est lancé<br />

en 1947 dans la « note sur la productivité du travail » rédigée par la CGT dans le cadre du<br />

50 Naville, qui était lui-même un ancien conseiller d’orientation professionnelle formé à l’INOP pendant la<br />

guerre, s’était livré à une critique virulente de la psychotechnique de Piéron et Bonnardel dans son ouvrage de<br />

1945, Théorie de l’orientation professionnelle. Dans un texte ultérieur (Naville, 1957), il reprend son<br />

argumentation en expliquant que les techniques psychotechniques ne peuvent pas être en soi ni bonnes ni<br />

mauvaises puisqu’elles s’insèrent toujours dans un rapport de force social « réel » entre patrons et salariés. C’est<br />

donc seulement par un contrôle paritaire de la psychotechnique que pourront s’apaiser les conflits nés de<br />

l’emploi <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychotechniques dans l’industrie.<br />

51 VENTEJOL, 1957, p. 16<br />

228


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plan Monnet. Les conclusions du rapport montrent que la psychotechnique déborde<br />

dangereusement le cadre restreint de la sélection et de l’orientation professionnelle et touche à<br />

<strong>des</strong> questions de nature politique comme le « climat psychologique dans l’entreprise », la<br />

« collaboration entre patronat et ouvrier », les « techniques de commandement et de<br />

direction », la détection <strong>des</strong> « mauvais éléments » etc. Elle est suspectée d’être une instrument<br />

de « domination douce » permettant de mieux assujettir les travailleurs à la volonté patronale<br />

sous couvert d’objectivité scientifique : « Selon nous, toutes les tentatives (psychanalyse,<br />

psychodrame, public relations, réarmement moral etc.) pour tenter de résoudre la question<br />

sociale, pour améliorer le climat social par <strong>des</strong> moyens autres qu’un changement fondamental<br />

dans le domaine de la propriété <strong>des</strong> moyens de production, ne peuvent finalement aboutir qu’à<br />

un échec total » 53 .<br />

On trouve un écho de ces conceptions syndicales au sein même du milieu<br />

professionnel <strong>des</strong> psychotechniciens, notamment dans deux syndicats : le « syndicat national<br />

<strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT » (SNP-CGT) et le syndicat « CFDT-Psychotechniciens ».<br />

Bien qu’ouverts en principe à tous les secteurs d’activité, ils regroupent en réalité une très<br />

large majorité de psychotechniciens <strong>des</strong> services de sélection de l’ANIFRMO. Pour ne<br />

prendre que l’exemple du SNP-CGT, les psychotechniciens de l’ANIFRMO représentent 80%<br />

<strong>des</strong> effectifs du syndicat pendant ses vingt années d’existence (1947-1966). Le reste provient<br />

<strong>des</strong> entreprises publiques et du secteur de la recherche 54 . On n’y trouve en revanche aucun<br />

psychotechnicien exerçant dans le secteur du conseil en psychologie appliquée (CPA,<br />

CEGOS, CORT) ou dans l’industrie privée. Alors que dans le schéma de professionnalisation<br />

décrit précédemment l’accent était mis sur <strong>des</strong> critères de compétence et d’expertise<br />

scientifique, c’est ici l’engagement du psychotechnicien au service <strong>des</strong> salariés qui passe au<br />

premier plan. Le SNP-CGT pense ainsi que :<br />

« Les psychotechniciens honnêtes et conscients peuvent résister à la pression<br />

capitaliste et mettre leur science au service de la classe ouvrière. Ils peuvent<br />

contribuer à améliorer les conditions de travail, à renforcer l’action revendicatrice en<br />

revalorisant la force de travail de chaque salarié, à garantir l’objectivité de<br />

l’embauche et de la promotion ». 55<br />

52 SERDAIS, 1950, p. 27<br />

53 Conférence de M Barjonet, Secrétaire confédéral d’étu<strong>des</strong> économiques et sociales de la CGT devant l’APPD,<br />

25/02/1957. Reproduit dans BARJONET (1957)<br />

54 Composition du syndicat en 1961 : psychotechniciens dans les services de sélection de l’ANIFRMO (68%) ;<br />

psychotechniciens au CERP (8%), entreprises publique et administrations diverses (23%). Arch. SNP-CGT,<br />

50J67 : « Courrier du SNP-CGT 1948-1965 »<br />

55 Arch. SNP-CGT, Bulletin du SNP-CGT, n°1, 1951, p. 1<br />

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Les statuts du syndicat ne fixent aucune condition précise de diplôme pour ses<br />

membres : « Le syndicat a pour but d’établir, de maintenir et de resserrer les liens de<br />

solidarité entre tous les salariés de la profession, afin de pouvoir lutter efficacement contre<br />

toute forme d’exploitation. Peuvent et doivent faire partie du syndicat tous les salariés de la<br />

profession sans distinction de sexe, de nationalité, d’emploi ou de fonction ou d’âge » 56 . Ces<br />

mesures souples reflètent en partie la situation de la psychotechnique au début <strong>des</strong> années<br />

1950, puisque les diplômés de l’université (INOP, Institut ou licence) sont encore minoritaires<br />

dans l’ensemble de la profession, surtout à l’ANIFRMO où <strong>des</strong> formations courtes de<br />

psychotechniciens avaient été mises en place à partir de 1940 au sein d’un établissement placé<br />

sous la double tutelle du Ministère du Travail et du Secrétariat Général à la Jeunesse :<br />

l’INFCP 57 . Dans son Guide du psychotechnicien Claude Fontaine (1956) 58 rappelle qu’à<br />

l’ANIFRMO, « les premières applications de la psychologie ont été faites par <strong>des</strong> hommes<br />

n’ayant en général pas reçu de formation psychologique. Ces pionniers disposaient de moyens<br />

rudimentaires. Les préoccupations sociales l’emportaient chez eux sur le souci de précision<br />

scientifique » 59 .<br />

Cette ligne politique place le SNP-CGT et l’APPD sur <strong>des</strong> registres sensiblement<br />

différents. Dans l’esprit de l’APPD, le strict respect <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> scientifiques suffit à<br />

garantir la neutralité sociale de la psychotechnique ; le SNP-CGT pense au contraire que la<br />

science psychotechnique n’est pas au <strong>des</strong>sus <strong>des</strong> rapports sociaux et qu’elle doit être placée<br />

sous le signe de l’engagement politique. Les diplômes et les critères de compétence définis<br />

par l’APPD sont de faux arguments dès lors qu’ils ne se prononcent pas clairement en faveur<br />

de la classe ouvrière. Les désaccords entre les deux organismes sont clairement exprimés au<br />

cours de l’une <strong>des</strong> journées de perfectionnement de l’APPD, les représentants du SNP-CGT<br />

mettant en garde l’APPD : « il ne suffit pas de mettre en œuvre <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> scientifiques,<br />

56 Arch. SNP-CGT, Statuts du SNP-CGT, 19.04.1950<br />

57 La période de Vichy est à bien <strong>des</strong> égards déterminante dans la mise en place du dispositif français de<br />

formation professionnelle <strong>des</strong> adultes, comme l’a bien montré Bernard BONNET (1994) dans sa thèse consacrée à<br />

l’histoire de l’AFPA de 1934 à 1994 (dir. Lucie Tanguy). Le CFCP – Centre de Formation <strong>des</strong> Cadres<br />

Professionnels – avait été créé en 1940 pour former <strong>des</strong> moniteurs (formateurs d’adultes) et <strong>des</strong> orienteurs<br />

chargés de sélectionner les candidats à l’entrée en formation professionnelle accélérée, en utilisant la méthode<br />

Carrard. La structure est reprise par l’ANIFRMO à la Libération (sous le nom d’INFCP – Institut national de<br />

formation <strong>des</strong> cadres professionnels) pour assurer la formation <strong>des</strong> orienteurs et <strong>des</strong> moniteurs de la FPA, en<br />

conservant la méthode Carrard.<br />

58 Lui-même psychotechnicien à l’ANIFRMO<br />

59 On trouve le même type de segmentation professionnelle chez les journalistes sociaux au début du XX e siècle,<br />

qui ont récemment fait l’objet de la thèse de Sandrine Lévêque (2000). L’auteur montre que jusqu’aux années<br />

1930 l’éthique de l’engagement et du journalisme militant l’emportait sur <strong>des</strong> critères purement techniques et<br />

que le basculement s’est opéré par le biais d’un syndicat : le SNJ (Syndicat national <strong>des</strong> journalistes). Les<br />

urbanistes constituent eux aussi un cas typique de passage d’une logique militante à une logique techniciste<br />

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encore faut-il savoir dans quel but on le fait. La science ne résoudra pas les contradictions<br />

fondamentales de l’économie » 60 . Ces divergences de fond conduisent à emprunter <strong>des</strong><br />

stratégies de professionnalisation différentes. Dans le cas de l’APPD la professionnalisation<br />

de la psychotechnique passe par la création d’un diplôme officiel de psychotechnicien, qui<br />

suffira à garantir les compétences mobilisées et éviter les charlatans ; dans la perspective du<br />

SNP-CGT, les charlatans peuvent aussi se trouver parmi les diplômés ; le charlatan étant<br />

avant tout celui qui met sa science au service d’un groupe social particulier. L’engagement du<br />

psychotechnicien en faveur de la classe ouvrière doit le pousser à adopter les mêmes<br />

stratégies que celle-ci. C’est donc par la voie de la lutte syndicale que la psychotechnique<br />

améliorera son statut. Cette lutte, d’abord restreinte au secteur public s’étendra<br />

progressivement au secteur privé, où « les psychotechniciens devront joindrent leurs<br />

revendications à celles de tous les salariés de leur entreprise » 61 . Ce schéma de<br />

professionnalisation, assis sur la lutte sociale, trouve l’une de ses formes d’expression dans le<br />

projet de « convention collective <strong>des</strong> services psychotechniques » mis au point par le SNP-<br />

CGT 62 . Cette convention collective, calquée sur la convention collective de la Métallurgie,<br />

définit le psychotechnicien comme « un salarié dont l’activité consiste à appliquer les<br />

techniques psychologiques à l’adaptation du milieu et <strong>des</strong> techniques professionnelles aux<br />

travailleurs. Il améliore, par les techniques dont il dispose, la répartition de la main d’œuvre<br />

(embauche, formation, promotion, réadaptation) ». La convention est élargie à l’ensemble <strong>des</strong><br />

salariés <strong>des</strong> services psychotechniques et introduit une division du travail entre différentes<br />

catégories de personnels : « correcteur psychotechnique », chargé de la correction <strong>des</strong> tests et<br />

de la surveillance <strong>des</strong> examens ; « Aide-calculateur psychotechnique », chargé <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

validation statistique <strong>des</strong> test, « psychotechnicien » (premier ou deuxième échelon) chargé de<br />

faire passer les examens psychotechniques et de les interpréter, « chef de service<br />

psychotechnique »…<br />

La divergence entre le modèle savant de l’APPD et le modèle militant du SNP-CGT<br />

recouvre en fait une scission entre deux segments de la profession qui tient autant à la nature<br />

de la formation reçue en psychologie qu’à <strong>des</strong> contenus idéologiques. Les membres de<br />

l’APPD ont tous reçu une formation de psychologie universitaire, à l’Institut, à l’INOP ou<br />

dans le cadre de la licence de psychologie créée en 1947. On l’a vu, ces formations mettaient<br />

(Gaudin, 1987).<br />

60 Arch. SNP-CGT, Bulletin du SNP-CGT, n°1, 1951, p. 12-14<br />

61 Arch. SNP-CGT, Bulletin du SNP-CGT, n°3, 1952<br />

62 Arch. SNP-CGT 50 J 67, « Projet de conventions collectives propre aux services psychotechniques », mars<br />

1953<br />

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fortement l’accent sur la psychologie expérimentale et, à partir de 1945 sur les connaissances<br />

statistiques, jugées indispensables au travail du psychotechnicien. A l’inverse, le SNP-CGT<br />

rassemble essentiellement <strong>des</strong> personnes passées par l’INFCP et qui n’ont reçu qu’une<br />

formation très brève en psychologie (huit semaines de formation théorique plus quatre<br />

semaines de stage pratique), principalement axée sur la méthode Carrard. Or cette méthode,<br />

qui met l’accent sur la caractérologie et l’observation du caractère du candidat est jugée peu<br />

sérieuse par le segment savant. Par ailleurs, la formation de base <strong>des</strong> psychotechniciens du<br />

Ministère du travail est assez faible : jusqu’en 1949, le ministère privilégie pour ses postes de<br />

psychotechniciens le recrutement d’anciens ouvriers professionnels, jugés mieux à même de<br />

connaître les critères d’entrée en formation dans chaque profession. L’ANIFRMO estime<br />

alors que les quelques mois de formation à l’INFCP suffisent à former un sélectionneur en lui<br />

enseignant les rudiments de la méthode Carrard et l’utilisation de quelques tests<br />

psychotechniques standardisés (Bonnet, 1994). Les conditions de recrutement se durcissent<br />

progressivement à partir de 1947 sous l’influence de Faverge, qui réclame <strong>des</strong><br />

psychotechniciens mieux formés, mais l’ANIFRMO a <strong>des</strong> difficultés à recruter <strong>des</strong> diplômés<br />

de l’enseignement supérieur en psychologie. Ainsi, pour la session de recrutement de 1949,<br />

l’ANIFRMO cherche à attirer les diplômés de l’Institut, en diffusant les annonces de<br />

recrutement aux diplômés de la section de psychologie appliquée de 1947, 1948 et 1949, mais<br />

cette entreprise connaît un succès très limité : sur les 170 dossiers de candidatures déposés,<br />

seuls 6 candidats ont une formation de psychologie appliquée. La majorité ne justifie que d’un<br />

diplôme de l’enseignement primaire (55% <strong>des</strong> dossiers), d’étu<strong>des</strong> secondaires avec ou sans le<br />

baccalauréat (25%) ou d’étu<strong>des</strong> supérieures dans un autre domaine que la psychologie<br />

(16%) 63 . Les dossiers retenus privilégieront les candidats formés en psychologie (4 <strong>des</strong> 6 qui<br />

se sont présentés seront recrutés) mais ils ne constitueront qu’une petite partie de l’ensemble<br />

<strong>des</strong> candidats retenus (20%).<br />

Tableau 14 – Provenance <strong>des</strong> sélectionneurs recrutés par l’ANIFRMO (Session 1949)<br />

Ingénieur (polytechnique) 1<br />

Diplômes de psychologie appliquée (Institut de Psychologie) 4<br />

Licence ou certificats d’étu<strong>des</strong> supérieures 6<br />

Baccalauréat 6<br />

Etu<strong>des</strong> primaires 3<br />

Total 20<br />

Source : Arch. ANIFRMO, AN-CAC 19880296 art. 5<br />

63 Arch. ANIFRMO (CAC Fontainebleau) 19880296 art. 5: « rapport sur le recrutement <strong>des</strong> candidats au stage<br />

de formation de sélectionneurs de l’ANIFRMO, CERP », 20 octobre 1949<br />

232


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A partir de 1950, les recrutements de l’ANIFRMO diminuent, ce qui permet à la<br />

direction <strong>des</strong> services de sélection de mettre en place <strong>des</strong> critères plus rigi<strong>des</strong>, en dépit du<br />

faible volume de diplômés en psychologie intéressés par le statut de psychotechnicien dans<br />

cet établissement. D’une part, à l’appellation officielle de "sélectionneur qui était jusqu’alors<br />

en vigueur se substitue celle de "psychotechnicien" en 1950. D’autre part, à partir de la même<br />

année, « il est fait appel à <strong>des</strong> psychologues dotés <strong>des</strong> connaissances de base indispensables.<br />

Le recrutement est limité aux candidats justifiant de la licence de psychologie, du diplôme de<br />

psychologie appliquée délivré par un Institut d’Université, du diplôme d’Etat de conseiller<br />

d’orientation professionnelle ou enfin du diplôme délivré par le Conservatoire National <strong>des</strong><br />

Arts et Métiers » 64 . Mais en dépit de ces mesures, la part la plus importante <strong>des</strong> effectifs de<br />

psychotechniciens de l’ANIFRMO sera composée jusqu’aux années 1970 de personnes<br />

n’ayant pas reçu de formation universitaire de base en psychologie. Cette situation n’est<br />

d’ailleurs pas propre à l’ANIFRMO : elle concerne un bon nombre d’autres administrations<br />

ou d’entreprises publiques dans lesquelles l’accès aux services psychotechniques se fait par<br />

voie de promotion interne, conditionnée par la poursuite d’une formation complémentaire en<br />

psychotechnique en cours d’activité professionnelle. Des administrations comme l’Armée, la<br />

RATP, ou les PTT, dont les services psychotechniques comprenaient entre cinquante et cent<br />

personnes à la fin <strong>des</strong> années 1950, envoyaient leurs psychotechniciens suivre les<br />

enseignements de « sélection et orientation professionnelle » du Professeur Bize au CNAM,<br />

mais ces personnes étaient rarement titulaires d’une licence de psychologie.<br />

Ainsi, face aux contours encore flous <strong>des</strong> formations en psychotechnique, on voit<br />

chaque administration se tourner vers son propre marché interne (et non vers un marché<br />

encore en construction de formations psychologiques) pour alimenter ses propres services de<br />

sélection et recrutement. Chacune crée <strong>des</strong> postes de psychotechniciens « sur mesure », en<br />

leur donnant un statut particulier. Les revendications du SNP-CGT révèlent bien cette double<br />

nature de la professionnalisation de la psychotechnique. Comme l’APPD, il souhaiterait que<br />

les psychotechniciens aient un statut reconnu en dehors de l’ANIFRMO, afin de bénéficier<br />

d’une protection juridique qui mette la psychotechnique à l’abri <strong>des</strong> pressions patronales.<br />

Mais à la différence de l’APPD, il se préoccupe surtout de la défense du statut <strong>des</strong><br />

psychotechniciens dans un secteur d’activité précis : l’ANIFRMO, privilégiant par là un<br />

modèle de « professionnalisme bureaucratique ».<br />

64 SIMON, 1954, p. 15<br />

233


3. Le modèle libéral : les "marchands de psychotechnique"<br />

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Les psychotechniciens appartenant aux deux associations mentionnées jusqu’ici<br />

exercent, dans leur majorité, comme salariés dans les services publics. L’engouement pour la<br />

psychotechnique entre 1945 et 1955 a toutefois conduit à l’apparition parallèle d’un marché<br />

privé de services psychotechniques, émanant notamment d’entreprises soucieuses de recruter<br />

leurs salariés (notamment leurs cadres) sur <strong>des</strong> bases plus « scientifiques ». Cet intérêt porté<br />

aux nouvelles métho<strong>des</strong> de recrutement <strong>des</strong> cadres (tests de personnalité ou métho<strong>des</strong><br />

inspirées de la psychosociologie) est en grande partie le fait <strong>des</strong> franges les plus<br />

modernisatrices du patronat français, présentes dans <strong>des</strong> organismes comme la CEGOS ou<br />

l’ANDCP 65 , soucieuses de renouveler le tissu industriel français au lendemain de la guerre.<br />

On voit par conséquent naître dans cette période un certain nombre de structures de conseils<br />

se réclamant <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de la psychologie appliquée et affichant cette spécificité dans leur<br />

raison sociale (la « Société française de psychotechnique » dirigée par G. de Beaumont, le<br />

« Centre <strong>des</strong> applications psychologiques à l’industrie et au commerce » de M. Lavoëgie ; le<br />

« Centre de psychologie industrielle » de N. Xydias, le « Centre de psychologie sociale et<br />

industrielle » de R Parillaud…).<br />

Les psychotechniciens de ces cabinets sont confrontés à <strong>des</strong> problèmes très différents<br />

de ceux de leurs collègues du secteur public. En développant son action en direction de<br />

nouveaux secteurs (formation professionnelle, orientation professionnelle, placement), l’Etat<br />

a créé un monopole de fait pour les psychotechniciens du secteur public qui suivent un<br />

processus de professionnalisation relativement protégé ; ceux qui exercent sur un marché<br />

aussi ouvert que celui du conseil doivent au contraire défendre la spécificité de leurs produits<br />

face à ceux de concurrents utilisant <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’évaluation différentes (graphologie,<br />

morphologie etc.). Les stratégies de professionnalisation poursuivies ne sont donc pas les<br />

mêmes. Elle se traduit, dans le cas présent, par la recherche d’une garantie de certification,<br />

dont les normes sont fixées par la profession elle-même, et ne sont pas nécessairement<br />

calquée sur <strong>des</strong> critères purement universitaires. Cette position est défendue en particulier par<br />

une association : la « Chambre syndicale <strong>des</strong> conseils en psychologie du travail » (CSCPT),<br />

créée par Guy de Beaumont en 1948. Beaumont est le prototype <strong>des</strong> "charlatans" de la<br />

psychologie dénoncés par Piéron et Pacaud, d’autant plus qu’il est un traître à la<br />

psychotechnique scientifique. En effet, jusqu’à la guerre, il s’inscrit dans la lignée de la<br />

tradition psychotechnique française : il passe par l’INOP en 1937 (mais n’obtient pas le<br />

65 Association nationale <strong>des</strong> directeurs et chefs de personnel.<br />

234


diplôme) et devient l’assistant de Lahy au CSMO (Centre Scientifique de la main d’œuvre),<br />

organisme créé en 1938 par le Ministère du travail pour conduire <strong>des</strong> recherches dans le<br />

domaine psychotechnique 66 . Ses conceptions de la psychologie évoluent nettement pendant la<br />

guerre et il se rallie progressivement à la méthode Carrard :<br />

« J’ai progressivement considéré que les métho<strong>des</strong> de psychotechnique dont on<br />

pouvait disposer étaient insuffisantes pour <strong>des</strong> cadres, puisqu’il s’agissait surtout de<br />

tests qui avaient été élaborés à l’étranger, revus en France par l’institut de la rue<br />

Gay-Lussac (INOP) et, en somme, ayant pour but surtout d’orienter les enfants. J’ai<br />

essayé de faire une adjonction avec la graphologie, la morphologie, puis imaginé <strong>des</strong><br />

tests plus délicats, puis recouru à <strong>des</strong> extrapolations de tests, où je pensais pouvoir<br />

trouver <strong>des</strong> éléments caractériels. J’ai obtenu de très bons résultats » 67<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Beaumont partage cet éclectisme méthodologique avec un certain nombre d’autres<br />

personnes, elles aussi dépourvues de diplômes de psychologie, mais désireuses de bénéficier<br />

du label "psychotechnique", alors en vogue dans les milieux industriels. Le CSCPT se<br />

construit donc sur une base très large, qui privilégie l’expérience et la pratique plutôt que la<br />

possession d’un diplôme précis. Les statuts de la CSCPT précisent en effet qu’elle « groupe<br />

toute personne physique qui, ayant acquis la compétence nécessaire par ses étu<strong>des</strong> en<br />

psychologie du travail (psychotechnique, psychologie appliquée) et par son expérience dans<br />

les affaires où elle en a fait appliquer les principes, apporte ses services aux entreprises et<br />

administrations qui font appel à elle, afin d’y étudier les problèmes relatifs au facteur humain<br />

qui se posent, les résoudre, réaliser les réformes utiles, mettre en œuvre les métho<strong>des</strong><br />

convenables pour améliorer les conditions et l’efficacité du travail humain ». Si le fait d’avoir<br />

suivi <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie est mentionné, les statuts ne spécifient en revanche aucune<br />

condition de diplôme 68 . L’objectif assigné à l’organisation est de « défendre, non seulement<br />

leurs intérêts professionnels pour fournir aux usagers les garanties, mais pour mettre le public<br />

en garde contre les "psychotechniciens industriels improvisés" en lui fournissant l’estampille<br />

de cette chambre syndicale qui doit lui donner la garantie d’un minimum de compétence<br />

reconnu par les pairs praticiens dans la profession » 69 .<br />

On pourrait s’étonner que cette association ne s’appuie sur aucune référence<br />

extérieure, située dans un savoir scientifique, académique ou <strong>des</strong> diplômes précis. En effet,<br />

66 Cet organisme deviendra le CERP après la guerre et sera rattaché à l’ANIFRMO<br />

67 Beaumont, 1953, p. 4<br />

68 La CSCPT pose les cinq conditions suivantes pour l’adhésion (art. 7 <strong>des</strong> statuts <strong>des</strong> la chambre) : 1) être<br />

français ; 2) N’avoir subi aucune condamnation judiciaire entachant leur honorabilité ; 3) Exercer depuis au<br />

moins 3 ans la profession dans les conditions conformes aux lois, aux usages de la profession et à celles<br />

imposées aux membres de la chambre syndicale, par les statuts et règlements disciplinaires ; 4) Adresser au Pdt<br />

une demande écrite d’admission ; 5) Fournir un extrait de leur casier judiciaire datant de moins de 3 mois<br />

69 Bulletin de l’AGOF, 1949, p. 6<br />

235


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elle « refuse de s’occuper du caractère plus ou moins officiel de la formation du<br />

psychotechnicien qu’elle juge à sa valeur, à son honorabilité et à ses résultats. Elle s’interdit<br />

de prendre parti pour une méthode plutôt que pour une autre ». Les seuls critères de choix <strong>des</strong><br />

membres s’appuient donc sur « l’expérience professionnelle et sociale du candidat (…) sa<br />

valeur au regard de ses pairs et de ceux qui ont utilisé ses services ». On retrouve dans ce<br />

mode d’organisation le modèle idéal-typique de la profession libérale, décrit par Larson<br />

(1977), où la valeur personnelle (c’est-à-dire sociale) du professionnel compte davantage que<br />

ses accréditations officielles. Dans cette perspective, le professionnel est avant tout un<br />

"honnête homme", à la réputation solidement établie, qui n’a pas besoin d’exhiber ses titres<br />

pour établir une relation de confiance avec un client 70 . Une telle situation résulte très<br />

certainement de la faible codification <strong>des</strong> formations et <strong>des</strong> savoirs psychotechniques au début<br />

<strong>des</strong> années 1950, qui conduit à mettre davantage l’accent sur les propriétés sociales <strong>des</strong><br />

personnes que sur <strong>des</strong> critères de compétence purement technique. En amont, on peut aussi<br />

relier la position <strong>des</strong> différentes associations à <strong>des</strong> principes de justification différents. Alors<br />

que l’APPD met en avant <strong>des</strong> critères de compétence scientifique et de qualification, attestés<br />

par un diplôme, la CSCPT insiste davantage sur « l’expérience » et « le savoir-faire » acquis<br />

par une longue pratique du métier et reconnus par un réseau de confrères.<br />

Le paysage associatif du monde de la psychotechnique au tournant <strong>des</strong> années 1950<br />

montre donc bien la diversité <strong>des</strong> voies de professionnalisation poursuivies, selon la position<br />

<strong>des</strong> différents acteurs et leur rapport au savoir académique officiel. On voit que la détention<br />

d’une expertise technique n’est pas la seule base possible du projet professionnel et que se<br />

jouent en amont différentes conceptions du métier : l’une centrée sur l’expertise technique,<br />

l’autre sur la dimension militante et une dernière enfin sur les propriétés sociales et<br />

l’honorabilité <strong>des</strong> membres de la profession. Les lignes de partage <strong>des</strong>sinées ici seraient<br />

certainement transposables à d’autres professions, au moins dans leur phase initiale de<br />

constitution. Ainsi, l’opposition entre "militantisme" et "expertise technique" se retrouve dans<br />

un bon nombre de professions sociales ou nées d’un champ d’intervention de l’Etat<br />

providence (journalistes sociaux, travailleurs sociaux, sociologues, urbanistes…). La tension<br />

entre "expertise technique" et "propriétés sociales" est davantage le fait <strong>des</strong> professions<br />

consultantes, où se jouent <strong>des</strong> relations de confiance interpersonnelle (avocats, comptables,<br />

70 On retrouve ici l’idée de « profession-réseau », présente chez KARPIK (1989), où la compétence de l’avocat<br />

repose tout autant sur ses « savoirs faire informels et personnels » et <strong>des</strong> réseaux de confiance interpersonnels,<br />

que sur <strong>des</strong> savoirs codifiés.<br />

236


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médecins…) et où la maîtrise technique importe moins que la surface sociale, d’où une<br />

segmentation de ces professions selon le type de clientèle.<br />

L’originalité de la psychotechnique tient au fait qu’elle se développe à l’intersection<br />

de ces deux univers : à la fois sur un marché privé de conseil aux entreprises (conseil en<br />

recrutement et sélection du personnel, mais aussi en psychosociologie et relations humaines)<br />

et sur un marché public (celui de l’orientation, de la formation professionnelle et du<br />

placement). Ce dernier segment est toutefois nettement surreprésenté dans la profession : à<br />

partir d’une prosopographie de 320 psychotechniciens exerçant entre 1953 et 1960 et ayant<br />

présenté le diplôme d’Etat de psychotechnicien, on observe que la pratique libérale est très<br />

réduite : 20% seulement dans le secteur du conseil aux entreprises ; 14% dans l’industrie<br />

privée ; 16% dans l’industrie publique et 50% dans l’administration (voir la prosopographie<br />

tableau II-8, annexe 2) 71 . Cette prégnance d’un modèle public apparaît clairement à l’occasion<br />

du débat autour du « diplôme de psychotechnicien », qui illustre bien les critères de<br />

différenciation qui vont se mettre en place au sein de la profession.<br />

Tableau 15 : Secteurs d’activités <strong>des</strong> personnes ayant postulé le diplôme d’Etat de<br />

psychotechniciens sessions 1953-1960<br />

SECTEUR D’ACTIVITE<br />

Administration 50%<br />

dont : Ministère du travail (ANIFRMO) 20%<br />

dont : Armée 6%<br />

dont : PTT 4%<br />

Services psychotechniques de l’industrie publique 15,5%<br />

Services psychotechniques de l’industrie privée 14,5%<br />

Conseil en psychologie appliquée aux entreprises 20%<br />

dont : CPA 6.8%<br />

Source : Archives du Diplôme d’Etat de psychotechnicien, AN CAC 19870163 art 1<br />

C. LE TRAVAIL D’OFFICIALISATION DE LA CATEGORIE : UNE PREGNANCE DU<br />

MODELE PUBLIC<br />

Jusqu’aux années 1950, la catégorie de "psychotechnicien" n’a pas d’existence<br />

officielle. Comme on vient de le voir, elle fait coexister sous une même appellation <strong>des</strong><br />

personnes qui ont suivi un parcours universitaire en psychologie appliquée (licence de<br />

psychologie, diplômes de l’Institut ou de l’INOP) et <strong>des</strong> personnes exerçant la<br />

psychotechnique sans avoir suivi de formation théorique. Il existe d’autre part un certain flou<br />

71 Cette prosopographie comprend l’ensemble <strong>des</strong> candidats au CEP (certificat d’étu<strong>des</strong> psychotechniques), au<br />

DEP (diplôme d’état de psychotechnicien) ainsi que les praticiens en activité ayant sollicité et obtenu <strong>des</strong><br />

dispenses à l’un et/ou l’autre de ces diplômes. Faute de place, nous n’avons reproduit en annexe II (tableau II-8)<br />

que la liste et les caractéristiques <strong>des</strong> 63 candidats ayant présenté une thèse en vue de l’obtention du DEP.<br />

237


dans le contenu du travail professionnel lui-même : le psychotechnicien est-il simplement<br />

celui qui « fait passer <strong>des</strong> tests » ou bien cette appellation recouvre-t-elle également le<br />

domaine de l’intervention et du conseil en entreprise, de la psychosociologie etc. ? La<br />

définition donnée par l’INSEE dans le Dictionnaire <strong>des</strong> métiers et appellations d’emploi,<br />

publié aux PUF en 1955, apparaît de ce point de vue singulièrement restreinte puisqu’elle<br />

limite le champ de la psychotechnique au seul domaine <strong>des</strong> tests et de la sélection, ce que<br />

refusent précisément bon nombre de psychotechniciens :<br />

« Psychotechnicien : Professionnel chargé d’appliquer les principes de la<br />

psychologie appliquée aux questions professionnelles. A l’intérieur d’une entreprise,<br />

il examine, au moyen de tests appropriés et appliqués aux individus, si leur aptitude<br />

s’accorde aux emplois susceptibles de leur être confiés » 72<br />

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Enfin, le caractère "fourre-tout" de la profession est accentué par le fait que le terme<br />

de psychotechnicien peut s’appliquer à <strong>des</strong> personnes placées à <strong>des</strong> niveaux hiérarchiques très<br />

différents : s’agit-il de la personne qui fait passer ou surveille les tests, comme le suggère le<br />

suffixe " -technicien" ? De celle qui les interprète ? Ou encore de celle qui les élabore et<br />

participe de ce fait à la progression du savoir psychotechnique lui-même (chargés d’étu<strong>des</strong>,<br />

universitaires etc.) ? La création d’un "diplôme d’Etat de psychotechnicien" en 1953 vise à<br />

introduire plus de clarté dans cet espace professionnel aux contours flous. L’attention portée à<br />

ce travail d’institutionnalisation administrative de la catégorie ne doit pas nous conduire à<br />

considérer le titre de psychotechnicien comme un point d’aboutissement, mais au contraire<br />

comme un point de départ qui montre les lignes de fracture au sein de la profession et l’espace<br />

cognitif dans lequel évoluent ses membres, en particulier ses représentants les plus autorisés :<br />

comment perçoivent-ils les frontières du groupe ? Quelle fonction entendent-ils faire jouer à<br />

cette jeune profession ? Mais avant de présenter la genèse de ce label officiel, il faut faire un<br />

panorama <strong>des</strong> frontières de la psychotechnique au tournant <strong>des</strong> années 1950, afin de mieux<br />

comprendre ce à quoi elle cherche à s’opposer.<br />

1. Les luttes aux frontières<br />

Abbott (1988) montre bien, à travers la notion de "juridiction", que l’apparition d’un<br />

nouveau savoir ou d’une nouvelle spécialité aiguise fortement les conflits entre les différentes<br />

professions impliquées dans un même domaine de travail. Le champ encore limité <strong>des</strong><br />

72 Il est intéressant de relever que dans ce même dictionnaire le psychologue est défini comme un « homme de<br />

sciences (…) il peut étudier les principes généraux qui régissent l’élaboration <strong>des</strong> tests et <strong>des</strong> canevas<br />

d’interrogation utilisés par les psychotechniciens et les orienteurs professionnels », ce qui montre bien qu’il<br />

existe encore dans les mœurs une division bien établie entre la psychologie comme science et comme technique<br />

d’application d’un savoir général.<br />

238


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applications de la psychotechnique dans les entreprises durant l’entre deux guerres avait<br />

limité les opportunités de conflits entre psychotechniciens et autres spécialistes de la gestion<br />

du facteur humain : <strong>ingénieurs</strong>-conseils, médecins, surintendantes d’usines, contremaîtres.<br />

Comme on l’a vu, ces différentes catégories s’étaient davantage approprié ces nouveaux<br />

savoirs, les intégrant à leurs propres pratiques sans subir la concurrence directe <strong>des</strong><br />

psychotechniciens. Lahy lui-même, dans les différents services psychotechniques qu’il avait<br />

mis en place, faisait appel à <strong>des</strong> personnels de l’entreprise sans formation psychotechnique<br />

préalable : médecins (Renault, Peugeot, Citroën), <strong>ingénieurs</strong> (STCRP, Tramways de<br />

Marseille)… La croissance rapide <strong>des</strong> effectifs de psychotechniciens au lendemain de la<br />

guerre va modifier cette situation et aviver la concurrence entre les divers intervenants de la<br />

sélection et de l’orientation professionnelle. Le travail de construction <strong>des</strong> frontières du<br />

groupe met les psychotechniciens aux prises avec deux catégories d’acteurs différents. Un<br />

premier groupe, qui concerne surtout le segment libéral de la profession, comprend les autres<br />

spécialistes de l’évaluation <strong>des</strong> personnes sur le marché du recrutement et de l’orientation :<br />

graphologues en premier lieu, mais aussi psychanalystes et psychologues-conseils se<br />

réclamant d’autres systèmes de pensée, désignés comme "empiriques" par la psychotechnique<br />

universitaire (méthode Carrard, psychomorphologie…). Le second groupe concerne la<br />

pratique de la psychotechnique au sein <strong>des</strong> entreprises, où les services psychotechniques<br />

subissent souvent l’emprise de la jeune médecine du travail (instituée par la loi du 11 octobre<br />

1946). Mais dans l’entreprise les psychotechniciens rencontrent aussi la concurrence <strong>des</strong><br />

contremaîtres et supérieurs hiérarchiques, qui craignent d’être dépossédés du pouvoir de<br />

recrutement et d’évaluation de leurs salariés. Cette nouvelle science ne risque-t-elle pas de<br />

mettre dans l’atelier <strong>des</strong> ouvriers dont on ne veut pas, mais qui présentent les aptitu<strong>des</strong><br />

requises ? Ne risque-t-elle pas aussi de diriger vers d’autres services les meilleurs ouvriers,<br />

précisément parce qu’ils présentent de bonnes aptitu<strong>des</strong> ?<br />

a) La concurrence <strong>des</strong> "empiristes"<br />

(1) Cadres et contremaîtres<br />

Les psychotechniciens de l’entre-deux guerres, notamment Toulouse, Laugier et<br />

Piéron, nourrissaient l’espoir d’une société entièrement pénétrée du savoir psychotechnique,<br />

dans laquelle toutes les questions d’orientation et de sélection de la main d’œuvre seraient<br />

réglées par la détermination scientifique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> 73 . C’était pour eux la condition d’une<br />

73 L’expression de cette alliance entre le projet social et le projet scientifique de la psychotechnique se trouve<br />

dans la Société de biotypologie, créée par Toulouse et Laugier en 1932 (voir HUTEAU, 2002)<br />

239


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société équitable, dans laquelle les aptitu<strong>des</strong> individuelles correspondraient étroitement avec<br />

les positions sociales occupées. Une sorte de naïveté positiviste les poussait à croire que le<br />

savoir psychotechnique, calqué sur le modèle <strong>des</strong> sciences expérimentales, devait porter en<br />

lui-même l’évidence de sa supériorité sur toutes les autres métho<strong>des</strong> venues du fond <strong>des</strong> âges :<br />

graphologie, morphologie, caractérologie etc. Or, aujourd’hui encore, cette supériorité<br />

intrinsèque de la psychotechnique est loin d’être prouvée. La psychologie du travail<br />

universitaire ne manque pas de proclamer sa supériorité scientifique et pratique sur les<br />

métho<strong>des</strong> empiriques <strong>des</strong> graphologues et autres diseurs de bonne aventure 74 . On peut<br />

néanmoins s’étonner que le débat n’ait guère progressé sur ce point depuis cinquante ans,<br />

signe d’une incapacité de la discipline à établir sa supériorité sur d’autres techniques<br />

d’évaluation <strong>des</strong> personnes. On voit par là que la rhétorique ou le vernis scientifique ne se<br />

suffisent pas en eux-mêmes pour asseoir la position d’une profession dans les luttes de<br />

juridiction : pour le client, seul compte le résultat et la preuve qu’une profession est capable<br />

de résoudre mieux que ses concurrents (ou à moindre coût pour un résultat équivalent) le<br />

problème auquel il se trouve confronté 75 . Il n’est donc pas anodin de prêter attention à ces<br />

savoirs alternatifs sur lesquels les psychotechniciens jettent habituellement l’opprobre : ils<br />

viennent souligner, par contraste, les failles et les limites du savoir psychotechnique officiel :<br />

ils en sont le "négatif-révélateur" (Léonard 1992, p. 245).<br />

Le premier groupe d’empiristes auquel sont directement confrontés les<br />

psychotechniciens dans les années 1950 sont les cadres et supérieurs hiérarchiques, qui sont<br />

amenés dans leur activité quotidienne à produire <strong>des</strong> jugements et parfois <strong>des</strong> évaluations<br />

quantifiées sur leurs subordonnés. On a déjà évoqué à ce propos les critiques de Bonnardel<br />

(1943) à l’égard <strong>des</strong> notations professionnelles et ses nombreuses étu<strong>des</strong> de docimologie entre<br />

1945 et 1950, qui visaient à établir la supériorité de l’évaluation psychométrique sur les<br />

évaluations professionnelles. Au-delà du débat scientifique, il s’agit de fournir aux<br />

psychotechniciens <strong>des</strong> arguments dans la lutte qui les oppose aux contremaîtres et petits chefs<br />

qui jusqu’alors exerçaient une emprise presque complète sur les questions d’embauche.<br />

L’exemple suivant, donné par Bonnardel (1943, pp. 31-32) illustre bien les obstacles qui<br />

s’opposent à la rationalisation <strong>des</strong> critères d’évaluation en entreprise :<br />

74 Pour deux exemples récents, voir BALLICO (2002) et LEVY-LEBOYER et al. (2001). Voir également l’article,<br />

fréquemment cité par les psychologues de BRUCHON-SCHWEITZER et FERRIEUX (1991).<br />

75 Sur place de la mesurabilité <strong>des</strong> résultats d’une profession dans les conflits de juridiction voir ABBOTT (1988,<br />

p. 46) : « L’une <strong>des</strong> variables affectant la vulnérabilité est la mesurabilité <strong>des</strong> résultats. Moins les résultats sont<br />

mesurables, moins il y a de raisons de préférer un traitement à un autre, d’où une moindre emprise<br />

professionnelle sur le problème considéré ».<br />

240


« Nous venions de fonder un service de psychométrie. Afin de ne pas gêner nos<br />

étu<strong>des</strong> préalables à l’application, seuls quelques initiés étaient au courant de<br />

l’existence de ce service. Dans une usine, une nouvelle fabrication devait être<br />

lancée. Elle demandait <strong>des</strong> ouvrières très habiles. L’ "ingénieur main-d’œuvre"<br />

cherchait sur quoi se guider dans ce recrutement, par mutations, parmi le personnel<br />

<strong>des</strong> divers ateliers. Il pense alors aux nouvelles notations qui lui étaient<br />

communiquées [par le service psychotechnique] à titre purement expérimental. Sans<br />

même nous consulter, il décide d’extraire <strong>des</strong> ateliers les ouvrières ayant donné les<br />

meilleurs résultats dans notre service. Il réclame, dans un certain atelier, qu’on mute<br />

Mme X… pour la nouvelle fabrication. Le chef d’atelier répond : "c’est ma<br />

meilleure ouvrière, je ne peux m’en séparer". On passe outre à cette réclamation.<br />

Huit jours après, nouvelle demande <strong>des</strong> deux autres ouvrières. Cette fois, le chef<br />

d’atelier se fâche. « Pourquoi celles-là ? Ce sont encore mes meilleures<br />

ouvrières ! ». L’ "ingénieur main-d’œuvre" lui explique l’existence récente du<br />

service de psychométrie et l’utilisation de ses données pour les mutations. Le chef<br />

d’atelier, fort en colère, va trouver le directeur de l’usine : "ça ne peut plus durer<br />

ainsi. Qu’est-ce que cette maudite psychométrie ? " ».<br />

Pierre Goguelin 76 (entretien n°49) fait état <strong>des</strong> mêmes obstacles au lendemain de la<br />

guerre, dans le récit qu’il donne de ses premières expériences de sélection en entreprise :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« La psychotechnique, c’était une révolution dans les mœurs, parce qu’autrefois,<br />

l’agent de maîtrise embauchait lui-même son personnel. Il n’y avait pas de chef du<br />

personnel. Enfin, c’était rare... C’était un outil administratif qui comptait les pions le<br />

matin et les comptait le soir pour savoir s’il y en avait pas de restés dans l’usine. Par<br />

conséquent, il n’y avait aucune structure ayant appris à former qui que ce soit, et les<br />

gens étaient embauchés la plupart du temps et… il a fallu donc que ces gens<br />

comprennent tout d’un coup…. Ces agents de maîtrise qui jusqu’alors avaient formé<br />

les gens sur le tas, en leur disant : « regardez comment je fais »… « Vous avez vu ?<br />

Alors faites-le maintenant… »…. « Mais non, vous n’avez rien compris ! Vous êtes<br />

vraiment complètement idiot mon pauvre ami… j’ai fait comme ça et vous n’avez<br />

pas vu que j’ai fait comme ça… Allez hop, faites-le ! ». Et le gars… Il y allait….<br />

Bon… et tout d’un coup, ces gens constatent qu’ils ne savent pas, en réalité,<br />

apprendre. Et on va voir apparaître, à tous les niveaux, <strong>des</strong> formateurs, y compris<br />

pour <strong>des</strong> ouvriers <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises, et c’est une chose qui est très importante,<br />

parce que les agents de maîtrise comme les cadres, ils savaient pas le faire avant,<br />

mais qu’on la leur ait enlevée, cette responsabilité… C’est une dépossession :<br />

« Puisqu’ils disent qu’ils sont plus forts que nous, eh bien qu’ils se démerdent ! Et<br />

puis on va bien voir ce qu’ils vont faire »… « Dites donc chef, le gars que vous<br />

m’avez envoyé, là… Il a encore fait une connerie ». Le gars qu’on lui envoie, a<br />

priori il est pas bon. A priori. Parce qu’il l’a pas choisi lui, alors qu’avant c’est lui<br />

qui le choisissait. Quand il y en avait un qu’il avait choisi et qu’il faisait une<br />

connerie, il allait pas s’en vanter ! Il engueulait le gars, mais il disait pas que le gars<br />

avait fait une connerie. Il couvrait la connerie. Donc vous voyez, ça crée <strong>des</strong><br />

modifications considérables dans les relations hiérarchiques. Alors ça, ça se fait très<br />

vite parce que ça se fait dans les années 48-55 ».<br />

Si de nouveaux savoirs rationalisateurs ont pénétré sans trop de difficultés de<br />

nombreux secteurs du marché et de l’entreprise au cours du XX e siècle, comme l’a bien<br />

montré Cochoy à propos <strong>des</strong> normes-qualité (2002) ou du marketing (1999), la pénétration de<br />

la science dans le domaine de la sélection du personnel semble soulever <strong>des</strong> problèmes d’une<br />

nature toute différente. Le psychotechnicien se trouve aux prises avec <strong>des</strong> acteurs qui jugent<br />

76 Entretien P. Goguelin, août 2001, psychotechnicien à EDF de 1947 à 1976. Professeur titulaire du cours puis<br />

241


leurs métho<strong>des</strong> de recrutement tout aussi rationnelles que celles qu’il propose. Ils ne voient<br />

pas en quoi un test est un outil de jugement plus efficace qu’un essai professionnel de<br />

quelques jours ou un simple contact d’homme à homme. Maucorps (1948) renvoie cette<br />

difficulté de la psychotechnique à s’institutionnaliser à l’hostilité "naturelle" <strong>des</strong> chefs<br />

d’entreprise vis-à-vis <strong>des</strong> nouvelles techniques :<br />

« Nombre de dirigeants d’entreprise, de techniciens, cèdent à cette facile tentation :<br />

pourquoi envisager l’emploi de techniques spéciales à propos de problèmes qui leur<br />

sont familiers ? Leur ancienneté de service, la multiplicité <strong>des</strong> fonctions qu’ils ont<br />

assurées, la fréquence et la diversité <strong>des</strong> contacts humains qu’ils ont été amenés à<br />

entretenir ne sont-ils pas les garants les plus sûrs de compétence et de flair ? »<br />

(Maucorps, 1948, p. 6)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Dans le même esprit, Bonnardel (1943) reproche aux évaluations professionnelles<br />

leur « subjectivité », au sens où elles reposeraient sur <strong>des</strong> relations interpersonnelles inscrites<br />

dans la durée et faisant entrer en jeu <strong>des</strong> critères soi-disant « irrationnels ». Mais, comme le<br />

souligne Naville dans sa critique de Bonnardel, « ce qu’on appelle ici facteur subjectif n’est<br />

qu’un autre facteur objectif. Nous avons affaire à plusieurs séries de facteurs objectifs qui<br />

entrent en conflit (…) celles-ci ne tournent-elle pas toutes autour de la même préoccupation :<br />

la production ? » 77 . C’est donc bien souvent à <strong>des</strong> critères tout aussi "objectifs" et<br />

pragmatiques que se réfère le contremaître : le salarié va-t-il permettre d’atteindre les niveaux<br />

de production hebdomadaire ? Ne va-t-il pas dégrader l’ambiance de travail dans l’atelier ?<br />

etc. A côté de l’ensemble complexe de déterminants qui font la productivité d’un travailleur,<br />

le test apparaît comme un instrument d’une prédictibilité bien faible, surtout lorsqu’il s’appuie<br />

sur une échelle de jugement unidimensionnelle, comme la plupart de ceux utilisés par<br />

Bonnardel.<br />

(2) Les graphologues<br />

Les graphologues participent eux aussi de la constellation de professions qui<br />

concurrencent les psychotechniciens au début <strong>des</strong> années 1950. Pratique d’amateurs et<br />

d’érudits jusqu’aux années 1940, la graphologie devient au lendemain de la guerre une<br />

véritable activité professionnelle organisée au sein d’associations 78 . La principale d’entre elles<br />

est le GGPF (Groupement <strong>des</strong> Graphologues Professionnels de France) qui voit le jour en<br />

1946 et regroupe les diplômés de la Société Française de Graphologie (SFG). Le<br />

développement de la graphologie immédiatement après 1945 tient aux mêmes raisons que<br />

de la chaire de psychologie du travail au CNAM de 1971 à 1990.<br />

77 NAVILLE (1945, p. 128)<br />

78 Les statistiques d’adhésion au GGCF pour la période 1946-1970 sont présentées sur le graphique II-11, annexe<br />

2.<br />

242


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

dans le cas de la psychotechnique : industrialisation rapide du pays, souci de la productivité,<br />

nécessité de recruter <strong>des</strong> personnels nombreux et mieux qualifiés pour la reconstruction….<br />

Comme avec les personnels d’encadrement, les psychotechniciens tentent de démontrer le<br />

caractère non scientifique <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> graphologiques, en s’appuyant sur <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

docimologiques confrontant <strong>des</strong> critères de réussite professionnelle avec <strong>des</strong> évaluations<br />

graphologiques, ou montrant la variance entre les évaluations d’un même individu par<br />

différents graphologues. Graphologues et psychotechniciens n’occupent pourtant pas tout à<br />

fait les mêmes territoires. D’une part les graphologues sont totalement absents <strong>des</strong> entreprises<br />

publiques et <strong>des</strong> administrations. En 1955, le sous-secrétariat à l’Enseignement Technique,<br />

appelé à se prononcer sur le statut d’utilité publique du GGPF, refuse de donner l’agrément en<br />

raison du caractère « peu fiable » <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> utilisées mais surtout parce que les milieux de<br />

la psychotechnique universitaires (notamment Piéron) ont de nombreux contacts auprès de<br />

l’Enseignement Technique, qui a opté pour la méthode psychotechnique dès les années 1920<br />

au moment de la mise en place de l’orientation professionnelle. L’administration et les<br />

entreprises publiques semblent donc être une chasse gardée de la psychotechnique, seule<br />

méthode dont les assises scientifiques sont jugées soli<strong>des</strong> par les pouvoirs publics. Sur le<br />

marché de la sélection privée, ils n’ont pas non plus affaire au même type de clientèle.<br />

Compte tenu <strong>des</strong> outils d’investigation caractérielle qu’ils proposent, les graphologues sont<br />

surtout sollicités pour le recrutement <strong>des</strong> cadres ou d’emplois intermédiaires dans les services<br />

(commerce, secrétariat, vente…). A l’inverse, les psychotechniciens ont davantage affaire à<br />

un public de techniciens et d’ouvriers qualifiés de l’industrie. Ils ne sont en effet pas parvenus<br />

à établir <strong>des</strong> tests aussi scientifiquement rigoureux que les tests psychophysiologiques ou<br />

d’attention dans le domaine caractériel ou de l’étude de la personnalité, qui passent pourtant<br />

au premier plan dans le recrutement <strong>des</strong> cadres et <strong>des</strong> emplois de service. Les progrès permis<br />

par l’analyse factorielle dans la connaissance <strong>des</strong> facteurs d’intelligence générale ne donnent<br />

pas non plus aux psychotechniciens <strong>des</strong> outils d’évaluation soli<strong>des</strong> pour la sélection de cadres,<br />

puisque ces derniers ont généralement tous de bonnes performances dans ce type de tests,<br />

compte tenu de leur niveau scolaire initial. Le territoire de l’évaluation <strong>des</strong> cadres est donc<br />

déserté par les psychotechniciens, faute de méthode d’investigation adéquate, ce qui en fait un<br />

lieu privilégié de concurrence interprofessionnelle avec les graphologues.<br />

(3) Les premières fondations d’une psychologie clinique du travail<br />

Il faut enfin mentionner, parmi les professions concurrentes <strong>des</strong> psychotechniciens au<br />

tournant <strong>des</strong> années 1950 ceux qui se réclament de savoirs eux aussi "psychologiques", mais<br />

qui s’inscrivent dans une perspective davantage spiritualiste (voire psychanalytique)<br />

243


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qu’expérimentale. A la mesure scientifique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychiques et physiologiques, ils<br />

opposent l’exploration clinique <strong>des</strong> tendances profon<strong>des</strong> de l’individu qui président au choix<br />

de telle profession plutôt que telle autre. La querelle est en fait ancienne et recouvre une<br />

opposition entre deux conceptions de la psychologie : l’une, analytique, s’inspire <strong>des</strong> sciences<br />

de la nature et se centre sur les facteurs d’adaptation de l’homme à son milieu "naturel",<br />

l’autre, globaliste et inspirée <strong>des</strong> sciences de l’homme, s’efforce de réinscrire l’acte de travail<br />

dans sa totalité sociale, culturelle ou psychique. Cette ligne a opposé Lahy au psychologue<br />

allemand William Stern 79 lors de la Conférence internationale de psychotechnique de Moscou<br />

(1931). Alors que Lahy prônait la décomposition analytique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> en s’appuyant sur<br />

<strong>des</strong> protocoles expérimentaux rigoureux, Stern insistait au contraire sur la nécessité de<br />

toujours prendre en considération la personnalité entière du travailleur. Un psychologue<br />

comme Wallon, bien que proche de Lahy et Piéron, ne cachait pas lui non plus ses sympathies<br />

pour cette conception spiritualiste de la psychologie qui saisit le lien dynamique entre<br />

l’individu et son travail et prend ses distances vis-à-vis d’une conception strictement statique<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>. Il écrivait ainsi en 1929 (p. 727) qu’il « n’est pas douteux qu’il puisse y avoir<br />

<strong>des</strong> affinités affectives qui apparentent certaines professions et certaines dispositions<br />

intimes », citant à l’appui de sa réflexion le "sadisme" qui expliquerait certaines vocations de<br />

chirurgiens ou biologistes et la "signification érotique" contenue dans le poiçonnage <strong>des</strong><br />

billets ou l’acte d’arrosage du jardinier. On citerait ainsi bon nombre de psychologues qui se<br />

firent les apôtres d’une psychologie industrielle plus clinique dans les années 1930 80 : Pierre<br />

Janet, Paul Masson-Oursel, Georges Politzer... Les tests de personnalité – notamment le test<br />

de Rorschach – dont l’usage avait commencé à s’étendre en Allemagne et aux Etats-Unis dans<br />

les années 1930, connaissent un succès rapide en France dans l’après-guerre, y compris dans<br />

la sélection vers les emplois manuels.<br />

Au lendemain de la guerre, les querelles sont loin d’être éteintes et parallèlement à<br />

l’ascension rapide de la psychotechnique académique, on voit ressurgir aussi les fondations<br />

d’une "anti-psychotechnique". La revue Psyché, créée en 1946 sous le patronage de<br />

personnalités prestigieuses comme les psychologues Pierre Janet ou Daniel Lagache et le<br />

psychiatre Louis Le Guillant, est particulièrement représentative de ce conflit entre la<br />

psychotechnique scientifique et une psychologie "clinique" du travail. De nombreux articles<br />

79 William Stern (1871-1938) avait forgé l’expression de "psychotechnique" en 1903 mais s’était détourné <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> expérimentales pour une psychologie plus personnaliste à la fin de sa vie.<br />

80 Voir sur ce point les recherches de OHAYON (1999) sur l’influence exercée par la psychanalyse sur certains<br />

secteurs de la psychologie appliquée françaises dans l’entre-deux guerres.<br />

244


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de la revue s’en prennent au mode d’intervention <strong>des</strong> psychotechniciens en entreprise, qui<br />

« se bornent à l’observation <strong>des</strong> faits de surface » au détriment de la « diversité <strong>des</strong> individus<br />

et <strong>des</strong> situations de travail » (Lucius-Bora, 1950, p. 76). La psychanalyse est donc appelée au<br />

secours de la psychotechnique 81 , notamment dans l’étude <strong>des</strong> accidents du travail qui peuvent<br />

être analysés dans bien <strong>des</strong> cas comme <strong>des</strong> « lapsus de conscience » ou <strong>des</strong> « amnésies<br />

partielles » (ibid, p. 80), y compris chez les individus les mieux doués et en pleine possession<br />

de leurs capacités professionnelles. La psychanalyse s’avère également utile dans la sélection<br />

professionnelle et devrait conduire à « faire une classification <strong>des</strong> métiers d’après les<br />

satisfactions qu’ils peuvent offrir à <strong>des</strong> complexes revendicateurs, captatifs, ou même au<br />

complexe d’infériorité. Il serait facile alors de se rendre compte que certains gestes<br />

professionnels prennent pour l’inconscient une valeur symbolique très importante ».<br />

(Danferre, 1946, p.100). On retrouve ici le mécanisme freudien de la sublimation, qui serait<br />

au principe <strong>des</strong> choix professionnels.<br />

La querelle avec la psychologie universitaire s’envenime au début <strong>des</strong> années 1950, à<br />

tel point qu’un procès est intenté par la revue Psyché à la suite d’un article jugé diffamatoire<br />

paru dans les colonnes du Bulletin de psychologie 82 en mars 1949. L’article, rédigé par un<br />

collectif d’étudiants de licence de psychologie, reprochait à Psyché ses « publications pseudoscientifiques,<br />

créant une confusion fâcheuse entre les sciences psychologiques et les<br />

opérations frauduleuses ». Il critiquait également l’orientation trop exclusivement<br />

commerciale de la revue et ses activités de "charlatanisme". Si l’issue de cette affaire consacre<br />

la victoire <strong>des</strong> étudiants en psychologie de la Sorbonne, grâce aux nombreux appuis de leurs<br />

professeurs 83 , elle révèle néanmoins les limites du savoir psychotechnique officiel au début<br />

<strong>des</strong> années 1950. D’une part, les frontières ne sont pas aisées à tracer entre les « charlatans »<br />

et les « vrais psychologues » : il y a, au sein même de la communauté universitaire, une<br />

scission entre ceux qui se réclament du modèle <strong>des</strong> sciences de la nature et ceux qui veulent<br />

faire avant tout de la psychologie une science humaine. Le comité de rédaction de Psyché<br />

ouvre d’ailleurs ses colonnes à <strong>des</strong> membres de l’Université partisans d’une psychologie plus<br />

clinique : Daniel Lagache, J. Favez-Boutonnier... Psyché accueille aussi les premiers articles<br />

81 Cf. cet article au titre évocateur, paru dans Psyché en 1950 sous la plume de Lucius-Bora : « La psychanalyse,<br />

complément indispensable à la psychotechnique »<br />

82 Le Bulletin de psychologie, créé en 1948 par le Groupe d’étudiants en psychologie de l’Université de Paris<br />

(GEPUP) est rapidement devenu une revue de premier plan de la psychologie française. Au départ, il visait<br />

exclusivement à publier les cours <strong>des</strong> professeurs de la Sorbonne, puis il se dirigea vers la publication d’articles<br />

scientifiques à partir <strong>des</strong> années 1960.<br />

83 Le GEPUP sera soutenu par Henri Wallon et Paul Fraisse, qui acceptent de témoigner. Piéron, Zazzo et<br />

Lagache envoient <strong>des</strong> lettres de soutien. Face à ces nombreux appuis, la direction de Psyché retire finalement sa<br />

245


de psychosociologie industrielle, grâce au responsable de la rubrique psychologie industrielle<br />

de la revue : Guy Palmade, membre de la CEGOS et fondateur du service de psychologie<br />

d’EDF. Ainsi, l’anti-psychotechnique qui se <strong>des</strong>sine dans les lignes de Psyché n’est pas un<br />

simple charlatanisme d’un autre âge, mais préfigure à bien <strong>des</strong> égards les futures orientations<br />

de la psychologie du travail à partir de la fin <strong>des</strong> années 1950.<br />

b) Psychotechnique et médecine du travail<br />

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A la différence <strong>des</strong> empiristes, les médecins du travail concurrencent les<br />

psychotechniciens par le caractère mieux établi de leurs savoirs dans le domaine du<br />

recrutement. Ils bénéficient en effet depuis 1946 d’un cadre légal réglementant leur<br />

intervention en entreprise. Cette loi stipule que la médecine du travail doit formuler <strong>des</strong> avis<br />

d’aptitude ou d’inaptitude médicale sur les salariés au moment du recrutement. La<br />

psychotechnique, au contraire – qui se veut pourtant la science <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> – n’est nullement<br />

obligatoire pour le recrutement, hormis dans quelques emplois de sécurité ou de transport,<br />

comme celui de cariste 84 . Dans les années 1950, les relations entre les services médicaux et<br />

les services psychotechniques varient considérablement d’une entreprise à l’autre. Dans<br />

certaines entreprises, comme la RATP, la SNCF, Ford ou Peugeot, la collaboration entre<br />

médecins du travail et psychotechniciens est jugée nécessaire et le passage par le service<br />

psychotechnique après la visite médicale est obligatoire pour être déclaré apte à l’emploi.<br />

Dans d’autres cas, comme chez Renault ou à la SNECMA, elle n’est sollicitée que de façon<br />

ponctuelle ou pour certains types d’emplois. Dans d’autres entreprises enfin, le service<br />

psychotechnique est intégré au service du personnel et le psychotechnicien se voit confiné à<br />

<strong>des</strong> tâches de classification, d’analyse de postes, de détermination <strong>des</strong> salaires (c’est le cas<br />

chez Renault à partir de 1956, année où la psychotechnique passe du service médical au<br />

service du personnel).<br />

Si l’usage <strong>des</strong> tests psychophysiologiques dans le recrutement vers <strong>des</strong> emplois<br />

manuels ou de sécurité est en général bien acceptée par les médecins du travail, le recours aux<br />

tests de personnalité ou aux tests projectifs 85 (en particulier dans le recrutement <strong>des</strong> cadres)<br />

plainte quelques jours avant le procès.<br />

84 Arrêté ministériel du 26 juillet 1961, art. 9 : « la conduite <strong>des</strong> chariots automoteurs ne doit être confiée qu’à<br />

<strong>des</strong> conducteurs soigneusement instruits qui auront subi un examen organisé par l’employeur prouvant qu’ils<br />

sont capables de s’acquitter de leurs fonctions en toute sécurité. Cet examen doit comporter trois parties : un<br />

examen médical, un examen psychotechnique et un examen de conduite de véhicules ». Cette disposition sera<br />

abrogée en 1982.<br />

85 Un test projectif est une méthode d’étude de la personnalité (souvent inspirée de la psychanalyse) construite<br />

autour de l’idée que le sujet "projette", au cours d’une épreuve, son monde personnel sur la réalité. Les plus<br />

connues de ces épreuves sont les tests de Rorschach (interprétation <strong>des</strong> imaginations suscitées par <strong>des</strong> tâches<br />

246


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

l’est moins. Il semble y avoir là une frontière infranchissable que le psychotechnicien n’est<br />

pas autorisé à franchir. Une controverse particulièrement vive oppose sur ce point un médecin<br />

du travail, le Dr Theil, aux associations de psychotechniciens au début <strong>des</strong> années 1960, c’està-dire<br />

au moment où les tests de personnalité commencent à se généraliser dans le<br />

recrutement <strong>des</strong> cadres 86 . Theil tente de mobiliser l’opinion et les pouvoirs publics sur les<br />

dangers du recours aux métho<strong>des</strong> d’investigation de la personnalité dans le recrutement. Il se<br />

livre pour cela à une véritable campagne de presse entre 1960 et 1962 87 , qui débouchera sur<br />

<strong>des</strong> projets du Ministère du Travail visant à réglementer l’usage <strong>des</strong> tests. Dans une<br />

communication à l’Académie de médecine 88 , Theil expose ses griefs contre la<br />

psychotechnique. Il commence par distinguer les « trois étages » dont se compose le savoir<br />

psychotechnique. Le premier est composés <strong>des</strong> tests psychophysiologiques, centrés<br />

exclusivement sur les aptitu<strong>des</strong> sensorielles et motrices : il reconnaît que ces mesures<br />

« objectives et scientifiques » ont connu <strong>des</strong> « succès indiscutables dans l’orientation<br />

professionnelle » et qu’il n’y a donc pas lieu de les condamner, même si « elles doivent être<br />

employées avec prudence et discernement ». Le second comprend les épreuves d’intelligence,<br />

dont Theil juge les résultats plus contestables. Il estime que ces épreuves, initialement<br />

conçues pour <strong>des</strong> enfants de moins de 16 ans dont l’intelligence ne s’est pas encore stabilisée,<br />

ne devraient pas être appliquées à <strong>des</strong> adultes, surtout lorsque « la note conférée par l’examen<br />

psychotechnique va influer la carrière du sujet durant toute sa vie ». Mais les critiques le plus<br />

virulentes concernent le troisième étage : celui <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> projectives et caractérielles,<br />

fréquemment utilisées dans le recrutement <strong>des</strong> cadres alors qu’elles « ont été initialement<br />

conçues à l’usage <strong>des</strong> psychopathes et pas du tout pour <strong>des</strong> sujets normaux ». Pour Theil, ces<br />

métho<strong>des</strong> sont incapables de déceler scientifiquement « les tendances du « moi profond »<br />

chez un sujet normal : elles sont entièrement subjectives et dépendent de l’interprétation de<br />

l’examinateur (…) leur utilisation hors de la médecine psychiatrique est absolument<br />

illégitime ». La communication de Theil conclut sur la nécessité de laisser la psychotechnique<br />

d’encre, créé en 1921), le test de Rosenzweig (dit de frustration, au cours duquel on observe les réactions d’un<br />

sujet face à <strong>des</strong> situations de déception, créé en 1934) et le test TAT (Thematic Aperception Test) créé par<br />

Murray en 1935, basé sur le principe de l’identification entre le sujet et <strong>des</strong> personnages représentés sur <strong>des</strong><br />

images dans <strong>des</strong> situations à signification ambiguë.<br />

86 Sur la diffusion <strong>des</strong> tests de personnalité en France à la fin <strong>des</strong> années 1950, voir ZURFLUH, 1976<br />

87 Cette campagne touche à la fois la presse syndicale (Cadres et Profession CFTC, n° 141 et 142 juin et juillet<br />

1960 ; Le médecin du travail CGT, n°47 mars 1962 ; Le Creuset CGC, n°382 du 1/02/1962, n°384 du<br />

1/03/1962 ; Liaisons Sociales, 18/05/1962) et la presse grand public (Le Monde 10/05/1962 ; Paris Presse<br />

11/05/1962 ; L’Aurore, 9/05/1962)<br />

88 « Sur les abus auxquels donne lieu la sélection <strong>des</strong> cadres <strong>des</strong> entreprises par la psychotechnique appliquée de<br />

façon systématique par <strong>des</strong> non-médecins », Communication du Dr Pierre Theil à l’Académie nationale de<br />

médecine, 8 mai 1962.<br />

247


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entre les mains <strong>des</strong> seules personnes qui ont « une connaissance suffisante de l’homme total 89<br />

(…) et sont seuls aptes à interpréter cet ensemble indissociable que forment l’homme<br />

physiologique et l’homme psychologique » : les médecins.<br />

Au-delà de l’aspect anecdotique de l’affaire, il est nécessaire de rappeler qu’elle<br />

surgit à un moment bien précis de l’évolution de la psychologie appliquée, où précisément<br />

celle-ci cherche à sortir de la gangue <strong>des</strong> sciences expérimentales et de la physiologie, pour se<br />

tourner vers <strong>des</strong> dimensions davantage inspirées de la psychologie clinique et sociale. Elle<br />

refuse donc d’être une simple annexe de la médecine pour devenir un savoir à part entière,<br />

alternatif à celui produit par le corps médical. L’argument se fait entendre sous la plume d’un<br />

psychotechnicien de l’ANIFRMO, membre du « Syndicat <strong>des</strong> psychotechniciens de la<br />

CGC » 90 : Alors que le docteur Theil parle en pathologiste, et ne voit dans le test qu’un<br />

instrument de diagnostic, le psychologue considère « l’individu en tant qu’élément<br />

interdépendant et interréagissant avec un milieu psychologique qui ne peut plus être défini en<br />

nombre de globules rouges ou en degré d’humidité, mais en tant que contingences sociales,<br />

éducatives, économiques, professionnelles et autres ». Ces conflits de juridiction avec le corps<br />

médical ou d’autres professions dominantes dans les différents champs d’exercice de la<br />

psychologie ne sont pas le fait exclusif de la psychologie appliquée au travail. Des conflits du<br />

même ordre opposent au même moment dans les hôpitaux les médecins aux psychologues de<br />

la santé, qui se voient confinés à la production de diagnostics à la demande <strong>des</strong> médecins, et<br />

pas directement pour les patients eux-mêmes. Dans le domaine scolaire, les conseillers<br />

d’orientation professionnelle (COP) revendiquent aussi, à partir du milieu <strong>des</strong> années 1950, de<br />

sortir de leur rôle étroit de "testeur" pour participer aux actions <strong>des</strong> équipes éducatives et<br />

orienter la pratique pédagogique <strong>des</strong> enseignants. On assiste donc, vers le milieu <strong>des</strong> années<br />

1950, à une évolution générale du rôle joué par les psychotechniciens dans leurs différents<br />

domaines d’application, qui les détourne d’une pure mission de "technicien <strong>des</strong> tests" au<br />

profit d’une fonction plus large de praticien de la psychologie. Face à ces évolutions, le<br />

diplôme d’Etat de psychotechnicien qui sera délivré de 1953 à 1970 apparaît nettement en<br />

retrait.<br />

2. Le diplôme d’Etat de psychotechnicien : autopsie d'un échec<br />

La création d’un nouveau diplôme est souvent perçue par les porte-parole <strong>des</strong><br />

professions comme une étape importante dans leur développement et leur reconnaissance : le<br />

89 Souligné par l’auteur<br />

248


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

diplôme officiel vient sanctionner la spécificité <strong>des</strong> savoirs mis en œuvre et permet d’établir<br />

une relation de confiance avec la société. En ce sens, il constitue un mécanisme d’assurance<br />

vis-à-vis du public, en déplaçant l’instance de légitimation du producteur individuel vers<br />

l’organisme qui délivre le diplôme : en général le système scolaire ou universitaire, mais<br />

parfois l’association professionnelle 91 . Cette conception est très présente chez Freidson (1986)<br />

par exemple, qui, renouant avec une approche fonctionnaliste, place le « système de<br />

certification » (credential system) au cœur de son approche. Il voit dans le diplôme un<br />

« signal de marché » efficace, permettant de réduire l’incertitude <strong>des</strong> parties au moment de la<br />

transaction 92 . Il est porteur d’informations sur la nature du travail susceptible d’être réalisé et<br />

sur le degré de maîtrise <strong>des</strong> savoirs professionnels.<br />

L’idée d’une correspondance parfaite entre le diplôme et les contenus de travail peut<br />

toutefois être discutée à la lumière de différents arguments. D’une part, comme l’a bien<br />

montré Karpik (1989), la confiance se construit davantage sur la base de réseaux sociaux<br />

inscrits dans la durée et la connaissance interpersonnelle que sur <strong>des</strong> accréditations officielles,<br />

qui ne fournissent qu’un niveau d’information minimal. Lorsqu’il s’agit de choisir un<br />

médecin, un avocat ou un dentiste, la seule garantie du diplôme ne suffit pas : il faut disposer<br />

en outre d’informations non publiques, que seul peut fournir le réseau, par le bouche à oreille.<br />

La théorie <strong>des</strong> « segments professionnels » (Bucher et Strauss, op. cit.) ouvre une autre brèche<br />

dans l’idée d’une correspondance stricte entre diplômes et contenus de travail. Pour les<br />

interactionnistes en effet, un titre officiel est avant tout un pacte de coexistence pacifique noué<br />

entre <strong>des</strong> professionnels qui s’efforcent de maintenir sous une même appellation un ensemble<br />

disparate d’activités, afin de tirer les bénéfices d’une action concertée et d’acquérir une<br />

visibilité sociale plus grande. Qu’y a-t-il en effet de commun aujourd’hui entre un<br />

« psychologue clinicien » qui exerce dans un établissement hospitalier et un « conseiller<br />

d’orientation psychologue » ou un « psychologue du travail » travaillant dans le domaine de<br />

l’insertion ou du recrutement ? Bien qu’ils puissent tous trois se réclamer d’un titre unique de<br />

« psychologue », protégé par la loi, ces différentes catégories relèvent de catégories<br />

différentes dans les grilles de PCS de l’INSEE 93 . On voit que dans ce cas le titre ne préjuge en<br />

90 Le Creuset. La voix <strong>des</strong> cadres, « Psychotechnique et médecine », 5/07/1962<br />

91 En Grande-Bretagne, par exemple, les diplômes de psychologie délivrés par les universités sont tous soumis à<br />

l’agrément de l’association professionnelle <strong>des</strong> psychologues : la BPS (British Psychological Society). Les<br />

contenus <strong>des</strong> diplômes eux-mêmes sont définis par la BPS.<br />

92 Alors que SPENCE (1973) élargit la notion de signal de marché à toutes les caractéristiques susceptibles d’être<br />

mobilisées par un travailleur sur le marché du travail, FREIDSON (1986, p. 63) la restreint aux seuls diplômes<br />

universitaires donnant accès à <strong>des</strong> activités protégées.<br />

93<br />

Les psychologues cliniciens appartiennent à la PCS 3114 (« Psychologues, psychanalystes et<br />

249


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

rien <strong>des</strong> orientations théoriques ni <strong>des</strong> contenus de travail eux-mêmes. Enfin, un minimum de<br />

recul historique montre bien qu’un titre ou un diplôme acquièrent en général au fil du temps<br />

une vie propre, relativement indépendante <strong>des</strong> conditions qui ont présidé à leur apparition. Ils<br />

deviennent <strong>des</strong> monnaies susceptibles de connaître <strong>des</strong> réévaluations ou <strong>des</strong> dévaluations<br />

selon les réorganisations du système de professions qui les entourent. La catégorie d’ai<strong>des</strong>oignante,<br />

sanctionnée par un diplôme officiel (le DPAS) 94 illustre bien ce phénomène.<br />

Arborio (2001) rappelle que la catégorie administrative est apparue au départ comme une<br />

catégorie transitoire, <strong>des</strong>tinée à officialiser la situation d’un certain nombre de personnels qui<br />

ne pouvaient avoir accès au titre d’infirmière. La catégorie s’est finalement maintenue et<br />

institutionnalisée dans le monde de l’hôpital, apportant au groupe une base d’action<br />

collective. Le titre a également connu une certaine revalorisation au fil du temps, du fait de<br />

l’apparition de la catégorie subalterne d’ASH (agent de service hospitalier), qui ne participent<br />

pas aux soins auprès <strong>des</strong> mala<strong>des</strong> et sont confinés à <strong>des</strong> activités d’intendance (ménage,<br />

lingerie, distribution <strong>des</strong> repas…). Cet exemple montre bien que les évolutions du rapport<br />

entre titre et poste ne tiennent pas seulement aux stratégies de monopole et à l’action<br />

collectivement organisée d’un groupe, mais à <strong>des</strong> phénomènes de nature purement<br />

écologique, qui modifient la valeur relative <strong>des</strong> monnaies par la simple apparition de<br />

nouvelles catégories adjacentes. De même, Denys Cuche (1985) montre bien que le titre<br />

d’ « Ingénieur <strong>des</strong> Arts et Métiers » s’est déplacé dans l’espace social au cours du XIX e siècle,<br />

passant de fonctions purement techniques à <strong>des</strong> fonctions de direction ou de gestion<br />

administrative dans les entreprises. Cette évolution n’est pas sans lien avec l’émergence d’une<br />

nouvelle catégorie : celle de technicien, venue prendre en charge un certain nombre<br />

d’activités autrefois dévolues aux <strong>ingénieurs</strong> <strong>des</strong> Arts et Métiers 95 . On multiplierait ainsi à<br />

l’envi les exemples de titres – notamment dans la littérature fonctionnaliste sur les « semiprofessions<br />

» : bibliothécaires, travailleurs sociaux, infirmières… – dont la position<br />

correspondante dans la division du travail a glissé d’une période à l’autre. Mais si le<br />

phénomène de revalorisation a beaucoup intéressé les sociologues, le phénomène inverse de<br />

psychothérapeutes non médecins ») alors que les psychologues du travail et les conseillers d’orientation<br />

psychologues relèvent de la PCS 3433 (« Spécialistes de l’orientation scolaire et professionnelle) ou de la 3722<br />

(« cadres spécialistes du recrutement ou de la formation ») selon leur champ d’activité.<br />

94 Diplôme Professionnel d’Aide-soignant(e)<br />

95 Il faut d’ailleurs rappeler, à la suite d’ECKERT, GADEA et GRELON (2003) que la revalorisation progressive <strong>des</strong><br />

écoles d’Arts et Métiers dans le champ <strong>des</strong> écoles d’<strong>ingénieurs</strong> au début du XX e siècle les autorise simplement à<br />

délivrer un « brevet d’ingénieur » et non un « diplôme », réservé aux seules gran<strong>des</strong> écoles (c’est-à-dire<br />

essentiellement les écoles d’application).<br />

250


dévalorisation d’un titre a été en revanche très peu exploré 96 . Le diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien en apporte un bon exemple puisque, initialement créé à la demande<br />

d’associations de psychotechniciens pour faire front à la concurrence <strong>des</strong> charlatans, il a été<br />

progressivement déserté en raison du discrédit jeté sur le terme, et de l’apparition d’une<br />

« monnaie » de valeur supérieure : le titre de psychologue.<br />

Comment comprendre le faible attrait exercé par le diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien sur les praticiens dans la période 1953-1970 ? Au cours de cette période,<br />

environ 400 certificats d’étu<strong>des</strong> psychotechniques seront délivrés et une soixantaine de<br />

diplômes d’Etat complets seulement, comme le montre le tableau suivant 97 .<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 16 - Diplôme d’Etat de psychotechnicien 1953-1970<br />

Dispenses totales accordées 34<br />

Certificats d’étu<strong>des</strong> psychotechniques délivrés 262<br />

Thèses présentées 59<br />

Source : Arch SNP-CGT, 50 J 63, Arch. CNAM 4 CC/1 et 4 CC/2<br />

Ce diplôme apparaît pourtant de prime abord comme le fruit d’une tentative réussie<br />

de fermeture de marché, émanant de l’APPD. Le vœu initial de Piéron et Pacaud, repris par<br />

l’APPD était de séparer les pratiques « scientifiques » <strong>des</strong> pratiques « non scientifiques », afin<br />

de parvenir à un meilleur contrôle de l’usage <strong>des</strong> tests sur le marché du travail. Ils sollicitent<br />

en 1948 l’appui de la direction de l’Enseignement Technique pour créer un nouveau diplôme,<br />

qui viendrait compléter celui de conseiller d’orientation professionnelle, mais serait davantage<br />

tourné vers le monde de l’entreprise et le recrutement. La figure de Piéron domine largement<br />

les débats : c’est lui qui est chargé par le directeur de l’Enseignement Technique de se<br />

prononcer sur l’opportunité du nouveau diplôme et d’en définir le contenu. La position de<br />

Piéron est claire : il estime que la « création du diplôme s’impose, car les circonstances ont<br />

amené sur le marché quantité de charlatans » 98 , il faut donc revaloriser l’image de la<br />

psychotechnique en créant un diplôme universitaire exigeant. Le contenu du diplôme qu’il<br />

soumet à l’Enseignement Technique en 1948 met l’accent sur la « formation scientifique de<br />

haut niveau » que devraient avoir tous les psychotechniciens, combinant la maîtrise <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> statistiques et une bonne connaissance en matière de psychophysiologie et de tests.<br />

96 Le titre de conseiller d’orientation a connu une aventure assez similaire, dont les scansions historiques<br />

rejoignent celles de la psychotechnique : conseiller d’orientation professionnelle de 1938 à 1962 ; conseiller<br />

d’orientation scolaire et professionnelle de 1962 à 1990 ; conseiller d’orientation-psychologue depuis 1990.<br />

97 L’architecture du diplôme d’Etat était composée de trois étages : un certificat d’étu<strong>des</strong> psychotechniques<br />

(CEP) préparé en un an au CNAM, à l’INOP et à l’Institut de psychologie, suivi d’un stage d’un an dans un<br />

service psychotechnique d’entreprise agréé par l’Enseignement Technique, puis d’un diplôme d’Etat<br />

sanctionnant un travail personnel, sous forme de thèse, présenté devant un jury.<br />

98 CHAN F 17 17940 « Diplôme d’Etat de psychotechnicien ».<br />

251


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’architecture proposée est la suivante : les diplômés de l’Institut ou de la licence de<br />

psychologie auront la possibilité de préparer à l’issue de leurs étu<strong>des</strong> un « certificat d’étu<strong>des</strong><br />

psychotechniques » (CEP), préparé en un an au CNAM et à l’INOP. Ils devront ensuite<br />

effectuer un stage d’un an dans un service psychotechnique agréé par la direction de<br />

l’Enseignement Technique. A l’issue de ce stage, ils pourront présenter devant un jury un<br />

travail personnel, sous forme de thèse, qui donnera accès au diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien (DEP). La vision de Piéron était toutefois peu adaptée à la réalité de la<br />

psychotechnique <strong>des</strong> années 1950. Comme on l’a vu, coexistaient sous cette appellation un<br />

ensemble disparate de personnes, qui se distinguaient tant par leurs pratiques ou leurs secteurs<br />

d’activité (public, privé), que par leur niveau scolaire initial. Il y avait en particulier à<br />

l’ANIFRMO ou dans certains cabinets de conseil en recrutement <strong>des</strong> personnes relativement<br />

âgées, qui exerçaient la psychotechnique depuis quelques années mais n’avaient reçu qu’une<br />

très courte formation dans <strong>des</strong> organismes privés comme la CEGOS, l’INFCP ou le CERP<br />

(voir supra). Ces divergences entre le segment <strong>des</strong> praticiens âgés et le segment <strong>des</strong> jeunes<br />

issus de la licence de psychologie (incarné par l’APPD), apparaissent lors <strong>des</strong> travaux<br />

préparatoires à la création du diplôme, au cours <strong>des</strong>quels le directeur du CNAM, Louis<br />

Ragey, rappelle la nécessité d’officialiser la situation d’un certain nombre de<br />

psychotechniciens, qui n’ont pas reçu de formation suffisante, mais qui ne doivent pas pour<br />

autant être considérés comme <strong>des</strong> charlatans, notamment lorsqu’ils bénéficient d’un<br />

environnement professionnel à une pratique raisonnée de la psychotechnique, comme c’est le<br />

cas à l’ANIFRMO :<br />

« Le projet de programme me paraît très lourdement chargé de psychologie<br />

livresque et très insuffisamment nourri d’expérience professionnelle. S’agissant<br />

d’une activité qui s’exerce dans les usines, les candidats ne sauraient appartenir à la<br />

seule catégorie <strong>des</strong> étudiants. Il faut concevoir la sanction comme ouverte à <strong>des</strong><br />

candidats formés exclusivement dans <strong>des</strong> établissements d’enseignement supérieur<br />

et aussi à <strong>des</strong> candidats issus <strong>des</strong> métiers, qui seront venus chercher dans nos<br />

établissements <strong>des</strong> compléments d’étu<strong>des</strong> » 99 .<br />

La voix <strong>des</strong> principaux syndicats de psychotechniciens se fait également entendre :<br />

ils craignent que les praticiens sans formation ne puissent pas prétendre au diplôme. Ainsi, le<br />

SNP-CGT, se faisant l’écho <strong>des</strong> psychotechniciens du Ministère du Travail demande en 1952<br />

à Piéron « l’assurance qu’aucun psychotechnicien en exercice ne soit contraint à préparer et<br />

passer un diplôme pour conserver sa situation » 100 . De même, Guy de Beaumont, parlant au<br />

nom de la Chambre syndicale <strong>des</strong> Conseils en psychologie du travail, demande que tous les<br />

99 CHAN F 17 17940 : « Diplôme d’Etat de psychotechnicien », lettre de Louis Ragey, directeur du CNAM à M.<br />

Legay, sous-directeur de l’Enseignement Technique, 8 octobre 1948<br />

100 Arch. SNP-CGT, 50J63, Archives départementales de la Seine Saint-Denis, « Syndicat national <strong>des</strong><br />

252


membres de son syndicat obtiennent le diplôme par dérogation 101 . Afin de concilier les<br />

différentes parties, la direction de l’Enseignement Technique choisit d’entériner le projet de<br />

Piéron par le décret de 1953, mais adopte <strong>des</strong> mesures transitoires, pour ne pas pénaliser les<br />

praticiens déjà en exercice. Ainsi, les personnes ayant plus de 35 ans et plus de 5 ans de<br />

pratique professionnelle peuvent être dispensées soit du diplôme dans sa totalité, soit du<br />

certificat d’étu<strong>des</strong> psychotechniques et du stage.<br />

Encadré 1 – Programme du Certificat d’étu<strong>des</strong> psychotechniques, 1953<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

I. Psychologie<br />

1. Les relations avec le milieu extérieur (réactions physiologiques, réactions adaptatives<br />

automatisées…)<br />

2. Les régulations de l’activité (émotions, réactions affectives)<br />

3. Les degrés supérieurs d’élaboration de la conduite (souvenirs, représentations,<br />

langage…)<br />

4. La variabilité intra-individuelle et inter-individuelle (psychologie différentielle)<br />

5. Psychologie sociale - influence <strong>des</strong> facteurs sociaux sur les cadres de la pensée et de<br />

la mémoire, la notion de personnalité basique<br />

II. Biologie et physiologie<br />

III. Vie industrielle (Friedmann)<br />

1. Les sciences économiques et le travail<br />

2. L’OST<br />

IV. Méthodologie psychotechnique et domaines d’application (tests)<br />

V. Statistiques (Faverge)<br />

Source : Arch. CNAM 4CC/1 et 4CC/2<br />

Avec le recul, et bien qu’il consacre le point de vue du segment savant incarné par<br />

Piéron et Pacaud, le diplôme d’Etat apparaît toutefois comme un échec. Il attira très peu de<br />

diplômés de l’université et fut presque exclusivement obtenu par <strong>des</strong> praticiens déjà en poste,<br />

qui craignaient de voir leur situation se dégrader par l’afflux de jeunes diplômés issus de la<br />

licence de psychologie. Il est ainsi frappant de constater que les certificats d’étu<strong>des</strong><br />

psychotechniques obtenus par la voie dérogatoire sont cinq fois plus nombreux que ceux<br />

obtenus par la voie normale (49 candidats se présentèrent à l’examen à l’issue d’un cursus<br />

universitaire normal, 250 dérogations furent accordées). On peut essayer de donner<br />

brièvement les raisons de cet échec. D’une part Piéron a voulu donner une orientation<br />

strictement psychophysiologique au diplôme, en délaissant presque totalement de côté les<br />

psychotechniciens de la CGT (1946-1969) »<br />

101 Ce qui lui est bien entendu refusé<br />

253


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

dimensions psychosociologiques ou ergonomiques, deux domaines de la psychologie<br />

appliquée qui connaissaient un important développement dans les années 1950. Ce faisant, il a<br />

contribué à enfermer la psychotechnique dans une testologie construite autour d’un paradigme<br />

étroitement scientiste, alors que de nouvelles voies auraient pu s’ouvrir à la discipline. Cette<br />

orientation scientiste apparaît à la fois dans le contenu du programme du certificat d’étu<strong>des</strong><br />

psychotechniques (voir encadré 1 supra), qui accorde une place prépondérante aux techniques<br />

expérimentales et aux métho<strong>des</strong> statistiques, et dans les sujets <strong>des</strong> thèses soutenues dans le<br />

cadre du DEP. Sur les 41 sujets de thèses déposés entre 1946 et 1970, seuls 9 touchent à <strong>des</strong><br />

aspects psychosociaux, 25 sont consacrés à la validation de tests psychométriques et 6 à <strong>des</strong><br />

questions physiologiques (voir tableau 17 infra, ainsi que la liste complète <strong>des</strong> sujets traités<br />

reproduite dans le tableau II-9 annexe 2). L’ergonomie, qui connaît pourtant d’importants<br />

développements à partir de 1955 dans le sillage <strong>des</strong> travaux d’Ombredane et Faverge est<br />

quant à elle presque totalement absente et ne donne lieu qu’à une seule thèse d’un chargé<br />

d’étu<strong>des</strong> du CERP en 1957 sur « l’intervention du psychologue dans la conception <strong>des</strong><br />

machines : étu<strong>des</strong> sur la fraiseuse ». Les sujets ne s’appuyant sur aucun protocole<br />

expérimental sont systématiquement refusés, comme en témoigne le cas de P. Giscard, lui<br />

aussi chargé d’étu<strong>des</strong> au CERP, qui se présente au DEP en 1957. Giscard propose de traiter<br />

dans sa thèse la question de « la formation et le perfectionnement du personnel<br />

d’encadrement », à partir d’une enquête auprès <strong>des</strong> principales organisations s’occupant de la<br />

formation de Cadres. Le sujet est refusé par le président du DEP, Louis Ragey, qui s’en<br />

explique dans les termes suivants : « J’ai vraiment la quasi certitude qu’une thèse de<br />

psychotechnique doit appliquer une méthode scientifique critique à <strong>des</strong> résultats observés sur<br />

<strong>des</strong> hommes. Or M. Giscard paraît étudier les plans formés par <strong>des</strong> organisateurs sur les<br />

seules informations fournies par les organisateurs » 102 .<br />

Tableau 17 – Sujets <strong>des</strong> thèses présentées pour le diplôme d’Etat (1956-1970)<br />

Psychométrie 25 61 %<br />

Psychologie sociale 9 22 %<br />

Physiologie 6 15 %<br />

Ergonomie 1 2 %<br />

Total 41 100 %<br />

Source : Arch. CNAM 4CC/1 et 4CC/2<br />

Le faible attrait du DEP s’explique aussi par le discrédit dans lequel tombent peu à<br />

peu les termes de « psychotechnique » et de « psychotechnicien », alors que les termes de<br />

102 Arch CNAM 4CC/1 et 4CC/2, lettre de Louis Ragey, Président du DEP et directeur du CNAM à R.<br />

254


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« psychologie » et de « psychologue », qui traduisent l’ouverture à un champ de<br />

préoccupation plus large, gagnent en prestige à partir de 1955. Le terme de psychotechnique<br />

disparaît ainsi progressivement de toutes les dénominations officielles et est supplanté par<br />

celui, plus noble, de « psychologie ». L’Association Internationale de psychotechnique<br />

devient l’ « Association internationale de psychologie appliquée » en 1955 ; le « syndicat<br />

national de psychotechniciens de la CGT » devient en 1961 « Syndicat National <strong>des</strong><br />

psychologues du travail de la CGT » (idem à la CGC et à la CFDT) ; en 1966, la<br />

dénomination officielle de « psychotechnicien » est abandonnée par l’ANIFRMO au profit de<br />

celle de « psychologue du travail ». Dans le même temps, le contenu du diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien reste ancré dans une tradition qui semble avoir de plus en plus de mal à se<br />

perpétuer, et ses responsables refusent d’en changer la dénomination, ce qui peut expliquer en<br />

partie son manque d’attrait pour les jeunes diplômés.<br />

Mais l’échec du DEP tient à une autre raison, certainement plus importante que<br />

celles qui viennent d’être évoquées : à partir <strong>des</strong> années 1950, les diplômés de la licence de<br />

psychologie sont de plus en plus nombreux sur le marché du travail (200 en moyenne chaque<br />

année entre 1950 et 1960). Celle-ci, éventuellement complétée par une ou deux années de<br />

formation dans un Institut de psychologie d’université 103 devient la voie majoritaire pour<br />

accéder aux métiers de la psychologie du travail. Le DEP apparaît dès lors comme une<br />

« seconde voie », de moindre valeur, <strong>des</strong>tinée à d’anciens praticiens peu diplômés. Cela<br />

transparaît nettement dans le profil <strong>des</strong> candidats ayant présenté le DEP entre 1956 et 1970.<br />

Sur les 58 dossiers de candidats que nous avons pu exploiter à partir <strong>des</strong> archives du CNAM,<br />

on relève seulement 14 candidats ayant un niveau d’étu<strong>des</strong> supérieur ou égal à la licence (dont<br />

4 titulaires de la licence de psychologie) :<br />

Tableau 18 – Profil <strong>des</strong> candidats au diplôme d’Etat de psychotechnicien (1953-1970)<br />

Age moyen 104<br />

43,2 ans<br />

% Licence<br />

25%<br />

dont : % Licence de psychologie<br />

7 %<br />

% CNAM 105 25%<br />

% INOP 5%<br />

% IPP 13%<br />

% Début de carrière employé, ouvrier ou technicien 35%<br />

Bonnardel, 18 oct. 1957<br />

103 Des Instituts de psychologie avaient été créés à Lyon (1943), Strasbourg (1943), Rennes (1948) et Bordeaux<br />

(1951) sur le modèle de l’Institut de psychologie de Paris. Chacun d’eux proposait une filière de psychologie du<br />

travail à l’issue de la licence.<br />

104 A la date de dépôt du sujet de thèse DEP<br />

105 Cours de « sélection et orientation professionnelle » du Pr Bize, qui deviendra en 1966 le cours de<br />

psychologie du travail, puis la chaire de psychologie du travail (1976)<br />

255


Source : Arch. CNAM, 4CC/1 et 4CC/2<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Eugène Dessoud, 45 ans, est psychotechnicien aux Mines Domaniales de Potasse d’Alsace.<br />

Il dirige le service psychotechnique depuis 1956. Ce service est placé sous la responsabilité<br />

du chef du service médical, M. le Dr Krafft qui est le chef direct de M. Dessoud. M.<br />

Dessoud n’a pas de formation universitaire particulière, il a été longtemps contremaître<br />

dans une malterie (de 1930 à 1941). Il connaît bien Mme Danger, psychotechnicienne à la<br />

CORT, et a collaboré avec elle sur un certain nombre d’étu<strong>des</strong> de poste. Il demande de<br />

pouvoir soutenir le DEP le plus rapidement possible car son avancement professionnel est<br />

bloqué. Il expose sa situation dans une lettre adressée au président de la commission du<br />

DEP, M. Ragey, le 23 janvier 1957 :<br />

« Mon avancement professionnel, bloqué depuis 1954, est conditionné par la<br />

possession du diplôme d’Etat de psychotechnicien. Je souhaiterais donc soutenir<br />

ma thèse le plus rapidement possible. Certaines gran<strong>des</strong> entreprises du Haut-<br />

Rhin : DMC, Schaeffer et Cie, m’ont sollicité pour étudier l’introduction <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> psychotechniques dans leurs usines. Là également, j’ai jugé sage de<br />

différer mon acceptation en attendant vos décisions quant au Diplôme d’Etat ».<br />

Dans une lettre du 22 octobre 1958 (qui fait suite à la soutenance – avec succès – de sa<br />

thèse), il fait part de ses inquiétu<strong>des</strong> à L. Ragey quant à la reconnaissance du titre par son<br />

employeur :<br />

« A quel diplôme universitaire peut-on assimiler le diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien ? A quelles fonctions correspond le diplôme d’Etat dans<br />

l’échelle hiérarchique <strong>des</strong> emplois ou professions ? »<br />

Réponse de M. Ragey, le 24 octobre 1958 :<br />

« A mon avis, cette question ne peut recevoir aucune réponse. Le diplôme d’Etat<br />

de psychotechnicien atteste une compétence reconnue dans une technique<br />

déterminée. Il n’est pas de même nature qu’un diplôme de connaissances<br />

scientifiques ou littéraires tel le diplôme de licencié. En ce qui concerne l’échelle<br />

professionnelle, le diplôme est incontestablement la qualification <strong>des</strong> Cadres et<br />

même <strong>des</strong> Cadres supérieurs comme un diplôme d’ingénieur l’est pour d’autres<br />

techniques ».<br />

Le DEP apparaît donc comme une voie de promotion sociale pour <strong>des</strong> personnes<br />

ayant débuté dans <strong>des</strong> services du personnel dans la période de l’entre deux guerres, ou dans<br />

les services de sélection du Ministère du Travail et qui ont ensuite poursuivi <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

psychologie en cours de carrière à l’Institut de Psychologie, à l’INOP ou au CNAM. Dans le<br />

cas de certains candidats, comme celui de M. Dessoud, l’obtention du DEP est exigée par<br />

l’employeur pour obtenir une promotion (voir encadré 2 infra) :<br />

Encadré 2 – La reconnaissance du DEP dans les entreprises : le cas d’E. Dessoud<br />

L’âge <strong>des</strong> candidats illustre bien la spécificité du DEP vis-à-vis <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> universitaires<br />

classiques : la moyenne d’âge s’établit à 43 ans et 70 % d’entre eux ont plus de quarante ans<br />

au moment où ils présentent le diplôme (voir tableau II-8, annexe 2). Ainsi, contrairement aux<br />

vœux de Piéron, le DEP ne constitua jamais une voie d’accès pour <strong>des</strong> étudiants issus d’un<br />

256


cursus universitaire classique. Il constitue une voie relativement dévalorisée d’accès à la<br />

profession, à un moment où celle-ci connaît de profon<strong>des</strong> mutations, du fait de la création de<br />

la licence et de l’orientation essentiellement clinique de celle-ci.<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE III. LA PSYCHOLOGIE : UNE PROFESSION DUALE<br />

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La désaffection progressive du diplôme d’Etat de psychotechnicien à partir du milieu<br />

<strong>des</strong> années 1960 (voir graphique 4 infra) marque également le déclin du paradigme positiviste<br />

qui avait soutenu le développement de la psychotechnique depuis le début du XX e siècle. Le<br />

DEP apparaît en effet comme le point d’aboutissement d’une longue histoire, qui remonte à la<br />

psychophysiologie du travail du début du siècle et qui se termine au début <strong>des</strong> années 1960. A<br />

partir de ce moment, la théorie <strong>des</strong> « aptitu<strong>des</strong> » (et son corollaire, la méthode <strong>des</strong> tests),<br />

autour de laquelle s’était construite la psychologie scientifique de Piéron et Lahy, semble<br />

avoir atteint ses limites, ainsi que le projet de résoudre par <strong>des</strong> voies scientifiques la<br />

« question sociale », notamment à travers l’orientation et la sélection professionnelle.<br />

Graphique 4 Nombre de thèses présentées pour le DEP 1955-1972<br />

14<br />

12<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

0<br />

1954<br />

1956<br />

1958<br />

1960<br />

1962<br />

1964<br />

1966<br />

1968<br />

1970<br />

1972<br />

Source : Arch. CNAM, 4CC/1 et 4CC/2<br />

Parallèlement à ce déclin du paradigme positiviste et <strong>des</strong> segments de la profession<br />

qui y sont liés (psychotechniciens et conseillers d’orientation), on voit monter en puissance un<br />

autre segment de la profession : la psychologie clinique. Celle-ci, qui prend son origine dans<br />

la psychologie dynamique de la fin du XIX e siècle et dans les travaux de Pierre Janet, n’avait<br />

connu que très peu d’applications pratiques avant la seconde guerre mondiale, en raison de la<br />

forte emprise du corps médical sur la psychopathologie et le secteur médico-social. Les<br />

257


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années de l’après guerre et la création de la licence de psychologie marquent un tournant<br />

important, compte tenu de l’orientation clinique donnée à la licence par Lagache.<br />

La psychologie clinique entend embrasser tous les domaines d’applications de la<br />

psychologie : de la psychopathologie à la psychologie industrielle en passant par la<br />

psychologie scolaire. Elle s’appuie pour cela sur un nouveau « paradigme » qui fait de la<br />

psychologie non la science <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, mais une science générale de la conduite. Selon les<br />

termes de Lagache, l’attitude du clinicien doit consister à « envisager la conduite dans sa<br />

perspective propre, relever aussi fidèlement que possible les manières d’être et de réagir d’un<br />

être humain et complet aux prises avec une situation, chercher à en établir le sens, la structure<br />

et la genèse, déceler les conflits qui la motivent et les démarches qui tendent à résoudre ces<br />

conflits… » (Lagache, 1947, p. 32). On mesure tout ce qui sépare une telle définition de la<br />

psychologie de celle qui avait guidé les premières applications dans le domaine de<br />

l’orientation ou de la sélection professionnelle, construite non sur l’exploration en profondeur<br />

de cas individuels, mais sur la mise en équivalence <strong>des</strong> individus par l’usage d’outils<br />

d’investigation scientifiques normalisés. Les psychotechniciens se divisent dès lors en deux<br />

segments bien distincts, qui se différencient à la fois par leur orientation théorique et par leur<br />

parcours professionnel. Un premier segment, issu de la tradition psychophysiologique de<br />

l’entre deux guerres, est composé de personnes formées en cours d’activité professionnelle<br />

dans les établissements qui avaient été les berceaux de la psychologie appliquée de l’entre<br />

deux guerres : l’Institut de psychologie, l’INOP et le CNAM. L’autre, dont la moyenne d’âge<br />

est moins élevée, rassemble les titulaires de la licence de psychologie qui entretiennent une<br />

distance plus grande vis-à-vis de la psychologie « scientifique » et se réclament davantage de<br />

l’orientation clinique. La profession de psychologue offre donc un visage extrêmement<br />

diversifié au tournant <strong>des</strong> années 1960. Une enquête réalisée par le SNPPD 106 en 1957 auprès<br />

<strong>des</strong> membres du syndicat montre l’extrême diversité <strong>des</strong> voies d’accès à la profession de<br />

psychologue : 43 % <strong>des</strong> répondants au questionnaire sont titulaires de la licence de<br />

psychologie, 18 % sont titulaires d’un ou plusieurs diplômes de l’Institut de psychologie, 15<br />

% sont diplômés de l’INOP et 7 % sont titulaires du DEP. On voit donc que le segment issu<br />

de la tradition expérimentaliste (IPP, INOP et DEP) représente un poids numériquement<br />

106 Syndicat National <strong>des</strong> Psychologues Praticiens Diplômés : Syndicat autonome fondé en 1950 à la suite de la<br />

création de la licence de psychologie et <strong>des</strong>tiné à défendre un statut <strong>des</strong> psychologues dans tous les domaines<br />

d’application. Le SNPPD entend se distinguer à la fois <strong>des</strong> syndicats affiliés aux gran<strong>des</strong> centrales (CGT, CFDT,<br />

CGC), qui défendent le statut <strong>des</strong> psychologues dans un champ d’application particulier (Ministère du Travail,<br />

Education, Santé…), perdant de vue l’unité de la profession, et <strong>des</strong> associations professionnelles (SFP, APPD…)<br />

au caractère académique trop marqué et qui se désintéressent du sort <strong>des</strong> praticiens.<br />

258


équivalent à celui <strong>des</strong> nouvelles générations formées dans le cadre de la licence de<br />

psychologie : environ 40 % <strong>des</strong> membres pour chacune de ces voies d’accès à la profession. A<br />

partir de cette date, l’histoire de la psychologie du travail devient indissociable de celle de la<br />

psychologie clinique, à la fois en raison de l’influence croissante exercée par ce paradigme sur<br />

les applications, mais aussi du poids croissant exercé par ce segment parmi les praticiens, qui<br />

se fera sentir au moment <strong>des</strong> débats autour du « titre de psychologue » qui mobilise les<br />

associations professionnelles entre 1960 et 1985.<br />

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259


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CHAPITRE IV<br />

DE LA PSYCHOTECHNIQUE A LA PSYCHOLOGIE DU<br />

TRAVAIL : L’ECLATEMENT D’UN GROUPE PROFESSIONNEL<br />

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261


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Jusqu’ici, nous avons considéré la psychotechnique indépendamment <strong>des</strong> autres<br />

domaines de la psychologie. Il faut rappeler que jusqu’aux années 1950, aucune autre branche<br />

de cette discipline essentiellement universitaire n’offrait de choix alternatif en terme de<br />

professionnalisation : la psychologie appliquée était synonyme de psychotechnique, et l’on ne<br />

concevait pas d’applications professionnelles en dehors de la méthode <strong>des</strong> tests 1 . Un tournant<br />

s’amorce au milieu <strong>des</strong> années 1950 : le paradigme expérimentaliste commence à<br />

s’essouffler ; la méthode expérimentale semble avoir livré tous ses secrets et c’est avec un<br />

certain dépit que l’on s’aperçoit qu’elle ne suffira pas à construire une société idéale, où<br />

chacun serait orienté selon ses aptitu<strong>des</strong> conformément au généreux projet de Toulouse. L’un<br />

<strong>des</strong> principaux promoteurs de la méthode psychotechnique au Ministère du Travail, Frédéric<br />

Simon (1957) 2 constate qu’après dix ans d’expérimentation dans ses services, « la marge<br />

d’erreur dans toute opération psychotechnique » reste considérable et que « le problème de la<br />

sélection de la main-d’œuvre est un faux problème ». Face à cet échec, il lui semble<br />

nécessaire d’infléchir l’activité <strong>des</strong> psychotechniciens dans deux nouvelles directions : la<br />

première est celle de l’adaptation du travail à l’homme, par « l’étude psychologique<br />

approfondie <strong>des</strong> conditions de travail », qui débouchera sur l’aménagement <strong>des</strong> outils et <strong>des</strong><br />

postes de travail dans le cadre de l’ergonomie (que l’on appelle encore de l’expression<br />

américaine d’« Human engineering »). La seconde voie de salut de la psychotechnique réside<br />

dans le « counseling », par lequel le psychologue peut « aider les employés à résoudre leurs<br />

problèmes, en leur faisant prendre conscience <strong>des</strong> éléments affectifs qui déterminent leurs<br />

motivations ou leurs attitu<strong>des</strong> ». La relation d’aide et la compréhension clinique prennent peu<br />

à peu le pas sur l’épreuve du jugement-sanction dans laquelle s’inscrivait jusque là<br />

l’intervention du psychotechnicien. On voit pointer en arrière-plan la thématique <strong>des</strong><br />

1 En réalité, comme l’écrivait S. PACAUD en 1955 (p. 156) le terme de psychotechnique a « toujours été<br />

considéré en France comme synonyme de celui de psychologie appliquée ». C’est seulement à partir <strong>des</strong> années<br />

1950 qu’une pratique professionnelle de la psychologie se détache de la méthode <strong>des</strong> tests pour devenir une<br />

pratique plus large de conseil à autrui, avec le développement <strong>des</strong> pratiques de counseling.<br />

2 Frédéric Simon (1909-1987), juriste de formation, a été de 1952 à 1960 directeur <strong>des</strong> services de sélection du<br />

Ministère du Travail, dont dépendaient le CERP et les psychotechniciens de l’ANIFRMO, il a contribué au<br />

développement du CERP et à la diffusion de la psychotechnique au sein de l’ANIFRMO, souhaitant même en<br />

élargir les applications dans les services de la main-d’oeuvre. Il fut ensuite directeur de l’ANIFRMO de 1960 à<br />

263


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« relations humaines », qui met l’accent sur les facteurs psychosociaux d’adaptation de<br />

l’homme au travail, là où la psychotechnique insistait davantage sur les dimensions<br />

psychophysiologiques. C’est donc en puisant dans <strong>des</strong> registres voisins de la discipline<br />

(psychologie clinique, psychologie sociale et psychologie expérimentale) que la<br />

psychotechnique s’ouvre à de nouvelles perspectives. Mais cette ouverture porte aussi en<br />

germe un éclatement de la catégorie de psychotechnicien, compte tenu de la diversité<br />

croissante <strong>des</strong> champs d’intervention de la profession : autrefois confinés à un seul domaine<br />

d’activité (la sélection professionnelle), ceux qui s’appellent désormais « psychologues du<br />

travail » multiplient leurs territoires d’interventions dans un éventail tellement large qu’il leur<br />

est difficile de soutenir un projet professionnel commun. Des logiques de segmentation par<br />

domaine d’expertise (gestion du personnel, formation, ergonomie, psychopathologie du<br />

travail, relations humaines) commencent donc à émerger au début <strong>des</strong> années 1960, comme<br />

nous le verrons dans ce chapitre.<br />

La seule prise en compte <strong>des</strong> facteurs scientifiques et <strong>des</strong> impasses auxquelles se<br />

trouve confrontée la psychotechnique ne suffit toutefois pas à comprendre la transition, au<br />

tournant <strong>des</strong> années 1960, de la psychotechnique vers une conception élargie en terme de<br />

psychologie du travail. Ce passage tient aussi à la structuration progressive de la profession de<br />

psychologue dans d’autres domaines (santé, action sociale, éducation…) et à l’évolution de la<br />

position relative <strong>des</strong> psychotechniciens dans l’ensemble de la profession. La création de la<br />

licence en 1947 a en effet amené sur le marché du travail une nouvelle génération de<br />

psychologues ayant reçu une formation différente de la formation traditionnelle <strong>des</strong><br />

psychotechniciens (INOP, Institut de psychologie et CNAM) et véhiculant une représentation<br />

de la profession et de son champ d’intervention radicalement nouvelle. Le débat autour du<br />

« titre de psychologue », qui s’amorce au début <strong>des</strong> années 1960, va alors contribuer à<br />

réorienter l’identité et les pratiques <strong>des</strong> psychologues du travail en les mettant en contact plus<br />

étroit avec les autres segments de la profession et en transformant l’image de la profession<br />

dans son ensemble. Si le titre de « psychologue » (protégé par la loi de 1985) s’impose<br />

progressivement comme un référent unificateur au sein de la profession, les psychologues du<br />

travail le revendiquent de façons très diverses selon leur champ d’activité : dominant dans les<br />

activités de recrutement ou dans certains services publics (AFPA, gran<strong>des</strong> entreprises<br />

publiques, Armée…) il est faiblement revendiqué dans le domaine de la psychosociologie ou<br />

de la gestion du personnel.<br />

1966.<br />

264


A. LES EVOLUTIONS INTERNES DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Si la sociologie <strong>des</strong> professions a longtemps porté son attention sur les groupes<br />

professionnels qui se « professionnalisent » au sens fonctionnaliste du terme (codification <strong>des</strong><br />

savoirs, création d’organisations professionnelles, mise en place de cursus de formation, de<br />

co<strong>des</strong> de déontologie etc.) rares sont les recherches consacrées au processus inverse d’érosion,<br />

de déstabilisation et finalement de disparition de groupes professionnels. Les fonctionnalistes<br />

expliquent mal ces phénomènes, puisqu’ils voient dans les progrès de la rationalité un<br />

mouvement unilinéaire vers davantage de professionnalisation. De même, le schéma néowéberien<br />

de « monopolisation », qui insiste sur la capacité d’action collective <strong>des</strong> groupes<br />

professionnels, ne dispose pas de véritables outils d’analyse pour comprendre ces<br />

mouvements à rebours de « démonopolisation », qui touchent pourtant nombre de<br />

professions : comment comprendre en effet qu’une profession, une fois arrivée à une position<br />

de pouvoir, abandonne ses monopoles acquis de haute lutte ? L’approche écologique d’Abbott<br />

(1988) apporte une réponse à ces questions : c’est l’émergence continue de nouveaux acteurs<br />

dans le « système <strong>des</strong> professions » qui travaille, recompose, déstabilise les juridictions<br />

acquises au fil du temps. De ce point de vue, la prise en compte d’un facteur unique de<br />

déprofessionnalisation est rarement satisfaisante. Il semble préférable de combiner différents<br />

niveaux d’analyse, prenant en compte <strong>des</strong> facteurs internes à la profession (le contenu de ses<br />

savoirs, ses rapports avec les autres segments de la profession, les trajectoires biographiques<br />

et les profils individuels <strong>des</strong> membres de la profession) et <strong>des</strong> facteurs externes (liens avec les<br />

professions voisines, transformation de l’action publique dans les domaines touchés par la<br />

profession…). Dans le cas qui nous préoccupe, la remise en cause du paradigme<br />

expérimentaliste en psychologie, qui touche toutes les professions qui s’étaient construites<br />

autour de ce noyau dans la période 1920-1950 (psychotechniciens et Conseillers<br />

d’orientation), est bien sûr centrale pour comprendre le passage de la figure du<br />

psychotechnicien à celle du psychologue du travail, mais il faut mobiliser d’autres cadres<br />

d’analyse pour avoir une appréhension plus complète de ce phénomène de<br />

décomposition/recomposition du groupe. Parmi ceux-ci, nous en retiendrons plus<br />

particulièrement : ceux ayant trait à la transformation <strong>des</strong> profils individuels et ceux liés aux<br />

mo<strong>des</strong> d’intervention publics dans le domaine du travail.<br />

265


1. Une « crise de la méthode expérimentale » en psychotechnique<br />

a) Une ossification <strong>des</strong> techniques<br />

En 1954, dans le Traité de psychologie appliquée publié sous la direction de Henri<br />

Piéron, Suzanne Pacaud écrivait :<br />

« …Une question grave pour l’avenir de la psychologie appliquée doit être<br />

envisagée. A quoi est due la défaveur qui paraît frapper actuellement la méthode<br />

expérimentale <strong>des</strong> tests ? La graphologie, les interviews, les questionnaires<br />

biographiques, les entretiens, les procédés clinico-caractériels, les épreuves de<br />

situations sur le tas, les discussions de groupe, tout paraît préférable à la méthode<br />

expérimentale ». (Pacaud, 1954b, p. 682)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Il est vrai que vers le milieu <strong>des</strong> années 1950, la psychotechnique (entendue au sens étroit de<br />

sélection professionnelle) ne couvre plus à elle seule tout le domaine de la psychologie du<br />

travail. Les tests font l’objet de critiques de plus en plus vives au sein même de la<br />

communauté professionnelle. Lors du XI ème Congrès International de Psychotechnique<br />

organisé à Paris en 1953, un jeune psychotechnicien de l’équipe de Palmade et Dubost à EDF,<br />

Pierre Goguelin, demande en séance plénière que les psychologues du travail s’ouvrent aux<br />

dimensions psychosociologiques et contribuent à l’intégration du travailleur au sein de<br />

l’entreprise, au lieu de se borner à leur simple sélection sur la base de tests. Pour lui, « le<br />

psychologue sélectionneur au sens strict du terme, lorsqu’il n’utilise que <strong>des</strong> tests préétablis,<br />

constitue un aspect périmé de la psychologie industrielle » 3 . Le nouveau rôle qu’il doit<br />

endosser est celui de « conseiller <strong>des</strong> chefs d’entreprises », en s’ouvrant aux nouvelles<br />

métho<strong>des</strong> développées aux Etats-Unis dès les années 1930 par Kurt Lewin : « role playing »,<br />

« psychosociologie <strong>des</strong> groupes restreints », « Training-Group » etc. Le problème n’est donc<br />

plus de sélectionner le bon travailleur, comme on choisirait un matériau pour réaliser un<br />

produit, mais de contribuer à sa meilleure intégration possible dans la communauté de<br />

l’entreprise : il n’est pas seulement une machine à produire, il a aussi un « cœur ». Le recours<br />

à ces technologies sociales place le psychologue dans une situation radicalement nouvelle,<br />

comme le souligne Pacaud (1953), dans sa virulente réponse à Goguelin. Il était jusque là<br />

resté retranché dans une pure situation d’expertise, se bornant à formuler un diagnostic, assez<br />

semblable en cela au médecin : « A l’instar du diagnostic médical, le diagnostic<br />

psychologique doit s’appuyer, chaque fois que c’est possible, sur les analyses du laboratoire.<br />

Comme le médecin clinicien coordonne les résultats bruts et disparates <strong>des</strong> analyses<br />

3 Voir « Compte-rendu du XIème Congrès International de Psychotechnique », Bulletin de psychologie, 1953-<br />

1954, pp. 190-201<br />

266


iochimiques et biophysiques, ainsi le psychologue compare et rapproche les résultats <strong>des</strong><br />

tests en fonction d’un certain système de références » (Pacaud 1953, p. 193). Pour reprendre<br />

l’opposition de Halliday (1987) présenté dans le chapitre I, le « mandat cognitif » (Knowledge<br />

mandate) <strong>des</strong> psychologues était de nature essentiellement scientifique. En s’ouvrant à la<br />

psychosociologie et aux diverses pratiques d’« intervention » en entreprise, le psychologue<br />

perd sa position de neutralité vis-à-vis <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> <strong>des</strong> directions puisqu’on lui demande<br />

d’agir et non plus simplement de formuler un diagnostic. Son rôle devient dès lors<br />

éminemment ambigu :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

«Comme dans la famille et à l’école, au travail aussi on nous demande de conseiller,<br />

d’orienter, de consoler. Qui autrefois dans la société était chargé d’un rôle pareil ?<br />

Qui avant nous assumait la tâche du psychologue ? L’analogie est trop évidente<br />

pour qu’elle ne frappe pas l’esprit. Dans ce siècle où défaille l’influence <strong>des</strong><br />

religions, on cherche <strong>des</strong> prêtres civils pour guider les hommes. Et pour accomplir<br />

<strong>des</strong> tâches d’une si noble et si haute responsabilité, on nous propose de dépendre<br />

d’un quelconque chef d’une quelconque entreprise ? Allons, c’est une plaisanterie<br />

que cela ! Les psychologues d’autrefois, les pasteurs d’hommes, dépendaient de<br />

Dieu ! Nous voulons ne dépendre que de la Science ! » (Pacaud, 1953, p. 195).<br />

Malgré les réserves émises par Pacaud vis-à-vis de ce tournant pris par la discipline,<br />

il est certain que les bases expérimentales de la psychotechnique apparaissent fragilisées vers<br />

le milieu <strong>des</strong> années 1950 et que tout pousse les psychotechniciens à se tourner vers de<br />

nouvelles activités. Il y a tout d’abord le constat, déjà évoqué, de la faible validité <strong>des</strong> tests,<br />

compte tenu de la difficulté à obtenir <strong>des</strong> données fiables sur <strong>des</strong> critères de « réussite<br />

professionnelle » <strong>des</strong> travailleurs. Dans un ouvrage célèbre, Ghiselli et Brown (1948) font<br />

apparaître que les coefficients de corrélation entre une tâche et un test atteignent rarement <strong>des</strong><br />

niveaux supérieurs à 0.5, soit une capacité de prédiction très faible. Pour résoudre ce<br />

problème, Pacaud invite les psychotechniciens à construire eux-mêmes les données sur la<br />

réussite professionnelle, à partir de leurs propres observations de terrain, ce qui est rarement<br />

possible compte tenu <strong>des</strong> contraintes du travail quotidien en entreprise, qui interdit souvent de<br />

se livrer à <strong>des</strong> travaux de recherche approfondis. Les exigences de productivité immédiate <strong>des</strong><br />

services psychotechniques se prêtent mal à ce type de recherches fondamentales, d’autant plus<br />

qu’une application canonique <strong>des</strong> tests voudrait que ceux-ci soient réadaptés, « ou même tout<br />

à fait modifiés (…) à chaque changement du mode de travail », même en apparence les plus<br />

insignifiants.<br />

C’est là précisément que réside le second problème : la psychotechnique a connu un<br />

succès très rapide dans la décennie 1945-1955, ce qui a conduit nombre d’entreprises à<br />

267


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

s’engager sur la voie d’une application « omnibus » <strong>des</strong> tests 4 , sans souci de vérifier leur<br />

validité, ni de les construire sur <strong>des</strong> analyses du travail préalables. La normalisation accrue<br />

<strong>des</strong> tests vendus par les maisons d’édition (EAP, ECPA, INETOP) favorise inévitablement ce<br />

genre de dérive en diffusant dans toutes les entreprises un nombre limité de tests à succès. Les<br />

maisons de tests doivent en effet faire face au dilemme suivant : soit s’orienter vers une<br />

logique de recherche et produire <strong>des</strong> tests sur demande, au gré <strong>des</strong> besoins précis de chaque<br />

entreprise (mais alors les tests sont faiblement rentables), soit vendre <strong>des</strong> tests généralistes<br />

plus rentables, mais aussi moins précis et ayant une prédictibilité plus faible pour un emploi<br />

donné. Aussi les sacro-saintes « étu<strong>des</strong> de validation » entre tests et réussite professionnelle,<br />

présentées dans les manuels et traités de psychologie appliquée comme la première étape de<br />

toute opération de sélection professionnelle, sont-elles rarement réalisées dans la pratique.<br />

Ecoutons ici le point de vue d’un spécialiste, lui-même psychotechnicien pendant quelques<br />

années au CPA :<br />

« Ces applications de la psychologie scientifique ont suscité pour moi (…) la<br />

découverte progressivement effarée, que ce qui nous avait été enseigné par nos<br />

professeurs (…) comme quoi, en matière de tests, leur validité comme outils de<br />

sélection passait nécessairement par leur validation externe, n’était jamais pratiquée.<br />

Jamais. (…) Je pourrais citer de nombreux exemples, auxquels j’ai personnellement<br />

participé. Un seul suffira ici, mais massif : la batterie de tests élaborée pour<br />

l’orientation <strong>des</strong> recrues du contingent, appliquée à <strong>des</strong> centaines de sujets, a été<br />

mise en place et utilisée sans jamais être validée (à l’époque tout au moins) par une<br />

comparaison, même simple, entre les orientations proposées et les performances<br />

obtenues » (Montmollin, 1997, p. 155).<br />

Tout porte à croire que le cas relaté ici n’est pas isolé. La production de nouveaux tests<br />

décline à partir <strong>des</strong> années 1950, d’où une certaine ossification <strong>des</strong> techniques utilisées en<br />

sélection. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les tests vendus par l’une <strong>des</strong> principales<br />

maisons d’édition de tests, la SECAP – Société d’Etude et Construction d’Appareils de<br />

Précision – au cours de l’année 1951 : sur les 9 tests psychomoteurs proposés par l’entreprise,<br />

la totalité ont été crées par Lahy dès les années 1920 5 . L’évolution <strong>des</strong> publications<br />

consacrées aux tests dans les principales revues internationales de psychologie entre 1945 et<br />

1970 illustre aussi un certain essoufflement de la méthode <strong>des</strong> tests à partir de 1954 6 . Les<br />

publications se réorientent vers la formation, l’ergonomie, la psychologie <strong>des</strong> organisations :<br />

4 L’expression de «tests omnibus » a été utilisée pour la première fois par BONNARDEL (1946) dans un article où<br />

il dénonce « l’application massive et irraisonnée » de tests standardisés pour orienter vers <strong>des</strong> emplois pour<br />

lesquels ils n’ont pas été conçus.<br />

5 Arch. INETOP<br />

6 Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus général de recul de psychologie du travail au sein de<br />

l’ensemble <strong>des</strong> publications de psychologie, qui passe de 15% du total <strong>des</strong> publications en 1946 à 3% en 1970<br />

(voir Graphique II-12, annexe 2).<br />

268


Graphique 5 Publications relatives aux tests dans les revues de<br />

psychologie 1945-1970 (tous pays confondus)<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

600<br />

400<br />

200<br />

0<br />

1945<br />

1948<br />

1951<br />

1954<br />

1957<br />

1960<br />

1963<br />

1966<br />

1969<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Source : Psychological Abstracts<br />

Mais les critiques les plus sévères à l’encontre <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> expérimentales<br />

appliquées aux questions de sélection professionnelle viennent de disciplines situées à la<br />

frontière de la psychologie appliquée : la sociologie du travail d’une part, l’ergonomie de<br />

l’autre. Ces deux disciplines offrent <strong>des</strong> voies de sortie à la psychotechnique : la première<br />

« par le haut » à travers l’étude <strong>des</strong> processus macro-sociaux d’orientation ; la seconde « par<br />

le bas », en revenant à une analyse psychophysiologique fine <strong>des</strong> postes de travail, dans un<br />

esprit proche de celui <strong>des</strong> premiers travaux de Lahy.<br />

b) La critique sociologique de la psychotechnique : Naville (1945)<br />

La critique sociologique a été formulée par Naville dès 1945 dans la Théorie de<br />

l’orientation professionnelle : pour lui, c’est l’édifice de la psychotechnique tout entier qui<br />

s’est construit sur <strong>des</strong> bases fragiles. Cette science se fonde en effet sur l’idée d’une harmonie<br />

préétablie entre une « structure d’aptitu<strong>des</strong> », distribuées inégalement dans la population, et<br />

une « structure de métiers » faisant appel à ces mêmes aptitu<strong>des</strong>. Or, il n’y a aucune nécessité<br />

à ce que ces deux ensembles convergent à un moment donné, puisqu’ils n’ont pas les mêmes<br />

déterminants. La population avait-elle plus d’«aptitu<strong>des</strong> » à se diriger vers le métier de paysan<br />

dans la société du XIX e siècle qu’aujourd’hui ? Y a-t-il <strong>des</strong> motifs psychologiques<br />

quelconques à ce qu’un tiers de la population active travaille aujourd’hui dans l’industrie ? La<br />

psychotechnique est donc pour Naville sous la dépendance étroite de la sociologie et de<br />

l’économie du travail, dès lors que c’est la division sociale du travail – et non la distribution<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> dans la société – qui surdétermine entièrement les pratiques de sélection de<br />

269


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

d’orientation. Les déterminants biopsychologiques viennent en quelque sorte toujours<br />

« buter » sur une structure sociale existante 7 . Le reproche formulé par Naville touche toutefois<br />

davantage les pratiques d’orientation (telles qu’elles sont réalisées dans le cadre de<br />

l’Education nationale) que les pratiques de sélection professionnelle. L’orientation ne peut en<br />

effet se faire sur une base strictement individuelle, indépendamment de l’éventail <strong>des</strong> emplois<br />

disponibles à un moment donné. En revanche, dès lors qu’il s’agit de sélectionner un<br />

travailleur à un emploi précis, le psychotechnicien n’a pas à se préoccuper de la structure <strong>des</strong><br />

emplois existants : son rôle se limite à émettre un « diagnostic » sur l’aptitude du travailleur à<br />

occuper ou non ce poste.<br />

La critique revient toutefois en force lorsque Naville (1945, pp. 160-163) montre que<br />

les déterminations socio-économiques pénètrent au plus profond la définition psychologique<br />

même de la notion d’ « aptitude ». Celle-ci est en effet le plus souvent définie, à la suite<br />

d’Edouard Claparède, comme « ce qui différencie, du point de vue du rendement, le<br />

psychisme <strong>des</strong> individus ». A travers l’idée du rendement, on retrouve bien celle –<br />

économique – de production, car « il y a rendement lorsqu’en conclusion d’une activité<br />

quelconque <strong>des</strong> valeurs sont lancées sur le marché et devenues socialement consommables et<br />

assimilables ». (Naville, 1945, p. 173). Il n’y a en effet pas de sens à parler de rendement<br />

d’une aptitude telle que l’ « acuité visuelle » ou la « rapidité de réaction » si celle-ci n’est pas<br />

mesurée à l’aune d’une activité productive quelconque. On voit donc bien que la notion ne<br />

renvoie pas à un substrat naturel, mais à un complexe simultanément biologique et social, un<br />

rapport, une mise en relation qui transforme les éléments de la relation elle-même. Donnera-ton<br />

par exemple la même définition <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> naturelles d’une société à l’autre ou d’une<br />

époque à l’autre ? On s’aperçoit en réalité que, quel que soit le degré de raffinement apporté<br />

dans la construction <strong>des</strong> tests, il est impossible de mesurer <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> naturelles<br />

indépendamment <strong>des</strong> activités productives dans lesquelles elles s’insèrent et que ces deux<br />

ordres de réalité, que les psychotechniciens avaient pris soin de séparer, se contaminent en fait<br />

mutuellement 8 . Piéron (1949, p. 31) rétorque à Naville qu’il « n’a pas distingué nettement la<br />

capacité – potentialité actuelle conditionnant une réussite, que l’on peut apprécier et mesurer<br />

7 La critique de Naville s’inscrit dans la lignée <strong>des</strong> critiques marxistes de la psychologie appliquée apparues dès<br />

les années 1920 sous la plume de Georges POLITZER (1947, p. 116) : « la psychologie du travail n’est possible<br />

que sur les bases d’une connaissance exacte du travail en général, de sa nature économique, de son rôle et de sa<br />

place dans l’actuelle organisation sociale (…) en d’autres termes, la psychologie toute entière n’est possible<br />

qu’enchâssée dans l’économie [souligné par l’auteur] ».<br />

8 Ces ambiguïtés de fond sont tout aussi présentes dans la notion actuelle de « compétence » qui, comme celle<br />

d’aptitude, entend isoler <strong>des</strong> « blocs de compétence » naturellement inscrits dans <strong>des</strong> individus et qui, une fois<br />

combinés entre eux, pourraient constituer <strong>des</strong> « métiers ».<br />

270


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

directement –, et la disposition native, que l’on cherche à déceler en s’adressant aux capacités.<br />

C’est à cette disposition que convient le terme d’aptitude… ». L’idée de rendement ne<br />

s’appliquerait donc qu’aux « capacités » et pas aux « dispositions natives » évoquées par<br />

Piéron. Mais, s’interroge Naville (1972 [1945], p. 256) « comment on peut remonter de la<br />

capacité ainsi conçue (performance dans un test) à une aptitude (disposition native) pour un<br />

métier ou l’autre, c’est ce qui reste toujours pour moi un mystère… ». Car prétendre qu’il y a<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> naturelles pour un métier spécifique, c’est oublier que certaines activités<br />

disparaissent, tandis que d’autres apparaissent ou se recomposent incessamment. Face à cette<br />

faille originelle de la notion d’aptitude, Naville suggère de lui substituer la notion<br />

d’adaptitude, soulignant par là que le cœur du problème ne réside pas dans la recherche de<br />

caractéristiques innées à s’orienter vers tel ou tel métier mais dans un processus continu<br />

d’adaptation entre <strong>des</strong> caractéristiques biologiques et une structure sociale mouvante. C’est<br />

finalement par la planification <strong>des</strong> besoins en main-d’œuvre et un processus continu<br />

d’orientation <strong>des</strong> individus vers les emplois existants et futurs que les processus d’orientation<br />

pourront, pour Naville, retrouver du sens.<br />

La critique n’est pas de pure forme : elle ouvre la voie d’un renouvellement <strong>des</strong><br />

pratiques d’orientation et de sélection de la main-d’œuvre, donnant une plus large place aux<br />

sciences sociales (plus particulièrement à l’économie et à la sociologie du travail) et laissant<br />

de côté les métho<strong>des</strong> issues de la psychologie expérimentale. Le mouvement est déjà bien<br />

amorcé vers le milieu <strong>des</strong> années 1960, comme le montre l’évolution de la position du<br />

Ministère du Travail et du Ministère de l’Education nationale à l’égard de la psychotechnique.<br />

Dans l’Education nationale par exemple, on souhaite faire une plus large place à la sociologie<br />

et l’économie dans la formation <strong>des</strong> Conseillers d’orientation, après plusieurs décennies de<br />

domination incontestée de la psychotechnique. Cette question est au cœur du débat, en 1963,<br />

lorsque le Ministre de l’Education veut unifier les corps de psychologues scolaires et de<br />

Conseillers d’orientation au sein d’un corps unique de « Conseillers-psychologues »,<br />

davantage tourné vers les sciences sociales. La formation envisagée pour ce nouveau corps<br />

comprendrait un enseignement mi-économique, mi-psychologique, afin de redonner du poids<br />

aux déterminants socio-économiques dans la prise de décision <strong>des</strong> Conseillers-psychologues :<br />

« La licence de psychologie est vivement contestée au Ministère (…). Une licence<br />

de sciences économiques, en raison <strong>des</strong> informations à donner sur les carrières,<br />

serait mieux vue. Pour en sortir, il faut essayer de défendre une licence mipsychologique,<br />

mi-économique » 9 .<br />

9 Arch. INETOP, lettre de J. Capelle (Directeur général <strong>des</strong> enseignements scolaires et de l’orientation) à<br />

271


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le même type de préoccupation apparaît au Ministère du Travail au moment de la<br />

création de l’ANPE en 1967. Dès 1965, les psychotechniciens de l’AFPA s’inquiètent de la<br />

création d’une catégorie de « conseillers professionnels », dans les services de l’emploi du<br />

Ministère du Travail (future ANPE). Ceux-ci, pour lesquels aucun diplôme précis n’est exigé,<br />

se voient confier une mission très proche de celle <strong>des</strong> psychotechniciens : le « conseil aux<br />

candidats dans le choix d’une activité professionnelle » 10 . Les syndicats de psychologues de<br />

l’AFPA et différentes associations (Société Française de Psychologie, SNPPD) insistent à<br />

cette occasion sur la nécessité d’une expertise psychologique dans ce type de mission. Lors<br />

d’une entrevue au Cabinet du Ministre du Travail, ils font part de leur inquiétude sur la<br />

qualité du service rendu au public et sur l’éventuel chevauchement <strong>des</strong> missions <strong>des</strong><br />

psychotechniciens de l’AFPA et <strong>des</strong> conseillers professionnels 11 . Le transfert <strong>des</strong> services de<br />

psychologie du travail de l’AFPA à l’ANPE est alors envisagé par le Ministère du Travail en<br />

octobre 1967 :<br />

« La tâche <strong>des</strong> services psychotechniques régionaux étant liée par sa nature à celle<br />

du nouvel établissement public chargé <strong>des</strong> services de l’emploi, il est apparu logique<br />

de rattacher les centres psychotechniques à ce nouvel établissement. Ce transfert<br />

serait réalisé de manière à garantir le maintien <strong>des</strong> avantages acquis au personnel et<br />

en particulier aux psychologues du travail » 12 .<br />

Toutefois ce projet, qui rencontre de nombreuses résistances parmi <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail, est rapidement abandonné par le nouveau gouvernement en 1968. La création par le<br />

Ministère du Travail de l’ANPE et le refus délibéré de toute référence à la psychotechnique<br />

dans l’activité d’orientation constitue une étape importante dans la mise à l’écart progressive<br />

de cette discipline.<br />

Enfin, la création au début <strong>des</strong> années 1970 de nouveaux organismes d’étu<strong>des</strong><br />

comme le CEREQ (Centre d’étu<strong>des</strong> et de recherches sur les qualifications, créé en 1970) ou le<br />

CEE (Centre d’étu<strong>des</strong> de l’emploi, créé en 1976) sous la double tutelle <strong>des</strong> Ministère du<br />

Travail et de l’Education nationale, témoignent également d’une volonté politique de sortir de<br />

l’emprise trop forte de la psychologie appliquée sur les questions d’orientation, et de donner<br />

une place plus grande aux sciences sociales du travail. Les travaux préparatoires du VI ème plan<br />

(1969-1970) avaient déjà montré les limites d’une approche trop mécaniste de la relation entre<br />

l’Inspecteur Vacquier, 14 mai 1964<br />

10 J.O. du 27 janvier 65<br />

11 « Les représentants syndicaux (…) élèvent une très sérieuse protestation sur le manque de garanties techniques<br />

d’accès aux postes de conseillers professionnels et sur les risques de confusion dans l’esprit du public, sur la<br />

dualité de cette fonction (sans garantie technique) avec celle <strong>des</strong> Conseillers d’orientation professionnelle et <strong>des</strong><br />

psychotechniciens (exigeant <strong>des</strong> garanties techniques) », compte-rendu de l’entrevue du 12 mars 1965 AN, CAC,<br />

Fontainebleau, cote 19760129, art 6, dossier 3.0.6.<br />

272


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

formation et emploi telle qu’elle se manifestait dans la confrontation entre les besoins en main<br />

d’œuvre <strong>des</strong> employeurs et les sorties du système scolaire par niveau 13 . Si la psychotechnique<br />

occupait une place de choix dans cette conception, en permettant de détecter les "aptitu<strong>des</strong>" de<br />

ceux qui n’avaient pu accéder au système scolaire, elle se trouve remise en cause par la<br />

combinaison de deux facteurs. D’abord, la massification de l’accès à l’enseignement<br />

secondaire et supérieur à partir <strong>des</strong> années 1960 creuse une brèche dans le discours de la<br />

psychologie appliquée, qui s’était construit autour de la récupération <strong>des</strong> "ratés" du système<br />

scolaire. On le voit dans l’Education nationale, où les Conseillers d’orientation passent d’une<br />

mission d’« orientation professionnelle » (c’est-à-dire en direction du marché du travail) à une<br />

mission d’« orientation scolaire », au sein même de l’école. Ensuite, le discours critique de la<br />

sociologie de l’éducation <strong>des</strong> années 1960-1970 (Bourdieu et Passeron, 1964 ; Baudelot et<br />

Establet, 1971) met à mal l’approche individualisante contenue dans la notion d’aptitude.<br />

L’école (a fortiori le monde du travail) apparaît davantage comme un instrument de<br />

reproduction sociale que comme le lieu où s’expriment les aptitu<strong>des</strong> naturelles <strong>des</strong> individus.<br />

Enfin, les nouveaux mo<strong>des</strong> de raisonnement relatifs à l’articulation formation-emploi se<br />

tournent davantage vers la sociologie et l’économie et les pouvoirs publics se dotent<br />

d’instruments d’observation de la relation formation-emploi issus de ces disciplines, ce qui se<br />

concrétise notamment à travers la mise en place au CEREQ d’un « observatoire <strong>des</strong> entrées<br />

dans la vie active » à partir de 1973 (Marry et Tanguy, 1986, p. 32). Il n’est pas anodin non<br />

plus de noter que le CEREQ et le CEE sont créés à peu près au moment où disparaît le CERP,<br />

et que la plupart de ses membres rejoignent définitivement l’un de ces deux organismes au<br />

milieu <strong>des</strong> années 1970 (Dänzer-Kantof, 1999). Les chercheurs et chargés d’étu<strong>des</strong> recrutés<br />

dans ces nouveaux organismes sont pour la plupart issus de la licence d’économie (parfois de<br />

sociologie), les psychologues devenant minoritaires. Ces différents exemples montrent bien<br />

qu’à partir <strong>des</strong> années 1960, c’est auprès de nouvelles disciplines que l’on cherche <strong>des</strong><br />

réponses au problème de l’orientation, face à l’incapacité de la psychotechnique à sortir d’un<br />

point de vue exclusivement centré sur l’individu et ses « aptitu<strong>des</strong> ».<br />

c) L’ascension de l’ergonomie<br />

L’ergonomie vient, elle aussi, mettre en doute – par le bas cette fois – les fondements<br />

de la psychologie appliquée. La critique est au fond la même que celle de Naville, puisque<br />

toutes deux s’inspirent de la théorie béhavioriste : le langage <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, en séparant deux<br />

12 Jacques Chirac (secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales) 23 juin 1967.<br />

13 TANGUY, 2002<br />

273


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

univers – celui <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> individuelles et celui <strong>des</strong> métiers – perd de vue l’essentiel qui est<br />

précisément la mise en rapport <strong>des</strong> deux termes de la relation : mise en rapport entre <strong>des</strong><br />

caractéristiques biopsychiques et les mécanismes de division sociale du travail chez Naville 14 ,<br />

mise en rapport entre <strong>des</strong> caractéristiques biopsychiques et une situation de travail pour les<br />

ergonomes. Dans les deux cas, on insiste davantage sur la variabilité du comportement<br />

individuel dans différents environnements que sur la fixité <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> postulée par la<br />

psychologie différentielle. La critique de départ, formulée par Faverge et Ombredanne dans<br />

L’analyse du travail (1955), s’en prend au fait que la psychotechnique sépare arbitrairement<br />

les aptitu<strong>des</strong> individuelles et les aptitu<strong>des</strong> requises par les métiers, là où n’existe en fait<br />

qu’une relation : l’homme et son contexte de travail forment un système de communication et<br />

d’échange de signaux. La machine (et plus généralement la situation de travail) envoie <strong>des</strong><br />

signaux (S) au travailleur, celui-ci les interprète et leur apporte une réponse (R). La<br />

métaphysique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, qui prétend isoler <strong>des</strong> caractéristiques individuelles<br />

indépendamment <strong>des</strong> situations de travail dans lesquelles elles s’inscrivent devient dès lors<br />

stérile. On reconnaît que le problème n’est plus de trouver l’adéquation naturelle entre <strong>des</strong><br />

aptitu<strong>des</strong> innées et un métier inscrit dans l’ordre du monde, mais l’aménagement du poste de<br />

travail et <strong>des</strong> outillages. Le Directeur <strong>des</strong> services de sélection de l’ANIFRMO, Frédéric<br />

Simon, écrivait ainsi en 1957 qu’avec « l’analyse psychologique du travail (…) une<br />

possibilité d’action supplémentaire a été offerte aux psychotechniciens, qui pouvaient soit<br />

sélectionner parmi cent sujets le plus apte à faire un apprentissage difficile, soit rendre cet<br />

apprentissage accessible à la moyenne <strong>des</strong> individus. Ce second aspect étant plus humain, et<br />

plus valable d’un seul point de vue économique, c’est surtout dans ce second domaine qu’il<br />

convient de porter les efforts aujourd’hui ». Depuis les années 1970, l’ergonomie ne se<br />

cantonne plus d’ailleurs aux outillages physiques : le domaine de la psychologie ergonomique<br />

(« engineering psychology ») se prolonge jusqu’à l’ergonomie <strong>des</strong> logiciels informatiques, à<br />

travers l’analyse <strong>des</strong> processus et cheminements cognitifs mis en œuvre. Les métho<strong>des</strong> de la<br />

psychotechnique et de l’ergonomie sont nettement différentes, ce qui explique le<br />

cloisonnement qui existe encore aujourd’hui entre ces deux filières. Alors que la<br />

psychotechnique construit ses métho<strong>des</strong> de sélection sur la psychologie différentielle et les<br />

tests, l’ergonomie est davantage tournée vers la psychologie expérimentale, dont elle<br />

emprunte les techniques de laboratoire, notamment dans la connaissance <strong>des</strong> sensations et<br />

perceptions liées aux situations de travail. L’ergonomie en tant que profession fait toutefois<br />

14 La sociologie de Naville est fortement marquée par son inspiration béhavioriste, exposée en détail dans l’un de<br />

274


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

peu de poids face à la psychotechnique (une cinquantaine de praticiens à peine face à<br />

quelques 500 psychotechniciens à la fin <strong>des</strong> années 1960) 15 et elle pénètre très lentement dans<br />

les entreprises. Même dans une entreprise comme Renault qui dispose d’un service<br />

d’ergonomie dès le milieu <strong>des</strong> années 1950 (créé par Alain Wisner en 1954), l’ergonomie ne<br />

parvient pas à pénétrer dans les ateliers et se cantonne à la conception <strong>des</strong> voitures. C’est<br />

d’ailleurs en raison de l’impossibilité d’intervenir sur les conditions de travail elles-mêmes<br />

que, selon son témoignage rétrospectif, Wisner quitte la Régie Renault en 1962 pour rejoindre<br />

le CNAM 16 . Les applications de l’ergonomie se multiplieront dans les années 1970 avec le<br />

mouvement d’analyse <strong>des</strong> conditions de travail et la création de l’ANACT –Agence nationale<br />

pour l’Amélioration <strong>des</strong> Conditions de Travail. Mais malgré ces avancées, l’ergonomie ne<br />

concurrencera jamais de façon très sérieuse la psychologie du travail, d’une part parce que la<br />

demande <strong>des</strong> entreprises est davantage axée sur la sélection (« trouver le bon ouvrier ») que<br />

sur l’amélioration <strong>des</strong> conditions de travail, d’autre part parce que les ergonomes restent<br />

tournés vers un modèle de recherche-action qui interdit toute pratique routinière d’un savoir<br />

préconstitué tel que la méthode <strong>des</strong> tests. Elle exercera en revanche, à partir <strong>des</strong> années 1980,<br />

une certaine influence sur la psychologie du travail en contribuant au développement d’une<br />

sous-branche de la discipline : la psychologie ergonomique, dont l’objet est d’adapter les<br />

outils et les milieux de travail à la spécificité <strong>des</strong> activités et <strong>des</strong> travailleurs. Les praticiens de<br />

cette branche se classent toutefois plus souvent dans la catégorie <strong>des</strong> ergonomes que celle <strong>des</strong><br />

psychologues, et les cursus universitaires qui mènent à ces deux professions restent séparés en<br />

France, comme d’ailleurs dans la plupart <strong>des</strong> autres pays 17 . Les migrations successives de la<br />

physiologie du travail puis de l’ergonomie au CNAM illustrent particulièrement bien cette<br />

séparation progressive de l’ergonomie et de la psychologie du travail (voir annexe 7). La<br />

chaire de « physiologie du travail et orientation professionnelle », initialement créée au<br />

CNAM par Laugier en 1928 couvre à la fois la psychotechnique (méthode <strong>des</strong> tests) et les<br />

dimensions physiologiques du travail. Ces deux aspects sont d’ailleurs inséparables pour<br />

Laugier comme pour ses confrères (Piéron, Lahy…). Au lendemain de la guerre, la chaire de<br />

ses premiers ouvrages : La psychologie, science du comportement (1942).<br />

15 MONTMOLLIN (1972) pour les ergonomes et Arch. Pierre Goguelin pour les psychologues du travail.<br />

L’ergonomie tend toutefois à rattraper aujourd’hui la psychologie du travail : entre 1995 et 2002, il y avait un<br />

étudiant formé en DESS d’ergonomie pour 4 étudiants formés en DESS de psychologie du travail (source :<br />

MEN-DEP).<br />

16 WISNER, 1999 [1996], p. 145<br />

17 En France, la plupart <strong>des</strong> universités proposent parallèlement <strong>des</strong> DESS « d’ergonomie cognitive » et <strong>des</strong><br />

DESS de « psychologie du travail » dont les recrutements diffèrent sensiblement. Aux Etats-Unis, les<br />

professions de « psychologue du travail » et de « psychologue ergonome » sont elles aussi nettement distinctes et<br />

relèvent d’une catégorie différente dans les statistiques de l’APA.<br />

275


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Laugier se scinde en deux enseignements distincts : l’un de « physiologie du travail », est<br />

confié au physiologiste Camille Soula (1946) et l’autre « sélection et orientation<br />

professionnelle », est confié au Professeur Bize (1948). Les trajectoires <strong>des</strong> deux disciplines<br />

ne cesseront alors de s’éloigner : alors que la « physiologie du travail » se tourne de plus en<br />

plus vers l’ergonomie avec l’arrivée d’Alain Wisner en 1966 (chaire d’« ergonomie ») puis<br />

vers les neurosciences avec celle de Pierre Falzon en 1990 ; la psychotechnique, quant à elle,<br />

se tourne d’abord vers la psychosociologie et la formation en entreprise avec les<br />

enseignements de Goguelin (1970-1989) puis vers la « psychopathologie du travail » avec<br />

ceux de Christophe Dejours (1990) pour se transformer en 2005 en chaire « psychanalyse,<br />

santé, travail ». L’évolution de ces disciplines au CNAM depuis 1945 montre bien que la<br />

psychologie du travail se tourne de plus en plus vers un modèle de type « clinique » inspiré<br />

<strong>des</strong> sciences humaines, alors que l’ergonomie embrasse le modèle <strong>des</strong> sciences de la nature ou<br />

de l’ingénieur.<br />

Les évolutions qui viennent d’être retracées font apparaître la crise du modèle<br />

positiviste autour duquel s’était construite la psychotechnique depuis l’entre deux guerres, et<br />

un net recul de la méthode <strong>des</strong> tests. Face à cet éclatement, les positions <strong>des</strong> praticiens sont<br />

diverses. Alors que dans certains secteurs, on assiste à un repli identitaire autour de la<br />

méthode <strong>des</strong> tests et de la psychotechnique, on voit dans d’autres domaines l’éclosion de<br />

nouvelles pratiques de la psychologie du travail, plus particulièrement en matière de gestion<br />

du personnel et de formation.<br />

2. Le monde <strong>des</strong> praticiens face à l’éclatement de la psychotechnique<br />

Les transformations <strong>des</strong> ressources cognitives sont l’un <strong>des</strong> éléments fréquemment<br />

évoqués de déprofessionnalisation d’une activité. La remise en question <strong>des</strong> schémas<br />

théoriques sous-jacents à la méthode psychotechnique, jointe au constat d’une inadéquation<br />

accrue entre les tests et la structure <strong>des</strong> emplois, seraient à l’origine de l’éclatement progressif<br />

de la catégorie professionnelle de psychotechnicien. Les liens entre les processus de<br />

structuration professionnelle et l’évolution <strong>des</strong> savoirs ne sont pourtant pas aussi mécaniques,<br />

chacun s’inscrivant dans <strong>des</strong> durées structurales différentes, comme l’ont montré Jamous et<br />

Peloille (op. cit.) à propos de la médecine. On note ainsi, à partir du début <strong>des</strong> années 1960,<br />

une dissociation croissante entre le monde de la psychologie académique et celui <strong>des</strong><br />

praticiens : alors que la méthode psychotechnique est discréditée sur le plan scientifique, les<br />

pratiques évoluent peu, notamment dans le monde de l’orientation et de la sélection. Il n’est<br />

276


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

pas inutile de revenir ici sur la distinction établie par Hughes en 1951 entre la psychologie<br />

comme « profession savante » et comme « profession consultante ». Il fait peu de doute que la<br />

psychologie demeure, jusqu’à la fin <strong>des</strong> années 1950, une profession essentiellement savante<br />

au sens de Hughes. En témoigne l’imbrication étroite entre le monde <strong>des</strong> praticiens et le<br />

monde savant : les pratiques d’orientation et de sélection professionnelle se veulent avant tout<br />

l’application d’un savoir positif dans différents registres pratiques, la science venant fonder la<br />

légitimité <strong>des</strong> pratiques. En retour, les applications servent à alimenter un corpus scientifique<br />

en expansion permanente, comme on l’a vu dans le cas <strong>des</strong> psychotechniciens de<br />

l’ANIFRMO et <strong>des</strong> entreprises publiques ou dans celui, très proche, <strong>des</strong> Conseillers<br />

d’orientation de l’Education nationale. Ce modèle évolue à partir du début <strong>des</strong> années 1960 :<br />

dans certains domaines (essentiellement dans le secteur public), la profession reste fidèle à<br />

l’orientation psychotechnique initiale alors que dans d’autres, la psychologie du travail<br />

devient une profession consultante, une pratique d’intervention où c’est avant tout la<br />

subjectivité du psychologue et son « sens clinique » qui se trouvent sollicités.<br />

a) Le repli identitaire : les psychotechniciens dans les services publics<br />

Il est surprenant de constater que la contestation violente de la pratique <strong>des</strong> tests à<br />

partir <strong>des</strong> années 1960 – et plus encore dans l’après-1968 – touche assez peu les services<br />

psychotechniques mis en place dans les principales entreprises ou administrations publiques<br />

au cours de la décennie précédente. Celles-ci continuent à recruter <strong>des</strong> psychotechniciens<br />

toujours plus nombreux, sans en redéfinir en profondeur le champ d’activité. On assiste ainsi<br />

à une croissance continue <strong>des</strong> effectifs de personnes recensées comme « psychotechniciens et<br />

assimilés » dans les enquêtes de l’INSEE (voir tableau 19 infra), dont une écrasante majorité<br />

exerce dans le secteur public 18 .<br />

Tableau 19 – La catégorie de psychotechniciens dans les recensements de l’INSEE<br />

1954 1962 1968 1982<br />

Effectifs de la catégorie « psychotechniciens et assimilés » 1020 1600 2960 7920<br />

% exerçant dans le secteur public 63% − 90% −<br />

Part de femmes 51 % 53% 53 % 62%<br />

Source : Recensements de la population de l’INSEE, 1954, 1962, 1968 et 1982<br />

Mais alors que la psychologie sociale, l’ergonomie ou la formation se développent<br />

dans le milieu académique et dans certaines entreprises privées, les services publics<br />

18 Cela ne signifie nullement que toutes les personnes issues d’une formation en psychologie du travail se<br />

trouvent dans cette catégorie.<br />

277


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continuent à placer la méthode <strong>des</strong> tests et les pratiques de sélection-orientation au cœur de<br />

l’activité <strong>des</strong> psychotechniciens, en se fermant à toute forme d’innovation. Montmollin<br />

évoque ainsi avec ironie dans Les psychopîtres (1972) la position difficile de ces<br />

psychologues du travail « exclusivement localisés dans les gran<strong>des</strong> entreprises nationalisées<br />

(…) paranoïaques, refusant d’admettre l’évidence et refusant la discussion ». Aussi, lorsque<br />

de nouvelles pratiques de la psychologie appliquée apparaissent dans les entreprises, se<br />

traduisent-elles le plus souvent par la création d’un nouveau service dans lequel les<br />

psychotechniciens ne sont pas impliqués : création de services de formation, d’ergonomie, de<br />

« ressources humaines » etc. Comment comprendre cette sclérose dans l’utilisation qui est<br />

faite de la psychotechnique dans le secteur public ? Une première raison tient certainement à<br />

l’adéquation entre cette technique et un modèle public de gestion de la main-d’œuvre qui se<br />

poursuit en France jusqu’aux années 1980 : la méthode <strong>des</strong> tests offre un critère de classement<br />

simple et surtout anonyme, assez semblable aux concours, qui s’articule bien aux carrières du<br />

secteur public, fortement balisées et codifiées. Il en va de même dans certaines gran<strong>des</strong><br />

entreprises industrielles publiques ou privées (Peugeot, RNUR, Charbonnages de France etc.),<br />

qui ont recours à la psychotechnique pour le positionnement <strong>des</strong> salariés au sein de grilles de<br />

classification, elles aussi fortement standardisées (OS, OP…). A l’inverse, à partir <strong>des</strong> années<br />

1970 et surtout 1980, un nombre croissant d’entreprises privées manifestent le souci de gérer<br />

leur main-d’œuvre de manière plus individualisée et différenciée : c’est la période où les<br />

services de « ressources humaines » se substituent à ceux de gestion du personnel, passant<br />

d’une gestion étroitement administrative à une gestion dynamique et prospective de la maind’œuvre.<br />

Dans ces entreprises, on attend du gestionnaire <strong>des</strong> ressources humaines qu’il soit<br />

autre chose qu’un « testeur » et qu’il diversifie ses instruments d’évaluation afin<br />

d’appréhender la situation du salarié dans une trajectoire de mobilité de plus en plus<br />

complexe 19 . Les psychologues du travail se trouvent donc concurrencés à partir <strong>des</strong> années<br />

1970 par <strong>des</strong> professionnels issus <strong>des</strong> formations en gestion de ressources humaines qui se<br />

mettent en place au cours de cette période, soit dans les filières de gestion <strong>des</strong> universités, soit<br />

dans les IAE (Instituts d’Administration <strong>des</strong> Entreprises) ou les écoles de commerce. L’autre<br />

raison du maintien d’un « modèle psychotechnique » dans le secteur public tient à la<br />

segmentation de la profession dans les années 1960-1970 entre <strong>des</strong> psychotechniciens ayant<br />

accédé à la profession par voie de promotion interne ou à la suite d’un cursus au CNAM ou à<br />

l’Institut de psychologie, et le groupe <strong>des</strong> psychologues issus de la licence de psychologie.<br />

19 Sur cette évolution <strong>des</strong> services de gestion du personnel, voir FOMBONNE (2000)<br />

278


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les services de psychotechnique s’étant constitués de façon précoce dans le secteur public, ils<br />

sont souvent composés de personnes appartenant au premier segment, correspondant à la<br />

première génération de psychotechniciens mentionnée dans le chapitre III.<br />

Cette situation est particulièrement sensible à l’AFPA, dans l’armée, à la RATP ou<br />

aux PTT où les psychotechniciens ne sont que très rarement issus de la licence de psychologie<br />

et viennent en général d’une formation en psychotechnique au sens étroit du terme (méthode<br />

<strong>des</strong> tests), acquise en cours de carrière, au CNAM (PTT, RATP) ou au CERP (AFPA). Michel<br />

Moulin 20 soulignait cette spécificité en 1985, dans un article consacré aux « psychologues du<br />

travail dans les services publics » du Traité de psychologie du travail de Claude Lévy-<br />

Leboyer : « Les psychotechniciens du secteur public ne sont que depuis peu dotés d’un statut<br />

spécifique (…) et se trouvent fort satisfaits de leur nouvelle et valorisante situation ; formés à<br />

la sélection et elle seule, ils ne sont nullement enclins à suivre l’évolution de la psychologie<br />

du travail et à élargir leur rôle ». Ce segment de la profession apparaît donc, par ses métho<strong>des</strong><br />

et la rhétorique scientifique qui l’anime, comme le dernier héritier de la tradition de<br />

psychologie différentielle issue de Lahy. Pourtant, la méthode semble désormais vidée de son<br />

contenu : alors que Lahy, Toulouse ou Imbert plaçaient la psychotechnique au cœur d’un<br />

projet positiviste de justice sociale et de règlement <strong>des</strong> conflits entre ouvriers et patronat, cette<br />

part d’utopie semble avoir déserté les services psychotechniques, qui ne servent qu’à<br />

alimenter un mode de gestion bureaucratique de la main d’œuvre.<br />

b) La recomposition du champ de l’orientation professionnelle<br />

Une catégorie de psychotechniciens du secteur public restent relativement à l’écart<br />

du mouvement de critique <strong>des</strong> tests, qui voit le jour au début <strong>des</strong> années 1960, en redéfinissant<br />

leurs missions dans un sens « clinique », davantage tourné vers la psychopédagogie et la<br />

« relation d’aide » que vers l’évaluation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>. Il s’agit de ceux exerçant dans le<br />

domaine de l’orientation professionnelle. Au début <strong>des</strong> années 1950, celle-ci est<br />

principalement le fait de deux organismes publics : l’ANIFRMO, pour l’orientation <strong>des</strong><br />

adultes, et les « centres d’OP » (orientation professionnelle) de l’Education nationale pour<br />

celle <strong>des</strong> enfants scolarisés dans le premier et le second degré. Les métho<strong>des</strong> utilisées par les<br />

psychotechniciens de ces deux organismes puisent alors principalement aux sources de la<br />

psychologie appliquée en s’appuyant sur <strong>des</strong> tests d’aptitude construits selon les métho<strong>des</strong><br />

20 Michel Moulin était alors responsable du service psychotechnique <strong>des</strong> PTT. Il avait lui-même commencé sa<br />

carrière comme postier et avait reçu la formation de psychologue du travail du Professeur Bize au CNAM.<br />

279


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d’analyse factorielle (voir chapitre III supra). On teste les « qualités » de la main-d’œuvre<br />

comme on teste les caractéristiques d’un produit ou d’un matériau qui doit être emboîté dans<br />

un ensemble plus vaste – en l’occurrence : le marché du travail. Les deux faces de<br />

l’orientation (marché du travail et aptitu<strong>des</strong> individuelles) sont donc pensées sur un mode<br />

statique, conformément à une représentation dirigiste de l’économie. Au tournant <strong>des</strong> années<br />

1960, les Conseillers d’orientation professionnelle (COP) de l’Education nationale et les<br />

psychotechniciens de l’AFPA tentent de faire éclater leurs missions traditionnelles, en se<br />

déplaçant de l’étape de la sélection vers une mission plus large d’accompagnement <strong>des</strong><br />

personnes. Dans les écoles, les COP revendiquent de sortir de leur rôle étroit de « testeur »<br />

pour participer aux actions <strong>des</strong> équipes éducatives et conseiller les enseignants sur leur<br />

pratique pédagogique. La réforme Berthoin de 1959, qui instaure le cycle d’observation en<br />

6 ème -5 ème satisfait en partie leurs revendications en leur attribuant un rôle dans<br />

l’accompagnement scolaire <strong>des</strong> enfants, qu’ils ne rencontraient auparavant que de façon<br />

ponctuelle lors de la passation <strong>des</strong> tests 21 . Les collèges d’enseignement général et les lycées<br />

leur ouvrent également leurs portes, et leur confient la tâche d’un suivi continu <strong>des</strong> élèves<br />

depuis leur entrée en 6 ème jusqu’à la sortie du système scolaire. La démocratisation du<br />

système scolaire et la généralisation de l’entrée en premier cycle universitaire a en effet obligé<br />

les COP à redéfinir leur lieu d’intervention : soit en déplaçant les évaluations<br />

psychométriques en aval, là où se joue désormais l’insertion professionnelle (c’est-à-dire à la<br />

sortie du lycée ou de l’université), soit en se repliant sur le second degré, en assurant de<br />

nouvelles missions de suivi continu <strong>des</strong> enfants au sein même <strong>des</strong> écoles (et non plus à<br />

l’articulation de l’école et du marché du travail). La mission <strong>des</strong> COP se déplace ainsi<br />

progressivement d’une orientation professionnelle <strong>des</strong> enfants sortant de l’enseignement<br />

technique ou primaire vers l’orientation scolaire <strong>des</strong> élèves du second degré (une réforme de<br />

1962 consacrera cette évolution en changeant leur appellation officielle de « conseiller<br />

d’orientation professionnelle » à celle de « Conseillers d’orientation scolaire et<br />

professionnelle »). Dans le même temps, les outils psychologiques utilisés par les COP se<br />

transforment : face à la place croissante attribuée à l’entretien psychologique approfondi avec<br />

le « consultant », la pratique <strong>des</strong> tests tend à disparaître, au point de devenir totalement<br />

marginale aujourd’hui 22 . Michel Huteau, alors Directeur de l’INETOP, notait déjà ce<br />

changement en 1984 :<br />

21 La localisation <strong>des</strong> Conseillers d’orientation dans les CIO situés en dehors <strong>des</strong> lycées et <strong>des</strong> collèges ne<br />

facilitait pas le contact entre les Conseillers d’orientation d’un côté, les élèves et enseignants de l’autre.<br />

22 D’après une enquête réalisée en 1997 par le Ministère de l’Education, 89 % <strong>des</strong> COP estiment que le « conseil<br />

280


« Si l’on ne parle plus beaucoup <strong>des</strong> tests, on continue cependant d’en utiliser, mais<br />

de moins en moins. En même temps que l’on parle davantage de formation <strong>des</strong><br />

choix professionnels, on pratique davantage l’entretien. Ces évolutions nous<br />

paraissent indiquer à la fois le déclin du modèle classique de l’orientation et<br />

l’émergence d’un nouveau modèle ». (Huteau, 1984, p. 456).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les services psychotechniques de l’ANIFRMO connaissent sensiblement la même<br />

évolution dans les années 1960, puisque à partir de cette date la psychologie sociale et la<br />

psychologie clinique s’intègrent à la pratique quotidienne <strong>des</strong> psychotechniciens. L’évolution<br />

<strong>des</strong> services entre leur création et le milieu <strong>des</strong> années 1960 est retracée dans un rapport sur<br />

les « services de psychologie appliquée de l’AFPA », rédigé par les directeurs régionaux <strong>des</strong><br />

services psychotechniques à la demande du Ministère <strong>des</strong> Affaires Sociales en octobre 1967 23 .<br />

Le rapport, qui s’inscrit dans le contexte d’un projet de transfert <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA<br />

vers l’ANPE nouvellement créée (voir supra), rappelle d’abord la philosophie qui a guidé les<br />

pratiques d’orientation au sein de l’ANIFRMO puis de l’AFPA, depuis 1945 et le lien étroit<br />

qu’elles ont entretenu avec la méthode <strong>des</strong> tests.<br />

« La méthode FPA se caractérisait depuis 1945 (…) par la détermination <strong>des</strong><br />

capacités personnelles <strong>des</strong> candidats à la formation, pour ne retenir que ceux dont le<br />

niveau de capacités correspondrait aux exigences de la formation (…) ce principe<br />

aboutissait à une véritable sélection <strong>des</strong> candidats, d’où le nom de sélectionneurs<br />

donné aux spécialistes chargés de cette opération ».<br />

Très rapidement, les psychotechniciens « élargissent la notion étroite et inhumaine de<br />

sélection » vers de nouveaux domaines : « action psychopédagogique dans les centres de<br />

formation pour diminuer le nombre <strong>des</strong> échecs, étude <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong>, amélioration du<br />

fonctionnement <strong>des</strong> groupes de travail, ergonomie, formation <strong>des</strong> agents de maîtrise et <strong>des</strong><br />

Cadres, amélioration du « moral » de l’entreprise etc. ». Cet élargissement est favorisé par les<br />

deman<strong>des</strong> croissantes qui sont adressées aux psychologues de l’AFPA par les services de la<br />

main-d’œuvre du Ministère du Travail d’une part (notamment pour le reclassement <strong>des</strong><br />

travailleurs handicapés ou le recrutement de chômeurs vers <strong>des</strong> emplois de sécurité : caristes,<br />

grutiers, pontonniers etc.) ; par les milieux industriels d’autre part, dans le cadre d’opérations<br />

de recrutement ou d’interventions psychosociologiques en entreprise : « Ainsi, parce que les<br />

centres psychotechniques sont bien connus <strong>des</strong> milieux professionnels dans les régions où ils<br />

sont implantés, parce qu’ils demeurent souvent le seul organisme de psychologie du travail<br />

spécialisé pour adultes, les utilisateurs sont de plus en plus nombreux : Ministères,<br />

aux personnes » fait « tout à fait partie de leur travail » ; 75 % évoquent la mission d’« information » et 38 %<br />

celle de « soutien psychologique ». La détection <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> ou la passation <strong>des</strong> tests ne sont en revanche pas<br />

mentionnés (MEN, 1997).<br />

23 AN-CAC Fontainebleau 19760129 art. 6, dossier 3.0.6., « Avenir <strong>des</strong> services de psychologie appliquée de<br />

l’AFPA ».<br />

281


préfectures, mairies, armée, banques, entreprises nationalisées ou privées… ». Le panorama<br />

<strong>des</strong> missions remplies par les psychotechniciens de l’ANIFRMO au tournant <strong>des</strong> années 1960<br />

apparaît donc relativement large et ne se limite pas à la passation d’examens<br />

psychotechniques pour l’entrée dans une formation d’adultes, comme le montre le tableau<br />

suivant :<br />

Tableau 20 – Répartition <strong>des</strong> examens psychotechniques réalisés par les<br />

psychotechniciens de l’ANIFRMO en 1957<br />

Examens d’entrée en formation à l’ANIFRMO 61,10%<br />

Examens pour travailleurs handicapés 19,90%<br />

Examens pour les services de la main d’œuvre 6,10%<br />

Examens pour l’industrie privée 5,30%<br />

Examens de recrutement interne pour l’ANIFRMO 3,10%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Source : Arch. SNP-CGT, 50 J 63<br />

L’intervention dans les centres de formation – qui n’apparaît pas dans le tableau<br />

précédent, puisqu’elle ne concerne pas à proprement parler <strong>des</strong> « examens psychotechniques »<br />

mais une tâche de suivi psychopédagogique – constitue une tâche particulièrement innovante.<br />

Jusqu’alors, les centres de formation et les centres de sélection de l’ANIFRMO étaient restés<br />

géographiquement séparés afin de garantir de la neutralité de l’évaluation <strong>des</strong><br />

psychotechniciens face à d’éventuelles pressions exercées sur le choix <strong>des</strong> candidats. De fait,<br />

les psychotechniciens appartenaient à l’ANIFRMO mais étaient en contact tout aussi étroit<br />

avec l’extérieur de l’institution : entreprises privées, services de la main-d’œuvre du Ministère<br />

du travail, administrations diverses etc. Ils se rapprochaient en cela <strong>des</strong> Conseillers<br />

d’orientation, qui étaient eux aussi séparés <strong>des</strong> établissements scolaires et répondaient aux<br />

deman<strong>des</strong> émanant d’autres organismes de l’Education nationale. A partir de la fin <strong>des</strong> années<br />

1950, les services de sélection et de formation se rapprochent avec le démarrage de<br />

l’ « opération présence » (1958). Cette opération visait à accroître la présence <strong>des</strong><br />

psychologues au sein <strong>des</strong> centres de formation de l’ANIFRMO afin d’assurer un suivi<br />

psychopédagogique <strong>des</strong> stagiaires en cours de formation et de diminuer le taux d’échec à<br />

l’examen de sortie. On concevait ainsi que le psychotechnicien avait un rôle à jouer en dehors<br />

de la détection <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> et pouvait apporter <strong>des</strong> informations complémentaires aux<br />

formateurs, comme le souligne un ancien psychotechnicien de l’ANIFRMO 24 :<br />

24 Entretien n° 53 avec M. Canu, psychologue à l’AFPA de 1947 à 1985, ancien directeur régional <strong>des</strong> services<br />

psychotechniques de la région PACA.<br />

282


« L’opération présence ça a été une évolution parce que… il faut pas oublier qu’on<br />

était parti en 1947 avec une sélection pour le bâtiment et le gros œuvre. Et puis<br />

ensuite bâtiment et second œuvre et puis… ensuite la métallurgie… et puis enfin, à<br />

partir <strong>des</strong> années 60, développement du secteur tertiaire. Donc tout ça pour dire que<br />

petit à petit… l’esprit de « sélectionneur », avec <strong>des</strong> tests et un entretien réduit a<br />

commencé à disparaître. Notamment quand on s’occupait <strong>des</strong> travailleurs<br />

handicapés… On n’était plus dans un système de sélection. Il fallait orienter les<br />

personnes, savoir ce qu’elles voulaient véritablement faire et pas seulement passer<br />

<strong>des</strong> tests pour remplir <strong>des</strong> formations. Moi je me souviens avoir embauché dès les<br />

années 60 une psychologue clinicienne pour s’occuper <strong>des</strong> travailleurs handicapés.<br />

Et puis de la sélection, on est passé à l’orientation et puis… moi, ce qui m’a frappé<br />

quand j’ai quitté le service dans les années 1980, c’est que les gens ils venaient de<br />

plus en plus nous voir pour causer, pour avoir une relation, mais c’était pas<br />

nécessairement pour entrer à l’AFPA. C’était pour avoir un bilan. Ils venaient nous<br />

voir pour savoir ce qu’ils valaient et pour avoir un conseil. Là, on n’est plus du tout<br />

dans la sélection » (entretien n° 53).<br />

3. Une figure professionnelle introuvable : le « psychologue<br />

d’entreprise »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Face aux limites de la méthode <strong>des</strong> tests, on voit se développer à partir <strong>des</strong> années<br />

1960, une nouvelle figure professionnelle : celle de « psychologue d’entreprise ». Alors que le<br />

psychotechnicien se cantonne à <strong>des</strong> tâches de sélection et d’orientation, le psychologue<br />

d’entreprise a un champ d’activités plus large, qui englobe la formation, la communication, la<br />

psychosociologie, les politiques de gestion du personnel (rémunération, classification,<br />

évaluation <strong>des</strong> postes…) etc.<br />

Cette évolution tient pour une large part au rôle joué par les influences extérieures –<br />

notamment américaines – dès les années 1950. Une partie <strong>des</strong> psychotechniciens français ne<br />

restent pas en marge de cette « fascination de l’Amérique » qu’évoque Luc Boltanski (1982),<br />

même si la majorité de la profession, politiquement à gauche, demeure circonspecte face à<br />

l’usage de nouvelles technologies sociales telles que le « counseling », le « psychodrame » ou<br />

la « formation psychologique <strong>des</strong> Cadres » (voir notamment les positions de Suzanne Pacaud<br />

supra). Deux « missions psychotechniques » sont envoyées aux Etats-Unis, dans le cadre <strong>des</strong><br />

missions de productivité organisées par l’AFAP (Agence Française pour l’Accroissement de<br />

la Productivité) 25 . La première (1952) est constituée à la demande du Ministère du Travail. Il<br />

s’agit d’une mission-pilote, <strong>des</strong>tinée à fixer le cadre <strong>des</strong> missions ultérieures ; elle comprend<br />

presque exclusivement <strong>des</strong> universitaires, placés sous la direction de Paul Fraisse 26 . Dans le<br />

25 Voir sur ce point tableau II-11, annexe 2 « Membes <strong>des</strong> missions psychotechniques de 1952 et 1955 »<br />

26 Fraisse était alors Professeur à l’Institut de Psychologie de Paris et directeur du Laboratoire de Psychologie<br />

Expérimentale de la Sorbonne. Il s’inscrit, à la suite de Piéron, dans une tradition de psychologie scientifique<br />

française. La mission comprend également S. Pacaud, directrice-adjointe du Laboratoire de Psychologie<br />

Appliquée de l’EPHE ; Jean-Marie Faverge, chargé d’étu<strong>des</strong> au CERP ; Pierre Rennes, chef du service étu<strong>des</strong> et<br />

283


projet de mission, le Ministère du Travail dresse un bilan pessimiste de la situation de la<br />

psychologie appliquée en France au début <strong>des</strong> années 1950 :<br />

« Le champ d’expérience de la psychologie appliquée a été trop étroit pour qu’il ait<br />

pu permettre de développer toutes les ressources <strong>des</strong> techniques psychologiques. Il<br />

est en effet limité à un nombre d’organismes assez restreints (…). Ajoutons qu’il<br />

existe encore en France un grand nombre de « psychologues » qui, la plupart du<br />

temps, n’ont suivi aucun enseignement spécialisé. Ils pratiquent <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> telles<br />

que graphologie, méthode Carrard, physiognomonie, dont le succès très relatif<br />

n’incite pas les chefs d’entreprise à étendre le champ de la psychotechnique » 27 .<br />

Face à ce constat, le Ministère du Travail souhaite que :<br />

« … les problèmes de la psychologie appliquée soient repris sur une base nouvelle,<br />

en bénéficiant le plus largement possible de l’expérience acquise aux Etats-Unis, où<br />

notamment les procédés de sélection et de formation du personnel sont considérés<br />

comme agissant d’une façon primordiale sur l’efficience <strong>des</strong> travailleurs » 28 .<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Il est surprenant de noter que le projet de cette première mission n’inclut pas<br />

explicitement les problèmes relevant de la psychologie sociale (communication,<br />

psychosociologie, relations humaines etc.) et se limite au domaine de la sélection<br />

professionnelle et <strong>des</strong> tests. Cette orientation témoigne bien <strong>des</strong> préoccupations du ministère<br />

au cours de la période : l’amélioration de la productivité passe avant tout par la sélection de la<br />

« bonne personne », et non par la transformation de l’environnement de travail. Pour autant,<br />

les membres de la mission dépassent largement ce cadre initial et retiennent surtout de leur<br />

voyage aux Etats-Unis les découvertes de psychologie sociale. Le rapport intermédiaire de la<br />

mission, rédigé par Fraisse en novembre 1952, évoque les avancées américaines en la<br />

matière : « le fait central qui nous a frappé, écrit-il, est que l’industrie américaine se soucie<br />

moins, à l’heure actuelle, de recruter le « right man » pour le « right job » que d’adjoindre un<br />

membre à l’entreprise ». De même, en ce qui concerne « la sélection <strong>des</strong> ouvriers et <strong>des</strong><br />

employés, on se préoccupe plus de la personnalité de l’individu que l’on embauche que de ses<br />

aptitu<strong>des</strong> spécifiques. Par conséquent, l’usage <strong>des</strong> tests prend une autre signification » 29 . Le<br />

rapport comprend également la présentation de nouvelles techniques développées par les<br />

entreprises américaines, telles que le counseling, qui « a pour but de résoudre les problèmes<br />

personnels de l’individu (professionnels, sociaux ou personnels). Quelques entreprises ont en<br />

effet pensé qu’il serait utile, pour l’ensemble du moral du personnel, d’offrir à leurs employés<br />

documentation au Centre de Psychologie Appliquée ; Jean Bonnaire, chef du service psychotechnique de la<br />

RNUR ; Hélène Gavini, Chargée de recherches au CNRS.<br />

27 AN-CAC Fontainebleau - 19760121 art. 125, « Mission pilote psychotechnique aux Etats-Unis sous la<br />

direction de Paul Fraisse - 1952 ».<br />

28 Ibid.<br />

29 Ibid.<br />

284


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la possibilité de consulter, dans l’entreprise même, <strong>des</strong> psychologues qui pourraient les aider à<br />

mieux réaliser l’équilibre de leur personnalité ». Ce type de pratiques montre bien l’écart entre<br />

le « modèle scientifique » qui anime encore la psychotechnique en France au début <strong>des</strong> années<br />

1950 et le modèle « consultant » qui se développe aux Etats-Unis : en France, le<br />

psychotechnicien est perçu comme l’applicateur d’une technique préconstituée, formulant un<br />

diagnostic peu discutable, alors qu’aux Etats-Unis, elle s’inscrit dans une relation d’aide et de<br />

conseil. Le champ qui est, aux yeux <strong>des</strong> auteurs, le plus novateur est celui du « Human<br />

Engineering » 30 (adaptation <strong>des</strong> machines à l’homme) : pour Fraisse, « ces métho<strong>des</strong> sont<br />

sans doute appelées à prendre une place de plus en plus grande dans la psychologie<br />

industrielle <strong>des</strong> années à venir. Elles ne sont malheureusement pas utilisées en France où la<br />

solution de ces problèmes est laissée à l’empirisme ». Ces voies nouvelles n’ont pas échappé<br />

au précurseur de l’ergonomie française, Jean-Marie Faverge, qui faisait lui aussi partie de la<br />

première mission ; il en rend compte dans un article de la Revue de psychologie appliquée<br />

(1953, p. 74). Evoquant le Human Engineering, il écrit : « on peut penser qu’il est possible de<br />

développer la psychologie appliquée dans ce sens d’une façon originale et en s’écartant <strong>des</strong><br />

sentiers battus, voire <strong>des</strong> impasses. Les psychologues qui s’occupent de ces recherches ont<br />

chaque fois insisté sur la rentabilité de ces métho<strong>des</strong> et nous n’avons pas eu de peine à les<br />

croire ». A partir de cette date, Faverge s’attache à développer un pôle de recherche en<br />

psychologie ergonomique au CERP, grâce au soutien du directeur <strong>des</strong> services de sélection,<br />

Frédéric Simon. La majorité de ces recherches, cependant, ne seront pas réalisées pour le<br />

compte du Ministère du Travail ou de l’ANIFRMO, mais d’entreprises privées ou publiques,<br />

ou d’organisations internationales : étude sur l’« adaptation de la machine à l’homme »<br />

(Human Engineering) pour le commissariat général à la productivité (1955), étu<strong>des</strong> de<br />

« psychologie ergonomique » pour la CECA, l’OECE (1955) et le centre de contrôle de la<br />

navigation aérienne d’Orly (1961) etc. Les thèmes abordés dans les pages du Bulletin du<br />

CERP à partir de 1955 montrent un déclin très net de la psychotechnique et la montée en<br />

puissance de la psychologie ergonomique.<br />

Les différentes observations rapportées par les membres de la première mission font<br />

clairement apparaître les ambiguïtés de la « psychologie d’entreprise » qui se développe<br />

outre-Atlantique. Dans la conception traditionnelle de la psychotechnique française<br />

30 Cette branche de la psychologie appliquée, qui s’occupe de l’adaptation <strong>des</strong> machines à l’homme, se<br />

rapproche de l’ « ergonomie » française. Elle est aussi parfois désignée en langue anglaise sous le terme<br />

« Applied experimental psychology ». Le terme « ergonomics – qui a été repris en français au début <strong>des</strong> années<br />

1960 – a été créé en Grande-Bretagne au début <strong>des</strong> années 1940.<br />

285


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développée par Lahy ou Toulouse, le psychotechnicien n’était pas davantage au service du<br />

patron que de l’ouvrier : il occupait une position externe d’"arbitre" <strong>des</strong> conflits sociaux et<br />

tirait sa légitimité de la science. Son « mandat », au sens de Hughes (1996 [1958]), se situait<br />

sur un plan « moral » : éviter les déclassés sociaux et la sous-utilisation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

individuelles, en vue de construire une société entièrement organisée sur la base <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

(la « biocratie » de Toulouse). C’est certainement pour cette raison que la psychotechnique se<br />

développe principalement en France dans les services publics : ceux-ci permettent au<br />

psychotechnicien de préserver son indépendance plus facilement que s’il était placé sous le<br />

contrôle d’un chef d’entreprise. L’idée même de « psychologue d’entreprise » – ou de<br />

« psychologue industriel » – est impensable dans cette conception classique, puisqu’elle<br />

définit le psychologue par son lieu d’exercice et non par l’accomplissement d’un idéal<br />

(l’orientation de chacun selon ses aptitu<strong>des</strong>, l’amélioration <strong>des</strong> procédés de travail, la<br />

préservation de la santé du travailleur…). Dans l’approche américaine de la psychologie<br />

industrielle, qui entrera en France dans les années 1960, les psychologues sont dépossédés de<br />

ce mandat : ils ne placent plus leur savoir au service d’un idéal de société mais deviennent les<br />

« instruments » d’une volonté patronale. La psychologie industrielle devient un conglomérat<br />

de « techniques » dépourvues d’unité, visant à accroître la productivité du travailleur. Leur<br />

unité tient au lieu d’application de ces techniques : l’entreprise capitaliste. Le Human<br />

engineering ne se place pas de ce point de vue dans une situation différente de la psychologie<br />

d’entreprise : sa finalité est bien aussi d’améliorer la productivité individuelle, la définition<br />

<strong>des</strong> fins étant laissée à la discrétion du chef d’entreprise. Il en va de même du « counseling »<br />

et <strong>des</strong> « relations humaines » d’Elton Mayo, qui cherchent à humaniser le lieu de travail en<br />

vue d’améliorer la productivité. Comme le note l’un <strong>des</strong> chefs d’entreprise américains<br />

rencontrés par la mission :<br />

« la sociologie a démontré que les hommes produisaient mieux lorsqu’ils étaient<br />

heureux, et nous nous efforçons de les rendre heureux. Mais si l’expérience prouvait<br />

que les hommes produisent mieux lorsqu’ils sont furieux, nous nous efforcerions de<br />

les rendre furieux en permanence » 31 .<br />

Une telle remarque signifie bien que les « psychologues d’entreprise » ne sont pas<br />

investis d’un « mandat » qui les pousserait à améliorer la condition de l’homme au travail,<br />

mais se placent au service de la productivité et donc du système capitaliste. On comprend<br />

mieux alors la critique adressée par Canguilhem aux psychologues à la fin <strong>des</strong> années 1950<br />

lorsqu’il met en évidence que le « postulat implicite commun » de toutes les psychologies de<br />

31 Cité par OHAYON (op. cit., p. 311)<br />

286


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l’orientation qui est que « la nature de l’homme est d’être un outil, sa vocation c’est d’être mis<br />

à sa place, à sa tâche » 32 . Cela revient à dire, dans les termes de Hughes (1996 [1958]) qu’ils<br />

ne disposent pas d’un mandat suffisamment large pour définir eux-mêmes les valeurs qui<br />

fondent leur intervention. La licence qu’ils revendiquent tient alors davantage à un « pacte de<br />

coexistence pacifique conclu entre professionnels qu’à une essence logique » 33 .<br />

Le passage de la psychotechnique à la « psychologie d’entreprise » représente pour<br />

nombre de psychologues une évolution valorisante : elle leur permet de quitter le domaine<br />

étroit du recrutement et de remplir <strong>des</strong> missions en apparence plus « humaines ». Au lieu de<br />

sélectionner les travailleurs, le psychologue entend les aider à mieux se réaliser dans leur<br />

travail, à travers la formation, la psychosociologie, ou (plus rarement) l’aménagement <strong>des</strong><br />

postes de travail. Cette évolution peut se lire dans les enseignements délivrés aux<br />

psychologues du travail dans les établissements d’enseignement supérieur entre 1950 et 1970.<br />

Au CNAM par exemple, l’enseignement du Professeur Bize (« Chaire de sélection et<br />

orientation professionnelle ») était surtout resté tourné vers la psychotechnique et la méthode<br />

<strong>des</strong> tests entre 1947 et 1970, ce qui avait certainement contribué à la sclérose de la<br />

psychotechnique au CNAM au cours de cette période 34 . L’arrivée en 1970 du Professeur<br />

Goguelin traduit le souci d’introduire <strong>des</strong> thèmes novateurs, comme le « perfectionnement »,<br />

la « dynamique de groupe », « l’homme dans l’organisation » etc. qui correspondent, selon<br />

Goguelin, aux nouvelles missions dévolues aux psychologues dans les entreprises (voir<br />

tableaux VII-1 et VII-2, annexe 7).<br />

L’évolution vers de nouvelles fonctions se fait toutefois au prix d’une perte de<br />

spécificité de la mission de psychologue dans l’entreprise, celui-ci venant se fondre dans une<br />

fonction plus large de gestion du personnel. Comme le souligne en 1964 un psychologue<br />

d’entreprise appelé à présenter ses missions dans le Bulletin de psychologie :<br />

« Mis à part le domaine limité de la psychométrie, la psychologie à l’état pur ne<br />

constitue pas actuellement sur le marché du travail un métier, en ce sens qu’un<br />

directeur d’entreprise embauchera rarement un psychologue pour lui confier<br />

directement <strong>des</strong> problèmes de formation, d’information, d’ergonomie etc. C’est un<br />

fait qui donne à réfléchir : par exemple, une proportion considérable de personnes<br />

s’occupant <strong>des</strong> problèmes de formation dans les entreprises sont d’origine technique<br />

ou commerciale et reçoivent dans <strong>des</strong> stages parfois longs et sérieux un complément<br />

de formation psychologique nécessaire à leur activité de formateur. Il faut prendre<br />

conscience que les utilisateurs, en l’occurrence les directeurs d’entreprise,<br />

32 CANGUILHEM (op. cit., p. 378)<br />

33 Ibid., p. 366<br />

34 Environ 4000 étudiants furent formés en psychologie du travail par le Professeur Bize entre 1947 et 1970.<br />

287


conservent du psychologue l’image du spécialiste <strong>des</strong> tests et il ne leur vient pas<br />

spontanément à l’esprit qu’un psychologue puisse faire autre chose » 35 .<br />

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Cette situation est particulièrement sensible dans les services publics où, en dépit <strong>des</strong><br />

efforts répétés <strong>des</strong> psychologues du travail pour élargir leurs missions, ils tendent à rester<br />

enfermés dans un rôle limité de « testeurs ». Aux PTT par exemple, le service de psychologie<br />

du travail crée en 1970 un « Bulletin » <strong>des</strong>tiné à faire connaître leurs activités dans<br />

l’entreprise, dans l’espoir d’être sollicités pour d’autres missions que le recrutement : « (…)<br />

de par notre formation de psychologue du travail, nous possédons un certain nombre de<br />

connaissances, notamment en psychologie individuelle, qui seraient peut-être utiles en matière<br />

d’animation ou de travail en groupe ; ce serait là une possibilité, intéressante pour tous,<br />

d’extension du champ de nos activités » 36 . Cette tentative se solde par un échec et le service<br />

psychotechnique restera cantonné à <strong>des</strong> missions de recrutement/orientation, jusqu’à sa<br />

dissolution en 1990.<br />

A la différence de celle de psychotechnicien (ou de « psychologue du travail »), la<br />

catégorie de « psychologue d’entreprise » semble donc floue. Les techniques sociales mises<br />

en œuvre par ces psychologues sont partagées par <strong>des</strong> personnes issues de formations<br />

différentes (gestion, ressources humaines, droit, sociologie…) et exerçant <strong>des</strong> fonctions<br />

hétérogènes dans l’entreprise. La psychologie ne constitue pas le cœur du métier de ces<br />

personnes : elle est une technique parmi d’autres, utilisée de façon ponctuelle. D’ailleurs, on<br />

retrouve peu de « psychologues d’entreprise » dans les associations professionnelles : leur<br />

carrière les éloigne progressivement de la psychologie. Ce constat pousse certains à défendre<br />

l’idée d’une spécialisation plus tardive en psychologie : « la psychologie pourrait constituer<br />

une formation seconde, intervenant après une formation de base, technique, économique,<br />

juridique, sociologique etc… Les problèmes humains du travail n’existent pas en soi mais<br />

dans un contexte d’entreprise dont ils sont inséparables » 37 . Ils tendent également à évoquer<br />

les lacunes de la formation universitaire en psychologie dans <strong>des</strong> domaines comme<br />

l’économie, l’ergonomie, la gestion administrative, le droit du travail etc., toutes disciplines<br />

qui leur seraient utiles dans <strong>des</strong> fonctions de responsable du personnel ou plus généralement<br />

de cadre administratif d’entreprise 38 . Cette situation perdure aujourd’hui comme nous le<br />

verrons dans le chapitre V, puisque les diplômés de DESS psychologie du travail exerçant <strong>des</strong><br />

fonctions de « ressources humaines » en entreprise ne se désignent presque jamais sous le<br />

35 VEYS (A), « Conférence-débat sur la psychologie industrielle », Bulletin de psychologie, 1964<br />

36 Bulletin de l’Amicale <strong>des</strong> psychologues <strong>des</strong> PTT, n° 1, 1971<br />

37 VEYS, op. cit., p. 918<br />

288


terme de « psychologue » et utilisent de préférence d’autres intitulés professionnels<br />

(« responsable de ressources humaines », « directeur de ressources humaines », « chargé de<br />

ressources humaines »…).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

38 Voir GEPUP (1967, p. 844)<br />

289


B. UNITE ET DIVISIONS DE LA PSYCHOLOGIE : LA QUESTION DU TITRE<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Dans l’immédiat après-guerre, les efforts de la communauté universitaire se tournent<br />

vers l’organisation d’une formation commune à tous les psychologues. La licence de<br />

psychologie, créée en 1947 sur une initiative de Lagache 39 , apparaît comme l’aboutissement<br />

de ce projet, puisqu’elle vise à la fois à donner une reconnaissance institutionnelle à la<br />

discipline – en la libérant de la tutelle de la philosophie – et à définir une pratique unitaire,<br />

affranchie <strong>des</strong> traditionnelles divisions entre « expérimentalistes » et « cliniciens ». Dès les<br />

années 1950 en effet, la psychotechnique n’est plus seule sur la scène professionnelle : on<br />

trouve à ses côtés d’autres professionnels portant une définition alternative de la profession.<br />

Parmi ces derniers, le « psychologue clinicien » occupe une place prépondérante. Il ne se<br />

définit pas comme un testeur ou un sélectionneur mais avant tout comme un homme de l’art,<br />

un « spécialiste de la relation à autrui », qui sait « écouter et comprendre la demande explicite<br />

ou implicite qui lui est faite » (…) et « participer à l’élucidation <strong>des</strong> faits intérieurs et<br />

extérieurs, réels ou imaginaires, qui font obstacle à l’autonomie et la responsabilité <strong>des</strong><br />

personnes » 40 . Une telle définition, conforme au vœu de Lagache, rapproche très clairement la<br />

psychologie d’une pratique "consultante" et l’éloigne du modèle « scientifique » promu par<br />

Piéron qui s’était développé durant toute l’entre deux guerres. Ces deux modèles<br />

professionnels coexisteront encore tout au long de la décennie 1950 : d’un côté le<br />

psychologue-médecin, traitant de pathologies individuelles dans le silence de son cabinet ; de<br />

l’autre le psychotechnicien, appliquant à <strong>des</strong> cohortes d’individus <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de laboratoire<br />

produites dans le cadre d’une division du travail scientifique très poussée. Modèle<br />

« scientifique » d’un côté, modèle « professionnel » de l’autre, pour reprendre la distinction<br />

de Hughes (1952). Les deux figures sont loin de se confondre, car si le médecin s’appuie bien<br />

lui aussi dans sa pratique quotidienne sur <strong>des</strong> éléments théoriques issus de connaissances<br />

scientifiques, il se caractérise avant tout par un « esprit clinique », esprit de synthèse nourri de<br />

l’expérience <strong>des</strong> aînés et acquis au terme d’une longue fréquentation <strong>des</strong> patients, par<br />

opposition à l’esprit analytique et réducteur de la science, qui ne sait pas saisir « l’homme »<br />

dans sa totalité 41 . Le savoir scientifique est donc ici entièrement soumis aux exigences d’une<br />

39 Le projet de licence de psychologie fut initialement proposé par Lagache en 1945 (voir AN-CAC 1980284 art.<br />

218). Jugé trop orienté vers la clinique et la psychopathologie, une nouvelle version fut proposée en 1947 par<br />

Piéron (alors professeur au Collège de France et directeur de l’INOP), Georges Poyer et Paul Guillaume, tous<br />

deux professeurs à la Sorbonne.<br />

40 Arch. SNP, s.c., Projet Anzieu de réforme <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie 1968-1969, « Le psychologue clinicien ».<br />

41 On trouverait dans l’humanisme proclamé par certains médecins un prolongement naturel de cet esprit<br />

clinique. Voir pour un exemple particulièrement illustratif l’ouvrage du docteur Alexis Carrel L’homme cet<br />

290


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pratique indépassable, ce que reflète bien la position socialement subordonnée <strong>des</strong> biologistes<br />

fondamentalistes dans les facultés de médecine (Bourdieu, 1984) 42 .<br />

Dans cette section, nous retraçons le passage d’un modèle professionnel dominé par<br />

la psychologie scientifique à un modèle dominé par la clinique. Cette transformation ne<br />

résulte pas simplement <strong>des</strong> impasses scientifiques de la psychotechnique évoquées dans la<br />

section précédente. Elle tient également aux mo<strong>des</strong> d’organisation et de construction<br />

collective de la profession, qui font entrer en jeu les psychologues du travail, mais aussi leurs<br />

voisins/concurrents : psychologues cliniciens et psychologues de l’éducation principalement.<br />

Les organisations professionnelles représentant ces divers segments s’engagent au tournant<br />

<strong>des</strong> années 1960 dans une démarche commune visant à faire reconnaître leur titre et à<br />

défendre une position dans la division sociale du travail.<br />

Le contenu de la profession ne préexiste pas à ce travail d’organisation collective : il<br />

émerge lentement au cours dans la période 1960-1985. Nous examinerons avec une attention<br />

particulière la genèse de la loi de 1985, qui a conduit à la protection légale du titre de<br />

psychologue. Fortement portée par le segment clinicien, cette loi a contribué à déplacer le<br />

centre de gravité de la profession du modèle expérimentaliste vers le modèle clinique,<br />

repositionnant les psychologues du travail dans l’économie générale de la profession. C’est<br />

donc la question du titre – de la « licence », pour reprendre le vocable de Hughes – qui se<br />

trouve ici posée : comment faire exister sous un même titre un ensemble de professionnels<br />

dont les statuts et les contenus de travail sont en réalité très éloignés ? En quoi les débats<br />

autour du titre contribuent-ils à reconfigurer la position relative <strong>des</strong> différents segments dans<br />

la profession ? Comment offrir au public une image homogène et "présentable", malgré les<br />

dissensions internes ? Quels bénéfices symboliques et matériels sont associés à la détention<br />

du titre ? Après avoir brièvement présenté le paysage de la psychologie professionnelle en<br />

France dans la période 1950-1970, nous retracerons la genèse de la loi de 1985, en montrant<br />

la nette prépondérance du segment clinicien dans le contenu donné à la profession. Nous<br />

reviendrons enfin sur la position particulière <strong>des</strong> psychologues du travail dans ce schéma de<br />

professionnalisation et tenterons de comprendre pourquoi ils sont restés à la marge <strong>des</strong> débats<br />

autour du titre.<br />

inconnu. Piéron, malgré son esprit scientifique, n’échappa pas lui non plus à cette tentation vers la fin de sa vie<br />

dans un ouvrage au titre évocateur : L’homme, rien que l’homme (1967).<br />

42 Voir, dans la même veine, les réflexions de FREIDSON (1984 [1970], p. 178) : « le praticien est confronté à <strong>des</strong><br />

problèmes individuels, il sait que leur solution ne dépend pas seulement d’un calcul de probabilités ou de<br />

concepts et de principes généraux : il doit aussi se fier à ses intuitions sensorielles. Etant donné la nature de son<br />

travail, le clinicien est forcément responsable de ses actions pratiques et pour ce faire il est obligé de faire fond<br />

291


1. Le paysage de la psychologie professionnelle entre 1950 et 1970 : une<br />

professionnalisation en demi-teinte<br />

Qu’en est-il du degré de « professionnalisation » <strong>des</strong> autres segments de la<br />

psychologie dans la période 1950-1970 ? Celui-ci apparaît relativement faible si, à la suite de<br />

Parsons (1964) ou de Hughes (1996 [1963]) 43 , on considère qu’un niveau élevé de<br />

professionnalisation suppose un prestige élevé de la discipline dans le champ universitaire de<br />

haut niveau ainsi qu’une position privilégiée dans l’échelle de revenu et de prestige. Nous<br />

allons examiner successivement ces différentes dimensions.<br />

a) Une discipline dominée dans le champ universitaire ?<br />

(1) Morphologie du corps enseignant<br />

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La licence de psychologie occupe une position relativement dominée dans<br />

l’université française <strong>des</strong> années 1950 et 1960. Elle fait partie, aux côtés de la géographie, de<br />

la sociologie ou de la linguistique <strong>des</strong> « nouvelles disciplines » apparues dans les facultés de<br />

lettres 44 au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les propriétés sociales <strong>des</strong> enseignants<br />

en psychologie tendent à évoluer après la création de la licence. Jusqu’aux années 1950, les<br />

enseignants de l’Institut ou <strong>des</strong> chaires de psychologie de la Sorbonne portaient pour la<br />

plupart les marques de l’excellence scolaire : le plus souvent normaliens et agrégés de<br />

philosophie, ils avaient aussi parfois poursuivi <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de médecine (voir chapitre II<br />

supra) ; tout tendait donc à les rapprocher de leurs collègues <strong>des</strong> autres disciplines<br />

(philosophie, lettres, histoire, langues anciennes) pour lesquels l’agrégation et un passage par<br />

l’Ecole normale étaient les préalables quasi obligés à l’obtention d’un poste universitaire. Le<br />

profil socio-démographique du corps enseignant se transforme avec la massification <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> de psychologie dans les années 1960. C’est en partie la conséquence d’un<br />

accroissement brutal du corps enseignant qui se fait à un rythme plus rapide que dans les<br />

autres disciplines : en l’espace de cinq ans (1963-1967) le nombre d’enseignants en<br />

sur son expérience clinique concrète ».<br />

43 Parsons et Hughes portent bien entendu <strong>des</strong> jugements radicalement opposés sur le phénomène de<br />

professionnalisation, qui est vu par le premier comme la conséquence naturelle de la rationalisation et par le<br />

second comme un travail rhétorique opéré par les groupes sur eux-mêmes, en vue d’en retirer <strong>des</strong> avantages<br />

symboliques et matériels. Mais Hughes n’en ébauche pas moins – fût-ce pour les critiquer – les attributs que doit<br />

normalement détenir une « profession professionnalisée » (voir notamment son article de 1963 sur les<br />

« professions établies »).<br />

44 Il faut rappeler que les « facultés de lettres », fortement clivées entre les licences d’enseignement (histoire,<br />

philosophie, lettres, langues) et les autres licences (sociologie, démographie, géographie, psychologie…) ne<br />

deviendront « facultés de lettres et de sciences humaines » qu’en 1958.<br />

292


psychologie est multiplié par 3,25 alors qu’il est multiplié par 1,9 en moyenne pour les autres<br />

disciplines <strong>des</strong> facultés de lettres 45 . Vers le milieu <strong>des</strong> années 1960, la proportion d’anciens<br />

élèves de l’Ecole normale et d’agrégés est plus faible en psychologie que dans toutes les<br />

autres disciplines <strong>des</strong> facultés de lettres, à l’exception de la sociologie, qui connaît dans la<br />

même période <strong>des</strong> transformations morphologiques semblables, ces deux disciplines ayant en<br />

commun – avec la linguistique – de n’être pas enseignées dans le secondaire. Enfin, la<br />

psychologie est (avec l’anglais) la discipline qui possède en 1967 la plus forte proportion<br />

d’assistants par rapport au nombre de professeurs titulaires, signe de sa position relativement<br />

dominée dans le champ universitaire :<br />

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Tableau 21 –Indicateurs de morphologie du corps enseignant dans les facultés de lettres, 1967<br />

PART<br />

D'AGREGES<br />

(%)<br />

ANCIENS<br />

ELEVES DE<br />

L’ENS 46 (%)<br />

RATIO<br />

ASSISTANTS /<br />

PROFESSEURS<br />

TITULAIRES<br />

Lettres 93,8 26,4 3,3<br />

Langues anciennes 97,8 22,1 1,6<br />

Histoire 90,2 18,3 1,4<br />

Géographie 91,0 11,1 2,3<br />

Anglais 96,8 17,0 6,8<br />

Philosophie 86,1 28,1 1,3<br />

Linguistique 74,4 18,8 1,8<br />

Psychologie 20,5 15,0 5,3<br />

Sociologie 19,4 8,4 3,9<br />

Source : Bourdieu (1984, p. 273)<br />

La situation de la psychologie dans l’université ne tient pas seulement à la<br />

morphologie du corps enseignant mais aussi au statut épistémologique de la discipline ; celleci<br />

se situe « à cheval » sur les Facultés de lettres et de sciences et n’est donc reconnue comme<br />

pleinement légitime dans aucune d’entre elles. La licence de psychologie est en effet<br />

composée de quatre certificats, dont trois sont délivrés par la Faculté de lettres (psychologie<br />

générale, psychologie de l’enfant et psychologie sociale) et un par la Faculté de sciences<br />

(psychophysiologie). Cette position la rend suspecte aux yeux <strong>des</strong> disciplines mieux<br />

implantées dans les Facultés de lettres, comme la philosophie, l’histoire ou les lettres. Un<br />

enseignant se plaint de cette situation dans un numéro de la Revue de l’enseignement<br />

supérieur consacré à la psychologie :<br />

« Les sciences psychologiques sont encore difficilement acceptées comme telles<br />

dans l’ancien cadre <strong>des</strong> Facultés <strong>des</strong> lettres. Faute d’être prévues dans une<br />

organisation désuète qui ne comportait point les « sciences humaines », les<br />

45 Source : BOURDIEU (1984)<br />

46 Ces chiffres ne concernent que les enseignants de rang B (assistants et maîtres-assistants).<br />

293


laboratoires ne disposent ni <strong>des</strong> crédits, ni de cette relative autonomie qui est celle<br />

<strong>des</strong> laboratoires de la faculté voisine. C’est surtout le besoin de donner une certaine<br />

indépendance aux laboratoires qui explique la multiplication, pendant une certaine<br />

période, <strong>des</strong> instituts de psychologie, plus autonomes et plus souples » (Chateau,<br />

1966, p. 158).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’image de la discipline n’est guère meilleure dans les Facultés de sciences, où l’on manifeste<br />

un « mépris de la psychologie, qui passe pour être un ensemble de vagues notions<br />

philosophico-scientifiques » (Soulairac, 1966, p. 161). Le certificat de psychophysiologie<br />

délivré par la faculté de sciences est d’ailleurs particulièrement difficile à obtenir pour les<br />

étudiants, dans la mesure où l’immense majorité d’entre eux ont suivi leurs deux années de<br />

« propédeutique » 47 dans les Facultés de lettres, et n’ont par conséquent reçu aucun<br />

enseignement scientifique. L’idée d’une « science humaine » ne semble donc satisfaire ni les<br />

purs « humanistes » de la Faculté <strong>des</strong> lettres, ni les rigoureux esprits scientifiques de la faculté<br />

<strong>des</strong> sciences, d’où un certain mépris à l’égard de la psychologie.<br />

(2) Les psychologues dans l’ombre <strong>des</strong> médecins<br />

La faculté de médecine et la licence de psychologie s’ignorent quant à elles<br />

superbement, les médecins voulant faire <strong>des</strong> psychologues de simples auxiliaires de<br />

médecine, à l’image <strong>des</strong> orthophonistes ou <strong>des</strong> psychomotriciens, rôle dans lequel les<br />

psychologues refusent de se voir enfermer 48 . Cette situation de relative subordination de la<br />

psychologie à la médecine est renforcée par le fait que, dès les années 1960, les étu<strong>des</strong> de<br />

psychologie accueillent un nombre important de « médecins contrariés », ayant échoué ou<br />

renoncé à entreprendre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de médecine. L’enquête réalisée par Pierre Oléron en 1967<br />

auprès de 366 étudiants en psychologie de la Sorbonne est de ce point de vue très éloquente<br />

puisqu’elle montre que si « aucune contrainte n’avait pesé sur leur choix », les étudiants (plus<br />

particulièrement les filles) auraient prioritairement choisi la médecine, non la psychologie 49 .<br />

47 Futur DUEL, qui deviendra ensuite le DEUG. Cette situation se trouve modifiée par la réforme de 1967 qui<br />

impose le choix d’une discipline dès l’entrée à l’université<br />

48 Comme nous le verrons dans la section suivante, toute la stratégie de lutte menée par les associations<br />

professionnelles en faveur de la protection du titre dès 1950 a précisément consisté à mettre en avant les<br />

applications non thérapeutiques pour ne pas être classés parmi les "paramédicaux". Ainsi, les psychologues du<br />

travail ou de l’éducation, qui ne font pas partie <strong>des</strong> métiers du « soin », ont servi d’appui aux associations<br />

professionnelles pour éloigner les psychologues de la trop encombrante tutelle médicale. Cette stratégie explique<br />

en partie le fait que ce soit le titre générique de « psychologue » (et non de psychologue de telle ou telle<br />

spécialité) qui soit protégé par la loi de 1985, le flou autour de l’appellation permettant de maintenir une distance<br />

vis-à-vis de la médecine, tout en insistant sur « l’unité » de la science psychologique, application d’un même<br />

savoir dans différents registres pratiques. La position <strong>des</strong> associations de psychologues dans l’actuel débat sur les<br />

psychothérapies (amendement Accoyer) s’inscrit dans la lignée de cette stratégie puisqu’ils craignent que la<br />

protection de ce domaine d’activité ne les place dans un tête à tête avec les médecins.<br />

49 La question était formulée de la manière suivante : « Si votre choix n’était limité par aucune restriction (étu<strong>des</strong><br />

antérieures, longueur <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>, capacités personnelles etc.) vers quelle activité ou profession vous seriez vous<br />

orienté ? ». 30% <strong>des</strong> étudiants répondent qu’ils se seraient orientés vers la médecine, 26% qu’ils se seraient de<br />

294


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La durée <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de médecine et la forte sélectivité de cette filière sont les deux<br />

caractéristiques les plus fréquemment évoquées par les étudiants de psychologie, qui<br />

envisagent rarement de consacrer plus de quatre années à leurs étu<strong>des</strong> supérieures 50 et qui, en<br />

raison de leurs parcours antérieur (baccalauréat de philosophie pour les trois quarts d’entre<br />

eux, sciences expérimentales pour 17% seulement) auraient certainement échoué dans <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> de médecine. Ces choix contrariés expliquent en partie qu’un grand nombre<br />

d’étudiants en psychologie choisissent une spécialisation en rapport avec les métiers du soin,<br />

espérant accéder par la psychologie à <strong>des</strong> fonctions proches de celles de médecin : contact<br />

avec les patients, actions thérapeutiques, diagnostic de cas pathologiques… Oléron (1967, p.<br />

337) met toutefois en garde ces étudiants (notamment les étudiantes), qui risquent de<br />

s’exposer à de sérieuses déceptions : « (…) L’adoption de la psychologie comme substitut de<br />

la médecine n’est pas sans inconvénients. La préférence pour la psychologie tient à la brièveté<br />

et au caractère moins astreignant <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>. Mais les étudiants qui se préparent à exercer<br />

dans un cadre médical s’exposent à <strong>des</strong> désillusions sérieuses s’ils attendent un niveau de<br />

rémunération et d’autorité comparable à celui du médecin ».<br />

Jusqu’au milieu <strong>des</strong> années 1960, en effet, les psychologues exerçant en secteur<br />

hospitalier œuvraient pour la plupart dans l’ombre <strong>des</strong> psychiatres où ils étaient confinés à <strong>des</strong><br />

tâches ingrates et répétitives de passation de tests, sans bénéficier d’aucun statut. Une enquête<br />

réalisée par l’INSERM en 1968 51 auprès d’une population de psychologues cliniciens fait<br />

ainsi apparaître que 65% d’entre eux sont employés à la vacation (pour une ou plusieurs<br />

tranches de trois heures par semaine) dans les différents secteurs de la santé, de l’hygiène<br />

mentale et de la protection de l’enfance. Environ la moitié <strong>des</strong> enquêtés (46%) se plaignent de<br />

« l’absence de statut et de structure de la profession » et 36 % enfin évoquent « l’instabilité de<br />

leur emploi et l’insuffisance de la rémunération ». On comprend dans ce contexte que la prise<br />

de conscience du décalage entre les espérances et la réalité <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> conditions de<br />

travail fasse l’objet de désillusions particulièrement fortes, d’où l’émergence précoce de<br />

revendications en faveur d’une protection du titre. La situation <strong>des</strong> psychologues cliniciens<br />

vis-à-vis <strong>des</strong> médecins sera clarifiée par différentes mesures, notamment un décret de 1963<br />

qui reconnaît officiellement l’existence d’une fonction de psychologue « parmi les<br />

collaborateurs du corps médical exerçant dans le secteur public et semi-public, notamment les<br />

toute façon dirigés vers la psychologie, 12% vers la psychiatrie (OLERON, 1967).<br />

50 Une enquête complémentaire à celle d’Oléron (FRAISSE et CONSTANTIAL, 1967) montre qu’environ 60% <strong>des</strong><br />

étudiants en psychologie envisagent de ne pas poursuivre leurs étu<strong>des</strong> au-delà de la maîtrise.<br />

51 Arch. SNP, s.c., « Enquête de 1968 réalisée par l’INSERM sur l’emploi <strong>des</strong> psychologues dans les<br />

établissements hospitaliers et les services publics et semi-publics concourant à l’action sanitaire et sociale ».<br />

295


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

dispensaires d’hygiène mentale, les hôpitaux psychiatriques, les établissements recevant les<br />

enfants inadaptés et les hôpitaux généraux » 52 . Il est frappant de constater qu’avant cette date,<br />

aucune référence n’avait été faite à la fonction de psychologue dans les établissements de<br />

soin, alors que <strong>des</strong> psychologues praticiens exerçaient auprès <strong>des</strong> psychiatres au moins depuis<br />

le début <strong>des</strong> années 1940. Une étape supplémentaire est franchie avec le décret du 14<br />

décembre 1971, qui institue un véritable statut de psychologue dans les hôpitaux (exigence<br />

d’un troisième cycle, concours sur titre, grille indiciaire…). Le décret est toutefois jugé<br />

insuffisant par la majorité <strong>des</strong> associations professionnelles car il les place à une niveau<br />

indiciaire très faible, laisse planer un grand flou autour <strong>des</strong> missions <strong>des</strong> psychologues dans<br />

les hôpitaux et surtout il va dans le sens d’une définition <strong>des</strong> psychologues comme simples<br />

"auxiliaires médicaux" chargés d’administrer <strong>des</strong> tests psychométriques pour le compte <strong>des</strong><br />

médecins (même s’ils n’apparaissent pas comme tels dans le Code de la Santé). C’est surtout<br />

l’absence de référence au rôle <strong>des</strong> psychologues dans l’administration <strong>des</strong> soins (psychanalyse<br />

ou psychothérapies) qui mécontente les associations professionnelles.<br />

(3) La réforme <strong>des</strong> enseignements : un début de professionnalisation ?<br />

Bien que la psychologie demeure moins prestigieuse que la médecine, la création de<br />

la licence permet malgré tout l’entrée sur le marché du travail de cohortes de psychologues<br />

dotés d’une formation universitaire plus solide et plus complète que l’ancienne génération<br />

issue <strong>des</strong> formations « pratiques » de l’entre-deux guerres (Institut de psychologie, CNAM et<br />

INOP) 53 . Les effectifs d’étudiants en licence connaissent en effet une véritable explosion dans<br />

les années 1960, dépassant même le nombre d’inscriptions en philosophie, en histoire en<br />

lettres ou en sociologie. Ainsi, si en moyenne deux cent licences de psychologie étaient<br />

délivrées chaque année en France 54 dans les années 1950, ce chiffre monte à 600 dans les<br />

années 1960 55 . Ces effectifs ne cesseront de croître jusqu’à aujourd’hui, comme l’illustre le<br />

graphique suivant :<br />

52 Circulaire du 7 août 1963 du Ministère de la Santé.<br />

53 ANZIEU (1961) estimait qu’entre 1200 et 1800 psychologues exerçaient en France en 1961.<br />

54 La licence de psychologie initialement envisagée par Piéron, Poyer et Guillaume ne devait être créée qu’à la<br />

Sorbonne. Le ministère décida finalement de l’élargir à la province, notamment à Montpellier, Strasbourg,<br />

Rennes et Aix, malgré les réserves de ses promoteurs, qui estimaient que les conditions n’étaient pas réunies<br />

pour créer <strong>des</strong> licences en province faute d’enseignants suffisamment formés à la psychologie.<br />

55 Soit six fois plus de licenciés en psychologie que de licenciés en sociologie dans les années 1960. Cet écart<br />

tend à se réduire puisqu’il était en 1995 de un à trois.<br />

296


Graphique 6 Nombre de licences de psychologie délivrées<br />

annuellement (1965-1990)<br />

3500<br />

3000<br />

2500<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

2000<br />

1500<br />

1000<br />

500<br />

0<br />

1965<br />

1967<br />

1969<br />

1971<br />

1973<br />

1975<br />

1977<br />

1979<br />

1981<br />

1983<br />

1985<br />

1987<br />

1989<br />

Source : MEN-DEP, Tableaux statistiques<br />

La professionnalisation du de la psychologie se traduit également par une hausse du<br />

niveau d’exigence requis pour se déclarer « psychologue », qui se déplace d’abord vers la<br />

licence puis, très rapidement au-delà de la licence faute de débouchés dans l’enseignement<br />

secondaire. Le baccalauréat (1947), puis la licence de psychologie (1967) sont exigés pour<br />

entrer à l’Institut de psychologie 56 . Il devient au cours <strong>des</strong> années 1960 une sorte d’« école<br />

professionnelle », préfigurant à bien <strong>des</strong> égards les DESS qui se développeront dans les<br />

années 1970 :<br />

« Jusqu’ici l’étudiant, après sa licence, pouvait passer un diplôme d’enseignement<br />

supérieur de l’ancien type (D.E.S.), dans la section de philosophie. Mais lorsque cela<br />

était possible, il s’orientait plutôt vers un diplôme d’Institut, parce que celui-ci était<br />

plus spécialisé, et par suite plus convenable pour un futur praticien : ce n’était plus<br />

un diplôme de philosophie, mais un diplôme d’Institut, dans la section de<br />

psychologie industrielle ou de psychologie pathologique » (Chateau, op. cit., p. 160)<br />

L’Institut se professionnalise également à travers la création en 1955 d’un diplôme<br />

« d’expert-psychologue », délivré aux candidats ayant deux diplômes de l’Institut et ayant<br />

effectué un stage de six mois à plein temps dans un service de psychologie. Si la formation<br />

acquise en licence demeure très générale – trop générale aux yeux <strong>des</strong> étudiants – c’est à<br />

l’Institut qu’ils viennent acquérir une spécialisation, qui déterminera en grande partie leur<br />

insertion professionnelle future. Le poids relatif <strong>des</strong> différentes spécialités montre bien la<br />

place croissante dévolue à la psychologie pathologique dans la formation et le déclin de la<br />

56 En réalité, jusqu’en 1967, les bacheliers ont toujours formellement la possibilité d’obtenir un diplôme de<br />

l’Institut en trois ans (deux années préparatoires plus une année de spécialisation) mais, de plus en plus, les<br />

étudiants viendront directement suivre une année de spécialisation à l’issue de la licence, en étant dispensés <strong>des</strong><br />

deux années préparatoires.<br />

297


psychologie industrielle et de la psychopédagogie, qui avaient été les domaines d’application<br />

privilégiés de la psychologie dans la période antérieure.<br />

Graphique 7 Part <strong>des</strong> différentes spécialités dans les diplômes délivrés par l’Institut de psychologie de<br />

1944 à 1965 (sur le total <strong>des</strong> diplômes délivrés) 57<br />

60,0%<br />

50,0%<br />

40,0%<br />

Psychopédagogie<br />

30,0%<br />

20,0%<br />

Psychologie<br />

industrielle<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

10,0%<br />

0,0%<br />

1944-<br />

1946<br />

1947-<br />

1949<br />

1950-<br />

1951<br />

1952-<br />

1954<br />

1955-<br />

1956<br />

1957-<br />

1959<br />

1960-<br />

1962<br />

1963-<br />

1965<br />

Source – Programme <strong>des</strong> conditions d’admission et de l’enseignement à l’Institut<br />

de Psychologie, 1965<br />

Psychopathologie<br />

b) L’insertion professionnelle : professionnalisation ou<br />

prolétarisation de la psychologie ?<br />

(1) L’insertion <strong>des</strong> psychologues à la fin <strong>des</strong> années 1960<br />

Les changements qui viennent d’être évoqués sont en phase avec l’évolution <strong>des</strong><br />

débouchés offerts aux étudiants. Le premier constat est celui d’une relative adéquation entre<br />

les formations reçues et les emplois occupés, ce qui confirme l’existence d’un "marché du<br />

travail" pour les psychologues, notamment dans le secteur de la santé (psychologues<br />

hospitaliers), de l’« enfance inadaptée » 58 , ou de l’éducation surveillée. Ainsi, selon une<br />

enquête réalisée en 1965 par le GEPUP sur le devenir <strong>des</strong> anciens élèves de l’Institut de<br />

psychologie 59 , 81% <strong>des</strong> répondants estiment que leur activité « relève de la psychologie » ;<br />

15% qu’elle « relève partiellement de la psychologie » et 3% seulement qu’elle « ne relève<br />

57 Le diplôme de psychopathologie n’est créé qu’en 1950.<br />

58 Ce secteur comprend notamment les centres médico psycho-pédagogiques (CMPP), créés par Georges Mauco<br />

en 1938.<br />

59 GEPUP (1967)<br />

298


pas de la psychologie » 60 , même si comme on l’a vu, le statut n’est pas toujours à la hauteur<br />

<strong>des</strong> espérances pour les cliniciens. Selon la même enquête, les débouchés se partageaient à<br />

cette date à parts à peu près égales entre trois secteurs : l’enseignement supérieur et la<br />

recherche qui accueille à eux seuls environ un tiers <strong>des</strong> diplômés ; la psychologie industrielle<br />

(30% <strong>des</strong> diplômés) ; et la psychologie clinique – qui peut s’exercer en centre hospitalier, en<br />

cabinet libéral ou dans <strong>des</strong> centres pour enfants inadaptés – : 30% <strong>des</strong> diplômés. Si l’on<br />

s’intéresse maintenant aux tâches effectuées tableau 22 infra), la tâche la plus souvent<br />

mentionnée est « la psychologie clinique et pathologique » (23% <strong>des</strong> répondants) ; viennent<br />

ensuite les missions de « sélection/orientation » (18%), puis la « psychopédagogie » (15%).<br />

D’autres missions sont évoquées comme « les applications psychosociologiques » (16%),<br />

« les métho<strong>des</strong> de formation » (6%) ou « l’ergonomie » (6%).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 22 – Types d’activités déclarés par les anciens étudiants de l’Institut de psychologie, 1967<br />

TACHES EFFECTUEES HOMMES (49 REPONSES) FEMMES (49 REPONSES) TOTAL<br />

Psychologie clinique et pathologique 11% 35,6% 23,3%<br />

Sélection/orientation 18% 18,4% 18,2%<br />

Psychopédagogie 11% 19,5% 15,2%<br />

Applications psychosociologiques 22% 10% 16%<br />

Métho<strong>des</strong> de formation 13,5% – 6,2%<br />

Ergonomie 12% – 6%<br />

Source : GEPUP, 1967<br />

Ces éléments confirment bien que la psychologie pathologique est loin d’avoir dans<br />

les années 1960 la place prépondérante qu’elle occupe aujourd’hui sur le marché du travail<br />

<strong>des</strong> psychologues 61 . Les psychologues cliniciens et les psychologues du travail se distinguent<br />

surtout par leur profil socio-démographique : alors que la psychologie clinique est féminine,<br />

la psychologie industrielle est davantage investie par les hommes 62 : 11% seulement d’entre<br />

eux disent exercer <strong>des</strong> tâches relevant de la psychologie clinique et pathologique contre 36%<br />

<strong>des</strong> femmes. A l’inverse, les femmes sont peu présentes dans le domaine de l’ergonomie<br />

(aucune d’entre elles ne déclare exercer cette activité contre 12% <strong>des</strong> hommes) ou <strong>des</strong><br />

applications psychosociologiques en entreprise (22% <strong>des</strong> hommes contre 10% <strong>des</strong> femmes).<br />

60 Ce constat doit toutefois être modéré par deux éléments : d’une part le faible nombre de répondants à<br />

l’enquête : 98 réponses sur 331 envois (soit 30% de réponse) ; d’autre part le fait que les répondants sont<br />

certainement aussi ceux dont la pratique professionnelle les a le moins éloigné de la psychologie.<br />

61 Selon la DEP-MENESR, en 2001, 48% <strong>des</strong> DESS délivrés étaient <strong>des</strong> DESS de psychologie clinique (pour les<br />

autres spécialités : 16% en psychologie du travail, 12% en psychologie de l’enfant, 4% en ergonomie)<br />

62 Précisons que le questionnaire du GEPUP a reçu autant de réponses d’hommes que de femmes (49 réponses de<br />

chaque sexe).<br />

299


Cette répartition sexuée par champ d’activité a <strong>des</strong> conséquences sur la revendication du titre<br />

de psychologue, très variable d’un secteur à l’autre. Les hommes le revendiquent faiblement<br />

et un quart d’entre eux estiment même qu’il n’existe pas de « profession de psychologue »<br />

mais simplement <strong>des</strong> « activités liées à la psychologie », alors qu’aucune réponse de ce type<br />

n’est donnée par les femmes ; les hommes sont également cinq fois plus nombreux que les<br />

femmes à avoir répondu que leur activité relève « partiellement de la psychologie ».<br />

(2) Une nouvelle figure : le « psychologue clinicien »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La figure du « psychologue clinicien » qui émerge au cours <strong>des</strong> années 1950 doit<br />

beaucoup à l’influence de Daniel Lagache. Celui-ci considère que la psychologie clinique ne<br />

doit pas se restreindre aux applications pathologiques en milieu hospitalier, mais trouver un<br />

prolongement dans l’ensemble <strong>des</strong> secteurs de la vie sociale. De simple méthode<br />

d’investigation scientifique, la clinique devient l’objet même de l’intervention. Selon les<br />

termes mêmes de Lagache (1966 [1949]), le psychologue doit, dans ses différents champs<br />

d’intervention, « conseiller, guérir et éduquer (ou rééduquer) ». Le modèle promu par<br />

Lagache trouve son origine dans la clinical psychology qui s’est développée aux Etats-Unis<br />

depuis les années 1930, notamment à travers le Journal of consulting psychology, qui définit<br />

en 1945 la psychologie clinique comme « la science et l’art d’employer les principes, les<br />

métho<strong>des</strong> et les procédés psychologiques pour favoriser le bien être de l’individu en vue de<br />

lui faire atteindre un optimum dans l’adaptation sociale et l’expression de soi » 63 . L’éventail<br />

<strong>des</strong> applications est donc a priori très large : il concerne aussi bien l’orientation<br />

professionnelle <strong>des</strong> enfants et <strong>des</strong> adultes que la consultation psychopédagogique <strong>des</strong> jeunes<br />

délinquants 64 , la détection <strong>des</strong> troubles psychologiques en milieu scolaire ou encore les<br />

métho<strong>des</strong> de case work pratiquées par les travailleurs sociaux.<br />

En réalité, plus qu’un domaine d’activité dont les contours pourraient être tracés avec<br />

précision, l’expression de « psychologie clinique » ou de « psychologue clinicien » désigne<br />

un mode de socialisation à la psychologie et une attitude dans la relation à autrui, tournée vers<br />

la recherche du sens <strong>des</strong> conduites individuelles. La psychologie clinique envisagée par<br />

Lagache a donc <strong>des</strong> prétentions hégémoniques : « L’avenir de la psychologie comporte<br />

l’extension nécessaire de l’approche clinique à l’ensemble <strong>des</strong> conduites humaines,<br />

individuelles et collectives, normales et pathologiques » 65 . En comparaison, les opportunités<br />

63 Journal of consulting psychology, 1945, vol. 9, pp. 243-266<br />

64 Des centres d’observation éducative (COE), employant une cinquantaine de psychologues vers la fin <strong>des</strong><br />

années 1950, furent créés par le ministère de la justice en 1945<br />

65 LAGACHE, 1966 [1949], p. 51<br />

300


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

d’application offertes par la psychologie expérimentale semblent pour lui plus limitées :<br />

« L’approche expérimentale est plus indépendante de l’application immédiate, plus rigoureuse<br />

et conduit à <strong>des</strong> résultats plus généraux ; mais en face <strong>des</strong> conduites humaines concrètes, elle<br />

offre surtout <strong>des</strong> possibilités d’explication indirecte et théorique ; l’attaque directe est difficile<br />

et souvent impossible à réaliser. » 66 . Ainsi, bien qu’il prétende mettre sur un pied d’égalité la<br />

psychologie clinique et la psychologie expérimentale, Lagache accorde de fait un privilège à<br />

la clinique, opération de synthèse qui seule peut donner sens à l’action concrète du<br />

psychologue. Le parallèle avec la médecine est frappant : de même que les fondamentalistes<br />

sont totalement subordonnés aux deman<strong>des</strong> <strong>des</strong> cliniciens dans les Facultés de médecine, de<br />

même les données issues de la psychologie expérimentale ne sont là que pour mieux "armer"<br />

le clinicien : « (…) il n’est aucun test, aucune batterie de tests qui puisse donner une<br />

connaissance adéquate de la personnalité dans sa multiplicité et son unité ; ce ne sont que <strong>des</strong><br />

sondages plus ou moins nombreux, ordonnés et profonds. Dans l’état actuel de nos<br />

connaissances, le problème appartient à la "clinique armée", dont le recours à <strong>des</strong> tests<br />

judicieusement choisis, maniés, interprétés, accroît la rapidité, la pénétration et multiplie les<br />

systèmes de référence » 67 . Une telle subordination de la science est inévitable dès lors que<br />

Lagache veut faire de la psychologie un art, une pratique d’intervention, et non la simple<br />

application technique de recettes scientifiques 68 . Ce nouveau rôle dévolu aux psychologues<br />

repose sur les convictions théoriques de Lagache, qui – conformément à la vision promue par<br />

la psychanalyse – se représente l’individu en conflit permanent avec les différents milieux<br />

sociaux où il évolue. Le psychologue doit dans cette perspective favoriser une meilleure<br />

adaptation de l’individu à ses cadres sociaux. Si les schémas théoriques et les concepts de la<br />

psychanalyse nourrissent le projet de Lagache, la psychanalyse et la psychologie clinique ne<br />

se confondent pas pour autant. La psychanalyse, contrairement à la psychologie clinique, n’a<br />

pas vocation à pénétrer l’ensemble <strong>des</strong> institutions sociales ; elle est définie par Lagache<br />

comme une « ultra-clinique », dont « les origines se trouvent dans la médecine et la<br />

psychopathologie » 69 et qui ne peut donc servir à traiter <strong>des</strong> situations normales.<br />

Le passage de la figure du psychologue expérimentaliste, manipulateur de tests, au<br />

psychologue clinicien, guide et conseiller, trouve un facteur d’accélération dans la<br />

66 Ibid.., p. 52<br />

67 Ibid.., p. 41<br />

68 L’opposition entre cliniciens d’un côté, expérimentalistes et psychotechniciens de l’autre, reproduit, dans un<br />

autre domaine, la relation qu’entretiennent les architectes et les <strong>ingénieurs</strong>, les premiers se réclamant d’un « art »<br />

au service de l’homme alors que les seconds n’envisageraient que le versant technique <strong>des</strong> problèmes d’habitat.<br />

Sur les relations entre <strong>ingénieurs</strong> et architectes, voir FREIDSON (2001, pp. 167-173).<br />

301


massification <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie au cours <strong>des</strong> années 1960. Les successeurs zélés que<br />

se trouve Lagache en la personne de Didier Anzieu et de Juliette Favez-Boutonnier<br />

contribuent à placer la professionnalisation de la psychologie sous le signe de la clinique, en<br />

créant <strong>des</strong> formations de psychologues cliniciens totalement séparées de la psychologie<br />

expérimentale et de la philosophie et accordant une large place à la psychanalyse, le premier à<br />

Nanterre en 1964 et la seconde à Censier en 1967 (création d’une UER de psychologie<br />

clinique). Juliette Favez-Boutonnier va même plus loin que son maître en abandonnant à<br />

Censier le socle de philosophie présent dans la licence antérieure et en créant une UER de<br />

« sciences humaines cliniques ». L’unité de la formation se fait autour du concept de clinique,<br />

et non autour de la psychologie. Comme le précise la plaquette de présentation de cette<br />

nouvelle formation :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« l’objectif est d’assurer une formation professionnelle <strong>des</strong> psychologues et<br />

psychosociologues, dans la direction qui fait la spécificité de l’UER, à savoir<br />

l’orientation clinique, quel qu’en soit le champ d’application (psychologie et<br />

psychopathologie individuelle, psychologie sociale <strong>des</strong> groupes, analyse<br />

institutionnelle, pédagogie…). Cette orientation clinique est à entendre, au delà<br />

d’une méthode, comme une attitude : de compréhension plus que d’explication,<br />

centrée sur le particulier plus que visant au général, recherchant la poursuite d’un<br />

discours ou d’un dialogue plus que l’établissement d’une loi, reconnaissant<br />

l’existence et même la prévalence structurante de l’inconscient. Cette orientation<br />

assigne à la psychologie clinique <strong>des</strong> fonctions privilégiées : conseil, orientation,<br />

soutien, thérapie, intervention, formation… »<br />

Lagache émet <strong>des</strong> réserves sur cette décision, qui risque selon lui d’entraîner une<br />

spécialisation excessive de la psychologie et de la couper définitivement de ses bases<br />

humanistes d’un côté (par la rupture avec la philosophie) et expérimentales de l’autre (par la<br />

rupture avec la physiologie) : « Les psychologues, y compris les psychanalystes, ne peuvent<br />

se dispenser d’une information humaniste et scientifique extérieure à leur domaine propre ; ils<br />

y peuvent trouver, qui <strong>des</strong> informations, qui <strong>des</strong> hypothèses, qui <strong>des</strong> idées théoriques ou<br />

méthodologiques (…) car que feraient les psychologues sans une réflexion préalable et<br />

renouvelée sur quelques concepts fondamentaux tels que l’objectivité, la subjectivité et<br />

l’intersubjectivité (…) » 70 . Lagache semble donc s’effrayer lui-même <strong>des</strong> conséquences<br />

néfastes d’une psychologie clinique de masse qui, selon ses termes, serait « tout juste bonne<br />

pour les travailleurs sociaux » 71 et dévaloriserait l’ensemble de la profession. Une telle<br />

évolution est bien éloignée de l’image du psychologue-médecin, au statut social élevé, que<br />

Lagache appelait de ses vœux.<br />

69 LAGACHE, 1966 [1949], p. 14.<br />

70 Ibid., p. 15<br />

71 Expression attribuée à Lagache par CARROY et OHAYON (1999)<br />

302


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Or, c’est bien le scénario d’une psychologie clinique de masse qui semble s’être<br />

réalisé, conduisant à une dégradation <strong>des</strong> situations offertes à la sortie de l’université. La<br />

« première génération » de psychologues (psychotechniciens, Conseillers d’orientation,<br />

psychologues scolaires) connaissait en effet <strong>des</strong> statuts plus stables (en général dans la<br />

fonction publique) que la seconde, entrée sur le marché du travail à partir <strong>des</strong> années 1970.<br />

Les enquêtes d’insertion professionnelle à la sortie <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie montrent en<br />

effet unanimement 72 , depuis les années 1970, que les conditions d’insertion professionnelle et<br />

d’emploi sont nettement moins bonne en psychologie clinique que dans tous les autres<br />

domaines de la discipline, or c’est cette filière qui est aujourd’hui choisie par la majorité <strong>des</strong><br />

étudiants. La psychologie clinique est en effet marquée par la précarité <strong>des</strong> emplois (souvent<br />

en milieu associatif, avec une majorité de contrats à durée déterminée) et <strong>des</strong> difficultés<br />

d’insertion à tous les niveaux de sortie du système universitaire 73 . Par ailleurs, seuls les deux<br />

tiers environ <strong>des</strong> diplômés de DESS de psychologie clinique occuperaient de véritables<br />

emplois de « psychologues cliniciens », les autres se trouvant dans <strong>des</strong> professions<br />

intermédiaires : professions intermédiaire de la santé et du travail social, formateurs,<br />

animateurs de formation continue. Les emplois à temps complet sont loin d’être la règle<br />

puisqu’ils ne concernent que 55% <strong>des</strong> emplois occupés à la sortie <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie,<br />

ce qui est certainement à rapprocher de la féminisation de la profession, qui se poursuit à un<br />

rythme accéléré à partir <strong>des</strong> années 1970 (graphique 8) :<br />

72 Voir notamment, pour une synthèse récente <strong>des</strong> enquête d’insertion <strong>des</strong> diplômés en psychologie, DUFOYER<br />

(1997)<br />

73 Selon les enquêtes du Céreq (MARTINELLI, 1994) près de 10 % <strong>des</strong> étudiants sortant de psychologie<br />

connaissaient plus de 6 mois de chômage avant de trouver un premier emploi contre 6% pour la sociologie et 1%<br />

pour la philosophie.<br />

303


Graphique 8 Proportions d’hommes reçus à la licence de<br />

psychologie (1965-1990)<br />

45%<br />

40%<br />

35%<br />

30%<br />

25%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

20%<br />

15%<br />

10%<br />

5%<br />

0%<br />

1966<br />

1968<br />

1970<br />

1972<br />

1974<br />

1976<br />

1978<br />

1980<br />

1982<br />

1984<br />

1986<br />

1988<br />

1990<br />

Source : DEP MENESR (Tableaux Statistiques)<br />

Enfin, l’expertise <strong>des</strong> psychologues cliniciens menace de se « diluer » dès lors qu’elle<br />

est enseignée à un public croissant, notamment dans le secteur social ou médico-social<br />

(éducateurs spécialisés, assistantes sociales, infirmiers psychiatriques,…). Cela constitue aux<br />

yeux <strong>des</strong> psychologues cliniciens formés à l’université une concurrence nuisible à leur projet<br />

professionnel dont on trouve <strong>des</strong> échos dans la presse syndicale :<br />

« (…) l’éducateur revendique la fonction du psychologue ; le médecin lui prend ses<br />

métho<strong>des</strong> ; et d’une façon générale un peu tout le monde, du psychiatre au<br />

cartomancien, en passant par le maître d’école et l’animateur, se dit psychologue à<br />

ses heures perdues. Il ne s’agit pas de nier le bien-fondé d’une formation<br />

psychologique transversale à toute pratique médicale ou éducative, mais ce partage<br />

du savoir risque aussi d’aboutir à une négation ou une dispersion de l’identité du<br />

psychologue : c’est un problème de limites » 74<br />

2. La loi de 1985 : la construction paradoxale d’un titre professionnel<br />

La loi de 1985 sur le titre a une paternité précoce. Les premières revendications d’un<br />

« statut <strong>des</strong> psychologue » apparaissent au tournant <strong>des</strong> années 1950, dans le milieu <strong>des</strong><br />

psychotechniciens (voir chapitre III supra). Un article paru en février 1950 dans le Bulletin de<br />

psychologie sous la plume de deux praticiens, Gisèle Dormeau et Michel Roche, ouvre le<br />

débat. Les auteurs demandent « l’établissement d’un statut qui donnera à la profession <strong>des</strong><br />

conditions d’exercice analogues à celles de la profession médicale (…) Il faut qu’un<br />

organisme professionnel indépendant – un conseil de l’Ordre – garantisse notre propre<br />

74 Bulletin du SNP, n°42, octobre 1979, p. 28<br />

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indépendance et l’objectivité de notre travail » 75 . Pour eux, c’est à la fois le moyen de se<br />

protéger de la concurrence <strong>des</strong> « charlatans » et de garantir l’indépendance <strong>des</strong> psychologues<br />

dans leurs différents lieux d’exercice (pression <strong>des</strong> enseignants en milieu scolaire, <strong>des</strong><br />

magistrats dans le secteur judiciaire, <strong>des</strong> directeurs d’entreprise ou <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong> dans le<br />

monde du travail). Au départ, cette préoccupation concerne essentiellement l’usage <strong>des</strong> tests.<br />

Le succès <strong>des</strong> tests au lendemain de la guerre et leur application routinière dans le monde<br />

éducatif ou professionnel encouragea en effet leur diffusion auprès de non-spécialistes, d’où<br />

le souci d’en réserver l’usage aux seuls titulaires d’un diplôme de psychologie 76 . Ces<br />

problèmes avaient déjà surgi aux Etats-Unis dès les années 1930, où, selon une enquête<br />

rapportée par Buchanan (1997, p. 172), 63% <strong>des</strong> utilisateurs de tests dans le monde éducatif<br />

n’avaient pas reçu de formation psychologique particulière, étant pour la plupart enseignants.<br />

Dès le départ, l’idée d’un statut du psychologue est donc non seulement liée à un titre, mais<br />

aussi à un domaine d’activité dont les contours peuvent être tracés de façon précise autour de<br />

la méthode <strong>des</strong> tests, rendant en cela le psychologue proche <strong>des</strong> médecins, <strong>des</strong> expertscomptables<br />

ou <strong>des</strong> avocats, c’est-à-dire maîtrisant un savoir-faire technique socialement<br />

valorisé.<br />

La conjugaison de facteurs épistémologiques (remise en cause de la primauté de la<br />

méthode <strong>des</strong> tests et de l’idée de "science appliquée") et sociaux (massification <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

psychologie, évolution de la demande sociale adressée aux psychologues) va élargir les<br />

préoccupations <strong>des</strong> associations professionnelles à partir <strong>des</strong> années 1960-1970 : au lieu de<br />

défendre un domaine technique délimité, les promoteurs de la loi sur le titre vont s’attacher à<br />

protéger un titre générique de "psychologue" sans préjuger de son contenu. Cette option sera<br />

retenue par Didier Anzieu, professeur de psychologie à Nanterre, chargé par le Ministre de<br />

l’Education Edgar Faure de proposer un statut <strong>des</strong> psychologues en 1968 77 . Dans ses échanges<br />

avec le Ministère, il fait valoir « la difficulté qu’il y a à définir limitativement la profession de<br />

psychologue. La liste <strong>des</strong> techniques utilisées varie avec le temps, et le métier est caractérisé<br />

non seulement par l’utilisation de certaines techniques mais par un esprit particulier et la<br />

75 DORMEAU et ROCHE (1950, p. 2)<br />

76 Cette routinisation possible dans l’usage <strong>des</strong> tests concerne d’ailleurs davantage les tests d’intelligence ou<br />

d’aptitude psychophysiologique en usage dans le monde éducatif ou professionnel que les tests projectifs ou de<br />

personnalité tels que le Rorschach ou le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory), davantage<br />

utilisés dans la diagnostic de cas pathologiques et qui, contrairement aux précédents, supposent un travail<br />

interprétatif. Les psychologues du travail ou de l’éducation sont de ce point de vue plus vulnérables aux<br />

empiètements de professions voisines que les psychologues cliniciens.<br />

77 La « commission Anzieu » fut finalement dissoute en 1971, à la suite de l’obtention d’un statut pour les<br />

psychologues hospitaliers, désormais recrutés sur la base de la licence de psychologie. Cet épisode fut<br />

néanmoins perçu comme un échec par les associations professionnelles, qui ne parvinrent pas à imposer l’idée<br />

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possession de connaissances de base » 78 . C’est donc avant tout la formation universitaire qui<br />

est mise en avant, principe que l’on retrouvera dans la loi de 1985 79 .<br />

Une telle stratégie se fonde sur l’idée que le titre a par sa seule vertu une valeur sur le<br />

marché du travail, ce qui n’est nullement évident. Il est clair en effet que la protection d’un<br />

titre en dehors de toute référence à <strong>des</strong> activités ou à une expertise spécifiques, comme dans le<br />

cas <strong>des</strong> psychologues ou <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>, ne peut fonctionner qu’en termes relatifs : pour que<br />

le titre ait une valeur quelconque il faut qu’existe en amont un marché sur lequel se détermine<br />

la valeur relative de ces titres (généralement le marché scolaire). Il est probable qu’une telle<br />

stratégie de protection du titre n’ait pu fonctionner dans le cas <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong> que parce qu’il<br />

existait un marché <strong>des</strong> titres d’<strong>ingénieurs</strong> suffisamment différencié, fondé sur l’opposition<br />

entre <strong>ingénieurs</strong> de gran<strong>des</strong> écoles / <strong>ingénieurs</strong> de petites écoles / <strong>ingénieurs</strong> formés à<br />

l’université / <strong>ingénieurs</strong> « maison ». Il faut rappeler à cet égard qu’en France seul le titre d’<br />

« ingénieur diplômé » (de telle ou telle école) est protégé depuis une loi de 1934, et non le<br />

titre d’ingénieur tout court, auquel peuvent toujours prétendre d’anciens techniciens promus<br />

dans leur entreprise. La forte sélectivité de l’accès à la profession par le système <strong>des</strong> classes<br />

préparatoires et la voie du concours – pour une part non négligeable de ces membres –<br />

explique aussi l’attrait exercé par le titre d’ingénieur en France 80 . Cet exemple éclaire bien le<br />

cas opposé du titre de « psychologue » qui, faute d’un ancrage dans <strong>des</strong> actes techniques bien<br />

identifiés et faute de logiques de distinction suffisantes sur le marché scolaire, n’est doté que<br />

d’une faible valeur marchande.<br />

Nous voudrions insister ici sur le caractère essentiellement fictif du groupe<br />

professionnel réuni sous la bannière du titre de « psychologue ». La valeur de ce titre,<br />

inégalement revendiqué par les praticiens, fluctue d’un secteur d’activité à l’autre : s’il peut<br />

constituer un référent unificateur dans le domaine de la santé ou de l’enfance inadaptée, il<br />

d’un statut unique dans l’ensemble <strong>des</strong> secteurs d’activité.<br />

78 AN-CAC, 19790569 art. 3 : « Ministère de l’Education Nationale, Direction <strong>des</strong> enseignements supérieurs –<br />

Réforme <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie 1969-1974 », Réunion interministérielle sur la psychologie, 19 mars 1969<br />

79 La loi de 1985 ne fait en effet aucune mention du contenu de l’activité <strong>des</strong> psychologues. Elle se contente de<br />

stipuler que « l’usage professionnel du titre de psychologue, accompagné ou non d’un qualificatif, est réservé<br />

aux titulaires, d’un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et<br />

appliquée de haut niveau en psychologie ». Il est pourtant frappant de constater qu’aujourd’hui encore un grand<br />

nombre de psychologues ignorent cet état de fait et pensent que l’usage <strong>des</strong> tests est réservé aux seuls<br />

psychologues, ce qui est faux. Ainsi sur les 123 dossiers de litiges examinés par la CNCDP – Commission<br />

Nationale du Code de déontologie <strong>des</strong> psychologues – entre 1997 et 2001, une dizaine concerne <strong>des</strong> plaintes<br />

faites par <strong>des</strong> psychologues à l’encontre de non-psychologues ayant utilisé <strong>des</strong> tests (voir sur ce point CNCDP,<br />

2003).<br />

80 « Du passage dans ces classes préparatoires résultent une parenté d’esprit et une solidarité certaine entre les<br />

membres de la communauté <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>. Ceux-ci en retirent le sentiment d’appartenir à un même "corps<br />

social" » (cité par BENGUIGUI et MONJARDET, 1968)<br />

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n’en va pas de même en psychologie du travail, de l’éducation ou de l’insertion, où d’autres<br />

intitulés d’emplois le concurrencent ("consultant en recrutement", "chargé de recrutement",<br />

DRH, directeur du personnel, conseiller d’orientation, conseiller/chargé de bilan…).<br />

L’obtention de la loi sur le titre de psychologue témoigne davantage d’une unité de façade<br />

construite par le segment numériquement dominant <strong>des</strong> cliniciens, <strong>des</strong>tinée à envoyer un<br />

signal au public et aux professions concurrentes (principalement les médecins), que d’un<br />

consensus interne sur le cœur de l’activité de la profession. Les approches en termes de<br />

segmentation (Bucher et Strauss), présentées dans le chapitre I s’avèrent particulièrement<br />

pertinentes pour comprendre la logique dans laquelle s’inscrit la loi de 1985 et les lignes de<br />

tension qui la sous-tendent, derrière un apparent succès. Elles permettent aussi de comprendre<br />

pourquoi elle a inégalement profité aux différents segments qui composent la profession. Les<br />

divisions que nous voudrions mettre ici en évidence tiennent principalement à trois série<br />

d’oppositions : expérience vs diplôme ; science vs pratique ; logique de statut vs logique de<br />

profession.<br />

a) Expérience ou diplôme ?<br />

Le renouveau du débat sur le statut du psychologue au début <strong>des</strong> années 1980 81 éveille<br />

l’intérêt d’une multitude d’associations concernées de près ou de loin par cette mesure. Assez<br />

rapidement (en 1983), elles se fédèrent au sein d’une association unique, l’ANOP<br />

(Association Nationale <strong>des</strong> Organisations de Psychologues), dont l’objectif est de coordonner<br />

les actions menées auprès <strong>des</strong> pouvoirs publics. L’organe souverain de l’ANOP est un bureau<br />

composé de délégués de toutes les associations adhérentes. Son pouvoir est relativement<br />

limité, tant sur le plan administratif que financier, puisque ses décisions ne peuvent être<br />

validées que si elles ont été acceptées à la majorité dans chacune <strong>des</strong> associations membres.<br />

Sur le plan symbolique, l’ANOP n’a d’autre vertu que d’assurer ce que Boltanski (1982)<br />

appelle la « cohésion d’un ensemble flou » auquel chacun peut trouver intérêt à s’identifier<br />

sans pour autant y consacrer trop de ressources 82 . Le tableau II-7 (annexe 2), montre<br />

l’extrême diversité <strong>des</strong> associations représentées, aux objectifs souvent inconciliables : on y<br />

81 Ce retour du débat sur le statut du psychologue, qui était resté en sommeil depuis le projet Anzieu de 1968-<br />

1969 est dû en partie à l’intérêt manifesté par les socialistes à l’égard <strong>des</strong> sciences humaines. François Mitterrand<br />

s’était engagé au cours <strong>des</strong> années 1980 à promulguer un statut du psychologue au cours de son mandat.<br />

82 La divergence d’intérêts n’exclut pas que <strong>des</strong> membres dotés de propriétés sociales différentes investissent<br />

dans une même catégorie symbolique, comme l’a montré BOLTANSKI (1982, pp. 476-477) à propos <strong>des</strong> cadres :<br />

« La cohésion demeure, parce que tous y trouvent, d’une façon ou d’une autre, leur intérêt au moins symbolique<br />

(…) Chacun, aux différentes positions objectives a d’autant plus intérêt à se dire cadre que les autres font de<br />

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trouve à la fois <strong>des</strong> syndicats (notamment pour les psychologues exerçant dans les services<br />

publics : Education nationale, Hôpitaux, Ministère du travail), <strong>des</strong> associations savantes ou<br />

universitaires (SFP, AEPU) et <strong>des</strong> amicales ou associations professionnelles (ACOF, AFPS,<br />

AFPH). On relève toutefois la présence d’acteurs dominants, à la fois par leur nombre<br />

d’adhérents et par leur plus grand implication dans les débats 83 . Ceux-ci sont au nombre de<br />

trois : la SFP (Société française de psychologie), fondée en 1901 est une association<br />

essentiellement composée d’universitaires (ou de praticiens situés à la frontière du monde<br />

universitaire) et assez peu préoccupée du sort <strong>des</strong> praticiens. Les membres de la SFP voient<br />

surtout dans la loi sur le titre l’occasion de défendre un modèle de psychologie scientifique<br />

qui positionnerait l’université en pourvoyeuse officielle de psychologues et permettrait<br />

d’accroître les effectifs de la profession, tout en maintenant la pratique dans les limites de la<br />

scientificité. Le Syndicat National <strong>des</strong> Psychologues (SNP), anciennement Syndicat national<br />

<strong>des</strong> psychologues praticiens diplômés (SNPPD, voir supra) est composé à 60-70% de<br />

praticiens exerçant dans le domaine de la psychologie clinique en milieu hospitalier ou en<br />

institution spécialisée (Instituts médico psychopédagogiques, centres médico-psychologiques,<br />

centres d’accueil pour publics en difficulté). Les psychologues scolaires et les psychologues<br />

du travail sont très peu représentés dans ce syndicat. La position défendue par le SNP rejoint<br />

assez largement celle de la SFP puisqu’il défend également la « compétence technique » du<br />

psychologue, qu’il associe à la détention d’un diplôme universitaire de niveau bac + 6 84 . Sa<br />

base sociale est toutefois différente : universitaires plutôt expérimentalistes d’un côté,<br />

praticiens cliniciens de l’autre. La troisième association prédominante à l’ANOP est l’AFPS<br />

(Association Française <strong>des</strong> psychologues scolaires) qui réunit la quasi-totalité <strong>des</strong><br />

psychologues scolaires de l’Education nationale. Cette spécialité, créé au sein de l’Education<br />

nationale en 1945, est exclusivement composée d’instituteurs ayant cinq années d’ancienneté<br />

et obtenu un diplôme de psychologie scolaire délivré par les universités en formation continue<br />

(deux ans d’étu<strong>des</strong>). Ils ont pour mission principale la prévention et le diagnostic <strong>des</strong> troubles<br />

d’adaptation <strong>des</strong> enfants en milieu scolaire ; ils sont de ce fait en conflit récurrent avec les<br />

Conseillers d’orientation à la fois en raison de leur inscription dans <strong>des</strong> paradigmes différents<br />

(les Conseillers d’orientation sont formés en psychologie différentielle alors que les<br />

même ».<br />

83 Nous avons fait figurer sur le graphique II-14 (annexe 2) l’assiduité <strong>des</strong> différentes associations (à travers le<br />

nombre cumulé de représentants présents) aux réunions de l’ANOP au cours de la période concernant le débat<br />

sur le titre.<br />

84 Le SNP fixe comme condition d’adhésion la possession de la licence de psychologie ou de deux diplômes<br />

d’Institut de psychologie.<br />

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psychologues scolaires sont davantage tournés vers la psychologie dynamique) et aussi parce<br />

que leurs interventions sont parfois amenées à se chevaucher, notamment dans l’orientation<br />

<strong>des</strong> élèves. Les psychologues scolaires espèrent d’une loi sur le titre la reconnaissance de leur<br />

spécificité dans l’Education nationale et l’obtention d’un statut plus valorisé que leur corps<br />

d’appartenance (instituteur) 85 , qui les maintient à <strong>des</strong> niveaux de salaires et de classification<br />

qu’ils jugent insuffisants au regard de leur mission. Ils craignent toutefois que les critères de<br />

formation fixés par la loi ne les place dans une position difficile compte tenu de la brièveté de<br />

leur formation en psychologie (leur formation dure deux ans, alors que les projets de loi <strong>des</strong><br />

années 1970 envisagent de protéger le titre au niveau du DESS). Malgré les dissensions<br />

internes, un consensus émerge au sein de l’ANOP autour de l’idée que le psychologue se<br />

définit avant tout par la possession d’un diplôme universitaire, attestant une compétence<br />

technique garantie par l’Etat. Les statuts de l’association insistent d’abord sur la nécessité de<br />

« définir le psychologue par sa formation, compte tenu de la difficulté à cerner sa pratique »,<br />

puis sur l’importance de maintenir un « titre unique pour toutes les spécialités de la<br />

psychologie, sanctionnant une formation de 6 années d’étu<strong>des</strong> universitaires » 86 .<br />

La position qui vient d’être présentée est pourtant loin d’être partagée par l’ensemble<br />

de ceux qui, à la fin <strong>des</strong> années 1970, se déclarent « psychologues », notamment les plus<br />

proches de la psychanalyse. Une association comme « Psy’G » 87 , s’éloigne par exemple de<br />

l’ANOP en soulignant l’importance de la pratique dans l’accès à la profession : à leurs yeux,<br />

le diplôme ne sert qu’à asseoir le mandarinat <strong>des</strong> universitaires et manque le plus important :<br />

« l’expérience », la « maturité », le « savoir-faire », les « tours de main » qui ne peuvent être<br />

acquis qu’au terme d’une longue pratique de la profession (de préférence sur le mode libéral).<br />

Cette association dénonce pêle-mêle « le caractère trop étatique de l’université, la mauvaise<br />

qualité de l’enseignement et son caractère trop théorique, qui ne prépare pas à la pratique,<br />

ainsi que l’exclusion de certaines techniques (graphologie et caractériologie par exemple), qui<br />

sont utilisées dans la pratique ». La chaleur du modèle corporatif s’oppose ici à la froideur du<br />

diplôme et d’une compétence technique désincarnée ; seul le groupe <strong>des</strong> « pairs » peut par<br />

conséquent juger la qualité d’un membre et lui délivrer la licence d’exercer. Ceci conduit<br />

également à repousser les frontières de la profession bien au-delà de ce que reconnaît<br />

85 A la différence <strong>des</strong> conseillers d’orientation psychologues, qui forment un corps de l’Education nationale (sur<br />

la même grille que les certifiés) et sont recrutés par concours externe ou interne, les psychologues scolaires<br />

restent dans le corps <strong>des</strong> instituteurs (aujourd’hui professeurs <strong>des</strong> écoles) et sont choisis parmi ceux-ci par<br />

l’inspecteur d’académie.<br />

86 Arch. SNP, statuts ANOP.<br />

87 Psy’G (Groupement Syndical <strong>des</strong> Praticiens de la Psychologie), créée en 1966, regroupait en 1980 environ 500<br />

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l’université, en y incluant l’ensemble <strong>des</strong> professions qui ont recours à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> plus ou<br />

moins inspirées de la psychologie, pour peu que la pratique soit libérale : "conseillers<br />

conjugaux", "formateurs" et "animateurs", "sexologues" etc. On retrouve bien en arrière-plan<br />

le modèle d’organisation de la profession de psychanalyste, caractérisé par l’autoréglementation,<br />

le refus de toute ingérence <strong>des</strong> pouvoirs publics et peut-être surtout le refus<br />

du salariat. De telles prises de position en faveur de "l’expérience" (par opposition au diplôme<br />

et au contrôle étatique) et de l’indépendance (par opposition au salariat) divisent bien entendu<br />

le champ thérapeutique à travers la question de la réglementation <strong>des</strong> psychothérapies, mais<br />

elles concernent aussi le champ du travail, où l’on voit certains praticiens de la<br />

psychosociologie ou du recrutement s’opposer à la loi sur le titre au nom de leur "expérience".<br />

Une telle loi risque selon eux de diviser la profession en deux segments : un segment<br />

surprotégé, qui se « réfugierait derrière un titre, et dont la compétence serait décrétée par la<br />

loi » et le groupe <strong>des</strong> « praticiens traditionnels de la psychologie, formés ailleurs qu’à<br />

l’université, qui s’impliquent personnellement dans leur savoir-faire et leur savoir être, et dont<br />

la compétence est sanctionnée quotidiennement par l’efficacité <strong>des</strong> résultats en entreprise » 88 .<br />

La coexistence de deux principes de justification de l’activité professionnelle, l’un<br />

fondé sur le "titre" et le statut octroyé par l’Etat, l’autre sur la "pratique" et la sanction du<br />

marché, montre donc bien que la loi sur le titre n’est pas la simple traduction d’une identité<br />

professionnelle préexistante, mais l’aboutissement d’un travail de mise en forme porté par un<br />

groupe particulier – celui <strong>des</strong> diplômés – qui cherche à lier étroitement pratique et formation<br />

universitaire.<br />

b) Science ou pratique ?<br />

Parmi les défenseurs du titre, une ligne de clivage oppose ceux qui veulent faire de la<br />

psychologie une science appliquée et ceux pour qui elle est avant tout une pratique<br />

consultante. Dans la première conception, le titre est la garantie de la scientificité <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> utilisées, alors que dans la seconde il est une mesure de protection, un « label de<br />

qualité » <strong>des</strong>tiné à protéger le public contre les mauvaises pratiques. Cette opposition se<br />

confond largement avec l’opposition entre syndicats de praticiens et syndicats<br />

d’universitaires. Pour la SFP (Société Française de Psychologie), société savante<br />

adhérents.<br />

88 Arch. INETOP, Fonds André Caroff, D3.4 (1984), « Débats autour du titre de psychologue »<br />

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majoritairement composée d’expérimentalistes 89 , la psychologie doit avant tout conserver le<br />

caractère d’une science. Elle ne peut donc s’exercer en toute rigueur que dans le cadre de<br />

certaines structures offrant <strong>des</strong> garanties minimales, comme le secteur hospitalier ou<br />

éventuellement l’Education nationale. Conformément à ce point de vue, la psychologie est<br />

vue comme un édifice fondé sur <strong>des</strong> règles rationnelles qui se déploient dans différentes<br />

sphères pratiques : Santé, Education, Travail etc. L’expression de « psychologie clinique » ou<br />

de « psychologue clinicien » pose donc problème puisqu’elle désigne tout à la fois un<br />

domaine d’application de la science psychologique (applications pathologiques en milieu<br />

hospitalier principalement) et une méthode particulière, un nouveau paradigme, qui vient<br />

mettre en question l’unité de la science psychologique. Pour la SFP et la plupart <strong>des</strong><br />

universitaires, le débat est tranché de façon univoque : la « psychologie clinique », est un<br />

simple domaine d’application qui se confond avec les applications thérapeutiques. Le<br />

professeur Paul Fraisse, actif au sein de la SFP pendant de nombreuses années, exprime<br />

clairement ce point de vue :<br />

« Les psychologues cliniciens sont appelés à travailler en collaboration avec <strong>des</strong><br />

médecins dans les différents hôpitaux, dans les consultations d’hygiène mentale et<br />

dans les services psychopédagogiques, c’est à dire en tant que praticiens d’un<br />

domaine déterminé » (Fraisse, 1966, p. 169)<br />

La SFP s’oppose donc à la tendance qui voudrait voir dans la psychologie clinique<br />

une « méthode » ou une « attitude spécifique » <strong>des</strong>tinée à s’appliquer dans une multitude de<br />

domaines comme le conseil, l’orientation, le soutien thérapeutique, la formation etc. car les<br />

garanties de sérieux scientifique peuvent difficilement y être respectées. Ainsi, si la SFP est<br />

favorable à ce que le statut <strong>des</strong> psychologues du secteur hospitalier soit consolidé vis-à-vis de<br />

celui <strong>des</strong> médecins, ils souhaitent à tout prix éviter que l’obtention d’un statut ne favorise un<br />

développement "anarchique" de la profession dans d’autres secteurs, ceci dans un contexte où<br />

les thérapies « new age » venues de la côte ouest <strong>des</strong> Etats-Unis commencent à s’implanter en<br />

France et risquent de compromettre l’unité de la psychologie. La psychologie ne pourrait se<br />

constituer en profession qu’au prix d’une définition limitative de son champ de compétence.<br />

La question <strong>des</strong> numerus clausus est aux cœur de ce débat. Pour les membres de la SFP, il est<br />

nécessaire de proportionner les effectifs <strong>des</strong> étudiants en DESS de psychologie clinique aux<br />

débouchés existant en milieu hospitalier, qui est pour eux le débouché "naturel" <strong>des</strong> étudiants.<br />

89 Nous nous dispensons de développer ici les débats internes à la SFP entre cliniciens et expérimentalistes. Pour<br />

<strong>des</strong> raisons qui tiennent à la fois à son histoire et à sa position dans le champ universitaire, la ligne officielle de<br />

l’association a toujours davantage tournée vers la psychologie scientifique que vers la clinique, comme en<br />

témoigne l’origine de ses présidents (voir NICOLAS, 2002, pp. 267-271).<br />

311


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Le ministère de l’Education nationale entérine ce point de vue en refusant en 1980<br />

l’habilitation de sept DESS de psychologie clinique sur les quinze existants. Le<br />

développement considérable <strong>des</strong> formations de psychologie clinique dans les années 1970<br />

avait en effet entraîné une déconnexion croissante entre les diplômes délivrés et les débouchés<br />

en milieu hospitalier et un taux de chômage particulièrement important parmi les diplômés de<br />

psychologie.<br />

L’autre grande association de psychologues, le SNP, défend un point de vue<br />

différent. Ce syndicat, qui entend représenter « l’ensemble <strong>des</strong> praticiens », estime que la<br />

psychologie est d’abord une pratique et que les psychologues cliniciens formés à l’université<br />

doivent trouver <strong>des</strong> débouchés ailleurs que dans le seul champ de la santé 90 . Les universitaires<br />

sont accusés de se désintéresser du sort de leurs étudiants et de ne pas donner une orientation<br />

suffisamment professionnelle à leurs enseignements. En défendant les praticiens, le SNP<br />

refuse de donner une définition limitative de la psychologie. Celle-ci est une clinique au sens<br />

large, susceptible de s’appliquer dans de multiples domaines. Le président du SNP<br />

s’exprimait en ces termes en 1985 : « Quels que soient leurs lieux d’exercices, les<br />

psychologues sont porteurs d’un discours centré sur l’écoute, l’analyse ou l’aide au<br />

développement <strong>des</strong> individus, <strong>des</strong> groupes et <strong>des</strong> organisations. La communauté de leurs<br />

interventions s’établit autour de la non ingérence, dont ils font leur acte de foi. Comme<br />

psychologues, ils s’interdisent de juger. Ils sont là pour éclairer les hommes et leurs<br />

organisations afin que les premiers et les secon<strong>des</strong> trouvent en eux-mêmes leurs propres<br />

réponses » 91 . On voit que dans le cadre d’une telle définition, peu d’activités sont exclues du<br />

champ de la psychologie clinique. La décision de supprimer certains DESS est jugée<br />

inacceptable, car elle empêcherait les étudiants de maîtrise de poursuivre leurs étu<strong>des</strong> jusqu’à<br />

leur terme "normal". Elle risque aussi de créer une catégorie de psychologues sous-qualifiés,<br />

simplement titulaires d’une licence ou d’une maîtrise, qui feraient concurrence aux titulaires<br />

de DESS. D’autre part, dans une lettre adressée à la Ministre <strong>des</strong> Universités (Mme Saunier-<br />

Seïté), le SNP fait valoir que « les besoins de psychologues en France sont loin d’être pourvus<br />

dans nombre de secteurs. Les psychologues cliniciens ne sont pas seulement <strong>des</strong> spécialistes<br />

employés dans les seules CHR, CHU, CHS (encore que bien peu pourvus) ; ils ont leur place<br />

et leur efficacité dans <strong>des</strong> secteurs tels que les secteurs sociaux, médico-sociaux, éducatifs, la<br />

90 Voir, pour un point de vue de praticien particulièrement représentatif de la position du SNP, DESPLOS (1986,<br />

p. 235) : « (…) quant à nous, les praticiens, nous pensons qu’il est plus important de professionnaliser les filières<br />

que de se laisser déborder par la question du nombre et ce, en rapport à une caractéristique épistémologique de<br />

la clinique : l’antériorité et la supériorité de la praxis sur la théorie »<br />

91 COHEN (1986, p. III)<br />

312


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formation continue, la formation professionnelle <strong>des</strong> adultes, la prévention <strong>des</strong><br />

inadaptations ». Le SNP refuse également que le numerus clausus soit défini en lien avec le<br />

marché de l’emploi, dans la mesure où l’offre crée la demande : « ce sont aussi les<br />

psychologues en tant que tels qui poussent à la création d’emploi et permettent de déceler les<br />

besoins, et pas seulement les employeurs qui offrent les emplois ».<br />

On voit donc que contrairement à la SFP, le SNP réclame un mandat extrêmement<br />

large, affranchi du partage habituel entre les trois « secteurs d’application » : santé, travail et<br />

éducation. Une pratique clinique élargie prend le pas sur cette définition limitative mise en<br />

avant par la SFP. Dans l’esprit du SNP, les psychologues doivent devenir une figure<br />

incontournable dans toutes les institutions, où ils se verraient confier une mission de<br />

prévention <strong>des</strong> formes diverses d’inadaptations. La clinique n’est plus simplement un<br />

domaine d’application de la science psychologique (parmi d’autres), mais une méthode, un<br />

état d’esprit, acquis au cours d’une formation universitaire de haut niveau, que doivent<br />

s’approprier tous les psychologues. Un tel point de vue vient compromettre le principe d’unité<br />

de la psychologie : l’extension du mandat, voulue par un syndicat comme le SNP, se fait en<br />

effet au détriment de l’unité de la profession. Ainsi, dans le « Manifeste pour une politique de<br />

la psychologie » paru en 1982, le SNP cherche à situer le psychologue dans le « champ<br />

social » au sens large. Les auteurs du manifeste réclament ainsi « une reconnaissance de la<br />

dimension psychologique » et le « droit de chacun à être reconnu comme un être<br />

psychologique », c’est à dire d’être « écouté, entendu, aidé quand le besoin s’en fait sentir,<br />

que ce soit pour mieux vivre dans son travail, dans ses loisirs, dans sa famille, dans sa vie<br />

personnelle, ou que ce soit pour surmonter <strong>des</strong> difficultés passagères ou permanentes ».<br />

On peut voir dans un tel discours la dimension rhétorique classique consistant à<br />

étendre le mandat en jouant sur la polysémie du concept d’"adaptation". Comme l’a bien<br />

montré Paradeise (1985), la force de ce travail d’argumentation est de construire le "besoin en<br />

valeur" et, à la limite, de le transformer en un droit inaliénable de chaque individu ("droit à<br />

être écouté", "droit à la reconnaissance d’une dimension psychologique" etc.). Ce travail<br />

d’argumentation n’est pas seulement tourné vers les "clients" <strong>des</strong> psychologues. Le SNP<br />

cherche également à s’affranchir de la tutelle <strong>des</strong> médecins en avançant que les applications<br />

de la psychologie ne se limitent pas à la thérapeutique, où les psychologues sont clairement<br />

placés sous la domination du corps médical 92 . Pour les psychologues, l’acte psychologique ne<br />

saurait se rabattre sur l’acte médical : la psychologie clinique s’inscrivant dans le domaine <strong>des</strong><br />

92 A titre d’exemple, les tests psychologiques ne peuvent être remboursés par la Sécurité Sociale que s’ils sont<br />

313


sciences humaines, elle dépasse le regard objectivant du médecin − notamment les notions de<br />

maladies, de symptômes ou de pathologie. Le psychologue centre plutôt son action sur la<br />

dimension intersubjective et sur la relation qui se noue au cours de l’entretien.<br />

On voit donc jouer ici deux forces opposées : d’un côté, la SFP et plus largement les<br />

universitaires insistent sur la nécessaire unité de la psychologie et la cohérence de ses<br />

applications dans différents registres pratiques ; de l’autre, le SNP et les praticiens cherchent<br />

simultanément à étendre le mandat de la profession (compromettant ainsi le principe d’unité)<br />

et à promouvoir une unité de façade autour du "titre unique" de psychologue. Une telle<br />

position est toutefois difficile à tenir, car elle suppose le maintien d’un équilibre subtil entre<br />

les intérêts <strong>des</strong> différents segments réunis sous cette bannière, ce qui s’avère particulièrement<br />

délicat face à la multiplicité <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> types de pratiques 93 .<br />

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c) Logique de statut ou logique de profession ?<br />

Le dernier facteur de segmentation interne tient en effet principalement à la diversité<br />

<strong>des</strong> statuts d’exercice <strong>des</strong> psychologues, qui entre partiellement en conflit avec l’idée d’un<br />

titre unique. Le projet de loi envisagé par l’ANOP fixait l’accès au titre à six années d’étu<strong>des</strong><br />

supérieures pour tous les psychologues, quelle que soit leur spécialité et leur statut. Or,<br />

l’accès à la plupart <strong>des</strong> emplois de psychologues existant dans la Fonction publique se faisait<br />

à un niveau d’étu<strong>des</strong> inférieur, avec une grande hétérogénéité et une mobilité quasi inexistante<br />

d’une administration à l’autre : D.U. pour les psychologues scolaires, licence de psychologie<br />

pour ceux du ministère du Travail (AFPA) et du ministère de la Justice (éducation<br />

surveillée) ; maîtrise pour les Conseillers d’orientation de l’Education nationale ; DESS pour<br />

les psychologues du ministère de la Santé etc. Un certain nombre de syndicats – notamment<br />

celui <strong>des</strong> Conseillers d’orientation (SNES) et ceux <strong>des</strong> Psychologues scolaires (SPEN et<br />

AFPS) – s’opposèrent donc initialement au projet de l’ANOP, qui risquait de remettre en<br />

cause la légitimité de leurs membres à porter le titre. Lors <strong>des</strong> discussions ayant précédé le<br />

vote de la loi à l’Assemblée, certains députés ne manquèrent pas de rappeler la situation<br />

particulière <strong>des</strong> Psychologues scolaires et <strong>des</strong> Conseillers d’orientation « qui se demandent<br />

effectués par un médecin.<br />

93 Une telle situation n’est bien évidemment pas propre à la psychologie. La plupart <strong>des</strong> professions déploient<br />

une énergie considérable à maintenir une unité de façade aux yeux du public. C’est le cas <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong> dont les<br />

caractéristiques sociales tendent à en faire un groupe éclaté (BENGUIGUI et MONJARDET, 1968), mais aussi celui<br />

<strong>des</strong> avocats, dont le code de déontologie va jusqu’à interdire toute référence publique à la spécialité (KARPIK,<br />

1985).<br />

314


très légitimement s’ils pourront se réclamer de cette profession et dans quelles conditions » 94 .<br />

Les débats sont d’autant plus vifs que les Conseillers d’orientation, corps créé dès les années<br />

1920, et les Psychologues scolaires (apparus en 1945 sous l’initiative d’Henri Wallon)<br />

estiment « être historiquement les premiers psychologues ». La perspective d’être écartés du<br />

titre par les « nouveaux venus » de la clinique est donc pour eux l’objet du plus grand<br />

scandale. A l’opposé, le segment <strong>des</strong> cliniciens voit dans le titre unique le moyen de<br />

surmonter ces divergences de statut et de redorer le blason de la profession vis-à-vis <strong>des</strong><br />

professions concurrentes. Le SNP, composé en majorité de cliniciens, voit ainsi dans la loi sur<br />

le titre le moyen de surmonter ces segmentations statutaires et de "régulariser" la situation<br />

dans la Fonction publique, où les psychologues sont recrutés à un niveau jugé trop faible :<br />

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« A l’heure actuelle, il existe en France plusieurs décrets portant statut et plusieurs<br />

conventions qui règlement la profession au sein de l’Education nationale, de<br />

l’Enseignement Catholique, de la Santé, de l’Education Surveillée, <strong>des</strong><br />

établissements de l’enfance inadaptée, etc. Ils sont tous différents. Nous nous<br />

battons pour l’existence d’un titre unique de psychologue. Si nous l’obtenons, les<br />

différents décrets et conventions devront être modifiés et alignés les uns et les autres<br />

sur l’esprit de la loi. Là où il n’existe aucune réglementation, référence devra être<br />

faite à la loi. » 95<br />

L’attrait exercé par le titre varie donc d’un segment à l’autre. Pour les psychologues<br />

dépourvus de statut et/ou qui connaissent d’importantes difficultés d’insertion professionnelle<br />

(comme les cliniciens du secteur privé, associatif ou libéral), l’enjeu d’une protection du titre<br />

est essentiel. Leur activité se déroule sur <strong>des</strong> marchés du travail « ouverts » où ils sont soumis<br />

à la concurrence <strong>des</strong> professions voisines et où la légitimité de leur intervention est sans cesse<br />

remise en question. Pour ces praticiens, il est stratégique de nouer <strong>des</strong> alliances avec <strong>des</strong> sousgroupes<br />

mieux institutionnalisés et plus influents, susceptibles de renforcer leur position dans<br />

la négociation collective 96 . A l’inverse, pour ceux qui bénéficient d’un statut et ont déjà<br />

trouvé leur place sur <strong>des</strong> marchés internes, le détour par la bannière unifiée de la<br />

« profession » revêt une importance moins cruciale. Il peut éventuellement permettre<br />

d’améliorer leur position dans leurs organisations respectives (par rapport aux médecins dans<br />

le secteur hospitalier, ou par rapport aux enseignants dans le monde éducatif) mais la priorité<br />

est plus souvent donnée à <strong>des</strong> actions corporatives ciblées qui ne supposent pas la<br />

mobilisation difficile et hasardeuse de l’ensemble de la profession.<br />

94 Intervention de Mme Farysse-Cazalis, députée communiste, 27 juin 1985<br />

95 Bulletin du SNP, n°55, mars 1982, p. 5<br />

96 Voir dans un autre registre le cas de l’association d’<strong>ingénieurs</strong> étudiée par BENGUIGUI et MONJARDET (1968),<br />

qui fédère les intérêts a priori divergents de différentes catégories d’<strong>ingénieurs</strong> (diplômés de petites et gran<strong>des</strong><br />

écoles) dans un travail collectif d’argumentation <strong>des</strong>tiné à leurs différents auditoires (client, pouvoirs publics,<br />

établissements de formation…).<br />

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Compte tenu de ces divergences d’intérêts, on peut comprendre le caractère fragile et<br />

éphémère de l’alliance scellée au sein de l’ANOP autour du drapeau unique de<br />

« psychologue », qui se manifeste à deux reprises dans la période 1980-1990. Elle apparaît<br />

tout d’abord en 1981-1982, à l’occasion de la refonte du code <strong>des</strong> catégories<br />

socioprofessionnelles par l’INSEE. L’organisme de statistiques consulte à cette occasion les<br />

associations qu’elle estime représentatives <strong>des</strong> psychologues c’est-à-dire principalement la<br />

SFP, le SNP et Psy’G 97 . Les autres associations membres de l’ANOP, représentant<br />

notamment les Psychologues scolaires, Conseillers d’orientation et autres psychologues<br />

exerçant dans la fonction publique ne sont en revanche pas conviées à ces négociations. Il en<br />

résulte que la physionomie de la profession donnée par la nomenclature donne une place<br />

prédominante à la psychologie clinique. Les psychologues cliniciens apparaissent en effet<br />

dans la PCS 3114 qui comprend les « Psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes<br />

(non-médecins) », définie comme regroupant les « Professionnels non-docteurs en médecine<br />

chargés d’améliorer le bien être psychique <strong>des</strong> personnes à qui ils dispensent leurs soins ».<br />

Une telle définition satisfait en partie le segment clinicien de la profession puisqu’elle leur<br />

donne une existence et une visibilité sociale face aux médecins (à travers notamment la<br />

référence faite à l’administration de "soins", réclamée par les psychologues depuis <strong>des</strong><br />

décennies), mais la victoire est amère dans la mesure où aucune référence n’est faite à la<br />

psychologie comme science ni à la détention d’un diplôme universitaire de psychologie. De<br />

fait, une multitude de non-psychologues sont susceptibles de se trouver également dans cette<br />

catégorie puisque seule une minorité de psychothérapeutes et de psychanalystes ont reçu une<br />

formation universitaire en psychologie 98 . La nouvelle nomenclature <strong>des</strong> PCS a également<br />

pour effet de scinder les praticiens de la psychologie en plusieurs groupes différents, alors que<br />

les nomenclatures antérieures les regroupaient dans un ensemble unique 99 . Désormais, les<br />

psychologues sont éclatés en trois catégories (voir tableau 22 infra) : hormis celle déjà<br />

évoquée (3114) qui regroupe toutes les catégories de cliniciens, on note l’apparition de la<br />

catégorie 3433 (« Psychologues spécialistes de l’orientation scolaire et professionnelle »), qui<br />

rassemble les Conseillers d’orientation professionnelle, certains psychologues du travail<br />

(AFPA) et les psychologues scolaires. En dépit de son appellation, cette catégorie n’est pas<br />

97 Pour un récit détaillé (mais partial) <strong>des</strong> négociations autour de la catégorie de psychologue dans la<br />

nomenclature PCS de 1982, voir DESROSIERES et THEVENOT (1996 [1988], pp. 47-49). Une version sensiblement<br />

différente de cet épisode est proposée par GUILLEC (1992, pp. 641-642).<br />

98 On trouve, notamment chez les psychothérapeutes, nombre de personnes qui ont malgré tout pu recevoir <strong>des</strong><br />

éléments de formation en psychologie, d’anciens travailleurs sociaux par exemple.<br />

99 Le groupe <strong>des</strong> « psychotechniciens et assimilés » (89.3), présent dans la nomenclature de 1954, était devenu<br />

316


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exclusivement constituée de personnes formées en psychologie (on y trouve notamment les<br />

Conseillers professionnels de l’ANPE, qui ne sont pas nécessairement psychologues). Enfin,<br />

les "psychologues d’entreprise", les psychologues du travail et les psychotechniciens, sont<br />

classés dans la catégorie 3722 (« Cadres spécialistes du recrutement et de la formation »).<br />

Tableau 23 – Table de correspondance entre certains intitulés professionnels et<br />

co<strong>des</strong> PCS dans la nomenclature <strong>des</strong> PCS de 1982<br />

Profession déclarée<br />

Code PCS<br />

Psychologue clinicien 3114<br />

Psychologue d’entreprise 3722<br />

Psychologue psychothérapeute 3114<br />

Psychologue scolaire 3433<br />

Psychologue (santé, action sociale) 3114<br />

Psychotechnicien 3722<br />

Psychothérapeute 3114<br />

Source : INSEE (1983)<br />

La divergence d’intérêts entre les associations composant l’ANOP surgit à une autre<br />

occasion au début <strong>des</strong> années 1990. Une divergence se fait alors jour entre les associations qui<br />

souhaitent poursuivre la lutte et faire reconnaître l’accès au titre de psychologue au niveau bac<br />

+5 dans tous les domaines d’application (SNP), et celles qui acceptent le principe d’un statut<br />

dérogatoire pour les psychologues de la fonction publique, notamment de l’Education<br />

nationale (SFP, ACOF, AFPS). En effet, si la loi de 1985 avait posé le principe d’une<br />

protection légale du titre de psychologue, elle n’en définissait pas les modalités précises, qui<br />

devaient être définies par décret au plus tard sept ans après le vote de la loi. Ainsi, entre 1985<br />

et 1992, les associations professionnelles multiplient les actions auprès <strong>des</strong> pouvoirs publics<br />

pour faire reconnaître le principe d’une formation de niveau bac + 5 pour tous les<br />

psychologues. Ces actions échouent et un statut dérogatoire fut finalement accordé à deux<br />

catégories : les psychologues scolaires, qui peuvent se réclamer du titre de psychologue<br />

lorsqu’ils sont titulaires du diplôme d’Etat de psychologie scolaire (DEPS) et ont cinq années<br />

d’ancienneté et les Conseillers d’orientation psychologues titulaires du DECOP (diplôme<br />

d’Etat de Conseillers d’orientation psychologue). L’opposition du SNP au principe d’un statut<br />

dérogatoire pour les psychologues de la fonction publique entraîne une scission au sein de<br />

l’ANOP, qui bloquera tous les mouvements de revendication collective <strong>des</strong> psychologues<br />

pour une dizaine d’années.<br />

« psychologues et assimilés » en 1975.<br />

317


CONCLUSION DU CHAPITRE IV<br />

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Sans doute, il apparaîtra paradoxal qu’au moment même où la profession réunit ses<br />

forces pour faire reconnaître un principe d’unité dans tous ses champs d’application, l’INSEE<br />

sanctionne au contraire son éclatement en une multitude de sous-groupes, dont les contenus<br />

de travail et les statuts différent. Un tel décalage entre l’"auto-nomination" du groupe et son<br />

inscription dans les catégories statistiques ne peut se comprendre que si on le relie à la<br />

monopolisation du titre par un segment particulier de la profession : celui <strong>des</strong> cliniciens,<br />

représenté par le SNP. Grâce à son poids numérique (1500 adhérents en 1985) 100 et à<br />

l’efficacité de son organisation interne, il parvient à s’approprier, aux côtés de la SFP, les<br />

principaux organes de pouvoir de la profession ; il joue également le rôle de porte-parole<br />

auprès du public, en développant une activité de « relations publiques » que les autres<br />

associations n’ont pas les moyens de mettre en place, contribuant ainsi à promouvoir auprès<br />

du public une image de la psychologie conforme à sa propre vision (un service de "public<br />

relations" est créé au SNP en 1972) 101 . L’enjeu principal semble être de situer les<br />

psychologues face aux médecins et de consacrer le principe de leur autonomie technique,<br />

notamment dans <strong>des</strong> actes comme la psychothérapie ou la psychanalyse. Le paradigme<br />

expérimentaliste et l’expression de "psychologue praticien", autour de laquelle s’était<br />

construite la profession dans les années 1950-1970 102 sont en revanche rejetés, car ils<br />

menacent d’enfermer le psychologue dans un simple rôle de technicien ou d’auxiliaire<br />

médical. On retrouve en arrière plan de ces débats un conflit récurrent entre praticiens et<br />

universitaires : si les universitaires sont toujours prompts à ramener les applications dans le<br />

giron d’une science dont ils auraient la maîtrise, les praticiens sont soucieux de faire valoir<br />

100 Voir, sur le graphique II-13 (annexe 2) la croissance <strong>des</strong> effectifs du SNP sur la période 1950-1990<br />

101 La manipulation de l’image d’une profession vis-à-vis du public est chose relativement aisée, dans la mesure<br />

où ce dernier les perçoit comme <strong>des</strong> groupes homogènes. Il est probable que dans les années 1950-1970, l’image<br />

dominante du psychologue aux yeux du public était celle d’un manipulateur de tests, chargé de classer et<br />

d’orienter les personnes à <strong>des</strong> tournants de leur trajectoire biographique et sociale (école, armée, entrée dans<br />

l’entreprise). Aujourd’hui, ce sont davantage le travail d’écoute et de « remédiation » dans <strong>des</strong> situations de<br />

détresse (problèmes familiaux, sociaux ou psychiques, catastrophes diverses etc…) qui sont mises en avant<br />

qu’un travail d’expertise objective, comme le montre bien le récent débat sur les experts-psychologues auprès<br />

<strong>des</strong> Tribunaux. Bien que les deux dimensions aient existé au cours <strong>des</strong> deux pério<strong>des</strong>, le public a tendance à ne<br />

retenir à un moment donné qu’une seule image de la profession. Seuls les membres de la profession, ou certains<br />

clients avertis, ont <strong>des</strong> catégories de perception suffisamment fines pour percevoir les professions comme <strong>des</strong><br />

espaces socialement différenciés. Sur le décalage entre la perception interne et la perception publique du statut<br />

<strong>des</strong> professions voir ABBOTT (1981).<br />

102 PIERON (1963, p. 320) définissait l’expression de « psychologue praticien » comme « un titre général pour les<br />

professionnels <strong>des</strong> applications pratiques de la psychologie, dont on a proposé l’usage officiel, en France, à la<br />

place de psychologue clinicien, pour les assistants de psychologie <strong>des</strong> services hospitaliers considérés comme<br />

<strong>des</strong> auxiliaires médicaux »<br />

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l’autonomie de leurs actes par rapport à un savoir trop étroitement codifié et à mettre en avant<br />

l’infinie variété de leur pratique.<br />

Les évolutions internes de la profession et la loi sur le titre ont eu <strong>des</strong> répercussions<br />

importantes sur la psychologie du travail. D’une part, pour une majorité de praticiens, ce<br />

segment apparaît de plus en plus isolé du reste de la profession, tant du point de vue <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> que de la nature <strong>des</strong> emplois occupés. L’orientation clinique donnée au titre − à tel<br />

point qu’aujourd’hui le titre de psychologue est quasi-synonyme de celui de "psychologue<br />

clinicien" − éloigne donc la psychologie du travail du "cœur de la profession". Cette<br />

divergence entre psychologie clinique et psychologie du travail ne cesse de s’accroître depuis<br />

1985, et semble atteindre aujourd’hui un paroxysme avec l’amendement Accoyer voté en<br />

octobre 2003. En réglementant l’usage du titre de « psychothérapeute » 103 , celui-ci risque en<br />

effet de détourner bon nombre de psychologues du qualificatif de "psychologue" ou de<br />

"psychologue clinicien", pour lui préférer celui de psychothérapeute. Cette mesure risque de<br />

signer la fin de l’unité de la psychologie en séparant définitivement les applications cliniques<br />

et expérimentales, mais aussi en éloignant encore davantage l’univers <strong>des</strong> praticiens de celui<br />

<strong>des</strong> universitaires. Parallèlement, comme nous allons le voir à présent, la psychologues du<br />

travail praticiens s’éloignent eux aussi de la psychologie académique en rejoignant un champ<br />

aux contours encore flous : celui de l’insertion professionnelle.<br />

103 L’amendement Accoyer réserve l’usage du titre de psychothérapeute aux seuls diplômés d’Etat (psychologues<br />

et médecins) ainsi qu’aux psychanalystes inscrits sur les annuaires de leurs associations professionnelles.<br />

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CHAPITRE V<br />

LES PSYCHOLOGUES DU TRAVAIL FACE AU CHAMP DE<br />

L’INSERTION PROFESSIONNELLE : L’INTROUVABLE STATUT<br />

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En 1999, Claude Dubar déplorait l’absence de recherches sur « les pratiques de<br />

travail et les profils <strong>des</strong> "professionnels" confrontés, d’une manière ou d’une autre, aux<br />

problèmes d’orientation <strong>des</strong> adultes : gestionnaires <strong>des</strong> ressources humaines, conseillers<br />

professionnels, formateurs, spécialistes de l’accueil dans les organismes de formation,<br />

conseillers d’orientation, chargés de "bilan de compétences" etc. » 1 . La montée du chômage et<br />

la multiplication <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de "transition professionnelle" 2 depuis le début <strong>des</strong> années 1980<br />

a en effet posé en termes nouveaux la question de l’orientation <strong>des</strong> adultes, à la fois sur les<br />

marchés internes d’entreprises (formation continue, gestion par les "compétences", politiques<br />

actives de mobilité …) et sur le marché externe du travail (insertion <strong>des</strong> chômeurs, actions en<br />

direction <strong>des</strong> "publics-cibles" : jeunes chômeurs, travailleurs âgés…). Alors que les frontières<br />

étaient autrefois étanches entre l’orientation, qui relevait du marché externe, et la sélection qui<br />

relevait de l’entreprise, ces deux domaines tendent aujourd’hui de plus en plus à se<br />

chevaucher et l’on assiste à la circulation de concepts et de pratiques entre ces deux univers.<br />

Face au blocage <strong>des</strong> marchés internes, l’orientation pénètre les entreprises, qui souhaitent<br />

ainsi redynamiser leurs politiques de mobilité interne et s’affranchir <strong>des</strong> logiques rigi<strong>des</strong> de<br />

qualification qui avaient autrefois encadré les carrières <strong>des</strong> salariés : une "logique de la<br />

trajectoire professionnelle" se substitue progressivement à la "logique de poste" qui prévalait<br />

précédemment (Dugué, 1999, p. 216). On voit ainsi émerger, dans <strong>des</strong> cabinets de conseil<br />

spécialisés ou dans les services de ressources humaines <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises de nouvelles<br />

fonctions de « conseillers d’orientation » ou de « conseillers de carrières », chargés d’assurer<br />

un suivi individualisé <strong>des</strong> salariés et de les diriger vers les activités en développement de<br />

l’entreprise 3 . Inversement, avec la montée du chômage, l’orientation scolaire ou<br />

professionnelle sur le marché externe prend de moins en moins la forme d’un ajustement<br />

mécanique entre une offre de travail − liée aux besoins de l’économie − et <strong>des</strong> flux de<br />

qualifications, telle qu’elle avait été conçue dans l’optique adéquationniste <strong>des</strong> trente<br />

1 DUBAR (1999, p. 102)<br />

2 ROSE (1994)<br />

3 Pour le point de vue d’un acteur de terrain sur l’émergence d’une fonction "orientation" dans le monde de<br />

l’entreprise, voir PARLIER (1996).<br />

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glorieuses. Il s’agit davantage de prendre en charge les parcours individuels complexes qui se<br />

sont installés dans les interstices du marché du travail à la frontière du salariat et de<br />

l’assistance, du travail et du hors-travail.<br />

Ces rapprochements entre orientation publique et privée, favorisés notamment par la<br />

loi sur le bilan de compétence (1992), ont conduit à l’émergence d’un groupe professionnel<br />

partageant un même socle de pratiques, mais dont les contours restent flous et qui s’exerce<br />

sous une grande diversité de statuts. Alors que la psychologie du travail concentrait l’essentiel<br />

<strong>des</strong> praticiens de l’orientation avant 1980, les références théoriques et les formations initiales<br />

<strong>des</strong> travailleurs de l’orientation se sont considérablement élargies depuis une vingtaine<br />

d’années. Les statuts se sont eux aussi diversifiés : l’orientation professionnelle s’exerçait<br />

auparavant dans un cadre public et sous un statut de fonctionnaire (conseillers d’orientation<br />

de l’Education nationale) ou dans <strong>des</strong> emplois présentant les mêmes garanties (psychologues<br />

de l’AFPA conseillers professionnels de l’ANPE) ; elle s’exerce aujourd’hui le plus souvent<br />

dans <strong>des</strong> structures privées (centres d’orientation ou de bilan privés, cabinets de conseil en<br />

recrutement-formation…) ou dans <strong>des</strong> « associations intermédiaires », apparues dans le<br />

sillage de la loi de 1987 organisant ce secteur.<br />

Plusieurs travaux de recherche récents sont venus combler le vide signalé par Dubar :<br />

ils ont été menés dans deux directions. Un premier courant, issu de l’économie <strong>des</strong><br />

conventions, s’intéresse aux catégories mises en œuvre par les intermédiaires de l’emploi −<br />

essentiellement <strong>des</strong> "recruteurs" en cabinet de recrutement ou en entreprise − dans <strong>des</strong><br />

opérations de jugement portant sur les "qualités" <strong>des</strong> travailleurs (Eymard-Duvernay et<br />

Marchal, 1997 ; Marchal et Renard-Bodinier, 2001). Les auteurs explorent la manière dont les<br />

conventions sont outillées (par <strong>des</strong> tests psychologiques, <strong>des</strong> grilles de classification, <strong>des</strong><br />

outils de <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> compétence etc.) et dont elles s’incarnent dans <strong>des</strong> situations de<br />

jugement sur le marché du travail. Toutefois, seules les conventions et les règles sont jugées<br />

dignes d’intérêt et ces travaux restent le plus souvent silencieux sur l’épaisseur historique et<br />

sociologique <strong>des</strong> groupes professionnels concernés, leurs mo<strong>des</strong> de structuration et leurs<br />

éventuels cloisonnements. Qui sont ces nouveaux professionnels de l’orientation et de la<br />

formation ? Quelle est leur trajectoire sociale et professionnelle ? Quelles sont leurs<br />

pratiques ? Forment-ils un groupe unifié ? Comment se positionnent-ils par rapport aux<br />

groupes déjà en place (conseiller d’orientation de l’Education nationale, conseillers de<br />

l’ANPE, psychologues de l’AFPA etc.) ?<br />

324


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Un second courant de travaux apporte une réponse à ces questions, en s’inspirant de<br />

la sociologie interactionniste <strong>des</strong> professions 4 . Pour certains (Demazière, 1992 ; Beaud,<br />

1996), le regard se détourne <strong>des</strong> règles et <strong>des</strong> "registres de justification" pour se concentrer sur<br />

<strong>des</strong> situations de face à face entre <strong>des</strong> intermédiaires de l’emploi et <strong>des</strong> usagers. L’expérience<br />

commune <strong>des</strong> professionnels de l’orientation résiderait alors dans la tension, au principe de<br />

leur travail, entre une logique d’aide à autrui et une logique de classement <strong>des</strong> personnes. La<br />

socialisation professionnelle <strong>des</strong> acteurs de l’orientation et leur familiarité fréquente avec la<br />

psychologie les pousse à valoriser l’écoute, la relation d’aide et la prise en compte de l’infinie<br />

complexité de chaque situation individuelle, alors que leur position organisationnelle les<br />

invite au contraire à produire <strong>des</strong> informations standardisées, <strong>des</strong>tinées à être transmises à un<br />

<strong>des</strong>tinataire officiel. Cette tension est à la source d’un travail de négociation de l’identité<br />

d’autrui, qui s’opère au cours de l’entretien 5 . D’autres adoptent un point de vue plus<br />

macrosociologique et s’interrogent sur la constitution <strong>des</strong> intermédiaires de l’emploi en<br />

"profession", au sens anglo-saxon du terme : forment-ils une véritable profession, cumulant<br />

expertise, fermeture de marché et l’observation de règles déontologiques ? La réponse à une<br />

telle question est le plus souvent négative, car les logiques de segmentation, qui<br />

transparaissent dans la variété <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> contextes institutionnels d’exercice (cabinets<br />

de recrutement, entreprises, organismes publics ou privés d’insertion etc.) l’emportent<br />

généralement sur celles d’unification de la proefssion. Primon (1994) et Dubar (1999)<br />

montrent ainsi que loin de former un groupe homogène, les formateurs d’adultes se<br />

distinguent selon le marché sur lequel ils se positionnent (public ou privé) et les publics<br />

auxquels ils s’adressent (salariés ou demandeurs d’emploi). Charlier (2002) montre aussi, à<br />

partir d’une recherche menée sur trois catégories d’opérateurs de l’emploi (conseillers de<br />

l’ANPE, de missions locales et de PAIO – Permanence d’accueil d’information et<br />

d’orientation) 6 , que les logiques statutaires internes à ces trois organismes l’emportent sur une<br />

éventuelle professionnalisation transversale de l’activité, en dépit de pratiques communes.<br />

L’une <strong>des</strong> principales difficultés soulevée par les approches interactionnistes ou en<br />

termes de segmentation lorsqu’elles sont appliquées aux professionnels de l’orientation, est<br />

4 Une bonne synthèse de ces différents travaux inspirés de la sociologie interactionniste <strong>des</strong> professions figure<br />

dans GELOT et NIVOLLE (2002). Les travaux de DUBAR (1992), DEMAZIERE (1992), PRIMON (1994), DIVAY<br />

(2000) ou CHARLIER (2002) sont particulièrement représentatifs de ce courant.<br />

5 Voir par exemple BENARROSH (2000)<br />

6 Pour CHARLIER (2002; p. 7), la catégorie <strong>des</strong> opérateurs de l’emploi regroupe « l’ensemble <strong>des</strong> acteurs locaux,<br />

régionaux, nationaux qui ont un rôle direct dans le placement de la main-d’œuvre, c’est-à-dire ceux qui aident les<br />

demandeurs d’emploi à trouver un emploi ou qui proposent <strong>des</strong> conseils et <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> aux entreprises pour<br />

recruter la main-d’œuvre »<br />

325


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qu’en se concentrant sur une seule catégorie elles perdent de vue les évolutions communes qui<br />

se <strong>des</strong>sinent. La multiplication d’étu<strong>des</strong> monographiques sur les professionnels de<br />

l’orientation dans <strong>des</strong> organismes comme l’ANPE (Demazière, 1992, Benarrosh, 2000), les<br />

missions locales (Beaud, 1996), les PAIO ou les cellules d’aide à la recherche d’emploi<br />

(Divay, 2000) fait perdre de vue ce qui se joue à l’intersection <strong>des</strong> différents groupes et la<br />

philosophie commune dont ils s’inspirent. Une analyse en terme de trajectoire est également<br />

difficile à mettre en œuvre car ces professionnels exercent dans de multiples organismes et<br />

ont reçu <strong>des</strong> formations initiales différentes (bien que le plus souvent dans le domaine <strong>des</strong><br />

sciences humaines). Comment dès lors délimiter les contours de ce groupe, dont l’unité ne<br />

tient ni à la formation commune, ni à une identité de statuts ?<br />

L’entrée par la formation initiale en psychologie du travail nous permettait de<br />

surmonter quelques unes de ces difficultés et de mieux cerner la nébuleuse <strong>des</strong> professionnels<br />

de l’orientation, tout en étudiant en retour l’impact <strong>des</strong> transformations de ce domaine sur la<br />

profession de psychologue. D’une part, comme nous le verrons, les diplômés de psychologie<br />

du travail investissent la quasi-totalité <strong>des</strong> champs de l’orientation, qui est le débouché<br />

"naturel" de leur formation. En les prenant pour cible, nous disposons donc d’une<br />

cartographie précise de ce secteur d’activité. Le questionnaire a ainsi permis d’établir une liste<br />

<strong>des</strong> positions professionnelles associées au domaine de l’orientation professionnelle<br />

aujourd’hui 7 . Certes, les deux champs ne se recouvrent pas entièrement et les psychologues<br />

du travail sont loin d’exercer aujourd’hui un quelconque "monopole" sur les pratiques<br />

d’orientation, contrairement à la situation qui avait prévalu dans la période 1945-1970. D’une<br />

certaine manière, la montée du chômage a ouvert de nouveaux "marchés" dans ce secteur,<br />

favorisant l’irruption de concurrents issus de formations différentes de la psychologie telles<br />

que la gestion, la sociologie, l’économie ou l’AES 8 . Pour autant, les références à la<br />

psychologie dans le champ de l’orientation restent nombreuses et les psychologues semblent y<br />

7 Cette liste figure dans le tableau IV-4, annexe 4.<br />

8 Pour nous faire une idée plus précise <strong>des</strong> disciplines d’origine <strong>des</strong> professionnels de l’orientation, nous avons<br />

recherché dans l’Enquête Emploi (INSEE, 2001) les formations les plus représentées dans trois PCS<br />

particulièrement représentatives de ce groupe : les PCS 3433 ("psychologues spécialistes de l’OSP"), 3722<br />

("cadres spécialistes du recrutement et de la formation") et 3725 ("cadres de la gestion courante <strong>des</strong> services du<br />

personnel <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises"). La psychologie vient en tête (31 % <strong>des</strong> personnes ont une formation<br />

universitaire de 2 ème ou 3 ème cycle dans ce domaine), suivie <strong>des</strong> formations en ressources humaines et gestion du<br />

personnel (10 %) puis <strong>des</strong> formations en sciences sociales (8 %). On s’expose toutefois à <strong>des</strong> difficultés en<br />

s’appuyant exclusivement sur la grille <strong>des</strong> PCS qui, conçue en 1982, ne pouvait pas intégrer le groupe <strong>des</strong><br />

professionnels de l’orientation, de l’évaluation et de l’insertion qui n’a pris toute son ampleur qu’à partir de la fin<br />

<strong>des</strong> années 1980. De façon emblématique, la PCS 3433 est bâtie autour de deux groupes professionnels<br />

particulièrement représentatifs <strong>des</strong> professionnels de l’orientation au cours de la période 1945-1970, mais dont la<br />

position est aujourd’hui en déclin relatif : les COP et les psychologues du travail de l’AFPA.<br />

326


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occuper une position centrale, tant comme praticiens qu’au plan <strong>des</strong> références théoriques ou<br />

<strong>des</strong> outils utilisés 9 .<br />

D’autre part, la structuration progressive d’un champ de l’orientation qui ne se situe<br />

plus dans l’orbite exclusive de la psychologie a <strong>des</strong> effets en retour sur la profession de<br />

psychologue. En participant d’un nouveau domaine d’activité, certains psychologues du<br />

travail abandonnent leur identité de psychologue et estiment "ne plus faire de la psychologie".<br />

Dans certains cas, cela crée une tension entre l’identité acquise en formation et les identités de<br />

substitution procurées par ces nouveaux emplois. Le questionnaire met bien en évidence que<br />

dans <strong>des</strong> champs relativement structurés comme celui <strong>des</strong> ressources humaines ou du conseil<br />

en recrutement, la revendication du titre ou d’une identité de psychologue est faible, alors<br />

qu’elle demeure prégnante dans le champ de la formation professionnelle, de l’insertion ou<br />

<strong>des</strong> services publics d’orientation (AFPA, CIO, GRETA…). Comment expliquer ces<br />

différences ? A partir de quel moment se déclare-t-on ou ne se déclare-t-on plus<br />

psychologue ? Que reste-t-il de la formation initiale et quels sont les usages faits de la<br />

psychologie dans les emplois occupés ? Des éléments de réponse à ces différentes questions<br />

ont pu être apportés par une enquête de terrain réalisée entre 2001 et 2003. Nous présenterons<br />

d’abord le mode de recueil de ces données avant d’en exposer les principaux résultats.<br />

A. QUESTIONS DE METHODOLOGIE<br />

Dans les chapitres qui précèdent, nous avons privilégié une analyse historique en<br />

retraçant la trajectoire de la profession de psychologue du travail, tant du point de vue interne<br />

(savoirs mobilisés, formes d’organisation collective…) que dans ses rapports avec les autres<br />

segments de la psychologie. L’un <strong>des</strong> éléments déterminants de la trajectoire de ce groupe<br />

nous semble résider dans le passage d’une conception "scientiste" de l’activité, étroitement<br />

liée à l’histoire de la psychotechnique, à une conception tournée vers la psychologie clinique.<br />

La psychologie du travail serait ainsi passée d’une pratique "savante", vécue par les praticiens<br />

comme l’application d’une technique scientifique préconstituée, à une pratique "consultante".<br />

Ce chapitre et le suivant visent principalement à nous interroger sur la dynamique<br />

récente du groupe étudié et notamment sur les conséquences de la recomposition du champ de<br />

l’orientation professionnelle sur la profession. Nous combinons pour cela deux approches<br />

méthodologiques : une enquête par entretiens, réalisée auprès d’une cinquantaine de<br />

psychologues du travail et une enquête par questionnaire menée auprès d’un échantillon de<br />

9 Voir KOKOSOWSKI (1990)<br />

327


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557 diplômés de DESS de psychologie du travail. Les manuels de méthodologie en sciences<br />

sociales présentent le plus souvent ces deux métho<strong>des</strong> comme opposées 10 . Comme l’a bien<br />

souligné Desrosières (1989), elles ne s’adresseraient pas au même type de "totalité" 11 . Dans<br />

un cas, l’on cherche à reconstruire de façon intensive les pratiques et le monde vécu <strong>des</strong><br />

acteurs, en insistant sur le contexte <strong>des</strong> informations recueillies et en s’inscrivant dans un<br />

régime de familiarité avec l’objet ; dans l’autre on cherche à explorer de façon extensive un<br />

espace social à partir de catégories stylisées qui, pour les besoins de la comparaison, sont<br />

mises en équivalence les unes avec les autres. Sans vouloir tomber dans un œcuménisme<br />

réducteur, il nous semble que ces deux approches se sont révélées étroitement<br />

complémentaires au cours de notre enquête, notamment au moment de la production et de<br />

l’exploitation <strong>des</strong> données. Dans la phase de production <strong>des</strong> données, les catégories<br />

statistiques sur lesquelles nous nous sommes appuyé n’étaient pas données d’avance mais ont<br />

été construites dans le cours même de l’observation, en relation étroite avec l’exploitation <strong>des</strong><br />

entretiens. Ceci concerne en tout premier lieu la <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> emplois occupés par les<br />

enquêtés. La nomenclature <strong>des</strong> PCS s’est révélée inadéquate, car elle ne permettait pas de<br />

saisir la diversité <strong>des</strong> positions occupées et surtout, elle ne pouvait pas intégrer les mutations<br />

qui ont touché le champ de l’orientation professionnelle depuis le milieu <strong>des</strong> années 1980.<br />

Nous avons donc été conduit à réaliser nous-même une liste <strong>des</strong> positions professionnelles<br />

occupées par les enquêtés 12 . L’enquête qualitative s’est également révélée très utile au<br />

moment du codage <strong>des</strong> questionnaires, dans la mesure où elle nous a permis d’acquérir une<br />

familiarité avec la profession que permet difficilement la seule enquête par questionnaire 13 . La<br />

complémentarité entre dimensions quantitatives et qualitatives est également apparue dans la<br />

phase d’exploitation <strong>des</strong> données. L’approche que nous avons privilégiée permettait en effet<br />

de concilier ces deux registres par le recours à <strong>des</strong> techniques d’analyse factorielle ou à <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> de classification, dont l’esprit est assez proche de celui <strong>des</strong> démarches qualitatives.<br />

Comme ces dernières, elles procèdent par reconstruction idéal-typique d’ensembles présentant<br />

une certaine cohérence sociologique. Elles sont donc particulièrement adaptées à l’étude d’un<br />

10 Voir par exemple GRAWITZ (1993, p. 308 sq.)<br />

11 Dans l’éternel débat sur les vertus respectives du quantitatif et du qualitatif, les interrogations du sociologue<br />

rejoignent celles du psychologue.<br />

12 Tableau IV-4, annexe 4. Nous nous sommes en partie appuyés sur le ROME (Répertoire opérationnel <strong>des</strong><br />

emplois et métiers, ANPE), qui opère un découpage plus fin que les PCS.<br />

13 A titre illustratif, la simple lecture d’un questionnaire ne permet pas toujours de faire la différence entre un<br />

« consultant en formation », un « conseiller en formation » et un « responsable de formation » alors que chacun<br />

de ces intitulés renvoie à <strong>des</strong> positions sociales très différentes.<br />

328


groupe professionnel, en permettant d’en <strong>des</strong>siner les principales lignes de segmentation 14 . En<br />

revanche, compte tenu de la perspective adoptée – mais aussi de la taille réduite de notre<br />

échantillon – nous avons relativement peu mobilisé d’analyses de type économétriques qui,<br />

parce qu’elles raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » sur <strong>des</strong> variables isolées,<br />

s’éloignent du principe de la <strong>des</strong>cription monographique.<br />

1. . Présentation de l’enquête de terrain<br />

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a) La genèse du questionnaire<br />

Les données statistiques sur lesquelles nous nous appuyons sont issues d’un<br />

questionnaire diffusé en mai 2002 auprès de 1862 diplômés de DESS de psychologie du<br />

travail, pour lequel nous avons obtenu 557 réponses (voir tableau IV-1, annexe 4). Cette<br />

enquête a pu être réalisée grâce au soutien matériel et financier d’un syndicat de<br />

psychologues, le SNP 15 , qui souhaitait mieux connaître les contours de ce segment de la<br />

profession, très faiblement représenté en son sein (moins de 10 % <strong>des</strong> adhérents). Les<br />

répondants à l’enquête sont donc issus <strong>des</strong> différentes universités préparant à un DESS de<br />

psychologie du travail : l’Ecole <strong>des</strong> Psychologues Praticiens 16 (75 réponses), Paris V (85),<br />

Paris X (35), Nantes (93), Grenoble II (87), Lyon II (63), Metz-Nancy (26), Strasbourg (12) et<br />

Bordeaux (2), soit au total neuf universités sur les vingt-deux universités préparant ce<br />

diplôme 17 . Signalons également que sept questionnaires nous sont parvenus de diplômés<br />

d’universités qui n’avaient pas été sollicitées, mais qui avaient eu connaissance de l’enquête<br />

par un proche, un conjoint ou <strong>des</strong> collègues de travail.<br />

CONSTRUCTION DE LA BASE D’ENQUETE<br />

Pour réaliser l’enquête, nous avons contacté 12 DESS portant explicitement la mention de<br />

« psychologie du travail », que celle-ci soit ou non associée à d’autres termes tels que :<br />

14 KARPIK (1985) apporte un bel exemple de recours aux métho<strong>des</strong> d’analyse factorielle dans l’étude <strong>des</strong><br />

segmentations de la profession d’avocat. Voir également les travaux de ZARCA (1989) sur l’artisanat, qui<br />

combinent approches quantitatives et qualitatives.<br />

15 Nous avions également sollicité l’aide financière <strong>des</strong> DESS et de la SFP (Société Française de Psychologie),<br />

mais seul le SNP a pu répondre à notre demande, à la condition que leur revue Psychologues et psychologies fût<br />

diffusée conjointement au questionnaire. Je remercie tout particulièrement Patrick Cohen, responsable de la<br />

section "psychologie du travail" du SNP, pour le soutien qu’il m’a apporté au cours de cette enquête ainsi que<br />

pour ses nombreuses remarques et suggestions. Mes remerciements vont également au LEST, qui a assuré la<br />

reproduction <strong>des</strong> questionnaires.<br />

16 Cette formation sera désignée par la suite par l’abréviation « Psychoprat ».<br />

17 voir tableau IV-3, annexe 4.<br />

329


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« psychologie sociale et du travail » (Nantes) ; « psychologie du travail et nouvelles<br />

technologies » (Metz) ; « psychologie du travail et ergonomie » (Rouen). Il existe au niveau<br />

national une certaine harmonisation <strong>des</strong> appellations de ces DESS, ce qui a facilité le travail<br />

de délimitation de la population enquêtée, notamment vis-à-vis <strong>des</strong> DESS d’ergonomie qui<br />

proposent <strong>des</strong> formations aux contenus parfois très proche. Le choix de la base d'enquête a<br />

porté sur les seuls diplômés de DESS, ce diplôme étant considéré par la profession comme un<br />

"standard minimum" permettant d'accéder au marché du travail (loi de 1985 sur la protection<br />

du titre de psychologue). Ainsi, contrairement à d'autres disciplines où le DESS est faiblement<br />

reconnu, il joue en psychologie un rôle structurant et constitue pour les étudiants un objectif à<br />

atteindre dès le DEUG. C'est certainement pour cette raison que l'on constate peu de sorties en<br />

cours de deuxième cycle universitaire (licence ou maîtrise), effet non voulu de la loi de 1985<br />

qui conduit les étudiants à poursuivre leur étu<strong>des</strong> jusqu'au DESS faute de véritables<br />

débouchés au niveau du second cycle dans <strong>des</strong> « vrais » emplois de psychologues.<br />

Neuf DESS ont répondu positivement à notre demande, le plus souvent par le biais<br />

d’associations d’anciens élèves, qui nous ont transmis leurs annuaires. Dans un cas, nous<br />

avons été confronté au refus d’un directeur de DESS qui estimait que l’enquête, étant financée<br />

par le SNP, manquait d’impartialité. Nous avons vu en effet dans le chapitre IV que le SNP<br />

s’était souvent opposé au point de vue <strong>des</strong> universitaires, ce qui peut expliquer la méfiance de<br />

ces derniers vis-à-vis de ce qui pouvait apparaître comme une "opération de publicité" du<br />

SNP en direction <strong>des</strong> praticiens. Par ailleurs, le SNP étant composé d’une écrasante majorité<br />

de cliniciens, il est perçu avec méfiance par certains psychologues du travail, qui le<br />

soupçonnent de vouloir imposer un impérialisme de la clinique sur l’ensemble de la<br />

profession. L’éventuelle perception négative d’un questionnaire cautionné par le SNP auprès<br />

<strong>des</strong> praticiens apparaît toutefois hautement improbable car, comme nous avons pu l’observer<br />

au cours <strong>des</strong> entretiens exploratoires, la plupart <strong>des</strong> praticiens n’ont pas de réelle opinion sur<br />

ces questions, lorsqu’ils n’ignorent pas tout simplement l’existence du SNP.<br />

Au total, 516 questionnaires ont pu être exploités, sur une profession dont les<br />

effectifs sont aujourd’hui estimés à 7000 personnes par les associations professionnelles 18 .<br />

Les questionnaires écartés de l’analyse l’ont été le plus souvent en raison de non-réponses à<br />

18 Afin d’avoir une idée plus précise <strong>des</strong> contours actuels de la profession, voir le tableau III-3 en annexe, qui<br />

donne les effectifs de DESS de psychologie du travail délivrés annuellement depuis 1998. Pour un ordre d’idée,<br />

la taille de notre échantillon correspond approximativement au nombre de diplômés de psychologie du travail<br />

sortant chaque année <strong>des</strong> universités.<br />

330


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un trop grand nombre de questions, ou parce que les répondants étaient trop âgés (> 63 ans).<br />

Le taux de réponses, de l’ordre de 30 %, est nettement supérieur à celui généralement obtenu<br />

dans ce type d’enquête qui oscille plutôt entre 15 et 20 % 19 . Cette forte mobilisation tient<br />

selon nous à plusieurs raisons. D’une part, comme nous le verrons, le titre de psychologue est<br />

très diversement reconnu sur le marché du travail, bon nombre de diplômés ayant un<br />

sentiment de déclassement lors de l’accès au premier emploi, surtout lorsqu’ils travaillent<br />

dans l’insertion ou la formation. Ces difficultés sont en décalage avec la représentation<br />

homogène et souvent idéalisée de la fonction de psychologue que se sont faite les jeunes<br />

diplômés à l’université, représentation souvent renforcée par le discours <strong>des</strong> enseignants. Cet<br />

élément permet d’expliquer qu’une telle enquête, qui légitime l’existence de leur profession et<br />

la fait accéder à la dignité d’un objet scientifique, ait été positivement perçue par les<br />

intéressés. D’autre part, comme les sociologues, les psychologues sont par leur formation<br />

familiers <strong>des</strong> enquêtes par questionnaire : elles sont à leurs yeux <strong>des</strong> objets dignes d’intérêt,<br />

qui méritent qu’on s’y attarde, d’où une propension à répondre certainement plus élevée que<br />

celle d’autres populations 20 .<br />

Le questionnaire, relativement long (soixante-quinze questions fermées, dix<br />

questions ouvertes), se donnait pour objet d’explorer différentes dimensions 21 . Il s’agissait<br />

d’abord d’étudier l’impact de l’émergence d’un "marché de l’orientation" sur les<br />

psychologues du travail. Les transformations décrites précédemment (montée du chômage,<br />

diversification <strong>des</strong> pratiques d’insertion et de formation, complexification <strong>des</strong> trajectoires<br />

professionnelles, recours accru à la notion de "compétence") ont en effet eu pour conséquence<br />

de déstabiliser ce segment tel qu’il s’était construit dans les années 1950-1970. Quel a été<br />

l’impact de ces changements sur l’insertion professionnelle <strong>des</strong> praticiens, leurs statuts, leurs<br />

salaires etc., mais aussi la reconnaissance du titre et de la fonction de psychologue ? En<br />

second lieu, nous voulions reconstituer par le biais du questionnaire la dynamique et les<br />

recompositions de ce groupe professionnel depuis les années 1970. La composition par âge de<br />

la population enquêtée (tableau IV-2, annexe 4) permettait en effet de retracer <strong>des</strong> trajectoires<br />

professionnelles sur une période relativement longue, mettant ainsi en évidence <strong>des</strong> "vagues<br />

générationnelles" caractérisées par l’occupation d’emplois "typiques" d’une génération à<br />

l’autre. Nous nous sommes en particulier attaché à vérifier l’une <strong>des</strong> hypothèses souvent<br />

19 Dans le cas de l’enquête de PIRIOU (1999) menée auprès de diplômés de sociologie, le taux de retour était<br />

de17 %<br />

20 Afin d’améliorer le taux de retour, nous avions mis à disposition <strong>des</strong> enquêtés <strong>des</strong> enveloppes « T » (pas<br />

d’affranchissement) et vérifié de façon systématique les adresses figurant dans les annuaires de DESS.<br />

21 Un exemplaire du questionnaire diffusé est reproduit en annexe dans les sources (pp. 606 sq.).<br />

331


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évoquée au cours <strong>des</strong> entretiens exploratoires, selon laquelle les débouchés <strong>des</strong> diplômés de<br />

psychologie du travail fluctuaient au rythme de la conjoncture du marché du travail : dans les<br />

pério<strong>des</strong> de baisse du chômage, <strong>des</strong> opportunités d’emploi s’ouvraient dans les ressources<br />

humaines et les cabinets de recrutement et inversement, dans les pério<strong>des</strong> de reprise du<br />

chômage, les psychologues du travail se dirigeaient vers le secteur de l’insertion et de la<br />

"gestion sociale du chômage" (Missions Locales, PAIO, PLIE, associations de formation pour<br />

demandeurs d’emplois…). Certaines générations de diplômés apparaissent ainsi plus<br />

favorisées que d’autres au point de vue <strong>des</strong> salaires et <strong>des</strong> emplois occupés, selon la structure<br />

du marché du travail qui prévalait lors de leur insertion. En dernier lieu, le questionnaire visait<br />

à étudier les pratiques professionnelles et le rapport qu’entretiennent ces professionnels à la<br />

psychologie : Quelles sont les manières de se dire psychologue et de pratiquer la psychologie<br />

dans les emplois occupés ? Cette question est d’autant plus cruciale que, comme nous l’avons<br />

vu dans le chapitre précédent, la psychologie tend, dans son ensemble, à s’éloigner du<br />

paradigme positiviste qui a traditionnellement soutenu les applications de la psychologie du<br />

travail et que la profession semble aujourd’hui totalement dominée par le segment clinicien.<br />

On peut donc se demander ce qu’il reste de proprement "psychologique" dans l’activité <strong>des</strong><br />

psychologues du travail aujourd’hui. Qu’en est-il de l’"unité" d’une profession dont le titre est<br />

protégé pour tous les praticiens et toutes les spécialités ?<br />

Graphique 9 Répartition <strong>des</strong> répondants par année d’obtention du DESS<br />

180<br />

160<br />

140<br />

120<br />

100<br />

80<br />

60<br />

40<br />

20<br />

0<br />

Avant 1984 1985-1991 1992-1997 1998-2001<br />

La composition de notre échantillon soulève trois difficultés méthodologiques qu’il<br />

nous faut évoquer au préalable. Il s’agit d’abord du recours aux annuaires de DESS pour<br />

construire la base d’enquête, ensuite de la forte concentration de la population sur les<br />

promotions de DESS les plus récentes, enfin de l’inégale répartition entre les DESS d’origine.<br />

332


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Sur le premier point, on peut penser que l’utilisation d’annuaires d’associations<br />

d’anciens élèves conduit à ne toucher que la tranche de la population qui s’identifie fortement<br />

à sa formation initiale et donc au titre de psychologue. Ce groupe présenterait par conséquent<br />

<strong>des</strong> caractéristiques différentes de la population visée (l’ensemble <strong>des</strong> diplômés). Ce danger<br />

est toutefois écarté par le fait que – à l’exception de Psychoprat – les annuaires comprenaient<br />

l’ensemble <strong>des</strong> diplômés depuis la création <strong>des</strong> DESS et non les seuls membres <strong>des</strong><br />

associations d’anciens élèves. Nous avons ensuite vérifié les adresses correspondant à tous les<br />

noms (2300 au total) à partir <strong>des</strong> « Pages blanches » et d’un moteur de recherche internet<br />

(« Google »).<br />

Sur le second point, la représentation <strong>des</strong> différentes générations de diplômés au sein<br />

de notre échantillon peut paraître déséquilibrée : il est composé à 50 % de personnes ayant<br />

obtenu leur DESS après 1992, seuls 17 % ayant obtenu leur DESS avant 1984 (graphique 9<br />

supra). En outre, nous ne disposons pas d’informations précises sur la répartition par âge de la<br />

population mère, qui nous permettrait de corriger cet éventuel biais. En effet, jusqu’à une date<br />

récente, la direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) ne tenait pas de statistique<br />

suffisamment détaillée <strong>des</strong> diplômes de troisième cycle pour pouvoir y repérer les DESS de<br />

psychologie du travail 22 . Il ne fait toutefois pas de doute que dans l’ensemble, les volumes de<br />

DESS de psychologie délivrés par les universités se sont très nettement accrus depuis la fin<br />

<strong>des</strong> années 1970 et que la surreprésentation <strong>des</strong> générations les plus récentes est pour partie le<br />

reflet de la structure de la population étudiée, comme le montre le tableau suivant :<br />

Tableau 24 – Nombre de DESS de psychologie délivrés annuellement<br />

par les universités 1974-2000 (toutes spécialités confondues) 23<br />

Année 1974 1985 1992 1996 2002<br />

Diplômes délivrés 883 1366 1781 1946 2495<br />

Source : DEP-MEN<br />

Un autre élément vient nuancer les effets de ce biais sur les résultats finals : dans la<br />

mesure où l’enquête ne vise pas à apporter une "photographie" de la profession à un moment<br />

donné mais davantage à en saisir la dynamique temporelle, il est finalement de peu<br />

d’importance que les générations les plus anciennes y soient sous-représentées. Nous serons<br />

d’ailleurs fréquemment amené à faire <strong>des</strong> analyses partielles sur certaines générations dans<br />

une perspective comparative, ce qui annule le biais.<br />

22 Jusqu’en 1996, les Tableaux Statistiques de la DEP ne font apparaître que les DESS de psychologie, toutes<br />

options confondues. Après 1996, on dispose en revanche d’informations précises sur les intitulés de diplômes.<br />

23 Les DESS n’ayant été créés qu’en 1975, nous avons retenu pour l’année 1974 les diplômes délivrés par les<br />

Instituts de psychologie, qui ont précédé les DESS.<br />

333


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le dernier problème est en partie lié à celui qui vient d’être évoqué. La plupart <strong>des</strong><br />

répondants ayant obtenu leur DESS avant 1980 sont issus de deux formations : l’université de<br />

Lyon II et Psychoprat (c’est le cas de 72 % <strong>des</strong> diplômés d’avant 1980). En effet, soit les<br />

autres DESS ont été créés après 1980, soit leurs annuaires ne remontaient pas au-delà de cette<br />

date. Cette inégale représentation <strong>des</strong> DESS d’origine par génération est un problème dans la<br />

mesure où les diplômés de Psychoprat présentent, comme nous le verrons, <strong>des</strong><br />

caractéristiques sensiblement différentes de ceux issus d’autres formations : ils proviennent en<br />

général de milieux plus favorisés et s’insèrent davantage dans le secteur <strong>des</strong> ressources<br />

humaines que dans celui de l’insertion. Il y a donc un risque d’attribuer à un effet de<br />

génération ce qui tient en réalité à la formation d’origine.<br />

Cette difficulté peut toutefois être levée par la technique de la régression multiple,<br />

qui permet d’évaluer l’influence propre de différents attributs (qualifiés de "variables<br />

indépendantes") sur une variable de référence (variable dépendante). Nous nous sommes ainsi<br />

demandé si l’appartenance à une génération jouait davantage ou moins que le DESS de<br />

provenance sur une variable synthétique de statut telle que le salaire. Nous nous appuyons<br />

pour cela sur un modèle d’explication du salaire qui mesure l’influence respective de<br />

l’ancienneté du diplôme, du statut (cadre/non cadre) du secteur d’activité (public/privé) et du<br />

DESS d’origine (Psychoprat/autres DESS). Le tableau 24 (infra) présente trois indices :<br />

l’indice R² (en bas à gauche du tableau) signifie que 62 % de la variance du salaire est<br />

expliquée par les quatre variables choisies ; les coefficients de la première colonne sont <strong>des</strong><br />

coefficients linéaires qui, appliqués aux différentes variables indépendantes, permettent de<br />

reconstruire la variable dépendante ; le coefficient T, enfin, évalue le poids relatif <strong>des</strong><br />

différentes variables indépendantes sur la variable dépendante. On considère en général que<br />

l’action d’une variable est significative à partir du moment où T>2. On voit dans le cas<br />

présent que l’origine du DESS semble exercer une influence faible sur le salaire, notamment<br />

si on la compare à la variable ancienneté du diplôme et que par conséquent la variable<br />

génération ne "cache" pas une variable de formation d’origine.<br />

Tableau 25 – Régression multiple pour le salaire : influence du DESS d’origine 24<br />

Coefficient Coefficient T Significativité de T<br />

Modèle 1. Log du salaire =<br />

1. Ancienneté du diplôme 0.03 15.6


3. Secteur privé 0.28 10.1


econstituer <strong>des</strong> carrières professionnelles typiques et d’autre part de faire apparaître une<br />

segmentation de la profession en trois groupes, que nous avons retrouvée par la suite dans<br />

l’exploitation du questionnaire : les psychologues travaillant dans le domaine de l’insertion<br />

sociale et professionnelle (groupe 1) ; les consultants en recrutement et ressources humaines<br />

(groupe 2) et les gestionnaires du personnel exerçant en entreprise (groupe 3). Les thèmes<br />

abordés au cours <strong>des</strong> entretiens rejoignaient assez largement ceux du questionnaire : la<br />

trajectoire de formation (à l’université et éventuellement en dehors : formations continues<br />

etc…), la trajectoire professionnelle depuis l’obtention du DESS, l’utilisation de la<br />

psychologie dans les emplois occupés et enfin les liens avec la profession de psychologue<br />

(participation à <strong>des</strong> associations professionnelles, lecture d’ouvrages ou de revues<br />

scientifiques, activités de recherche ou d’étu<strong>des</strong>…) 26 .<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

2. Les psychologues et le sociologue : proximités et distances<br />

On ne saurait entreprendre une enquête sociologique sur les psychologues sans<br />

sacrifier au rituel de la socioanalyse, et nous interroger sur la position particulière du<br />

sociologue-enquêteur vis-à-vis de son objet. Les canons de l’enquête ethnographique nous<br />

apprennent que tout travail de terrain est fait d’un subtil équilibre entre proximité et distance,<br />

familiarité et étrangeté. La proximité et le contact in situ permettent de "coller" au plus près<br />

au point de vue <strong>des</strong> enquêtés, à leurs catégories de perception et d’action. Mais l’"extranéité"<br />

avec l’objet, est aussi une condition nécessaire et de toute façon incontournable de toute<br />

enquête de terrain : nécessaire, parce qu’elle seule permet au chercheur de voir <strong>des</strong> choses que<br />

les intéressés eux-mêmes ne peuvent plus voir en raison de leur trop forte implication dans<br />

leur propre pratique ; incontournable, car toute <strong>des</strong>cription et plus encore tout acte<br />

d’interprétation est déjà une manière de se rendre étranger à l’objet en le faisant entrer dans<br />

<strong>des</strong> catégories qui n’appartiennent pas au registre pratique 27 . Comment le sociologue peut-il<br />

alors se rendre à la fois étranger et proche <strong>des</strong> psychologues ? D’un côté, les psychologues se<br />

révèlent étonnamment proches de lui : les emprunts réciproques entre les deux disciplines<br />

sont nombreux et il existe sans nul doute une surface commune sur laquelle peuvent s’établir<br />

un dialogue et une compréhension mutuelle ; les deux partagent également, comme nous le<br />

verrons, un ensemble de propriétés sociologiques, notamment du point de vue de leur position<br />

dans l’université et <strong>des</strong> conditions d’insertion sur le marché du travail. Cette proximité peut<br />

dans certains cas rendre l’enquête plus difficile, pour <strong>des</strong> raisons que nous tenterons<br />

26 Un exemplaire de la grille d’entretien figure en annexe dans les sources (p. 591 sq.).<br />

336


d’exposer. Sous d’autres aspects, les psychologues et les sociologues se révèlent très<br />

éloignés : leurs catégories de pensée s’inscrivent dans <strong>des</strong> registres opposés et à certains<br />

égards inconciliables. Alors que les premiers ont tendance à rapporter les actes individuels à<br />

une histoire individuelle ou à une structure psychique générale, les seconds pensent au<br />

contraire qu’elles ne peuvent être comprises qu’en lien avec un ensemble de déterminations<br />

sociales. Le risque est donc grand pour le sociologue de ne pas entrer dans la spécificité du<br />

raisonnement psychologique, ou de n’en effleurer que la surface. En étudiant les<br />

psychologues, le sociologue se trouve aussi confronté à l’arbitraire de sa propre socialisation<br />

et à ce que son propre mode de raisonnement laisse toujours dans l’ombre.<br />

a) Des disciplines sociologiquement proches<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Examinons d’abord les proximités sociologiques entre psychologie et sociologie au<br />

point de vue de leur place dans l’université. Qu’il s’agisse <strong>des</strong> enquêtes d’insertion du<br />

CEREQ (Charlot, 1989 ; Martinelli, 1994) ou du discours de certains enseignants 28 , les deux<br />

disciplines sont souvent présentées comme <strong>des</strong> "sœurs jumelles", <strong>des</strong> produits typiques de<br />

l’université de masse qui susciteraient un faible investissement de la part de leurs étudiants,<br />

davantage portés à préparer l’IUFM qu’à s’engager dans la voie professionnelle à laquelle<br />

elles préparent en théorie. On aurait donc affaire dans les deux cas à <strong>des</strong> disciplines « de<br />

passage » faiblement professionnalisées, abritant un « nouveau public étudiant » aux<br />

propriétés anomiques (faible investissement dans la vie étudiante, faible identification à la<br />

discipline ou au corps enseignant etc.). Les statistiques viennent en partie corroborer ce<br />

constat. La psychologie et la sociologie se situent dans le peloton de queue <strong>des</strong> disciplines<br />

universitaires du point de vue de la trajectoire scolaire antérieure de leurs étudiants. Ceux-ci<br />

accèdent en moyenne à l’université à un âge plus avancé que ceux <strong>des</strong> autres disciplines et<br />

proviennent souvent <strong>des</strong> filières les moins sélectives du lycée, notamment <strong>des</strong> voies<br />

technologiques tertiaires 29 . Il y a également, dans ces deux disciplines, un poids important <strong>des</strong><br />

DEUG par rapport aux second et troisième cycle : la moitié environ <strong>des</strong> étudiants arrêtent<br />

leurs étu<strong>des</strong> à ce niveau et ne deviendront donc jamais de "vrais" sociologues ou<br />

psychologues.<br />

27 Voir sur cette question BOURDIEU (1972)<br />

28 Voir par exemple CIBOIS (1998, p. 4) : « La venue en sociologie (ou en psychologie) est possible pour tout<br />

bachelier qui n’a pas pris de filière sélective (…) La sociologie se trouve en première ligne pour l’accueil de<br />

ceux qui n’ont guère trouvé de place plus prestigieuse dans une université de masse ».<br />

29 Voir sur ce point le graphique III-2 (annexe 3) établi à partir <strong>des</strong> sortants de premier, deuxième et troisième<br />

cycle de l’enquête « Génération 98 » (Céreq).<br />

337


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’insertion sur le marché du travail s’effectue également dans les deux cas dans <strong>des</strong><br />

conditions difficiles, comme en témoigne le graphique 10 (infra) qui présente deux<br />

indicateurs d’insertion tirés de l’enquête « Génération 98 » du CEREQ 30 . On a porté en<br />

abscisses la part d’étudiants de second cycle (licence et maîtrise) ayant connu une période de<br />

chômage cumulé supérieure à six mois au cours <strong>des</strong> deux années ayant suivi leur sortie de<br />

l’université et en ordonnées le pourcentage d’accès à <strong>des</strong> emplois de cadre au terme de la<br />

même période. Sur ces deux axes, la psychologie est dans une situation tout aussi défavorable<br />

que la sociologie et se place loin derrière les disciplines scientifiques (mathématiques, chimie,<br />

physique), techniques (gestion, informatique…) ou littéraires (histoire, géographie, lettres,<br />

langues) pour lesquelles existent d’importants débouchés dans l’enseignement secondaire. Les<br />

difficultés rencontrées par les psychologues et sociologues lors de l’insertion sur le marché du<br />

travail sont souvent rapportées au « manque de professionnalisation » <strong>des</strong> deux disciplines,<br />

qui ne conduiraient pas à <strong>des</strong> débouchés-types. Les formations sont accusées d’être trop<br />

théoriques, et insuffisamment articulées aux deman<strong>des</strong> du marché du travail.<br />

Accès à <strong>des</strong> emplois de cadres (%)<br />

Graphique 10 Insertion <strong>des</strong> étudiants issus de licence et maîtrise dans différentes disciplines<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

Philo<br />

Chimie<br />

Eco.<br />

Sci. po Bio.<br />

Linguistique<br />

Droit<br />

Physique<br />

Sc. éduc<br />

Langues<br />

His toire Lettres<br />

AES<br />

Géo.<br />

Gestion<br />

Informatique<br />

Maths<br />

STAPS<br />

10<br />

Psycho<br />

Socio<br />

LEA<br />

0<br />

60 65 70 75 80 85 90 95<br />

% de diplômés ayant connu moins de 6 mois de chômage (cumulé) au cours <strong>des</strong><br />

deux années suivant l'obtention du diplôme.<br />

Source : enquête « Génération 98 », Céreq<br />

30 L’échantillon porte sur 4847 diplômés sortant de licence et de maîtrise.<br />

338


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ces similitu<strong>des</strong>, qui font de la psychologie et de la sociologie <strong>des</strong> "compagnons<br />

d’infortune" dans l’université de masse ne doivent pourtant pas masquer les profon<strong>des</strong><br />

différences entre les deux disciplines.<br />

D’une part, si le constat d’un manque de professionnalisation comporte certainement<br />

une part de vérité dans le cas de la sociologie, qui n’est pas organisée pour conduire ses<br />

étudiants en dehors de la carrière universitaire 31 , il ne devrait pas être exagéré en ce qui<br />

concerne la psychologie dans la mesure où à partir du niveau bac +5, une part conséquente<br />

<strong>des</strong> diplômés accèdent rapidement à <strong>des</strong> emplois supposant la mise en œuvre de compétences<br />

psychologiques acquises en cours de formation, même si ce n’est pas toujours dans <strong>des</strong><br />

emplois de "vrais psychologues". Plutôt que de définir a priori <strong>des</strong> « métiers » de<br />

psychologues ou de sociologues, nous avons cherché à observer à partir de l’enquête<br />

« Génération 98 » (Céreq) la dispersion <strong>des</strong> emplois occupés à partir du niveau bac +5 dans<br />

l’une ou l’autre de ces disciplines, en partant de l’idée que le degré de concentration <strong>des</strong><br />

emplois occupés à la sortie de l’université est un bon indicateur de « professionnalisation »<br />

d’une discipline. Appliqué aux sortants de DESS, DEA ou doctorat de psychologie, cet<br />

exercice révèle que 53% <strong>des</strong> diplômés se trouvent réunis dans trois PCS : « Psychologues,<br />

psychothérapeute, psychanalystes » (37,33%) ; « Psychologues spécialistes de l’orientation<br />

scolaire et professionnelle » (9,33%) ; « Cadres spécialistes du recrutement » (6%). Le même<br />

exercice appliqué à la sociologie révèle une professionnalisation nettement moindre dans la<br />

mesure où pour atteindre le même « score » de 53% il faut rassembler 11 PCS différentes, les<br />

trois premières 32 ne permettant que de réunir 23% de la population :<br />

Tableau 26 Part de diplômés trouvant un emploi dans<br />

l’une <strong>des</strong> PCS suivantes au niveau bac +5 et ><br />

PSYCHOLOGIE<br />

SOCIOLOGIE<br />

PCS % PCS %<br />

3114 37,3 3721 10,9<br />

3433 9,3 3415 6,8<br />

3722 6 3421 5,4<br />

3727 5,4<br />

3316 4,1<br />

4227 4,1<br />

4332 4,1<br />

31 PIRIOU, 1999<br />

32 Les trois PCS qui viennent en tête pour la sociologie sont les « cadres d’étu<strong>des</strong> économiques, financières et<br />

commerciales » (PCS 3721), les « enseignants du supérieur » (3415) et les « chercheurs de la recherche<br />

publique » (3421).<br />

339


5214 4,1<br />

3744 2,7<br />

3828 2,7<br />

4211 2,7<br />

TOTAL 52,7 53<br />

Source : Enquête « Génération 98 », Céreq<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Contrairement à la sociologie, la psychologie a organisé <strong>des</strong> cursus fortement<br />

intégrés jusqu’au DESS : l’accès à ce diplôme est en effet réservé aux seuls étudiants<br />

titulaires d’une licence et d’une maîtrise de psychologie et ayant obtenu une bonne mention à<br />

leur maîtrise. Le DESS s’obtient le plus souvent en formation initiale, dans la poursuite<br />

directe de la maîtrise : ainsi, seuls 8,2 % <strong>des</strong> psychologues de notre échantillon ont obtenu<br />

leur DESS après l’âge de 30 ans. Les DESS de sociologie 33 présentent un profil nettement<br />

différent puisque <strong>des</strong> étudiants venus d’autres disciplines peuvent y accéder presque à tous les<br />

niveaux. Ceci est plus particulièrement vrai <strong>des</strong> étudiants de troisième cycle, qui ont été<br />

fréquemment formés dans d’autres disciplines, ce qui rend particulièrement difficile<br />

l’élaboration d’une culture professionnelle commune. Comme le soulignait Charles Soulié en<br />

1998, « (…) le fait qu’une majorité d’étudiants du DESS de sociologie soit en reprise d’étu<strong>des</strong><br />

et vienne de l’extérieur de la discipline n’est pas sans poser <strong>des</strong> problèmes d’acculturation à la<br />

sociologie et explique leur rapport souvent très problématique à la "théorie" ». Un tel mode<br />

d’entrée en sociologie, qui se rapproche à bien <strong>des</strong> égards d’une logique de formation<br />

continue, donne naissance à <strong>des</strong> identités "hybri<strong>des</strong>", la sociologie étant une spécialité que<br />

l’on vient souvent acquérir en complément d’une autre formation.<br />

Une dernière différence notable entre sociologie et psychologie tient à leur inégale<br />

mixité. Alors que la psychologie accueille une très forte majorité de femmes (la part <strong>des</strong><br />

femmes atteint 83 % sur l’ensemble <strong>des</strong> trois cycles universitaires) la représentation <strong>des</strong> deux<br />

sexes est relativement équilibrée en sociologie (environ un tiers <strong>des</strong> étudiants sont <strong>des</strong><br />

hommes). Plus l’on avance dans le cursus universitaire, plus les femmes sont présentes en<br />

psychologie, tout au moins jusqu’au niveau du DESS. On trouve en revanche une proportion<br />

nettement plus importante d’hommes dans les filières « recherche » (DEA et doctorat). Ces<br />

choix s’expliquent en partie par l’origine <strong>des</strong> étudiants dès le DEUG : les hommes viennent<br />

plus souvent <strong>des</strong> baccalauréats scientifiques 34 , ce qui les prépare mieux aux exigences<br />

33 Bien que la DEP recensait 1170 étudiants inscrits en DESS de sociologie en 2002, peu de DESS s’affichent<br />

ouvertement dans cette discipline. Les intitulés <strong>des</strong> DESS en question font rarement apparaître la mention<br />

sociologie.<br />

34 En DEUG de psychologie, 28% <strong>des</strong> garçons proviennent d’un bac « S » ; c’est le cas de seulement 17% <strong>des</strong><br />

filles.<br />

340


scientifiques <strong>des</strong> filières recherche. C’est l’inverse qui se joue pour la sociologie, puisque la<br />

proportion d’homme se renforce tout au long du cursus avec l’arrivée d’étudiants issus<br />

d’autres filières aux cycles les plus avancés.<br />

Tableau 27 - Proportion d’hommes inscrits en étu<strong>des</strong> de psychologie et sociologie en<br />

2002 (en %)<br />

DEUG LICENCE MAITRISE DEA DOCTORAT DESS<br />

Psychologie (1) 15,4 14,0 13,8 28 32,8 13,7<br />

Sociologie (2) 28,9 32,7 34,1 44 47,9 34,9<br />

(2) / (1) 1.9 2.3 2.5 1.6 1.5 2.6<br />

Source : MEN-DEP, Effectifs étudiants inscrits<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La seule surreprésentation statistique <strong>des</strong> femmes en psychologie ne saurait toutefois<br />

suffire à la définir comme une discipline "féminine". Les stéréotypes qui alimentent les<br />

représentations de la profession y contribuent aussi. La psychologie apparaît en effet comme<br />

une discipline permettant la mise en œuvre de qualités « typiquement féminines »<br />

d’accompagnement, d’écoute, d’aide, d’empathie etc. Le public tend ainsi à placer le travail<br />

du psychologue dans le prolongement de la fonction nourricière et réparatrice de la mère,<br />

conformément à l’image "clinique" de la profession qui prédomine en France. Une rapide<br />

comparaison avec les Etats-Unis – où l’expertise scientifique du psychologue est davantage<br />

mise en avant que ses capacités relationnelles ou "empathiques" – montre une plus<br />

grande mixité professionnelle : en 1996, la part de femmes sortant du niveau bachelor<br />

(équivalent à notre premier cycle), master (second cycle) et PhD (troisième cycle) était<br />

respectivement de 72,9 %, 69,6 % et 63,1 % soit une féminisation bien moindre qu’en France.<br />

Si une partie de ces différences doivent être rapportées au statut social du psychologue, plus<br />

valorisé aux Etats-Unis qu’en France, elles ne sont pas non plus sans lien avec l’image de la<br />

profession qui domine dans l’esprit du public en France. La sociologie apparaît à l’inverse<br />

comme une discipline plutôt masculine, se situant du côté de l’objectivation <strong>des</strong> phénomènes<br />

plus que de leur subjectivation, du politique plus que du domestique.<br />

Le sociologue ne saurait toutefois se satisfaire du constat que la psychologie est une<br />

profession "typiquement féminine", ce qui reviendrait simplement à naturaliser le phénomène.<br />

Les étu<strong>des</strong> de genre (Arborio, Angeloff, 2002) ont en effet montré qu’il était plus pertinent de<br />

s’interroger sur les mécanismes de reproduction de la différence de genre au sein même de<br />

ces professions féminines ou masculines plutôt que d’aborder la question de manière statique.<br />

Une étude fine de la psychologie révèle ainsi que les segments qui la composent sont investis<br />

de façon différenciée par les hommes et les femmes : si la psychologie clinique ou la<br />

psychologie scolaire sont <strong>des</strong> bastions féminins (88 % de femmes), la psychologie du travail<br />

341


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

apparaît comme une spécialité relativement plus « masculine » (78 % de femmes) 35 . Le<br />

questionnaire met également en évidence le fait que le sexe exerce une influence très nette sur<br />

le type d’emploi occupé par les diplômés en psychologie du travail. Les femmes se retrouvent<br />

plus souvent dans l’insertion, l’accompagnement vers l’emploi ou le travail social, qui<br />

supposent un contact prolongé et un accompagnement <strong>des</strong> personnes alors que les hommes<br />

sont davantage représentés parmi les consultants et les cadres <strong>des</strong> ressources humaines en<br />

entreprise, où ils perçoivent également <strong>des</strong> salaires plus élevés. Peut-être faut-il voir, là<br />

encore, une caractéristique typique <strong>des</strong> carrières d’hommes dans les métiers de femme : plus<br />

qu’ailleurs, la différence entre les sexes se reproduit au sein de ces métiers à travers <strong>des</strong><br />

profils de carrière différenciés. Précisément parce que le fait d’être un homme est une<br />

ressource « rare » dans ces professions, elle peut être plus facilement valorisée dans <strong>des</strong><br />

fonctions où l’on attend <strong>des</strong> compétences socialement étiquetées comme « masculines » (la<br />

disponibilité, notamment, dans les professions de consultants ou les capacités de<br />

commandement dans celles de ressources humaines) 36 .<br />

b) Les catégories d’analyse du sociologue à l’épreuve de celles du<br />

psychologue<br />

Examinons à présent les proximités épistémologiques entre sociologie et<br />

psychologie. Ces disciplines participent tous deux du domaine étendu <strong>des</strong> "sciences<br />

humaines" et sont portées à produire <strong>des</strong> explications "rationnelles" <strong>des</strong> comportements<br />

individuels ou collectifs. Le sociologue peut donc difficilement entretenir avec la psychologie<br />

la même relation d’extériorité qu’avec <strong>des</strong> professions plus éloignées de son expérience<br />

commune telles que les médecins, les juristes ou les <strong>ingénieurs</strong>. Il avance sur un terrain où la<br />

positivité de son savoir est fréquemment mise à l’épreuve par les intéressés, qui s’estiment<br />

tout aussi légitimes que lui à produire un discours neutre et distancié sur leur profession.<br />

Certains entretiens tournent ainsi à la confrontation, où les vertus respectives de la sociologie<br />

et de la psychologie sont âprement débattues. Le sociologue se trouve alors dans la délicate<br />

position d’être à la fois observateur et partie, dans la mesure où les principes d’explication<br />

qu’il avance sont partiellement mis en concurrence – sur un plan théorique et non seulement<br />

35 Il y a de ce point de vue une continuité frappante entre les résultats de notre propre enquête et l’enquête de<br />

1965 mentionnée plus haut (GEPUP, 1967) qui faisait apparaître la même division sexuée par spécialité.<br />

36 Voir cette remarque faite par l’un <strong>des</strong> psychologues en cours d’entretien : « Moi j’ai une chance dans mon<br />

métier, c’est que je suis un homme. Alors c’est vrai pour les psychologues du travail, mais aussi pour les<br />

psychologues en général, le fait d’être un homme c’est un sacré avantage, parce qu’il y a 10 % de mecs… Du<br />

coup on est très recherchés ! » (entretien n°21).<br />

342


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

pratique – avec ceux du groupe étudié. Nous avons ainsi été amenés à discuter à plusieurs<br />

reprises le point de vue d’enquêtés qui estimaient que la psychologie souffrait d’un déficit de<br />

statut sur le marché du travail en raison de "l’individualisme forcené" <strong>des</strong> psychologues, qui<br />

les empêchait de s’engager dans toute forme d’action collective 37 . Une telle explication, qui<br />

est en grande partie contredite par les faits (les psychologues ont par exemple fait preuve<br />

d’une capacité bien plus grande que les sociologues à s’organiser collectivement), ne saurait<br />

satisfaire entièrement le sociologue qui refuse de voir dans <strong>des</strong> dispositions individuelles le<br />

seul principe d’explication <strong>des</strong> phénomènes sociaux.<br />

Ces difficultés sont redoublées lorsque l’on s’intéresse à ce segment particulier de la<br />

profession que constituent les psychologues du travail. A la différence <strong>des</strong> cliniciens ou <strong>des</strong><br />

expérimentalistes, ils ont en général acquis lors de leur formation de soli<strong>des</strong> bases en<br />

sociologie (notamment en sociologie du travail et <strong>des</strong> organisations) et sont par conséquent<br />

enclins à formuler <strong>des</strong> conseils ou <strong>des</strong> avertissements au sociologue qui cherche à objectiver<br />

leur position. Une telle situation s’est présentée à maintes reprises au cours <strong>des</strong> entretiens,<br />

notamment auprès d’universitaires ou de psychologues menant parallèlement une activité de<br />

chercheurs et de praticiens. Ainsi, certains psychologues de l’AFPA désapprouvèrent <strong>des</strong><br />

analyses que j’avais formulées dans un texte portant sur l’évolution de la profession de<br />

psychologue dans cet organisme et demandèrent que l’objet du litige ne soit plus accessible en<br />

ligne. Un autre, "spécialiste en sondage", formula <strong>des</strong> réserves sur la construction du<br />

questionnaire, dont certaines questions étaient jugées trop orientées 38 . Un universitaire me fit<br />

enfin remarquer que la diffusion d’un questionnaire par le biais d’un syndicat professionnel<br />

« était contraire à la déontologie du sociologue », qui doit se maintenir dans une position de<br />

pure d’extériorité.<br />

Malgré ces nombreux points communs entre ces deux disciplines, il n’est nul besoin<br />

de remonter jusqu’à Durkheim pour s’apercevoir à quel point divergent la sensibilité du<br />

psychologue et celle du sociologue. De façon presque caricaturale, le sociologue ne peut<br />

s’empêcher d’éprouver un réflexe professionnel de méfiance à l’égard du discours véhiculé<br />

par certaines <strong>des</strong> personnes interrogées et du peu de cas qu’elles font <strong>des</strong> explications que, lui,<br />

37 Voir par exemple le point de vue de cette psychologue (entretien n°23) :<br />

Q : Il y a <strong>des</strong> syndicats de psychologues du travail dans la région ?<br />

R : A ma connaissance non. Mais même au niveau national je crois pas qu’il y en ait beaucoup. Mais ils sont pas<br />

très collectifs non plus les psychos… C’est la tendance plutôt individualiste. Moi même au début quand ça allait<br />

pas j’avais tendance à me renfermer, à me remettre en cause moi-même… J’ai fait <strong>des</strong> thérapies <strong>des</strong> machins…<br />

On dit plutôt : « si tu t’en sors pas c’est ton problème… Pose toi <strong>des</strong> questions sur toi… »<br />

38 Ainsi, il me fut reproché d’interroger uniquement les personnes sur « ce qui leur déplaisait le plus dans leur<br />

travail » sans poser la question inverse.<br />

343


serait tenté de placer au premier plan. Lors d’entretiens menés avec <strong>des</strong> psychologues<br />

travaillant dans le secteur de l’insertion, de l’orientation, ou du bilan professionnel, il est<br />

souvent apparu que ces derniers adhéraient à un schéma libéral plaçant au premier plan<br />

l’"autonomie" et la liberté <strong>des</strong> individus, là où le sociologue s’attacherait davantage à montrer<br />

les déterminismes du marché du travail et les dangers de renvoyer la question du chômage et<br />

de l’insertion à <strong>des</strong> dimensions strictement individuelles. Cet entretien avec une psychologue<br />

travaillant dans un organisme d’orientation professionnelle vient corroborer cette réticence<br />

<strong>des</strong> psychologues à prendre en compte les dimensions collectives et leur souci de davantage<br />

se centrer sur les expériences subjectives <strong>des</strong> individus :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Q : Quels outils utilisez-vous pour émettre un diagnostic sur un demandeur<br />

d’emploi ?<br />

R : Alors je vous dirais que l’outil c’est moi ! C’est l’entretien qui permet de…<br />

C’est votre connaissance du fonctionnement humain qui fait que vous savez qu’il<br />

peut y avoir ou un frein psychologique ou autre chose. Si vous voulez, moi ce qui<br />

m’effraie dans ce traitement un peu de masse, c’est qu’on donne les mêmes conseils,<br />

qu’on traite de la même manière <strong>des</strong> gens qui ont <strong>des</strong> problématiques complètement<br />

différentes. Si vous voulez, il y a <strong>des</strong> gens qui ont besoin d’être encouragés, et puis<br />

il y a <strong>des</strong> gens à qui il faut mettre <strong>des</strong> limites. Et si c’est pas un psycho qui le fait<br />

ou… Si le psycho le fait pas, c’est fini ! Ca veut dire qu’une fois de plus on traitera<br />

l’individu comme faisant partie d’un groupe et à ce groupe c’est comme ça qu’on<br />

fait… (…) Il me semble que à l’occasion d’une demande de formation, c’est aussi<br />

un moment où, sachant que c’est un psycho qui est en face d’elle, la personne peut<br />

aussi avoir l’occasion de se poser d’autres questions si vous voulez. Et moi c’est ça<br />

mon métier. Si la personne refranchit cette porte avec un sentiment d’échec ou en se<br />

sentant dénarcissisée, c’est que j’ai mal fait mon métier. Je veux dire que moi je<br />

peux pas me permettre de dire simplement c’est bon ou c’est pas bon. C’est pas ça<br />

mon métier. Je crois que c’est de faire en sorte d’être à l’écoute de la problématique<br />

de la personne… Problématique qu’elle peut vouloir m’amener ou ne pas vouloir<br />

m’amener… Par contre, je trouve que si quelqu’un a envie de me parler d’un<br />

problème etc… je suis là pour ça… (entretien n°30, femme, psychologue du<br />

travail à l’AFPA).<br />

L’apologie du "projet personnel", de la responsabilité individuelle, et le rôle joué par<br />

les psychologues dans la diffusion de ce discours aux tonalités libérales 39 ne peuvent laisser le<br />

sociologue totalement indifférent. Il risque alors de se positionner, là encore, à la fois comme<br />

juge et partie. Juge puisqu’il tente d’objectiver la position <strong>des</strong> personnes étudiées, partie<br />

puisque ses principes d’explication et d’analyse sont, par définition, aux antipo<strong>des</strong> de ceux<br />

qu’il étudie.<br />

La distance entre la sociologie et la psychologie prend également toute sa mesure<br />

lorsque l’on examine le rapport qu’entretiennent ces deux disciplines vis-à-vis de la pratique.<br />

Aux yeux du sociologue, les psychologues font figure de "cousins exotiques", qui n’hésitent<br />

39 Les liens entre le développement de la psychologie comme discipline universitaire et la rhétorique néo-libérale<br />

ont été étudiés par FRANK, MEYER et MIYAHARA (1995) dans une étude comparative portant sur 89 pays. Voir<br />

344


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

pas à quitter la sphère de la science pour s’engager sur le terrain glissant de la normativité,<br />

alors que les fondations épistémologiques de leurs savoirs ne sont guère plus assurées que les<br />

siens. La sociologie reste en effet avant tout attachée au modèle de la science, soucieuse de<br />

rigueur et refusant le plus souvent de se compromettre avec la pratique (Goode, 1960 ; Piriou,<br />

1999). Même lorsqu’ils se déclarent praticiens, peu de sociologues prétendent apporter <strong>des</strong><br />

"recettes" à <strong>des</strong> clients, ou alors ils sont jugés avec une certaine suspicion par leurs pairs. De<br />

surcroît, ces clients ne sont jamais <strong>des</strong> individus qui viennent les consulter pour résoudre un<br />

problème personnel et immédiat : il s’agit le plus souvent d’une clientèle institutionnelle,<br />

publique ou privée, qui sollicite une expertise respectant les canons du travail scientifique.<br />

Les psychologues, à l’inverse, sont aux prises permanentes avec la pratique et se caractérisent<br />

par une "mentalité de clinicien" (Freidson, 1984 [1970], p. 176). Les contingences d’une<br />

situation et le caractère inattendu de la rencontre, du dialogue avec un "client" (qui peut se<br />

nouer ou non) comptent davantage que les schémas théoriques sur lesquels ils s’appuient. Ils<br />

font preuve dans leur travail quotidien d’un certain pragmatisme, très éloigné de la rigueur<br />

<strong>des</strong> modèles produits par les chercheurs en psychologie. Même lorsqu’ils s’appuient sur <strong>des</strong><br />

schémas scientifiquement construits comme les tests, ils considèrent que ceux-ci doivent<br />

conserver une place de second rang par rapport à la contingence de la situation et la<br />

perception globale d’une personne singulière 40 .<br />

Il résulte de cette situation que le sociologue qui étudie l’activité <strong>des</strong> psychologues<br />

s’expose toujours au risque de la "surinterprétation", au sens où l’entend Lahire (1996), c’està-dire<br />

qu’il risque de projeter son propre rapport intellectuel à l’objet, et de perdre de vue<br />

l’engagement pratique <strong>des</strong> acteurs dans leur travail. Qu’il s’agisse d’une situation de<br />

recrutement, d’un bilan de compétence ou d’une entrée en formation professionnelle, le<br />

travail est avant tout vécu par les intéressés comme un bricolage, où se mêlent à la fois <strong>des</strong><br />

concepts psychologiques, <strong>des</strong> outils formalisés (les tests), une expérience professionnelle<br />

procédant par typification et un certain nombre de contingences. Même chez les praticiens les<br />

plus férus de théorie, c’est toujours un certain pragmatisme qui domine, comme le montrent<br />

les propos de cette psychologue :<br />

« Nous notre spécificité en tant que psychologues c’est d’envisager la personne dans<br />

son ensemble. Même si on sait que malgré tout on doit pas délirer avec elle. Au bout<br />

du compte il faut quand même lui trouver une solution. On doit se plier à certaines<br />

réalités et on est là pour ça aussi » (entretien n°19, femme, psychologue du travail<br />

à l’AFPA)<br />

également OTERO (2000) qui traite du cas particulier du Canada.<br />

40 Comme le soulignait une chargée de recrutement au cours d’un entretien : « Vous savez les tests ça n’a pas<br />

beaucoup d’importance… c’est juste un moyen pour prendre contact avec les gens ».<br />

345


Il y a donc parfois très loin du comportement effectif <strong>des</strong> acteurs étudiés aux<br />

dénonciations que le sociologue serait tenté de faire de la prégnance croissante de la<br />

psychologie dans le traitement <strong>des</strong> questions sociales, notamment du chômage. Peut-on<br />

confondre l’activité <strong>des</strong> psychologues avec le discours psychologique dans son ensemble ? De<br />

nombreux auteurs se sont risqués à franchir ce pas au mépris <strong>des</strong> matériaux empiriques<br />

recueillis 41 dans l’étude d’autres professions – notamment celle de médecin – dont le savoir<br />

était accusé d’exercer un contrôle disciplinaire sur les populations. Or, le décalage entre les<br />

présupposés d’une science et le registre pratique est le plus souvent tel qu’on ne saurait<br />

s’autoriser de telles interprétations.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

41 Les diatribes d’ILLICH (1975) contre la "Némesis médicale" ou de JOHNSON (1972) contre le pouvoir<br />

disciplinaire <strong>des</strong> médecins sont particulièrement illustratives de tels glissements interprétatifs entre le matériau<br />

empirique et l’analyse. Sur l’interprétation donnée par FOUCAULT (1975) du rôle <strong>des</strong> médecins dans la<br />

normalisation et la rationalisation de la société de la première moitié du XIX e siècle, voir les nuances apportées<br />

par LEONARD (1992 [1977]).<br />

346


B. LA « VOCATION DE PSYCHOLOGUE » : LES ETAPES DE LA SOCIALISATION<br />

PROFESSIONNELLE ET LES CONDITIONS D’ENTREE DANS LE METIER<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les recherches sur la socialisation professionnelle s’appuient en général sur le<br />

postulat que les professions se caractérisent par leur unité et leur cohésion. C’est vrai tout<br />

d’abord de la sociologie fonctionnaliste, qui voit dans les étapes de la socialisation<br />

l’inculcation d’un certain nombre de "valeurs" qui permettront au futur professionnel de<br />

remplir au mieux sa mission. L’université, gardienne <strong>des</strong> valeurs et <strong>des</strong> normes du groupe, a<br />

pour rôle de forger cet esprit commun que partageront l’ensemble <strong>des</strong> membres de la<br />

"communauté professionnelle" (Goode, 1957). Cette idée se retrouve aussi dans un certain<br />

nombre de recherches interactionnistes qui, tout en insistant davantage que les<br />

fonctionnalistes sur les mécanismes psychosociaux de conversion identitaire – à travers le<br />

concept de "carrière" – n’en conservent pas moins l’idée que les professions sont <strong>des</strong> groupes<br />

sociaux peu différenciés, marquant de leur empreinte <strong>des</strong> individus dépouillés de toutes<br />

propriétés sociales antérieures 42 . La socialisation est alors vue comme un ajustement<br />

temporaire à un nouveau rôle conduisant à adopter progressivement <strong>des</strong> manières de penser,<br />

de sentir et d’agir communes au groupe. Dans les deux cas, les auteurs s’attachent à mettre en<br />

évidence un "parcours-type" qui permet de produire un "professionnel-type", dont les<br />

propriétés peuvent être facilement circonscrites. Un tel schéma d’analyse, qui prend<br />

néanmoins chez les interactionnistes une forte tonalité critique, rejoint finalement le point de<br />

vue de toutes les forces sociales qui ont intérêt à présenter les professions comme <strong>des</strong> groupes<br />

cohérents et indifférenciés : principalement le corps enseignant, naturellement porté à mettre<br />

en avant la cohérence interne d’une discipline dont <strong>des</strong> principes identiques se déploieraient<br />

dans différents registres pratiques, mais aussi les associations professionnelles les plus<br />

puissantes, qui trouvent un profit symbolique ou politique dans l’unité de la profession.<br />

Compte tenu de ce qui a été dit précédemment <strong>des</strong> logiques multiples de<br />

segmentation de la profession de psychologue (entre psychologie clinique et expérimentale<br />

notamment, mais aussi en raison <strong>des</strong> différents statuts d’exercice de la profession) on<br />

comprendra qu’un tel schéma d’analyse soit peu adapté au cas qui nous préoccupe et que<br />

l’expression de « vocation de psychologue » doive être ici prise au second degré. Le vocable<br />

de la vocation suggère en effet qu’il existerait une seule manière de devenir psychologue. Il<br />

42 Un bon exemple de l’approche interactionniste <strong>des</strong> phénomènes de socialisation professionnelle apparaît dans<br />

les recherches de BECKER et CARPER (1956a et 1956b) sur les étudiants en physiologie, en philosophie et en<br />

ingénierie.<br />

347


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nous semble au contraire plus pertinent de montrer comment se construisent au cours <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> <strong>des</strong> mécanismes de différenciation qui poussent à s’orienter vers telle spécialité plutôt<br />

que telle autre. Cette approche suppose de dépasser les bornes <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de socialisation qui<br />

se limitent habituellement à la phase de formation initiale commune à tous les professionnels<br />

et d’y inclure d’une part le choix de la spécialité, qui survient à partir de la maîtrise et d’autre<br />

part la phase d’insertion professionnelle qui fait suite au DESS. Dans cette section, nous nous<br />

attacherons donc à montrer dans un premier temps comment on "devient psychologue", à<br />

travers les mécanismes d’acculturation à la nouvelle discipline – ou de résistance à cette<br />

acculturation – qui se produisent à l’université. Nous nous efforcerons ensuite de mettre en<br />

évidence les facteurs qui peuvent déterminer l’orientation vers la psychologie du travail, qui<br />

apparaît comme une spécialité relativement marginale par rapport à la culture dominante de la<br />

profession. Enfin, nous centrerons le dernier point de notre analyse sur la phase cruciale que<br />

constitue l’entrée dans le métier et les jeux identitaires autour de la revendication ou non du<br />

titre de psychologue dans les emplois occupés.<br />

1. Devenir psychologue : un choix par défaut ?<br />

Seul un petit nombre de personnes rencontrées en entretien déclare que leur<br />

orientation vers la psychologie a relevé d’un choix pleinement positif. Dans un grand nombre<br />

de cas, ils y sont venus par impossibilité d’accéder à un autre cursus, notamment <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

de médecine ou de science, ou alors <strong>des</strong> filières plus professionnalisées (BTS, IUT),<br />

inaccessibles au vu de leurs résultats scolaires du lycée 43 . La décision de s’inscrire en<br />

psychologie apparaît finalement comme la seule "raisonnable", une fois éliminées toutes les<br />

autres possibilités, comme le montre le cas de ce jeune psychologue qui travaille dans le<br />

service de recrutement d’une grande entreprise publique :<br />

Q : « Pourquoi vous êtes vous dirigé vers la psychologie ? »<br />

R : « Ben…. Par défaut… Je pouvais pas aller en IUT ni en BTS, ni en gran<strong>des</strong><br />

Ecoles. Fac de sciences c’était hors de question parce qu’il y avait trop d’heures de<br />

cours. Droit c’était hors de question à cause d’idéologies bêtes et méchantes<br />

lycéennes. Donc il restait Lettres. Lettres, ce que j’en connaissais, j’avais pas envie.<br />

Donc il me restait quoi ? La philo, la socio, la psycho. La philo j’en avais fait un an<br />

au lycée, ça me suffisait. La socio, je voyais pas trop les débouchés qu’il pouvait y<br />

avoir derrière. Donc je me suis dit : « je vais faire psycho ». Donc quand je dis….<br />

Par hasard… C’est vraiment un choix complètement par défaut. Je me serais<br />

retrouvé en socio, c’était pareil, quoi. » (entretien n°38, homme, chargé de<br />

recrutement dans une entreprise publique)<br />

43 Cette situation n’est pas nouvelle : dans une enquête précédemment citée, OLERON (1967) relevait déjà que<br />

« si leur choix n’avait pas été contraint », environ 70 % <strong>des</strong> étudiants en psychologie auraient poursuivi d’autres<br />

étu<strong>des</strong>.<br />

348


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Il arrive souvent que l’entrée en psychologie se fasse à la suite d’un échec dans une<br />

autre filière, notamment dans <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> médicales ou paramédicales (orthophonie,<br />

kinésithérapie) ou scientifiques (biologie). Les hommes et les femmes se distinguent<br />

nettement de ce point de vue : alors que 36 % <strong>des</strong> hommes de notre échantillon ont suivi<br />

d’autres étu<strong>des</strong> avant de se diriger vers la psychologie, c’est le cas de seulement 18 % <strong>des</strong><br />

femmes. Ces différences confirment bien que les trajectoires aux termes <strong>des</strong>quelles les<br />

hommes se dirigent vers cette profession socialement construite comme "féminine" se<br />

distinguent radicalement de celles <strong>des</strong> femmes : alors que pour ces dernières le choix de la<br />

psychologie est un choix de « premier ordre », s’inscrivant dans la continuité <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

secondaires, il est en général effectué par les hommes à la suite d’une rupture de trajectoire,<br />

ce qui suscite souvent une identification moindre à la profession et parfois une volonté de<br />

quitter au plus vite cette filière où ils sont entrés "par la force <strong>des</strong> choses".<br />

La faiblesse <strong>des</strong> « vocations » pour la psychologie est en grande partie corroborée<br />

par notre enquête statistique, qui révèle que seules 51 % <strong>des</strong> personnes interrogées se sont<br />

orientées vers la psychologie par intérêt intellectuel pour la discipline. De plus, lorsqu’elles<br />

sont évoquées, ces motivations relèvent davantage de la sphère personnelle (introspection,<br />

connaissance de soi…) que d’un véritable goût pour l’apprentissage d’une science ou d’un<br />

métier, témoignant d’un décalage important entre l’image que se font les jeunes étudiants de<br />

la psychologie et celle que cherchent à promouvoir les enseignants. Ainsi, un intérêt pour la<br />

psychanalyse freudienne, l’introspection ou « la connaissance de l’humain » est fréquemment<br />

placé au premier rang <strong>des</strong> motivations <strong>des</strong> étudiants :<br />

Q : « Pourquoi avez-vous choisi la psychologie ? »<br />

R : « Eh bien parce que depuis que je suis adolescente, depuis 12-13 ans, j’ai été<br />

intéressée par ce type de questions sur comment je fonctionnais entre l’image que je<br />

donnais et ce que je faisais réellement… Très vite je me suis interrogée là-<strong>des</strong>sus.<br />

(…) Bref bon voilà je voulais faire <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psycho pour mieux me connaître<br />

moi-même, les autres et ce qui se passait à ce niveau-là. Et je me suis dit quitte à<br />

faire <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> longues autant que ça me plaise et le métier on verra plus tard…<br />

Donc je suis allée vers la psycho. » (entretien n°23, femme, psychologue à<br />

l’AFPA)<br />

« Après le bac j’ai choisi la psycho parce que ça m’intéressait, … Essentiellement<br />

pour <strong>des</strong> raisons personnelles, je crois… Pour <strong>des</strong> raisons d’histoires d’adolescente<br />

et d’enfant qui n’avaient peut-être pas été très facile… Donc le domaine de la<br />

psycho me semblait quelque chose d’assez intéressant… » (entretien n°30, femme,<br />

psychologue à l’AFPA)<br />

« (…) mon choix de la psycho, c’est venu à l’issue du bac, avec la découverte du<br />

conscient et de l’insconscient, de Freud. Donc le goût, l’accroche, c’était plutôt la<br />

psycho clinique » (entretien n°5, femme, consultante en recrutement)<br />

349


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A l’opposé de cette attitude introspective, les enseignants sont portés à insister sur le<br />

caractère "scientifique" de leur discipline. Ils se montrent donc soucieux de leur rappeler<br />

qu’ils ne trouveront pas à l’université une réponse à leurs interrogations ou problèmes<br />

personnels, cette quête étant jugée peu compatible avec l’attitude scientifique et<br />

"professionnelle" 44 . La maîtrise <strong>des</strong> affects est en effet l’une <strong>des</strong> caractéristiques nécessaires à<br />

l’établissement d’une profession, comme l’a bien montré Parsons (1964), tout bon<br />

professionnel devant être capable de séparer clairement son "moi personnel" et son "moi<br />

professionnel". Cette perception biaisée de la discipline devra donc être corrigée par les<br />

enseignants en transmettant aux étudiants une image scientifique et professionnelle de la<br />

psychologie, d’où l’accent mis sur les enseignements de statistiques, de biologie et de<br />

physiologie dès le premier cycle universitaire, mais aussi sur ceux de déontologie, qui<br />

apprennent aux étudiants à adopter <strong>des</strong> normes de comportement professionnelles. Cet<br />

enseignant exprime ainsi le profond malentendu qui est à la source de l’affluence d’étudiants<br />

en psychologie : « Les étudiants débutants se font <strong>des</strong> idées fausses sur la psychologie<br />

moderne. C’est sans doute lié pour une bonne par à leur origine littéraire et à l’image inexacte<br />

de la psychologie dans la société. Le côté scientifique est inconnu et donc exclu.<br />

L’inexactitude est renforcée par la présentation souvent anachronique de la discipline par <strong>des</strong><br />

professeurs de philosophie formés à la psychologie introspective ou freudienne (…) les<br />

enseignants de psychologie ont le sentiment d’être confrontés plus souvent que ceux d’autres<br />

disciplines à <strong>des</strong> embarras dus à <strong>des</strong> excès de préoccupations personnelles de certains<br />

auditeurs » (Dufoyer, 1992, p. 116).<br />

Les entretiens révèlent <strong>des</strong> positions contrastées vis-à-vis <strong>des</strong> perspectives<br />

professionnelles. Pour certains − surtout les garçons − l’inscription en DEUG de psychologie<br />

apparaît souvent au départ comme une solution temporaire, transitoire, qui permet de<br />

repousser le moment où se décidera une véritable orientation de carrière. Il s’agit de passer un<br />

an ou deux en psychologie, « en attendant de passer les concours » ou d’affiner son projet<br />

professionnel :<br />

Q : « Qu’est-ce qui vous a conduit à faire <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie ? »<br />

R : « Alors la psychologie c’est vraiment un pur hasard ! Je savais pas du tout ce que<br />

ça voulait dire. J’y suis rentré complètement par hasard… J’avoue… j’avais pas de<br />

motivations, de projet professionnel. J’avoue même que je voulais faire une année,<br />

voire deux…. Mais j’avais pas du tout le projet de faire un DESS derrière… Ca c’est<br />

clair. » (entretien n°38, homme, chargé de recrutement chargé de recrutement<br />

dans une entreprise publique)<br />

44 Cette question partage bien entendu la communauté universitaire, mais même les cliniciens mettent en garde<br />

les étudiants qui viendraient chercher à l’université une réponse à leurs conflits intra-psychiques ou relationnels.<br />

350


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Aucun <strong>des</strong> hommes rencontrés en entretien n’a déclaré s’être orienté vers la<br />

psychologie dans l’espoir de devenir un jour "psychologue", au sens où l’entend le public –<br />

c’est-à-dire principalement "psychologue clinicien". Les motivations initiales sont davantage<br />

tournées vers <strong>des</strong> professions comme l’enseignement (concours de l’IUFM), le travail social<br />

(éducateur, animateur socioculturel) ou les ressources humaines en entreprise, avec l’idée que<br />

les connaissances acquises en psychologie pourront être valorisées d’une façon ou d’une autre<br />

dans ces emplois. Ces étudiants découvrent souvent avec surprise, en cours de DEUG que la<br />

psychologie n’est pas simplement synonyme de psychopathologie et qu’ils pourront mener à<br />

bien un autre projet professionnel dans le cadre de cette discipline.<br />

Les femmes affichent bien plus souvent que les hommes un projet professionnel lors<br />

de leur entrée en psychologie, même s’il est parfois formulé en termes vagues : « j’étais<br />

attirée par le côté clinique et pathologique » (entretien n°39, chargée de recrutement, 35 ans)<br />

; « je voulais aller jusqu’au DESS pour avoir vrai métier » (entretien n°19, psychologue,<br />

orientation professionnelle, 44 ans) ; « je me suis inscrite en psycho parce que quand on est au<br />

lycée on a plutôt l’image du psycho comme… l’aide… le côté patho quoi ». (entretien n°18,<br />

psychologue, orientation professionnelle, 40 ans). Ceci est particulièrement vrai <strong>des</strong><br />

personnes issues de milieux les plus mo<strong>des</strong>tes, qui déclarent avoir choisi la psychologie parce<br />

que contrairement à d’autres disciplines <strong>des</strong> Facultés de lettres – notamment la sociologie –<br />

elle était susceptible de déboucher sur de "vrais emplois", notamment dans le secteur sanitaire<br />

et social ou de la santé mentale :<br />

« En 1964, quand j’ai eu mon bac j’ai hésité entre psycho, philo et socio mais…<br />

Philo, je voulais pas être prof… J’avais l’impression qu’être prof c’était un peu<br />

rester à l’école… Socio il y avait vraiment pas du tout de débouchés, tandis que<br />

Psycho si… On avait une association d’étudiants et tout… Donc je suis rentrée en<br />

Psycho, en visant la clinique » (entretien n°30, femme, psychologue à l’AFPA).<br />

2. Le choix de la spécialité<br />

Quelles qu’aient été les raisons de leur choix initial, les étudiants affinent leurs<br />

catégories de perception au fur et à mesure qu’ils avancent dans le parcours universitaire. Il<br />

est particulièrement intéressant d’étudier cette transformation identitaire qu’évoquent la<br />

plupart <strong>des</strong> personnes interrogées, qui survient en général au cours de la première ou de la<br />

deuxième année du DEUG 45 . L’image homogène qu’ils se font de la psychologie éclate peu à<br />

peu et ils s’aperçoivent que celle-ci est composée de différentes spécialités dont ils ne<br />

45 Le choix d’une option survient en général au moment de la maîtrise, où les étudiants doivent choisir entre<br />

l’une <strong>des</strong> quatre gran<strong>des</strong> options suivantes : clinique, sociale/travail, éducation et expérimentale.<br />

351


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soupçonnaient pas l’existence au départ (psychologie sociale, scolaire, expérimentale etc.). La<br />

confusion entre psychologie et psychanalyse s’estompe également au fil <strong>des</strong> années et les<br />

étudiants tendent à percevoir la psychologie comme une science aux bases expérimentales,<br />

davantage que comme une simple pratique clinique 46 . Ce passage « de l’autre côté du miroir »<br />

(Hughes, 1956) concerne aussi bien les étudiants venus à la psychologie dans l’idée de<br />

devenir un jour de "vrais psychologues" que ceux qui y étaient entrés au terme d’une<br />

trajectoire scolaire plus sinueuse.<br />

Pour les personnes de la première catégorie, le choix d’une spécialité telle que la<br />

psychologie du travail, qui s’éloigne de l’image stéréotypée du métier, s’apparente à un<br />

abandon, parfois même à une trahison du projet initial davantage centré sur la psychologie<br />

clinique. Les raisons de ce retournement sont très diverses. Elles peuvent tenir dans certains<br />

cas à <strong>des</strong> difficultés personnelles que les personnes ne souhaitent pas aggraver en se dirigeant<br />

vers un métier qui les mettrait quotidiennement au contact de cas pathologiques. Ainsi cette<br />

psychologue, conseillère dans une mission locale évoque les "difficultés familiales" qui l’ont<br />

finalement détournée de la psychologie clinique :<br />

« Je crois que j’ai choisi la psycho du travail par lâcheté en fait…. Parce que plus de<br />

débouchés – ça c’est le niveau conscient – et puis parce que je crois aussi que j’avais<br />

pas envie d’aller plus loin en psycho clinique » (entretien n°6, femme, conseillère<br />

en mission locale)<br />

Q : « Le fait qu’il y ait plus de débouchés en psycho du travail a-t-il été un facteur<br />

déterminant de votre choix ? »<br />

R : « Non, c’est plutôt par comparaison <strong>des</strong> pratiques professionnelles de la psycho<br />

clinique et de la psycho sociale. Je me suis dit que j’étais pas faite pour être psycho<br />

clinicienne, que ça allait être trop engageant personnellement, ou trop dur… »<br />

(entretien n°8, femme, consultante en recrutement de cadres).<br />

Ce type de réponses apparaît également de façon récurrente dans les questions ouvertes du<br />

questionnaire, comme en témoigne cet échantillon de réponses obtenues à la question<br />

« Pourquoi ne vous êtes-vous pas orienté vers la clinique ? » :<br />

« je n'avais pas assez de vécu pour m'impliquer dans la thérapie. »<br />

« je n'avais pas envie de traiter <strong>des</strong> cas cliniques et souvent proches de la psycho<br />

patho. »<br />

« je ne me sentais pas prête à une telle profession. »<br />

« les étudiants qui s'orientaient vers cette filière n'étaient pas au clair avec eux<br />

mêmes. »<br />

46 Une enquête de FREIXA I BAQUE (1984) montre que l’auteur de psychologie considéré comme le plus<br />

important par les étudiants de première année est Freud, alors qu’en licence c’est Piaget qui vient en tête.<br />

352


« Je n’avais pas assez de maturité et de recul pour un cursus clinique. »<br />

La reconstitution d’itinéraires biographiques par les entretiens a également fait<br />

apparaître <strong>des</strong> motivations plus subtiles, qui peuvent expliquer la rupture avec la psychologie<br />

clinique. Dans certains cas, cette rupture survient à l’occasion d’un stage en milieu hospitalier<br />

ou auprès de publics en difficulté, qui font prendre conscience à la personne que "le métier<br />

n’est pas fait pour elle", car il demande un trop fort investissement personnel ; dans d’autres<br />

cas, c’est le contact avec un enseignant et la découverte d’une nouvelle branche de la<br />

psychologie qui peuvent s’avérer déterminants, comme dans le cas de cette chargée de<br />

recrutement, venue initialement à la psychologie dans l’idée de passer le concours de<br />

conseiller d’orientation et qui décide finalement de s’orienter vers la psychologie du travail :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Au départ je voulais être conseillère d’orientation donc… Passage obligé psycho.<br />

Donc je me lance là-dedans sans avoir vraiment, je dirais… D’attrait plus particulier<br />

que ça… J’avais un objectif mais… En fait, j’ai fait mon DEUG à Aix et… J’étais<br />

ravie d’avoir un prof qui – c’est souvent par un prof qu’on choisit ses options – M.<br />

Joule, en psychologie sociale. D’ailleurs après j’ai fait mon mémoire à Montpellier<br />

en maîtrise sur la théorie de l’attribution dont il parlait quand j’étais en DEUG. Tout<br />

ce qui était clinique etc. ça m’intéressait pas tellement. J’avais fait un passage en<br />

hôpital en boulot d’été et c’est vrai que c’est vraiment quelque chose qui me<br />

rebutait, donc j’avais mis ça de côté et c’est vraiment ce prof là qui m’a vraiment<br />

séduit, et moi je pensais pas vraiment aux débouchés après vu que j’étais vraiment<br />

dans ces histoires de concours. Moi c’est vraiment ça qui m’intéressait. Ensuite je<br />

suis partie après mon DEUG à Montpellier pour <strong>des</strong> raisons personnelles. Licence<br />

catastrophique parce qu’il y avait rien qui m’intéressait, j’ai failli abandonner ! On<br />

faisait très peu de sociale. Il y avait énormément de biologie et… Je savais plus ce<br />

que je faisais là. Maîtrise ensuite… je me suis dit, bon tu vas passer ton concours vu<br />

que t’as eu ta licence mais je suis quand même allée en maîtrise. Et en maîtrise j’ai<br />

eu comme directeur de mémoire M Louche qui travaille sur l’attribution, que j’avais<br />

vu en DEUG. En fait M Louche travaillait sur les théories de Joule et ça a fait "tilt",<br />

j’ai adoré travailler sur ces thématiques là et c’est reparti. Et c’est là le déclic que je<br />

me suis dit, je vais aller jusqu’au bout, je vais être psychologue du travail. Et ce qui<br />

a fait déclic, c’est le fait d’avoir eu un prof qui m’intéressait, le fait d’avoir fait un<br />

stage en même temps en cabinet en maîtrise. Deux jours par semaine. Je faisais<br />

passer <strong>des</strong> tests de recrutement, je faisais du bilan, du conseil, de l’outplacement…<br />

Enfin pas mal de choses » (entretien n°34, femme, chargée de recrutement en<br />

entreprise)<br />

Pour certaines personnes, l’image quelque peu romantique qui avait présidé au choix<br />

de la psychologie cède la place à <strong>des</strong> considérations plus matérielles, dès lors qu’il s’agit de<br />

trouver un "vrai métier". La rupture d’itinéraire est alors due à la prise de conscience <strong>des</strong><br />

difficultés d’insertion en psychologie clinique. Contrairement aux autres disciplines <strong>des</strong><br />

facultés de lettres où la question <strong>des</strong> débouchés est peu abordée, les étudiants de psychologie<br />

se tiennent régulièrement informés <strong>des</strong> perspectives de carrière dans leur domaine, au cours<br />

de discussions entre eux ou avec leurs enseignants, ou par le biais <strong>des</strong> associations étudiantes<br />

ou professionnelles. La question de l’absence de débouchés en psychologie clinique est un<br />

353


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

sujet de préoccupation constant qui peut conduire certaines personnes à se réorienter au<br />

moment du choix de l’option en maîtrise ou en DESS.<br />

On trouve un profil sensiblement différent chez les personnes qui n’avaient jamais<br />

envisagé de devenir un jour psychologues, et qui avaient choisi cette filière dans l’espoir<br />

d’arriver par <strong>des</strong> voies détournées à une autre profession. Celles-ci découvrent en général<br />

avec surprise que la psychologie ne correspond pas seulement à l’image qu’elles en avaient au<br />

départ et qu’elles pourront y trouver une orientation répondant à leurs attentes. L’acquisition<br />

d’une certaine technicité professionnelle – à travers l’apprentissage <strong>des</strong> tests – et l’usage <strong>des</strong><br />

outils mathématiques en psychologie différentielle apparaissent ainsi comme <strong>des</strong> gages de<br />

sérieux, qui s’opposent au caractère jugé trop abstrait, parfois même "fantaisiste", de la<br />

clinique. Ce jugement est davantage le fait <strong>des</strong> garçons que les filles, en raison certainement<br />

de leurs trajectoires scolaires antérieures. On l’a vu, les garçons qui se sont "réorientés" vers<br />

la psychologie au terme d’un échec dans une autre discipline viennent souvent de filières<br />

scientifiques (médecine, MASS, sciences) et sont également issus, plus souvent que les filles,<br />

de baccalauréats scientifiques 47 . La psychologie du travail est alors perçue comme une voie de<br />

sortie honorable, permettant de valoriser les connaissances acquises en sciences tout en<br />

faisant l’économie d’un changement de filière, qui devient de toute manière de plus en plus<br />

irréaliste au fil du temps. La trajectoire de ce psychologue de l’AFPA, venu à la psychologie<br />

après un échec en DEUG MASS illustre bien les mécanismes de cette "conversion"<br />

progressive à la psychologie du travail :<br />

« En fin de deuxième année je restais encore avec l’idée de faire qu’un DEUG de<br />

psycho et de voir après ce que je ferais. Peut-être prof de sport, comme je le voulais<br />

au départ. Et en fait à la fin de la deuxième année je me suis laissé emporter par les<br />

étu<strong>des</strong> parce que ça commençait à m’intéresser. Donc j’ai passé la licence. J’aime<br />

bien les aspects rigoureux, un peu méthodologiques etc. donc je me suis dit que ça<br />

pouvait être bien d’orienter soit en psycho du travail soit en psycho expérimentale.<br />

En fin de licence je me suis intéressé plus aux aspects ergonomie et j’ai fait ma<br />

maîtrise en psycho expérimentale sur un thème qui était l’interaction du texte et de<br />

l’image dans une interaction homme-machine. A la fin de la maîtrise je m’étais<br />

inscrit à la fois au DESS d’ergonomie cognitive et au DESS de psycho du travail.<br />

J’ai été pris dans les deux et finalement mon choix s’est porté sur le DESS de<br />

psycho du travail parce que je trouvais que le DESS d’ergonomie cognitive était un<br />

peu trop spécialisé et qu’il y avait un apprentissage de concepts théoriques assez<br />

pointus et pas faciles quoi » (entretien n°21, homme, psychologue à l’AFPA)<br />

47 40 % <strong>des</strong> hommes de notre échantillon sont titulaires d’un baccalauréat scientifique, ce qui n’est le cas que de<br />

20 % <strong>des</strong> filles (voir tableau IV-11 en annexe 4). Cette différence s’est maintenue à un niveau à peu près<br />

constant depuis le début <strong>des</strong> années 1980. Pour la période antérieure, la proportion de personnes issues de filières<br />

scientifiques chute à 20 % environ, la majorité provenant de baccalauréats littéraires. Notre enquête ne portant<br />

que sur une population spécifique on ne peut en tirer de conclusions générales quant à l’évolution du profil <strong>des</strong><br />

psychologues dans leur ensemble.<br />

354


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Au total, on voit donc qu’une étude de la socialisation professionnelle <strong>des</strong><br />

psychologues ne saurait se borner à la phase d’acculturation commune à l’ensemble de la<br />

profession et doit prendre en compte le moment du choix de la spécialité. La culture<br />

professionnelle mise en avant peut en effet se révéler très différente d’un segment à l’autre.<br />

On voit notamment se <strong>des</strong>siner dans les choix professionnels <strong>des</strong> étudiants une ligne de<br />

clivage importante entre psychologie clinique et psychologie du travail, qui conduit à <strong>des</strong><br />

pratiques professionnelles et à <strong>des</strong> conceptions du métier différentes : d’un côté l’écoute, la<br />

relation d’aide et un métier dans le "social" en général faiblement rémunéré ; de l’autre une<br />

expertise technique assise sur <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> scientifiques (les tests) et <strong>des</strong> perspectives de<br />

salaire nettement plus favorables, surtout pour ceux qui choisissent le secteur privé.<br />

La psychologie clinique occupant une position majoritaire dans la profession 48 le<br />

choix de la psychologie du travail s’inscrit toujours dans une forme de rupture vis-à-vis <strong>des</strong><br />

représentations dominantes du métier et vis-à-vis du reste de la communauté étudiante. On a<br />

essayé de montrer ici les trajectoires biographiques au terme <strong>des</strong>quelles de telles ruptures<br />

étaient possibles, notamment pour les personnes qui avaient initialement envisagé<br />

d’embrasser au départ une "vraie" carrière de psychologue. Une autre ligne de fracture qui<br />

serait intéressante à explorer est le choix entre la psychologie du travail et la psychologie<br />

expérimentale, laquelle est davantage tournée vers les carrières de la recherche que vers les<br />

carrières de praticiens. Cette étude conduirait certainement à mettre en lumière d’autres<br />

motivations et d’autres trajectoires chez les étudiants de psychologie expérimentale qui<br />

occupent une place minoritaire dans la profession 49 . L’engagement dans une spécialité précise<br />

ne se conclut toutefois pas avec la sortie de l’université et l’obtention du DESS : il se poursuit<br />

au cours <strong>des</strong> premières années d’expérience professionnelle comme nous allons le voir à<br />

présent.<br />

3. L’entrée dans le métier : le "social" ou l’entreprise ?<br />

Les recherches menées en France sur la relation entre formation et emploi ont<br />

souvent tendance à faire <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de formation et d’insertion deux phases bien distinctes,<br />

alors que les chevauchements entre ces deux moments sont nombreux, en raison notamment<br />

de la place croissante occupée par les stages ou les « petits boulots » dans les trajectoires<br />

48 Les effectifs d’étudiants inscrits en DESS de psychologie se répartissaient en 2001 de la façon suivante : 47 %<br />

en psychologie clinique, 16 % en psychologie du travail, 12 % en psychologie de l’enfant, 5 % en ergonomie<br />

(source : DEP-MEN).<br />

49 Le ratio DEA/DESS montre que les étudiants sont environ cinq fois plus nombreux à se diriger vers une<br />

carrière de praticien que vers une carrière académique (source : DEP-MEN)<br />

355


étudiantes. Des étu<strong>des</strong> plus fines montrent en réalité un continuum entre les dernières années<br />

d’étu<strong>des</strong> et l’entrée sur le marché du travail, surtout dans <strong>des</strong> filières très professionnalisées<br />

comme la psychologie où <strong>des</strong> stages de pratique professionnelle sont obligatoires dès la<br />

licence 50 . Cette période transitionnelle entre l’université et le monde du travail constitue un<br />

lieu d’observation privilégié de la structuration <strong>des</strong> identités professionnelles. La première<br />

expérience va en effet contribuer à façonner les représentations du métier et, dans le cas qui<br />

nous intéresse, à donner une orientation à la carrière soit dans le domaine du "social"<br />

(insertion, orientation de publics en difficulté, bilan…) soit dans le monde de l’entreprise<br />

(recrutement, ressources humaines). Pour <strong>des</strong> raisons de commodité, nous distinguerons ici la<br />

situation <strong>des</strong> étudiants en reprise d’étu<strong>des</strong>, qui ont déjà eu une activité professionnelle avant<br />

de s’inscrire en psychologie et celle <strong>des</strong> étudiants inscrits en formation initiale.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

a) Les étudiants en reprise d’étu<strong>des</strong><br />

L’enquête statistique fournit quelques données de cadrage sur ce premier point. Elle<br />

nous apprend que seul un petit nombre de répondants (14 %) ont eu une activité<br />

professionnelle avant d’entreprendre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie. Il s’agit le plus souvent d’un<br />

public d’adultes en formation continue, qui ont obtenu leur DESS après trente ans. Cette<br />

population se distingue <strong>des</strong> étudiants classiques sous bien <strong>des</strong> aspects : ce sont souvent <strong>des</strong><br />

hommes (50% contre 22 % dans l’ensemble de l’échantillon) et ils sont issus de milieux<br />

sociaux plus mo<strong>des</strong>tes que les autres étudiants. Leur activité antérieure avait souvent un lien<br />

avec la psychologie, dans le domaine sanitaire ou social (infirmiers psychiatriques, éducateurs<br />

spécialisés…) ou dans les ressources humaines. L’obtention d’un diplôme de psychologie<br />

apparaît alors comme un moyen d’obtenir une promotion sur leur poste ou de prendre une<br />

nouvelle orientation de carrière, comme dans le cas de cet ancien psychomotricien devenu<br />

directeur d’un cabinet de conseil en ressources humaines :<br />

« Après le bac, j’ai fait un diplôme de psychomotricien à la Salpêtrière, qui se faisait<br />

en trois ans. C’était purement du paramédical. Et donc c’était passionnant, mais je<br />

me suis aperçu que je n’avais pas une abnégation assez forte pour être bon làdedans…<br />

parce que vous voyez… c’est bien d’avoir un diplôme, c’est pas<br />

compliqué. Mais après, on bosse dans la clinique avec <strong>des</strong> gamins, ou <strong>des</strong> ados… ou<br />

<strong>des</strong> adultes… et on se doit de guérir, d’être thérapeute en quelque sorte. Et je me<br />

suis dit : « Non, je ne me sens pas là-dedans… C’est pas ton truc ! » Parce que je le<br />

ressentais comme le… Comment dire ? Comme le boulot de l’échec. C’est-à-dire<br />

que je bossais avec <strong>des</strong> psychotiques et je me disais : « Mais il y en a combien au<br />

total qui s’en sortent de cette histoire là ? Combien au total, à terme, s’en sortent ? ».<br />

50 Signalons toutefois que l’enquête « Génération 98 » du CEREQ permet de prendre en compte cette dimension<br />

puisqu’elle contient <strong>des</strong> informations détaillées sur l’expérience professionnelle acquise avant la fin <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>.<br />

356


Donc je me suis dit : « Non, non… il faut que ça cesse… Donc je vais pivoter et… »<br />

Comme j’avais découvert la psycho, en quelque sorte, je me suis dit : « Je vais faire<br />

un cursus de psycho »… mais pas sur la clinique évidemment, puisque c’était pas le<br />

but, et que sinon, j’aurais continué sur ce que j’avais fait, et j’ai donc fait ça en<br />

faisant psycho du travail, avec une mineure en expérimentale et avec un DESS à la<br />

clé » (entretien n°10, homme, directeur associé d’un cabinet de conseil en<br />

ressources humaines)<br />

Cette population a la particularité de choisir la psychologie en vue d’un objectif professionnel<br />

précis. Ils manifestent également une meilleure connaissance <strong>des</strong> différentes branches de la<br />

psychologie que les jeunes étudiants en raison de leur expérience professionnelle qui les a mis<br />

au contact de la discipline. Contrairement à certains <strong>des</strong> cas précédemment évoqués, ils ne<br />

placent donc pas leur choix de la psychologie sous le signe du hasard. Cette femme,<br />

auparavant secrétaire dans un cabinet de conseil en ressources humaines, explique ainsi<br />

qu’elle s’est inscrite en psychologie dans l’espoir de devenir consultante en recrutement :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Je suis arrivée en psycho du travail directement en fait… Ca a été mon choix dès<br />

le départ, j’ai choisi ce DESS pour pouvoir travailler dans le recrutement. Je dirais<br />

que je voulais un métier de contact d’une part, et d’autre part dans une relation<br />

d’aide… Et mon objectif était de faire du recrutement, dès que je suis rentrée en 1 ère<br />

année… Donc l’objectif d’entrée c’était de faire psycho du travail… En aucun cas je<br />

n’aurais fait psycho clinique par exemple… Je voulais travailler dans le domaine <strong>des</strong><br />

RH. » (entretien n°31, femme, psychologue à l’AFPA)<br />

b) Les étudiants en formation initiale<br />

Pour les étudiants inscrits en formation initiale, la représentation du monde<br />

professionnel et <strong>des</strong> perspectives de carrière est forgée par les échanges entre étudiants et le<br />

discours <strong>des</strong> enseignants. Ces derniers tendent parfois à produire une vision biaisée de la<br />

réalité professionnelle en manifestant une confiance excessive dans la valeur marchande du<br />

titre et <strong>des</strong> compétences professionnelles <strong>des</strong> psychologues. Etant eux-mêmes les gardiens<br />

d’un édifice théorique, ils sont disposés à croire qu’il existe une forte demande sociale pour<br />

leur discipline et que l’ensemble de ses applications présente un visage cohérent. Ils placent<br />

l’avantage compétitif de leurs diplômés dans la maîtrise <strong>des</strong> tests et la capacité à mettre en<br />

place <strong>des</strong> épreuves de recrutement "sérieuses", d’où l’accent mis sur les cours de<br />

psychométrie et de statistiques dans la formation, à l’instar de ce directeur de DESS :<br />

« Moi ma stratégie est la suivante : le champ de la psychologie du travail est un petit<br />

peu mou, est exposé au contact d’autres gens qui ont exercé les mêmes fonctions de<br />

chargés de recrutement mais avec <strong>des</strong> logiques différentes, alors ma stratégie c’est<br />

de dire : « quel est le plus du psychologue ? » Le "plus" du psychologue c’est dans<br />

l’évaluation <strong>des</strong> adultes, de mettre en œuvre <strong>des</strong> outils qu’il contrôle bien, avec un<br />

savoir faire dans la mise en œuvre, <strong>des</strong> qualités d’interprétation <strong>des</strong> résultats, <strong>des</strong><br />

capacités à mettre en relation les résultats à un test avec un entretien… Pour moi la<br />

357


valeur ajoutée est là » (entretien n°58, directeur de DESS de psychologie du<br />

travail)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Pourtant, comme on l’a vu précédemment, les psychologues du travail ont de gran<strong>des</strong><br />

difficultés à imposer leurs outils d’évaluation et leur technicité sur le marché du travail, les<br />

entreprises préfèrant souvent recourir à <strong>des</strong> outils moins complexes, moins longs à mettre en<br />

œuvre et surtout moins coûteux. Certains gros cabinets de recrutement créent eux-mêmes <strong>des</strong><br />

tests de personnalité "maison" avec l’aide de psychologues, mais <strong>des</strong>tinés à être mis en œuvre<br />

par <strong>des</strong> non-psychologues. Une évolution similaire voit le jour dans les deux principales<br />

maisons d’édition de tests françaises (EAP et ECPA) depuis une dizaine d’années. Alors que<br />

celles-ci avaient jusqu’alors réservé la vente de leurs tests aux titulaires d’un diplôme de<br />

psychologie, elles ouvrent désormais leur catalogue aux non-psychologues afin d’élargir leur<br />

marché. Le directeur de l’une de ces maisons explique que l’augmentation de la demande de<br />

tests par les professionnels <strong>des</strong> ressources humaines l’a amené à emprunter cette voie :<br />

« Aujourd’hui, les tests sont beaucoup plus utilisés pour <strong>des</strong> populations d’employés<br />

ou de cadres, en matière de recrutement, en matière d’orientation ou de bilan, et sans<br />

que ce soit lié directement à la santé ou à <strong>des</strong> situations de danger dans le travail. Et<br />

donc là on s’est éloignés du pôle santé pour se rapprocher d’un pôle GRH,<br />

évaluation, orientation, où là on se dit effectivement : « pourquoi aurait-on besoin de<br />

quelqu’un qui a ce parcours de 5 années centrées sur la psychologie, sur quelque<br />

chose de médical etc. » (…) Cette ouverture n’existait pas auparavant… Ici, on est<br />

en train de s’ouvrir. Mais c’est très récent, hein… Ca date d’il y a une année. Mais<br />

on est en train de le faire. Et effectivement, moi j’ai dirigé les établissements *** de<br />

90 à 95 et c’est moi qui ai mis au point les premières formations à <strong>des</strong> tests de<br />

personnalité <strong>des</strong>tinées à <strong>des</strong> non-psychologues, avec un test qui s’appelait le SOSIE,<br />

un test qui avait été produit par l’éditeur *** » (entretien n°11, directeur d’une<br />

maison d’édition de tests psychotechniques)<br />

Le monopole <strong>des</strong> psychologues du travail sur le domaine du recrutement apparaît<br />

donc très faible en raison de la concurrence qu’ils subissent de la part de personnes issues de<br />

formations en gestion, en économie ou en AES 51 . Ces problèmes sont à l’origine d’un<br />

décalage entre les représentations que se font les étudiants de leur avenir professionnel et la<br />

réalité de leur insertion. Les étudiants se représentent souvent leur avenir professionnel dans<br />

un cabinet de conseil en recrutement, parfois dans un service de personnel d’une grande<br />

entreprise, en tous les cas dans une activité en lien avec les ressources humaines et le monde<br />

de l’entreprise. Or, comme nous le verrons dans la section suivante les débouchés les plus<br />

importants se situent aujourd’hui davantage dans le "social" (insertion, orientation de publics<br />

en difficulté…) que dans le secteur privé, ce qui ne correspond pas toujours aux attentes <strong>des</strong><br />

51 Selon une enquête du principal syndicat <strong>des</strong> cabinets de recrutement (SYNTEC), 30 % <strong>des</strong> consultants en<br />

recrutement adhérant au cabinet ont une formation en psychologie. Les autres proviennent de formations en<br />

gestion ou d’autres sciences humaines (économie, sociologie) (source : www.syntec.fr). Ce chiffre est en nette<br />

358


étudiants. Certains diplômés évoquent ainsi l’image quelque peu idéalisée qu’ils ont reçu de la<br />

profession au cours de leur cursus :<br />

Q : « Comment décririez-vous l’esprit général de la formation dans le DESS ?<br />

Qu’est-ce qui était le plus valorisé par vos enseignants ? »<br />

R : « Oh, je dirais quand même que c’était d’être consultant… C’est mieux… Le<br />

consultant, le DRH dans les entreprises… Et je pense qu’on est plus formés à faire<br />

ça quand même… L’insertion c’était pas… (elle rit). Jusqu’à présent, l’insertion on<br />

ne savait pas ce que ça voulait dire dans le DESS. Quand on côtoie les demandeurs<br />

d’emplois, les RMIstes, on tombe d’assez haut quand même ! » (entretien n°31,<br />

femme, psychologue à l’AFPA).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Dans le DESS c’était plus "visée entreprise". Les intervenants du DESS c’était<br />

quand même plus <strong>des</strong> intervenants consultants en cabinet. Il y en a qui étaient passés<br />

par la fonction RH. Mais il y avait aucun RH qui travaillait en entreprise, et il y en<br />

avait aucun qui travaillait dans le champ de l’insertion. Donc c’est vrai qu’il y avait<br />

un discours très orienté entreprise. On se voyait déjà DRH costard-cravate, jeune<br />

cadre dynamique machin, et le psychologue avec le savoir suprême. Et puis on nous<br />

bourre le mou hein… Et ça a été une vraie claque dans la gueule. Ca a été une<br />

révélation » (entretien n°21, homme, psychologue à l’AFPA)<br />

« De par mon DESS et mon parcours, j’avais pas du tout pensé au champ de<br />

l’insertion au départ, parce que… C’était vraiment très centré sur les entreprises tout<br />

ce qu’on faisait : recrutement, audit… Les bilans de compétence c’était surtout <strong>des</strong><br />

bilans de salariés, donc le champ de l’insertion on l’a presque pas abordé du tout<br />

dans le DESS alors que c’est un champ très important. Mais je crois que le DESS<br />

s’est constitué très tôt en concurrence avec l’IAE et ce genre de choses et du coup le<br />

contenu était très calé là-<strong>des</strong>sus. Moi j’ai une collègue qui a fait le DESS avant moi,<br />

et elle disait que c’était encore pire à son époque parce que c’était vraiment l’époque<br />

<strong>des</strong> « golden boys » et tout ça et où il y avait une concurrence acharnée avec… Donc<br />

les stages c’était en entreprise, dans les cabinets de recrutement etc. et l’insertion<br />

était laissée de côté. Donc moi c’est vrai que les débouchés dans l’insertion je les ai<br />

découvert par la suite par l’intermédiaire <strong>des</strong> CIBC et puis dans la phase de<br />

recherche d’emploi. Et puis après à l’AFPA, j’ai encore découvert un autre pan de<br />

l’insertion que je ne saisissais pas du tout jusqu’alors » (Entretien n°23, femme,<br />

psychologue à l’AFPA)<br />

Cette situation tend toutefois à évoluer, les DESS ouvrant aujourd’hui leurs<br />

formations à de nouvelles disciplines. Après avoir été longtemps dominés par l’apprentissage<br />

<strong>des</strong> tests et l’acquisition <strong>des</strong> bases de la psychométrie, les enseignements universitaires n’ont<br />

pas résisté au mouvement de critique <strong>des</strong> tests <strong>des</strong> années 1970 et ont mis l’accent à partir de<br />

cette date sur la psychologie sociale ou <strong>des</strong> disciplines extérieures au champ de la psychologie<br />

comme l’économie, le droit du travail, la sociologie et, plus récemment, la gestion <strong>des</strong><br />

ressources humaines. Le programme du nouveau master de psychologie du travail mis en<br />

place à Paris V en remplacement du DESS insiste ainsi sur la nécessité que « le psychologue<br />

du travail ne soit pas relégué dans une fonction d’expertise technique et que lui soient aussi<br />

ménagées <strong>des</strong> perspectives d’évolution professionnelle. Dans ce but, le parcours offre <strong>des</strong><br />

formations à la gestion du personnel, administration, droit du travail…. L’objectif en est de<br />

diminution puisque selon l’enquête de BRUCHON-SCHWEITZER (1991) ils étaient 49 % en 1990.<br />

359


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

permettre au futur psychologue du travail d’acquérir une formation minimale dans <strong>des</strong><br />

domaines connexes mais indispensables pour lui… ». Cette ouverture aux sciences sociales et<br />

juridiques constitue indéniablement un atout pour les formations de psychologie du travail<br />

dans un contexte où les compétences attendues en recrutement ou ressources humaines sont<br />

de moins en moins purement techniques.<br />

Cette stratégie d’ouverture poursuivie par les DESS depuis une vingtaine d’années,<br />

qui vise à faire éclater les anciens cadres de la psychotechnique, soulève toutefois un certain<br />

nombre de difficultés. D’une part, les psychologues du travail ne disposent pas face aux<br />

employeurs <strong>des</strong> mêmes atouts que les diplômés d’écoles de commerce, de gestion ou de droit<br />

du travail. L’image de la psychologie est souvent perçue de façon négative, car elle apparaît<br />

comme une filière universitaire peu sélective, accueillant <strong>des</strong> étudiants qui n’ont pas "les<br />

pieds sur terre" alors que leurs concurrents directs, issus <strong>des</strong> écoles de commerce, <strong>des</strong> IAE 52<br />

ou <strong>des</strong> formations universitaires en gestion font valoir <strong>des</strong> compétences plus généralistes, tout<br />

en ayant reçu eux aussi <strong>des</strong> rudiments de psychologie au fil de leur cursus. Cette image<br />

dépréciée du psychologue dans l’entreprise est confirmée par le questionnaire, qui a amené les<br />

réponses suivantes à la question « Pensez-vous que l’image du psychologue du travail soit<br />

bonne en entreprise ? » :<br />

« Le psychologue a une image d'illuminé détaché <strong>des</strong> problématiques<br />

opérationnelles »<br />

« On nous reproche d'être trop éloignés du concret, du terrain »<br />

« Le psy est perçu comme déconnecté de la réalité économique »<br />

D’autres réponses insistent sur la confusion fréquente entre psychologue clinicien et<br />

psychologue du travail, qui tend à brouiller l’image du psychologue en entreprise :<br />

« Le mot psychologue fait peur, renvoie à une notion de pathologie »<br />

« Le terme de psychologue fait peur »<br />

« l'image en entreprise pâtit de l'image générale <strong>des</strong> psys »<br />

« l'image est mauvaise, nous sommes assimilés à <strong>des</strong> personnes qui maîtrisent<br />

uniquement l'utilisation et l'interprétation de tests ou qui gèrent <strong>des</strong> problèmes<br />

d'ordre clinique »<br />

« la psychologie du travail est la plupart du temps assimilée à la psychologie<br />

clinique »<br />

Les difficultés rencontrées par les diplômés de psychologie du travail sur le marché<br />

de l’emploi sont accrues par un manque de lisibilité de la discipline aux yeux <strong>des</strong> employeurs,<br />

360


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

qui tient à l’absence d’un consensus au niveau national sur la nature <strong>des</strong> savoirs à transmettre<br />

aux étudiants, en dépit <strong>des</strong> efforts de coordination <strong>des</strong> directeurs de DESS réunis au sein d’un<br />

réseau 53 . Certains DESS, comme Paris X, Paris V ou Grenoble mettent l’accent sur les<br />

enseignements de statistique et de psychométrie, qu’ils tentent de renouveler à partir <strong>des</strong><br />

progrès récents réalisés à l’étranger dans ce domaine (notamment aux Etats-Unis). Leurs<br />

étudiants se <strong>des</strong>tinent par conséquent à exercer principalement dans <strong>des</strong> fonctions de<br />

recrutement ou d’évaluation d’adultes correspondant au domaine d’activité traditionnel <strong>des</strong><br />

psychologues du travail. D’autres formations (Nantes, Rouen, Rennes, Lille, Psychoprat)<br />

insistent davantage sur les aspects de psychologie sociale et sur le diagnostic organisationnel,<br />

avec l’ambition de former <strong>des</strong> consultants en organisation ou <strong>des</strong> cadres généralistes <strong>des</strong><br />

ressources humaines, de la formation et <strong>des</strong> relations interpersonnelles dans les organisations.<br />

D’autres encore (Nancy, Paris VIII, Toulouse) placent leurs enseignements à la frontière de<br />

l’ergonomie et de la psychologie du travail, cherchant à orienter leurs étudiants vers <strong>des</strong><br />

métiers de recherche appliquée dans le domaine de l’analyse <strong>des</strong> conditions de travail, de<br />

l’analyse <strong>des</strong> systèmes socio-techniques ou de la conception d’outillages. D’autres formations<br />

sont enfin davantage tournées vers la psychodynamique et la psychopathologie du travail<br />

(CNAM) et ambitionnent de former <strong>des</strong> spécialistes de la gestion du stress et de la fatigue en<br />

entreprise. Ces différentes orientations se cristallisent dans l’appartenance à <strong>des</strong> réseaux de<br />

recherche différents. La principale association savante, l’AIPTLF (Association Internationale<br />

de Psychologie du Travail de Langue Française) cherche à promouvoir une psychologie<br />

sociale proprement « française », mais apparaît de ce fait peu ouverte aux travaux étrangers.<br />

Créée par Goguelin en 1978 dans le but de faire obstacle à l’emprise de l’anglais sur la<br />

psychologie du travail 54 , cette association édite une revue francophone (Psychologie du<br />

travail et <strong>des</strong> organisations) et organise régulièrement <strong>des</strong> congrès. L’association se<br />

caractérise par une faible ouverture en direction de l’ergonomie, de la psychologie<br />

différentielle et de façon plus générale en direction d’une psychologie trop formalisée ; elle<br />

est en revanche très tournée vers la sociologie, la psychosociologie et la recherche-action,<br />

dans la lignée <strong>des</strong> travaux de Goguelin. La principale concurrente de l’AIPTLF est l’ENOP<br />

(European Network of Work and Organizational Psychology), qui tente de promouvoir un<br />

renouveau de la psychologie différentielle à partir d’une analyse plus fine <strong>des</strong> processus<br />

52 Instituts d’Administration <strong>des</strong> Entreprises<br />

53 Un ouvrage portant sur les métiers de la psychologie du travail vient d’être publié par les membres de cette<br />

association, sous la direction de COHEN-SCALI (2004).<br />

54 Entretien n°49 avec Pierre Goguelin, ancien titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM et<br />

fondateur de l’AIPTLF.<br />

361


cognitifs à l’œuvre dans le travail. Les recherches présentées dans ce réseau apparaissent<br />

proches de la psychologie ergonomique (Jacques Leplat et Vincent Rogard en ont été les<br />

présidents) et mettent l’accent sur les dimensions cognitives. Pour cette raison, l’ENOP<br />

apparaît davantage tournée vers les standards internationaux de la discipline imposés par les<br />

revues américaines, qui commencent depuis quelques années à être repris par les commissions<br />

du CNRS et dans une moindre mesure par le Conseil National <strong>des</strong> Universités.<br />

Au total, tiraillée entre la psychologie sociale, l’ergonomie, la clinique et la<br />

psychométrie, la discipline semble aujourd’hui manquer d’un socle commun de compétences<br />

susceptible de clarifier son image aux yeux <strong>des</strong> employeurs, ce qui place indéniablement ses<br />

diplômés dans une position défavorable vis-à-vis de leurs concurrents.<br />

c) Les premiers pas dans la vie professionnelle<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le stage effectué pendant le DESS (d’une durée moyenne de trois mois) constitue<br />

une autre étape importante de la socialisation professionnelle. C’est en général à ce momentlà<br />

que se <strong>des</strong>sine une orientation de carrière entre le secteur de l’insertion et celui <strong>des</strong><br />

ressources humaines. L’examen <strong>des</strong> fonctions occupées pendant le stage 55 révèle que les<br />

activités en lien avec le recrutement y occupent une place prépondérante. Les fonctions les<br />

plus souvent déclarées sont celles de « chargé / assistant de recrutement » en entreprise ou de<br />

« consultant en recrutement » en cabinet de conseil. On constate également un nombre<br />

important de stages liés à la psychologie sociale (conseil / audit en organisation ou en climat<br />

social…) ou à la formation en entreprise. Le secteur de l’insertion, enfin, occupe une place<br />

assez réduite puisque seuls 15 % <strong>des</strong> diplômés déclarent y avoir réalisé leur stage sur la<br />

période 1985-2000. Les structures d’accueil les plus souvent mentionnées dans ce dernier cas<br />

de figure sont les CIBC 56 , les PAIO, les missions locales, l’AFPA et <strong>des</strong> associations ou petits<br />

cabinets de conseil sous-traitant <strong>des</strong> prestations de l’ANPE ou de l’APEC. Ce secteur connaît<br />

toutefois <strong>des</strong> fluctuations importantes d’une année sur l’autre comme le montre le graphique<br />

11, établi à partir <strong>des</strong> données du questionnaire. On s’aperçoit que dans les phases de hausse<br />

du chômage, le secteur "social" (insertion et reclassement) constitue un débouché important<br />

pour les psychologues du travail. Cela a été notamment le cas au cours de deux pério<strong>des</strong><br />

récentes : 1991-1993 et 1995-1997. A l’inverse, les années d’embellie économique et de<br />

55 Voir tableau IV-12, annexe 4<br />

56 Centres interinstitutionnels de bilan de compétence<br />

362


eprise de l’emploi (1987-1991 et 1997-2000) se caractérisent par un développement <strong>des</strong><br />

stages dans les ressources humaines et le recrutement :<br />

Graphique 11 Part de l’ensemble <strong>des</strong> diplômés effectuant leur stage dans les<br />

ressources humaines (échelle de gauche) ou l’insertion (échelle de droite)<br />

% RH 80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

%<br />

Insertion<br />

RH<br />

Insertion<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

1987<br />

1988<br />

1989<br />

1990<br />

1991<br />

1992<br />

1993<br />

1994<br />

1995<br />

1996<br />

1997<br />

1998<br />

1999<br />

Si la conjoncture du marché du travail conditionne dans une large mesure la structure<br />

<strong>des</strong> débouchés à un moment donné et explique les fluctuations de moyenne période entre le<br />

"social" et "l’entreprise", on ne saurait pour autant y voir un déterminisme absolu. Le choix<br />

d’une orientation de carrière se fait en effet en fonction <strong>des</strong> opportunités d’emploi lors de<br />

l’entrée sur le marché du travail, mais aussi <strong>des</strong> trajectoires biographiques, qui peuvent<br />

expliquer les choix opérés, notamment lorsqu’ils paraissent atypiques. Comment expliquer<br />

par exemple l’attrait exercé sur certains jeunes diplômés par le secteur de l’insertion, qui offre<br />

à première vue <strong>des</strong> perspectives de carrière nettement moins favorables (en termes de salaire<br />

et de statut) que celui du recrutement ? Face à deux orientations qui recouvrent <strong>des</strong> statuts et<br />

<strong>des</strong> perspectives de carrière aussi éloignés, il faut regarder, au niveau le plus fin, la manière<br />

dont ces choix s’incarnent dans <strong>des</strong> trajectoires individuelles et le sens qu’ils y prennent. On<br />

retrouve ici la question de la difficile articulation entre données statistiques et données<br />

recueillies en entretiens, qui donnent accès à <strong>des</strong> niveaux de réalité différents. Si les données<br />

statistiques permettent de comprendre le système de contraintes qui s’imposent aux acteurs à<br />

un moment donné, elles n’expliquent pas comment ils se saisissent ni comment ils<br />

"traduisent" ces contraintes en fonction de leurs cheminements personnels et de leurs<br />

représentations d’un avenir professionnel possible. Chaque trajectoire apparaît donc comme la<br />

symbolisation d’une histoire sociale et collective qui s’incarne dans <strong>des</strong> <strong>des</strong>tins individuels 57 .<br />

57 Voir sur ce point l’introduction du Paysan polonais de W. THOMAS et F ZNANIECKI (1998 [1919], p. 46) :<br />

363


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Trois exemples illustreront notre propos sur ce point. A. T. 58 a obtenu son DESS en<br />

1994. Elle occupe depuis cinq ans un emploi de psychologue dans le secteur de l’insertion (à<br />

l’AFPA), où elle dit avoir désormais trouvé sa voie. Dès sa sortie du DESS, elle réalise que<br />

« le monde de l’entreprise et en particulier le recrutement ne sont pas faits pour [elle] » : « je<br />

ne voulais pas en faire parce que ça voulait dire sélectionner les gens, alors que j’étais plus<br />

dans une optique d’accompagnement, puisque mon intérêt c’était quand même de comprendre<br />

le fonctionnement <strong>des</strong> autres et de développer cet aspect-là. Donc au niveau du DESS, j’ai<br />

plutôt axé sur le bilan de compétences… C’était en plein développement à cette époque là et<br />

ça correspondait à mon parcours et à mon… A mon "moteur", quoi… ». En choisissant cette<br />

voie, elle a toutefois le sentiment de se trouver en décalage par rapport à ses enseignants et<br />

camara<strong>des</strong> de DESS qui valorisent davantage le monde de l’entreprise : « Ça a été une période<br />

très difficile parce qu’entre ce que j’avais appris dans mon parcours et ma méconnaissance du<br />

marché du travail il y avait… Enfin la formation était plus centrée sur le monde de<br />

l’entreprise et moi je savais que je voulais pas aller là-dedans. Donc c’est petit à petit que j’ai<br />

dû m’intéresser à l’insertion et c’est vrai que c’est quand même ce secteur là qui est le plus<br />

porteur pour les psychologues femmes ». Si l’on retrouve cette opinion chez d’autres<br />

psychologues, le choix de s’orienter vers le "social" plutôt que vers l’entreprise prend chez A.<br />

T. une signification personnelle singulière dans la mesure où elle est entrée en contact avec la<br />

psychologie par l’intermédiaire de son père, un cadre commercial qui a suivi une<br />

psychothérapie à la suite d’un licenciement : « Et donc lui pendant tout ce temps-là il était en<br />

démarche thérapeutique et moi ça m’a donné une ouverture, j’ai vu qu’il changeait, qu’il se<br />

passait pas mal de choses, le divorce etc. Et donc voilà, j’ai été assez tôt éveillée par ce type<br />

de choses. Bref bon voilà, je voulais faire <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psycho pour mieux me connaître moimême,<br />

les autres etc. ». A. T. déclare avoir initialement choisi de s’inscrire en psychologie<br />

pour le versant clinique, option qu’elle a suivi jusqu’à la maîtrise. On voit donc que lorsque<br />

elle se trouve face à une bifurcation, à un choix de carrière, elle mobilise non seulement <strong>des</strong><br />

attitu<strong>des</strong> acquises au cours du DESS (la valorisation du monde de l’entreprise) mais<br />

également tout le répertoire d’attitu<strong>des</strong> acquises dans les phases antérieures de sa socialisation<br />

(sa situation familiale, sa découverte de la psychologie clinique…), bref, tout un ensemble de<br />

« (…) en analysant les expériences et les attitu<strong>des</strong> d’un individu, on accède toujours à <strong>des</strong> données et à <strong>des</strong> faits<br />

élémentaires qui ne sont pas limités exclusivement à la personnalité de cet individu et peuvent donc être traités<br />

comme de simples exemples de catégories plus ou moins générales de données et de faits, pouvant ainsi être<br />

utilisés pour déterminer les lois du devenir social »<br />

58 Entretien n°23, femme, psychologue à l’AFPA<br />

364


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

déterminations qu’il faut convoquer pour comprendre tout à la fois la singularité et la<br />

généralité de la trajectoire.<br />

Le cas de V. G. 59 s’écarte du précédent mais révèle lui aussi le poids <strong>des</strong> trajectoires<br />

biographiques sur les choix de carrière. V. G. a obtenu son DESS à Paris en 1983 et est<br />

consultante en recrutement depuis douze ans dans un petit cabinet de province employant une<br />

quinzaine de consultants 60 . L’activité du cabinet est assez diversifiée : principalement<br />

recrutement mais aussi formation, reclassement de personnel, bilan de compétence de salariés<br />

etc. Après avoir échoué dans un cursus de biologie, V. G. se tourne vers la psychologie,<br />

contre l’avis de ses parents qui auraient souhaité la voir poursuivre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> commerciales :<br />

« étant donné que la connaissance de l’humain, de l’être, <strong>des</strong> comportements, m’ont toujours<br />

intéressé, j’ai voulu me lancer dans <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psycho, qui à nouveau n’ont pas fait la joie<br />

de mes parents et qui m’ont dit que c’était pas un métier ». V. G., qui avait été reçue<br />

parallèlement au diplôme d’assistante sociale, commence sa carrière comme psychologue<br />

clinicienne dans un organisme d’insertion pour jeunes de 16 à 25 ans. Elle y reste pendant<br />

quelques mois et démissionne car elle trouve le contact avec ce type de public trop difficile.<br />

Elle cherche alors un emploi en lien avec les ressources humaines et le recrutement et se fait<br />

embaucher dans un cabinet de conseil comme "consultante junior" en recrutement, poste<br />

qu’elle occupera pendant deux ans. Souhaitant ensuite diversifier ses activités, elle quitte ce<br />

cabinet pour intégrer celui où elle travaille actuellement. Elle y poursuit <strong>des</strong> activités de<br />

recrutement, mais aussi de reclassement de personnel lors de licenciements collectifs, de<br />

formation aux techniques de recrutement et de bilan de compétence. Aujourd’hui elle déclare<br />

vouloir réorienter sa carrière vers le conseil et la formation <strong>des</strong> cadres de haut niveau<br />

(sessions de formation sur le recrutement, sur la conduite de réunions…). Elle ne veut plus en<br />

revanche participer à <strong>des</strong> activités en lien avec le reclassement ou le bilan de compétences qui<br />

demandent un trop fort investissement personnel : « Dans ces activités, je retrouve les<br />

difficultés que j’avais rencontrées en tant qu’assistante sociale, où finalement, si on fait son<br />

travail à fond, il est difficile de mettre une limite entre les problèmes personnels et les<br />

problèmes <strong>des</strong> autres et puis… C’est un métier qui demande énormément d’énergie parce<br />

qu’on a en face de nous <strong>des</strong> gens qui viennent de recevoir un coup d’assommoir, donc ils ont<br />

besoin qu’on leur réinsuffle du dynamisme, de l’énergie, de l’espoir, qu’on leur apprenne à<br />

construire un projet personnel, professionnel etc. et c’est un investissement très lourd de soi.<br />

Donc au bout d’un moment je me suis dit que c’était bien difficile de ne faire que cette<br />

59 Entretien n°9, femme, consultante en recrutement<br />

365


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

activité qui demandait beaucoup d’énergie… ». Ces choix de carrière peuvent difficilement<br />

être compris si l’on ne prend pas en compte d’une part l’expérience "ratée" dans le secteur<br />

social au début de sa carrière et d’autre part les aspirations initiales <strong>des</strong> parents, de V. G. qui<br />

souhaitaient qu’elle se tourne vers une carrière commerciale, estimant que « psychologue, ce<br />

n’était pas un vrai métier ».<br />

Le dernier exemple est celui de C. F. 61 , psychologue du travail à l’AFPA. Comme<br />

beaucoup d’autres, il déclare être venu à la psychologie « par hasard ». A l’issue d’un bac B,<br />

il envisage de s’orienter vers une filière courte afin d’entrer rapidement sur le marché du<br />

travail. Il présente sa candidature sans succès dans différents DUT (Techniques de commerce,<br />

G.E.A…). Il entame alors un DEUG MASS qu’il abandonne en cours d’année car « le niveau<br />

de maths était particulièrement fort et j’étais complètement largué ». Au cours de son année<br />

de MASS, il reçoit un cours d’initiation à la psychologie et décide de s’orienter vers cette<br />

filière l’année suivante. Il poursuit ses étu<strong>des</strong> jusqu’en DESS et s’oriente dès la maîtrise vers<br />

la psychologie du travail avec le souhait de devenir ergonome. A l’issue du DESS, il<br />

abandonne rapidement son projet de devenir ergonome, compte tenu <strong>des</strong> difficultés<br />

rencontrées dans sa recherche d’emploi : « À l’époque, je n’avais pas de passion avérée pour<br />

tel ou tel champ professionnel et j’hésitais entre l’ergonomie et la psycho du travail au sens<br />

large. Dans la région, il y avait vraiment très peu de perspectives d’emploi en ergonomie.<br />

Pour ça, c’était quand même plus Paris et je n’avais pas du tout envie d’y aller. Donc j’ai un<br />

peu saisi une opportunité d’emploi dans le champ de l’insertion ». Il obtient un premier<br />

contrat de six mois à la mairie de Marseille, à la direction <strong>des</strong> ressources humaines, pour faire<br />

<strong>des</strong> analyses de postes et <strong>des</strong> nomenclatures d’emploi. Bien qu’on lui propose un<br />

renouvellement de contrat, il décide de quitter cet emploi (« Au bout de six mois, j’avais<br />

l’impression d’être devenu l’OS de la fiche de poste… En plus on faisait pas du tout<br />

d’observations, pas de mises en situation, pas de montages particuliers, tout par<br />

entretien… »). Sa deuxième expérience professionnelle se déroule au sein d’un cabinet de<br />

conseil agréé pour délivrer <strong>des</strong> permis de caristes dans une grande chaîne de supermarchés.<br />

Pendant plusieurs mois, il fait passer <strong>des</strong> tests dans toute la France mais décide de quitter cet<br />

emploi qui lui semblait réduire l’activité du psychologue à sa portion congrue : « Je me suis<br />

retrouvé à faire que ça : de la route, faire passer <strong>des</strong> tests, faire passer <strong>des</strong> permis, former <strong>des</strong><br />

gens à la conduite <strong>des</strong> chariots etc… ». Après quelques mois de recherche d’emploi, il trouve<br />

un emploi de formateur dans une association d’aide aux chômeurs implantée dans les<br />

60 Au moment où nous la rencontrons, elle vient de démissionner pour créer son propre cabinet.<br />

366


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

quartiers nord de Marseille : « J’ai d’abord animé une formation de quatre mois et demi, un<br />

stage d’accompagnement au projet professionnel et à l’emploi. Aide à la recherche<br />

d’emploi… A l’époque ça s’appelait les ARISP : "Actions de Réinsertion Socio-<br />

Professionnelle". C’était <strong>des</strong> stages de 4 mois et demi avec <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> d’alternance en<br />

entreprise. Au départ j’ai co-animé ça avec une psycho-clinicienne et voilà, j’ai commencé<br />

dans l’insertion comme ça, avec un… Et ça a été pour moi… Je ne connaissais pas du tout ce<br />

secteur d’activité, j’avais jamais pensé y travailler et… ». Cette expérience a décidé C. F. à<br />

mettre un terme sa recherche d’emploi dans les ressources humaines et à s’orienter<br />

définitivement vers le champ de l’insertion. Le contact avec un nouveau public et le goût qu’il<br />

prend progressivement à la relation d’aide l’invite à reconsidérer ses expériences préalables<br />

dans les cabinets de conseil et à se dire qu’au fond, il avait toujours voulu travailler dans<br />

l’insertion : « (…) jusqu’alors j’avais été en cabinet, à la mairie de Marseille, et ça ne s’était<br />

pas super bien passé. Je me disais que techniquement le boulot était intéressant, mais j’avais<br />

du mal parce qu’il manquait la relation d’aide. Ça manquait de fond, de coloration, de<br />

saveur. Alors qu’en tant que psycho on doit avoir cette plus-value. Et moi par exemple, je<br />

voyais vraiment l’ergonomie dans ce sens. L’idée c’était vraiment de permettre à <strong>des</strong><br />

personnes d’avoir <strong>des</strong> situations de travail qui soient plus adaptées à la logique humaine etc.<br />

Et ça, ça me manquait dans les cabinets ».<br />

A travers ces trois exemples, on voit la diversité <strong>des</strong> cheminements qui conduisent de<br />

la psychologie à la psychologie du travail, puis au choix d’une orientation de carrière au sein<br />

de cette dernière. La compréhension de ces trajectoires suppose d’enrichir l’approche <strong>des</strong><br />

processus de socialisation en amont et en aval. En amont, par l’analyse <strong>des</strong> trajectoires<br />

biographiques jusqu’à l’entrée en psychologie et en aval, en repoussant les bornes de la<br />

socialisation au choix d’une spécialité puis à l’entrée dans la vie professionnelle. Une telle<br />

approche permet de remettre en cause l’image unifiée que produit la profession sur elle-même<br />

et de montrer que la socialisation universitaire ne conduit par à la production d’un<br />

"psychologue-type" mais porte bien en germe une diversité de spécialités qui conduisent à <strong>des</strong><br />

situations professionnelles différentes. Ces trajectoires diverses nous invitent à nous<br />

interroger, dans la section suivante sur les contours de la profession aujourd’hui et sur l’usage<br />

<strong>des</strong> connaissance acquises en psychologie dans les emplois occupés. Peut-on parler d’une<br />

culture professionnelle commune à l’ensemble <strong>des</strong> psychologues du travail ou la<br />

61 Entretien n°21, homme, psychologue à l’AFPA.<br />

367


diversification <strong>des</strong> débouchés a-t-elle au contraire conduit à une diversité de cultures<br />

professionnelles et à un éclatement de l’identité professionnelle ?<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

368


C. UN ESPACE PROFESSIONNEL ECLATE<br />

Nous poursuivons dans cette section notre recherche sur les sources de segmentation<br />

de la profession à partir de l’examen <strong>des</strong> positions professionnelles <strong>des</strong> répondants au<br />

questionnaire. Celui-ci met en évidence la grande diversité <strong>des</strong> emplois occupés. A l’issue du<br />

premier codage, nous avons identifié environ cinquante emplois différents (voir code <strong>des</strong><br />

positions professionnelles reproduit dans le tableau IV-4, annexe 4). Un examen plus attentif<br />

a toutefois permis de les regrouper en cinq gran<strong>des</strong> catégories, qui figurent dans le graphique<br />

12 ci-<strong>des</strong>sous :<br />

Graphique 12 Emplois occupés par les titulaires d’un DESS de psychologie du travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

cadres<br />

d'entreprise<br />

Sanit. et social<br />

consultants<br />

conseil en<br />

emploi<br />

conseil en<br />

formation<br />

La première, de taille réduite (5 % de la population), rassemble les psychologues du<br />

secteur sanitaire et social (y compris les psychologues cliniciens libéraux et en secteur<br />

hospitalier). Ces personnes ont en commun d’avoir quitté le domaine de la psychologie du<br />

travail pour rejoindre <strong>des</strong> emplois qui sont généralement occupés par les titulaires de DESS de<br />

clinique. Le second groupe (26 %) est celui <strong>des</strong> consultants en recrutement, ressources<br />

humaines et organisation. Le troisième regroupe l’ensemble <strong>des</strong> psychologues du travail<br />

exerçant en entreprise, le plus souvent dans <strong>des</strong> fonctions de cadres <strong>des</strong> services de<br />

recrutement et ressources humaines (35 %). Le quatrième groupe (19 %) comprend les<br />

conseillers en formation de la fonction publique exerçant principalement à l’AFPA, dans les<br />

CIO ou les GRETA sous <strong>des</strong> statuts de psychologues (14 %). Le dernier groupe, enfin,<br />

369


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

englobe les fonctions de conseiller en emploi et en réinsertion professionnelle, notamment en<br />

direction <strong>des</strong> demandeurs d’emploi, travailleurs handicapés… Parmi eux, on distingue les<br />

conseillers de l’ANPE (20 % du groupe) et les intervenants <strong>des</strong> politiques territoriales de<br />

l’emploi en PAIO, Missions Locales ou PLIE (45 %). Ces deux derniers groupes se<br />

ressemblent du point de vue du contenu de leurs activités (aide à la formation dans le premier<br />

cas, aide à l’orientation ou à l’insertion professionnelle dans le second) mais se distinguent<br />

par leurs statuts : Alors que le titre et la fonction de psychologue sont reconnus dans le<br />

quatrième groupe, il ne le sont pas dans le dernier.<br />

Le constat d’une telle dispersion tendrait à conforter l’hypothèse d’une<br />

déprofessionnalisation de la psychologie du travail : l’ensemble relativement unifié que<br />

formait la profession de psychotechnicien jusqu’aux années 1970 semble en effet aujourd’hui<br />

menacé par la diversification <strong>des</strong> situations professionnelles et la concurrence de nouveaux<br />

acteurs dans le domaine de l’évaluation <strong>des</strong> personnes, notamment dans le champ de<br />

l’insertion. Par ailleurs, si l’on conçoit la professionnalisation comme la mise en œuvre d’un<br />

savoir expert et la transformation d’une science en discipline à travers l’organisation d’un<br />

cursus universitaire et la délivrance de titres, le degré de professionnalisation de la<br />

psychologie du travail apparaît relativement faible. En effet, seul un nombre limité de<br />

psychologues du travail mobilisent <strong>des</strong> compétences spécifiquement psychologiques dans leur<br />

emploi et un nombre encore plus limité revendiquent leur titre de psychologue. Un directeur<br />

de ressources humaines ou un consultant en organisation par exemple ne réalisent pas à<br />

proprement parler d’"actes" psychologiques, même si leur formation initiale peut s’avérer<br />

dans certains cas utile. Leur identification à la psychologie relève souvent davantage d’une<br />

logique "culturelle" (une certaine manière d’appréhender les problèmes, une plus grande<br />

capacité d’écoute <strong>des</strong> autres…) que de la maîtrise d’outils identifiables. En outre, ils ne se<br />

présentent presque jamais comme <strong>des</strong> « psychologues » estimant que ce terme est associé à<br />

<strong>des</strong> stéréotypes dévalorisants. Ces différents éléments tendent à suggérer que la profession de<br />

psychologue du travail serait "introuvable", ou tout au moins qu’elle traduirait un degré de<br />

professionnalisation moindre que d’autres segments de la psychologie, comme le souligne ce<br />

responsable d’association professionnelle :<br />

« La difficulté propre aux psychos du travail c’est que soit ils ont effectivement la<br />

formation psycho mais alors ils ne se considèrent pas comme psychologues. Moi, ça,<br />

c’est ce que j’appelle les "psychologues masqués", c’est-à-dire qu’ils vont avancer<br />

plutôt un titre de consultant, d’ingénieur en RH, de responsable de ressources<br />

humaines, DRH et ainsi de suite… Soit ils sont minés de l’extérieur par les "faux<br />

psychologues", c’est-à-dire <strong>des</strong> gens qui sont pas psychologues de formation mais<br />

qui en prennent les atours et les attributs pour faire valoir leurs interventions »<br />

370


(entretien n°1, homme, consultant en Ressources humaines et responsable<br />

d’association professionnelle)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Pour autant, parler de "segmentation" de ce groupe professionnel ne signifie<br />

nullement que les individus occupent <strong>des</strong> positions sans rapport les unes avec les autres, ni<br />

qu’il existerait autant de situations professionnelles distinctes que d’individus. Un tel travers<br />

n’est pas toujours absent de certaines recherches interactionnistes fondées sur la seule<br />

approche biographique, qui tendent à suggérer que les segmentations interdisent<br />

d’appréhender les professions comme <strong>des</strong> phénomènes collectifs. Le fait professionnel se<br />

dissout alors totalement dans la diversité <strong>des</strong> trajectoires individuelles, l’individu étant pris<br />

comme unité principale d’analyse 62 . Nous voulons au contraire montrer ici que les segments<br />

forment <strong>des</strong> unités cohérentes, <strong>des</strong> « formes intermédiaires » entre les individus et la<br />

profession, dotées de propriétés spécifiques. La méthode employée, qui repose principalement<br />

sur l’analyse factorielle, permet de mettre en évidence les facteurs communs à ces sousensembles<br />

ainsi que ce qui les distingue du reste de la profession tant sous l’angle du statut,<br />

que <strong>des</strong> pratiques, du rapport à la discipline, <strong>des</strong> lieux d’exercice, du type de clientèle etc.<br />

L’exploitation <strong>des</strong> entretiens et de l’enquête statistique nous ont ainsi permis de<br />

dégager quatre figures professionnelles, caractérisant quatre manières de se définir comme<br />

psychologue du travail :<br />

1) les consultants en recrutement ou ressources humaines,<br />

2) les cadres <strong>des</strong> ressources humaines en entreprise,<br />

3) les psychologues de l’insertion du public<br />

4) les psychologues de l’insertion du secteur privé ou associatif<br />

Si les contours de ces différents groupes ont en partie surgi de l’exploitation du<br />

questionnaire, il faut préciser qu’ils correspondent aussi à <strong>des</strong> lignes de clivage que les<br />

personnes interrogées en entretien nous désignaient comme fondamentales, notamment à<br />

travers l’opposition "entreprise" / "social" et statut salarié / statut libéral. Pour <strong>des</strong> raisons de<br />

commodité nous présenterons tout d’abord ces groupes de manière statique, tels qu’ils<br />

apparaissent au terme d’une exploitation brute du questionnaire, puis nous introduirons dans<br />

une seconde étape une perspective générationnelle, qui permet de saisir la dynamique dans<br />

laquelle s’est inscrite la profession au cours <strong>des</strong> trois dernières décennies.<br />

62 Les travaux de Claude DUBAR (1991) sur les "identités professionnelles", qu’il situe au croisement <strong>des</strong><br />

trajectoires biographiques et de celles <strong>des</strong> groupes, s’attachent de ce point de vue davantage à mettre en évidence<br />

la singularité <strong>des</strong> parcours que les propriétés collectives <strong>des</strong> groupes ou segments professionnels.<br />

371


1. Les divisions de la psychologie du travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’un <strong>des</strong> principaux objectifs <strong>des</strong> formations de DESS est de conduire les étudiants<br />

vers <strong>des</strong> débouchés professionnels où ils pourront tirer profit de l’expertise acquise au cours<br />

de leur formation. Ceci apparaît dans les plaquettes de présentation <strong>des</strong> DESS qui insistent sur<br />

la cohérence <strong>des</strong> enseignements délivrés et l’orientation vers une <strong>des</strong>tination professionnelle<br />

ciblée, que celle-ci prenne place dans le secteur du conseil, le monde de l’entreprise ou la<br />

fonction publique 63 . Le prestige et la légitimité du segment académique de la profession<br />

repose en partie sur l’existence de ces débouchés et sur la perspective d’appliquer le savoir<br />

formel qu’ils produisent et entretiennent dans un certain nombre de situations pratiques. Le<br />

DESS de Strasbourg affiche ainsi l’ambition de « former <strong>des</strong> psychologues qui, à la manière<br />

<strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong>, utilisent <strong>des</strong> connaissances scientifiquement fondées pour résoudre <strong>des</strong><br />

problèmes spécifiques et concrets ». De même, à Paris V, on souhaite « fournir aux étudiants<br />

un référentiel et une démarche scientifique qui leur permettront de guider leurs pratiques<br />

futures (…) le parcours en psychologie du travail entend donc former les étudiants à une<br />

démarche rigoureuse de l’évaluation s’appuyant sur les avancées théoriques les plus récentes<br />

de la psychologie différentielle. L’étude <strong>des</strong> qualités que doit posséder toute procédure ou<br />

instrument de mesure (sensibilité, fidélité, validité, etc.) est ainsi au centre de nombreux<br />

enseignements. En proposant aux étudiants un panorama <strong>des</strong> différentes métho<strong>des</strong> et<br />

techniques d’analyse <strong>des</strong> outils d’évaluation <strong>des</strong> personnes, le parcours veut former les<br />

étudiants à une démarche scientifique d’analyse applicable aux multiples procédures et<br />

techniques qu’ils seront susceptibles d’utiliser dans leur vie professionnelle ». A Lille, enfin,<br />

on veut « former <strong>des</strong> professionnels qui connaissent le marché de l’emploi ainsi que les<br />

champs institutionnels et organisationnels en rapport avec la formation et qui maîtrisent les<br />

techniques de conseil, de bilan, d’information, d’aide à la décision et à la gestion <strong>des</strong><br />

transitions ». A cette fin, l’accent est mis sur l’utilisation « d’instruments standardisés dont<br />

les construits théoriques reposent sur <strong>des</strong> modèles psychologiques identifiés afin de<br />

promouvoir ou encadrer les évaluations à l’aide de ces outils ». L’insistance récurrente sur le<br />

caractère scientifique de la formation, notamment la maîtrise <strong>des</strong> outils psychométriques,<br />

laisse entendre que les psychologues du travail sont avant tout <strong>des</strong> « <strong>ingénieurs</strong> » dont la<br />

compétence repose sur la maîtrise d’une certaine technicité qui se déploierait dans différents<br />

champs (ressources humaines, recrutement, insertion, traitement du chômage…). L’examen<br />

63 L’importance accordée à la pratique dans les DESS de psychologie du travail transparaît par exemple dans le<br />

poids accordé au stage dans la note finale du DESS, celui-ci comptant en général pour moitié dans la note.<br />

372


du devenir professionnel <strong>des</strong> diplômés révèle pourtant un décalage assez net entre la réalité du<br />

métier et l’image homogène de la profession véhiculée par les enseignants <strong>des</strong> DESS. Ce<br />

décalage se retrouve dans la plupart <strong>des</strong> professions qui s’appuient sur un savoir théorique<br />

formalisé dans la mesure où la cohérence du corpus théorique apparaît davantage guidée par<br />

<strong>des</strong> règles rationnelles ou logiques que par <strong>des</strong> considérations pratiques. Comme le souligne<br />

Abbott (1988, p. 53) :<br />

« Le système de connaissances formelles d’une profession s’ordonne en fonction<br />

d’abstractions. Comme toute connaissance, il est organisé au sein d’un système de<br />

classification et d’inférence. La classification, toutefois, diffère <strong>des</strong> classifications de<br />

diagnostic et de traitement 64 . Il n’est pas conçu pour se déplacer <strong>des</strong> problèmes les<br />

plus courants aux problèmes les plus ésotériques, ou <strong>des</strong> problèmes les plus<br />

facilement traitables aux plus récalcitrants. Il s’organise bien plutôt selon <strong>des</strong><br />

dimensions conçues de façon rationnelle et présentant une cohérence logique ».<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ce décalage explique pourquoi certains DESS accordent une place importante dans<br />

leur volume d’enseignement aux statistiques et à la psychométrie, alors que presque aucun de<br />

leurs diplômés ne sera amené à concevoir un jour <strong>des</strong> tests et que seul un nombre limité<br />

d’entre eux sera amené à en utiliser. Il en va de même <strong>des</strong> enseignements d’ergonomie qui<br />

font partie de la plupart <strong>des</strong> programmes, mais donnent lieu à peu d’applications pratiques<br />

dans les emplois occupés. Pour mieux comprendre la réalité du travail professionnel, il est<br />

donc nécessaire de sortir du discours académique sur la profession et de se livrer à un examen<br />

serré <strong>des</strong> pratiques et <strong>des</strong> champs d’exercice de la psychologie du travail, tels qu’ils ressortent<br />

de l’analyse du questionnaire.<br />

Afin d’avoir une vue d’ensemble de l’espace professionnel <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail, nous avons utilisé une méthode de Classification Hiérarchique Ascendante (C.H.A.),<br />

qui permet de regrouper les individus en un nombre restreint de classes homogènes. On voit<br />

ainsi se <strong>des</strong>siner <strong>des</strong> espaces intermédiaires qui forment autant de "segments" de la population<br />

étudiée. Comme nous le verrons, ces segments se caractérisent non seulement par <strong>des</strong><br />

différences dans le statut d’emploi (cadre / non cadre ; public / privé ; stable / précaire) mais<br />

aussi par un certain rapport entretenu vis-à-vis de la discipline et de ses outils.<br />

Sur le plan méthodologique, la C.H.A. est identique à l’analyse factorielle mais<br />

présente l’avantage d’évaluer la proximité entre les points sur un seul axe, qui résume<br />

l’ensemble du corpus, là où l’analyse factorielle l’éclate sur plusieurs axes différents. On<br />

64 Les concepts de "diagnostic", de "traitement" et d’"inférence" prennent un sens particulier dans l’œuvre<br />

d’ABBOTT. Pour lui, tout travail professionnel suppose la mise en œuvre simultanée de ces trois opérations (qui<br />

ne se déroulent pas nécessairement dans un ordre chronologique). Le diagnostic consiste à faire entrer un cas<br />

dans un système de classification plus général ; l’inférence à mettre ce cas en rapport avec le système théorique<br />

propre à la profession et à élaborer un raisonnement à son sujet ; le traitement à apporter une réponse au<br />

373


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

procède pour cela par itérations successives en construisant une suite de partitions en n<br />

classes, n-1 classes, n-2 classes…, n étant le nombre total d’individus de la population. A<br />

chaque étape, on recherche les deux classes les plus proches que l’on agrège, jusqu’à ce qu’il<br />

n’y ait plus qu’une seule classe. La partition en n classes est celle où chaque individu est isolé<br />

et la partition en une seule classe celle où toute la population est rassemblée dans un même<br />

ensemble, les classes étant emboîtées les unes dans les autres. Le principe consiste ensuite à<br />

trouver la "coupure" la plus pertinente pour la typologie, c’est-à-dire celle où la distance entre<br />

les individus les plus proches est minimale et où la distance entre individus éloignés est<br />

maximale. On dit aussi dans ce cas que l’inertie intraclasse est faible (c’est-à-dire que les<br />

individus d’une même classe sont proches) et que l’inertie interclasse est forte (les classes se<br />

distinguent fortement entre elles). On dégage ainsi un nombre limité de k classes (1


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

regroupe principalement deux situations professionnelles : les consultants "juniors" <strong>des</strong><br />

cabinets de recrutement qui ont moins de deux années d’exercice et n’ont pas encore pu<br />

accéder au statut de cadre et <strong>des</strong> assistants de ressources humaines en entreprise présentant<br />

<strong>des</strong> caractéristiques similaires (statut d’employé, salaire moyen…). Les quatre autres groupes,<br />

qui seront décrits plus en détail dans les paragraphes suivants, se distinguent sous une<br />

multitude de critères, mais deux d’entre eux nous semblent particulièrement pertinents car ils<br />

synthétisent la plupart <strong>des</strong> autres et permettent ainsi une certaine économie dans la<br />

présentation. Il s’agit d’une part du secteur d’activité qui oppose entre un pôle « entreprise »<br />

(recrutement, gestion du personnel, évaluation de salariés) et un pôle « Social » (bilan,<br />

insertion sociale et professionnelle, aide à la recherche d’emploi, orientation). Ce premier axe<br />

vient redoubler une segmentation par la clientèle (clientèle de salariés, en majorité <strong>des</strong> cadres<br />

d’un côté ; clientèle de demandeurs d’emplois ou de précaires de l’autre). L’autre critère tient<br />

au contexte d’exercice de la profession qui peut prendre place soit dans une grande<br />

organisation (entreprise ou administration) soit sur <strong>des</strong> marchés plus concurrentiels (pratique<br />

libérale, cabinets de conseil, associations…). En croisant ces deux dimensions on obtient le<br />

graphique suivant à quatre quadrants :<br />

Marché<br />

Psychologues<br />

Consultants en<br />

conseil en emploi<br />

recrutement et<br />

et insertion sociale<br />

RH (11%)<br />

(secteur associatif<br />

ou libéral) (31%)<br />

Social<br />

Entreprise<br />

Psychologues<br />

service public de<br />

l’emploi (ANPE,<br />

AFPA, GRETA…)<br />

(7.7%)<br />

Cadres en<br />

entreprise<br />

(34%)<br />

Organisation<br />

375


a) Classe n°1 : Les cadres en entreprise<br />

Ce premier groupe réunit au total 178 individus de notre échantillon exerçant <strong>des</strong><br />

fonctions de cadres de ressources humaines (recrutement et gestion du personnel) ou en<br />

organisation dans <strong>des</strong> entreprises privées du secteur marchand. Il s’agit donc de la classe la<br />

plus importante numériquement puisqu’elle représente 34 % de l’ensemble de notre<br />

population (tableau 28 ci-<strong>des</strong>sous) 66 .<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 28 – Profil de la classe n°1 à partir d’une classification hiérarchique ascendante sur l’ensemble<br />

<strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

Caractéristique<br />

% <strong>des</strong> effectifs de la classe<br />

présentant la caractéristique<br />

Statut de cadre 94%<br />

CDI 91,5%<br />

Travaille dans le secteur privé 82.5%<br />

Grande entreprise (> 500 sal.) 65,1%<br />

Ne porte pas le titre de psychologue 64%<br />

Absence de reconnaissance <strong>des</strong> compétences en psychologie 64%<br />

Profession= Cadre RH (Code ROME=32121) 60%<br />

Emploi précédent dans le même secteur 54%<br />

Salaire net > 2700 euros mensuel 50%<br />

Utilisation de techniques d’évaluation non psychologiques 30%<br />

La plupart <strong>des</strong> individus de cette classe ont un statut de cadre (94 %) et perçoivent un<br />

salaire élevé (plus de la moitié d’entre eux gagnent plus de 2700 euros par mois, alors que le<br />

salaire médian de l’ensemble de la population enquêtée s’établit à 2000 euros). Ce niveau de<br />

salaire se situe nettement au-<strong>des</strong>sus du niveau de salaire moyen <strong>des</strong> psychologues du travail,<br />

et a fortiori de celui <strong>des</strong> autres psychologues exerçant dans d’autres champs, clinique ou<br />

scolaire. Il s’agit donc de l’un <strong>des</strong> secteurs les plus attractifs pour les jeunes diplômés en<br />

terme de salaires et de carrières. L’activité se déroule pour la majorité <strong>des</strong> individus (82,5 %)<br />

dans le secteur privé et dans <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises de plus de 500 salariés (65,1 %). On a<br />

peu d’indications sur les secteurs d’activité mais il s’agit le plus souvent d’entreprises du<br />

secteur industriel (30 %) ; <strong>des</strong> transports (8 %) et du secteur tertiaire (32 %), notamment la<br />

banque et la grande distribution. Les emplois occupés sont en général stables (91,5 % de<br />

66 Les résultats détaillés de la CHA figurent sur le tableau IV-7, annexe 4. Pour la lecture <strong>des</strong> tableaux de CHA<br />

reproduits en annexe, voir « annexe méthodologique pour la lecture <strong>des</strong> tableaux de CHA » (document IV-1,<br />

annexe 4).<br />

376


contrats à durée indéterminée) et l’ancienneté dans le poste élevée. On se situe donc plutôt sur<br />

<strong>des</strong> "marchés internes" qui permettent un déroulement de carrière continu. L’âge et la<br />

génération (évaluée par l’année d’obtention du DESS) ne semblent pas être <strong>des</strong> facteurs<br />

discriminants, ce qui laisse penser que ce secteur accueille régulièrement <strong>des</strong> flux de jeunes<br />

diplômés. L’effet de "carrière" semble donc jouer peu dans l’accès à ce type de poste. On<br />

pourrait en effet imaginer qu’une expérience préalable de consultant en ressources humaines<br />

ou en recrutement est un atout pour devenir cadre de ressources humaines en entreprise, ce<br />

qui n’est pas le cas. Les personnes ont pour la plupart débuté dans ce secteur et y ont mené<br />

toute leur carrière. Les marchés du travail qui conduisent à l’un et l’autre de ces métiers<br />

semblent donc cloisonnés, comme le souligne cette consultante en recrutement :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Dans un parcours professionnel, si on est psycho et qu’on est en cabinet, on est<br />

marqué par ça. Je sens l’entreprise frileuse pour prendre un consultant sur un poste<br />

de DRH. On est d’emblée écartés. Enfin, c’est mon sentiment… Parce que le<br />

consultant c’est quelqu’un qui passe tous les jours d’une mission à une autre, qui<br />

développe <strong>des</strong> compétences diverses et variées, mais qui n’est jamais dans<br />

l’entreprise. Donc l’entreprise a peur de ce type de personne qui va peut-être leur<br />

apprendre comment il faut faire etc… mais bon, qui n’est pas capable de rester ! Je<br />

pense que ça fait peur le consultant. Alors on a beaucoup d’anciens DRH qui<br />

deviennent consultants, dans les cabinets parisiens etc. ils sont super cotés, mais<br />

l’inverse, il me semble que c’est pas si évident que ça. » (entretien n°5, femme,<br />

consultante en cabinet de recrutement)<br />

L’examen <strong>des</strong> trajectoires professionnelles à partir de la CHA vient confirmer ce<br />

point de vue puisque après l’obtention du DESS le parcours de ces personnes s’est<br />

majoritairement déroulé dans les ressources humaines du secteur privé : 54 % d’entre eux ont<br />

réalisé leur stage de DESS dans ce domaine et 53 % d’entre eux occupaient déjà ce type de<br />

poste avant leur poste actuel.<br />

La <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> emplois occupés soulevait un certain nombre de difficultés dans la<br />

mesure où le code <strong>des</strong> PCS de l’INSEE ne permettait pas de qualifier de manière<br />

suffisamment précise le contenu du travail <strong>des</strong> personnes enquêtées. La quasi-totalité de la<br />

population de ce groupe aurait été codée soit dans la PCS 3722 ("cadres spécialistes du<br />

recrutement et de la formation") soit dans la 3725 ("cadres de gestion courante <strong>des</strong> services du<br />

personnel <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises"). Nous avons donc choisi de construire nos catégories<br />

d’emplois à partir du code ROME (Répertoire opérationnel <strong>des</strong> métiers et emplois) de<br />

l’ANPE qui permet un niveau de <strong>des</strong>cription plus fin dans la mesure où il cherche davantage à<br />

décrire <strong>des</strong> "métiers" (et donc <strong>des</strong> contenus de travail) que <strong>des</strong> groupes sociaux. Les<br />

catégories les plus fréquemment rencontrées ont été les 32121 (cadre de la gestion <strong>des</strong><br />

ressources humaines) ; 32122 (responsable de formation en entreprise) 32131 (responsable en<br />

organisation) ; 32151 (chargé d’analyses et de développement) ; 32213 (chargé de<br />

377


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

communication). La population de cette classe comprend une majorité de cadres <strong>des</strong><br />

ressources humaines (60 %), correspondant à la catégorie 32121 du ROME (voir définition<br />

dans le tableau IV-6, annexe 4). Elle comprend également 10 % de cadres en organisation<br />

(catégorie 32131). L’association entre la classe n°1 et ces deux groupes professionnels<br />

apparaît de façon encore plus étroite si l’on regarde la part de leurs membres qui se retrouvent<br />

dans cette classe. Il y a en effet deux manières de regarder l’association entre une modalité de<br />

réponse et une classe : soit l’on s’intéresse à la part que représente la modalité dans<br />

l’ensemble de la classe (on parle alors de degré d’homogénéité, ce qui correspond au rapport<br />

MOD/CLA dans le tableau suivant) ; soit l’on regarde la part de la modalité qui se retrouve<br />

dans cette classe (on parle alors de spécificité, ce qui correspond au rapport CLA/MOD). On<br />

voit ainsi, à partir du tableau IV-7 (annexe 4) que le groupe <strong>des</strong> cadres de ressources<br />

humaines (EMP_ROM=CADRE RH) est à la fois spécifique à la classe n°1 (87 % <strong>des</strong> cadres<br />

RH de l’ensemble de notre échantillon s’y retrouvent) et qu’il présente un fort degré<br />

d’homogénéité avec cette classe (60 % <strong>des</strong> membres de la classe sont <strong>des</strong> cadres RH). A<br />

l’inverse, les cadres en organisation sont spécifiques à cette classe (77 % d’entre eux s’y<br />

retrouvent) mais ils ne présentent pas d’homogénéité avec elle compte tenu de leur faible<br />

effectif (ils ne constituent que 9.5 % de la classe).<br />

L’examen <strong>des</strong> intitulés d’emploi (variable INTIT) fournit <strong>des</strong> indications<br />

supplémentaires sur la nature <strong>des</strong> postes occupés. Dans 36,5 % <strong>des</strong> cas, l’intitulé d’emploi<br />

contient le terme « RH » dans sa forme abrégée ou complète : « DRH », « RRH », « Directeur<br />

de ressources humaines », « responsable de ressources humaines », « cadre de ressources<br />

humaines »…. Le terme de recrutement figure également souvent puisqu’il concerne 24,7 %<br />

de la classe : « chargé de recrutement », « responsable du recrutement ». L’un <strong>des</strong> points<br />

communs aux membres de cette classe réside dans la distance entretenue vis-à-vis de leur<br />

formation initiale de psychologue. Ceci transparaît d’abord dans le fait que dans 64 % <strong>des</strong> cas,<br />

l’intitulé du poste ne contient pas le terme de « psychologue » (INTITPROF_PSY=2) et que<br />

54 % d’entre eux estiment que la spécificité de la fonction du psychologue n’est pas reconnue<br />

dans leur emploi. C’est également dans cette classe que l’on retrouve la plus forte proportion<br />

de personnes estimant que leur formation de psychologue a constitué un handicap dans<br />

l’accès à l’emploi (77 % <strong>des</strong> personnes qui émettent cette opinion se trouvent dans cette<br />

classe). Par ailleurs, lorsqu’ils mobilisent <strong>des</strong> techniques psychologiques, les membres de ce<br />

groupe manifestent une certain éclectisme méthodologique, très éloigné du discours dominant<br />

<strong>des</strong> formations universitaires. Ils reconnaissent ainsi, pour 30 % d’entre eux, avoir recours à<br />

378


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

<strong>des</strong> techniques psychologiques non enseignées à l’université 67 . La graphologie fait partie de<br />

l’arsenal <strong>des</strong> techniques utilisées pour 27 % d’entre eux. Cette distance vis-à-vis de la<br />

formation initiale et de l’identité de psychologue tient à plusieurs facteurs. D’une part, la<br />

spécificité du travail du psychologue du travail est faiblement reconnue dans le monde de<br />

l’entreprise, sauf dans quelques gran<strong>des</strong> entreprises publiques ou administrations (La Poste,<br />

RATP, SNCF, France Télécom) qui ont les moyens de mettre en place <strong>des</strong> services de<br />

recrutement spécialisés et emploient <strong>des</strong> psychologues exclusivement affectés à <strong>des</strong> tâches de<br />

recrutement. Dans les entreprises de taille moyenne, les psychologues se fondent dans une<br />

identité de généraliste <strong>des</strong> ressources humaines, où ils sont amenés à mobiliser <strong>des</strong> savoirs<br />

issus de multiples disciplines : droit, sociologie, économie, gestion, comptabilité… D’autre<br />

part, lorsqu’ils sont interrogés sur leurs métho<strong>des</strong>, ces professionnels déclarent ne pas avoir le<br />

temps d’être vigilants sur la qualité <strong>des</strong> outils utilisés : c’est avant tout l’économie qu’ils<br />

permettent de réaliser en temps et en argent qui compte. Ils se montrent donc disposés à "faire<br />

feu de tout bois" pour peu que ces techniques ne produisent pas de résultats trop aberrants. Ils<br />

se fient davantage à leur expérience pratique qu’aux techniques scientifiquement validées par<br />

les experts en psychométrie.<br />

On retrouve bien ici l’une <strong>des</strong> principales difficultés de la psychologie du travail à<br />

s’imposer comme expertise spécifique, ce qui rejoint d’une certaine façon l’opposition entre<br />

les activités scientifiques et les activités consultantes : l’activité de recrutement, en tant que<br />

rapport pratique à autrui, n’est jamais une pure opération "scientifique" de sélection : elle<br />

suppose la mise en œuvre d’un sens clinique et une multiplicité <strong>des</strong> prises de contact avec la<br />

personne recrutée (entretien, tests…) 68 . De ce point de vue, les évaluations psychométriques<br />

ne peuvent jamais être qu’un outil parmi d’autres dans l’arsenal du recruteur, qui cherche à<br />

67 Ces techniques éclectiques rassemblent un ensemble d’outils d’évaluation ou d’aide psychologique jugés peu<br />

fiables par la communauté académique, car émanant de réseaux parallèles à ceux de la psychologie<br />

"scientifique" (psychothérapies essentiellement). Au premier rang de ceux-ci, on trouve la graphologie, qui fait<br />

l’objet d’une désapprobation générale de la part <strong>des</strong> psychologues "sérieux". Dans d’autres cas il s’agit d’outils<br />

dérivés de la psychanalyse ou <strong>des</strong> psychothérapies, comme la PNL (Programmation Neuro-Linguistique). Dans<br />

le domaine <strong>des</strong> tests de recrutement, les outils "peu sérieux" sont le plus souvent produits par <strong>des</strong> non<br />

psychologues au sein de cabinets de conseil en recrutement et diffusés à <strong>des</strong> tarifs moins coûteux que ceux<br />

publiés par les maisons d’édition <strong>académiques</strong>, comme le PAPI (PA Personnality Inventory), un test de<br />

personnalité produit par le cabinet de conseil PA. Les conditions d’utilisation de ces outils sont en général<br />

également plus simples que celles <strong>des</strong> outils validés scientifiquement vendus par les gran<strong>des</strong> maisons d’édition<br />

de tests, ce qui explique leur attrait auprès <strong>des</strong> professionnels <strong>des</strong> ressources humaines, même lorsqu’ils sont<br />

psychologues de formation. Il faut préciser enfin que le jugement porté sur la fiabilité <strong>des</strong> outils ne tient pas<br />

seulement à l’outil en lui-même mais également à son contexte d’utilisation. Il arrive ainsi que certains<br />

psychologues aient recours à <strong>des</strong> tests projectifs (voir supra) dans le cadre d’opérations de recrutement, où il<br />

n’est pas possible de les conduire dans <strong>des</strong> conditions satisfaisantes (ils nécessitent une séance approfondie de<br />

plusieurs heures). La SFP et la plupart <strong>des</strong> universitaires estiment donc que l’utilisation de ces tests en situation<br />

de recrutement est le fait de "charlatans".<br />

379


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multiplier les voies d’accès à la personne interrogée (par <strong>des</strong> tests, la graphologie, l’entretien,<br />

le CV…) à la manière d’un médecin qui ausculte son patient. On comprend mieux alors<br />

pourquoi ces cadres d’entreprise peuvent difficilement concilier leur identité de psychologue<br />

avec les exigences de leur emploi. Enfin, l’éloignement de la psychologie tient certainement à<br />

un "effet de carrière", qui fait que les psychologues ont été initialement recrutés dans les<br />

entreprises pour occuper <strong>des</strong> missions de recrutement ou d’évaluation assez étroites et que<br />

leur évolution professionnelle les a conduit ensuite vers <strong>des</strong> postes plus généralistes. De ce<br />

point de vue, les psychologues se rapprochent <strong>des</strong> <strong>ingénieurs</strong> qui accèdent eux aussi aux<br />

marchés internes sur <strong>des</strong> fonctions techniques et qui quittent ensuite le cœur du métier pour<br />

occuper <strong>des</strong> postes plus généralistes ou stratégiques. Il en va ainsi par exemple à la RATP, à<br />

la SNCF ou à la Poste, où les jeunes psychologues du travail passent quatre à cinq années<br />

dans le service de psychologie appliquée dans <strong>des</strong> fonctions de recrutement, avant de<br />

rejoindre <strong>des</strong> fonctions de cadre de ressources humaines plus classiques dans <strong>des</strong> postes de<br />

"terrain".<br />

b) Classe n°2 : les consultants<br />

Le second groupe que fait apparaître la CHA est celui <strong>des</strong> consultants en<br />

recrutement, ressources humaines et organisation. Il comprend 57 individus, soit 11 % de<br />

notre population (voir tableau IV-8, annexe 4 et, pour une version plus synthétique, tableau 28<br />

infra). Ce groupe se distingue d’abord par les conditions d’exercice du métier : 79 % <strong>des</strong><br />

individus de la classe exercent dans le secteur du conseil et 24 % sont en outre chefs<br />

d’entreprise. Comme les membres du groupe précédent, ils perçoivent <strong>des</strong> salaires élevés.<br />

Ceci est surtout vrai <strong>des</strong> consultants en organisation, dont le salaire net moyen mensuel est de<br />

3900 euros ; pour les consultants en ressources humaines il s’établit à un niveau inférieur<br />

(3000 euros). Les deux activités se distinguent d’ailleurs sous d’autres aspects. Les<br />

consultants en organisation sont plus âgés que les consultants en ressources humaines (la<br />

moyenne d’âge est de 46 ans dans le premier cas et de 36 ans dans l’autre). Les premiers ont<br />

pour la plupart quitté le domaine du recrutement ou <strong>des</strong> ressources humaines pour s’orienter<br />

vers <strong>des</strong> fonctions de conseil en organisation et management auprès <strong>des</strong> entreprises. Comme<br />

dans le cas <strong>des</strong> cadres d’entreprise, une première expérience dans <strong>des</strong> fonctions techniques<br />

comme le recrutement peut être l’occasion de se tourner ensuite vers <strong>des</strong> dimensions touchant<br />

plus à l’organisation ou au management. Les personnes interrogées débutent rarement dans ce<br />

68 Voir sur ce point EYMARD-DUVERNAY et MARCHAL (op. cit.)<br />

380


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secteur : ils ne peuvent y accéder que lorsqu’ils se sont constitué un réseau de clients<br />

suffisamment important au cours de missions de recrutement ou ressources humaines, ce qui<br />

explique la moyenne d’âge élevée du groupe. Quel que soit le secteur d’activité (ressources<br />

humaines ou management), l’une <strong>des</strong> caractéristiques principales <strong>des</strong> psychologues du travail<br />

exerçant dans le conseil tient au fait qu’ils appartiennent le plus souvent à <strong>des</strong> petites<br />

structures, pour l’essentiel françaises. Ils sont parfois eux-mêmes directeurs ou associés du<br />

cabinet. Ils se distinguent par là <strong>des</strong> diplômés de gestion et surtout d’écoles de commerce qui<br />

se dirigent plutôt vers les grands cabinets anglo-saxons, qui comptent parfois plusieurs<br />

centaines de consultants. Or on voit ici que dans 40 % <strong>des</strong> cas, l’entreprise compte moins de<br />

dix salariés. Cette difficulté <strong>des</strong> psychologues du travail à accéder aux grands cabinets tient à<br />

plusieurs raisons. Il y a tout d’abord la réticence déjà évoquée de certains employeurs à<br />

embaucher <strong>des</strong> psychologues, la plupart du temps assimilés aux psychologues cliniciens et<br />

jugés inaptes à s’adapter aux contraintes de la vie en entreprise. Une autre raison tient au fait<br />

que même s’ils reconnaissent la compétence <strong>des</strong> psychologues en matière de recrutement et<br />

de maîtrise <strong>des</strong> outils psychométriques, ces grands cabinets recrutent rarement <strong>des</strong> techniciens<br />

et préfèrent <strong>des</strong> généralistes qui pourront ensuite évoluer vers <strong>des</strong> fonctions plus larges que le<br />

recrutement (formation, conseil en management, animation d’équipes de consultants…).<br />

Comme dans le cas <strong>des</strong> cadres d’entreprise évoqué précédemment, le recrutement est une<br />

fonction que peu de personnes occupent durant toute leur carrière. Il s’agit d’une fonction<br />

d’entrée dans l’entreprise mais que l’on quitte au bout de quelques années. Ainsi L. T.,<br />

responsable du département formation d’un cabinet de recrutement marseillais évoque sa<br />

trajectoire professionnelle qui l’a conduite successivement du recrutement à l’outplacement 69 ,<br />

au bilan, puis à la formation :<br />

Q : « Toute votre carrière s’est déroulée dans le recrutement ? »<br />

R : « Non, parce qu’heureusement, en 16 ans, j’ai quand même évolué et dans mes<br />

fonctions et dans le contenu de mon travail. Donc dans un premier temps<br />

effectivement ça a été 100 % du recrutement. Et puis sont arrivées les années<br />

difficiles avec les plans sociaux vers le milieu <strong>des</strong> années 1980. Donc de<br />

recrutement je suis passée au bilan et puis aux outplacement. Donc j’ai été amenée<br />

en fait à prendre en charge <strong>des</strong> cellules de reclassement, ce qui était très intéressant,<br />

bien sûr. Et puis ras-le-bol de l’outplacement et <strong>des</strong> bilans. Là on était en 92-94.<br />

Donc… A partir de 92 j’ai voulu m’orienter vers une activité qui me semblait plus<br />

69 L’outplacement (reclassement) désigne l’aide apportée par une entreprise à ses salariés en fin de contrat ou en<br />

procédure de licenciement dans leur recherche d’un nouvel emploi. Il se produit en général à la suite d’un<br />

changement dans l’organisation technique ou hiérarchique du travail qui conduit à un diagnostic d’inadéquation<br />

du salarié à son poste. Le travail du consultant consiste alors à aider le salarié à élaborer un nouveau projet<br />

professionnel et à rechercher un emploi. On distingue l’outplacement collectif, qui consiste à reclasser<br />

l’ensemble <strong>des</strong> salariés à la suite d’un plan social et l’outplacement individuel qui concerne davantage les cadres.<br />

Le secteur du conseil en outplacement s’est considérablement développé en France à partir <strong>des</strong> années 1980<br />

conduisant à la création d’une branche du SYNTEC spécialisée dans ce secteur.<br />

381


valorisante pour moi. Plus ludique, à savoir la formation. Donc j’ai commencé à<br />

animer <strong>des</strong> sessions sur <strong>des</strong> thèmes en rapport avec ce que j’avais l’habitude de faire<br />

et ce que je connaissais, à savoir : le recrutement, donc toutes les techniques de<br />

recrutement. » (entretien n°9, femme, consultante en formation et recrutement)<br />

Le dernier facteur tient au comportement <strong>des</strong> psychologues du travail eux-mêmes,<br />

qui se montrent peu enclins à travailler dans de grands cabinets de conseil en ressources<br />

humaines, qui font du recrutement "à la chaîne" au détriment de la qualité. Les valeurs<br />

humanistes acquises en cours de formation les incite plutôt à se diriger vers <strong>des</strong> structures<br />

plus petites où les contraintes de production seront moins fortes et où ils disposent de plus de<br />

temps pour creuser la personnalité et les motivations <strong>des</strong> personnes rencontrées. R. G.<br />

explique ainsi qu’il a quitté un grand cabinet de recrutement parisien parce que les pratiques<br />

ne lui convenaient pas. Il s’est aujourd’hui redirigé vers l’outplacement, qui correspond mieux<br />

à ses aspirations :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

« Mon boulot actuel n’a absolument rien à voir avec le précédent… Maintenant, je<br />

fais de l’outplacement, je fais de l’évaluation, de l’accompagnement, de l’aide à la<br />

recherche d’emploi, du Training d’entretien. Je fais <strong>des</strong> entretiens, je fais passer <strong>des</strong><br />

tests d’évaluation mais je ne le fais pas dans le même but qu’avant. Je suis au<br />

service de nos clients, de nos clients qui font <strong>des</strong> plans de licenciement, mais je sens<br />

qu’avant tout je suis au service <strong>des</strong> candidats, enfin <strong>des</strong> gens que je vois pour faire<br />

de l’outplacement, ce qui n’était pas du tout le cas dans le cas du recrutement, où tu<br />

vois passer <strong>des</strong> gens pendant une heure et puis si ça va pas c’est tout. Dans la<br />

pratique que j’avais du recrutement, j’essayais à chaque fin d’entretien de faire un<br />

point en fait, et j’essayais d’expliquer pourquoi ça irait ou pourquoi ça irait pas et<br />

aux gens quels étaient les points à améliorer dans leur comportement en entretien.<br />

Mais on m’a expliqué assez rapidement que je n’étais pas payé pour ça ! je me<br />

faisais engueuler parce que ça plaisait pas. Je faisais <strong>des</strong> entretiens qui duraient trop<br />

longtemps. Forcément, un entretien d’une heure avec une restitution d’un quart<br />

d’heure ça fait que forcément, chaque entretien que je faisais, je travaillais un quart<br />

d’heure de plus que tous les autres… » (entretien n°7, homme, consultant en<br />

outplacement)<br />

Tableau 29 – Caractéristiques de la classe n°2 à partir d’une classification hiérarchique ascendante<br />

sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

Caractéristique<br />

% <strong>des</strong> effectifs de la classe<br />

présentant la caractéristique<br />

Exerce dans le secteur du conseil 79%<br />

Ne travaille pas avec d’autres psychologues 75%<br />

Sexe = homme 42%<br />

Petite entreprise (< 10 sal.) 40%<br />

Chef d’entreprise 24%<br />

Les consultants cumulent souvent plusieurs activités, notamment lorsqu’ils exercent<br />

en libéral. Afin d’avoir une idée plus précise <strong>des</strong> domaines du conseil qui sont les plus<br />

fréquemment associés, nous avons cherché à établir une carte <strong>des</strong> "co-pratiques" mettant en<br />

382


évidence <strong>des</strong> proximités entre différents domaines du conseil aux entreprises. Le<br />

questionnaire autorisait les personnes à cocher plusieurs cases correspondant à leurs différents<br />

domaines d’activité. Cinq activités étaient proposées :<br />

1. conseil en recrutement<br />

2. conseil en formation<br />

3. conseil en organisation<br />

4. conseil en bilan de compétences<br />

5. conseil en outplacement<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le choix de ces différents secteurs avait été fait en fonction <strong>des</strong> activités déclarées<br />

par les consultants en entretien. Il est en effet apparu qu’un grand nombre d’entre eux ne se<br />

spécialisaient pas dans une seule activité mais en cumulaient plusieurs selon les deman<strong>des</strong> <strong>des</strong><br />

clients et la conjoncture du marché du travail. La hausse du chômage favorise le<br />

développement d’activités de bilan, d’outplacement et de formation alors que les phases de<br />

reprise économique sont propices au conseil en recrutement, ressources humaines et<br />

organisation. Afin d’affiner ces résultats, nous avons réalisé une analyse partielle sur la souspopulation<br />

<strong>des</strong> consultants (106 individus) afin de mettre en évidence les proximités entre ces<br />

différents domaines :<br />

Tableau 30 – Les co-pratiques dans le domaine du conseil (échantillon de 106 individus) 70<br />

Bilan Recrutement Formation Outplacement Organisation Enseignement<br />

Bilan 17.7% 48.3 % 35.4 % 27.4 % 32.2 % 35 %<br />

Recrutement 66 % 22% 33 % 20 % 28 % 25 %<br />

Formation 36 % 24.5 % 31% 3 % 45.9 % 36 %<br />

Outplacement 85 % 45 % 10 % 15% 30 % 25 %<br />

Organisation 39 % 25.4 % 54.9 % 11,7 % 25.5% 47 %<br />

Enseignement 47 % 23 % 47.8 % 10 % 52 % 0%<br />

Lecture : « 66% <strong>des</strong> consultants qui font du recrutement font aussi du bilan ; inversement, seuls<br />

48.3% de ceux qui font du bilan font aussi du recrutement ».<br />

La diagonale du tableau (en gras) représente le pourcentage les personnes qui n’ont<br />

déclaré qu’un seul domaine et fournit donc <strong>des</strong> indications sur l’intensité <strong>des</strong> co-pratiques 71 en<br />

général. Il est très rare qu’une personne déclare un seul domaine d’activité. Ces situations se<br />

produisent le plus souvent dans le domaine du conseil en formation et du conseil en<br />

70 Les sommes sont supérieures à 100 en raison de la possibilité de réponses multiples<br />

71 Par co-pratiques on entend la participation simultanée d’un même psychologue à plusieurs activités.<br />

383


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

organisation (un cas sur trois environ). A l’opposé, on note que l’outplacement et le bilan ne<br />

figurent que rarement comme activités isolées (un cas sur six). L’enseignement constitue un<br />

cas à part, puisqu’il s’agit toujours d’une activité annexe, venant compléter <strong>des</strong> activités de<br />

conseil en organisation et en formation. La relative liberté dont jouissent les consultants dans<br />

l’organisation de leur travail et le souci de maintenir actifs leurs réseaux les pousse à<br />

collaborer aux enseignements universitaires, plus particulièrement au niveau du DESS. Cette<br />

situation satisfait également les universités, qui affichent un souci de "professionnalisation"<br />

<strong>des</strong> étu<strong>des</strong> et se montrent donc ouvertes aux intervenants extérieurs 72 . Il n’est d’ailleurs pas<br />

rare que ceux-ci occupent la moitié du volume horaire <strong>des</strong> DESS. L’implication dans la<br />

formation universitaire permet aussi aux consultants d’avoir un certain prestige auprès de<br />

leurs pairs et de leurs clients et de se maintenir informés de l’actualité de la recherche,<br />

notamment lorsque leur activité se situe à la frontière de la recherche et de la pratique (conseil<br />

en organisation et management, conseil en formation, psychologie ergonomique). Les<br />

consultants qui ont <strong>des</strong> activités plus "techniques" ou routinières (recrutement, bilan de<br />

compétence) collaborent en revanche moins avec l’université.<br />

L’intensité <strong>des</strong> co-pratiques chez les consultants s’explique par la petite taille <strong>des</strong><br />

cabinets concernés (voir supra), les missions y étant moins rigoureusement codifiées que dans<br />

<strong>des</strong> gros cabinets (notamment anglo-saxons), qui ont la possibilité de se spécialiser dans un<br />

seul secteur. Le tableau 29 (supra) révèle les proximités entre les différents domaines de<br />

pratiques, qui se structurent autour de deux pôles. Un premier pôle associe le recrutement<br />

(comme activité principale) avec <strong>des</strong> activités annexes de bilan de compétence et<br />

d’outplacement. Ces trois domaines supposent l’utilisation <strong>des</strong> mêmes outils (entretiens,<br />

évaluations psychométriques) et requièrent la mise en œuvre de compétences proches. Les<br />

cabinets confient donc souvent ces missions aux mêmes consultants en fonction <strong>des</strong><br />

fluctuations de la demande. Le développement récent <strong>des</strong> activités de bilan depuis 1992 (loi<br />

sur le bilan de compétences) et <strong>des</strong> activités de reclassement suite aux vagues de licenciement<br />

<strong>des</strong> années 1980 et 1990 ont ainsi permis aux petits cabinets de recrutement de diversifier<br />

leurs activités traditionnelles en direction de ces deux secteurs en émergence et de rééquilibrer<br />

leur volume d’activité au gré de la conjoncture du marché du travail : recrutement en période<br />

de croissance, bilans et outplacement en pério<strong>des</strong> de chômage. Les outils utilisés par ces<br />

consultants ont souvent un lien direct avec <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> enseignées à l’université : tests<br />

72 Les "professionnels" représentent entre un tiers et la moitié <strong>des</strong> enseignants <strong>des</strong> DESS. Il faut préciser<br />

qu’inversement les universitaires ont pour la plupart <strong>des</strong> activités de conseil et sont de ce fait en contact constant<br />

avec le monde professionnel.<br />

384


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

d’aptitude et de personnalité, mais aussi technique du bilan de compétence, enseignée dans<br />

tous les DESS.<br />

Le second pôle associe les activités de conseil en organisation et en formation. Ce<br />

sont là encore <strong>des</strong> missions qui requièrent la mise en œuvre de compétences identiques :<br />

gestion <strong>des</strong> groupes, connaissances en psychosociologie, connaissance du monde de<br />

l’entreprise etc., qui sortent du domaine de la psychométrie. Les consultants de cette catégorie<br />

affichent une certaine distance vis-à-vis <strong>des</strong> techniques psychologiques acquises à<br />

l’université, notamment les tests, mais se réclament volontiers de l’appartenance à une "école"<br />

psychologique, qui leur donne un type de "regard" particulier sur les problèmes<br />

organisationnels ou humains auxquels ils sont confrontés. L’approche systémique de Palo<br />

Alto, l’Analyse Tansactionnelle (AT) et la psychanalyse font partie <strong>des</strong> théories les plus<br />

fréquemment citées par les membres ed ce groupe. Contrairement aux précédents, les<br />

consultants en formation/organisation ont souvent eu une expérience professionnelle dans <strong>des</strong><br />

fonctions plus techniques (gestion de ressources humaines en entreprise, recrutement…).<br />

C’est donc une activité dans laquelle on arrive en milieu ou en fin de carrière, alors que le<br />

premier pôle est associé à <strong>des</strong> salaires plus bas et <strong>des</strong> carrières débutantes. Les disparités<br />

internes à cette classe expliquent que l’âge et les salaires n’apparaissent pas comme <strong>des</strong><br />

variables significatives dans la CHA.<br />

L’un <strong>des</strong> traits saillants de la classe <strong>des</strong> consultants vient du fait qu’elle est<br />

majoritairement investie par <strong>des</strong> hommes (42 % contre 21 % dans l’ensemble de<br />

l’échantillon). Il faut certainement y voir une caractéristique propre aux choix réalisés par les<br />

hommes dans les métiers de femme (Angeloff et Arborio, 2002) : plus qu’ailleurs, la<br />

différence entre les deux sexes se reproduit au sein même de ces métiers à travers <strong>des</strong> profils<br />

de carrière différenciés. Ces différences peuvent peut-être aussi être reliées aux choix<br />

d’orientation initiaux. On avait vu que les hommes s’étaient souvent dirigés vers la<br />

psychologie à la suite d’une tentative échouée dans une autre discipline, alors que les femmes<br />

l’avaient choisie par "vocation" ou par goût de l’approche clinique. Le choix par les hommes<br />

d’une carrière de consultant, qui s’éloigne de l’image stéréotypée du psychologue clinicien,<br />

leur permet parfois de revenir vers leur projet professionnel initial tout en essayant de<br />

gommer le détour par la psychologie. Pour les femmes à l’inverse, une carrière dans<br />

l’insertion ou l’aide à la recherche d’emploi peut être une manière détournée de revenir à la<br />

carrière de clinicien initialement souhaitée.<br />

385


c) Classe n°3 : Les" bastions traditionnels" de la psychologie du<br />

travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les membres de cette classe occupent <strong>des</strong> positions de psychologues dans <strong>des</strong><br />

organismes publics ayant en charge <strong>des</strong> missions d’orientation ou de formation<br />

professionnelle. Numériquement, ce groupe occupe une position réduite puisqu’il ne<br />

représente que 7,7 % de la population totale interrogée. Il occupe toutefois une grande place<br />

symbolique dans la profession puisque c’est au sein de ces organismes qu’est née la<br />

psychologie du travail, et c’est là aussi qu’elle se pratique encore aujourd’hui dans les<br />

conditions les plus "pures", c’est-à-dire les plus proches du modèle scientifique promu par<br />

l’université. Les organismes représentatifs de cette classe sont les CIO (Centre d’Information<br />

et d’Orientation) du ministère de l’Education nationale, les services de psychologie appliquée<br />

de l’AFPA et les CIBC (Centres interinstitutionnels de bilan de compétence). Le tableau 30<br />

(infra) 73 montre que 97,5 % <strong>des</strong> membres de la classe exercent dans le secteur public<br />

(SECTOR2=Public) et que dans 67 % <strong>des</strong> cas il s’agit d’une administration (Education<br />

nationale principalement) 74 . Les psychologues de ces organismes bénéficient d’un statut<br />

ancien, en raison d’une tradition de recours à la psychotechnique qui remonte en général à la<br />

période de l’entre-deux guerres et qui a conduit à la création d’un statut de Conseiller<br />

d’orientation psychologue dans l’Education nationale et de Psychologue du travail à l’AFPA<br />

(voir supra). Il n’existe pas à proprement parler de statut de psychologue au sein <strong>des</strong> CIBC,<br />

mais la loi de 1992 sur le bilan de compétence prévoit que chaque CIBC emploie au moins un<br />

psychologue afin de veiller à la qualité <strong>des</strong> outils d’évaluation utilisés. A la différence <strong>des</strong><br />

deux groupes précédents, les individus réunis dans cette classe exercent donc comme<br />

psychologues du travail ès qualités et non sous d’autres titres (consultants, responsables de<br />

ressources humaines, etc.). Les emplois se caractérisent par une grande stabilité : 45 % sont<br />

titulaires de la Fonction publique et l’ancienneté est souvent supérieure à 10 ans (37 % du<br />

groupe). Comme dans la classe n°1 on se situe donc sur <strong>des</strong> marchés internes où se déroule<br />

l’ensemble de la carrière. Ce groupe présente <strong>des</strong> caractéristiques marquées en termes<br />

d’appartenance générationnelle : on note en particulier une nette surreprésentation de la<br />

génération ayant obtenu le DESS entre 1981 et 1985 (GENERATION=de 1981 à 1985), ce<br />

qui s’explique par les vagues de recrutement importantes qui ont eu lieu à l’AFPA et dans les<br />

73 La version complète de la CHA est reproduite dans le tableau IV-9, annexe 4.<br />

74 Ce chiffre s’explique par le fait que l’AFPA n’est pas à proprement parler une administration, mais une<br />

association financée par le Ministère du travail. Les CIBC sont également <strong>des</strong> associations financées par l’Etat.<br />

386


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

CIO après l’arrivée <strong>des</strong> socialistes au pouvoir pour répondre aux politiques d’insertion et de<br />

lutte contre le chômage mises en place dans cette période (voir sur le graphique III-3, annexe<br />

3, les vagues successives de recrutement à l’AFPA).<br />

Le profil particulier <strong>des</strong> psychologues exerçant dans ce secteur explique la<br />

convergence d’un certain nombre de réponses ayant trait aux usages de la psychologie dans<br />

les emplois. On voit ainsi dans le tableau 30 que dans 75 % <strong>des</strong> cas, le service dans lequel<br />

travaille la personne est composé en majorité de psychologues (MAJORITE_PSY=1) ; les<br />

membres de la classe estiment également à 92 % que le fait d’être psychologue a été un atout<br />

pour l’embauche (EFFET_PSY_EMBCH=1) ce qui s’explique par le fait que le DESS de<br />

psychologie est généralement exigé pour accéder à ces emplois ; enfin, dans 82 % <strong>des</strong> cas,<br />

l’intitulé professionnel contient la mention de "psychologue" (« Psychologue du travail »,<br />

« Conseiller d’orientation Psychologue »), ce qui n’était le cas que de 30 % <strong>des</strong> cadres<br />

d’entreprise. On voit donc que contrairement aux deux groupes précédents, l’identité de<br />

psychologue converge ici avec l’emploi occupé. Ces deux professions apparaissent souvent<br />

comme <strong>des</strong> "refuges" pour <strong>des</strong> personnes qui n’ont pu trouver leur place dans d’autres<br />

secteurs, à la fois parce que les psychologues du travail y bénéficient d’un véritable statut et<br />

parce qu’ils peuvent y tirer pleinement parti <strong>des</strong> connaissances acquises au cours de leur<br />

formation. H. D., conseillère principale à l’ANPE, explique ainsi qu’elle envisage de<br />

présenter (pour la seconde fois) sa candidature à l’AFPA car elle estime que ses compétences<br />

de psychologue sont sous-employées dans son emploi actuel à l’ANPE :<br />

« Mais la différence avec l’ANPE c’est que les psychos de l’AFPA ils sont vraiment<br />

psychos… Déjà, ils ont forcément le DESS de psycho du travail… Moi je sais<br />

puisque j’ai essayé d’y entrer, à l’AFPA. Actuellement il faut une licence de psycho<br />

sociale, une maîtrise de psycho sociale, et un DESS de psycho du travail. Si on n’a<br />

pas ces libellés exacts ça marche pas. En plus ils ont <strong>des</strong> sous à l’AFPA. Vu la<br />

manière dont sont payés les psychos là-bas…. Je crois qu’ils ont <strong>des</strong> conditions de<br />

travail etc. qui sont vachement mieux que les nôtres… Mais moi je ne désespère pas<br />

de trouver un jour un métier en rapport avec ma formation. Je pense qu’un jour ou<br />

l’autre j’essaierai de rentrer à l’AFPA parce que là-bas on y est quand même mieux<br />

reconnu qu’ici et puis on fait moins de l’"abattage" » (entretien n°45, femme,<br />

conseillère principale ANPE).<br />

L’examen <strong>des</strong> outils utilisés révèle une nette prégnance de la psychologie<br />

différentielle : 92,5 % déclarent réaliser fréquemment <strong>des</strong> évaluations psychométriques dans<br />

le cadre de leur travail (USTEST=1) et 90 % se tiennent informés de l’actualité de la<br />

recherche en psychologie du travail (ACTU_PSYW=1), par la lecture de revues (67 %) ou<br />

<strong>des</strong> échanges avec <strong>des</strong> collègues (85 %). Contrairement au groupe <strong>des</strong> cadres d’entreprise, la<br />

pratique se caractérise ici par une "orthodoxie méthodologique" que traduit par exemple le<br />

refus de la graphologie (dans 100 % <strong>des</strong> cas) et le fait que les métho<strong>des</strong> utilisées sont<br />

387


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

produites par les institutions elles-mêmes dans 60 % <strong>des</strong> cas (PRODUCTION_TEST=1).<br />

L’AFPA et les CIO en particulier disposent de leurs propres services de recherches qui<br />

outillent les psychologues en tests scientifiquement validés et assurent le suivi<br />

méthodologique 75 .<br />

Toutefois, comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre suivant, ces services<br />

apparaissent comme les derniers bastions de la psychotechnique et résistent difficilement aux<br />

transformations profon<strong>des</strong> qui ont affecté le champ de l’orientation et de l’insertion depuis<br />

quelques années. Ils sont en effet confrontés à plusieurs défis. D’une part, malgré la proximité<br />

déclarée par les enquêtés avec la psychologie, il y a indéniablement un éclatement <strong>des</strong><br />

références méthodologiques et théoriques. Cet éclatement, qui n’est pas propre à la<br />

psychologie du travail, provient probablement de l’absence de consensus en France sur<br />

l’orientation à donner à la psychologie dans son ensemble et sur les manières d’outiller les<br />

praticiens, comme on le voit à travers les débats entre expérimentalistes, cliniciens et<br />

psychologues sociaux. La psychotechnique, qui avait autrefois scellé l’unité et la culture de<br />

ces services est aujourd’hui reléguée à une place de second rang et les services de direction<br />

eux-mêmes reconnaissent ne vouloir imposer à leurs psychologues aucun schéma théorique<br />

particulier. En d’autres termes, chaque psychologue doit se forger ses propres outils et<br />

certains ont le sentiment d’être totalement livrés à eux-mêmes du fait de la dissolution de<br />

l’identité professionnelle qui avait autrefois soudé leurs pratiques.<br />

Tableau 31 – Caractéristiques de la classe n°3 à partir d’une classification hiérarchique ascendante<br />

sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

Caractéristique<br />

% <strong>des</strong> effectifs de la classe<br />

présentant la caractéristique<br />

Secteur public 97,5%<br />

Utilisation de tests dans le travail 92,5%<br />

Formation de psychologue indispensable dans l’emploi occupé 87,5%<br />

L’intitulé d’emploi comporte le terme de « psychologue » 82%<br />

Les collègues de travail sont en majorité psychologues 75%<br />

L’employeur produit <strong>des</strong> tests 60%<br />

L’intitulé d’emploi comporte le terme « orientation » 52,5%<br />

Ancienneté > 10 ans 37%<br />

75 Pour les CIO, il s’agit de l’INETOP (Institut National d’Etu<strong>des</strong> du Travail et de l’Orientation Professionnelle),<br />

qui dépend du CNAM et pour l’AFPA de l’INOIP (Institut National de l’Orientation et de l’Insertion<br />

Professionnelle) qui a remplacé le CERP.<br />

388


L’autre difficulté rencontrée par ces "forteresses" traditionnelles de la psychologie du<br />

travail vient de la concurrence croissante qu’elles subissent de la part de psychologues<br />

exerçant le même type d’activité en dehors de la Fonction publique et sous <strong>des</strong> statuts<br />

beaucoup plus précaires, comme nous allons le voir à présent.<br />

d) Classe n°4 : Les "précaires" du secteur de l’orientation, de la<br />

formation et de l’insertion<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ce dernier groupe est certainement celui qui est le plus représentatif <strong>des</strong><br />

transformations du champ de l’orientation et de l’insertion au cours de ces vingt dernières<br />

années. Il occupe une place numériquement importante dans l’ensemble de notre population<br />

puisqu’il regroupe 30,9 % <strong>des</strong> répondants, soit un peu moins que la classe n°1. Il semblerait<br />

que ce soit à partir de la seconde moitié <strong>des</strong> années 1980 que les débouchés pour les<br />

psychologues du travail dans ce secteur se soient généralisés. En effet, l’enquête menée<br />

auprès de 70 diplômés de psychologie du travail par un membre de la SFP en 1982 ne le<br />

mentionnait pas encore comme l’un <strong>des</strong> débouchés possibles à l’issue <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

psychologie du travail 76 . Les trois principales activités mises en évidence par cette enquête<br />

étaient liées à la formation continue (68 % <strong>des</strong> répondants) ; aux tâches de diagnostic,<br />

sélection et orientation (60 %) et à la gestion du personnel (29 %) 77 . La majorité de ces<br />

psychologues exerçaient encore soit dans <strong>des</strong> activités de gestion du personnel en entreprise,<br />

de conseil en recrutement, soit dans les services de psychologie appliquée <strong>des</strong> services publics<br />

et administrations (La Poste, RATP, AFPA, SNCF, Armée…). Les activités de réinsertion <strong>des</strong><br />

chômeurs ne figuraient pas en revanche parmi les activités déclarées par ces psychologues.<br />

Quinze ans plus tard, une enquête menée par deux enseignants en psychologie auprès de<br />

titulaires d’un DESS de psychologie du travail révélait qu’environ 35 % de la population<br />

enquêtée occupait un emploi dans le secteur de l’insertion, du bilan, ou de l’orientation<br />

professionnelle 78 , signe de l’extrême rapidité à laquelle s’est développé ce secteur.<br />

L’année 1981 apparaît de ce point de vue comme une année charnière, en raison de<br />

la recomposition profonde du paysage de l’orientation consécutive aux nouvelles mesures de<br />

lutte contre le chômage. A partir de cette date, la montée du chômage est perçue comme un<br />

phénomène durable et l’on prend conscience que la gestion "frictionnelle" réalisée par les<br />

opérateurs traditionnels de l’emploi à l’échelon national (ANPE et AFPA) est une réponse<br />

76 Voir MOULIN (1982) : « Psychologues du travail, que faites-vous ? »<br />

77 Les réponses multiples étaient possibles.<br />

389


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

inappropriée au problème. Les structures et les dispositifs d’intermédiation de l’emploi au<br />

niveau territorial se multiplient en direction de publics spécifiques. Ce sont d’abord les jeunes<br />

chômeurs qui font l’objet de ces politiques ciblées, à travers la mise en place en 1982 <strong>des</strong><br />

Missions Locales et <strong>des</strong> PAIO (Permanences d’Accueil d’Information et d’Orientation),<br />

<strong>des</strong>tinées à favoriser l’insertion sociale et professionnelle <strong>des</strong> jeunes de moins de 26 ans. Puis<br />

les politiques publiques se concentrent, à partir de 1987, sur les chômeurs de longue durée et<br />

les chômeurs les plus âgés, conduisant à la mise en place de nouveaux dispositifs et mesures<br />

d’aide au retour à l’emploi (Contrat de Retour à l’Emploi est mis en place en 1989). La fin<br />

<strong>des</strong> années 1980 et le début <strong>des</strong> années 1990 voient émerger une nouvelle logique, marquée<br />

par le souci d’accroître "l’employabilité" <strong>des</strong> demandeurs d’emploi à travers la mise en place<br />

<strong>des</strong> bilans de compétence. Le rôle <strong>des</strong> professionnels de l’orientation et de l’insertion<br />

professionnelle est alors d’apporter un soutien aux personnes dans leurs pério<strong>des</strong> de<br />

transitions professionnelles en les aidant à mieux mettre en valeur <strong>des</strong> "compétences"<br />

susceptibles d’être valorisées sur le marché du travail. On voit qu’à chaque étape de ces<br />

évolutions, de nouvelles structures sont créées et de nouvelles catégories de professionnels<br />

chargés de mettre en œuvre les politiques publiques de l’emploi voient le jour. L’empilement<br />

<strong>des</strong> structures tend donc à l’emporter sur la redéfinition <strong>des</strong> missions <strong>des</strong> acteurs déjà en<br />

place. Comme le remarque Myriam Charlier (2002, p. 145) :<br />

« Les politiques publiques d’emploi, en se constituant grâce à <strong>des</strong> objectifs<br />

spécifiques, <strong>des</strong> publics particuliers, participent à spécialiser chaque structure sur un<br />

aspect particulier de l’activité de placement. Ces dernières se particularisent par les<br />

objectifs qui leur sont assignés, les objets qu’elles ont à traiter, les catégories de<br />

main-d’œuvre qu’elles ont en charge »<br />

Ces nouvelles structures s’inspirent d’une philosophie différente de celle prévalant à<br />

l’ANPE où à l’AFPA, institutions apparues dans un contexte de plein emploi. Au lieu de<br />

raisonner en termes d’adéquation formation/emploi, elles appréhendent le chômage comme<br />

un problème global, impliquant l’insertion professionnelle mais aussi sociale du jeune<br />

demandeur d’emploi 79 . Les compétences cliniques et relationnelles <strong>des</strong> personnels de ces<br />

institutions tendent donc à l’emporter sur une mesure stricte <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> individuelles telle<br />

qu’elle prévalait dans l’approche psychotechnique : il ne s’agit plus d’évaluer mais d’être à<br />

l’écoute du demandeur d’emploi et de chercher avec lui la solution la mieux adaptée à sa<br />

situation en terme d’emploi, de formation, de logement et plus généralement d’intégration<br />

78 VERQUERRE et BELS (1996)<br />

79 Voir ici le rapport SCHWARTZ (1981) qui a conduit à la création <strong>des</strong> Missions locales et PAIO.<br />

390


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

sociale. Comme le souligne Dugué, le secteur de l’insertion apparaît comme un « no man’s<br />

land qui se développe entre les politiques d’emploi et les politiques d’assistance » 80 .<br />

Ces structures ne sont pas centralisées ni placées sous le contrôle direct du Ministère<br />

du travail, mais adoptent un modèle d’organisation plus souple, généralement associatif et<br />

ancré dans le territoire local. Les Missions Locales sont emblématiques de ce nouveau<br />

modèle : pour être au plus près <strong>des</strong> « territoires », elles ont le statut d’association et leur<br />

conseil d’administration est composé d’élus et d’acteurs économiques locaux. Elles n’avaient<br />

pas été conçues au départ pour s’institutionnaliser, mais comme <strong>des</strong> structures souples,<br />

<strong>des</strong>tinées à disparaître avec le retour du plein emploi. Cette situation implique une certaine<br />

précarité de leurs personnels : dans un grand nombre de cas, il s’agit de fonctionnaires<br />

territoriaux ou nationaux mis à disposition ; elles font aussi appel à un volant important de<br />

main d’œuvre précaire (CDD, temps partiel…). Ainsi selon Charlier (2002) 45 % <strong>des</strong><br />

personnels employés par les PAIO et les Missions Locales en 1998 occupaient <strong>des</strong> statuts<br />

précaires. On voit donc que les conditions d’institutionnalisation du champ de l’insertion en<br />

France ont contribué à fragiliser les acteurs et les structures chargés de sa mise en œuvre,<br />

créant <strong>des</strong> conditions de concurrence nouvelle pour les psychologues du travail 81 .<br />

Ces derniers ont en effet eu du mal à faire prévaloir la spécificité de leurs<br />

compétences sur ce nouveau marché, alors même que le tournant "clinique" pris par les<br />

politiques publiques de l’emploi aurait dû les placer dans une position relativement favorable.<br />

La rencontre entre les psychologues et le secteur de l’insertion apparaît ainsi comme une<br />

succession de rendez-vous manqués dans la mesure où à de très rares exceptions près ils ne<br />

sont pas parvenus à obtenir un statut dans ces nouveaux organismes. Les conditions d’emploi<br />

dans le domaine de l’insertion permettent difficilement aux psychologues de valoriser leur<br />

titre et de mettre en œuvre les outils méthodologiques acquis au cours de leur formation. La<br />

plupart du temps, les salaires y sont peu élevés et les conditions d’emploi très précaires.<br />

Comme le souligne S. D., qui a travaillé pendant deux ans dans une association d’aide aux<br />

demandeurs d’emploi avant d’entrer à l’AFPA :<br />

R : « Dans l’association j’étais la seule psychologue en fait. Il y avait beaucoup de<br />

conseillers emploi qui n’avaient pas le titre de psychologue. Bac + 2 en psycho ou<br />

autre chose. Comme j’étais la seule psy, je voulais être mieux payée, je voulais faire<br />

<strong>des</strong> choses plus intéressantes etc. Et en fait, mon titre était pas reconnu parce que<br />

j’étais pas employée au titre de psychologue mais au titre de conseiller… »<br />

Q : « Mais en mission locale non plus ? »<br />

80 DUGUE, 2004, p. 135.<br />

81 Sur l’institutionnalisation du champ de l’insertion dans les années 1980 en France, voir VATIN (1999, pp. 183-<br />

190).<br />

391


R : « … J’étais conseillère emploi mais… Mon titre de psychologue était pas plus<br />

reconnu quand même. Donc en fait notre diplôme, ils en ont absolument besoin<br />

donc… Ils veulent nous prendre mais après, ils veulent pas nous employer en<br />

conséquence. (…) En fait à Toulon, j’étais toujours à la vacation donc c’était petit<br />

contrat sur petit contrat. Donc même si j’avais travaillé tout le temps, j’étais jamais<br />

sûre de travailler la semaine qui suivait… » (entretien n°16, femme, psychologue à<br />

l’AFPA)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le cadre institutionnel <strong>des</strong> politiques de l’emploi est peu favorable à la création d’un<br />

statut spécifique pour les psychologues, dans la mesure où les professionnels de l’insertion et<br />

du conseil en emploi sont rarement employés directement par l’Etat. Il y a là une différence<br />

avec les secteurs hospitalier et scolaire, qui, étant plus centralisés, permettent une<br />

mobilisation plus forte <strong>des</strong> acteurs. Les employeurs <strong>des</strong> psychologues de l’insertion sont le<br />

plus souvent <strong>des</strong> associations ou <strong>des</strong> petits cabinets de conseil conventionnés pour un durée<br />

déterminée par l’ANPE (pour les politiques nationales de l’emploi) ou les collectivités locales<br />

(notamment la région dans le domaine de la formation professionnelle ou de l’insertion socioprofessionnelle).<br />

Ces structures connaissent une activité fluctuante, au gré de la commande<br />

publique, peu propice à la constitution d’un statut stable pour leurs salariés. Les syndicats de<br />

psychologues ont alerté à plusieurs reprises le ministère du travail sur cette situation en<br />

tentant de lui faire reconnaître la spécificité <strong>des</strong> interventions <strong>des</strong> psychologues dans le<br />

domaine <strong>des</strong> politiques de l’emploi, comme dans cette lettre adressée en 1992 au Ministre du<br />

Travail :<br />

« Dans le seul secteur de la formation, vous n’ignorez pas que depuis plus de 10 ans<br />

maintenant, le recours aux psychologues intervenant dans les différents dispositifs<br />

d’insertion s’est accru (AFPA, GRETA, associations de formation, Centres de bilan,<br />

ANPE, Missions locales…).<br />

Ce fait n’est pas le fruit d’un réflexion ayant accompagné la mise en œuvre <strong>des</strong><br />

différents plans gouvernementaux, mais il s’est imposé sur le terrain, notamment à<br />

l’égard <strong>des</strong> publics en difficulté et dans les actions visant directement à la réinsertion<br />

(sessions d’orientation approfondie, Modules d’orientation approfondie, actions<br />

d’insertion et de formation, appui spécifique personnalisé…).<br />

La prévalence du psychologue dans les actions d’accompagnement à la formation et<br />

à l’insertion se justifia peu à peu aux yeux <strong>des</strong> différents prescripteurs à mesure que<br />

le constat s’imposait de l’insuffisance de tout dispositif, aussi ingénieux soit-il, s’il<br />

reste centré sur <strong>des</strong> aspects techniques et pédagogiques.<br />

Notre rôle de psychologue, au plan collectif, consiste justement à veiller à la prise en<br />

considération de la dimension de la personne au sein de tout dispositif, à lui<br />

favoriser l’évolution vers une autonomie psychologique lui permettant une réelle<br />

intégration <strong>des</strong> processus de formation et de travail. Cette spécificité professionnelle<br />

et déontologique du psychologue lui enjoint d’être un « formateur » plus soucieux<br />

de l’éveil à la dynamique personnelle que de l’élaboration de programmes, aussi<br />

nécessaires soient-ils. » 82<br />

Ces démarches n’ont toutefois pas abouti, le Ministère du travail refusant de<br />

reconnaître une spécificité <strong>des</strong> interventions psychologiques dans ce secteur, contrairement au<br />

392


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Ministère de la santé. On voit donc que le monopole exercé par les psychologues sur les<br />

questions d’orientation et d’insertion professionnelle est loin d’être assuré et semble même de<br />

plus en plus menacé par la déqualification <strong>des</strong> personnes intervenant dans ce domaine.<br />

Le profil <strong>des</strong> membres de ce groupe (tableau 31) 83 reflète bien la précarité de leurs<br />

statuts par rapport à ceux de leurs collègues du privé ou de la Fonction publique. Pour 50 %<br />

d’entre elles, les personnes travaillent dans le secteur associatif (STATUT_EMPL=5). Le plus<br />

souvent, il s’agit d’associations conventionnées par les pouvoirs publics pour réaliser <strong>des</strong><br />

missions de suivi et d’accompagnement <strong>des</strong> demandeurs d’emploi : prestations d’orientation,<br />

de formation, d’aide psychologique à l’insertion… Ces structures, de taille moyenne,<br />

emploient entre 10 et 49 salariés (dans 38 % <strong>des</strong> cas) dont un nombre important de<br />

psychologues, même si le statut y est faiblement reconnu : les membres du groupe déclarent<br />

souvent avoir entre 1 et 5 collègues psychologues de formation (NB_PSY=de 1 à 5). Il ne<br />

s’agit d’ailleurs pas toujours de psychologues du travail : ces structures font volontiers appel à<br />

<strong>des</strong> cliniciens, mais nous ne disposons pas d’informations chiffrées sur ce point, le<br />

questionnaire ayant été envoyé aux seuls diplômés de psychologie du travail. Les personnes<br />

de ce groupe estiment en revanche pour la plupart (82,5 %) que leur titre et leurs compétences<br />

de psychologue ont fortement joué dans leur accès à l’emploi. Le travail est souvent à temps<br />

partiel (30 % <strong>des</strong> cas) et, lorsqu’ils exercent dans le cadre de la Fonction publique, ces<br />

psychologues sont souvent contractuels (16 % du groupe). Lorsqu’ils sont dans le secteur<br />

privé ou associatif, le statut de cadre est loin d’être la règle (45,6 % de non-cadres dans le<br />

groupe, contre 24,7 % dans l’ensemble de la population). Les salaires, enfin, sont parmi les<br />

moins élevés de l’ensemble de notre population : plus de la moitié du groupe (56%) gagnent<br />

moins de 1800 euros nets par mois. Ces situations difficiles sont source d’une certaine<br />

insatisfaction, plus de la moitié <strong>des</strong> membres de ce groupe envisageant de quitter leur emploi<br />

dans un futur proche (SOUHAIT_DEMISS=1).<br />

Tableau 32 – Caractéristiques de la classe n°4 à partir d’une classification hiérarchique ascendante<br />

sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

Caractéristique<br />

% <strong>des</strong> effectifs de la classe<br />

présentant la caractéristique<br />

La personne n’utilise que <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychologiques<br />

85%<br />

enseignées à l’université<br />

82 Arch. SNP, lettre du SNP (Section « Travail ») au Ministère du Travail, 1992<br />

83 Pour le détail de la CHA, voir tableau IV-10, annexe 4.<br />

393


Le titre de psychologue a favorisé l’accès à l’emploi occupé 82,5%<br />

Salaire < 1800 euros nets mensuel 56%<br />

Souhaite démissionner de l’emploi actuel 55,6%<br />

Travaille dans le secteur associatif 50%<br />

Statut non cadre 45,6%<br />

Travaille dans une structure de 10 à 49 salariés 38%<br />

Travaille à temps partiel 30%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le questionnaire apporte quelques indications sur les trajectoires sociales qui<br />

conduisent à ces emplois. D’une part, les origines sociales de ces personnes sont relativement<br />

mo<strong>des</strong>tes (surreprésentation de personnes issues d’un milieu d’ouvriers ou d’employés),<br />

notamment si on les compare avec celles <strong>des</strong> cadres d’entreprise, qui sont plutôt issus de<br />

milieux de cadres ou d’indépendants. Ensuite, la mobilité sectorielle est assez faible puisque<br />

l’emploi précédent se situait déjà dans le champ de l’insertion, notamment en milieu associatif<br />

(PRECED_SECT=5) et que le nombre d’emplois occupés depuis l’obtention du DESS est<br />

faible (moins de deux emplois pour 36 % du groupe).<br />

L’examen <strong>des</strong> intitulés d’emploi fournit <strong>des</strong> indications intéressantes sur le type<br />

d’emploi occupé. Certains termes apparaissent de façon récurrente dans cette classe,<br />

notamment ceux d’"insertion" (la spécificité de ce terme pour cette classe est de 91 %), que<br />

l’on retrouve dans les intitulés suivants : « Chargé d’insertion professionnelle » ; « Animateur<br />

d’insertion professionnelle » ; « conseiller en insertion socio-professionnelle » ; celui de<br />

"bilan" (spécificité=73 %) : « Conseiller/ère en bilan », « Consultant/te en bilan » ; ou encore<br />

celui d’"emploi" (spécificité=63 %) : « Chargé de mission maintien dans l’emploi » ;<br />

« Conseiller à l’emploi ANPE » ; « Conseiller emploi-formation ». La spécificité de ce dernier<br />

terme pour cette classe est toutefois moins nette dans la mesure où il peut figurer aussi dans<br />

les intitulés de certains cadres de ressources humaines, notamment dans les postes de<br />

« Responsable emploi-formation » ou de « Chargé de l’emploi et <strong>des</strong> carrières ».<br />

Sur le plan <strong>des</strong> pratiques professionnelles, cette classe se caractérise comme la<br />

précédente par le refus d’utiliser <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> non validées scientifiquement : 85 % de la<br />

classe déclare ne pas utiliser de métho<strong>des</strong> psychologiques qui ne sont pas enseignées à<br />

l’université (TECH_NON_PSY=2) ; la graphologie est notamment refusée dans 93 % <strong>des</strong> cas<br />

(GRAPHO=2). Cette orthodoxie méthodologique s’explique par le contrôle étroit que ces<br />

organismes exercent sur la nature et la qualité <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’évaluation utilisées compte<br />

tenu <strong>des</strong> enjeux éthiques posés par la relation d’évaluation, en termes de confidentialité ou de<br />

respect <strong>des</strong> libertés publiques. En effet, comme dans l’activité de recrutement, les évaluations<br />

394


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

faites par les professionnels <strong>des</strong> organismes d’insertion professionnelle ont un statut juridique<br />

ambigu. Il s’agit le plus souvent de recueillir pour le compte d’un tiers (administration,<br />

services sociaux ou employeur potentiel) <strong>des</strong> informations sur une personne sans que celle-ci<br />

connaisse nécessairement l’usage final qui sera fait <strong>des</strong> informations recueillies. Afin de se<br />

prémunir contre <strong>des</strong> risques de dérives, la nouvelle version du Code de déontologie <strong>des</strong><br />

psychologues (1996) précise que « les techniques utilisées par le psychologue pour<br />

l’évaluation, à <strong>des</strong> fins directes de diagnostic, d’orientation ou de sélection, doivent avoir été<br />

scientifiquement validées » 84 et que les « mo<strong>des</strong> d’intervention choisis par le psychologue<br />

doivent pouvoir faire l’objet d’une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques et<br />

de leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l’objet d’un débat<br />

contradictoire <strong>des</strong> professionnels entre eux » 85 . Toutefois, comme nous le verrons, l’absence<br />

de reconnaissance juridique de ce code fait que ces recommandations ne dépassent guère le<br />

stade <strong>des</strong> bonnes intentions.<br />

D’ailleurs, en dépit de leur socialisation et de leur culture professionnelle commune,<br />

l’ensemble <strong>des</strong> psychologues ne portent pas le même point de vue sur ces questions. On a vu<br />

notamment que les cadres d’entreprise et les consultants en ressources humaines faisaient<br />

preuve d’une vigilance moins grande à l’égard <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> utilisées que les psychologues<br />

exerçant dans la sphère publique, entendue au sens large. Le secteur de l’insertion et de<br />

l’orientation se caractérise à l’inverse par une "orthodoxie" plus grande. Toutefois,<br />

contrairement aux CIO ou à l’AFPA, cette orthodoxie ne se traduit pas par l’utilisation<br />

d’outils psychométriques. Les tests d’aptitude ou d’intelligence ne sont pas utilisés à l’ANPE<br />

ni dans la plupart <strong>des</strong> organismes de bilan ou d’insertion (85 % <strong>des</strong> membres de ce groupe<br />

déclare que l’organisme qui les emploie ne produit pas de test). L’orthodoxie dont il s’agit ici<br />

s’apparente davantage au respect d’une certaine déontologie dans le travail d’écoute et de<br />

soutien psychologique apporté à la personne qu’à la maîtrise d’outils spécifiques.<br />

2. Une perspective dynamique de l’évolution <strong>des</strong> débouchés<br />

Il apparaît donc bien que le champ de la psychologie du travail est structuré par une<br />

double opposition entre le secteur d’activité d’une part (social ou entreprise) et le type de<br />

marché du travail de l’autre (marché interne ou pratique libérale). Cette analyse montre que<br />

loin de former un espace unifié, la profession se caractérise par la coexistence de multiples<br />

segments manifestant un rapport spécifique à la discipline, à l’identité professionnelle, au<br />

84 Code de déontologie <strong>des</strong> psychologues, article 18.<br />

395


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

statut, au monde de l’entreprise etc. L’analyse statistique fait apparaître la génération<br />

d’appartenance (évaluée par l’année d’obtention du DESS) comme un facteur essentiel de<br />

segmentation. La principale question qui se pose de ce point de vue est de savoir dans quelle<br />

mesure les conditions d’insertion qui président à la date d’entrée sur le marché du travail<br />

déterminent les trajectoires ultérieures. On s’aperçoit par exemple que les femmes, plus<br />

jeunes et d’origine sociale plus mo<strong>des</strong>te, sont surreprésentées dans le secteur de l’insertion, où<br />

elles perçoivent <strong>des</strong> salaires peu élevés, alors que les hommes, qui sont aussi souvent plus<br />

âgés, sont plutôt dans les Ressources humaines ou le Conseil en recrutement, où ils perçoivent<br />

<strong>des</strong> salaires élevés et occupent <strong>des</strong> emplois de cadres. Or précisément, les femmes sont<br />

arrivées massivement dans les étu<strong>des</strong> de psychologie du travail au milieu <strong>des</strong> années 1980<br />

(voir tableau 32 infra), à un moment où les débouchés commençaient à s’ouvrir dans le<br />

champ de l’insertion et où le recrutement social de la psychologie tendait lui aussi à évoluer.<br />

Le risque est donc grand d’attribuer à un effet de sexe ce qui tient en réalité à un effet de<br />

génération, en s’appuyant sur <strong>des</strong> raisonnements du type "les femmes sont plus portées à se<br />

tourner vers le secteur social". La complexité s’accroît du fait que les handicaps et les<br />

avantages se cumulent : les hommes sont dans <strong>des</strong> situations plus favorables en raison d’un<br />

triple effet : effet de "carrière" (ils sont arrivés plus tôt, et sont donc aujourd’hui parvenus au<br />

sommet de leur carrière), effet de génération (ils sont entrés sur le marché du travail à une<br />

époque où les débouchés se situaient surtout dans le monde de l’entreprise) et effet de sexe<br />

(les hommes gagnent plus que les femmes toutes choses égales par ailleurs). Tout converge<br />

donc pour les placer dans une situation plus favorable que les femmes. Inversement on peut se<br />

demander si la "déprofessionnalisation" qui semble toucher les générations les plus récentes<br />

est due à l’évolution <strong>des</strong> propriétés sociales <strong>des</strong> agents (origine sociale plus mo<strong>des</strong>te,<br />

féminisation) ou aux transformations de la demande sociale en direction de la profession,<br />

marquée par le développement rapide du champ de l’insertion.<br />

Tableau 33 – Féminisation de la profession : découpage par générations 1962-2001<br />

Année d’obtention du DESS 1962-1979 1980-1986 1987-1991 1992-1996 1997-2001<br />

% de femmes dans l’échantillon 54.5 % 74.5 % 78 % 81.7 % 84.6 %<br />

Effectifs totaux (Homme + femme) 44 98 100 131 143<br />

Sans prétendre démêler entièrement ces différentes questions l’analyse qui suit entend<br />

apporter quelques éclairages. L’analyse factorielle permet tout d’abord d’examiner la position<br />

85 Code…, principe 5 : qualité scientifique.<br />

396


<strong>des</strong> différentes générations dans l’espace professionnel (a) puis nous tentons dans une seconde<br />

étape de dégager un effet propre à l’appartenance générationnelle à partir de deux métho<strong>des</strong><br />

différentes (b).<br />

a) Une représentation de l’espace professionnel par AFC<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les résultats de la section précédente peuvent être représentés graphiquement par une<br />

analyse factorielle de correspondances (graphique 13, infra). Afin de ne pas surcharger<br />

l’analyse, nous avons choisi de ne conserver en variables actives que les plus significatives,<br />

soit un total de dix-neuf variables 86 . Ces variables apparaissent en police fine dans le<br />

graphique et sont signalées par un carré vide. On a ainsi retenu les données concernant les<br />

caractéristiques de l’emploi occupé (salarié / libéral, cadre / non cadre, titulaire de la Fonction<br />

publique / contractuel, niveau de salaire) ; la stabilité d’emploi (durée de l’emploi précédent,<br />

ancienneté dans le poste) ; les caractéristiques de l’employeur (taille et statut juridique de<br />

l’entreprise, secteur d’activité) ; l’usage de la psychologie dans les emplois occupés<br />

(utilisation <strong>des</strong> tests d’aptitude, de personnalité, de connaissances) et <strong>des</strong> variables sociodémographiques<br />

concernant les individus (âge à la date de l’enquête, sexe, âge et année<br />

d’obtention du DESS). Les emplois occupés (variable EMP_ROME) ont été traités en<br />

variables illustratives (en gras dans le graphique, signalées par un carré plein). La typologie<br />

<strong>des</strong> emplois est la même que précédemment et s’appuie sur le code ROME de l’ANPE.<br />

86 La liste <strong>des</strong> variables actives figure dans le tableau IV-5, annexe 4<br />

397


Graphique 13 Positions professionnelles et générations (analyse factorielle de correspondances)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

398


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

On retrouve bien sur ce graphique les quatre groupes précédemment identifiés : les<br />

cadres d’entreprise (quadrant nord-est), les consultants (quadrant sud-est), les conseillers en<br />

emploi et insertion professionnelle (quadrant sud-ouest) et les conseillers en formation de<br />

l’AFPA, <strong>des</strong> CIO et CIBC (quadrant nord-ouest). L’axe 1 (9.04 % de l’inertie totale) contient<br />

les variables relatives au secteur d’activité de l’employeur et <strong>des</strong>sine une opposition entre le<br />

monde de l’entreprise privée et celui du secteur public (social). On trouve, au plus près du<br />

pôle « entreprise » les consultants en organisation et en ressources humaines, les chefs<br />

d’entreprise (qui, dans 80 % <strong>des</strong> cas, dirigent un cabinet de conseil) et les cadres d’entreprises<br />

(Ressources humaines et organisation). A l’opposé figurent les conseillers en emploi et en<br />

insertion professionnelle et les conseillers en formation du secteur public. L’axe 2 (6.8 % de<br />

l’inertie) comprend d’un côté les gran<strong>des</strong> organisations (administrations, gran<strong>des</strong> entreprises<br />

publiques ou privées) comprenant plus de 50 salariés et de l’autre les structures de taille<br />

moyenne (entre dix et cinquante salariés) ou petites (moins de 10). Cet axe peut être interprété<br />

comme opposant <strong>des</strong> "marchés internes" caractérisés par une stabilité d’emploi et une<br />

ancienneté élevées à <strong>des</strong> "marchés externes" caractérisés par une plus grande mobilité et la<br />

petite taille de la structure. Sur le premier pôle (en haut) se projettent les conseillers en emploi<br />

et insertion professionnelle et les consultants, sur le pôle opposé les conseillers en formation<br />

<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> structures publiques (AFPA, CIO) et les cadres <strong>des</strong> entreprises.<br />

L’intérêt de ce graphique est de faire apparaître plus clairement les variables sociodémographiques<br />

et de relier ainsi les propriétés sociales aux positions dans la profession. En<br />

ce qui concerne les variables continues (âge, salaire, année de DESS), nous sommes parti<br />

d’un découpage assez fin pour regrouper ensuite les catégories qui apparaissaient les plus<br />

proches dans l’AFC. Cela nous conduit à dégager trois classes de salaire : salaire bas (moins<br />

de 1800 euros) ; salaire moyen (1800 à 2700 euros) ; salaire élevé (plus de 2700 euros). L’âge<br />

a été regroupé en quatre classes : de 25 à 31 ans, 32-38 ans, 39-50 ans, 51 ans et plus. Les<br />

différentes générations, enfin, sont décrites par les années d’obtention du DESS : avant 1980,<br />

1981-1985, 1986-1990, 1996-2001 ; elles ont été reliées entre elles par <strong>des</strong> segments afin de<br />

montrer la tendance générale. Elles décrivent les conditions dans lesquelles s’est effectuée<br />

l’insertion sur le marché du travail et permettent donc d’approcher un éventuel effet de<br />

génération lié aux débouchés. La lecture du graphique montre que les générations les plus<br />

anciennes sont associées à une proximité avec le monde de l’entreprise (ancienneté élevée,<br />

taille de l’entreprise importante) et qu’inversement les plus jeunes sont concentrées à droite<br />

du graphique, du côté du secteur social. L’alignement <strong>des</strong> différentes générations montre que<br />

l’effet de génération joue également sur l’axe 2, notamment pour les générations les plus<br />

399


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récentes (postérieures à 1990). Celles-ci se trouvent souvent dans <strong>des</strong> petites structures<br />

privées ou associatives du monde de l’insertion, où elles réalisent de la sous-traitance dans le<br />

cadre <strong>des</strong> politiques publiques de l’emploi (prestations de soutien psychologique, de bilans, de<br />

formation en techniques d’aide à la recherche d’emploi etc.) alors que les générations<br />

antérieures à 1990 sont dans <strong>des</strong> emplois stables de l’insertion où ils occupent le plus souvent<br />

<strong>des</strong> postes de fonctionnaires : AFPA, CIO… Le lien avec le salaire apparaît aussi de façon<br />

très étroite, ce qui est normal, les effets d’âge et de génération se renforçant mutuellement.<br />

Les salaires les plus élevés sont perçus par les hommes, qui sont plus souvent dans le monde<br />

de l’entreprise et qui ont une ancienneté élevée.<br />

Ces divers constats ne permettent pourtant pas de dire grand chose quant à un<br />

éventuel effet de génération. En effet, comme on le voit sur le graphique précédent, l’âge est<br />

étroitement associé à la génération d’appartenance ce qui n’est guère surprenant, le DESS<br />

étant obtenu dans 85 % <strong>des</strong> cas dans la continuité directe <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie, c’est-àdire<br />

à un âge précoce. La corrélation entre l’âge et l’ancienneté du diplôme est donc très<br />

élevée et il faut employer d’autres techniques que l’analyse factorielle pour séparer ces deux<br />

variables.<br />

b) Une approche <strong>des</strong> mouvements générationnels dans la profession<br />

Une première manière de montrer un effet propre de l’appartenance générationnelle<br />

sur les carrières consiste à observer la mobilité professionnelle. On peut en effet supposer que<br />

si celle-ci est élevée, les individus ont une capacité à se réorienter au gré <strong>des</strong> opportunités qui<br />

se créent à une période donnée dans les secteurs les plus rémunérateurs ou les plus attractifs<br />

d’une profession. Ainsi, un individu peut avoir commencé sa carrière dans un segment<br />

"dominé" et la poursuivre dans un secteur plus prestigieux ou plus rémunérateur lorsque la<br />

conjoncture se montre plus favorable. Tel est en tout cas le schéma qui prédomine dans la<br />

représentation d’un marché professionnel pur et parfait, où tous les membres se voient dotés<br />

d’égales opportunités d’accès aux domaines les plus porteurs de la profession. Le discours<br />

ambiant ou la presse professionnelle se plaisent ainsi à insister sur les secteurs "en vogue" ou<br />

"en déclin" <strong>des</strong> professions, laissant entendre que chaque membre est en droit d’espérer les<br />

mêmes gratifications de ces changements. La réalité offre une image beaucoup plus contrastée<br />

et montre que, là encore, c’est la segmentation qui est la règle, comme l’a bien montré<br />

Chauvel (1998) en explorant <strong>des</strong> phénomènes plus généraux que l’appartenance<br />

professionnelle. Ce sont en général les nouvelles générations qui profitent de ces ouvertures<br />

400


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

ou qui à l’inverse subissent de plein fouet les contrecoups <strong>des</strong> fermetures affectant les<br />

professions. La mobilité est faible d’un segment à l’autre, compte tenu du coût d’un tel<br />

changement pour les générations anciennes, déjà installées dans une carrière. Il y a donc un<br />

"effet de cliquet" qui fait que les carrières sont déterminées en grande partie par les conditions<br />

du marché du travail (et plus spécifiquement du marché professionnel) au moment de<br />

l’insertion 87 .<br />

L’analyse d’Abbott en termes de "juridictions" mériterait d’être complétée par une<br />

analyse de ces mouvements générationnels. La carrière <strong>des</strong> générations les plus anciennes se<br />

déroule en général sur <strong>des</strong> juridictions elles aussi anciennes. Elles ont pu construire leur<br />

carrière dans <strong>des</strong> niches suffisamment spécifiques pour être, au bout de quelques années à<br />

l’abri <strong>des</strong> fluctuations de courte période. A l’inverse les jeunes générations se situent sur les<br />

"fronts pionniers" de la profession et profitent <strong>des</strong> nouvelles juridictions qui s’ouvrent ou<br />

subissent les contrecoups <strong>des</strong> fermetures. Karpik (1985, pp. 590-592) montre ainsi que le<br />

développement du droit fiscal et <strong>des</strong> affaires lié à la modernisation du tissu économique<br />

français et à la judiciarisation de la vie économique dans les années 1970-1980 a profité<br />

presque exclusivement aux générations les plus jeunes, nées entre 1945 et 1955 alors que les<br />

plus anciennes ont continué à exercer principalement dans les domaines moins rémunérateurs<br />

du pénal et du droit <strong>des</strong> personnes. Dans le même ordre d’idées, la grande enquête<br />

longitudinale menée par Herzlich, Bungener, Paicheler Zuber et Roussin (1993) auprès de<br />

médecins retraités met en évidence les « carrières médicales typiques » de médecins<br />

appartenant à six générations différentes ayant exercé entre 1930 et 1980. L’histoire <strong>des</strong><br />

carrières médicales a été en particulier marquée par la mise en place en 1960 du<br />

conventionnement, qui a été l’objet d’un conflit entre les vieilles générations et les nouvelles,<br />

les plus âgés refusant parfois le conventionnement au nom de la préservation d’une médecine<br />

libérale. Les jeunes générations, à l’inverse, se sont engagées dans la "poly-activité" née de<br />

l’explosion de la demande de soins médicaux, cumulant statut de salarié en hôpital, pratique<br />

libérale en cabinet et activités de recherche ou d’enseignement universitaire.<br />

La prise en compte plus systématique de tels phénomènes inviterait la sociologie <strong>des</strong><br />

professions à raisonner davantage en termes de "flux" que de "stock". Le stock produit une<br />

image unifiée et homogène de la profession alors que les flux font apparaître une<br />

segmentation par génération 88 . Il apparaît d’ailleurs que certaines associations<br />

87 Selon Louis Chauvel le <strong>des</strong>tin social d’une génération est pour l’essentiel fixé dès que les membres de la<br />

cohorte ont atteint l’âge de trente ans.<br />

88 Pour une approche du lien entre les mouvements générationnels et les professions, voir toutefois VERPRAET,<br />

401


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

professionnelles défendent implicitement une génération spécifique de professionnels. Il en<br />

est allé ainsi dans les associations de psychologues : la naissance d’un syndicat comme le<br />

SNP (voir supra) est liée à la massification <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie dans les années 1980 et<br />

à la montée de la clinique, alors que d’autres structures (ACOF, SNES, AFPS) incarnent<br />

davantage les positions <strong>des</strong> psychologues de la génération antérieure, associés au modèle<br />

psychotechnique du secteur public. Karpik montre aussi l’importance <strong>des</strong> conflits au sein du<br />

Barreau dans les années 1970 entre la jeune génération, véhiculant une image moderniste du<br />

droit et les "traditionnalistes", qui restent tournés vers les domaines classiques du droit (droit<br />

<strong>des</strong> personnes et droit pénal).<br />

Le cas que nous étudions met clairement en évidence <strong>des</strong> phénomènes de ce type et<br />

fait apparaître <strong>des</strong> « carrières probables » (Strauss, 1992) 89 différentes d’une génération à<br />

l’autre. Les générations les plus anciennes exercent dans <strong>des</strong> fonctions de ressources<br />

humaines en entreprise. Elles ont pu accéder à ces postes dans les années 1960 ou 1970, à une<br />

époque où les étu<strong>des</strong> de "psychologie industrielle" étaient quasiment la seule voie d’accès aux<br />

fonctions de direction du personnel en entreprise, compte tenu de la quasi-absence de<br />

formations en gestion au cours de cette période 90 . Le développement <strong>des</strong> écoles de commerce<br />

et <strong>des</strong> filières universitaires de GRH à partir <strong>des</strong> années 1980 a accru la concurrence pour les<br />

psychologues dans ce secteur et la génération suivante s’est davantage tournée vers le secteur<br />

du conseil en recrutement, qui connaissait alors un développement important, tout<br />

particulièrement dans la période 1985-1990 marquée par l’arrivée en France <strong>des</strong> grands<br />

cabinets de recrutement anglo-saxons. Les débouchés ont encore évolué pour la génération<br />

suivante (1990-1995) qui, face à la crise du secteur du recrutement, s’est dirigée vers le<br />

secteur de l’insertion, où les postes sont plus précaires et moins bien rémunérés que ceux<br />

occupés par les générations précédentes. Enfin, la dernière génération (1996-2001) se<br />

caractérise par le retour du secteur du recrutement et <strong>des</strong> ressources humaines sous l’effet de<br />

la reprise économique. La "photographie" actuelle du groupe professionnel à travers le<br />

questionnaire fait donc apparaître ces différentes "strates", mais peut conduire à <strong>des</strong><br />

« Professional systems and generations », ESA Conference, 2003<br />

89 « Le <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> carrières individuelles est intimement lié au <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> segments, et les carrières possibles pour<br />

une génération le sont rarement pour la génération suivante » (STRAUSS, 1992, p. 85).<br />

90 Jusqu’aux années 1960, la « fonction personnel » est peu professionnalisée comme l’a bien montré FOMBONNE<br />

(2000). Après les premières générations de chefs du personnels de l’entre-deux-guerres, qui étaient souvent<br />

d’anciens officiers, les années 1950-1980 ont été marquées par la coexistence de personnes aux profils divers<br />

dans ces fonctions : <strong>des</strong> psychologues, d’anciens <strong>ingénieurs</strong> mais aussi <strong>des</strong> personnes issues de la promotion<br />

interne, notamment dans les entreprises de taille petite ou moyenne. L’ère de la gestion <strong>des</strong> ressources humaines<br />

n’a commencé à véritablement s’imposer qu’à partir <strong>des</strong> années 1980 (PAVIS, 2003a).<br />

402


interprétations erronées en interprétant comme un effet d’âge ou de sexe ce qui tient en réalité<br />

à la génération.<br />

(1) Une faible mobilité professionnelle qui renforce l’effet de génération<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le questionnaire fait tout d’abord apparaître une mobilité professionnelle faible<br />

indiquant que la structure <strong>des</strong> postes à l’entrée sur le marché du travail scelle de manière quasi<br />

définitive les <strong>des</strong>tins professionnels. Ce constat rejoint largement celui <strong>des</strong> auteurs d’un livre<br />

paru en 2004 sur Les métiers en psychologie sociale et du travail qui constatent que « le<br />

premier emploi détermine souvent le secteur dans lequel une grande partie de la vie<br />

professionnelle se déroulera ». Ce phénomène est dû selon nous aux cloisonnements<br />

importants entre les différentes spécialités de la discipline qui rendent difficile le passage d’un<br />

secteur à l’autre en cours de carrière. Pour simplifier l’analyse, nous n’avons retenu que trois<br />

groupes : secteur "social", consultants et entreprise 91 . Ne disposant malheureusement pas<br />

d’informations sur l’emploi occupé à la date d’entrée <strong>des</strong> individus sur le marché du travail,<br />

l’analyse a porté uniquement sur une comparaison entre l’emploi actuel et le précédent. Le<br />

premier constat qui s’impose est celui d’une grande stabilité, 60 % <strong>des</strong> personnes restant dans<br />

le même secteur. Certains mouvements apparaissent nettement plus probables que d’autres,<br />

comme le montre la figure 4 (infra) représentant l’intensité <strong>des</strong> échanges entre les trois<br />

groupes. On voit ainsi que 25 % <strong>des</strong> membres du groupe entreprise sont d’anciens consultants<br />

et que 20 % <strong>des</strong> consultants étaient auparavant dans le secteur social. Inversement, les<br />

mouvements les moins probables sont ceux qui font passer directement du secteur de<br />

l’insertion au monde de l’entreprise et vice-versa. Le secteur du conseil semble ainsi occuper<br />

une position de "pivot", permettant le passage du social à l’entreprise. Comme l’ont remarqué<br />

Caire et Karchevtsky (2000, p. 33) dans une recherche récente consacrée à ce secteur,<br />

l’extrême hétérogénéité <strong>des</strong> missions qui sont confiées aux cabinets de conseil (recrutement<br />

ou ressources humaines, reclassement de chômeurs, formation, bilans, stratégie etc.) et <strong>des</strong><br />

techniques utilisées par les consultants (entretien, tests, bilan…) facilite de tels transferts.<br />

91 Nous avons fusionné le groupe <strong>des</strong> conseillers en emploi et insertion professionnelle et le groupe <strong>des</strong><br />

conseillers en formation, tous deux situés dans le "social".<br />

403


Figure 4 – Intensité <strong>des</strong> échanges entre les trois principaux segments de la profession 92<br />

18%<br />

Entreprise<br />

25%<br />

Consultants<br />

14<br />

%<br />

12%<br />

20%<br />

16%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Social<br />

Il faut toutefois affiner ce résultat et regarder si les "mobiles" présentent un profil<br />

particulier, notamment du point de vue de leur génération d’appartenance. On verra ainsi s’il<br />

existe un lien entre les formes de mobilité et la conjoncture du marché du travail, c’est-à-dire<br />

si les pério<strong>des</strong> de chômage favorisent un repli vers le secteur "social" et si à l’inverse les<br />

pério<strong>des</strong> de reprise économique favorisent les migrations vers le secteur de l’entreprise. Une<br />

analyse factorielle a permis de dégager trois profils de mobilité typiques 93 . Le premier est<br />

caractérisé par le passage du secteur de l’entreprise à celui du conseil (Entreprise>>conseil<br />

dans le graphique). Il est associé aux générations les plus anciennes de notre échantillon<br />

(avant 1980). Le profil de ces personnes laisse penser que c’est ici surtout un effet de<br />

"carrière" qui est à l’œuvre, la longue expérience acquise dans le monde de l’entreprise (avec<br />

une certaine stabilité d’emploi) est valorisée, en fin de carrière, dans une activité de conseil<br />

92 La taille <strong>des</strong> cercles et <strong>des</strong> flèches est proportionnelle respectivement aux effectifs <strong>des</strong> groupes d’arrivée et à<br />

l’intensité <strong>des</strong> échanges en proportion du volume du groupe d’arrivée.<br />

93 Cette AFC figure en annexe 4, graphique IV-1.<br />

404


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

qui permet de prendre de la hauteur par rapport aux pratiques antérieures en se tournant<br />

davantage vers la psychosociologie, le conseil en organisation… Cette forme de mobilité est<br />

en outre associée à <strong>des</strong> salaires très élevés, ce groupe constituant très certainement l’élite de la<br />

profession au point de vue <strong>des</strong> salaires et <strong>des</strong> statuts. Le second profil est celui <strong>des</strong> personnes<br />

qui ont opéré le mouvement inverse, c’est-à-dire qui sont passées du secteur du conseil à celui<br />

de l’entreprise (Conseil>>entreprise). Cette mobilité est généralement associée à de bons<br />

salaires mais à <strong>des</strong> profils de carrières plus mouvementés, puisque le nombre total d’emplois<br />

occupés est ici particulièrement élevé. On peut penser que le choix de se diriger vers le monde<br />

de l’entreprise traduit le souci de s’"installer" en rejoignant une carrière plus stable que celles<br />

qui prévalent généralement dans le monde du conseil. Ce passage est toutefois difficile<br />

compte tenu de la frilosité <strong>des</strong> entreprises à embaucher <strong>des</strong> personnes jugées trop instables et<br />

dont la connaissance <strong>des</strong> domaines liés à la gestion du personnel est parfois insuffisante<br />

(comptabilité, droit du travail…). Pour cette raison, lorsqu’elles rejoignent l’entreprise, ces<br />

personnes se retrouvent le plus souvent dans <strong>des</strong> postes d’étu<strong>des</strong> dans les gran<strong>des</strong> entreprises<br />

(chargés d’étu<strong>des</strong> en formation ou ressources humaines) ou sur <strong>des</strong> postes techniques de<br />

chargés de recrutement. L’accès aux fonctions de gestion ou de direction de personnel est en<br />

revanche assez rare. Le dernier type de mobilité enfin concerne les mouvements entre le<br />

secteur du conseil et celui du social. On s’aperçoit que ce dernier type de mobilité concerne<br />

les générations les plus récentes et semble lié à la conjoncture sur le marché du travail. Les<br />

passages du secteur du conseil au secteur social (Conseil>>social) sont particulièrement<br />

élevés pour la génération ayant obtenu le DESS entre 1991 et 1995, c’est-à-dire dans une<br />

période caractérisée par la montée du chômage et le développement du champ de l’insertion<br />

alors que les passages inverses (social>>conseil) sont davantage le fait de la génération 1996-<br />

2001 caractérisée par une baisse du chômage et une demande dans le secteur <strong>des</strong> ressources<br />

humaines et du recrutement. On peut donc penser que certaines personnes de ces générations<br />

ont réorienté leurs carrières en fonction <strong>des</strong> opportunités qui se présentaient ou<br />

qu’inversement elles ont été obligées de se réorienter vers le champ du social à la suite d’un<br />

retournement de conjoncture. Nous ne commenterons pas les passages du secteur social à<br />

celui de l’entreprise (et vice-versa) car ils sont extrêmement rares et notre échantillon permet<br />

difficilement d’en tirer <strong>des</strong> conclusions définitives.<br />

Le cas de la génération 1991-1995 est particulièrement intéressant à étudier car il<br />

vient corroborer l’hypothèse selon laquelle les conditions qui prévalent lors de l’entrée sur le<br />

marché du travail <strong>des</strong>sinent <strong>des</strong> profils de carrières différents. Cette génération présente en<br />

effet la particularité de concentrer la plupart <strong>des</strong> personnes désignées comme "responsable de<br />

405


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

structure" (voir graphique 13, AFC). Elles occupent aujourd’hui <strong>des</strong> postes de direction ou de<br />

coordination dans le champ <strong>des</strong> politiques de l’emploi ou de l’insertion professionnelle. Il<br />

s’agit notamment de directeurs de CIBC, de Missions locales, d’associations de bilan ou de<br />

"chargés de coordination" ("chargé de coordination de cellule d’appui", "chargé de<br />

coordination emploi-formation"…). On voit que ce sont pour l’essentiel <strong>des</strong> personnes qui<br />

sont entrées sur le marché du travail au début <strong>des</strong> années 1990, qui ont occupé <strong>des</strong> postes dans<br />

l’insertion et qui ont « fait carrière » dans ce domaine, parvenant à occuper <strong>des</strong> positions de<br />

responsabilité. Une autre manière de faire carrière dans l’insertion consiste à trouver refuge<br />

dans les rares emplois de psychologues estampillés de la Fonction publique, tout<br />

particulièrement à l’AFPA. Les conditions d’emploi, le salaire et la reconnaissance du statut y<br />

sont nettement meilleures que dans les autres métiers de l’insertion. De telles mobilités sont<br />

aujourd’hui de plus en plus fréquentes dans la mesure où l’AFPA et l’ANPE favorisent dans<br />

leurs recrutements les personnes ayant déjà une expérience dans le domaine de l’insertion,<br />

principalement en milieu associatif ou au service <strong>des</strong> collectivités territoriales.<br />

(2) L’inégal <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> générations : le cas du salaire<br />

Une autre méthode permet de mettre en évidence le <strong>des</strong>tin différencié <strong>des</strong><br />

générations face au marché du travail. Elle consiste à déterminer si certaines d’entre elles se<br />

placent dans une situation plus favorable au point de vue <strong>des</strong> salaires. La prise en compte du<br />

salaire comme variable de référence permet en effet de synthétiser de multiples aspects du<br />

statut social et d’évaluer les "chances" qu’a une génération d’occuper une bonne position au<br />

moment de son insertion et d’avoir par la suite une bonne carrière. Le problème de cet<br />

indicateur est toutefois qu’il condense à la fois un effet d’âge et de génération. La technique<br />

de régression linéaire permet de surmonter en partie ces difficultés en séparant la contribution<br />

propre de la génération et de l’âge sur le salaire. Nous avons donc dans une première étape<br />

reconstruit une variable de "salaire redressé" neutralisant les effets de l’âge, du sexe, du statut<br />

(cadre/non cadre) de la durée du travail (temps partiel/temps plein) du lieu de résidence<br />

(Paris/province) et de la mobilité géographique 94 , à partir d’une régression linéaire sur le<br />

logarithme du salaire 95 . Ensuite, nous avons construit un indicateur d’écart entre le salaire<br />

redressé et le salaire effectivement perçu que nous avons divisé en trois classes de taille<br />

94 Nous considérons qu’il y a mobilité si la région d’obtention du DESS diffère de celle de l’emploi actuel, ce qui<br />

est le cas de 35 % <strong>des</strong> individus de notre échantillon.<br />

95 La régression sur le logarithme est préférée à celle sur le salaire net car elle permet d’"aplatir" les valeurs les<br />

plus élevées. La variable de "salaire redressé" ainsi construite à partir de ces six variables est satisfaisante au<br />

plan statistique puisque elle permet d’atteindre un coefficient R 2 ≈ 0.6, donc significatif. Pour les détails de cette<br />

régression, voir tableau IV-13, annexe 4.<br />

406


équivalente ("sous-salaire", "salaire normal" et sur-salaire) que nous avons confronté aux<br />

différentes générations. L’indicateur ainsi construit ne présente pas de corrélation avec les<br />

différentes variables retenues dans le modèle (en particulier l’âge et le sexe) et permet donc de<br />

dégager un éventuel effet "pur" de la génération sur le salaire, qui est exposé dans le tableau<br />

suivant :<br />

Tableau 34 – Ecarts au salaire "normal" par générations (les écarts les plus significatifs apparaissent en<br />

gras)<br />

1962-1980 1981-1985 1986-1990 1991-1995 1996-2001 Total<br />

Sous salaire 35.2% 21,4% 29.3% 40.1% 29.6% 33.33%<br />

Salaire normal 11.7% 39,3% 23.9% 32.7% 46.4% 33.33%<br />

Sur salaire 52.9% 39,3% 46.7% 27.1% 24% 33.33%<br />

Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En neutralisant l’effet de ces différentes variables, il subsiste <strong>des</strong> différences de<br />

salaire significatives par génération, qui s’expliquent pour l’essentiel par la structure <strong>des</strong><br />

postes offerts au moment de l’entrée sur le marché du travail. Examinons d’abord les deux<br />

générations qui apparaissent plus particulièrement favorisées : celles qui ont obtenu leur<br />

DESS avant 1980 ou entre 1986 et 1990. Cette situation favorable s’explique aisément dans<br />

les deux cas par un effet de conjoncture économique lié à la faiblesse du chômage dans le<br />

premier cas et à sa baisse dans le second. Cette bonne conjoncture a ouvert <strong>des</strong> postes dans les<br />

fonctions de ressources humaines (avant 1980) et dans le conseil en recrutement (1981-1985).<br />

Si l’on ajoute à ce constat la faible mobilité professionnelle (voir supra), on comprend qu’une<br />

bonne proportion <strong>des</strong> membres de ces générations se trouvent encore aujourd’hui dans ces<br />

secteurs où ils perçoivent <strong>des</strong> salaires plus élevés que les autres, "toutes choses égales" par<br />

ailleurs (sexe et âge notamment).<br />

La génération 1991-1995 apparaît à l’inverse particulièrement défavorisée en termes<br />

de salaire. Elle est marquée par une prédominance du champ de l’insertion au moment de<br />

l’entrée <strong>des</strong> diplômés sur le marché du travail, en raison d’une recru<strong>des</strong>cence du chômage et<br />

d’une volonté <strong>des</strong> gouvernements de l’époque de mettre en place une gestion plus "sociale"<br />

du chômage. De ce fait, le secteur du conseil en emploi et en insertion professionnelle<br />

constitue le débouché typique <strong>des</strong> psychologues de cette génération et un bon nombre d’entre<br />

eux s’y trouvent encore aujourd’hui, ce qui explique leur position défavorable en termes de<br />

salaire. La génération la plus récente enfin (1996-2001) se caractérise par une prédominance<br />

de salaires « normaux » qui s’explique par un retournement favorable de la conjoncture de<br />

407


l’emploi de 1996 à 2002 : les cabinets et les entreprises ont commencé de nouveau à<br />

embaucher <strong>des</strong> spécialistes du recrutement ou <strong>des</strong> ressources humaines pour faire face à la<br />

recru<strong>des</strong>cence <strong>des</strong> besoins. On trouve d’ailleurs une proportion importante <strong>des</strong> individus de<br />

cette génération dans le secteur privé, où ils occupent <strong>des</strong> fonctions de consultant juniors ou<br />

d’assistant de recrutement en entreprise, laissant présager un nouveau profil <strong>des</strong> psychologues<br />

du travail pour les générations futures et un retour <strong>des</strong> psychologues dans les ressources<br />

humaines.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

On voit au terme de cette analyse que, loin de former un groupe homogène et unifié,<br />

la profession de psychologue du travail apparaît aujourd’hui comme la superposition de<br />

différentes strates, reflétant les conditions d’emploi rencontrées par les différentes générations<br />

au moment de leurs entrées sur le marché du travail. On comprend alors qu’il n’existe pas de<br />

"carrière professionnelle typique" pour un psychologue du travail et qu’il existe autant de<br />

carrières différentes que de générations. La conjoncture du marché du travail – notamment le<br />

poids du chômage – apparaît comme le principal facteur explicatif de ces fluctuations<br />

conjoncturelles, mais il est tout aussi important de noter que les différences semblent se<br />

reproduire et se prolonger dans le temps. L’observation d’un tel phénomène souligne<br />

l’existence d’un effet d’hystérèse <strong>des</strong> conditions d’insertion sur les carrières professionnelles,<br />

le <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> différentes générations fluctuant au gré <strong>des</strong> ouvertures et <strong>des</strong> fermetures de<br />

juridictions qui se produisent au fil du temps. La "photographie instantanée" de la profession<br />

est donc insuffisante pour comprendre tout le poids de l’histoire qui est comme condensé dans<br />

la structure professionnelle.<br />

408


D. LA MOBILISATION DES SAVOIRS PSYCHOLOGIQUES ET L’IDENTITE DE<br />

PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

A quoi tient finalement l’unité de la psychologie du travail si l’on admet, comme on<br />

l’a vu dans la section précédente, qu’elle se caractérise en premier lieu par le poids de ses<br />

divisions internes ? En insistant trop fortement sur les clivages, les segmentations et l’inégal<br />

<strong>des</strong>tin <strong>des</strong> générations, on risque de perdre de vue les pratiques et la culture commune à<br />

l’ensemble <strong>des</strong> membres de la profession par-delà leurs différences de statuts. Les<br />

psychologues du travail se fondent-ils complètement dans leurs nouvelles identités de cadres<br />

d’entreprise, de consultants et de "conseillers en insertion" ou conservent-ils une trace de leur<br />

formation initiale, y compris plusieurs années après l’obtention du DESS ? Comment se<br />

construisent-ils une identité professionnelle au confluent de leur formation académique (et du<br />

titre auquel celle-ci donne accès) et <strong>des</strong> postes occupés ?<br />

Nous proposons d’aborder cette question sous trois angles. Nous nous interrogeons<br />

en premier lieu sur l’usage qui est fait <strong>des</strong> connaissances psychologiques acquises en<br />

formation initiale dans les emplois occupés. Un tel examen révèle un apparent paradoxe. Les<br />

stratégies de carrière traduisent en effet le souci <strong>des</strong> diplômés de ne pas s’enfermer dans la<br />

fonction classique du "psychologue-testeur", à laquelle préparent les formations de DESS, et<br />

de s’éloigner au plus vite du domaine de la psychométrie, qui forme pourtant le socle de<br />

l’expertise et de l’image publique <strong>des</strong> psychologues du travail. Les carrières les plus<br />

prestigieuses sont celles qui permettent aux individus de sortir de la juridiction traditionnelle<br />

de la profession (recrutement et évaluation) pour se tourner vers <strong>des</strong> fonctions plus<br />

managériales (conseil en stratégie ou en organisation, ressources humaines). Nous tenterons<br />

d’expliquer ce phénomène de "dérive professionnelle", à partir d’une lecture de Abbott<br />

(1981). Dans un second temps, nous nous interrogeons sur les différentes manières de<br />

s’identifier à la psychologie à partir d’une analyse d’une analyse <strong>des</strong> intitulés d’emploi. Deux<br />

interrogations guideront ici notre propos : dans quelles situations se déclare-t-on ou ne se<br />

déclare-t-on pas "psychologue" ? Comme le souligne Kramarz (1991) l’énonciation de son<br />

emploi constitue pour tout individu une "épreuve" au cours de laquelle il s’expose, découpe<br />

dans la réalité un certain nombre d’éléments qui vont servir à construire une image de luimême<br />

face à autrui. On trouve au principe de cette énonciation une difficulté qui consiste à<br />

mobiliser un registre sémantique suffisamment précis pour souligner la spécificité de son<br />

travail mais suffisamment large pour pouvoir être mis en équivalence avec <strong>des</strong> individus<br />

appartenant à une même classe. Ce choix n’est jamais neutre et l’on peut s’interroger sur les<br />

409


aisons qui conduisent à valoriser davantage le titre intemporel et universalisant de<br />

"psychologue" que le poste ou la fonction occupée. L’autre question que soulève l’analyse <strong>des</strong><br />

intitulés a trait au phénomène de "prolifération" <strong>des</strong> titres professionnels dans le champ de<br />

l’insertion. Le questionnaire n’a pas fait apparaître moins de douze intitulés d’emploi<br />

différents, plus ou moins bien établis, dans le secteur de l’insertion professionnelle. Selon<br />

quelle logique ces intitulés sont-ils construits ? Certains d’entre eux sont-ils plus stables que<br />

d’autres ? Renvoient-ils à une identité collective, à un embryon de professionnalité pour les<br />

groupes concernés, en dehors de la référence à la psychologie ?<br />

1. Le rapport aux savoirs et aux outils psychologiques : un phénomène de<br />

« dérive professionnelle »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Dans un article de 1981, Abbott livre un ensemble d’hypothèses sur les éléments qui<br />

fondent selon lui le statut d’une profession. L’intuition qu’il développe est qu’il existe un<br />

décalage entre les sources du pouvoir « intraprofessionnel » (vis-à-vis <strong>des</strong> pairs) et<br />

« extraprofessionnel » (vis-à-vis du public). Aux yeux <strong>des</strong> pairs, les segments les plus<br />

prestigieux sont ceux qui sont les plus éloignés <strong>des</strong> matériaux bruts sur lesquels travaillent<br />

habituellement les professionnels et qui permettent de donner toute son ampleur à la virtuosité<br />

du praticien. Les schémas manipulés ne sont alors pas contaminés par <strong>des</strong> considérations<br />

extérieures au raisonnement professionnel :<br />

« Le statut intraprofessionnel est fonction de la pureté professionnelle. Par pureté<br />

professionnelle, j’entends la capacité d’exclure de la pratique les problèmes non<br />

professionnels ou non pertinents d’un point de vue professionnel. Au sein d’une<br />

profession donnée, les professionnels jouissant du statut le plus élevé sont ceux qui<br />

traitent de problèmes prédigérés et prédéfinis par un certain nombre de collègues »<br />

(Abbott, 1981, p.823).<br />

On voit ainsi que le médecin généraliste, qui doit démêler dans son diagnostic un<br />

composé inextricable de problèmes humains, psychiques, sociaux et proprement médicaux a<br />

un statut moins élevé que le chirurgien, dont l’intervention a été soigneusement préparée par<br />

un groupe de collaborateurs (radiologistes, anesthésistes, infirmières…) et qui manipule <strong>des</strong><br />

symboles purement professionnels. De même, les avocats qui bénéficient du statut social le<br />

plus élevé aux yeux de leurs collègues sont ceux dont les clients ont la capacité de prédéfinir<br />

en termes juridiques leurs propres problèmes (entreprises ou clientèle institutionnelle) alors<br />

que ceux qui traitent avec <strong>des</strong> particuliers (droit <strong>des</strong> personnes, droit pénal) se situent au plus<br />

bas de la hiérarchie professionnelle 96 . On constaterait enfin <strong>des</strong> phénomènes du même ordre<br />

96 Pour une échelle hiérarchique <strong>des</strong> différents segments de la profession d’avocat en France, voir KARPIK (1985,<br />

410


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

chez les enseignants, que la carrière pousse généralement à s’orienter vers les établissements<br />

où ils auront le plus de chances d’être "compris" par les élèves, les parents et l’administration,<br />

c’est-à-dire là où ils pourront exercer le plus sûrement leurs talents de pédagogues en se<br />

concentrant exclusivement sur la transmission <strong>des</strong> savoirs, au détriment de toute autre<br />

considération (discipline, problèmes sociaux ou familiaux…) 97 .<br />

L’image d’une profession est toute différente aux yeux du public. Aux yeux de celuici,<br />

le prestige d’un professionnel ne réside pas dans la pureté théorique <strong>des</strong> schémas<br />

manipulés mais dans la capacité à mobiliser <strong>des</strong> connaissances ésotériques pour « ordonner le<br />

désordre », c’est-à-dire traiter et contrôler les impuretés du monde : impuretés mentales<br />

(psychiatres), physiques (médecins), morales (prêtres, juges…), techniques (<strong>ingénieurs</strong>) etc.<br />

Ce contact avec l’impur lui confère un pouvoir charismatique, presque magique, qui est à la<br />

source de l’image glorifiée du professionnel que l’on trouve dans la littérature ou dans<br />

certains séries télévisées. Les "héros" d’une profession sont rarement ceux qui bénéficient du<br />

plus grand prestige aux yeux de leurs collègues mais plus souvent <strong>des</strong> professionnels de<br />

"première ligne", capables de dompter <strong>des</strong> situations de la vie quotidienne. Pour ce faire, ils<br />

sont amenés à adopter <strong>des</strong> solutions qui sont elles aussi impures et à faire <strong>des</strong> compromis avec<br />

la science. Freidson (1970) ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque la propension <strong>des</strong><br />

praticiens à se fier davantage à leur expérience pratique et sensorielle qu’aux schémas<br />

théoriques issus de la science médicale. L’impureté <strong>des</strong> phénomènes étudiés les amène donc à<br />

maintenir à distance les solutions toutes faites produites par la science.<br />

Il résulte de ces perceptions divergentes une tension entre le statut<br />

« intraprofessionnel » et le statut « extraprofessionnel ». Le public voudrait que les<br />

professionnels traitent de l’impur alors que ces derniers cherchent à se réfugier dans les<br />

sphères les plus pures de leur profession. Abbott entrevoit deux issues possibles à ce<br />

problème. Soit la profession met en place <strong>des</strong> carrières permettant à ses membres de passer<br />

successivement <strong>des</strong> segments les plus impurs aux segments les plus purs, comme dans le cas<br />

de la profession médicale à travers le système de l’internat ; soit elle abandonne tout<br />

simplement les juridictions les plus impures à <strong>des</strong> professions subalternes, au risque de voir<br />

diminuer son prestige aux yeux du public. L’analyse d’Abbott est séduisante car elle montre<br />

bien que le statut d’une profession n’est pas univoque et peut varier d’un espace social à<br />

l’autre.<br />

p. 590).<br />

97 Voir par exemple la carrière <strong>des</strong> instituteurs, décrite dans sa thèse par BECKER (1952).<br />

411


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On peut toutefois s’interroger sur ce qui fonde in fine le statut <strong>des</strong> différents<br />

segments au point de vue économique et ce qui fait qu’un segment est davantage dominé<br />

qu’un autre. Abbott n’apporte pas de réponse précise à cette question bien qu’il donne <strong>des</strong><br />

indices au fil de son texte. Pour lui, le statut économique semble aller de pair avec un statut<br />

intraprofessionnel élevé ; le contact avec l’impureté est à l’inverse associé à de faibles<br />

revenus et à <strong>des</strong> positions subordonnées. Or, il n’est pas certain qu’il en aille toujours ainsi.<br />

On peut imaginer que lorsqu’elle s’exerce dans le cadre de marchés protégés (Fonction<br />

publique, gran<strong>des</strong> organisations) la profession soit suffisamment forte pour imposer ses<br />

propres points de vue et faire coïncider un statut intraprofessionnel élevé avec <strong>des</strong> positions<br />

économiquement privilégiées. Mais à l’inverse, lorsqu’elle s’exerce dans un cadre plus<br />

ouvert, il est probable que la sanction du marché soit plus forte et que ce soit dès lors le<br />

jugement du public ou <strong>des</strong> clients qui l’emporte sur celui <strong>des</strong> membres de la profession. Le<br />

statut intraprofessionnel ne coïncide alors pas nécessairement avec le statut économique. On<br />

en trouve un bon exemple au sein de la profession médicale où, selon les analyses de Jamous<br />

et Peloille (1971) ou Freidson (1971), les segments les plus prestigieux sont précisément ceux<br />

qui entrent en contact avec l’impur mais qui pour cette raison sont capables d’ordonner le<br />

monde, tels les cliniciens. A l’inverse, les plus dominés sont ceux qui s’adonnent le plus<br />

complètement à la science médicale, et qui ont perdu tout contact avec le public (les médecins<br />

pathologistes par exemple).<br />

L’examen <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> psychologues du travail permet également d’illustrer ce<br />

point de vue. Les lieux où la pratique est la plus "pure" et où le prestige intraprofessionnel le<br />

plus élevé coïncident avec les segments les plus dominés économiquement, mais aussi à <strong>des</strong><br />

marchés relativement protégés, situés dans les gran<strong>des</strong> entreprises ou administrations<br />

publiques. A l’inverse les segments dominants se caractérisent par <strong>des</strong> pratiques plus<br />

hétérodoxes, car c’est ici avant tout la sanction du marché qui domine et qu’il est plus difficile<br />

de résister aux pressions de la clientèle. Celle-ci attend alors avant tout une intervention<br />

« magique » de la part du psychologue, qui est censé pouvoir prédire grâce à ses tests ou à son<br />

flair quelle sera la « perle rare », la bonne personne à recruter. Mais ce type d’intervention<br />

suscite précisément la suspicion <strong>des</strong> pairs, qui savent qu’un diagnostic sérieux exige avant<br />

tout de la rigueur scientifique.<br />

Différents indicateurs nous ont permis d’évaluer la mise en œuvre de connaissances<br />

et d’outils psychologiques dans les emplois. Le premier concerne le recours aux outils<br />

psychométriques (tests d’aptitude et de personnalité). C’est généralement sur la maîtrise de<br />

ces instruments que les formations de DESS fondent la professionnalité de leurs diplômés, il<br />

412


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

fallait donc nous interroger sur l’ampleur de leur diffusion au sein de la population enquêtée.<br />

Celle-ci se révèle au total très importante puisque 58% <strong>des</strong> titulaires d’un DESS déclarent<br />

utiliser <strong>des</strong> tests d’aptitude ou de personnalité au cours de leur travail, même si, comme nous<br />

le verrons, ces pratiques se distribuent très inégalement selon les différents emplois. Une<br />

deuxième série d’indicateurs nous a permis d’évaluer la proximité de la personne avec la<br />

discipline : contacts avec d’autres psychologues, contacts avec les maisons d’édition de tests,<br />

formations continues dans le domaine de la psychologie du travail, participation à <strong>des</strong><br />

enseignements universitaires. Les deniers indicateurs portent enfin sur le statut scientifique<br />

<strong>des</strong> outils d’évaluation mobilisés : s’agit-il ou non d’outils validés scientifiquement ou<br />

reconnus par l’université ? Sont-ils produits par <strong>des</strong> maisons d’édition de tests "sérieuses" ou<br />

par <strong>des</strong> cabinets de conseil ? La personne a-t-elle recours à la graphologie ?<br />

A partir de ces différentes variables, le questionnaire a fait apparaître deux axes<br />

principaux autour <strong>des</strong>quelles s’organisent les pratiques. Pour donner plus de force à l’analyse,<br />

on a choisi de traiter comme variables illustratives les variables socio-démographiques (âge,<br />

salaire, emploi occupé) et de ne retenir en variables actives que celles ayant trait aux<br />

métho<strong>des</strong> employées (variables qui apparaissent soulignées dans le graphique 98 ). Le premier<br />

axe (20,3% de l’inertie totale) est défini par le rapport avec la psychologie. Il oppose les<br />

personnes qui maintiennent dans leur travail un contact avec leur formation initiale à celles<br />

que la carrière à éloignés de la psychologie. Les premires déclarent mettre en œuvre <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> psychologiques acquises à l’université (notamment les tests) et se tiennent<br />

informées de l’actualité psychologique par divers canaux (lectures de revues, échanges avec<br />

<strong>des</strong> collègues, participation à <strong>des</strong> colloques ou associations professionnelles). Le plus souvent,<br />

ce sont également <strong>des</strong> personnes qui se définissent professionnellement comme psychologues<br />

et revendiquent leur titre. Les conseillers en formation (AFPA et Education nationale), les<br />

conseillers en emploi et les consultants en ressources humaines se projettent le long de ce<br />

premier axe. Les seconds ont rejoint <strong>des</strong> emplois où leurs compétences de psychologues ne<br />

sont guère plus valorisées. On y trouve, soit <strong>des</strong> cadres d’entreprise exerçant en dehors <strong>des</strong><br />

ressources humaines (formation, organisation), soit <strong>des</strong> membres <strong>des</strong> « professions<br />

intermédiaires » dont l’activité n’est plus en rapport direct avec la psychologie du travail<br />

(professions intermédiaires de la santé et du travail social, employés). Au mieux ces<br />

personnes déclarent que leur formation leur est utile dans la mesure où elle leur permet<br />

d’appréhender les choses « sous un certain point de vue » et qu’elles leur donne une plus<br />

98 Le détail <strong>des</strong> variables utilisées pour la construction de cette AFC figure dans le tableau IV-5, annexe 4.<br />

413


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grande capacité d’analyse et d’écoute <strong>des</strong> autres, mais elles ne se reconnaissent pas<br />

véritablement comme psychologues de métier. Il y a donc en arrière plan de ce premier axe<br />

une opposition entre une définition technique de la psychologie, qui met l’accent sur les outils<br />

utilisés, et une définition culturelle qui s’apparente à un ethos, une manière d’être.<br />

Le second axe (9% d’inertie) oppose le recours à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> "orthodoxes",<br />

validées scientifiquement et contrôlées par les pairs à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> "hétérodoxes",<br />

notamment la graphologie 99 ou "dissidentes" du type PNL (programmation<br />

neurolinguistique…). Il oppose donc une psychologie académique à une psychologie nonacadémique.<br />

L’une prend en général place dans de gran<strong>des</strong> organisations (entreprises<br />

publiques, administrations) employant une majorité de psychologues alors que l’autre se<br />

développe dans de petites structures de conseil ou dans les services de recrutement de<br />

entreprises privées caractérisées par un faible contrôle par les pairs.<br />

Le croisement de ces deux axes fait apparaître trois sous-ensembles caractéristiques :<br />

les "éclectiques", les "puristes" et les "transfuges".<br />

99 La graphologie, qui occupe aujourd’hui encore une place de premier plan dans les métho<strong>des</strong> de recrutement en<br />

France, fait l’objet d’un rejet très fort de la part de la majorité <strong>des</strong> psychologues. Seul 15,4% <strong>des</strong> psychologues<br />

de notre échantillon déclarent l’utiliser. Il faut toutefois signaler que le recours à la graphologie croît<br />

continûment avec l’âge : 6,3% chez les 25-31 ans, 12% chez les 32-38 ans ; 23,1% chez les 39-50 ans et 34,7%<br />

chez les 51 ans et plus, sans qu’il nous soit possible de déterminer s’il s’agit là principalement d’un effet d’âge<br />

ou de génération.<br />

414


Graphique 14 L’espace <strong>des</strong> pratiques<br />

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415


a) Les "éclectiques"<br />

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Ce premier sous-ensemble figure dans le quadrant nord-ouest du graphique. Ses<br />

membres se définissent par l’utilisation de métho<strong>des</strong> diverses, les unes validées<br />

scientifiquement (tests d’aptitude et de personnalité), les autres non reconnues par les milieux<br />

scientifiques. Ces personnes se déclarent proches de leur discipline de formation : elles se<br />

tiennent informées de l’actualité en psychologie, sont en contact avec les maisons d’édition de<br />

tests, participent éventuellement à <strong>des</strong> activités de recherche, mais elles se montrent dans le<br />

même temps ouvertes à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> considérées comme peu orthodoxes par les "purs"<br />

chercheurs en psychologie. Les consultants en ressources humaines 100 , en formation et en<br />

organisation forment le groupe le plus représentatif de cet ensemble. Le discours dominant est<br />

que l’évaluation d’autrui est une affaire si complexe qu’il faut ne s’interdire aucune méthode,<br />

pourvu qu’elle permette d’améliorer le diagnostic final. On retrouve ici l’idée que le contact<br />

avec l’impur, avec la diversité et la complexité humaines conduisent à un certain pragmatisme<br />

dans les techniques utilisées, qui s’éloigne de la rigueur scientifique et de la pureté<br />

professionnelle promues par l’université. Ces personnes soulignent d’ailleurs la difficulté de<br />

mettre en œuvre dans leur travail quotidien les métho<strong>des</strong> d’évaluation enseignées à<br />

l’université, qui apparaissent trop théoriques et éloignées de la réalité du monde praticien. Il<br />

semble dès lors plus sage de multiplier les métho<strong>des</strong> et les points de vue pour éviter de faire<br />

une erreur : l’humain est complexe et l’on ne saurait se contenter d’une seule méthode ! Le<br />

point de vue exprimé par ces consultants reflète bien cette approche éclectique :<br />

« Moi si vous voulez au départ, j’avais un a priori tout à fait négatif contre la<br />

graphologie, comme tous les psys. Mais au bout d’un moment, comme le<br />

graphologue avec qui je travaillais arrivait toujours au même résultat que moi, c’est<br />

devenu embêtant ! Il faut bien se dire que… Il faut pas rester buté sur son principe, et<br />

il faut essayer de comprendre. Donc à partir de là, j’ai essayé de comprendre. et je<br />

crois que pour éviter de se tromper quand on évalue autrui, j’aurais tendance à dire<br />

qu’il vaut mieux faire feu de tout bois. Il vaut mieux avoir <strong>des</strong> repères différents. (…)<br />

Le test ne neutralise pas forcément plus la situation que la grapho. Surtout sur <strong>des</strong><br />

sujets aussi complexes que la personnalité. Alors bien sûr, tout ça, c’est <strong>des</strong> querelles<br />

de clochers. Pour moi c’est <strong>des</strong> querelles de clocher, et je pense que la vérité n’y<br />

gagne pas. Soyons mo<strong>des</strong>te : Dieu n’existe pas en matière d’évaluation dans le<br />

recrutement. Donc à partir de là, prenons le maximum d’outils et essayons de voir si<br />

ça concorde. Et si ça concorde, on peut estimer qu’on ne se goure pas, à 80% ! »<br />

(entretien n°10, homme, directeur associé d’un cabinet de recrutement).<br />

R : « Nous, dans le cabinet, on part du principe que tout est outil… Donc la situation<br />

elle-même de présélection, c’est un outil en soi, l’entretien collectif… C’est un<br />

critère comme un autre qui nous permet d’avoir certaines informations sur le<br />

candidat. L’entretien personnel, c’est un outil, euh… Les tests c’est un autre outil et<br />

l’analyse graphologique en est encore un autre ».<br />

100 Composé pour l’essentiel de consultants en recrutement.<br />

416


Q : « Donc vous multipliez les approches… »<br />

R : « Oui, parce que quand on y réfléchit, tout peut être outil » (entretien n°8,<br />

femme, consultante en recrutement)<br />

« En fait, plus on fait converger d’éclairages, mieux on se porte. Donc si on arrive à<br />

faire passer <strong>des</strong> tests, un entretien de groupe, un entretien individuel, un inventaire<br />

de personnalité, éventuellement un éclairage grapho, on peut finir par bien cerner le<br />

candidat » (entretien n°9, femme, consultante en recrutement)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’usage de la graphologie ou d’autres techniques d’évaluation non reconnues par<br />

l’université apparaît fortement corrélé avec l’âge et le salaire, comme on le voit sur le<br />

graphique 14 (supra), ce qui signale que l’éclectisme méthodologique est "payant" au point de<br />

vue économique. La difficulté est là encore de savoir quelle est la variable cachée et s’il s’agit<br />

principalement d’un effet d’âge ou de génération. On a vu en effet que les individus<br />

appartenant aux générations les plus âgées de notre échantillon sont le plus souvent employés<br />

dans le secteur privé, où le contrôle <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> utilisées est moins rigoureux, notamment<br />

dans les petites structures de conseil 101 . Ils bénéficient donc rarement d’un environnement<br />

professionnel favorable à <strong>des</strong> pratiques rigoureuses et à certain recul critique sur les<br />

métho<strong>des</strong>. La pression commerciale est généralement forte et ces psychologues cherchent<br />

avant tout <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’évaluation rapi<strong>des</strong> et peu coûteuses comme la graphologie.<br />

On ne peut toutefois écarter complètement l’effet d’âge dans l’assouplissement du<br />

discours vis-à-vis <strong>des</strong> techniques employées. On s’aperçoit en effet que les personnes les plus<br />

récemment diplômées sont celles qui ont le discours le plus intransigeant vis-à-vis <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> employées, manifestant par là un zèle de néophytes. Inversement, les plus âgés se<br />

montrent beaucoup plus critiques vis-à-vis <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychométriques elles-mêmes. Cette<br />

différence ne tient pas selon nous à la différence de génération dans la mesure où la rhétorique<br />

de la profession a toujours mis l’accent sur la rigueur méthodologique et s’est construite,<br />

depuis les années 1950, autour du rejet de la graphologie (voir chapitre III supra). Il est donc<br />

probable que ces personnes aient réajusté leurs discours au fil du temps, en fonction <strong>des</strong><br />

emplois occupés.<br />

Il apparaît sans doute paradoxal que ce groupe soit aussi celui qui collabore de façon<br />

la plus intense aux enseignements universitaires. Le paradoxe n’est toutefois qu’apparent :<br />

comme on l’a vu précédemment, les enseignants de DESS cherchent d’abord à orienter leurs<br />

étudiants vers les débouchés dans le secteur privé (conseil en recrutement, ressources<br />

humaines), qui leur procure de meilleures situations mais qui se caractérise aussi par une<br />

vigilance moins grande à l’égard <strong>des</strong> outils mobilisés. Une telle situation est potentiellement<br />

101 Nos propres résultats viennent sur ce point confirmer les enquêtes de BRUCHON-SCHWEITZER (1991) sur les<br />

417


source de schizophrénie chez les enseignants de DESS qui montrent un certain empressement<br />

à répondre aux sirènes du privé, mais veulent en même temps transmettre à leurs étudiants le<br />

souci d’une certaine rigueur scientifique et d’une déontologie dans l’évaluation d’autrui.<br />

b) Les "puristes"<br />

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Les "puristes" (quadrant sud-ouest) affichent une grande proximité vis-à-vis de la<br />

discipline et le souci d’une rigueur méthodologique dans les évaluations. Ils manifestent<br />

également un attachement au code de déontologie, qui est pour eux le garde-fou <strong>des</strong><br />

mauvaises pratiques. Le respect <strong>des</strong> canons de la scientificité transmis à l’université est<br />

favorisé par l’existence dans les organismes considérés d’importants services de psychologie<br />

appliquée permettant aux psychologues d’exercer un certain contrôle sur les métho<strong>des</strong><br />

employées. Il en va ainsi par exemple à l’AFPA, dans les CIO ou dans les services de<br />

recrutement <strong>des</strong> entreprises publiques qui continuent à employer <strong>des</strong> psychologues du travail<br />

"ès qualités". Ces établissements disposent souvent de services de recherche en psychologie<br />

du travail qui veillent aux métho<strong>des</strong> employées. Les praticiens eux-mêmes ont au fil de leur<br />

carrière une activité constante de recherche, participent au développement de nouveaux tests<br />

ou à <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de validation statistique. Le nombre important de candidats examinés<br />

permettent en effet au modèle psychotechnique de fonctionner en toute rigueur, articulant la<br />

production et la mise en œuvre de tests adaptés aux métiers spécifiques de l’entreprise. On<br />

relève parmi les membres de ce groupe un rigorisme méthodologique et un refus très net de la<br />

graphologie ou de toute autre méthode d’évaluation non validée scientifiquement, comme<br />

chez ce psychologue employé à la RATP :<br />

« A une certaine époque on a commencé à utiliser <strong>des</strong> tests projectifs du type<br />

Rorschach dans le recrutement <strong>des</strong> conducteurs de métro. Mais on a vite laissé<br />

tomber parce qu’on n’avait pas de compétences Rorschach à la Régie, et en plus ça<br />

délire très vite. Et puis ça prend du temps et ça demande une vraie professionnalité.<br />

Mais le vrai problème c’est qu’il y a <strong>des</strong> gens qui délirent. Donc on a arrêté tout de<br />

suite, on a dit que c’était dangereux. Et puis on doit faire confiance au psychologue.<br />

Alors que sur un test comme le GZ 102 , il est validé, il y a un outillage, vous pouviez<br />

voir si le test était toujours bon etc. Enfin bref, on avait <strong>des</strong> vrais arguments quoi. Ca<br />

demande une vraie connaissance d’utilisation, mais il y avait <strong>des</strong> arguments<br />

quoi… » (entretien n°40, homme, psychologue du travail à la RATP)<br />

métho<strong>des</strong> d’évaluation utilisées dans le recrutement en France.<br />

102 Test de "Guilford-Zimmerman" : ce test de personnalité basé sur l’analyse factorielle vise à établir un profil<br />

général de la personnalité d’un candidat à partir <strong>des</strong> réponses fournies à un questionnaire d’environ trois cents<br />

questions.<br />

418


Il en va de même à l’AFPA, où l’utilisation de tests standardisés est supposée garantir l’équité<br />

du jugement sur l’ensemble du territoire. Ce point de vue suscite une vive méfiance à l’égard<br />

<strong>des</strong> tests de personnalité, jugés moins objectifs que les tests de raisonnement ou d’aptitude :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Q : Chaque psychologue est-il libre d’utiliser les tests qu’il souhaite ?<br />

R : Ah non… Ah non non non… Dans la mesure où le recrutement aux formations<br />

AFPA est un recrutement national, les épreuves sont standardisées, avec une marge<br />

de jugement et d’appréciation de la part du psychologue.<br />

Q : Par exemple, un psychologue peut-il utiliser un test projectif type Rorschach ?<br />

R : Ah non, certainement pas. Il y a un cadrage méthodologique qui assure l’équité<br />

du recrutement du demandeur d’emploi quel que soit l’endroit où il se présente.<br />

Qu’il soit à Dunkerque, à Berck ou à Aix, il va se retrouver avec le même système<br />

d’évaluation.<br />

Q : Il y a eu une influence <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> utilisées dans les cabinets privés ou les<br />

entreprises ?<br />

R : Non… Je crois que l’AFPA a toujours voulu avoir un maximum d’objectivité<br />

dans son approche, donc le fait qu’il y ait une grande marge d’interprétation dans les<br />

épreuves de personnalité a conduit à en limiter l’usage, notamment pour <strong>des</strong><br />

formations qui se sont développées plus tardivement à l’AFPA et qui requièrent<br />

peut-être <strong>des</strong> traits de personnalité un peu plus spécifiques comme les vendeurs.<br />

Mais nos formations techniques je dirais plus classiques, de niveau V, l’entretien à<br />

lui seul permettait de déceler <strong>des</strong> personnalités un peu déviantes qui pouvaient poser<br />

problème dans l’adaptation au groupe en formation ou dans l’adaptation au métier<br />

lui-même. » (Entretien n°15, femme, psychologue du travail à l’AFPA).<br />

Compte tenu de ces diverses caractéristiques, ces lieux d’exercice jouissent d’un<br />

prestige particulier au sein de la profession. C’est là que se pratique la psychologie du travail<br />

la plus "pure", la plus dégagée <strong>des</strong> pressions exercées par les puissances économiques et<br />

commerciales et c’est là également que l’héritage de la tradition psychotechnique se ressent le<br />

plus. Il apparaît toutefois qu’en dépit de ce prestige intraprofessionnel, ces positions sont<br />

rarement associés à un statut social élevé, comme on le voit sur le graphique 14. La<br />

reconnaissance par l’employeur du titre de psychologue et l’appartenance à un environnement<br />

de travail marqué par la présence de nombreux collègues psychologues (« collègues en<br />

majorité psy ») sont généralement associés à <strong>des</strong> niveaux de salaires peu élevés (moins de<br />

1800 euros par mois). Le fait d’être enfermé dans un rôle assez étroit d’évaluateur interdit en<br />

effet de se tourner vers <strong>des</strong> fonctions plus lucratives et les perspectives de promotion en cours<br />

de carrière sont rares. Ces personnes, qui sont employées sous le statut propre de psychologue<br />

et sont pleinement reconnues dans leur identité professionnelle, appartiennent à une<br />

« bureaucratie professionnelle » 103 qui procure un certain épanouissement au point de vue du<br />

métier mais qui offre peu de perspective de mobilité ascendante. Il y a dans le discours de ces<br />

psychologues un certain "ascétisme aristocratique" qui n’est pas sans rappeler celui du monde<br />

enseignant, comme si l’identité professionnelle ne pouvait être conquise qu’au détriment<br />

103 MINTZBERG (1982)<br />

419


d’une position sociale privilégiée. Les psychologues du travail occupant <strong>des</strong> positions<br />

économiques privilégiées sont alors nécessairement suspectés d’une certaine compromission<br />

puisqu’ils acceptent de vendre leur savoir au plus offrant.<br />

c) Les "transfuges"<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’analyse factorielle fait apparaître un dernier groupe, celui <strong>des</strong> "transfuges", qui se<br />

situe à la droite du graphique 14 (quadrants nord-est et sud-est). Le point commun de ces<br />

personnes tient à la non-utilisation de techniques ou métho<strong>des</strong> psychologiques dans leur<br />

travail. Ils manifestent une certaine distance vis-à-vis de la discipline, leur carrière les ayant<br />

conduit vers <strong>des</strong> professions où les connaissances en psychologie peuvent difficilement être<br />

valorisées. La psychologie est pour eux une "formation générale" permettant d’accéder à <strong>des</strong><br />

fonctions généralistes ou administratives dans l’entreprise mais qui n’est pas associée à une<br />

technicité particulière. On trouve principalement au sein de ce groupe <strong>des</strong> cadres d’entreprise<br />

(ressources humaines, formation, organisation) et <strong>des</strong> professions intermédiaires (employés,<br />

professions intermédiaires de la santé et du travail social, responsables de structures<br />

d’insertion), dont l’activité n’a plus de lien direct avec la formation, d’où le qualificatif de<br />

"transfuges". C’est dans ce groupe que l’on relève la plus faible utilisation <strong>des</strong> tests d’aptitude<br />

ou de personnalité : seuls 45% <strong>des</strong> cadres d’entreprise interrogés déclarent utiliser<br />

fréquemment ou occasionnellement <strong>des</strong> tests, contre 65% dans l’ensemble de la population<br />

enquêtée.<br />

Les cadres de ressources humaines occupent une position intermédiaire et se divisent<br />

en deux sous-groupes qui se distinguent sous l’angle <strong>des</strong> pratiques. Une partie de ce groupe –<br />

les cadres du recrutement – maintient un lien étroit avec la psychologie du travail, à travers la<br />

mise en œuvre techniques psychologiques d’évaluation (tests et à un degré moindre<br />

entretiens). L’autre partie est davantage tournée vers <strong>des</strong> fonctions purement administratives<br />

(gestion du personnel, rémunération, droit du travail) et n’ont plus de pratiques<br />

psychologiques. Ces groupes se distinguent aussi sur le plan du statut puisque les cadres du<br />

recrutement occupent <strong>des</strong> positions hiérarchiques moins élevées et perçoivent <strong>des</strong> salaires<br />

plus faibles que les cadres administratifs <strong>des</strong> ressources humaines. On voit donc là encore que<br />

les personnes embauchées pour leurs compétences propres de psychologues semblent accéder<br />

à <strong>des</strong> positions moins élevées que ceux qui parviennent à quitter ce domaine. Les<br />

psychologues exerçant dans les services de recrutement envisagent d’ailleurs rarement de<br />

passer toute leur carrière dans ces fonctions jugées répétitives et peu épanouissantes, même si<br />

420


elles constituent l’un <strong>des</strong> rares domaines où le psychologue peut se prévaloir d’une véritable<br />

technicité :<br />

« Moi je crois qu’il faut pas rester plus de 4 ans ici. Et je dirais même qu’en<br />

général… Faire du recrutement pur et dur… A mon avis c’est deux ans maximum.<br />

Parce qu’après, on ne voit plus clair. Et… Faire <strong>des</strong> entretiens, c’est faire du travail à<br />

la chaîne. Et effectivement un psychologue qui fait du recrutement pur sur deux ou<br />

trois métiers différents, c’est deux ans maximum. Moi j’envisage de changer très<br />

bientôt et de m’orienter plutôt vers <strong>des</strong> fonctions RH plus opérationnelles dans<br />

l’entreprise » (entretien n°38, homme, chargé de recrutement).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’examen du rapport aux outils psychologiques illustre donc bien le phénomène de<br />

"dérive professionnelle" à l’œuvre dans la profession, phénomène marqué par un éloignement<br />

progressif du cœur du métier au fur et à mesure que le statut social s’élève. Les personnes qui<br />

relèvent de la pratique la plus "pure" de la psychologie du travail (services de recrutement <strong>des</strong><br />

gran<strong>des</strong> entreprises, conseil en formation, conseil en insertion) occupent <strong>des</strong> positions<br />

dominées. A l’inverse, les psychologues qui acceptent les compromis méthodologiques (les<br />

"éclectiques") ou qui ont perdu tout lien avec la psychologie ("transfuges") accèdent à <strong>des</strong><br />

situations plus favorables. Un tel constat révèle bien toute l’ambiguïté de la position <strong>des</strong><br />

psychologues du travail, qui vivent souvent leurs choix professionnels en termes de dilemme.<br />

Soit ils préservent leur identité professionnelle de psychologue, mais restent confinés dans <strong>des</strong><br />

positions aux statuts peu valorisés ; soit ils se dirigent vers <strong>des</strong> positions plus lucratives, au<br />

risque de voir leur savoir dévoyé ou mal utilisé et d’être asservis aux « puissances du<br />

capital ».<br />

2. L’identification à la discipline : un processus complexe<br />

Nous avons évoqué dans le point précédent les rapports entre les emplois occupés et<br />

la mise en œuvre d’outils ou de méthodologies proprement psychologiques. Cette dimension<br />

est toutefois insuffisante pour comprendre dans toute leur complexité les processus<br />

d’identification à une discipline. On peut en effet se considérer ou se définir soi-même<br />

comme "psychologue" sans pour autant occuper un emploi estampillé comme tel, ni mettre en<br />

œuvre dans son travail quotidien <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> psychologiques au sens étroit du terme. Il faut<br />

donc s’attacher à cerner de quelle manière les personnes se rattachent à l’identité de<br />

psychologue, même lorsque leur carrière les en a a priori éloignés. Cet exercice est d’autant<br />

plus nécessaire que, compte tenu de la durée du contact avec la psychologie <strong>des</strong> personnes de<br />

notre échantillon (du DEUG au DESS pour la plupart), il est peu probable que le passage par<br />

cette discipline n’ait laissé chez elles aucune trace. Afin de mieux comprendre ces processus<br />

d’identification à la formation initiale, il paraît utile de faire ici appel à la distinction<br />

421


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

goffmanienne 104 entre « identité virtuelle » et « identité réelle », et aux prolongements qu’en a<br />

donnés Dubar (1992, 2001) à travers la distinction entre identité « pour autrui » et identité<br />

« pour soi ». Selon Demazière et Dubar (2001, p. 92), l’identité pour autrui est « centrée sur<br />

l’identification à <strong>des</strong> catégories attribuées par les institutions et qui définit les statuts et rôles<br />

<strong>des</strong> individus qui s’y rattachent ». Il s’agit donc d’une identité attribuée, qui surgit <strong>des</strong><br />

interactions quotidiennes entre un individu et ses collègues, un milieu de travail, <strong>des</strong><br />

institutions etc. L’identité pour soi, à l’inverse est incorporée dans l’individu et liée à une<br />

trajectoire biographique particulière, elle est « centrée sur la revendication personnelle,<br />

ajustée ou décalée par rapport aux simples rôles statutaires, et exprimée dans les termes de la<br />

réalisation ou de l’accomplissement "de soi" ». Les deux formes d’identité coïncident<br />

rarement, d’où la mise en place de stratégies individuelles visant à réduire cet écart, qualifiées<br />

par Dubar de "transactions identitaires". L’un <strong>des</strong> points centraux de cette théorie réside dans<br />

le fait qu’elle ne s’appuie pas sur une conception substantialiste de l’identité mais sur une<br />

approche relativiste, faisant <strong>des</strong> identités la face émergente d’un processus de transaction, de<br />

rapprochement entre identité pour soi et identité pour autrui. Afin de bien se démarquer de<br />

toute approche substantialiste de l’identité, Dubar parle de "formes identitaires", soulignant<br />

par là le caractère mouvant et incertain de ces stratégies individuelles qui peuvent évoluer au<br />

fil de la trajectoire biographique : « l’on passe d’une conception classificatoire, "réaliste" <strong>des</strong><br />

formes identitaires à une conception heuristique et "constructiviste" <strong>des</strong> processus identitaires,<br />

définis comme <strong>des</strong> compromis temporaires et révisables, entre identification par soi et<br />

identification par autrui » 105 .<br />

Dans le cas qui nous préoccupe, il ne s’agira donc pas de classer nos individus entre<br />

<strong>des</strong> personnes exerçant un "vrai travail" de psychologue et ceux qui en sont exclus, mais de<br />

parvenir à mieux qualifier la nature de ce lien problématique entre l’identité "pour autrui",<br />

telle qu’elle est formulée dans les catégories d’emploi officielles et l’identité "pour soi", qui<br />

s’inscrit dans une trajectoire biographique marquée par le contact avec la psychologie.<br />

Au risque de paraître excessivement réducteur, il nous semble que l’identité "pour<br />

autrui" peut être saisie en première approche à partir <strong>des</strong> intitulés d’emploi donnés dans le<br />

questionnaire. Le rattachement à un intitulé d’emploi signale en effet un embryon d’existence<br />

et de représentation collectives du groupe ainsi désigné et suppose en outre un minimum<br />

d’adhésion de la part du <strong>des</strong>tinataire du message puisqu’en se désignant ainsi, la personne se<br />

"met en scène" et suppose que l’intitulé suscitera chez son interlocuteur un ensemble de<br />

104 GOFFMANN (1973)<br />

422


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

représentations, réelles ou supposées. Comme le soulignent Becker et Carper (1956, p. 342),<br />

les intitulés d’emploi s’apparentent à <strong>des</strong> signes, <strong>des</strong> co<strong>des</strong> sociaux qui « en disent long sur<br />

les caractéristiques <strong>des</strong> personnes qui s’en réclament, ces significations étant souvent<br />

systématisées au sein de systèmes idéologiques élaborés qui détaillent les qualités, les intérêts<br />

et les capacités <strong>des</strong> personnes ainsi identifiées ». Ceci est d’autant plus vrai que le contexte<br />

d’énonciation se place ici dans le cadre d’une enquête par questionnaire, qui est un exercice<br />

de représentation quasi-officiel. Nous nous sommes donc attaché à observer dans quelles<br />

situations les personnes se définissaient comme psychologues et endossaient cette identité visà-vis<br />

d’autrui 106 . Le rattachement à une telle identité est en effet loin d’être neutre compte<br />

tenu de la forte connotation médicale et pathologique généralement associée au titre. Les<br />

personnes rencontrées en entretien évoquaient souvent le fait que ces représentations<br />

constituaient un obstacle à son utilisation dans les interactions avec autrui par crainte de<br />

susciter une incompréhension chez l’interlocuteur :<br />

« le terme de psychologue fait très peur. Parce qu’on sait pas ce que c’est<br />

finalement. Ils pensent plutôt psychologie clinique ou pathologique. Moi il est arrivé<br />

que les candidats m’appellent « docteur » ! Et je veux dire…. C’est pas neutre… On<br />

n’est pas du tout docteur, il faut être clair ». (entretien n°38, homme, chargé de<br />

recrutement)<br />

Le premier constat est celui de la faiblesse <strong>des</strong> mentions du terme de psychologue<br />

dans les intitulés d’emploi, qui n’est présent que dans seulement 17% <strong>des</strong> cas. En outre, la<br />

mention de ce terme se distribue très inégalement dans les différents secteurs d’activité 107 et la<br />

référence au titre est quasi-inexistante dans certains secteurs, comme le montre le tableau<br />

suivant :<br />

Tableau 35 – Mentions du terme de "psychologue" dans les intitulés d’emploi<br />

(par secteur d’activité)<br />

Secteur d’activité<br />

% d’intitulés d’emploi comprenant le<br />

105 DEMAZIERE et DUBAR, art. cit., p. 93<br />

106 Malgré les consignes données aux personnes interrogées, il est certainement inévitable que l’objet même du<br />

questionnaire (l’insertion <strong>des</strong> diplômés de DESS de psychologie du travail) ait pu conduire certaines personnes à<br />

mentionner leur titre dans la situation d’enquête alors qu’elles ne l’auraient pas fait dans d’autres contextes.<br />

Nous ne pouvons évidemment mesurer ce biais éventuel.<br />

107 Afin de ne pas alourdir la présentation <strong>des</strong> données, nous avons rassemblé les 18 catégories d’emploi<br />

précédemment identifiées au sein de quatre gran<strong>des</strong> catégories : entreprise (cadres et employés d’entreprise,<br />

cadres <strong>des</strong> services de recherche appliquée) ; consultants (consultants en ressources humaines, recrutement,<br />

organisation, formation, consultants juniors, formateurs, chefs d’entreprise) ; travail social (responsables de<br />

structures associatives ou d’insertion, psychologues cliniciens, Professions intermédiaires de la santé et du travail<br />

social) ; Insertion/conseil en formation (conseillers en emploi, conseillers en formation).<br />

423


terme de « Psychologue »<br />

Cadres et employés d’entreprise 5.6%<br />

Conseil en RH et recrutement 10%<br />

Insertion / conseil en formation 29.4%<br />

Sanitaire et social 50%<br />

Ensemble 17%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

On constate dans le tableau précédent que c’est dans le secteur sanitaire et social que<br />

la référence au titre est la plus forte (50%), ce qui s’explique aisément par la présence de<br />

nombreux psychologues cliniciens dans ce groupe. La dénomination de psychologue constitue<br />

un référent largement reconnu dans ce secteur, où il est institutionnalisé au sein de statuts<br />

(secteur hospitalier) ou de grilles de classification (secteur conventionné). La mention du titre<br />

est nettement plus faible si l’on se limite au seul champ du travail ou de l’insertion<br />

professionnelle. Le secteur qui vient alors en tête est celui <strong>des</strong> professionnels de l’insertion ou<br />

du conseil en formation, qui se désignent comme psychologues dans 30% <strong>des</strong> cas. Cette<br />

prégnance du titre tient à la reconnaissance dont il fait l’objet dans les administrations<br />

publiques (AFPA et Education nationale). En dehors de ces organismes, la référence au titre<br />

est plus rare et il est fréquemment accolé à un autre intitulé qui vient préciser la nature du<br />

poste occupé : « Psychologue et conseiller bilan » ; « psychologue et conseiller en<br />

insertion » ; « psychologue et responsable d’une structure d’insertion ». La référence au titre<br />

est rare dans le secteur privé, où il subit la concurrence d’intitulés plus solidement ancrés<br />

comme « responsable de ressources humaines » ; « directeur de ressources humaines »,<br />

« consultant en RH » ; « consultant en recrutement ». Il arrive toutefois que certains<br />

consultants jouent de leur titre dans les intitulés (« Psychologue-conseil » ; « Consultant en<br />

psychologie <strong>des</strong> RH » ; « Psychologue consultant en recrutement ») mais le rattachement au<br />

titre de consultant reste nettement plus fréquent puisqu’il concerne 75% <strong>des</strong> membres de la<br />

catégorie.<br />

Si l’intitulé de psychologue fait rarement partie <strong>des</strong> catégories officielles de<br />

présentation de soi, il n’en prend pas moins un sens dans les trajectoires biographiques <strong>des</strong><br />

individus et semble être un élément structurant de l’identité « pour soi ». Il était bien entendu<br />

plus difficile de saisir les éléments de cette identification personnelle à partir du<br />

questionnaire. Nous avons néanmoins pu l’approcher à partir <strong>des</strong> réponses apportées à la<br />

question suivante : « Vous définissez-vous professionnellement comme psychologue ? ». De<br />

façon surprenante, cette question n’a pas été interprétée comme faisant référence à l’intitulé<br />

professionnel (demandé en début de questionnaire) mais davantage en termes d’identité<br />

424


personnelle et de revendication de cette identité. L’exploitation du questionnaire a ainsi fait<br />

apparaître un décalage important entre les réponses apportées aux deux questions. Le<br />

croisement <strong>des</strong> deux réponses a fait apparaître quatre cas de figure possibles :<br />

1. La personne se définit professionnellement comme psychologue et a un intitulé<br />

d’emploi faisant mention de ce titre (16% <strong>des</strong> individus).<br />

2. La personne ne se définit pas professionnellement comme psychologue et ne<br />

porte pas le titre (53% <strong>des</strong> cas).<br />

3. La personne porte le titre mais ne se définit pas professionnellement comme<br />

psychologue (2% <strong>des</strong> cas) 108<br />

4. La personne ne porte pas le titre mais se définit professionnellement comme<br />

psychologue (29% <strong>des</strong> cas)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Dans le premier cas de figure, les identifications "pour soi" et "pour autrui" se<br />

confortent mutuellement et l’engagement de la personne vis-à-vis de son métier est en général<br />

assez fort. L’identité professionnelle est solidement établie et l’exercice du métier est souvent<br />

vécu sur le mode de la vocation. La majorité <strong>des</strong> personnes de ce groupe appartient à <strong>des</strong><br />

gran<strong>des</strong> organisations qui reconnaissent le statut de psychologue du travail, dans le secteur de<br />

l’insertion ou du conseil en formation. Le second cas de figure est assez proche du précédent,<br />

à ceci près que dans ce cas l’identité professionnelle ne se construit pas autour de la<br />

profession de psychologue mais d’identités alternatives (cadre d’entreprise, consultant,<br />

employé, fonctionnaire…). Ces personnes sont les plus éloignées de la psychologie, comme<br />

on l’a vu sur le graphique 14 (AFC). Le troisième cas de figure est numériquement marginal.<br />

Il ne comprend que six personnes (2% de l’échantillon), essentiellement <strong>des</strong> psychologues de<br />

l’AFPA ou <strong>des</strong> CIO qui sont parvenus à <strong>des</strong> fonctions de direction administrative ou de<br />

recherche et qui considèrent par conséquent qu’elles n’ont plus de véritable activité de<br />

psychologue, bien qu’elles continuent à en porter le titre officiel. C’est le dernier cas de figure<br />

qui est le plus intéressant au point de vue sociologique : nous nous y attarderons donc plus<br />

longuement. Ce groupe est composé de personnes qui se définissent professionnellement<br />

comme psychologues sans en porter le titre. Plutôt que de traiter ce type de réponse comme<br />

une fâcheuse anomalie du questionnaire, il nous a semblé plus pertinent de lui restituer son<br />

sens en observant la distribution statistique de cet écart entre les différentes secteurs d’activité<br />

108 Ce groupe, assez marginal, ne comprend que six personnes, essentiellement <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA ou<br />

<strong>des</strong> CIO qui sont parvenus à <strong>des</strong> fonctions de direction administrative ou de recherche et qui considèrent par<br />

conséquent qu’elles n’ont plus de véritable activité de psychologue.<br />

425


(tableau 35). Ceci permettait d’identifier les secteurs dans lesquels la tension entre "identité<br />

pour autrui" et "identité pour soi" apparaissait particulièrement forte.<br />

Tableau 36 – Discordance entre l’intitulé professionnel et la définition professionnelle<br />

Secteur d’activité % d’individus appartenant au cas n°4<br />

Entreprise 25%<br />

Conseil en RH et recrutement 45%<br />

Insertion / conseil en formation 23,3%<br />

Sanitaire et social 10,7%<br />

Ensemble 29%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Il ressort clairement du tableau précédent que c’est au sein du groupe <strong>des</strong> consultants<br />

que la tension est la plus grande entre « identité pour soi » et « identité pour autrui ». Ces<br />

personnes se considèrent fréquemment comme psychologues, mais sont rarement reconnues<br />

comme telles dans leur milieu de travail. Ce résultat est largement corroboré par les propos<br />

tenus en entretiens par les consultants, qui estiment pour la plupart réaliser un "vrai travail de<br />

psychologue" et mettre en œuvre les acquis de cette discipline sans pour autant pouvoir<br />

afficher clairement leur formation et leur titre, qui risquent d’être mal interprétés par leurs<br />

patrons, leurs collègues ou clients. Le mention d’un titre de "psychologue" dans le cadre d’un<br />

entretien de recrutement pourrait en effet apparaître "déplacée" et créer <strong>des</strong> anticipations<br />

inattendues chez le candidat. Ils préfèrent alors se présenter comme « consultants » :<br />

Q : « vous avez déjà occupé <strong>des</strong> postes qui portaient l’intitulé de psychologue du<br />

travail ? »<br />

R : « Non…Non… c’était toujours consultant. Mais personnellement, je n’y attache<br />

pas d’importance, vous voyez. Ça m’est égal… Et même je vous le dis, je le tais. Je<br />

le tais sauf quand on me le demande. Parce que pour moi il y a trop de psychologues<br />

qui ont joué de leur titre, en se gargarisant de leur titre et en donnant de la profession<br />

une mauvaise image. Et moi je me dis : je suis psy de formation. C’est ma<br />

formation. Si on me demande, je le dis. Mais je n’en parle pas parce que ce n’est pas<br />

un atout pour aboutir à ce que je veux. Or ce que je veux, c’est connaître les gens. Je<br />

n’ai pas à dire que j’ai un troisième cycle de psychologie du travail et ceci ou cela.<br />

Parce que s’ils ne le savent pas, ils seront plus naturels. Ils seront normaux. Comme<br />

tout le monde. Et moi je préfère que les gens soient normaux et naturels. Je n’ai pas<br />

envie qu’on se construise un personnage devant moi. » (entretien n°10, homme,<br />

directeur associé d’un cabinet de recrutement).<br />

Bien que leur identité pour autrui reste le plus souvent cachée, ces psychologues<br />

consultants sont convaincus que leur formation constitue une plus-value indéniable dans leur<br />

approche <strong>des</strong> individus. Ils s’estiment notamment mieux armés que leurs collègues issus<br />

d’autres formations pour comprendre les problèmes personnels ou détecter certaines<br />

pathologies chez les personnes rencontrées, qu’il s’agisse d’une situation de recrutement, de<br />

426


ilan professionnel ou de formation professionnelle. Il n’est notamment pas rare qu’ils se<br />

comparent aux gestionnaires ou aux diplômés d’écoles de commerce qui auraient une moins<br />

grande capacité d’écoute, un regard moins analytique et seraient davantage portés à mettre en<br />

œuvre <strong>des</strong> solutions "toutes faites". Ainsi ce directeur de cabinet de conseil en recrutement,<br />

psychomotricien de formation évoque l’utilisation qu’il fait de ses connaissances en<br />

psychomotricité dans les situations de recrutement :<br />

« Moi, en psychomotricien, il y a <strong>des</strong> choses que je ressens <strong>des</strong> gens quand je les<br />

vois et que mes collègues ne voient pas. Ça peut paraître très curieux, mais le corps<br />

ça parle autant que la langue et… Des gens gauches, vous les voyez. Les gens<br />

gauches, pourquoi ils sont gauches ? Pourquoi il y a <strong>des</strong> gens qui savent danser et<br />

d’autres pas ? Alors vous me direz, il y a peut-être <strong>des</strong> questions spatiales, <strong>des</strong><br />

questions d’oreille interne, <strong>des</strong> questions de rythme etc… mais tout a un fondement.<br />

Il y a <strong>des</strong> raisons : elles peuvent être psychologiques, elles peuvent être<br />

neurologiques, elles peuvent être musculaires, mais il y a toujours une raison »<br />

(entretien n°10, homme, consultant en recrutement).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

De même, cette consultante en recrutement et formation, interrogée en 1996 par le journal Le<br />

Monde, insiste sur la plus-value apportée par un psychologue dans une situation de<br />

recrutement :<br />

« Nous sommes plus sensibles à la personnalité de l’individu, au non-dit, à tout ce<br />

qui est au-delà de l’apparence. La psychologie nous permet de mieux cerner les<br />

tendances pathologiques <strong>des</strong> uns et <strong>des</strong> autres et d’analyser plus en finesse les<br />

situations » 109<br />

L’une <strong>des</strong> sources de tension entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui tient au<br />

fait que l’activité de consultant donne difficilement la possibilité de concilier les deux<br />

dimensions : celle du métier (avec le fort investissement subjectif que suppose ce terme) et<br />

celle de l’emploi occupé. Comme on l’a vu, le travail se fait souvent dans l’urgence et sous la<br />

pression commerciale, ce qui interdit de passer autant de temps qu’on le souhaiterait avec le<br />

candidat, à la différence par exemple de la situation qui est celle <strong>des</strong> psychologues cliniciens<br />

qui ne "comptent pas" le temps passé avec le patient. Les psychologues consultants doivent<br />

fréquemment faire leur deuil d’investigations psychologiques trop approfondies : d’où le<br />

sentiment de frustration qu’ils ressentent à l’issue de certains entretiens. L’autre difficulté<br />

souvent évoquée par ce groupe tient au contexte même de la demande. Celui-ci est<br />

particulièrement ambigu puisqu’en général le psychologue doit évaluer un individu pour le<br />

compte d’une tierce personne (l’employeur, une administration…). Cette situation crée un jeu<br />

complexe de relations à trois qui empêche parfois que s’établisse une communication réelle<br />

avec la personne. Contrairement à l’entretien clinique, le psychologue ne se situe plus<br />

109 Le Monde, 27 février 1996 « L’entreprise découvre les psychologues »<br />

427


simplement dans son rôle d’"écoutant" mais apparaît avant tout comme un évaluateur, face<br />

auquel le candidat endosse un rôle de composition. Pour lever toute ambiguïté vis-à-vis de la<br />

personne rencontrée, certains psychologues estiment plus prudent de ne pas pousser trop loin<br />

les investigations dans le cadre d’entretiens professionnels et se montrent soucieux de ne pas<br />

dépasser la "ligne rouge" de la sphère intime. Le fait de ne pas se présenter comme<br />

"psychologue" face au candidat peut être alors un moyen d’éviter tout malentendu.<br />

3. Des « intitulés flous » aux « métiers flous »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Si la mention du titre de "psychologue" est rare dans la définition <strong>des</strong> emplois de<br />

notre population, on relève néanmoins la présence d’intitulés récurrents, qui peuvent<br />

contribuer à l’unification symbolique du groupe en dehors d’une référence officielle au titre.<br />

Hormis le libellé de « psychologue du travail » (4.6%), ceux qui ont la fréquence d’apparition<br />

la plus élevée sont : « responsable RH » (4.6%), « conseiller d’orientation psychologue »<br />

(3.9%) « consultant en RH » (3.3%), « conseiller bilan » (3.3%), « responsable du<br />

recrutement » (3.1%), « consultant » (2,9%) 110 . Tous ces libellés renvoient d’une manière ou<br />

d’une autre à une activité centrée sur l’évaluation d’autrui, et supposent la mise en œuvre de<br />

compétences psychologiques. Les emplois correspondants ne sont toutefois pas le monopole<br />

exclusif <strong>des</strong> psychologues et l’on a même vu que dans certains cas, elles pouvaient entrer en<br />

conflit avec l’identité acquise en formation initiale. Il est difficile aussi de dire, à la simple<br />

lecture <strong>des</strong> libellés, si on a affaire à une fonction clairement définie et institutionnalisée,<br />

supposant un embryon de professionnalisation, ou à un faisceau de tâches peu reliées entre<br />

elles. Ainsi, le « formateur » ne déclare qu’une seule activité et renvoie à un groupe<br />

professionnel relativement identifié à la différence du « conseiller en bilan, orientation et<br />

formation », qui en désigne trois et n’a pas d’appartenance professionnelle immédiatement<br />

lisible. De plus, les frontières entre catégories sont parfois subtiles et de faibles variations<br />

sémantiques peuvent induire de profon<strong>des</strong> différences dans la réalité professionnelle.<br />

L’intitulé de « conseiller en bilan » renvoie à un groupe professionnel reconnu exerçant au<br />

sein <strong>des</strong> CIBC contrairement aux « consultants en bilan » qui exercent dans <strong>des</strong> structures<br />

privées et n’ont pas de statut précis, mais perçoivent <strong>des</strong> salaires en moyenne 20% plus<br />

élevés.<br />

Face à une telle hétérogénéité, que peuvent nous apprendre les intitulés d’emploi et<br />

quelle méthode de classement privilégier ? Dans quelle mesure pouvons nous lire, derrière les<br />

110 Voir tableau IV-14, annexe 4.<br />

428


intitulés d’emploi, les transformations du groupe professionnel ? Nous présenterons dans un<br />

premier temps les différentes approches théoriques qui peuvent être mobilisées dans l’analyse<br />

<strong>des</strong> intitulés d’emploi. Ensuite, nous présenterons les caractéristiques générales du corpus <strong>des</strong><br />

libellés et tenterons d’en tirer quelques enseignements sur le degré de professionnalisation <strong>des</strong><br />

différents groupes identifiés. On tentera enfin de déceler quelques unes <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> tendances<br />

d’évolution <strong>des</strong> intitulés d’emploi au fil du temps dans le domaine de la psychologie du<br />

travail à partir d’une comparaison avec une enquête plus ancienne 111 .<br />

a) L’analyse <strong>des</strong> intitulés d’emploi : repères théoriques<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’une <strong>des</strong> principales difficultés qui se présente au sociologue lorsqu’il se penche sur<br />

les intitulés d’emploi est de déterminer la nature du lien entre les évolutions de cette « langue<br />

naturelle » et les transformations qui surviennent dans le monde professionnel. On pourrait, à<br />

la manière <strong>des</strong> phénomènes monétaires, distinguer la valeur "nominale" d’un intitulé d’emploi<br />

et sa valeur "réelle". Dans quelle mesure <strong>des</strong> variations nominales reflètent-elles <strong>des</strong><br />

changements réels ? L’inflation que l’on devine par exemple derrière le passage de la<br />

« secrétaire de direction » à « l’assistante de direction » ou de la « caissière » à l’« hôtesse de<br />

caisse » désigne-t-elle une évolution du contenu <strong>des</strong> tâches ou une revalorisation symbolique<br />

de ces deux professions ? On peut distinguer au moins quatre facteurs d’évolution <strong>des</strong><br />

intitulés d’emploi, mis en évidence à <strong>des</strong> degrés divers dans la littérature sur le sujet.<br />

(1) La technologie<br />

Le facteur qui vient le plus spontanément à l’esprit est d’ordre technologique. Les<br />

transformations technologiques font naître de nouvelles activités et, partant, de nouveaux<br />

intitulés d’emploi. On a vu ainsi apparaître dans le sillage de l’explosion informatique de ces<br />

dernières années <strong>des</strong> « développeurs de sites web », <strong>des</strong> « animateurs multimédia » ou <strong>des</strong><br />

« <strong>des</strong>sinateurs assistés par ordinateur » qui doivent tous leur apparition à cette transformation<br />

technologique majeure 112 . De même Thévenot (1981) remarque que « les emplois ouvriers<br />

dont les dénominations sont les plus vagues et les plus fluctuantes correspondent aux<br />

branches (…) où la part du capital fixe est très élevée », la machinisation ayant entraîné une<br />

disparition <strong>des</strong> noms de "métiers" au profit d’intitulés d’emploi calqués sur ceux <strong>des</strong> machines<br />

utilisées. On trouve dans les travaux de Baron et Bielby (1986) une variante de cette thèse<br />

111 MOULIN, art. cit., 1982<br />

112 Selon GOLLAC (2003) les effectifs "d’<strong>ingénieurs</strong> en informatique" auraient été multipliés par deux ou quatre<br />

en l’espace de dix ans.<br />

429


déterministe, les auteurs reliant l’apparition de nouveaux intitulés d’emplois à la<br />

complexification technique qui entraîne une division du travail plus grande dans les<br />

organisations. Après avoir défini un indicateur de « prolifération <strong>des</strong> intitulés d’emploi » 113 ils<br />

montrent que cet indicateur s’accroît avec le degré de complexité technologique de<br />

l’organisation considérée :<br />

« la prolifération de titres se révèle plus importante dans les gran<strong>des</strong> organisations,<br />

dans les environnements complexes et hétérogènes, et dans les organisations<br />

supposant la mise en œuvre de qualifications spécifiques à la firme ».<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les limites de la thèse techniciste sont toutefois évidentes. Dans un article ultérieur,<br />

Strang et Baron (1990) montrent que la proportion d’hommes, de noirs et la présence de<br />

syndicats expliquent bien mieux que la technologie la prolifération <strong>des</strong> intitulés au sein d’une<br />

organisations. Les groupes sociaux constitués et disposant d’un capital social élevé –<br />

notamment les professions – ont une plus grande capacité à imposer une normalisation <strong>des</strong><br />

intitulés, bases d’une mobilisation collective. De même, à en croire Gollac (2003), l’impact de<br />

la révolution informatique sur les professions semble avoir été « globalement mo<strong>des</strong>te » et ne<br />

s’est que faiblement traduit par de nouvelles dénominations professionnelles. Ses effets sont<br />

indirects et transitent toujours par l’organisation et les rapports de pouvoir au sein de celles-ci.<br />

Il vient recomposer les contours <strong>des</strong> professions existantes plus qu’il n’en crée de<br />

nouvelles 114 . On a ainsi vu décliner considérablement les effectifs de « sténo-dactylos » dans<br />

les entreprises au cours <strong>des</strong> dix dernières années face à l’utilisation croissante de<br />

l’informatique par les cadres, mais parallèlement le nombre de « secrétaires » n’a pas<br />

diminué. Il s’est même accru en raison de la normalisation et de la rationalisation accrue <strong>des</strong><br />

activités de service et de soutien logistique au sein <strong>des</strong> firmes. Il est vrai que les secrétaires<br />

ont toujours été davantage définies par le caractère polyvalent et flexible de leurs tâches que<br />

par un contenu technique précis, ce qui expliquerait l’impact limité de l’informatisation sur ce<br />

groupe professionnel. Dans le même ordre d’idées, Latreille (1984) avait montré à partir<br />

d’une étude fine portant sur l’apparition de nouveaux intitulés d’emplois entre 1955 et 1973<br />

que le facteur technologique expliquait au mieux 25% <strong>des</strong> nouvelles appellations d’emploi.<br />

Dans plus de 55% <strong>des</strong> cas, elles recouvraient en réalité <strong>des</strong> métiers anciens avec un<br />

éclatement déqualifiant <strong>des</strong> tâches ou à l’inverse avec regroupement de tâches auparavant<br />

113 L’indicateur de prolifération de titres au sein d’une organisation est défini par Baron et Bielby comme le (log)<br />

ratio du nombre d’intitulés d’emplois présents dans une organisation sur le nombre de co<strong>des</strong> différents auxquels<br />

correspondent ces emplois dans le Dictionary of Occupational Titles (équivalent de notre code <strong>des</strong> PCS).<br />

114 GOLLAC (2003, p. 188) estime à 30000 les emplois de l’informatique aujourd’hui, soit 1.5% de la population<br />

active.<br />

430


séparées. Dans 19% <strong>des</strong> cas les nouvelles appellations recouvraient en fait d’anciennes<br />

professions qui avaient changé d’appellation sans modification du contenu d’activité. On voit<br />

par là que la technologie n’est qu’un facteur finalement assez marginal dans la transformation<br />

<strong>des</strong> intitulés et que c’est avant tout le caractère social de ces derniers qui explique leur<br />

stabilité.<br />

(2) La mode<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La mode constitue un autre facteur souvent évoqué d’évolution <strong>des</strong> intitulés<br />

d’emploi. Ici l’inflation est purement nominale et ne tient qu’à <strong>des</strong> effets d’"imitation" entre<br />

groupes sociaux. On retrouverait, derrière le choix <strong>des</strong> intitulés <strong>des</strong> phénomènes bien connus<br />

en matière de choix du prénom, pour lequel on a mis en évidence <strong>des</strong> règles de « circulation<br />

<strong>des</strong> biens symboliques » (Besnard, 1979, p. 344) 115 . La diffusion <strong>des</strong> innovations symboliques<br />

peut se faire selon deux modalités : « capillaire » ou « horizontale ». La première se produit<br />

lorsque les attributs d’un groupe social donné sont adoptés par le groupe qui lui est<br />

immédiatement inférieur 116 . Dans le domaine <strong>des</strong> intitulés d’emploi, Burnod et Chenu (2003)<br />

montrent ainsi que les terme d’"agent" et d’"opérateur" ont connu une diffusion <strong>des</strong>cendante<br />

<strong>des</strong> groupe de cadres et de professions intermédiaires vers les employés et les ouvriers entre<br />

1991 et 1998. Dans notre échantillon le terme de « consultant », autrefois réservé à <strong>des</strong><br />

catégories prestigieuses du secteur privé tend à se diffuser dans les gran<strong>des</strong> entreprises 117 et<br />

même dans le secteur de l’insertion, certaines personnes jouant sur la proximité <strong>des</strong> termes de<br />

« conseiller » et de « consultant ». Le modèle de diffusion capillaire est concurrencé par la<br />

diffusion horizontale, qui souligne le rôle <strong>des</strong> « intermédiaires » ou <strong>des</strong> « relais » dans la<br />

diffusion simultanée d’une innovation au sein de différents groupes sociaux. On relève ainsi<br />

l’impact uniforme qu’ont eu certaines séries télévisées dans le choix <strong>des</strong> prénoms à certaines<br />

époques 118 . En matière d’intitulés d’emplois, on met en évidence le rôle de ces entrepreneurs<br />

de normes que sont les spécialistes du management dans l’adoption simultanée de nouveaux<br />

termes, comme celui de « responsable », qui a connu un succès dans la quasi-totalité <strong>des</strong><br />

groupes socioprofessionnels au cours de la période 1991-1998 (Burnod et Chenu, 2003),<br />

certainement sous l’effet du discours managérial davantage porté à insister sur la position<br />

fonctionnelle que sur <strong>des</strong> groupes constitués, supports là encore d’une mobilisation collective.<br />

115<br />

Pour une étude empirique <strong>des</strong> mécanismes de diffusion capillaire et horizontaux, voir également<br />

DESPLANQUES (1986).<br />

116 BESNARD (1979) utilise la métaphore du « ruissellement » pour évoquer cette diffusion progressive <strong>des</strong> biens<br />

symboliques du haut vers le bas de la structure sociale.<br />

117 « Consultant interne en RH » ; « consultant interne en recrutement » ; « psychologue-consultant ».<br />

118 Selon DESPLANQUES (1986) le succès de « Thierry » à la fin <strong>des</strong> années 1960 serait ainsi dû en grande partie à<br />

431


(3) Les luttes sociales<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En réalité, comme le montrait déjà Simmel (1989 [1895]) l’imitation ne saurait<br />

constituer à elle seule un principe d’explication satisfaisant. Derrière ces lois apparemment<br />

intemporelles se profilent <strong>des</strong> rivalités entre classes sociales pour la consommation légitime<br />

<strong>des</strong> biens symboliques. De même, ce sont <strong>des</strong> forces macro-sociales qui guident le choix <strong>des</strong><br />

intitulés d’emploi et qui délimitent le champ <strong>des</strong> dénominations possibles. Burnod et Chenu<br />

(2003) montrent ainsi le poids <strong>des</strong> grilles Parodi-Croizat issues de la négociation entre<br />

syndicats et employeurs dans la normalisation de certains intitulés d’emploi au cours <strong>des</strong><br />

Trente Glorieuses 119 . Ils montrent aussi que le déclin de ces formes d’institutionnalisation de<br />

la société salariale autorisent aujourd’hui un flottement plus grand entre le titre officiel et la<br />

fonction occupée et laissent s’instaurer <strong>des</strong> stratégies individuelles de revalorisation<br />

symbolique. La « logique compétence », qui individualise le rapport salarial, contribue aussi à<br />

individualiser les processus de nomination, chaque individu devenant porteur de virtualités<br />

personnelles et se transformant d’une certaine manière en un travailleur libre, un<br />

"entrepreneur de soi-même" transportant et recomposant ses compétences d’une entreprise à<br />

l’autre 120 . Il est probable que cette généralisation du modèle du travailleur libre conduise à un<br />

éclatement <strong>des</strong> intitulés d’emploi, effet qui pourrait toutefois être contrebalancé par<br />

l’apparition de « marchés professionnels » demandant à l’inverse une certaine normalisation<br />

<strong>des</strong> labels pour donner une plus grande lisibilité aux produits professionnels sur <strong>des</strong> marchés.<br />

Ce n’est toutefois pas cette direction qui semble être empruntée et il apparaît que les<br />

référentiels de compétence qui voient aujourd’hui le jour (notamment dans les expériences de<br />

VAE) ressemblent plus à <strong>des</strong> additions de tâches – engendrant par là <strong>des</strong> intitulés disparates –<br />

qu’à <strong>des</strong> « professions » au sens classique du terme.<br />

L’importance <strong>des</strong> titres dans les luttes sociales pour le classement est également<br />

soulignée par Bourdieu et Boltanski (1975) pour qui « avoir le nom, c’est se sentir en droit de<br />

prétendre aux choses qui sont normalement associées à ces mots, c’est à dire aux pratiques et<br />

aux profits matériels et symboliques correspondants ». La relation entre le titre (nominal) et le<br />

poste (réel) varie d’un segment à l’autre du marché du travail. Fortement institutionnalisée<br />

dans les marchés fermés (Fonction publique, marchés réglés par <strong>des</strong> conventions collectives<br />

la série télévisée « Thierry la fronde ».<br />

119 Il faudrait également montrer le rôle joué par la mise en place <strong>des</strong> co<strong>des</strong> de PCS, eux aussi issus de la<br />

négociation entre les représentants officiels <strong>des</strong> professions et l’administration dans la normalisation <strong>des</strong> intitulés<br />

d’emplois (DESROSIERES et THEVENOT, 1988). Bien que L’INSEE ait vocation à donner une représentation<br />

« neutre » du monde professionnel, les auteurs montrent bien que ses catégories ont un pouvoir performatif et ne<br />

soient reprises dans les luttes sociales.<br />

432


fortes) elle l’est moins dans les nouvelles professions, qui autorisent un jeu plus grand entre<br />

titre et poste et laissent se développer <strong>des</strong> stratégies individuelles de reclassement. Comme le<br />

montre Eckert (2002), de telles stratégies sont par exemple à l’œuvre chez les jeunes<br />

<strong>ingénieurs</strong> issus <strong>des</strong> formations universitaires qui sont plus prompts à énoncer leur emploi sur<br />

le mode de la position occupée dans l’entreprise (« chef de projet », « responsable<br />

d’équipe »…) que sur celui du titre intemporel d’ingénieur, se différenciant par là de leurs<br />

congénères issus <strong>des</strong> écoles plus prestigieuses. L’énoncé <strong>des</strong> intitulés laisserait donc<br />

transparaître deux mo<strong>des</strong> d’affiliation socialement différenciés : allégeance à l’organisation<br />

ou à l’entreprise qui assure une position dans un cas, allégeance à la profession à laquelle on<br />

se sent légitimement appartenir de l’autre.<br />

(4) L’action publique<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Quoique plus rarement évoquées, les transformations de l’action publique constituent<br />

un autre facteur essentiel d’évolution <strong>des</strong> intitulés d’emploi. Le pouvoir instituant de l’Etat ne<br />

se limite pas en effet aux corps établis (« inspecteur <strong>des</strong> finances », « contrôleur <strong>des</strong> impôts »,<br />

« professeur agrégé », « <strong>ingénieurs</strong> <strong>des</strong> Ponts et Chaussées »…), ce sur quoi a bien insisté<br />

Kramarz (1991), mais se manifeste de manière plus diffuse dans l’ensemble de la structure<br />

sociale. Il est d’ailleurs probable que son influence sur les processus de dénomination se fasse<br />

de plus en plus de manière indirecte sous l’effet de la territorialisation <strong>des</strong> politiques<br />

publiques : l’ouverture de nouveaux champs d’intervention dans les domaines liés à l’Etatprovidence<br />

constitue un réservoir inépuisable de nouvelles dénominations dans les métiers de<br />

l’éducation, de la santé, de la culture, du travail social, le plus souvent en dehors <strong>des</strong> corps<br />

professionnels constitués (assistantes sociales, éducateurs, professeurs…). De même les<br />

politiques de lutte contre le chômage, qui se sont traduites par la création volontariste de<br />

nouvelles activités dans le domaine <strong>des</strong> politiques de l’environnement, du développement<br />

économique local ou de la médiation, ont contribué à faire émerger de nouveaux intitulés<br />

professionnels. Ces nouveaux métiers nous mettent face à une situation inédite, où l’activité<br />

vient s’organiser autour d’un nouveau « nom », censé constituer le point de départ d’une<br />

nouvelle activité. Comme le note Demazière (2004) à propos <strong>des</strong> médiateurs, « la désignation<br />

de l’activité professionnelle devance l’identification de missions spécialisées » et « la<br />

nomination préexiste à la constitution éventuelle d’un groupe professionnel ». Dans le même<br />

ordre d’idées, Jeannot (2002) relève l’apparition dans le champ de l’action publique de<br />

« métiers flous » qui doivent leur existence à une injonction politique, prenant d’ailleurs plus<br />

120 Voir MENGER (2003)<br />

433


souvent la forme d’une finalité idéale visée (« insérer », « lutter contre le chômage »,<br />

« développer les territoires », « remédier les populations exclues ») que d’un contenu de<br />

tâches clairement identifiées.<br />

On peut formuler une hypothèse de ce type à propos de notre population. Il ne fait<br />

pas de doute en effet que le développement <strong>des</strong> politiques d’insertion et de lutte contre le<br />

chômage aient eu un impact important sur les processus de dénomination professionnelle <strong>des</strong><br />

psychologues du travail, moins portés à mettre l’accent sur leur titre que sur les nouveaux<br />

dispositifs publics auxquels se rattachait leur activité (« bilan », « insertion », « emploi »…).<br />

b) Caractéristiques générales du corpus d’intitulés<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

A la différence d’une enquête téléphonique, où l’enquêteur et l’enquêté sont en<br />

interaction directe et peuvent trouver un accord sur l’intitulé le plus adéquat, une enquête<br />

postale entraîne une plus grande variabilité dans les réponses. La consigne donnée aux<br />

personnes interrogées était la suivante : « Quel est l’intitulé du poste que vous occupez<br />

actuellement ? (précisez le de façon détaillée) ». Elle a été interprétée de façon très variable.<br />

Certaines personnes ont indiqué un titre très court : « formateur », « consultant »,<br />

« psychologue ». D’autres sont entrées dans un luxe de détails, comme dans la réponse<br />

suivante : « Chargé d’interventions et de conseils : accompagnement <strong>des</strong> politiques RH de<br />

l’entreprise (<strong>des</strong>cription d’emplois, référentiels d’appréciation du professionnalisme) ».<br />

D’autres enfin ont fait référence à un contenu de tâches davantage qu’à un emploi précis,<br />

comme dans cette réponse : « Administration du stagiaire, suivi du parcours ». Compte tenu<br />

de cette contrainte inhérente au mode de recueil <strong>des</strong> données, la dispersion constatée dans<br />

notre corpus d’intitulés d’emplois apparaît nettement plus grande que dans les enquêtes<br />

réalisées par les grands instituts de statistique (INSEE, Céreq…). Nous avons recueilli au total<br />

265 intitulés différents sur les 517 personnes interrogées, soit une moyenne d’un intitulé pour<br />

1.96 personnes, alors que selon Chenu et Guglielmetti (2000) cette proportion s’établit à un<br />

intitulé pour 3.3 personnes au recensement de l’INSEE (enquête par dépôt-retrait) et un<br />

intitulé pour 4.65 personnes à l’Enquête Emploi (où l’enquête est administrée directement par<br />

l’enquêteur) 121 .<br />

121 cette statistique a été construite sans prendre en compte les mots de liaison : on considère ainsi qu’un<br />

« consultant en RH » a le même intitulé qu’un « consultant RH ». Nous avons également annulé les effets liés au<br />

genre : les « directrice » sont devenues « directeur » et les « consultante » « consultant »... Nous avons en<br />

revanche conservé les intitulés dans leur forme complète, c’est à dire qu’un « DRH de secteur » n’a pas le même<br />

intitulé qu’un « DRH », pas plus qu’un « consultant en recrutement » ne se confond avec un « consultant en<br />

recrutement et formation ».<br />

434


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En dépit de cette apparente dispersion, on relève toutefois la présence récurrente de<br />

certains termes qui se combinent de manières diverses pour former les intitulés d’emploi. On<br />

a pris pour cela le parti de découper chaque intitulé en un ensemble d’unités sémantiques<br />

élémentaires. En effet, le plus souvent, un intitulé se divise en un « antécédent » et un<br />

« champ », comme dans les intitulés suivants : « Consultant en recrutement », « Conseiller en<br />

bilan », « Directeur <strong>des</strong> RH », où les antécédents sont respectivement « Consultant »,<br />

« Conseiller », « Directeur » et les champs « recrutement », « Bilan », « RH ». Parfois<br />

l’antécédent et le champ sont confondus comme dans les termes de « formateur » ou de<br />

« psychologue » 122 . Nous avons ainsi pu identifier 10 « mots-clés » qui combinés entre eux<br />

permettaient de retrouver la quasi-totalité <strong>des</strong> intitulés d’emploi (94%). Il s’agit, pour les<br />

champs, <strong>des</strong> mots suivants : « RH » (présent dans 22.2% <strong>des</strong> intitulés), « formation » (13.9%),<br />

« recrutement » (12.9%), « bilan » (6.6%), « orientation » (5.4%), « insertion » (4.4%) et pour<br />

les antécédents de : « Responsable (20.1%) », « Consultant » (19.9%), « Psychologue »<br />

(17%) et « Conseiller » (14.5%) 123 . Ces mots-clés constituent en quelque sorte la matrice du<br />

registre sémantique mobilisé par les enquêtés, formant les éléments d’un langage<br />

professionnel. Leur repérage nous a ensuite permis de « filtrer » les différents intitulés pour<br />

évaluer leur proximité par rapport à l’ensemble du champ professionnel.<br />

Les termes identifiés pouvaient ensuite s’agencer entre eux de diverses façons. Soit<br />

ils se combinaient selon <strong>des</strong> formes stabilisées et éprouvées au fil du temps, donnant<br />

naissance à <strong>des</strong> intitulés « stables » reconnus dans <strong>des</strong> conventions collectives, <strong>des</strong><br />

classifications d’entreprise ou <strong>des</strong> statuts de la Fonction publique (« Directeurs <strong>des</strong> ressources<br />

humaines », « Conseiller d’orientation psychologue », « conseiller à l’emploi ») soit leur<br />

combinaison était plus aléatoire et faisait apparaître <strong>des</strong> intitulés "flous" comme dans<br />

« Conseiller en bilan et formation » ou « Chargé de bilans de compétences ». Pour<br />

appréhender statistiquement cette dispersion inégale, nous avons construit un indice de<br />

dispersion en rapportant le nombre d’intitulés différents observés au nombre total d’individus<br />

de la catégorie considérée (le tout multiplié par 100). Une valeur égale à 100 signifie que tous<br />

les intitulés de la catégorie sont différents et une valeur égale à un signifie que tous les<br />

individus de la catégorie ont le même intitulé.<br />

Il résulte de cette analyse que les différentes catégories d’emploi précédemment<br />

identifiées peuvent se différencier sous deux rapports. D’une part elles peuvent se situer à<br />

l’intérieur ou en dehors du champ couvert par les termes « typiques » <strong>des</strong> appellations<br />

122 Psychologue sans autre précision signifie le plus souvent « psychologue clinicien »<br />

435


professionnelles (« in champ » / « hors champ »). D’autre part, elles peuvent être « stables »<br />

ou « instables », selon que les intitulés qui la composent présentent ou non un degré élevé de<br />

cristallisation. Une fois ces deux distinctions établies, on peut positionner les différentes<br />

catégories d’emploi sur deux axes, comme dans le tableau suivant :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau 37 – Caractéristiques <strong>des</strong> intitulés selon les catégories d’emploi<br />

Catégories d’emploi<br />

Noyau dur (intitulé le % in champ 124 Dispersion<br />

plus fréquent)<br />

Assistants RH « Assistant RH » 40.0 60<br />

Autres cadres n.s. 30.7 92<br />

Cadre RH « Responsable RH » 84.5 46,3<br />

Cadre formation<br />

« Responsable<br />

91.6 66,6<br />

formation »<br />

Cadre organisation n.s. 54.5 90<br />

Chef d’entreprise « Gérant » 14.2 50<br />

Conseiller en emploi « Conseiller bilan » 79.3 73,5<br />

Conseiller en formation<br />

« Conseiller<br />

95.9 20,5<br />

d’orientation<br />

psychologue »<br />

Consultant RH « Consultant RH » 65.0 55<br />

Consultant en formation<br />

« Consultant en<br />

71.4 64,2<br />

formation »<br />

Consultant en organisation « Consultant » 27.2 54<br />

Consultants junior RH « Consultant junior » 75.0 60<br />

Employés n.s. 0.0 100<br />

Formateur « Formateur » 23.5 35<br />

PI educ et trav soc n.s. 23.8 90<br />

Psychologue « Psychologue » 12.5 43,7<br />

Rech appliquée n.s. 30.7 92<br />

Resp structure n.s. 42.8 100<br />

L’analyse précédente met en évidence trois groupes, qui se distinguent sous les deux<br />

aspects évoqués (on trouvera une représentation graphique de ce tableau sur le graphique IV-<br />

2, annexe 4). Un premier groupe se caractérise par <strong>des</strong> appellations stables situées dans le<br />

champ de la psychologie du travail (« in champ » > 60% et « dispersion » < 60%). Il s’agit<br />

<strong>des</strong> conseillers en formation (AFPA et CIO), <strong>des</strong> cadres de ressources humaines <strong>des</strong><br />

entreprises et <strong>des</strong> consultants en RH. Ces trois activités apparaissent comme les plus<br />

"professionnalisées" au sein de la psychologie du travail. D’une part elles s’inscrivent<br />

pleinement dans le champ d’activités couvert par la discipline (recrutement, évaluations<br />

individuelles, orientation…), d’autre part les appellations professionnelles y sont stables.<br />

Cette normalisation <strong>des</strong> appellations doit sa force soit à la reconnaissance d’un statut au sein<br />

123 Voir tableau IV-16, annexe 4.<br />

124 « in champ » = l’intitulé contient au moins deux mots-clés (antécédent ou champ).<br />

436


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

de la Fonction publique (CIO et AFPA), soit à leur stabilisation au sein de conventions<br />

collectives (consultants en recrutement) ou dans les grilles de classification <strong>des</strong> entreprises<br />

(directeurs de ressources humaines). Les taxinomies publiques contribuent également à<br />

donner à ces emplois <strong>des</strong> contours stables puisqu’ils trouvent chacun leur place sans<br />

ambiguïté dans l’une <strong>des</strong> PCS de l’INSEE.<br />

Le deuxième groupe a la particularité de s’inscrire dans le champ de la psychologie<br />

du travail (on y retrouve un grand nombre de mots-clés tels que « bilan », « recrutement »,<br />

« compétence… ») mais de n’offrir que très peu d’appellations stabilisées (« in champ »>60%<br />

et « dispersion » < 60%). Celle de « conseiller bilan », qui est la plus fréquente, est entourée<br />

d’un halo de dénominations plus ou moins stabilisées, variables d’une entreprise ou d’une<br />

association à l’autre. Les intitulés combinent souvent <strong>des</strong> activités multiples : « emploi et<br />

formation », « bilan et recrutement », « bilan et retour à l’emploi », signe d’un certain flou<br />

dans les fonctions occupées. La précarité <strong>des</strong> emplois, enfin, est due en grande partie à<br />

l’irrégularité <strong>des</strong> financements sur lesquels ils s’appuient, qui sont le plus souvent annualisés<br />

et contractualisés (notamment dans le secteur associatif). Il est donc difficile de mobiliser<br />

dans ces conditions <strong>des</strong> forces sociales suffisantes pour imposer d’une part un contenu<br />

d’activité commun à l’ensemble de ces acteurs et une certaine « normalisation » <strong>des</strong><br />

appellations professionnelles. Face au groupe précédent qui se situait du côté de<br />

l’organisation, ces psychologues apparaissent davantage exposés aux forces du marché et ont<br />

donc <strong>des</strong> difficultés à imposer <strong>des</strong> contours stables à leur activité. Il est toutefois possible que<br />

les appellations professionnelles se stabilisent au cours <strong>des</strong> prochaines années dans ce secteur<br />

émergent, en raison notamment en raison notamment de la mise en place de « référentiels<br />

d’activités et de compétences » qui pourraient contribuer à construire le groupe selon <strong>des</strong><br />

formes plus stables. Un référentiel d’activité et de compétences de « conseiller en insertion<br />

professionnelle », calqué sur l’activité <strong>des</strong> conseillers de missions locales et <strong>des</strong> PLIE a ainsi<br />

été créé l’an dernier. Il reste pour l’instant peu utilisé par les structures d’insertion mais<br />

pourrait connaître une diffusion plus large au cours <strong>des</strong> prochaines années 125 .<br />

Les appellations du dernier groupe (« in champ » < 60%) situent celui-ci en dehors<br />

du champ de la psychologie du travail, même si certaines appellations atteignent un degré de<br />

cristallisation élevé signalant un certain degré de professionnalisation en dehors du domaine<br />

que nous étudions, comme dans les appellations de « formateur » ou de « psychologue » (sans<br />

autre précision). Les activités les plus éloignées du cœur d’activité de la profession sont celles<br />

125 AFPA-DEAT, « Référentiel emploi, activités et compétences de conseiller en insertion professionnelle »,<br />

437


qui sont marquées par une forte instabilité <strong>des</strong> appellations professionnelles et qui, tout à la<br />

fois, désignent <strong>des</strong> activités a priori éloignées de la psychologie du travail, comme dans le cas<br />

<strong>des</strong> employés, de certains cadres d’entreprise ou <strong>des</strong> professions intermédiaires de la santé et<br />

du social.<br />

c) Quelques éléments sur l’évolution <strong>des</strong> intitulés d’emploi dans le<br />

temps<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Faute de disposer d’une base de comparaison solide avec notre propre corpus, il est<br />

difficile de tirer <strong>des</strong> conclusions générales sur l’évolution <strong>des</strong> appellations professionnelles au<br />

fil du temps. Il faudrait en toute rigueur disposer d’une enquête effectuée dans les mêmes<br />

conditions et portant sur un échantillon de taille comparable. Une comparaison par classe<br />

d’âge à partir de notre propre échantillon risque également de montrer rapidement ses limites<br />

compte tenu de l’impact évident de la carrière sur les libellés d’emploi (la plupart <strong>des</strong><br />

« directeurs » se trouvent parmi les 50 ans et plus, cela tenant tout autant à un effet d’âge que<br />

de génération). Les indications que nous donnerons n’ont donc qu’un caractère parcellaire et<br />

ne prétendent nullement à l’exhaustivité. Elles s’appuient sur l’enquête réalisée par Michel<br />

Moulin en 1982 auprès de 70 psychologues du travail adhérents à la Société française de<br />

psychologie. On donne quelques indications dans le tableau suivant sur l’évolution <strong>des</strong><br />

principaux antécédents entre 1982 et 2002 :<br />

Tableau 38 – Antécédents de libellé d’emplois les plus fréquents : évolution de 1982 à 2002<br />

Fréquence<br />

Antécédent<br />

Variation (%)<br />

1982 2002<br />

Responsable 13% 20.1% 155<br />

Consultant 7.2% 19.9% 227<br />

Psychologue 36% 17% 52<br />

Conseiller 2.8% 14.5% 517<br />

Chargé/e 7.2% 12.5% 174<br />

Directeur 14.4% 6.9% 52<br />

2003, 71 p.<br />

438


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En 1982, les manières de désigner son activité puisent encore au registre d’un<br />

répertoire adéquationniste qui place le psychologue du travail en position d’expert, mettant en<br />

correspondance <strong>des</strong> "emplois" et <strong>des</strong> "aptitu<strong>des</strong>" sur le marché du travail. Le vocabulaire<br />

employé (« directeur du personnel », « sélectionneur », « chargé de sélection », « chef de<br />

service psychotechnique ») porte l’empreinte d’une conception essentiellement dirigiste de la<br />

gestion <strong>des</strong> flux de main d’œuvre, qui se déploie aussi bien au niveau micro- (au sein de<br />

l’entreprise) que macro-économique (par la maîtrise <strong>des</strong> flux issus du système scolaire). Les<br />

appellations professionnelles de cette période signalent également une forte division<br />

fonctionnelle <strong>des</strong> activité entre le recrutement, la formation, la gestion administrative du<br />

personnel, l’organisation du travail etc., à la différence de l’intitulé plus flou et plus englobant<br />

de « ressources humaines » qui domine aujourd’hui et qui couvre l’ensemble de ces activités.<br />

La propension à se désigner comme « psycho− » (« psychologue », « psychotechnicien »,<br />

« psychosociologue », « psychologue d’entreprise »…) était nettement plus forte en 1982<br />

qu’aujourd’hui (36% contre 17%), signe que les psychologues sont de moins en moins perçus<br />

comme <strong>des</strong> "experts" porteurs d’un savoir spécifique dans l’entreprise, et qu’ils viennent se<br />

fondre dans <strong>des</strong> profils plus généralistes dans le domaine <strong>des</strong> ressources humaines, de la<br />

formation, de l’analyse organisationnelle…<br />

Les intitulés de notre échantillon témoignent d’une double évolution. Du côté <strong>des</strong><br />

politiques publiques d’orientation, on note une dissolution <strong>des</strong> catégories traditionnelles<br />

d’intervention publique (pensées en termes d’"orientation professionnelle") et l’émergence de<br />

nouveaux termes, qui témoignent moins d’un programme précis, que d’une politique<br />

idéalement visée, dont la réalisation complète est repoussée à un horizon indéterminé 126 . Les<br />

termes d’« insertion », d’« accompagnement », de « bilan », de « projet », de « coordination »<br />

font ainsi leur apparition à la fin <strong>des</strong> années 1980, alors qu’ils n’apparaissent pas une seule<br />

fois dans le corpus de 1982. Ils désignent moins la mise en œuvre d’un "modèle" d’action<br />

publique en direction de citoyens indifférenciés qu’une action personnalisée sur <strong>des</strong> individus,<br />

visant à traiter <strong>des</strong> situations complexes et hétérogènes. Il ne s’agit plus simplement<br />

d’"orienter" les personnes dans une perspective adéquationniste, mais de gérer au mieux la<br />

pénurie d’emplois et d’accroître l’employabilité <strong>des</strong> catégories les plus éloignées du marché<br />

126 Un constat similaire a été fait dans d’autres domaines, notamment celui <strong>des</strong> politiques d’aménagement du<br />

territoire, où JEANNOT (2002) a constaté l’émergence de « métiers flous » en lien avec les transformations de<br />

l’action publique. Comme dans le cas <strong>des</strong> politiques d’orientation, la prolifération de nouveaux intitulés<br />

d’emploi serait certainement à relier à l’intervention accrue <strong>des</strong> collectivités territoriales dans ces politiques<br />

publiques, ces dernières ayant contribué à la mise en place de nouveaux groupes professionnels partiellement en<br />

concurrence avec les fonctionnaires d’Etat traditionnellement affectés à ces missions.<br />

439


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du travail ou encore de les "redynamiser" par le recours à <strong>des</strong> techniques psychologiques ou<br />

psychothérapeutiques. Derrière cette évolution, on relève aussi une responsabilisation plus<br />

grande de l’individu « traité » : il ne s’agit plus pour le psychologue de décider à sa place<br />

quelle sera son orientation, mais de l’"accompagner" et de "promouvoir son autonomie" dans<br />

un choix librement consenti. Ces transformations se matérialisent dans la percée considérable<br />

de l’antécédent de « conseiller », qui apparaît cinq fois plus souvent en 2002 qu’en 1982.<br />

L’autre évolution prend place du côté <strong>des</strong> entreprises. Le souci de ces dernières est<br />

moins de contrôler hiérarchiquement les flux de main d’œuvre à l’entrée et à la sortie de<br />

l’entreprise que de gérer de façon optimale les ressources existantes, comme on le voit dans<br />

les termes de « compétence » (« Responsable du développement <strong>des</strong> compétences »<br />

« Responsable de la Gestion prévisionnelle <strong>des</strong> emplois et <strong>des</strong> compétences), de « mobilité »<br />

(« Responsable de la mobilité interne <strong>des</strong> cadres » « Chargé de la mobilité internationale »)<br />

ou encore de « carrière » (« chargé de la mobilité et <strong>des</strong> carrières » « Responsable de la<br />

gestion <strong>des</strong> carrières »). Ce vocable apparu récemment dans les Ressources humaines dénote<br />

bien le souci <strong>des</strong> entreprises de contribuer au développement personnel de leurs salariés et de<br />

mettre en place, au moyen de techniques psychologiques, une spirale de développement<br />

harmonieuse entre les compétences <strong>des</strong> salariés et la productivité de l’entreprise. On note<br />

aussi une percée du nouveau vocabulaire managérial dans les métiers <strong>des</strong> ressources humaines<br />

derrière les termes de « Responsable » (« Responsable <strong>des</strong> ressources humaines »), de<br />

« manager » (« Ressourcing manager »), de « projet » (« chef de projet RH ») qui tendent à se<br />

substituer à ceux de « directeur », de « chef », ou de « cadre » (voir tableau 37 ci-<strong>des</strong>sus).<br />

Comme l’ont constaté à une autre échelle Burnod et Chenu (2003) dans leur comparaison <strong>des</strong><br />

Enquêtes Emploi de 1991 et 1998, ces évolutions signalent bien la pénétration de la logique<br />

de la « cité par projets » dans le monde <strong>des</strong> ressources humaines. Au vocabulaire rigide de la<br />

psychotechnique, qui s’accommodait bien de l’univers parcellisé et mécanisé de la grande<br />

entreprise se substitue celui, plus labile et convivial, de l’organisation flexible, de<br />

l’autonomie, du développement <strong>des</strong> compétences etc.<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE V<br />

On relève, derrière les transformations sémantiques que nous venons de décrire à<br />

grands traits, une évolution plus profonde <strong>des</strong> usages sociaux de la psychologie du travail. On<br />

pourrait penser à première vue que le recul du modèle public d’orientation professionnelle<br />

incarné par la psychotechnique ou que l’abandon du qualificatif de « psychologue » traduisent<br />

440


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un déclin de la psychologie dans le monde du travail. Il est vrai que la fonction de<br />

"technologie disciplinaire" qu’elle avait rempli sur les marchés internes <strong>des</strong> gran<strong>des</strong><br />

entreprises ou dans les processus macrosociaux de répartition de la main d’œuvre depuis<br />

l’après-guerre connaît aujourd’hui un net déclin, dans un contexte d’accroissement du<br />

chômage et de transformation du contenu <strong>des</strong> emplois, qui mettent de moins en moins en jeu<br />

<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychophysiologiques et de plus en plus <strong>des</strong> compétences personnelles,<br />

relationnelles etc. C’est toutefois sous une forme renouvelée que la psychologie semble avoir<br />

aujourd’hui investi tout à la fois le discours sur le travail et les pratiques du marché du travail<br />

et d’une certaine manière il semble que sa domination n’ait jamais été aussi forte. Le<br />

questionnaire fait bien apparaître cette dimension puisque, bien qu’elles ne se désignent que<br />

rarement comme psychologues, les personnes interrogées disent dans leur grande majorité<br />

avoir recours à <strong>des</strong> techniques psychologiques dans le cadre de leur travail. On relève<br />

également une pénétration sans précédent du discours psychologique dans le monde <strong>des</strong><br />

professionnels de l’orientation – y compris les non-psychologues – , donnant lieu à une<br />

abondante littérature spécialisée, sous l’emprise presque exclusive de la psychologie 127 . L’une<br />

<strong>des</strong> différences importantes avec la psychotechnique est que les nouveaux terrains conquis par<br />

la psychologie du travail sortent du domaine de l’entreprise ou de l’école et viennent de plus<br />

en plus se loger dans un « entre-deux » : formation professionnelle, bilan de compétence,<br />

pério<strong>des</strong> de chômage etc., bref dans toutes ces phases de « transition professionnelle » au<br />

cours <strong>des</strong>quelles l’individu cherche à produire une réflexivité sur son rapport au travail.<br />

Cette montée de la prise en charge psychologique <strong>des</strong> individus dans leur rapport au<br />

travail soulève un certain nombre de questions, que nous abordons dans le chapitre suivant.<br />

Du point de vue social tout d’abord, quel est le sens de cette inflation psychologique dans le<br />

champ du travail ? Dans quelle mesure peut-on dire qu’il instaure un nouveau mode de<br />

régulation <strong>des</strong> conduites individuelles dans ce domaine et qu’il tend à brouiller les frontières<br />

du normal et du pathologique, à la faveur de la montée du chômage ? Du point de vue de la<br />

professionnalité <strong>des</strong> psychologues ensuite : comment peuvent-ils prétendre mener un travail<br />

« psychologique » ou parfois « thérapeutique » avec les qu’ils rencontrent, qui connaissent<br />

<strong>des</strong> difficultés dans leur rapport au travail ? Ce problème se pose avec une acuité toute<br />

particulière dans les activités d’évaluation <strong>des</strong> personnes (recrutement, bilan de compétence,<br />

évaluation pour une entrée en formation professionnelle) où le psychologue entend se mettre à<br />

127 Il suffit de relever l’importance <strong>des</strong> articles émanant de psychologues dans <strong>des</strong> revues représentatives de ce<br />

champ comme Education Permanente, Actualité de la formation permanente ou l’Orientation scolaire et<br />

professionnelle.<br />

441


la fois au service de la personne qui le « consulte » (qualifiée tantôt de « consultant », tantôt<br />

de « demandeur ») et du prescripteur (entreprise, organisme de formation, pouvoirs<br />

publics…). Cette situation de "double contrainte" le différencie clairement de la cure<br />

analytique ou du modèle de la psychologie clinique, où le psychologue est sans ambiguïté au<br />

service de son patient et de lui seul. Quels problèmes déontologiques cette configuration<br />

particulière de l’activité <strong>des</strong> psychologues du travail soulève-t-elle ? Comment se<br />

construisent-ils une professionnalité dans ce contexte, au confluent <strong>des</strong> injonctions<br />

organisationnelles et de leur affiliation professionnelle ?<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

442


CHAPITRE VI<br />

PSYCHOLOGIE ET REGULATIONS DU MARCHE DU TRAVAIL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

443


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« Lorsque les options économiques, sociales et<br />

politiques, se trouvent hors <strong>des</strong> prises du sujet, le<br />

psychologique se trouve doté d’une réalité, sinon autonome,<br />

du moins autonomisée. Nous avons maintenant affaire à une<br />

subjectivité d’autant plus “libre” qu’elle ne gère plus que<br />

<strong>des</strong> enjeux dérisoires »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Robert Castel, La gestion <strong>des</strong> risques : de l’anti-psychiatrie à<br />

l’après psychanalyse, 1981, p. 191<br />

Le déclin de la psychotechnique et du regard positiviste porté sur le travail par cette<br />

science s’est accompagné d’une montée en puissance d’un discours psychothérapeutique sur<br />

le travail. Le "sujet" de la psychotechnique était un travailleur dénué de subjectivité et<br />

d’affects, une simple "machine à produire", support d’aptitu<strong>des</strong> indifférenciées. Ce déni de la<br />

subjectivité était précisément ce qui permettait une gestion centralisée <strong>des</strong> flux de main<br />

d’œuvre par les pouvoirs publics, via la planification et la mise en équivalence de tous les<br />

individus sous le langage unifié <strong>des</strong> "aptitu<strong>des</strong>". Comme on l’a vu (chapitre IV), ce discours a<br />

évolué à partir <strong>des</strong> années 1960 avec l’introduction en France de la psychologie de groupe et<br />

<strong>des</strong> différentes formes de thérapies d’entreprise <strong>des</strong>tinées aux cadres (Training group,<br />

psychologie humaniste, courant <strong>des</strong> relations humaines…), mais aussi en raison d’une<br />

évolution interne de la psychologie universitaire qui a progressivement consacré l’hégémonie<br />

de la clinique sur les autres branches de la discipline. Tout en restant ancrées dans le monde<br />

de l’entreprise, ces techniques sociales ont investi à partir <strong>des</strong> années 1980 les politiques de<br />

gestion du chômage, et offert aux chômeurs <strong>des</strong> services de soutien psychologique ou de<br />

"redynamisation" visant à accroître leur employabilité et leur faire acquérir <strong>des</strong><br />

comportements plus conformes aux réalités du monde du travail et aux deman<strong>des</strong> <strong>des</strong><br />

employeurs. Ce nouveau discours psychologique sur le travail s’est imposé avec une force<br />

toute particulière dans un contexte de montée du chômage et de multiplication <strong>des</strong> situations<br />

intermédiaires de quasi-emploi (formes atypiques d’emploi : emplois aidés, CDD, intérim…)<br />

445


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

ou de transitions professionnelles (formations professionnelles, pério<strong>des</strong> de bilan…). Ces<br />

évolutions ont entraîné une crise <strong>des</strong> catégories instituées qui avaient jusqu’alors permis de<br />

penser les relations entre emploi et non-emploi, entre assurance (chômage) et assistance<br />

(handicap). Ces catégories devenues plus floues ont ouvert un espace de transformation <strong>des</strong><br />

pratiques <strong>des</strong> psychologues dans le champ du travail.<br />

L’usage de nouvelles techniques issues de la psychanalyse et de la psychologie<br />

rogérienne tendent à redéfinir les frontières de l’objectivité et de la subjectivité, du normal et<br />

du pathologique et leur application au domaine du travail vient interroger en profondeur les<br />

catégories à partir <strong>des</strong>quelles a été pensé le lien salarial depuis plus d’un siècle (Castel, 1995).<br />

Alors que la psychotechnique opérait une séparation nette entre aptes et inaptes, entre<br />

normalité et pathologie, la psychologie du travail actuelle postule l’existence d’un continuum<br />

allant <strong>des</strong> "comportements adaptés" aux "comportements inadaptés", l’individu étant vu<br />

comme l’objet d’un travail thérapeutique potentiellement inépuisable. Normalité et<br />

pathologie se contaminent dès lors mutuellement, comme on le voit dans le cas chômeurs de<br />

longue durée qui sont traités tantôt comme <strong>des</strong> sujets de droit, définis par leur rapport à<br />

l’univers salarial, tantôt comme <strong>des</strong> objets de soins thérapeutiques ou psychologiques, dont le<br />

potentiel d’employabilité doit être amélioré. Des évolutions semblables (et symétriques)<br />

voient le jour en entreprise avec l’introduction de la logique compétence ou de pratiques<br />

comme le « coaching » 1 , qui font de l’individu une source de développement inépuisable,<br />

susceptible d’améliorer son potentiel relationnel et de « gagner en autonomie », pour se<br />

libérer <strong>des</strong> attaches qui le relient à l’entreprise et transporter avec lui ses compétences tout au<br />

long de son parcours. Dans les deux cas, c’est bien d’un "travail sur soi" qu’il s’agit et d’un<br />

déplacement d’un problème social (le chômage dans le premier cas, la qualification dans le<br />

second) vers une régulation plus individualisée <strong>des</strong> conduites sur le marché du travail.<br />

Cette transposition <strong>des</strong> catégories psychologiques et thérapeutiques dans le champ du<br />

travail suscite un certain nombre d’interrogations que nous abordons dans ce chapitre. Nous<br />

nous interrogeons en premier lieu sur le sens de cette pénétration croissante du discours<br />

psychothérapeutique et sur les déplacements qu’il opère dans l’appréhension du lien salarial<br />

(section A). Nous nous appuyons pour cela sur <strong>des</strong> entretiens menés auprès de psychologues<br />

du travail exerçant dans différentes structures (associations d’insertion, formation<br />

professionnelle, recrutement en entreprise ou en cabinet de conseil, gestion de carrières…) et<br />

sur ce qu’ils disent de leurs pratiques professionnelles. Sans prétendre passer en revue<br />

1 Le coaching est défini par la Société Française de Coaching comme « l’accompagnement d’une personne à<br />

446


l’ensemble <strong>des</strong> techniques sociales mobilisées par ces personnes, nous tenterons de montrer<br />

en quoi les outils qu’ils utilisent ont en commun promouvoir un nouveau mode de régulation<br />

<strong>des</strong> conduites sur le marché du travail 2 . Dans un second temps (section B), nous nous<br />

interrogeons sur la situation de "double contrainte" qui caractérise la position <strong>des</strong><br />

professionnels de l’orientation aujourd’hui, à la fois au service du "patient" et du prescripteur,<br />

et la manière dont ils gèrent cette délicate position.<br />

A. VERS DE NOUVELLES REGULATIONS DES CONDUITES SUR LE MARCHE DU<br />

TRAVAIL<br />

1. La psychologie : un miroir <strong>des</strong> évolutions de la société salariale<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les transformations de la psychologie du travail au cours du XX e siècle <strong>des</strong>sinent en<br />

creux différentes constructions politiques et juridiques de la figure du travailleur. Les<br />

évolutions actuelles vont dans le sens d’une traduction croissante <strong>des</strong> conflits et<br />

dysfonctionnements sociaux dans un langage psychologique, à travers notamment l’injonction<br />

à l’"autonomie" et à la "responsabilisation" <strong>des</strong> travailleurs. Alors que la diffusion du discours<br />

psychologique est perçue par les psychologues comme un indice de l’approfondissement <strong>des</strong><br />

valeurs démocratiques 3 , il nous apparaît au contraire comme un puissant instrument de<br />

traduction <strong>des</strong> rapports sociaux en problèmes individuels et participe par conséquent d’une<br />

reconfiguration idéologique de la question du chômage.<br />

a) Le social et l’économique<br />

En suivant l’analyse de sociologues critiques comme Robert Castel (1995) ou<br />

Jacques Donzelot (1984), on peut dire que la société salariale s’est construite depuis la fin du<br />

XIX e siècle autour d’une dichotomie entre le "social" et l’"économique" et que c’est<br />

précisément ce partage qui a permis pendant <strong>des</strong> décennies de préserver la subjectivité et la<br />

partir de ses besoins professionnels pour le développement de son potentiel et de ses savoir-faire ».<br />

2 Il ne s’agit pas pour nous de dresser un panorama <strong>des</strong> techniques psychologiques ou thérapeutiques mobilisées<br />

par ces professionnels de l’orientation, ce qui serait un exercice difficile compte tenu de la diversité de ces outils<br />

et de leur rythme rapide de renouvellement. Une excellente synthèse de ces différents courants est présentée dans<br />

HUTEAU et GUICHARD (2001). Nous nous efforçons simplement de dégager quelques uns <strong>des</strong> principes<br />

structurant les représentations de ces personnes dans leur activité d’orientation.<br />

3 Voir ainsi ce Manifeste pour une politique de la psychologie du Syndicat National <strong>des</strong> Psychologues, diffusé en<br />

1982 : « Le droit d’être reconnu comme un être psychologique, c’est le droit d’être écouté, entendu, aidé quand<br />

le besoin s’en fait sentir, que ce soit pour mieux vivre dans son travail, dans ses loisirs, dans sa famille, dans sa<br />

vie personnelle ou que ce soit pour surmonter <strong>des</strong> difficultés passagères ou permanentes, relationnelles ou<br />

intimes. C’est aussi l’égalité dans l’accès auprès de professionnels de la psychologie, compétents, responsables<br />

et indépendants dans leur pratique. C’est enfin le droit à <strong>des</strong> conditions de vie qui ne menacent ni l’intégrité<br />

447


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

sphère privée du travailleur dans l’acte productif. Jacques Donzelot (1980, p. 298) remarque<br />

ainsi qu’au début du XX e siècle, deux discours se partagent la question du travail : l’un<br />

juridique, l’autre médico-psychologique. Ces deux discours « instituent le partage entre<br />

l’ouvrier, sujet de droits, et le travail, objet d’une science dont l’ouvrier n’est qu’un facteur »,<br />

ils « vont organiser le partage de la production en deux entités relativement distinctes, le<br />

social et l’économique. Le social est du côté de l’attribution du droit, de la résistance à la<br />

logique productive. Il développe le statut du travailleur contre le contrat qui l’asservit au<br />

rendement, la solidarité <strong>des</strong> employés contre le profit de l’employeur, la satisfaction par le<br />

salaire et le loisir contre la frustration par le travail. L’économique est du côté de la<br />

distribution <strong>des</strong> forces, en fonction du rendement, de la rationalisation <strong>des</strong> tâches en fonction<br />

du profit, de l’intensification du travail en fonction de l’accroissement de la production ».<br />

L’analyse de Donzelot situe clairement le projet de la psychotechnique du côté de<br />

l’économique : il s’agit d’améliorer la distribution <strong>des</strong> forces productives, en sélectionnant les<br />

individus les plus aptes et en les orientant sur le marché du travail selon leurs aptitu<strong>des</strong><br />

psychophysiologiques 4 . Le travailleur pouvait devenir, comme tout autre facteur de<br />

production, l’objet d’une connaissance scientifique positive. Du coup, cette discipline se<br />

construit nécessairement contre le social et contre le projet de la sociologie qui se situe plutôt<br />

du côté du politique, <strong>des</strong> liens de solidarité et d’interdépendance, faisant du travailleur non<br />

seulement un producteur mais aussi un citoyen. Alors que le travail moderne tend à dissoudre<br />

le lien social et les solidarités de métier au profit d’une logique exclusivement productive qui<br />

déqualifie le travailleur, l’émergence du social le requalifie dans le même temps, en le dotant<br />

de droits sociaux et politiques.<br />

On a là deux figures parallèles du progrès qui courent au long du XX e siècle : d’un<br />

côté un progrès dans la rationalisation et la production qui permet une affectation <strong>des</strong> forces<br />

sociales toujours plus efficace, de l’autre un progrès social qui se manifeste par la conquête de<br />

droits, de liens de solidarité et principes d’assurances qui garantissent au travailleur <strong>des</strong><br />

protections et un statut (Castel, 1995), à la fois dans en dehors du monde du travail.<br />

physique ni l’intégrité psychique, et au contexte économico-social nécessaire à l’épanouissement de chacun ».<br />

4 Bien que chez Toulouse, Piéron ou Lahy la psychotechnique prenne un visage humaniste, elle ne se place pas<br />

moins du côté de l’"économique" au sens où l’entend ici Donzelot. En affectant les plus aptes aux meilleures<br />

positions et en récupérant les inaptes, on permet un meilleur fonctionnement de la société et on évite ainsi la<br />

gâchis d’énergies auquel conduit le taylorisme. Finalement, les psychophysiologistes reprochent à Taylor de<br />

n’avoir pas poussé assez loin la logique de rationalisation en négligeant le fonctionnement interne de la machine<br />

humaine.<br />

448


) Deux figures du travail : de la peine au plaisir<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

C’est au prisme de cette construction politique que les évolutions de la psychologie<br />

du travail prennent tout leur sens. Le partage entre l’économique et le social soutenait une<br />

conception dévalorisée de l’économique et du monde productif. Le travail était vu comme le<br />

lieu de la peine, du devoir et de l’aliénation individuelle. Celui aussi où la rationalisation<br />

pouvait être poussée à son terme. Le social, à l’opposé était celui du loisir et de la<br />

réhabilitation du travailleur par la conquête de droits sociaux. Une sorte de dialectique s’était<br />

ainsi instaurée entre ces deux domaines de la société salariale, comme si les avancées d’un<br />

côté ne pouvaient être conquises qu’au détriment de l’autre. Cette séparation entre<br />

l’"économique", lieu de l’aliénation et le "social", lieu du loisir, se manifeste également dans<br />

la division du travail qui se met en place au sein de la sociologie française de l’après guerre<br />

entre sociologues du travail (Friedmann, Naville, Touraine, Reynaud…) et sociologues <strong>des</strong><br />

loisirs et de la consommation (Dumazedier, Chombart de Lauwe, Baudrillard) 5 . De façon<br />

significative, sur les vingt-cinq chapitres du Traité de sociologie du travail, seuls deux traitent<br />

du hors-travail (Dumazedier, 1962 ; Chombart de Lauwe, 1962). Certains, comme Friedmann,<br />

se sont essayés à franchir cette frontière, mais le loisir était alors vu comme une « réparation »<br />

visant à compenser les effets néfastes de rapports de production essentiellement aliénants<br />

(Vatin, 2004), ce qui souligne bien qu’il n’y a pas chez lui de réconciliation possible entre<br />

l’économique et le social. La jonction entre les deux domaines ne se fera véritablement qu’à<br />

partir <strong>des</strong> années 1960, par le biais de la sociologie de la jeunesse ouvrière (de Maupeou,<br />

1968 ; Haicault et al., 1968) puis ultérieurement de la sociologie <strong>des</strong> rapports sociaux de sexe<br />

et du chômage (Haicault, 1984 ; Schnapper, 1981) qui introduiront <strong>des</strong> ponts entre une<br />

sociologie du travail taditionnellement centrée sur le travailleur masculin de la grande<br />

industrie et une sociologie <strong>des</strong> loisirs et de la culture ouverte sur d’autres groupes sociaux.<br />

Cette dichotomie suscita de multiples tentatives de réconciliation entre l’économique<br />

et le social au cours du XX e siècle, qui prirent une forme particulièrement accusée dans l’entre<br />

deux guerres. La première réside dans les efforts de réhabilitation du corporatisme,<br />

susceptible de faire converger les intérêts économiques égoïstes et un certain épanouissement<br />

au travail. La divorce entre l’économique et le social trouve alors sa résolution dans la<br />

communauté de travail, à la fois lieu de production de richesses et espace de sociabilité. La<br />

5 Certains, comme Friedmann, se sont essayés à franchir cette frontière, mais le loisir était alors vu comme une<br />

réparation visant à compenser les effets néfastes de rapports de production essentiellement aliénants. Cela<br />

souligne bien qu’il n’y a pas chez lui de réconciliation possible entre l’économique et le social. Sur ce point, voir<br />

VATIN, 2004.<br />

449


pensée de Hyacinthe Dubreuil (1883-1971) 6 est particulièrement représentative de ce courant,<br />

telle qu’elle s’exprime notamment dans son ouvrage La République industrielle (1924).<br />

L’ambition de Dubreuil est d’organiser <strong>des</strong> sortes de coopératives ouvrières intégrées dans les<br />

entreprises (qu’il appelle <strong>des</strong> "équipes autonomes") qui vendraient aux patrons le produit<br />

collectif de leur travail. En procédant de la sorte on responsabilise les ouvriers, on leur<br />

restitue leur sens de leur travail et on accroît la production :<br />

« Personne ne devra plus nous surveiller, ni contrôler notre temps et nous devrons<br />

être laissés libres d’organiser notre production entre nous à notre convenance,<br />

comme de nous répartir librement la somme que nous avons gagnée ensemble.<br />

Moyennant quoi, nous nous engageons à vous fournir une production irréprochable<br />

et abondante » (Dubreuil, 1924)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La réconciliation entre l’économique et le social prend une forme sensiblement<br />

différente de celle qu’elle a connue en France aux Etats-Unis, avec la naissance de la<br />

psychologie sociale industrielle et du courant <strong>des</strong> "relations humaines", qui fait de l’entreprise<br />

le lieu de satisfaction <strong>des</strong> instincts et <strong>des</strong> besoins sociaux du travailleur, au-delà de ses<br />

appétences économiques ou de ses revendications salariales. Le danger auquel répond la<br />

psychologie sociale industrielle n’est pas ici l’exploitation du travailleur par les puissances<br />

capitalistes ou les conflits engendrés par la « question sociale » mais plutôt la mise en péril<br />

<strong>des</strong> valeurs démocratiques de la société américaine par le comportement de firmes<br />

monopolistiques devenues incontrôlables, allant à l’encontre <strong>des</strong> valeurs démocratiques et<br />

libérales promues par la société américaine. Face à cette menace, le courant <strong>des</strong> « relations<br />

humaines » initié par Mayo montre que l’entreprise n’est pas un simple agencement de<br />

machines tournées vers la production, mais aussi un espace de liens interpersonnels, de<br />

communications, d’échanges sociaux semblable en cela à la société politique démocratique.<br />

La programme de la psychologie prend dans ce cadre un nouveau visage : il s’agit de<br />

créer de la solidarité humaine pour retisser le lien perdu entre l’économique et le social. Il faut<br />

faire de l’organisation un lieu propice à la satisfaction <strong>des</strong> besoins psychosociaux <strong>des</strong><br />

travailleurs, se mettre à leur écoute, les respecter, savoir les motiver par <strong>des</strong> techniques de<br />

commandement non-directives etc. L’objectif est ambigu puisqu’il s’agit tout à la fois de<br />

satisfaire un besoins universel de reconnaissance et d’épanouissement, mais aussi, par ce<br />

6 Autodidacte, Dubreuil débuta sa carrière comme ouvrier mécanicien puis accéda à <strong>des</strong> responsabilités<br />

syndicales à la CGT au début <strong>des</strong> années 1920. Sa pensée s’organise tout d’abord autour de l’idée d’une alliance<br />

entre logique de production et communauté de travail dans le cadre d’un taylorisme rénové qui n’est pas sans<br />

annoncer les formules de démocratie industrielle <strong>des</strong> années 1970 (voir notamment son ouvrage ouvertement<br />

pro-taylorien Standards, 1929). Sa déception face aux politiques menées en France pour remédier à la crise <strong>des</strong><br />

années 1930 le pousse ensuite vers le corporatisme de Vichy. Il plaidera même en faveur d’une renaissance <strong>des</strong><br />

corporations sur le modèle médiéval dans son ouvrage La chevalerie du travail (1941). Sur l’itinéraire<br />

450


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

biais, d’accroître la production. Les intérêts <strong>des</strong> travailleurs et du patronat sont supposés se<br />

rejoindre dans une spirale vertueuse de productivité.<br />

Dans ces deux conceptions toutefois, le travail reste encore principalement une<br />

source d’aliénation. Le corporatisme d’un côté, le courant <strong>des</strong> relations humaines de l’autre<br />

cherchent, selon <strong>des</strong> formules différentes, à conjurer le malheur qui pèse sur le travail. Ceci<br />

est tout particulièrement vrai de l’approche <strong>des</strong> relations humaines, qui voit dans le travailleur<br />

une matière flexible, objet plus ou moins conscient <strong>des</strong> manipulations <strong>des</strong> directions<br />

d’entreprise. La psychologie sociale industrielle ne peut dès lors que se limiter à<br />

"surimprimer" sur <strong>des</strong> rapports de production essentiellement aliénants <strong>des</strong> relations sociales<br />

artificiellement recréées. C’est tout au moins de cette manière qu’elle a été reçue en France et<br />

plus généralement en Europe dans l’immédiat après-guerre : comme un "sparadrap" qui ne<br />

parviendrait pas à panser les plaies bien plus profon<strong>des</strong> du capitalisme et <strong>des</strong> formes<br />

d’aliénation qu’il produit.<br />

Cette vision pessimiste du travail se trouve radicalement transformée à partir <strong>des</strong><br />

années 1970, à travers la mise en place d’expériences d’enrichissement du travail, d’abord<br />

dans les pays d’Europe du Nord (Norvège et Suède principalement), puis une décennie plus<br />

tard aux Etats-Unis sous le nom de « Quality of working life » 7 . Le discours qui se développe<br />

à partir de cette période relève le travail de son indignité : il devient la source d’un<br />

accomplissement, d’une réalisation de soi, d’un épanouissement personnel, à travers la<br />

participation et une implication plus grande dans l’entreprise. On passe d’une conception du<br />

travail entaché de "douleur" à celle du travail comme œuvre, source de réalisation de soi<br />

(Arendt, 1961). Ces nouvelles théories, issues notamment <strong>des</strong> travaux du Tavistock Institute,<br />

développent une critique de la psychologie sociale industrielle qui, en attachant trop<br />

d’importance aux facteurs d’"ambiance" du travail, n’est pas parvenue à transformer<br />

radicalement l’expérience négative <strong>des</strong> travailleurs. La solution consiste alors pour eux à<br />

changer le système socio-technique lui-même en accordant plus de responsabilité aux<br />

travailleurs (développement d’équipes semi-autonomes par exemple, à l’image du modèle<br />

prôné par Dubreuil). Ces évolutions préfigurent à bien <strong>des</strong> égards l’actuel discours sur les<br />

"compétences", supposées elles aussi permettre aux travailleurs d’investir leur travail d’un<br />

sens subjectif, dont la logique de « qualification » les avait jusqu’alors privés, les<br />

intellectuel et politique de Dubreuil, voir LE VAN-LEMESLE (2004).<br />

7 Expression plus ou moins équivalente à l’expression française d’"amélioration <strong>des</strong> conditions de travail", mais<br />

qui a été traduite sous le nom de « qualité de vie de travail » ou de « qualité de vie au travail » (voir par exemple<br />

Céreq, 1981).<br />

451


transformant en denrées parfaitement substituables définies par <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> standardisées.<br />

De passif, le travailleur devient actif : il construit sa propre trajectoire, <strong>des</strong>sine les contours de<br />

son poste de travail : en un mot, il devient autonome 8 .<br />

c) La levée <strong>des</strong> tabous : la loi sur la formation professionnelle (1971) et<br />

sur le bilan de compétences (1991)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Deux lois marqueront plus particulièrement le passage en France d’une conception<br />

du travail comme malédiction à celle du travail comme "œuvre" et source d’accomplissement<br />

personnel : il s’agit de la loi de 1971 sur la formation professionnelle et de celle de 1991 sur<br />

le bilan de compétences. Ces deux lois lèvent tour à tour le tabou qui avait jusqu’alors<br />

consisté à séparer nettement l’économique du social, en faisant du travail un espace<br />

d’épanouissement personnel et non plus une épreuve douloureuse. La question n’est dès lors<br />

plus de disposer <strong>des</strong> droits, <strong>des</strong> qualifications ou d’un ensemble d’attributs objectivables<br />

nécessaires à l’occupation d’un emploi, mais de manifester un certain nombre de dispositions<br />

éthiques, personnelles, psychologiques, favorisant l’épanouissement au travail (ou le retour<br />

vers celui-ci lorsqu’on en est privé).<br />

La thématique de "l’éducation permanente", qui se développe au début <strong>des</strong> années<br />

1970 est symptomatique de ces évolutions. La loi de 1971 sur la formation professionnelle,<br />

qui oblige les entreprises à financer la formation continue de leurs salariés, affiche au départ<br />

deux ambitions : elle doit premièrement « permettre l’adaptation <strong>des</strong> travailleurs au<br />

changement <strong>des</strong> techniques et <strong>des</strong> conditions de travail », et deuxièmement « favoriser leur<br />

promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture ». On voit immédiatement<br />

que ces deux objectifs sont censés s’épauler mutuellement dans une cercle vertueux : les<br />

désirs profonds <strong>des</strong> travailleurs en termes de promotion, de reconnaissance sociale,<br />

d’accomplissement de soi dans le travail s’accordent naturellement avec les besoins qu’ont les<br />

entreprises d’une main d’œuvre qualifiée et au fait <strong>des</strong> évolutions technologiques. Le discours<br />

du "changement" est le principal point d’articulation entre ces deux objectifs : changement de<br />

soi dans l’épreuve du travail, censée révéler les potentialités de chacun, changement de<br />

l’entreprise qui doit se positionner sur <strong>des</strong> marchés toujours plus concurrentiels et faire preuve<br />

de souplesse et d’adaptation. Le point de vue <strong>des</strong> sociologues eux-mêmes sur le travail se<br />

transforme à partir de la fin <strong>des</strong> années 1970 : l’entreprise devient un support identitaire dans<br />

les travaux de Sainsaulieu (1977), alors que ceux de Dubar (1991, 1992) insistent sur le rôle<br />

8 Sur les conséquences de cette évolution sur la sociologie du travail en France, voir PARADEISE (2003).<br />

452


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

joué par la formation continue dans la construction de l’identité « pour soi » et dans les<br />

transactions biographiques individuelles.<br />

La loi de 1991 sur le bilan de compétences prolonge cette vision idyllique de la<br />

réalisation de soi dans le travail. Elle porte les mêmes ambiguïtés que la loi de 1971, le bilan<br />

étant perçu à la fois comme une opportunité pour les individus, dont elle permet d’améliorer<br />

l’employabilité en explorant la teneur réelle <strong>des</strong> compétences acquises au cours de leur<br />

carrière, et comme une chance pour les entreprises qui disposent ainsi d’un vivier de salariés<br />

plus performants et mieux préparés aux mutations technologiques de demain. On peut ainsi<br />

lire, dans les propositions de Médef inspirées de la même logique que « l’introduction de la<br />

démarche compétences dans la gestion <strong>des</strong> ressources humaines va créer un nouveau champ<br />

du dialogue social constructif au double bénéfice de l’entreprise qui pourra ainsi améliorer sa<br />

compétitivité et celle du salarié qui développera ainsi son employabilité et aura les moyens<br />

d’une meilleure évolution professionnelle » 9 . Le texte de la loi sur le bilan de compétences<br />

souligne tout particulièrement le travail introspectif qui est à la source de tout bilan de<br />

compétences : celui-ci a pour but de « permettre aux travailleurs d’analyser leurs compétences<br />

professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitu<strong>des</strong> et leurs motivations afin de définir<br />

un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation » 10 . On note dans le texte <strong>des</strong><br />

glissements permanents entre la sphère du psychisme individuel et celle <strong>des</strong> caractéristiques<br />

objectivables sur le marché du travail, comme on le voit dans l’emploi conjoint <strong>des</strong> termes de<br />

compétences professionnelles et personnelles ou de ceux d’aptitu<strong>des</strong> (objectivables) et de<br />

motivations, aux contours nettement plus flous. Dans un texte ultérieur à celui de la loi sur le<br />

bilan (1993), la Délégation à la Formation Professionnelle met encore plus clairement l’accent<br />

sur les capacités d’initiative et d’autonomie que doit manifester la personne qui sollicite un<br />

bilan :<br />

« le bilan de compétences doit permettre à un salarié de passer en revue ses activités<br />

professionnelles dans le but : de faire le point sur ses expériences personnelles et<br />

professionnelles ; de repérer et évaluer ses acquis liés au travail, à la formation, à la<br />

vie sociale (…) ; de gérer au mieux ses ressources personnelles ; d’organiser ses<br />

priorités professionnelles ; de mieux utiliser ses atouts dans <strong>des</strong> négociations<br />

d’emploi ou dans <strong>des</strong> choix de carrière ».<br />

"Faire le point", "Gérer au mieux ses ressources", savoir s’"organiser" et "négocier" :<br />

autant de termes qui soulignent que chaque salarié doit se transformer en un petit entrepreneur<br />

de lui-même, cherchant à investir son travail d’un sens subjectif, toujours en quête de<br />

9 Médef, Journées de Deauville, 1998, cité par REYNAUD (2001)<br />

10 Loi n°91-1405 du 31 décembre 1991 relative au bilan de compétences.<br />

453


esponsabilités nouvelles et d’une plus grande autonomie dans son travail 11 .<br />

L’accomplissement dans le travail et l’accomplissement dans la vie privée vont également de<br />

pair : point de salut en dehors de l’introspection salutaire que permet le bilan. Miller et Rose<br />

(1995, p. 455) notent une évolution en tout point similaire dans le discours qui se diffuse aux<br />

Etats-Unis au cours <strong>des</strong> années 1980 :<br />

« Le "soi-entrepreneur" (enterprising self) est devenu une nouvelle identité pour les<br />

travailleurs, une identité qui brouille, ou même élimine, la distinction entre le<br />

travailleur et le manager. (…) Alors que tout était fait, dans les programmes<br />

politiques de cette période, pour réduire l’intervention publique dans tous les<br />

domaines, les notions d’entreprise et de "soi-entrepreneur" ne se sont pas traduits par<br />

une abolition de l’intervention experte dans le domaine du travail, mais ont au<br />

contraire donné naissance à de nouvelles stratégies visant à promouvoir un meilleur<br />

gouvernement <strong>des</strong> lieux de travail. Les individus devaient être gouvernés comme<br />

s’ils cherchaient tous à conduire leurs vies comme une sorte d’entreprise du soi,<br />

[enterprize of the self] s’efforçant d’améliorer la "qualité de vie" pour eux-mêmes et<br />

leurs familles, à travers les choix qu’ils faisaient sur le marché de la vie »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le passage de la figure du salarié au "soi-entrepreneur" suppose une mobilité accrue<br />

du travailleur et la remise en cause permanente <strong>des</strong> certitu<strong>des</strong> et cristallisations statutaires<br />

issues du monde salarial, censées freiner la capacité d’initiative et de développement<br />

personnel du salarié. On peut ainsi lire dans la presse managériale que le bilan de compétence<br />

est une occasion inédite de « donner un second souffle à sa vie professionnelle » et de<br />

« recharger ses batteries pour envisager l’avenir » 12 . La période de chômage est parfois même<br />

présentée comme une occasion inespérée de faire le bilan <strong>des</strong> compétences accumulées au<br />

cours de sa carrière, afin de mieux "rebondir". Comme le remarque le sociologue Serge<br />

Ebersold (2004), commentant l’idéologie sous-jacente aux revues spécialisées dans l’aide à la<br />

recherche d’emploi : « les stages peuvent faire du licenciement un événement <strong>des</strong> plus<br />

profitables. Ils forcent à se prendre en main, à chercher à se réaliser et à progresser sur le plan<br />

personnel comme sur le plan individuel, et peuvent constituer de ce fait une salutaire ». La<br />

réussite d’un bilan suppose avant tout une implication personnelle forte du salarié et une<br />

remise en cause permanente de son identité, à l’image du travail psychothérapeutique qui<br />

arrache aussi l’individu à ses routines et aux formes de stabilisation psychiques mises en place<br />

au fil du temps, pour envisager sa vie sous un nouveau jour (voir encadré 1 : « Réussir son<br />

bilan de compétences »).<br />

Encadré 1 – « Réussir son bilan de compétences » d’après le site internet « Génération<br />

formation »<br />

11 Voir sur ce point LICHTENBERGER et PARADEISE (2001) et MENGER (2004)<br />

12 Site internet "Génération formation" : www.generation-formation.fr<br />

454


Trois points pour une démarche efficace :<br />

- L’implication. Dans un bilan, il vous incombe de dresser l’inventaire de vos compétences et<br />

d’élaborer votre projet, et non votre consultant ! « Je suis là pour guider la personne, pas pour<br />

décider à sa place ! Au final, c’est elle qui pèse le pour et le contre pour choisir sa direction<br />

professionnelle », met en garde Isabelle Bouy, conseillère en bilan de compétences au BIOP de la<br />

chambre de commerce et d’industrie de Paris. Pas question d’être passif, au risque de voir la<br />

démarche échouer.<br />

- La remise en cause. Le bilan de compétences représente un travail important sur soi-même. « La<br />

démarche est parfois déstabilisante, admet Brigitte Carnelle. Lorsque l’on met à plat son parcours,<br />

il est fréquent de se sentir perdu et de ne plus savoir dans quelle direction aller. Or, c’est souvent<br />

une période féconde d’où émergent les projets. » Accepter de se remettre en question se révèle<br />

indispensable pour optimiser un bilan.<br />

- La confiance. Tous les centres de bilans de compétences s’appuient peu ou prou sur la même<br />

méthodologie. Ce qui fera clairement la différence, c’est la qualité de la relation et la confiance<br />

que vous nouerez avec votre consultant. « Pour qu’un bilan fonctionne, il faut accepter de livrer<br />

<strong>des</strong> informations sur son parcours mais aussi sur son mode de fonctionnement personnel », insiste<br />

Isabelle Bouy. Un conseil : voyez deux ou trois cabinets avant de fixer votre choix et vérifiez que<br />

le courant passe entre vous et le consultant. A savoir : le premier entretien est gratuit.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

d) Les psychologues face à la reconfiguration de la question du travail<br />

Cette reconfiguration de la question du travail constitue un terrain propice à<br />

l’intervention <strong>des</strong> psychologues. Les associations professionnelles estiment ainsi qu’environ<br />

huit mille psychologues travaillent dans le champ de l’orientation professionnelle et de<br />

l’insertion sur les quelque trente mille salariés que comprend ce secteur. Encore ce chiffre estil<br />

certainement sous-estimé pour différentes raisons 13 . D’une part, on compte dans ce secteur<br />

un nombre important de personnes ayant simplement obtenu un DEUG, une licence ou une<br />

maîtrise de psychologie et ne portant donc pas officiellement le titre de psychologue. D’autre<br />

part, les techniques psychologiques d’intervention et d’aide à l’orientation se diffusent de plus<br />

en plus auprès de professionnels de l’insertion ou <strong>des</strong> ressources humaines qui n’ont pas reçu<br />

une formation initiale de psychologue. Comme on l’a vu dans le chapitre V, les maisons<br />

d’édition de tests sont de plus en plus portées à vendre leurs tests à un public de nonpsychologues.<br />

Par ailleurs, de nombreuses formations ad-hoc spécialisées dans l’aide à la<br />

recherche d’emploi, le bilan ou le "conseil de carrière" (career counselling) se diffusent<br />

autour de personnalités plus ou moins charismatiques. Ces formations échappent pour la<br />

plupart aux canaux universitaires traditionnels et prennent la forme de sessions de formation<br />

organisées par <strong>des</strong> instituts privés, souvent liés à <strong>des</strong> instituts de psychothérapie, comme par<br />

13 Une interrogation de l’enquête génération 98 sur les répondants présentant dans leurs intitulés d’emploi les<br />

termes suivants : « bilan », « orientation », « emploi » et « insertion », particulièrement représentatifs du champ<br />

étudié, fait apparaître que 32% d’entre eux ont reçu une formation en psychologie, 18% en droit, 10% en gestion<br />

et 10% en AES. Parmi les diplômés de psychologie, 50% ont un niveau > à bac +5 ; 25% ont une maîtrise, 15%<br />

ont une licence et 10% un DEUG.<br />

455


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

exemple le PEI de Feuerstein 14 ou les métho<strong>des</strong> d’Analyse Transactionnelle (AT), qui ne sont<br />

pas enseignés à l’université. Enfin, le monde de la psychologie académique produit quantité<br />

d’outils et de modèles d’orientation assis sur les théories psychologiques, qui sont repris par<br />

les gran<strong>des</strong> organisations du service public de l’emploi (ANPE, APEC, Missions Locales,<br />

AFPA, CIO…). Ainsi une technique comme le « counselling d’emploi », inspirée de la<br />

psychologie rogérienne est enseignée et utilisée par les conseillers en emploi de l’ANPE et<br />

<strong>des</strong> missions locales. Cette technique, mise au point par deux psychologues canadiens à la fin<br />

<strong>des</strong> années 1980 (Lecomte et Tremblay, 1987) distingue trois étapes nécessaires à la bonne<br />

conduite de tout entretien de conseil en orientation : une étape d’identification du problème,<br />

une étape de clarification et une étape de définition d’objectifs. Le point crucial de cette<br />

théorie est de ne pas laisser le sujet démuni au terme de la rencontre et de lui proposer <strong>des</strong><br />

axes d’amélioration susceptibles d’être mis en œuvre rapidement. La méthode du conselling<br />

d’emploi a été reprise trait pour trait dans la loi sur le bilan de compétences (voir encadré 2 :<br />

« le déroulement d’un bilan de compétences »), ce qui montre bien la force et la<br />

performativité <strong>des</strong> schémas issus de la psychologie dans les mo<strong>des</strong> d’appréhension <strong>des</strong><br />

questions du travail.<br />

Encadré 2 – Le déroulement d’un bilan de compétences selon le Code du Travail (Art. R900-1)<br />

Un bilan de compétences au sens de l'article L. 900-2 doit comprendre, sous la conduite du prestataire, les<br />

trois phases suivantes :<br />

Une phase préliminaire qui a pour objet :<br />

a) de confirmer l'engagement du bénéficiaire dans sa démarche ;<br />

b) de définir et d'analyser la nature de ses besoins ;<br />

c) de l'informer <strong>des</strong> conditions de déroulement du bilan de compétences, ainsi que <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> et techniques<br />

mises en oeuvre.<br />

Une phase d'investigation permettant au bénéficiaire :<br />

a) d'analyser ses motivations et intérêts professionnels et personnels ;<br />

b) d'identifier ses compétences et aptitu<strong>des</strong> professionnelles et personnelles et, le cas échéant, d'évaluer ses<br />

connaissances générales ;<br />

c) de déterminer ses possibilités d'évolution professionnelle.<br />

Une phase de conclusions qui, par la voie d'entretiens personnalisés, permet au bénéficiaire :<br />

a) de prendre connaissance <strong>des</strong> résultats détaillés de la phase d'investigation ;<br />

b) de recenser les facteurs susceptibles de favoriser ou non la réalisation d'un projet professionnel et, le cas<br />

échéant, d'un projet de formation ;<br />

c) de prévoir les principales étapes de la mise en oeuvre de ce projet.<br />

14 Le PEI (Programme d’Enrichissement Instrumental) a été mis au point et diffusé par un psychologue israélien,<br />

Reuven Feuerstein, disciple de Piaget. Pour Feuerstein un individu peut développer son intelligence et ses<br />

capacités d’apprentissage tout au long de sa vie à condition qu’il bénéficie de l’intervention médiatrice d’autrui.<br />

Le psychologue doit donc jouer ce rôle de médiateur entre la personne et les connaissances qu’elle doit acquérir.<br />

Cet outil se compose de quatorze fiches que le psychologue doit faire décrire ou commenter par la personne en<br />

vue de développer sa curiosité et sa créativité.<br />

456


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Finalement, la genèse de la notion de compétence en France ou de celle de<br />

"professionalism" dans les pays anglo-saxons, dont la sphère d’application s’élargit à <strong>des</strong><br />

catégories toujours plus nombreuses de salariés (Evetts, 2003), apparaît comme le produit<br />

d’une alliance improbable entre trois catégories d’acteurs a priori éloignés les uns <strong>des</strong> autres :<br />

d’une part les franges les plus progressistes de la gauche humaniste, soucieuse de promouvoir<br />

l’épanouissement <strong>des</strong> salariés au travail (incarnée par Jacques Delors, promoteur de la loi de<br />

1971 ou par sa fille Martine Aubry, de celle de 1991) ; d’autre part, un patronat libéral,<br />

soucieux de responsabiliser et d’autonomiser les salariés afin de faire front aux revendications<br />

collectives émanant <strong>des</strong> syndicats ; enfin, le monde <strong>des</strong> sciences humaines, notamment les<br />

psychologues, qui cherchent à promouvoir le droit de chacun à être considéré comme un sujet<br />

libre et autonome, susceptible d’être éclairé dans ses choix par <strong>des</strong> psychologues tout à la fois<br />

gui<strong>des</strong>, conseillers et confidents.<br />

La psychotechnique, dans la forme qu’elle a prise en France au cours de l’entre deux<br />

guerres, pouvait apparaître elle aussi comme le produit d’une alliance entre la science, le<br />

patronat et les travailleurs. La science républicaine y voyait une source de progrès scientifique<br />

et social, le patronat un facteur de rationalisation du travail susceptible d’améliorer la<br />

productivité, et la gauche humaniste un moyen de préserver la santé <strong>des</strong> travailleurs et<br />

d’orienter chacun vers la position sociale que lui désignait ses "aptitu<strong>des</strong> naturelles". Il faut<br />

toutefois relever une différence notable entre la psychotechnique et la tournure prise par<br />

l’actuel discours sur les compétences. L’alliance science-travailleurs-patronat qui était au<br />

principe de la psychotechnique était guidée par le projet utopique d’une société idéale – la<br />

"biocratie" de Laugier ou Toulouse – où l’affectation <strong>des</strong> individus aux différentes positions<br />

sociales répondait à <strong>des</strong> critères rationnels et estimés socialement "justes". Elle répondait<br />

également à un souci démocratique d’égalité <strong>des</strong> chances par la détection <strong>des</strong> talents et<br />

aptitu<strong>des</strong> naturelles. Un tel projet était à bien <strong>des</strong> égards effrayant, dans la mesure où les<br />

orientations individuelles étaient totalement subordonnées à <strong>des</strong> impératifs de production<br />

fixés au niveau national à travers l’action de l’Etat planificateur, mais elle soulignait<br />

néanmoins le souci de penser le <strong>des</strong>tin individuel dans un cadre collectif. Ce n’est pas par la<br />

seule force de sa motivation ou de son projet que l’individu parvenait à concilier ses<br />

aspirations personnelles avec les impératifs de la collectivité, mais par la médiation <strong>des</strong><br />

institutions, au premier <strong>des</strong>quelles l’école, ou la formation professionnelle <strong>des</strong> adultes.<br />

Le discours actuel sur les compétences n’est sous-tendu par aucun projet politique<br />

clairement affiché et vise bien plutôt à introduire une métrique <strong>des</strong> compétences individuelles<br />

calquée sur le modèle économique du marché. L’alliance entre patronat, travailleurs et<br />

457


sciences humaines n’est cette fois au service d’aucun idéal social ou politique mais est avant<br />

tout au service de la construction d’une société entièrement centrée sur le sujet. La<br />

confrontation <strong>des</strong> aspirations individuelles et <strong>des</strong> besoins collectifs est elle-même rendue plus<br />

complexe par le brouillage progressif <strong>des</strong> repères collectifs que constituaient les diplômes et<br />

<strong>des</strong> grilles de classification négociées de façon paritaire. Comme le souligne bien Vincent<br />

Merle (1991), la détermination psychologique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> individuelles à l’AFPA ou dans<br />

l’Education nationale visait à orienter l’individu vers <strong>des</strong> filières prédéfinies, soutenues par un<br />

ensemble d’institutions et de règles. L’orientation actuelle est plus difficile à mettre en œuvre<br />

dès lors que ces itinéraires balisés se brouillent. Il n’y a alors plus de lieu de confrontation<br />

possible entre les aspirations individuelles <strong>des</strong> sujets et un cadre collectif. L’orientation ne<br />

peut dès lors plus agir que sur le sujet lui-même, son projet, sa motivation et ses compétences.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

2. Une psychologisation <strong>des</strong> rapports au travail : l’exemple du champ de<br />

l’insertion<br />

a) D’une régulation extérieure <strong>des</strong> conduites à l’autocontrôle<br />

Il nous importe plus particulièrement de voir en quoi les mutations qui viennent<br />

d’être évoquées modifient la posture et l’espace d’intervention du psychologue. Qu’il s’agisse<br />

de la psychotechnique classique ou de la psychosociologie, le psychologue se situait<br />

essentiellement du côté <strong>des</strong> rationalisateurs, <strong>des</strong> organisateurs : il s’inscrivait dans une<br />

conception dirigiste et planificatrice de l’organisation. La montée du discours sur les<br />

compétences le place davantage dans une logique d’accompagnement <strong>des</strong> personnes : le<br />

psychologue devient un catalyseur, un "révélateur" (au sens chimique), qui aide le sujet à<br />

mettre au jour ses potentialités cachées et à mieux en tirer parti. Comme l’explique la<br />

conseillère en bilan de compétence interrogée ci-<strong>des</strong>sus : « Je suis là pour guider la personne,<br />

pas pour décider à sa place ! Au final, c’est elle qui pèse le pour et le contre pour choisir sa<br />

direction professionnelle » (voir encadré 2, supra). On constate ainsi un succès sans précédent<br />

du modèle du "coaching", qui se diffuse jusque dans le secteur de l’aide à la recherche<br />

d’emploi (Ebersold, 2004). Le psychologue ne doit surtout pas décider à la place du<br />

"consultant" 15 , mais l’aider à devenir plus autonome, plus responsable, à prendre conscience<br />

<strong>des</strong> obstacles intérieurs qui l’empêchent d’atteindre son niveau de performance optimal, faire<br />

passer ses blocages du stade de l’inconscient au stade conscient etc. Ainsi, ce psychologue de<br />

15 Dans la littérature théorique sur l’orientation professionnelle, on désigne sous le terme de "consultant" la<br />

personne qui vient consulter le psychologue, le terme de patient étant peu adapté.<br />

458


l’AFPA perçoit principalement son rôle comme celui d’un "accompagnateur", qui aide le<br />

demandeur d’emploi à sortir de son "attentisme" et à exercer un regard critique sur ses propres<br />

choix, dans un monde délivré toutes contraintes économiques et sociales et où seule compte la<br />

motivation de l’individu :<br />

« La personne qui est en face de nous, la plupart du temps on lui demande une<br />

remise en cause, notamment par rapport à son attentisme. On va lui proposer <strong>des</strong><br />

solutions alternatives dans le but de vaincre ses inerties. Naturellement c’est pas<br />

exprimé comme ça en entretien, mais ça va revenir à ça… A seule fin que cette<br />

personne puisse s’approprier la réalité de ce qui se passe autour d’elle et qu’elle<br />

puisse exercer enfin son esprit critique par rapport à un choix. J’en reviens toujours<br />

à ça en fait. En son âme et conscience elle doit faire son choix. Si une personne veut<br />

être pilote de montgolfière moi je veux bien, du moment qu’après elle travaille et<br />

qu’elle établisse un pronostic de réussite. Si elle estime qu’il est faible mais que elle,<br />

par sa motivation, elle est capable d’y arriver, moi je dis banco ! il y a pas de<br />

raisons ! » (entretien n°28, homme, psychologue du travail à l’AFPA).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le consultant "idéal" du psychologue a donc plusieurs caractéristiques. Il doit tout<br />

d’abord manifester une forte autonomie, qui est la condition sans laquelle le psychologue ne<br />

peut sortir de son rôle disciplinaire. Le code de déontologie <strong>des</strong> psychologues répète à l’envi<br />

ce discours : le psychologue s’engage au « respect de la personne humaine dans sa dimension<br />

psychique » et que par conséquent « il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé<br />

<strong>des</strong> personnes concernées » 16 . Le postulat est que le psychologue n’est pas dans une position<br />

de savoir ni de pouvoir face au sujet qui s’adresse à lui ; il doit simplement l’aider à être "luimême"<br />

en se montrant ouvert et en favorisant les conditions d’un dialogue constructif. Il est<br />

un « professionnel de l’écoute », qui ne force pas au dialogue, ni à la prise de décision.<br />

Il y a là une réponse implicite <strong>des</strong> professionnels de l’orientation aux reproches qui<br />

ont été souvent adressés au travail social au début <strong>des</strong> années 1970 de contribuer à normaliser<br />

les conduites et à discipliner les individus, dans le sillage <strong>des</strong> travaux de Foucault. Mais cette<br />

discipline prend aujourd’hui une forme plus subtile puisque le psychologue cherche<br />

désormais à aider le sujet dans sa conquête d’autonomie, c’est-à-dire qu’il lui apprend à gérer<br />

lui-même sa propre trajectoire et son propre devenir sans avoir besoin de l’intervention du<br />

psychologue ou d’une quelconque tutelle extérieure. On passe donc d’une régulation<br />

extérieure <strong>des</strong> conduites, telle qu’elle prévalait dans le cadre de la psychotechnique par le<br />

contrôle <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, à une régulation intérieure, qui se fait néanmoins avec l’appui de ces<br />

professionnels spécialisés que sont les psychologues ou les conseillers d’orientation. Il ne<br />

s’agit plus simplement de contrôler, d’ordonner, de mettre chacun à sa place, mais d’éduquer<br />

les sujets et d’améliorer leur capacité à exercer un contrôle et une discipline sur eux-mêmes.<br />

16 Code de déontologie <strong>des</strong> psychologues, titre I.<br />

459


La sociologie de Norbert Elias apparaît particulièrement éclairante pour comprendre<br />

ce passage d’un contrôle extérieur <strong>des</strong> conduites par la contrainte, à un "autocontrôle" réalisé<br />

par les individus eux-mêmes, parfois avec l’aide bienveillante d’autrui. Selon cet auteur, c’est<br />

au sein de la société de cour que s’est affirmée la tendance moderne à la "psychologisation" 17<br />

<strong>des</strong> rapports sociaux :<br />

« C’est en effet dans les milieux plus ou moins liés à la cour que se développe ce<br />

que nous appellerions aujourd’hui l’"approche psychologique" de l’homme, c’est-àdire<br />

l’habitude d’examiner les chaînes de motivation et les interdépendances<br />

lointaines qui déterminent ses propres actes et ceux <strong>des</strong> autres. Car<br />

l’"autosurveillance" et l’observation méticuleuse <strong>des</strong> autres font partie <strong>des</strong><br />

conditions élémentaires du maintien de la position sociale » (Elias, 1975 [1969], p.<br />

239)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En favorisant l’observation fine <strong>des</strong> comportements (et son envers : l’introspection),<br />

la société de cour donne naissance à une forme de "psychologie" qui se manifeste par exemple<br />

dans les Mémoires de Saint-Simon, les Caractères de La Bruyère ou l’art du portrait qui se<br />

développe à partir du dix-septième siècle. Pour Elias (1975 [1969]), la psychologisation et la<br />

rationalisation sont deux faces d’un mouvement plus général de civilisation <strong>des</strong> mœurs. La<br />

psychologisation est selon lui le produit d’une double transformation : une transformation de<br />

la société, où l’on « assiste à l’augmentation du nombre <strong>des</strong> actes et <strong>des</strong> individus, dont<br />

chaque être humain et chacun de ses actes sont tributaires » ; une transformation <strong>des</strong><br />

individus, où « l’habitude s’enracine de plus en plus de prévoir les prolongements de ses<br />

initiatives », d’introduire <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de calcul et de s’efforcer de prévoir les conséquences<br />

de ses actes, ainsi que l’interprétation qu’en donnera autrui. C’est donc d’une part la<br />

complexité accrue de la société et d’autre part l’émergence de la rationalité moderne qui sont<br />

à l’origine du développement de la sphère psychologique. Si Elias ne se réfère pas<br />

explicitement à la psychologie "scientifique" mais plutôt à une psychologie "ordinaire", telle<br />

qu’elle se manifeste notamment dans la littérature, il ne fait pas de doute que la naissance de<br />

celle-ci participe assez largement de ce mouvement général de psychologisation du rapport au<br />

monde. La possibilité même de saisir l’individu comme objet d’une science psychologique en<br />

l’extrayant du lacis d’interrelations sociales est l’indice qu’une nouvelle vision du monde voit<br />

le jour avec la société de cour puis avec la société bourgeoise du XIX e siècle.<br />

Le raisonnement d’Elias peut-être transposé sans difficultés au fonctionnement du<br />

marché du travail. La psychologisation <strong>des</strong> rapports sociaux et l’intériorisation accrue <strong>des</strong><br />

conduites sur celui-ci est tout d’abord liée à la complexification <strong>des</strong> trajectoires individuelles<br />

17 Nous empruntons ce terme à Elias (1975 [1969], p. 238).<br />

460


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

et à l’accroissement <strong>des</strong> mécanismes d’interdépendances en son sein. Les itinéraires sociaux<br />

bien balisés autour <strong>des</strong>quels s’était construit le modèle psychotechnique dans les trente<br />

glorieuses ont connu <strong>des</strong> transformations radicales au cours <strong>des</strong> vingt dernières années. D’une<br />

part l’individu se trouve pris dans <strong>des</strong> réseaux d’interdépendance de plus en plus étroits : ceci<br />

concerne à la fois l’acte-même de son travail, qui le confronte de plus en plus à <strong>des</strong> exigences<br />

"sociales" et de moins en moins à <strong>des</strong> contraintes purement techniques 18 , comme on le voit<br />

notamment avec la pénétration croissante de la figure du client au cœur même <strong>des</strong> activités<br />

productive (Dondeyne, 2002) ; mais cela concerne aussi les situations de transition sur le<br />

marché du travail, lors <strong>des</strong>quelles l’individu se trouve confronté à une multitude de dispositifs<br />

et d’acteurs : employeurs, systèmes de formation, spécialistes du recrutement, organismes du<br />

service public de l’emploi etc 19 . D’autre part, la hausse générale du niveau d’éducation et la<br />

viscosité plus grande de la structure sociale confrontent chaque individu à un éventail de<br />

choix professionnels beaucoup plus vaste : le marché du travail, comme la plupart <strong>des</strong> autres<br />

sphères de la vie sociale, s’élargit et s’approfondit. Mais cet approfondissement n’apporte pas<br />

aux individus de schémas de conduite "sur-mesure". Bien au contraire, il entraîne une certaine<br />

forme de repli psychologique en tous points semblable à l’anomie durkheimienne. Chacun<br />

doit tracer sa propre voie dans le dédale <strong>des</strong> choix professionnels qui s’offrent à lui 20 . Mais<br />

dès l’instant où ce "mal de l’infini" s’empare de lui, l’individu se sent également plus<br />

autonome, plus libre, et cherche à se doter d’outils, de techniques lui permettant de mieux<br />

maîtriser sa trajectoire et son <strong>des</strong>tin social. Il cherche, comme le courtisan décrit par Elias, à<br />

mesurer ses actes et leurs conséquences, à introduire une plus grande prévisibilité dans <strong>des</strong><br />

comportements dont les linéaments se prolongent à l’infini. C’est à ce niveau qu’interviennent<br />

la psychologie et les professionnels de la psychologie. Si l’individu n’accepte pas le contrôle<br />

autoritaire de ses actes, il trouve auprès <strong>des</strong> psychologues une aide, un soutien et <strong>des</strong><br />

technologies qui lui permettent de parvenir à un meilleur "gouvernement" de lui-même et lui<br />

apprennent aussi à mieux décrypter le comportement <strong>des</strong> autres. Ainsi par exemple les<br />

formations à la PNL (Programmation neuro-linguistique) qui se sont multipliées dans les<br />

18 Sur le périmètre variable de l’horizon "social" et "technique" dans les différentes professions voir HALBWACHS<br />

(1994 [1925], pp. 222-272)<br />

19 Sur la complexification <strong>des</strong> formes de mobilité sur le marché du travail depuis les années 1960, voir MARCHAL<br />

(2002).<br />

20 Si les travaux sociologiques montrent unanimement que la mobilité sociale reste faible, la possibilité même<br />

que celle-ci soit élevée (principe qui est au fondement <strong>des</strong> sociétés démocratiques) confronte les individus à<br />

l’anomie. C’est d’ailleurs précisément le décalage entre mobilité de jure et mobilité de facto qui est à l’origine de<br />

telles situations d’anomie.<br />

461


entreprises et le secteur public 21 au cours <strong>des</strong> vingt dernières années cherchent à développer<br />

chez les cadres <strong>des</strong> techniques de déchiffrement du comportement d’autrui inspirées de la<br />

psychologie béhavioriste. Le postulat de cette méthode est que tout comportement (une<br />

orientation du regard, une posture du corps, une intonation de voix) est animé d’une "intention<br />

positive" de son auteur, que le <strong>des</strong>tinataire doit s’efforcer de décrypter afin de faciliter la<br />

communication interpersonnelle dans l’entreprise ou plus généralement dans les relations de<br />

travail.<br />

b) L’évolution <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> dans le champ de l’insertion : du<br />

diagnostic psychotechnique à l’autonomie individuelle<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La psychologie académique et professionnelle jouent certainement un rôle essentiel<br />

dans cette montée de l’individualisme sur le marché du travail. Elle rend accessibles quantités<br />

de technologies de "gouvernement de soi" et participe d’une diffusion d’un discours<br />

entièrement centré sur l’individu. Certains auteurs ont ainsi montré qu’il existait un lien étroit<br />

entre le développement de la psychologie académique et le degré d’individualisme d’une<br />

société (Frank, Meyer et Miyahara, 1995). Un tel point de vue présente toutefois <strong>des</strong> limites<br />

évidentes. Il semble difficile de ne pas prendre en compte l’impact de la psychologie nonacadémique<br />

dans ces transformations. C’est vrai en particulier d’un pays comme la France où<br />

la psychologie est relativement peu développée sur un plan professionnel 22 alors que les<br />

techniques issues de la psychothérapie connaissent un succès sans précédent depuis une<br />

vingtaine d’années, y compris auprès <strong>des</strong> psychologues eux-mêmes. La graphologie, la PNL,<br />

l’analyse transactionnelle et d’autres techniques non validées scientifiquement font partie de<br />

l’arsenal <strong>des</strong> techniques communément utilisées et participent tout autant que la psychologie<br />

académique à la "psychologisation" de la sphère du travail. On a vu ainsi, à partir de l’enquête<br />

statistique, que la population enquêtée se partageait à parts à peu près égales entre <strong>des</strong><br />

psychologues "orthodoxes" (qui ne se réfèrent qu’à <strong>des</strong> techniques enseignées à l’université),<br />

<strong>des</strong> psychologues "éclectiques" (qui utilisent à la fois <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> <strong>académiques</strong> et extra-<br />

21 Notamment auprès <strong>des</strong> enseignants, dans les IUFM (Instituts universitaires de formation <strong>des</strong> maîtres) et les<br />

CIES (Centres d’initiation à l’enseignement supérieur).<br />

22 Selon les statistiques de l’IUPS (International Union of Psychological Science) pour l’année 1992 il y aurait<br />

environ 10 fois plus de psychologues par habitant aux Etats-Unis qu’en France. Ces statistiques sont toutefois<br />

fortement biaisées dans la mesure où elles s’appuient sur les effectifs <strong>des</strong> associations professionnelles. Or,<br />

comme on l’a vu (chapitre IV) la France se caractérise par un éclatement <strong>des</strong> associations professionnelles de<br />

psychologues nettement plus élevé que les autres pays en raison notamment <strong>des</strong> conflits récurrents entre<br />

associations savantes, syndicats et amicales. On estime ainsi qu’environ 20% <strong>des</strong> psychologues français adhèrent<br />

à une association professionnelle, alors que c’est le cas de 90% <strong>des</strong> psychologues britanniques ou américains<br />

(LECUYER, 2004).<br />

462


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

<strong>académiques</strong>) et <strong>des</strong> psychologues "hétérodoxes" (utilisation exclusive de métho<strong>des</strong> non<strong>académiques</strong>).<br />

Une étude plus fine réalisée sur la seule population <strong>des</strong> psychologues du travail de<br />

l’AFPA à partir d’un questionnaire diffusé dans cette institution 23 montre que même dans ce<br />

milieu réputé pour son "orthodoxie", les techniques psychothérapeutiques ont fait une percée<br />

considérable au cours <strong>des</strong> vingt dernières années et alimentent de nouvelles formes de<br />

psychologisation du travail. A partir du début <strong>des</strong> années 1980, de nouveaux outils (créés pour<br />

la plupart au Canada) sont venus combler le vide créé par la crise du modèle psychotechnique.<br />

Ces outils d’inspiration clinique s’articulent étroitement à l’idée d’« éducation à<br />

l’orientation », c’est-à-dire qu’ils visent principalement à permettre au sujet de s’auto-orienter<br />

en le rendant responsable de ses propres choix. On peut ainsi lire au début <strong>des</strong> années 1990<br />

dans le référentiel d’activités <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA que « les outils <strong>des</strong> psychologues<br />

sont <strong>des</strong> outils pour l’aide à l’élucidation de la situation <strong>des</strong> personnes, à l’émergence de<br />

leurs besoins, à leur connaissance de soi et à un travail de confrontation avec les réalités du<br />

travail, de la formation, pour <strong>des</strong> cheminements, <strong>des</strong> décisions et <strong>des</strong> ancrages possibles » 24 .<br />

On voit que le travail existentiel sur soi, la connaissance de ses motivations profon<strong>des</strong> tend à<br />

l’emporter sur l’évaluation psychométrique <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, et surtout sur la connaissance <strong>des</strong><br />

débouchés réels sur le marché du travail. Tout, jusque dans le vocabulaire employé<br />

("élucidation", "cheminements", "ancrages", "connaissance de soi"…), traduit le rêve de<br />

s’arracher à la « force d’attraction du champ social » 25 pour ne prendre en compte que les<br />

désirs profonds de l’individu dans ses choix d’orientation.<br />

Ce discours est repris à leur compte par la majorité <strong>des</strong> psychologues rencontrés qui<br />

ont été formés à ces nouvelles techniques au cours de leur trajectoire professionnelle. On voit<br />

sur le tableau 38 que les formations suivies par les psychologues en cours de carrière ont le<br />

plus souvent trait à l’apprentissage de la relation d’entretien ou de techniques dérivées de la<br />

psychothérapie visant à "redynamiser" les personnes rencontrées et à les aider à faire émerger<br />

<strong>des</strong> "projets" cachés au plus profond d’eux-mêmes.<br />

23 Ce questionnaire, diffusé auprès <strong>des</strong> 800 psychologues du travail de l’AFPA a permis d’obtenir 67 réponses<br />

(soit 9,5% de la population enquêtée).<br />

24 « Fonctions <strong>des</strong> psychologues du travail de l’AFPA », Direction de l’Orientation, AFPA, p. 2, Avril 1992.<br />

25 BOURDIEU (1979, p. 428).<br />

463


Tableau 39 – Formations suivies par les psychologues du travail<br />

de l’AFPA au cours de leur trajectoire professionnelle<br />

Entretien clinique (dont counselling 66%<br />

d’emploi)<br />

Psychothérapie 41%<br />

Psychométrie (tests) 21%<br />

En % de l’ensemble <strong>des</strong> répondants (67 individus)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La formation la plus évoquée est le "counselling d’emploi" (suivie par plus d’un tiers<br />

<strong>des</strong> personnes interrogées). Cette technique, apparue au Canada en 1987 (Lecomte et<br />

Tremblay, 1987) s’inspire de l’entretien de counselling thérapeutique conceptualisé par Carl<br />

Rogers (1951). L’idée de Rogers est « qu’un entretien non-directif conduit par un conseiller<br />

adoptant une attitude d’empathie et de compréhension ouverte permet au consultant de<br />

restructurer sa personnalité » 26 . Le conseiller joue ainsi le rôle d’un "miroir" permettant au<br />

consultant de mieux prendre conscience de ses propres difficultés et blocages : « cette<br />

expérience ouvre la voie à l’acceptation par le soi de tous ses éléments, désormais perçus plus<br />

clairement » 27 . La méthode du counselling d’emploi de Lecomte et Tremblay reprend ces<br />

préceptes, initialement conçus dans le cadre de la psychothérapie, pour les appliquer aux<br />

situations de choix professionnels. Il s’agit d’amener progressivement le consultant à exercer<br />

un regard critique sur sa propre situation et à déterminer lui-même les choix d’orientation les<br />

plus pertinents. Le psychologue – à l’instar du psychanalyste – doit intervenir a minima dans<br />

l’entretien afin d’amener la personne à changer progressivement son système de<br />

représentation. Cette pénétration croissante <strong>des</strong> techniques psychothérapeutiques dans le<br />

domaine de l’insertion et de l’orientation professionnelle appelle trois remarques.<br />

(1) L’autonomie du demandeur<br />

En premier lieu, ces nouvelles techniques s’appuient sur l’idée d’une totale<br />

autonomie du demandeur, qui évolue dans une sorte d’apesanteur sociale. Cette dimension est<br />

très présente dans le discours de certains psychologues, qui voient principalement dans leur<br />

travail une mission de « restauration » de l’identité <strong>des</strong> personnes. L’orientation devient un<br />

acte réparateur tout autant qu’un travail de placement vers <strong>des</strong> emplois. Le cœur de leur<br />

mission réside selon eux non dans le fait d’imposer aux sujets tel ou type d’orientation (au vu<br />

<strong>des</strong> résultats de tests ou de toute autre méthode d’évaluation objective) mais dans leur<br />

disponibilité et la qualité de leur écoute :<br />

26 GUICHARD et HUTEAU (2001, p. 22).<br />

27 ROGERS (1951, pp. 40-41).<br />

464


« On n’est pas là pour dire aux gens « c’est bien ou c’est pas bien ce que vous<br />

faites ». Enfin il me semble. On est plus dans l’aide et le respect. Notre travail, c’est<br />

plutôt de respecter le cheminement de la personne. Moi je trouve bien que les<br />

personnes puissent nous dire ce qui va vraiment pas… » (entretien n°24, femme,<br />

psychologue du travail à l’AFPA)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

la conséquence d’une telle attitude est qu’elle tend à produire chez les sujets ce que<br />

les psychologues sociaux appellent une norme d’"internalité" 28 , c’est-à-dire qu’elle reporte sur<br />

l’individu et ses troubles personnels les raisons de ses échecs (perte d’emploi, problèmes de<br />

formation, d’insertion…). L’idée de "redynamiser" ou de "renarcissiser" les demandeurs<br />

d’emploi traduit finalement une perception du chômage comme déficit, comme pathologie<br />

individuelle et contribue dès lors à brouiller les frontières du normal et du pathologique. Il<br />

arrive d’ailleurs que <strong>des</strong> personnes rencontrées dans le cadre d’une mission d’insertion ou<br />

d’aide à la recherche d’emploi soient redirigées vers <strong>des</strong> services de type<br />

psychothérapeutique, parfois de manière abusive comme on le voit dans le cas suivant,<br />

signalé à la CNCDP (Commission nationale du code de déontologie <strong>des</strong> psychologues) 29 :<br />

Encadré 3 –Chômeur ou malade ? 30<br />

« Le requérant, chômeur de longue durée, a été orienté par son agence ANPE vers<br />

une association d’aide à l’insertion professionnelle. Il y a rencontré régulièrement<br />

lors d’entretiens individuels une psychologue, responsable de l’association, qui<br />

devait l’aider, "à trouver et élaborer un projet professionnel". Au cours d’un <strong>des</strong><br />

entretiens, la psychologue lui annonce qu’elle est "psychanalyste" puis lors de<br />

l’entretien suivant, le requérant se voit proposer <strong>des</strong> séances de psychanalyse dont il<br />

accepte le principe. Ces séances, réglées en espèces, se déroulent dans les locaux<br />

d’une autre association. Elles n’ont pas donné lieu, précise le demandeur, à<br />

l’établissement de reçus. La psychologue l’invite ensuite à se porter candidat à un<br />

stage de recherche d’emploi qu’organise l’association d’aide à l’insertion<br />

professionnelle. Cette candidature est refusée et dès lors le requérant cesse ses<br />

séances. Il ne parvient pas ensuite à obtenir de la psychologue une attestation<br />

confirmant la tenue de ces séances et un reçu attestant <strong>des</strong> versements effectués. Sur<br />

le conseil d’un syndicat de psychologues, une médiation a été proposée à la<br />

psychologue qui l’a refusée.<br />

Le requérant interroge la Commission afin de savoir si, d’après les faits qu’il<br />

rapporte dans sa lettre, le comportement de la psychologue est "normal dans le cadre<br />

de ce qu’elle me faisait penser être une psychanalyse". Le requérant doute, en outre,<br />

de la pertinence du traitement psychothérapeutique qu’il a suivi et reproche à la<br />

psychologue de ne pas l’avoir informé qu’il existait <strong>des</strong> possibilités de bénéficier<br />

d’un suivi psychothérapeutique pris en charge »<br />

La réponse apportée par la CNCDP sur ce cas fut double : elle estima d’une part<br />

que le psychologue devait rester libre <strong>des</strong> techniques utilisées et <strong>des</strong> démarches<br />

entreprises et que s’il l’estimait nécessaire, une démarche psychothérapeutique<br />

pouvait être adaptée à une situation de recherche d’emploi. Elle estima toutefois le<br />

28 JOULE et BEAUVOIS (1987). La norme d’externalité conduit à l’inverse à attribuer la source de ses échecs aux<br />

conditions de l’environnement extérieur (chômage…).<br />

29 La CNDCP, rattachée à la FFPP (Fédération française <strong>des</strong> psychologues et de la psychologie) est l’organisme<br />

chargé de veiller à l’application du code de déontologie <strong>des</strong> psychologues.<br />

30 Avis de la CNDCP, Dossier n°01-04, 2001.<br />

465


comportement de la psychologue abusif dans la mesure où celle-ci n’avait pas<br />

suffisamment distingué dans ses activités celle de conseiller en insertion de celle de<br />

psychanalyste.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

En lien direct avec cette question de l’autonomie individuelle, on s’aperçoit que l’une<br />

<strong>des</strong> composantes commune à la plupart <strong>des</strong> techniques de conseil en emploi ou en autoorientation<br />

31 est de s’appuyer sur l’idée d’un "contrat" passé entre le psychologue et le<br />

"consultant". On peut ainsi lire, à propos de l’"entretien de conseil de carrière" théorisé par<br />

Bordin (1979) que « l’établissement d’une "alliance de travail" entre le conseiller et le<br />

consultant est une condition nécessaire au succès de la démarche ». De même le modèle de<br />

Robert Manthei (1997) insiste sur la nécessité d’« informer le consultant <strong>des</strong> qualifications du<br />

conseiller, <strong>des</strong> techniques qu’il utilise, de l’organisation matérielle <strong>des</strong> rendez-vous, <strong>des</strong><br />

modalités pour entrer en contact avec lui ». L’échange doit se faire dans la plus complète<br />

transparence, l’objectif étant de « construire une relation basée sur la confiance réciproque ».<br />

L’AFPA et l’ANPE généralisent aujourd’hui cette idée en demandant à leurs psychologues et<br />

conseillers professionnels de « passer un contrat » dès le premier entretien avec les personnes<br />

rencontrées. Cette idéologie du contrat traduit la volonté d’inscrire la relation entre conseiller<br />

et consultant dans un cadre purement interindividuel, et de mettre en suspens les ressources<br />

sociales <strong>des</strong> deux acteurs, niant ainsi le caractère social de l’acte d’orientation. Car qu’est-ce<br />

qu’un contrat ? Un engagement entre deux individus qui repose uniquement sur la libre<br />

volonté <strong>des</strong> deux individus. Or on sait, comme l’écrivait Durkheim, que « tout n’est pas<br />

contractuel dans le contrat » car d’une part les individus ne sont que rarement égaux face au<br />

contrat (contrat de travail, contrat administratif) et que « partout où il existe, il est soumis à<br />

une réglementation qui est l’œuvre de la société », qui est précisément le poids de la structure<br />

sociale s’exerçant sur les consciences individuelles. Une approche "psychothérapeutique" de<br />

l’orientation professionnelle n’est donc possible que dans un cadre qui pose comme postulat<br />

que les individus sont <strong>des</strong> être indépendants et autonomes, pleinement maîtres de leur <strong>des</strong>tin.<br />

(2) L’autonomie du psychologue<br />

En deuxième lieu, le développement de nouveaux outils issus de la psychothérapie a<br />

<strong>des</strong> conséquences sur les modèles de professionnalisation de la psychologie du travail. On<br />

passe d’un modèle de la "science appliquée", où le savoir-faire du psychologue était<br />

objectivable et transmissible selon <strong>des</strong> critères rationnels, à un modèle comportemental, où le<br />

psychologue se caractérise par un "savoir-être" et un ensemble de virtualités personnelles. On<br />

31 Le lieu n’est pas ici de faire un panorama complet de ces techniques, décrites en détail dans GUICHARD et<br />

466


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

peut ainsi lire, sur le site internet de « Génération formation » (encadré 1) que « Tous les<br />

centres de bilans de compétences s’appuient peu ou prou sur la même méthodologie. Ce qui<br />

fera clairement la différence, c’est la qualité de la relation et la confiance que vous nouerez<br />

avec votre consultant » : on passe d’une légitimité "rationnelle-légale", attestant une expertise<br />

sanctionnée par le diplôme, à une "légitimité charismatique" (Weber, 1971) qui repose<br />

davantage sur les "dispositions personnelles" du psychologue. L’apprentissage du métier ne<br />

s’opère plus sur le mode vertical de la transmission <strong>des</strong> savoirs universitaires, mais sur le<br />

mode "réticulaire" propre au marché <strong>des</strong> services thérapeutiques. Le mécanisme de diffusion<br />

<strong>des</strong> outils d’orientation ou d’insertion professionnelle est d’ailleurs en tous points similaire à<br />

celui qui prévaut sur ce dernier. Il s’organise en général autour d’une figure charismatique qui<br />

mandate un certain nombre de disciples, chargés de diffuser la parole du maître. Comme dans<br />

la légitimité charismatique wébérienne, « il n’y a pas d’"autorités constituées" établies, mais<br />

seulement, dans les limites du service du seigneur et du charisme propre, <strong>des</strong> émissaires<br />

mandatés charismatiquement » 32 . L’apprentissage de nouvelles techniques se fait par<br />

conséquent sur le mode de la "révélation", celle-ci survenant le plus souvent au cours de<br />

formations continues acquises en dehors du monde académique (dans <strong>des</strong> instituts privés de<br />

psychothérapie par exemple, ou lors de "séminaires" de formation). Cet ensemble de facteurs<br />

expliquerait le déclin du recours aux psychologues diplômés dans l’orientation ou l’insertion<br />

professionnelle, les démarches de formation personnelle et les trajectoires individuelles <strong>des</strong><br />

conseillers comptant souvent davantage que les savoirs cristallisés dans un diplôme ou un titre<br />

de psychologue 33 .Pour que le pouvoir charismatique du psychologue puisse s’exercer<br />

pleinement, il faut qu’il soit lui-même passé par l’épreuve initiatique de la psychanalyse ou de<br />

la psychothérapie. Rares sont les personnes rencontrées en entretien qui n’étaient pas ellesmêmes<br />

engagées dans ce type de "démarche personnelle".<br />

La psychanalyse ou la psychothérapie occupent une double fonction dans le système<br />

de valeurs <strong>des</strong> psychologues du travail et plus généralement <strong>des</strong> conseillers en orientation. La<br />

fonction première est initiatique : il s’agit d’apprendre soi-même les "ficelles du métier" par<br />

apprentissage, au contact de telle ou telle personnalité du monde psychothérapeutique. Cette<br />

épreuve initiatique permet ensuite de se donner en exemple et en modèle aux personnes<br />

rencontrées, le postulat étant qu’un thérapeute qui n’a pas élucidé ses propres problèmes<br />

HUTEAU (op. cit.).<br />

32 WEBER (1995 [1971], p. 323).<br />

33 Depuis quelques années par exemple, l’AFPA ne recrute plus ses psychologues sur la simple base du DESS<br />

mais leur demande de surcroît une expérience professionnelle d’au moins deux ans dans le domaine de<br />

l’insertion.<br />

467


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personnels peut difficilement venir en aide à autrui. Cette psychologue déclare ainsi qu’« une<br />

psychanalyse, suivie pendant huit ans [lui] a permis une meilleure compréhension et une<br />

meilleure écoute de la personne reçue » (questionnaire n°39, femme, psychologue du travail à<br />

l’AFPA). Cette autre explique que seule la psychanalyse lui apporte un cadre théorique<br />

satisfaisant dans sa pratique quotidienne : « ma vraie formation c’est quand même les<br />

quelques années de travail analytique que j’ai pu faire et qui sont vraiment essentielles. (…)<br />

La seule théorie qui me paraît suffisamment solide c’est quand même la théorie analytique...<br />

Sortis de celle-là je trouve qu’on est vite dans <strong>des</strong> "outils" justement ». La seconde fonction<br />

pourrait être qualifiée de "cathartique" : elle consiste à se libérer sur le thérapeute <strong>des</strong> tensions<br />

liées à l’exercice de l’activité professionnelle. Cela est plus particulièrement vrai <strong>des</strong><br />

psychologues qui travaillent dans le domaine de l’insertion et qui sont au contact quotidien de<br />

personnes connaissant <strong>des</strong> situations personnelles ou professionnelles difficiles. On relève<br />

dans le discours de ces psychologues une utilisation fréquente de la métaphore de la "charge<br />

psychique" ou de l’"énergie positive", semblable à celle que Marc Loriol (2000) a mise en<br />

évidence dans ses travaux sur les infirmières. Tout se passe comme si, dans son activité<br />

d’écoute et de soutien aux plus démunis, le psychologue transmettait à ses patients un flux<br />

d’énergie positive et qu’il recevait en échange un poids, une charge psychique qu’il devait luimême<br />

supporter. Il prend ainsi sur lui une partie <strong>des</strong> problèmes qui lui sont soumis par les<br />

demandeurs et seule une démarche d’analyse personnelle peut lui permettre de se libérer à son<br />

tour de cette "charge morale" sur la personne du thérapeute. L’allègement de la charge<br />

psychique liée à l’activité professionnelle peut passer par <strong>des</strong> échanges d’expérience entre<br />

collègue, comme dans le cas évoqué ci-<strong>des</strong>sous :<br />

« Dans le service, on a toujours eu le souci de communiquer entre nous au niveau<br />

professionnel. Ici c’est très présent. Il y a jamais de problèmes là-<strong>des</strong>sus. Si on a eu<br />

un entretien un peu dur, ou <strong>des</strong> trucs difficiles, on va toujours en parler, puisque<br />

c’est important de se poser <strong>des</strong> questions. Donc là-<strong>des</strong>sus sur le principe, il n’y a<br />

aucun problème : prendre un cas, le cerner, en parler avec un collègue, demander à<br />

un collègue de reprendre le relais avec la personne etc. » (entretien n°32, femme,<br />

psychologue du travail à l’AFPA).<br />

Les échanges peuvent également prendre une forme plus institutionnalisée à travers la<br />

participation à <strong>des</strong> groupes d’"analyse de pratiques" 34 qui se réunissent régulièrement sous la<br />

direction d’un thérapeute ou d’un psychanalyste, comme dans le cas exposé par cette<br />

psychologue :<br />

34 Ces groupes s’inspirent de la méthode <strong>des</strong> groupes « Balint », mis en place pour les médecins dans le but de<br />

partager leur expérience sur <strong>des</strong> cas cliniques particulièrement difficiles.<br />

468


« R : Le métier est difficile parce que ça suppose que… Il y a <strong>des</strong> choses qui font<br />

peur dans les problématiques <strong>des</strong> gens et c’est pas facile … Alors moi ce qui me fait<br />

tenir c’est qu’une fois par mois, on se fait superviser dans nos pratiques. On est un<br />

groupe de psychologues, il y a un analyste qui vient et puis… On expose <strong>des</strong><br />

situations, et puis il nous aide à analyser ce qui s’est passé. Alors bien sûr on expose<br />

toujours <strong>des</strong> situations où ça s’est pas bien passé.<br />

Q : Et cette personne fait elle aussi partie de l’AFPA ?<br />

R : Non non, c’est un psychanalyste extérieur. Mais moi ça m’aide à me recentrer<br />

sur ma fonction, ça me donne le courage à chaque fois d’essayer de me remettre<br />

dans cette position là et puis ça me permet d’avancer, de voir aussi ce qui bloque.<br />

Voilà moi ça m’aide énormément, et si j’avais pas ça, je sais pas si je craquerais pas<br />

à l’AFPA parce que je trouve qu’actuellement, vraiment, on se demande si ils ont<br />

besoin de psychos » (entretien n°24, femme, psychologue du travail à l’AFPA).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

(3) L’absence de prise en charge collective <strong>des</strong> questions d’insertion et<br />

d’orientation professionnelle<br />

La double autonomie qui vient d’être décrite (autonomie du consultant et autonomie<br />

du psychologue) vient pointer un déficit plus général de prise en charge collective <strong>des</strong><br />

problèmes d’insertion et d’orientation professionnelle. A un premier niveau, les institutions<br />

chargées de mettre en œuvre les politiques de l’emploi et de l’insertion se déchargent sur les<br />

psychologues et les conseillers du travail d’ajustement aux cas particuliers. Ces institutions ne<br />

produisent que peu de règles générales et font au contraire une place très large au traitement<br />

clinique individuel, voire psychothérapeutique, <strong>des</strong> problèmes d’orientation professionnelle 35 .<br />

Cela se traduit notamment par la totale liberté laissée aux psychologues ou aux conseillers<br />

dans le choix de leurs instruments méthodologiques (hormis les tests, dont la pratique reste<br />

encore très encadrée). Ainsi par exemple à l’AFPA ou dans les CIO, après plusieurs années<br />

d’hégémonie de la méthodologie psychotechnique, le discours officiel <strong>des</strong> institutions est<br />

aujourd’hui celui d’un éclectisme méthodologique, l’idée étant que chaque psychologue doit<br />

se constituer sa propre boîte à outils, à partir d’une palette très large de formations proposées<br />

par l’institution. Cette psychologue de l’AFPA exprime ainsi son désarroi face au déficit de<br />

cadres théoriques clairs :<br />

« le problème actuel au sein de l’institution est l’absence de doctrine théorique pour<br />

unifier nos pratiques. Je crois que le gros du problème qui se pose aujourd’hui est de<br />

repenser une intervention <strong>des</strong> psychologues dans un cadre qui a évolué.<br />

Actuellement il manque une cohérence. Donc souvent on dit : on renvoie à<br />

l’autonomie <strong>des</strong> psychologues, mais comme le psychologue renvoie lui-même à<br />

l’autonomie de la personne qui fait un bilan… Mais derrière par contre on peut se<br />

demander : quelles responsabilités on prend, qu’est-ce qu’on analyse, qu’est-ce<br />

qu’on n’analyse pas ? Dans quel champ théorique on est inclus etc. Ça c’est<br />

totalement évacué. Ce qui fait qu’il y a <strong>des</strong> différences d’approches énormes entre<br />

35 LIMA (2004) a bien montré dans une comparaison entre la France et la Canada que les conseillers chargés de<br />

l’insertion <strong>des</strong> jeunes en France (Missions Locales ou en PAIO) bénéficiaient d’une marge discrétionnaire très<br />

importante dans la qualification <strong>des</strong> personnes rencontrées. Le Canada se caractérise à l’inverse par le poids <strong>des</strong><br />

dispositifs collectifs plus importants qui réduisent la part d’autonomie du conseiller.<br />

469


les individus qui ne sont jamais tranchées. Donc en fait ça tient parfois plus de la<br />

cacophonie, et je pense que c’est ça qui pose problème actuellement si on veut<br />

conserver notre identité professionnelle » (entretien n°32, femme, psychologue du<br />

travail à l’AFPA).<br />

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Les psychologues rencontrés en entretien ont donc le sentiment ambigu d’exercer<br />

une activité valorisante, qui laisse s’exprimer leur autonomie et leur sens clinique, mais aussi<br />

d’un certain abandon institutionnel du fait de l’absence de références méthodologiques et de<br />

règles générales susceptibles de venir étayer leurs pratiques dans le traitement <strong>des</strong> cas<br />

individuels.<br />

A un second niveau, le psychologue se décharge à son tour de toute prise de décision<br />

sur le consultant lui-même, supposé pleinement libre de ses choix. On est donc dans un<br />

système d’autonomie généralisé, où chaque niveau se déresponsabilise sur le suivant en<br />

faisant appel à l’"autonomie" de l’acteur situé en aval. Ce système conduit à la traduction<br />

d’un problème au départ pensé comme social (l’insertion, le chômage, la formation…) en<br />

problème strictement individuel, l’individu situé en bout de chaîne étant finalement le seul à<br />

porter le poids de sa décision.<br />

La traduction <strong>des</strong> problèmes d’insertion et d’orientation en une question<br />

exclusivement individuelle suscite une adhésion massive chez les psychologues rencontrés en<br />

entretien. Pour la plupart d’entre eux, la difficulté à trouver un emploi tient à une absence de<br />

motivation ou (dans <strong>des</strong> cas plus rares) à <strong>des</strong> problèmes personnels non résolus. La seule voix<br />

discordante qui s’est faite entendre (une psychologue sur les vingt-deux rencontrés à l’AFPA)<br />

émanait d’une psychologue titulaire d’un DESS de psychologie sociale sensibilisée à la<br />

sociologie :<br />

« On renvoie systématiquement les gens à l’initiative individuelle, à l’autonomie<br />

etc., qui est ce qu’on impose aux stagiaires, mais qui a mon sens ne fait que différer<br />

un problème qui est institutionnel ou social. Ce qui me frappe c’est que dans un<br />

contexte qui est de plus en plus contraignant socialement, il y a de moins en moins<br />

de pensée sociale » (entretien n°32, femme, psychologue du travail à l’AFPA).<br />

Dans le questionnaire adressé à l’AFPA, seules deux personnes (sur les soixante-sept<br />

répondants) ont insisté sur la nécessité de réinscrire les problématiques <strong>des</strong> personnes dans<br />

leur environnement social (dans l’une <strong>des</strong> questions ouvertes). Les autres psychologues<br />

adhèrent globalement au schéma individualisant de la psychologie, soit qu’ils s’appuient –<br />

pour les plus anciens – sur le modèle psychométrique classique et une théorie <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

renouvelée en terme de comportement, de "personnalité" ou de "motivation", soit qu’ils aient<br />

une perception exclusivement clinique ou psychanalytique du problème. La perception d’un<br />

éventuel décalage entre les outils de la psychologie et les problématiques d’insertion et<br />

470


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d’orientation se fait en réalité non pas par une remise en cause radicale de la pertinence de<br />

cette discipline pour aborder ces questions, mais sur un mode plus diffus, à travers <strong>des</strong><br />

réponses comme : « on n’a pas de réponse à tous les problèmes » ou encore « on est<br />

constamment tiraillé entre la demande de l’institution de trouver <strong>des</strong> solutions et les<br />

problématiques réelles <strong>des</strong> personnes ».<br />

Dans le monde de la psychologie académique, les critiques adressées aux approches<br />

individualisantes de l’orientation sont elles aussi assez rares. L’INETOP par exemple, reste<br />

très tourné vers les approches psychométriques, avec une influence de plus en plus nette <strong>des</strong><br />

théories de la motivation nord-américaines et <strong>des</strong> outils d’auto-orientation reposant sur un<br />

postulat d’autonomie du sujet. De même, les DESS de psychologie du travail consacrent une<br />

grande partie de leurs enseignements à la psychométrie ou à l’apprentissage <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de<br />

conseil en emploi, mais accordent une place très limitée aux enseignements de sociologie et<br />

d’économie, susceptibles de replacer les questions de chômage et d’insertion dans <strong>des</strong> cadres<br />

plus larges. Christine Revuz est aujourd’hui l’une <strong>des</strong> rares psychologues du travail<br />

universitaire à construire une théorie alternative, en s’inspirant de la psychanalyse lacanienne<br />

et <strong>des</strong> travaux d’Yves Schwartz. Elle s’est ainsi livrée, dès la mise en place de la loi sur le<br />

bilan de compétences, à une critique de ce dispositif, auquel elle reproche de laisser échapper<br />

la dimension du « sujet », en se centrant trop exclusivement sur la motivation et le projet,<br />

dimensions qui ne font qu’effleurer la complexité réelle <strong>des</strong> expériences de travail :<br />

« Les pratiques de bilan ne s’aventurent guère au-delà du travail prescrit (…) cela<br />

peut s’expliquer en disant que la démarche éducative ou thérapeutique est<br />

essentiellement adaptative, qu’elle prend la réalité comme un donné rejoignant ainsi<br />

tous les discours qui tendent à naturaliser les fonctionnements économiques actuels<br />

et les rapports sociaux qui en découlent. Dans cette logique, l’important est que la<br />

personne retrouve une place dans un milieu de travail. Or cette place n’est visible,<br />

n’existe socialement que par une formalisation qui en est donnée et qui sert à<br />

recruter, à évaluer, à promouvoir ou à licencier. Pourquoi, dans ces conditions,<br />

travailler avec les personnes à un autre niveau ? » (Revuz, 1994, p. 30)<br />

Selon elle, les conseillers et psychologues refusent d’entendre la singularité <strong>des</strong><br />

expériences de travail pour adopter un mode d’écoute convenu, standardisé et en se contentant<br />

de faire entrer la personne dans <strong>des</strong> catégories préconstituées. Or, précisément parce qu’il est<br />

une activité qui met le sujet aux prises avec son propre fonctionnement psychique, le récit de<br />

l’expérience de travail ou de la trajectoire professionnelle supporte mal une élaboration dans<br />

un langage convenu. Comme toute les activités dans lesquelles les personnes s’investissent<br />

fortement, il fait entrer en jeu <strong>des</strong> mécanismes inconscients, tels que le désir : « penser en<br />

termes de désir, c’est rompre avec les théories psychologiques qui voient dans l’homme un<br />

"animal social" pour le penser, au contraire, comme un être de langage, dont la subjectivité<br />

471


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s’élabore dans la confrontation à une loi symbolique fondatrice de la collectivité humaine »<br />

(Revuz, 1994, p. 34). Revuz entrevoit une issue au problème du bilan dans l’aide apportée au<br />

sujet pour mieux articuler ce qu’elle appelle la "Loi symbolique" (le désir qu’il investit dans<br />

son travail, les conflits intra-psychiques qui s’y résolvent…) avec la "loi sociale" du marché<br />

du travail, caractérisée par une violence économique et financière de plus en plus forte : « Il<br />

faut que le sujet puisse penser ce qui lui arrive en termes de choix politiques (…) et affirmer<br />

ainsi sa parole de citoyen (…) écouter l’effort pour dire le travail réel, c’est prendre le risque<br />

d’entendre cette dimension si souvent déniée du politique. C’est entendre comme le sujet<br />

s’arrange de la loi sociale au quotidien de son travail, comment il met en acte, dans le<br />

moindre de ses gestes, sa manière de penser le social. » (Revuz, 1994, p. 36). C’est donc<br />

finalement par un travail d’écoute analytique approfondi que le bilan peut s’avérer bénéfique<br />

pour le consultant, en lui permettant de faire mieux entrer en résonance ses propres obstacles<br />

ou difficultés intérieures avec <strong>des</strong> questions sociales plus larges (chômage, exclusion<br />

sociale…).<br />

Cette thèse, largement diffusée dans les milieux de l’orientation 36 , amène certains<br />

psychologues à manifester <strong>des</strong> réticences à l’endroit du bilan de compétences qui, par sa<br />

forme même, (accent mis sur la notion de motivation, ancrage dans une psychologie<br />

comportementaliste) nie la dimension analytique du sujet. Ainsi cette psychologue de<br />

l’AFPA, clinicienne de formation, dit avoir refusé de pratiquer le bilan « par choix<br />

personnel », parce que la méthodologie lui paraissait « reposer sur <strong>des</strong> postulats douteux »<br />

(entretien n°30, femme, psychologue du travail à l’AFPA). On voit toutefois que c’est en<br />

individualisant encore davantage la question de l’orientation, en l’inscrivant dans une pure<br />

clinique <strong>des</strong> échanges privés, que le problème trouve ici sa résolution. La possibilité d’une<br />

ouverture de cette question sur <strong>des</strong> problématiques à caractère plus sociologique ou<br />

économique est donc esquivée.<br />

L’une <strong>des</strong> difficultés actuelles vient de ce que la sociologie elle-même est peu<br />

encline à porter cette critique, dans la mesure où les approches dominantes <strong>des</strong> recherches sur<br />

l’orientation professionnelle sont menées dans une veine interactionniste et constructiviste,<br />

dans le sillage <strong>des</strong> travaux de Claude Dubar, et qu’elles s’interdisent par conséquent<br />

d’objectiver <strong>des</strong> phénomènes comme le chômage ou l’orientation autrement que sous l’angle<br />

<strong>des</strong> trajectoires et <strong>des</strong> transactions biographiques individuelles. Dubar définit ainsi<br />

« l’orientation réelle » comme le « processus par lequel s’opèrent les ajustements entre les<br />

36 C. Revuz anime depuis plusieurs années <strong>des</strong> groupes d’analyse de pratique au sein de l’AFPA et dans d’autres<br />

472


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souhaits exprimés et les possibilités offertes (…) C’est pourquoi la question de l’orientation<br />

professionnelle est inséparable de celle de l’ensemble de la trajectoire, du cycle de vie, de la<br />

socialisation professionnelle, définie comme un processus biographique et relationnel » 37 . En<br />

définissant l’orientation de la sorte, Dubar accorde une prééminence au projet individuel et à<br />

la mobilisation subjective, supposées être au principe de l’orientation <strong>des</strong> individus, alors que<br />

les contraintes sociales et économiques qui pèsent sur leurs choix sont minorées. Le centre de<br />

gravité <strong>des</strong> analyses se déplace <strong>des</strong> conditions sociales de l’orientation vers les choix<br />

individuels et le sens subjectif qu’ils prennent dans un parcours individuel. Cette façon<br />

d’appréhender les processus d’orientation a largement guidé les recherches sociologiques<br />

récentes sur ce sujet, qui s’intéressent pour la plupart au travail d’ajustement entre un<br />

« conseiller » et un « demandeur », dans une perspective là encore inspirée de<br />

l’interactionnisme 38 . Ces recherches ne cherchent en revanche guère à réinscrire le travail<br />

d’orientation dans un cadre macro-social plus large, qui montrerait que les techniques et les<br />

catégories de classement en vigueur dans le monde de l’orientation sont dans une large<br />

mesure la « traduction » de contraintes imposées par le système productif à un moment donné.<br />

L’accent mis par les conseillers – et parfois par les sociologues – sur le projet, la trajectoire<br />

biographique et le sens subjectif du travail d’orientation fait ainsi écho aux exigences de<br />

l’appareil productif, qui cherche avant tout à rendre les individus autonomes et responsables<br />

de leur propre trajectoire.<br />

Naville dénonçait en 1945 la mystification de la notion d’aptitude (voir supra), qui<br />

n’était selon lui rien d’autre que la face cachée <strong>des</strong> rapports de production. On trouve<br />

aujourd’hui peu de réflexions de ce type sur les catégories en vigueur sur le marché du travail<br />

(compétences, projet) et le lien qu’elles entretiennent vis-à-vis <strong>des</strong> exigences du système de<br />

production. Ne sont-elles pas – comme l’aptitude chez Naville – un simple vernis scientifique<br />

visant à naturaliser <strong>des</strong> notions dont les déterminants se trouvent en premier lieu dans les<br />

rapports de production ? Le débat est loin d’être tranché et divise fortement la communauté<br />

sociologique : certains voient dans ces nouvelles catégories <strong>des</strong> formes de domination douce<br />

incitant l’individu à rejoindre à son insu le point de vue <strong>des</strong> dominants (Stroobants, 1993 ;<br />

Ebersold, 2001 ; Courpasson, 2000 ; Dugué, 2004) alors que d’autres y voient au contraire<br />

l’expression du fait que les conditions du travail d’orientation se sont modifiées, en raison<br />

structures d’insertion.<br />

37 DUBAR, 1991.<br />

38 Voir notamment les recherches de DEMAZIERE (1992) sur les conseillers de l'ANPE, de BEAUD (1996) sur les<br />

conseillers de missions locales ou encore de DIVAY (2000) sur les intermédiaires de l’aide à la recherche<br />

d’emploi<br />

473


notamment de la plus grande fluidité <strong>des</strong> marchés du travail et <strong>des</strong> organisations productives,<br />

qui font appel à de nouvelles dimensions chez les travailleurs (Dubar, 1999 ; Lichtenberger et<br />

Paradeise, 2001 ; Merle, 1999 ; Reynaud, 2001).<br />

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En conclusion à ce point, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent cette<br />

approche psychologisante <strong>des</strong> questions d’orientation et d’insertion à se perpétuer, et même à<br />

se renforcer, alors qu’elle n’apporte visiblement pas de réponse aux problèmes d’insertion qui<br />

se posent depuis plus de vingt ans. Seuls quelques éléments de réponse peuvent être apportés<br />

ici, à la lumière <strong>des</strong> intérêts qu’y trouvent les différents acteurs impliqués : les usagers, les<br />

psychologues et les pouvoirs publics. Vue du côté <strong>des</strong> usagers (demandeurs d’emploi, de<br />

formation ou de prestations d’insertion professionnelle), la psychologisation <strong>des</strong> questions<br />

d’insertion fait écho à une tendance plus générale à la valorisation de l’authenticité et de la<br />

singularité personnelle, par opposition à un individu défini par ses appartenances collectives.<br />

Comme le remarque François de Singly (1996, p. 13), « le travail de tout individu est de<br />

parvenir à découvrir cette identité personnelle, cachée au fond de lui-même – cette identité<br />

que nous nommons "intime". Il n’y parvient pas par l’intériorisation de règles de morale, par<br />

le fait d’apprendre à jouer <strong>des</strong> rôles préétablis. La conception moderne de l’individu<br />

dévalorise les rôles (ce qu’il se représente comme tel), exaltant au contraire l’originalité et<br />

encore plus l’authenticité (comme sentiment de fidélité à soi-même) ». Si le diagnostic porté<br />

par Singly 39 sur l’individu moderne est vrai, on comprend que les usagers <strong>des</strong> services<br />

d’orientation et d’insertion soient eux mêmes demandeurs de l’’intervention de psychologues<br />

qui tout à la fois se mettent à leur "écoute", donnant ainsi une reconnaissance publique à leurs<br />

difficultés, et dans le même temps les aident à se reconstruire, à élaborer un projet, à exister<br />

de nouveau socialement grâce à un travail sur eux mêmes. De manière plus profonde, le<br />

schéma véhiculé par la psychologie offre une réponse simple et efficace à <strong>des</strong> problèmes qui,<br />

faute de pouvoir être réinscrits dans une histoire collective et sociale –jugée hors de portée de<br />

l’individu – sont pensés en termes de déficits individuels et deviennent dès lors<br />

immédiatement remédiables. Se jeter à corps perdu dans diverses techniques de<br />

"gouvernement de soi" proposées par les psychologues peut alors être un moyen d’exorciser<br />

le caractère absurde ou incompréhensible d’un événement lié à un <strong>des</strong>tin collectif<br />

difficilement maîtrisable ou dont les ressorts échappent à l’individu. Les psychologues<br />

trouvent eux aussi un intérêt à cette hégémonie de leur discipline sur les questions d’insertion<br />

39 Voir également les travaux d’EHRENBERG (1991), qui décortiquent le culte contemporain de la performance<br />

474


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et d’orientation. Elle leur permet d’étendre leur juridiction sur <strong>des</strong> problématiques qui leur<br />

avaient jusqu’alors échappé, offrant ainsi <strong>des</strong> débouchés inespérés à une profession en forte<br />

croissance numérique depuis vingt ans et dont les diplômés connaissent d’importantes<br />

difficultés d’insertion. Les choses sont toutefois plus complexes puisque, comme on l’a vu, ce<br />

travail se fait au contact de publics en difficulté et dans <strong>des</strong> conditions d’emploi souvent<br />

précaires, suscitant un sentiment de déclassement. Les psychologues qui travaillent dans<br />

l’insertion ont le plus souvent l’impression de se trouver dans une situation professionnelle<br />

impossible, obligés de faire le grand écart entre les deman<strong>des</strong> <strong>des</strong> individus et les contraintes<br />

sociales et économiques qui les obligent à les ramener vers <strong>des</strong> choix plus raisonnables ou<br />

réalistes (conduire en douceur un chômeur âgé vers une pré-retraite, suggérer à un jeune de<br />

poursuivre une formation au lieu de s’insérer directement…). Mais, par leur culture<br />

professionnelle, les psychologues sont peu portés à traduire ces difficultés sur un plan<br />

collectif en interrogeant la pertinence même <strong>des</strong> catégories véhiculées par la psychologie, ou<br />

en critiquant <strong>des</strong> dispositifs comme le bilan de compétence. Comme le fait justement<br />

remarquer Chistine Revuz (1994, p. 26), « l’expérience accumulée par les praticiens du bilan<br />

demeure muette. La profession ne produit pas la littérature professionnelle, corporative,<br />

commerciale, nécessaire à son exercice dans <strong>des</strong> conditions matérielles et déontologiques<br />

cohérentes avec ce que les conseillers ont appris de la pratique ». Au lieu de traduire leurs<br />

difficultés dans un registre politique, ils se tournent vers <strong>des</strong> dispositifs analytiques ou<br />

thérapeutiques comme l’analyse de pratiques, déjà évoquée, ou un travail analytique<br />

individuel. De la sorte, le système s’auto-alimente par strates de psychologisation successives<br />

et est peu propice à l’éclosion de critiques ou de revendications portées à un niveau<br />

économique ou macro-social. Les pouvoirs publics, enfin, trouvent également leur intérêt<br />

dans un tel système qui, en traitant les individus au cas par cas, permet tout à la fois de faire<br />

l’économie d’une remise en cause <strong>des</strong> mécanismes de gestion du chômage et d’afficher une<br />

volonté de mener <strong>des</strong> politiques actives de réinsertion. Notre propos n’est évidemment pas de<br />

dire que cette psychologisation <strong>des</strong> politiques d’insertion serait l’aboutissement d’un plan<br />

mûrement réfléchi de la part <strong>des</strong> pouvoirs publics, mais plutôt qu’elle est le produit d’une<br />

lente dérive <strong>des</strong> politiques d’insertion, qui ont progressivement abdiqué toute prétention à<br />

régler la question du chômage à un niveau global en déclinant les interventions sur <strong>des</strong><br />

populations toujours plus individualisées et localisées : selon le territoire, l’âge, le niveau<br />

scolaire, l’origine sociale etc. Rappelons à ce sujet que le rapport Schwartz (op. cit.) concevait<br />

individuelle et de la réalisation personnelle dans le travail.<br />

475


au départ les politiques d’insertion comme <strong>des</strong> réponses provisoires au problème du chômage,<br />

en attendant qu’une réponse plus globale – la politique de relance keynésienne menée par le<br />

gouvernement Mauroy – porte ses fruits. L’individualisation progressive <strong>des</strong> politiques<br />

d’insertion et la place dévolue aux psychologues et à leurs techniques dans ce dispositif sont<br />

donc le fruit d’un compromis qui a progressivement déplacé la question du chômage du<br />

niveau central traitant un citoyen universel, vers un niveau plus local traitant <strong>des</strong> populations<br />

particularisées, mais perdant de ce fait tout levier d’intervention sur le problème du chômage.<br />

3. Les nouvelles juridictions de la psychologie sur les marchés internes<br />

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La nouvelle régulation psychologique <strong>des</strong> conduites n’intervient pas seulement lors<br />

<strong>des</strong> phases de transition ou de rupture sur le marché du travail, productrices de souffrances et<br />

d’interrogations personnelles (chômage, difficultés d’insertion…) ; elle se manifeste<br />

également dans <strong>des</strong> situations plus ordinaires, sur les marchés internes <strong>des</strong> entreprises. Une<br />

enquête menée auprès <strong>des</strong> services de psychologie du travail de deux gran<strong>des</strong> entreprises (la<br />

RATP et la Poste) 40 a permis de prendre la mesure de ces transformations et d’observer là<br />

aussi le passage d’une fonction essentiellement "dirigiste" de la psychologie du travail<br />

(recrutement, sélection) à une fonction plus large d’accompagnement <strong>des</strong> salariés en cours de<br />

carrière. Dans les deux cas étudiés, les évolutions que nous avons pu observer traduisent le<br />

souci d’aider les salariés à parvenir à un meilleur « gouvernement » d’eux-mêmes, par le<br />

passage d’une régulation « externe » de leurs conduites à une régulation « interne ». Les<br />

services de psychologie de ces deux entreprises ont toutefois suivi <strong>des</strong> voies différentes : alors<br />

qu’à la Poste la fonction de psychologue s’est fondue dans une fonction plus large de gestion<br />

de ressources humaines et de conseil de carrière, la RATP a réorienté les missions de ses<br />

psychologues vers de nouvelles problématiques, notamment la gestion du stress au travail.<br />

a) Psychologue du travail en entreprise : une fonction en voie de<br />

disparition ?<br />

Les techniques issues de la psychologie ou de la psychothérapie se diffusent<br />

aujourd’hui à une vitesse sans précédent dans les entreprises, sous l’effet notamment du<br />

passage d’une gestion par les « qualifications » à une gestion par les « compétences ». Cette<br />

évolution, qui s’accompagne d’un nouveau discours sur la motivation, la responsabilité<br />

individuelle et l’autonomie <strong>des</strong> salariés, traduit la diffusion progressive d’un modèle<br />

40 Pour cette partie de notre travail, nous nous appuyons sur six entretiens menés avec <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail de la RATP et trois entretiens avec <strong>des</strong> psychologues du travail de la Poste.<br />

476


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« managérial » <strong>des</strong> catégories de cadres vers l’ensemble <strong>des</strong> travailleurs. Cela est vrai tout<br />

d’abord sur le marché externe du travail, où chacun est appelé à développer et à gérer au<br />

mieux son « portefeuille de compétences » afin de répondre aux évolutions du marché<br />

(Menger, 2004), mais également à l’intérieur <strong>des</strong> entreprises où de nouvelles règles de<br />

rémunération et de promotion se mettent en place, assises sur les « compétences »<br />

individuelles <strong>des</strong> salariés, entendues comme capacités à résoudre <strong>des</strong> problèmes dans <strong>des</strong><br />

situations de travail concrètes (Zarifian, 1995). Une telle capacité dépend bien entendu de la<br />

« situation de travail » et du collectif dans lequel est inséré le travailleur (organisation,<br />

collègues), mais aussi <strong>des</strong> « savoirs, savoir-faire et savoir-être » (Tanguy, 1998) qui sont, eux,<br />

incorporés dans le salarié. On assiste donc depuis une dizaine d’années à une individualisation<br />

de la gestion <strong>des</strong> carrière par rapport à la période antérieure qui avait été au contraire marquée<br />

par le poids <strong>des</strong> règles collectives (ancienneté et diplôme) dans les carrières.<br />

Le fonctionnement d’un tel modèle repose sur un appareillage complexe d’évaluation<br />

<strong>des</strong> compétences individuelles, qui se met progressivement en place dans certaines<br />

entreprises. De nouveaux outils de gestion <strong>des</strong> ressources humaines individualisés, comme le<br />

bilan de compétence, la GPEC (gestion prévisionnelle <strong>des</strong> emplois et <strong>des</strong> compétences) ou<br />

l’entretien périodique d’évaluation font en apparence la part belle aux psychologues, qui ont<br />

acquis au cours de leur formation universitaire <strong>des</strong> compétences en matière d’évaluation <strong>des</strong><br />

individus. Les psychologues semblent toutefois avoir du mal à trouver leur place dans ces<br />

nouveaux dispositifs. On a vu en effet dans le chapitre précédent que la majorité <strong>des</strong> diplômés<br />

de DESS de psychologie du travail employés dans le privé ne se définissaient pas comme<br />

« psychologues » et mobilisaient peu les savoirs psychologiques dans leur travail. Comment<br />

comprendre alors que cette profession ne soit pas parvenue à investir davantage les marchés<br />

internes <strong>des</strong> entreprises, à un moment où précisément la demande d’évaluation individuelle<br />

n’avait jamais été aussi forte ?<br />

Une premier élément de réponse réside dans l’image négative dont a longtemps<br />

souffert la psychotechnique dans les gran<strong>des</strong> entreprises. L’image du psychologue était avant<br />

tout celle d’un psychotechnicien-évaluateur, qui décide du <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> salariés selon <strong>des</strong><br />

critères jugés arbitraires et de toute façon peu accessibles au profane. Une telle situation a<br />

longtemps prévalu à la Poste, où le service psychotechnique, qui avait un quasi-monopole <strong>des</strong><br />

décisions de promotions internes (sauf pour les cadres), a finalement été supprimé au début<br />

<strong>des</strong> années 1990 face à la vague de modernisation qui a accompagné le passage au statut<br />

privé. Le service souffrait alors d’une image très négative auprès <strong>des</strong> syndicats et de la plupart<br />

<strong>des</strong> salariés, comme l’expliquent ces deux psychologues de la Poste :<br />

477


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R1 : Avant 1990 le service de psycho avait un pouvoir de décision dans les<br />

promotions internes. C’était même pas la hiérarchie qui décidait. Seulement le<br />

service psycho ! En fonction <strong>des</strong> tests : « toi tu passes, toi tu passes pas »…. Donc à<br />

un moment donné, il y en a qui étaient frustrés et les syndicats ont commencé à<br />

râler, ce qui fait qu’ils ont décidé d’arrêter ce système de promotion<br />

R2 : Oui… Le reproche, c’est que ça faisait l’effet de boîte noire en fait : le candidat<br />

rentre passe dans un processus, et il en ressort bien ou pas bien… Avec une croix ou<br />

pas … Sans qu’il y ait forcément toujours de cohérence dans les dispositifs utilisés<br />

par rapport à la fonction recherchée… Enfin, du moins, c’était <strong>des</strong> outils standards…<br />

Q : Ca ne s’appuyait pas sur <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de poste précises ?<br />

R2 : Non non… C’était une batterie de tests : « je la réussis tant mieux, je la réussi<br />

pas tant pis ».<br />

R1 : …. J’ai l’impression que c’est une période un peu taboue à la Poste et les gens<br />

sont pas très loquaces par rapport à cette période là… Et à la limite c’est ce qui a fait<br />

le malheur <strong>des</strong> psychos à la Poste. Le fait d’avoir non pas ce rôle de conseil, mais de<br />

décideur, a été rejeté en bloc à un moment donné, et puis on a tout rejeté au passage,<br />

quoi…<br />

R2 : … Oui, parce qu’il y a encore <strong>des</strong> postiers qui sont là et qui ont connu cette<br />

époque d’avoir été promus, ou non promus par le service psycho, qui ne veulent pas<br />

entendre le nom de psychos. Donc nous on est tous de formation psycho, mais on est<br />

<strong>ingénieurs</strong> de sélection, consultants en recrutement. La terminologie de psychologue<br />

a disparu. (Psychologues, homme et femme, centre de sélection et d’orientation<br />

de la Poste).<br />

On voit par là tout le paradoxe de la psychotechnique. Le psychologue, armé de ses<br />

instruments d’objectivation, est censé garantir la justice de la procédure d’évaluation en<br />

l’arrachant au pouvoir local et à l’arbitraire <strong>des</strong> contremaîtres ou <strong>des</strong> petits chefs. Mais bien<br />

que ses procédures soient perçues comme « justes », il n’en porte pas moins tout le poids<br />

moral et la responsabilité de la sélection. Ce paradoxe illustre deux choses : d’une part l’acte<br />

d’évaluation, aussi rigoureux soit-il du point de vue scientifique, reste profondément ancré<br />

dans un rapport social et ne peut se tenir dans une sphère qui serait en dehors <strong>des</strong> jeux de<br />

pouvoirs et de relation internes à l’entreprise. On l’a vu notamment dans les efforts menés par<br />

les syndicats pour se réapproprier l’outil psychotechnique (chapitre III). D’autre part, les<br />

métho<strong>des</strong> d’évaluation changent au fil du temps, mais il y a toujours un acteur qui doit<br />

prendre sur lui le poids moral de l’évaluation et de la « pesée » sociale <strong>des</strong> individus, même si<br />

cela a été désigné sous <strong>des</strong> termes différents (aptitude, compétence…). Cela tient peut-être,<br />

comme l’ont souligné Eymard-Duvernay et Marchal (2000) au fait que toute procédure<br />

d’évaluation est perçue comme injuste dès lors qu’elle ne prend pas appui sur un cadre<br />

collectif. Ce sont finalement les syndicats qui ont eu raison de la psychotechnique à la Poste,<br />

conduisant à une restructuration du service qui est aujourd’hui davantage un service<br />

d’"orientation" et d’accompagnement que de sélection. Les missions <strong>des</strong> psychologues<br />

s’orientent désormais dans deux directions : le conseil en gestion de carrière à la demande de<br />

certains cadres de haut niveau (bilan professionnel) ; et une mission d’"expertise" interne que<br />

peuvent solliciter (à la demande) les responsables hiérarchiques <strong>des</strong> centres de tri ou <strong>des</strong><br />

478


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bureaux de poste pour le recrutement <strong>des</strong> salariés de leurs services. Les psychologues restent<br />

toutefois relativement à l’écart <strong>des</strong> nouveaux dispositifs de gestion par les compétences et<br />

n’interviennent pas dans les promotions.<br />

L’autre raison <strong>des</strong> difficultés <strong>des</strong> psychologues à se positionner dans le domaine du<br />

conseil en orientation en entreprise vient de la concurrence qu’ils subissent de la part de<br />

conseillers qui n’ont pas de formation en psychologie, mais qui sont parvenus à ce poste par<br />

voie de promotion interne. Dans son article sur l’émergence de la fonction de conseiller<br />

d’orientation en entreprise, Michel Parlier (1996) distingue ainsi deux « modèles » de<br />

développement de cette nouvelle profession. Dans le premier modèle – qu’il qualifie de<br />

« maturité professionnelle » – « les conseillers en orientation sont <strong>des</strong> salariés en cours de<br />

carrière [qui] ont exercé <strong>des</strong> activités correspondant aux métiers principaux de l’entreprise, à<br />

la production ou au contact de la clientèle et <strong>des</strong> usagers. Ils disposent, grâce à cette<br />

connaissance approfondie de l’entreprise, de son histoire, de sa culture, de son organisation,<br />

<strong>des</strong> conditions d’accès et d’exercice de ses métiers, <strong>des</strong> filières possibles de mobilité ».<br />

L’autre profil est celui d’experts en évaluation individuelle, ayant à la fois occupé <strong>des</strong><br />

fonctions dans ce domaine (recrutement, formation, gestion prévisionnelle de l’emploi) et<br />

suivi une formation en psychologie ou en ressources humaines (modèle de « proximité de<br />

compétences »). Cette seconde filière d’accession au métier présente toutefois le défaut de<br />

méconnaître la réalité <strong>des</strong> emplois et surtout <strong>des</strong> règles de promotion de l’entreprise<br />

(officielles ou tacites), les conseillers risquant ainsi de prodiguer <strong>des</strong> conseils peu utiles aux<br />

salariés. On voit qu’on retrouve ici encore la même tension que dans le champ de l’insertion<br />

entre deux voies de professionnalisation possible du métier : l’une centrée sur les<br />

caractéristiques économiques et les "besoins" de l’entreprise (modèle de la maturité<br />

professionnelle) ; l’autre davantage centrée sur les individus et l’écoute de leurs deman<strong>des</strong><br />

(« modèle de proximité de compétences »).<br />

On voit donc que paradoxalement l’individualisation <strong>des</strong> procédures d’évaluation<br />

dans les entreprises semble <strong>des</strong>servir les psychologues, qui restent associés au modèle de<br />

"contrôle" <strong>des</strong> salariés qui prévalait dans la gestion par les qualifications. Les nouveaux<br />

dispositifs de gestion par les compétences inscrivent au contraire les dispositifs d’évaluation<br />

<strong>des</strong> salariés au croisement de deux impératifs : d’une part une connaissance réelle du<br />

« terrain » et du contexte économique de l’entreprise, qui permet d’évaluer les personnes en<br />

situation et d’autre part une expertise dans le domaine de l’évaluation individuelle, de<br />

motivations, d’intérêts etc. qui relève de l’expertise du psychologue. Ceci éclaire les<br />

transformations actuelles <strong>des</strong> anciens services psychotechniques de la plupart <strong>des</strong> gran<strong>des</strong><br />

479


entreprises publiques, qui tendent de moins en moins à être le monopole exclusif <strong>des</strong><br />

psychologues et s’ouvrent plus largement à <strong>des</strong> professionnels issus d’autres formations<br />

(gestion, sociologie…) ou issus du terrain 41 .<br />

b) La gestion du stress au travail : une nouvelle juridiction pour les<br />

psychologues<br />

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La gestion du stress au travail et de la « mauvaise fatigue » s’est imposée comme un<br />

thème majeur dans un certain nombre de professions au cours <strong>des</strong> dix dernières années,<br />

notamment dans <strong>des</strong> métiers de service ou de contact direct avec le public : infirmières,<br />

policiers, enseignants, vendeurs, chauffeurs de bus… Ces préoccupations nouvelles ont mis<br />

au premier plan l’expertise <strong>des</strong> psychiatres et <strong>des</strong> psychologues qui s’intéressaient déjà à ces<br />

questions depuis les années 1950 (Billiard, 2001), offrant à ces professions <strong>des</strong> débouchés<br />

dans un domaine qui avait jusqu’alors donné lieu à peu d’applications pratiques. Pourtant,<br />

comme le montre de façon très convaincante Marc Loriol (2000), l’action <strong>des</strong> professionnels<br />

de la gestion du stress ne suffit pas à expliquer à elle seule la genèse de cette préoccupation<br />

dans les différentes professions. Pour comprendre comment se constitue et se développe un<br />

discours sur la fatigue au travail dans milieu donné, il faut connaître l’ensemble de son<br />

contexte social et rechercher l’intérêt que peuvent y trouver les différents acteurs impliqués<br />

(employeurs, salariés, syndicats, pouvoirs publics). Ainsi, la « fatigue » <strong>des</strong> infirmières n’est<br />

pas la même que celle <strong>des</strong> chauffeurs routiers ou <strong>des</strong> conducteurs de bus. Dans le cas <strong>des</strong><br />

infirmières, la montée d’un discours sur le stress au travail tient à ce que Loriol qualifie de<br />

"collusion tacite" entre les cadres infirmiers, les infirmières du terrain et les pouvoirs publics.<br />

Les cadres infirmiers, tout d’abord, y voient une voie de professionnalisation possible de la<br />

fonction infirmière dans l’univers hospitalier. La maîtrise <strong>des</strong> émotions est en effet à leurs<br />

yeux le garant d’une véritable professionnalité infirmière, qui consisterait tout à la fois à<br />

apporter un soutien psychologique aux mala<strong>des</strong> (terrain délaissé par les médecins) et à savoir<br />

garder ses distances vis-à-vis d’eux, en évitant que ce soutien ne se dégrade en relation<br />

fusionnelle. La maîtrise <strong>des</strong> émotions, qui s’acquiert par l’apprentissage de techniques<br />

psychologiques dans les écoles infirmières et en cours de carrière permet de construire une<br />

professionnalité dans cette voie étroite. Les infirmières de "première ligne" adhèrent elles<br />

aussi volontiers à ce nouveau discours qui valorise leur fonction, reconnaît une partie<br />

41 L’appellation de psychologue est en recul dans toutes les entreprises publiques et tend à être remplacée par<br />

d’autres termes : « Chargé de sélection » (RATP), « Psychologue consultant en recrutement » (SNCF),<br />

« Ingénieur de sélection » (La Poste), ouvrant en théorie la possibilité à <strong>des</strong> non-psychologues d’accéder à ces<br />

services.<br />

480


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

jusqu’alors cachée de leur travail et prétend y apporter <strong>des</strong> solutions. L’administration<br />

hospitalière, enfin, adhère elle aussi d’autant plus volontiers à ce schéma de prise en charge<br />

du stress infirmier qu’il permet de faire l’économie d’une réforme de fond de l’organisation<br />

<strong>des</strong> services hospitaliers et surtout qu’il évite de soulever la délicate question <strong>des</strong> effectifs.<br />

Cette collusion tacite entre acteurs fait que tout point de vue déviant sur les causes et les<br />

remè<strong>des</strong> du stress au travail – émanant notamment <strong>des</strong> médecins du travail ou de certains<br />

acteurs syndicaux – sont systématiquement écartés.<br />

Comme on l’avait déjà vu à propos de l’insertion, les psychologues occupent une<br />

position particulièrement ambiguë dans ce dispositif de prise en charge psychique du stress au<br />

travail. En effet, si leur action ne suffit pas à elle seule à comprendre pourquoi le stress<br />

s’impose à un moment donné comme une préoccupation majeure dans certaines professions,<br />

ils contribuent indéniablement à circonscrire le problème dans certaines limites, en traduisant<br />

dans un langage psychologique <strong>des</strong> dysfonctionnements qui prennent souvent leur source<br />

dans le fonctionnement social et organisationnel <strong>des</strong> milieux étudiés. La solution proposée par<br />

l’entreprise consiste avant tout à « accompagner » les individus dans leur souffrance, à leur<br />

permettre de l’exprimer, alors que c’est le plus souvent le fonctionnement organisationnel et<br />

social – et non une défaillance individuelle – qui produit ces souffrances.<br />

Le cas de la RATP illustre particulièrement bien ce point. Face à un problème social<br />

fortement médiatisé – la montée <strong>des</strong> incivilités et <strong>des</strong> agressions contre les chauffeurs de bus 42<br />

– l’entreprise a créé en 1999 une structure de prise en charge psychologique <strong>des</strong> conducteurs<br />

agressés, l’IAPR (Institut d’Accompagnement Post-traumatique, de Prévention et de<br />

Recherche), qui emploie une dizaine de psychologues cliniciens. Ces psychologues proposent<br />

aux salariés une écoute psychologique en cas d’agressions, de traumatismes (suici<strong>des</strong> sur les<br />

lignes de métro), de harcèlement au travail ou même de difficultés extra-professionnelles :<br />

anxiété, conflits conjugaux, phobies etc. (ce dernier volet représente 35% de l’ensemble de<br />

l’activité de l’IAPR). Au-delà de cette activité thérapeutique les psychologues de l’IAPR<br />

tentent de promouvoir une nouvelle « morale du travail » chez les conducteurs de bus, en<br />

proposant <strong>des</strong> formations anti-stress, ou en prodiguant <strong>des</strong> conseils sur la conduite de la vie<br />

extra-professionnelle (sommeil équilibré, pratique sportive pour évacuer son stress etc.). Les<br />

solutions envisagées par la RATP pour répondre au problème du stress au travail sont donc<br />

fortement individualisées. Comme le souligne Isabelle Mahiou, « ces démarches mettent à<br />

42 Nous ne trancherons pas ici la question de savoir si cette montée traduit une croissance réelle <strong>des</strong> incivilités (le<br />

« chiffre noir de la délinquance ») ou s’il s’agit d’une moins grande acceptation collective de ces faits par les<br />

chauffeurs de bus et le public.<br />

481


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l’écart ce qui dans l’organisation du travail favorise le déclenchement <strong>des</strong> situations de stress<br />

et de violence, au risque que l’entreprise s’exonère d’une réflexion sur ce thème » 43 . Les<br />

syndicats se montrent eux aussi méfiants vis-à-vis de ce mode de prise en charge<br />

psychologique <strong>des</strong> dysfonctionnements organisationnels : comme le remarque un responsable<br />

CGT « en proposant aux gens d’apprendre à gérer leur stress, en fait pour les aider à supporter<br />

leurs conditions de travail, on les culpabilise, car on fait retomber sur eux leur incapacité à<br />

faire face. Et on focalise sur l’extérieur en leur conseillant par exemple de faire du sport »<br />

(Fabien Gache, délégué central adjoint CGT de Renault) 44 .<br />

La question de l’indépendance <strong>des</strong> psychologues vis-à-vis <strong>des</strong> pressions de<br />

l’organisation se pose de façon particulièrement aiguë. Sont-ils au service de l’"humain" et de<br />

la santé au travail, ou au service de l’entreprise ? Sous couvert de préoccupations humanistes<br />

– et certainement en toute bonne foi – les psychologues participent, à deux niveaux, au<br />

maintien <strong>des</strong> formes organisationnelles existantes. En premier lieu, comme nous venons de le<br />

souligner, ils se montrent peu enclins à interroger les conditions de travail ou le<br />

fonctionnement de l’organisation dans son ensemble, alors que <strong>des</strong> travaux d’économistes ou<br />

de sociologues (Baudelot et Gollac, 2003) constatent preque unanimement que les nouvelles<br />

formes d’organisation et de mobilisation au travail sont productrices de fatigue et de stress. Le<br />

registre dans lequel s’inscrit aujourd’hui la question de la fatigue au travail semble écarter<br />

systématiquement ces points de vue, et apparaît nettement en retrait par rapport au courant<br />

d’analyse <strong>des</strong> conditions de travail <strong>des</strong> années 1970, qui, à travers la création <strong>des</strong> CHSCT,<br />

s’efforçait au contraire d’inscrire l’amélioration de ces dernières dans un registre collectif de<br />

négociation entre patronat et syndicats. En mettant exclusivement l’accent sur les<br />

déterminants individuels et psychiques du stress au travail, les psychologues contribuent à une<br />

sorte d’"anesthésie sociale" peu propice à la remise en cause <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de fonctionnement<br />

existants.<br />

L’allégeance <strong>des</strong> psychologues aux objectifs de l’entreprise transparaît de manière<br />

plus insidieuse, dans la contribution qu’ils apportent à la diffusion d’une nouvelle "éthique"<br />

du travail. Ceci apparaît par exemple dans le cas de l’IAPR, où les psychologues diffusent un<br />

discours modernisateur sur les conducteurs de bus, liant l’épanouissement au travail au<br />

développement de nouvelles compétences 45 : le conducteur doit avoir un sens psychologique<br />

43 Mahiou (Isabelle), Santé et travail, juillet 2003, numéro spécial « Quand le travail perd la tête »<br />

44 Santé au travail, juillet 2003, op. cit.<br />

45 La question de la valorisation sociale de ces nouvelles compétences n’est pas posée puisque précisément c’est<br />

avant tout pour son propre bien-être psychique (et non pour la qualité du service rendu au client) que le<br />

conducteur est amené à les développer.<br />

482


et relationnel plus aigu, et se montrer capable de dénouer les conflits potentiels avec les<br />

clients. Le chauffeur victime de stress au travail ou d’interactions violentes avec les usagers<br />

est d’abord celui qui n’a pas su « tenir » son bus ou qui ne manifeste pas de bonnes<br />

« compétences relationnelles », signe que la défaillance se situe davantage du côté du salarié<br />

que d’un phénomène social (la montée <strong>des</strong> incivilités) ou organisationnel (le manque<br />

d’effectifs, la durée <strong>des</strong> tournées). Pour éviter que cette nouvelle morale du travail ne se mette<br />

uniquement au service <strong>des</strong> objectifs de l’entreprise, les syndicats réclament une plus grande<br />

autonomie de la structure, qui devrait selon eux être totalement indépendante vis-à-vis de la<br />

RATP. C’est à ce prix que l’IAPR pourrait vraiment se préoccuper de la santé <strong>des</strong> travailleurs,<br />

sans arrière-pensées productivistes.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les trois exemples qui viennent d’être développés (politiques d’insertion, évaluation<br />

<strong>des</strong> compétences et gestion du stress) montrent la difficulté pour les psychologues de trouver<br />

la "juste place" dans l’organisation. La voie semble particulièrement étroite entre les objectifs<br />

productivistes promus par les entreprises, ou la volonté <strong>des</strong> pouvoirs publics d’accroître<br />

l’"employabilité" <strong>des</strong> demandeurs d’emploi, et le souci de contribuer à l’"épanouissement<br />

personnel" <strong>des</strong> travailleurs. Si ces deux finalités semblent, dans le discours managérial, se<br />

combiner de façon harmonieuse, la réalité quotidienne <strong>des</strong> psychologues révèle au contraire<br />

toute la distance qui les sépare. A bien <strong>des</strong> égards, les psychologues sont donc dans une<br />

situation de double bind difficilement tenable. Nous allons voir dans la section suivante<br />

comment il se « débrouillent » de ces situations dans leurs situations de travail quotidiennes et<br />

quelles attitu<strong>des</strong> ils adoptent vis-à-vis de leurs "clients" pour gérer ce dilemme.<br />

483


B. MALAISE DANS LA PROFESSION : LA GESTION DE L’IDENTITE PROFESSIONNELLE<br />

DES PSYCHOLOGUES DU TRAVAIL<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout attaché à décrire d’une part les<br />

segmentations internes à la profession de psychologue du travail (chapitre V) et d’autre part le<br />

sens que pouvait prendre la psychologisation croissante <strong>des</strong> questions de travail et d’emploi<br />

dans la société (supra). La section précédente nous invite à revenir sur les pratiques <strong>des</strong><br />

psychologues du travail et à nous interroger sur la manière dont ils gèrent le dilemme qui est<br />

au cœur de leur travail entre une logique d’aide à autrui et une logique d’étiquetage et de<br />

catégorisation <strong>des</strong> personnes. Comment les psychologues vivent-ils au quotidien cette<br />

contradiction ? Comment peuvent-ils occuper ces deux rôles, simultanément ou<br />

successivement, et quelles stratégies d’accommodement mettent-ils en place pour résoudre<br />

cette contradiction dans le face à face avec le client ? La modélisation de la situation de travail<br />

<strong>des</strong> psychologues nous permettra de mieux comprendre ces difficultés et ses répercussions sur<br />

la construction de la juridiction de la profession. Dans un premier temps, nous tentons de<br />

modéliser la situation d’évaluation, en la situant notamment par rapport aux autres champs<br />

d’application de la discipline (psychologie clinique et psychothérapie). Nous nous appuyons<br />

pour cela sur la distinction faite par Hughes entre « travail pour autrui » et « travail sur<br />

autrui », qui offre un cadre théorique pertinent pour aborder ces questions. Dans un second<br />

temps, nous montrons la tension croissante entre ces deux dimensions, due à l’emprise <strong>des</strong><br />

organisations sur les pratiques professionnelles <strong>des</strong> psychologues, notamment dans le champ<br />

de l’aide à l’orientation professionnelles. Les transformations récentes du service public de<br />

l’emploi placent en effet les psychologues dans une situation de plus en plus difficile à tenir<br />

dans la mesure où, comme beaucoup de professions de service aux personnes (enseignants,<br />

médecins, travailleurs sociaux…), ils sont enjoints de produire <strong>des</strong> résultats tangibles et de<br />

rendre <strong>des</strong> comptes à travers <strong>des</strong> résultats comptables. Nous nous appuierons notamment ici<br />

sur l’examen <strong>des</strong> transformations en cours à l’AFPA depuis une dizaine d’années, qui sont<br />

selon nous symptomatiques d’évolutions plus générales du champ de l’orientation<br />

professionnelle. Cette enquête nous conduira finalement à nous interroger sur les éventuels<br />

contrepoids que la profession peut mettre en place pour contrer l’emprise <strong>des</strong> organisations et<br />

maintenir son indépendance dans les situations d’orientation. De ce point de vue, sa faible<br />

484


structuration et les limites de son code de déontologie 46 constituent <strong>des</strong> obstacles certains à la<br />

conquête de son autonomie vis-à-vis <strong>des</strong> employeurs.<br />

1. Le rapport d’évaluation en psychologie du travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Comment modéliser la situation d’évaluation en psychologie du travail et quelle est<br />

la nature de ce rapport social particulier ? Comme le rappelle Antoine Lyon-Caen (2000), la<br />

comparaison avec la médecine peut s’avérer utile mais présente certaines limites. Le médecin<br />

est bien, comme le psychologue, autorisé à mener <strong>des</strong> investigations approfondies sur les<br />

personnes et peut même porter atteinte à l’inviolabilité de leur corps, lorsque cela se justifie<br />

par une nécessité thérapeutique. Toutefois, cela se fait d’une part avec le consentement <strong>des</strong><br />

intéressés et, d’autre part, il existe un statut juridique du corps qui circonscrit le champ<br />

d’intervention du médecin. Rien de tel n’existe dans le travail du psychologue, où l’objet<br />

d’intervention est le « psychisme » de la personne. Faute de définition claire d’une telle entité,<br />

les pratiques de la psychologie restent foncièrement ambiguës : quelles limites peut-on fixer à<br />

de telles investigations, dans quelles situations est-il légitime de les pratiquer, avec quels<br />

outils ? Jusqu’à quel point peut-on travailler avec (ou sur) le psychisme <strong>des</strong> personnes ? Dans<br />

son analyse juridique de « la profession de psychologue », Antoine Lyon-Caen (op. cit.)<br />

distingue deux grands champs d’application de la psychologie : la psychologie « à finalité<br />

thérapeutique », qui se rapproche de la médecine dans la mesure où elle a elle aussi pour<br />

objectif de « soigner » <strong>des</strong> personnes, et la psychologie qui s’occupe « d’examiner, d’évaluer<br />

les aptitu<strong>des</strong> et comportements d’hommes en bonne santé ». Le contrat moral qui lie le<br />

psychologue à son consultant semble pour lui moins ambigu dans le cas de la psychologie à<br />

finalité thérapeutique, car le demandeur et le prescripteur sont le plus souvent confondus. On<br />

est dans un colloque singulier entre deux personnes, le psychologue étant au service de celui<br />

ou de celle qui vient lui confier ses problèmes et difficultés. Cette pratique se rapproche donc<br />

de l’activité de conseil « libérale » pratiquée par les médecins, les avocats, les notaires etc.,<br />

dont l’objet est également d’apporter un conseil individuel dans le cadre d’une demande<br />

explicitement formulée par l’intéressé.<br />

Dans le cas de la psychologie du travail, de la psychologie scolaire, ou plus<br />

largement <strong>des</strong> pratiques d’orientation, le contrat est plus complexe dans la mesure où trois<br />

entités au moins sont en jeu : le psychologue, la personne évaluée et le demandeur de l’acte<br />

46 A la différence du code de déontologie <strong>des</strong> médecins ou <strong>des</strong> avocats, sanctionné par l’Ordre, le « Code de<br />

déontologie <strong>des</strong> psychologues », adopté en 1996 par un ensemble d’associations professionnelles, n’a aucune<br />

valeur juridique contraignante. Il s’agit, au mieux, d’une norme privée qui relève de la conscience individuelle<br />

485


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

d’évaluation. Comme le remarque Lyon-Caen, « le psychologue exerce son activité d’une<br />

part, sur la personne de quelqu’un, qui ne lui a pas demandé de s’intéresser à lui qui lui est<br />

adressé par un tiers (un service, une entreprise) ; d’autre part pour le compte d’une personne<br />

(un cabinet et, directement ou indirectement, une entreprise, donc, un employeur), à laquelle il<br />

sera fait rapport sur les dispositions mentales de l’intéressé » 47 . Cette situation pose un<br />

problème juridique complexe : « une personne (A) peut-elle payer une autre personne (B)<br />

pour qu’elle démonte dans tous ses rouages le psychisme d’un tiers (C) ? ». Il n’y a<br />

certainement pas de réponse univoque à cette question sur un strict plan juridique, faute d’une<br />

définition précise du psychisme, mais aussi parce que cette question demeure en suspens pour<br />

bien d’autres professions : psychiatres, détectives privé, journalistes, médecins du travail,<br />

médecins <strong>des</strong> compagnies d’assurance etc. Dans tous ces cas de figure, un tiers vient<br />

également s’interposer entre le professionnel et celui ou celle qui est l’objet de l’acte<br />

professionnel. On le voit notamment dans le traitement social de l’inaptitude au travail, où les<br />

médecins du travail ont parfois du mal à faire valoir leur indépendance face aux pressions<br />

multiples qu’exercent sur eux les employeurs 48 . Il est alors parfois difficile de savoir si le<br />

médecin est avant tout au service de son « client » (logique d’aide) ou s’il est au service de<br />

son employeur (logique d’étiquetage), l’intérêt de l’un et de l’autre pouvant fréquemment<br />

diverger.<br />

La réponse au problème provient peut-être alors davantage de la sociologie que du<br />

droit. On s’aperçoit en effet que dans le cas <strong>des</strong> services aux personnes (juridiques, médicaux,<br />

éducatifs, sociaux…), la garantie d’indépendance <strong>des</strong> professionnels vient <strong>des</strong> contrepoids<br />

collectifs que la profession peut mettre en place pour protéger le client de tout risque<br />

d’intrusion excessive dans sa sphère privée. La déontologie médicale (sanctionnée par la loi)<br />

interdit ainsi au médecin du travail de divulguer à l’employeur toute information sur le salarié<br />

qui ne serait pas en rapport direct avec la nature de l’emploi occupé. De même, la plupart <strong>des</strong><br />

professions évoquées ci-<strong>des</strong>sus ont <strong>des</strong> co<strong>des</strong> de déontologie, qui fixent <strong>des</strong> limites au<br />

comportement du professionnel et lui imposent une certaine « modération » dans son<br />

comportement (Karpik, 1995). Conformément à un schéma fonctionnaliste, la profession est<br />

la gardienne de valeurs qui ne se laissent pas dissoudre dans le jeu du marché ou de la<br />

bureaucratie ; elle résiste à ces deux logiques, en raison d’une force sociale garantie par le<br />

de chacun.<br />

47 LYON-CAEN (2000, p. 98)<br />

48 Voir sur ce point LE BIANIC (2003).<br />

486


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

collectif de ses membres 49 . La question est alors de savoir si les psychologues présentent les<br />

garanties suffisantes pour opposer <strong>des</strong> contrepoids à ces différentes forces. Cette question ne<br />

se limite d’ailleurs nullement à la deuxième catégorie de psychologues identifiée par Lyon-<br />

Caen (ceux qui « examinent et évaluent les aptitu<strong>des</strong> et comportements d’hommes en bonne<br />

santé »), mais touche l’ensemble de la profession, y compris ceux dont les actes ont une<br />

finalité thérapeutique. Elle a donc une portée plus générale pour la profession.<br />

En effet, si l’on suit l’analyse développée par Hughes, tout travail pour autrui est<br />

aussi le plus souvent un travail sur autrui. Le travail pour autrui suppose que le professionnel<br />

est avant tout au service du demandeur, qu’il se met à sa disposition dans son intérêt propre ;<br />

le travail sur autrui suppose à l’inverse que l’action du professionnel <strong>des</strong>sert en partie la<br />

personne à qui est rendu le service. La tentation est en effet très grande pour le professionnel<br />

d’abuser de sa position pour nuire à la personne ou l’instrumentaliser d’une manière ou d’une<br />

autre :<br />

« Partout où un minimum de pouvoir de coercition, exercé par le verbe ou par la<br />

force, s’avère nécessaire à la réalisation d’une tâche, peut exister la tentation d’en<br />

abuser et même d’y prendre plaisir, que ce soit chez les instituteurs, les garçons de<br />

salle <strong>des</strong> hôpitaux psychiatriques, ou chez les gardiens de prison. Partout où <strong>des</strong><br />

personnes vont ou sont envoyées pour recevoir une aide ou subir une intervention<br />

existe le danger d’une altération majeure <strong>des</strong> finalités et <strong>des</strong> relations dans le cadre<br />

d’une fonction officiellement définie : il en va ainsi dans la salle de classe, la<br />

clinique, la salle d’opération, le confessionnal et la morgue » 50<br />

Ces difficultés se retrouvent à <strong>des</strong> degrés divers dans le travail quotidien <strong>des</strong><br />

psychologues. Si elle est manifeste dans le cas <strong>des</strong> psychologues du travail et <strong>des</strong><br />

psychologues scolaires, elle est moins visible, mais non moins réelle, dans l’activité <strong>des</strong><br />

psychologues cliniciens 51 . L’idéal du psychologue clinicien est de se placer dans une pure<br />

relation d’intersubjectivité avec la personne, à l’écart de tout rapport de pouvoir. Comme le<br />

souligne Anne Golse (2004, p. 30) : « La pratique d’entretien du psychologue s’enracine<br />

avant tout dans la relation qui s’instaure entre lui et la personne qui vient consulter. De ce fait,<br />

49 Comme l’a bien souligné KARPIK (1995) à propos <strong>des</strong> avocats, il paraît excessivement réducteur de ne voir<br />

dans ces contrepoids que <strong>des</strong> stratégies collectives de monopole économique. Un tel point de vue reflète un<br />

économisme qui élimine d’emblée toute dimension éthique du travail et plus généralement tout rapport aux<br />

valeurs. Sur ce point, voir également FREIDSON (2001), qui présente le modèle du professionnalisme comme doté<br />

d’une certaine autonomie face aux logiques du « marché » et de la « bureaucratie ».<br />

50 HUGHES, 1996 [1956], p. 62.<br />

51 Il n’est pas rare que les psychologues cliniciens reprochent aux psychologues du travail de se « salir les<br />

mains » en prenant <strong>des</strong> décisions à la place <strong>des</strong> personnes au lieu de les laisser libres de leurs choix. Voir cette<br />

remarque faite par une psychologue du travail en entretien : « Contrairement aux cliniciens, nous ça nous semble<br />

naturel de recevoir <strong>des</strong> gens et d’analyser un projet assez rapidement, et de prendre une décision… Parce que<br />

c’est pas fréquent qu’un psycho prenne une décision ! Un psychologue du travail ne prend pas forcément une<br />

décision s’il n’est pas à l’AFPA… Encore moins un clinicien. L’autre jour il y avait une stagiaire clinicienne qui<br />

me disait « mais ça vous pose pas de problème de prendre une décision ? ». Nous c’est naturel, on le fait tous les<br />

487


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

l’action du psychologue se fonde non sur une prescription médicale, mais sur une rencontre<br />

intersubjective avec le patient, à la demande de celui-ci, en quête d’une écoute attentive qui<br />

lui permette une élaboration personnelle, un travail sur soi (…) les psychologues insistent sur<br />

la dimension a-hiérarchique de leur position. N’étant ni médecin ni personnel paramédical, le<br />

psychologue se situe en quelque sorte dans une extra-territorialité par rapport à la médecine.<br />

Son pouvoir est en quelque sorte de ne rien pouvoir ». Cette volonté de se situer « en dehors »<br />

de l’institution relève toutefois plus du fantasme que de la réalité, comme on a pu le voir à<br />

travers l’exemple de la gestion du stress ou <strong>des</strong> politiques d’insertion. Même lorsque l’objectif<br />

est d’apporter une aide ou une écoute, l’action du psychologue peut conduire à une forme<br />

d’aliénation, en interdisant au « client » de traduire ses problèmes dans un registre autre que<br />

strictement individuel. Il en va de même <strong>des</strong> psychologues cliniciens qui travaillent en milieu<br />

hospitalier. Leur prétention à l’"extra-territorialité" est le plus souvent contredite par la<br />

nécessité de porter un diagnostic sur la personne à <strong>des</strong>tination du personnel médical<br />

(notamment les psychiatres), entrant ainsi dans une logique d’objectivation et d’expertise qui<br />

s’accommode mal de la neutralité recherchée. Cette tendance pourrait d’ailleurs être amenée à<br />

s’affirmer dans un futur proche, compte tenu de la nouvelle division du travail qui s’instaure<br />

entre psychiatres et psychologues dans le monde hospitalier. Le rôle <strong>des</strong> psychologues avait<br />

traditionnellement consisté à apporter un soutien et une écoute aux mala<strong>des</strong> qui le<br />

souhaitaient, en complément (et parallèlement) à l’action du psychiatre. Cette position de<br />

neutralité et de relative liberté au sein de l’institution hospitalière est aujourd’hui remise en<br />

cause par une logique de rationalisation <strong>des</strong> systèmes de soin, qui impose un partage plus clair<br />

<strong>des</strong> missions entre psychologues et psychiatres. Désormais ces derniers, davantage formés<br />

aux neurosciences qu’à la psychologie clinique ou à la psychanalyse, tendent de plus en plus à<br />

se centrer sur les aspects somatiques, ainsi que sur <strong>des</strong> fonctions générales d’encadrement,<br />

alors que le volet psychothérapeutique est laissé aux psychologues. Ceux-ci se situent donc de<br />

plus en plus en « première ligne » (avec les infirmiers psychiatriques) pour orienter vers les<br />

psychiatres les cas les plus difficiles (Golse, 2004). Cette transformation de la mission <strong>des</strong><br />

psychologues conduit à la fois à une revalorisation de leur position dans la division du travail<br />

médical et à une perte de leur neutralité au sein de l’hôpital. Ils se dirigent vers un modèle<br />

proche de celui qui prévaut aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, caractérisé par une<br />

expertise plus grande dans la catégorisation <strong>des</strong> personnes, mais aussi par une plus grande<br />

dépendance vis-à-vis <strong>des</strong> institutions qui les emploient.<br />

jours » (entretien n°29, femme, psychologue à l’AFPA).<br />

488


Bien que plus anciennes, ces tensions prennent une forme particulièrement accusée<br />

dans le secteur du service public de l’emploi, où la tension entre logique de profession et<br />

logique d’organisation place les psychologues dans une position difficilement tenable à terme,<br />

comme nous allons à présent le voir à partir de l’exemple <strong>des</strong> services de psychologie de<br />

l’AFPA.<br />

2. La tension entre logique de profession et logique d’organisation :<br />

l’exemple <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les changements récents qui ont touché les services de psychologie de l’AFPA<br />

illustrent particulièrement bien les tensions entre la logique d’aide aux personnes (travail<br />

"pour autrui") et la logique de catégorisation administrative (travail "sur autrui") dans<br />

l’activité quotidienne. Les psychologues de cette institution connaissent en effet depuis une<br />

dizaine d’année une profonde redéfinition de leurs missions, qui conduit à une moindre<br />

autonomie et une emprise de plus en plus grande de l’organisation sur le travail quotidien.<br />

Comme on l’a vu plus haut (chapitre IV) leur activité s’est organisée à partir <strong>des</strong> années 1970-<br />

1980 autour d’une approche clinique du sujet, en lien avec la montée du chômage et<br />

l’apparition d’un nouveau public en grande difficulté professionnelle et sociale, très éloigné<br />

de la clientèle traditionnelle de l’AFPA (davantage composée d’ouvriers de l’industrie en<br />

quête de mobilité sociale). Le modèle qui a prévalu dans les années 1980 accordait une<br />

relative liberté aux psychologues dans l’écoute <strong>des</strong> personnes et ne leur imposait aucun<br />

« résultat » quantifiable en termes d’insertion <strong>des</strong> publics. Ils concevaient leur travail comme<br />

un travail psychothérapeutique centré sur l’écoute et l’entretien, <strong>des</strong>tiné à aider les personnes<br />

rencontrées à mieux éclairer les raisons de leurs choix. La liberté <strong>des</strong> individus était mise au<br />

premier plan. Elle se traduisait concrètement par une attitude empathique du psychologue et<br />

par le souci de ne pas influencer la décision finale. La direction <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA<br />

exprimait en ces termes le contenu de leurs missions au début <strong>des</strong> années 1990 :<br />

« La fonction <strong>des</strong> psychologues vise à faciliter chez les individus l’identification et<br />

la prise de conscience de leur situation, de leurs besoins, de leurs capacités, d’en<br />

faciliter la confrontation avec les caractéristiques, les exigences, les réalités du<br />

travail, de la formation, afin que puissent être faits <strong>des</strong> choix et <strong>des</strong> décisions sur le<br />

champ professionnel ». 52<br />

Une nouvelle période s’ouvre au milieu <strong>des</strong> années 1990, en raison <strong>des</strong> nouveaux<br />

impératifs gestionnaires et comptables fixés par le ministère du Travail dans le domaine de la<br />

politique de l’emploi. La signature, en 1999, d’un « Contrat de progrès » entre l’Etat, l’ANPE<br />

489


et l’AFPA marque le point de départ de ces évolutions. Ce contrat affirme la pleine<br />

participation de l’AFPA au Service Public de l’Emploi (SPE) et l'invite à collaborer plus<br />

étroitement avec l’ANPE dans l’aiguillage <strong>des</strong> demandeurs d’emploi (voir encadré 4 infra). Il<br />

s’agit de trouver une solution pour chaque demandeur d’emploi, soit par une insertion directe<br />

sur le marché du travail (mission de l’ANPE), soit par une formation professionnelle<br />

permettant un retour rapide vers l’emploi (mission de l’AFPA). Les flux de personnes qui<br />

transitent par les services de psychologie de l’AFPA sont désormais comptabilisés et donnent<br />

lieu à une valorisation financière sur la base de laquelle l’AFPA (qui est une association, et<br />

non une administration) est ensuite financée par le ministère du travail.<br />

Encadré 4 – Le service "S2" à l'AFPA<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Comme de nombreux professionnels <strong>des</strong> services publics (enseignants, travailleurs sociaux, professionnels de<br />

santé…), les psychologues de l'AFPA expérimentent depuis le milieu <strong>des</strong> années 1990 le passage d'une<br />

"professionnalité artisanale" à une "professionnalité managérialisée" (Demailly, 1998). Ce passage se traduit<br />

notamment par l'injonction croissante faite aux psychologues de s'inscrire dans <strong>des</strong> réseaux et <strong>des</strong> partenariats<br />

locaux et par le développement de procédures d'évaluation appuyées sur <strong>des</strong> outils statistiques et informatiques.<br />

Ce nouveau cours managérial s'est concrétisé dans les services de psychologie de l'AFPA par la mise en place du<br />

service "S2" en 1999 ("service d'appui à la construction d'un parcours de formation").<br />

Ce service a pour but de renforcer la complémentarité entre l'AFPA et l'ANPE dans l'"appui au projet<br />

professionnel" qui est proposé aux demandeurs d'emploi. Dans ce nouveau cadre, la mission <strong>des</strong> psychologues<br />

de l'AFPA est d'aider la personne à construire un parcours de formation adapté au projet professionnel<br />

préalablement défini avec le conseiller de l'ANPE. Sur un plan technique, le service S2 se décompose en trois<br />

phases : 1) un premier entretien de prise de contact, afin de confirmer le besoin de formation du demandeur<br />

(environ 30 min) 2) une phase de tests psychotechniques, visant à évaluer la capacité du demandeur à suivre une<br />

formation à l'AFPA ou en dehors de l'AFPA (durée <strong>des</strong> tests variable selon les formations envisagées) 3) un<br />

entretien de construction du parcours de formation, devant déboucher sur une "solution" pour le demandeur :<br />

inscription en stage, redéfinition du projet professionnel à l'ANPE, recherche d'emploi directe (durée : 1h30 à<br />

2h). Chacune <strong>des</strong> prestations effectuées par le psychologue doit être saisie sur un logiciel informatique afin d'être<br />

financée par le ministère du travail.<br />

On perçoit aisément que dans ce nouveau dispositif, le psychologue ne doit plus<br />

simplement se « mettre à l’écoute » de la personne pour l’aider à élaborer son projet personnel<br />

grâce à un travail de type psychothérapeutique, mais doit l’amener vers <strong>des</strong> solutions<br />

« réalistes », permettant un retour rapide vers l’emploi. Il rentre dès lors dans une logique de<br />

contrôle et de catégorisation administrative qui lui était jusqu’alors étrangère. Certains<br />

psychologues évoquent avec nostalgie un « âge d’or » où ils pouvaient respecter la liberté <strong>des</strong><br />

52 « Fonctions <strong>des</strong> psychologues du travail de l’AFPA », Direction de l’Orientation, AFPA, p. 2, Avril 1992.<br />

490


personnes alors qu’aujourd’hui, ils subissent de plus en plus la pression institutionnelle et ne<br />

peuvent assurer leur mission d’orientation en pleine indépendance :<br />

« Alors la liberté, l’auto-détermination <strong>des</strong> personnes, enfin toutes ces gran<strong>des</strong> idées<br />

qu’on avait dans les années 1980 sont en train de passer à la trappe. On avait<br />

beaucoup réfléchi sur l’orientation de la personne, le libre choix, enfin… Comment<br />

peut-on s’orienter sans libre choix ? etc… Ce sont <strong>des</strong> questions importantes.<br />

Aujourd’hui c’est différent : il y a une commande de l’ANPE, on n’étudie pas<br />

forcément le besoin <strong>des</strong> gens et on les envoie vers <strong>des</strong> soi-disant "cible-emploi"… Et<br />

nous on les voit… Il y a <strong>des</strong> gens qui arrivent et qui nous disent « moi je ne sais pas<br />

ce que je fais là. Je n’ai rien demandé à personne… ». Je veux dire que<br />

l’économique ne justifie pas forcément tout. Mais ce qui est terrible si vous voulez<br />

c’est qu’on veut faire croire que c’est pas pour <strong>des</strong> raisons économiques. On veut<br />

faire croire que c’est au nom de la technique et de l’élaboration… Vous voyez…<br />

Alors on veut caser les personnes, notamment les psychos en termes de « services »,<br />

dans une espèce de grande comptabilité analytique comme si on pouvait compter les<br />

personnes comme on compte <strong>des</strong> chaussures ou <strong>des</strong> morceaux de pain… C’est pas<br />

pareil quoi ! » (entretien n°17, femme, psychologue à l’AFPA).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

La mise en place du PARE et du PAP place les psychologues dans une situation<br />

particulièrement difficile dans la mesure où leur décision peut avoir <strong>des</strong> effets directement<br />

nuisibles pour les personnes rencontrées, comme le souligne cette psychologue de l’AFPA :<br />

« Le problème c’est qu’à chaque fois on renvoie la personne a sa responsabilité,<br />

alors qu’en fait on la manipule…. L’escroquerie la plus totale étant celle du PARE.<br />

C’est-à-dire que vous êtes totalement libre de ne pas signer le PARE, qui est un<br />

contrat dans lequel vous vous engagez librement, mais le seul point de détail, c’est<br />

que si vous signez pas le PARE, vous touchez pas les ASSEDIC, et que les gens que<br />

je reçois… Je leur demande : « Alors, vous avez signé le PARE »… Et eux il me<br />

répondent « Ah bon, je ne savais pas». Donc l’idéologie qu’il y a derrière tout ça<br />

c’est qu’on est en présence de deux personnes libres, consentantes, qui sont sur un<br />

même niveau etc. Puisque la preuve, d’ailleurs, c’est qu’on a contractualisé. Donc<br />

on est tout à fait dans l’idéologie libérale, on est dans un contrat de gré à gré, il faut<br />

pas d’organisation etc… Et je pense qu’actuellement on est vraiment là-dedans, et<br />

que par rapport aux personnes qu’on reçoit, on est constamment dans un double<br />

langage. Cad qu’on est dans un langage d’autonomie, de solutions etc., alors que très<br />

régulièrement on est confrontés à <strong>des</strong> problèmes de financement qui sont énormes,<br />

mais qui ne sont jamais abordés en tant que tels… » (entretien n°32, femme,<br />

psychologue à l’AFPA)<br />

Cet extrait d’entretien montre bien le « double bind » dans lequel se trouvent pris en<br />

permanence les psychologues de l’AFPA, appelés d’un côté à répondre aux deman<strong>des</strong> de<br />

résultats de l’organisation en termes de résultats de placement <strong>des</strong> personnes, ce qui suppose<br />

d’envisager <strong>des</strong> solutions réalistes, permettant une insertion rapide (et donc <strong>des</strong> formations de<br />

courte durée), et appelés d’un autre côté à favoriser l’épanouissement de la personne, à lui<br />

faire prendre conscience de ses envies, de ses aspirations profon<strong>des</strong>, et à l’aider à envisager<br />

<strong>des</strong> choix qui peuvent lui sembler au départ irréalistes.<br />

La question centrale est finalement celle de la rupture ou de la continuité <strong>des</strong><br />

trajectoires professionnelles que favorisent ou non les psychologues. Ils peuvent conduire les<br />

individus soit à envisager une rupture radicale vis-à-vis de leur parcours antérieur (une<br />

491


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

mobilité géographique ou professionnelle, une promotion, une formation…) soit à se rabattre<br />

vers la solution qui est socialement la plus probable, c’est-à-dire qui s’inscrit dans la<br />

continuité de la trajectoire antérieure. La culture professionnelle du psychologue le pousse à<br />

valoriser la liberté et l’autonomie <strong>des</strong> personnes dans leurs choix, c’est-à-dire à envisager la<br />

rupture par rapport à la trajectoire antérieure. Mais les contraintes institutionnelles de plus en<br />

plus fortes qui pèsent sur leurs pratiques les pousse souvent à abdiquer cette prétention pour<br />

rabattre les personnes vers <strong>des</strong> solutions plus réalistes et immédiatement accessibles. On a en<br />

fait ici deux modèles professionnels différents entre lesquels se partagent les pratiques : le<br />

modèle de « l’expert en évaluation », qui objective les compétences de ses clients et tente de<br />

les faire correspondre avec <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> institutionnelles (émanant <strong>des</strong> entreprises ou du<br />

service public de l’emploi) mais qui est de ce fait peu respectueux du « libre choix » <strong>des</strong><br />

clients, et le modèle de l’ « accompagnateur » qui fait au contraire émerger de nouvelles<br />

compétences chez son client, l’amenant à envisager <strong>des</strong> solutions qui ne lui paraissaient pas<br />

accessibles au départ.<br />

Cette opposition entre une logique d’objectivation et une logique d’aide aux<br />

personnes clive fortement la profession. La grande majorité <strong>des</strong> psychologues rencontrés se<br />

montre hostile aux évolutions en cours et défend sa liberté de « faire de la clinique » et de<br />

traiter <strong>des</strong> cas individuels, alors qu’une minorité, essentiellement composée de jeunes<br />

psychologues, manifeste une loyauté vis-à-vis <strong>des</strong> objectifs de l’institution et accepte la<br />

nouvelle mission d’expertise qui leur est confiée. Il y a certainement là un effet de génération,<br />

dans la mesure où les psychologues recrutés dans les années 1970 ou 1980 sont plus souvent<br />

cliniciens de formation et ont connu l’époque où les psychologues de l’AFPA bénéficiaient<br />

d’une grande liberté et pouvaient avoir <strong>des</strong> pratiques professionnelles quasi-libérales dans un<br />

cadre public. Les psychologues recrutés plus récemment (depuis le début <strong>des</strong> années 1990)<br />

sont en revanche davantage formés à la psychologie du travail et moins sensibilisés à la<br />

clinique. Surtout, leur trajectoire professionnelle antérieure les a en général conduits à<br />

occuper <strong>des</strong> emplois non statutaires dans le secteur de l’insertion, dans <strong>des</strong> associations<br />

intermédiaires ou autres. L’entrée à l’AFPA constitue pour eux une évolution de carrière<br />

valorisante et ils sont davantage prêts à accepter les compromis avec leur identité de<br />

psychologue. Il y a certainement là aussi un enjeu générationnel dans la mesure où les<br />

« anciens » reprochent aux jeunes de ne pas avoir la même culture qu’eux et d’accepter les<br />

compromis avec l’institution :<br />

« Moi je pense que les vieux psychos de l’AFPA sont plus en souffrance que les<br />

jeunes. Moi à mon avis, maintenant, ce ne sont plus <strong>des</strong> psychos qu’on recrute. Ils<br />

492


ont encore le titre mais… Et notamment quand on sait ce que ça veut dire que d’être<br />

psycho à l’AFPA ! Maintenant les jeunes qui rentrent n’ont pas de formation interne.<br />

Ils arrivent ici, on est soumis à la production et personne ne peut s’occuper<br />

d’eux… » (entretien n°22, femme, psychologue à l’AFPA).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

L’exemple de l’AFPA montre que le tiraillement entre la « logique de la<br />

profession », qui pousse à valoriser la fonction clinique et l’aide aux personnes, et la « logique<br />

de l’organisation », qui suppose au contraire de faire entrer les personnes dans <strong>des</strong> catégories<br />

pré-construites et à les ajuster aux deman<strong>des</strong> du marché du travail rend difficile la conquête<br />

d’une indépendance professionnelle et d’une véritable autonomie technique. Les<br />

psychologues de l’AFPA, comme leurs collègues <strong>des</strong> CIO (centre d’information et<br />

d’orientation) ou <strong>des</strong> centres de bilan ont du mal à faire valoir leur autonomie et leur culture<br />

professionnelle face à <strong>des</strong> organisations qui exigent d’eux <strong>des</strong> résultats quantifiables et une<br />

expertise clairement identifiée. On peut se demander, face à une telle situation, quels sont les<br />

moyens d’action dont dispose la profession pour faire valoir son point de vue. Ces<br />

contrepoids peuvent-ils venir de la profession de psychologue dans son ensemble ? Existe-t-il<br />

un soutien mutuel suffisant entre ses membres pour construire un rempart face aux pressions<br />

institutionnelles venues de l’extérieur ?<br />

3. La faiblesse <strong>des</strong> contrepoids professionnels<br />

L’univers <strong>des</strong> professionnels de l’orientation est un profondément divisé, segmenté,<br />

et comprend une multitude de statuts et de situations professionnelles différentes. Qu’y a-t-il<br />

de commun entre un cadre de ressources humaines, un consultant en recrutement, un<br />

conseiller en formation et un psychologue de l’AFPA ? En dépit d’une pratique<br />

professionnelle commune, centrée autour de l’évaluation <strong>des</strong> personnes, aucun mouvement<br />

fédérateur ne semble susceptible de réunir ces professionnels autour d’une cause commune.<br />

Selon leur lieu d’exercice, certains sont davantage au service de l’entreprise ou de<br />

l’organisation qui les emploie : c’est le cas <strong>des</strong> cadres de ressources humaines ou de<br />

communication, qui cherchent le développement de l’entreprise avant celui <strong>des</strong> individus ;<br />

d’autres affirment être au service <strong>des</strong> personnes, du développement individuel, notamment<br />

lorsque leur activité consiste à donner un conseil de carrière (conseillers en bilan, conseillers<br />

en formation…) ; d’autres enfin vivent une tension permanente entre l’objectif d’aide aux<br />

personnes et les objectifs de l’entreprise ou de l’organisation qui les rémunère : c’est le cas<br />

notamment <strong>des</strong> consultants en recrutement, soucieux tout à la fois de valoriser au mieux les<br />

compétences <strong>des</strong> personnes et de satisfaire le client qui fait appel à eux, c’est le cas aussi <strong>des</strong><br />

psychologues chargés de l’évaluation annuelle <strong>des</strong> salariés dans les entreprises, qui vivent une<br />

493


situation particulièrement difficile car ils jouent le rôle de tampon entre les aspirations <strong>des</strong><br />

individus et les deman<strong>des</strong> institutionnelles qui leur sont adressées.<br />

Cette situation de « balkanisation » professionnelle pose problème dans la mesure où,<br />

comme on l’a vu, la situation d’évaluation peut porter préjudice à la personne évaluée,<br />

notamment lorsque l’on cherche à obtenir sur elle <strong>des</strong> renseignements qui peuvent être lourds<br />

de conséquence pour son avenir professionnel. On peut alors se demander d’où vient la<br />

garantie pour le demandeur que le psychologue se comportera d’une manière "éthiquement<br />

correcte" ? On peut ici s’appuyer sur le modèle fonctionnaliste pour examiner, tour à tour, les<br />

éléments qui permettraient une pleine indépendance du professionnel vis-à-vis du prescripteur<br />

et du client : une formation spécialisée de haut niveau, une déontologie et l’existence d’un<br />

collectif professionnel supposé garantir le comportement de chacun <strong>des</strong> membres.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

a) La formation spécialisée<br />

Il est courant, en sociologie <strong>des</strong> professions, de mettre l’accent sur la formation<br />

spécialisée, qui permet de développer chez les individus un sens <strong>des</strong> responsabilités et une<br />

culture professionnelle qui les met à l’abri <strong>des</strong> pressions <strong>des</strong> pressions marchan<strong>des</strong> ou<br />

bureaucratiques.<br />

La « formation spécialisée de haut niveau en psychologie » est l’un <strong>des</strong> éléments<br />

mentionnés dans la loi de 1985 pour pouvoir porter le titre de psychologue. Toutefois, cette<br />

disposition ne concerne pas l’ensemble <strong>des</strong> professionnels de l’orientation, mais seulement<br />

ceux qui occupent un emploi de psychologue ès qualités. Les autres acteurs de l’orientation<br />

sont issus de formations diverses et n’ont pas nécessairement acquis une formation spécialisée<br />

de haut niveau dans quelque discipline que ce soit 53 . Alors que les professionnels de<br />

l’orientation avaient sécrété un système de référence propre autour de la psychotechnique<br />

dans la période 1900-1970, la période actuelle semble marquée par un éclatement <strong>des</strong><br />

références théoriques et un certain syncrétisme. Les emprunts aux diverses sciences humaines<br />

et sociales sont particulièrement nombreux : psychologie, sociologie, psychanalyse, gestion,<br />

économie… Ceci est plus particulièrement vrai <strong>des</strong> conseillers en bilan ou <strong>des</strong> cadres de<br />

ressources humaines <strong>des</strong> entreprises qui ont accédé à ces fonctions par voie de promotion<br />

interne ou par « capillarité » (proximité de fonctions). Dans ce cas, la garantie d’un<br />

comportement « éthiquement correct » de la part de l’orienteur ne peut pas provenir de<br />

53 Ce milieu étant très peu structuré, il est difficile d’obtenir <strong>des</strong> informations précises sur les formations<br />

d’origine <strong>des</strong> professionnels de l’orientation. Voir toutefois le tableau III-4 (annexe 3) réalisé à partir d’une<br />

analyse <strong>des</strong> libellés d’emploi en clair.<br />

494


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

l’adhésion à un système de pensée ou à une discipline scientifique précise mais repose<br />

entièrement sur le jugement ou l’expérience personnelle.<br />

En outre, il existe dans le monde de l’orientation <strong>des</strong> professionnels qui se réclament<br />

d’une expertise autre que la psychologie (graphologie, gestion <strong>des</strong> ressources humaines,<br />

psychanalyse lacanienne…) et qui concurrencent le discours <strong>des</strong> psychologues. Parfois, ces<br />

techniques ne visent pas en premier lieu, à la différence de la psychologie, à l’épanouissement<br />

<strong>des</strong> individus mais davantage à assurer le développement <strong>des</strong> organisations pour lesquelles<br />

travaille l’orienteur. La tension entre la logique d’objectivation <strong>des</strong> compétences et la logique<br />

d’aide aux personnes penche alors clairement du côté de la première (on songe ici notamment<br />

aux outils de gestion par les compétences apparus au cours <strong>des</strong> dernières années).<br />

Au total, il apparaît donc que la formation spécialisée ne constitue pas aujourd’hui<br />

une garantie suffisante permettant aux professionnels de l’orientation de résister aux pressions<br />

extérieures, en partie parce que tous les professionnels ne sont pas psychologues, et en partie<br />

parce que les psychologues eux-mêmes manifestent une proximité ou une distance plus ou<br />

moins grande vis-à-vis de leur formation d’origine selon le champ où ils exercent, comme on<br />

a pu le voir dans le chapitre précédent (voir graphique 13, analyse factorielle de<br />

correspondances).<br />

b) La déontologie<br />

Le respect d’une déontologie constitue un deuxième rempart permettant à une<br />

profession de résister aux pressions externes. Comme le souligne la SFP, « la psychologie et<br />

ses applications peuvent être l’objet d’exigences paradoxales fortes, entre la demande de<br />

résolution magique <strong>des</strong> problèmes personnels et la volonté de maîtrise technologique <strong>des</strong><br />

êtres humains. Dans ce contexte, les psychologues ont non seulement à mettre en évidence les<br />

règles qui guident leur action professionnelle et à clarifier les valeurs qui s’en dégagent, mais<br />

aussi à définir leurs limites face aux deman<strong>des</strong> sociales – qu’elles viennent <strong>des</strong> personnes ou<br />

<strong>des</strong> institutions – et à affirmer leurs engagements éthiques » 54 . En la matière, la référence est<br />

ici le « code de déontologie <strong>des</strong> psychologues », dont une première version fut adoptée par les<br />

associations professionnelles en 1961 (sous l’égide de la SFP), puis une seconde en 1996 sous<br />

l’égide de la fédération <strong>des</strong> organisations de psychologues (l’ANOP).<br />

Le texte abonde en propositions généreuses : il rappelle que le psychologue<br />

« n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé <strong>des</strong> personnes concernées » (…) qu’il<br />

« respecte la vie privée <strong>des</strong> personnes en garantissant le respect du secret professionnel, y<br />

495


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

compris entre collègues. Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi<br />

que ce soit sur lui-même ». Malgré ces louables intentions, le code souffre pourtant de<br />

plusieurs limites, et ne semble pas susceptible d’animer véritablement les pratiques <strong>des</strong><br />

professionnels de l’orientation.<br />

D’une part, les principes qu’il énonce sont certainement trop généraux pour pouvoir<br />

être appliqués de manière indifférenciée dans l’ensemble <strong>des</strong> champs de la psychologie.<br />

Comment un psychologue du travail pourrait-il par exemple ne pas diffuser à l’employeur <strong>des</strong><br />

informations sur une personne rencontrée en entretien, ou les résultats d’un test de<br />

personnalité ? Comment fixer <strong>des</strong> limites aux informations personnelles qui sont demandées à<br />

l’intéressé ? Il pourrait, certes, se borner aux seules informations présentant une pertinence<br />

par rapport à l’emploi visé par la personne, mais dans la réalité ce n’est généralement pas ce<br />

principe qui est retenu au cours <strong>des</strong> entretiens : les psychologues utilisent <strong>des</strong> tests de<br />

personnalité et s’attachent à reconstituer l’ensemble de l’environnement personnel et social de<br />

la personne. Dans le champ de l’insertion, les aménagements avec la déontologie sont<br />

également fréquents et les psychologues reconnaissent le plus souvent qu’ils ne pourraient pas<br />

mener à bien leur travail s’ils étaient contraints de respecter le code de déontologie à la lettre.<br />

Leur travail est en effet avant tout un travail de médiation et de dialogue : médiation avec les<br />

demandeurs d’emplois, avec les autres travailleurs sociaux, avec les employeurs etc. Leur<br />

tâche consiste précisément à recueillir et diffuser <strong>des</strong> informations contextualisées sur les<br />

personnes, ce qui suppose de transmettre aux partenaires les informations recueillies. Cette<br />

psychologue de l’AFPA évoque par exemple les entorses fréquentes qu’elle fait à la<br />

déontologie lorsqu’elle est confrontée à <strong>des</strong> cas difficiles :<br />

« La déontologie c’est important, mais c’est évident que quand on inscrit quelqu’un<br />

quelque part, on s’engage vis-à-vis de cette personne mais aussi vis à vis de<br />

l’institution… Donc on ne peut pas faire n’importe quoi… Je suis peut-être<br />

complètement en dehors <strong>des</strong> clous, mais si on inscrit quelqu’un en formation alors<br />

qu’on sait qu’elle a <strong>des</strong> problèmes d’alcool ou <strong>des</strong> problèmes de drogue, on va en<br />

parler au formateur. On va pas en parler tout de suite, dès le premier jour de stage,<br />

mais on va en parler par oral. Et c’est pareil pour <strong>des</strong> demandeurs d’emploi. Moi<br />

récemment, j’ai eu une femme alcoolique, qu’on envoyait pour un stage dans un<br />

bar… Bon… j’ai renvoyé la fiche de liaison en disant que non, elle ne relevait pas<br />

d’une formation, mais d’un appui social. Par contre, j’ai appelé la conseillère ANPE<br />

pour lui dire qu’il aurait fallu traiter ce problème d’alcool. » (entretien n°29,<br />

femme, psychologue à l’AFPA).<br />

Comme on le voit, le respect de la déontologie est à géométrie variable. Il relève<br />

davantage de la conscience individuelle que d’une norme imposée d’en haut par le collectif de<br />

la profession. Ceci est d’ailleurs à relier à l’autre limite du code de déontologie : son absence<br />

54 Bulletin de psychologie, tome 53 (1), 2000, numéro spécial sur la déontologie.<br />

496


de valeur juridique. Les trois associations signataires 55 n’ont en effet pas les moyens d’exclure<br />

ni même de sanctionner les membres qui auraient de « mauvaises pratiques ». L’unique<br />

disposition prise par la profession a consisté à mettre sur pied en 1996 la CNDCP<br />

(Commission nationale du code de déontologie <strong>des</strong> psychologues), qui examine les cas<br />

litigieux et émet <strong>des</strong> avis sur ceux-ci. Mais ces avis sont eux aussi dépourvus de valeur<br />

juridique, la loi de 1985 ne prévoyant aucune disposition relative aux sanctions<br />

professionnelles.<br />

c) La faiblesse de la cohésion professionnelle et ses conséquences sur<br />

l’autonomie<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

S’il est un constat qui s’impose à l’issue de notre enquête statistique, c’est celui de la<br />

faible cohésion du groupe professionnel <strong>des</strong> psychologues du travail. En dépit d’une certaine<br />

unité <strong>des</strong> pratiques, centrée autour de l’entretien et <strong>des</strong> tests, on relève une grande diversité de<br />

statuts d’exercice et une faible mobilisation commune. Ce défaut de cohésion empêche que ne<br />

se développe une philosophie commune en matière d’évaluation <strong>des</strong> personnes, et entraîne de<br />

fortes variations dans le rapport au « client » selon que l’on exerce dans le public ou le privé,<br />

avec <strong>des</strong> salariés ou <strong>des</strong> demandeurs d’emploi, sur <strong>des</strong> marchés internes ou externes etc. Pour<br />

reprendre les termes de Hughes, la profession se montre incapable de construire elle-même<br />

son propre « mandat » 56 , car celui-ci est étroitement dépendant du degré de cohésion<br />

professionnelle. Selon Hughes, « les caractéristiques et prétentions collectives de chaque<br />

profession requièrent une étroite solidarité entre les membres, qui doivent former dans un<br />

certaine mesure un groupe à part avec une éthique particulière » 57 . L’une <strong>des</strong> principales<br />

conséquences de cette solidarité réside dans la constitution d’un mandat propre à la<br />

profession : « Chaque profession se considère comme l’instance la mieux placée pour fixer<br />

les termes selon lesquels il convient de penser un aspect particulier de la société, de la vie ou<br />

de la nature, et pour définir les gran<strong>des</strong> lignes, voire les détails, <strong>des</strong> politiques publiques qui<br />

s’y rapportent » 58 . Rien de tel ne se produit dans le cas <strong>des</strong> psychologues du travail, ni plus<br />

largement dans le champ de l’orientation professionnelle. Les professionnels de l’orientation<br />

sont restés quasiment muets au cours <strong>des</strong> dernières années face aux multiples innovations qui<br />

ont vu le jour dans leur champ d’exercice : bilan de compétences (1991), loi Lyon-Caen sur<br />

55 Les trois principales associations signataire sont l’ANOP, la SFP (Société française de psychologie) et l’AEPU<br />

(Association <strong>des</strong> enseignants en psychologie <strong>des</strong> universités).<br />

56 Le terme anglais de mandate peut être traduit en français par « mandat » ou « mission ».<br />

57 HUGHES (1996 [1963]), p. 110<br />

58 Ibid., p. 109<br />

497


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les pratiques de recrutement (1992), loi sur la validation <strong>des</strong> acquis de l’expérience (2001).<br />

Hormis quelques revues 59 plus proches du monde académique que de celui <strong>des</strong> praticiens, ces<br />

différentes mesures ont trouvé peu d’échos. Il y a là une différence très nette entre les métiers<br />

de l’orientation et <strong>des</strong> professions plus homogènes comme les travailleurs sociaux, les<br />

médecins ou les enseignants qui font entendre leur voix dans la construction <strong>des</strong> politiques<br />

publiques se rapportant à leur activité. Cette absence d’un discours professionnel propre laisse<br />

la place aux injonctions extérieures, imposées par les pouvoirs publics ou par les lubies <strong>des</strong><br />

gestionnaires, contribuant à faire <strong>des</strong> psychologues <strong>des</strong> instruments ou <strong>des</strong> rouages davantage<br />

que de véritables acteurs <strong>des</strong> politiques de l’orientation. L’autonomie professionnelle ne peut<br />

pas non plus provenir de la cohésion professionnelle <strong>des</strong> psychologues dans leur ensemble<br />

compte tenu <strong>des</strong> oppositions entre ses différents segments (voir chapitre IV supra) et parce<br />

que ceux-ci s’intéresse peu aux problèmes <strong>des</strong> psychologues du travail, qui ne représente<br />

qu’entre 15 et 20% de l’ensemble de la profession 60 .<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE VI<br />

Compte tenu <strong>des</strong> différentes faiblesses manifestées par la profession en termes de<br />

références théoriques, de déontologie ou de cohésion interne, il y a tout lieu de s’interroger<br />

sur l’indépendance qu’elle proclame dans les rapports à sa clientèle. La faiblesse de son<br />

mandat laisse plutôt penser qu’elle n’est pas en mesure aujourd’hui de développer et<br />

d’imposer son propre point de vue sur les questions d’orientation professionnelle et qu’elle est<br />

étroitement dépendante <strong>des</strong> cadres institutionnels dans lesquels elle s’exerce. Cette situation<br />

éclaire les deux attitu<strong>des</strong> opposées fréquemment relevées chez les psychologues du travail,<br />

selon le contexte où se déroule leur activité professionnelle. Pour une première catégorie,<br />

principalement située dans le champ de l’insertion ou de l’aide aux publics en difficulté, la<br />

tentation est parfois grande de s’enfermer dans une pure intersubjectivité avec le client, au<br />

détriment de solutions opératoires. L’écoute <strong>des</strong> difficultés et <strong>des</strong> aspirations du demandeur<br />

est alors la solution qui permet provisoirement d’échapper à la demande paradoxale qui leur<br />

est adressée. Une deuxième catégorie tombe dans l’excès inverse et privilégie les objectifs<br />

institutionnels, au détriment de l’écoute <strong>des</strong> personnes. La compétence du psychologue se<br />

convertit alors en un pur outil de catégorisation, comme dans le cas <strong>des</strong> professionnels du<br />

59 Ces revues sont principalement : Education permanente, Actualité de la formation permanente, l’Orientation<br />

scolaire et professionnelle<br />

60 Comme on l’a vu dans le questionnaire, seulement 28% <strong>des</strong> personnes interrogées déclarent adhérer à une<br />

association professionnelle de psychologue<br />

498


ecrutement ou <strong>des</strong> ressources humaines. On retrouve une variante de cette attitude chez<br />

certains psychologues de l’AFPA ou <strong>des</strong> associations d’insertion qui, face à l’impossibilité de<br />

faire se rencontrer le « travail pour » et le « travail sur » la personne tombent dans une forme<br />

de dérive gestionnaire qui consiste à se concentrer sur les objectifs chiffrés et mesurables de<br />

leur travail en termes d’insertion <strong>des</strong> publics rencontrés, de retour à l’emploi, d’accès en<br />

formation etc. Mais on est alors bien loin de la psychologie et <strong>des</strong> exigences déontologiques<br />

qu’elle affiche, et le travail du psychologue penche alors clairement davantage du côté de<br />

l’institution que de l’individu.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

499


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CONCLUSION GENERALE<br />

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501


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La recherche socio-historique sur la profession de psychologue du travail visait au<br />

départ à comprendre comment la psychologie était "advenue" au marché du travail, c’est-àdire<br />

comment cette discipline avait élaboré un ensemble d’instruments, de dispositifs,<br />

d’équipements, permettant de penser en <strong>des</strong> termes nouveaux un problème ancien : celui du<br />

recrutement et plus largement de l’orientation professionnelle. Celle-ci a longtemps été laissée<br />

au jeu du hasard, de la « vocation », du déterminisme familial ou du pouvoir discrétionnaire<br />

<strong>des</strong> contremaîtres dans les entreprises, et les premières tentatives de transposition <strong>des</strong><br />

catégories psychologiques dans le champ du travail ont parfois été jugées déplacées, voire<br />

choquantes, par les acteurs sociaux eux-mêmes. En ce sens, la psychologie du travail forme<br />

bien une véritable « profession », au sens wébérien du terme, puisqu’elle mobilise une<br />

expertise spécialisée en vue de résoudre de manière rationnelle les problèmes soulevés par la<br />

complexification croissante d’un champ de la vie sociale. La question est toutefois posée de<br />

savoir qui, de ce nouveau discours ou <strong>des</strong> mutations sociales, vient en premier lieu car si la<br />

psychologie du travail a certainement contribué à déplacer les manières de penser le problème<br />

de l’adaptation de l’homme au travail, elle peut elle-même être lue comme le produit <strong>des</strong><br />

transformations sociales plus larges de la société et <strong>des</strong> organisations industrielles. Comme le<br />

souligne Maurice Reuchlin (1971, p. 28), « la psychologie appliquée tout entière a été<br />

orientée, en partie, dans son développement, par certains facteurs sociaux ». La science et le<br />

problème social qu’elle entend résoudre doivent donc être compris dans un processus de<br />

déterminations réciproques.<br />

Comme nous avons cherché à le montrer (chapitre I), les deux principaux schémas<br />

d’analyse proposés par la sociologie <strong>des</strong> professions – le fonctionnalisme et le modèle de la<br />

« clôture » néo-wébérienne – se révèlent inadéquats pour comprendre la complexité de ce<br />

processus. Dans la sociologie fonctionnaliste, il y a coïncidence stricte entre évolutions<br />

cognitives et évolutions sociales. Les transformations du champ scientifique sont<br />

« fonctionnelles » par rapport à celles de la société. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, la<br />

naissance de la psychotechnique aurait été suscitée par l’approfondissement de la division du<br />

503


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travail et la nécessité d’orienter chaque individu vers un métier différent de celui que lui<br />

désignaient « naturellement » ses origines familiales 1 . Les transformations ultérieures de la<br />

psychotechnique que nous avons décrites serait dues elles aussi à la transformation <strong>des</strong><br />

emplois productifs, qui ne feraient plus tant appel à <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> physiologiques ou<br />

psychologiques (entre-deux guerres) qu’à <strong>des</strong> compétences sociales (années 1950-1960) ou<br />

cliniques (à partir <strong>des</strong> années 1970). Ce récit va toutefois à l’encontre de la réalité empirique<br />

puisque contrairement à la thèse fonctionnaliste d’une coïncidence entre rationalisation et<br />

professionnalisation, on observe davantage, tout au long de la période qui nous intéresse, une<br />

« déprofessionnalisation » de la psychologie du travail et <strong>des</strong> luttes entre diverses professions<br />

(graphologues, médecins, gestionnaires <strong>des</strong> ressources humaines…) pour le contrôle du<br />

territoire de l’orientation professionnelle. En outre, comme on l’a vu, l’approfondissement <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> proposées par la discipline ne va pas dans le sens d’une rationalisation croissante<br />

mais plutôt d’un abandon d’un schéma scientifique au profit de la mise en avant <strong>des</strong><br />

compétences « cliniques » <strong>des</strong> praticiens.<br />

Les sociologies du « monopole » (Larkin, 1976 ; Larson, 1977) se révèlent tout aussi<br />

inadéquates pour décrire la dynamique de la psychologie du travail. D’une part, comme dans<br />

le cas <strong>des</strong> avocats étudié par Karpik (1995), on ne constate chez les psychologues du travail<br />

aucune tendance vers la monopolisation ni la fermeture de marché, sauf au cours d’une<br />

période assez brève, celle de « l’âge d’or » de la psychotechnique dans les années 1950, qui se<br />

solde d’ailleurs par un échec (chapitre IV).<br />

L’inadéquation de ces grilles d’analyse pour écrire l’histoire de cette profession tient<br />

en grande part au rôle joué par l’Etat, plus particulièrement les politiques publiques<br />

d’orientation professionnelle, dans sa structuration. A la différence de ce qui s’est produit aux<br />

Etats-Unis, elle ne s’est pas développée sur un marché « ouvert » de services psychologiques<br />

en direction <strong>des</strong> entreprises ou <strong>des</strong> travailleurs, mais au sein même de l’Etat. Cette spécificité,<br />

que la France partage avec l’Allemagne 2 , apparaît d’abord à travers le paradigme<br />

psychophysiologique autour duquel s’est nouée la discipline au début du siècle, qui se<br />

présente davantage comme un amibitieux projet de règlement de la « question sociale » que<br />

comme un ensemble de recettes <strong>des</strong>tinées à améliorer la productivité <strong>des</strong> entreprises. Au cours<br />

<strong>des</strong> Trente glorieuses, ce projet trouve son prolongement dans les politiques d’orientation et<br />

1 Ce besoin d’orientation trouve lui-même son origine dans <strong>des</strong> facteurs économiques (la mobilité sociale<br />

structurelle entraînée par les transformations du tissu économique) et <strong>des</strong> facteurs politiques (idéal de juste<br />

répartition <strong>des</strong> individus dans la structure sociale).<br />

2 Voir RABINBACH 1992 [1990]<br />

504


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de formation qui se mettent en place, sous-tendues par une logique adéquationniste. C’est<br />

donc là encore l’Etat, non le marché qui est au principe d’organisation de la profession.<br />

Aujourd’hui, sa dynamique tient aux reconfigurations <strong>des</strong> politiques de l’emploi et à<br />

l’émergence du champ de l’insertion professionnelle qui constitue le premier débouché <strong>des</strong><br />

générations de diplômés les plus récentes. On voit donc que sans être directement situés dans<br />

le giron de la Fonction publique, les psychologues du travail ont partie liée avec les politiques<br />

publiques d’orientation professionnelle bien plus qu’avec le monde de l’entreprise.<br />

Notre travail a permis d’élargir ce constat à l’ensemble <strong>des</strong> segments qui composent<br />

la psychologie et de montrer que l’obtention de statuts dans <strong>des</strong> secteurs protégés de la<br />

fonction publique, du fait de l’expansion de l’Etat-providence depuis l’après-guerre, a fait<br />

obstacle à sa construction horizontale autour d’un titre ou d’une expertise clairement<br />

identifiée. Ce constat n’a rien d’original dans la mesure où l’on connaît le poids de l’Etat en<br />

France dans la construction <strong>des</strong> professions, y compris lorsque celui-ci ne les emploie pas<br />

directement 3 . Il est intéressant en revanche d’observer dans le cas de la profession de<br />

psychologue l’existence d’une tension constante entre une logique de construction au sein de<br />

l’Etat et une logique de construction libérale, qui a partiellement abouti. En effet, l’histoire<br />

que nous avons retracée est marquée par le passage d’une « logique publique » à une<br />

« logique libérale », au tournant <strong>des</strong> années 1970, qui sera consacrée en 1985 par la protection<br />

du titre de psychologue. Ce tournant a également touché la psychologie du travail, qui<br />

pourrait s’exercer de plus en plus sur <strong>des</strong> marchés professionnels et non sur <strong>des</strong> marchés<br />

internes compte tenu de l’évolution <strong>des</strong> politiques publiques de l’emploi (territorialisation,<br />

contractualisation, déclin <strong>des</strong> intervenants traditionnels), mais également d’une demande<br />

croissante d’expertise en matière de gestion <strong>des</strong> ressources humaines dans le monde de<br />

l’entreprise du fait de l’individualisation <strong>des</strong> carrières. Cette orientation nouvelle vers le<br />

marché est à la fois source d’une certaine fragilisation <strong>des</strong> carrières <strong>des</strong> membres de la<br />

profession (chapitre V), notamment dans le domaine de l’insertion, mais pourrait aussi<br />

conduire à revaloriser la fonction et à l’éloigner de l’image honnie du psychotechnicien, si les<br />

psychologues du travail parviennent à s’imposer comme <strong>des</strong> experts en matière d’orientation,<br />

de recrutement ou de formation.<br />

Un autre apport de notre recherche réside dans l’articulation entre les différentes<br />

dimensions constitutives de la dynamique professionnelle. Le récit historique a permis d’en<br />

3 Voir notamment le cas <strong>des</strong> architectes (CHAMPY, 1998) et celui <strong>des</strong> notaires (SULEIMAN, 1987).<br />

505


distinguer trois et d’étudier leurs articilations réciproques : l’évolution <strong>des</strong> savoirs qui<br />

légitiment la pratique professionnelle, les relations avec les autres segments et enfin le mandat<br />

auquel répond la profession. Nous les passons successivement en revue.<br />

L’EXPERTISE : GRANDEUR ET DECLIN D’UN DISPOSITIF SOCIO-COGNITIF<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le récit historique a tout d’abord permis de mettre au jour différentes formes de<br />

« psychologisation » de la question du travail. Bien entendu, il serait toujours possible de<br />

trouver <strong>des</strong> origines lointaines à la psychologie du travail et d’observer dès le XVII e siècle les<br />

prémisses de métho<strong>des</strong> « scientifiques » cherchant à orienter rationnellement les travailleurs<br />

vers les emplois qui correspondent le mieux à leurs qualités personnelles. Mais ces<br />

expériences sont relativement isolées et surtout elles n’impliquent pas la mise en œuvre d’un<br />

appareillage et de réseaux scientifiques spécifiquement tournés vers la résolution de ce<br />

problème. La conjonction d’un discours scientifique (celui de la psychologie expérimentale),<br />

d’un ensemble d’institutions et d’un besoin social ne s’opère qu’au tout début du XX e siècle.<br />

Le discours psychologique sur le travail ne reste pas figé sur ses premières bases et évolue au<br />

rythme <strong>des</strong> découvertes scientifiques et <strong>des</strong> besoins sociaux. Au langage <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

psychophysiologiques du début du siècle, exclusivement centré sur la dépense physique et<br />

énergétique, succède celui <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> psychologiques (attention, réaction, champ visuel…)<br />

dans l’entre-deux guerres, puis celui de la personnalité et <strong>des</strong> « motivations » à partir <strong>des</strong><br />

années 1960-1970.<br />

Ces conceptualisations successives du rapport de l’homme au travail constituent autant<br />

de raisonnements élaborés et portés par la communauté scientifique <strong>des</strong> psychologues et<br />

finissent par acquérir au fil du temps une certaine autonomie. Ils gagnent d’autres espaces<br />

sociaux : entreprises, pouvoirs publics, système éducatif, organisations de travailleurs.<br />

Comme le souligne Daniel Benamouzig (2000) dans sa thèse sur la naissance de l’économie<br />

de la santé en France, une véritable analyse sociologique <strong>des</strong> professions doit s’intéresser à<br />

ces productions « cognitives » au même titre qu’aux attributs extérieurs <strong>des</strong> professions<br />

(organisation, déontologie…) ou à la position de ces dernières au sein de la division du<br />

travail, qui retiennent habituellement l’attention <strong>des</strong> sociologues. Il montre que les<br />

raisonnements économiques sur la santé finissent par acquérir une autonomie vis-à-vis de<br />

leurs producteurs et deviennent de « bonnes raisons » partagées par les acteurs et dotées d’une<br />

force intrinsèque qui se matérialise dans <strong>des</strong> dispositifs sociaux et institutionnels. Ceci ne<br />

signifie pas nécessairement que ces raisonnements portent en eux-mêmes une vérité<br />

506


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« objective », mais plutôt qu’ils constituent à un moment donné la solution la plus<br />

« satisfaisante » pour l’ensemble <strong>des</strong> acteurs. Ainsi, dans l’entre-deux-guerres, un compromis<br />

se dégage pour problématiser l’adaptation individuelle au travail autour de la notion<br />

d’« aptitude » car celle-ci s’articule bien à un découpage du monde du travail en métiers<br />

relativement isolés les uns <strong>des</strong> autres. Aujourd’hui c’est davantage la notion de « projet » ou<br />

de compétence qui domine, en raison de l’éclatement plus grand <strong>des</strong> postes de travail et de la<br />

nécessité de formes d’organisation plus flexibles. Une telle posture, qui ne s’attache pas<br />

seulement à la dimension rhétorique <strong>des</strong> savoirs mais s’efforce de comprendre pourquoi ils<br />

suscitent l’adhésion <strong>des</strong> acteurs dans un contexte social donné nous paraît particulièrement<br />

nécessaire dans l’étude de la psychotechnique, dont le projet scientifique et social peut<br />

paraître aujourd’hui utopique. Un nouveau discours scientifique n’est pas en soi « légitimant »<br />

et ne suffit pas à assurer la professionnalisation d’une activité : il ne l’est que si qu’il constitue<br />

une solution opératoire aux problèmes que se pose une société à un moment donné. La<br />

psychotechnique a ainsi pu connaître un certain succès dans la période 1930-1960 car les<br />

conditions structurales de sa réussite étaient alors réunies. Le déplacement du problème social<br />

de l’orientation professionnelle – et donc du « mandat » de la psychotechnique – vers les<br />

questions d’insertion et de chômage a en revanche suscité un décalage croissant entre les<br />

solutions proposées par les psychotechniciens et les besoins de la société. La crise que<br />

connaissent de façon récurrente les Conseillers d’orientation-psychologues de l’Education<br />

nationale ou les psychologues du travail de l’AFPA depuis le début <strong>des</strong> années 1970 est liée à<br />

l’absence d’un discours unifiant. D’une certaine façon, la profession survit à l’étiolement de<br />

son mandat, mais cette situation ne peut perdurer très longtemps comme le montre<br />

l’éclatement actuel <strong>des</strong> champs d’application de la psychologie du travail (chapitre V).<br />

LA DYNAMIQUE COLLECTIVE D’UNE PROFESSION<br />

Nous n’avons pas étudié les psychologues du travail de façon isolée mais dans leurs<br />

interactions avec les autres segments qui composent la profession de psychologue. Nous<br />

avons fait le choix de nous centrer sur un intitulé professionnel et ses évolutions, plus que sur<br />

un ensemble de tâches prédéfinies qui constitueraient a priori l’activité du groupe. Une telle<br />

posture nous a permis de montrer que les psychologues du travail ont été pris, dès le début <strong>des</strong><br />

années 1960, dans une double dynamique. La première, qui a trait aux relations avec les<br />

autres spécialités de la psychologie, se caractérise par une marginalisation progressive de cette<br />

spécialité. Alors qu’elle formait le cœur du projet professionnel <strong>des</strong> psychologues dans les<br />

507


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années 1950, elle apparaît aujourd’hui isolée et peu représentative de l’activité <strong>des</strong> autres<br />

psychologues. En témoigne notamment la faiblesse <strong>des</strong> liens que les psychologues du travail<br />

entretiennent avec les associations professionnelles, mise en évidence à partir du<br />

questionnaire. En témoigne aussi la faiblesse <strong>des</strong> carrières transversales, qui conduisent un<br />

psychologue du travail à se tourner vers un emploi de clinicien ou même de psychologue<br />

scolaire. Enfin, les psychologues du travail revendiquent peu leur titre et lorsqu’ils le font,<br />

c’est souvent parce qu’il apparaît de manière officielle dans les grilles statutaires de leur<br />

employeur. Tout concourt donc à isoler les psychologues du travail du reste de la profession.<br />

L’évènement majeur a été de ce point de vue la professionnalisation progressive de la<br />

psychologie clinique à partir <strong>des</strong> années 1960, qui est devenue, compte tenu de son poids<br />

numérique et de la réception favorable de son discours au sein de la société, le « porteparole<br />

» officiel de l’ensemble <strong>des</strong> psychologues, alors même que son discours était peu<br />

ajusté à la réalité de l’activité <strong>des</strong> psychologues du travail. L’exploitation <strong>des</strong> archives du<br />

principal syndicat de psychologues cliniciens, le SNP (Syndicat national <strong>des</strong> psychologues),<br />

nous a permis de mettre au jour l’originalité de la professionnalisation de la psychologie, qui<br />

offre l’exemple d’une profession qui s’est d’abord institutionnalisée à partir <strong>des</strong> années 1950<br />

dans différents segments de la fonction publique, avant de transposer ses revendications sur<br />

un plan plus large dans les années 1970 et 1980, conduisant à la loi de 1985. Contrairement à<br />

ce qu’il en est aux Etats-Unis, la profession n’apparaît pas, en France, comme l’émanation<br />

directe d’une discipline universitaire mais plutôt comme le produit de l’action publique dans<br />

différents domaines (orientation, formation professionnelle, justice, santé mentale…). La<br />

balkanisation actuelle de la profession, dont témoigne la diversité <strong>des</strong> intitulés de DESS et <strong>des</strong><br />

associations professionnelles, ne peut être comprise en dehors de cette histoire particulière.<br />

L’autre dynamique est celle d’une segmentation croissante de la catégorie de<br />

psychologue du travail, qui peine à définir son identité entre les professionnels de l’insertion<br />

ou du travail social, ceux <strong>des</strong> ressources humaines sur les marchés internes et les spécialistes<br />

du recrutement sur les marchés externes. Les mutations du champ de l’orientation<br />

professionnelle au cours <strong>des</strong> trois dernières décennies (Dugué et al., 1999) ont déstabilisé le<br />

profil <strong>des</strong> intervenants traditionnels de ce secteur, qui s’appuyaient jusqu’alors sur <strong>des</strong> savoirs<br />

issus de la psychologie appliquée et bénéficiaient de statuts au sein de la Fonction publique.<br />

La montée du chômage d’un côté, et de la « logique compétence » de l’autre, ont mis en avant<br />

de nouvelles formes d’articulation entre les propriétés <strong>des</strong> individus et les besoins du marché<br />

du travail, qui relèguent au second plan l’expertise <strong>des</strong> psychologues en matière de tests.<br />

Aujourd’hui, ce savoir pratique sur l’orientation est de plus en plus concurrencé par d’autres,<br />

508


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issus de la gestion, de la sociologie ou de l’économie – et les psychologues n’ont plus le<br />

monopole <strong>des</strong> questions d’orientation. Dans le champ qui connaît à l’heure actuelle le plus<br />

fort développement – celui de l’insertion sociale et professionnelle – les psychologues du<br />

travail sont nombreux, mais peinent à acquérir une légitimité compte tenu du poids <strong>des</strong><br />

travailleurs bénéficiant déjà d’un statut (éducateurs, assistantes sociales, conseillers en<br />

économie sociale et familiale, conseillers de l’ANPE) qui sont peu enclins à laisser se<br />

développer une nouvelle catégorie de spécialistes susceptible de les concurrencer.<br />

Le processus actuel de segmentation trouve aussi sa source dans le profil <strong>des</strong> carrières<br />

<strong>des</strong> psychologues du travail. D’une part, les échanges entre les différents segments mis en<br />

lumière par le questionnaire – insertion, ressources humaines et recrutement – sont rares et les<br />

trajectoires individuelles conduisent le plus souvent à quitter le cœur du métier pour occuper<br />

<strong>des</strong> fonctions de direction sans lien direct avec la psychologie. D’autre part, les carrières<br />

portent la marque <strong>des</strong> conditions économiques qui prévalaient au moment de l’insertion sur le<br />

marché du travail. Dans les pério<strong>des</strong> de plein-emploi, les psychologues du travail se sont<br />

orientés majoritairement dans le secteur du recrutement ou <strong>des</strong> ressources humaines (avant<br />

1975, 1986-1990 et 1996-2000), inversement, les phases de montée du chômage sont<br />

marquées par l’importance <strong>des</strong> débouchés dans le secteur de l’insertion. Le marché du travail<br />

<strong>des</strong> psychologues est donc segmenté par strates générationnelles successives, ce qui rend<br />

difficile la définition d’un mandat homogène pour l’ensemble de la profession. Si celui-ci se<br />

définit le plus souvent par l’évaluation individuelle <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> et <strong>des</strong> compétences, il prend<br />

une forme différente selon qu’il s’exerce sur <strong>des</strong> marchés internes ou externes, sur <strong>des</strong><br />

travailleurs qualifiés ou non qualifiés et surtout selon qu’ils sont en mesure ou non de<br />

proposer effectivement <strong>des</strong> solutions aux personnes qu’ils aident.<br />

LES TRANSFORMATIONS D’UN MANDAT<br />

Au-delà de l’histoire de la discipline et de la profession, nous avons tenté de repérer<br />

les transformations du mandat <strong>des</strong> psychologues du travail depuis le milieu du XX e siècle. Au<br />

sens de Hughes, le mandat peut se définir comme l’autorisation « … de dire à la société ce qui<br />

est bon et juste sur <strong>des</strong> aspects cruciaux de la vie » (Hughes, 1958, p. 78). Le mandat est<br />

indissociable <strong>des</strong> affrontements politiques d’une époque, dont il est d’une certaine manière<br />

coextensif. Un groupe ne se verra accorder une autonomie – et par conséquent un statut social<br />

– que si le rapport de forces politique est tel que la société est disposée à lui déléguer une<br />

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mission jugée cruciale pour son avenir. Les conditions structurales favorisant l’existence d’un<br />

tel mandat ont été réunies à deux reprises dans l’histoire <strong>des</strong> psychologues du travail.<br />

Dans les années 1930-1960 tout d’abord, les transformations <strong>des</strong> emplois productifs et<br />

la démocratisation du système scolaire ont fait de la notion psychologique d’aptitude – et<br />

donc de l’expertise <strong>des</strong> psychologues – l’opérateur naturel entre les propriétés individuelles et<br />

les besoins sociaux, exprimés dans la structure du marché du travail. On délègue alors aux<br />

psychotechniciens le soin de détecter les individus les plus aptes afin de les diriger vers les<br />

positions sociales où ils pourront le mieux tirer parti de leurs aptitu<strong>des</strong>. Au niveau de la<br />

société dans son ensemble, ce sont les gran<strong>des</strong> tendances de l’économie et du marché du<br />

travail – fixées dans les commissions paritaires du Plan 4 – qui circonscrivent les limites dans<br />

lesquelles les psychologues pourront agir. L’autonomie du groupe est garantie par ce mandat<br />

et se matérialise par la forte indépendance dont jouissent en principe les psychotechniciens ou<br />

les conseillers d’orientation scolaires dans leurs activités. Ce début de professionnalisation de<br />

la psychologie du travail sera toutefois remis en cause par une série de facteurs. En premier<br />

lieu, les mouvements de contestation politique <strong>des</strong> années 1960 et 1970 déchaînent une<br />

critique violente contre les psychotechniciens, de plus en plus soupçonnés de connivence avec<br />

le patronat (critiques marxistes) ou avec l’Etat (critiques foucaldiennes). Ces critiques sont<br />

pour le moins paradoxales, dans la mesure où la psychotechnique visait à l’origine un idéal de<br />

justice sociale, notamment contre l’arbitraire patronal ou du système scolaire. En ce sens, le<br />

mandat reçu ne prenait son sens que dans le cadre de l’Etat républicain, situation très<br />

différente de celle qui avait cours dans le monde anglo-saxon, où la psychotechnique s’était<br />

présentée d’emblée comme un savoir pratique susceptible d’accroître l’efficacité industrielle.<br />

En second lieu, les transformations de l’environnement socio-économique (montée du<br />

chômage, diversification <strong>des</strong> trajectoires individuelles, difficultés d’insertion pour les<br />

jeunes…) ébranlent le monde stable <strong>des</strong> métiers, <strong>des</strong> qualifications et <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> autour<br />

duquel s’était construit le mandat <strong>des</strong> psychologues du travail. Les formes d’action publique<br />

en direction du marché du travail apparaissent de plus en plus instables et hétérogènes : elles<br />

supposent la participation conjointe de divers intervenants (travailleurs sociaux, employeurs,<br />

spécialistes de l’évaluation…), et se situent aux carrefour de différentes politiques (assistance,<br />

insertion sociale, placement, formation…). Comme on a pu le voir à travers l’exemple de<br />

l’AFPA, les psychologues du travail éprouvent <strong>des</strong> difficultés à définir le périmètre de leur<br />

intervention dans ce nouveau cadre. D’une part on constate une rationalisation et un contrôle<br />

4 Cela sera vrai jusqu’au VI e Plan (1971-1975). Cette logique « adéquationniste » sera ensuite abandonnée à<br />

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accru du travail individuel, face aux pressions organisationnelles et à l’impératif de rendre <strong>des</strong><br />

comptes aux financeurs publics. De l’autre, les psychologues ont le sentiment de perdre les<br />

appuis théoriques et les valeurs qui fondaient jusqu’alors leur action face à la prolifération <strong>des</strong><br />

pratiques et <strong>des</strong> intervenants. Les mêmes changements sont à l’œuvre dans l’Education<br />

nationale, où les conseillers d’orientation semblent connaître une « crise » permanente depuis<br />

une trentaine d’années. Ils s’appuient toujours sur <strong>des</strong> références théoriques issues de la<br />

psychologie, mais les fondements de celles-ci sont moins clairement explicités que ceux de la<br />

psychotechnique ; surtout, ils ont le sentiment que leurs missions n’ont guère évolué dans un<br />

nouveau contexte socio-économique marqué par la montée du chômage et <strong>des</strong> difficultés<br />

d’insertion à la sortie du système scolaire. La territorialisation accrue <strong>des</strong> politiques d’emploi,<br />

de formation et d’insertion depuis le début <strong>des</strong> années 1990, achève de mettre en cause le<br />

modèle centralisé d’ajustement entre qualifications et aptitu<strong>des</strong> qui s’était mis en place au<br />

cours <strong>des</strong> Trente glorieuses.<br />

Assez paradoxalement, cette évolution du contexte de l’orientation professionnelle<br />

crée aussi <strong>des</strong> conditions favorables à l’apparition d’un nouveau « mandat » pour les<br />

psychologues du travail, mandat centré cette fois sur les pratiques d’accompagnement<br />

individualisé sur le marché du travail. La montée du chômage a en effet conduit les pouvoirs<br />

publics à abandonner progressivement l’idée d’une orientation <strong>des</strong> demandeurs d’emploi vers<br />

<strong>des</strong> filières de qualification prédéfinies. C’est désormais dans le sujet lui-même, ses attributs<br />

personnels, ses compétences et surtout sa capacité à construire un « projet » que résiderait,<br />

selon ces politiques, la solution au problème du chômage. Le travail du psychologue ne<br />

consiste plus alors seulement à « orienter » l’individu en fonction de qualifications ou<br />

d’aptitu<strong>des</strong>, mais à l’aider dans son travail réflexif sur sa propre trajectoire personnelle et<br />

professionnelle, ce qui est censé favoriser son retour vers l’emploi. La mission du<br />

psychologue du travail se rapproche alors de celle du psychologue clinicien, tout en étant,<br />

comme on l’a souligné, plus ambiguë puisque la demande d’aide est souvent formulée par<br />

l’individu de manière moins explicite que dans le cadre de l’activité clinique classique 5 . Les<br />

psychologues ne disposent pas non plus, dans ce type d’intervention, <strong>des</strong> mêmes garanties<br />

d’indépendance que dans les actes à finalité explicitement thérapeutique.<br />

partir du milieu <strong>des</strong> années 1970 (TANGUY, 2002).<br />

5 Cette demande sociale de services psychologiques s’exprime également dans les entreprises, où les métho<strong>des</strong><br />

de gestion <strong>des</strong> carrières sont de plus en plus individualisées (passage d’une logique de « qualification » assise sur<br />

<strong>des</strong> emplois stables et un environnement économique certain à une logique de « compétence » beaucoup plus<br />

individualisée) et sur le marché externe du recrutement (développement <strong>des</strong> pratiques de coaching permettant au<br />

salarié de faire un bilan de sa trajectoire lors <strong>des</strong> phases de transition professionnelle).<br />

511


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Malgré cette nouvelle demande sociale d’accompagnement individualisé sur le marché<br />

du travail, à laquelle semblent répondre les compétences <strong>des</strong> psychologues, notre enquête ne<br />

permet pas de mettre en évidence un quelconque monopole <strong>des</strong> psychologues du travail dans<br />

ce domaine. Les raisons de cet échec relatif nous paraissent être au nombre de trois. La<br />

première est d’ordre cognitif. La spécialité que l’on désigne aujourd’hui sous le terme de<br />

« psychologie de l’orientation » se présente comme un ensemble hétéroclite de pratiques plus<br />

ou moins articulées à <strong>des</strong> théories psychologiques générales, mais qui ne suffisent pas à<br />

asseoir la légitimité <strong>des</strong> psychologues. D’une part ces savoirs sont fragiles – en témoigne leur<br />

rythme rapide de renouvellement et la prolifération de théories concurrentes –, et, d’autre part,<br />

ils se diffusent facilement auprès <strong>des</strong> autres spécialistes de l’évaluation 6 . La seconde raison<br />

tient à l’absence de soutien de la part <strong>des</strong> autres segments de la psychologie, qui se sentent<br />

très éloignés de ce secteur d’activité 7 et ciblent davantage leurs revendications vers les<br />

champs de l’école ou de la santé. La psychologie du travail apparaît aujourd’hui comme une<br />

spécialité marginale et relativement dévalorisée au sein de la psychologie. La dernière raison<br />

tient enfin aux modalités d’action publique en direction du marché du travail. L’analyse <strong>des</strong><br />

résultats de notre questionnaire a bien montré à quel point la territorialisation <strong>des</strong> politiques<br />

d’emploi et de formation a éclaté les psychologues du travail dans les différents segments du<br />

champ de l’insertion et de l’aide à l’emploi : CIBC, PAIO, Missions locales, GRETA,<br />

associations d’insertion, ANPE, AFPA… Face à la complexité du problème du chômage,<br />

l’expertise d’un seul groupe professionnel ne suffit plus. Les politiques d’insertion et<br />

d’emploi font de plus en plus appel à <strong>des</strong> compétences et à <strong>des</strong> acteurs hétérogènes, qui allient<br />

<strong>des</strong> savoirs issus de différentes sciences humaines, mais aussi les savoirs pratiques <strong>des</strong><br />

professionnels ayant une connaissance fine du terrain ou <strong>des</strong> spécificités d’un territoire. Cet<br />

ensemble d’éléments explique que malgré l’existence d’un « mandat », peu d’organismes<br />

soient aujourd’hui disposés à accorder aux psychologues du travail une licence exclusive dans<br />

le traitement de ces problèmes.<br />

Il y a peut-être là malgré tout un germe de reprofessionnalisation <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail. En dépit de statuts, leur compétence est de plus en plus reconnue dans les politique<br />

territoriales d’emploi et de formation. La déstructuration <strong>des</strong> corps établis laisse précisément<br />

la place à l’éclosion d’expertises assises sur <strong>des</strong> disciplines et un professionnalisme de<br />

6 L’ANPE et l’APEC par exemple, tout en ne reconnaissant pas de statut propre aux psychologues, multiplient<br />

les formations en psychologie auprès de leur personnel.<br />

7 Rappelons que les psychologues du travail représentent environ 16% de l’ensemble <strong>des</strong> psychologues, contre<br />

50% pour les psychologues cliniciens.<br />

512


marché, qui viendrait se substituer au professionnalisme bureaucratique dominant dans la<br />

période précédente. Le questionnaire laisse entrevoir <strong>des</strong>a carrières dans le monde de<br />

l’insertion, Ici et là, <strong>des</strong> statuts de psychologues. La capacité <strong>des</strong> psychologues tiendra d’une<br />

part dans leur capacité à articuler les pratiques professionnelles avec les formations<br />

<strong>académiques</strong> acquises à l’université, et plus généralement avec le monde de la recherche et<br />

dans leur capacité à faire entendre leur voix et leur<br />

QUEL AVENIR POUR LA PROFESSION DE PSYCHOLOGUE ?<br />

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Au terme de cette recherche, qui a permis de mettre en évidence les multiples formes<br />

de segmentation de la psychologie en France, deux questions nous paraissent particulièrement<br />

cruciales pour l’avenir de la profession dans son ensemble.<br />

La première concerne les relations entre science et pratique. D’une part, dans le monde<br />

académique, on assiste depuis une décennie à un retour en force de la psychologie<br />

« scientifique » sous la forme de la psychologie cognitive et <strong>des</strong> neurosciences. Les<br />

découvertes récentes sur le fonctionnement du cerveau, permises notamment par<br />

l’amélioration <strong>des</strong> techniques d’imagerie cérébrale, modifient les rapports entre les différentes<br />

spécialités de la psychologie. Après <strong>des</strong> décennies de domination dans le champ académique,<br />

la psychologie sociale et la psychologie clinique connaissent une certaine marginalisation<br />

dans le champ universitaire du fait de difficultés d’accès aux revues scientifiques et aux<br />

financements de recherche 8 . Cette évolution est en grande partie due à l’ouverture croissante<br />

de la psychologie sur la scène internationale qui suscite un reflux de la psychanalyse dans la<br />

formation et la recherche psychologiques, qui apparaissent de plus en plus comme une<br />

spécificité hexagonale 9 . Dans le même temps, les praticiens de la psychologie formés en<br />

DESS s’apparentent de plus en plus à une « profession consultante » et voient leur travail non<br />

comme le simple prolongement d’un savoir scientifique constitué, mais davantage comme une<br />

pratique fondée sur l’expérience et éventuellement un parcours personnel d’analyse. La<br />

formation universitaire est conçue non comme un aboutissement mais comme un point de<br />

départ qui, pour pouvoir être opérationnelle, doit être complétée par <strong>des</strong> formations<br />

complémentaires en psychothérapie. Cette évolution est tout particulièrement nette dans les<br />

nouveaux territoires de la psychologie du travail comme la psychodynamique du travail ou la<br />

8 On trouve un écho <strong>des</strong> angoisses de certains psychologues sociaux ou cliniciens face à l’accès aux revues dans<br />

un récent numéro spécial de la revue Pratiques psychologiques (2004, vol. 10, n°3) consacré au thème : « les<br />

publications en psychologie : supports, indexations et critères d’évaluation ».<br />

9 De ce point de vue, il est probable que la psychologie connaisse dans les années à venir l’évolution qu’a connue<br />

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gestion du stress au travail, qui connaissent actuellement un développement important compte<br />

tenu de l’enjeu politique soulevé par ce problème. Elle se manifeste aussi dans d’autres<br />

champs actuellement en développement, comme la psycho-gérontologie, où l’on constate un<br />

décalage croissant entre les préoccupation <strong>des</strong> chercheurs (centrées sur les question de<br />

cognition et de neuropsychologie) et celles <strong>des</strong> praticiens, pour lesquels existe une demande<br />

sociale de plus en plus forte. On voit donc se <strong>des</strong>siner une coupure très forte entre la<br />

psychologie professionnelle, à dominante clinique, et une recherche en psychologie qui<br />

bascule progressivement dans le giron <strong>des</strong> neurosciences. Cette évolution peut à terme<br />

affecter la légitimité de praticiens qui appuient leurs revendications de monopole sur la<br />

possession d’une expertise technique spécifique. Nombre d’enseignants-chercheurs craignent<br />

aujourd’hui que la professionnalisation de la psychologie ne se fasse au détriment <strong>des</strong> critères<br />

universitaires. Comme le soulignait au cours d’un entretien un professeur d’Université : « le<br />

partage du pouvoir dans les universités entre cliniciens et cognitivistes est de plus en plus<br />

clair. D’un côté, il y a les enseignants de clinique qui ont presque le monopole de la formation<br />

<strong>des</strong> étudiants ; de l’autre les enseignants de psychologie cognitive qui ont la légitimité<br />

scientifique et publient dans les revues prestigieuses, mais qui n’ont presque aucun contact<br />

avec les étudiants » 10 . Ces débats autour du statut scientifique de la psychologie (science<br />

exacte ou science humaine) se trouvent accentués par une scission institutionnelle de la<br />

psychologie entre l’Université et le CNRS. A l’université, elle est en général située dans le<br />

champs <strong>des</strong> lettres et sciences humaines, qui forment les futurs praticiens, alors qu’au CNRS,<br />

elle relève du secteur <strong>des</strong> sciences de la vie. Cette disparité croissante entre chercheurs d’un<br />

côté et praticiens de l’autre est lourde de conséquences pour l’avenir de la discipline, le risque<br />

étant celui d’une autonomisation progressive de la profession vis-à-vis d’une recherche<br />

devenue trop ésotérique et coupée <strong>des</strong> situations professionnelles concrètes.<br />

L’autre question cruciale pour l’avenir de la psychologie concerne la place de l’Etat<br />

dans le projet professionnel <strong>des</strong> psychologues. Comme on a essayé de le montrer à partir de<br />

l’exemple de la psychologie du travail, ce segment de la discipline a pu se professionnaliser à<br />

travers la mise en place d’une politique publique d’orientation et de formation<br />

professionnelle, dont elle apparaissait comme l’alliée naturelle. La psychologie du travail<br />

illustre de ce point de vue un modèle plus général de professionnalisation de la psychologie<br />

au sein de l’Etat dont on trouve d’autres exemples dans le champ éducatif, de la justice ou de<br />

la santé. L’institutionnalisation de la psychologie en différentes spécialités depuis les années<br />

la science économique dans les années 1980, et s’aligne de plus en plus sur le modèle <strong>des</strong> « sciences dures ».<br />

514


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1950 ne peut se concevoir en dehors de cette action surplombante de l’Etat dans différents<br />

secteurs de la vie sociale, qui a permis tout à la fois de donner <strong>des</strong> statuts particuliers à <strong>des</strong><br />

psychologues employés dans la Fonction publique et de développer de nouvelles formes<br />

d’action publique. Cette spécificité de la professionnalisation de la psychologie explique en<br />

grande partie l’éclatement associatif et syndical qui caractérise aujourd’hui la profession, en<br />

France à la différence de ce qu’il en est dans la plupart <strong>des</strong> autres pays européens ou la<br />

psychologie s’est professionnalisée à partir de la discipline et <strong>des</strong> universités et non à partir de<br />

l’Etat.<br />

Ce modèle de « professionnalisation de la psychologie par l’Etat » pourrait se trouver<br />

ébranlé dans les années à venir sous l’effet de deux transformations majeures. La première<br />

concerne la territorialisation accrue <strong>des</strong> politiques dans lesquelles sont engagés les<br />

psychologues, notamment dans le champ de l’aide sociale, de l’insertion, de l’éducation ou de<br />

la santé publique. En conséquence, les psychologues participent de moins en moins à <strong>des</strong><br />

politiques définies à l’échelon national, ce qui fragilise leur statut au sein de la Fonction<br />

publique. La position qu’ils occupent est souvent intermédiaire entre celles <strong>des</strong> travailleurs<br />

qui continuent de bénéficier d’un statut solidement établi dans la Fonction publique<br />

(travailleurs sociaux, médecins, enseignants…) et les « nouveaux métiers » qui émergent au<br />

niveau territorial dans le champ sanitaire, social ou éducatif (agents de développement, agents<br />

d’insertion, médiateurs, conseillers en emploi, ai<strong>des</strong>-familiaux…). Ces « métiers flous »<br />

actuellement en développement se définissent davantage par l’identification d’un problème<br />

social aux contours hétérogènes, que par le rattachement à une discipline ou une expertise<br />

clairement identifiée. Cette tendance de fond fragilise le statut <strong>des</strong> psychologues dans de<br />

nombreux secteurs, comme l’a montré notre enquête auprès <strong>des</strong> psychologues de l’AFPA ou<br />

très récemment la tentative de décentralisation <strong>des</strong> services d’orientation professionnelle de<br />

l’Education nationale, dont le statut n’est toujours pas tranché. Elle pourrait à terme accélérer<br />

la « déprofessionnalisation » de certains bastions traditionnels de la profession de<br />

psychologue insérés dans la fonction publique.<br />

L’autre évolution, qui va à l’inverse dans le sens d’un renforcement du statut <strong>des</strong><br />

psychologues, concerne le niveau européen. Jusqu’aux années 1980, la psychologie s’est<br />

professionnalisée selon <strong>des</strong> formes très diverses en Europe, tant en ce qui concerne la durée<br />

de formation 11 , que les contenus théoriques (modèle clinique en France vs modèle<br />

comportementaliste en Grande-Bretagne et modèle expérimentaliste en Espagne), l’autonomie<br />

10 entretien n°61, décembre 2004<br />

515


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professionnelle ou les relations avec l’Etat. La forte balkanisation associative propre à la<br />

situation française (tableau II-7, annexe 2) est de ce point de vue une faiblesse dans la<br />

prétention <strong>des</strong> psychologues français à offrir un modèle d’organisation exportable en Europe.<br />

Les psychologues britanniques ou <strong>des</strong> pays nordiques semblent aujourd’hui les mieux armés<br />

pour imposer leur modèle : le statut économique <strong>des</strong> praticiens y est nettement plus élevé, en<br />

raison de politiques de quota très restrictives dans l’accès à la profession. Par ailleurs, une<br />

expertise propre à la profession – assise, sur le modèle américain, sur la psychologie cognitive<br />

et comportementale – y est mieux reconnue qu’en France 12 . Surtout, les associations<br />

professionnelles y sont extrêmement influentes. Dominées par les praticiens, ce sont elles qui<br />

définissent les quotas, délivrent les accréditations aux universités et aux praticiens et<br />

centralisent l’information sur le fonctionnement du marché du travail professionnel. Si l’effet<br />

direct de la concurrence de praticiens venus de l’étranger ne se fait pas encore directement<br />

sentir en France, la structuration européenne de la profession commence néanmoins à<br />

produire ses effets. Depuis le début <strong>des</strong> années 1980, les psychologues français participent<br />

aux travaux de l’EFPPA (European Federation of Professional Psychologists’ association),<br />

ce qui les a obligé à davantage structurer leur représentation en Europe afin de faire valoir<br />

leur point de vue 13 . Plus récemment, un « diplôme européen de psychologue », délivré par<br />

l’EFPPA sur le modèle <strong>des</strong> labels ou <strong>des</strong> certificats de compétence professionnelle a été créé.<br />

L’objectif à terme est que les universités se calent sur ce nouveau référentiel, et non plus sur<br />

<strong>des</strong> critères de formation définis au niveau national par les seuls représentants du monde<br />

académique ou de certains segments de la Fonction publique. On voit à quel point ces<br />

évolutions, si elles peuvent renforcer la visibilité et l’influence de la profession, remettent<br />

fondamentalement en cause la conception même de l’ordre professionnel qui a jusqu’à<br />

maintenant caractérisé la situation de la psychologie en France. On passerait en effet, dans le<br />

cadre d’une européanisation de la profession de psychologue, d’un professionnalisme dominé<br />

par l’Etat à une forme de professionnalisme de marché plus proche du modèle anglo-saxon.<br />

L’avenir de la profession de psychologue en France dépend dans une large mesure de<br />

la manière dont vont s’articuler cette tendance à la territorialisation, source potentielle de<br />

déprofessionnalisation, et l’ouverture vers le niveau européen, qui est susceptible de mieux<br />

11 Durée variable de trois ans au Danemark à huit ans en Grande-Bretagne.<br />

12 En Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou en Suède, il n’est pas rare qu’un psychologue dirige un établissement<br />

psychiatrique, ce qui serait impensable en France.<br />

13 L’EFPPA n’accepte qu’un seul représentant par pays, ce qui a obligé les associations de psychologues français<br />

(syndicats et associations professionnelles) à se fédérer au sein d’une fédération unique.<br />

516


équiper les professionnels et d’aboutir à une meilleure structuration collective de leurs<br />

intérêts, tout en les insérant dans <strong>des</strong> espaces plus concurrentiels.<br />

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517


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ANNEXES<br />

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519


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I. Annexe 1 : Courants theoriques en sociologie <strong>des</strong><br />

professions<br />

Graphique annexe I-1 Position <strong>des</strong> principaux courants théoriques de la sociologie <strong>des</strong> professions dans<br />

leur rapport aux savoirs<br />

Principe d’équivalence <strong>des</strong> savoirs<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Approche<br />

<strong>des</strong> professions<br />

interne<br />

Théories<br />

interactionnistes<br />

(Hughes, Strauss,<br />

Becker…)<br />

Fonctionnalistes<br />

(Parsons, Goode,<br />

Wilenski…)<br />

Sociologie du travail<br />

française (Naville,<br />

Benguigui, Paradeise…)<br />

Approche externe<br />

<strong>des</strong> professions<br />

Approches de la<br />

« domination » et<br />

du monopole<br />

(Larson, Berlant,<br />

Johnson…)<br />

Principe de différenciation <strong>des</strong> savoirs<br />

521


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe I-1 Tableau synoptique <strong>des</strong> principales approches théoriques de la sociologie <strong>des</strong> professions dans leur rapport aux savoirs<br />

FONCTIONNALISTES<br />

INTERACTIONNISTES<br />

APPROCHES NEO-<br />

WEBERIENNES<br />

APPROCHES NEO-<br />

MARXISTES<br />

APPROCHES EN<br />

TERMES DE CHAMP<br />

(BOURDIEU)<br />

SOCIOLOGIE DU<br />

TRAVAIL FRANÇAISE<br />

CARACTERISTIQUE<br />

DOMINANTE DES EVOLUTION DES SAVOIRS<br />

SAVOIRS<br />

<strong>Savoirs</strong> positifs et<br />

naturalisés<br />

Les savoirs sont <strong>des</strong><br />

conventions partagées<br />

Les savoirs sont <strong>des</strong><br />

« rhétoriques » au service<br />

d’un projet d’ascension<br />

sociale collective<br />

Les savoirs sont le reflet<br />

<strong>des</strong> formes de domination<br />

sociale<br />

La production <strong>des</strong> savoirs<br />

répond aux contraintes du<br />

« champ scientifique »<br />

<strong>Savoirs</strong> comme<br />

« qualifications »<br />

Progrès constants vers la<br />

rationalisation<br />

Passage d’une convention à<br />

une autre. Processus de<br />

changement permanent au fil<br />

<strong>des</strong> re-négociations (cf.<br />

Strauss p. 107)<br />

Travail de codification<br />

croissante dans un but de<br />

« fermeture sociale ». Mais<br />

maintien d’une<br />

indétermination<br />

L’évolution <strong>des</strong> savoirs<br />

répond au besoin d’emprise<br />

croissante du capital sur la<br />

société<br />

Sert à mieux asseoir la<br />

domination du groupe<br />

Abstraction croissante<br />

(automation, phase C de<br />

REPERCUSSIONS SUR LA<br />

PROFESSION DE<br />

L’EVOLUTION DES<br />

SAVOIRS<br />

Renforcement de<br />

légitimité. Apparition de<br />

nouvelles professions<br />

Constitution de segments<br />

professionnels<br />

correspondant à différentes<br />

générations<br />

Conquête d’un monopole<br />

économique, par la<br />

définition simultanée du<br />

besoin et de l’offre<br />

(Larson, Paradeise,<br />

Berlant…)<br />

Renforcement du statut <strong>des</strong><br />

professionnels ou<br />

prolétarisation <strong>des</strong><br />

professionnels selon les<br />

auteurs<br />

Augmentation générale de<br />

la qualification du travail<br />

PRINCIPAUX<br />

AUTEURS<br />

ANGLO-SAXONS<br />

Parsons,<br />

Wilensky,<br />

Goode, Perrucci<br />

Hughes, Becker,<br />

Strauss<br />

Larson, Berlant<br />

Larson (1977),<br />

Johnson (1972),<br />

Navarro, Derber<br />

AUTEURS<br />

FRANÇAIS<br />

EQUIVALENCE (E)<br />

OU<br />

DIFFERENCIATION<br />

(D) DES SAVOIRS<br />

APPROCHE<br />

EXTERNE<br />

OU INTERNE<br />

Benguigui,<br />

D<br />

Monjardet<br />

Interne<br />

Demazière,<br />

Arborio,<br />

E Interne<br />

Dubar<br />

Paradeise,<br />

Thoenig<br />

D Externe<br />

(1977)<br />

D Externe<br />

Bourdieu Externe<br />

Touraine,<br />

E Externe<br />

Naville,<br />

522


(NAVILLE,<br />

TOURAINE)<br />

REALISME<br />

EMPIRIQUE<br />

(FREIDSON,<br />

ABBOTT)<br />

<strong>Savoirs</strong> contingents<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Touraine). Capacités de<br />

communication<br />

Freidson : donne <strong>des</strong> armes<br />

à la profession pour mieux<br />

Evolution relativement<br />

autonome au sein du monde<br />

académique : rationalisation<br />

croissante<br />

lutter contre ses<br />

concurrents<br />

Abbott : segmentation de<br />

la profession par<br />

spécialités ou abstraction<br />

croissante<br />

Freidson<br />

Abbott<br />

D Interne<br />

523


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


II. Annexe 2 : Données historiques sur les<br />

psychologues et la psychologie du travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe II-1 Les étu<strong>des</strong> de psychologie dans les Facultés de Lettres en 1934<br />

PSYCHOLOGIE<br />

GENERALE<br />

PSYCHOLOGIE<br />

PATHOLOGIQUE<br />

PSYCHOLOGIE<br />

ET PEDAGOGIE<br />

ESTHETIQUE<br />

PSYCHOLOGIE<br />

DU TRAVAIL<br />

PSYCHOLOGIE<br />

EXPERIMENTALE<br />

Aix <br />

Alger <br />

Bordeaux <br />

Clermont <br />

Dijon <br />

Lille <br />

Lyon <br />

Montpellier <br />

Nancy <br />

Paris <br />

Poitiers <br />

Rennes <br />

Strasbourg <br />

Tableau annexe II-2 Les conférences internationales de psychotechnique 1 1920-1971<br />

CONFERENCE N° ANNEE VILLE<br />

NOMBRE DE<br />

PARTICIPANTS<br />

ORGANISATEUR<br />

I 1920 Genève 17 Claparède -<br />

II 1921 Barcelone 38 Claparède 45<br />

III 1922 Milan 70 Ferrari 27<br />

IV 1927 Paris 351 Toulouse 87<br />

V 1928 Utrecht 163 Roels 42<br />

VI 1930 Barcelone 273 Mira 29<br />

VII 1931 Moscou 306 Spielrein 68<br />

VIII 1934 Prague 308 Seracky 133<br />

IX 1949 Berne 381 Piéron 140<br />

X 1951 Göteborg 392 Elmgren 48<br />

XI 1953 Paris 611 Bonnardel 148<br />

XII 1955 Londres 573 Frisby 102<br />

XIII 1958 Rome 697 Canestrelli 226<br />

XIV 1961 Copenhague 1411 Tanekjaer<br />

XV 1964 Ljubljana 1048 Bujas<br />

XVI 1968 Amsterdam 1456 Wijngaarden<br />

XVII 1971 Liège 2512 Piret<br />

NOMBRE DE<br />

COMMUNICATIONS<br />

Source : Frétigny, 1934<br />

1 Deviennent Conférences internationales de psychologie appliquée à partir de 1955<br />

525


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe II-3 Lahy et la vulgarisation scientifique de la psychotechnique<br />

ARTICLES<br />

NOMBRE<br />

D’ARTICLES<br />

DATE<br />

SUJET<br />

Mon Bureau 6 1921-1927 Psychotechnique à l’étranger, STCRP, Dactylographes<br />

Réussir 2 1925-1927 STCRP, Biographie de Lahy<br />

Banque 1 1932 Sélection du personnel de comptabilité<br />

Formation professionnelle 1 1931<br />

Science et Vie 1 1926 STCRP<br />

La Science moderne 1 Les tests et leur utilisation<br />

L’impartial français 1 1926 L’orientation professionnelle<br />

L’Usine<br />

Collaboration 1922<br />

régulière<br />

1 1913 Dactylographes<br />

The Scientific American<br />

(EU)<br />

La Technique Moderne 2 1913 Système Taylor<br />

Le Bulletin Médical 1 1922 L’Hygiène infantile<br />

La médecine 1 1922 Le réflexe galvano psychique<br />

La Grande Revue 4 1913-1917 La psychologie du chef ; la psychologie du combattant ;<br />

le système Taylor<br />

Je Sais tout 1 1923 Tests pour conducteurs d’auto<br />

L’action industrielle et<br />

commerciale<br />

Voitures et voiturettes<br />

légères<br />

1 1928<br />

1 1925 STCRP<br />

Source : Archives Lahy (Sainte Anne) – Carton n°37, dossier n°632<br />

Tableau annexe II-4 Principaux services psychotechniques d’entreprise (1920-1940)<br />

ANNEE DE CREATION DIRECTEUR<br />

Administrations<br />

Services psychotechniques de l'Armée de l’Air 1939 H. Piéron / A. Fessard<br />

Services psychotechniques de la Marine 1928 Lahy<br />

Caisse de compensation de la région parisienne 1932 Andrée Courthial<br />

Centre scientifique de la main d’œuvre du Ministère du<br />

travail (Paris, 1937)<br />

1937 Lahy<br />

Institut National d’Orientation Professionnelle (Paris,<br />

1928)<br />

1928 Piéron, Laugier et Wallon<br />

Ministère de la Justice 1937 Laugier<br />

Entreprises privées :<br />

Usines Renault 1928 Lahy / Dr Perrot<br />

Usines Peugeot 1928 Lahy / R. Bonnardel<br />

Usines Citroën 1928 Lahy<br />

Messageries Hachette 1935 Lahy / S. Chamboulant<br />

Galeries Lafayette 1934 Lahy / A. Courthial<br />

Usines MAP 1924 Lahy<br />

Société <strong>des</strong> Chemins de fer du Nord 1930 Lahy / S. Pacaud<br />

Société <strong>des</strong> Chemins de fer de l’Etat 1933 Laugier<br />

Compagnie de Tramways de Marseille 1927 Lahy<br />

Compagnie de Tramways de Bordeaux 1928 Lahy<br />

STCRP 1924 Lahy<br />

Organisations patronales :<br />

Chambre de commerce de Marseille 1932 J.-M. Jaur<br />

Chambre de commerce de Lyon ? ?<br />

Association <strong>des</strong> industriels du Nord ? ?<br />

Chambre <strong>des</strong> métiers de la Seine ? ?<br />

Maison du livre français ? ?<br />

Source : Arch. Lahy, fichiers <strong>des</strong> clients <strong>des</strong> EAP 1935-1938<br />

526


Figure annexe II-1 – Programme de la section de psychologie appliquée de l’Institut de psychologie de<br />

l’Université de Paris, 1924 (Archives Lahy).<br />

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527


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

528


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

529


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

530


Figure annexe II-2 « Profils types » utilisés pour la sélection <strong>des</strong> guichetiers aux PTT en 1947 (Archives<br />

PTT).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

531


Document II-1 Lettre de Suzanne Pacaud à H. Piéron (1947)<br />

Monsieur et cher maître,<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Je vous prie de trouver ci <strong>des</strong>sous la réponse aux suggestions présentées dans la note que<br />

vous avez bien voulu m’adresser et relatives à la création d’une Association Professionnelle<br />

de Psychologues d’Application.<br />

Il est incontestablement nécessaire d’envisager les moyens d’assurer la protection de la<br />

profession au quadruple point de vue :<br />

1°) de la compétence<br />

2°) de la moralité<br />

3°) <strong>des</strong> progrès <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> et <strong>des</strong> techniques<br />

4°) <strong>des</strong> intérêts professionnels<br />

C’est une idée que j’ai soutenue depuis de nombreuses années au cours de conversations avec<br />

M Lahy et ensuite avec M Bonnardel et par conséquent sur laquelle je ne peux être que<br />

d’accord. Il me semble cependant que cette protection devant s’exercer sur <strong>des</strong> plans distincts<br />

ne saurait être entièrement assumée par la seule association envisagée dans cette note.<br />

1°) En ce qui concerne la compétence, le seul moyen de protection efficace me paraît être le<br />

choix sur titre par un jury d’examen. En effet, aucune association privée ne peut valablement<br />

se substituer à cet égard à un jury universitaire. Une telle association, en émettant cette<br />

prétention échapperait difficilement à la suspicion de vouloir organiser en réalité un<br />

monopole arbitraire en faveur de ses propres membres<br />

Il me semble d’ailleurs que le diplôme d’expert-psychotechnicien a été précisément créé dans<br />

le but de constituer le critère officiel de cette compétence. La condition fondamentale pour<br />

accéder à la profession de psychologue d’application devrait être la possession de ce diplôme<br />

à l’instar de ce qui existe pour l’exercice de la médecine ou de la pharmacie.<br />

L’action préliminaire à tout essai de protection de la profession devrait donc avoir pour but<br />

l’élaboration d’un projet de législation dans ce sens.<br />

Il est bien évident que <strong>des</strong> dispenses devraient être prévues pour les membres du corps<br />

enseignant à l’Institut de psychologie chargés de délivrer ce nouveau titre.<br />

2°) Le contrôle de la moralité peut être du ressort d’une Association du type d’un Ordre<br />

professionnel (ordre <strong>des</strong> médecins, ordre <strong>des</strong> avocats) comportant un Conseil élu ayant <strong>des</strong><br />

pouvoirs légaux de contrôle et d’exclusion.<br />

3°) Le progrès <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> et <strong>des</strong> techniques me paraît devoir être étudié par les<br />

Associations scientifiques ou encore par une association de professeurs et anciens élèves de<br />

l’Institut de psychologie qui pourrait avoir une section de psychologie appliquée.<br />

4°) Enfin la défense <strong>des</strong> intérêts professionnels dans la conception actuelle de l’organisation<br />

sociale est incontestablement du ressort <strong>des</strong> organismes syndicaux.<br />

532


La protection de la profession sur ce plan peut être réalisée par la création d’un syndicat dès<br />

qu’il y aura un nombre suffisant d’experts psychotechniciens pour constituer avec les<br />

membres du corps enseignant de l’Institut de psychologie un groupe notable.<br />

Mais l’obtention d’une législation définissant la compétence en rendant obligatoire le<br />

diplôme d’expert-psychotechnicien constituerait déjà un pas important même sur le plan <strong>des</strong><br />

intérêts professionnels.<br />

Dans ce but il me semble qu’il serait de toute façon très utile de créer dès maintenant une<br />

commission d’étude <strong>des</strong>tinée à élaborer les projets de législation dans ce sens.<br />

J’accepte bien volontiers de faire partie d’une telle commission qui pourrait en effet être<br />

placée sous la présidence de M Bonnardel, comme vous le proposez.<br />

Veuillez agréer, cher maître, l’expression de mes sentiments bien dévoués,<br />

Suzanne Pacaud.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

533


Tableau annexe II-5 Organisation <strong>des</strong> services psychotechniques de l’Armée<br />

Psychotechnicien en chef Lt Colonel 1<br />

Psychotechnicien Principal Cdt 3<br />

Psychotechnicien 1 ère classe Capitaine 15<br />

Psychotechnicien 2 ème classe Lt 20<br />

Psychotechnicien 3 ème classe Sous-Lt 20<br />

Psychotechnicien-stagiaire Aspirant 25<br />

Aide- Psychotechnicien de 1 ère cl Adjt-chef 20<br />

Aide-Psychotechnicien de 2 ème cl Adjt 30<br />

Aide- Psychotechnicien de 3 ème cl Sergent chef 20<br />

Source : Arch. Piéron, 520 AP 14 « services psychotechniques de l’Armée 1944-1945 »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe II-6 Le paysage associatif de la psychotechnique au tournant <strong>des</strong> années 1950<br />

PRINCIPALES<br />

ORGANISATIONS<br />

APPD<br />

CGTpsychotechniciens<br />

Psychotechniciens de<br />

la CGC<br />

Chambre syndicale<br />

<strong>des</strong> conseils en<br />

psychologie du travail<br />

Syndicat National <strong>des</strong><br />

psychologues<br />

praticiens diplômés<br />

Association<br />

psychotechnique de<br />

France<br />

NATURE DE<br />

L’ORGANISATION<br />

FORMATION<br />

D’ORIGINE DES<br />

ADHERENTS<br />

LIEUX D’EXERCICE<br />

EFFECTIFS<br />

EN 1953<br />

Association savante<br />

et professionnelle<br />

INETOP et IPP Entreprises publiques et<br />

administration<br />

120<br />

Syndicat INFCP Ministère du travail et 90<br />

entreprises publiques<br />

Syndicat IPP Industrie privée et 40<br />

conseil<br />

Organisation Formations privées ou Conseil -<br />

professionnelle formations sur le tas<br />

Syndicat<br />

indépendant<br />

Licence de<br />

psychologie et IPP<br />

Tous secteurs 50<br />

Association amicale INFCP Ministère du travail et<br />

industrie<br />

360<br />

534


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe II-7 Principales associations professionnelles représentées au sein de l’ANOP<br />

(Association Nationale <strong>des</strong> Organisations de Psychologues) 1980-1985<br />

NOM<br />

ANNEE DE<br />

CREATION<br />

EFFECTIFS<br />

EFFECTIFS<br />

D’ADHERENTS<br />

POTENTIELS<br />

SEGMENT<br />

REPRESENTE<br />

SFP Société française de psychologie 1901 1450 12000 Universitaires<br />

AFPS Association française <strong>des</strong> psychologues<br />

Psychologues<br />

1962 1200 2400<br />

scolaires<br />

scolaires<br />

SNP Syndicat national <strong>des</strong> psychologues<br />

Praticiens<br />

1950 1200 12000 diplômés en<br />

psychologie<br />

SNES Syndicat National de l’enseignement<br />

Conseillers<br />

1100 2500<br />

secondaire (conseillers d’orientation)<br />

d’orientation<br />

SPEN Syndicat de psychologues de<br />

Psychologues<br />

1975 700 2400<br />

l’Education Nationale<br />

scolaires<br />

ACOF Association <strong>des</strong> conseillers<br />

Conseillers<br />

1930 500 2500<br />

d’orientation de France<br />

d’orientation<br />

Psy’G Groupement syndical <strong>des</strong> praticiens de<br />

Praticiens libéraux<br />

1966 500 ?<br />

la psychologie<br />

non diplômés<br />

AFPH Association française <strong>des</strong> psychologues<br />

Psychologues du<br />

1978 400 2000<br />

hospitaliers<br />

secteur hospitalier<br />

AFCCC Association Française <strong>des</strong> centres de<br />

Conseillers<br />

1962 110 ?<br />

consultation conjugale<br />

conjugaux<br />

SNESup Syndicat national d’enseignants du<br />

supérieur<br />

260 600 Universitaires<br />

AEPU Association <strong>des</strong> enseignants de<br />

psychologie <strong>des</strong> universités<br />

1966 220 600 Universitaires<br />

SNCS, Syndicat de chercheurs CNRS et<br />

rattaché à INSERM 180 200 Universitaires<br />

la FEN<br />

SNPES<br />

Syndicat national <strong>des</strong> personnels de<br />

l’éducation surveillée 154 −<br />

ANPEC Association Nationale <strong>des</strong><br />

psychologues de l’enseignement<br />

catholique<br />

110 200<br />

Psychologues du<br />

ministère de la<br />

justice<br />

Psychologues de<br />

l’enseignement<br />

catholique<br />

Source : Arch. SNP « Comptes-rendus de réunions ANOP »<br />

535


Graphique annexe II-1 Publications scientifiques en psychologie 1896-1955<br />

6000<br />

5000<br />

4000<br />

3000<br />

2000<br />

Allemagne<br />

GB + EU<br />

France<br />

autre<br />

1000<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

0<br />

1896-<br />

1900<br />

1901-<br />

1905<br />

1906-<br />

1910<br />

1911-<br />

1915<br />

1916-<br />

1920<br />

1921-<br />

1925<br />

1926-<br />

1930<br />

1931-<br />

1935<br />

1936-<br />

1940<br />

1941-<br />

1945<br />

1946-<br />

1950<br />

1951-<br />

1955<br />

Source : Ben David et Collins (1966)<br />

Graphique annexe II-2 Proportion d’étudiants de nationalité française parmi les élèves de la section de<br />

psychologie appliquée de l’Institut de Psychologie<br />

0,9<br />

0,8<br />

0,7<br />

0,6<br />

0,5<br />

0,4<br />

0,3<br />

0,2<br />

0,1<br />

0<br />

1922<br />

1923<br />

1924<br />

1925<br />

1926<br />

1927<br />

1928<br />

1929<br />

1930<br />

1931<br />

1932<br />

1933<br />

1934<br />

1935<br />

1936<br />

1937<br />

1938<br />

1939<br />

1940<br />

Source : Arch. Institut de psychologie, Registres d’inscription<br />

536


Graphique annexe II-3 Nombre d’examens annuels réalisés par le laboratoire psychotechnique de la<br />

STCRP (1924-1938)<br />

10000<br />

9000<br />

8000<br />

7000<br />

6000<br />

5000<br />

4000<br />

3000<br />

2000<br />

1000<br />

0<br />

1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Source : Archives RATP, document internes, 1939<br />

Graphique annexe II-4 Nombre moyen d’accidents annuels par machiniste à la STCRP (1923-1936)<br />

1,6<br />

1,4<br />

1,2<br />

1<br />

0,8<br />

0,6<br />

0,4<br />

0,2<br />

0<br />

1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936<br />

Source Archives RATP, documents internes, 1939<br />

537


Graphique annexe II-5 Section de psychologie appliquée de l'Institut de Psychologie (Université de Paris)<br />

: inscriptions et diplômes délivrés de 1922 à 1940<br />

30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

Inscriptions<br />

Diplômes délivrés<br />

10<br />

5<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

0<br />

Source : Arch. Institut de Psychologie – Registres d’inscription<br />

Graphique annexe II-6 Proportion d’étudiants de nationalité française parmi les élèves de la section de<br />

psychologie appliquée de l’Institut de Psychologie (Université de Paris) de 1922 à 1940<br />

90,0%<br />

80,0%<br />

70,0%<br />

60,0%<br />

50,0%<br />

40,0%<br />

30,0%<br />

20,0%<br />

10,0%<br />

0,0%<br />

538<br />

1922<br />

1923<br />

1924<br />

1925<br />

1926<br />

1927<br />

1928<br />

1929<br />

1930<br />

1931<br />

1932<br />

1933<br />

1934<br />

1935<br />

1936<br />

1937<br />

1938<br />

1939<br />

1940<br />

Source : Arch. Institut de Psychologie – Registres d’inscription<br />

Proportion<br />

d'étudiants de<br />

nationalité<br />

française


Graphique annexe II-7 Origine géographique <strong>des</strong> étudiants en psychologie appliquée de l’Institut de<br />

psychologie (1922-1940)<br />

45%<br />

40%<br />

35%<br />

30%<br />

25%<br />

20%<br />

15%<br />

10%<br />

5%<br />

0%<br />

France Europe de l'est autres pays<br />

européens<br />

autres<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Source : Arch. Institut de psychologie – Registres d’inscription<br />

Graphique annexe II-8 Statistiques d’adhésion de psychologues du<br />

travail à l’APA (American Psychological Association) 1945-2000<br />

4000<br />

3500<br />

3000<br />

2500<br />

2000<br />

1500<br />

1000<br />

500<br />

0<br />

1945<br />

1950<br />

1955<br />

1960<br />

1965<br />

1970<br />

1975<br />

1980<br />

1985<br />

1990<br />

1995<br />

2000<br />

Source : Statistiques SIOP (Society for Industrial and<br />

Organizational Psychology), APA<br />

539


Graphique annexe II-9 Année d’obtention du diplôme de psychologie<br />

appliquée de l’Institut de psychologie <strong>des</strong> membres de l’APPD<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

Avant 1940 de 1940 à 1945 Après 1945<br />

Source: Registres APPD 1953, Archives personnelles R. Carpentier<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Graphique annexe II-10 Diplômes de psychologie appliquée délivrés annuellement par<br />

l'Institut de Psychologie (1922-1956)<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

1922<br />

1924<br />

1926<br />

1928<br />

1930<br />

1932<br />

1934<br />

1936<br />

1938<br />

1940<br />

1942<br />

1944<br />

1946<br />

1948<br />

1950<br />

1952<br />

1954<br />

1956<br />

Source : Arch. Institut de psychologie – Registres d’inscription<br />

540


Graphique annexe II-11 Adhésions au Groupement <strong>des</strong> graphologues conseils<br />

de France 1946-1970 (Nombre de nouvelles adhésions seulement<br />

40<br />

35<br />

30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

1946<br />

1948<br />

1950<br />

1952<br />

1954<br />

1956<br />

1958<br />

1960<br />

1962<br />

1964<br />

1966<br />

1968<br />

1970<br />

Source : Annuaire du GGCF 1946-2002<br />

Graphique annexe II-12 Part de publications en psychologie du<br />

travail dans l’ensemble <strong>des</strong> publications de psychologie 1945-1970<br />

18%<br />

16%<br />

14%<br />

12%<br />

10%<br />

8%<br />

6%<br />

4%<br />

2%<br />

0%<br />

1945<br />

1947<br />

1949<br />

1951<br />

1953<br />

1955<br />

1957<br />

1959<br />

1961<br />

1963<br />

1965<br />

1967<br />

1969<br />

Source : Psychological Abstracts<br />

541


Graphique annexe II-13 Effectifs d’adhérents au Syndicat National <strong>des</strong> Psychologues,<br />

1960-1985<br />

1600<br />

1400<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

600<br />

400<br />

200<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

0<br />

1960 1965 1970 1975 1979 1980 1985<br />

Source : Arch. SNP, s.c.<br />

Graphique annexe II-14 Présence de représentants <strong>des</strong> différentes associations au<br />

cours <strong>des</strong> réunions de l’ANOP au moment <strong>des</strong> débats sur le titre de psychologue<br />

(1980-1990)*<br />

90<br />

80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

ACOF<br />

AEPU<br />

AFCCC<br />

AFPS<br />

ANPEC<br />

Psycho prat<br />

SFP<br />

SNES<br />

SNESup<br />

SNP<br />

SNP Psy<br />

SPEN<br />

*Nombre cumulé de représentants présents entre 1980 et 1990<br />

Source : Arch. SNP, « Comptes rendus <strong>des</strong> réunions de l’ANOP.<br />

542


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

1880 1900 1920 1940 1960<br />

Marey<br />

Richet<br />

Laugier<br />

Imbert<br />

Bonnardel<br />

Leplat<br />

Toulouse Lahy<br />

Pacaud<br />

Goguelin<br />

Vaschide<br />

Fessard Paillard<br />

Beaunis<br />

Binet<br />

Charcot<br />

Piéron<br />

V.Henri<br />

Reuchlin Lautrey<br />

Fraisse<br />

Le Ny<br />

Blondel<br />

Janet<br />

Lagache Anzieu<br />

Chiland<br />

Favez-Boutonnier<br />

Ribot Dumas<br />

Wallon<br />

Zazzo<br />

Gratiot-Alphandéry<br />

Psychologie<br />

de l’enfant<br />

Figure II-1– Arbre généalogique <strong>des</strong> principaux courants de la psychologie<br />

Psychologie<br />

différentielle et<br />

du travail<br />

Psychologie<br />

clinique<br />

543


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe II-8 Prosopographie <strong>des</strong> candidats au diplôme d’Etat de psychotechnicien 1956-1970<br />

NOM<br />

Age du<br />

candidat<br />

Sexe Profession 1 Entreprise 1 Profession t Entreprise<br />

DUGUET 48 ans M Aide-<strong>des</strong>sinateur Tôlerie Fageol Chef laboratoire RATP 1948 9 CNAM<br />

544<br />

Exerce<br />

depuis<br />

ANCIAUX M Psychotechnicien<br />

BARTHE 38 ans F Psychotechnicienne CORT Psychotechnicien CORT 1950 9<br />

BELLEGY F Psychologue<br />

BERNARD 42 ans M Chronométreur<br />

Ets Geoffroy-<br />

Delore<br />

Psychotechnicien<br />

BLIQUE M Psychologue<br />

BORDES 44 ans F<br />

Secrétaire de<br />

direction<br />

Caisses<br />

allocations<br />

familiales<br />

Melun<br />

Psychologue du<br />

travail<br />

BOUCHER M Psychotechnicien<br />

CAIGNIE 41 ans M Employé de bureau<br />

CARPENTIER 39 ans M<br />

CHAGOT-<br />

DELSANTI<br />

Employé de bureau<br />

(service personnel)<br />

Huileries du<br />

Nord<br />

La fibranne de<br />

Bezon<br />

Psychotechnicien<br />

Foyer de<br />

rééducation pour<br />

jeunes mères<br />

Société <strong>des</strong> Usines<br />

Chausson<br />

Bureau de<br />

psychologie<br />

industrielle<br />

(conseil)<br />

Ancienneté<br />

dans le<br />

poste<br />

1953 4<br />

1951 12<br />

1956 4<br />

Diplôme de<br />

psychologie<br />

CNAM<br />

OST et<br />

Sélection et<br />

OP<br />

CERP 1955 5 INFCP<br />

Centre de Sélection<br />

de la sécurité<br />

sociale<br />

1946 10<br />

Psychotechnicien RATP 1950 6<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

Régie Autonome<br />

<strong>des</strong> transports de<br />

F<br />

ville de Marseille<br />

Secrétaire de La Phénix<br />

Consultation<br />

CHAUMIEN 61 ans F<br />

Psychotechnicien<br />

direction<br />

Assurances<br />

familiale d'OP<br />

Malterie de<br />

Mines domaniales<br />

DESSOUD 45 ans M Contremaître<br />

Psychotechnicien<br />

Lutterbach<br />

de potasse d'Alsace<br />

DESTRAY F Employé <strong>des</strong> postes PTT Psychotechnicien PTT<br />

DOMMARCO M Psychotechnicien ANIFRMO 1946<br />

DOZOL M Psychotechnicien CERP<br />

DUBOIS 39 ans M Chef de bureau<br />

Docks Fouquet<br />

(Le Havre)<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

Port Autonome du<br />

Havre<br />

1947 9<br />

1945 12<br />

1946 10<br />

1951 8<br />

Deux<br />

diplômes de<br />

l'IPP


et Gaillard psychotechnique<br />

réseau routier<br />

DURAND 46 ans M Sélectionneur ANIFRMO Psychotechnicien<br />

ELMER 46 ans M Instituteur Education<br />

nationale<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

Société <strong>des</strong> usines<br />

Chausson<br />

Chambre de<br />

commerce de Saint-<br />

Etienne<br />

1946 11<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

- INFCP<br />

1950 7 INOP<br />

FAISAN M Charge d'étu<strong>des</strong> CERP 1956 < 1 an<br />

FONTAINE 30 ans M Instituteur<br />

FREYSSENGE 40 ans M Journaliste<br />

Education<br />

nationale<br />

Journal la<br />

France Libre<br />

Psychotechnicien<br />

Gouvernement<br />

tunisien<br />

1956 < 1 an<br />

Psychotechnicien ANIFRMO 1953 6<br />

GENEST 32 ans M Psychotechnicien RATP Psychotechnicien Prévention Routière 1958<br />

GISCARD M Charge d'étu<strong>des</strong> CERP 1954 2<br />

GRISEZ M Charge d'étu<strong>des</strong> CERP<br />

GUERIN 43 ans F Psychotechnicien<br />

JARDILLIER 37 ans M Documentaliste CORT<br />

Centre<br />

technique de<br />

documentation<br />

et d'OP (1945-<br />

1965)<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

Conseil en<br />

psychologie<br />

industrielle<br />

Caisse régionale<br />

d'assurance maladie<br />

1965 INOP<br />

CORT 1948 10<br />

JUSTIN 46 ans M Employé <strong>des</strong> postes PTT Psychotechnicien PTT 1946 10<br />

LACROTTE 37 ans M Médecin<br />

LATASTE 50 ans M<br />

Employé <strong>des</strong> postes<br />

(guichet)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Marine<br />

nationale<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

Marine nationale 1954 5<br />

PTT Psychotechnicien PTT 1945 11<br />

licence de<br />

psychologie<br />

- deux<br />

diplômes de<br />

l'IPP<br />

licence de<br />

psychologie<br />

deux<br />

diplômes de<br />

l'IPP<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

licence de<br />

psychologie<br />

rennes<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

545


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

LAURENT 42 ans M Médecin<br />

Armée de<br />

Terre<br />

Psychotechnicien Marine Nationale 1949 10<br />

LAVIGNE 33 ans M<br />

Inspecteur <strong>des</strong><br />

bureaux de poste<br />

PTT Psychotechnicien PTT 1958 4<br />

LE MAITOUR M Psychotechnicien ANIFRMO<br />

LEGRAND M Psychotechnicien<br />

Houillères du<br />

Bassin du Nord et<br />

du Pas de Calais<br />

LUCAS-<br />

FONTAINE<br />

F Psychotechnicien ANIFRMO 1951 4<br />

MAES M Psychotechnicien UNESCO<br />

MONROUX 40 ans M Pointeur-marqueur<br />

E.I.T.P.<br />

entreprise de<br />

travaux<br />

publics, Toulon<br />

Psychotechnicien<br />

NODIOT F Charge d'étu<strong>des</strong><br />

D.E.F.A<br />

(Armement)<br />

Agence française<br />

pour l’avancement<br />

de la productivité<br />

(AFAP)<br />

PATIN M Psychotechnicien ANIFRMO<br />

1951 9<br />

PECHADRE 47 ans F Psychotechnicien ANIFRMO Charge d'étu<strong>des</strong> ANIFRMO 1962 < 1 an<br />

PETIT 44 ans M<br />

Employé bureau du<br />

personnel<br />

SNCFdirection<br />

régionale IDF<br />

Psychotechnicien<br />

D.E.F.A.<br />

(Armement)<br />

1949 11<br />

PIROT 34 ans M Psychotechnicien Renault Psychotechnicien<br />

Société Nationale<br />

d'applications<br />

psychologiques<br />

(conseils)<br />

1948 8<br />

POINSARD 50 ans M RATP Psychotechnicien RATP 1948 10<br />

546<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

CNAM<br />

Sélection et<br />

Physiologie<br />

du travail<br />

Licence de<br />

psychologie<br />

et diplômes<br />

de l’IPP<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

CNAM<br />

OST; IPP<br />

(PA),<br />

INETOP<br />

(46-48)<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

PONTFORT F Psychologue Armée<br />

QUESNE M Psychotechnicien PTT<br />

RIVELINE 50 ans M Armée de terre<br />

ROLLINDE DE<br />

BEAUMONT<br />

60 ans M<br />

Psychologueconseil<br />

Psychologueconseil<br />

ROMIER M Psychotechnicien<br />

Conseil<br />

indépendant<br />

Société française de<br />

psychotechnique<br />

Ateliers et forges de<br />

la Loire<br />

1953 1<br />

SAGOT M Psychotechnicien Péchiney<br />

SCHNEBELEN 46 ans M Employé de bureau Administration Psychotechnicien ANIFRMO 1945 12 INFCP<br />

SIROT 48 ans M Employé de banque<br />

Société<br />

générale<br />

SOULIER M Psychotechnicien<br />

TOMSIN F Psychotechnicien<br />

VARIGNON 52 ans M<br />

VERMEERSCH 43 ans F<br />

Opérateur de<br />

psychotechnique<br />

Chef de service<br />

apprentissage<br />

Psychotechnicien RATP 1948 10<br />

centre d'étu<strong>des</strong> et<br />

d'instructions<br />

psychologiques<br />

Caisse de sécurité<br />

sociale de la région<br />

parisienne<br />

SNCF Psychotechnicien SNCF 1936 23<br />

Fileteries<br />

Crespel (Lille)<br />

Psychotechnicien<br />

Caisse primaire<br />

centrale de sécurité<br />

sociale<br />

1948 8<br />

VIBERT M Charge d'étu<strong>des</strong> CERP 1955 < 1 an<br />

VILMINOT 49 ans M Officier Armée<br />

Chef de service<br />

psychotechnique<br />

WILLY M Psychotechnicien<br />

Institut de<br />

psychologie<br />

industrielle et<br />

commerciale<br />

Centre de sélection<br />

de la Sécurité<br />

sociale<br />

1956<br />

Licence de<br />

psychologie<br />

- IPP psy<br />

app et psy<br />

patho<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP<br />

CNAM<br />

sélection et<br />

OP et<br />

physiologie<br />

Deux<br />

diplômes<br />

IPP<br />

Deux<br />

diplôme de<br />

l'IPP<br />

Source : Arch. CNAM 4 CC /1 et 4CC/2 – « Diplôme d’Etat de psychotechnicien 1953-1970 »<br />

Tableau annexe II-9 Sujets <strong>des</strong> thèses présentées pour l’obtention du diplôme d’Etat de psychotechnicien<br />

SUJET DE THESE<br />

547


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Le phénomène de compensation en réadaptation professionnelle<br />

Les problèmes de la vision de près dans les travaux de mécanographie<br />

La délinquance juvénile en milieu maritime<br />

Le grutier <strong>des</strong> ports maritimes<br />

Effets de l'alcoolisme sur l'efficience aux tests psychotechniques<br />

Sélection de monitrices du service <strong>des</strong> chèques postaux<br />

Sélection du personnel <strong>des</strong> services radioélectriques<br />

L'orientation <strong>des</strong> agents <strong>des</strong> PTT vers les postes de tri<br />

Sélection <strong>des</strong> techniciens spécialisés dans un service de recherche<br />

Technique d'administration du test <strong>des</strong> cubes de Kohs adaptée aux Nord-Africains originaires d'Algérie<br />

Contribution à l'étude de la mesure de l'habileté manuelle<br />

Une expérience d'adaptation <strong>des</strong> jeunes dans une industrie de transformation<br />

Contribution aux recherches sur la sélection <strong>des</strong> conducteurs de véhicules automobiles<br />

L'intervention du psychologue dans la conception <strong>des</strong> machines: étude sur la fraiseuse<br />

Les applications psychotechniques concernant la FPA en Tunisie<br />

Batterie de sélection <strong>des</strong> candidats à un stage de FPA<br />

Contribution à l'étude expérimentale du travail dactylographe<br />

La formation et le perfectionnement <strong>des</strong> personnels d'encadrement<br />

La recherche et l'examen <strong>des</strong> situations génératrices d'accidents<br />

Etude <strong>des</strong> motivations et <strong>des</strong> options d'ordre professionnel chez les cadres révélées par le test SVI du Dr Bize<br />

Evolution de la méthode psychotechnique et de ses objectifs dans les gran<strong>des</strong> entreprises<br />

Le débile mental dans le monde du travail<br />

Etude psychologique de l'agent de maîtrise du fond <strong>des</strong> houillères<br />

Etude <strong>des</strong> facteurs sociaux, familiaux et personnels, intervenant dans les motivations et aspirations professionnelles<br />

Recherche sur l'amélioration du pronostic de réussite à une formation professionnelle d'adolescents<br />

Adaptation du test de Gordon "leadership <strong>des</strong>cription" dans le cadre d'une étude sur la formation aux relations humaines du personnel d'encadrement<br />

Les examens psychotechniques préalables à la F.P.A.<br />

Etude comparée <strong>des</strong> sensibilités, à la pression gravimétrique et algiques d'une population de délinquants mineurs<br />

Un test de compréhension de <strong>des</strong>sins<br />

Une application de la psychotechnique dans une entreprise marocaine<br />

Etude sur les jeunes machinistes de la RATP auteurs d'accidents renouvelés<br />

L'observation clinique en psychologie industrielle: étude du test d'Alexander dans les examens de sélection et de promotion<br />

De quelques tests mentaux, notamment d'attention, de mémoire et de promnèse<br />

Examen de la fonction de commandement<br />

Une expérience de validation à partir d'un système de notations professionnelles<br />

Application de la psychotechnique dans l'industrie: son étendue et ses limites<br />

L'examen psychotechnique <strong>des</strong> candidats aux cours par correspondance préparatoire aux concours d'admission en stage de FPA<br />

La connaissance et les épreuves de connaissance en psychotechnique<br />

Les problèmes posés par la sursélection dans le recrutement du personnel d'une grande entreprise<br />

Etude d'un test d'intelligence spatiale sur une population d'éthyliques chroniques<br />

Source : Arch. CNAM 4 CC /1 et 4CC/2 – « Diplôme d’Etat de psychotechnicien 1953-1970 »<br />

548


Tableau annexe II-10 Le monde de la psychotechnique en France 1920-1939<br />

I.N.O.P. (1928 -) et<br />

CNAM<br />

LAHY JEAN-MAURICE Membre du C.A.<br />

Professeur à l’INOP<br />

LAUGIER HENRI Directeur de l’INOP.<br />

Chaire de<br />

physiologie du travail<br />

et hygiène<br />

industrielle au<br />

CNAM (1928).<br />

PACAUD SUZANNE Chargée de travaux<br />

pratiques<br />

Institut de<br />

psychologie de la<br />

Sorbonne<br />

(1921 - )<br />

Responsable de la<br />

section de<br />

psychologie<br />

appliquée de<br />

l’Institut<br />

Professeur de<br />

physiologie<br />

Hélène puis<br />

chargée de travaux<br />

pratiques<br />

PIERON HENRI Directeur-fondateur Directeurfondateur<br />

Laboratoire de<br />

psychologie<br />

expérimentale<br />

(E.P.H.E.)<br />

(1900 - )<br />

Assistant (1904-1908),<br />

Chef de travaux (1908-<br />

1926), puis directeur<br />

(1927)<br />

Revue Le Travail<br />

humain (1933 - )<br />

Co-fondateur et<br />

rédacteur en chef<br />

(1933-1943)<br />

Co-fondateur et<br />

rédacteur en chef<br />

(1933-1943)<br />

Assistante Collaboration<br />

régulière<br />

Assistant (1901-1907)<br />

puis chef de travaux<br />

(1907-1912)<br />

Association<br />

internationale de<br />

psychotechnique<br />

(1922 -)<br />

Secrétaire général<br />

permanent<br />

Participation régulière<br />

Participation régulière<br />

Collaboration Secrétaire général<br />

TOULOUSE EDOUARD Membre du CA Directeur (1920-1922) Participation régulière<br />

FONTEGNE JULIEN Fondateur et<br />

codirecteur<br />

WALLON HENRI Professeur INOP Chargé de<br />

conférences<br />

WEINBERG DAGMAR Chargée de<br />

conférences INOP<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Comité d’organisation<br />

de la conférence de<br />

1927<br />

Professeur à l’EPHE Participation régulière<br />

Collaboration<br />

régulière<br />

Participation régulière<br />

Source : inspiré de Schneider (1991, p. 414)<br />

Tableau annexe II-11 Membres <strong>des</strong> missions psychotechniques (1952 et 1955)<br />

NOM PRENOM DATE<br />

NAISS<br />

ANCE<br />

ANNEE<br />

MISSION<br />

PROFESSION INSTITUTION SECTEUR PROFESSION<br />

OCCUPEE<br />

DEPUIS<br />

FORMATION<br />

UNIVERSITAIRE DE<br />

BASE<br />

INOP IPP<br />

FRAISSE Paul 1911 1952 Universitaire Institut de psychologie recherche 1943 doctorat non non<br />

PACAUD Suzanne 1902 1952 Universitaire Institut de psychologie recherche 1936 expertpsychotechnicien<br />

non oui<br />

FAVERGE Jean- 1912 1952 chargé d'étu<strong>des</strong> CERP recherche 1947 Agrégation de non oui<br />

549


Marie mathématiques<br />

RENNES Pierre 1914 1952 psychologue-conseil CPA (centre de<br />

psychologie appliquée)<br />

conseil 1947 diplôme de<br />

Conseiller d’OP<br />

oui oui<br />

BONNAIRE Jean 1920 1952 psychotechnicien RNUR industrie 1946 oui oui<br />

BENASSY Colette 1914 1952 secrétaire général INETOP enseignement 1939 licence de lettres oui oui<br />

GAVINI Hélène 1904 1952 chargé d'étu<strong>des</strong> CNRS recherche 1925 licence oui non<br />

BOURDON Marcel 1952 psychotechnicien SNECMA industrie licence non oui<br />

TAMIATTO Alfred 1921 1952 psychologue-conseil Société Continentale d'analyse et de mesure<br />

du travail<br />

conseil 1947 ingénieur A et M non non<br />

BACH Jean-<br />

Claude<br />

1952 psychotechnicien Compagnie <strong>des</strong><br />

tramways électriques de<br />

limoges<br />

DURAND Raoul 1914 1952 psychotechnicien Ministère de la France<br />

d'Outre-Mer<br />

transport non<br />

administration 1950 licence de droit non oui<br />

BRIDE Georges 1952 psychotechnicien Houillères Nationales non<br />

LEFETZ Michel 1922 1955 psychotechnicien SNCF transport 1948 école normale oui oui<br />

d'instituteur<br />

JARDILLIER Pierre 1923 1955 psychologue-conseil Cie d’Organisation Rationnelle du Travail<br />

conseil 1948 licence droit non<br />

GAUTHERON Pierre 1914 1955 psychotechnicien SNECMA industrie 1953 oui oui<br />

1920 1955 psychotechnicien RATP transport 1950 non oui<br />

CARPENTIER Raymon<br />

d<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

ROCHE Michel 1922 1955 psychotechnicien FNTR non oui<br />

NATAN Joseph 1926 1955 ingénieur EDF énergie 1951 ingénieur centrale non non<br />

BOUCHER Henri 1904 1955 chronopréparateur Ets Gillet-Thaon imprimerie 1934 non non<br />

CLEMENT René 1919 1955 chronométreur Sté Lorraine-Escaut<br />

ROUX Pierre 1955 ingénieur Dunlop industrie ingénieur A et M<br />

FLACHOT Guy 1919 1955 psychotechnicien DEFA défense 1951 oui<br />

GOGUELIN Pierre 1923 1955 psychotechnicien EDF énergie 1948 ingénieur Navale non oui<br />

LEVY Pierre 1926 1955 chargé d'étu<strong>des</strong> BUS enseignement 1951 licence lettres non non<br />

CAIGNIE Albert 1918 1955 psychotechnicien ANIFRMO formation 1945 non non<br />

THIERY Romain 1891 1955 inspecteur du travail Ministère du travail administration 1942 non non<br />

LEPLAT Jacques 1922 1955 chargé d'étu<strong>des</strong> CERP recherche 1951 licence philo non non<br />

ANDLAUER Pierre 1927 1955 médecin Ministère du travail administration 1953 doctorat médecine non non<br />

Source : Archives nationales, CAC Fontainebleau, 19760121 art. 125<br />

550


III. Annexe 3 : Données générales sur la<br />

psychologie et la psychologie du travail<br />

Tableau annexe III-1 Panorama <strong>des</strong> professions « psy »<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

NAISSANCE<br />

GRANDES FIGURES<br />

PHASE DE<br />

PROFESSIONNALISATION<br />

DISPOSITIFS ACTUELS<br />

DE FERMETURE DE<br />

MARCHE<br />

EFFECTIFS<br />

PSYCHIATRES PSYCHOLOGUES PSYCHANALYSTES PSYCHOTHERAPEUTES<br />

Fin du XVIII e<br />

Deuxième moitié du<br />

Fin du XIX e siècle Début XX e siècle<br />

siècle<br />

XX e siècle<br />

Pinel, Esquirol<br />

Wilhelm Wundt,<br />

Sigmund Freud,<br />

Théodule Ribot,<br />

Carl Rogers, Kurt<br />

Carl Jung, Alfred<br />

James Mc Keen<br />

Lewin, Erik Erikson<br />

Adler<br />

Cattell<br />

Deuxième moitié Entre deux guerres<br />

du dix-neuvième (psychologie Années 1950 Années 1960-1970<br />

siècle (aliénisme) appliquée)<br />

Protection du titre<br />

Titre protégé. DESS<br />

et de l’activité.<br />

de psychologie ou Aucun (contrôle<br />

Diplôme de<br />

DEA de<br />

par les<br />

docteur en<br />

psychologie organisations<br />

médecine, suivi<br />

accompagné d’un professionnelles)<br />

d’une phase de<br />

stage (depuis 1985)<br />

spécialisation<br />

Aucun<br />

13000 (13% <strong>des</strong><br />

médecins en<br />

40000 15000 Env. 6000<br />

France)<br />

551


Tableau annexe III-2 Les principaux champs d’exercice de la psychologie en France<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

CLINIQUE/SANTE<br />

TRAVAIL<br />

EDUCATION<br />

TYPE D’ACTIVITE LIEUX D’EXERCICE STATUTS PARTICULIERS EFFECTIFS<br />

• Décret de 1971 du<br />

Ministère de la Santé relatif<br />

au recrutement et à<br />

l’avancement <strong>des</strong><br />

psychologues dans les<br />

établissements<br />

• Hôpitaux<br />

d’hospitalisation, de soin et<br />

• Prévention généraux<br />

de cure publics<br />

• Soin<br />

• Hôpitaux<br />

• Décret de 1991 « portant Env. 15000<br />

• Thérapies psychiatriques<br />

statut particulier <strong>des</strong><br />

• Réinsertion • Pratique libérale<br />

psychologues de la fonction<br />

publique hospitalière<br />

• Décret de 1981 du<br />

Ministère de la justice créant<br />

un corps de Psychologues de<br />

la Protection judiciaire de la<br />

jeunesse<br />

• Service public de<br />

l’emploi (AFPA, • Psychologues du travail de<br />

• Formation ANPE, associations l’AFPA (depuis 1947)<br />

• Recrutement d’insertion…) • Psychologues du travail de<br />

• Orientation • Gran<strong>des</strong><br />

différentes gran<strong>des</strong><br />

d’adultes<br />

entreprises<br />

entreprises publiques (RATP,<br />

Env. 6000<br />

• Gestion de personnel publiques et privées SNCF, La Poste…) ou<br />

• communication • Pratique libérale administrations (Armée)<br />

(conseil en<br />

recrutement…)<br />

• Protection<br />

maternelle et<br />

• Conseillers d’orientation<br />

• Protection <strong>des</strong> infantile (crèches)<br />

psychologues (depuis 1938,<br />

mineurs<br />

• Aide sociale à<br />

décret de 1991)<br />

• Prévention et l’enfance<br />

• Psychologues scolaires<br />

dépistage <strong>des</strong> troubles • IMP, IMPro<br />

(depuis 1946, décret de 1991)<br />

psychiques<br />

• CMPP<br />

8000<br />

• Psychologues territoriaux<br />

• Orientation scolaire • CIO (centre<br />

(Protection maternelle et<br />

et professionnelle d’information et<br />

infantile et Aide sociale à<br />

• Aide aux enseignants d’orientation)<br />

l’enfance)<br />

• Tous les<br />

établissements<br />

scolaires<br />

552


Tableau annexe III-3 La place <strong>des</strong> DESS de psychologie du travail dans la filière<br />

psychologie<br />

1998 1999 2000 2001 2002<br />

Total DESS de Psychologie 2751 2796 3071 3198 3318<br />

Total DESS de psychologie du travail 439 411 434 518 508<br />

DESS de psychologie du travail / Total DESS<br />

de psychologie<br />

Part <strong>des</strong> DESS de psychologie clinique / Total<br />

DESS de psychologie<br />

15,9<br />

%<br />

14,6<br />

%<br />

14,1<br />

%<br />

16,1<br />

%<br />

15,3<br />

%<br />

51,9% 52,7% 49,3% 47,7% 46,9%<br />

Part <strong>des</strong> DESS de psychologie de l’enfant /<br />

Total DESS de psychologie 12,6% 12,7% 13,2% 11,8% 13,3%<br />

Part <strong>des</strong> DESS d’ergonomie/ Total DESS de<br />

psychologie<br />

4,7% 4,6% 4,7% 5,0% 4,9%<br />

Source : DEP-MEN (Effectifs inscrits, France entière)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe III-4 Formations d’origine <strong>des</strong> professionnels de l’orientation en<br />

entreprise et dans l’insertion 1<br />

Insertion/orientation/bilan Ressources humaines/recrutement<br />

Psychologie 32% 10%<br />

droit 18% 19%<br />

Sciences de gestion 10% 27%<br />

AES 10% 17%<br />

Autres 30% 27%<br />

Source : Enquête « Génération 98 », Céreq<br />

1 Compte tenu de la forte dispersion <strong>des</strong> professionnels de l’orientation dans les différentes PCS, les calculs ont<br />

été réalisés d’après une analyse <strong>des</strong> libellés d’emploi en clair. Pour les professionnels de l’orientation en<br />

entreprise, nous avons retenu les intitulés mentionnant l’un <strong>des</strong> termes suivants : « Embauche », « recrutement »,<br />

« ressources humaines », « RH ». Pour les professionnels de l’orientation et du bilan ont été retenus les termes :<br />

« Bilan », « orientation », « emploi », « insertion »<br />

553


Graphique annexe III-1 Proportion de titulaires d'un diplôme de psychologie parmi les<br />

Conseillers d'orientation psychologues de l'Education Nationale (par tranche d'âge)<br />

%<br />

100<br />

90<br />

80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

54-60<br />

ans<br />

50-54<br />

ans<br />

45-49<br />

ans<br />

40-44<br />

ans<br />

35-39<br />

ans<br />

30-34<br />

ans<br />

25-29<br />

ans<br />

Source : MEN, Dossiers d’éducation et<br />

de formation, n°94, octobre 1997<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Graphique annexe III-2 Trajectoire scolaire antérieure <strong>des</strong> étudiants issus <strong>des</strong> premiers, deuxième et<br />

troisième cycle <strong>des</strong> universités<br />

% de bacs "à l'heure" (sans redoublement)<br />

80<br />

75<br />

70<br />

65<br />

60<br />

55<br />

50<br />

45<br />

40<br />

35<br />

AES<br />

Socio<br />

Psycho<br />

Droit<br />

STAPS<br />

Gestion<br />

Sci. Po<br />

Sc. éduc<br />

His toire<br />

Sc. éco<br />

Chim ie<br />

LEA Lettres<br />

Maths<br />

Langues Informatique<br />

Biologie<br />

Physique<br />

MASS<br />

Linguistique<br />

Géog.<br />

Philo<br />

Médecine<br />

30<br />

55 60 65 70 75 80 85 90 95 100<br />

% de bacs généraux<br />

Source : Enquête « Génération 98 », Céreq<br />

554


Graphique annexe III-3 Année de recrutement <strong>des</strong> psychologues actuellement en poste<br />

à l’AFPA<br />

Effectifs<br />

80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

1966<br />

1968<br />

1970<br />

1972<br />

1974<br />

1976<br />

1978<br />

1980<br />

1983<br />

1985<br />

1987<br />

1989<br />

1991<br />

1993<br />

1995<br />

1997<br />

1999<br />

2001<br />

2003<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Source – Direction de l’AFPA, Montreuil<br />

555


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


IV. Annexe 4 : Le questionnaire<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe IV-1 Répartition <strong>des</strong> réponses par DESS d’origine<br />

DESS D'ORIGINE NOMBRE D'ENVOIS NOMBRE DE<br />

REPONSES<br />

TAUX DE<br />

REPONSE<br />

PART DU DESS DANS<br />

L’ECHANTILLON<br />

AIX EN PROVENCE 200 67 33.5% 12.12<br />

BORDEAUX II 40 2 5% 0.36<br />

GRENOBLE II 241 87 36% 15.91<br />

LYON II 203 63 31% 11.39<br />

METZ-NANCY 63 26 41% 4.70<br />

NANTES 282 93 33% 16.82<br />

PARIS X 109 35 32% 6.33<br />

PARIS V 217 85 39.1% 15.37<br />

ECOLE DES PSYCHOLOGUES<br />

PRATICIENS (UNIV. CATHO.)<br />

417 75 18% 13.56<br />

STRASBOURG 97 12 12.3% 2.17<br />

AUTRES 0 7 − 1.27<br />

TOTAL 1862 557 29.9% 100.00<br />

Tableau annexe IV-2 Age <strong>des</strong> répondants au moment de l’enquête<br />

AGE NOMBRE % TOTAL<br />

20-34 ans 259 47.09<br />

35-49 ans 232 42.18<br />

50 ans et plus 59 10.73<br />

557


Tableau annexe IV-3 Les DESS de psychologie du travail – Effectifs inscrits par Universités 1996-2002 1<br />

UNIVERSITE INTITULE 2000 2001 2002<br />

AIX-MARSEILLE I DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 21 15 17<br />

AMIENS<br />

DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : FACTEURS HUMAINS ET<br />

SYSTEMES DE TRAVAIL<br />

15 16 19<br />

BORDEAUX II DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 20 23 25<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

CLERMONT-<br />

DESS PSYCHOLOGIE ET INGENIERIE DE LA FORMATION ET DES<br />

FERRAND<br />

ORGANISATIONS<br />

DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL, RESSOURCES HUMAINES,<br />

CRETEIL<br />

NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA<br />

COMMUNICATION<br />

DESS PSYCHOLOGIE SOCIALE : ETUDES APPLIQUEES ET<br />

CRETEIL<br />

CONSULTATIONS PSYCHOSOCIOLOGIQUES<br />

DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL - ERGOLOGIE<br />

DIJON<br />

RELATIONNELLE<br />

16 19 18<br />

29 31 18<br />

18 20 23<br />

14 13<br />

GRENOBLE II DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 20 22 21<br />

LILLE III DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 27 27 25<br />

LYON II DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 15 17 18<br />

MONTPELLIER I DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 22 23 20<br />

DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET NOUVELLES<br />

NANCY-METZ<br />

TECHNOLOGIES<br />

32 35 25<br />

NANTERRE DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 26 25 27<br />

NANTES DESS PSYCHOLOGIE SOCIALE ET PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 23 26 26<br />

DESS PSYCHOLOGIE ET INGENIERIE DES RESSOURCES<br />

NICE<br />

HUMAINES<br />

28 28<br />

PARIS V DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 37 39 32<br />

POITIERS DESS ERGONOMIE ET PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 19 16 19<br />

RENNES II DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET ERGONOMIE 12 18<br />

ROUEN DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET ERGONOMIE 20 15 20<br />

STRASBOURG III DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL 21 20 22<br />

TOULOUSE DESS PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 30 27 30<br />

DESS PSYCHOLOGIE ET ACCOMPAGNEMENT DE LA<br />

TOULOUSE<br />

TRAJECTOIRE PROFESSIONNELLE<br />

DESS CHARGES D'ETUDES, CONSULTANTS ET FORMATEURS EN<br />

VERSAILLES<br />

PSYCHOLOGIE SOCIALE<br />

22 18<br />

23 26 26<br />

Effectifs totaux (France entière, Hors CNAM et Psychoprat) 434 518 508<br />

Source : MEN-DEP<br />

1 Les DESS auprès <strong>des</strong>quels a été diffusé le questionnaire apparaissent en grisé<br />

558


Tableau annexe IV-4 Code <strong>des</strong> positions professionnelles <strong>des</strong> psychologues du travail<br />

CATEGORIE EMPLOI CODE<br />

Psychologue clinicien, psychologue de santé, psychologue psychanalyste 1<br />

Psychologue scolaire 2<br />

SANITAIRE ET SOCIAL Travail social : Conseiller du travail, animateur social, assistant de service<br />

social, médiateur familial<br />

3<br />

Directeur d'association 4<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

CONSEIL<br />

ENSEIGNEMENT ET<br />

RECHERCHE<br />

ENTREPRISE<br />

CONSEIL EN EMPLOI<br />

CONSEIL EN<br />

FORMATION<br />

Consultant sans précision 5<br />

Consultant en ressources humaines 6<br />

Consultant en formation / coach 7<br />

Consultant en recrutement 8<br />

Consultant en communication, psychosociologie, climat social 9<br />

Consultant en organisation 10<br />

Consultant en ergonomie, aménagement <strong>des</strong> postes de travail 11<br />

Consultant en sécurité, prévention <strong>des</strong> risques 12<br />

Consultant en outplacement / reclassement 13<br />

Consultant en RTT 14<br />

Consultant en bilan 15<br />

Chargé de recherches, chargé d'étu<strong>des</strong> en psychologie du travail 16<br />

Chargé de recherches, chargé d'étu<strong>des</strong> en ergonomie 17<br />

Enseignant-chercheur 18<br />

Enseignant 19<br />

Responsable <strong>des</strong> ressources humaines 20<br />

Responsable de la gestion <strong>des</strong> emplois et <strong>des</strong> carrières, responsable de la 21<br />

gestion prévisionnelle <strong>des</strong> RH<br />

Adjoint de ressources humaines, assistant de gestion du personnel (interne) 22<br />

Responsable de la formation 23<br />

Chargé de formations internes / animateur de formations 24<br />

Assistant de service formation 25<br />

Responsable du recrutement, chargé de recrutement 26<br />

Assistant service recrutement 27<br />

Responsable de la communication 28<br />

Assistant service de la communication 29<br />

Consultant interne en organisation 30<br />

Ergonome d'entreprise 31<br />

Responsable qualité 32<br />

Responsable marketing, étu<strong>des</strong> de marché 33<br />

Assistant conseiller d'emploi 34<br />

Conseiller principal ANPE 35<br />

Conseiller d'emploi (ANPE, ASSEDIC, APEC) 36<br />

Conseiller en centre de bilan (PAIO, ML, CIBC, PLIE) + conseiller en 37<br />

insertion professionnelle (RMI)<br />

Directeur de centre de bilan 38<br />

Conseiller en reclassement handicapés 39<br />

Conseiller en entreprise de travail temporaire 40<br />

Directeur d'agence de travail temporaire 41<br />

Conseiller d'orientation-psychologue / orientation scolaire privée 42<br />

Conseiller en formation continue (GRETA, FONGECIF, ONISEP), conseiller 43<br />

d'orientation <strong>des</strong> organismes consulaires<br />

Formateur d'adultes, animateur de formation, chargé de formation, 44<br />

coordinateur pédagogique<br />

Psychologue du travail AFPA 45<br />

559


Concepteur en formation, ingénieur en formation 46<br />

SANS EMPLOI SANS EMPLOI en cherche 47<br />

SANS EMPLOI en cherche pas 48<br />

AUTRE AUTRE 49<br />

Chargé d'étu<strong>des</strong> RH interne (ingénierie RH) 50<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe IV-5 Variables actives de l’AFC « positions professionnelles et générations » (chapitre V)<br />

Nom de la variable Description de la variable Modalités de réponse<br />

Age4 Age en quatre groupes 25-31<br />

32-38<br />

39-50<br />

51 et +<br />

Categ_age_<strong>des</strong>s Age d’obtention du DESS en trois groupes Etu<strong>des</strong> précoces<br />

Etu<strong>des</strong> prolongées<br />

Etu<strong>des</strong> tardives<br />

Sal3 Salaire en trois groupes < à 1800 euros mensuel<br />

1800 à 2700 euros<br />

> à 2700 euros<br />

Statut Statut de cadre Cadre<br />

Non cadre<br />

Generation Génération de DESS en cinq groupes Avant 1980<br />

1981-1985<br />

1986-1990<br />

1991-1995<br />

1996-2001<br />

Sector2 caractère public ou privée de l’emploi Public<br />

Privé<br />

Statut_FP Statut dans la fonction publique 1= titulaire<br />

2= contractuel<br />

3= vacataire<br />

Chef_ent La personne est-elle son propre employeur ? 1=oui<br />

2=non<br />

Type_insertion Nature de l’organisme d’insertion 1=Mission Locale<br />

2=ANPE<br />

3=PLIE<br />

4=AFPA<br />

5=Association<br />

6=Autre<br />

Dur_emp_preced Durée de l’emploi précédent Moins de deux ans<br />

De 3 à 5 ans<br />

De 5 à 10 ans<br />

Plus de 10 ans<br />

Anciennete Ancienneté dans le poste Moins de deux ans<br />

De 3 à 5 ans<br />

De 5 à 10 ans<br />

Plus de 10 ans<br />

Test_conn<br />

Utilisation de tests de connaissances dans<br />

l’emploi<br />

1=oui<br />

2=Non<br />

Test_aptit Utilisation de tests d’aptitude dans l’emploi 1=oui<br />

2=Non<br />

Test_person Utilisation de tests de personnalité dans l’emploi 1=oui<br />

2=Non<br />

Nb_salaries Nombre de salariés dans l’entreprise Moins de 10<br />

10-49<br />

50-500<br />

500 et +<br />

sexe Sexe de la personne interrogée Homme<br />

560


Femme<br />

Champ<br />

Champ d’activité<br />

Secteur Secteur d’activité Entreprises marchan<strong>des</strong><br />

Non marchand<br />

Service public de<br />

l’emploi<br />

Services aux entreprises<br />

Cab_conseil La personne travaille dans un cabinet de conseil 1=oui<br />

2=non<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe IV-6 Principaux co<strong>des</strong> ROME utilisés dans le codage <strong>des</strong> emplois du questionnaire<br />

(Répertoire opérationnel <strong>des</strong> emplois et métiers, ANPE).<br />

Appellation<br />

Définition de l’emploi/métier<br />

Code ROME<br />

principale<br />

Elabore et met en œuvre les moyens quantitatifs et qualitatifs<br />

(gestion de l'emploi, recrutement, formation) nécessaires à une<br />

Cadre de la<br />

optimisation ou une adaptation <strong>des</strong> ressources humaines aux<br />

32121<br />

gestion <strong>des</strong><br />

finalités économiques de l'entreprise. Assure la conduite de la<br />

ressources<br />

gestion du personnel et l’application de la réglementation sociale en<br />

humaines<br />

intégrant les règles et les procédures du droit du travail. Conseille et<br />

assiste les responsables hiérarchiques dans cette gestion.<br />

32131 Responsable en<br />

organisation<br />

32122<br />

32151<br />

32152<br />

Responsable de<br />

formation en<br />

entreprise<br />

Chargé/Chargée<br />

d'analyses et de<br />

développement<br />

Chargé d’étu<strong>des</strong><br />

et de recherche<br />

en sciences de<br />

l’homme<br />

Intervient sur tout problème d'organisation générale en milieu<br />

administratif ou industriel, pour simplifier et renforcer la<br />

productivité et la qualité <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de fonctionnement<br />

(amélioration, innovation). Conçoit, prépare, structure et<br />

accompagne les processus de changement, si possible en anticipant<br />

leurs conséquences sur les aspects humains, technologiques,<br />

financiers, informatiques, de sécurité.<br />

Repère et analyse les besoins en formation, en cohérence avec la<br />

politique économique et sociale de l'entreprise, et son évolution<br />

technologique. Conçoit, construit et négocie le plan de formation en<br />

tenant compte <strong>des</strong> aspects humains, financiers, juridiques,<br />

organisationnels et pédagogiques. Accompagne la réalisation <strong>des</strong><br />

actions de formation et évalue les effets de l'investissement<br />

formation. Gère les relations avec les partenaires professionnels et<br />

institutionnels de la formation.<br />

Sélectionne dans son domaine <strong>des</strong> données quantitatives ou<br />

qualitatives et en assure le suivi régulier ou ponctuel pour la<br />

direction, le service utilisateur ou les usagers. Interprète et met en<br />

place <strong>des</strong> informations, <strong>des</strong> indicateurs statistiques. Apprécie <strong>des</strong><br />

situations, effectue un diagnostic, dégage <strong>des</strong> tendances ou élabore<br />

<strong>des</strong> prévisions dans le cadre d'analyses et d'étu<strong>des</strong> spécifiques.<br />

Peut aussi être amené à préconiser <strong>des</strong> choix ou à fournir <strong>des</strong> outils<br />

d'aide à la décision. Peut aussi animer une équipe de collaborateurs.<br />

Conduit <strong>des</strong> projets de recherche et réalise <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> dans le<br />

domaine <strong>des</strong> sciences de l’homme (sociologie, psychologie,<br />

ethnologie, économie…). Rassemble la documentation existante et<br />

procède à <strong>des</strong> observations de terrain. Dépouille et analyse les<br />

informations disponibles autour d’une problématique. Rend compte<br />

de ses travaux par divers moyens de diffusion et de communication<br />

(publication de rapports, d’articles spécialisés, rédaction<br />

d’ouvrages, participation à <strong>des</strong> débats scientifiques…).<br />

561


32213<br />

Chargé/Chargée<br />

de<br />

communication<br />

Développe la création, la qualité et la cohérence <strong>des</strong> formes et <strong>des</strong><br />

contenus de communication interne ou externe, au service de la<br />

stratégie fixée par la direction ou avec elle. Conçoit ou met en<br />

oeuvre tout moyen, action, réseau de communication visant à<br />

faciliter les relations de l'entreprise avec son environnement. Peut<br />

réaliser l'ensemble ou une partie <strong>des</strong> activités techniques de<br />

communication. Peut participer à d'autres aspects de la<br />

communication dans le domaine commercial, technique, social,<br />

dans les situations de crise, avec les services concernés. Dans une<br />

fonction de direction, gère, organise et coordonne les plans de<br />

développement de la communication pour assurer la promotion de<br />

l'identité et de l'image de marque de l'entreprise.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

562


Document IV-1 Annexe méthodologique pour la lecture <strong>des</strong> tableaux issus de la CHA<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Les tableaux de CHA (Classification Hiérarchique Ascendante) reproduits ci-<strong>des</strong>sous<br />

présentent les informations suivantes :<br />

• Le « V Test » (1 ère colonne) est une mesure statistique du degré de significativité de la<br />

modalité de variable retenue pour caractériser la classe. On considère qu’une valeur<br />

absolue du "V Test" supérieure à deux correspond à une probabilité significative et que<br />

par conséquent la variable peut être retenue pour décrire la classe. Le « V-Test » est<br />

associé à un degré de probabilité d’erreur ("Proba") qui figure dans la deuxième colonne.<br />

• La troisième colonne (CLA/MOD) est une mesure de la spécificité de la classe. Par<br />

exemple, dans présent, il signifie que 56,65% <strong>des</strong> salariés du public de notre échantillon<br />

(SECTOR2=PUBLIC) appartiennent à la classe n°5.<br />

• La quatrième colonne (MOD/CLA) est une mesure de l’homogénéité de la classe.<br />

Dans le cas figurant ci-<strong>des</strong>sous, il signifie que 82,50% <strong>des</strong> membres de la classe 5<br />

travaillent dans le secteur public.<br />

• La cinquième colonne ("Global") présente la fréquence de la modalité de réponse à la<br />

variable dans l’ensemble de la population (en %)<br />

• La sixième et la septième colonne contiennent respectivement la modalité de réponse à<br />

la variable et le nom de la variable<br />

V TEST PROBA CLA/MOD MOD/CLA GLOBAL Modalités Variables<br />

caractéristiques<br />

11.64 0.0000 56.65 82.50 45.07 SECTOR2=Public SECTOR2<br />

11.07 0.000 61.75 70.62 35.40 travail social ACT_AVANT<br />

… … … … … … …<br />

563


Tableau annexe IV-7 Caractéristiques de la classe n°1 à partir d’une classification hiérarchique<br />

ascendante sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

V.TEST PROBA ---- POURCENTAGES ---- MODALITES<br />

CLA/MOD MOD/CLA GLOBAL CARACTERISTIQUES<br />

DES VARIABLES<br />

IDEN POIDS<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

34.43 CLASSE 5 / 5 aa5a 178<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

13.98 0.000 86.99 60.11 23.79 EMP_ROME=Cadre RH EMP_ROME [CY] CY_3 123<br />

13.95 0.000 85.83 61.24 24.56 entreprises marchand SECTEUR [EE] EE_2 127<br />

12.19 0.000 61.25 82.58 46.42 SECTOR2=Privé SECTOR2 [FC] FC_1 240<br />

12.05 0.000 61.80 80.90 45.07 STATUT_EMPL=3 STATUT_EMPL [CF] CF_3 233<br />

10.25 0.000 72.31 52.81 25.15 RH internes ACT_AVANT [EA] EA_2 130<br />

9.57 0.000 44.30 98.31 76.40 reponse manquante TYPE_INSERTION [CH] 58_ 395<br />

9.13 0.000 67.41 51.12 26.11 Ressources humaines CHAMP [DZ] DZ_8 135<br />

9.00 0.000 88.14 29.21 11.41 ACTIVITE_EMPL=1 ACTIVITE_EMPL [CG] CG_1 59<br />

8.70 0.000 80.82 33.15 14.12 PRECED_SECT=1 PRECED_SECT [BG] BG_1 73<br />

8.37 0.000 44.21 94.38 73.50 STATUT=Cadre STATUT [EU] EU_1 380<br />

8.36 0.000 56.04 65.17 40.04 NB_SALARIES=500 et + NB_SALARIES [DS] DS_3 207<br />

8.27 0.000 67.83 43.82 22.24 RH=1 RH [FF] FF_2 115<br />

7.65 0.000 69.89 36.52 17.99 INTIT=RH INTIT [FO] FO_1 93<br />

7.23 0.000 74.29 29.21 13.54 Recrutement CHAMP [DZ] DZ_7 70<br />

7.21 0.000 80.00 24.72 10.64 recrutement INTIT [FO] FO_9 55<br />

7.02 0.000 42.78 91.57 73.69 CONTRAT=2 CONTRAT [BM] BM_3 381<br />

6.51 0.000 38.36 100.00 89.75 CHEF_ENT=2 CHEF_ENT [CE] CE_2 464<br />

6.35 0.000 82.50 18.54 7.74 Recrutement interne EMP_AVT [DY] DY12 40<br />

6.18 0.000 40.48 94.38 80.27 reponse manquante STATUT_FP [BN] 40_ 415<br />

6.17 0.000 40.09 95.51 82.01 reponse manquante HORS_PSYW_SECT [BJ] 36_ 424<br />

6.10 0.000 51.89 53.93 35.78 REGION_DESS=IDF REGION_DESS [EP] EP_4 185<br />

5.93 0.000 77.27 19.10 8.51 RH interne EMP_AVT [DY] DY11 44<br />

5.88 0.000 41.01 91.01 76.40 HORS_PSYW=1 HORS_PSYW [BI] BI_1 395<br />

5.23 0.000 61.25 27.53 15.47 GRAPHO=1 GRAPHO [BW] BW_1 80<br />

5.13 0.000 62.50 25.28 13.93 PRECED_SECT=8 PRECED_SECT [BG] BG12 72<br />

5.02 0.000 61.64 25.28 14.12 Psychoprat DESS_ORIGIN [EY] EY_9 73<br />

4.57 0.000 93.33 7.87 2.90 ACTIVITE_EMPL=2 ACTIVITE_EMPL [CG] CG11 15<br />

4.41 0.000 45.75 54.49 41.01 PRECED_OUTIL=1 PRECED_OUTIL [BF] BF_1 212<br />

4.39 0.000 79.17 10.67 4.64 ACTIVITE_EMPL=5 ACTIVITE_EMPL [CG] CG16 24<br />

4.18 0.000 57.97 22.47 13.35 2700-3600 SAL11 [EK] EK_8 69<br />

3.98 0.000 77.27 9.55 4.26 Cadre org EMP_ROME [CY] CY_5 22<br />

3.98 0.000 77.27 9.55 4.26 EFFET_PSY_EMBCH=2 EFFET_PSY_EMBCH [CJ] CJ_2 22<br />

3.91 0.000 36.03 100.00 95.55 INSERTION=0 INSERTION [FD] FD_1 494<br />

3.84 0.000 49.59 33.71 23.40 TECH_NON_PSY=1 TECH_NON_PSY [BV] BV_1 121<br />

3.82 0.000 36.44 98.88 93.42 BILAN=0 BILAN [FB] FB_1 483<br />

3.76 0.000 36.20 99.44 94.58 ORIENTATION=0 ORIENTATION [FK] FK_1 489<br />

3.74 0.000 37.53 93.82 86.07 FORMATION=0 FORMATION [FG] FG_1 445<br />

3.71 0.000 49.17 33.15 23.21 ENTRET_GPE=non ENTRET_GPE [DH] DH_1 120<br />

3.71 0.000 42.21 62.36 50.87 Cadres,indépendants, CS_CONJOINT [EX] EX_1 263<br />

3.61 0.000 90.91 5.62 2.13 ACTIVITE_EMPL=3 ACTIVITE_EMPL [CG] CG14 11<br />

3.59 0.000 77.78 7.87 3.48 ACTIVITE_EMPL=4 ACTIVITE_EMPL [CG] CG15 18<br />

3.59 0.000 56.90 18.54 11.22 CHOIX_PSYW_SALR=1 CHOIX_PSYW_SALR [AG] AG_1 58<br />

3.50 0.000 40.88 67.98 57.25 Cadres,indépendants, CS_PERE [EV] EV_1 296<br />

3.43 0.000 49.07 29.78 20.89 de 3 à 5 ans DUR_EMP_PRECED [DC] DC_1 108<br />

3.43 0.000 42.86 53.93 43.33 STAGE=Ress Hum STAGE [DB] DB_4 224<br />

3.20 0.001 44.38 42.13 32.69 MINI_SITW=oui MINI_SITW [DN] DN_2 169<br />

3.15 0.001 38.38 82.58 74.08 AGE_FIN_ET=25-26 AGE_FIN_ET [EJ] EJ_1 383<br />

3.09 0.001 72.22 7.30 3.48 Assistants RH EMP_AVT [DY] DY_1 18<br />

3.08 0.001 68.18 8.43 4.26 4300-6000 SAL11 [EK] EK10 22<br />

2.92 0.002 37.07 91.01 84.53 ACTU_LIVRES_CLI=2 ACTU_LIVRES_CLI [BC] BC_2 437<br />

2.91 0.002 37.53 87.08 79.88 TPS_W=1 TPS_W [BL] BL_2 413<br />

2.90 0.002 37.95 83.15 75.44 CAB_CONSEIL=2 CAB_CONSEIL [FS] FS_2 390<br />

2.87 0.002 40.00 64.04 55.13 INTITPROF_PSY=2 INTITPROF_PSY [CQ] CQ_2 285<br />

2.87 0.002 65.22 8.43 4.45 3600-4300 SAL11 [EK] EK_9 23<br />

2.86 0.002 73.33 6.18 2.90 6000 et + SAL11 [EK] EK11 15<br />

2.86 0.002 66.67 7.87 4.06 ACTIVITE_EMPL=8 ACTIVITE_EMPL [CG] CG19 21<br />

2.80 0.003 59.38 10.67 6.19 Formation Comm inter EMP_AVT [DY] DY_9 32<br />

2.77 0.003 37.53 85.39 78.34 CHOIX_PSYW_EVAL=2 CHOIX_PSYW_EVAL [AI] AI_2 405<br />

2.76 0.003 48.75 21.91 15.47 NB_EMPLOIS=4 NB_EMPLOIS [BD] BD_6 80<br />

564


2.75 0.003 39.23 68.54 60.15 TEST_CONN=non TEST_CONN [DJ] DJ_1 311<br />

2.66 0.004 38.01 79.21 71.76 CHOIX_PSYW_ENTR=1 CHOIX_PSYW_ENTR [AH] AH_1 371<br />

2.64 0.004 40.59 54.49 46.23 RECONN_PSY=2 RECONN_PSY [CC] CC_3 239<br />

Tableau annexe IV-8 Caractéristiques de la classe n°2 à partir d’une classification hiérarchique<br />

ascendante sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

V.TEST PROBA ---- POURCENTAGES ---- MODALITES<br />

CLA/MOD MOD/CLA GLOBAL CARACTERISTIQUES<br />

DES VARIABLES<br />

IDEN POIDS<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

11.03 CLASSE 3 / 5 aa3a 57<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

12.63 0.000 94.59 61.40 7.16 CONTRAT=LIBERAL CONTRAT [BM] BM_5 37<br />

9.21 0.000 32.43 84.21 28.63 services aux ent SECTEUR [EE] EE_5 148<br />

9.15 0.000 35.43 78.95 24.56 CAB_CONSEIL=1 CAB_CONSEIL [FS] FS_1 127<br />

7.68 0.000 100.00 24.56 2.71 EMP_ROME=Chef ent EMP_ROME [CY] CY_6 14<br />

7.48 0.000 70.37 33.33 5.22 Organisation CHAMP [DZ] DZ_6 27<br />

6.58 0.000 27.34 66.67 26.89 EFFET_PSY_EMBCH=3 EFFET_PSY_EMBCH [CJ] CJ_3 139<br />

6.25 0.000 22.87 75.44 36.36 AUTRES_PSY=2 AUTRES_PSY [CI] CI_2 188<br />

6.13 0.000 48.72 33.33 7.54 RECONN_PSY=0 RECONN_PSY [CC] CC_1 39<br />

5.96 0.000 90.91 17.54 2.13 Consultant org EMP_ROME [CY] CY11 11<br />

5.90 0.000 18.21 89.47 54.16 SOUHAIT_DEMISS=2 SOUHAIT_DEMISS [CT] CT_2 280<br />

5.45 0.000 38.46 35.09 10.06 ACTIVITE_EMPL=11 ACTIVITE_EMPL [CG] CG_3 52<br />

5.24 0.000 31.17 42.11 14.89 Consultant RH EMP_AVT [DY] DY_5 77<br />

5.13 0.000 23.74 57.89 26.89 COLLABO_UNIV=oui COLLABO_UNIV [DR] DR_2 139<br />

5.03 0.000 66.67 17.54 2.90 ACTIVITE_EMPL=12 ACTIVITE_EMPL [CG] CG_4 15<br />

4.73 0.000 21.21 61.40 31.91 QQCH_DEPLAIT=2 QQCH_DEPLAIT [FU] FU_2 165<br />

4.69 0.000 42.42 24.56 6.38 ACTIVITE_EMPL=9 ACTIVITE_EMPL [CG] CG20 33<br />

4.66 0.000 17.23 80.70 51.64 SOUHAIT_AUT_ACT=2 SOUHAIT_AUT_ACT [CS] CS_2 267<br />

4.64 0.000 64.29 15.79 2.71 ECOLE1=1 ECOLE1 [CV] CV_1 14<br />

4.36 0.000 19.57 63.16 35.59 reponse manquante INTIT [FO] 143_ 184<br />

4.16 0.000 25.00 40.35 17.79 moins de 10 NB_SALARIES [DS] DS_4 92<br />

3.87 0.000 32.56 24.56 8.32 AGE9=44-50 AGE9 [EG] EG_7 43<br />

3.85 0.000 36.36 21.05 6.38 HORS_PSYW_SECT=1 HORS_PSYW_SECT [BJ] BJ_1 33<br />

3.59 0.000 25.35 31.58 13.73 COLLAB=DESS COLLAB [CZ] CZ_2 71<br />

3.53 0.000 21.24 42.11 21.86 SEXE=Homme SEXE [DU] DU_2 113<br />

3.34 0.000 14.79 80.70 60.15 TEST_CONN=non TEST_CONN [DJ] DJ_1 311<br />

3.33 0.000 46.67 12.28 2.90 ORGANISATION=1 ORGANISATION [FL] FL_2 15<br />

3.33 0.000 46.67 12.28 2.90 organisation INTIT [FO] FO_6 15<br />

3.29 0.001 30.00 21.05 7.74 Consultant RH EMP_ROME [CY] CY_9 40<br />

3.13 0.001 25.93 24.56 10.44 METH_AUTRE=1 METH_AUTRE [BS] BS_1 54<br />

3.03 0.001 24.19 26.32 11.99 DPT_DESS=BDR DPT_DESS [EN] EN_2 62<br />

2.94 0.002 28.21 19.30 7.54 NB_EMPLOIS=5 NB_EMPLOIS [BD] BD_7 39<br />

2.94 0.002 28.21 19.30 7.54 PRECED_SECT=6 PRECED_SECT [BG] BG10 39<br />

2.91 0.002 19.81 36.84 20.50 HORS_PSYW=2 HORS_PSYW [BI] BI_2 106<br />

2.87 0.002 26.09 21.05 8.90 Avant 1980 GENERATION [FA] FA_1 46<br />

2.79 0.003 21.25 29.82 15.47 ACTU_LIVRES_CLI=1 ACTU_LIVRES_CLI [BC] BC_1 80<br />

2.76 0.003 22.39 26.32 12.96 FORM_AVANT=LSH FORM_AVANT [ET] ET_2 67<br />

2.69 0.004 20.73 29.82 15.86 CHOIX_PSYW_AUTRE=1 CHOIX_PSYW_AUTRE [AJ] AJ_1 82<br />

2.65 0.004 21.05 28.07 14.70 reponse manquante SALREDRESS [FW] 151_ 76<br />

2.60 0.005 16.57 49.12 32.69 ACTU_LIVRES_PSYW=1 ACTU_LIVRES_PSYW [BB] BB_1 169<br />

2.56 0.005 21.88 24.56 12.38 Autre formation COLLAB [CZ] CZ_1 64<br />

2.51 0.006 18.52 35.09 20.89 de 1986 à 1990 GENERATION [FA] FA_3 108<br />

2.50 0.006 31.82 12.28 4.26 4300-6000 SAL11 [EK] EK10 22<br />

2.45 0.007 28.57 14.04 5.42 PRECED_SECT=7 PRECED_SECT [BG] BG11 28<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

565


Tableau annexe IV-9 Caractéristiques de la classe n°3 à partir d’une classification hiérarchique<br />

ascendante sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

V.TEST PROBA ---- POURCENTAGES ---- MODALITES<br />

CLA/MOD MOD/CLA GLOBAL CARACTERISTIQUES<br />

DES VARIABLES<br />

IDEN POIDS<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

7.74 CLASSE 2 / 5 aa2a 40<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

12.32 0.000 69.39 85.00 9.48 Conseiller en format EMP_ROME [CY] CY_8 49<br />

12.21 0.000 63.64 87.50 10.64 Insertion/formation CHAMP [DZ] DZ_5 55<br />

10.11 0.000 91.30 52.50 4.45 orientation INTIT [FO] FO_7 23<br />

9.46 0.000 64.86 60.00 7.16 ACTIVITE_EMPL=7 ACTIVITE_EMPL [CG] CG18 37<br />

8.07 0.000 36.99 67.50 14.12 STATUT_EMPL=2 STATUT_EMPL [CF] CF_2 73<br />

7.33 0.000 16.74 97.50 45.07 SECTOR2=Public SECTOR2 [FC] FC_2 233<br />

7.17 0.000 25.21 75.00 23.02 MAJORITE_PSY=1 MAJORITE_PSY [CB] CB_1 119<br />

7.06 0.000 24.59 75.00 23.60 ORG_FORM_PSY=1 ORG_FORM_PSY [BU] BU_1 122<br />

5.95 0.000 34.62 45.00 10.06 STATUT_FP=1 STATUT_FP [BN] BN_1 52<br />

5.17 0.000 13.89 87.50 48.74 TEST_APTIT=oui TEST_APTIT [DK] DK_2 252<br />

5.16 0.000 14.35 85.00 45.84 ACTU_COLLEGUES=1 ACTU_COLLEGUES [AZ] AZ_1 237<br />

5.14 0.000 13.83 87.50 48.94 FORM_PSY_INDISP=1 FORM_PSY_INDISP [CR] CR_1 253<br />

5.00 0.000 19.67 60.00 23.60 PRODUCTION_TEST=1 PRODUCTION_TEST [BT] BT_1 122<br />

4.93 0.000 42.31 27.50 5.03 plus de 20 NB_PSY [DF] DF_3 26<br />

4.92 0.000 14.22 82.50 44.87 INTITPROF_PSY=1 INTITPROF_PSY [CQ] CQ_1 232<br />

4.88 0.000 15.05 77.50 39.85 TEST_CONN=oui TEST_CONN [DJ] DJ_2 206<br />

4.61 0.000 12.73 87.50 53.19 CONTACT_EDITEST=1 CONTACT_EDITEST [FR] FR_1 275<br />

4.33 0.000 10.26 100.00 75.44 CAB_CONSEIL=2 CAB_CONSEIL [FS] FS_2 390<br />

4.16 0.000 14.01 72.50 40.04 NB_SALARIES=500 et + NB_SALARIES [DS] DS_3 207<br />

4.04 0.000 9.95 100.00 77.76 RH=0 RH [FF] FF_1 402<br />

3.98 0.000 11.01 92.50 64.99 USTEST=1 USTEST [FT] FT_1 336<br />

3.74 0.000 10.98 90.00 63.44 ACTU_PSYW=1 ACTU_PSYW [AW] AW_1 328<br />

3.71 0.000 10.94 90.00 63.64 AUTRES_PSY=1 AUTRES_PSY [CI] CI_1 329<br />

3.57 0.000 13.24 67.50 39.46 ACTU_REVUES=1 ACTU_REVUES [AX] AX_1 204<br />

3.53 0.000 9.85 97.50 76.60 TECH_NON_PSY=2 TECH_NON_PSY [BV] BV_2 396<br />

3.50 0.000 10.39 92.50 68.86 EFFET_PSY_EMBCH=1 EFFET_PSY_EMBCH [CJ] CJ_1 356<br />

3.39 0.000 21.82 30.00 10.64 TEST_PROJ=oui TEST_PROJ [DM] DM_2 55<br />

3.29 0.001 21.05 30.00 11.03 ACTIVITE_EMPL=6 ACTIVITE_EMPL [CG] CG17 57<br />

3.19 0.001 45.45 12.50 2.13 Syndicats ASSOC1 [EQ] EQ_3 11<br />

3.17 0.001 17.44 37.50 16.63 plus de 10 ans ANCIENNETE [DE] DE_4 86<br />

3.12 0.001 9.15 100.00 84.53 GRAPHO=2 GRAPHO [BW] BW_2 437<br />

3.09 0.001 13.29 57.50 33.46 ACTU_EDITEST=1 ACTU_EDITEST [BA] BA_1 173<br />

2.87 0.002 19.30 27.50 11.03 de 1981 à 1985 GENERATION [FA] FA_2 57<br />

2.85 0.002 21.95 22.50 7.93 1200-1400 SAL11 [EK] EK_2 41<br />

2.81 0.002 17.91 30.00 12.96 FORM_AVANT=LSH FORM_AVANT [ET] ET_2 67<br />

2.74 0.003 16.67 32.50 15.09 travail social ACT_SOUH [EC] EC_4 78<br />

2.54 0.006 15.66 32.50 16.05 NB_EMPLOIS=1 NB_EMPLOIS [BD] BD_1 83<br />

2.53 0.006 12.15 55.00 35.01 reponse manquante DUR_EMP_PRECED [DC] 79_ 181<br />

2.53 0.006 12.15 55.00 35.01 reponse manquante PRECED_DUREE [BE] 31_ 181<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

Tableau annexe IV-10 Caractéristiques de la classe n°4 à partir d’une classification hiérarchique<br />

ascendante sur l’ensemble <strong>des</strong> variables du questionnaire (132 variables)<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

V.TEST PROBA ---- POURCENTAGES ---- MODALITES<br />

CLA/MOD MOD/CLA GLOBAL CARACTERISTIQUES<br />

DES VARIABLES<br />

IDEN POIDS<br />

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------<br />

30.95 CLASSE 1 / 5 aa1a 160<br />

11.64 0.000 56.65 82.50 45.07 SECTOR2=Public SECTOR2 [FC] FC_2 233<br />

10.48 0.000 80.46 43.75 16.83 Conseiller en emploi EMP_ROME [CY] CY_7 87<br />

10.40 0.000 72.57 51.25 21.86 STATUT_EMPL=5 STATUT_EMPL [CF] CF_5 113<br />

10.14 0.000 72.07 50.00 21.47 Insertion/emploi CHAMP [DZ] DZ_4 111<br />

9.18 0.000 77.92 37.50 14.89 Conseil en emploi EMP_AVT [DY] DY_3 77<br />

7.72 0.000 80.77 26.25 10.06 TYPE_INSERTION=5 TYPE_INSERTION [CH] CH_5 52<br />

7.37 0.000 64.21 38.12 18.38 NB_SALARIES=10-49 NB_SALARIES [DS] DS_1 95<br />

566


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

7.06 0.000 57.03 45.62 24.76 Non cadre STATUT [EU] EU_2 128<br />

5.99 0.000 91.30 13.12 4.45 insertion INTIT [FO] FO_5 23<br />

5.65 0.000 73.17 18.75 7.93 ACTIVITE_EMPL=14 ACTIVITE_EMPL [CG] CG_6 41<br />

5.53 0.000 34.89 98.12 87.04 RECRUTT=0 RECRUTT [FE] FE_1 450<br />

5.12 0.000 73.53 15.62 6.58 INTIT=bilan INTIT [FO] FO_2 34<br />

5.10 0.000 93.75 9.38 3.09 TYPE_INSERTION=2 TYPE_INSERTION [CH] CH_2 16<br />

5.09 0.000 85.71 11.25 4.06 Resp structure EMP_ROME [CY] CY18 21<br />

4.75 0.000 75.00 13.12 5.42 TYPE_INSERTION=6 TYPE_INSERTION [CH] CH_6 28<br />

4.71 0.000 64.44 18.12 8.70 1400-1599 SAL11 [EK] EK_3 45<br />

4.52 0.000 37.08 82.50 68.86 EFFET_PSY_EMBCH=1 EFFET_PSY_EMBCH [CJ] CJ_1 356<br />

4.35 0.000 75.00 11.25 4.64 PRECED_SECT=10 PRECED_SECT [BG] BG_2 24<br />

4.18 0.000 46.77 36.25 23.98 NB_EMPLOIS=2 NB_EMPLOIS [BD] BD_3 124<br />

4.16 0.000 68.97 12.50 5.61 PRECED_SECT=12 PRECED_SECT [BG] BG_4 29<br />

4.14 0.000 41.67 53.12 39.46 PRECED_OUTIL=2 PRECED_OUTIL [BF] BF_2 204<br />

4.11 0.000 33.62 97.50 89.75 CHEF_ENT=2 CHEF_ENT [CE] CE_2 464<br />

4.10 0.000 33.77 96.88 88.78 CHOIX_PSYW_SALR=2 CHOIX_PSYW_SALR [AG] AG_2 459<br />

4.03 0.000 60.47 16.25 8.32 STATUT_FP=2 STATUT_FP [BN] BN_2 43<br />

3.83 0.000 55.56 18.75 10.44 1600-1800 SAL11 [EK] EK_4 54<br />

3.81 0.000 47.52 30.00 19.54 TPS_W=2 TPS_W [BL] BL_3 101<br />

3.68 0.000 34.10 93.12 84.53 GRAPHO=2 GRAPHO [BW] BW_2 437<br />

3.59 0.000 63.33 11.88 5.80 INTIT=emploi INTIT [FO] FO_3 30<br />

3.23 0.001 66.67 8.75 4.06 PI educ et trav soc EMP_ROME [CY] CY15 21<br />

3.21 0.001 81.82 5.62 2.13 ACTIVITE_EMPL=16 ACTIVITE_EMPL [CG] CG_8 11<br />

3.05 0.001 34.43 85.00 76.40 PRODUCTION_TEST=2 PRODUCTION_TEST [BT] BT_2 395<br />

3.02 0.001 35.23 77.50 68.09 QQCH_DEPLAIT=1 QQCH_DEPLAIT [FU] FU_1 352<br />

3.02 0.001 43.81 28.75 20.31 AGE9=35-38 AGE9 [EG] EG_5 105<br />

2.98 0.001 34.34 85.00 76.60 TECH_NON_PSY=2 TECH_NON_PSY [BV] BV_2 396<br />

2.91 0.002 46.58 21.25 14.12 STATUT_EMPL=2 STATUT_EMPL [CF] CF_2 73<br />

2.89 0.002 37.55 55.62 45.84 SOUHAIT_DEMISS=1 SOUHAIT_DEMISS [CT] CT_1 237<br />

2.88 0.002 43.56 27.50 19.54 Employé ou ouvrier CS_PERE [EV] EV_2 101<br />

2.78 0.003 40.27 37.50 28.82 moins de deux ans DUR_EMP_PRECED [DC] DC_3 149<br />

2.65 0.004 40.00 36.25 28.05 REGION_DESS=Rh-Alp REGION_DESS [EP] EP_7 145<br />

2.51 0.006 38.99 38.75 30.75 Audit-recherche FONCTION_STAGE [DA] DA_2 159<br />

2.46 0.007 61.11 6.88 3.48 1000-1200 SAL11 [EK] EK_1 18<br />

2.46 0.007 40.68 30.00 22.82 NB_PSY=de 1 à 5 NB_PSY [DF] DF_1 118<br />

2.40 0.008 62.50 6.25 3.09 Psychologue EMP_ROME [CY] CY16 16<br />

2.40 0.008 56.52 8.12 4.45 PRECED_SECT=9 PRECED_SECT [BG] BG13 23<br />

2.34 0.010 48.78 12.50 7.93 1200-1400 SAL11 [EK] EK_2 41<br />

2.33 0.010 34.65 71.25 63.64 AUTRES_PSY=1 AUTRES_PSY [CI] CI_1 329<br />

567


Graphique annexe IV-1 Mobilité professionnelle et générations : analyse en composantes<br />

principales (ACP).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

568


Tableau annexe IV-11 Séries du baccalauréat et date d’obtention du DESS<br />

FEMMES<br />

HOMMES<br />

Année d’obtention du DESS :<br />

Bac ES Bac L Bac S Bac ES Bac L Bac S<br />

Avant 1980 4.00% 80.00% 16.00% . 75.00% 25.00%<br />

de 1981 à 1985 28.57% 42.86% 28.57% 11.11% 22.22% 66.67%<br />

de 1986 à 1990 28.99% 43.48% 27.54% 18.18% 18.18% 63.64%<br />

de 1991 à 1995 40.18% 40.18% 19.64% 26.92% 26.92% 46.15%<br />

de 1996 à 2001 36.54% 41.35% 22.12% 21.05% 26.32% 52.63%<br />

Lecture : 4% <strong>des</strong> femmes ayant obtenu leur DESS avant 1980 sont titulaires d’un bac économique et social.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe IV-12 Secteurs d’activité <strong>des</strong> stages<br />

RH / Recrutement 41.6%<br />

Psychologie sociale/analyse organisationnelle 25.2%<br />

Insertion 14.5%<br />

Formation 11.4%<br />

Ergonomie 7.4%<br />

Tableau annexe IV-13 Régression multiple pour le salaire<br />

Modèle 1. Log du salaire =<br />

Coefficient Coefficient T Significativité de T<br />

1. Constante 6.36 77.07


« Formateur » 2.3%<br />

« Psychologue » 1.9%<br />

« DRH » 1.7%<br />

Tableau annexe IV-15 Champs d’activité les plus fréquemment<br />

cités dans les intitulés d’emploi<br />

CHAMP<br />

FREQUENCE<br />

RH 22,2%<br />

Formation 13.9%<br />

Recrutement 12.9%<br />

Emploi 6.6%<br />

Bilan 6.6%<br />

Orientation 5.4%<br />

Insertion 4.4%<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Tableau annexe IV-16 Antécédents de libellé d’emplois les plus<br />

fréquents<br />

ANTECEDENT<br />

FREQUENCE<br />

Responsable 20.1%<br />

Consultant 19.9%<br />

Psychologue 17%<br />

Conseiller 14.5%<br />

Chargé/e 12.5%<br />

Directeur 6.9%<br />

570


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Graphique annexe IV-2 Caractéristiques <strong>des</strong> intitulés par catégories d’emploi<br />

Dispersion<br />

<strong>des</strong> intitulés<br />

(%)<br />

100<br />

90<br />

Em ployé s<br />

Responsable structure<br />

Autres cadres<br />

Prof. Interm. Santé social<br />

Cadres orga.<br />

Groupe 3<br />

groupe 2<br />

80<br />

Conseiller emploi<br />

70<br />

Consultant formation<br />

Cadre formation<br />

60<br />

Assistants RH<br />

Consultants orga.<br />

Consultant junior RH<br />

50<br />

Chef entreprise<br />

Consultant RH<br />

40<br />

Psychologue<br />

Cadre RH<br />

Form ateur<br />

30<br />

20<br />

Groupe 1<br />

Conseiller formation<br />

10<br />

0<br />

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100<br />

% in cham p<br />

571


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


V. Annexe 5 : Liste <strong>des</strong> sigles et abréviations utilisés<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

AAAP American association of applied psychology<br />

ACOF Association <strong>des</strong> conseillers d’orientation de France<br />

AEPU Association <strong>des</strong> enseignants en psychologie <strong>des</strong> universités<br />

AFC<br />

Analyse factorielle de correspondance<br />

AFAP Agence française pour l’accroissement de la productivité<br />

AFPA Association pour la formation professionnelle <strong>des</strong> adultes<br />

AFPS<br />

Association française <strong>des</strong> psychologues scolaires<br />

AIP Association internationale de psychotechnique (devient AIPA en 1955)<br />

AIPA<br />

Association internationale de psychologie appliquée (ex-AIP)<br />

ANDCP Association nationale <strong>des</strong> directeurs et chefs du personnel<br />

ANIFRMO Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de<br />

la main d’œuvre (devient AFPA en 1966).<br />

ANOP Association nationale <strong>des</strong> organisations de psychologues<br />

ANPE Agence nationale pour l’emploi<br />

APA<br />

American psychological association<br />

APPD Association professionnelle <strong>des</strong> psychotechniciens diplômés<br />

BINOP Bulletin de l’Institut national d’orientation professionnelle<br />

BIT<br />

Bureau international du travail<br />

BUS<br />

Bureau universitaire de la statistique<br />

CEE<br />

Centre d’étu<strong>des</strong> de l’emploi<br />

CEGOS Centre de gestion et d’organisation scientifique<br />

CEP<br />

Certificat d’étu<strong>des</strong> psychotechniques<br />

CEREQ Centre d’étu<strong>des</strong> et de recherches sur les qualifications<br />

CERP Centre d’étu<strong>des</strong> et de recherches psychotechniques<br />

CGC<br />

Confédération générale <strong>des</strong> cadres<br />

CGT<br />

Confédération générale du travail<br />

CHA<br />

Classification hiérarchique ascendante<br />

CMPP Centre médico-psycho-pédagogique<br />

CNAM Conservatoire national <strong>des</strong> Arts et Métiers<br />

CNCDP Commission nationale du code de déontologie <strong>des</strong> psychologues<br />

CNOF Comité national de l’organisation française<br />

CNRS Centre national de la recherche scientifique<br />

COP<br />

Conseiller d’orientation-psychologue<br />

CORT Compagnie d’organisation rationnelle du travail<br />

573


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

CSCPT<br />

DECOP<br />

DEP<br />

DEP-MEN<br />

DEPS<br />

DESS<br />

EAP<br />

ECPA<br />

EFPPA<br />

EPHE<br />

EPP<br />

FFPP<br />

GEPUP<br />

GGPF<br />

INETOP<br />

INFCP<br />

INOP<br />

INSERM<br />

IPP<br />

ONISEP<br />

OP<br />

OST<br />

PCS<br />

RATP<br />

ROME<br />

SFG<br />

SFP<br />

SNCF<br />

SNECMA<br />

SNES<br />

SNP<br />

SNP-CGT<br />

SNPPD<br />

SPEN<br />

STCRP<br />

Chambre syndicale <strong>des</strong> conseils en psychologie du travail<br />

Diplôme d’Etat de conseiller d’orientation professionnelle<br />

Diplôme d’Etat de psychotechnicien<br />

Direction de l’évaluation et de la prospective, ministère de l’Education<br />

nationale<br />

Diplôme d’Etat de psychologue scolaire<br />

Diplôme d’étu<strong>des</strong> supérieures spécialisées<br />

Etablissement d’applications psychotechniques<br />

Editions du centre de psychologie appliquée<br />

European Federation of Psychologists’ Association<br />

Ecole pratique <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong><br />

Ecole <strong>des</strong> psychologues praticiens (Université catholique de Paris)<br />

Fédération française <strong>des</strong> psychologues et de la psychologie<br />

Groupe d’étudiants en psychologie de l’Université de Paris<br />

Groupement <strong>des</strong> graphologues professionnels de France<br />

Institut national d’étu<strong>des</strong> du travail et de l’orientation professionnelle<br />

Institut national de formation <strong>des</strong> cadres professionnels<br />

Institut national d’orientation professionnelle<br />

Institut national de la santé et de la recherche médicale<br />

Institut de Psychologie de l’université de Paris<br />

Office national d’information sur les enseignements et les professions<br />

Orientation professionnelle<br />

Organisation scientifique du travail<br />

Professions et catégories socioprofessionnelles<br />

Régie autonome <strong>des</strong> transports parisiens<br />

Répertoire opérationnel <strong>des</strong> métiers et emplois<br />

Société française de graphologie<br />

Société française de psychologie<br />

Société nationale <strong>des</strong> chemins de fer<br />

Société nationale de construction <strong>des</strong> moteurs d’avion<br />

Syndicat national de l’enseignement secondaire<br />

Syndicat national <strong>des</strong> psychologues<br />

Syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT<br />

Syndicat national <strong>des</strong> psychologues praticiens diplômés<br />

Syndicat <strong>des</strong> psychologues de l’éducation nationale<br />

Société <strong>des</strong> transports en commun de la région parisienne<br />

574


VI. Annexe 6 : Chronologie<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

ACTION PUBLIQUE EN<br />

DIRECTION DU MARCHE DU<br />

TRAVAIL<br />

1870-1918 1898 : loi sur les accidents du<br />

travail<br />

1910 : L’Inspection du travail<br />

subventionne les recherches de<br />

Lahy et Imbert sur la<br />

physiologie du travail<br />

professionnel<br />

1913 : le ministère du Travail<br />

met en place une<br />

« commission chargée de<br />

préparer un programme<br />

d’étu<strong>des</strong> relatives à la<br />

physiologie du travail<br />

professionnel, aux aptitu<strong>des</strong><br />

professionnelle et à leur<br />

formation dans les familles<br />

ouvrières et paysannes »<br />

1918-1945 1922 : Décret du Ministère de<br />

l’Instruction Publique plaçant<br />

les centres d’orientation<br />

professionnelle sous la tutelle<br />

de l’Enseignement technique<br />

1937 : création du CSMO<br />

(Centre scientifique de la main<br />

d’œuvre) <strong>des</strong>tiné à évaluer les<br />

aptitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> chômeurs de la<br />

région parisienne touchés par<br />

le chômage.<br />

1938 : décret-loi rendant<br />

obligatoire la création d’un<br />

centre d’orientation<br />

professionnelle dans chaque<br />

département.<br />

1942 : Le gouvernement de<br />

Vichy met en sommeil l’INOP<br />

et crée d’autres centres de<br />

formation d’orienteurs<br />

s’appuyant sur la méthode<br />

Carrard (Belle-Ombre)<br />

1945-1970 1945 : Le plan Langevin-<br />

Wallon prévoit un<br />

« classement <strong>des</strong> travailleurs,<br />

fondé à la fois sur les aptitu<strong>des</strong><br />

individuelles et les besoins<br />

sociaux »<br />

1947 : Création du CERP<br />

(centre d’étu<strong>des</strong> et de<br />

recherches psychotechniques),<br />

dépendant du ministère du<br />

PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL EN<br />

FRANCE<br />

1905 : Premières recherches<br />

psychophysiologiques d’Armand<br />

Imbert, professeur de médecine à<br />

Montpellier<br />

1910 : Lahy met au point <strong>des</strong> tests<br />

de sélection pour les chauffeurs de<br />

tramways et les ouvriers<br />

typographes<br />

1913 : création du laboratoire de<br />

recherches du travail professionnel<br />

au CNAM (Jules Amar)<br />

1916 :<br />

- Lahy publie une critique <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> de Taylor<br />

- mise au point de tests de sélection<br />

<strong>des</strong> aviateurs par le Dr Camus.<br />

1920 : création de l’Association<br />

internationale de psychotechnique<br />

1924 : création du service<br />

psychotechnique de la STCRP par<br />

Lahy<br />

1927 : création <strong>des</strong> EAP<br />

(établissements d’applications<br />

psychotechniques), première<br />

maison d’édition de tests en<br />

France.<br />

1928 :<br />

- création de l’INOP<br />

- Service de psychotechnique de<br />

Renault<br />

- création de la chaire de Laugier<br />

au CNAM (« Physiologie du<br />

travail et orientation<br />

professionnelle »)<br />

1930 : Principes de psychologie<br />

appliquée de Wallon<br />

1933 : création de la revue Le<br />

travail humain par Lahy et Laugier<br />

1936 : Mise en place du système<br />

Carrard, concurrent à celui de<br />

Lahy, dans certaines entreprises<br />

françaises (Michelin, Penhoët…)<br />

1947 : création de l’APPD<br />

(Association professionnelle <strong>des</strong><br />

psychotechniciens diplômés<br />

1953 : Diplôme d’Etat de<br />

psychotechnicien<br />

1958 : fusion de l’APPD avec la<br />

SFP<br />

1966 : création au CNAM d’une<br />

chaire d’ « ergonomie » (en<br />

remplacement de la chaire de<br />

PSYCHOLOGIE EN FRANCE<br />

1885 : création du laboratoire<br />

de psychologie expérimentale<br />

de la Sorbonne<br />

1895 : création de l’Année<br />

psychologique<br />

1901 : création de la Société<br />

française de psychologie<br />

1904 : Toulouse, Piéron et<br />

Vaschide publient leur<br />

Technique de psychologie<br />

expérimentale<br />

1905 : Binet et Simon mettent<br />

au point <strong>des</strong> tests d’intelligence<br />

1920 : création de l’Institut de<br />

Psychologie<br />

1923 : Henri Piéron est élu au<br />

Collège de France (chaire de<br />

physiologie <strong>des</strong> sensations).<br />

1937 :<br />

- Henri Wallon est élu au<br />

Collège de France (Chaire de<br />

psychologie et éducation de<br />

l’enfance)<br />

- Congrès mondial de<br />

psychologie à Paris, sous la<br />

présidence de Janet<br />

1945 : création <strong>des</strong> services de<br />

psychologie scolaire par Wallon<br />

1947 : création de la licence de<br />

psychologie<br />

1948 : Création du GEPUP<br />

(groupe <strong>des</strong> étudiants en<br />

psychologie de l’université de<br />

Paris)<br />

1951 : création de l’Ecole <strong>des</strong><br />

psychologues praticiens<br />

575


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

travail<br />

1950 : Abandon officiel de la<br />

méthode de sélection<br />

« Carrard » par le CERP<br />

1964 : le ministère du travail<br />

élabore un projet de<br />

réglementation <strong>des</strong> activités de<br />

sélection professionnelle, qui<br />

trouvera un prolongement<br />

dans le projet Anzieu de<br />

réforme <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

psychologie.<br />

1967 : création de l’ANPE<br />

1971 : dissolution du CERP<br />

1970-2000 1971 : Loi sur la formation<br />

professionnelle continue<br />

1974 : Evelyne Sullerot crée<br />

l’association « retravailler »,<br />

qui développe les pratiques<br />

d’auto-orientation <strong>des</strong> adultes.<br />

1981 : rapport Schwartz sur<br />

l’insertion <strong>des</strong> jeunes<br />

1982 : création <strong>des</strong> premières<br />

missions locales et PAIO<br />

1986 : mise en place <strong>des</strong><br />

premiers CIBC (centres<br />

interinstitutionnels de bilans<br />

de compétence)<br />

1992 :<br />

- Loi Lyon-Caen sur les<br />

métho<strong>des</strong> de recrutement<br />

- Loi sur le bilan de<br />

compétences<br />

physiologie du travail), occupée<br />

par Alain Wisner.<br />

1968 : face aux critiques adressées<br />

contre les psychotechniciens, la<br />

SFP édite une brochure « Des<br />

psychologues du travail, pour faire<br />

quoi ? ».<br />

1970 : dernière session du diplôme<br />

d’Etat de psychotechnicien<br />

1976 : Mise en place <strong>des</strong> premiers<br />

DESS de psychologie du travail<br />

1978 : le CNAM crée un<br />

« Diplôme de psychologue du<br />

travail »<br />

1980 : fondation de l’AIPTLF, à<br />

l’initiative de Pierre Goguelin<br />

1985 : dissolution de la section de<br />

psychologie du travail de la SFP<br />

1990 : Christophe Dejours<br />

remplace Pierre Goguelin à la<br />

chaire de psychologie du travail du<br />

CNAM<br />

1997 : Les EAP et les ECPA<br />

ouvrent la vente de leurs tests aux<br />

non-psychologues<br />

(Université Catholique de Paris)<br />

1961 : Code de déontologie <strong>des</strong><br />

psychologues rédigé par la SFP<br />

1964 : Création du CCOP<br />

(Comité de coordination <strong>des</strong><br />

organisations de psychologues)<br />

1967 :<br />

- la psychologie quitte le<br />

domaine <strong>des</strong> sciences humaines<br />

au CNRS et est rattachée au<br />

secteur <strong>des</strong> sciences de la vie.<br />

- création d’une UER de<br />

sciences cliniques à Censier, à<br />

l’initiative de Juliette Favez-<br />

Boutonnier<br />

1969 : Projet Anzieu de réforme<br />

<strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie, à la<br />

demande du Ministère de<br />

l’Education Nationale<br />

1971 : les psychologues<br />

hospitaliers obtiennent un statut<br />

officiel par décret du ministère<br />

de la santé.<br />

1985 : loi relative au titre <strong>des</strong><br />

psychologue<br />

1990 : la SFP quitte l’ANOP<br />

1992 : décrets d’application de<br />

la loi de 1985 sur le titre de<br />

psychologue (statut particulier<br />

<strong>des</strong> psychologues scolaires et<br />

CO-Psy)<br />

1996 : élaboration d’un<br />

nouveau code de déontologie<br />

par l’ANOP<br />

2003 : Création de la FFPP<br />

(fédération française <strong>des</strong><br />

psychologues et de la<br />

psychologie), en remplacement<br />

de l’ANOP<br />

576


VII. Annexe 7 La psychologie du travail au CNAM 1905-<br />

1990<br />

Tableau annexe VII-1 Cours de l’Année 1950-1950 (cours du Pr Bize)<br />

DATE<br />

INTITULE DU COURS<br />

9 novembre 1950 La psychotechnicien – sa personnalité<br />

16 novembre Etude <strong>des</strong> métiers – méthodologie générale<br />

23 novembre Etude <strong>des</strong> métiers (suite)<br />

30 novembre Classification <strong>des</strong> métiers<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

7 décembre Les travailleurs de capacité professionnelle réduite<br />

21 décembre Les infirmes moteurs<br />

4 janvier 1951 Les épileptiques et arriérés<br />

11 janvier Psychoses et névroses – orientation et adaptation<br />

18 janvier Le problème <strong>des</strong> caractères et <strong>des</strong> délinquants<br />

25 janvier Le problème de la délinquance<br />

1 er février Les déficients de la vue<br />

8 février Les déficients de l’ouïe et du langage<br />

15 février Le problème de l’homme normal<br />

22 février Les travailleurs âgés<br />

1 er mars Le travail chez les fermiers<br />

8 mars Le travail <strong>des</strong> jeunes<br />

15 mars Le problème <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> raciales différentielles<br />

5 avril La sélection <strong>des</strong> conducteurs<br />

12 avril La sélection dans les emplois manuels<br />

19 avril La sélection <strong>des</strong> employés<br />

25 avril Le problème <strong>des</strong> artistes<br />

10 mai Le problème du recrutement <strong>des</strong> cadres<br />

17 mai Facteur humain et prévention <strong>des</strong> accidents<br />

24 mai Facteur humain et prévention <strong>des</strong> maladies<br />

professionnelles<br />

31 mai Les gestes professionnels<br />

7 juin Notions de psychologie industrielle<br />

577


Tableau annexe VII-2 Cours de l’Année 1973-1974 (cours du Pr Goguelin)<br />

DATE<br />

INTITULE DU COURS<br />

27 octobre Historique et méthode de la psychologie<br />

3 novembre Communication et psychologie<br />

17 novembre Aspect psychologique <strong>des</strong> structures<br />

24 novembre Besoins <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> entreprises<br />

1 er décembre Besoins <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> entreprises<br />

15 décembre La direction participative par les objectifs<br />

5 janvier La direction participative par les objectifs<br />

12 janvier La décision<br />

19 janvier Sociométrie et dynamique de groupe<br />

26 janvier La dynamique de groupe<br />

23 février L’étude de poste<br />

2 mars L’étude de poste<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

9 mars L’étude de poste<br />

16 mars Techniques objectives et subjectives<br />

23 mars Critères et examen d’un travail<br />

27 avril Les tests<br />

11 mai Les problèmes pratiques de sélection<br />

11 mai Prévention <strong>des</strong> accidents et orientation professionnelle<br />

25 mai La formation psychologique<br />

8 juin La formation psychologique<br />

578


Figure annexe VII-1 Généalogie <strong>des</strong> chaires et enseignements de psychologie du travail<br />

et d’ergonomie au CNAM 1905-2005<br />

: Chaire<br />

: Cours<br />

Hygiène industrielle<br />

(Heim de Balsac)<br />

1905-1922<br />

Laboratoire de recherche sur le travail professionnel<br />

(Jules Amar)<br />

1913-1920<br />

Hygiène générale dans ses rapports avec l’industrie<br />

(Jean Pottevin)<br />

1922-1924<br />

Organisation technique du travail humain<br />

(Jean-Paul Langlois, remplacé par Marcel<br />

Frois en 1922-1923)<br />

1920-1923<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Hygiène et physiologie du travail (Jean Pottevin)<br />

1924-1927<br />

Physiologie du travail, hygiène industrielle et orientation professionnelle<br />

(Henri Laugier)<br />

1928-1937<br />

Physiologie du travail et orientation professionnelle<br />

(Robert Faillie)<br />

1937-1945<br />

Physiologie (Camille Soula)<br />

1946-1958<br />

Orientation professionnelle<br />

(Raymond Bonnardel)<br />

1937-1939<br />

Sélection et orientation professionnelle<br />

(Paul-René Bize)<br />

1948-1970<br />

Physiologie du travail (ergonomie)<br />

(Jean Scherrer)<br />

1958-1966<br />

Psychologie du travail<br />

(Pierre Goguelin)<br />

1970-1989<br />

Ergonomie et physiologie du travail<br />

(Alain Wisner)<br />

1966-1989<br />

Psychologie du travail<br />

(Christophe Dejours)<br />

1990-2005<br />

Ergonomie et neurosciences du travail<br />

(Pierre Falzon)<br />

1989 –<br />

Psychanalyse, santé, travail<br />

(Christophe Dejours)<br />

2005 –<br />

579


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


VIII. Annexe 8 : Lexique<br />

Orientation professionnelle. L’orientation professionnelle a pour but de diriger un individu –<br />

le plus ouvent un adolescent, mais aussi un adulte, un chômeur, un mutilé – vers la profession<br />

où il a le plus de chance de réussir, parce qu’elle répond le mieux à ses aptitu<strong>des</strong> physiques ou<br />

psychiques (Claparède, 1922, p. 30).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Physiologie du travail. Branche de la physiologie qui s’intéresse au fonctionnement du corps<br />

humain dans les travaux manuels (rendement, dépense énergétique…) et aux conséquences du<br />

travail sur les fonctions végétatives (fatigue). Cette discipline doit sa naissance aux travaux de<br />

Marey, dont la technique de chronophotographie a permis l’étude plus fine <strong>des</strong> mouvements,<br />

puis aux applications qui lui ont été données par Charles Frémont, Auguste Chauveau et<br />

Armand Imbert dans l’étude de certains métiers manuels (forgerons, ébénistes, coupeurs de<br />

sarments de vigne…).<br />

Psychologie appliquée. Ce terme désigne l’ensemble <strong>des</strong> applications de la psychologie<br />

scientifique aux problèmes de la vie pratique. Dans l’entre deux guerres, il est presque<br />

synonyme de psychotechnique, notamment dans le sens qu’il prend dans l’ouvrage d’Henri<br />

Wallon, Principes de psychologie appliquée (1930) où il désigne les applications à la<br />

sélection scolaire et professionnelle. Son sens s’élargit dans le Traité de psychologie<br />

appliquée (1950) dirigé par Piéron, qui couvre une grande variété de domaines (école,<br />

industrie, justice, armée, social, commerce…). Pour certaines catégories de problèmes, on<br />

assiste à l’apparition de branches spéciales de la psychologie appliquée : psychologie<br />

commerciale, psychologie industrielle, psychologie juridique.<br />

Psychologie différentielle. Etu<strong>des</strong> comparatives <strong>des</strong> différences psychologiques entre les<br />

individus, tant en ce qui concerne la variabilité inter-individuelle dans <strong>des</strong> groupes homogènes<br />

que la variabilité inter-groupe (groupes différant par l’âge, le sexe, le milieu social…).<br />

(Piéron, 1951)<br />

Psychologie industrielle. Bien que Hugo Münsterberg soit souvent présenté comme le père<br />

de la psychologie industrielle, ce terme n’apparaît pas dans son ouvrage Psychology and<br />

Industrial efficiency (1913). Il lui préfère le terme de « psychologie économique » ou de<br />

« psychologie appliquée aux affaire » (Business psychology). Le terme apparaît en Grande-<br />

Bretagne en 1920 dans le nom du National Institute of Industrial Psychology, un centre de<br />

recherches créé pour « favoriser l’application <strong>des</strong> sciences psychologiques à l’industrie et au<br />

commerce ». Il désigne l’application de la psychologie à tous types de problèmes industriels<br />

(sélection, orientation, publicité, marketing, communication…). Le terme a connu plus de<br />

succès aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne qu’en France, où les applications de la<br />

581


psychologie à la vie économique sont longtemps restées embryonnaires, et où l’on s’est plus<br />

tôt tourné vers une psychologie du « travail », incluant également l’étude de travaux non<br />

industriels.<br />

Psychologie du travail. Le terme est initialement proposé par Léon Walther en 1926. Il ne<br />

s’impose en France qu’à la fin <strong>des</strong> années 1950, où il se substitue progressivement à celui de<br />

« psychotechnique », désignant par là une extension du domaine d’étude à toutes les<br />

dimensions du travail. sélection, formation, relations sociales dans l’entreprise… Aujourd’hui,<br />

la psychologie du travail tend de plus en plus à se diviser en trois courants : celui de la<br />

« psychologie cognitive du travail » centré sur l’étude <strong>des</strong> situations concrètes de travail, celui<br />

de la « psychologie du travail et <strong>des</strong> organisations », qui met davantage l’accent sur les<br />

aspects relationnels et sociaux du travail et enfin celui de la psychodynamique du travail, qui<br />

étudie les situations normales ou pathologiques liées au travail dans une perspective clinique.<br />

Psychométrie. Ensemble <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de mesure utilisées dans le domaine psychologique.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Psychophysiologie du travail. Domaine de recherche se situant à l’intersection de l’étude <strong>des</strong><br />

fonctions physiologiques et de la psychologie, entendue comme science du comportement<br />

global. Ces recherches, qui se développèrent à partir de 1910-1920, furent suscitées par<br />

l’importance croissante prise par le facteur psychique dans certains métiers mettant en jeu <strong>des</strong><br />

capacités telles que le temps de réaction, la capacité d’attention, l’habileté, la rapidité. Les<br />

métiers exigeant une attention soutenue (linotypistes, dactylographes) ou une attention<br />

diffusée, se partageant entre différents éléments de l’environnement (conducteur de tramway,<br />

téléphonistes) ont fait l’objet de recherches psychophysiologiques.<br />

Psychotechnique (ou technopsychologie). terme proposé par William Stern en 1903, pour<br />

désigner les applications de la psychologie scientifique. Le terme désignait au départ toutes<br />

les applications de la psychologie (école, famille, justice…) mais son sens s’est limité, dès<br />

l’entre-deux guerres à la seule étude <strong>des</strong> différences individuelles, et à leurs conséquences en<br />

terme de sélection et d’orientation professionnelle.<br />

582


IX. Annexe 9 : Notices biographiques<br />

La première génération :<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Armand IMBERT (1850-1922) : Doctorat de physique de l’Université de Montpellier<br />

(1880), puis agrégation <strong>des</strong> facultés de médecine de Lyon (1883). Il enseigna la physique<br />

médicale à la faculté de médecine de Montpellier (1889-1919) puis fut nommé à une chaire de<br />

« physiologie du travail » spécialement créée pour lui à la faculté de médecine de Marseille en<br />

1921. Il meurt en 1922 et n’aura pas le temps d’occuper cette chaire. Il s’intéressa aux<br />

questions de travail professionnel à partir du milieu <strong>des</strong> années 1890 : en 1892 il créa un<br />

service d’inspection oculaire <strong>des</strong> écoles de Montpellier, <strong>des</strong>tiné à « fournir <strong>des</strong> indications<br />

relativement aux professions qui peuvent être nuisibles à la vision de l’enfant ». Il réalisa par<br />

la suite de nombreuses étu<strong>des</strong> de physiologie du travail à la demande de l’Office du travail<br />

entre 1905 et 1910, notamment sur le travail <strong>des</strong> portefaix et <strong>des</strong> coupeurs de sarments de<br />

vigne dans la région de Montpellier.<br />

Jean-Maurice LAHY (1872-1943) : Autodidacte, Lahy occupa d’abord un emploi de<br />

receveur <strong>des</strong> postes dans la région parisienne. C’est certainement son engagement politique et<br />

son appartenance à la franc-maçonnerie qui lui permit de faire la connaissance d’Edouard<br />

Toulouse et d’entrer comme préparateur (1905) au laboratoire de psychologie expérimentale<br />

de l’Ecole pratique <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong>, où il sera ensuite nommé chef <strong>des</strong> travaux (1908) puis<br />

directeur (1926). Il reçut une formation en sociologie à l’Ecole <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong>, sous la<br />

direction de Marcel Mauss, qui donna, à la différence de Piéron, une tonalité sociologique,<br />

voire anthropologique à ses analyses du travail. Engagé politiquement à gauche, il combattit<br />

vigoureusement le taylorisme dès 1913 (voir son ouvrage de 1916 Le système Taylor et la<br />

physiologie du travail professionnel) et s’attacha à mettre en place <strong>des</strong> systèmes de sélection<br />

et d’organisation du travail respectueux de la santé <strong>des</strong> travailleurs, à travers <strong>des</strong> tests<br />

psychophysiologiques appropriés. Il est à l’origine de la création d’une vingtaine de<br />

laboratoires psychotechniques d’entreprises et d’administrations, notamment dans les<br />

transports en commun (il mit en place un laboratoire à la STCRP dès 1921, qui devint effectif<br />

en 1924), les manufactures d’armes (1926), la Marine de guerre (1929), les PTT. Il Présida<br />

l’Association internationale de psychotechnique de 1921 à 1943.<br />

Henri LAUGIER (1888-1973) : Travaille au laboratoire de physiologie de Charles Richet à<br />

l’Institut Marey à partir de 1912 et obtient son Doctorat de médecine l’année suivante.<br />

Médecin pendant la guerre (1914-1919), il noue <strong>des</strong> contacts avec les Compagnons de<br />

l’université nouvelle qui l’amenèrent à prendre position pour l’école unique dans les années<br />

1920 et à occuper <strong>des</strong> responsabilités au ministère de l’Instruction publique, au Cabinet<br />

d’Yvon Delbos (1924). Il prend en 1923 la tête du laboratoire de physiologie appliquée à<br />

l’hôpital Henri-Rousselle, alors dirigé par Edouard Toulouse. Il fonde l’INOP en 1928 avec<br />

Henri Piéron et Julien Fontègne et est élu la même année à la chaire de « physiologie du<br />

travail et orientation professionnelle » du CNAM, qu’il occupera jusqu’en 1937. En 1933, il<br />

583


crée un laboratoire de physiologie du travail à la Société <strong>des</strong> chemins de fer de l’Etat et fonde<br />

avec Lahy la revue le Travail humain. A partir de 1939, ses activités politiques l’éloignent<br />

progressivement de la psychologie appliquée : direction générale du CNRS à partir de 1939,<br />

exil au Canada pendant la guerre, secrétariat général adjoint de l’ONU de 1946 à 1951.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Henri PIERON (1881-1964) : Agrégation de philosophie (1905) et doctorat de sciences<br />

naturelles (1912). D’abord préparateur (1901) puis chef de travaux (1907) au laboratoire de<br />

psychologie expérimentale de Toulouse à Villejuif, il prend en 1912 la direction du<br />

laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, où il succède à Binet. Il est élu en<br />

1923 professeur au Collège de France (chaire de physiologie <strong>des</strong> sensations). Dès ses<br />

premières recherches, il manifeste un vif intérêt pour les applications pratiques de la<br />

psychologie, ce qui l’amènera à militer en faveur de l’orientation professionnelle (il crée avec<br />

Laugier et Fontègne l’INOP en 1928) et à développer les formations de psychologues<br />

praticiens (création de l’Institut de psychologie à Paris en 1920, création du Diplôme d’Etat<br />

de psychotechnicien en 1953). En outre, il dirigea en 1939-1940 le laboratoire de<br />

psychophysiologie de l’armée de l’air et publia un monumental Traité de psychologie<br />

appliquée (8 tomes) entre 1949 et 1959.<br />

Edouard TOULOUSE (1865-1947) : Obtient un doctorat de médecine de la Faculté de<br />

médecine de Paris (1891) puis est nommé médecin-chef à l’asile de Villejuif (1897), où il<br />

reste jusqu’en 1922 avant de créer le premier service psychiatrique ouvert du département de<br />

la Seine à l’Hôpital Henri-Rousselle (service libre de prophylaxie mentale). Il crée en 1899 un<br />

laboratoire de psychologie expérimentale à l’asile de Villejuif, qui fut rattaché à l’EPHE en<br />

1900, et où J.-M. Lahy, H. Piéron et N. Vaschide feront leurs débuts. De nombreuses<br />

recherches sur le travail y seront menées dans la perspective d’une organisation sociale plus<br />

juste et plus rationnelle. Membre fondateur de la société de sexologie (1932) et de la société<br />

de biotypologie (1932).<br />

La deuxième génération :<br />

Paul-René BIZE (1901- ) : Docteur en médecine de la Faculté de Paris (1930). Très tôt<br />

intéressé par le monde du travail, il avait obtenu un diplôme d’hygiène industrielle et de<br />

médecine du travail. Il commence sa carrière de médecin du travail aux usines Citroën, où il<br />

est chargé de la sélection et de l’orientation du personnel ainsi que de la surveillance <strong>des</strong><br />

apprentis (1936-1939). Cette expérience l’amène à s’intéresser aux questions de psychologie<br />

et d’orientation professionnelle : il est nommé chargé de mission de l’inspection générale de<br />

l’enseignement technique pour l’orientation professionnelle (1941-1943) ,puis occupe un<br />

poste de Médecin-inspecteur général du travail (1944-1945). Il consacra une partie de sa<br />

carrière aux activités d’enseignement, d’abord auprès <strong>des</strong> médecins du travail de la Faculté de<br />

médecine de Paris (1938), puis comme chargé d’enseignement au Centre de la rue Dareau<br />

(formation <strong>des</strong> psychotechniciens du Ministère du travail) de 1941 à 1946, enfin au CNAM,<br />

où il sera nommé professeur titulaire du cours de « sélection et orientation professionnelle »<br />

(1948-1964). En raison de l’extension de son contenu, ce cours sera transformé en cours de<br />

« psychologie du travail » (1964-1970).<br />

584


Raymond BONNARDEL (1901-1988) : Diplômé de l’Institut de psychologie de Paris<br />

(1933), docteur ès sciences (1934), docteur en médecine (1936) et expert psychotechnicien de<br />

l’université de Paris (1942). En 1929, il fait la rencontre d’Henri Laugier, qui va être<br />

déterminante pour sa carrière. Il est d’abord préparateur au laboratoire d’organisation<br />

physiologique du travail de l’EPHE (1931), alors dirigé par Laugier, puis chef de travaux au<br />

CNAM (Chaire de physiologie du travail et orientation professionnelle) et chargé de<br />

recherche au CNRS (1935). Il succède en 1939 à Lahy à la direction du laboratoire de<br />

psychologie appliquée de l’EPHE et sera nommé professeur à l’Institut de psychologie de<br />

Paris en 1943, fonction qu’il occupera jusqu’en 1966. Ses recherches ont essentiellement<br />

porté sur les métiers de l’industrie automobile : il créera en 1938 le laboratoire de<br />

psychotechnique <strong>des</strong> usines Peugeot à Sochaux. Secrétaire de rédaction (1933) puis directeur<br />

(1946-1966)du Travail humain. Membre et président (1952) de la Société française de<br />

psychologie. Secrétaire général de l’Association Internationale de Psychologie Appliquée<br />

(1951-1964).<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Jean-Marie FAVERGE (1912-1988) : Agrégé de mathématiques (1936) et diplômé de<br />

l’Institut de psychologie de Paris (1945). De 1937 à 1947, il est professeur de lycée à<br />

Besançon, Lyon puis Paris. Il entre en 1947 comme chargé d’étu<strong>des</strong> au CERP auprès du<br />

Docteur Ombredane. Il introduit les métho<strong>des</strong> statistiques dans les épreuves de sélection du<br />

ministère du travail et met au point de nouveaux tests basés sur l’analyse factorielle. Il écrit en<br />

1955 avec Ombredane L’analyse du travail, qui donnera une impulsion à l’ergonomie<br />

française. Il quitte le CERP en 1959 et abandonne ses enseignements à l’Institut de<br />

psychologie et à l’INOP pour prendre la direction du laboratoire de psychologie de<br />

l’Université Libre de Bruxelles où il poursuivit ses recherches en ergonomie jusqu’en 1980.<br />

En 1963, il fonde la SELF (société d’ergonomie de langue française).<br />

Paul FRAISSE (1911-1996) : Docteur ès lettres de l’université de Paris (1956). Maître de<br />

conférences de psychologie aux facultés catholiques de Lyon. Directeur-adjoint (1943-1952)<br />

puis directeur à l’école pratique <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong> (laboratoire de psychologie expérimentale,<br />

dirigé par Piéron). Il est nommé professeur de psychologie expérimentale à la faculté <strong>des</strong><br />

lettres de Paris (1957) et deviendra directeur de l’Institut de Psychologie (1961-1969). Ses<br />

recherches, essentiellement tournées vers la psychologie expérimentale, sont assez éloignées<br />

<strong>des</strong> applications pratiques de la psychologie, mais il s’attacha durant toute sa carrière à<br />

développer la formation <strong>des</strong> psychologues praticiens en participant à la création de la licence<br />

(1947) et de la maîtrise (1966) de psychologie ainsi qu’à la réforme <strong>des</strong> enseignements de<br />

l’Institut de psychologie. Il fut secrétaire-général (1949-1959) et président (1962) de la<br />

Société française de psychologie.<br />

Pierre GOGUELIN (1923-2004) : Entré à l’Ecole Navale en 1942 et diplômé de l’Institut de<br />

psychologie de Paris en 1947, il quitte la marine nationale pour <strong>des</strong> raisons de santé en 1948<br />

et se consacre entièrement à la psychologie. Il débute sa carrière au service psychotechnique<br />

d’EDF (1948-1976) et mène parallèlement <strong>des</strong> activités de conseil en entreprise (création en<br />

1951 de la Société française d’étude du travail) d’enseignement et de recherche. Il fut<br />

successivement chargé d’enseignement à l’Institut de psychologie de Paris (1952-1973), chef<br />

de travaux (1952-1971) puis professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail au<br />

CNAM (1971-1989). Président de la section psychologie du travail de la SFP, fondateur de<br />

585


l’APTLF (association de psychologie du travail de langue française) en 1980. Ses recherches<br />

s’inscrivent davantage dans la psychologie sociale que dans celui de la psychologie du travail<br />

au sens étroit du terme. Il s’intéressa ainsi à la formation et à l’animation, au management<br />

psychologique et participatif, ainsi qu’à la formation continue <strong>des</strong> adultes.<br />

Jacques LEPLAT (1922- ) : Licencié en philosophie et en psychologie, diplômé de l’INOP<br />

et de l’Institut de psychologie (1951). Il commence sa carrière comme chargé d’étu<strong>des</strong> au<br />

CERP (1951) dans l’équipe de Jean-Marie Faverge, où il se spécialise très tôt (1953) dans les<br />

recherches de psychologie ergonomique. Il succède à Faverge à la tête du service de recherche<br />

du CERP (1962-1966) puis est nommé directeur d’étu<strong>des</strong> à l’EPHE en remplacement de<br />

Bonnardel à la tête du laboratoire de psychologie appliquée, poste qu’il occupera jusqu’en<br />

1989. Il rebaptisera le laboratoire « laboratoire de psychologie du travail ». Membre fondateur<br />

de la société d’ergonomie de langue française (SELF) en 1963.<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Suzanne PACAUD-KORNGOLD (1902-1988) : Née en Pologne (Cracovie), docteur en<br />

philosophie de l’Université de Cracovie, licenciée ès sciences et expert-psychotechnicien de<br />

l’université de Paris. Boursière (1938), chargée de recherche (1945) puis maître de recherche<br />

(1953) au CNRS. Elle enseigna à l’Institut de psychologie de Paris où elle fut successivement<br />

chef de travaux pratiques (1936-1954), puis professeur (1960). Elle fut l’assistante de Lahy au<br />

laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE et s’inscrit dans sa filiation intellectuelle<br />

directe. Elle contribua au développement <strong>des</strong> applications de la psychotechnique dans de<br />

nombreuses entreprises, notamment à la SNCF, dont elle dirigera le laboratoire<br />

psychotechnique de 1939 à 1952, à EDF (1944-1945), à la Fédération Nationale <strong>des</strong><br />

Transports Routiers (1947-1949), à la Régie Renault (1949-1952) et aux entreprises Bull<br />

(1949-1959). Vice-présidente (1965-1966) puis présidente (1966-1967) de la SFP.<br />

Maurice REUCHLIN (1920- ) : Etu<strong>des</strong> à l’école normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence<br />

(1938-1940), à l’INOP (1944-1945) et à l’Institut de Psychologie (1946-1948). Docteur d’Etat<br />

ès sciences (1962). Débute sa carrière comme instituteur à Marseille (1940-1944) avant de<br />

devenir Conseiller d’Orientation professionnelle (1945) puis chef du service de recherche<br />

(1950) et directeur de l’INOP (1966-1984) où il succédera à Piéron. Ses travaux porteront<br />

essentiellement sur la psychologie différentielle, dans le sillage <strong>des</strong> recherches de Piéron.<br />

Membre et Président (1965-1966) de la SFP.<br />

Dagmar WEINBERG (1897-1946) : Née en Russie, s’installe en France après la première<br />

guerre après un séjour en Allemagne. Etu<strong>des</strong> à l’Institut de psychologie (1922). Collaboratrice<br />

de Lahy au laboratoire de psychologie appliquée de l’EPHE, puis de Laugier au CNAM. Elle<br />

aide ce dernier à mettre en place le laboratoire de physiologie du travail de la SNCF<br />

(Viroflay) dont elle prend la direction en 1939. Membre de la société de sexologie et de la<br />

société de biotypologie.<br />

586


SOURCES<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

587


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006


Entretiens<br />

Liste <strong>des</strong> entretiens réalisés auprès de psychologues du travail<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

N° DESCRIPTION SEXE APPROCHE DE<br />

DATE<br />

L’ENTRETIEN<br />

1 Directeur d’un cabinet de conseil en Homme Associations<br />

recrutement/formation. Responsable de la section<br />

professionnelles/Pratique Octobre 2001<br />

« psychologie du travail » du SNP, Marseille<br />

libérale<br />

2 Chargé de recherches en psychologie du travail. Homme, Associations<br />

Président d’une association de diplômés de DESS, 40 ans professionnelles Mars 2002<br />

Paris<br />

3 Consultante junior dans un cabinet de conseil en Femme, Associations<br />

Novembre<br />

RTT. Présidente de l’association de diplômés du 26 ans professionnelles<br />

2001<br />

DESS de l’université de Provence<br />

4 Etudiante en DESS de psychologie du travail. Femme, Associations<br />

Présidente de l’association de diplômés de DESS, 24 ans professionnelles Janvier 2002<br />

Grenoble<br />

5 Consultante en recrutement dans un cabinet Femme Pratique libérale Novembre<br />

marseillais<br />

2001<br />

6 Conseillère en mission locale, Var Femme,<br />

28 ans<br />

Services publics<br />

Septembre<br />

2001<br />

7 Consultant dans un cabinet d’outplacement, Homme, Pratique libérale<br />

Septembre<br />

Marseille<br />

30 ans<br />

2001<br />

8 Consultante dans un cabinet de recrutement,<br />

Marseille<br />

Femme,<br />

47 ans<br />

Pratique libérale<br />

Novembre<br />

2001<br />

9 Consultante dans un cabinet de recrutement, Femme, Pratique libérale<br />

Marseille<br />

44 ans<br />

Janvier 2002<br />

10 Directeur d’un cabinet de recrutement, Paris Homme,<br />

49 ans<br />

Pratique libérale<br />

Novembre<br />

2001<br />

11 Directeur d’une maison d’édition de tests Homme, Pratique libérale<br />

psychotechniques, Paris<br />

42 ans<br />

Juillet 2002<br />

12 Psychologue du travail, ingénieur en outils Homme, Services publics<br />

d’orientation, AFPA-INOIP, Lille<br />

48 ans<br />

Juin 2001<br />

13 Directrice régionale <strong>des</strong> psychologues du travail de Femme, Services publics<br />

l’AFPA, région PACA, Marseille<br />

51 ans<br />

Octobre 2001<br />

14 Responsable technique <strong>des</strong> services d’orientation de Femme, Services publics<br />

l’AFPA, PACA, Marseille<br />

44 ans<br />

Octobre 2001<br />

589


15 Psychologue du travail à l’AFPA, Ancienne<br />

directrice <strong>des</strong> services d’orientation. Actuellement<br />

« consultante interne » à l’AFPA, Montreuil<br />

Femme,<br />

50 ans<br />

Services publics<br />

Septembre<br />

2001<br />

16 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Femme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

30 ans<br />

2001<br />

17 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Femme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

46 ans<br />

2001<br />

18 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Femme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

48 ans<br />

2001<br />

19 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Femme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

51 ans<br />

2001<br />

20 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Istres Homme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

57 ans<br />

2001 et<br />

janvier 2002<br />

21 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Homme,<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

29 ans<br />

2001<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

22 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Marseille Femme,<br />

55 ans<br />

23 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Istres Femme,<br />

32 ans<br />

24 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Toulon Femme,<br />

50 ans<br />

25 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Toulon Femme,<br />

50 ans<br />

26 Directrice régionale adjointe <strong>des</strong> psychologues du Femme,<br />

travail de l’AFPA, Rennes<br />

53 ans<br />

27 Responsable technique, CROP de Bretagne, Saint Homme,<br />

Brieuc<br />

38 ans<br />

28 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Morlaix Homme,<br />

42 ans<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Services publics<br />

Décembre<br />

2001<br />

Décembre<br />

2001<br />

Décembre<br />

2001<br />

Décembre<br />

2001<br />

Mai 2003<br />

Mai 2003<br />

Mai 2003<br />

29 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Quimper Femme,<br />

34 ans<br />

Services publics<br />

Mai 2003<br />

30 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Istres Femme,<br />

58 ans<br />

Mai 2003<br />

31 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Toulon Femme,<br />

46 ans<br />

Services publics<br />

Mai 2003<br />

32 Psychologue du travail à l’AFPA (SOP), Rennes Femme,<br />

40 ans<br />

Services publics<br />

Mai 2003<br />

33 Ancien psychologue du travail, chargé de la mise au<br />

Homme,<br />

Services publics<br />

point du logiciel OSIA, utilisé par les psychologues<br />

52 ans<br />

Février 2003<br />

pour la saisie informatique de leurs activités<br />

34 Ingénieur de sélection, La Poste, Marseille Femme,<br />

30 ans<br />

Services publics<br />

Janvier 2002<br />

35 Ingénieur de sélection, La Poste, Orléans Homme,<br />

34 ans<br />

Services publics<br />

Juillet 2002<br />

590


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

36 Ingénieur de sélection, La Poste, Orléans Femme,<br />

35 ans<br />

37 Chargée de sélection à la RATP, Paris Femme,<br />

38 ans<br />

38 Chargé de sélection à la RATP, Paris Homme,<br />

26 ans<br />

39 Chargée de sélection à la RATP, Paris Femme,<br />

34 ans<br />

40 Chargé de sélection à la RATP, Paris Homme,<br />

52 ans<br />

41 Chargé de sélection à la RATP, Paris Homme,<br />

54 ans<br />

42 DRH, services de sélection de la RATP, Paris Homme,<br />

37 ans<br />

43 DRH, Directrice <strong>des</strong> services de Psychologie du<br />

travail, Air France, Roissy<br />

Femme,<br />

40 ans<br />

44 Psychologue du travail à la SNCF, Paris Homme,<br />

38 ans<br />

45 Conseillère principale à l’ANPE, Paris Femme,<br />

32 ans<br />

46 Conseillère à l’ANPE (contractuelle), Vitrolles Femme,<br />

48 ans<br />

47 Maurice de Montmollin<br />

Enseignant-chercheur en ergonomie, Paris<br />

Homme<br />

48 Pierre Jardillier<br />

Homme<br />

Enseignant-chercheur et praticien retraité en<br />

psychologie du travail, Paris<br />

49 Pierre Goguelin<br />

Homme<br />

Ancien professeur titulaire de la chaire de<br />

psychologie du travail au CNAM, Versailles<br />

50 Madeleine Lavoëgie<br />

Directrice d’un cabinet de recrutement (retraitée),<br />

enseignant chercheur en psychologie du travail, Paris<br />

Homme<br />

51 Raymond Carpentier<br />

Homme<br />

Ancien directeur <strong>des</strong> services de psychologie du<br />

travail de la RATP, ancien président de la section<br />

« psychologie du travail » travail de la SFP, Paris<br />

52 Colette Bénassy-Chauffard<br />

Femme<br />

Directrice adjointe de l’INETOP (retraitée) de 1937 à<br />

1975, Paris<br />

53 Pierre-Yves Canu<br />

Ancien président de la section « psychologie du<br />

travail » de la SFP, ancien directeur <strong>des</strong> services<br />

psychotechniques de l’AFPA, Marseille<br />

Homme<br />

54 Nelly Xydias<br />

Femme<br />

Ancienne consultante en psychologie du travail,<br />

Services publics<br />

Juillet 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Mars 2002<br />

Services publics<br />

Août 2001<br />

Services publics<br />

Avril 2002<br />

Services publics<br />

Janvier 2002<br />

Histoire de la psychologie<br />

Août 2001<br />

du travail<br />

Histoire de la psychologie<br />

Juin 2001 et<br />

du travail<br />

août 2001<br />

Histoire de la psychologie<br />

du travail Juin 2001<br />

Histoire de la psychologie<br />

du travail Août 2001<br />

Histoire de la psychologie<br />

Août 2001,<br />

du travail<br />

février 2002<br />

et juin 2002<br />

Histoire de la psychologie<br />

du travail Août 2001<br />

Histoire de la psychologie<br />

du travail<br />

Mars 2003<br />

Histoire de la psychologie<br />

Août 2001<br />

du travail<br />

591


esponsable d’association professionnelle, Paris<br />

55 Michel Roche<br />

Homme<br />

Histoire de la psychologie<br />

Ancien directeur <strong>des</strong> services de psychologie du<br />

travail à la fédération <strong>des</strong> transports routiers.<br />

du travail<br />

Octobre 2001<br />

Syndicat <strong>des</strong> psychologues du travail CGT, Var<br />

56 Consultant en ressources humaines, Paris Homme,<br />

33 ans<br />

Pratique libérale<br />

Août 2001<br />

57 Professeur d’Université, Directeur de DESS de<br />

Homme,<br />

Formation<br />

Novembre<br />

psychologie du travail, Paris<br />

52 ans<br />

2001<br />

58 Professeur d’Université, Directeur de DESS de<br />

psychologie du travail, Paris<br />

Homme,<br />

45 ans<br />

Formation<br />

Février 2002<br />

59 Consultant au chômage. DESS de psychologie du<br />

Homme,<br />

Pratique libérale<br />

travail. A conçu <strong>des</strong> tests de recrutement<br />

45 ans<br />

Septembre<br />

informatique pour plusieurs cabinets de conseils et<br />

2001<br />

gran<strong>des</strong> entreprises, Aix-en-Provence<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

60 Professeur d’Université, Directeur de DESS de<br />

psychologie du travail, Grenoble<br />

61 Professeur d’Université, directeur d’UFR de<br />

psychologie, Paris<br />

Homme,<br />

49 ans<br />

Homme,<br />

58 ans<br />

Formation<br />

Formation/associations<br />

professionnelles<br />

Janvier 2002<br />

Décembre<br />

2004<br />

592


Grille d’entretien générale avec les psychologues praticiens<br />

I) La Formation<br />

a) Comment avez-vous été amené à faire <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie du travail ? Comment<br />

en avez-vous eu connaissance (amis, famille…). Cursus exclusivement psycho ou mixte ?<br />

b) La psycho du travail est un domaine où il y a le plus de débouchés - cela a-t-il fait partie<br />

de vos motivations pour choisir cette filière ?<br />

c) Où avez-vous réalisé votre stage de fin d’étu<strong>des</strong> ?<br />

d) Avez-vous suivi une formation complémentaire ou envisagez-vous d’en suivre une ?<br />

II) Parcours professionnel<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

a) Avez-vous rencontré <strong>des</strong> problèmes au moment de votre insertion professionnelle ?<br />

(durée de recherche du premier emploi stable).<br />

b) Par quels moyens avez-vous cherché un emploi à la sortie de l’université (petites<br />

annonces, APEC…).<br />

c) Lorsque vous vous êtes présenté pour un premier emploi, avec vous utilisé le titre de «<br />

psychologue du travail » ? Pourquoi ?<br />

d) Combien de postes avez-vous occupés avant d’occuper votre emploi actuel ?<br />

e) En quoi consiste votre travail actuel (<strong>des</strong>cription la plus précise possible) ?<br />

f) Dans quel type de structure travaillez-vous (administration, cabinet, entreprise privée) ?<br />

Si cabinet : structure financière (appartient à un grand groupe ?…)<br />

g) Le poste que vous occupez actuellement porte-t-il la dénomination de « psychologue du<br />

travail » ?<br />

h) La première installation : racontez-moi. Avec qui vous travailliez ? Quelles missions<br />

vous a-t-on confiées ?<br />

i) Changements notables au cours de l’exercice de la profession.(A la fois dans les<br />

missions dévolues et dans les postes occupés).<br />

III) Les missions de votre service<br />

a) Pouvez-vous me préciser les missions du service au sein duquel vous exercez<br />

actuellement ?<br />

b) Quel est le cœur de votre activité : recrutement ? sécurité ? Formation ? Bilan de<br />

Compétences ?<br />

c) Quel est votre public, votre clientèle ? (Cadres, employés, ouvriers, de tout ?)<br />

d) Ce service est-il composé exclusivement de psychologues du travail ?<br />

e) Combien de psychologues du travail avec vous ? Quelles sont leurs missions ?<br />

f) Comment le psychologue est-il perçu dans votre entreprise ? Vous rattachez-vous<br />

fortement à cette identité professionnelle ?<br />

g) Quels sont les atouts du psychologue du travail pour exercer dans ce service ?<br />

593


IV) Votre activité de psychologue<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

a) Dans l’exercice quotidien de votre travail, avez-vous recours à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> ou à <strong>des</strong><br />

techniques de la psychologie ?<br />

b) Quels outils utilisez-vous pour vous aider dans votre travail (manuels…) Quels tests<br />

utilisez-vous ? Les tests utilisés sont-ils produits de manière interne ou sont-ils achetés aux<br />

magasins type EAP ou ECPA ?<br />

c) Comment faites-vous le lien entre résultats <strong>des</strong> tests (données « objectives ») et<br />

l’entretien (données plus qualitatives) ? Ces deux métho<strong>des</strong> donnent-elles accès à <strong>des</strong><br />

ordres de réalité différents ?<br />

d) Formations complémentaires ? Où ? Dans quels organismes ? Apprentissage à quelles<br />

métho<strong>des</strong> (PNL) ?<br />

e) Quelle est selon vous l’image du psychologue dans le monde de l’entreprise ?<br />

f) Dans l’exercice de votre activité professionnelle, avez-vous le sentiment d’appliquer<br />

<strong>des</strong> métho<strong>des</strong>, <strong>des</strong> recettes ou plutôt de produire <strong>des</strong> connaissances ?<br />

g) Comment se partage votre temps ? (temps passé sur le terrain, temps pour l’analyse…)<br />

h) Projets futurs : garder le même emploi, en changer, réorienter le type d’activité<br />

V) Vos liens avec associations, réseaux professionnels de psychologues<br />

a) Vous rattachez-vous à votre identité de psychologue du travail ou estimez-vous que<br />

vous pourriez exercer le métier que vous faites actuellement sans formation<br />

psychologique ? La question de la déontologie.<br />

b) Etes-vous membre de la SFP ou d’une autre association professionnelle de<br />

psychologues (APTE) ?<br />

c) Etes-vous en contact de manière informelle avec d’autres psychologues du travail pour<br />

<strong>des</strong> raisons professionnelles ?Faites-vous partie d’un « réseau d’échange » d’informations ?<br />

d) Vous tenez-vous régulièrement informé de l’actualité psychologique (par<br />

l’intermédiaire de revues par exemple ?).<br />

594


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601


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602


tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

603


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604


Fonds d’archives consultés<br />

I) – ARCHIVES PERSONNELLES<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

- Raymond CARPENTIER, président de l’APPD et de la section psychologie du travail de<br />

la SFP, psychotechnicien à la RATP de 1947 à 1982.<br />

- Pierre GOGUELIN, psychotechnicien à EDF de 1948 à 1976, titulaire de la chaire de<br />

psychologie du travail du CNAM 1970-1989.<br />

- Pierre JARDILLIER, psychologue du travail retraité, ancien professeur de psychologie du<br />

travail à l’Ecole <strong>des</strong> Psychologues Praticiens (Université Catholique de Paris).<br />

- Jean NORMAND, directeur de la CORT (Compagnie d’organisation rationnelle du<br />

travail).<br />

- Michel ROCHE, ancien président du Syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT,<br />

psychotechnicien à la Fédération nationale <strong>des</strong> transporteurs routiers de 1953 à 1984.<br />

II) – ARCHIVES D’INSTITUTIONS ET D’ENTREPRISES<br />

a) Archives du CNAM (Conservatoire national <strong>des</strong> Arts et Métiers) :<br />

Fonds du Cadran solaire :<br />

- 2CC/17, Archives de la chaire de physiologie du travail, hygiène industrielle et<br />

orientation professionnelle.<br />

- 2 CC/5, « Physiologie du travail – 1930-1942 ».<br />

- EE/63, « chaire de psychologie du travail : projet de recherche pluridisciplinaire du<br />

laboratoire de psychologie du travail », 1985.<br />

- 2AA, Procès Verbaux <strong>des</strong> conseils de perfectionnement du CNAM.<br />

- 4CC/1 et 4CC/2 dossiers <strong>des</strong> candidats au diplôme d’Etat de psychotechnicien 1953-<br />

1970.<br />

- Dossiers de vacances de chaires : « psychotechnique du travail – sélection et<br />

Orientation Professionnelle – 1946-1947 », sans cote.<br />

- Dossiers de vacances de chaires : « psychologie du travail – 1970 », sans cote.<br />

- Dossiers de vacances de chaires : « Vacance de la chaire Hygiène et physiologie du<br />

travail (1928) – (correspondances et dossiers de candidature) », sans cote.<br />

- Procès Verbaux du Conseil d’Administration du CNAM – 1913-1990.<br />

Archives de la direction – secrétariat administratif :<br />

- Correspondances entre les professeurs de la chaire de psychologie du travail et le<br />

directeur du CNAM de 1963 à 1977, sans cote.<br />

- Dossier « Psychologie du travail – 1956-1990 », sans cote.<br />

- Dossier chaire d’ergonomie –1956-1990, sans cote.<br />

605


) Archives de l’INETOP (Institut national d’étu<strong>des</strong> du travail et de l’orientation<br />

professionnelle)<br />

- Registres <strong>des</strong> élèves de l’INOP (1929-1937).<br />

- Dépouillement du Bulletin de l’AGOF (Association générale <strong>des</strong> orienteurs de France)<br />

de 1931 (n°1) à 1954 (n°95).<br />

- Fonds André Caroff (Inspecteur général de l’Education nationale) :<br />

o Dossier A4.1. Statut <strong>des</strong> conseillers-psychologues 1958-1964.<br />

o Dossier D2. Dossier chronologique « psychologues scolaires » 1976-1980<br />

o Dossier D3. Dossier chronologique « psychologues scolaires » 1981-1990<br />

c) Archives Jean-Maurice Lahy (Hôpital Sainte-Anne, Paris)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

- Dossier 268 : rapport sur le fonctionnement du laboratoire de psychologie appliquée de<br />

l’Ecole Pratique <strong>des</strong> Hautes Etu<strong>des</strong><br />

- Dossier 536 : Chambre de commerce de Paris<br />

- Dossier 632 : publications dans <strong>des</strong> revues de vulgarisation<br />

- Dossier 645 : création d’un service psychotechnique aux P et T<br />

- Dossier 649 à 656 : Compagnie <strong>des</strong> tramways de Marseille<br />

- Dossier 657 : service psychotechnique de Renault<br />

- Dossier 662 : service psychotechnique de Citroën<br />

- Dossier 674 : service psychotechnique de Citroën (2)<br />

- Dossier 723 : Centre scientifique de la main d’œuvre (Ministère du travail)<br />

- Dossier 727 : Service psychotechnique <strong>des</strong> galeries Lafayette<br />

d) Archives Hugo Münsterberg (Boston Public Library, Boston)<br />

- Correspondances avec Pierre Janet (Mss Acc 1835) ; Otto Lipmann (Mss Acc 1902) ;<br />

Th. Ribot (Mss 2066) ; G. S. Hall (Mss Acc 1766) ; William James (Mss Acc 1834);<br />

James Mc Keen Cattell (Mss Acc 2332).<br />

- “Society for applied psychology” (1916), 8 p., Mss Acc. 2281<br />

- “The laboratory test for workers” (1913), 5 p., Mss. Acc 2457<br />

- “Extraits de journaux 1900-1916”, Mss. Acc 2499a<br />

e) Archives de l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris<br />

- Registres d’inscription de l’Institut de Psychologie, 1921-1947, sans cote.<br />

f) Archives du Syndicat National <strong>des</strong> Psychologues (ex-SNPPD)<br />

- Dépouillement du Bulletin du Syndicat National <strong>des</strong> Psychologue, 1965-2000 (devient<br />

Psychologues et psychologies en 1985)<br />

- Dossier « Europe : échanges de correspondances avec différentes associations<br />

professionnelles de psychologues européens » 1982-2000.<br />

- Dossier « Psychologues du travail », 1980-2000.<br />

- Dossier « Actions en faveur de la protection du titre », 1972-1985.<br />

- « Comptes rendus <strong>des</strong> réunions de l’ANOP », 1972-1983.<br />

- « Comptes rendus <strong>des</strong> réunions de l’ANOP », 1983-1993.<br />

- « Documentation et organisations membres de l’ANOP », 1985-1995.<br />

606


g) Archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence<br />

- A 34, 12, « Projet de création à Marseille d’un Centre d’étu<strong>des</strong> Scientifiques et<br />

expérimentales <strong>des</strong> questions se rapportant au travail ouvrier. Avec Bureau<br />

d’Orientation professionnelle (physiologie du travail) » par le docteur Armand Imbert,<br />

Professeur à la Faculté de Médecine de Montpellier et le Docteur Charles Platon, chargé<br />

de Cours à l’Ecole de Médecine de Marseille<br />

- MK 2250, Centres et offices d’orientation professionnelle 1928-1939<br />

- MK 2251/01, Centre technique de documentation et d’orientation professionnelle 1921-<br />

1939<br />

- MK 2251/02, Centre technique de documentation et d’orientation professionnelle 1940<br />

- MK 2251/03, Centre technique de documentation et d’orientation professionnelle 1941-<br />

1944<br />

- MK 2251/04, Centre technique de documentation et d’orientation professionnelle 1947-<br />

1950<br />

h) Archives de la RATP<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

- Archives RATP 16/40 3, 30 avril 1946 : Dr Gache<br />

- Archives RATP, 1er 599, 1938-2<br />

- Archives RATP, P4/351, « Le laboratoire psychotechnique de la STCRP », document<br />

interne, 13 mars 1939<br />

- « Laboratoire de psychotechnique : inauguration du 7 janvier 1925 – dossier de<br />

presse », sans cote.<br />

- Archives RATP, Ombredane (André), « La psychotechnique au chemin de fer<br />

métropolitain de Paris », Caisse de Prévoyance du Chemin de fer Métropolitain de<br />

Paris, Imprimerie parisienne, Paris, 1946, brochure, 16 p.<br />

- « Le laboratoire de psychotechnique. The right man in the right place », L’écho de la<br />

STCRP, n°2, nov. 1929, p. 3<br />

- “Sélection psychotechnique. Méthode d’apprentissage <strong>des</strong> machinistes et receveurs”,<br />

Rapport présenté à la IVème assemblée générale technique, Marseille, 6-8 novembre<br />

1927.<br />

- Voisin (Audrey), Les débuts de la sélection du personnel en France : le laboratoire de<br />

psychotechnique de J.-M. Lahy (1872-1943) à la STCRP, Mémoire de maîtrise de<br />

psychologie sous la direction de Régine Plas, Université de Paris V, 2001<br />

i) Archives du service historique de la Poste<br />

- « La psychotechnie et le recrutement du personnel en Allemagne », Bulletin<br />

d’information, de documentation et de statistique, 1933, n°10<br />

- « La sélection et l’orientation professionnelle par les tests psychotechniques dans les<br />

PTT », Revue <strong>des</strong> PTT de France, n°4, novembre-décembre 1946<br />

- « Les métho<strong>des</strong> d’examen psychotechnique », Revue <strong>des</strong> PTT de France, n°2, marsavril<br />

1947<br />

- « L’examen psychologique et ses utilisations dans les PTT (tests psychotechniques) »,<br />

Revue <strong>des</strong> PTT de France, n°5, septembre-octobre 1971<br />

- « Le service de psychologie de la Poste », Information et Documentation, n°95, juin<br />

1990<br />

- « Le service psychotechnique aux PTT », Messages, n°22, octobre 1957<br />

607


- « Le service psychotechnique <strong>des</strong> PTT va-t-il lui aussi déceler son « conscrit » de<br />

génie ? », Messages, n°77, juin 1962<br />

- « Les tests psychotechniques », Messages, n°160<br />

j) Archives historiques Renault<br />

- Archives Renault, VP 25 (III), Direction du personnel et <strong>des</strong> relations sociales,<br />

« Laboratoire de psychotechnique <strong>des</strong> usines Renault », 1928-1932<br />

- Archives Renault, Fonds X. Ansay, Secrétaire Général de la Régie Renault,<br />

« Organisation médicale du travail. Ecole d’apprentissage », 1945-1956.<br />

III) – ARCHIVES PUBLIQUES<br />

a) Archives nationales<br />

C.H.A.N. (Centre historique <strong>des</strong> archives nationales, Paris)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

- Archives nationales, C.H.A.N., série AP (archives privées), 520 AP, fonds Henri<br />

Piéron.<br />

o 520 AP 4 à 520 AP 9 : « Correspondance »<br />

o 520 AP 12 : « Administration de l’INOP »<br />

o 520 AP 13 : « Fondation pour l’étude <strong>des</strong> problèmes humains – Centre national<br />

de la recherche scientifique appliquée »<br />

o 520 AP 14 : « Services psychotechniques de l’Armée 1944-1945 »<br />

- Archives nationales, C.H.A.N., série AP (archives privées), 571 AP, fonds Georges<br />

Mauco.<br />

o 571 AP 11 : activités associative et publications de Georges Mauco ;<br />

correspondance avec diverses associations relative au statut de psychologue 1961-<br />

1970 ; réactions du Syndicat national <strong>des</strong> psychologues psychanalystes (SNPP) au<br />

projet Anzieu (1969).<br />

- Archives nationales, C.H.A.N., série F17, Education nationale<br />

o F17 17940, « Stages <strong>des</strong> psychotechniciens »<br />

o F17 17941, « Diplôme d’Etat de psychotechnicien »<br />

- Archives nationales, C.H.A.N., série AJ 16, Académie de Paris<br />

o AJ 16 8794, « Psychologie scolaire 1947-1958 », chemise n°1 : « psychologie<br />

scolaire 1947-1949 »<br />

o AJ 16 8794, « Psychologie scolaire 1947-1958 », chemise n°2 : « psychologues<br />

scolaires (1949-1955) : nominations, indications sur le personnel »<br />

o AJ 16 8794, « Psychologie scolaire 1947-1958 », chemise n°3 : « Association<br />

<strong>des</strong> centres psychopédagogiques »<br />

o AJ 16 8794, « Psychologie scolaire 1947-1958 », chemise n°4 : « Bulletins de<br />

l’association <strong>des</strong> psychologues scolaires (1950-1954) »<br />

o AJ 16 8794, « Psychologie scolaire 1947-1958 », chemise n°5 : « Rapport sur<br />

l’activité <strong>des</strong> psychologues scolaires (1949-1955) »<br />

- Archives nationales, C.H.A.N., série F90, Ministère <strong>des</strong> Postes :<br />

o F90 21121 « Création d’un centre d’étu<strong>des</strong> de psychologie au Ministère <strong>des</strong><br />

PTT, juillet 1959 »<br />

o F90 21135, Note sur « la régionalisation du recrutement et le recrutement par<br />

tests (1963-1970) »<br />

608


C.A.C. (Centre <strong>des</strong> archives contemporaines, Fontainebleau)<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

- Archives nationales, CAC, archives du ministère du Travail :<br />

o AN19760121 art. 125, « missions de psychotechnique aux Etats-Unis de 1952 et<br />

1955 ».<br />

o AN19760121 art 110., « Mission psychotechnique en Allemagne, 1956 ».<br />

- Archives nationales, CAC, archives du CNRS :<br />

o AN 19800284 art. 66, « Service psychotechnique d’Air-France »<br />

o AN19800284 art. 67, « Centre psychophysiologique <strong>des</strong> chemins de fer de<br />

l’Etat »<br />

o AN19800284 art. 68, « Centre psychophysiologique <strong>des</strong> chemins de fer de<br />

l’Etat »<br />

o AN19800284 art. 218, « L’organisation <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie. Rapport de<br />

Daniel Lagache pour le ministère de l’Instruction Publique (1945) ».<br />

- Archives nationales, CAC, archives du ministère de l’Education nationale :<br />

o AN19870163 art 1, « Direction de l’enseignement technique, activité<br />

personnelle du ministre Paye, ex-directeur de l’enseignement technique –<br />

commission spéciale prévue par l’article 3 du décret du 2 septembre 1955 chargée<br />

de se prononcer sur les équivalences du diplôme de psychotechnicien, réunions du<br />

7.10.1955 ; 21.1.1956, 12.10.1956 »<br />

o AN19790569 art 3 : « Ministère de l’Education Nationale - Direction <strong>des</strong><br />

enseignements supérieurs – Réforme <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de psychologie 1969-1974 »<br />

- Archives nationales, CAC, Ministère <strong>des</strong> Postes et Télécommunications :<br />

o AN19870748 art. 8, « Appréciation de la méthode de sélection par examen<br />

psychotechnique pour les mutations <strong>des</strong> personnels dans les services<br />

administratifs », rapport de l’inspection générale n°109/231, 19 juillet 1978.<br />

C.A.M.T. (Centre d’archives du monde du travail, Roubaix)<br />

- Archives nationales, C.A.M.T., série AQ, archives déposées par les entreprises<br />

industrielles, AN, 91 AQ, usines Renault<br />

o AN 91 AQ 57 (2), « Note sur le fonctionnement et le budget du laboratoire de<br />

psychotechnique <strong>des</strong> usines Renault », 8 Novembre 1932<br />

b) Archives départementales<br />

- Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, série 50J, fonds de la Fédération<br />

Nationale <strong>des</strong> Employés et Cadres (CGT) :<br />

o Carton 50J63: « Syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT (1946-<br />

1949) ».<br />

o Carton 50J64 : « Bulletin du syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT<br />

(1962-1966) »<br />

o Carton 50J65 : « Bulletin d’information du syndicat <strong>des</strong> sciences-humaines CGT<br />

1966-1969 »<br />

o Carton 50J66: « Syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT (1949-<br />

1966) ».<br />

o Carton 50J67 : « Courrier du syndicat national <strong>des</strong> psychotechniciens de la CGT<br />

1948-1965 »<br />

609


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Illustrations dans le corps du texte<br />

I. FIGURES<br />

FIGURE 1 – RELATIONS SAVOIRS/PROFESSIONS/BESOIN SOCIAL ............................................................................65<br />

FIGURE 2 – LE SYSTEME DES PROFESSIONS SELON ABBOTT (1988, P. 86)..............................................................88<br />

FIGURE 3 – LES CHANGEMENTS EXTERNES AU SYSTEME DES PROFESSIONS SELON ABBOTT (1988).........................91<br />

FIGURE 4 – INTENSITE DES ECHANGES ENTRE LES TROIS PRINCIPAUX SEGMENTS DE LA PROFESSION ....................404<br />

II. GRAPHIQUES<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

GRAPHIQUE 1 EFFECTIFS DE L'INOP (1928-1938) .............................................................................................161<br />

GRAPHIQUE 2 EFFECTIFS DES PARTICIPANTS AUX CONFERENCES INTERNATIONALES DE PSYCHOTECHNIQUE (1920-<br />

1934)......................................................................................................................................................171<br />

GRAPHIQUE 3 LANGUES UTILISEES DANS LES TREIZE PREMIERES CONFERENCES INTERNATIONALES DE<br />

PSYCHOTECHNIQUE (1920-1958)..............................................................................................................174<br />

GRAPHIQUE 4 NOMBRE DE THESES PRESENTEES POUR LE DEP 1955-1972..........................................................257<br />

GRAPHIQUE 5 PUBLICATIONS RELATIVES AUX TESTS DANS LES REVUES DE PSYCHOLOGIE 1945-1970 (TOUS PAYS<br />

CONFONDUS)...........................................................................................................................................269<br />

GRAPHIQUE 6 NOMBRE DE LICENCES DE PSYCHOLOGIE DELIVREES ANNUELLEMENT (1965-1990) .......................297<br />

GRAPHIQUE 7 PART DES DIFFERENTES SPECIALITES DANS LES DIPLOMES DELIVRES PAR L’INSTITUT DE PSYCHOLOGIE<br />

DE 1944 A 1965 (SUR LE TOTAL DES DIPLOMES DELIVRES).........................................................................298<br />

GRAPHIQUE 8 PROPORTIONS D’HOMMES REÇUS A LA LICENCE DE PSYCHOLOGIE (1965-1990) .............................304<br />

GRAPHIQUE 9 REPARTITION DES REPONDANTS PAR ANNEE D’OBTENTION DU DESS............................................332<br />

GRAPHIQUE 10 INSERTION DES ETUDIANTS ISSUS DE LICENCE ET MAITRISE DANS DIFFERENTES DISCIPLINES ........338<br />

GRAPHIQUE 11 PART DE L’ENSEMBLE DES DIPLOMES EFFECTUANT LEUR STAGE DANS LES RESSOURCES HUMAINES<br />

(ECHELLE DE GAUCHE) OU L’INSERTION (ECHELLE DE DROITE)..................................................................363<br />

GRAPHIQUE 12 EMPLOIS OCCUPES PAR LES TITULAIRES D’UN DESS DE PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL.....................369<br />

GRAPHIQUE 13 POSITIONS PROFESSIONNELLES ET GENERATIONS (ANALYSE FACTORIELLE DE CORRESPONDANCES)<br />

...............................................................................................................................................................398<br />

GRAPHIQUE 14 L’ESPACE DES PRATIQUES .........................................................................................................415<br />

III. TABLEAUX<br />

TABLEAU 1 – LES LABORATOIRES DE PSYCHOLOGIE EN 1894 .............................................................................106<br />

TABLEAU 2 – LES ETUDIANTS DE PSYCHOLOGIE APPLIQUEE DE L’INSTITUT DE PSYCHOLOGIE ..............................156<br />

TABLEAU 3 – ORIGINE DES ELEVES DE L’INOP PAR SECTEUR D’ACTIVITE (1929-1937).......................................160<br />

TABLEAU 4 PROFESSIONNALISATION DES CONSEILLERS D’ORIENTATION 1928-1952 ...........................................162<br />

635


TABLEAU 5 – LA PLACE DES FEMMES DANS L’INSTITUTIONNALISATION DE LA PSYCHOLOGIE : ASSISTANTES ET<br />

COLLABORATRICES DE LABORATOIRES DANS L’ENTRE-DEUX GUERRES ......................................................165<br />

TABLEAU 6. LES PARCOURS MIXTES ENTRE 1927 ET 1938..................................................................................170<br />

TABLEAU 7 ORIGINE SOCIO-PROFESSIONNELLE DES PARTICIPANTS A LA IV EME CONFERENCE INTERNATIONALE DE<br />

PSYCHOTECHNIQUE, PARIS (1927) ...........................................................................................................173<br />

TABLEAU 8 – LES « COLLEGES INVISIBLES » DE LA PSYCHOTECHNIQUE FRANÇAISE A TRAVERS LES<br />

COMMUNICATIONS PRESENTEES AUX CONFERENCES INTERNATIONALES DE PSYCHOLOGIE APPLIQUEE (1921-<br />

1934)......................................................................................................................................................175<br />

TABLEAU 9 DIPLOMES DETENUS PAR LES MEMBRES DE L’APPD EN 1953 (TOTAL = 83 MEMBRES) ......................217<br />

TABLEAU 10 – PUBLICATIONS SCIENTIFIQUE DES MEMBRES DE L’APPD (1955)..................................................219<br />

TABLEAU 11 – PART DES DIFFERENTES REVUES DANS LES PUBLICATIONS DES MEMBRES DE L’APPD...................219<br />

TABLEAU 12 – PRATICIENS DE L’APPD AYANT POURSUIVI UNE CARRIERE UNIVERSITAIRE..................................221<br />

TABLEAU 13 – REPARTITION DES MEMBRES DE L’APPD PAR SECTEUR D’ACTIVITE.............................................221<br />

TABLEAU 14 – PROVENANCE DES SELECTIONNEURS RECRUTES PAR L’ANIFRMO (SESSION 1949)......................232<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

TABLEAU 15 : SECTEURS D’ACTIVITES DES PERSONNES AYANT POSTULE LE DIPLOME D’ETAT DE<br />

PSYCHOTECHNICIENS SESSIONS 1953-1960...............................................................................................237<br />

TABLEAU 16 - DIPLOME D’ETAT DE PSYCHOTECHNICIEN 1953-1970 ..................................................................251<br />

TABLEAU 17 – SUJETS DES THESES PRESENTEES POUR LE DIPLOME D’ETAT (1956-1970).....................................254<br />

TABLEAU 18 – PROFIL DES CANDIDATS AU DIPLOME D’ETAT DE PSYCHOTECHNICIEN (1953-1970)......................255<br />

TABLEAU 19 – LA CATEGORIE DE PSYCHOTECHNICIENS DANS LES RECENSEMENTS DE L’INSEE..........................277<br />

TABLEAU 20 – REPARTITION DES EXAMENS PSYCHOTECHNIQUES REALISES PAR LES PSYCHOTECHNICIENS DE<br />

L’ANIFRMO EN 1957.............................................................................................................................282<br />

TABLEAU 21 –INDICATEURS DE MORPHOLOGIE DU CORPS ENSEIGNANT DANS LES FACULTES DE LETTRES, 1967...293<br />

TABLEAU 22 – TYPES D’ACTIVITES DECLARES PAR LES ANCIENS ETUDIANTS DE L’INSTITUT DE PSYCHOLOGIE, 1967<br />

...............................................................................................................................................................299<br />

TABLEAU 23 – TABLE DE CORRESPONDANCE ENTRE CERTAINS INTITULES PROFESSIONNELS ET CODES PCS DANS LA<br />

NOMENCLATURE DES PCS DE 1982 ..........................................................................................................317<br />

TABLEAU 24 – NOMBRE DE DESS DE PSYCHOLOGIE DELIVRES ANNUELLEMENT PAR LES UNIVERSITES 1974-2000<br />

(TOUTES SPECIALITES CONFONDUES)........................................................................................................333<br />

TABLEAU 25 – REGRESSION MULTIPLE POUR LE SALAIRE : INFLUENCE DU DESS D’ORIGINE ...............................334<br />

TABLEAU 26 PART DE DIPLOMES TROUVANT UN EMPLOI DANS L’UNE DES PCS SUIVANTES AU NIVEAU BAC +5 ET ><br />

...............................................................................................................................................................339<br />

TABLEAU 27 - PROPORTION D’HOMMES INSCRITS EN ETUDES DE PSYCHOLOGIE ET SOCIOLOGIE EN 2002 (EN %)...341<br />

TABLEAU 28 – PROFIL DE LA CLASSE N°1 A PARTIR D’UNE CLASSIFICATION HIERARCHIQUE ASCENDANTE SUR<br />

L’ENSEMBLE DES VARIABLES DU QUESTIONNAIRE (132 VARIABLES) ..........................................................376<br />

TABLEAU 29 – CARACTERISTIQUES DE LA CLASSE N°2 A PARTIR D’UNE CLASSIFICATION HIERARCHIQUE<br />

ASCENDANTE SUR L’ENSEMBLE DES VARIABLES DU QUESTIONNAIRE (132 VARIABLES) ..............................382<br />

TABLEAU 30 – LES CO-PRATIQUES DANS LE DOMAINE DU CONSEIL (ECHANTILLON DE 106 INDIVIDUS) ................383<br />

TABLEAU 31 – CARACTERISTIQUES DE LA CLASSE N°3 A PARTIR D’UNE CLASSIFICATION HIERARCHIQUE<br />

ASCENDANTE SUR L’ENSEMBLE DES VARIABLES DU QUESTIONNAIRE (132 VARIABLES) ..............................388<br />

636


TABLEAU 32 – CARACTERISTIQUES DE LA CLASSE N°4 A PARTIR D’UNE CLASSIFICATION HIERARCHIQUE<br />

ASCENDANTE SUR L’ENSEMBLE DES VARIABLES DU QUESTIONNAIRE (132 VARIABLES) ..............................393<br />

TABLEAU 33 – FEMINISATION DE LA PROFESSION : DECOUPAGE PAR GENERATIONS 1962-2001 ...........................396<br />

TABLEAU 34 – ECARTS AU SALAIRE "NORMAL" PAR GENERATIONS (LES ECARTS LES PLUS SIGNIFICATIFS<br />

APPARAISSENT EN GRAS)..........................................................................................................................407<br />

TABLEAU 35 – MENTIONS DU TERME DE "PSYCHOLOGUE" DANS LES INTITULES D’EMPLOI (PAR SECTEUR<br />

D’ACTIVITE)............................................................................................................................................423<br />

TABLEAU 36 – DISCORDANCE ENTRE L’INTITULE PROFESSIONNEL ET LA DEFINITION PROFESSIONNELLE..............426<br />

TABLEAU 37 – CARACTERISTIQUES DES INTITULES SELON LES CATEGORIES D’EMPLOI ........................................436<br />

TABLEAU 38 – ANTECEDENTS DE LIBELLE D’EMPLOIS LES PLUS FREQUENTS : EVOLUTION DE 1982 A 2002..........438<br />

TABLEAU 39 – FORMATIONS SUIVIES PAR LES PSYCHOLOGUES DU TRAVAIL DE L’AFPA AU COURS DE LEUR<br />

TRAJECTOIRE PROFESSIONNELLE ..............................................................................................................464<br />

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637


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Sommaire<br />

INTRODUCTION..................................................................................................................................... 5<br />

CHAPITRE I. LES SAVOIRS DANS LA RECOMPOSITION DES GROUPES PROFESSIONNELS<br />

................................................................................................................................................................... 25<br />

A. PROFESSIONS ET SAVOIRS DANS LA THEORIE SOCIOLOGIQUE........................................................... 30<br />

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1. Les savoirs naturalisés : la tradition fonctionnaliste....................................................................... 30<br />

a) La vision durkheimienne du rapport savoir/professions........................................................................ 30<br />

b) Parsons : les professions et l'avènement de la rationalité....................................................................... 33<br />

c) Bilan de l'approche fonctionnaliste <strong>des</strong> relations savoirs/professions .................................................... 40<br />

2. Les savoirs négociés : la tradition interactionniste ......................................................................... 41<br />

a) Hughes et Becker : les mon<strong>des</strong> professionnels et leurs « conventions »................................................. 42<br />

b) Strauss et le concept d’« ordre négocié » ............................................................................................. 45<br />

3. Les savoirs monopolisés : les sociologies marxiste et néo-wébérienne ............................................ 47<br />

4. La tradition française : les professions sous le prisme du salariat................................................... 55<br />

a) Le poids <strong>des</strong> contextes nationaux dans la définition du « professionnalisme »....................................... 55<br />

b) La « sociologie <strong>des</strong> professions » en France et aux Etats-Unis : conditions d’émergence....................... 58<br />

5. Synthèse <strong>des</strong> principaux courants théoriques de la sociologie <strong>des</strong> professions dans leur rapport aux<br />

savoirs ....................................................................................................................................... 62<br />

a) Essai de typologie............................................................................................................................... 62<br />

b) Ce qui reste à expliquer : le triptyque savoir/besoin/profession............................................................. 63<br />

B. REINTRODUIRE LES SAVOIRS DANS LA THEORIE DES PROFESSIONS................................................... 66<br />

1. Apports et limites <strong>des</strong> approches en termes de segmentation........................................................... 68<br />

a) Strauss et l’approche en termes de « segment professionnel »............................................................... 68<br />

b) Norbert Elias et la profession de marin : les professions comme « configurations »............................... 72<br />

c) Les professions comme « champs » : Bourdieu.................................................................................... 75<br />

2. Les savoirs comme sources de segmentation <strong>des</strong> professions .......................................................... 77<br />

a) Un point de vue fonctionnaliste sur le phénomène de « déprofessionnalisation »................................... 78<br />

b) Changements de paradigme et reconfigurations professionnelles : l’exemple de la médecine en France<br />

XIX e -XX e siècle................................................................................................................................. 80<br />

c) Des savoirs contingents : le réalisme empirique d’Abbott et Freidson................................................... 85<br />

C. LA PSYCHOLOGIE : SCIENCE HUMAINE OU SCIENCE NATURELLE ?................................................... 96<br />

1. Le « front scientifique » : La genèse du paradigme expérimentaliste en psychologie ....................... 98<br />

a) L’héritage <strong>des</strong> Lumières : la psychologie entre médecine et philosophie............................................... 98<br />

b) Les sciences exactes au service de la psychologie : le modèle allemand.............................................. 100<br />

c) La situation française : La « psychologie nouvelle » en marge de l’Université .................................... 102<br />

d) Les débuts de la psychologie appliquée aux Etats-Unis ...................................................................... 104<br />

2. L’évolution « interne » de la discipline : de l’œcuménisme de Lagache à l’impérialisme de la clinique<br />

................................................................................................................................................ 108<br />

639


a) La psychologie : science humaine ou science de la nature ?................................................................ 108<br />

b) La « profession » de psychologue, ou comment créer une unité professionnelle à partir d’une multiplicité<br />

de paradigmes ?............................................................................................................................... 110<br />

c) D’un paradigme à l’autre : l’exemple <strong>des</strong> psychologues dans le champ scolaire.................................. 112<br />

3. Les transformations du « mandat cognitif » <strong>des</strong> psychologues....................................................... 115<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE I................................................................................................................. 120<br />

CHAPITRE II. NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DU PARADIGME POSITIVISTE EN<br />

PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : 1920-1950........................................................................................ 123<br />

A. UN PROJET DE REGLEMENT TECHNOCRATIQUE DE LA QUESTION SOCIALE..................................... 126<br />

1. Les antécédents : la sélection avant les psychologues................................................................... 127<br />

2. Conditions d’émergence de la psychologie industrielle aux Etats-Unis : le marché....................... 130<br />

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3. Conditions d’émergence de la psychologie du travail en France : la justice sociale ...................... 134<br />

a) Facteurs scientifiques........................................................................................................................ 134<br />

b) Facteurs politiques et sociaux : les hygiénistes contre Taylor.............................................................. 140<br />

4. La psychologie du travail au tournant <strong>des</strong> années 1920 en France et aux Etats-Unis .................... 148<br />

B. L’INSTITUTIONNALISATION DE LA PSYCHOLOGIE APPLIQUEE DANS LE CHAMP SCIENTIFIQUE (1920-<br />

1939) .............................................................................................................................................. 150<br />

1. Les premières formations : une marginalité assumée ?................................................................. 152<br />

a) Les certificats de psychologie de l’université..................................................................................... 153<br />

b) L’Institut de psychologie .................................................................................................................. 153<br />

c) L’Institut National d’Orientation Professionnelle (INOP)................................................................... 157<br />

d) La chaire de Laugier au CNAM (1928) ............................................................................................. 163<br />

2. La psychotechnique : un mouvement international. L’Association Internationale de Psychotechnique<br />

(AIP) entre les deux guerres ..................................................................................................... 171<br />

C. DU LABORATOIRE A L’USINE : LA PSYCHOTECHNIQUE AU RISQUE DES APPLICATIONS (1920-1939) 176<br />

1. Une neutralité mise à mal ............................................................................................................ 176<br />

2. Science pure et science appliquée : un processus de légitimation croisée...................................... 182<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE II ............................................................................................................... 190<br />

CHAPITRE III. L’AGE D’OR DES PSYCHOTECHNICIENS : EVOLUTION DES SAVOIRS ET<br />

MOUVEMENT DE PROFESSIONNALISATION (1950-1970)......................................................... 195<br />

A. DES SAVOIRS PSYCHOMETRIQUES PLUS EFFICACES : DU MEDECIN A L’INGENIEUR DES APTITUDES 198<br />

1. La tendance empiriste.................................................................................................................. 199<br />

2. La tendance analytique ................................................................................................................ 201<br />

3. La tendance structurale : une industrialisation de la méthode psychotechnique ............................ 205<br />

a) La découverte de l’analyse factorielle dans les tests ........................................................................... 205<br />

b) Des "métiers" aux "qualifications"..................................................................................................... 207<br />

c) Psychotechnique et formation professionnelle <strong>des</strong> adultes : l’âge d’or de la méthode à l’ANIFRMO ... 208<br />

d) Un nouveau "marché" de l’évaluation : les cadres.............................................................................. 210<br />

B. LE PAYSAGE ASSOCIATIF DE LA PSYCHOTECHNIQUE AU TOURNANT DES ANNEES 1950 : DIVERSITE DES<br />

VOIES DE LA PROFESSIONNALISATION............................................................................................. 213<br />

640


1. Le modèle savant : l’A.P.P.D. ...................................................................................................... 215<br />

a) Des professionnels « sérieux et diplômés »........................................................................................ 215<br />

b) Une nouvelle génération de praticiens ............................................................................................... 216<br />

c) A la frontière du monde académique et <strong>des</strong> applications..................................................................... 218<br />

d) Une professionnalisation dans le secteur public ................................................................................. 221<br />

2. Le modèle militant : le syndicalisme psychotechnicien au tournant <strong>des</strong> années 1950..................... 227<br />

3. Le modèle libéral : les "marchands de psychotechnique".............................................................. 234<br />

C. LE TRAVAIL D’OFFICIALISATION DE LA CATEGORIE : UNE PREGNANCE DU MODELE PUBLIC.......... 237<br />

1. Les luttes aux frontières............................................................................................................... 238<br />

a) La concurrence <strong>des</strong> "empiristes"........................................................................................................ 239<br />

(1) Cadres et contremaîtres............................................................................................................. 239<br />

(2) Les graphologues...................................................................................................................... 242<br />

(3) Les premières fondations d’une psychologie clinique du travail.................................................. 243<br />

b) Psychotechnique et médecine du travail............................................................................................. 246<br />

2. Le diplôme d’Etat de psychotechnicien : autopsie d'un échec........................................................ 248<br />

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CONCLUSION DU CHAPITRE III. LA PSYCHOLOGIE : UNE PROFESSION DUALE....................................... 257<br />

CHAPITRE IV. DE LA PSYCHOTECHNIQUE A LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL :<br />

L’ECLATEMENT D’UN GROUPE PROFESSIONNEL .................................................................... 261<br />

A. LES EVOLUTIONS INTERNES DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL....................................................... 265<br />

1. Une « crise de la méthode expérimentale » en psychotechnique.................................................... 266<br />

a) Une ossification <strong>des</strong> techniques......................................................................................................... 266<br />

b) La critique sociologique de la psychotechnique : Naville (1945)......................................................... 269<br />

c) L’ascension de l’ergonomie .............................................................................................................. 273<br />

2. Le monde <strong>des</strong> praticiens face à l’éclatement de la psychotechnique .............................................. 276<br />

a) Le repli identitaire : les psychotechniciens dans les services publics................................................... 277<br />

b) La recomposition du champ de l’orientation professionnelle .............................................................. 279<br />

3. Une figure professionnelle introuvable : le « psychologue d’entreprise »...................................... 283<br />

B. UNITE ET DIVISIONS DE LA PSYCHOLOGIE : LA QUESTION DU TITRE ............................................... 290<br />

1. Le paysage de la psychologie professionnelle entre 1950 et 1970 : une professionnalisation en demiteinte........................................................................................................................................<br />

292<br />

a) Une discipline dominée dans le champ universitaire ?........................................................................ 292<br />

(1) Morphologie du corps enseignant .............................................................................................. 292<br />

(2) Les psychologues dans l’ombre <strong>des</strong> médecins............................................................................ 294<br />

(3) La réforme <strong>des</strong> enseignements : un début de professionnalisation ?............................................. 296<br />

b) L’insertion professionnelle : professionnalisation ou prolétarisation de la psychologie ?...................... 298<br />

(1) L’insertion <strong>des</strong> psychologues à la fin <strong>des</strong> années 1960................................................................ 298<br />

(2) Une nouvelle figure : le « psychologue clinicien »...................................................................... 300<br />

2. La loi de 1985 : la construction paradoxale d’un titre professionnel............................................. 304<br />

a) Expérience ou diplôme ?................................................................................................................... 307<br />

b) Science ou pratique ?........................................................................................................................ 310<br />

c) Logique de statut ou logique de profession ?...................................................................................... 314<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE IV .............................................................................................................. 318<br />

641


CHAPITRE V. LES PSYCHOLOGUES DU TRAVAIL FACE AU CHAMP DE L’INSERTION<br />

PROFESSIONNELLE : L’INTROUVABLE STATUT........................................................................ 321<br />

A. QUESTIONS DE METHODOLOGIE ..................................................................................................... 327<br />

1. . Présentation de l’enquête de terrain........................................................................................... 329<br />

a) La genèse du questionnaire ............................................................................................................... 329<br />

b) L’ enquête par entretiens................................................................................................................... 335<br />

2. Les psychologues et le sociologue : proximités et distances .......................................................... 336<br />

a) Des disciplines sociologiquement proches......................................................................................... 337<br />

b) Les catégories d’analyse du sociologue à l’épreuve de celles du psychologue ..................................... 342<br />

B. LA « VOCATION DE PSYCHOLOGUE » : LES ETAPES DE LA SOCIALISATION PROFESSIONNELLE ET LES<br />

CONDITIONS D’ENTREE DANS LE METIER ........................................................................................ 347<br />

1. Devenir psychologue : un choix par défaut ?................................................................................ 348<br />

2. Le choix de la spécialité............................................................................................................... 351<br />

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3. L’entrée dans le métier : le "social" ou l’entreprise ? ................................................................... 355<br />

a) Les étudiants en reprise d’étu<strong>des</strong>....................................................................................................... 356<br />

b) Les étudiants en formation initiale..................................................................................................... 357<br />

c) Les premiers pas dans la vie professionnelle...................................................................................... 362<br />

C. UN ESPACE PROFESSIONNEL ECLATE .............................................................................................. 369<br />

1. Les divisions de la psychologie du travail..................................................................................... 372<br />

a) Classe n°1 : Les cadres en entreprise................................................................................................. 376<br />

b) Classe n°2 : les consultants ............................................................................................................... 380<br />

c) Classe n°3 : Les" bastions traditionnels" de la psychologie du travail.................................................. 386<br />

d) Classe n°4 : Les "précaires" du secteur de l’orientation, de la formation et de l’insertion..................... 389<br />

2. Une perspective dynamique de l’évolution <strong>des</strong> débouchés............................................................. 395<br />

a) Une représentation de l’espace professionnel par AFC....................................................................... 397<br />

b) Une approche <strong>des</strong> mouvements générationnels dans la profession ...................................................... 400<br />

(1) Une faible mobilité professionnelle qui renforce l’effet de génération......................................... 403<br />

(2) L’inégal <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> générations : le cas du salaire....................................................................... 406<br />

D. LA MOBILISATION DES SAVOIRS PSYCHOLOGIQUES ET L’IDENTITE DE PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL409<br />

1. Le rapport aux savoirs et aux outils psychologiques : un phénomène de « dérive professionnelle » 410<br />

a) Les "éclectiques".............................................................................................................................. 416<br />

b) Les "puristes"................................................................................................................................... 418<br />

c) Les "transfuges" ............................................................................................................................... 420<br />

2. L’identification à la discipline : un processus complexe................................................................ 421<br />

3. Des « intitulés flous » aux « métiers flous ».................................................................................. 428<br />

a) L’analyse <strong>des</strong> intitulés d’emploi : repères théoriques.......................................................................... 429<br />

(1) La technologie .......................................................................................................................... 429<br />

(2) La mode ................................................................................................................................... 431<br />

(3) Les luttes sociales ..................................................................................................................... 432<br />

(4) L’action publique...................................................................................................................... 433<br />

b) Caractéristiques générales du corpus d’intitulés................................................................................. 434<br />

c) Quelques éléments sur l’évolution <strong>des</strong> intitulés d’emploi dans le temps.............................................. 438<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE V................................................................................................................ 440<br />

642


CHAPITRE VI. PSYCHOLOGIE ET REGULATIONS DU MARCHE DU TRAVAIL .................. 443<br />

A. VERS DE NOUVELLES REGULATIONS DES CONDUITES SUR LE MARCHE DU TRAVAIL........................ 447<br />

1. La psychologie : un miroir <strong>des</strong> évolutions de la société salariale .................................................. 447<br />

a) Le social et l’économique ................................................................................................................. 447<br />

b) Deux figures du travail : de la peine au plaisir.................................................................................... 449<br />

c) La levée <strong>des</strong> tabous : la loi sur la formation professionnelle (1971) et sur le bilan de compétences (1991)..<br />

........................................................................................................................................................ 452<br />

d) Les psychologues face à la reconfiguration de la question du travail................................................... 455<br />

2. Une psychologisation <strong>des</strong> rapports au travail : l’exemple du champ de l’insertion........................ 458<br />

a) D’une régulation extérieure <strong>des</strong> conduites à l’autocontrôle................................................................. 458<br />

b) L’évolution <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> dans le champ de l’insertion : du diagnostic psychotechnique à l’autonomie<br />

individuelle ...................................................................................................................................... 462<br />

(1) L’autonomie du demandeur....................................................................................................... 464<br />

(2) L’autonomie du psychologue..................................................................................................... 466<br />

(3) L’absence de prise en charge collective <strong>des</strong> questions d’insertion et d’orientation professionnelle 469<br />

3. Les nouvelles juridictions de la psychologie sur les marchés internes ........................................... 476<br />

a) Psychologue du travail en entreprise : une fonction en voie de disparition ?........................................ 476<br />

b) La gestion du stress au travail : une nouvelle juridiction pour les psychologues .................................. 480<br />

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

B. MALAISE DANS LA PROFESSION : LA GESTION DE L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DES PSYCHOLOGUES<br />

DU TRAVAIL .................................................................................................................................... 484<br />

1. Le rapport d’évaluation en psychologie du travail........................................................................ 485<br />

2. La tension entre logique de profession et logique d’organisation : les psychologues de l’AFPA .... 489<br />

3. La faiblesse <strong>des</strong> contrepoids professionnels.................................................................................. 493<br />

a) La formation spécialisée ................................................................................................................... 494<br />

b) La déontologie.................................................................................................................................. 495<br />

c) La faiblesse de la cohésion professionnelle et ses conséquences sur l’autonomie................................. 497<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE VI .............................................................................................................. 498<br />

CONCLUSION GENERALE................................................................................................................ 501<br />

ANNEXES............................................................................................................................................... 519<br />

I. Annexe 1 : Courants theoriques en sociologie <strong>des</strong> professions .............................................................................521<br />

II. Annexe 2 : Données historiques sur les psychologues et la psychologie du travail ................................................525<br />

III. Annexe 3 : Données générales sur la psychologie et la psychologie du travail ......................................................551<br />

IV. Annexe 4 : Le questionnaire ...............................................................................................................................557<br />

V. Annexe 5 : Liste <strong>des</strong> sigles et abréviations utilisés...............................................................................................573<br />

VI. Annexe 6 : Chronologie ...................................................................................................................................575<br />

VII. Annexe 7 La psychologie du travail au CNAM 1905-1990 ..................................................................................577<br />

VIII. Annexe 8 : Lexique ............................................................................................................................................581<br />

IX. Annexe 9 : Notices biographiques.......................................................................................................................583<br />

SOURCES............................................................................................................................................... 587<br />

ENTRETIENS .......................................................................................................................................... 589<br />

FONDS D’ARCHIVES CONSULTES ............................................................................................................. 605<br />

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................... 611<br />

ILLUSTRATIONS DANS LE CORPS DU TEXTE.................................................................................. 635<br />

SOMMAIRE............................................................................................................................................. 639<br />

643

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