Prise en charge du patient obèse. Brancardage et transport - SFMU
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Chapitre96
Prise en charge
du patient obèse.
Brancardage et transport
J.-Y. GERBET
Quel service hospitalier ou entreprise de transport sanitaire n’a pas été
confronté un jour ou l’autre à la prise en charge d’un patient obèse ? À
chaque fois, la situation est complexe, les risques sont nombreux tant
pour le patient lui-même que pour les personnels et matériels engagés.
À chaque fois, la réponse apportée constitue en un « bricolage » de techniques,
de matériels ou chacun y va de son initiative pas toujours heureuse.
À l’issue de l’opération souvent très longue, un sentiment de soulagement mais
aussi d’insatisfaction voire de malaise, gagne les équipes concernées et surtout
cette « aventure » n’est jamais bien vécue par le patient. La sécurité, la qualité
de la prise en charge médicale, le confort, le respect de la dignité ont été souvent
sacrifiées et passées au second rang derrière la « mission » prioritaire qu’est
le déplacement du patient.
Ces situations ne relèvent plus de l’extraordinaire et nous sommes devant l’obligation
d’apporter des réponses plus pragmatiques et rationnelles tant en milieu
hospitalier qu’en préhospitalier que la prise en charge soit médicalisée ou non.
Le nombre d’intervenants ou l’usage d’un engin de levage ne constituent pas LA
réponse : les dimensions limitées du patient, l’exiguïté des lieux les rendent inopérants
en partie ou totalement voire diminuent l’efficacité de l’équipe.
Le service de transport des patients confronté tant en SMUR qu’en transport
interne au sein de l’établissement développent des adaptations, des techniques
et des matériels existants. Fondées sur une approche pragmatique et de bon
sens pratique, elles permettent de prendre en compte les aspects suivants :
Correspondance : Responsable STP. Hôpital Général, CHU de Dijon, 3, rue du Faubourg Raines,
21000 Dijon. Tél. : 03 80 29 34 30. E-mail : jean-yves.gerbet@chu-dijon.fr
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– le poids et le volume du patient ;
– le type de prise en charge médicale (transport médicalisé ou non) ;
– l’ergonomie des lieux ;
– l’état positionnel du patient nécessité ou non par sa pathologie ;
– un temps de déplacement revenant à une durée plus standard commune à
tout autre patient et le plus bref possible.
Pour nous, les enjeux d’une telle prise en charge sont :
– une réponse adaptée à la pathologie se rapprochant de la prise en charge
classique ;
– le respect de la dignité du patient (charte du patient hospitalisé) ;
– la garantie d’intégrité physique des opérateurs à l’issue de la prise en charge ;
– la rapidité de la réponse qui ne doit pas occulter une prise en charge médicale
éventuelle.
Il convient aussi par ailleurs de définir ce qu’est un patient obèse en termes de
brancardage et de transport car cela va influer sur les choix matériels et le
nombre d’équipiers devant intervenir. Pour cela seuls les mensurations et poids
du patient sont utiles. L’IMC (indice de masse corporelle), précieux pour la prise
en charge médicale et paramédicale du patient, n’apporte rien pour une activité
on ne peut plus pragmatique. Au CHU de Dijon, nous avons fixé plusieurs
niveaux de poids :
– supérieur ou égal à 100 kg, donnée obligatoire dans notre logiciel de
demandes de transport, qui nous amène, en interne, à envoyer plusieurs
brancardiers et à avoir recours à un transport systématique en lit ;
– supérieur ou égal à 140 kg, limite de charge commune à beaucoup de
brancards d’ambulance ;
– supérieur ou égal à 180 kg, limite de charge des lits à hauteur variable,
imposant le recours à un lit spécifique.
Le lieu et les conditions de prise en charge vont conditionner la réponse à
apporter.
Le milieu préhospitalier, hors de toute structure de soins, reste le plus délicat à
traiter. Il impose les phases suivantes :
– le ramassage afin d’installer le patient sur un moyen de brancardage ;
– le brancardage permettant de déplacer le patient jusqu’au moyen de
transport ;
– le transport jusqu’au secteur hospitalier devant accueillir le patient.
Le ramassage, compte tenu de la difficulté de préhension du patient et de la
place disponible, amène à utiliser des sangles très larges (confort du patient)
couplées à un dispositif rigide permettant de les mettre en place en le faisant
glisser dans les creux naturels. Ces sangles, une fois mises ne place, assurent une
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bonne prise et permettent de soulever le patient à 8 ou 10 opérateurs dans une
position ergonomique. Il est alors possible de glisser sous le patient le moyen de
brancardage adapté à son état. Ce moyen de brancardage doit permettre une
manutention facile en étant compatible avec :
– des éléments d’immobilisation complémentaire (plan dur ou autre) ;
– l’emploi simultané de matériel biomédical (pousse-seringue, respirateur, etc.) ;
– le déplacement dans des lieux étroits ;
– le portage par plusieurs personnes utilisant des bretelles de chaises portoir ;
– le recours à un engin de levage quelconque.
Ce cahier des charges contraignant ne trouve pas de réponse dans le catalogue
des fournisseurs, c’est pourquoi nous avons confectionné nous-mêmes un filet
de brancardage. Il a été conçu en utilisant principalement du matériel et des
techniques utilisées en alpinisme et spéléologie. Ce dispositif couplé à des
bretelles de chaise portoir dont chaque opérateur est équipé permet le
déplacement du patient ainsi conditionné.
Le recours à un brancard peut et doit être réalisé au plus vite après l’extraction
dès que le terrain permet un brancardage roulant. Le choix du matériel est alors
limité et c’est d’ailleurs l’une des causes pour lesquelles les transporteurs
sanitaires se déclarent incompétents. Les limites sont alors imposées par la limite
de charge admissible du brancard de l’ambulance et le nombre d’opérateurs
nécessaires même s’il est réduit par rapport au ramassage décrit plus avant.
Actuellement, seul un fournisseur propose un brancard compatible avec des
charges importantes. Celui-ci tire son expérience de son principal marché : les
États-Unis où l’obésité est très fréquente. Ce matériel accepte un patient d’un
poids pouvant aller jusqu’à 318 kg, doté des accessoires communs à tous les
brancards, il est en outre pourvu d’une assistance électrique autonome permettant
de rehausser le brancard ou de modifier l’état positionnel du patient. Sa largeur
est modulable jusqu’à 100 cm et il pèse 60 kg. Son prix reste très élevé (aux
environ des 16 500 €) et son acquisition ne peut raisonnablement être envisagée
que par des services publics, hospitaliers ou non, pouvant justifier d’un
emploi fréquent et de leur obligation d’apporter une réponse à ce problème
croissant. En outre, il doit être partagé à l’échelle d’une grosse agglomération
voire d’un département ou d’une région. Dernier obstacle à l’utilisation de ce
brancard : son système d’arrimage est incompatible avec nos dispositifs français.
Dans l’attente de l’achat à brève échéance de ce matériel, le service de transports
des patients du CHU prend en charge les patients qui lui sont confiés en
ayant recours à un lit à hauteur variable emprunté au service receveur ou un chariot
brancard du SRAU de l’établissement utilisé dans le cadre des hospitalisations
en surnombre dans les unités de soins.
Devant la complexité de ce type de prise en charge et ses enjeux, il apparaît fondamental
que la coordination des manœuvres de ramassage et de brancardage,
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plus que pour un patient « classique », soit conduite avec une rigueur absolue
en s’appuyant sur une solide expérience de ces manœuvres en conditions difficiles.
Elles doivent être placées sous la responsabilité d’un « senior » maîtrisant
particulièrement ces techniques. Une simple expérience, même de longue date,
de cette activité en milieu hospitalier ne suffit plus : il faut avoir recours à une
personne ayant l’expérience de ces manœuvres en SMUR car elles exigent
compétence, créativité, capacité d’adaptation, bon sens pratique et rapidité.
L’arrivée du patient devant le véhicule ne signifie pas que les difficultés soient
résolues : le transport est aussi problématique que le ramassage car l’aménagement
réglementaire des véhicules de transport sanitaires ou des VSAV est inadapté
dans la plupart des cas d’obésité majeure. Si toutefois l’utilisation d’un
brancard classique reste possible, le chargement dans le véhicule, la largeur disponible
dans la cellule sanitaire sont autant de difficultés à franchir. C’est la
raison pour laquelle nous voyons ces patients hors norme arriver en milieu hospitalier
dans des poids lourds, camions frigorifiques ou autres, munis de hayon
élévateur sans aucun aménagement sanitaire interne ou à même le sol à côté du
brancard dans des ambulances dans lesquelles ils ont été chargés et tirés comme
un vulgaire trophée de pêche !
Au CHU de Dijon, la réponse nous a été apportée par la mise en circulation
d’ambulances de catégorie A et C transformée en TPMR et pour lesquelles nous
avons obtenu une dérogation de la part du CODAMU. Initialement, un véhicule
a été aménagé pour le transport médicalisé intra-CHU. Son utilisation, tout
d’abord expérimentale et cantonnée à ces seuls transports, a rapidement été
étendue aux transports internes non médicalisés. Devant le succès et les demandes
croissantes, quatre autres véhicules ont été transformés.
Dans le cadre des transports internes, ils sont très intensivement exploités
chaque jour. Dotés d’une rampe de chargement fixe et repliable, ils permettent
l’embarquement des patients dans leur lit ou sur le chariot brancard du SRAU.
Le temps de prise en charge est réduit à sa plus simple expression en supprimant
les manipulations de transfert apportant un confort indéniable aux patients et
réduisant la pénibilité du brancardage pour l’équipe de transport. Ainsi, tout
patient d’un poids supérieur à 100 kg est, sauf contraintes liées à l’immobilier
au départ ou à l’arrivée, systématiquement transporté dans son lit lorsque la
position allongée est prescrite par l’unité de soins. L’arrimage des charges
embarquées est réalisé au moyen du système de type Q-STRAINT constitué de
rails d’arrimage aéronautique encastrés dans le sol du véhicule et complété de
4 sangles à enrouleur amovibles. Ces véhicules, au nombre de 5, accueillent
indifféremment tous types de lit, y compris les lits spéciaux pour obèse, ou de
fauteuils de chambre et, à fortiori, le brancard que nous avons présenté plus
avant sans modification d’aménagement.
Nous ne développerons pas autant la prise en charge en milieu hospitalier car,
par définition, l’hôpital est un lieu ergonomique conçu pour le soin et en particulier
pour ce qui concerne la manutention des patients. Nous avons vu précé-
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demment comment le CHU de Dijon réalise le transport des patients obèses en
préhospitalier : le principe est appliqué plus fréquemment en interne et est passé
en routine, les phases de ramassage n’étant pas présentes. Les mêmes matériels
et techniques sont mis en œuvre. Seul, parfois, l’immobilier impose des limites
à notre prise en charge : chambres ou couloirs trop étroits pour permettre le
brancardage en lit, ascenseurs exigus, résistance au m2 de la dalle supportant le
lit, revêtement de sol trop mou rendant le roulage impossible. Ces obstacles sont
présents essentiellement dans les vieilles architectures ou les constructions provisoires.
Une partie de ces difficultés est levée par le choix de la chambre ou du
service où est installé le patient et/ou la mise en place de plaques métalliques
sous les roues du lit afin de diminuer la pression au sol (l’ensemble patient/lit
peut alors aisément dépasser les 500 kg).
Cependant l’hospitalisation d’un patient obèse dans notre établissement pose
encore deux problèmes : la mise à disposition rapide d’un lit pour obèse, la possibilité
d’hospitalisation dans le service adapté à la pathologie du patient et non
par défaut en endocrinologie. Le CHU de Dijon a fait le choix en s’appuyant sur
un groupe de travail multi-compétences de se doter de deux kits « obèse », lots
de matériel adapté au fortes charges et composé de :
– un lit à hauteur variable ;
– un lève-malade ;
– un fauteuil de chambre ;
– une chaise percée ;
– un déambulateur.
Le brancard spécial obèse cité plus avant vient compléter ces deux lots afin de
faciliter les déplacements des patients en pré, per et posthospitalisation.
Ces lots sont attribués et gérés par le service de transport des patients qui aura
la charge de prêter et d’acheminer ce matériel à tout service devant recevoir un
patient obèse (poids supérieur à 180 kg). La décision, les conditions de prêt et
les mesures à mettre en place sont définies dans un protocole rédigé simultanément
au travail d’acquisition des matériels.
Bien qu’hors de propos dans cette présentation, il faut tout de même souligner
que l’hospitalisation d’un patient obèse pose d’autres problèmes que ceux propres
au matériel d’hébergement et de manutention. L’aspect organisation des
soins reste problématique et parfois dispendieux en personnel, surtout pour le
nursing. Nous retrouvons aussi les mêmes problèmes de résistance de matériel,
par exemple, pour les tables de blocs ou d’imagerie médicale. C’est certainement
l’un des aspects pris en compte par le législateur lors de la création des centres
d’accueil spécialisé pour les patients obèses. Un autre aspect conséquent est le
rapport coût/tarification du séjour défavorable pour l’établissement d’accueil : la
tarification T2A ne prenant pas en compte le surcoût d’une telle hospitalisation.
La mise en place de ces structures couplée à cet aspect nous amènera
certainement de plus en plus fréquemment à devoir réaliser des transports vers
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les établissements spécialisés soit directement au départ du domicile du patient
soi par transfert entre hôpitaux.
Le posthospitalier n’est pas, lui aussi, sans poser de problème quand le patient
doit quitter l’établissement de santé en position allongée. Les problèmes décrits
en préhospitalier se retrouvent alors posés à l’identique pour les entreprises de
transport sanitaire avec la circonstance aggravante qu’une grande partie des
acteurs présents en préhospitalier (SMUR, pompiers) ne sont plus présents et ne
peuvent s’engager sur de telles missions en l’absence d’une quelconque
détresse. Devant le refus de prise en charge, des transporteurs, le service
hospitalier se voit contraint de prolonger l’hospitalisation.
Les unités de soins du CHU de Dijon ont désormais recours au service de transport
de patients qui, bien que cette activité ne lui soit pas dévolue, est la seule alternative
possible. Ceci n’est pas sans poser de problème de personnel puisque cette
activité mobilise 7 à 8 opérateurs et impose un travail préparatoire de reconnaissance
des lieux préparatoire avant le rapatriement du patient. En conséquence,
nous recherchons toujours la solution la plus pertinente et économe en temps
pour cette activité. Pour exemple, nous citons la dernière intervention de ce type :
prise en charge au départ en 3 h 30 sur les lieux, retour assuré par le service de
transport des patients et ses nouveaux outils de brancardage 10 min !
En conclusion, la prise en charge de la manutention des patients obèses nécessite
une réflexion préalable car elle reste toujours délicate et risquée si elle est
organisée dans l’improvisation totale. Les techniques employées pour la manutention
des patients obèses s’appuient sur des fondamentaux du brancardage et
de l’ergonomie. Le matériel constitue un réel problème, les fournisseurs n’offrant
pas, dans leur catalogue, de solutions ad hoc (filet de brancardage) ou rare et
très coûteuse (brancard pour obèse). L’aménagement réglementaire des véhicules
sanitaires n’est pas adapté et ne répond pas décemment aux problèmes du
transport. Seuls quelques « pionniers », ont mis en place des solutions tout à fait
performantes et il serait souhaitable qu’une évolution de la réglementation
valide cette démarche s’appuyant sur des véhicules de type TPMR (transport de
personnes à mobilité réduite).
Enfin l’accueil en milieu hospitalier doit être intégré dans la réflexion afin de
penser matériel mais aussi organisation. Une approche globale sur un établissement
de type systémique prenant en compte les phases pré et posthospitalières
peut être satisfaisante pour les patients et les soignants.
Face à ce problème de santé publique qu’est l’obésité, des questions restent posées :
– Quelles structures peuvent mettre en place de tels moyens hors les plus gros
établissements ?
– Quelles réponses donner à la population et plus particulièrement aux
établissements de santé confrontés à cette problématique ?
– Que proposent les centres référents ou les centres équipés de matériel ?
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