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Abraham, Jacob, Moïse, Exode - Sources Chrétiennes

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93<br />

PIERRE EMMANUEL, Lutte avec l'ange<br />

La plus profonde nuit pour un homme, c'est l'homme.<br />

Profonde et dure. Nul n'y pénètre qu'il n'ait<br />

Forcé les trompe-l'œil du savoir peint, percé<br />

Les perspectives sans espace qui ne s'ouvrent<br />

Qu'à celui qui s'y met en marche et rompt le mur.<br />

Car l'homme craint l'intimité de sa ténèbre<br />

Il la mure aujourd'hui avec du verre, pour<br />

Se faire accroire qu'il se voit à son travers.<br />

Protégé par les barbelés de ses abaques<br />

Gardé de soi par tant de grilles qu'il n'entend<br />

Que de très loin mugir sous terre son cloaque<br />

Dont il ne sait qu'il y enfonce du dedans,<br />

L'homme se fait comme une chose à sa mesure<br />

Sans ciel, sans gouffre, ni sublime étonnement.<br />

Nulle part la nuit n'est plus hostilement noire<br />

Qu'en ces lieux nets où se refait l'homme inhumain :<br />

L'intelligence est du métal de ses machines<br />

L'imagination masquée pour ne semer<br />

Son souffle sur l'idée stérile. En blouse blanche<br />

L'horreur opère à sa naissance la pensée :<br />

L'homme sera clarté sans bords aveugle-né.<br />

Hérissement de concepts fous qui se déchargent<br />

Eclairs, dans la chair molle et fuyarde en tous sens !<br />

Car l'homme-idée est cette larve mais cruelle<br />

Sa dureté gît dans son rire qui secoue<br />

L'informe esprit la gelée grise trémulante,<br />

Sans nom. Je vois ton rire ô cuvée de bacchantes<br />

T'énucléer par milliards comme le moût<br />

Crever le centre afin que tous ne soient qu'un trou<br />

Pulpe d'homme éclatée vers les astres ! ton rire<br />

Philosophique le cratère de tes dents<br />

Raison démente gueule humaine du néant.<br />

En cet énorme lieu je suis seul. Multitude<br />

Déserte que l'acier frappe d'aplomb.<br />

Extrait de J. Giraudoux, Œuvres romanesques complètes, Le Combat avec l’Ange :<br />

"C'est toi, Amparo !<br />

— Calmez-vous, Madame. Vous avez la fièvre. Vous vous battez dans votre lit.<br />

— Me battre ? C'est fini de me battre. Il a vaincu.<br />

— Monsieur Carlos Pio ? Jamais !<br />

— Tu n'imagines pas sa grandeur, Amparo. Ce n'était pas un ange de ma taille, avec des ailes,<br />

aux moignons d esquelles j' aurais pu m' agripper, avec ces pieds nus qu' ont les anges, sur<br />

lesquels j'aurais pu piétiner avec mes souliers de golf. Comment ce géant des géants pouvait<br />

arriver à lut ter avec m oi, cela m'était incom préhensible ! D'au tant pl us que je rapetissais<br />

encore, qu e j 'étais à pein e h aute comme une enfant, un e pou pée. M ais c'est dans c es<br />

moments qu' il y allait le plus durement. Sur ce tte rédu ction d e moi où tout était rédu it,<br />

amour, pens ée, il tom bait en b rute e t à b ras r accourcis. S ur ce qu 'il y av ait de plus<br />

minuscule en fa it d'am our, d'ob stination, ce tte m asse énorm e se ruait , s 'abattait. Il m e<br />

prenait par la tête et me cognait à des sortes de murs. Il me prenait aux jambes et me cognait<br />

la tê te à de s sort es d' arbres, à des ombus, à de s c harmes. Il me fra ppait à mê me l e sol<br />

comme on frappe le poulpe contre le quai du port pour qu'il devienne tendre. Son orteil était<br />

plus gros que moi. Son regard plus dense que moi. Si encore j'avais su ce qu'il me voulait !<br />

Mais je n'arrivais pas à démêler l'enjeu de la lutte. Il venait lutter les jours où je désespérais,<br />

je croyais que c'était contre mon désespoir. Il venait lutter mes jours de bonheur, je cro yais<br />

que c' était con tre mon bonheur. De sorte qu e je ne sav ais si c' était un br assage ou un<br />

combat, s'il était doux ou s'il était furieux. J'avais parfois l'impression que lui-même cro yait

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