Abraham, Jacob, Moïse, Exode - Sources Chrétiennes
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PIERRE EMMANUEL, Lutte avec l'ange<br />
La plus profonde nuit pour un homme, c'est l'homme.<br />
Profonde et dure. Nul n'y pénètre qu'il n'ait<br />
Forcé les trompe-l'œil du savoir peint, percé<br />
Les perspectives sans espace qui ne s'ouvrent<br />
Qu'à celui qui s'y met en marche et rompt le mur.<br />
Car l'homme craint l'intimité de sa ténèbre<br />
Il la mure aujourd'hui avec du verre, pour<br />
Se faire accroire qu'il se voit à son travers.<br />
Protégé par les barbelés de ses abaques<br />
Gardé de soi par tant de grilles qu'il n'entend<br />
Que de très loin mugir sous terre son cloaque<br />
Dont il ne sait qu'il y enfonce du dedans,<br />
L'homme se fait comme une chose à sa mesure<br />
Sans ciel, sans gouffre, ni sublime étonnement.<br />
Nulle part la nuit n'est plus hostilement noire<br />
Qu'en ces lieux nets où se refait l'homme inhumain :<br />
L'intelligence est du métal de ses machines<br />
L'imagination masquée pour ne semer<br />
Son souffle sur l'idée stérile. En blouse blanche<br />
L'horreur opère à sa naissance la pensée :<br />
L'homme sera clarté sans bords aveugle-né.<br />
Hérissement de concepts fous qui se déchargent<br />
Eclairs, dans la chair molle et fuyarde en tous sens !<br />
Car l'homme-idée est cette larve mais cruelle<br />
Sa dureté gît dans son rire qui secoue<br />
L'informe esprit la gelée grise trémulante,<br />
Sans nom. Je vois ton rire ô cuvée de bacchantes<br />
T'énucléer par milliards comme le moût<br />
Crever le centre afin que tous ne soient qu'un trou<br />
Pulpe d'homme éclatée vers les astres ! ton rire<br />
Philosophique le cratère de tes dents<br />
Raison démente gueule humaine du néant.<br />
En cet énorme lieu je suis seul. Multitude<br />
Déserte que l'acier frappe d'aplomb.<br />
Extrait de J. Giraudoux, Œuvres romanesques complètes, Le Combat avec l’Ange :<br />
"C'est toi, Amparo !<br />
— Calmez-vous, Madame. Vous avez la fièvre. Vous vous battez dans votre lit.<br />
— Me battre ? C'est fini de me battre. Il a vaincu.<br />
— Monsieur Carlos Pio ? Jamais !<br />
— Tu n'imagines pas sa grandeur, Amparo. Ce n'était pas un ange de ma taille, avec des ailes,<br />
aux moignons d esquelles j' aurais pu m' agripper, avec ces pieds nus qu' ont les anges, sur<br />
lesquels j'aurais pu piétiner avec mes souliers de golf. Comment ce géant des géants pouvait<br />
arriver à lut ter avec m oi, cela m'était incom préhensible ! D'au tant pl us que je rapetissais<br />
encore, qu e j 'étais à pein e h aute comme une enfant, un e pou pée. M ais c'est dans c es<br />
moments qu' il y allait le plus durement. Sur ce tte rédu ction d e moi où tout était rédu it,<br />
amour, pens ée, il tom bait en b rute e t à b ras r accourcis. S ur ce qu 'il y av ait de plus<br />
minuscule en fa it d'am our, d'ob stination, ce tte m asse énorm e se ruait , s 'abattait. Il m e<br />
prenait par la tête et me cognait à des sortes de murs. Il me prenait aux jambes et me cognait<br />
la tê te à de s sort es d' arbres, à des ombus, à de s c harmes. Il me fra ppait à mê me l e sol<br />
comme on frappe le poulpe contre le quai du port pour qu'il devienne tendre. Son orteil était<br />
plus gros que moi. Son regard plus dense que moi. Si encore j'avais su ce qu'il me voulait !<br />
Mais je n'arrivais pas à démêler l'enjeu de la lutte. Il venait lutter les jours où je désespérais,<br />
je croyais que c'était contre mon désespoir. Il venait lutter mes jours de bonheur, je cro yais<br />
que c' était con tre mon bonheur. De sorte qu e je ne sav ais si c' était un br assage ou un<br />
combat, s'il était doux ou s'il était furieux. J'avais parfois l'impression que lui-même cro yait