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© Claude Lorin-<strong>Zibeline</strong><br />
Les Bouches-du-Rhône.<br />
Agnès Varda<br />
jusqu’au 17 mars<br />
Galerie d’art du conseil général,<br />
Aix<br />
www.mp2013.fr<br />
www.cg13.fr<br />
VI<br />
Agnès par hasard<br />
«C’est la vie de patachon !»<br />
C’est sur ces mots qu’Agnès Varda nous a quittés,<br />
s’embarquant dans un vélo-taxi pour suivre le parcours<br />
d’art contemporain. Après deux heures de conversation<br />
à bâtons rompus p<strong>en</strong>dant lesquelles elle a parlé <strong>en</strong> toute<br />
simplicité de son travail, de ses choix artistiques, du rôle<br />
du hasard et de la r<strong>en</strong>contre.<br />
«J’aime cette galerie du cours Mirabeau : les expositions<br />
y sont gratuites. C’est sympathique de p<strong>en</strong>ser qu’on<br />
peut y rev<strong>en</strong>ir, revoir une œuvre qu’on aime. Il y a eu<br />
7000 visiteurs <strong>en</strong> 10 jours !»<br />
Dès les premiers pas dans l’exposition on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d La<br />
Marche des rois mages de Bizet et on voit, projetées,<br />
des images aéri<strong>en</strong>nes du Rhône sur lesquelles<br />
apparaiss<strong>en</strong>t puis s’évanouiss<strong>en</strong>t des bouches roses,<br />
telles des pétales flottant au fil de l’eau, qui chant<strong>en</strong>t.<br />
«Ce ne sont pas que des bouches féminines, précise<br />
Agnès Varda, 50 % sont des bouches d’hommes, dont<br />
deux de mes petits-fils ; je voulais des bouches bi<strong>en</strong><br />
dessinées, pas comme les mi<strong>en</strong>nes qui ne sont qu’un<br />
trait… Au mom<strong>en</strong>t où Véronique (Traquandi,<br />
commissaire de l’exposition ndlr) m’a proposé<br />
d’exposer les Bouches-du-Rhône, je me suis dit qu’il<br />
n’y avait qu’à mettre des bouches dans le Rhône.»<br />
Derrière cette littéralité, d’appar<strong>en</strong>ce simpliste, se<br />
cach<strong>en</strong>t les principes mêmes du travail d’Agnès Varda : la<br />
r<strong>en</strong>contre, le temps, le souv<strong>en</strong>ir, le hasard, les chaînes<br />
analogiques qu’ils constitu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>semble. Ainsi La<br />
Marche des Rois qui vi<strong>en</strong>t de son aïeule marseillaise est<br />
interprétée par une chorale de La Ciotat où elle a aussi<br />
photographié un groupe de g<strong>en</strong>s sur le quai de la gare,<br />
clin d’œil bi<strong>en</strong> sûr au film de Louis Lumière. Ses choix de<br />
lieux de photo procèd<strong>en</strong>t du même principe de plaisir.<br />
«À Paris, j’ai acheté une dizaine de cartes de Marseille et<br />
avec mon crayon j’ai <strong>en</strong>touré les noms qui me plaisai<strong>en</strong>t,<br />
La Rose, La Pomme, Le Cabot, Le Panier… Des noms<br />
rigolos non ? Je me suis r<strong>en</strong>due sur place avec des<br />
roses, des pommes. Je trouvais des g<strong>en</strong>s à qui je<br />
proposais d’<strong>en</strong>trer dans mon projet. Regardez, ces<br />
jeunes au métro La Rose, ils reflèt<strong>en</strong>t la diversité de<br />
Marseille. Ils sont beaux. C’est un groupe éphémère,<br />
juste les g<strong>en</strong>s qui se trouvai<strong>en</strong>t là à ce mom<strong>en</strong>t précis<br />
mais tout ce qui rassemble, regroupe, est intéressant.»<br />
Dans le triptyque Amélie et les majorettes une photo<br />
arg<strong>en</strong>tique <strong>en</strong> noir et blanc est <strong>en</strong>cadrée de 2mn30<br />
d’images <strong>en</strong> couleur, un portrait à volets vidéo repr<strong>en</strong>ant<br />
le dispositif <strong>en</strong>trepris à Sète <strong>en</strong> 2011. Le spectateur est<br />
placé dans un <strong>en</strong>tre-deux image fixe/image mobile,<br />
cinéma/photographie, où toute image devi<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>ir,<br />
tout souv<strong>en</strong>ir se fixe, dans des temporalités différ<strong>en</strong>tes,<br />
introduisant du passé partout, démultipliant les niveaux<br />
de narration. Un deuxième triptyque, Achille et Paris du<br />
Cirque Phocé<strong>en</strong>, est le fruit du hasard.<br />
«Je suis tombée sur ce cirque à Plan de campagne et<br />
j’ai été très touchée par le travail de ces jeunes, qui<br />
s’appliquai<strong>en</strong>t. Ils font partie du spectacle et ont<br />
consci<strong>en</strong>ce qu’ils le font bi<strong>en</strong>.»<br />
C’est aussi le hasard qui avait am<strong>en</strong>é Agnès Varda, <strong>en</strong><br />
reportage <strong>en</strong> 1956 à la Cité radieuse, à capter l’instant<br />
décisif cher à Cartier-Bresson sur la terrasse du<br />
Corbusier.<br />
«C’était comme si les g<strong>en</strong>s se mettai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> place. Ces<br />
personnages m’intriguai<strong>en</strong>t. Je me suis souv<strong>en</strong>t<br />
demandée qui étai<strong>en</strong>t ces g<strong>en</strong>s et ce qui s’était passé<br />
avant et après.»<br />
Ce questionnem<strong>en</strong>t donne naissance <strong>en</strong> 2007 à un petit<br />
film : dans un décor ressemblant à celui de la photo, les<br />
six personnages d’autrefois agiss<strong>en</strong>t. «Mais ri<strong>en</strong> n’est<br />
certain. On pourrait imaginer d’autres sc<strong>en</strong>arios Ce qui<br />
est important, c’est de savoir que c’est l’imagination qui<br />
gouverne, pour celui qui regarde aussi.»<br />
Elle est retournée au Corbusier <strong>en</strong> 2012, y a r<strong>en</strong>contré<br />
par hasard des femmes qui pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t un café sur la<br />
terrasse ; leur a proposé de se rassembler et les a<br />
photographiées.<br />
«…plantées comme des santons, citoy<strong>en</strong>nes radieuses<br />
sur la terrasse de la Cité radieuse.»<br />
56 ans plus tard il s’agit toujours pour la cinéasteplastici<strong>en</strong>ne<br />
d’aller à la r<strong>en</strong>contre des autres, faire <strong>en</strong><br />
sorte que la vie quotidi<strong>en</strong>ne devi<strong>en</strong>ne tout à tour<br />
théâtrale, poétique, merveilleuse, amusante… <strong>en</strong> toute<br />
simplicité, sur les plages du temps.<br />
ANNIE GAVA ET CLAUDE LORIN<br />
© Annie Gava