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L’Est<br />
le vrai<br />
L’universitaire Robert Lefort qui l’interrogeait ce jour-là l’a très justem<strong>en</strong>t<br />
défini comme un écrivain voyageur. De fait, Christian Garcin n’<strong>en</strong> finit<br />
pas de parcourir la planète. Avec une prédilection pour les «bouts du<br />
monde». Tout juste rev<strong>en</strong>u de Patagonie, il a déjà d’autres destinations <strong>en</strong><br />
tête, d’où il rapportera sans doute carnets, notes et personnages, <strong>en</strong> vue<br />
d’un prochain roman. Mais les lieux qui, pour lui, ont le plus «appelé la<br />
fiction», ce sont les imm<strong>en</strong>sités de l’est et du sud de la Russie. Ces confins<br />
désertiques russes, proches de la Mongolie et de la Chine, on les retrouve<br />
dans le récit qu’il a écrit avec Eric Faye (En desc<strong>en</strong>dant les fleuves-Carnets de<br />
l’Extrême-Ori<strong>en</strong>t russe, Stock), mais égalem<strong>en</strong>t dans ses trois derniers<br />
romans, La piste mongole, Des femmes disparaiss<strong>en</strong>t et Les nuits de Vladivostok<br />
(voir p. 46). Celui-ci, tout récemm<strong>en</strong>t paru, lui a été inspiré par un voyage<br />
Christian Garcin © Herve Thouroude<br />
<strong>en</strong> Sibérie. On y r<strong>en</strong>contre à<br />
nouveau Zuo Luo (version<br />
chinoise de Zorro), un<br />
détective du Sichuan qui vi<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> aide aux jeunes filles<br />
v<strong>en</strong>dues par leurs familles. Un<br />
personnage «int<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t romanesque»<br />
quoique issu de la<br />
réalité, comme beaucoup<br />
d’autres chez Garcin, tel Oleg,<br />
qui a traversé la Russie à pied<br />
(9 000 kms <strong>en</strong> deux ans ! prénom<br />
fictif mais auth<strong>en</strong>tique<br />
fait divers), ou les chamanes<br />
de l’île d’Olkhon-sur-Baïkal…<br />
Cela fait du monde dans ce<br />
roman, qui convoque égalem<strong>en</strong>t<br />
Balzac, Cervantès,<br />
Dostoïevsky et bi<strong>en</strong> d’autres<br />
<strong>en</strong>core. Garcin est friand de<br />
cette prolifération, ainsi que<br />
du mélange des g<strong>en</strong>res et des<br />
récits <strong>en</strong>châssés. Il rev<strong>en</strong>dique<br />
«la dissémination comme principe<br />
de construction», et un<br />
traitem<strong>en</strong>t particulier du temps,<br />
que l’on remonte, un temps<br />
cyclique, plié comme celui des<br />
chamans, car ce sont «tous les<br />
temps qui se mêl<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nous<br />
lorsque nous écrivons».<br />
Lors de cette passionnante<br />
r<strong>en</strong>contre, l’écrivain a aussi<br />
insisté sur la notion de «mécanique<br />
de la fiction», qui se<br />
met <strong>en</strong> œuvre et dépasse le<br />
romancier, comme l’écrivait<br />
déjà Blanchot. Ce «mécanisme<br />
de l’écriture qui parfois <strong>en</strong> sait<br />
plus que l’écrivain lui-même»<br />
n’a pourtant ri<strong>en</strong> à voir avec<br />
une quelconque écriture automatique.<br />
Garcin se montre<br />
très soucieux de l’architecture<br />
de ses textes, comme de la<br />
langue dont il veille à suivre la<br />
logique rythmique et poétique,<br />
au point de choisir certains<br />
noms de personnages <strong>en</strong><br />
fonction de leur insertion sonore<br />
dans la phrase ! Un guide<br />
de choix pour un voyage au<br />
bout des mots.<br />
FRED ROBERT<br />
Christian Garcin était invité<br />
à la librairie Maupetit<br />
le 26 janvier<br />
L’un,<br />
sans l’autre<br />
J.B Pontalis © Hélie Gallimard<br />
Dans Borges, de loin, Christian Garcin<br />
livre des pages lumineuses sur<br />
l’œuvre de l’écrivain arg<strong>en</strong>tin, mais<br />
cherche aussi dans les labyrinthes<br />
borgési<strong>en</strong>s l’indéfinissable familiarité,<br />
conniv<strong>en</strong>ce pourrait-on dire, qui<br />
le relie à la fois à Borges et à sa propre<br />
écriture. Il r<strong>en</strong>ouait ainsi <strong>en</strong> 2012<br />
avec la collection L’un et l’autre, où<br />
avait été publié son premier manuscrit<br />
Vidas, et recevait, son éditeur<br />
J.-B. Pontalis à ses côtés, le prix<br />
Roger Caillois.<br />
J.-B. Pontalis est mort le 15 janvier<br />
dernier. Figure emblématique des<br />
éditions Gallimard, romancier et<br />
psychanalyste illustre, le fondateur<br />
de la remarquable Nouvelle Revue de<br />
Psychanalyse, était un passeur formidable<br />
: <strong>en</strong>tre les auteurs qu’il éditait,<br />
autant qu’<strong>en</strong>tre les frontières perméables<br />
et fécondes de la littérature<br />
et de la psychanalyse, de la fiction et<br />
de l’inconsci<strong>en</strong>t. Et c’est bi<strong>en</strong> cette<br />
circulation, d’un auteur à l’autre, d’un<br />
éditeur à un auteur, d’un lecteur à<br />
un auteur, qui fait la vraie vie littéraire,<br />
ou pour repr<strong>en</strong>dre une métaphore<br />
borgési<strong>en</strong>ne, le cercle littéraire. Non<br />
pas tant la sociabilité des prix et des<br />
r<strong>en</strong>contres, que la continuité souterraine<br />
<strong>en</strong>tre des œuvres, l’intimité<br />
profonde qui fait qu’on reconnaît<br />
des œuvres et qu’on s’y reconnaît,<br />
les filiations mystérieuses et les<br />
«souv<strong>en</strong>irs circulaires» <strong>en</strong>tre des<br />
hommes et des livres.<br />
AUDE FANLO<br />
Borges, de loin<br />
Christian Garcin<br />
L’un et l’autre, Gallimard, 20 €<br />
43<br />
L<br />
ITTÉ<br />
R<br />
A<br />
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U<br />
RE<br />
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