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FRANCK LOZAC'H ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

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FRANCK LOZAC'H

ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

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CHAPITRE PREMIER

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De l’Intelligence

Le parcours de l’esprit

L’Esprit s’assoie sur son néant. Ainsi il perçoit sa première

conscience. C’est toutefois une perception de la Nature qu’il

reçoit dans cet état. Il ne peut en être autrement, puisqu’il est un

élément de cet ensemble. L’Esprit se construit pour aller de la

satisfaction des nécessités de survie jusqu’à la compréhension de

l'après-vie. Il se cristallise pour accéder aux besoins immédiats.

C’est donc une volonté d’effort à la nature qui est ainsi accompli.

Il en est d’ailleurs de toute espèce, de toute diversité

animale ou végétale. Une conscience de situations,

d’apprentissage, d’expérience en quelque sorte se forme. La

conscience s’adapte aux obligations de la Nature. L’on voit ainsi

que c’est elle qui domine, et impose son diktat de vie et de survie.

Le travail du vivant sera de s’adapter, de transformer, et de

combattre cet ennemi. Le monde est en guerre. Ce monde

d’actions mécaniques traduit la force, la déchéance, la

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transmission de l’héritage génétique. Ceci n’est pas ma logique.

C’est bien la loi de la Nature qui nous soumet à cette vérité.

Il est à supposer que l’Esprit, qui est déjà une forme

élaborée de la conscience, est parvenu à combattre ou maîtriser

certains éléments de la Nature. L’Esprit avance avec sa logique,

mais il arrive rapidement au bord du gouffre, de son propre

gouffre de la vie, - c’est l’échéance de la mort. Comment peut-il

comprendre, ou supposer comprendre la possibilité de vie après la

mort ? Il le fera en utilisant les propriétés sensitives mises à sa

disposition par son organisme. Il le fera car vivant en

communauté, il essayera de comprendre la suite de la destinée de

ses proches. Peut-on prétendre que certains organismes, plus

sensibles que d’autres, possèdent l’aptitude de percevoir un

semblant de vie après la mort biologique ?

Dans la logique de la pensée, le rationnel n’est pas toujours

le plus sûr. C’est notre civilisation qui a établi le diktat de la

science. Mais la compréhension du paranormal, c’est-à-dire de la

suite après le gouffre s’opère par l’utilisation d’autres propriétés.

Il n’y a pas que le rationnel qui soit réel. Le paranormal est du

réel, mais perceptible en utilisant d’autres propriétés des sens. La

capacité répétitive de la physique réduit au mépris et à

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l’insignifiant cette partie de la nature dont l’expérience ne peut

être constamment reproduite.

L’esprit poursuit donc son chemin logique pour accéder à

une métaphysique. Cet élan vers un Principe absolu nécessite la

séparation du corps d’avec l’esprit. Ainsi il faut voler, voler pour

franchir le gouffre, et c’est déjà pénétrer dans l’histoire de la

Religion.

L’homme applique cette méthode. Certains pourtant

prétendent qu’après le gouffre, il n’y a rien, et s’en retournent à

leur propre néant. Faut-il parier ? Est-ce un pari d’ailleurs ? Ou

est-ce une perception seulement accessible à une élite ?

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De la logique

La pensée apparaît comme étant un petit accident de

l’intelligence, une sorte de minuscule collision où s’associent et

s’opposent des concepts, des images, des symboles et du langage.

L’ensemble combiné engendre une pensée qui est le plus souvent

une réflexion, ou du moins une action intérieure. Abstraite et

volatile, rationnelle et concrète, sa définition épouse toutes les

formes autorisées par la capacité créatrice de l’intelligence.

Il semble difficile de prétendre savoir s’il est plus logique

de faire apparaître des schémas simplifiés et ordonnés, ou des

concepts impénétrables et délétères. La raison conseille d’aller du

plus simple au plus compliqué, donc d’organiser sa création

d’actions par des propositions élémentaires puis de les surcharger

par des principes supérieurs à l’entendement. Qu’en est-il de la

vérité ? Des doctrines et des thèses s’opposent. On dirait que

chacune d’entre elles définit une méthode d’exploitation et

d’expérimentation sans pour autant posséder toutes les définitions

de l’autre. L’ensemble des méthodes offertes semble posséder la

vérité, mais chaque partie séparée ne permet pas de tirer une

analyse globale satisfaisante. L’arbitre conseillerait de prendre

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chaque ensemble sans pour autant décider d’un choix ou d’un

prélèvement judicieux. Un principe risque d’exclure les autres

principes, et si tous possèdent un peu de vrai, l’on ne peut choisir,

et il faut tous les prendre.

Le lecteur avisé prétendra que c’est aller dans beaucoup

d’endroits à la fois, et que l’on se trouve ainsi entraîné dans une

étonnante aventure de l’esprit. Que l’intelligence le veuille ou

non, la raison s’arrête pour juger et décide d’un choix, car la

capacité humaine d’absorption ne peut, faut de mémoire et de

moyens, maîtriser l’ensemble des procédés mis à sa disposition.

Les méthodes ou les principes employés pour ordonner cette

aptitude de l’intelligence ne sont pas constamment opposés. Ils

offrent parfois des similitudes d’actions quand bien même ils

sembleraient pénétrer des voies différentes. Si la première

perception semble abstraite ou éloignée de la logique, la finalité à

atteindre est bien concrète et répond à une matérialisation

quantifiable. Cette finalité semble bien éloignée de la première

idée naïve qui apparaissait à la conscience. L’être trouvera la

solution d’après sa perception interne ou en corrélation avec le

monde extérieur.

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Tout d’abord, l’esprit s’entoure du néant, puis il avance et

désire organiser un déplacement rationnel ou hasardeux. Il

avance, regardant sur sa droite, sur sa gauche vers un avenir en

utilisant un passé. Il tâtonne ou prétend aller fort vite, éclairé par

une sorte de certitude. Ce matériel de l’intelligence s’élabore, se

construit et se fortifie animé par les autres notions ou idées qui

viennent le secourir. La logique alors construit avec la volonté

d’aller de l’avant. La pensée ne fait-elle qu’avancer, ou parfois ne

cherche-t-elle pas à tourner en cercle pour revenir à son point de

départ, c’est-à-dire à son réflexe premier ?

La logique de penseur accomplit tout d’abord son effort

pour satisfaire à une matérialité, puis elle satisfait le désir de

l’être, et quand elle a satisfait ce désir, elle échappe à l’être pour

accéder à l’essence supérieure, c’est-à-dire à une volonté

métaphysique. Elle agit par ordre de nécessité allant du plus

simple au plus abstrait. Ce n’est pas une chute simplifiée, ni une

trajectoire calculable. La construction s’opère d’une idée à l’autre

par le principe de ressemblance. L’énergie utilisée pour fabriquer

le mouvement permet à l’intelligence de se déplacer.

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Accéder à la pensée finale, c’est-à-dire à l’essence de la

métaphysique est d’une importance capitale pour le devenir de

l’homme. Élaborer, échafauder une construction de l’homme vers

le haut permet de spéculer sur les idées éternelles.

C’est donc en étudiant le mécanisme du fonctionnement de la

logique, en déterminant le parcours qu’elle nous permettra

d’accomplir, c’est-à-dire la suite de ces actions rationnelles et

abstraites, que nous parviendrons à accéder à une philosophie de

la nature. Il nous faudra avancer en décomposant de manière

logique, donc avec un système de simplification pour comprendre

la nature dans sa diversité.

La pensée doit avancer, subirait-elle des heurts, des

résistances ou des volontés de retournements sur soi-même. Elle

doit avancer, accompagnée de sa propre négation, car lui faut

comprendre.

Ne faut-il pas essayer d’accéder au pur commencement, à la

pensée première quand bien même il s’agirait encore d’un travail

abstrait. Mais de toujours se déplacer selon un ordre, sans vouloir

toutefois épuiser toutes les possibilités, ce qui serait un jeu

éreintant pour l’esprit ? Difficile pourtant d’aborder ici le

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problème de la sélection ou du choix dans les actions à accomplir.

L’ordre serait de découvrir le premier acte de logique, puis d’en

expliquer le second. Ce premier acte ne pourrait trouver son

origine dans la mémoire, c’est-à-dire dans le passé puisqu’avant

ce premier acte de logique, il n’y avait rien.

Il semble difficile d’avancer dans cette recherche de la

logique sans y intégrer la valeur temporelle. L’avancée

permanente de la raison qui progresse accompagnée de sa propre

négation se développe sur l’étendue du temps. Mais je puis

comprendre que pour des raisons évidentes de simplification,

l’analyse s’effectue en dehors du paramètre temporel.

Après avoir dégagé une première réflexion concernant la

logique, nous nous promettons de spéculer quelque peu sur l’être

et sur l’essence. Nous verrons à quelle hauteur ou quelle

profondeur la difficulté nous entraîne, et comme il semble

utopique de vouloir échafauder quelque construction en ne

possédant pas tous les éléments d’analyse véritables.

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L’intelligence humaine

L’intelligence humaine possède cette particularité de

chercher constamment à défaire des questions qui reviennent sans

cesse dans sa propre conscience. Sa volonté est de résoudre des

problèmes posés par la nature, et d’y donner une réponse qui

dépasse le plus souvent les limites de sa perception.

Confrontée au difficile problème de l’adaptation à

l’existence, par son savoir et son expérience, elle voudra dompter

les éléments naturels pour tenter d’en devenir le maître. Intégrant

de la pensée dans la matière, elle désire s’élever toujours plus

haut jusqu’à la compréhension ultime des phénomènes

métaphysiques. Et c’est en transmettant son héritage intellectuel,

de génération en génération, que la raison parviendra à progresser.

C’est élan qui pousse l’homme vers l’avenir défera les

contradictions et l’obscurantisme dans lesquels son essence d’être

vivant semblait l’avoir laissé.

Il lui faudra aller au-delà des limites de sa capacité à

percevoir. Il devra supposer au-delà du champ de l’expérience,

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n’ayant plus désormais par les moyens de sa perception la

possibilité de vérifier ce qu’il avance.

L’homme de science va croire sans voir, et s’en retournera

ainsi à la conviction sensible de l’être spirituel qui a présupposé

une possibilité de vie après la mort. Il est vrai que si l’outil

qu’emploie l’homme de science apparaît plus subtil pour étayer ce

qu’il avance, l’outil même virtuel est encore une fraction du réel,

et cette simulation semble suffire.

L’analyste doit donc attacher une immense importance à

toutes ces sortes de recherche dont l’objet est d’élever la nature

humaine. Celui qui exprime du mépris ou de l’indifférence à

l’égard de ces choses cachées affiche un sentiment coupable de

blocage et d’intelligence limitée.

L’on peut apprécier chez l’homme de science sa volonté

profonde remplie d’objectivité et de droiture rationnelle, et cette

objectivité-là offrira la possibilité à la civilisation de progresser.

Si le fondement est bien établi, si la discipline accède aux

choses profondément enfouies, c’est encore toute la communauté

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qui bénéficie de cette excellence. Et cette réputation de solidité et

de vigueur mérite tous les éloges.

Il est d’autres disciplines nourries de sensibilité, dont la

nature subtile et délétère ne favorise aucunement la vérification

des principes, - ceux-ci étant du domaine du variable et du

modifiable. Il en est ainsi des arts dont les règles établies

constamment sont déplacées par le génie de leurs exécuteurs.

Il y a enfin le monde spirituel constellé de points

d’interrogation, légiféré par des structures de croyance qu’il

semble le plus souvent difficile d’épouser. Celui-ci nécessite de

l’entendement de coeur qui va au-delà de la raison ou de la vision

de l’oeil. Il s’agit ici de percevoir par le soupçon, qui est encore

une forme de sensibilité imperceptible et non renouvelable. C’est

à chacun de lui accorder son propre examen d’après sa conviction

intime.

Il y aurait donc une critique à faire à l’égard de cette forme

de connaissance qui peut se développer indépendamment de toute

certitude quantifiable, quoique... les mystiques ne sont point

hommes de confusion et leur intelligence est parfaite dans

l’entendement du quotidien.

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Intégrer une métaphysique dans son monde spirituel, cela

est certes une bonne chose, mais il faut encore que les principes

sur lesquels l’on établit cette vérité-là soient bien déterminés.

Il faut parfois s’en référer à la compétence d’autrui, car ceci

est gain de temps et certitude de bonne méthode, mais l’opinion

du grand nombre peut le plus souvent être détestable. Il est des

perceptions encore inexpliquées qui inquiètent l’élite mais sont

rejetées avec virulence par la masse d’humains.

Il est des connaissances dont l’entendement est incertain,

dont les contours sont difficilement délimités. Leur base ne peut

être fermement déterminée. De certitude, il n’en est point. Leur

recherche est encore insoupçonnée, leurs règles inconnues. Et

c’est en exploitant l’intuition de l’homme que l’on parvient à

extraire les premières parcelles de vérités.

Pourtant l’opinion d’autrui fondée sur des entendements

solides, transmise de générations en générations est d’une

certitude autorisée. Faut-il tout reconsidérer, et vérifier par soimême

ce que les pères ont intelligemment démontré ? La capacité

temporelle mise à la disposition de l’homme lui impose d’aller

outre, d’y gagner en vitesse et de refuser les tâtonnements.

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Pour ce qui est de l’hypothèse - j’accorde à dire qu’elle est

l’une des “caractéristiques” de la personnalité humaine la plus

audacieuse et la plus intéressante. Elle projette l’homme vers le

devenir par la spéculation, par son risque et son résultat. Elle est

l’aventure de l’esprit, elle se nourrit d’énergie pour explorer,

chercher et parfois découvrir.

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L’idée

L’idée est le pur concept, inadapté encore, ne possédant

aucune mise en forme. Elle n’est qu’une perception délétère,

inorganisée, elle est indice d’or, donc parcelles lumineuses dans

un magma de boue. Elle ne possède pas toujours de certitude de

vérité. L’or du pauvre est bien la pyrite, et beaucoup se sont

laissés tromper.

On doit davantage l’employer dans le sens de : “perception

inconnue”, de rareté, d’unicité. L’idée n’appartient pas à un

ensemble. Elle ne peut jaillir que d’un seul cerveau. L’idée n’est

pas une opinion. On ne peut pas avoir une idée concernant un

tableau ou une œuvre d’art. Il s’agit ici d’une réflexion critique

que tout un chacun peut exprimer. Il n’y a pas nouveauté,

détermination inconnue.

Le but de l’idée est de devenir, devenir concept à forme

rationnelle, palpable et quantifiable. On doit en faire un usage. Il

y a donc l’idée et son but. Entre les deux s’expriment l’exécution,

la mise en forme, l’exploitation, tout le travail de l’adaptation

jusqu’à la finalité à obtenir. L’idée doit donc se construire dans le

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ationnel, et c’est seulement à cette condition qu’elle pénétrera

l’espace de l’objectivité.

Mais cette objectivité peut tout aussi bien revêtir une

valeur personnelle. IL faut encore que la perception extérieure

d’autrui s’accorde avec l’idée réalisée par le concepteur.

L’habillage de l’idée, sa mise en forme en quelque sorte doit

posséder bien du talent, c’est-à-dire des valeurs reconnues pour

que l’idée nouvelle puisse être assimilée et comprise.

L’idée se confond avec la pensée. Si la pensée a une

connotation à tendance philosophique, c’est-à-dire intégrant des

concepts de l’entendement, à forme représentative, l’idée doit

déboucher sur un concept rationnel scientifique ou technique,

épousant le signifiant aussi du service.

L’Idée prétend donc posséder le Vrai en soi, et elle va

tenter dans l’exécution de son travail de finaliser sa certitude.

C’est pourquoi le devenir est un paramètre indispensable qui

s’associe à la vérité de l’Idée. Il faut aller dans l’au-delà, dans le

futur proche, et ainsi prouver que l’Idée possédait du Vrai. Il n’est

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pas toujours utile de concrétiser cette action pour détenir l’intime

conviction que ce que l’on suppose pénètre le Vrai.

La certitude subjective mais intime doit coïncider avec la

certitude objective d’autrui, ainsi l’Idée devient-elle réelle.

L’Idée qui germe pour pénétrer l’espace objectif doit

constamment subir des modifications pour s’adapter, pour se

construire et se conformer à la certitude d’autrui. Il est vrai que la

finalité ne possède nul objet qui soit conforme à l’essence de

l’Idée. Évidemment ! Puisque l’Idée subit des modifications pour

pénétrer dans le Concret.

La finalité de l’Idée jamais ne pourra prétendre répondre

à son concept initial. La lente élaboration de sa forme première a

modifié de manière significative son concept d’origine. L’idée ne

s’oppose donc pas à sa réalisation, mais elle n’est plus ce qu’elle

semblait supposer être. L’idée de la maquette ne peut être

comparée au prototype, - grande est la distance qui la sépare de

cette finalité-là. L’idée ne peut s’épanouir que dans le réel, et dans

cet espace-là, elle doit s’analyser avec objectivité pour savoir si

son essence est conforme à l’application de son concept.

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L’Intelligence accède à une forme de Vérité, quand

l’Idée se finalise dans une réalisation. J’écris bien une forme de

Vérité, car elle peut tout aussi bien revêtir une valeur personnelle

et non pas universelle.

Il y a donc intégration d’autres éléments permettant à

l’idée de se finaliser. Cette obtention du résultat n’engendre pas

toujours une détermination satisfaisante. Le concept dans sa pure

spéculation permettait d’obtenir un objet ou d’envisager une

finalité différente. L’Idée ne revêt qu’une détermination limitée,

son contenu est imperceptible, - en vérité, il n’est qu’un réel

virtuel, sans puissance d’existence. L’idée n’existe pas dans la

réalité. Elle n’est que la conscience subjective et ne peut se

réaliser que dans l’objectivité.

Si l’idée se suffit d’elle-même, si elle conserve cet état

initial de pureté, si elle ne peut vérifier avec exactitude ce qu’elle

suppose, sa pensée reste abstraite. L’idée doit poursuivre à travers la

vérification et le champ d’expériences la véracité de ce qu’elle

prétend. Il s’agit encore d’accéder à une forme d’enrichissement, de

développement après la germination initiale. Si le concept demeure,

son apparence a subi des transformations. Cette succession

d’expériences fortifie l’idée principale. Et c’est bien un processus

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d’élaboration et de progrès qui a permis cette évolution sur le

concept initial. Il y a donc transformation considérable, et l’offre

basée ne peut plus être connue dans le résultat obtenu. Mais est-ce le

concept qui a subi une évolution, ou n’est-ce pas le travail de

l’homme qui a conduit au changement ?

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Détester le doute

La vérité est la pensée, par excellence, de l’esprit. Sans la

vérité, les connaissances seraient bien hasardeuses, toute

construction s’écroulerait. J’entends toutes les connaissances,

celles qui se prévalent d’être les mieux pensées dans leur valeur

fondamentale.

Aller dans la certitude, sans erreur, sans l’imperceptible

doute, c’est avancer à coup sûr, sans risque de revenir à son point

de départ. C’est prétendre que l’on ne peut se tromper. Je sais,

cela paraît difficile et pourtant...

Car le doute est détestable. Il nous fait violence, il est

l’alarme qui constamment fonctionne. Il nous enduit en faiblesse,

il est une retenue de temps, il impose une vérification. Pourtant

nous sommes dans l’obligation de douter, car la raison se plaît à

examiner. C’est une sorte de réflexe qui constamment

accompagne son action.

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On nous dit qu’il faut croire sans voir. Je prétends qu’il

faut se faire voyant, comprendre l’au-delà quand bien même cela

nécessiterait des perceptions paranormales.

Il faut donc croire en ouvrant les yeux et tenter de

percevoir la vérité. Et cette vérité-là est délétère, impalpable,

difficilement quantifiable avec les instruments de la rigueur.

Mais tout croire est folie. Nous voilà confrontés à une

sorte de magma incompréhensible où semblent jaillir çà et là

quelques taches de couleur un peu mieux discernables.

Le privilège serait d’aller plus loin que la pensée, et son

mécanisme. Il serait d’atteindre immédiatement la réponse juste,

en ligne droite, pour accomplir le moins de chemin possible,

c’est-à-dire agir avec l’effort minimum.

C’est encore une question de croyance, car il s’agit de

croire en soi, avec la certitude, sans opinion, sans balancement.

C’est la foi en l’homme, en l’esprit qui s’y cache ou y vit. À

savoir si cette foi-là sauve l’homme. Il est à craindre que

beaucoup se soient perdus.

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Penser, c’est vérifier

Penser, c’est vérifier. Ce qui signifierait qu’une

organisation cérébrale déjà a été construite. L’action de

l’intelligence consisterait à confirmer ce qui a été proposé à la

conscience.

Mais ce n’est peut-être qu’une apparence. Penser, ce n’est

pas toujours dire non. Il peut y avoir volonté de remplissage, de

recevoir des informations inconnues et de les stocker dans la

mémoire.

L’esprit n’est pas toujours à consentir, à prendre sans

douter. Il est dans une perspective de compréhension,

d’intégration de l’information offerte. Sa raison cherchera à n’être

pas trompée. Il ne doute pas de sa capacité à recevoir, il doute de

l’information que l’on met à sa disposition. Il devrait douter de sa

propre capacité à comprendre. Mais il croit en lui, et prétend

posséder suffisamment d’avertisseur pour être bon juge.

Chacun règne en son esprit et aime sa royauté, l’ignorant

comme le savant.

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Pourtant l’homme sait se dire non. Il dit non après

analyse, après détermination du message perçu. Non à sa

spéculation. Il ne peut pas toujours transformer le non en oui. Il y

a blanc parfois.

Quand la science s’abstient, il y a blanc. Elle sait que

grande est son ignorance, et espère reculer son inaptitude à

posséder la vérité.

C’est le oui, c’est le non, c’est la vérification, c’est

encore l’abstention. Avec ces comportements fondamentaux, la

pensée prétend avancer.

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De juger

Il y a une intelligence qui pense de l’intérieur. Fidèle à

exploiter les informations reçues, elle trie, choisit, décide et agit

d’après cette déduction, ou d’après cette synthèse de perceptions.

Elle n’est pas faite pour enseigner ou conseiller autrui. Elle n’est

pas conçue pour aider l’autre. Non, elle cherche à se gouverner et

propose des actions à accomplir d’après l’état des choses qui lui

est suggéré.

Cette capacité de l’intelligence ne sert pas à prévoir ou

supposer. Elle n’a pas pour but d’aller dans l’avenir proche pour

en tirer des comportements à appliquer dans le présent.

Est-ce une aptitude purement humaine ? Peut-on

prétendre que l’animal est pourvu de cette qualité ? Difficile dans

l’état actuel de nos connaissances de pouvoir l’assurer.

Il s’agit du moins de juger - j’entends faire preuve de

synthèse et tirer de cette synthèse un comportement satisfaisant. Il

faut donc recevoir, accumuler des preuves et des certitudes, et en

extraire une vérité.

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Puis un autre que moi-même qui est pourtant proche de

ma conscience exploitera cette décision pour décider d’un

comportement. C’est ainsi que cela doit s’accomplir.

Il est pourtant utile même pur un homme libre d’écouter

la raison d’autrui, d’avancer dans la pensée avec les soutiens

d’une personne tierce. Là où le flux de propos et de paroles

abonde, la décision s’enrichit d’informations nouvelles.

Enfin la raison est de se bien gouverner, de manière

autarcique, avec sa souveraineté. Oui, de la sorte, doit se

comporter tout bon esprit, sans trop de concession mais avec une

oreille ouverte pour le bon sens d’autrui...

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La quête de la vérité

La quête de la vérité au moyen de l’intelligence est la

condition première de toute investigation philosophique.

L’homme possède un Esprit et sa volonté spirituelle lui impose à

comprendre les choses de la nature. S’il doit douter, c’est

toutefois de la qualité et de l’efficacité que son intelligence met à

sa disposition. Possède-t-il suffisamment de grandeur et de

puissance pour accéder aux réponses qui lui soumet sa curiosité ?

La nature complexe, à la pénétration difficile, que représente la

connaissance de cet objet tendrait à faire croire que la réponse est

négative. Mais il peut avancer à petits pas, et s’assurer ainsi que le

chemin parcouru était voie de certitude.

L’homme veut comprendre. Cela lui est utile pour vivre.

Il lui faut chercher et découvrir. La philosophie comme sa soeur

la science a besoin de posséder une représentation exacte des

objets qui l’environnent. De ces formes et de leur existence,

l’esprit construira un mode de perception et de représentation

indispensable à sa pensée.

27


Il y a donc travail de l’intelligence avec recherches,

doutes, suppositions, et démonstrations. L’esprit n’hésite pas à se

contredire, à user de l’opposition avec soi-même pour tenter de

pénétrer. L’esprit brasse et spécule, il aime à s’engager dans son

contraire. Par le jeu des oppositions, il veut extraire une solution

satisfaisante lui permettant d’avancer dans sa quête de

connaissances.

La pensée est immédiatement confrontée à une perception

globale et simultanée des éléments qui l’environnent. Le travail

de l’intelligence consistera à décomposer en sections simples ou

complexes, en thèmes majeurs ces différents assemblages qui

s’organisent dans une sorte d’ordre que l’on appelle Nature.

La pensée accède-t-elle immédiatement à une perception

de l’Absolu que l’on pourrait identifier à un Principe Divin ? Sa

volonté de chercher ne lui impose-t-elle pas d’abolir cette

conception-là pour s’en retourner à une décomposition des

éléments de la Nature ?

La pensée se développe en s’enrichissant de ses propres

expériences et de ses déterminations. Encore faut-il qu’au-delà de

sa propre vérité, qui parfois peut être trompeur, encore faut-il que

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ce qu’elle emmagasine pour construire son système soit matériel

de certitude.

Ainsi la vérification par la raison, par les sens ou

l’expérience s’avère indispensable pour poursuivre son

élaboration.

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L’intelligence doute

L’intelligence constamment doute dans le choix de ses

actions et dans le mécanisme de sa pensée. Et puisque c’est

manquer de raison que de se précipiter avec toute sa foi dans le

mouvement de l’existence, l’esprit sensé préfère s’abstenir ou du

moins aller doucement pour ne point commettre d’erreurs. Mais le

doute n’est pas toujours le plus sûr : il faut parfois quelques

particules de folie, quelques volontés audacieuses pour faire

avancer l’homme. L’intelligence a besoin de construire : il lui faut

de l’énergie, de la prestance et encore du risque. Mais ces actions

sont mesurées et c’est la certitude qui lui permet d’aller de

l’avant.

L’esprit insensé agit en premier et réfléchit par la suite

sans se soucier des conséquences désastreuses qu’un tel

comportement peut engendrer. Le doute est pourtant une

résistance à l’action. Il remet constamment en cause le départ, et

s’il avance quelque peu, c’est encore pour s’arrêter et regarder

derrière soi. Est-ce jugement ? Est-ce raison ? L’esprit veut faire

demi-tour, et recherche son point de départ.

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Il s’agit de se bien gouverner, ou d’imiter les bons

modèles pour être certain de la manière dont il faut se comporter.

L’esprit du créateur, riche d’audaces et de folie, de

certitudes à peine perceptibles se voit dans l’obligation d’imiter

en cela l’insensé, et de poursuivre un chemin qu’il ne connaît

guère, qu’il n’a jamais emprunté ou qui ne mène nulle part.

Combien d’artistes ou de soi-disant génies se sont fourvoyés en

pénétrant des espaces inconnus de tous et d’eux-mêmes,

prétendant ouvrir de nouvelles portes et n’allaient en vérité sur

rien ! L’on pourrait rétorquer que ceci est encore du capital-risque

artistique, et qui ne tente rien n’a rien.

Je ne suis sûr que d’une certitude - celle de mon

ignorance. J’ai beau tenter d’apprendre et de savoir, je me sens

infiniment vide comme un alvéole d’abeille dépourvu de miel. Et

qu’aurai-je réellement appris à la fin de mon existence ? Que la

jeunesse ne se garde et que la mort nous appelle bien vite. Était-ce

donc cela que de vivre ?

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Idées et réflexions

Il est assez difficile d’avoir des idées ; l’idée renferme la

notion d’inédit, d’inconnu. Il faut donc que ce qui est exprimé ou

rendu à autrui possède la propriété rare de l’imprévu. L’on détient

plus facilement des réflexions qui sont propres à chacun, mais

communes à tous, un peu mieux exprimées par les spécialistes et

grossièrement rendues par les esprits simples.

L’intelligence, par son travail, se propose d’assembler le

tout, d’extraire des endroits jugés utiles et de délaisser les moyens

précaires ou caducs. Il ne s’agit pas ici de mêler à l’emportepièce,

sans fil ni trame. Car l’esprit, pour bien se conduire, doit

avancer avec raison, accumulant les uns derrière les autres les

preuves ou les justificatifs.

La difficulté est de savoir douter, d’oser remettre en

cause le matériel à exploiter, qui se prête de bonne grâce et

semble prêt à l’emploi par la capacité loquace du débit. Il faut

donc se méfier, et apprendre à avancer lentement. Partout où

l’intelligence construit un procédé pour prouver, la critique, sa

fille aiguisée, se cache là à l’entrée de la bouche, prête à

intervenir pour faire cesser le babillage.

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C’est pourquoi s’il surgit une grande idée, il la faut

maîtriser avant que de la proposer à autrui. Il serait préférable de

la malaxer, de la refaire, de la presser dans sa chambre ou dans

son bureau, à l’écart de tous, sans cette détestable improvisation

qui peut casser par son inexpérience les plus beaux élans.

On ne peut guère être un inventeur d’idées. Le plus

souvent nous exploitons des lectures, des références, des

informations du quotidien pour extraire ou fusionner des concepts

disparates. Les grandes créations sont rarement l’œuvre d’un seul

homme. Elles découlent assez généralement d’un principe de

synthèse, de condensation opérées par une intelligence qui

ramasse les différentes mises. Nous ne faisons que perfectionner

des systèmes déjà existants.

Le vingtième a connu essentiellement deux grandes

découvertes : l’ordinateur et la télévision. Le dix-neuvième, plus

inventif peut-être, a vu ses découvertes fondamentales subir des

progrès techniques et technologiques considérables.

33


Des ressources humaines

Peu d’hommes inventent et conçoivent. Peu d’hommes

sont aptes à fixer leur intelligence sur un problème de sublimation

artistique ou de création technique. Le génie solitaire a peu de

chance de voir sa découverte reconnue. L’équipe de chercheurs

bien menée peut voir son projet déboucher sur une application

d’entreprise.

Il semble évident qu’une réussite médicale sera

hautement considérée par la communauté tandis qu’une œuvre

poétique laissera dans une différence quasi-générale.

Notre élite est de belle valeur. Pourquoi devrait-on s’en

étonner ? Les structures scolaires, pédagogiques et

professionnelles imposent une telle sélection, une telle aptitude à

l’obéissance, que les cerveaux se musclent, se fortifient et

deviennent de splendides petits soldats. Il n’y a ici de moquerie ;

Il y a constatation que les structures d’accueil sont de qualité et

permettent à l’intelligence supérieure de participer efficacement à

l’évolution de la civilisation.

34


Nous devons pourtant reconnaître qu’une obéissance

zélée peut engendrer une corruption de l’intelligence, qui

obséquieuse et soumise refusera d’aller au-delà de ce qu’elle peut

obtenir. Un caractère élevé, vif et rempli d’espoirs, constamment

arrêté par un système hiérarchique, usé et soumis, détruira sa

propre capacité subliminale, obsédé par la crainte de l’argent. Il

apprend à ruser, à truquer, trop soucieux de la rentabilité

financière, c’est-à-dire du salaire. Il devient habile renard

caressant à l’extrême, craignant de perdre sa place. Le salaire

détruit la sublimation. Puis l’âge, l’usure du temps achève ce qu’il

lui restait de capacité inventive. Voilà pourquoi la détection de la

ressource humaine est un volet de l’exploitation de l’intelligence.

Si elle ne s’accompagne de structures souples où la liberté

créative évolue, si elle étouffe la capacité inventive dans un

carcan de lois et de soumissions, jamais la potentialité humaine ne

parviendra à s’épanouir pleinement, et cela serait grand dommage

pour la civilisation.

35


Les postulats

La philosophie ne possède aucun postulat. Nulle vérité

n’est fondée. Le travail de l’intelligence consiste aussi à vérifier

que ce qui est avancé par les Anciens possède quelque fondement

de certitude. Elle n’a aucun diktat préétabli. Elle n’existe pas dans

un système de réflexions définies, même si le principe de

l’échafaudage philosophique réduit les conceptions, les idées, les

objections etc... dans un espace limité. L’élaboration du système

engendre un domaine de définitions. Consciemment ou

inconsciemment le philosophe construit donc un rempart

protecteur où il limite son entendement. Ses concepts ne sauraient

être multiréférentiels. Cette raison évidente découle du fait que

l’homme est une unité en soi. Le contenu ne saurait être déjà

pensé : il provient d’une accumulation d’expériences, de lectures

et de productions de réflexions. Le contenu peut être une

ramification d’un courant de pensées déjà existant.

Le postulat mathématique, lui est déjà établi. On exige, on

impose à l’intelligence de s’en référer immédiatement à

l’obéissance des anciens, prétendant qu’il n’y a pas d’autres

vérités que celles-là. L’exemple du repère est significatif. À l’état

36


de nature, la droite n’existe pas : tout est courbe, tout est

circulaire - voyez une pomme, un atome, un satellite.

L’ensemble est bien rond. Je prétends qu’il est quasiment

impossible de trouver des exemples naturels de droite. Une arête

de poisson est un segment de cercle - c’est un arc. Un os n’est

jamais tout à fait droit. Un arbre ne pousse jamais tel un bâton

sans se pencher un peu. On enseigne la droite, le repère

orthonormé, le système unitaire. Et pourtant cet outil ne permet

pas même de calculer le volume d’une sphère avec exactitude ! Or

la nature est essentiellement composée de sphères... Alors qui

croire ?

La philosophie n’a donc pas de point de départ. Elle se

conçoit dans son propre absolu - et telle est sa liberté.

37


L’intuition

Quand l’homme commun s’en réfère à cette sorte de

perception inexpliquée que l’on appelle intuition et prétend

posséder une vérité à travers un système de valeurs délétères et

floues, l’on peut en toute objectivité se demander s’il fait preuve

d’aberration ou si, inconsciemment il n’a pas opéré un ensemble

d’actions analytiques imperceptibles lui permettant toutefois de

tirer une certitude ou sa certitude concernant le fait déterminé.

Je prétends que celui qui juge d’après sa sensibilité

épidermique agit en une fraction de secondes par esprit de

synthèse, ayant mémorisé des situations, des renseignements, de

l’expérience lui permettant de conclure à cela. Il y aurait donc

conscience de l’individu, certitude immédiate fondée ou non sur

un ensemble de déterminants à peine captables, mais en nombre

suffisant pour tirer une information.

S’il vient à partager avec autrui cette perception, la même

référence d’analyse assez souvent tombe d’avis semblable. Cette

vérité de l’immédiat sans fondement réel conscient peut paraître

38


détestable, car dépourvue de raison et d’analyse. Cette vérité-là

semble ne posséder aucune richesse constructible intellectuelle.

39


La certitude de l’immédiat

Le contenu de la certitude de l’immédiat laisse apparaître

une connaissance quasi imparfaite, exploitant une détermination

réalisée dans un temps très court. Il n’y a pas spéculation, doute

ou retenue. L’intelligence prétend posséder la vérité, sa vérité

d’après une analyse macro, grossière et incertaine. Comment un

esprit raisonné, pourvu de sens critique aiguisé peut-il se

précipiter dans un choix épidermique, réactif, sans enchaînement

rationnel ou logique aucun ? Car il a la possibilité d’offrir à sa

critique une richesse d’informations issue de l’expérience. Cette

vérité-là semble loin d’être vraie, et pourtant elle est référentielle

pour un grand nombre d’options, de choix ou d’opinion. Elle n’a

pourtant accompli aucune analyse méthodique de l’objet mais le

prend dans son entier. Sa certitude est approximative, floue et

abstraite.

40


Dialectique négative

L’évolution scientifique s’opère essentiellement par la

connaissance de la proposition négative. La détermination de cette

certitude permet d’accéder à une vérité infaillible. Ce négatif-là

dans sa pure essence possède une affirmation qui ne peut être

contredite, celle de n’être pas.

Quand l’intelligence détient une vérité, il faut que celle-ci

soit suffisamment épurée, sans scories de doutes ou d’hypothèses

sous-jacentes. Car s’il advenait qu’une seule partie de l’ensemble

fût possiblement vraie, il faudrait l’extraire, la discuter et la

vérifier encore.

Le doute doit être de rigueur, car le négatif dans sa

proposition principale pourrait servir d’éléments absorbant à

l’image du zéro pour la multiplication, qui imprègne quelconque

réel et quel que soit son rang pur le réduire à l’état de rien.

que 10 = 100.

Si 0 x 100 = 0 x 10, je dois bien me garder de prétendre

41


La conscience et l’instinct

La conscience est la morale de l’âme. Elle s’impose

comme juge possédant sa propre sagesse pour déterminer son

système de valeurs. Elle s’oppose donc à l’instinct qui lui produit

des actions sans analyse aucune. L’instinct ne détient aucune

objectivité - il agit par loi de nature, de manière animalière. À

moins qu’il faille considérer qu’une accumulation de certitudes

s’est imposée à l’esprit, et que celui-ci ne réagit pas de manière

spontanée face à une situation précise et présupposée. Il y aurait

donc accumulation d’expériences et violence dans le fait, tel un

jaguar aux aguets prêt à bondir. L’instinct libérerait donc de la

conscience qui était intégrée à son concept d’existence. Dans

l’instinct, l’intelligence exprime une détermination qui se

développe ou explose de manière instantanée. L’accumulation de

la force intérieure peut découler d’un lent processus justifiant un

laps de temps relativement long avant l’acte d’explosion.

La morale peut être extrémiste et prétendre toutefois au

bien fondé de sa valeur.

42


Le royaume du doute

La philosophie habite le royaume du doute, de l’à-peuprès

et de l’incertain. Constamment elle se fonde sur du délétère

et de l’impalpable pour tenter de construire ses fondations. Je ne

l’accuse pas, je constate. Elle désire accéder à la vérité, à la

connaissance exacte mais le matériel de mots, de dialectique, de

sensations qu’elle exploite, - ses outils en quelque sorte -, sont

loin de posséder la rigueur et la qualité des outils de la

mathématique ou de la physique.

Elle n’est pas plus propriétaire de l’idée que la science.

L’esprit scientifique nécessite des perceptions, des suppositions,

des sortes d’intuitions qui lui permettent d’envisager ou

d’élaborer des théories.

La volonté d’accéder au savoir n’est pas le propre de la

philosophie, quand bien même son essence est de désirer

comprendre. Elle est un immense brasseur de la connaissance,

puis tente d’organiser par ressemblance, par énergie, par élan de

vie l’ensemble du matériel dont elle dispose. Elle ignore le plus

souvent qu’elle ne détient pas tous les éléments utiles à sa

43


construction. Ce qui explique que son architecture ici et là repose

sur des malfaçons ou s’affaisse quelque peu.

Ce besoin vital qu’est la curiosité de l’homme doit

répondre à un sentiment de dignité. Il est en effet estimable de

vouloir atteindre les plus hautes vérités. La conscience du bien et

du mal, du réel et du mensonge, du visible et de l’invisible, du

Dieu et du Néant engendrant la détermination de son propre

devenir ne saurait être trop grande pour la satisfaction de l’esprit.

Est-ce l’amour de la vérité qu’au fond de soi-même

cherche irrésistiblement l’homme ? N’est-ce pas plutôt une

indispensable nécessité pour avancer avec les pieds affermis sur le

parcours de l’existence ?

S’il est un Dieu, créateur de toutes choses, l’essence

même de l’univers restera pour longtemps cachée à l’intelligence

de l’homme. Sa capacité spirituelle ne lui permettra pas de

posséder les richesses et les profondeurs d’une si vaste nature.

44


Méthode d’intégration

Le temps est un paramètre indispensable à tout système

de vie, au même titre que la longueur, la largeur ou la profondeur.

L’une des caractéristiques qui spécifie tout ce qui est vivant ou

inanimé, est sa soumission au vieillissement ou à l’érosion.

Comment dans ces conditions de dimensions humaines

parvenir à accéder à un savoir ou à une formation suffisante tandis

que le temps est assassin, et n’est jamais à son côté, mais se

positionne contre soi ?

Il faut donc s’imposer des règles ou des lois, des sortes

de principes d’existence, et les tenir fermement pour avancer sans

commettre trop d’erreurs.

La première est bien de recevoir les choses pour vraies et

de tenter de les assimiler le plus rapidement possible. Il faut

toutefois éviter la précipitation, et ceci est balancement et bonne

mesure. “Intègre tout d’abord, tu comprendras par la suite”. Il faut

donc s’en référer au savoir et à l’expérience du corps enseignant

et de l’autorité parentale. La contrainte de cette obligation est le

45


doute, que toute intelligence possède. Car si en quelque occasion

l’esprit a raison de douter, tout le système peut être discuté et

donc remis en cause.

La seconde est de globaliser le problème dans son

ensemble, de le comprendre outre le détail, et de chercher à

atteindre la synthèse immédiatement. L’esprit qui tente de

comprendre exploitera son énergie dans une analyse détaillée de

chaque élément, et usera sa fonction intellectuelle à des fins

puériles. Y a-t-il des objections ? Évidemment, mais j’exprime un

système de pensées permettant d’y gagner en temps. L’on

comprendra que l’intelligence doit accepter sans trop se soucier

de la démonstration et d’aller outre l’analyse pour atteindre la

finalité. Je songe à ces enfants qui désirent tout intégrer du cours

de mathématique, et forcent leur attention sur la démonstration du

professeur, et n’ont de réserve de compréhension pour assimiler le

théorème ou l’axiome qui est l’instrument-clé de l’exercice à

obtenir.

La troisième sera de revenir sur l’ensemble des objets qui

ont été intégrés, et de prétendre par le jeu de la décomposition

d’en tirer l’explication sur chaque endroit. Il ne s’agit pas

d’ordonner sa pensée pour aller du plus simple au plus complexe.

46


Il s’agit d’assimiler l’endroit où il y a résistance, sans pour autant

s’imposer à décortiquer l’ensemble des endroits.

Les longues chaînes qui encastrent les raisonnements les

uns dans les autres alourdissent les démonstrations, fatiguent

l’intelligence qui les doit assimiler. Est-il possible que toutes ces

choses parviennent à la connaissance de l’homme sans qu’il ait le

souci de tout redécomposer ? Il est vrai que l’organisation et

l’ordre balisent le cerveau, et lui permettent d’avancer à pas

certains.

47


Imaginer

Imaginer, c’est parfois concevoir un objet ou l’ombre

d’un objet, et prétendre possible son action sur nos sens ou sur

une sélection de nos sens. L’imagination du présommeil, - celle

qui fabrique assez rapidement des perceptions visuelles

n’intervient que sur un seul de nos sens : ni le toucher, ni l’auditif,

ni le tactile, ni le goût n’en exploitent la création. Nous voici donc

confrontés à une sorte d’impression à deux dimensions mollement

animée, aux contours nets ou parfois indéfinissables, rarement

colorée, sans forme réelle. C’est une espèce de fantôme gazé venu

de la fabrication de traits, qui apparaît en un lieu, celui du front,

qui accomplit quelques mouvements et s’efface d’un coup.

En réfléchissant quelques instants sur son origine, on

peut prétendre qu’il naît de l’énergie électrique permettant

l’activité de l’intelligence. Son explication trouve son essence

dans le travail du rêve : il est symbolique, condensation,

concentration, allusion.

Je veux prétendre ici un exemple. Une nuit, j’interrogeais

mon cerveau et je lui dis : montre-moi ce que tu aurais voulu être.

48


Après un laps de temps très court, je reçois une image. C’était un

cercle blanc coupé d’une croix ressemblant à un X. Et je compris

immédiatement la signification du message.

Le cercle blanc symbolise la pureté et le logo de Dieu,

l’X est une croix chrétienne, il est aussi la représentation de

l’école de Polytechnique.

J’eusse donc aimé accomplir une Grande École et

accéder à la purification divine. L’on peut évidemment tirer

d’autres explications de cette image, mais j’en resterai là.

Toute image visuelle renferme donc un relief et un sens.

Il faut en comprendre son signifiant. Après quoi, l’on peut

s’attarder sur un commentaire pour en dégager l’explication. Si

l’image condensée semble en rendre ambigu le sens,

l’investigation freudienne facilite son approche.

Si j’avais ordonné à cette espèce de machine placée dans

le cerveau, de faire resurgir une image précise, il est évident

qu’elle en aurait été incapable. L’on tire de cette observation que

l’on ne saurait inventer ce que nous désirons.

49


La capacité d’exploiter la mémoire auditive semble

encore plus délicate à maîtriser. Comment faire surgir la

perception de voix bien précises, de mélodies longtemps

entendues ?

On semble être capable de retrouver, mais non pas

d’enregistrer parfaitement un son comme cela se fait avec une

récitation. Il ne s’agit peut-être pas du même mécanisme de

perception intellectuelle.

Nous avons pourtant un film enregistreur placé quelque

part dans le cerveau. Dans les rêves, nous entendons bien des voix

qui ne sont pas les nôtres. Non, il n’y a pas d’erreur, il s’agit ici

d’une voix constituée par la mémoire, donc par une aptitude de

mémorisation. Mais le mécanisme semble complexe. Les

biologiques trouveront peut-être la clé de ce mystère.

50


Dédoublement

Rien ne change en moi, ou si peu ; j’ai la certitude de

pouvoir maîtriser un grand nombre de perceptions, du moins je le

prétends. Mais n’est-ce pas déraisonnable de faire preuve d’une

telle assurance ? Non ! Voyons ! Cela était de l’humour... Je m’en

retourne au sérieux.

Quelle pensée me faut-il aborder ? De quoi voudrais-je

parler ? Je souhaiterais m’intéresser au problème du Moi. Il est

vrai que je ne puis échapper à sa vérité - le sujet de mes pensées

est toujours et encore moi ! Ne pas être me semble donc

impossible. Mais serait-il absurde de penser que je puisse être

deux ?

Je veux m’imaginer détenir un frère jumeau, de même

essence, possédant mes caractéristiques génétiques, ayant reçu et

perçu la même culture et les mêmes informations.

Je suis donc un, et je puis être deux. Mon frère me

ressemble pareillement. Je puis dire que je suis l’autre et que

l’autre est moi. Je reste le même tout en me dédoublant. J’épargne

51


le prix d’une glace, et me contemple à mon aise. Je dois m’aimer

à la manière de Narcisse, ou mieux apprécier mes faiblesses et

mes défauts.

Je puis posséder le don d’iniquité, et être en deux endroits

simultanément. Imaginons un instant que je puisse, étant en deux

lieux différents, posséder deux variables temporelles, t1 et t2 qui

se situent à deux moments distincts. Je parviendrai donc en

fonction d’un présent connu à pouvoir me comporter autrement

dans un avenir proche, ayant connaissance des conséquences

d’évènements futurs... Mais il faudrait pour cela que je fusse doté

de ces deux variables temporelles. Je ne possède que deux Moi, ce

qui déjà est un privilège... Il est peut-être vain de spéculer sur la

quatrième dimension.

Il est vrai que les deux temps pourraient faire partie d’un

même temps, et les deux espaces d’une même espace. Les deux

Moi pourraient s’associer à nouveau, pourquoi pas ? Mais

l’expérience prendrait fin, et plus rien ne serait plausible. Il n’est

donc pas question ici de faire apparaître le Moi unique. Je reste

avec ces deux Moi, et c’est pourquoi je prétends que nous

pensons, distinctement est plausible?

52


Les deux Moi sont puissants et concrets. Ils peuvent se

contredire, ou s’instruire quelque peu l’un l’autre. L’unité de ces

deux personnalités est toutefois incompatible, je reste pourtant

bien séparé. Je suis en ce moi-même et je suis en cet autre. À moi

de vivre avec cette apparente contradiction : être là et être ailleurs,

uni et désuni. Je dois pour autant m’efforcer d’être en accord avec

moi. Il me suffit de concevoir tout simplement cette notion

concrète du nous pensons.

Nous sommes, unis et séparés. Voilà une pensée de

dédoublement qui semble fantaisiste par son contenu, mais qui

par la Loi de Dieu et de Son Esprit pourrait s’avérer exacte.

53


Volonté d’abolir la conscience

Je veux fermer mes yeux, protéger mes oreilles pour ne

plus rien entendre, rejeter consciemment par ordre logique toutes

les perceptions que je puis avoir du monde extérieur. Ainsi fait,

tout ce que je reçois d’autrui est aboli, n’existe plus par la

suppression de l’activité de mes sens. Le concept matériel se

détruit dans le silence de cette nuit profonde. Je suis un peu cet

aveugle sourd et muet. Je suis bien en moi, et cette perception

relève d’une étonnante intensité. Je reçois toutefois des

informations venues de l’extérieur, d’une zone périphérique qui

encercle mon corps. Le sensitif n’est pas inactif, mais pleinement

efficace. Je possède aussi cette mémoire des souvenirs engendrés.

Leur impression est forte et pleine. Ce degré de perception, sa

hauteur d’intensité est fonction de l’abolition des autres sens.

Comment parvenir à une perception qui s’approcherait du point

zéro ? Comment obtenir une non-conscience parfaite du moi ?

Car je ne puis gommer la trace de cette mémoire

construite sur de l’acquis et de l’expérience. Je possède encore

cette certitude d’activité qui anime mon cerveau, puisque je

pense, et peux l’exprimer. Je vais toutefois tenter de réduire

54


encore ces messages reçus du monde, c’est-à-dire de l’extérieur.

Les voilà à présent réduits à une portion congrue, à de l’infinie

insignifiance. Tout va-t-il disparaître ? Cela semble difficile,

puisqu’un autre effet de conscience vient supputer ou se substituer

à ce dernier pour analyser l’ultime perception. Je me vois donc

dans l’obligation d’une constance de sensation, et pour l’abolir, il

faudrait accéder à une destruction de la conscience, ou pour dire

autrement à une mort biologique de ma cervelle. Je ressuscite à

chaque instant par la conscience de ma perception ! Je tache de

détruire, mais je reçois encore soit venus du dedans, soit imposés

par l’extérieur, des messages de vie.

55


CHAPITRE SECOND

56


De la Mathématique

La Mathématique

Le doute, en tant que pensée parfaite, peut s’appliquer à

toutes les formes et aspects du savoir. Il serait une sorte de

témoignage de l’insuffisance et de la faiblesse de ce qui est

avancé ou certifié. Mais il peut être un instrument qui ralentit, qui

retient la pensée jusqu’à lui imposer une vérité infaillible. Il est

pour la raison une perte de temps le plus souvent. Car faut-il

réellement douter de ce que le bon sens offre à tout à chacun ? Le

principe mathématique possède plusieurs moments. Il y a en un,

le postulat à la question qui désire exprimer ce que l’on va tenter

de démontrer ; il y en a deux, la démonstration elle-même,

détenant une méthode d’investigation, et prétendant avancer avec

certitude ; il y a en trois la finalité, c’est-à-dire la preuve qui a été

tirée de ce mouvement logique. Le doute, trouve alors des formes

satisfaisantes, certifiées par la démonstration, et son scepticisme

se défait de son concept négatif.

57


La science possède en elle-même une immense part de

doute. Si elle admet une hypothèse, elle n’exploite sa preuve

qu’avec la certitude de sa démonstration. La logique dialectique

s’est débarrassée de tout parasitage, de tout élément variant ou

d’exception. Elle n’évolue que dans un espace déterminé, fini,

contingenté. Ainsi elle parvient à extraire des vérités et là est son

immense force. De là prétendre qu’elle possède toutes les formes

de savoir, de connaissances, de passé et d’avenir, qu’elle

s’accompagne de sensibilité humaine... Je puis dire que la

mathématique est vraie, car elle évolue dans une structure

restrictive.

58


Le vrai

Selon moi, et cette appréciation peut être justifiée par la

certitude de son impuissance, - l’homme ne sait rien, ou peu. Sa

connaissance est fragmentaire, en mouvement. Son vrai est de

faible valeur, à l’orée d’une civilisation. Pourtant il lui faut

chercher, évoluer, comprendre, percevoir les mécanismes visibles

et invisibles qui régissent les lois de la nature. Il doit aussi se

projeter dans son passé pour y comprendre l’avenir, et spéculer

sur l’éventualité d’une autre forme de vie en dehors du système

terrestre. Il doit encore tenter d’accéder à la conception Divine, -

seule substance qui a inquiété les hommes de toutes époques et de

toutes civilisations.

Peut-on prétendre que son fini est vrai ? Son fini n’est

qu’une étape, qu’une borne, qu’une transition de savoir devant

permettre d’obtenir une vérité pleine. Il cherche à casser du

Néant, à souffler sur les brouillards pour tendre vers une vérité. Il

doit se dépasser. Sa volonté est dans le dépassement.

Le vrai et le faux sont par la simplicité de leur

détermination deux notions opposées, intimement unies par la

59


certitude du contraire, fixées, ne possédant que des éléments

inverses pour les associer. Cela est fort pratique pour analyser,

prétendre ou certifier dans le domaine rationnel de la science et de

la science appliquée. Et cette vérité-là dans un espace de travail

bien limité, dans une sorte de royaume autarcique, permet de

détenir des plans, d’échafauder des constructions par les principes

mêmes qui y sont exploités. Le vrai et le faux y sont facilement

discernables. Nous sommes en plein dans l’esprit de géométrie de

Blaise Pascal. Le faux apparaît donc comme étant l’aspect négatif

de l’idée, ou de la substance. Cette partie de l’idée renferme une

notion négative essentiellement parce que son concept est

facilement déterminable, sa différenciation se conçoit avec

lucidité, et peut se comparer à la main droite et la main gauche : il

ne propose que deux cas possibles, - ce qui simplifie

considérablement le choix.

60


De la géométrie et de l’intuition

L’esprit sans raison est un bateau sans cap.

Constamment il divague, et ne sait où aller, empruntant tous les

chemins sans savoir lequel suivre. Aussi faut-il s’imposer un bon

principe d’investigation intellectuelle, basé sur une méthode

efficace qui s’allie assez sensiblement au principe scientifique.

L’esprit logique exploitera les procédés que l’expérience humaine

répétitive met à sa disposition, et tentera parfois de pénétrer une

issue jusqu’alors inconnue. L’avancée rationnelle s’avère

indispensable et l’esprit parviendra à découvrir ce qu’il s’était

promis de chercher. On observera que s’il ne parvient pas à

atteindre son but, retournant sur ses propres pas avec son système

bien indiqué, il ne pourra se perdre, mais reviendra à son point de

départ sans dommage aucun.

Pourtant il serait sot de prétendre que seul le mode

d’emploi scientifique permet d’accéder à une vérité à découvrir.

La science peut même, par son principe rigide, détruire toute une

spéculation, toute une tentative audacieuse que savent à merveille

investir les artistes. La preuve directe, constamment productible

impose de l’expérience qu’elle soit renouvelable.

61


Et chacun sait que certains phénomènes tirent la

propriété ou leur spécificité de leur incapacité à être reproduits.

Il est toutefois à supposer que le mathématicien ou que le

physicien pénétrant dans des recherches de plus en plus

profondes, faisant preuve de hardiesse et de capital-risque

investissement en utilisant des procédés à la limite de la régularité

scientifique.

Ces moyens employés, je ne puis les condamner ayant

constamment travaillé avec l’esprit de finesse et ayant été dans

l’obligation de délaisser l’esprit de géométrie dont Pascal nous

avait nourris sur notre adolescence.

Il faut donc le plus souvent aller au-delà de ce que la

doctrine enseigne, et pénétrer dans cette haute difficulté dont les

parties ne sont ni évidentes ni clarifiées, en utilisant son propre

système de perception.

Quant à l’efficacité de cette méthode, il est difficilement

possible de quantifier ses performances. Du moins sa portée

62


semble être immédiate pour les hommes de science, comme grand

nombre d’entre eux avouent l’utiliser régulièrement.

Mais ce sont là de vieilles recettes, connues depuis des

millénaires par les hommes de rigueur, qui percevaient une sorte

de vérité dans l’air du temps sans pouvoir réellement prouver son

origine. Ce que l’on a obtenu pour preuve a souvent été senti ou

pressenti par la conscience, réfutant parfois ce qui lui paraissait

évident, étant dans l’incapacité de le démontrer par la raison. Puis

la certitude vint, et la chose fut entendue.

63


Le 1 et le 0

Le vrai et le faux, le 1 et le 0 sont des valeurs basées du

langage mathématique, totalement épurés de quelconque contenu.

Le concept de la vérité épouse un nuancier beaucoup plus subtil

comparable aux différentes couleurs qui composent l’immense

palette de la nature. Le vrai et le faux peuvent se mêler, et ce qui

semble vérité dans tel espace, dans telle situation et dans un

domaine de définition bien précis pourra s’avérer entièrement

faux si l’on vient à faire varier un infime paramètre.

La vérité mathématique tire son essence des propriétés et

des lois qui la régissent. Sa nature justifie son existence par les

lois mêmes qui la construisent, et c’est sur cette vérité-là qu’elle

assoie sa certitude. C’est ainsi que le sens et la nature de la

mathématique trouvent leur origine, leur développement et leur

avenir par le résultat obtenu qui devient une preuve.

Je vais ici donner un exemple : j’affirme être une banque

qui accomplit des opérations financières et qui possède en dépôt

500 millions de dollars. On me pose cette question : “ Qui êtesvous

? ” Je réponds : je suis une banque qui accomplit des

64


opérations financières. L’on insiste : quel est le montant de vos

dépôts, - je réponds : je possède en dépôt 500 millions de dollars.

L’on voit l’importance capitale du rapport entre le

contenu et son sujet. L’affirmation est vraie, et tire son

explication de son origine.

La production du résultat découle d’une connaissance

certifiée et prouvée. Et tel est le privilège de la logique

dialectique.

Le savoir philosophie veut spéculer sur le faux, sur le

doute et le possible. Il refuse d’exclure l’indéterminé. La thèse et

l’antithèse avancent ensemble pour accéder à la voie de la vérité.

De ces deux conceptions naît un troisième concept : la synthèse.

L’unification de ces deux mouvements contribue à agrandir le

savoir philosophique.

65


Insensible mathématique...

La dialectique mathématique ignore la sensibilité, la

transmission de l’amour, l’affectivité etc... Elle n’étudie que le

rapport entre les grandeurs, et se plaît à accomplir des opérations

sur de la matière inanimée. Son royaume est le calcul des masses

déplacées. Son matériel est très grossier. Il ignore l’essence des

phénomènes. Il ne se soucie que des rapports de divisions ou de

multiplications. La mathématique refuse de considérer la réalité

de l’esprit. Nous sommes confrontés à du matérialisme primaire.

C’est pourquoi de petites machines sont aptes à résoudre des

problèmes de calculs proportionnés de dix en dix. L’aptitude de la

pensée qui produit d’autres pensées et conçoit le calcul, lui

semble inexistant. La forme de la réalité qui est le plus souvent à

saisir dans son schématisme ou son symbolisme, lui est inconnu.

Elle ne vit que dans l’analyse du phénomène réel mais la

puissance de l’âme qui produit ce phénomène n’a pas lieu d’être.

Elle n’est donc qu’un outil au service d’un certain type de

raisonnement, qu’un calcul de compas, qu’une distance à

prétendre, qu’une balance à peser. Elle ne peut pas engendrer et sa

créativité est nulle.

66


Il ne sera pas aisé de vouloir déterminer le vrai dans son

essence et dans son sujet ; car le vrai, s’il possède cette propriété

et s’il en tire son principe d’existence et la transmet sur des objets,

il ne peut en prétendre la valeur universelle. Le vrai est vrai car il

évolue dans un espace limité avec un domaine de définition bien

précis. En dehors de ce domaine, cette vérité devient aléatoire et

ne peut être démontrée.

67


CHAPITRE TROISIÈME

68


De l’Art

Trois distinctions dans l’art

On peut déterminer trois distinctions fondamentales

permettant aisément, mais de manière totalitaire toutefois, de

sectionner le concept de l’Art. Nous pourrions y voir trois

représentations de l’action de l’homme dans la matière.

Il y a tout d’abord, la forme purifiée, simplifiée dont

l’Idéal recherche la symbolique. On la trouve le plus souvent dans

le signe exprimant par la limitation du sens une restriction à

exprimer. Elle se veut parfois synthèse de plusieurs explications,

et n’hésite pas à utiliser le travail de condensation. Apparue dans

les sociétés primitives, la forme purifiée avec le symbolisme et

autres Écoles d’Art a connu un immense succès à la fin du XIXe

siècle. Cette forme exploite les vérités de la nature ou des

comportements humains, mais se trouve confrontée à leur

interprétation. Elle se dépouille de l’habillage, de l’abondance,

pour ne saisir que l’essentiel. Son concept refuse l’identification

exacte.

69


Permet-elle par la purification de ses traits, de son Idée

d’offrir au receveur la capacité d’intégrer totalement le message

offert ? N’est-elle pas une sorte de raccourci, un principe codé,

uniquement accessible à l’amateur possédant déjà une charge

culturelle importante ?

Elle est donc une représentation abstraite qui nécessite une

interprétation. Sa forme n’est pas accomplie mais épurée.

La seconde distinction fondamentale s’apparente à la

forme classique. Elle se veut objectivité concrète, sans excès ni

fioritures. La volonté de l’artiste sera de reproduire avec le

maximum de ressemblance l’objet à réaliser. Et l’on peut songer

aux commandes exécutées par les peintres officiels et à la qualité

exacte des portraits obtenus. Certaines civilisations optent pour

une représentation fidèle du produit à imiter. Mais la naïveté ou le

manque de compétence de ses artistes réduisent à une

configuration enfantine l’œuvre exécutée.

L’Esprit qui pense se détermine et veut déterminer

l’objet extérieur qu’il désire figurer. Il perçoit très nettement la

forme externe, il tentera de s’unir parfaitement avec cette réalité

objective. Il s’agit ici d’une imitation fidèle du travail à

70


accomplir. Le contenu de l’œuvre sera donc limité à sa propre

explication. Si la pensée est fidèle, si sa matière est parfaitement

déterminée, son interprétation en est donc bornée. Cette forme

d’Art applique fidèlement l’Idée perçue.

Il en est tout autrement de la troisième distinction dont la

caractéristique essentielle est d’interpréter le contenu à définir.

L’Esprit décide alors d’intégrer sa propre définition, exploite le

travail de son intelligence, et imprègne son action personnelle

dans la représentation externe. La forme obtenue n’est plus

qu’une extériorité, qu’une vision transformée par le travail de

l’artiste. Le vrai a disparu, et laisse la place à une détermination

totalement subjective. Il n’est nulle clé permettant de comprendre

le sens de l’œuvre. Il faut donc épouser la particularité du

créateur. On voit les immenses difficultés qu’engendre cette

troisième section de l’art. Elle peut rejeter des artistes de qualité

exceptionnelle mais inaptes à plaire ou à séduire. Mais elle peut

tout aussi bien reconnaître des artistes qui n’auraient qu’une

qualité douteuse et dont le temps se défera.

71


Le vouloir créatif

Il faut donc accéder à la connaissance qui permettra de

concevoir de la création. Y a-t-il méthode, principe

d’investigation intellectuelle, système d’assemblage, de

condensation favorisant l’explosion d’un produit artistique ou

scientifique nouveau ? Comment faut-il saisir l’instant autorisant

quelque délire, menant l’idée jusqu’à sa finalité dans le réel ?

Comment passer de l’imperceptible, de l’insignifiant et pouvoir le

détecter pour l’épanouir dans le supérieur où règnent les pensées ?

L’imagination ne permet pas de comprendre - elle n’est qu’un

vaste réservoir où grouillent des centaines d’idées sans

association aucune, le plus souvent. Elle n’est pas un moyen

propre à l’entendement, - non. Mais elle est le lieu où l’audace

dépasse la raison, où le risque se défait du rationnel. Ceux qui

désirent utiliser la loi et le bâton pour avancer, s’interdirent tout

volume de liberté.

L’intelligence humaine créative se nourrit de constants

changements dans l’appréciation. Ces évolutions ou ces variables

de la perception favorisent une représentation autre de

l’information reçue. Entre les informations reçues et le travail de

72


l’esprit, il y a un temps durant lequel la conscience ou quelque

chose d’équivalent dit : Comment interprètes-tu cela ?

Il faut se comprendre, et parvenir à admettre que cette

perception est bonne ou utile, et doit découler sur une forme

nouvelle et inventive. Il faut posséder également une certitude

dans son avancée et détenir cette puissance du vouloir, qui va audelà

de la critique d’autrui, au-delà de sa propre résistance, qui est

ténacité vers l’avenir.

73


Arpèges sur le beau

Le beau n’a pas besoin de s’associer à la vérité pour

exister. Il n’est pas même un soupçon de cette vérité, il peut se

situer en dehors. Le vrai est parfois beau. L’essence du vrai, c’est

le Principe avant toute application, avant toute vérification de sa

certitude. Le Principe peut donc concevoir dans le beau, il peut

concevoir uniquement du beau, alors il est Art avec lois et

techniques et maîtrise. Le Principe peut être vrai. S’il est faux, il

ne peut résister à l’usure du temps. Car les générations le

soumettront à rude exigence, à vérifications. La critique sait le

ruiner et cherche à réduire son influence. S’il est vrai et fort, il

résiste, - il est - sinon, il s’en retourne à l’état de Néant. La Pensée

peut être pure, chercher le Beau dans son Essence, dans son

application, mais parfois être décevante dans sa réalisation.

Le beau doit charmer la conscience, la séduire. S’il

étonne, c’est qu’il possède une charge autre, et ce sont peut-être

ses techniques et ses méthodes que l’on cherche à découvrir. Si le

Beau a communiqué son apparence externe, c’est qu’il est en

osmose avec la conscience de l’autre.

74


Le Beau habille l’Idée, il est l’épiderme superficiel de la

pensée. Le beau s’associe à la forme, quand la forme vise le

concept de l’art.

La logique rationnelle appliquant son système de

vérification n’est pas toujours l’instrument adopté à la

détermination du Beau. Le Beau n’a pas à être soumis à l’analyse,

il se reçoit dans son ensemble, et l’entendement s’opère de

manière globale, d’un bloc. La décomposition du Beau peut

engendrer le mépris ou l’indifférence. Un tableau, une œuvre de

sculpture se reçoivent dans leur ensemble, et le Beau “ fouette la

gueule ” comme une révélation. La perception doit être unifiée,

car la décomposition de l’œuvre casse l’élan général.

Si le beau n’est pas libre, s’il ne peut imposer ses propres

exigences, s’il est limité par l’entendement et la commande

d’autrui, sa réalité devient objective, et il y perd en sensibilité. Si

l’exécution du Beau doit être libre, on comprendra que son

essence elle-même qui trouve naissance à l’intérieur est plus libre

encore. Le beau se nourrit de l’énergie du créateur, de sa

technique et de son inspiration. Il prélève des éléments dans la

nature et dans le savoir des hommes. Si le beau est objectif, son

75


essence est asservie à une finitude. Il se met au service du

pouvoir, et ne possède plus cette indépendance d’actions.

76


De l’art

L’esprit supérieur, détaché de toute contrainte matérielle,

étant parvenu à créer des espaces temporels de liberté cherche une

essence élevée où sa conscience pourra jouir d’un bien-être. Cet

espace n’est pas un espace de vérité et de certitude où les

oppositions et les contradictions cessent enfin de se confronter,

non. La certitude y est relative, le savoir et son objet ne détiennent

qu’une partie infime du vrai. Quelle que soit la forme qu’elle

dégage ou le fond qu’elle renferme, elle ne peut prétendre valider

sa vérité. Cette matière du génie humain est évidemment l’art.

La conscience du vulgaire ne se soucie que fort peu de

cette discipline. Elle éprouve d’étonnantes difficultés à intégrer sa

valeur et lui préfère des considérations d’ordre primaire. Elle la

rejette ou cherche un autre support pour satisfaire ses désirs

immédiats. Elle résoudra des problèmes proches des besoins

suscités par la survivance à la nature.

L’esprit va donc pénétrer une forme qui sera chargée

d’un signifiant à travers un objet. L’esprit portera à sa conscience

77


la vérité de cet objet. Ayant considéré la valeur de son contenu, il

en déterminera son utilité.

Il veut saisir ou pénétrer avec profondeur une perception

de forme à travers une sensibilité, il veut comprendre l’absolu qui

se présente à sa conscience, et en exploitant son intuition

accouplée à sa raison, il déterminera la jouissance et l’utilité qu’il

peut en tirer.

La réaction peut dans un premier temps être nourrie de

sensibilité. C’est une sorte de perception immédiate qui engendre

parfois l’acceptation ou le refus. Dans le second temps,

l’intelligence décide d’associer une représentation de l’objet offert

tirée de sa mémoire. La troisième phase de l’analyse de ce produit

artistique consiste à construire une critique raisonnée qui provient

de l’esprit.

78


Esthétique

L’esthétique recherche la grandeur, la beauté,

l’admiration mêlées au plaisir. Il est évident que le beau de la

nature répond parfaitement à cette définition. Il n’est qu’à

considérer le spectacle d’un coucher de soleil, des teintes rousses

de l’automne, ou du fracas des vagues ballottées par la tempête

pour comprendre avec précision ce que l’entendement humain

suppose derrière cette définition.

Il serait stupide d’évincer de cette détermination le beau

caché ou enfoui de la science pure. J’en veux pour exemple les

magnifiques représentations microscopiques des systèmes

cristallisés, les constructions infiniment petites des briques de la

matière, ou les décompositions spectrales de la lumière.

L’homme a inventé l’art. Il a prétendu proposer une

représentation parfaite de la nature, avec sa sensibilité, ses

dispositions, ses oppositions et ses différences. Y est-il parvenu ?

Que fait-il aujourd’hui ?

79


Qu’est-ce qui nous émeut, nous élève ou nous charme ?

Dans quelles mesures peut-on attribuer aux éléments ou aux

objets qui nous entourent la qualité du beau ? Les créations de

l’homme ne sauraient rivaliser avec les aptitudes de la nature. Et

si l’on admet la parfaite esthétique d’un corps féminin fixé dans la

matière, l’on doit reconnaître que l’original fait de chair, de

muscles et de vaisseaux sanguins est d’une finesse et d’une

subtilité qu’aucun artiste ne pourrait prétendre obtenir.

Une objection de taille peut affirmer que nulle part à

l’état de nature l’on trouve une composition musicale de qualité

acoustique supérieure en harmonie, en technique et en puissance

de jeu à celles obtenues par le travail de nos prestigieux

musiciens. Et le doux gazouillis d’une cascade, le chant

mélodieux d’un rossignol ne sauraient par l’intensité de leur

mouvement couvrir les riches percussions ou les cuivres sonores

d’un orchestre.

Peut-on prétendre que l’art est le propre de l’homme, que

cette particularité de la conscience pensante est exclue du monde

animal et végétal ? N’y a-t-il dans l’animal lors de sa parade

nuptiale, recherche d’esthétique pour séduire et convaincre sa

femelle ? Son pourtour ou celui de la fleur ne renferment-ils pas

80


quelque essence de qualité qui ne découle pas de la loi du hasard ?

L’inorganisé ne saurait être beau. Considérons l’emplacement

chaotique sur la planète Mars, ou l’écrasement des météorites sur

le satellite lunaire. On en tire que la non-conscience de la vie ne

peut engendrer quelque particularité de Beau.

L’évolution des choses de la nature a favorisé

l’intégration d’une forme d’Art dans les éléments animés. L’oeil

de l’homme est trompé et ne peut pas toujours user de

perspicacité, mais deux oiseaux ne construisent pas leur nid avec

le même résultat, deux mammifères n’éduquent pas leurs petits

avec le même principe d’apprentissage, etc... Les exemples

pourraient être multipliés par des milliers dans le monde animal et

végétal.

Lui, l’homme a atteint un stade de développement

extrême si l’on compare ce qu’il peut faire et ce que peuvent

accomplir les autres espèces vivantes sur la terre. S’il est

totalement intégré à la nature, il peut aussi la modifier, la

transformer, y ajouter sa force de travail. L’homme agit donc dans

les choses externes, et ce besoin d’intégrer sa pensée dans la

matière ira jusqu’à une sublimation de sa production que l’on

appelle Art. Mais il est peut-être sot de prétendre que l’Art

81


n’appartient qu’à l’homme, puisque d’autres perceptions et

comportements dans la gent animale et végétale pénètrent ou

possèdent des formes de Beau dont nous sommes sensibles.

82


CHAPITRE QUATRIÈME

83


De la Poésie

De l’invisible et de la rigueur

Je ne vis qu’avec des fantômes, des fantômes d’idées, des

sortes de spectres de l’impalpable et de l’invisible. Leurs formes

délétères se dérobent sous mes sens. Pourtant tel un apprenti

médium, je tente de les capturer, de les saisir pour les offrir à la

conscience de mon esprit. Je déteste ces brouillards vagues, ces

fumées incomprises manquant de rigueur et de rationalité. La

réflexion est détestable quand elle est constamment nourrie d’à

peu près et de perceptions insolites. Il est vrai que cet immense

mélange de la vie nous brasse une quantité considérable

d’informations. Des évènements imprévus à la raison humaine se

combinent les uns aux autres pour organiser ou troubler

l’existence. Il ne s’agit pas ici de jeu pour l’esprit, non, - nous

subissons régulièrement des contraintes dans notre quotidien.

Ma volonté recherche la rigueur et déteste se laisser

emporter à la dérive avec ce matériel d’imprécisions si volubile.

Cela ne pourrait me satisfaire. Comment parviendrais-je à accéder

à quelque chose de profond et de singulier si je me laisse bercer

84


par l’enchantement du jeu, ou par le dérisoire et l’insignifiant ? Je

dois les exclure de mon mode d’emploi ou de ma méthode

personnelle. Certains riront de moi prétendant qu’il n’est pas de

bon ton pour un poète de donner des leçons de rigueur quasimilitaires.

Je connais trop bien ces moments d’ivresse et de

nonchalance, quand la pensée flotte pour tenter d’accéder à

quelque chose d’inconnu. L’âme s’y complaît, et s’y baigne avec

aisance.

Au seul nom de poésie, déjà je m’enivre et je crains de

perdre ma capacité d’analyse et de synthèse. Je crains de

vagabonder par monts et par vaux, cherchant je-ne-sais-quoi,

allant vers l’insouciance et le hasard. Cela ne saurait me charmer,

quand bien même j’avoue éprouver du plaisir à caresser cette

femme volage et éphémère, qui s’enfuyant sans cesse,

constamment désire me rejoindre pour un ballet nuptial.

85


Le spectre d’autrefois

Le spectre d’autrefois vint visiter l’apprenti poète, rempli

d’élans et d’actions, aux yeux tournés vers l’avenir. Le spectre

feuilletait un livre consacré à l’art grec, à ses colonnes et au

temple du Panthéon. Au cours de cette cérémonie médiumnique,

on sentait pleinement toute l’activité intellectuelle qui animait

encore l’esprit échaudé et excité par cette rencontre. Cette petite

boule verte de phosphore allait et venait, enfin elle se mit à parler

: “ Nourris-toi de moi-même ! Apprends et instruis-toi. Je suis

venu te dire ce que tu dois faire, ce qu’il te faut obtenir. Là sera ta

suffisance. Il n’est pas ici question d’ambition, de prétention ou

de toute sorte de termes péjoratifs. Non, là est ton but. Et ta raison

est de l’atteindre. ”

L’apprenti poète savait toutefois que les artistes et les

écrivains étaient soumis à nombreuses critiques, qu’une poignée

très réduite parvenait à crédibiliser sa capacité littéraire. Et s’ils

avaient quelque avenir, c’était surtout la mort que leur offrait ce

privilège.

“ Il suffit, dit le jeune. Voilà, tu t’es déplacé pour rien.

Tout ce que tu pouvais me dire, je le savais déjà en prescience de

86


ons sens et de vérités. Tel est le privilège des âmes bien nées, -

elles possèdent cet extraordinaire don de connaissance sans

l’usage de l’expérience.

C’est vrai, je suis de bonne race comme toi. Mais je

doute de pouvoir atteindre cette place si hautement convoitée. Tu

sais comme je puis apprécier ces challenges de l’esprit. Je m’y

astreindrai par jeu de l’intelligence. ”

87


Le don de plaire

Un jeune poète qui se prévalait de posséder du génie,

mais qui pour l’instant était le seul à le prétendre tenta vainement

de rencontrer des hommes de lettres de qualité lui permettant de

débuter ou du moins de faire ses premiers pas dans la République

des Lettres. Le jeune auteur fit preuve d’un zèle remarquable,

courant à droite, courant à gauche, d’une amabilité, d’une

affabilité exceptionnelles. Avec ses petites plaquettes sous le bras,

il résolut de faire la tournée des directeurs de revues et des

Comités de lecture.

Les directeurs de revues semblaient s’intéresser à sa

production, du moins l’assuraient-ils, mais tous exigeaient que le

jeune homme prît un abonnement d’un an à la revue pour espérer

figurer dans la modeste parution.

Ne se décourageant pas, il proposa ses manuscrits à

différentes maisons d’édition. Les plus sérieuses lui retournèrent

ses exercices accompagnés d’une lettre circulaire, le remerciant

de son envoi mais prétendant que sa poésie n’entrait pas dans le

cadre de leurs collections.

88


Il voulut forcer la main du destin. “ Par Dieu, se dit-il, si

tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! ”

Il envoya ses livres à des maisons spécialisées dans le

compte d’auteur. Illico, celles-ci lui firent un contrat basé sur

l’article 57 de la protection littéraire, ce qui voulait dire en

d’autres termes que l’édition était à sa charge. On lui fit un tirage

à mille exemplaires d’un recueil qui jamais ne fut distribué ou si

mal qu’il ne put avoir un seul lecteur.

Il en était tout dépité : “ Quelle injustice, que cette soidisant

structure poétique d’accueil ! J’ai dépensé toute une petite

fortune pour engraisser le compte bancaire d’un éditeur véreux !

Me voilà retourné à mon point de départ. Mais que puis-je faire

pour crédibiliser mon identité poétique auprès d’autrui ? ”

Il osa se remettre en cause, décidant de repartir à zéro,

achetant traité de versification sur traité de versification, y

appliquant toute sa sève et toute sa force. Le travail ajouté sur le

don de nature fit croître son aptitude poétique. Le jeune homme

allait bon train, enfin je veux dire l’homme jeune, car de

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nombreuses années déjà s’étaient écoulées sans qu’il ne pût

accéder à l’édition.

Il poursuivit toutefois son œuvre entreprise. Il pouvait se

flatter d’avoir obtenu une bonne vingtaine de plaquettes,

quelques-unes éditées à compte d’auteur, d’autres fabriquées

artisanalement par ses propres soins ou par des amis.

Il frayait ici et là, se frottant à d’autres littéraires vus ou

entrevus à des Journées du Livre ou à des Fêtes de l’édition. Cela

ne permettait guère de percer dans le monde des lettres, mais du

moins cela correspondait à du zèle actif, et qui sait...

Le temps s’écoula, et toutes les tentatives entreprises

échouèrent. “ Quel sale destin ! pensa-t-il. Pas un éditeur, pas de

lecteur ! Quelques reconnaissances, quelques estimes, mais voilà

qui est fort peu. Je ne puis donc parvenir ? ”

Il se lamentait et poursuivait encore sa tâche animé par le

besoin d’écrire, mais sans grand succès toutefois !

Et voilà ce qui attend la quasi-totalité de ceux qui

s’essaient à l’art d’écrire. Car il ne suffit pas d’avoir du génie

90


pour exister dans cette discipline, non il faut quelque chose de

bien plus important, et cela s’appelle le don de plaire. L’on peut

parfois l’assimiler à du talent.

Il permet de pénétrer, de se crédibiliser immédiatement. Il

est l’énergie monnayable, achetable comme ces bons

feuilletonistes qui ont couvert des pages et des pages de journaux

au grand bonheur de leurs directeurs.

Qu’est donc devenu cet homme jeune, âgé aujourd’hui et

sur le point de passer à trépas ? Il a connu la destinée de dizaines

de milliers de littéraires. Plein de fougue et d’entrain, animé par

l’idée du génie, le voilà vieux, grommelant dans sa barbe blanche.

Il finira poète de famille. Quelques écrits seront transmis de fils à

petit-fils pour finir oublié sous le marbre du temps.

91


De l’œuvre

“ Jusqu’où Franck Lozac’h, irez-vous dans la recherche

désespérée de cette production pléthorique ? ” Ainsi s’étonne la

plupart des personnes qui ont pu accéder à mon Oeuvre. Ils n’y

ont vu qu’une immense quantité et n’ont pu y déceler une aptitude

quelconque d’écrivain. L’on prétend que je travaille grandement,

j’écrirai plus volontiers, que chaque jour qui passe me voit noircir

quelque vingt ou trente lignes. Et c’est l’accumulation de cette

fréquence qui engendre la détermination d’une quantité

importante.

Je suis bien loin des œuvres immenses d’un Victor Hugo,

d’un Voltaire ou d’un Balzac. Et c’est encore manquer de

modestie que d’oser user de leurs noms pour se permettre une

comparaison. Je crois toutefois que le lecteur comprendra ce que

je souhaitais signifier.

“ Mon cher Franck Lozac’h, vous ressemblez à Mickey

Mouse dans l’apprenti sorcier, le dessin animé de Walt Disney sur

une musique de Paul Ducat. Vous accumulez, accumulez de la

92


quantité, et êtes débordé par votre propre abondance. Jusqu’où ira

votre folie ? ”

Tels sont à peu près les extraits des discours dont se

glose la compagnie de gens qui me critiquent. Leur analyse est

parfois judicieuse, mais elle semble ignorer que j’agis pour

accomplir une Oeuvre - a Work - en quelque sorte. Je travaille

pour ma propre personne conscient que nul lecteur n’aura la

capacité de lire tout ce que j’ai pu produire ou concevoir sur ces

quelques décennies.

Je ne suis aucun plan général, ne sachant réellement où je

vais, comparable à ce héron au long cou qui terminera son festin

avec un ridicule vermisseau, il se peut. Si je

prétends posséder un semblant d’organisation, c’est du moins

pour produire et ranger mes ouvrages par ordre de composition.

Cette petite société paraît toutefois se construire, et si je ne sais en

concevoir la finalité, certains traits de l’esquisse semblent

apparaître çà et là.

Il me semble que cette société est en marche, qu’elle

évolue, se développe par besoin, par prospérité, et commerce.

93


N’est-ce pas à moi, en vérité, de la savoir bien gouvernée ? Je

dois donc y mettre des lois et des décrets.

Voilà très sommairement, sans poursuivre une analyse

précise, ce que je puis penser de ce travail et de cette quantité.

Parviendrai-je à obtenir un ensemble cohérent où chacun pourra

s’y déplacer avec aisance, allant où bon lui semble, y découvrant

ce qui l’intéresse ?

Plaise à Dieu - ou du moins à ma raison - que cet espoir

se réalise, et que j’obtienne ce que je m’étais promis - une

représentation de qualité de ma propre personne, voilà tout.

94


De l’association poétique

Il y a ici une petite assemblée composée de littéraires de

qualité, et de personnes fort savantes exerçant dans

l’enseignement qui appartiennent à une communauté poétique,

mais qui ne sont point du tout du même avis concernant la valeur

à accorder aux uns et aux autres.

Certains se prévalent de posséder un avenir littéraire

quand la plupart ne croient ni en leur talent ni en leur génie.

Je me souviens de quelques anecdotes et réflexions

disposées çà et là dans le feu de la conversation pour tenter de

limiter l’influence grandissante de l’un des adhérents. Cette

société comparable à une mutuelle veut niveler les valeurs en

haussant les plus défavorisés et en coupant les têtes de ceux qui

sortent de l’alignement. Après tout, cette conception sociale est

fort égalitaire et sa philosophie est défendable.

Du moins tous sont d’accord pour reconnaître l’immense

qualité du poète Arthur Rimbaud. Il est devenu un Dieu et chacun

s’extasie devant sa précocité et son œuvre exceptionnelles.

95


Cela semble toutefois aller très lentement dans cette

assemblée. Certains poètes zélés dont l’œuvre tient dans deux

boîtes de chaussures, n’ont édité qu’une mince plaquette de cinq

cents vers. D’autres n’ont pas même de quoi construire un recueil.

Mais, enfin, l’ensemble spécule, certifie et jure posséder la vérité.

Car l’on parle ici de l’expérience accumulée depuis trente années

de poésie. Cela serait une preuve irréfutable de sa compétence

pour juger.

Il faut user de politesse et de courtoisie, car la

conversation ne doit employer de termes violents. L’on pourrait

se fâcher et ces messieurs étant d’une sensibilité extrême, les pots

de porcelaine ne sauraient résister.

Vous voyez quelle ambiance circule dans cette

compagnie. Tout y est courtoisie, amabilité et quantité

insignifiante. La qualité des auteurs ne pourrait pourtant être

remise en cause. Il n’y a pas de belles disputes ou de clans

franchement séparés. Si ce n’est du mépris qui détermine la valeur

que l’on accorde à autrui, c’est du moins de l’indifférence, qui est

l’anti-sentiment par excellence.

96


Cette assemblée est encore trop petite pour jouir de la

renommée de certaines consœurs, mais elle l’obtiendra sans

doute. Les adhérents y sont au nombre de deux cents, ce qui est

loin d’être ridicule.

L’on commence à lire dans cette revue les meilleures

plumes du temps passé, et l’on se plaît à imaginer que

l’immortalité de jadis côtoie déjà de superbes avenirs.

Si Charles Baudelaire renaissait, l’on peut supposer qu’il

parviendrait à se faire imprimer dans cette revue, à la condition

toutefois qu’il n’oublie pas de payer sa cotisation comme tout un

chacun, grand poète ou pas.

97


De la critique poétique

Je sais assez bien lire les poètes. Je connais les

combinaisons, les analogies, les principes symboliques. Je puis

décomposer un poème par un système de technique analytique. Je

les ai compris en les lisant longtemps. J’avoue pourtant être assez

déconcerté par un auteur inconnu. Je dois m’appliquer à le

découvrir, à l’intégrer. Ne possédant que très peu de repères le

concernant, je dois spéculer, envisager et douter. Il faut que je me

fasse pardonner ma faible aptitude à savoir discerner. Je préfère le

plus souvent m’abstenir que de prendre le risque de mépriser une

personne douée, faute de visibilité intellectuelle. Certes, je puis

m’enthousiasmer, acclamer certains auteurs, me désespérer

devant la perfection de chefs-d’œuvre. Mais ce sont toujours des

auteurs célèbres, dont la renommée a passé des décennies ou des

siècles. Quel mérite peut-on avoir d’acclamer l’œuvre de

Baudelaire ou de tomber des nues devant la pureté de Racine ?

Ainsi il me faut tout découvrir. Ma sensibilité avec son

éventail d’émotions ne s’adapte que très difficilement à de

nouvelles propositions artistiques. Je dois recommencer et tenter

de percevoir la fréquence poétique de l’autre.

98


Ce que je veux détester c’est cette sorte de suffisance

dont s’habillent les littéraires, prétendant avec un pseudo-esprit de

synthèse être parvenus en quelques secondes à détruire ou

mépriser le travail d’autrui. C’est le genre : “ Je sais que cela vaut

peu. Allez voir ailleurs, Monsieur ! ” Il y a là un manque total

d’honnêteté intellectuelle.

Le poète se trouve donc dans l’obligation de caresser, de faire le

joli coeur, d’aller chercher la considération élégante ou polie du

critique. Il lui faut parfois des années d’insistance, de civilités

pour parvenir à crédibiliser son aptitude littéraire. Quelle galère !

Et combien de difficultés pour s’entendre dire deux ou trois mots

flatteurs !

99


Comprendre les poètes

J’étudie souvent les recueils de poésie. Je les lis rarement

avec l’oeil du lecteur ; non, je les lis avec l’oeil de l’analyste. Je

décompose le vers, je compte les signes, je vérifie le rapport

voyelles/consonnes, j’observe la technique de l’harmonie

musicale, et je sais rapidement si je suis confronté à un écrivain

au courant de la plume, ou à un technicien de l’écriture.

Je puis toutefois aller outre, et me laisser emporter par

l’ivresse de l’image, ou de l’ensemble produit. Je me dis que très

rarement le texte, je préfère le murmurer, le prononcer à voix

basse, et accomplir un effort de mastication. Car il y a plaisir

buccal à prononcer un vers, et l’on peut en cela le comparer au

plaisir de mâcher du vin.

“ Le poème est fait pour être dit ”, répète-t-on. Je

douterais aisément de cette vérité, sachant pertinemment qu’une

avalanche de structures, d’images complexes, de retours sonores

ne peut être assimilée par une bonne intelligence. Trop d’éléments

s’opposent ou réagissent par interférence, et ne facilitent en rien la

compréhension de l’endroit.

100


Quel plaisir peut-on éprouver à écouter un orateur ? Que

demande la conscience pour être bien charmée ?

Elle désire bien entendre ce que la voix propose. Je

prétends que l’on reçoit une grande satisfaction à écouter des

textes ou des poèmes que l’on connaît déjà. L’intelligence s’arrête

alors sur d’autres considérations que la seule compréhension du

texte. L’esprit ne se limite pas à la transformation cérébrale pour

intégrer des mots. Non, il possède déjà le contenu du message.

Alors l’oreille se fait plus experte, elle apprécie le rythme,

l’intonation, et la hauteur.

Il faut dire que l’une des caractéristiques du produit

poétique c’est d’être capable de répondre à grand nombre de

considérations : un poème est multiréférentiel. Comment alors

qu’il possède cette propriété, prétendre qu’un auditeur quelconque

peut recevoir du plaisir lors de son écoute ? L’encombrement des

raisons brouille sa lucidité intellectuelle.

Mais que faire ? Dire le texte sur enregistrement avec

musique et bruitage, dire le texte avec de grandes respirations et

de nombreux silences, et proposer à l’éventuel auditeur la

possibilité de suivre le poème avec un support écrit.

101


Poésie, rigueur et liberté

La poésie ne repose sur aucune connaissance

systématique, elle ne peut donc être assimilée à une sorte de

science quand bien même elle serait régie par des lois strictes de

rythmiques, d’accents et de chiffres. La poésie libre, celle qui est

au courant de la plume a décidé d’abolir les derniers diktats de

l’harmonie musicale, du compte de signes et de syllabes. Nous

voilà donc confrontés à un espace exceptionnel de liberté où tout

peut être dit, où rien n’est interdit.

La poésie épouse une forme qui pourrait s’apparenter à

une conception individuelle d’interpréter un contenu. Les écrits

poétiques n’embrassent que des secteurs isolés de son vaste

éventail. De nombreuses sensibilités cohabitent, sont parfois

contradictoires, ou en opposition farouche. Il y a donc sections,

classes, écoles et s’il n’est pas possible d’embrasser l’ensemble

des techniques offertes, les plus grands spécialistes ont une vaste

palette d’émotions et de sentiments mis à leur disposition. Aucun

poète ne pourra renfermer en lui-même l’ensemble des procédés

ou des techniques qui découlent des différentes écoles. Il est

ridicule d’exiger d’un sprinter de 100 mètres plat de concourir sur

102


un Marathon ou sur une distance de demi-fond. Il est ridicule de

prétendre qu’un sonnettiste parviendra à proposer des

développements de plusieurs milliers d’alexandrins. Charles

Baudelaire en ce sens s’oppose de manière significative à Victor

Hugo. Quand l’un produit trois à quatre mille vers sur toute sa

carrière, l’autre impose plus de deux cent mille alexandrins, et

exploite à merveille des procédés de développement où son génie

abonde.

103


Le choix de la jeunesse

Il est peu de temps où des circonstances semblent

favorables au milieu desquelles la poésie peut espérer attirer la

curiosité du public et se voir estimer de la même estime que celle

d’autrefois. Là voilà encore retournée belle femme muette et

silencieuse au mépris que l’on éprouve la concernant. Les intérêts

de notre temps, le développement des sciences et des

technologies, les obligations mesquines de notre réalité ont

absorbé tous les instants de puissance que possédait l’esprit, toute

l’énergie et les divertissements octroyés à chaque humain. Ainsi

la vie intérieure se nourrit d’une autre forme de culture plus axée

sur l’image à recevoir que sur l’image à fabriquer avec des signes.

L’esprit se contente d’une certaine forme de réalité, et soutenue

par le concours d’autrui l’intelligence n’a plus besoin de jouir par

elle-même pour éprouver de la satisfaction. Elle se contente de

gérer, de sélectionner le flot d’images que l’on met à sa

disposition. On est loin de penser que le temps est enfin arrivé où

le royaume de l’imaginaire instaurera à nouveau sa suprématie.

Notre jeunesse a déjà manifesté son choix, et semble

irrésistiblement attirée par l’image offerte. Mais son choix est

peut-être plus judicieux qu’on ne le pense, car si elle exploite un

104


support imagé déjà proposé, il lui faudra utiliser toute son

intelligence et sa pensée pour remplir ces coquilles de

programmes vides.

Elle devra du moins faire preuve d’une forte vie

spirituelle qui est l’élément fondamental de son existence. Il lui

faudra aussi savoir lutter pour s’imposer une indépendance et une

capacité libre de penser. Elle ne doit pas se soumettre, mais bien

dominer l’effrayante puissance que peut représenter la machine.

Tout dépendra encore de sa capacité autonome d’esprit, de son

énergie intérieure mise au service de sa propre personnalité.

Quelle place accordera cette génération au produit

poétique ? Ne le méprisera-t-elle pas comme une vulgaire

discipline d’hier, dépassée, à oublier ? Le poète ne sera-t-il pas

rangé au patrimoine artistique comme le maréchal-ferrant et le

sabotier, le sont au musée de l’artisanat ?

C’est pourtant dans ces immenses entreprises de l’esprit

que la pensée s’élève pour accéder à une dignité, qui l’éloigne du

vulgaire et de l’insignifiant pour s’emporter dans des espaces où

s’épanouit la grandeur de l’homme.

105


I

L’inspiration apparaît aussi comme un immense

réservoir de mots qui s’associent, se combinent et se multiplient.

Il y a donc interférence, - indispensable nécessité d’union, de

frottements, de refus, d’accouplements. Voilà ! Il y a acte

physique entre les mots qui doivent former un bel accord, comme

deux êtres forment un beau couple.

L’impulsion, l’élan vital de l’inspiré est passé par là. Il

fallait bien qu’il eût ce que l’on peut appeler “ Énergie ” pour

favoriser cet accouplement. C’est vrai, de nombreux obstacles,

des retards, des blocages ont constamment tenté de condamner ce

droit à l’orgasme littéraire. Le plus virulent est certainement

l’interdit du critique, qui est un gendarme redoutable, doutant de

tout, et réglant la circulation du flux sans réellement connaître les

règles du déplacement. La conscience du poète le pousse le plus

souvent vers une impasse : pourquoi produire cela ? Quel intérêt y

a-t-il à caramboler de cette sorte ? Le raisonnement de la critique

virulente provoque en lui une volonté de refus, je dirai - de

stérilité.

106


II

La poésie nous introduit dans le monde de l’imaginaire.

Elle nous montre la relation de non-vie entre un mot, masse inerte

ou objet instrumental et un autre mot, qui associés formeront un

bel accord, ou une combinaison criarde. Tout dépendra de

l’analyse auditive du poète ou de sa volonté à obtenir l’effet

recherché. Il suffit d’écouter sa conscience, et de décider d’après

le choix arrêté. Parfois c’est une liberté absolue qui dicte la

marche à suivre. Le poète devient joueur de jazz, à l’inspiration

vagabonde au plan indéterminé. C’est juste une question de

feeling. L’exercice de poésie dite libre s’apparente assez

sensiblement à ce type de travail. L’auteur subit, ou voltige

papillon hoqueteux, de fleur en fleur, ou pour reprendre l’exemple

du pianiste, d’accords en accords, de combinaisons en

combinaisons. Mais la comparaison cesse là. Car le poète, à sa

table, possède ce que l’on appelle des blancs. Ce sont des laps de

temps d’une certaine durée qui vont de quelques secondes à deux

ou trois heures...

107


Les moments de blancs sont remplis de façon diverse :

lecture, doute, refus, activités autres, dessin, que sais-je encore !

Je veux dire par là que le poète travaille sans continuité à l’instar

du musicien de bar ou du jazzman qui par le son engendre le son.

III

La poésie doit le plus souvent abandonner cette

conscience de critique si elle veut poursuivre le chemin de

l’écriture. Un écrivain foudroyant tue tous les mots qui passent

devant son regard. Il devient le destructeur du soi-même, et sa

tendance le poussera à la stérilité.

Il y a en tout poète un étrange mélangeur d’intelligence,

d’intuition et de critique. Pourtant ne peut-on pas considérer qu’il

y a une sorte d’incompatibilité dans la gestion de ces différents

paramètres ? Un poète bien fait semble pouvoir maîtriser ces

divers états de l’activité consciente, et en exploiter pleinement

leur synergie. Il y a d’ailleurs des variables de densité entre ces

différents ingrédients qui réclament des dosages entre l’instinct et

l’intelligence. Là est une part du travail de sublimation dans la

108


structure mentale du poète. Une gymnastique de l’entraînement

peut produire un développement de telle fonction au détriment de

telle autre. Il est difficile de prétendre savoir quelle partie de soimême

est la plus apte à exploiter ou à maîtriser. Il semble acquis

que la seule conscience du poète peut lui permettre de savoir. Estce

une lumière intérieure plus ou moins intense, faible ou

éblouissante qui éclaire la conscience de son manque de lucidité ?

La critique a besoin de beaucoup d’intelligence.

109


La poésie

La poésie, qui a enrichi les âmes supérieures a contribué

à les instruire, et cette instruction a fortifié leur intelligence ; de

là, vient une vérité que ceux qui nous dominent et nous dirigent

ont intégré des valeurs élevées en science et en lettres.

C’est la poésie qui est le support incontournable de

l’imaginaire, et qui fait des poètes des hommes en décalage avec

leurs confrères. Ils ont le plus souvent une poétique possédant un

siècle d’avance sur les autres disciplines. La postérité s’est trop

bien rendre des comptes à ses illustres esprits et leur offre des

hommages et des carrières le plus souvent posthumes.

Comment se fait-il que des poètes obscurs et méprisés

incompris de tous, à l’allure pataude, au gueuloir exorbitant

deviennent par leur puissance d’évocation, par la maîtrise de leur

langue et de leur technique, des références incontournables et

immortelles dont on s’inspire encore trois siècles après leur décès ?

Quand des écrivains lecteurs de Grandes Maisons

d’Éditions Prix Nobel de littérature, ou futurs académiciens

110


festonnaient en tête et se prévalaient de mépriser des Stéphane

Mallarmé ou des Paul Verlaine, quand des directeurs de revues ou

de collections rejetaient avec dédain des œuvres de Paul Claudel

ou de Paul Valéry, ces derniers eurent recours à leurs propres

confrères qui comprirent aisément le degré de leur valeur.

Certains auraient pu dire : “ Maîtres, n’ayez crainte. Nous avons

considéré la valeur de vos œuvres. Nous saurons faire fructifier

vos images immortelles, votre postérité déjà est assurée. ”

Tout cela peut rendre ridicule les structures littéraires

actuelles si l’on ose comparer le bouquet des écrivains de la

postérité avec les lamentables collections dont se prévalent et dont

s’enorgueillissent des présidents de groupes.

C’est pourquoi de très grands poètes ne dédaignent pas

de travailler dans des revues que l’on ose parfois rejeter,

considérant avec dédain le faible tirage qu’elles engendrent.

Tandis que des André Gide et des Paul Valéry se

formaient pour accéder à la carrière que nous leur connaissons, ils

n’hésitaient pas à proposer leurs œuvres dans une revue

aujourd’hui oubliée de tous, - La jeune conque.

111


Et cette coutume est loin de passer, si l’on en juge par les

centaines de feuillets imprimés qui fleurissent ici et là dans nos

régions et départements. Pourtant à Paris, tout semble impossible,

- la plus infime édition nécessite mille ans d’amitiés auprès des

uns et des autres. Et encore, cela paraît faveur de vous donner le

droit d’imprimer quelques endroits de votre personne...

Dans cette Capitale, rien qui n’engendre l’argent ne

saurait être utile. Il faut se hâter de proposer une biographie sous

un chanteur ou un ouvrage de politique, si l’on veut voir son nom

figurer sur un livre. Le littéraire entend parler de soi avec mépris,

il est assez sot pour cacher sa production poétique de crainte de

subir des lazzis.

J’ignore pourtant lequel est le plus utile à la postérité. Ou

un torche-cul qui fera quelque dix mille francs de droits d’auteur,

ou un poète immortel qui saura instruire des générations de têtes

blondes et contribuera ainsi à l’éducation de notre pays.

112


Stylistique en prose et stylistique poétique

La stylistique en prose permet de recevoir l’objet à

transformer de manière réelle, sans nécessité aucune

d’adaptabilité de la capacité intellectuelle à la proposition offerte.

L’entendement est direct, et la cause suit l’effet. Il y a pourtant

une substitution d’éléments écrits en images à produire. Le roman

en est une parfaite illustration. D’ailleurs, s’il y avait une étude

réelle du psychisme qui transforme les caractères écrits, l’on

observerait des différences et des écarts considérables dans la

mutation de l’expression écrite. Pourtant les types d’individus qui

lisent le roman parviennent à se mettre d’accord sur l’extériorité

du produit et sa finitude interne. L’intelligence est collective, et

reçoit grosso modo le même message. La capacité particulière ne

se différencie que très peu de la conscience collective, le contenu

étant unique quoique possédant des ramifications et des détails

spécifiques. Il y aura selon les individus plus ou moins d’aptitude

à tout recevoir ou à recevoir une grande partie de la proposition

écrite. L’ensemble des lecteurs peut donc se prévaloir de s’être

mis d’accord sur le message reçu.

113


Il faut bien que cette conscience soit ordinaire,

satisfaisante à l’ensemble, sinon elle ne pourrait pas être assimilée

par la grande majorité. Ce qui lui arrive a peu de chances d’être

singulier ou de s’habiller de solutions rares. Il n’y a pas résistance

à l’entendement.

Qu’en est-il réellement de la stylistique poétique ? La

pensée poétique construit son système de valeur sans exploiter la

rationalité du langage et en faisant varier la signification des

choses. Elle devient alors inutilisable pour l’immense majorité des

lecteurs qui exigent de leur conscience une application de la

réalité, du moins d’une certaine réalité. Aussi la compréhension

d’un univers construit sur du délétère, aux lois variables, aux

signifiants dénaturés de leur réel contenu engendre un refus

catégorique de la plupart des lecteurs. Cette juxtaposition

d’éléments indépendants fabrique, il est vrai, une vitalité créative

et inventive, mais peut sembler totalement inadaptée à un esprit

authentique. Pour l’esprit à la pensée profonde, la vie extérieure

revêt une apparence d’intérêt moindre. L’épanouissement de

l’âme peut s’accomplir en employant l’imagerie poétique.

114


Cet espace de variantes, d’associations délétères est le

royaume de l’aptitude spéculative qui combine, additionne de

l’invraisemblable pour obtenir du possible. Ce ne sont pas des

défauts de l’entendement qui engendrent cette aptitude à varier, à

déplacer le sens commun, - cela découle de la vitalité de

l’intelligence à concevoir autrement ce que l’ensemble ne voit que

d’une seule manière. Ceci est donc un privilège,... inutile hélas, et

le plus souvent rejeté de l’ensemble. Il s’agit encore de capter la

forme de la réalité pour la transformer en principe idéalisé et

supérieur. La stylistique poétique veut donc élever l’entendement,

mais elle ne peut prétendre épouser la perception exacte de la

vérité. Elle ne saurait être une conciliation du vrai et de

l’imaginaire, quoi que parfois son assise se manifeste dans la

réalité du quotidien.

115


De la critique de soi

Qui peut se prévaloir d’avoir obtenu un résultat digne de

sa compétence, qui peut ? On est rarement soi-même, on travaille

en dessous. Il y a une constance de déception, une vérité critique à

l’intérieur de soi qui murmure : “ Tu étais capable d’accéder à

quelque chose de bien meilleur. Regarde, observe où tu en es à

présent ! Le temps, ton ennemi, aura bien su te ronger et te

détruire lentement. ” Pourtant l’analyse se veut impartiale. Elle ne

recherche pas à distribuer des éloges, ou à rosser à coups de

trique.

Quand on a la certitude d’avoir accompli correctement sa

tâche, l’on peut encore se dire : “ Oui, j’aurais pu toutefois ajouter

ceci, j’avais la potentialité pour trouver cela, hélas, le temps m’a

détruit. ” Il est pénible de se déplaire, mais il est détestable de

faire preuve d’une avidité maladive.

Certains hommes toutefois recherchent des caresses et

des flatteries. Les littéraires sont des gens de politesse et de

courtoisie, toujours enclins à obtenir quelque faveur. Mais tout est

gratuité, et cela ne coûte rien de s’entendre dire : “ Monsieur,

116


vous êtes un grand poète ”, ou encore “ Ce jeune artiste a un bel

avenir. ” Certains rétorqueront que la belle critique est agréable à

l’oreille, et peut engendrer un vif élan d’actions. Il est pourtant

plus puissant de se nourrir de soi-même et d’extirper de sa propre

négation de l’énergie et de la volonté de gains.

D’ailleurs l’outil de mesure qu’emploie autrui est

rarement le vôtre. Il détermine votre suffisance en fonction de sa

propre aptitude à agir. Ainsi des poètes peu féconds condamnent

votre opulence et votre générosité. Et ceci vous porte encore

préjudice. L’on appelle excès ce qui fait votre force, et votre

abondance se transforme en obésité.

Il faut parfois penser en égoïste car ce n’est pas toujours

mal pensé. Faut-il être aux yeux d’autrui ? Faut-il que l’autre se

pose en tant que juge ? Je ne saurais condamner l’acuité critique,

cette sorte de lucidité qui fait souvent défaut à l’homme qui ne

peut être et se voir sous toutes ses dimensions. Je conseillerai

toutefois de se fier à son propre sérieux, qui est le plus souvent un

superbe ange gardien. Certains appellent cette sorte d’allégorie, la

conscience, tout simplement.

117


Fragment sur la poésie

Rester en soi, au plus profond de son aptitude, et ne

jamais faire sortir l’activité de son génie, même dans une société

limitée à quelques initiés, voilà l’une des caractéristiques de ce

genre particulier qu’est la poésie. Cette création libre, hors de

toute contrainte sociale ou de règles établies ne peut s’épanouir

dans une situation extérieure.

L’homme et le poète, deux personnes en une seule,

capable de se dédoubler, d’échapper à la préoccupation pratique

peuvent donc penser ou concevoir par l’observation du monde

extérieur ou par l’activité créatrice interne. Son aptitude directrice

qui le pousse à écrire lui offre un immense sentiment de liberté

mêlée à une vérité autarcique et personnelle. Il n’est donc pas

affranchi de toute nécessité matérielle, mais il lui faut trouver des

espaces temporels de liberté durant lesquels il pourra développer

son aptitude inventive.

Difficile de prétendre connaître la courbe évolutive de

l’intelligence poétique, et certifier que telle période de l’existence

est plus favorable que telle autre pour obtenir une production de

118


qualité. La raison voudrait que la période de jeunesse associée à la

maîtrise de la bouillonnante activité offrît les meilleures

conditions pour l’écriture. Mais cette vérité peut être objectée par

grand nombre d’autres considérations. Si la vieillesse est

dépourvue d’intuition et d’énergie, elle possède du moins la

maturité et l’expérience lui permettant d’avancer à pas assurés

dans l’élaboration de son œuvre. Et l’on peut songer à l’admirable

poème conçu par le vieil Homère, ou relire des œuvres de Goethe

obtenues à l’apogée de sa vie.

119


Blocage de la transmission poétique

La poésie a perdu son caractère initial qui est de

fabriquer des images. Elle ne peut plus rivaliser avec les nouvelles

formes des techniques modernes, qui elles sans difficulté aucune

offrent à l’intelligence la certitude d’une évasion à moindre effort.

L’association audacieuse, au-delà du réel, du possible ou de

l’imaginable pénalise et interdit à la capacité poétique de

l’amateur de pénétrer le plus souvent le monde créé par l’auteur.

Il y a une sorte de barrage, de blocage, et le texte donné reste

hermétique, en quelque sorte inaccessible. Il ne peut donc y avoir

plaisir immédiat ni plaisir retardé, car la dialectique proposée

interdit toute communication entre le poète et l’amateur. Elle n’a

plus aucune vérité, pas même onirique. Son essence abstraite ne

saurait être transmise et comprise. Elle a une apparence de

fausseté, de mensonge et d’invraisemblance. Le public lui préfère

d’autres modes d’expression. Ce n’est pas seulement au niveau de

la lecture que s’opère le blocage. Il serait identique dans le parlé,

dans le transmis à l’oreille : l’intelligence ne saurait convertir des

solutions d’images en images émotives pour l’esprit.

120


Morceau

Difficile de prétendre savoir quel est le but de la poésie.

Certains assurent que la poésie n’a pour but qu’elle-même, et ceci

est pensée de parnassien. D’autres qu’elle doit charmer, élever ou

instruire. Qui a raison ? Qui peut se prévaloir d’en tirer son

essence réelle ?

Il est plus délicat de lui conférer une existence pratique,

utile à l’ensemble. Elle nourrit l’élite, instruit l’esprit supérieur.

L’homme, au for de lui-même, cherche à purifier sa pensée, et

l’expression poétique lui offre un instrument parfait de

sanctification. L’association de vocables employée veut atteindre

une hauteur et son mode d’expression se distingue de tout autre.

121


CHAPITRE CINQUIÈME

122


De Dieu

De Dieu, de l’intelligence de coeur

Je ne sais plus quel homme stupide a osé dire que Dieu

n’existait pas, comme si c’était une raison d’être aveugle aux pays

des voyants ; comme s’il fallait se crever les pupilles pour se

prétendre libre de penser ! Cette liberté-là ne permet pas de

marcher, mais d’avancer en tâtonnant pour tomber dans le

précipice. S’il faut croire en Dieu, ce n’est certes pas avec

prudence, mais avec toute la puissance de conviction qui est en

soi. Il n’y a pas deux juges, il n’y en a qu’un, et c’est Dieu. Quant

à l’homme, s’il se prévaut de pouvoir choisir, il ignore qu’une

immense programmation a déjà balisé son chemin. Tout ce que

nous accomplissons a été pensé, pré-imaginé - nous ne sommes

que la confirmation d’une phénoménale loi planifiée dans les

moindres détails.

Quand un homme construit un pont, érige un mur, il

accomplit un nombre considérable d’études et de vérifications. Il

connaît avec exactitude le coût du chantier, le but à atteindre, la

finalité escomptée, - et l’on voudrait que la sagesse divine

123


n’atteigne pas le bout du nez de la compétence humaine ! Comme

cela paraît ridicule, et semble mépriser la capacité d’un être doué

d’une gigantesque compétence !

Qui donc peut juger et considérer Dieu ? Peut-on juger

Dieu et prétendre savoir ce qu’il fallait faire ? Le pot dit-il au

potier, - je vaux plus que toi ? La prudence est de craindre les

grands. C’est sagesse d’homme et d’animal. Craindre, c’est se

protéger de toutes les embûches et de toutes les erreurs. La

témérité mène tout droit au tombeau. L’acte de bravoure est

orgueil de soldat. Mais le soldat perd sa vie pour trois fois rien, le

plus souvent.

Mais Dieu est-il peut-être l’objet de sentiments opposés,

de conceptions critiquables car encore incomprises ? Je sais Dieu,

et je vois tant d’hommes souffrir, tant de femmes et d’enfants

vivre dans des conditions détestables, que j’en suis à condamner

ces existences de misère, sans parler de ces immenses guerres et

du génocide du peuple élu. Il n’est guère d’homme dont la

conscience ne se révolte contre ces abominations.

L’homme de religion, à cet égard, doit faire preuve d’une

formidable acceptation : glorifier une puissance sans en

124


comprendre les desseins fondamentaux. Il faut donc parvenir à

servir sans connaître réellement le sens de son travail. À travers la

lecture des livres sacrés, la pensée prétend se consolider, savoir et

déduire. Mais le plus souvent elle emprunte une voie qui la mène

vers une interprétation douteuse ou erronée. Parfois des fantaisies

enfantines suffisent à engendrer des comportements dans le culte

divin. La théologie prétend posséder la vérité avec ces exégèses,

ces savants qui ne sont que des hommes s’essayant encore au jeu

de l’interprétation. Mon Dieu, que ces hommes prennent des

risques ! Même doté de la lumière du Saint-Esprit, je prétends

qu’il est toutefois difficile de ne pas commettre d’énormes

bévues.

Ce monde dans lequel nous vivons, n’a jamais été

véritablement compris. Les plus grands physiciens, tous les deux

siècles nous apportent une loi fondamentale nouvelle. Nous

sommes fascinés par le travail de la nature et n’en connaissons

que fort mal les mécanismes. Ce spectacle nous émerveille, mais

nous sommes incapables d’en découvrir l’essence. Pourtant nous

nous targuons en exploitant des livres difficiles non seulement de

spéculer sur l’au-delà, mais d’en connaître les structures.

125


Voilà qui est audacieux ! Certains, fanatiques, exploitent

des pseudo-vérités pour torturer ou soumettre leurs congénères !

Jusqu’où n’ira pas la folie de l’homme ! Mais cela a déjà été écrit

par d’autres que moi-même, avec une qualité de style plus

brillante, à n’en pas douter.

Pourtant il faut croire aux miracles. Cela confère à notre

esprit un espoir d’avenir après la mort. Et cette sécurité pour l’audelà

augmente le plaisir de nos sens par la jouissance qu’il

procure. Ainsi la nature nous semble favorable et pleinement

satisfaisante. Les bienfaits de l’homme n’ont pas d’avenir. C’est

peut-être de l’intelligence d’anticipation que de se projeter vers le

futur en méprisant le quotidien.

Et l’on voit peu l’intérêt de la femme dans ce cas de

spéculation. S’il est vrai que l’amitié disparaît, que les êtres chers

s’éloignent les uns des autres, que les enfants s’en vont ailleurs,

plus loin, - le système de valeurs et l’amour qui en découle paraît

bien incertain. On s’en retourne encore à une situation égoïste où

la seule Force à glorifier est celle de Dieu.

Les épouses du Christ l’ont compris, elles qui délaissent

leur mission de femme, pour s’unir à un Dieu, éternellement.

126


Elles ont certainement pressenti cette nécessaire union entre les

éléments de la nature et leur créateur. Il s’agirait en quelque sorte

de l’unification de l’esprit de Dieu à travers l’univers. Un

immense message de communication et de fraternité entre les

êtres et les choses visibles et invisibles de l’espace.

Il est toutefois difficile de déterminer le degré de parenté

entre toutes les formes de vie et d’esprit dans la nature. La

communion pourtant pourrait être parfaite à l’image d’une société

où chaque élément est une partie intégrante et indispensable à

autrui.

Ainsi renaît l’espérance d’une immense osmose entre tous

les êtres vivants visibles ou non, du présent et de l’avenir. Il faut,

je le reconnais, faire toutefois preuve d’une grande foi et

interpréter d’une certaine manière les choses de la nature pour

raisonner de la sorte.

La finalité de cette douteuse démonstration est encore de

convaincre l’homme d’aimer l’homme, - je dis aimer avec

sincérité et non pas avec la crainte du châtiment divin, malgré les

excès et les désordres, les passions dont toute société se sait ivre.

127


Ceux qui parviennent à aimer leurs ennemis vont au-delà de ce

qui provoque la répulsion et le dégoût. Ils sont pleinement dans le

coeur de Jésus-Christ. Cela dépasse la charité. La pensée

théologique a rarement imposé à ses adeptes d’atteindre ce degré

de perfection. C’est pourquoi cette conception de l’amour semble

la plus belle. Elle est plus grande que la charité, elle est

l’intelligence du coeur, et peu se prévalent d’en être pourvu.

Pourtant toutes ces spéculations audacieuses sur Dieu,

sur la foi, l’espérance et la charité ne sont-elles pas de fausses

lumières qui tentent d’éclairer ici et là mais ne dirigent que vers

l’ombre, en vérité ?

128


De la grandeur du Saint-Esprit

Les spécialistes de la religion chrétienne n’ont guère pu

traiter de la vérité de l’Esprit de Dieu, n’ayant à leur disposition

qu’une quantité infiniment ridicule d’informations concernant ce

sujet. Le Talmud des Juifs associe le Saint-Esprit à la Chekina,

qui serait la présence de Dieu à côté de Dieu. Lorsque Dieu au

commencement de la Bible écrit : “ Faisons un homme à notre

image. ” Il semble s’adresser à la communauté d’Anges qui forme

sa cour, mais en y réfléchissant de plus près, on peut y déceler

dans ce Faisons deux personnalités distinctes et pourtant

identiques, une sorte de dédoublement de soi-même, qui pourrait

indiquer la représentation du Saint Esprit à côté du Père. Cette

grandeur d’âme, cette sorte de supra conscience à côté du Père

étant juge de tout, semble au-dessus de tout. Il aurait la capacité

de mesurer avec exactitude la valeur des choses, sans indulgence

mais sans sévérité, avec la raison parfaite de la pure intelligence.

Cette supra conscience de Dieu semble moins active que le Père -

car s’il n’est pas le créateur de toutes choses, il en est la critique,

l’observation et la parfaite analyse.

129


J’y vois aussi une immense humilité, une volonté de

retrait et de discrétion que l’on ne trouve ni chez le Père ni chez le

Fils. Sur les tables de la Loi remises à Moïse, le Père indique

clairement qu’il interdit toute représentation de sa propre

personne. Le Fils suivant l’exemple du Père aurait dû interdire

l’imitation de son image. Or, il n’est pas un village reculé, une

infime place d’un hameau, où l’on ne voit l’image crucifiée du

Fils. Le Père lui-même s’étale dans de nombreux musées, tandis

que personne ne semble l’avoir vu, et donc n’en peut prétendre la

reproduction. Il en va tout autrement du Saint-Esprit. On ne peut

l’identifier qu’à une colombe et là est son unique gloire ! Il est à

supposer qu’un Dieu vaut plus qu’un volatile.

On ne peut non plus prétendre connaître le timbre de sa

voix. Il est aisé d’imaginer le langage employé par le Christ -

c’était l’Araméen. Il est plus audacieux de soupçonner connaître

la voix du Père. On l’associe à la colère, à la violence, au feu, au

volcan, au chant délicat de la source. On peut supposer que le

Père exploite un autre mode d’expression non pas imitant le

langage des hommes, mais adapté à sa spécificité divine.

Que savons-nous réellement de l’Esprit de Dieu ? Il

appartient à la Trinité. Jésus-Christ en venant sur terre a dit : “ Il

130


n’est pas UN, mais nous sommes TROIS. ” Il est donc élément

intégrant la famille divine. Dieu de lumière, Dieu de gloire,

constitué des mêmes éléments que le Père, c’est une Force qui a

participé à la construction de l’espace. On peut donc dire qu’il est

le Frère de Dieu, le frère spirituel, ou le grand frère. Le paradoxe

de sa grandeur est d’obéir à la pensée du Fils. On peut lire (Jean

16,7) :

“ Pourtant je vous dis la vérité :

il vaut mieux pour vous que je parte ;

car si je ne pars pas,

Le Paraclet ne viendra pas à vous ;

mais si je pars,

je vous l’enverrai. ”

131


Le Parfait

Dieu est donc la représentation du parfait. Il s’agit de le

considérer petit de taille, et immense dans sa réalisation. Il faut

aussi l’imaginer en un lieu qui pourrait s’apparenter au Saint

Sanctuaire, et tenter de supposer son rapport avec les choses

visibles et invisibles qu’Il prétend dominer. Il faudrait aussi tenter

de comprendre quel est son rapport mécanique ou actif avec les

objets qui l’entourent. Encore est-il nécessaire de prétendre qu’il

habite le même espace-temps que les objets qu’il a produits. Et

voilà la grande difficulté à laquelle est soumis tout spéculateur. Il

suppose d’après des éléments aléatoires mis à sa disposition. S’il

construit sur une théorie de l’erreur, il ne s’en doute pas et ne veut

en démentir. S’il travaille avec l’outil biblique, il jugera en la

vérité des Saintes Écritures. Alors que faire ?

Dieu est lumière, et tous s’accordent sur ce point. La

lumière serait donc un principe d’intelligence, de vie et

d’immortalité. Cette énergie-là conférerait des propriétés qui

engendreraient du pouvoir.

132


Dieu n’est pas toujours dans l’âme ou dans le coeur, car

il existe autant d’hommes à ne rien croire que d’hommes à croire

en quelque chose. Si tous considèrent qu’il y a une organisation à

l’échelle de la nature, quand certains y voient la preuve de Dieu,

d’autres n’y décèlent qu’un élan vital biologique.

133


Le mystique

Le mystique est un homme de raison, qui a pu juger par

ses sens et accéder à une expérience paranormale unique,

rarissime dans son fait et difficilement renouvelable. Et c’est la

rareté de son expérience qui engendre chez autrui le doute

concernant la véracité de ce fait.

Imaginons un papou indigène, ignorant tout de la

civilisation occidentale, - s’il aperçoit un objet volant tel un avion

de transport, s’il observe attentivement le déplacement de cet

objet, il ne pourra prétendre avoir été berné par la qualité de ses

sens. De retour dans son village, s’il raconte son histoire, il peut

ne pas être cru par le reste de la communauté, qui ne verra en lui

qu’un sinistre fabulateur en proie à l’ivresse de quelques

champignons hallucinogènes.

Le mystique est donc un homme qui a une expérience

exceptionnelle avec l’inconnu, avec l’inexplicable. Il entend des

voix, assiste à des manifestations quasi-divines et choisit le plus

souvent de conserver le silence plutôt que de se savoir la risée de

ses contemporains. Il en arrive même à taire à ses supérieurs le

134


phénomène fantastique qu’il a éprouvé. Le silence, la certitude de

Dieu en son for intérieur lui semblent plus raisonnables : il craint

parfois que l’interprétation de son expérience ne soit jugée

comme étant une volonté délibérée de surestimer sa “ valeur

humaine réelle. ” Car c’est bien se grandir que de prétendre

communier avec la Vierge, avec un Dieu ou avec le Christ. Le

voilà dans son immense solitude, enrichi d’une expérience

phénoménale, qui grandit sa foi, mais le marginalise dans la

communauté.

Je ne suis pas loin de penser que nombre de sœurs qui

ont épousé Jésus-Christ, de prêtres qui ont fait vœu d’abstinence,

ont quelque part eu un rendez-vous pour un immense témoignage

avec un principe de l’Au-delà. Mais l’humilité de leur coeur a

préféré ne rien dévoiler, ne rien divulguer, n’imitant pas en cela

un simple racontar de secrets.

Car il s’agit d’un secret qui veut certifier la vérité d’une

vie après la mort, d’une existence hors de l’enveloppe charnelle,

là où règne l’Esprit. Nous descendons à présent dans le commun

des mortels. Grand nombre de personnes, fort raisonnables,

pourvues de bon sens populaire, ont éprouvé lors d’un décès la

certitude perceptible de phénomènes paranormaux tels la présence

135


à leurs côtés du proche disparu. L’analyse médicale prétend que

tout cela découle du travail du décès, qui ne s’appuie sur aucune

explication rationnelle.

Je prétends que c’est par cet endroit que l’on pénétrera le

mystère d’une possible survie après la mort. La religion a suscité

autant de vocations qu’elle a fabriquées d’incrédules.

Le mystique dit : “ Je crois parce que j’ai vu, parce que

je sais. ” Le prêtre dit : “ Croyez car cela est écrit dans la Bible. ”

Pascal dit : “ Pariez pour Dieu, vous n’avez rien à perdre. ”

L’homme de science demain dira peut-être : “ Vous pouvez croire

en Dieu, car il y a une forme de vie après la mort. ”

136


Révélations sur l’au-delà

Il faut ici considérer la détermination divine avec un oeil

rationnel, sans aucune concession pour la religion. Il la faut donc

voir avec la certitude et la logique des moyens dont nous

disposons.

Jetons tout d’abord à la poubelle de la facilité la

croyance sans la preuve, la croyance du coeur ou de l’enfant. Je

ne dispute point sur sa beauté ni sur son fondement réel, mais je

l’exclus car s’il est preuve en soi, il ne saurait être vérité

universelle.

Les hommes de religion m’accorderont le droit pour le

développement de ce raisonnement, quand bien même il nierait

dans un premier temps l’existence du Fils et du Père, d’exploiter

cette manœuvre fort utile dans les démonstrations mathématiques.

J’ai détenu entre mes mains, voilà déjà presque vingt

ans, un livre fort lumineux, traduit de l’américain et qui

maintenant est accessible pur les petites bourses en collection bon

marché. Le titre de l’ouvrage : “ La vie après la vie. ”

137


Je dois reconnaître que durant ma période d’adolescence,

j’étais curieux des choses inconnues et paranormales. Je

m’intéressais à la parapsychologie, au déplacement d’objet à

distance, à la transmission télépathique et autres étonnements.

J’avais lu des endroits extraits d’une revue, et la publicité ayant

fait preuve d’efficacité, je décidai de commander le livre.

Dans les années soixante-dix, soixante-quinze, aux

États-Unis, d’énormes progrès avaient été réalisés dans la

réanimation des patients. Il était déjà possible à cette époque de

ramener à la conscience des individus en situation de comas

dépassés. Un médecin plus attentif que les autres avait remarqué

que d’étranges témoignages qui se recoupaient, offraient des

similitudes de détails et d’explications concernant des histoires

abracadabrantes.

La plupart de ces patients prétendaient être sortis hors de

leur corps physique, avoir entendu des voix les appelant, des voix

de l’au-delà ou de proches disparus, s’être engouffrés dans une

sorte de tunnel, et pour certains même avoir pu accéder à une

source de lumière qu’ils identifiaient à Dieu ou au Christ.

138


Il est évident que cela peut surprendre, et l’on prétend le

plus souvent que ces états hypnotiques engendrent par le travail

du cerveau des hallucinations bien connues. Mais les témoignages

étaient concordants et l’hallucination si elle se nourrit de la

mémoire de l’esprit, donc possède une valeur individuelle précise,

ne peut revêtir un habillage collectif.

Ce docteur a donc entrepris une enquête et n’a pas hésité

à questionner certaines personnes qui n’osaient, de crainte de

passer pour ridicules, de dévoiler leur témoignage. La recherche

ne faisait que confirmer ce qui déjà avait été dit.

Je n’ose croire que ce montage ne soit que pure fantaisie

et qu’il ait été inventé pour vendre du papier. Je pense

sincèrement qu’un grand secteur d’investigation s’offre à

l’intelligence humaine, et lui permettra certainement de mieux

pénétrer dans le mystère de la vie après la vie, et de la

métaphysique divine.

Nous voilà donc dépourvus de toute croyance sans

preuve quantifiable. Nous rejetons la certitude du coeur et

pénétrons par la démonstration scientifique, dans l’un de nos plus

éminents problèmes : l’existence de Dieu.

139


Rappel

Je me suis évertué dans mes recherches personnelles à

tenter d’accéder au mystère et au paranormal, non pas que la

curiosité me poussa vers cette forme irrationnelle et inconnue,

mais je pourrais dire que le phénomène inexpliqué est venu à moi.

Emprunter cette voie est hautement difficile. Elle n’est

composée que d’indices, que de perceptions non renouvelables, et

si elle possède quelque intérêt pour un esprit, elle est toutefois

rejetée par l’immense majorité des rationalistes. La raison ne doit

pas se laisser emporter par de vaines apparences, non. Elle doit

constamment faire preuve de rigueur et de volonté pour ne pas

s’embarquer vers des destinations sans but. Une intelligence

responsable s’aperçoit que seule cette méthode peut le conduire à

la vérité et à la connaissance.

Il faut donc employer l’esprit de science, le seul

réellement capable d’offrir une sécurité de certitude.

L’expérience doit se concilier avec l’évidence absolue, et

constamment s’entretenir avec la raison.

140


Mysticisme et paranormal

La forme nouvelle dans laquelle la vérité doit exister, ne

peut être que le paranormal et le mysticisme.

Il est vrai que cela contredit la pensée fondamentale de

la certitude dite scientifique, qui dans ce siècle rationnel à la

technique appliquée n’a fait que d’affirmer le contraire. Il y a là

tout un gisement d’une richesse inouïe qui nécessite évidemment

un nettoyage ou une purification, - mais qui par son contenu et les

questions qu’il pose - veut offrir à l’intelligence rationnelle tout

un espace d’apprentissage et de compréhension. Ne peut-on pas

aborder le problème de la voyance à travers une étude scientifique

circonspecte ? Vérifier aux moyens de fréquences, de statistiques,

de probabilité afin d’abolir la loi du hasard, vérifier l’exactitude

des faits avancés ? Dans le domaine du mysticisme, serait-il

stupide d’analyser avec rationalité des témoignages d’hommes de

bon sens, qui cent fois pourraient répondre parfaitement aux

questions ordinaires ou spécifiques, et qui affirment toutefois la

vérité d’une communication paranormale ? Ces cobayes

141


accepteraient-ils de bonne grâce de se soumettre aux tests de

détecteurs de mensonges ou de “ pain ” total

142


La vérité biblique

Il ne faut pas confondre interprétation humaine d’un

Livre transmis par un Dieu, et vérité définitive et immuable. Il

s’agit ici d’intégrer le développement progressif de la vérité, et de

comprendre que la nature conserve un nombre considérable de

secrets, que l’intelligence humaine n’en est qu’à ses

balbutiements dans la connaissance, et que ce qui peut apparaître

comme une contradiction n’est qu’un passage de l’ombre à la

lumière, du boisseau tamisé à la réelle clarté.

La certitude qui s’en dégage n’est qu’une affirmation du

moment. En ce sens, le vrai et le faux ne s’opposent pas dans la

détermination commune, mais avancent tous deux dans la

direction du progrès. Il n’est donc pas question de rejeter en bloc

l’ensemble de l’ouvrage sous prétexte qu’une explication semble

contredire l’usage donné à la vérité.

Ce n’est pas ainsi que l’on comprend la contraction dans

le système mathématique basé sur des 1 et des 0, des affirmations

et des négations. Il n’est admis que l’une ou l’autre de ces

143


attitudes, - ce qui refuse le progrès dans le savoir et exclut toute

évolution sensible.

144


CHAPITRE SIXIÈME

145


Divers

Continuité d’un monde occidental

Il est facile de voir que notre monde est un monde

capitaliste qui ne subit aucune modification dans son principe, et

qui certainement se poursuivra de la sorte dans les prochaines

décennies. La pensée capitaliste s’impose et se positionne dans les

pays de l’Est. C’est là un immense succès pour le leader ship

américain.

Certes, il y a des modifications, des transformations

étonnantes liées en grande partie à l’émergence de certains

marchés à croissance rapide, mais la pensée occidentale semble

s’imposer et régner dans un monde de libre-échange où la

puissance des banques et des multinationales se fortifient et se

renforcent. Les progrès accomplis dans les domaines des

techniques engendrent des évolutions et non pas des révolutions

de comportements.

Le grand perdant de cette crise économique qui a vu le

jour en 1973 avec la guerre du Kippour et dont les effets de

146


estructurations semblent en grande partie être accomplis, - le

grand perdant, disais-je, me paraît être le parti ouvrier occidental.

Des millions d’hommes et de femmes quémandent le droit au

travail, d’autres vendent leur force pour des mi-temps avec des

salaires dérisoires, d’autres encore sont sans logis et errent des

journées entières marchant avec enfants pour quelques-uns dans

les rues de la ville. Tout cela est pitoyable, et peu digne d’une

société se prévalant d’être l’une des plus riches au monde.

Le nombre d’adhésions aux syndicats ne cesse de

baisser, l’ouvrier frileux et replié sur soi-même craint pour son

emploi, et préfère se taire plutôt que d’intervenir et voir son poste

supprimé.

Il faut donc se satisfaire d’un revenu dérisoire, en peau

de chagrin et l’on prétend encore que pour résoudre le problème

du chômage, le partage du temps de travail s’avère nécessaire. On

propose une diminution du temps de travail accompagnée

évidemment d’une diminution de salaire, donc du pouvoir

d’achat.

Dans le même temps, les profits réalisés par les

entreprises sont en hausse constante. La balance commerciale de

147


la France tire des excédents jamais atteints. Si les grandes

reconstructions ont déjà été accomplies dans d’importants

secteurs, si le dégraissage a été effectué, la bonne santé de ces

entreprises qui progressent en profit n’a pas encore entraîné la

moindre création d’emplois d’ouvriers ou de techniciens qualifiés.

Le profit va au profit, et nulle relance pour l’économie.

Les ménages ne peuvent consommer, faute de moyens financiers.

Les capitaux dans une certaine mesure, se placent à taux élevé sur

les bourses étrangères. La France s’essouffle. Le gouvernement

tant bien que mal, plutôt mal que bien d’ailleurs, propose aux

bénéficiaires de PEP d’utiliser les sommes bloquées dans les

contrats, et cherchent à convaincre les Français de tirer dans leurs

bas de laine leurs faibles économies pour relancer la demande par

la consommation. Tout cela prête à rire.

L’Allemagne, notre colossal partenaire, prévoit une

croissance de son PIB de 0,5 à 1 % pour l’année 96. Le Japon ne

resplendit guère mieux, et de grands centres de statistiques

assurent une augmentation du produit intérieur de 0,5 % pour

l’année fiscale qui va débuter.

148


Que faire dans une conjoncture occidentale si difficile ?

Et quel peut être l’espoir et l’avenir du monde ouvrier dans de

telles circonstances internationales ?

Je l’écris - c’est bien la continuité du monde occidental,

l’on y terrasse l’ouvrier, l’on y soumet les techniciens et le

personnel d’encadrement à des rendements excessifs. L’homme

au chapeau clap et au gros cigare semble réellement avoir gagné

son tour de bras de force avec l’ouvrier. Ce dernier est miné,

soumis à quémander quelque obole pour survivre. Et je ne vois

guère de possibles évolutions de changements. Cela risque de

durer longtemps ainsi encore.

149


Second degré

N’est-ce pas une chose difficile que d’avoir constamment

des étrangers autour de soi et d’être dans l’obligation de subir leur

présence ? Toutes les différences de peau, de faciès, de couleur et

de culture ajoutent encore à cette contradiction. On ne peut pas

même s’échanger les plus infimes propos. Aux temps bénis des

colonies, comme l’a chanté Michel Sardou, le relationnel était

tout autre : c’était un rapport dominant/dominé. Le noir obéissait

à l’ordre du blanc - un point, c’est tout. L’ensemble était compris,

admis, appliqué. La suprématie de la race blanche s’imposait et

semblait faire bénéficier de sa compétence la race noire, c’est-àdire

la race inférieure. Remarquez qu’il n’y avait pas de haine. De

vraies amitiés pouvaient même se nouer. De splendides dou dous

aimaient leurs bons maît’es, pleines de reconnaissance pour les

gages qu’ils leur octroyaient. Il n’y avait là ni haine ni violence,

ni explosif ni dynamite.

On s’étonne parfois que pas un chef politique, pas un

leader d’opposition à l’exception peut-être de Jean-Marie Le Pen

n’ait agité l’étendard de la colonisation, du big back to the blacks.

Chacun y trouverait profit : les malheureux et les pauvres, les

150


crève-la-faim à qui l’on apprendrait à semer, les sidaïques à qui

l’on apprendrait à bien mourir. Car pour tout vous dire, ils sont

des millions et des millions en Ouganda et pays limitrophes à être

contaminés par l’HIV.

Il s’agit ici de solidarité à l’échelle planétaire. Mais les

états, les tribus se replient sur eux-mêmes et refusent de participer

à cet immense élan de générosité. Certains prétendent que l’on a

assez donné, d’autres que l’on n’a pas assez pris. Prendre,

donner... c’est échanger.

L’on voit toute l’utilité du commerce pour une

civilisation. Le commerce rend prospère et cette prospérité est

mère de nombreuses vertus.

Nous-mêmes, ne devons-nous pas subir la domination de

la race jaune qui nous surpasse dans tous les domaines de la

technique appliquée, qui est en avance sur nos précédés et sur

notre connaissance ?

bouclée.

Cela serait un bon retour des choses, et la boucle serait

151


De la femme

Est-il bon de se répandre dans la chair des femmes,

d’épuiser sa semence vitale pour accéder à quelques instants de

plaisir ? On prétendra qu’il est dans la nature de l’homme d’aller

et venir dans le corps de sa compagne afin d’y générer un soimême

qui lui ressemblera.

Ne serait-il pas plus raisonnable de se défaire par un acte

masturbatoire du trop plein qu’engendrent notre hypophyse ou

nos glandes sexuelles, de se débarrasser de cet amas visqueux et

gluant que le pénis secoue et expulse dans des contorsions

étranges ?

Quelqu’un s’est-il essayé de comptabiliser toutes les

heures perdues à courir, supplier, quémander ou implorer aux

pieds de sa femme ou de sa maîtresse ? Est-il possible de

déterminer le nombre de conflits, d’embarras, de violence ou

d’excès que peut entraîner la présence de la femme à ses côtés ?

Je suppose que grand nombre de philosophes par raison

ou par expérience ont dû apprécier à leur manière cette

152


interrogation, et sachant y répondre ont préféré la solitude à la vie

en commun avec une compagne.

153


De la critique littéraire

Est-ce vraiment raisonnable de s’essayer au jeu

divertissant de l’écriture ? De s’amuser à construire des

structures, associant des substantifs à des adjectifs pour obtenir de

beaux accords ? Sont-ils beaux d’ailleurs, ces accords ? Qui

pourrait juger de la qualité stylistique ainsi obtenue ? Quel artiste,

grand amateur de beau, quel critique à la plume virulente, pourra

se prévaloir de posséder la vérité dans l’exercice de l’art ?

Pourtant chacun se prétend pourvu d’une quantité

appréciable de vérité dans l’analyse d’autrui. “ Cette certitude est

le fruit de l’expérience, disent certains. Voilà, déjà trente ans que

je lis de la poésie, de la prose ou du roman. Je sais donc ce qui est

bon et ce qui est mauvais. Je puis aisément séparer le grain de

l’ivraie, et je vous certifie, mon cher ami etc... ” Combien de gens

de bonne foi ai-je pu entendre s’exprimer de la sorte, et tous

avaient la conviction comme une croix autour du cou.

J’ai appris qu’il était impossible de savoir qu’untel était

doué et que tel autre était un triple nigaud. Que l’œuvre de celui-

154


ci passera à la postérité tandis que l’œuvre de celui-là sera jetée

au plus profond des oubliettes.

L’histoire de la littérature est composée d’incapables, de

rejetés, d’ignorés de leur temps présent, qui aujourd’hui

instruisent et nourrissent les enfants de l’éducation nationale.

155


Sur la mort

En vérité, il y a pour l’espèce humaine deux espaces -

temps bien définis. Le premier, qui se conçoit de lui-même, c’est

celui dans lequel nous vivons où le temps est mesuré de façon

précise. Cet espace est palpable, il est quadridimensionnel, et

l’homme y est fait de chair. L’une des caractéristiques de cet

espace, c’est la difficulté que rencontre l’homme à s’y mouvoir -

difficultés de substances matérielles, difficultés corporelles et

difficultés spirituelles. On peut dire de façon amusante que

l’homme est une tortue avec sa carapace, ses contraintes et son

poids. Mais que la tortue vienne à atteindre l’eau, et elle se

déplacera à la vitesse de trente-deux kilomètres/heure. Et nous

voilà dans le deuxième espace-temps, plus intéressant à pénétrer

et à comprendre. C’est encore l’image de la tortue mais sans sa

carapace, ou l’image de l’homme sans son enveloppe charnelle.

Pour ce faire, pour atteindre ce nouvel espace, il faut donc quitter

son enveloppe charnelle, il faut mourir dans la plupart des cas, car

grand nombre de personnes sont déjà parvenues à sortir hors de

leur corps et à le réintégrer. Il doit y avoir des techniques

relativement simples de yoga permettant d’accomplir cette sortie

hors de soi.

156


Ce nouvel espace-temps peut être assimilé à l’idée

simple que se font les croyants de la vie après la vie, ou tout

bêtement “ le ciel.”

157


De la rigueur mathématique

Quoi de plus incongru, de plus étonnant que de faire

appel à des poètes pour tirer quelques vérités. Ce sont des esprits

remplis de chimères, qui se nourrissent d’images et se languissent

constamment pour des insignifiances et du ridicule.

Ils se prélassent des heures durant sur des divans, ou se

reposent au cabaret et se prévalent de détenir quelques certitudes.

N’est-ce pas insensé que d’utiliser de telles raisons qui parlent

dans de telles bouches pour annoncer le Droit et la Loi ?

Comment est-il possible de comprendre une Force Supérieure

qui a construit avec sa magnifique intelligence ce splendide univers ?

Le voilà qui parle par la bouche de ses prophètes avec des images

poétiques ! Le voilà encore qui sacre le roi des rois - Salomon - et lui

fait rédiger des recueils de sentences !

N’aurait-il pas été plus raisonnable d’utiliser un homme

charpenté de vérités mathématiques sachant pertinemment que 2

et 2 font quatre ?

158


Il est vrai me répond ma malice que dans le principe de

La Trinité un plus un plus un font un.

159


L’état prophétique

Il est assez humain de vouloir comparer la pensée

philosophique à l’image poétique et le lyrisme poétique à l’état

prophétique. Le tout se ressemble et paraît se mêler dans une

mixture intellectuelle sublime ou cocasse. L’accumulation de la

raison s’associe au déversement de l’image, et le tout relié par des

éléments de coordination donne au chant, au chapitre ou au

poème un mouvement qui semble pouvoir s’entendre, - quoique

des résistances de sens s’opèrent ici et là. Mais ne faut-il pas,

pense le lecteur, qu’il y ait en quelques endroits du moins de la

difficulté ? Où serait le plaisir de la compréhension ?

Je prétends et je veux affirmer avec beaucoup de

véhémence que l’état prophétique n’est pas une chimère donnée à

quelque inspiration poétique débrayée, mais qu’il est un choix

puissant et responsable de l’Esprit de Dieu qui confère à l’homme

prédestiné la capacité de servir d’intermédiaire entre Dieu et le

peuple. Entend qui voudra.

160


Du plaisir dans l’apprentissage

Ce qui semble étonnant c’est de voir certains hommes

capables de répéter inlassablement les mêmes actions, les mêmes

comportements, les mêmes déplacements et de s’en bien porter

pour autant. Y aurait-il donc plaisir dans l’obligation de

reproduire un même geste, de concevoir une même pensée ou

d’agir de façon semblable ? Serait-ce de la paresse ou de la

jouissance nonchalante que de balayer son regard sur un paysage

que l’on a déjà vu des milliers de fois, de caresser le corps d’une

femme que l’on possède depuis de longues années ou d’accomplir

la même tâche à son bureau ou dans son atelier ?

Il est peut-être dans la nature de l’homme de se suffire du

fameux steak frites 6 fois par semaine, de regarder la même

émission de télévision présentée par Michel Drucker ou de subir

les fameux embouteillages de fin de semaine.

Car ne faut-il pas condamner cet éternel étudiant qui

toujours à s’instruire, toujours à s’ouvrir sur des mondes

nouveaux, avide de savoir et de connaissance veut encore

apprendre et ne sait jamais rien ?

161


Domaine du défini

On parvient toutefois en mathématique à utiliser un

langage commun qui va au-delà de sa propre langue (l’écriture

mathématique russe est la même que l’écriture mathématique

anglaise), on peut exprimer des concepts, des notions, des

certitudes, des propositions ou des vérités uniquement parce que

l’on travaille dans un espace bien défini, bien régi.

Que l’on vienne à se poser un problème en se déplaçant

d’espace ou de lieu de définition, et la certitude devient doute, et

la vérité est à reconsidérer, à vérifier à nouveau.

C’est le grand privilège du langage mathématique : une

affirmation est vraie parce que l’on raisonne dans un espace

déterminé. Que l’on vienne à changer d’espace etc.

162


Lire ou compter

Je ne me souviens pas avoir éprouvé le moindre intérêt à

lire quelques ouvrages dans mon enfance. La connaissance que je

pouvais en tirer me paraissait le plus souvent ennuyeuse et

astreignante. Je pensais que je parviendrais à acquérir un savoir

précis et utile à ma formation en côtoyant le quotidien, en me

frottant à des adultes, en vérité, en me nourrissant avec les yeux.

J’estimais fort peu la poésie, prétendant que cet art était

plutôt le jeu d’esprits insouciants, dépourvus de rigueur et enclins

aux excès les plus détestables.

Ceux qui s’essayaient à ce genre de discipline me

paraissaient manquer de pensées claires et lucides, n’ayant que

peu de moyens pour persuader et se complaisant dans des

pleurnicheries et des jérémiades sans fin.

Je ne méprisais pas leur habileté à savoir maîtriser la

tournure, et savais apprécier leur manière et leur douceur, mais je

ne pensais pas que cette discipline pût apporter à ma raison

l’équilibre certain qu’elle s’efforçait de trouver.

163


Je croyais en toute évidence, à la sacro-sainte

mathématique - la reine des sciences - à cause de sa certitude et de

l’évidence de ses raisonnements. Je pensais qu’elle n’avait pour

but qu’elle-même, c’est-à-dire sa propre pureté. Je ne voyais

guère l’utilité de ses applications...

164


Quelle méthode ?

Ce que je recherche avec cette méthode - la mienne -

c’est de parvenir en utilisant toute la raison qui est mise à ma

disposition, ou pour le mieux en mon pouvoir, à exploiter les

ressources intellectuelles connues et inconnues. Je commence à

sentir - terme qui ne me convient guère par son manque de

précision - que l’esprit s’essaie peu à peu à tirer de soi de

nouvelles possibilités et de nouveaux moyens.

Suis-je homme qui marche seul, dans la rue sans

lumières ? Me faut-il aller lentement en usant de beaucoup de

circonspection, craignant de trébucher ou de chuter sur un

obstacle ?

Mais je cherche à avancer vite, pressé par le temps peutêtre.

J’ai la certitude d’avoir mes Dieux à mes côtés. Quel risque

puis-je encourir ?

Ce que je méprise le plus en moi, le plus en l’homme,

c’est sa petitesse intellectuelle, sa médiocrité d’être né si tôt tandis

que la civilisation en est à ses balbutiements de développements

165


et de savoir. Alors je subis le ridicule de ma capacité à

comprendre, à percevoir, à assimiler.

Je vis par le sexe et le bien-être matériel, incapable que je

suis à vivre auprès de Dieu, à le palper avec de grands bras

invisibles.

166


La folie

La folie. Il faudrait tout d’abord s’entendre sur la

signification de ce mot. À quoi est-on fou ? Quel péché a-t-on pu

commettre pour arriver à cet état de souffrance ? Est-ce d’ailleurs

la résultante d’une faute présente ou antérieure ? Répondre à cette

question, c’est prétendre posséder ce mystère de valeurs, de

rachats, de fautes, de justice en quelque sorte que pourrait détenir

le Seigneur. Je reviens à ma première question, après cette légère

parenthèse : À quoi est-on fou ? Il serait préférable d’interroger

des spécialistes, des psychiatres plus aptes à intervenir

efficacement car en contact permanent avec ces malades.

plus intéressante.

À quoi n’est-on pas fou ? Voilà une question peut-être

167


Bilan

En ce jour détestable, où tout est souffrance et violence et

douleur, où certaines figues viennent à maturation, où d’autres

sont encore jeunes pour être cueillies, un soleil de conscience

vient d’éclairer ma raison : j’observe ce que j’ai fait, je conçois ce

que j’aurais dû produire, jamais je n’ai obtenu les œuvres que

mon cerveau m’aurait permis d’extraire. Voilà bien un triste bilan.

J’analyse mes résultats aujourd’hui dans ma trente-sixième année.

Je n’ai pu travailler qu’à 50 % de ma capacité intellectuelle et j’ai

perdu 90 % de ma technique d’écriture. Quelle misère ! Voilà

pourquoi, je puis gémir, sans que personne ne puisse me consoler,

hélas !

168


De bien mourir

Il faudrait trouver une méthode d’investigation humaine

permettant de se préparer à bien mourir, c’est-à-dire de se

présenter devant Dieu dans les meilleures conditions possibles de

purification, de formation, d’apprentissage et d’expériences

terrestres positives.

Mais pour cela, il serait nécessaire tout d’abord de croire

en la certitude d’une vie après la mort. Car à quoi peut bien servir

un système d’apprentissage, de formation ou d’expérience si

l’individu intéressé prétend qu’il n’existe aucune forme de vie

dite supérieure après la mort ? Ceci prouve que ce principe de vie

n’est concevable qu’accompagné d’une certitude de morale à

appliquer.

Il s’agirait toutefois pour l’homme rempli d’athéisme ou

de certitude du rien et du néant de se construire un système

d’existence à travers une multitude d’expériences - expériences

169


susceptibles d’enrichir son esprit et de favoriser ainsi son principe

de vie et de pensées.

170


L’existence de Dieu

Pour démontrer l’existence de Dieu, il suffirait que Dieu

se laissât rendre accessible à nos sens, que l’on pût le voir, le

toucher, discuter avec lui - ceci serait une preuve, un état de

certitude, et le grand problème de la métaphysique serait ainsi

révolu avec un peu de moyens, avec une grande économie de

tergiversations et de discussions. Mais hélas pour l’intelligence

humaine, ce Dieu est bien discret, et ne se veut montrer qu’à

quelques-uns - on les appelle mystiques, voyants ou sanctifiés.

C’est encore une démonstration par le Cercle. Or il faut être en

dehors du Cercle pour admettre ce type de vérités. Et celui qui

croit dans le périmètre... Il faudrait une certitude collective telle

une vérité mathématique, tandis que l’acte de foi consiste à se

crédibiliser auprès de chaque individu, de façon indépendante, -

de façon unitaire. On fabrique des prosélytes en vérité, touchés de

manière indépendante.

La croyance n’est pas basée sur des faits concrets. C’est

un acte de foi,... dommage.

171


Savoir, ignorer

Il y a

Ce que je sais - ce dont je ne puis douter ; ce que je crois par

raison impalpable ; ce que je sais et ne puis révéler ;

Il y a

Ce que je ne sais pas, et qui est vérité ; ce que je crois savoir mais qui

est fausseté ; ce que je prétends connaître et qui est confusion ;

Il y a

Ce que je n’ai jamais su et que je ne saurai jamais ;

172


Philosophie

Comment construire un homme ?

Utiliser le langage humain pour raisonner, c’est employer

l’appréciation de l’oeil pour déterminer les distances. Quoi de

plus impur que le langage des mots ! Et l’on voudrait utiliser un

instrument si imparfait pour défendre des raisons, pour annoncer

des vérités philosophiques, pour convaincre et prétendre détenir la

certitude !

Le bon sens est encore de s’abstenir et de faire preuve de

modestie dans l’emploi du langage, puisque ce dernier est

composé de mots qui sont des variables de valeur dont les

définitions diffèrent selon chaque individu.

Il faut donc se mettre d’accord sur le sens, sur la valeur

des mots que l’on emploie. Et cela n’est pas chose aisée.

173


Méthode d’adolescent

Je doutais de la morale et des vérités et de la foi. Pourtant

elles avaient été les toutes premières à nourrir mon esprit, et à lui

servir de créance. Je prétendais qu’en toutes mes opinions, je

pouvais librement juger au-delà d’une certaine norme et d’une

certaine raison.

Je compris l’utilité de converser avec les hommes plutôt

que de rester enfermé longtemps en soi-même. Je ne fis autre

chose que de me nourrir de spectacle de la vie et de travailler avec

mes yeux, tachant d’y être un habile observateur plutôt qu’un

déplorable comédien.

Je pouvais de cette sorte remettre en cause grand nombre

d’informations reçues qui donnent toujours l’occasion de

commettre des erreurs, et je parvenais à me corriger.

Il va s’en dire, que je ne tachais pas d’imiter les

sceptiques qui toujours en sont à douter. Non. J’essayais de

construire lentement selon un procédé de certitudes indéniables et

174


de m’y fixer comme structures de base, ou d’architectures

métalliques.

Et je prétendais obtenir des gains de vérité assez certains.

Ces constructions ou ces avancées raisonnées et claires me

permettaient de substituer à des premières “certitudes” douteuses,

d’autres informations plus fondées et plus réalistes.

J’ose employer cette image : je défaisais certains pans de

mon habitation, et reconstruisais avec plus de ciment et de

meilleures briques.

175


Question

Recevoir des informations fausses pour véritables, et ne

pouvoir dans des principes si mal assurés discerner l’erreur de la

certitude ; comment parvenir à se défaire de tous ces mauvais

fondements et comment reconstruire un principe de certitude

tandis que la méthode afin d’évaluer, de peser ou de prétendre

savoir peut s’avérer être inexacte ?

176


Le génie

Le génie est rarement cette impulsion inexplicable qui

surgirait d’un inconnu créatif dont on serait l’instrument et en

même temps la victime passive. Le génie n’est pas seulement le

médium entre un inconscient qui dicte et une feuille de papier qui

reçoit des informations. Je dis feuille de papier, mais j’entends

aussi bien le maillet du sculpteur, le pinceau du peintre ou le

piano du compositeur.

Je pense que l’artiste se nourrit de toutes sortes

d’informations qu’il ingurgite, avale, assimile, consciemment ou

inconsciemment, je prétends que son cerveau travaille et peut lui

enseigner une manière, un tour, des refus, des choix de

combinaisons qu’il aura vite fait d’utiliser pour appliquer son

principe de création.

Alain dans ses Eléments de philosophie tente dans son

chapitre X du quatrième livre de mieux cerner la spécificité du

génie. Il lui accorde une facilité dans l’exécution, une vitesse et

une précision rares. Il y voit la marque de la spontanéité dans

177


l’improvisation. D’après cela, la raison et la mesure, la maîtrise de

soi seraient assez éloignées de la définition qu’il pourrait revêtir.

Ne faut-il pas au-delà de cette difficulté certaine à

comprendre le mécanisme fondamental de la création humaine, y

voir une association entre une impulsion cérébrale et

mémorisation d’expériences qui combinées l’une à l’autre permet

d’engendrer un acte inventif de qualité supérieure ?

Comprendre comment fonctionne le cerveau sublimé,

est-ce réellement nécessaire ? Qu’est-ce qui sépare Picasso d’un

enfant de six ans ? C’est un rapport de 1 à 1 milliard pour ce qui

est de l’aptitude à peindre. C’est la bille et la planète. Comprendre

la bille n’est pas un échantillonnage suffisant pour comprendre la

planète ?

Pourquoi s’intéresser à la sublimation de l’artiste ?

N’est-ce pas plus raisonnable de tenter de savoir comment

fonctionne ce cerveau humain ? C’est peut-être la machine la plus

extraordinaire mise à la disposition de l’homme. C’est un

instrument bien plus complexe encore que la meilleure de nos

navettes spatiales, car son tableau de bord nous est à 90 %

inconnu.

178


Entre deux âges

Assis sur le toit des deux âges, je regarde jeunesse qui

s’enfuit et vieillesse qui arrive à pas de loup. Je ne me crois ni

jeune ni vieux, et si je balance de l’un à l’autre, la force vive

semble toutefois puissamment ancrée dans ma personne. Je ne

possède plus cette formidable impulsion de jeunesse qui offre à

l’esprit la capacité d’aller outre la construction logique, et par

aptitude de synthèse de comprendre sans avoir démontré.

J’avance plus doucement et j’aime échafauder ; oui, j’apprécie

cette élaboration lente et précise qui accompagne les faits. Le

jugement appelle le repos, et prétend que la raison doit aller bon

train, sans trop se hâter accompagnée de la preuve et de la

certitude.

Il serait peut-être judicieux que l’une et l’autre imitent

les qualités et tentent de rejeter leurs défauts. Cela n’est pas une

belle chose que de froncer les sourcils et de prendre des airs

ténébreux pour s’imaginer posséder quelque importance. Cela

peut sembler ridicule que d’être partant pour la danse quand des

premiers rhumatismes ou sciatiques attaquent nerfs et os.

179


Comment faut-il se comporter ? De quelle manière faut-il

exploiter cette expérience ?

Pour aller vite, jeunesse doit savoir sans avoir eu à

démontrer. Pour aller bien, vieillesse doit tenter d’être utile en

prétendant à l’innovation.

“ Moi qui balance entre deux âges ”... Tout à coup me

revient à la mémoire la chanson de Georges Brassens... Nous

devons posséder de l’intelligence et exister, et nous assumer sur

les trois âges, - celui de la jeunesse, celui de l’âge de force, et

celui de la vieillesse. Je reconnais la formidable capacité créatrice

de Pablo Picasso qui dans sa dernière façon peignait de manière

buissonneuse mais encore splendide.

Une remarque semble assez paradoxale. Quand on essaie

de récupérer le filon de la jeunesse, en y ajoutant sa compétence,

l’ensemble réunit n’offre pas un produit de qualité. La maîtrise de

l’inspiration détruirait donc cette sorte d’impulsivité qui est

parfois la marque du génie ?

180


La discipline de la musique moderne bruyante et

agressive semblerait donner raison à la jeunesse. Passer un certain

âge, comme l’on dit souvent, le Rock And Roll n’est plus qu’une

visite au Musée où l’on voit gesticuler des quinquagénaires qui se

contorsionnent. Mais la substance des produits musicaux a été

conçue en d’autres époques, passées, dépassées... oubliées.

Alors que faire ? De quelle manière faut-il se comporter ?

Puis-je réellement répondre à cette question ? Il est plus sage

d’attendre que le temps me donne l’expérience pour m’exprimer à

nouveau.

181


TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER - De l’Intelligence

Le parcours de l’esprit

De la logique

L’intelligence humaine

L’idée

Détester le doute

Penser, c’est vérifier

De juger

La quête de la vérité

L’intelligence doute

Idées et réflexions

Des ressources humaines

Les postulats

L’intuition

La certitude de l’immédiat

Dialectique négative

La conscience et l’instinct

Le royaume du doute

182


Méthode d’intégration

Imaginer

Dédoublement

Volonté d’abolir la conscience

CHAPITRE SECOND - De la Mathématique

La Mathématique

Le vrai

De la géométrie et de l’intuition

Le 1 et le 0

Insensible mathématique

CHAPITRE TROISIÈME - De l’Art

Trois distinctions dans l’art

Le vouloir créatif

Arpèges sur le beau

De l’art

Esthétique

183


CHAPITRE QUATRIÈME - De la Poésie

De l’invisible et de la rigueur

Le spectre d’autrefois

Le don de plaire

De l’œuvre

De l’association poétique

De la critique poétique

Comprendre les poètes

Poésie, rigueur et liberté

Le choix de la jeunesse

I

II

III

La poésie

Stylistique en prose et stylistique poétique

De la critique de soi

Fragment sur la poésie

184


Blocage de la transmission poétique

Morceau

CHAPITRE CINQUIÈME - De Dieu

De Dieu, de l’intelligence de coeur

De la grandeur du Saint-Esprit

Le parfait

Le mystique

Révélations sur l’au-delà

Rappel

Mysticisme et paranormal

La vérité biblique

CHAPITRE SIXIÈME - Divers

Continuité d’un monde occidental

Second degré

De la femme

De la critique littéraire

Sur la mort

185


De la rigueur mathématique

L’état prophétique

Du plaisir dans l’apprentissage

Domaine du défini

Lire ou compter

Quelle méthode ?

La folie

Bilan

De bien mourir

L’existence de Dieu

Savoir, ignorer

Philosophie

Méthode d’adolescent

Question

Le génie

Entre deux âges

186

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