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FRANCK LOZAC'H
ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION
1
CHAPITRE PREMIER
2
De l’Intelligence
Le parcours de l’esprit
L’Esprit s’assoie sur son néant. Ainsi il perçoit sa première
conscience. C’est toutefois une perception de la Nature qu’il
reçoit dans cet état. Il ne peut en être autrement, puisqu’il est un
élément de cet ensemble. L’Esprit se construit pour aller de la
satisfaction des nécessités de survie jusqu’à la compréhension de
l'après-vie. Il se cristallise pour accéder aux besoins immédiats.
C’est donc une volonté d’effort à la nature qui est ainsi accompli.
Il en est d’ailleurs de toute espèce, de toute diversité
animale ou végétale. Une conscience de situations,
d’apprentissage, d’expérience en quelque sorte se forme. La
conscience s’adapte aux obligations de la Nature. L’on voit ainsi
que c’est elle qui domine, et impose son diktat de vie et de survie.
Le travail du vivant sera de s’adapter, de transformer, et de
combattre cet ennemi. Le monde est en guerre. Ce monde
d’actions mécaniques traduit la force, la déchéance, la
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transmission de l’héritage génétique. Ceci n’est pas ma logique.
C’est bien la loi de la Nature qui nous soumet à cette vérité.
Il est à supposer que l’Esprit, qui est déjà une forme
élaborée de la conscience, est parvenu à combattre ou maîtriser
certains éléments de la Nature. L’Esprit avance avec sa logique,
mais il arrive rapidement au bord du gouffre, de son propre
gouffre de la vie, - c’est l’échéance de la mort. Comment peut-il
comprendre, ou supposer comprendre la possibilité de vie après la
mort ? Il le fera en utilisant les propriétés sensitives mises à sa
disposition par son organisme. Il le fera car vivant en
communauté, il essayera de comprendre la suite de la destinée de
ses proches. Peut-on prétendre que certains organismes, plus
sensibles que d’autres, possèdent l’aptitude de percevoir un
semblant de vie après la mort biologique ?
Dans la logique de la pensée, le rationnel n’est pas toujours
le plus sûr. C’est notre civilisation qui a établi le diktat de la
science. Mais la compréhension du paranormal, c’est-à-dire de la
suite après le gouffre s’opère par l’utilisation d’autres propriétés.
Il n’y a pas que le rationnel qui soit réel. Le paranormal est du
réel, mais perceptible en utilisant d’autres propriétés des sens. La
capacité répétitive de la physique réduit au mépris et à
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l’insignifiant cette partie de la nature dont l’expérience ne peut
être constamment reproduite.
L’esprit poursuit donc son chemin logique pour accéder à
une métaphysique. Cet élan vers un Principe absolu nécessite la
séparation du corps d’avec l’esprit. Ainsi il faut voler, voler pour
franchir le gouffre, et c’est déjà pénétrer dans l’histoire de la
Religion.
L’homme applique cette méthode. Certains pourtant
prétendent qu’après le gouffre, il n’y a rien, et s’en retournent à
leur propre néant. Faut-il parier ? Est-ce un pari d’ailleurs ? Ou
est-ce une perception seulement accessible à une élite ?
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De la logique
La pensée apparaît comme étant un petit accident de
l’intelligence, une sorte de minuscule collision où s’associent et
s’opposent des concepts, des images, des symboles et du langage.
L’ensemble combiné engendre une pensée qui est le plus souvent
une réflexion, ou du moins une action intérieure. Abstraite et
volatile, rationnelle et concrète, sa définition épouse toutes les
formes autorisées par la capacité créatrice de l’intelligence.
Il semble difficile de prétendre savoir s’il est plus logique
de faire apparaître des schémas simplifiés et ordonnés, ou des
concepts impénétrables et délétères. La raison conseille d’aller du
plus simple au plus compliqué, donc d’organiser sa création
d’actions par des propositions élémentaires puis de les surcharger
par des principes supérieurs à l’entendement. Qu’en est-il de la
vérité ? Des doctrines et des thèses s’opposent. On dirait que
chacune d’entre elles définit une méthode d’exploitation et
d’expérimentation sans pour autant posséder toutes les définitions
de l’autre. L’ensemble des méthodes offertes semble posséder la
vérité, mais chaque partie séparée ne permet pas de tirer une
analyse globale satisfaisante. L’arbitre conseillerait de prendre
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chaque ensemble sans pour autant décider d’un choix ou d’un
prélèvement judicieux. Un principe risque d’exclure les autres
principes, et si tous possèdent un peu de vrai, l’on ne peut choisir,
et il faut tous les prendre.
Le lecteur avisé prétendra que c’est aller dans beaucoup
d’endroits à la fois, et que l’on se trouve ainsi entraîné dans une
étonnante aventure de l’esprit. Que l’intelligence le veuille ou
non, la raison s’arrête pour juger et décide d’un choix, car la
capacité humaine d’absorption ne peut, faut de mémoire et de
moyens, maîtriser l’ensemble des procédés mis à sa disposition.
Les méthodes ou les principes employés pour ordonner cette
aptitude de l’intelligence ne sont pas constamment opposés. Ils
offrent parfois des similitudes d’actions quand bien même ils
sembleraient pénétrer des voies différentes. Si la première
perception semble abstraite ou éloignée de la logique, la finalité à
atteindre est bien concrète et répond à une matérialisation
quantifiable. Cette finalité semble bien éloignée de la première
idée naïve qui apparaissait à la conscience. L’être trouvera la
solution d’après sa perception interne ou en corrélation avec le
monde extérieur.
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Tout d’abord, l’esprit s’entoure du néant, puis il avance et
désire organiser un déplacement rationnel ou hasardeux. Il
avance, regardant sur sa droite, sur sa gauche vers un avenir en
utilisant un passé. Il tâtonne ou prétend aller fort vite, éclairé par
une sorte de certitude. Ce matériel de l’intelligence s’élabore, se
construit et se fortifie animé par les autres notions ou idées qui
viennent le secourir. La logique alors construit avec la volonté
d’aller de l’avant. La pensée ne fait-elle qu’avancer, ou parfois ne
cherche-t-elle pas à tourner en cercle pour revenir à son point de
départ, c’est-à-dire à son réflexe premier ?
La logique de penseur accomplit tout d’abord son effort
pour satisfaire à une matérialité, puis elle satisfait le désir de
l’être, et quand elle a satisfait ce désir, elle échappe à l’être pour
accéder à l’essence supérieure, c’est-à-dire à une volonté
métaphysique. Elle agit par ordre de nécessité allant du plus
simple au plus abstrait. Ce n’est pas une chute simplifiée, ni une
trajectoire calculable. La construction s’opère d’une idée à l’autre
par le principe de ressemblance. L’énergie utilisée pour fabriquer
le mouvement permet à l’intelligence de se déplacer.
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Accéder à la pensée finale, c’est-à-dire à l’essence de la
métaphysique est d’une importance capitale pour le devenir de
l’homme. Élaborer, échafauder une construction de l’homme vers
le haut permet de spéculer sur les idées éternelles.
C’est donc en étudiant le mécanisme du fonctionnement de la
logique, en déterminant le parcours qu’elle nous permettra
d’accomplir, c’est-à-dire la suite de ces actions rationnelles et
abstraites, que nous parviendrons à accéder à une philosophie de
la nature. Il nous faudra avancer en décomposant de manière
logique, donc avec un système de simplification pour comprendre
la nature dans sa diversité.
La pensée doit avancer, subirait-elle des heurts, des
résistances ou des volontés de retournements sur soi-même. Elle
doit avancer, accompagnée de sa propre négation, car lui faut
comprendre.
Ne faut-il pas essayer d’accéder au pur commencement, à la
pensée première quand bien même il s’agirait encore d’un travail
abstrait. Mais de toujours se déplacer selon un ordre, sans vouloir
toutefois épuiser toutes les possibilités, ce qui serait un jeu
éreintant pour l’esprit ? Difficile pourtant d’aborder ici le
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problème de la sélection ou du choix dans les actions à accomplir.
L’ordre serait de découvrir le premier acte de logique, puis d’en
expliquer le second. Ce premier acte ne pourrait trouver son
origine dans la mémoire, c’est-à-dire dans le passé puisqu’avant
ce premier acte de logique, il n’y avait rien.
Il semble difficile d’avancer dans cette recherche de la
logique sans y intégrer la valeur temporelle. L’avancée
permanente de la raison qui progresse accompagnée de sa propre
négation se développe sur l’étendue du temps. Mais je puis
comprendre que pour des raisons évidentes de simplification,
l’analyse s’effectue en dehors du paramètre temporel.
Après avoir dégagé une première réflexion concernant la
logique, nous nous promettons de spéculer quelque peu sur l’être
et sur l’essence. Nous verrons à quelle hauteur ou quelle
profondeur la difficulté nous entraîne, et comme il semble
utopique de vouloir échafauder quelque construction en ne
possédant pas tous les éléments d’analyse véritables.
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L’intelligence humaine
L’intelligence humaine possède cette particularité de
chercher constamment à défaire des questions qui reviennent sans
cesse dans sa propre conscience. Sa volonté est de résoudre des
problèmes posés par la nature, et d’y donner une réponse qui
dépasse le plus souvent les limites de sa perception.
Confrontée au difficile problème de l’adaptation à
l’existence, par son savoir et son expérience, elle voudra dompter
les éléments naturels pour tenter d’en devenir le maître. Intégrant
de la pensée dans la matière, elle désire s’élever toujours plus
haut jusqu’à la compréhension ultime des phénomènes
métaphysiques. Et c’est en transmettant son héritage intellectuel,
de génération en génération, que la raison parviendra à progresser.
C’est élan qui pousse l’homme vers l’avenir défera les
contradictions et l’obscurantisme dans lesquels son essence d’être
vivant semblait l’avoir laissé.
Il lui faudra aller au-delà des limites de sa capacité à
percevoir. Il devra supposer au-delà du champ de l’expérience,
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n’ayant plus désormais par les moyens de sa perception la
possibilité de vérifier ce qu’il avance.
L’homme de science va croire sans voir, et s’en retournera
ainsi à la conviction sensible de l’être spirituel qui a présupposé
une possibilité de vie après la mort. Il est vrai que si l’outil
qu’emploie l’homme de science apparaît plus subtil pour étayer ce
qu’il avance, l’outil même virtuel est encore une fraction du réel,
et cette simulation semble suffire.
L’analyste doit donc attacher une immense importance à
toutes ces sortes de recherche dont l’objet est d’élever la nature
humaine. Celui qui exprime du mépris ou de l’indifférence à
l’égard de ces choses cachées affiche un sentiment coupable de
blocage et d’intelligence limitée.
L’on peut apprécier chez l’homme de science sa volonté
profonde remplie d’objectivité et de droiture rationnelle, et cette
objectivité-là offrira la possibilité à la civilisation de progresser.
Si le fondement est bien établi, si la discipline accède aux
choses profondément enfouies, c’est encore toute la communauté
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qui bénéficie de cette excellence. Et cette réputation de solidité et
de vigueur mérite tous les éloges.
Il est d’autres disciplines nourries de sensibilité, dont la
nature subtile et délétère ne favorise aucunement la vérification
des principes, - ceux-ci étant du domaine du variable et du
modifiable. Il en est ainsi des arts dont les règles établies
constamment sont déplacées par le génie de leurs exécuteurs.
Il y a enfin le monde spirituel constellé de points
d’interrogation, légiféré par des structures de croyance qu’il
semble le plus souvent difficile d’épouser. Celui-ci nécessite de
l’entendement de coeur qui va au-delà de la raison ou de la vision
de l’oeil. Il s’agit ici de percevoir par le soupçon, qui est encore
une forme de sensibilité imperceptible et non renouvelable. C’est
à chacun de lui accorder son propre examen d’après sa conviction
intime.
Il y aurait donc une critique à faire à l’égard de cette forme
de connaissance qui peut se développer indépendamment de toute
certitude quantifiable, quoique... les mystiques ne sont point
hommes de confusion et leur intelligence est parfaite dans
l’entendement du quotidien.
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Intégrer une métaphysique dans son monde spirituel, cela
est certes une bonne chose, mais il faut encore que les principes
sur lesquels l’on établit cette vérité-là soient bien déterminés.
Il faut parfois s’en référer à la compétence d’autrui, car ceci
est gain de temps et certitude de bonne méthode, mais l’opinion
du grand nombre peut le plus souvent être détestable. Il est des
perceptions encore inexpliquées qui inquiètent l’élite mais sont
rejetées avec virulence par la masse d’humains.
Il est des connaissances dont l’entendement est incertain,
dont les contours sont difficilement délimités. Leur base ne peut
être fermement déterminée. De certitude, il n’en est point. Leur
recherche est encore insoupçonnée, leurs règles inconnues. Et
c’est en exploitant l’intuition de l’homme que l’on parvient à
extraire les premières parcelles de vérités.
Pourtant l’opinion d’autrui fondée sur des entendements
solides, transmise de générations en générations est d’une
certitude autorisée. Faut-il tout reconsidérer, et vérifier par soimême
ce que les pères ont intelligemment démontré ? La capacité
temporelle mise à la disposition de l’homme lui impose d’aller
outre, d’y gagner en vitesse et de refuser les tâtonnements.
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Pour ce qui est de l’hypothèse - j’accorde à dire qu’elle est
l’une des “caractéristiques” de la personnalité humaine la plus
audacieuse et la plus intéressante. Elle projette l’homme vers le
devenir par la spéculation, par son risque et son résultat. Elle est
l’aventure de l’esprit, elle se nourrit d’énergie pour explorer,
chercher et parfois découvrir.
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L’idée
L’idée est le pur concept, inadapté encore, ne possédant
aucune mise en forme. Elle n’est qu’une perception délétère,
inorganisée, elle est indice d’or, donc parcelles lumineuses dans
un magma de boue. Elle ne possède pas toujours de certitude de
vérité. L’or du pauvre est bien la pyrite, et beaucoup se sont
laissés tromper.
On doit davantage l’employer dans le sens de : “perception
inconnue”, de rareté, d’unicité. L’idée n’appartient pas à un
ensemble. Elle ne peut jaillir que d’un seul cerveau. L’idée n’est
pas une opinion. On ne peut pas avoir une idée concernant un
tableau ou une œuvre d’art. Il s’agit ici d’une réflexion critique
que tout un chacun peut exprimer. Il n’y a pas nouveauté,
détermination inconnue.
Le but de l’idée est de devenir, devenir concept à forme
rationnelle, palpable et quantifiable. On doit en faire un usage. Il
y a donc l’idée et son but. Entre les deux s’expriment l’exécution,
la mise en forme, l’exploitation, tout le travail de l’adaptation
jusqu’à la finalité à obtenir. L’idée doit donc se construire dans le
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ationnel, et c’est seulement à cette condition qu’elle pénétrera
l’espace de l’objectivité.
Mais cette objectivité peut tout aussi bien revêtir une
valeur personnelle. IL faut encore que la perception extérieure
d’autrui s’accorde avec l’idée réalisée par le concepteur.
L’habillage de l’idée, sa mise en forme en quelque sorte doit
posséder bien du talent, c’est-à-dire des valeurs reconnues pour
que l’idée nouvelle puisse être assimilée et comprise.
L’idée se confond avec la pensée. Si la pensée a une
connotation à tendance philosophique, c’est-à-dire intégrant des
concepts de l’entendement, à forme représentative, l’idée doit
déboucher sur un concept rationnel scientifique ou technique,
épousant le signifiant aussi du service.
L’Idée prétend donc posséder le Vrai en soi, et elle va
tenter dans l’exécution de son travail de finaliser sa certitude.
C’est pourquoi le devenir est un paramètre indispensable qui
s’associe à la vérité de l’Idée. Il faut aller dans l’au-delà, dans le
futur proche, et ainsi prouver que l’Idée possédait du Vrai. Il n’est
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pas toujours utile de concrétiser cette action pour détenir l’intime
conviction que ce que l’on suppose pénètre le Vrai.
La certitude subjective mais intime doit coïncider avec la
certitude objective d’autrui, ainsi l’Idée devient-elle réelle.
L’Idée qui germe pour pénétrer l’espace objectif doit
constamment subir des modifications pour s’adapter, pour se
construire et se conformer à la certitude d’autrui. Il est vrai que la
finalité ne possède nul objet qui soit conforme à l’essence de
l’Idée. Évidemment ! Puisque l’Idée subit des modifications pour
pénétrer dans le Concret.
La finalité de l’Idée jamais ne pourra prétendre répondre
à son concept initial. La lente élaboration de sa forme première a
modifié de manière significative son concept d’origine. L’idée ne
s’oppose donc pas à sa réalisation, mais elle n’est plus ce qu’elle
semblait supposer être. L’idée de la maquette ne peut être
comparée au prototype, - grande est la distance qui la sépare de
cette finalité-là. L’idée ne peut s’épanouir que dans le réel, et dans
cet espace-là, elle doit s’analyser avec objectivité pour savoir si
son essence est conforme à l’application de son concept.
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L’Intelligence accède à une forme de Vérité, quand
l’Idée se finalise dans une réalisation. J’écris bien une forme de
Vérité, car elle peut tout aussi bien revêtir une valeur personnelle
et non pas universelle.
Il y a donc intégration d’autres éléments permettant à
l’idée de se finaliser. Cette obtention du résultat n’engendre pas
toujours une détermination satisfaisante. Le concept dans sa pure
spéculation permettait d’obtenir un objet ou d’envisager une
finalité différente. L’Idée ne revêt qu’une détermination limitée,
son contenu est imperceptible, - en vérité, il n’est qu’un réel
virtuel, sans puissance d’existence. L’idée n’existe pas dans la
réalité. Elle n’est que la conscience subjective et ne peut se
réaliser que dans l’objectivité.
Si l’idée se suffit d’elle-même, si elle conserve cet état
initial de pureté, si elle ne peut vérifier avec exactitude ce qu’elle
suppose, sa pensée reste abstraite. L’idée doit poursuivre à travers la
vérification et le champ d’expériences la véracité de ce qu’elle
prétend. Il s’agit encore d’accéder à une forme d’enrichissement, de
développement après la germination initiale. Si le concept demeure,
son apparence a subi des transformations. Cette succession
d’expériences fortifie l’idée principale. Et c’est bien un processus
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d’élaboration et de progrès qui a permis cette évolution sur le
concept initial. Il y a donc transformation considérable, et l’offre
basée ne peut plus être connue dans le résultat obtenu. Mais est-ce le
concept qui a subi une évolution, ou n’est-ce pas le travail de
l’homme qui a conduit au changement ?
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Détester le doute
La vérité est la pensée, par excellence, de l’esprit. Sans la
vérité, les connaissances seraient bien hasardeuses, toute
construction s’écroulerait. J’entends toutes les connaissances,
celles qui se prévalent d’être les mieux pensées dans leur valeur
fondamentale.
Aller dans la certitude, sans erreur, sans l’imperceptible
doute, c’est avancer à coup sûr, sans risque de revenir à son point
de départ. C’est prétendre que l’on ne peut se tromper. Je sais,
cela paraît difficile et pourtant...
Car le doute est détestable. Il nous fait violence, il est
l’alarme qui constamment fonctionne. Il nous enduit en faiblesse,
il est une retenue de temps, il impose une vérification. Pourtant
nous sommes dans l’obligation de douter, car la raison se plaît à
examiner. C’est une sorte de réflexe qui constamment
accompagne son action.
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On nous dit qu’il faut croire sans voir. Je prétends qu’il
faut se faire voyant, comprendre l’au-delà quand bien même cela
nécessiterait des perceptions paranormales.
Il faut donc croire en ouvrant les yeux et tenter de
percevoir la vérité. Et cette vérité-là est délétère, impalpable,
difficilement quantifiable avec les instruments de la rigueur.
Mais tout croire est folie. Nous voilà confrontés à une
sorte de magma incompréhensible où semblent jaillir çà et là
quelques taches de couleur un peu mieux discernables.
Le privilège serait d’aller plus loin que la pensée, et son
mécanisme. Il serait d’atteindre immédiatement la réponse juste,
en ligne droite, pour accomplir le moins de chemin possible,
c’est-à-dire agir avec l’effort minimum.
C’est encore une question de croyance, car il s’agit de
croire en soi, avec la certitude, sans opinion, sans balancement.
C’est la foi en l’homme, en l’esprit qui s’y cache ou y vit. À
savoir si cette foi-là sauve l’homme. Il est à craindre que
beaucoup se soient perdus.
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Penser, c’est vérifier
Penser, c’est vérifier. Ce qui signifierait qu’une
organisation cérébrale déjà a été construite. L’action de
l’intelligence consisterait à confirmer ce qui a été proposé à la
conscience.
Mais ce n’est peut-être qu’une apparence. Penser, ce n’est
pas toujours dire non. Il peut y avoir volonté de remplissage, de
recevoir des informations inconnues et de les stocker dans la
mémoire.
L’esprit n’est pas toujours à consentir, à prendre sans
douter. Il est dans une perspective de compréhension,
d’intégration de l’information offerte. Sa raison cherchera à n’être
pas trompée. Il ne doute pas de sa capacité à recevoir, il doute de
l’information que l’on met à sa disposition. Il devrait douter de sa
propre capacité à comprendre. Mais il croit en lui, et prétend
posséder suffisamment d’avertisseur pour être bon juge.
Chacun règne en son esprit et aime sa royauté, l’ignorant
comme le savant.
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Pourtant l’homme sait se dire non. Il dit non après
analyse, après détermination du message perçu. Non à sa
spéculation. Il ne peut pas toujours transformer le non en oui. Il y
a blanc parfois.
Quand la science s’abstient, il y a blanc. Elle sait que
grande est son ignorance, et espère reculer son inaptitude à
posséder la vérité.
C’est le oui, c’est le non, c’est la vérification, c’est
encore l’abstention. Avec ces comportements fondamentaux, la
pensée prétend avancer.
24
De juger
Il y a une intelligence qui pense de l’intérieur. Fidèle à
exploiter les informations reçues, elle trie, choisit, décide et agit
d’après cette déduction, ou d’après cette synthèse de perceptions.
Elle n’est pas faite pour enseigner ou conseiller autrui. Elle n’est
pas conçue pour aider l’autre. Non, elle cherche à se gouverner et
propose des actions à accomplir d’après l’état des choses qui lui
est suggéré.
Cette capacité de l’intelligence ne sert pas à prévoir ou
supposer. Elle n’a pas pour but d’aller dans l’avenir proche pour
en tirer des comportements à appliquer dans le présent.
Est-ce une aptitude purement humaine ? Peut-on
prétendre que l’animal est pourvu de cette qualité ? Difficile dans
l’état actuel de nos connaissances de pouvoir l’assurer.
Il s’agit du moins de juger - j’entends faire preuve de
synthèse et tirer de cette synthèse un comportement satisfaisant. Il
faut donc recevoir, accumuler des preuves et des certitudes, et en
extraire une vérité.
25
Puis un autre que moi-même qui est pourtant proche de
ma conscience exploitera cette décision pour décider d’un
comportement. C’est ainsi que cela doit s’accomplir.
Il est pourtant utile même pur un homme libre d’écouter
la raison d’autrui, d’avancer dans la pensée avec les soutiens
d’une personne tierce. Là où le flux de propos et de paroles
abonde, la décision s’enrichit d’informations nouvelles.
Enfin la raison est de se bien gouverner, de manière
autarcique, avec sa souveraineté. Oui, de la sorte, doit se
comporter tout bon esprit, sans trop de concession mais avec une
oreille ouverte pour le bon sens d’autrui...
26
La quête de la vérité
La quête de la vérité au moyen de l’intelligence est la
condition première de toute investigation philosophique.
L’homme possède un Esprit et sa volonté spirituelle lui impose à
comprendre les choses de la nature. S’il doit douter, c’est
toutefois de la qualité et de l’efficacité que son intelligence met à
sa disposition. Possède-t-il suffisamment de grandeur et de
puissance pour accéder aux réponses qui lui soumet sa curiosité ?
La nature complexe, à la pénétration difficile, que représente la
connaissance de cet objet tendrait à faire croire que la réponse est
négative. Mais il peut avancer à petits pas, et s’assurer ainsi que le
chemin parcouru était voie de certitude.
L’homme veut comprendre. Cela lui est utile pour vivre.
Il lui faut chercher et découvrir. La philosophie comme sa soeur
la science a besoin de posséder une représentation exacte des
objets qui l’environnent. De ces formes et de leur existence,
l’esprit construira un mode de perception et de représentation
indispensable à sa pensée.
27
Il y a donc travail de l’intelligence avec recherches,
doutes, suppositions, et démonstrations. L’esprit n’hésite pas à se
contredire, à user de l’opposition avec soi-même pour tenter de
pénétrer. L’esprit brasse et spécule, il aime à s’engager dans son
contraire. Par le jeu des oppositions, il veut extraire une solution
satisfaisante lui permettant d’avancer dans sa quête de
connaissances.
La pensée est immédiatement confrontée à une perception
globale et simultanée des éléments qui l’environnent. Le travail
de l’intelligence consistera à décomposer en sections simples ou
complexes, en thèmes majeurs ces différents assemblages qui
s’organisent dans une sorte d’ordre que l’on appelle Nature.
La pensée accède-t-elle immédiatement à une perception
de l’Absolu que l’on pourrait identifier à un Principe Divin ? Sa
volonté de chercher ne lui impose-t-elle pas d’abolir cette
conception-là pour s’en retourner à une décomposition des
éléments de la Nature ?
La pensée se développe en s’enrichissant de ses propres
expériences et de ses déterminations. Encore faut-il qu’au-delà de
sa propre vérité, qui parfois peut être trompeur, encore faut-il que
28
ce qu’elle emmagasine pour construire son système soit matériel
de certitude.
Ainsi la vérification par la raison, par les sens ou
l’expérience s’avère indispensable pour poursuivre son
élaboration.
29
L’intelligence doute
L’intelligence constamment doute dans le choix de ses
actions et dans le mécanisme de sa pensée. Et puisque c’est
manquer de raison que de se précipiter avec toute sa foi dans le
mouvement de l’existence, l’esprit sensé préfère s’abstenir ou du
moins aller doucement pour ne point commettre d’erreurs. Mais le
doute n’est pas toujours le plus sûr : il faut parfois quelques
particules de folie, quelques volontés audacieuses pour faire
avancer l’homme. L’intelligence a besoin de construire : il lui faut
de l’énergie, de la prestance et encore du risque. Mais ces actions
sont mesurées et c’est la certitude qui lui permet d’aller de
l’avant.
L’esprit insensé agit en premier et réfléchit par la suite
sans se soucier des conséquences désastreuses qu’un tel
comportement peut engendrer. Le doute est pourtant une
résistance à l’action. Il remet constamment en cause le départ, et
s’il avance quelque peu, c’est encore pour s’arrêter et regarder
derrière soi. Est-ce jugement ? Est-ce raison ? L’esprit veut faire
demi-tour, et recherche son point de départ.
30
Il s’agit de se bien gouverner, ou d’imiter les bons
modèles pour être certain de la manière dont il faut se comporter.
L’esprit du créateur, riche d’audaces et de folie, de
certitudes à peine perceptibles se voit dans l’obligation d’imiter
en cela l’insensé, et de poursuivre un chemin qu’il ne connaît
guère, qu’il n’a jamais emprunté ou qui ne mène nulle part.
Combien d’artistes ou de soi-disant génies se sont fourvoyés en
pénétrant des espaces inconnus de tous et d’eux-mêmes,
prétendant ouvrir de nouvelles portes et n’allaient en vérité sur
rien ! L’on pourrait rétorquer que ceci est encore du capital-risque
artistique, et qui ne tente rien n’a rien.
Je ne suis sûr que d’une certitude - celle de mon
ignorance. J’ai beau tenter d’apprendre et de savoir, je me sens
infiniment vide comme un alvéole d’abeille dépourvu de miel. Et
qu’aurai-je réellement appris à la fin de mon existence ? Que la
jeunesse ne se garde et que la mort nous appelle bien vite. Était-ce
donc cela que de vivre ?
31
Idées et réflexions
Il est assez difficile d’avoir des idées ; l’idée renferme la
notion d’inédit, d’inconnu. Il faut donc que ce qui est exprimé ou
rendu à autrui possède la propriété rare de l’imprévu. L’on détient
plus facilement des réflexions qui sont propres à chacun, mais
communes à tous, un peu mieux exprimées par les spécialistes et
grossièrement rendues par les esprits simples.
L’intelligence, par son travail, se propose d’assembler le
tout, d’extraire des endroits jugés utiles et de délaisser les moyens
précaires ou caducs. Il ne s’agit pas ici de mêler à l’emportepièce,
sans fil ni trame. Car l’esprit, pour bien se conduire, doit
avancer avec raison, accumulant les uns derrière les autres les
preuves ou les justificatifs.
La difficulté est de savoir douter, d’oser remettre en
cause le matériel à exploiter, qui se prête de bonne grâce et
semble prêt à l’emploi par la capacité loquace du débit. Il faut
donc se méfier, et apprendre à avancer lentement. Partout où
l’intelligence construit un procédé pour prouver, la critique, sa
fille aiguisée, se cache là à l’entrée de la bouche, prête à
intervenir pour faire cesser le babillage.
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C’est pourquoi s’il surgit une grande idée, il la faut
maîtriser avant que de la proposer à autrui. Il serait préférable de
la malaxer, de la refaire, de la presser dans sa chambre ou dans
son bureau, à l’écart de tous, sans cette détestable improvisation
qui peut casser par son inexpérience les plus beaux élans.
On ne peut guère être un inventeur d’idées. Le plus
souvent nous exploitons des lectures, des références, des
informations du quotidien pour extraire ou fusionner des concepts
disparates. Les grandes créations sont rarement l’œuvre d’un seul
homme. Elles découlent assez généralement d’un principe de
synthèse, de condensation opérées par une intelligence qui
ramasse les différentes mises. Nous ne faisons que perfectionner
des systèmes déjà existants.
Le vingtième a connu essentiellement deux grandes
découvertes : l’ordinateur et la télévision. Le dix-neuvième, plus
inventif peut-être, a vu ses découvertes fondamentales subir des
progrès techniques et technologiques considérables.
33
Des ressources humaines
Peu d’hommes inventent et conçoivent. Peu d’hommes
sont aptes à fixer leur intelligence sur un problème de sublimation
artistique ou de création technique. Le génie solitaire a peu de
chance de voir sa découverte reconnue. L’équipe de chercheurs
bien menée peut voir son projet déboucher sur une application
d’entreprise.
Il semble évident qu’une réussite médicale sera
hautement considérée par la communauté tandis qu’une œuvre
poétique laissera dans une différence quasi-générale.
Notre élite est de belle valeur. Pourquoi devrait-on s’en
étonner ? Les structures scolaires, pédagogiques et
professionnelles imposent une telle sélection, une telle aptitude à
l’obéissance, que les cerveaux se musclent, se fortifient et
deviennent de splendides petits soldats. Il n’y a ici de moquerie ;
Il y a constatation que les structures d’accueil sont de qualité et
permettent à l’intelligence supérieure de participer efficacement à
l’évolution de la civilisation.
34
Nous devons pourtant reconnaître qu’une obéissance
zélée peut engendrer une corruption de l’intelligence, qui
obséquieuse et soumise refusera d’aller au-delà de ce qu’elle peut
obtenir. Un caractère élevé, vif et rempli d’espoirs, constamment
arrêté par un système hiérarchique, usé et soumis, détruira sa
propre capacité subliminale, obsédé par la crainte de l’argent. Il
apprend à ruser, à truquer, trop soucieux de la rentabilité
financière, c’est-à-dire du salaire. Il devient habile renard
caressant à l’extrême, craignant de perdre sa place. Le salaire
détruit la sublimation. Puis l’âge, l’usure du temps achève ce qu’il
lui restait de capacité inventive. Voilà pourquoi la détection de la
ressource humaine est un volet de l’exploitation de l’intelligence.
Si elle ne s’accompagne de structures souples où la liberté
créative évolue, si elle étouffe la capacité inventive dans un
carcan de lois et de soumissions, jamais la potentialité humaine ne
parviendra à s’épanouir pleinement, et cela serait grand dommage
pour la civilisation.
35
Les postulats
La philosophie ne possède aucun postulat. Nulle vérité
n’est fondée. Le travail de l’intelligence consiste aussi à vérifier
que ce qui est avancé par les Anciens possède quelque fondement
de certitude. Elle n’a aucun diktat préétabli. Elle n’existe pas dans
un système de réflexions définies, même si le principe de
l’échafaudage philosophique réduit les conceptions, les idées, les
objections etc... dans un espace limité. L’élaboration du système
engendre un domaine de définitions. Consciemment ou
inconsciemment le philosophe construit donc un rempart
protecteur où il limite son entendement. Ses concepts ne sauraient
être multiréférentiels. Cette raison évidente découle du fait que
l’homme est une unité en soi. Le contenu ne saurait être déjà
pensé : il provient d’une accumulation d’expériences, de lectures
et de productions de réflexions. Le contenu peut être une
ramification d’un courant de pensées déjà existant.
Le postulat mathématique, lui est déjà établi. On exige, on
impose à l’intelligence de s’en référer immédiatement à
l’obéissance des anciens, prétendant qu’il n’y a pas d’autres
vérités que celles-là. L’exemple du repère est significatif. À l’état
36
de nature, la droite n’existe pas : tout est courbe, tout est
circulaire - voyez une pomme, un atome, un satellite.
L’ensemble est bien rond. Je prétends qu’il est quasiment
impossible de trouver des exemples naturels de droite. Une arête
de poisson est un segment de cercle - c’est un arc. Un os n’est
jamais tout à fait droit. Un arbre ne pousse jamais tel un bâton
sans se pencher un peu. On enseigne la droite, le repère
orthonormé, le système unitaire. Et pourtant cet outil ne permet
pas même de calculer le volume d’une sphère avec exactitude ! Or
la nature est essentiellement composée de sphères... Alors qui
croire ?
La philosophie n’a donc pas de point de départ. Elle se
conçoit dans son propre absolu - et telle est sa liberté.
37
L’intuition
Quand l’homme commun s’en réfère à cette sorte de
perception inexpliquée que l’on appelle intuition et prétend
posséder une vérité à travers un système de valeurs délétères et
floues, l’on peut en toute objectivité se demander s’il fait preuve
d’aberration ou si, inconsciemment il n’a pas opéré un ensemble
d’actions analytiques imperceptibles lui permettant toutefois de
tirer une certitude ou sa certitude concernant le fait déterminé.
Je prétends que celui qui juge d’après sa sensibilité
épidermique agit en une fraction de secondes par esprit de
synthèse, ayant mémorisé des situations, des renseignements, de
l’expérience lui permettant de conclure à cela. Il y aurait donc
conscience de l’individu, certitude immédiate fondée ou non sur
un ensemble de déterminants à peine captables, mais en nombre
suffisant pour tirer une information.
S’il vient à partager avec autrui cette perception, la même
référence d’analyse assez souvent tombe d’avis semblable. Cette
vérité de l’immédiat sans fondement réel conscient peut paraître
38
détestable, car dépourvue de raison et d’analyse. Cette vérité-là
semble ne posséder aucune richesse constructible intellectuelle.
39
La certitude de l’immédiat
Le contenu de la certitude de l’immédiat laisse apparaître
une connaissance quasi imparfaite, exploitant une détermination
réalisée dans un temps très court. Il n’y a pas spéculation, doute
ou retenue. L’intelligence prétend posséder la vérité, sa vérité
d’après une analyse macro, grossière et incertaine. Comment un
esprit raisonné, pourvu de sens critique aiguisé peut-il se
précipiter dans un choix épidermique, réactif, sans enchaînement
rationnel ou logique aucun ? Car il a la possibilité d’offrir à sa
critique une richesse d’informations issue de l’expérience. Cette
vérité-là semble loin d’être vraie, et pourtant elle est référentielle
pour un grand nombre d’options, de choix ou d’opinion. Elle n’a
pourtant accompli aucune analyse méthodique de l’objet mais le
prend dans son entier. Sa certitude est approximative, floue et
abstraite.
40
Dialectique négative
L’évolution scientifique s’opère essentiellement par la
connaissance de la proposition négative. La détermination de cette
certitude permet d’accéder à une vérité infaillible. Ce négatif-là
dans sa pure essence possède une affirmation qui ne peut être
contredite, celle de n’être pas.
Quand l’intelligence détient une vérité, il faut que celle-ci
soit suffisamment épurée, sans scories de doutes ou d’hypothèses
sous-jacentes. Car s’il advenait qu’une seule partie de l’ensemble
fût possiblement vraie, il faudrait l’extraire, la discuter et la
vérifier encore.
Le doute doit être de rigueur, car le négatif dans sa
proposition principale pourrait servir d’éléments absorbant à
l’image du zéro pour la multiplication, qui imprègne quelconque
réel et quel que soit son rang pur le réduire à l’état de rien.
que 10 = 100.
Si 0 x 100 = 0 x 10, je dois bien me garder de prétendre
41
La conscience et l’instinct
La conscience est la morale de l’âme. Elle s’impose
comme juge possédant sa propre sagesse pour déterminer son
système de valeurs. Elle s’oppose donc à l’instinct qui lui produit
des actions sans analyse aucune. L’instinct ne détient aucune
objectivité - il agit par loi de nature, de manière animalière. À
moins qu’il faille considérer qu’une accumulation de certitudes
s’est imposée à l’esprit, et que celui-ci ne réagit pas de manière
spontanée face à une situation précise et présupposée. Il y aurait
donc accumulation d’expériences et violence dans le fait, tel un
jaguar aux aguets prêt à bondir. L’instinct libérerait donc de la
conscience qui était intégrée à son concept d’existence. Dans
l’instinct, l’intelligence exprime une détermination qui se
développe ou explose de manière instantanée. L’accumulation de
la force intérieure peut découler d’un lent processus justifiant un
laps de temps relativement long avant l’acte d’explosion.
La morale peut être extrémiste et prétendre toutefois au
bien fondé de sa valeur.
42
Le royaume du doute
La philosophie habite le royaume du doute, de l’à-peuprès
et de l’incertain. Constamment elle se fonde sur du délétère
et de l’impalpable pour tenter de construire ses fondations. Je ne
l’accuse pas, je constate. Elle désire accéder à la vérité, à la
connaissance exacte mais le matériel de mots, de dialectique, de
sensations qu’elle exploite, - ses outils en quelque sorte -, sont
loin de posséder la rigueur et la qualité des outils de la
mathématique ou de la physique.
Elle n’est pas plus propriétaire de l’idée que la science.
L’esprit scientifique nécessite des perceptions, des suppositions,
des sortes d’intuitions qui lui permettent d’envisager ou
d’élaborer des théories.
La volonté d’accéder au savoir n’est pas le propre de la
philosophie, quand bien même son essence est de désirer
comprendre. Elle est un immense brasseur de la connaissance,
puis tente d’organiser par ressemblance, par énergie, par élan de
vie l’ensemble du matériel dont elle dispose. Elle ignore le plus
souvent qu’elle ne détient pas tous les éléments utiles à sa
43
construction. Ce qui explique que son architecture ici et là repose
sur des malfaçons ou s’affaisse quelque peu.
Ce besoin vital qu’est la curiosité de l’homme doit
répondre à un sentiment de dignité. Il est en effet estimable de
vouloir atteindre les plus hautes vérités. La conscience du bien et
du mal, du réel et du mensonge, du visible et de l’invisible, du
Dieu et du Néant engendrant la détermination de son propre
devenir ne saurait être trop grande pour la satisfaction de l’esprit.
Est-ce l’amour de la vérité qu’au fond de soi-même
cherche irrésistiblement l’homme ? N’est-ce pas plutôt une
indispensable nécessité pour avancer avec les pieds affermis sur le
parcours de l’existence ?
S’il est un Dieu, créateur de toutes choses, l’essence
même de l’univers restera pour longtemps cachée à l’intelligence
de l’homme. Sa capacité spirituelle ne lui permettra pas de
posséder les richesses et les profondeurs d’une si vaste nature.
44
Méthode d’intégration
Le temps est un paramètre indispensable à tout système
de vie, au même titre que la longueur, la largeur ou la profondeur.
L’une des caractéristiques qui spécifie tout ce qui est vivant ou
inanimé, est sa soumission au vieillissement ou à l’érosion.
Comment dans ces conditions de dimensions humaines
parvenir à accéder à un savoir ou à une formation suffisante tandis
que le temps est assassin, et n’est jamais à son côté, mais se
positionne contre soi ?
Il faut donc s’imposer des règles ou des lois, des sortes
de principes d’existence, et les tenir fermement pour avancer sans
commettre trop d’erreurs.
La première est bien de recevoir les choses pour vraies et
de tenter de les assimiler le plus rapidement possible. Il faut
toutefois éviter la précipitation, et ceci est balancement et bonne
mesure. “Intègre tout d’abord, tu comprendras par la suite”. Il faut
donc s’en référer au savoir et à l’expérience du corps enseignant
et de l’autorité parentale. La contrainte de cette obligation est le
45
doute, que toute intelligence possède. Car si en quelque occasion
l’esprit a raison de douter, tout le système peut être discuté et
donc remis en cause.
La seconde est de globaliser le problème dans son
ensemble, de le comprendre outre le détail, et de chercher à
atteindre la synthèse immédiatement. L’esprit qui tente de
comprendre exploitera son énergie dans une analyse détaillée de
chaque élément, et usera sa fonction intellectuelle à des fins
puériles. Y a-t-il des objections ? Évidemment, mais j’exprime un
système de pensées permettant d’y gagner en temps. L’on
comprendra que l’intelligence doit accepter sans trop se soucier
de la démonstration et d’aller outre l’analyse pour atteindre la
finalité. Je songe à ces enfants qui désirent tout intégrer du cours
de mathématique, et forcent leur attention sur la démonstration du
professeur, et n’ont de réserve de compréhension pour assimiler le
théorème ou l’axiome qui est l’instrument-clé de l’exercice à
obtenir.
La troisième sera de revenir sur l’ensemble des objets qui
ont été intégrés, et de prétendre par le jeu de la décomposition
d’en tirer l’explication sur chaque endroit. Il ne s’agit pas
d’ordonner sa pensée pour aller du plus simple au plus complexe.
46
Il s’agit d’assimiler l’endroit où il y a résistance, sans pour autant
s’imposer à décortiquer l’ensemble des endroits.
Les longues chaînes qui encastrent les raisonnements les
uns dans les autres alourdissent les démonstrations, fatiguent
l’intelligence qui les doit assimiler. Est-il possible que toutes ces
choses parviennent à la connaissance de l’homme sans qu’il ait le
souci de tout redécomposer ? Il est vrai que l’organisation et
l’ordre balisent le cerveau, et lui permettent d’avancer à pas
certains.
47
Imaginer
Imaginer, c’est parfois concevoir un objet ou l’ombre
d’un objet, et prétendre possible son action sur nos sens ou sur
une sélection de nos sens. L’imagination du présommeil, - celle
qui fabrique assez rapidement des perceptions visuelles
n’intervient que sur un seul de nos sens : ni le toucher, ni l’auditif,
ni le tactile, ni le goût n’en exploitent la création. Nous voici donc
confrontés à une sorte d’impression à deux dimensions mollement
animée, aux contours nets ou parfois indéfinissables, rarement
colorée, sans forme réelle. C’est une espèce de fantôme gazé venu
de la fabrication de traits, qui apparaît en un lieu, celui du front,
qui accomplit quelques mouvements et s’efface d’un coup.
En réfléchissant quelques instants sur son origine, on
peut prétendre qu’il naît de l’énergie électrique permettant
l’activité de l’intelligence. Son explication trouve son essence
dans le travail du rêve : il est symbolique, condensation,
concentration, allusion.
Je veux prétendre ici un exemple. Une nuit, j’interrogeais
mon cerveau et je lui dis : montre-moi ce que tu aurais voulu être.
48
Après un laps de temps très court, je reçois une image. C’était un
cercle blanc coupé d’une croix ressemblant à un X. Et je compris
immédiatement la signification du message.
Le cercle blanc symbolise la pureté et le logo de Dieu,
l’X est une croix chrétienne, il est aussi la représentation de
l’école de Polytechnique.
J’eusse donc aimé accomplir une Grande École et
accéder à la purification divine. L’on peut évidemment tirer
d’autres explications de cette image, mais j’en resterai là.
Toute image visuelle renferme donc un relief et un sens.
Il faut en comprendre son signifiant. Après quoi, l’on peut
s’attarder sur un commentaire pour en dégager l’explication. Si
l’image condensée semble en rendre ambigu le sens,
l’investigation freudienne facilite son approche.
Si j’avais ordonné à cette espèce de machine placée dans
le cerveau, de faire resurgir une image précise, il est évident
qu’elle en aurait été incapable. L’on tire de cette observation que
l’on ne saurait inventer ce que nous désirons.
49
La capacité d’exploiter la mémoire auditive semble
encore plus délicate à maîtriser. Comment faire surgir la
perception de voix bien précises, de mélodies longtemps
entendues ?
On semble être capable de retrouver, mais non pas
d’enregistrer parfaitement un son comme cela se fait avec une
récitation. Il ne s’agit peut-être pas du même mécanisme de
perception intellectuelle.
Nous avons pourtant un film enregistreur placé quelque
part dans le cerveau. Dans les rêves, nous entendons bien des voix
qui ne sont pas les nôtres. Non, il n’y a pas d’erreur, il s’agit ici
d’une voix constituée par la mémoire, donc par une aptitude de
mémorisation. Mais le mécanisme semble complexe. Les
biologiques trouveront peut-être la clé de ce mystère.
50
Dédoublement
Rien ne change en moi, ou si peu ; j’ai la certitude de
pouvoir maîtriser un grand nombre de perceptions, du moins je le
prétends. Mais n’est-ce pas déraisonnable de faire preuve d’une
telle assurance ? Non ! Voyons ! Cela était de l’humour... Je m’en
retourne au sérieux.
Quelle pensée me faut-il aborder ? De quoi voudrais-je
parler ? Je souhaiterais m’intéresser au problème du Moi. Il est
vrai que je ne puis échapper à sa vérité - le sujet de mes pensées
est toujours et encore moi ! Ne pas être me semble donc
impossible. Mais serait-il absurde de penser que je puisse être
deux ?
Je veux m’imaginer détenir un frère jumeau, de même
essence, possédant mes caractéristiques génétiques, ayant reçu et
perçu la même culture et les mêmes informations.
Je suis donc un, et je puis être deux. Mon frère me
ressemble pareillement. Je puis dire que je suis l’autre et que
l’autre est moi. Je reste le même tout en me dédoublant. J’épargne
51
le prix d’une glace, et me contemple à mon aise. Je dois m’aimer
à la manière de Narcisse, ou mieux apprécier mes faiblesses et
mes défauts.
Je puis posséder le don d’iniquité, et être en deux endroits
simultanément. Imaginons un instant que je puisse, étant en deux
lieux différents, posséder deux variables temporelles, t1 et t2 qui
se situent à deux moments distincts. Je parviendrai donc en
fonction d’un présent connu à pouvoir me comporter autrement
dans un avenir proche, ayant connaissance des conséquences
d’évènements futurs... Mais il faudrait pour cela que je fusse doté
de ces deux variables temporelles. Je ne possède que deux Moi, ce
qui déjà est un privilège... Il est peut-être vain de spéculer sur la
quatrième dimension.
Il est vrai que les deux temps pourraient faire partie d’un
même temps, et les deux espaces d’une même espace. Les deux
Moi pourraient s’associer à nouveau, pourquoi pas ? Mais
l’expérience prendrait fin, et plus rien ne serait plausible. Il n’est
donc pas question ici de faire apparaître le Moi unique. Je reste
avec ces deux Moi, et c’est pourquoi je prétends que nous
pensons, distinctement est plausible?
52
Les deux Moi sont puissants et concrets. Ils peuvent se
contredire, ou s’instruire quelque peu l’un l’autre. L’unité de ces
deux personnalités est toutefois incompatible, je reste pourtant
bien séparé. Je suis en ce moi-même et je suis en cet autre. À moi
de vivre avec cette apparente contradiction : être là et être ailleurs,
uni et désuni. Je dois pour autant m’efforcer d’être en accord avec
moi. Il me suffit de concevoir tout simplement cette notion
concrète du nous pensons.
Nous sommes, unis et séparés. Voilà une pensée de
dédoublement qui semble fantaisiste par son contenu, mais qui
par la Loi de Dieu et de Son Esprit pourrait s’avérer exacte.
53
Volonté d’abolir la conscience
Je veux fermer mes yeux, protéger mes oreilles pour ne
plus rien entendre, rejeter consciemment par ordre logique toutes
les perceptions que je puis avoir du monde extérieur. Ainsi fait,
tout ce que je reçois d’autrui est aboli, n’existe plus par la
suppression de l’activité de mes sens. Le concept matériel se
détruit dans le silence de cette nuit profonde. Je suis un peu cet
aveugle sourd et muet. Je suis bien en moi, et cette perception
relève d’une étonnante intensité. Je reçois toutefois des
informations venues de l’extérieur, d’une zone périphérique qui
encercle mon corps. Le sensitif n’est pas inactif, mais pleinement
efficace. Je possède aussi cette mémoire des souvenirs engendrés.
Leur impression est forte et pleine. Ce degré de perception, sa
hauteur d’intensité est fonction de l’abolition des autres sens.
Comment parvenir à une perception qui s’approcherait du point
zéro ? Comment obtenir une non-conscience parfaite du moi ?
Car je ne puis gommer la trace de cette mémoire
construite sur de l’acquis et de l’expérience. Je possède encore
cette certitude d’activité qui anime mon cerveau, puisque je
pense, et peux l’exprimer. Je vais toutefois tenter de réduire
54
encore ces messages reçus du monde, c’est-à-dire de l’extérieur.
Les voilà à présent réduits à une portion congrue, à de l’infinie
insignifiance. Tout va-t-il disparaître ? Cela semble difficile,
puisqu’un autre effet de conscience vient supputer ou se substituer
à ce dernier pour analyser l’ultime perception. Je me vois donc
dans l’obligation d’une constance de sensation, et pour l’abolir, il
faudrait accéder à une destruction de la conscience, ou pour dire
autrement à une mort biologique de ma cervelle. Je ressuscite à
chaque instant par la conscience de ma perception ! Je tache de
détruire, mais je reçois encore soit venus du dedans, soit imposés
par l’extérieur, des messages de vie.
55
CHAPITRE SECOND
56
De la Mathématique
La Mathématique
Le doute, en tant que pensée parfaite, peut s’appliquer à
toutes les formes et aspects du savoir. Il serait une sorte de
témoignage de l’insuffisance et de la faiblesse de ce qui est
avancé ou certifié. Mais il peut être un instrument qui ralentit, qui
retient la pensée jusqu’à lui imposer une vérité infaillible. Il est
pour la raison une perte de temps le plus souvent. Car faut-il
réellement douter de ce que le bon sens offre à tout à chacun ? Le
principe mathématique possède plusieurs moments. Il y a en un,
le postulat à la question qui désire exprimer ce que l’on va tenter
de démontrer ; il y en a deux, la démonstration elle-même,
détenant une méthode d’investigation, et prétendant avancer avec
certitude ; il y a en trois la finalité, c’est-à-dire la preuve qui a été
tirée de ce mouvement logique. Le doute, trouve alors des formes
satisfaisantes, certifiées par la démonstration, et son scepticisme
se défait de son concept négatif.
57
La science possède en elle-même une immense part de
doute. Si elle admet une hypothèse, elle n’exploite sa preuve
qu’avec la certitude de sa démonstration. La logique dialectique
s’est débarrassée de tout parasitage, de tout élément variant ou
d’exception. Elle n’évolue que dans un espace déterminé, fini,
contingenté. Ainsi elle parvient à extraire des vérités et là est son
immense force. De là prétendre qu’elle possède toutes les formes
de savoir, de connaissances, de passé et d’avenir, qu’elle
s’accompagne de sensibilité humaine... Je puis dire que la
mathématique est vraie, car elle évolue dans une structure
restrictive.
58
Le vrai
Selon moi, et cette appréciation peut être justifiée par la
certitude de son impuissance, - l’homme ne sait rien, ou peu. Sa
connaissance est fragmentaire, en mouvement. Son vrai est de
faible valeur, à l’orée d’une civilisation. Pourtant il lui faut
chercher, évoluer, comprendre, percevoir les mécanismes visibles
et invisibles qui régissent les lois de la nature. Il doit aussi se
projeter dans son passé pour y comprendre l’avenir, et spéculer
sur l’éventualité d’une autre forme de vie en dehors du système
terrestre. Il doit encore tenter d’accéder à la conception Divine, -
seule substance qui a inquiété les hommes de toutes époques et de
toutes civilisations.
Peut-on prétendre que son fini est vrai ? Son fini n’est
qu’une étape, qu’une borne, qu’une transition de savoir devant
permettre d’obtenir une vérité pleine. Il cherche à casser du
Néant, à souffler sur les brouillards pour tendre vers une vérité. Il
doit se dépasser. Sa volonté est dans le dépassement.
Le vrai et le faux sont par la simplicité de leur
détermination deux notions opposées, intimement unies par la
59
certitude du contraire, fixées, ne possédant que des éléments
inverses pour les associer. Cela est fort pratique pour analyser,
prétendre ou certifier dans le domaine rationnel de la science et de
la science appliquée. Et cette vérité-là dans un espace de travail
bien limité, dans une sorte de royaume autarcique, permet de
détenir des plans, d’échafauder des constructions par les principes
mêmes qui y sont exploités. Le vrai et le faux y sont facilement
discernables. Nous sommes en plein dans l’esprit de géométrie de
Blaise Pascal. Le faux apparaît donc comme étant l’aspect négatif
de l’idée, ou de la substance. Cette partie de l’idée renferme une
notion négative essentiellement parce que son concept est
facilement déterminable, sa différenciation se conçoit avec
lucidité, et peut se comparer à la main droite et la main gauche : il
ne propose que deux cas possibles, - ce qui simplifie
considérablement le choix.
60
De la géométrie et de l’intuition
L’esprit sans raison est un bateau sans cap.
Constamment il divague, et ne sait où aller, empruntant tous les
chemins sans savoir lequel suivre. Aussi faut-il s’imposer un bon
principe d’investigation intellectuelle, basé sur une méthode
efficace qui s’allie assez sensiblement au principe scientifique.
L’esprit logique exploitera les procédés que l’expérience humaine
répétitive met à sa disposition, et tentera parfois de pénétrer une
issue jusqu’alors inconnue. L’avancée rationnelle s’avère
indispensable et l’esprit parviendra à découvrir ce qu’il s’était
promis de chercher. On observera que s’il ne parvient pas à
atteindre son but, retournant sur ses propres pas avec son système
bien indiqué, il ne pourra se perdre, mais reviendra à son point de
départ sans dommage aucun.
Pourtant il serait sot de prétendre que seul le mode
d’emploi scientifique permet d’accéder à une vérité à découvrir.
La science peut même, par son principe rigide, détruire toute une
spéculation, toute une tentative audacieuse que savent à merveille
investir les artistes. La preuve directe, constamment productible
impose de l’expérience qu’elle soit renouvelable.
61
Et chacun sait que certains phénomènes tirent la
propriété ou leur spécificité de leur incapacité à être reproduits.
Il est toutefois à supposer que le mathématicien ou que le
physicien pénétrant dans des recherches de plus en plus
profondes, faisant preuve de hardiesse et de capital-risque
investissement en utilisant des procédés à la limite de la régularité
scientifique.
Ces moyens employés, je ne puis les condamner ayant
constamment travaillé avec l’esprit de finesse et ayant été dans
l’obligation de délaisser l’esprit de géométrie dont Pascal nous
avait nourris sur notre adolescence.
Il faut donc le plus souvent aller au-delà de ce que la
doctrine enseigne, et pénétrer dans cette haute difficulté dont les
parties ne sont ni évidentes ni clarifiées, en utilisant son propre
système de perception.
Quant à l’efficacité de cette méthode, il est difficilement
possible de quantifier ses performances. Du moins sa portée
62
semble être immédiate pour les hommes de science, comme grand
nombre d’entre eux avouent l’utiliser régulièrement.
Mais ce sont là de vieilles recettes, connues depuis des
millénaires par les hommes de rigueur, qui percevaient une sorte
de vérité dans l’air du temps sans pouvoir réellement prouver son
origine. Ce que l’on a obtenu pour preuve a souvent été senti ou
pressenti par la conscience, réfutant parfois ce qui lui paraissait
évident, étant dans l’incapacité de le démontrer par la raison. Puis
la certitude vint, et la chose fut entendue.
63
Le 1 et le 0
Le vrai et le faux, le 1 et le 0 sont des valeurs basées du
langage mathématique, totalement épurés de quelconque contenu.
Le concept de la vérité épouse un nuancier beaucoup plus subtil
comparable aux différentes couleurs qui composent l’immense
palette de la nature. Le vrai et le faux peuvent se mêler, et ce qui
semble vérité dans tel espace, dans telle situation et dans un
domaine de définition bien précis pourra s’avérer entièrement
faux si l’on vient à faire varier un infime paramètre.
La vérité mathématique tire son essence des propriétés et
des lois qui la régissent. Sa nature justifie son existence par les
lois mêmes qui la construisent, et c’est sur cette vérité-là qu’elle
assoie sa certitude. C’est ainsi que le sens et la nature de la
mathématique trouvent leur origine, leur développement et leur
avenir par le résultat obtenu qui devient une preuve.
Je vais ici donner un exemple : j’affirme être une banque
qui accomplit des opérations financières et qui possède en dépôt
500 millions de dollars. On me pose cette question : “ Qui êtesvous
? ” Je réponds : je suis une banque qui accomplit des
64
opérations financières. L’on insiste : quel est le montant de vos
dépôts, - je réponds : je possède en dépôt 500 millions de dollars.
L’on voit l’importance capitale du rapport entre le
contenu et son sujet. L’affirmation est vraie, et tire son
explication de son origine.
La production du résultat découle d’une connaissance
certifiée et prouvée. Et tel est le privilège de la logique
dialectique.
Le savoir philosophie veut spéculer sur le faux, sur le
doute et le possible. Il refuse d’exclure l’indéterminé. La thèse et
l’antithèse avancent ensemble pour accéder à la voie de la vérité.
De ces deux conceptions naît un troisième concept : la synthèse.
L’unification de ces deux mouvements contribue à agrandir le
savoir philosophique.
65
Insensible mathématique...
La dialectique mathématique ignore la sensibilité, la
transmission de l’amour, l’affectivité etc... Elle n’étudie que le
rapport entre les grandeurs, et se plaît à accomplir des opérations
sur de la matière inanimée. Son royaume est le calcul des masses
déplacées. Son matériel est très grossier. Il ignore l’essence des
phénomènes. Il ne se soucie que des rapports de divisions ou de
multiplications. La mathématique refuse de considérer la réalité
de l’esprit. Nous sommes confrontés à du matérialisme primaire.
C’est pourquoi de petites machines sont aptes à résoudre des
problèmes de calculs proportionnés de dix en dix. L’aptitude de la
pensée qui produit d’autres pensées et conçoit le calcul, lui
semble inexistant. La forme de la réalité qui est le plus souvent à
saisir dans son schématisme ou son symbolisme, lui est inconnu.
Elle ne vit que dans l’analyse du phénomène réel mais la
puissance de l’âme qui produit ce phénomène n’a pas lieu d’être.
Elle n’est donc qu’un outil au service d’un certain type de
raisonnement, qu’un calcul de compas, qu’une distance à
prétendre, qu’une balance à peser. Elle ne peut pas engendrer et sa
créativité est nulle.
66
Il ne sera pas aisé de vouloir déterminer le vrai dans son
essence et dans son sujet ; car le vrai, s’il possède cette propriété
et s’il en tire son principe d’existence et la transmet sur des objets,
il ne peut en prétendre la valeur universelle. Le vrai est vrai car il
évolue dans un espace limité avec un domaine de définition bien
précis. En dehors de ce domaine, cette vérité devient aléatoire et
ne peut être démontrée.
67
CHAPITRE TROISIÈME
68
De l’Art
Trois distinctions dans l’art
On peut déterminer trois distinctions fondamentales
permettant aisément, mais de manière totalitaire toutefois, de
sectionner le concept de l’Art. Nous pourrions y voir trois
représentations de l’action de l’homme dans la matière.
Il y a tout d’abord, la forme purifiée, simplifiée dont
l’Idéal recherche la symbolique. On la trouve le plus souvent dans
le signe exprimant par la limitation du sens une restriction à
exprimer. Elle se veut parfois synthèse de plusieurs explications,
et n’hésite pas à utiliser le travail de condensation. Apparue dans
les sociétés primitives, la forme purifiée avec le symbolisme et
autres Écoles d’Art a connu un immense succès à la fin du XIXe
siècle. Cette forme exploite les vérités de la nature ou des
comportements humains, mais se trouve confrontée à leur
interprétation. Elle se dépouille de l’habillage, de l’abondance,
pour ne saisir que l’essentiel. Son concept refuse l’identification
exacte.
69
Permet-elle par la purification de ses traits, de son Idée
d’offrir au receveur la capacité d’intégrer totalement le message
offert ? N’est-elle pas une sorte de raccourci, un principe codé,
uniquement accessible à l’amateur possédant déjà une charge
culturelle importante ?
Elle est donc une représentation abstraite qui nécessite une
interprétation. Sa forme n’est pas accomplie mais épurée.
La seconde distinction fondamentale s’apparente à la
forme classique. Elle se veut objectivité concrète, sans excès ni
fioritures. La volonté de l’artiste sera de reproduire avec le
maximum de ressemblance l’objet à réaliser. Et l’on peut songer
aux commandes exécutées par les peintres officiels et à la qualité
exacte des portraits obtenus. Certaines civilisations optent pour
une représentation fidèle du produit à imiter. Mais la naïveté ou le
manque de compétence de ses artistes réduisent à une
configuration enfantine l’œuvre exécutée.
L’Esprit qui pense se détermine et veut déterminer
l’objet extérieur qu’il désire figurer. Il perçoit très nettement la
forme externe, il tentera de s’unir parfaitement avec cette réalité
objective. Il s’agit ici d’une imitation fidèle du travail à
70
accomplir. Le contenu de l’œuvre sera donc limité à sa propre
explication. Si la pensée est fidèle, si sa matière est parfaitement
déterminée, son interprétation en est donc bornée. Cette forme
d’Art applique fidèlement l’Idée perçue.
Il en est tout autrement de la troisième distinction dont la
caractéristique essentielle est d’interpréter le contenu à définir.
L’Esprit décide alors d’intégrer sa propre définition, exploite le
travail de son intelligence, et imprègne son action personnelle
dans la représentation externe. La forme obtenue n’est plus
qu’une extériorité, qu’une vision transformée par le travail de
l’artiste. Le vrai a disparu, et laisse la place à une détermination
totalement subjective. Il n’est nulle clé permettant de comprendre
le sens de l’œuvre. Il faut donc épouser la particularité du
créateur. On voit les immenses difficultés qu’engendre cette
troisième section de l’art. Elle peut rejeter des artistes de qualité
exceptionnelle mais inaptes à plaire ou à séduire. Mais elle peut
tout aussi bien reconnaître des artistes qui n’auraient qu’une
qualité douteuse et dont le temps se défera.
71
Le vouloir créatif
Il faut donc accéder à la connaissance qui permettra de
concevoir de la création. Y a-t-il méthode, principe
d’investigation intellectuelle, système d’assemblage, de
condensation favorisant l’explosion d’un produit artistique ou
scientifique nouveau ? Comment faut-il saisir l’instant autorisant
quelque délire, menant l’idée jusqu’à sa finalité dans le réel ?
Comment passer de l’imperceptible, de l’insignifiant et pouvoir le
détecter pour l’épanouir dans le supérieur où règnent les pensées ?
L’imagination ne permet pas de comprendre - elle n’est qu’un
vaste réservoir où grouillent des centaines d’idées sans
association aucune, le plus souvent. Elle n’est pas un moyen
propre à l’entendement, - non. Mais elle est le lieu où l’audace
dépasse la raison, où le risque se défait du rationnel. Ceux qui
désirent utiliser la loi et le bâton pour avancer, s’interdirent tout
volume de liberté.
L’intelligence humaine créative se nourrit de constants
changements dans l’appréciation. Ces évolutions ou ces variables
de la perception favorisent une représentation autre de
l’information reçue. Entre les informations reçues et le travail de
72
l’esprit, il y a un temps durant lequel la conscience ou quelque
chose d’équivalent dit : Comment interprètes-tu cela ?
Il faut se comprendre, et parvenir à admettre que cette
perception est bonne ou utile, et doit découler sur une forme
nouvelle et inventive. Il faut posséder également une certitude
dans son avancée et détenir cette puissance du vouloir, qui va audelà
de la critique d’autrui, au-delà de sa propre résistance, qui est
ténacité vers l’avenir.
73
Arpèges sur le beau
Le beau n’a pas besoin de s’associer à la vérité pour
exister. Il n’est pas même un soupçon de cette vérité, il peut se
situer en dehors. Le vrai est parfois beau. L’essence du vrai, c’est
le Principe avant toute application, avant toute vérification de sa
certitude. Le Principe peut donc concevoir dans le beau, il peut
concevoir uniquement du beau, alors il est Art avec lois et
techniques et maîtrise. Le Principe peut être vrai. S’il est faux, il
ne peut résister à l’usure du temps. Car les générations le
soumettront à rude exigence, à vérifications. La critique sait le
ruiner et cherche à réduire son influence. S’il est vrai et fort, il
résiste, - il est - sinon, il s’en retourne à l’état de Néant. La Pensée
peut être pure, chercher le Beau dans son Essence, dans son
application, mais parfois être décevante dans sa réalisation.
Le beau doit charmer la conscience, la séduire. S’il
étonne, c’est qu’il possède une charge autre, et ce sont peut-être
ses techniques et ses méthodes que l’on cherche à découvrir. Si le
Beau a communiqué son apparence externe, c’est qu’il est en
osmose avec la conscience de l’autre.
74
Le Beau habille l’Idée, il est l’épiderme superficiel de la
pensée. Le beau s’associe à la forme, quand la forme vise le
concept de l’art.
La logique rationnelle appliquant son système de
vérification n’est pas toujours l’instrument adopté à la
détermination du Beau. Le Beau n’a pas à être soumis à l’analyse,
il se reçoit dans son ensemble, et l’entendement s’opère de
manière globale, d’un bloc. La décomposition du Beau peut
engendrer le mépris ou l’indifférence. Un tableau, une œuvre de
sculpture se reçoivent dans leur ensemble, et le Beau “ fouette la
gueule ” comme une révélation. La perception doit être unifiée,
car la décomposition de l’œuvre casse l’élan général.
Si le beau n’est pas libre, s’il ne peut imposer ses propres
exigences, s’il est limité par l’entendement et la commande
d’autrui, sa réalité devient objective, et il y perd en sensibilité. Si
l’exécution du Beau doit être libre, on comprendra que son
essence elle-même qui trouve naissance à l’intérieur est plus libre
encore. Le beau se nourrit de l’énergie du créateur, de sa
technique et de son inspiration. Il prélève des éléments dans la
nature et dans le savoir des hommes. Si le beau est objectif, son
75
essence est asservie à une finitude. Il se met au service du
pouvoir, et ne possède plus cette indépendance d’actions.
76
De l’art
L’esprit supérieur, détaché de toute contrainte matérielle,
étant parvenu à créer des espaces temporels de liberté cherche une
essence élevée où sa conscience pourra jouir d’un bien-être. Cet
espace n’est pas un espace de vérité et de certitude où les
oppositions et les contradictions cessent enfin de se confronter,
non. La certitude y est relative, le savoir et son objet ne détiennent
qu’une partie infime du vrai. Quelle que soit la forme qu’elle
dégage ou le fond qu’elle renferme, elle ne peut prétendre valider
sa vérité. Cette matière du génie humain est évidemment l’art.
La conscience du vulgaire ne se soucie que fort peu de
cette discipline. Elle éprouve d’étonnantes difficultés à intégrer sa
valeur et lui préfère des considérations d’ordre primaire. Elle la
rejette ou cherche un autre support pour satisfaire ses désirs
immédiats. Elle résoudra des problèmes proches des besoins
suscités par la survivance à la nature.
L’esprit va donc pénétrer une forme qui sera chargée
d’un signifiant à travers un objet. L’esprit portera à sa conscience
77
la vérité de cet objet. Ayant considéré la valeur de son contenu, il
en déterminera son utilité.
Il veut saisir ou pénétrer avec profondeur une perception
de forme à travers une sensibilité, il veut comprendre l’absolu qui
se présente à sa conscience, et en exploitant son intuition
accouplée à sa raison, il déterminera la jouissance et l’utilité qu’il
peut en tirer.
La réaction peut dans un premier temps être nourrie de
sensibilité. C’est une sorte de perception immédiate qui engendre
parfois l’acceptation ou le refus. Dans le second temps,
l’intelligence décide d’associer une représentation de l’objet offert
tirée de sa mémoire. La troisième phase de l’analyse de ce produit
artistique consiste à construire une critique raisonnée qui provient
de l’esprit.
78
Esthétique
L’esthétique recherche la grandeur, la beauté,
l’admiration mêlées au plaisir. Il est évident que le beau de la
nature répond parfaitement à cette définition. Il n’est qu’à
considérer le spectacle d’un coucher de soleil, des teintes rousses
de l’automne, ou du fracas des vagues ballottées par la tempête
pour comprendre avec précision ce que l’entendement humain
suppose derrière cette définition.
Il serait stupide d’évincer de cette détermination le beau
caché ou enfoui de la science pure. J’en veux pour exemple les
magnifiques représentations microscopiques des systèmes
cristallisés, les constructions infiniment petites des briques de la
matière, ou les décompositions spectrales de la lumière.
L’homme a inventé l’art. Il a prétendu proposer une
représentation parfaite de la nature, avec sa sensibilité, ses
dispositions, ses oppositions et ses différences. Y est-il parvenu ?
Que fait-il aujourd’hui ?
79
Qu’est-ce qui nous émeut, nous élève ou nous charme ?
Dans quelles mesures peut-on attribuer aux éléments ou aux
objets qui nous entourent la qualité du beau ? Les créations de
l’homme ne sauraient rivaliser avec les aptitudes de la nature. Et
si l’on admet la parfaite esthétique d’un corps féminin fixé dans la
matière, l’on doit reconnaître que l’original fait de chair, de
muscles et de vaisseaux sanguins est d’une finesse et d’une
subtilité qu’aucun artiste ne pourrait prétendre obtenir.
Une objection de taille peut affirmer que nulle part à
l’état de nature l’on trouve une composition musicale de qualité
acoustique supérieure en harmonie, en technique et en puissance
de jeu à celles obtenues par le travail de nos prestigieux
musiciens. Et le doux gazouillis d’une cascade, le chant
mélodieux d’un rossignol ne sauraient par l’intensité de leur
mouvement couvrir les riches percussions ou les cuivres sonores
d’un orchestre.
Peut-on prétendre que l’art est le propre de l’homme, que
cette particularité de la conscience pensante est exclue du monde
animal et végétal ? N’y a-t-il dans l’animal lors de sa parade
nuptiale, recherche d’esthétique pour séduire et convaincre sa
femelle ? Son pourtour ou celui de la fleur ne renferment-ils pas
80
quelque essence de qualité qui ne découle pas de la loi du hasard ?
L’inorganisé ne saurait être beau. Considérons l’emplacement
chaotique sur la planète Mars, ou l’écrasement des météorites sur
le satellite lunaire. On en tire que la non-conscience de la vie ne
peut engendrer quelque particularité de Beau.
L’évolution des choses de la nature a favorisé
l’intégration d’une forme d’Art dans les éléments animés. L’oeil
de l’homme est trompé et ne peut pas toujours user de
perspicacité, mais deux oiseaux ne construisent pas leur nid avec
le même résultat, deux mammifères n’éduquent pas leurs petits
avec le même principe d’apprentissage, etc... Les exemples
pourraient être multipliés par des milliers dans le monde animal et
végétal.
Lui, l’homme a atteint un stade de développement
extrême si l’on compare ce qu’il peut faire et ce que peuvent
accomplir les autres espèces vivantes sur la terre. S’il est
totalement intégré à la nature, il peut aussi la modifier, la
transformer, y ajouter sa force de travail. L’homme agit donc dans
les choses externes, et ce besoin d’intégrer sa pensée dans la
matière ira jusqu’à une sublimation de sa production que l’on
appelle Art. Mais il est peut-être sot de prétendre que l’Art
81
n’appartient qu’à l’homme, puisque d’autres perceptions et
comportements dans la gent animale et végétale pénètrent ou
possèdent des formes de Beau dont nous sommes sensibles.
82
CHAPITRE QUATRIÈME
83
De la Poésie
De l’invisible et de la rigueur
Je ne vis qu’avec des fantômes, des fantômes d’idées, des
sortes de spectres de l’impalpable et de l’invisible. Leurs formes
délétères se dérobent sous mes sens. Pourtant tel un apprenti
médium, je tente de les capturer, de les saisir pour les offrir à la
conscience de mon esprit. Je déteste ces brouillards vagues, ces
fumées incomprises manquant de rigueur et de rationalité. La
réflexion est détestable quand elle est constamment nourrie d’à
peu près et de perceptions insolites. Il est vrai que cet immense
mélange de la vie nous brasse une quantité considérable
d’informations. Des évènements imprévus à la raison humaine se
combinent les uns aux autres pour organiser ou troubler
l’existence. Il ne s’agit pas ici de jeu pour l’esprit, non, - nous
subissons régulièrement des contraintes dans notre quotidien.
Ma volonté recherche la rigueur et déteste se laisser
emporter à la dérive avec ce matériel d’imprécisions si volubile.
Cela ne pourrait me satisfaire. Comment parviendrais-je à accéder
à quelque chose de profond et de singulier si je me laisse bercer
84
par l’enchantement du jeu, ou par le dérisoire et l’insignifiant ? Je
dois les exclure de mon mode d’emploi ou de ma méthode
personnelle. Certains riront de moi prétendant qu’il n’est pas de
bon ton pour un poète de donner des leçons de rigueur quasimilitaires.
Je connais trop bien ces moments d’ivresse et de
nonchalance, quand la pensée flotte pour tenter d’accéder à
quelque chose d’inconnu. L’âme s’y complaît, et s’y baigne avec
aisance.
Au seul nom de poésie, déjà je m’enivre et je crains de
perdre ma capacité d’analyse et de synthèse. Je crains de
vagabonder par monts et par vaux, cherchant je-ne-sais-quoi,
allant vers l’insouciance et le hasard. Cela ne saurait me charmer,
quand bien même j’avoue éprouver du plaisir à caresser cette
femme volage et éphémère, qui s’enfuyant sans cesse,
constamment désire me rejoindre pour un ballet nuptial.
85
Le spectre d’autrefois
Le spectre d’autrefois vint visiter l’apprenti poète, rempli
d’élans et d’actions, aux yeux tournés vers l’avenir. Le spectre
feuilletait un livre consacré à l’art grec, à ses colonnes et au
temple du Panthéon. Au cours de cette cérémonie médiumnique,
on sentait pleinement toute l’activité intellectuelle qui animait
encore l’esprit échaudé et excité par cette rencontre. Cette petite
boule verte de phosphore allait et venait, enfin elle se mit à parler
: “ Nourris-toi de moi-même ! Apprends et instruis-toi. Je suis
venu te dire ce que tu dois faire, ce qu’il te faut obtenir. Là sera ta
suffisance. Il n’est pas ici question d’ambition, de prétention ou
de toute sorte de termes péjoratifs. Non, là est ton but. Et ta raison
est de l’atteindre. ”
L’apprenti poète savait toutefois que les artistes et les
écrivains étaient soumis à nombreuses critiques, qu’une poignée
très réduite parvenait à crédibiliser sa capacité littéraire. Et s’ils
avaient quelque avenir, c’était surtout la mort que leur offrait ce
privilège.
“ Il suffit, dit le jeune. Voilà, tu t’es déplacé pour rien.
Tout ce que tu pouvais me dire, je le savais déjà en prescience de
86
ons sens et de vérités. Tel est le privilège des âmes bien nées, -
elles possèdent cet extraordinaire don de connaissance sans
l’usage de l’expérience.
C’est vrai, je suis de bonne race comme toi. Mais je
doute de pouvoir atteindre cette place si hautement convoitée. Tu
sais comme je puis apprécier ces challenges de l’esprit. Je m’y
astreindrai par jeu de l’intelligence. ”
87
Le don de plaire
Un jeune poète qui se prévalait de posséder du génie,
mais qui pour l’instant était le seul à le prétendre tenta vainement
de rencontrer des hommes de lettres de qualité lui permettant de
débuter ou du moins de faire ses premiers pas dans la République
des Lettres. Le jeune auteur fit preuve d’un zèle remarquable,
courant à droite, courant à gauche, d’une amabilité, d’une
affabilité exceptionnelles. Avec ses petites plaquettes sous le bras,
il résolut de faire la tournée des directeurs de revues et des
Comités de lecture.
Les directeurs de revues semblaient s’intéresser à sa
production, du moins l’assuraient-ils, mais tous exigeaient que le
jeune homme prît un abonnement d’un an à la revue pour espérer
figurer dans la modeste parution.
Ne se décourageant pas, il proposa ses manuscrits à
différentes maisons d’édition. Les plus sérieuses lui retournèrent
ses exercices accompagnés d’une lettre circulaire, le remerciant
de son envoi mais prétendant que sa poésie n’entrait pas dans le
cadre de leurs collections.
88
Il voulut forcer la main du destin. “ Par Dieu, se dit-il, si
tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! ”
Il envoya ses livres à des maisons spécialisées dans le
compte d’auteur. Illico, celles-ci lui firent un contrat basé sur
l’article 57 de la protection littéraire, ce qui voulait dire en
d’autres termes que l’édition était à sa charge. On lui fit un tirage
à mille exemplaires d’un recueil qui jamais ne fut distribué ou si
mal qu’il ne put avoir un seul lecteur.
Il en était tout dépité : “ Quelle injustice, que cette soidisant
structure poétique d’accueil ! J’ai dépensé toute une petite
fortune pour engraisser le compte bancaire d’un éditeur véreux !
Me voilà retourné à mon point de départ. Mais que puis-je faire
pour crédibiliser mon identité poétique auprès d’autrui ? ”
Il osa se remettre en cause, décidant de repartir à zéro,
achetant traité de versification sur traité de versification, y
appliquant toute sa sève et toute sa force. Le travail ajouté sur le
don de nature fit croître son aptitude poétique. Le jeune homme
allait bon train, enfin je veux dire l’homme jeune, car de
89
nombreuses années déjà s’étaient écoulées sans qu’il ne pût
accéder à l’édition.
Il poursuivit toutefois son œuvre entreprise. Il pouvait se
flatter d’avoir obtenu une bonne vingtaine de plaquettes,
quelques-unes éditées à compte d’auteur, d’autres fabriquées
artisanalement par ses propres soins ou par des amis.
Il frayait ici et là, se frottant à d’autres littéraires vus ou
entrevus à des Journées du Livre ou à des Fêtes de l’édition. Cela
ne permettait guère de percer dans le monde des lettres, mais du
moins cela correspondait à du zèle actif, et qui sait...
Le temps s’écoula, et toutes les tentatives entreprises
échouèrent. “ Quel sale destin ! pensa-t-il. Pas un éditeur, pas de
lecteur ! Quelques reconnaissances, quelques estimes, mais voilà
qui est fort peu. Je ne puis donc parvenir ? ”
Il se lamentait et poursuivait encore sa tâche animé par le
besoin d’écrire, mais sans grand succès toutefois !
Et voilà ce qui attend la quasi-totalité de ceux qui
s’essaient à l’art d’écrire. Car il ne suffit pas d’avoir du génie
90
pour exister dans cette discipline, non il faut quelque chose de
bien plus important, et cela s’appelle le don de plaire. L’on peut
parfois l’assimiler à du talent.
Il permet de pénétrer, de se crédibiliser immédiatement. Il
est l’énergie monnayable, achetable comme ces bons
feuilletonistes qui ont couvert des pages et des pages de journaux
au grand bonheur de leurs directeurs.
Qu’est donc devenu cet homme jeune, âgé aujourd’hui et
sur le point de passer à trépas ? Il a connu la destinée de dizaines
de milliers de littéraires. Plein de fougue et d’entrain, animé par
l’idée du génie, le voilà vieux, grommelant dans sa barbe blanche.
Il finira poète de famille. Quelques écrits seront transmis de fils à
petit-fils pour finir oublié sous le marbre du temps.
91
De l’œuvre
“ Jusqu’où Franck Lozac’h, irez-vous dans la recherche
désespérée de cette production pléthorique ? ” Ainsi s’étonne la
plupart des personnes qui ont pu accéder à mon Oeuvre. Ils n’y
ont vu qu’une immense quantité et n’ont pu y déceler une aptitude
quelconque d’écrivain. L’on prétend que je travaille grandement,
j’écrirai plus volontiers, que chaque jour qui passe me voit noircir
quelque vingt ou trente lignes. Et c’est l’accumulation de cette
fréquence qui engendre la détermination d’une quantité
importante.
Je suis bien loin des œuvres immenses d’un Victor Hugo,
d’un Voltaire ou d’un Balzac. Et c’est encore manquer de
modestie que d’oser user de leurs noms pour se permettre une
comparaison. Je crois toutefois que le lecteur comprendra ce que
je souhaitais signifier.
“ Mon cher Franck Lozac’h, vous ressemblez à Mickey
Mouse dans l’apprenti sorcier, le dessin animé de Walt Disney sur
une musique de Paul Ducat. Vous accumulez, accumulez de la
92
quantité, et êtes débordé par votre propre abondance. Jusqu’où ira
votre folie ? ”
Tels sont à peu près les extraits des discours dont se
glose la compagnie de gens qui me critiquent. Leur analyse est
parfois judicieuse, mais elle semble ignorer que j’agis pour
accomplir une Oeuvre - a Work - en quelque sorte. Je travaille
pour ma propre personne conscient que nul lecteur n’aura la
capacité de lire tout ce que j’ai pu produire ou concevoir sur ces
quelques décennies.
Je ne suis aucun plan général, ne sachant réellement où je
vais, comparable à ce héron au long cou qui terminera son festin
avec un ridicule vermisseau, il se peut. Si je
prétends posséder un semblant d’organisation, c’est du moins
pour produire et ranger mes ouvrages par ordre de composition.
Cette petite société paraît toutefois se construire, et si je ne sais en
concevoir la finalité, certains traits de l’esquisse semblent
apparaître çà et là.
Il me semble que cette société est en marche, qu’elle
évolue, se développe par besoin, par prospérité, et commerce.
93
N’est-ce pas à moi, en vérité, de la savoir bien gouvernée ? Je
dois donc y mettre des lois et des décrets.
Voilà très sommairement, sans poursuivre une analyse
précise, ce que je puis penser de ce travail et de cette quantité.
Parviendrai-je à obtenir un ensemble cohérent où chacun pourra
s’y déplacer avec aisance, allant où bon lui semble, y découvrant
ce qui l’intéresse ?
Plaise à Dieu - ou du moins à ma raison - que cet espoir
se réalise, et que j’obtienne ce que je m’étais promis - une
représentation de qualité de ma propre personne, voilà tout.
94
De l’association poétique
Il y a ici une petite assemblée composée de littéraires de
qualité, et de personnes fort savantes exerçant dans
l’enseignement qui appartiennent à une communauté poétique,
mais qui ne sont point du tout du même avis concernant la valeur
à accorder aux uns et aux autres.
Certains se prévalent de posséder un avenir littéraire
quand la plupart ne croient ni en leur talent ni en leur génie.
Je me souviens de quelques anecdotes et réflexions
disposées çà et là dans le feu de la conversation pour tenter de
limiter l’influence grandissante de l’un des adhérents. Cette
société comparable à une mutuelle veut niveler les valeurs en
haussant les plus défavorisés et en coupant les têtes de ceux qui
sortent de l’alignement. Après tout, cette conception sociale est
fort égalitaire et sa philosophie est défendable.
Du moins tous sont d’accord pour reconnaître l’immense
qualité du poète Arthur Rimbaud. Il est devenu un Dieu et chacun
s’extasie devant sa précocité et son œuvre exceptionnelles.
95
Cela semble toutefois aller très lentement dans cette
assemblée. Certains poètes zélés dont l’œuvre tient dans deux
boîtes de chaussures, n’ont édité qu’une mince plaquette de cinq
cents vers. D’autres n’ont pas même de quoi construire un recueil.
Mais, enfin, l’ensemble spécule, certifie et jure posséder la vérité.
Car l’on parle ici de l’expérience accumulée depuis trente années
de poésie. Cela serait une preuve irréfutable de sa compétence
pour juger.
Il faut user de politesse et de courtoisie, car la
conversation ne doit employer de termes violents. L’on pourrait
se fâcher et ces messieurs étant d’une sensibilité extrême, les pots
de porcelaine ne sauraient résister.
Vous voyez quelle ambiance circule dans cette
compagnie. Tout y est courtoisie, amabilité et quantité
insignifiante. La qualité des auteurs ne pourrait pourtant être
remise en cause. Il n’y a pas de belles disputes ou de clans
franchement séparés. Si ce n’est du mépris qui détermine la valeur
que l’on accorde à autrui, c’est du moins de l’indifférence, qui est
l’anti-sentiment par excellence.
96
Cette assemblée est encore trop petite pour jouir de la
renommée de certaines consœurs, mais elle l’obtiendra sans
doute. Les adhérents y sont au nombre de deux cents, ce qui est
loin d’être ridicule.
L’on commence à lire dans cette revue les meilleures
plumes du temps passé, et l’on se plaît à imaginer que
l’immortalité de jadis côtoie déjà de superbes avenirs.
Si Charles Baudelaire renaissait, l’on peut supposer qu’il
parviendrait à se faire imprimer dans cette revue, à la condition
toutefois qu’il n’oublie pas de payer sa cotisation comme tout un
chacun, grand poète ou pas.
97
De la critique poétique
Je sais assez bien lire les poètes. Je connais les
combinaisons, les analogies, les principes symboliques. Je puis
décomposer un poème par un système de technique analytique. Je
les ai compris en les lisant longtemps. J’avoue pourtant être assez
déconcerté par un auteur inconnu. Je dois m’appliquer à le
découvrir, à l’intégrer. Ne possédant que très peu de repères le
concernant, je dois spéculer, envisager et douter. Il faut que je me
fasse pardonner ma faible aptitude à savoir discerner. Je préfère le
plus souvent m’abstenir que de prendre le risque de mépriser une
personne douée, faute de visibilité intellectuelle. Certes, je puis
m’enthousiasmer, acclamer certains auteurs, me désespérer
devant la perfection de chefs-d’œuvre. Mais ce sont toujours des
auteurs célèbres, dont la renommée a passé des décennies ou des
siècles. Quel mérite peut-on avoir d’acclamer l’œuvre de
Baudelaire ou de tomber des nues devant la pureté de Racine ?
Ainsi il me faut tout découvrir. Ma sensibilité avec son
éventail d’émotions ne s’adapte que très difficilement à de
nouvelles propositions artistiques. Je dois recommencer et tenter
de percevoir la fréquence poétique de l’autre.
98
Ce que je veux détester c’est cette sorte de suffisance
dont s’habillent les littéraires, prétendant avec un pseudo-esprit de
synthèse être parvenus en quelques secondes à détruire ou
mépriser le travail d’autrui. C’est le genre : “ Je sais que cela vaut
peu. Allez voir ailleurs, Monsieur ! ” Il y a là un manque total
d’honnêteté intellectuelle.
Le poète se trouve donc dans l’obligation de caresser, de faire le
joli coeur, d’aller chercher la considération élégante ou polie du
critique. Il lui faut parfois des années d’insistance, de civilités
pour parvenir à crédibiliser son aptitude littéraire. Quelle galère !
Et combien de difficultés pour s’entendre dire deux ou trois mots
flatteurs !
99
Comprendre les poètes
J’étudie souvent les recueils de poésie. Je les lis rarement
avec l’oeil du lecteur ; non, je les lis avec l’oeil de l’analyste. Je
décompose le vers, je compte les signes, je vérifie le rapport
voyelles/consonnes, j’observe la technique de l’harmonie
musicale, et je sais rapidement si je suis confronté à un écrivain
au courant de la plume, ou à un technicien de l’écriture.
Je puis toutefois aller outre, et me laisser emporter par
l’ivresse de l’image, ou de l’ensemble produit. Je me dis que très
rarement le texte, je préfère le murmurer, le prononcer à voix
basse, et accomplir un effort de mastication. Car il y a plaisir
buccal à prononcer un vers, et l’on peut en cela le comparer au
plaisir de mâcher du vin.
“ Le poème est fait pour être dit ”, répète-t-on. Je
douterais aisément de cette vérité, sachant pertinemment qu’une
avalanche de structures, d’images complexes, de retours sonores
ne peut être assimilée par une bonne intelligence. Trop d’éléments
s’opposent ou réagissent par interférence, et ne facilitent en rien la
compréhension de l’endroit.
100
Quel plaisir peut-on éprouver à écouter un orateur ? Que
demande la conscience pour être bien charmée ?
Elle désire bien entendre ce que la voix propose. Je
prétends que l’on reçoit une grande satisfaction à écouter des
textes ou des poèmes que l’on connaît déjà. L’intelligence s’arrête
alors sur d’autres considérations que la seule compréhension du
texte. L’esprit ne se limite pas à la transformation cérébrale pour
intégrer des mots. Non, il possède déjà le contenu du message.
Alors l’oreille se fait plus experte, elle apprécie le rythme,
l’intonation, et la hauteur.
Il faut dire que l’une des caractéristiques du produit
poétique c’est d’être capable de répondre à grand nombre de
considérations : un poème est multiréférentiel. Comment alors
qu’il possède cette propriété, prétendre qu’un auditeur quelconque
peut recevoir du plaisir lors de son écoute ? L’encombrement des
raisons brouille sa lucidité intellectuelle.
Mais que faire ? Dire le texte sur enregistrement avec
musique et bruitage, dire le texte avec de grandes respirations et
de nombreux silences, et proposer à l’éventuel auditeur la
possibilité de suivre le poème avec un support écrit.
101
Poésie, rigueur et liberté
La poésie ne repose sur aucune connaissance
systématique, elle ne peut donc être assimilée à une sorte de
science quand bien même elle serait régie par des lois strictes de
rythmiques, d’accents et de chiffres. La poésie libre, celle qui est
au courant de la plume a décidé d’abolir les derniers diktats de
l’harmonie musicale, du compte de signes et de syllabes. Nous
voilà donc confrontés à un espace exceptionnel de liberté où tout
peut être dit, où rien n’est interdit.
La poésie épouse une forme qui pourrait s’apparenter à
une conception individuelle d’interpréter un contenu. Les écrits
poétiques n’embrassent que des secteurs isolés de son vaste
éventail. De nombreuses sensibilités cohabitent, sont parfois
contradictoires, ou en opposition farouche. Il y a donc sections,
classes, écoles et s’il n’est pas possible d’embrasser l’ensemble
des techniques offertes, les plus grands spécialistes ont une vaste
palette d’émotions et de sentiments mis à leur disposition. Aucun
poète ne pourra renfermer en lui-même l’ensemble des procédés
ou des techniques qui découlent des différentes écoles. Il est
ridicule d’exiger d’un sprinter de 100 mètres plat de concourir sur
102
un Marathon ou sur une distance de demi-fond. Il est ridicule de
prétendre qu’un sonnettiste parviendra à proposer des
développements de plusieurs milliers d’alexandrins. Charles
Baudelaire en ce sens s’oppose de manière significative à Victor
Hugo. Quand l’un produit trois à quatre mille vers sur toute sa
carrière, l’autre impose plus de deux cent mille alexandrins, et
exploite à merveille des procédés de développement où son génie
abonde.
103
Le choix de la jeunesse
Il est peu de temps où des circonstances semblent
favorables au milieu desquelles la poésie peut espérer attirer la
curiosité du public et se voir estimer de la même estime que celle
d’autrefois. Là voilà encore retournée belle femme muette et
silencieuse au mépris que l’on éprouve la concernant. Les intérêts
de notre temps, le développement des sciences et des
technologies, les obligations mesquines de notre réalité ont
absorbé tous les instants de puissance que possédait l’esprit, toute
l’énergie et les divertissements octroyés à chaque humain. Ainsi
la vie intérieure se nourrit d’une autre forme de culture plus axée
sur l’image à recevoir que sur l’image à fabriquer avec des signes.
L’esprit se contente d’une certaine forme de réalité, et soutenue
par le concours d’autrui l’intelligence n’a plus besoin de jouir par
elle-même pour éprouver de la satisfaction. Elle se contente de
gérer, de sélectionner le flot d’images que l’on met à sa
disposition. On est loin de penser que le temps est enfin arrivé où
le royaume de l’imaginaire instaurera à nouveau sa suprématie.
Notre jeunesse a déjà manifesté son choix, et semble
irrésistiblement attirée par l’image offerte. Mais son choix est
peut-être plus judicieux qu’on ne le pense, car si elle exploite un
104
support imagé déjà proposé, il lui faudra utiliser toute son
intelligence et sa pensée pour remplir ces coquilles de
programmes vides.
Elle devra du moins faire preuve d’une forte vie
spirituelle qui est l’élément fondamental de son existence. Il lui
faudra aussi savoir lutter pour s’imposer une indépendance et une
capacité libre de penser. Elle ne doit pas se soumettre, mais bien
dominer l’effrayante puissance que peut représenter la machine.
Tout dépendra encore de sa capacité autonome d’esprit, de son
énergie intérieure mise au service de sa propre personnalité.
Quelle place accordera cette génération au produit
poétique ? Ne le méprisera-t-elle pas comme une vulgaire
discipline d’hier, dépassée, à oublier ? Le poète ne sera-t-il pas
rangé au patrimoine artistique comme le maréchal-ferrant et le
sabotier, le sont au musée de l’artisanat ?
C’est pourtant dans ces immenses entreprises de l’esprit
que la pensée s’élève pour accéder à une dignité, qui l’éloigne du
vulgaire et de l’insignifiant pour s’emporter dans des espaces où
s’épanouit la grandeur de l’homme.
105
I
L’inspiration apparaît aussi comme un immense
réservoir de mots qui s’associent, se combinent et se multiplient.
Il y a donc interférence, - indispensable nécessité d’union, de
frottements, de refus, d’accouplements. Voilà ! Il y a acte
physique entre les mots qui doivent former un bel accord, comme
deux êtres forment un beau couple.
L’impulsion, l’élan vital de l’inspiré est passé par là. Il
fallait bien qu’il eût ce que l’on peut appeler “ Énergie ” pour
favoriser cet accouplement. C’est vrai, de nombreux obstacles,
des retards, des blocages ont constamment tenté de condamner ce
droit à l’orgasme littéraire. Le plus virulent est certainement
l’interdit du critique, qui est un gendarme redoutable, doutant de
tout, et réglant la circulation du flux sans réellement connaître les
règles du déplacement. La conscience du poète le pousse le plus
souvent vers une impasse : pourquoi produire cela ? Quel intérêt y
a-t-il à caramboler de cette sorte ? Le raisonnement de la critique
virulente provoque en lui une volonté de refus, je dirai - de
stérilité.
106
II
La poésie nous introduit dans le monde de l’imaginaire.
Elle nous montre la relation de non-vie entre un mot, masse inerte
ou objet instrumental et un autre mot, qui associés formeront un
bel accord, ou une combinaison criarde. Tout dépendra de
l’analyse auditive du poète ou de sa volonté à obtenir l’effet
recherché. Il suffit d’écouter sa conscience, et de décider d’après
le choix arrêté. Parfois c’est une liberté absolue qui dicte la
marche à suivre. Le poète devient joueur de jazz, à l’inspiration
vagabonde au plan indéterminé. C’est juste une question de
feeling. L’exercice de poésie dite libre s’apparente assez
sensiblement à ce type de travail. L’auteur subit, ou voltige
papillon hoqueteux, de fleur en fleur, ou pour reprendre l’exemple
du pianiste, d’accords en accords, de combinaisons en
combinaisons. Mais la comparaison cesse là. Car le poète, à sa
table, possède ce que l’on appelle des blancs. Ce sont des laps de
temps d’une certaine durée qui vont de quelques secondes à deux
ou trois heures...
107
Les moments de blancs sont remplis de façon diverse :
lecture, doute, refus, activités autres, dessin, que sais-je encore !
Je veux dire par là que le poète travaille sans continuité à l’instar
du musicien de bar ou du jazzman qui par le son engendre le son.
III
La poésie doit le plus souvent abandonner cette
conscience de critique si elle veut poursuivre le chemin de
l’écriture. Un écrivain foudroyant tue tous les mots qui passent
devant son regard. Il devient le destructeur du soi-même, et sa
tendance le poussera à la stérilité.
Il y a en tout poète un étrange mélangeur d’intelligence,
d’intuition et de critique. Pourtant ne peut-on pas considérer qu’il
y a une sorte d’incompatibilité dans la gestion de ces différents
paramètres ? Un poète bien fait semble pouvoir maîtriser ces
divers états de l’activité consciente, et en exploiter pleinement
leur synergie. Il y a d’ailleurs des variables de densité entre ces
différents ingrédients qui réclament des dosages entre l’instinct et
l’intelligence. Là est une part du travail de sublimation dans la
108
structure mentale du poète. Une gymnastique de l’entraînement
peut produire un développement de telle fonction au détriment de
telle autre. Il est difficile de prétendre savoir quelle partie de soimême
est la plus apte à exploiter ou à maîtriser. Il semble acquis
que la seule conscience du poète peut lui permettre de savoir. Estce
une lumière intérieure plus ou moins intense, faible ou
éblouissante qui éclaire la conscience de son manque de lucidité ?
La critique a besoin de beaucoup d’intelligence.
109
La poésie
La poésie, qui a enrichi les âmes supérieures a contribué
à les instruire, et cette instruction a fortifié leur intelligence ; de
là, vient une vérité que ceux qui nous dominent et nous dirigent
ont intégré des valeurs élevées en science et en lettres.
C’est la poésie qui est le support incontournable de
l’imaginaire, et qui fait des poètes des hommes en décalage avec
leurs confrères. Ils ont le plus souvent une poétique possédant un
siècle d’avance sur les autres disciplines. La postérité s’est trop
bien rendre des comptes à ses illustres esprits et leur offre des
hommages et des carrières le plus souvent posthumes.
Comment se fait-il que des poètes obscurs et méprisés
incompris de tous, à l’allure pataude, au gueuloir exorbitant
deviennent par leur puissance d’évocation, par la maîtrise de leur
langue et de leur technique, des références incontournables et
immortelles dont on s’inspire encore trois siècles après leur décès ?
Quand des écrivains lecteurs de Grandes Maisons
d’Éditions Prix Nobel de littérature, ou futurs académiciens
110
festonnaient en tête et se prévalaient de mépriser des Stéphane
Mallarmé ou des Paul Verlaine, quand des directeurs de revues ou
de collections rejetaient avec dédain des œuvres de Paul Claudel
ou de Paul Valéry, ces derniers eurent recours à leurs propres
confrères qui comprirent aisément le degré de leur valeur.
Certains auraient pu dire : “ Maîtres, n’ayez crainte. Nous avons
considéré la valeur de vos œuvres. Nous saurons faire fructifier
vos images immortelles, votre postérité déjà est assurée. ”
Tout cela peut rendre ridicule les structures littéraires
actuelles si l’on ose comparer le bouquet des écrivains de la
postérité avec les lamentables collections dont se prévalent et dont
s’enorgueillissent des présidents de groupes.
C’est pourquoi de très grands poètes ne dédaignent pas
de travailler dans des revues que l’on ose parfois rejeter,
considérant avec dédain le faible tirage qu’elles engendrent.
Tandis que des André Gide et des Paul Valéry se
formaient pour accéder à la carrière que nous leur connaissons, ils
n’hésitaient pas à proposer leurs œuvres dans une revue
aujourd’hui oubliée de tous, - La jeune conque.
111
Et cette coutume est loin de passer, si l’on en juge par les
centaines de feuillets imprimés qui fleurissent ici et là dans nos
régions et départements. Pourtant à Paris, tout semble impossible,
- la plus infime édition nécessite mille ans d’amitiés auprès des
uns et des autres. Et encore, cela paraît faveur de vous donner le
droit d’imprimer quelques endroits de votre personne...
Dans cette Capitale, rien qui n’engendre l’argent ne
saurait être utile. Il faut se hâter de proposer une biographie sous
un chanteur ou un ouvrage de politique, si l’on veut voir son nom
figurer sur un livre. Le littéraire entend parler de soi avec mépris,
il est assez sot pour cacher sa production poétique de crainte de
subir des lazzis.
J’ignore pourtant lequel est le plus utile à la postérité. Ou
un torche-cul qui fera quelque dix mille francs de droits d’auteur,
ou un poète immortel qui saura instruire des générations de têtes
blondes et contribuera ainsi à l’éducation de notre pays.
112
Stylistique en prose et stylistique poétique
La stylistique en prose permet de recevoir l’objet à
transformer de manière réelle, sans nécessité aucune
d’adaptabilité de la capacité intellectuelle à la proposition offerte.
L’entendement est direct, et la cause suit l’effet. Il y a pourtant
une substitution d’éléments écrits en images à produire. Le roman
en est une parfaite illustration. D’ailleurs, s’il y avait une étude
réelle du psychisme qui transforme les caractères écrits, l’on
observerait des différences et des écarts considérables dans la
mutation de l’expression écrite. Pourtant les types d’individus qui
lisent le roman parviennent à se mettre d’accord sur l’extériorité
du produit et sa finitude interne. L’intelligence est collective, et
reçoit grosso modo le même message. La capacité particulière ne
se différencie que très peu de la conscience collective, le contenu
étant unique quoique possédant des ramifications et des détails
spécifiques. Il y aura selon les individus plus ou moins d’aptitude
à tout recevoir ou à recevoir une grande partie de la proposition
écrite. L’ensemble des lecteurs peut donc se prévaloir de s’être
mis d’accord sur le message reçu.
113
Il faut bien que cette conscience soit ordinaire,
satisfaisante à l’ensemble, sinon elle ne pourrait pas être assimilée
par la grande majorité. Ce qui lui arrive a peu de chances d’être
singulier ou de s’habiller de solutions rares. Il n’y a pas résistance
à l’entendement.
Qu’en est-il réellement de la stylistique poétique ? La
pensée poétique construit son système de valeur sans exploiter la
rationalité du langage et en faisant varier la signification des
choses. Elle devient alors inutilisable pour l’immense majorité des
lecteurs qui exigent de leur conscience une application de la
réalité, du moins d’une certaine réalité. Aussi la compréhension
d’un univers construit sur du délétère, aux lois variables, aux
signifiants dénaturés de leur réel contenu engendre un refus
catégorique de la plupart des lecteurs. Cette juxtaposition
d’éléments indépendants fabrique, il est vrai, une vitalité créative
et inventive, mais peut sembler totalement inadaptée à un esprit
authentique. Pour l’esprit à la pensée profonde, la vie extérieure
revêt une apparence d’intérêt moindre. L’épanouissement de
l’âme peut s’accomplir en employant l’imagerie poétique.
114
Cet espace de variantes, d’associations délétères est le
royaume de l’aptitude spéculative qui combine, additionne de
l’invraisemblable pour obtenir du possible. Ce ne sont pas des
défauts de l’entendement qui engendrent cette aptitude à varier, à
déplacer le sens commun, - cela découle de la vitalité de
l’intelligence à concevoir autrement ce que l’ensemble ne voit que
d’une seule manière. Ceci est donc un privilège,... inutile hélas, et
le plus souvent rejeté de l’ensemble. Il s’agit encore de capter la
forme de la réalité pour la transformer en principe idéalisé et
supérieur. La stylistique poétique veut donc élever l’entendement,
mais elle ne peut prétendre épouser la perception exacte de la
vérité. Elle ne saurait être une conciliation du vrai et de
l’imaginaire, quoi que parfois son assise se manifeste dans la
réalité du quotidien.
115
De la critique de soi
Qui peut se prévaloir d’avoir obtenu un résultat digne de
sa compétence, qui peut ? On est rarement soi-même, on travaille
en dessous. Il y a une constance de déception, une vérité critique à
l’intérieur de soi qui murmure : “ Tu étais capable d’accéder à
quelque chose de bien meilleur. Regarde, observe où tu en es à
présent ! Le temps, ton ennemi, aura bien su te ronger et te
détruire lentement. ” Pourtant l’analyse se veut impartiale. Elle ne
recherche pas à distribuer des éloges, ou à rosser à coups de
trique.
Quand on a la certitude d’avoir accompli correctement sa
tâche, l’on peut encore se dire : “ Oui, j’aurais pu toutefois ajouter
ceci, j’avais la potentialité pour trouver cela, hélas, le temps m’a
détruit. ” Il est pénible de se déplaire, mais il est détestable de
faire preuve d’une avidité maladive.
Certains hommes toutefois recherchent des caresses et
des flatteries. Les littéraires sont des gens de politesse et de
courtoisie, toujours enclins à obtenir quelque faveur. Mais tout est
gratuité, et cela ne coûte rien de s’entendre dire : “ Monsieur,
116
vous êtes un grand poète ”, ou encore “ Ce jeune artiste a un bel
avenir. ” Certains rétorqueront que la belle critique est agréable à
l’oreille, et peut engendrer un vif élan d’actions. Il est pourtant
plus puissant de se nourrir de soi-même et d’extirper de sa propre
négation de l’énergie et de la volonté de gains.
D’ailleurs l’outil de mesure qu’emploie autrui est
rarement le vôtre. Il détermine votre suffisance en fonction de sa
propre aptitude à agir. Ainsi des poètes peu féconds condamnent
votre opulence et votre générosité. Et ceci vous porte encore
préjudice. L’on appelle excès ce qui fait votre force, et votre
abondance se transforme en obésité.
Il faut parfois penser en égoïste car ce n’est pas toujours
mal pensé. Faut-il être aux yeux d’autrui ? Faut-il que l’autre se
pose en tant que juge ? Je ne saurais condamner l’acuité critique,
cette sorte de lucidité qui fait souvent défaut à l’homme qui ne
peut être et se voir sous toutes ses dimensions. Je conseillerai
toutefois de se fier à son propre sérieux, qui est le plus souvent un
superbe ange gardien. Certains appellent cette sorte d’allégorie, la
conscience, tout simplement.
117
Fragment sur la poésie
Rester en soi, au plus profond de son aptitude, et ne
jamais faire sortir l’activité de son génie, même dans une société
limitée à quelques initiés, voilà l’une des caractéristiques de ce
genre particulier qu’est la poésie. Cette création libre, hors de
toute contrainte sociale ou de règles établies ne peut s’épanouir
dans une situation extérieure.
L’homme et le poète, deux personnes en une seule,
capable de se dédoubler, d’échapper à la préoccupation pratique
peuvent donc penser ou concevoir par l’observation du monde
extérieur ou par l’activité créatrice interne. Son aptitude directrice
qui le pousse à écrire lui offre un immense sentiment de liberté
mêlée à une vérité autarcique et personnelle. Il n’est donc pas
affranchi de toute nécessité matérielle, mais il lui faut trouver des
espaces temporels de liberté durant lesquels il pourra développer
son aptitude inventive.
Difficile de prétendre connaître la courbe évolutive de
l’intelligence poétique, et certifier que telle période de l’existence
est plus favorable que telle autre pour obtenir une production de
118
qualité. La raison voudrait que la période de jeunesse associée à la
maîtrise de la bouillonnante activité offrît les meilleures
conditions pour l’écriture. Mais cette vérité peut être objectée par
grand nombre d’autres considérations. Si la vieillesse est
dépourvue d’intuition et d’énergie, elle possède du moins la
maturité et l’expérience lui permettant d’avancer à pas assurés
dans l’élaboration de son œuvre. Et l’on peut songer à l’admirable
poème conçu par le vieil Homère, ou relire des œuvres de Goethe
obtenues à l’apogée de sa vie.
119
Blocage de la transmission poétique
La poésie a perdu son caractère initial qui est de
fabriquer des images. Elle ne peut plus rivaliser avec les nouvelles
formes des techniques modernes, qui elles sans difficulté aucune
offrent à l’intelligence la certitude d’une évasion à moindre effort.
L’association audacieuse, au-delà du réel, du possible ou de
l’imaginable pénalise et interdit à la capacité poétique de
l’amateur de pénétrer le plus souvent le monde créé par l’auteur.
Il y a une sorte de barrage, de blocage, et le texte donné reste
hermétique, en quelque sorte inaccessible. Il ne peut donc y avoir
plaisir immédiat ni plaisir retardé, car la dialectique proposée
interdit toute communication entre le poète et l’amateur. Elle n’a
plus aucune vérité, pas même onirique. Son essence abstraite ne
saurait être transmise et comprise. Elle a une apparence de
fausseté, de mensonge et d’invraisemblance. Le public lui préfère
d’autres modes d’expression. Ce n’est pas seulement au niveau de
la lecture que s’opère le blocage. Il serait identique dans le parlé,
dans le transmis à l’oreille : l’intelligence ne saurait convertir des
solutions d’images en images émotives pour l’esprit.
120
Morceau
Difficile de prétendre savoir quel est le but de la poésie.
Certains assurent que la poésie n’a pour but qu’elle-même, et ceci
est pensée de parnassien. D’autres qu’elle doit charmer, élever ou
instruire. Qui a raison ? Qui peut se prévaloir d’en tirer son
essence réelle ?
Il est plus délicat de lui conférer une existence pratique,
utile à l’ensemble. Elle nourrit l’élite, instruit l’esprit supérieur.
L’homme, au for de lui-même, cherche à purifier sa pensée, et
l’expression poétique lui offre un instrument parfait de
sanctification. L’association de vocables employée veut atteindre
une hauteur et son mode d’expression se distingue de tout autre.
121
CHAPITRE CINQUIÈME
122
De Dieu
De Dieu, de l’intelligence de coeur
Je ne sais plus quel homme stupide a osé dire que Dieu
n’existait pas, comme si c’était une raison d’être aveugle aux pays
des voyants ; comme s’il fallait se crever les pupilles pour se
prétendre libre de penser ! Cette liberté-là ne permet pas de
marcher, mais d’avancer en tâtonnant pour tomber dans le
précipice. S’il faut croire en Dieu, ce n’est certes pas avec
prudence, mais avec toute la puissance de conviction qui est en
soi. Il n’y a pas deux juges, il n’y en a qu’un, et c’est Dieu. Quant
à l’homme, s’il se prévaut de pouvoir choisir, il ignore qu’une
immense programmation a déjà balisé son chemin. Tout ce que
nous accomplissons a été pensé, pré-imaginé - nous ne sommes
que la confirmation d’une phénoménale loi planifiée dans les
moindres détails.
Quand un homme construit un pont, érige un mur, il
accomplit un nombre considérable d’études et de vérifications. Il
connaît avec exactitude le coût du chantier, le but à atteindre, la
finalité escomptée, - et l’on voudrait que la sagesse divine
123
n’atteigne pas le bout du nez de la compétence humaine ! Comme
cela paraît ridicule, et semble mépriser la capacité d’un être doué
d’une gigantesque compétence !
Qui donc peut juger et considérer Dieu ? Peut-on juger
Dieu et prétendre savoir ce qu’il fallait faire ? Le pot dit-il au
potier, - je vaux plus que toi ? La prudence est de craindre les
grands. C’est sagesse d’homme et d’animal. Craindre, c’est se
protéger de toutes les embûches et de toutes les erreurs. La
témérité mène tout droit au tombeau. L’acte de bravoure est
orgueil de soldat. Mais le soldat perd sa vie pour trois fois rien, le
plus souvent.
Mais Dieu est-il peut-être l’objet de sentiments opposés,
de conceptions critiquables car encore incomprises ? Je sais Dieu,
et je vois tant d’hommes souffrir, tant de femmes et d’enfants
vivre dans des conditions détestables, que j’en suis à condamner
ces existences de misère, sans parler de ces immenses guerres et
du génocide du peuple élu. Il n’est guère d’homme dont la
conscience ne se révolte contre ces abominations.
L’homme de religion, à cet égard, doit faire preuve d’une
formidable acceptation : glorifier une puissance sans en
124
comprendre les desseins fondamentaux. Il faut donc parvenir à
servir sans connaître réellement le sens de son travail. À travers la
lecture des livres sacrés, la pensée prétend se consolider, savoir et
déduire. Mais le plus souvent elle emprunte une voie qui la mène
vers une interprétation douteuse ou erronée. Parfois des fantaisies
enfantines suffisent à engendrer des comportements dans le culte
divin. La théologie prétend posséder la vérité avec ces exégèses,
ces savants qui ne sont que des hommes s’essayant encore au jeu
de l’interprétation. Mon Dieu, que ces hommes prennent des
risques ! Même doté de la lumière du Saint-Esprit, je prétends
qu’il est toutefois difficile de ne pas commettre d’énormes
bévues.
Ce monde dans lequel nous vivons, n’a jamais été
véritablement compris. Les plus grands physiciens, tous les deux
siècles nous apportent une loi fondamentale nouvelle. Nous
sommes fascinés par le travail de la nature et n’en connaissons
que fort mal les mécanismes. Ce spectacle nous émerveille, mais
nous sommes incapables d’en découvrir l’essence. Pourtant nous
nous targuons en exploitant des livres difficiles non seulement de
spéculer sur l’au-delà, mais d’en connaître les structures.
125
Voilà qui est audacieux ! Certains, fanatiques, exploitent
des pseudo-vérités pour torturer ou soumettre leurs congénères !
Jusqu’où n’ira pas la folie de l’homme ! Mais cela a déjà été écrit
par d’autres que moi-même, avec une qualité de style plus
brillante, à n’en pas douter.
Pourtant il faut croire aux miracles. Cela confère à notre
esprit un espoir d’avenir après la mort. Et cette sécurité pour l’audelà
augmente le plaisir de nos sens par la jouissance qu’il
procure. Ainsi la nature nous semble favorable et pleinement
satisfaisante. Les bienfaits de l’homme n’ont pas d’avenir. C’est
peut-être de l’intelligence d’anticipation que de se projeter vers le
futur en méprisant le quotidien.
Et l’on voit peu l’intérêt de la femme dans ce cas de
spéculation. S’il est vrai que l’amitié disparaît, que les êtres chers
s’éloignent les uns des autres, que les enfants s’en vont ailleurs,
plus loin, - le système de valeurs et l’amour qui en découle paraît
bien incertain. On s’en retourne encore à une situation égoïste où
la seule Force à glorifier est celle de Dieu.
Les épouses du Christ l’ont compris, elles qui délaissent
leur mission de femme, pour s’unir à un Dieu, éternellement.
126
Elles ont certainement pressenti cette nécessaire union entre les
éléments de la nature et leur créateur. Il s’agirait en quelque sorte
de l’unification de l’esprit de Dieu à travers l’univers. Un
immense message de communication et de fraternité entre les
êtres et les choses visibles et invisibles de l’espace.
Il est toutefois difficile de déterminer le degré de parenté
entre toutes les formes de vie et d’esprit dans la nature. La
communion pourtant pourrait être parfaite à l’image d’une société
où chaque élément est une partie intégrante et indispensable à
autrui.
Ainsi renaît l’espérance d’une immense osmose entre tous
les êtres vivants visibles ou non, du présent et de l’avenir. Il faut,
je le reconnais, faire toutefois preuve d’une grande foi et
interpréter d’une certaine manière les choses de la nature pour
raisonner de la sorte.
La finalité de cette douteuse démonstration est encore de
convaincre l’homme d’aimer l’homme, - je dis aimer avec
sincérité et non pas avec la crainte du châtiment divin, malgré les
excès et les désordres, les passions dont toute société se sait ivre.
127
Ceux qui parviennent à aimer leurs ennemis vont au-delà de ce
qui provoque la répulsion et le dégoût. Ils sont pleinement dans le
coeur de Jésus-Christ. Cela dépasse la charité. La pensée
théologique a rarement imposé à ses adeptes d’atteindre ce degré
de perfection. C’est pourquoi cette conception de l’amour semble
la plus belle. Elle est plus grande que la charité, elle est
l’intelligence du coeur, et peu se prévalent d’en être pourvu.
Pourtant toutes ces spéculations audacieuses sur Dieu,
sur la foi, l’espérance et la charité ne sont-elles pas de fausses
lumières qui tentent d’éclairer ici et là mais ne dirigent que vers
l’ombre, en vérité ?
128
De la grandeur du Saint-Esprit
Les spécialistes de la religion chrétienne n’ont guère pu
traiter de la vérité de l’Esprit de Dieu, n’ayant à leur disposition
qu’une quantité infiniment ridicule d’informations concernant ce
sujet. Le Talmud des Juifs associe le Saint-Esprit à la Chekina,
qui serait la présence de Dieu à côté de Dieu. Lorsque Dieu au
commencement de la Bible écrit : “ Faisons un homme à notre
image. ” Il semble s’adresser à la communauté d’Anges qui forme
sa cour, mais en y réfléchissant de plus près, on peut y déceler
dans ce Faisons deux personnalités distinctes et pourtant
identiques, une sorte de dédoublement de soi-même, qui pourrait
indiquer la représentation du Saint Esprit à côté du Père. Cette
grandeur d’âme, cette sorte de supra conscience à côté du Père
étant juge de tout, semble au-dessus de tout. Il aurait la capacité
de mesurer avec exactitude la valeur des choses, sans indulgence
mais sans sévérité, avec la raison parfaite de la pure intelligence.
Cette supra conscience de Dieu semble moins active que le Père -
car s’il n’est pas le créateur de toutes choses, il en est la critique,
l’observation et la parfaite analyse.
129
J’y vois aussi une immense humilité, une volonté de
retrait et de discrétion que l’on ne trouve ni chez le Père ni chez le
Fils. Sur les tables de la Loi remises à Moïse, le Père indique
clairement qu’il interdit toute représentation de sa propre
personne. Le Fils suivant l’exemple du Père aurait dû interdire
l’imitation de son image. Or, il n’est pas un village reculé, une
infime place d’un hameau, où l’on ne voit l’image crucifiée du
Fils. Le Père lui-même s’étale dans de nombreux musées, tandis
que personne ne semble l’avoir vu, et donc n’en peut prétendre la
reproduction. Il en va tout autrement du Saint-Esprit. On ne peut
l’identifier qu’à une colombe et là est son unique gloire ! Il est à
supposer qu’un Dieu vaut plus qu’un volatile.
On ne peut non plus prétendre connaître le timbre de sa
voix. Il est aisé d’imaginer le langage employé par le Christ -
c’était l’Araméen. Il est plus audacieux de soupçonner connaître
la voix du Père. On l’associe à la colère, à la violence, au feu, au
volcan, au chant délicat de la source. On peut supposer que le
Père exploite un autre mode d’expression non pas imitant le
langage des hommes, mais adapté à sa spécificité divine.
Que savons-nous réellement de l’Esprit de Dieu ? Il
appartient à la Trinité. Jésus-Christ en venant sur terre a dit : “ Il
130
n’est pas UN, mais nous sommes TROIS. ” Il est donc élément
intégrant la famille divine. Dieu de lumière, Dieu de gloire,
constitué des mêmes éléments que le Père, c’est une Force qui a
participé à la construction de l’espace. On peut donc dire qu’il est
le Frère de Dieu, le frère spirituel, ou le grand frère. Le paradoxe
de sa grandeur est d’obéir à la pensée du Fils. On peut lire (Jean
16,7) :
“ Pourtant je vous dis la vérité :
il vaut mieux pour vous que je parte ;
car si je ne pars pas,
Le Paraclet ne viendra pas à vous ;
mais si je pars,
je vous l’enverrai. ”
131
Le Parfait
Dieu est donc la représentation du parfait. Il s’agit de le
considérer petit de taille, et immense dans sa réalisation. Il faut
aussi l’imaginer en un lieu qui pourrait s’apparenter au Saint
Sanctuaire, et tenter de supposer son rapport avec les choses
visibles et invisibles qu’Il prétend dominer. Il faudrait aussi tenter
de comprendre quel est son rapport mécanique ou actif avec les
objets qui l’entourent. Encore est-il nécessaire de prétendre qu’il
habite le même espace-temps que les objets qu’il a produits. Et
voilà la grande difficulté à laquelle est soumis tout spéculateur. Il
suppose d’après des éléments aléatoires mis à sa disposition. S’il
construit sur une théorie de l’erreur, il ne s’en doute pas et ne veut
en démentir. S’il travaille avec l’outil biblique, il jugera en la
vérité des Saintes Écritures. Alors que faire ?
Dieu est lumière, et tous s’accordent sur ce point. La
lumière serait donc un principe d’intelligence, de vie et
d’immortalité. Cette énergie-là conférerait des propriétés qui
engendreraient du pouvoir.
132
Dieu n’est pas toujours dans l’âme ou dans le coeur, car
il existe autant d’hommes à ne rien croire que d’hommes à croire
en quelque chose. Si tous considèrent qu’il y a une organisation à
l’échelle de la nature, quand certains y voient la preuve de Dieu,
d’autres n’y décèlent qu’un élan vital biologique.
133
Le mystique
Le mystique est un homme de raison, qui a pu juger par
ses sens et accéder à une expérience paranormale unique,
rarissime dans son fait et difficilement renouvelable. Et c’est la
rareté de son expérience qui engendre chez autrui le doute
concernant la véracité de ce fait.
Imaginons un papou indigène, ignorant tout de la
civilisation occidentale, - s’il aperçoit un objet volant tel un avion
de transport, s’il observe attentivement le déplacement de cet
objet, il ne pourra prétendre avoir été berné par la qualité de ses
sens. De retour dans son village, s’il raconte son histoire, il peut
ne pas être cru par le reste de la communauté, qui ne verra en lui
qu’un sinistre fabulateur en proie à l’ivresse de quelques
champignons hallucinogènes.
Le mystique est donc un homme qui a une expérience
exceptionnelle avec l’inconnu, avec l’inexplicable. Il entend des
voix, assiste à des manifestations quasi-divines et choisit le plus
souvent de conserver le silence plutôt que de se savoir la risée de
ses contemporains. Il en arrive même à taire à ses supérieurs le
134
phénomène fantastique qu’il a éprouvé. Le silence, la certitude de
Dieu en son for intérieur lui semblent plus raisonnables : il craint
parfois que l’interprétation de son expérience ne soit jugée
comme étant une volonté délibérée de surestimer sa “ valeur
humaine réelle. ” Car c’est bien se grandir que de prétendre
communier avec la Vierge, avec un Dieu ou avec le Christ. Le
voilà dans son immense solitude, enrichi d’une expérience
phénoménale, qui grandit sa foi, mais le marginalise dans la
communauté.
Je ne suis pas loin de penser que nombre de sœurs qui
ont épousé Jésus-Christ, de prêtres qui ont fait vœu d’abstinence,
ont quelque part eu un rendez-vous pour un immense témoignage
avec un principe de l’Au-delà. Mais l’humilité de leur coeur a
préféré ne rien dévoiler, ne rien divulguer, n’imitant pas en cela
un simple racontar de secrets.
Car il s’agit d’un secret qui veut certifier la vérité d’une
vie après la mort, d’une existence hors de l’enveloppe charnelle,
là où règne l’Esprit. Nous descendons à présent dans le commun
des mortels. Grand nombre de personnes, fort raisonnables,
pourvues de bon sens populaire, ont éprouvé lors d’un décès la
certitude perceptible de phénomènes paranormaux tels la présence
135
à leurs côtés du proche disparu. L’analyse médicale prétend que
tout cela découle du travail du décès, qui ne s’appuie sur aucune
explication rationnelle.
Je prétends que c’est par cet endroit que l’on pénétrera le
mystère d’une possible survie après la mort. La religion a suscité
autant de vocations qu’elle a fabriquées d’incrédules.
Le mystique dit : “ Je crois parce que j’ai vu, parce que
je sais. ” Le prêtre dit : “ Croyez car cela est écrit dans la Bible. ”
Pascal dit : “ Pariez pour Dieu, vous n’avez rien à perdre. ”
L’homme de science demain dira peut-être : “ Vous pouvez croire
en Dieu, car il y a une forme de vie après la mort. ”
136
Révélations sur l’au-delà
Il faut ici considérer la détermination divine avec un oeil
rationnel, sans aucune concession pour la religion. Il la faut donc
voir avec la certitude et la logique des moyens dont nous
disposons.
Jetons tout d’abord à la poubelle de la facilité la
croyance sans la preuve, la croyance du coeur ou de l’enfant. Je
ne dispute point sur sa beauté ni sur son fondement réel, mais je
l’exclus car s’il est preuve en soi, il ne saurait être vérité
universelle.
Les hommes de religion m’accorderont le droit pour le
développement de ce raisonnement, quand bien même il nierait
dans un premier temps l’existence du Fils et du Père, d’exploiter
cette manœuvre fort utile dans les démonstrations mathématiques.
J’ai détenu entre mes mains, voilà déjà presque vingt
ans, un livre fort lumineux, traduit de l’américain et qui
maintenant est accessible pur les petites bourses en collection bon
marché. Le titre de l’ouvrage : “ La vie après la vie. ”
137
Je dois reconnaître que durant ma période d’adolescence,
j’étais curieux des choses inconnues et paranormales. Je
m’intéressais à la parapsychologie, au déplacement d’objet à
distance, à la transmission télépathique et autres étonnements.
J’avais lu des endroits extraits d’une revue, et la publicité ayant
fait preuve d’efficacité, je décidai de commander le livre.
Dans les années soixante-dix, soixante-quinze, aux
États-Unis, d’énormes progrès avaient été réalisés dans la
réanimation des patients. Il était déjà possible à cette époque de
ramener à la conscience des individus en situation de comas
dépassés. Un médecin plus attentif que les autres avait remarqué
que d’étranges témoignages qui se recoupaient, offraient des
similitudes de détails et d’explications concernant des histoires
abracadabrantes.
La plupart de ces patients prétendaient être sortis hors de
leur corps physique, avoir entendu des voix les appelant, des voix
de l’au-delà ou de proches disparus, s’être engouffrés dans une
sorte de tunnel, et pour certains même avoir pu accéder à une
source de lumière qu’ils identifiaient à Dieu ou au Christ.
138
Il est évident que cela peut surprendre, et l’on prétend le
plus souvent que ces états hypnotiques engendrent par le travail
du cerveau des hallucinations bien connues. Mais les témoignages
étaient concordants et l’hallucination si elle se nourrit de la
mémoire de l’esprit, donc possède une valeur individuelle précise,
ne peut revêtir un habillage collectif.
Ce docteur a donc entrepris une enquête et n’a pas hésité
à questionner certaines personnes qui n’osaient, de crainte de
passer pour ridicules, de dévoiler leur témoignage. La recherche
ne faisait que confirmer ce qui déjà avait été dit.
Je n’ose croire que ce montage ne soit que pure fantaisie
et qu’il ait été inventé pour vendre du papier. Je pense
sincèrement qu’un grand secteur d’investigation s’offre à
l’intelligence humaine, et lui permettra certainement de mieux
pénétrer dans le mystère de la vie après la vie, et de la
métaphysique divine.
Nous voilà donc dépourvus de toute croyance sans
preuve quantifiable. Nous rejetons la certitude du coeur et
pénétrons par la démonstration scientifique, dans l’un de nos plus
éminents problèmes : l’existence de Dieu.
139
Rappel
Je me suis évertué dans mes recherches personnelles à
tenter d’accéder au mystère et au paranormal, non pas que la
curiosité me poussa vers cette forme irrationnelle et inconnue,
mais je pourrais dire que le phénomène inexpliqué est venu à moi.
Emprunter cette voie est hautement difficile. Elle n’est
composée que d’indices, que de perceptions non renouvelables, et
si elle possède quelque intérêt pour un esprit, elle est toutefois
rejetée par l’immense majorité des rationalistes. La raison ne doit
pas se laisser emporter par de vaines apparences, non. Elle doit
constamment faire preuve de rigueur et de volonté pour ne pas
s’embarquer vers des destinations sans but. Une intelligence
responsable s’aperçoit que seule cette méthode peut le conduire à
la vérité et à la connaissance.
Il faut donc employer l’esprit de science, le seul
réellement capable d’offrir une sécurité de certitude.
L’expérience doit se concilier avec l’évidence absolue, et
constamment s’entretenir avec la raison.
140
Mysticisme et paranormal
La forme nouvelle dans laquelle la vérité doit exister, ne
peut être que le paranormal et le mysticisme.
Il est vrai que cela contredit la pensée fondamentale de
la certitude dite scientifique, qui dans ce siècle rationnel à la
technique appliquée n’a fait que d’affirmer le contraire. Il y a là
tout un gisement d’une richesse inouïe qui nécessite évidemment
un nettoyage ou une purification, - mais qui par son contenu et les
questions qu’il pose - veut offrir à l’intelligence rationnelle tout
un espace d’apprentissage et de compréhension. Ne peut-on pas
aborder le problème de la voyance à travers une étude scientifique
circonspecte ? Vérifier aux moyens de fréquences, de statistiques,
de probabilité afin d’abolir la loi du hasard, vérifier l’exactitude
des faits avancés ? Dans le domaine du mysticisme, serait-il
stupide d’analyser avec rationalité des témoignages d’hommes de
bon sens, qui cent fois pourraient répondre parfaitement aux
questions ordinaires ou spécifiques, et qui affirment toutefois la
vérité d’une communication paranormale ? Ces cobayes
141
accepteraient-ils de bonne grâce de se soumettre aux tests de
détecteurs de mensonges ou de “ pain ” total
142
La vérité biblique
Il ne faut pas confondre interprétation humaine d’un
Livre transmis par un Dieu, et vérité définitive et immuable. Il
s’agit ici d’intégrer le développement progressif de la vérité, et de
comprendre que la nature conserve un nombre considérable de
secrets, que l’intelligence humaine n’en est qu’à ses
balbutiements dans la connaissance, et que ce qui peut apparaître
comme une contradiction n’est qu’un passage de l’ombre à la
lumière, du boisseau tamisé à la réelle clarté.
La certitude qui s’en dégage n’est qu’une affirmation du
moment. En ce sens, le vrai et le faux ne s’opposent pas dans la
détermination commune, mais avancent tous deux dans la
direction du progrès. Il n’est donc pas question de rejeter en bloc
l’ensemble de l’ouvrage sous prétexte qu’une explication semble
contredire l’usage donné à la vérité.
Ce n’est pas ainsi que l’on comprend la contraction dans
le système mathématique basé sur des 1 et des 0, des affirmations
et des négations. Il n’est admis que l’une ou l’autre de ces
143
attitudes, - ce qui refuse le progrès dans le savoir et exclut toute
évolution sensible.
144
CHAPITRE SIXIÈME
145
Divers
Continuité d’un monde occidental
Il est facile de voir que notre monde est un monde
capitaliste qui ne subit aucune modification dans son principe, et
qui certainement se poursuivra de la sorte dans les prochaines
décennies. La pensée capitaliste s’impose et se positionne dans les
pays de l’Est. C’est là un immense succès pour le leader ship
américain.
Certes, il y a des modifications, des transformations
étonnantes liées en grande partie à l’émergence de certains
marchés à croissance rapide, mais la pensée occidentale semble
s’imposer et régner dans un monde de libre-échange où la
puissance des banques et des multinationales se fortifient et se
renforcent. Les progrès accomplis dans les domaines des
techniques engendrent des évolutions et non pas des révolutions
de comportements.
Le grand perdant de cette crise économique qui a vu le
jour en 1973 avec la guerre du Kippour et dont les effets de
146
estructurations semblent en grande partie être accomplis, - le
grand perdant, disais-je, me paraît être le parti ouvrier occidental.
Des millions d’hommes et de femmes quémandent le droit au
travail, d’autres vendent leur force pour des mi-temps avec des
salaires dérisoires, d’autres encore sont sans logis et errent des
journées entières marchant avec enfants pour quelques-uns dans
les rues de la ville. Tout cela est pitoyable, et peu digne d’une
société se prévalant d’être l’une des plus riches au monde.
Le nombre d’adhésions aux syndicats ne cesse de
baisser, l’ouvrier frileux et replié sur soi-même craint pour son
emploi, et préfère se taire plutôt que d’intervenir et voir son poste
supprimé.
Il faut donc se satisfaire d’un revenu dérisoire, en peau
de chagrin et l’on prétend encore que pour résoudre le problème
du chômage, le partage du temps de travail s’avère nécessaire. On
propose une diminution du temps de travail accompagnée
évidemment d’une diminution de salaire, donc du pouvoir
d’achat.
Dans le même temps, les profits réalisés par les
entreprises sont en hausse constante. La balance commerciale de
147
la France tire des excédents jamais atteints. Si les grandes
reconstructions ont déjà été accomplies dans d’importants
secteurs, si le dégraissage a été effectué, la bonne santé de ces
entreprises qui progressent en profit n’a pas encore entraîné la
moindre création d’emplois d’ouvriers ou de techniciens qualifiés.
Le profit va au profit, et nulle relance pour l’économie.
Les ménages ne peuvent consommer, faute de moyens financiers.
Les capitaux dans une certaine mesure, se placent à taux élevé sur
les bourses étrangères. La France s’essouffle. Le gouvernement
tant bien que mal, plutôt mal que bien d’ailleurs, propose aux
bénéficiaires de PEP d’utiliser les sommes bloquées dans les
contrats, et cherchent à convaincre les Français de tirer dans leurs
bas de laine leurs faibles économies pour relancer la demande par
la consommation. Tout cela prête à rire.
L’Allemagne, notre colossal partenaire, prévoit une
croissance de son PIB de 0,5 à 1 % pour l’année 96. Le Japon ne
resplendit guère mieux, et de grands centres de statistiques
assurent une augmentation du produit intérieur de 0,5 % pour
l’année fiscale qui va débuter.
148
Que faire dans une conjoncture occidentale si difficile ?
Et quel peut être l’espoir et l’avenir du monde ouvrier dans de
telles circonstances internationales ?
Je l’écris - c’est bien la continuité du monde occidental,
l’on y terrasse l’ouvrier, l’on y soumet les techniciens et le
personnel d’encadrement à des rendements excessifs. L’homme
au chapeau clap et au gros cigare semble réellement avoir gagné
son tour de bras de force avec l’ouvrier. Ce dernier est miné,
soumis à quémander quelque obole pour survivre. Et je ne vois
guère de possibles évolutions de changements. Cela risque de
durer longtemps ainsi encore.
149
Second degré
N’est-ce pas une chose difficile que d’avoir constamment
des étrangers autour de soi et d’être dans l’obligation de subir leur
présence ? Toutes les différences de peau, de faciès, de couleur et
de culture ajoutent encore à cette contradiction. On ne peut pas
même s’échanger les plus infimes propos. Aux temps bénis des
colonies, comme l’a chanté Michel Sardou, le relationnel était
tout autre : c’était un rapport dominant/dominé. Le noir obéissait
à l’ordre du blanc - un point, c’est tout. L’ensemble était compris,
admis, appliqué. La suprématie de la race blanche s’imposait et
semblait faire bénéficier de sa compétence la race noire, c’est-àdire
la race inférieure. Remarquez qu’il n’y avait pas de haine. De
vraies amitiés pouvaient même se nouer. De splendides dou dous
aimaient leurs bons maît’es, pleines de reconnaissance pour les
gages qu’ils leur octroyaient. Il n’y avait là ni haine ni violence,
ni explosif ni dynamite.
On s’étonne parfois que pas un chef politique, pas un
leader d’opposition à l’exception peut-être de Jean-Marie Le Pen
n’ait agité l’étendard de la colonisation, du big back to the blacks.
Chacun y trouverait profit : les malheureux et les pauvres, les
150
crève-la-faim à qui l’on apprendrait à semer, les sidaïques à qui
l’on apprendrait à bien mourir. Car pour tout vous dire, ils sont
des millions et des millions en Ouganda et pays limitrophes à être
contaminés par l’HIV.
Il s’agit ici de solidarité à l’échelle planétaire. Mais les
états, les tribus se replient sur eux-mêmes et refusent de participer
à cet immense élan de générosité. Certains prétendent que l’on a
assez donné, d’autres que l’on n’a pas assez pris. Prendre,
donner... c’est échanger.
L’on voit toute l’utilité du commerce pour une
civilisation. Le commerce rend prospère et cette prospérité est
mère de nombreuses vertus.
Nous-mêmes, ne devons-nous pas subir la domination de
la race jaune qui nous surpasse dans tous les domaines de la
technique appliquée, qui est en avance sur nos précédés et sur
notre connaissance ?
bouclée.
Cela serait un bon retour des choses, et la boucle serait
151
De la femme
Est-il bon de se répandre dans la chair des femmes,
d’épuiser sa semence vitale pour accéder à quelques instants de
plaisir ? On prétendra qu’il est dans la nature de l’homme d’aller
et venir dans le corps de sa compagne afin d’y générer un soimême
qui lui ressemblera.
Ne serait-il pas plus raisonnable de se défaire par un acte
masturbatoire du trop plein qu’engendrent notre hypophyse ou
nos glandes sexuelles, de se débarrasser de cet amas visqueux et
gluant que le pénis secoue et expulse dans des contorsions
étranges ?
Quelqu’un s’est-il essayé de comptabiliser toutes les
heures perdues à courir, supplier, quémander ou implorer aux
pieds de sa femme ou de sa maîtresse ? Est-il possible de
déterminer le nombre de conflits, d’embarras, de violence ou
d’excès que peut entraîner la présence de la femme à ses côtés ?
Je suppose que grand nombre de philosophes par raison
ou par expérience ont dû apprécier à leur manière cette
152
interrogation, et sachant y répondre ont préféré la solitude à la vie
en commun avec une compagne.
153
De la critique littéraire
Est-ce vraiment raisonnable de s’essayer au jeu
divertissant de l’écriture ? De s’amuser à construire des
structures, associant des substantifs à des adjectifs pour obtenir de
beaux accords ? Sont-ils beaux d’ailleurs, ces accords ? Qui
pourrait juger de la qualité stylistique ainsi obtenue ? Quel artiste,
grand amateur de beau, quel critique à la plume virulente, pourra
se prévaloir de posséder la vérité dans l’exercice de l’art ?
Pourtant chacun se prétend pourvu d’une quantité
appréciable de vérité dans l’analyse d’autrui. “ Cette certitude est
le fruit de l’expérience, disent certains. Voilà, déjà trente ans que
je lis de la poésie, de la prose ou du roman. Je sais donc ce qui est
bon et ce qui est mauvais. Je puis aisément séparer le grain de
l’ivraie, et je vous certifie, mon cher ami etc... ” Combien de gens
de bonne foi ai-je pu entendre s’exprimer de la sorte, et tous
avaient la conviction comme une croix autour du cou.
J’ai appris qu’il était impossible de savoir qu’untel était
doué et que tel autre était un triple nigaud. Que l’œuvre de celui-
154
ci passera à la postérité tandis que l’œuvre de celui-là sera jetée
au plus profond des oubliettes.
L’histoire de la littérature est composée d’incapables, de
rejetés, d’ignorés de leur temps présent, qui aujourd’hui
instruisent et nourrissent les enfants de l’éducation nationale.
155
Sur la mort
En vérité, il y a pour l’espèce humaine deux espaces -
temps bien définis. Le premier, qui se conçoit de lui-même, c’est
celui dans lequel nous vivons où le temps est mesuré de façon
précise. Cet espace est palpable, il est quadridimensionnel, et
l’homme y est fait de chair. L’une des caractéristiques de cet
espace, c’est la difficulté que rencontre l’homme à s’y mouvoir -
difficultés de substances matérielles, difficultés corporelles et
difficultés spirituelles. On peut dire de façon amusante que
l’homme est une tortue avec sa carapace, ses contraintes et son
poids. Mais que la tortue vienne à atteindre l’eau, et elle se
déplacera à la vitesse de trente-deux kilomètres/heure. Et nous
voilà dans le deuxième espace-temps, plus intéressant à pénétrer
et à comprendre. C’est encore l’image de la tortue mais sans sa
carapace, ou l’image de l’homme sans son enveloppe charnelle.
Pour ce faire, pour atteindre ce nouvel espace, il faut donc quitter
son enveloppe charnelle, il faut mourir dans la plupart des cas, car
grand nombre de personnes sont déjà parvenues à sortir hors de
leur corps et à le réintégrer. Il doit y avoir des techniques
relativement simples de yoga permettant d’accomplir cette sortie
hors de soi.
156
Ce nouvel espace-temps peut être assimilé à l’idée
simple que se font les croyants de la vie après la vie, ou tout
bêtement “ le ciel.”
157
De la rigueur mathématique
Quoi de plus incongru, de plus étonnant que de faire
appel à des poètes pour tirer quelques vérités. Ce sont des esprits
remplis de chimères, qui se nourrissent d’images et se languissent
constamment pour des insignifiances et du ridicule.
Ils se prélassent des heures durant sur des divans, ou se
reposent au cabaret et se prévalent de détenir quelques certitudes.
N’est-ce pas insensé que d’utiliser de telles raisons qui parlent
dans de telles bouches pour annoncer le Droit et la Loi ?
Comment est-il possible de comprendre une Force Supérieure
qui a construit avec sa magnifique intelligence ce splendide univers ?
Le voilà qui parle par la bouche de ses prophètes avec des images
poétiques ! Le voilà encore qui sacre le roi des rois - Salomon - et lui
fait rédiger des recueils de sentences !
N’aurait-il pas été plus raisonnable d’utiliser un homme
charpenté de vérités mathématiques sachant pertinemment que 2
et 2 font quatre ?
158
Il est vrai me répond ma malice que dans le principe de
La Trinité un plus un plus un font un.
159
L’état prophétique
Il est assez humain de vouloir comparer la pensée
philosophique à l’image poétique et le lyrisme poétique à l’état
prophétique. Le tout se ressemble et paraît se mêler dans une
mixture intellectuelle sublime ou cocasse. L’accumulation de la
raison s’associe au déversement de l’image, et le tout relié par des
éléments de coordination donne au chant, au chapitre ou au
poème un mouvement qui semble pouvoir s’entendre, - quoique
des résistances de sens s’opèrent ici et là. Mais ne faut-il pas,
pense le lecteur, qu’il y ait en quelques endroits du moins de la
difficulté ? Où serait le plaisir de la compréhension ?
Je prétends et je veux affirmer avec beaucoup de
véhémence que l’état prophétique n’est pas une chimère donnée à
quelque inspiration poétique débrayée, mais qu’il est un choix
puissant et responsable de l’Esprit de Dieu qui confère à l’homme
prédestiné la capacité de servir d’intermédiaire entre Dieu et le
peuple. Entend qui voudra.
160
Du plaisir dans l’apprentissage
Ce qui semble étonnant c’est de voir certains hommes
capables de répéter inlassablement les mêmes actions, les mêmes
comportements, les mêmes déplacements et de s’en bien porter
pour autant. Y aurait-il donc plaisir dans l’obligation de
reproduire un même geste, de concevoir une même pensée ou
d’agir de façon semblable ? Serait-ce de la paresse ou de la
jouissance nonchalante que de balayer son regard sur un paysage
que l’on a déjà vu des milliers de fois, de caresser le corps d’une
femme que l’on possède depuis de longues années ou d’accomplir
la même tâche à son bureau ou dans son atelier ?
Il est peut-être dans la nature de l’homme de se suffire du
fameux steak frites 6 fois par semaine, de regarder la même
émission de télévision présentée par Michel Drucker ou de subir
les fameux embouteillages de fin de semaine.
Car ne faut-il pas condamner cet éternel étudiant qui
toujours à s’instruire, toujours à s’ouvrir sur des mondes
nouveaux, avide de savoir et de connaissance veut encore
apprendre et ne sait jamais rien ?
161
Domaine du défini
On parvient toutefois en mathématique à utiliser un
langage commun qui va au-delà de sa propre langue (l’écriture
mathématique russe est la même que l’écriture mathématique
anglaise), on peut exprimer des concepts, des notions, des
certitudes, des propositions ou des vérités uniquement parce que
l’on travaille dans un espace bien défini, bien régi.
Que l’on vienne à se poser un problème en se déplaçant
d’espace ou de lieu de définition, et la certitude devient doute, et
la vérité est à reconsidérer, à vérifier à nouveau.
C’est le grand privilège du langage mathématique : une
affirmation est vraie parce que l’on raisonne dans un espace
déterminé. Que l’on vienne à changer d’espace etc.
162
Lire ou compter
Je ne me souviens pas avoir éprouvé le moindre intérêt à
lire quelques ouvrages dans mon enfance. La connaissance que je
pouvais en tirer me paraissait le plus souvent ennuyeuse et
astreignante. Je pensais que je parviendrais à acquérir un savoir
précis et utile à ma formation en côtoyant le quotidien, en me
frottant à des adultes, en vérité, en me nourrissant avec les yeux.
J’estimais fort peu la poésie, prétendant que cet art était
plutôt le jeu d’esprits insouciants, dépourvus de rigueur et enclins
aux excès les plus détestables.
Ceux qui s’essayaient à ce genre de discipline me
paraissaient manquer de pensées claires et lucides, n’ayant que
peu de moyens pour persuader et se complaisant dans des
pleurnicheries et des jérémiades sans fin.
Je ne méprisais pas leur habileté à savoir maîtriser la
tournure, et savais apprécier leur manière et leur douceur, mais je
ne pensais pas que cette discipline pût apporter à ma raison
l’équilibre certain qu’elle s’efforçait de trouver.
163
Je croyais en toute évidence, à la sacro-sainte
mathématique - la reine des sciences - à cause de sa certitude et de
l’évidence de ses raisonnements. Je pensais qu’elle n’avait pour
but qu’elle-même, c’est-à-dire sa propre pureté. Je ne voyais
guère l’utilité de ses applications...
164
Quelle méthode ?
Ce que je recherche avec cette méthode - la mienne -
c’est de parvenir en utilisant toute la raison qui est mise à ma
disposition, ou pour le mieux en mon pouvoir, à exploiter les
ressources intellectuelles connues et inconnues. Je commence à
sentir - terme qui ne me convient guère par son manque de
précision - que l’esprit s’essaie peu à peu à tirer de soi de
nouvelles possibilités et de nouveaux moyens.
Suis-je homme qui marche seul, dans la rue sans
lumières ? Me faut-il aller lentement en usant de beaucoup de
circonspection, craignant de trébucher ou de chuter sur un
obstacle ?
Mais je cherche à avancer vite, pressé par le temps peutêtre.
J’ai la certitude d’avoir mes Dieux à mes côtés. Quel risque
puis-je encourir ?
Ce que je méprise le plus en moi, le plus en l’homme,
c’est sa petitesse intellectuelle, sa médiocrité d’être né si tôt tandis
que la civilisation en est à ses balbutiements de développements
165
et de savoir. Alors je subis le ridicule de ma capacité à
comprendre, à percevoir, à assimiler.
Je vis par le sexe et le bien-être matériel, incapable que je
suis à vivre auprès de Dieu, à le palper avec de grands bras
invisibles.
166
La folie
La folie. Il faudrait tout d’abord s’entendre sur la
signification de ce mot. À quoi est-on fou ? Quel péché a-t-on pu
commettre pour arriver à cet état de souffrance ? Est-ce d’ailleurs
la résultante d’une faute présente ou antérieure ? Répondre à cette
question, c’est prétendre posséder ce mystère de valeurs, de
rachats, de fautes, de justice en quelque sorte que pourrait détenir
le Seigneur. Je reviens à ma première question, après cette légère
parenthèse : À quoi est-on fou ? Il serait préférable d’interroger
des spécialistes, des psychiatres plus aptes à intervenir
efficacement car en contact permanent avec ces malades.
plus intéressante.
À quoi n’est-on pas fou ? Voilà une question peut-être
167
Bilan
En ce jour détestable, où tout est souffrance et violence et
douleur, où certaines figues viennent à maturation, où d’autres
sont encore jeunes pour être cueillies, un soleil de conscience
vient d’éclairer ma raison : j’observe ce que j’ai fait, je conçois ce
que j’aurais dû produire, jamais je n’ai obtenu les œuvres que
mon cerveau m’aurait permis d’extraire. Voilà bien un triste bilan.
J’analyse mes résultats aujourd’hui dans ma trente-sixième année.
Je n’ai pu travailler qu’à 50 % de ma capacité intellectuelle et j’ai
perdu 90 % de ma technique d’écriture. Quelle misère ! Voilà
pourquoi, je puis gémir, sans que personne ne puisse me consoler,
hélas !
168
De bien mourir
Il faudrait trouver une méthode d’investigation humaine
permettant de se préparer à bien mourir, c’est-à-dire de se
présenter devant Dieu dans les meilleures conditions possibles de
purification, de formation, d’apprentissage et d’expériences
terrestres positives.
Mais pour cela, il serait nécessaire tout d’abord de croire
en la certitude d’une vie après la mort. Car à quoi peut bien servir
un système d’apprentissage, de formation ou d’expérience si
l’individu intéressé prétend qu’il n’existe aucune forme de vie
dite supérieure après la mort ? Ceci prouve que ce principe de vie
n’est concevable qu’accompagné d’une certitude de morale à
appliquer.
Il s’agirait toutefois pour l’homme rempli d’athéisme ou
de certitude du rien et du néant de se construire un système
d’existence à travers une multitude d’expériences - expériences
169
susceptibles d’enrichir son esprit et de favoriser ainsi son principe
de vie et de pensées.
170
L’existence de Dieu
Pour démontrer l’existence de Dieu, il suffirait que Dieu
se laissât rendre accessible à nos sens, que l’on pût le voir, le
toucher, discuter avec lui - ceci serait une preuve, un état de
certitude, et le grand problème de la métaphysique serait ainsi
révolu avec un peu de moyens, avec une grande économie de
tergiversations et de discussions. Mais hélas pour l’intelligence
humaine, ce Dieu est bien discret, et ne se veut montrer qu’à
quelques-uns - on les appelle mystiques, voyants ou sanctifiés.
C’est encore une démonstration par le Cercle. Or il faut être en
dehors du Cercle pour admettre ce type de vérités. Et celui qui
croit dans le périmètre... Il faudrait une certitude collective telle
une vérité mathématique, tandis que l’acte de foi consiste à se
crédibiliser auprès de chaque individu, de façon indépendante, -
de façon unitaire. On fabrique des prosélytes en vérité, touchés de
manière indépendante.
La croyance n’est pas basée sur des faits concrets. C’est
un acte de foi,... dommage.
171
Savoir, ignorer
Il y a
Ce que je sais - ce dont je ne puis douter ; ce que je crois par
raison impalpable ; ce que je sais et ne puis révéler ;
Il y a
Ce que je ne sais pas, et qui est vérité ; ce que je crois savoir mais qui
est fausseté ; ce que je prétends connaître et qui est confusion ;
Il y a
Ce que je n’ai jamais su et que je ne saurai jamais ;
172
Philosophie
Comment construire un homme ?
Utiliser le langage humain pour raisonner, c’est employer
l’appréciation de l’oeil pour déterminer les distances. Quoi de
plus impur que le langage des mots ! Et l’on voudrait utiliser un
instrument si imparfait pour défendre des raisons, pour annoncer
des vérités philosophiques, pour convaincre et prétendre détenir la
certitude !
Le bon sens est encore de s’abstenir et de faire preuve de
modestie dans l’emploi du langage, puisque ce dernier est
composé de mots qui sont des variables de valeur dont les
définitions diffèrent selon chaque individu.
Il faut donc se mettre d’accord sur le sens, sur la valeur
des mots que l’on emploie. Et cela n’est pas chose aisée.
173
Méthode d’adolescent
Je doutais de la morale et des vérités et de la foi. Pourtant
elles avaient été les toutes premières à nourrir mon esprit, et à lui
servir de créance. Je prétendais qu’en toutes mes opinions, je
pouvais librement juger au-delà d’une certaine norme et d’une
certaine raison.
Je compris l’utilité de converser avec les hommes plutôt
que de rester enfermé longtemps en soi-même. Je ne fis autre
chose que de me nourrir de spectacle de la vie et de travailler avec
mes yeux, tachant d’y être un habile observateur plutôt qu’un
déplorable comédien.
Je pouvais de cette sorte remettre en cause grand nombre
d’informations reçues qui donnent toujours l’occasion de
commettre des erreurs, et je parvenais à me corriger.
Il va s’en dire, que je ne tachais pas d’imiter les
sceptiques qui toujours en sont à douter. Non. J’essayais de
construire lentement selon un procédé de certitudes indéniables et
174
de m’y fixer comme structures de base, ou d’architectures
métalliques.
Et je prétendais obtenir des gains de vérité assez certains.
Ces constructions ou ces avancées raisonnées et claires me
permettaient de substituer à des premières “certitudes” douteuses,
d’autres informations plus fondées et plus réalistes.
J’ose employer cette image : je défaisais certains pans de
mon habitation, et reconstruisais avec plus de ciment et de
meilleures briques.
175
Question
Recevoir des informations fausses pour véritables, et ne
pouvoir dans des principes si mal assurés discerner l’erreur de la
certitude ; comment parvenir à se défaire de tous ces mauvais
fondements et comment reconstruire un principe de certitude
tandis que la méthode afin d’évaluer, de peser ou de prétendre
savoir peut s’avérer être inexacte ?
176
Le génie
Le génie est rarement cette impulsion inexplicable qui
surgirait d’un inconnu créatif dont on serait l’instrument et en
même temps la victime passive. Le génie n’est pas seulement le
médium entre un inconscient qui dicte et une feuille de papier qui
reçoit des informations. Je dis feuille de papier, mais j’entends
aussi bien le maillet du sculpteur, le pinceau du peintre ou le
piano du compositeur.
Je pense que l’artiste se nourrit de toutes sortes
d’informations qu’il ingurgite, avale, assimile, consciemment ou
inconsciemment, je prétends que son cerveau travaille et peut lui
enseigner une manière, un tour, des refus, des choix de
combinaisons qu’il aura vite fait d’utiliser pour appliquer son
principe de création.
Alain dans ses Eléments de philosophie tente dans son
chapitre X du quatrième livre de mieux cerner la spécificité du
génie. Il lui accorde une facilité dans l’exécution, une vitesse et
une précision rares. Il y voit la marque de la spontanéité dans
177
l’improvisation. D’après cela, la raison et la mesure, la maîtrise de
soi seraient assez éloignées de la définition qu’il pourrait revêtir.
Ne faut-il pas au-delà de cette difficulté certaine à
comprendre le mécanisme fondamental de la création humaine, y
voir une association entre une impulsion cérébrale et
mémorisation d’expériences qui combinées l’une à l’autre permet
d’engendrer un acte inventif de qualité supérieure ?
Comprendre comment fonctionne le cerveau sublimé,
est-ce réellement nécessaire ? Qu’est-ce qui sépare Picasso d’un
enfant de six ans ? C’est un rapport de 1 à 1 milliard pour ce qui
est de l’aptitude à peindre. C’est la bille et la planète. Comprendre
la bille n’est pas un échantillonnage suffisant pour comprendre la
planète ?
Pourquoi s’intéresser à la sublimation de l’artiste ?
N’est-ce pas plus raisonnable de tenter de savoir comment
fonctionne ce cerveau humain ? C’est peut-être la machine la plus
extraordinaire mise à la disposition de l’homme. C’est un
instrument bien plus complexe encore que la meilleure de nos
navettes spatiales, car son tableau de bord nous est à 90 %
inconnu.
178
Entre deux âges
Assis sur le toit des deux âges, je regarde jeunesse qui
s’enfuit et vieillesse qui arrive à pas de loup. Je ne me crois ni
jeune ni vieux, et si je balance de l’un à l’autre, la force vive
semble toutefois puissamment ancrée dans ma personne. Je ne
possède plus cette formidable impulsion de jeunesse qui offre à
l’esprit la capacité d’aller outre la construction logique, et par
aptitude de synthèse de comprendre sans avoir démontré.
J’avance plus doucement et j’aime échafauder ; oui, j’apprécie
cette élaboration lente et précise qui accompagne les faits. Le
jugement appelle le repos, et prétend que la raison doit aller bon
train, sans trop se hâter accompagnée de la preuve et de la
certitude.
Il serait peut-être judicieux que l’une et l’autre imitent
les qualités et tentent de rejeter leurs défauts. Cela n’est pas une
belle chose que de froncer les sourcils et de prendre des airs
ténébreux pour s’imaginer posséder quelque importance. Cela
peut sembler ridicule que d’être partant pour la danse quand des
premiers rhumatismes ou sciatiques attaquent nerfs et os.
179
Comment faut-il se comporter ? De quelle manière faut-il
exploiter cette expérience ?
Pour aller vite, jeunesse doit savoir sans avoir eu à
démontrer. Pour aller bien, vieillesse doit tenter d’être utile en
prétendant à l’innovation.
“ Moi qui balance entre deux âges ”... Tout à coup me
revient à la mémoire la chanson de Georges Brassens... Nous
devons posséder de l’intelligence et exister, et nous assumer sur
les trois âges, - celui de la jeunesse, celui de l’âge de force, et
celui de la vieillesse. Je reconnais la formidable capacité créatrice
de Pablo Picasso qui dans sa dernière façon peignait de manière
buissonneuse mais encore splendide.
Une remarque semble assez paradoxale. Quand on essaie
de récupérer le filon de la jeunesse, en y ajoutant sa compétence,
l’ensemble réunit n’offre pas un produit de qualité. La maîtrise de
l’inspiration détruirait donc cette sorte d’impulsivité qui est
parfois la marque du génie ?
180
La discipline de la musique moderne bruyante et
agressive semblerait donner raison à la jeunesse. Passer un certain
âge, comme l’on dit souvent, le Rock And Roll n’est plus qu’une
visite au Musée où l’on voit gesticuler des quinquagénaires qui se
contorsionnent. Mais la substance des produits musicaux a été
conçue en d’autres époques, passées, dépassées... oubliées.
Alors que faire ? De quelle manière faut-il se comporter ?
Puis-je réellement répondre à cette question ? Il est plus sage
d’attendre que le temps me donne l’expérience pour m’exprimer à
nouveau.
181
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER - De l’Intelligence
Le parcours de l’esprit
De la logique
L’intelligence humaine
L’idée
Détester le doute
Penser, c’est vérifier
De juger
La quête de la vérité
L’intelligence doute
Idées et réflexions
Des ressources humaines
Les postulats
L’intuition
La certitude de l’immédiat
Dialectique négative
La conscience et l’instinct
Le royaume du doute
182
Méthode d’intégration
Imaginer
Dédoublement
Volonté d’abolir la conscience
CHAPITRE SECOND - De la Mathématique
La Mathématique
Le vrai
De la géométrie et de l’intuition
Le 1 et le 0
Insensible mathématique
CHAPITRE TROISIÈME - De l’Art
Trois distinctions dans l’art
Le vouloir créatif
Arpèges sur le beau
De l’art
Esthétique
183
CHAPITRE QUATRIÈME - De la Poésie
De l’invisible et de la rigueur
Le spectre d’autrefois
Le don de plaire
De l’œuvre
De l’association poétique
De la critique poétique
Comprendre les poètes
Poésie, rigueur et liberté
Le choix de la jeunesse
I
II
III
La poésie
Stylistique en prose et stylistique poétique
De la critique de soi
Fragment sur la poésie
184
Blocage de la transmission poétique
Morceau
CHAPITRE CINQUIÈME - De Dieu
De Dieu, de l’intelligence de coeur
De la grandeur du Saint-Esprit
Le parfait
Le mystique
Révélations sur l’au-delà
Rappel
Mysticisme et paranormal
La vérité biblique
CHAPITRE SIXIÈME - Divers
Continuité d’un monde occidental
Second degré
De la femme
De la critique littéraire
Sur la mort
185
De la rigueur mathématique
L’état prophétique
Du plaisir dans l’apprentissage
Domaine du défini
Lire ou compter
Quelle méthode ?
La folie
Bilan
De bien mourir
L’existence de Dieu
Savoir, ignorer
Philosophie
Méthode d’adolescent
Question
Le génie
Entre deux âges
186