Le cahier Jeunes Publics (PDF) - Le Tarmac
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n°9
spécial
Jeunes Publics
décembre 2012 → juin 2013
Bienvenue aux Jeunes Publics
Par Émile Lansman - conseiller théâtre et écritures Jeunes Publics
En s'installant dans le XX ème arrondissement, le TARMAC a décidé de s'ouvrir davantage aux jeunes publics. A travers une
programmation qui leur est particulièrement dédiée et un certain nombre d'autres spectacles qui leur sont également ouverts.
Cette volonté, déjà manifeste au cours de la première saison, se trouve renforcée en 2012-2013 et devrait l'être plus encore au
cours des prochaines années.
Mais l'intérêt pour la jeunesse ne se limite pas à la programmation. Impliqué dans la nouvelle ASSITEJ France (Association
Internationale du Théâtre pour l'Enfance et la Jeunesse) et dans "Scènes d'enfance et d'ailleurs", attentif à la préparation du
Congrès Mondial 2013 de l'IDEA (International Drama and Education Association), cofondateur du Prix de l’Inédit d’Afrique
et Outre-mer, le TARMAC est également présent dans de nombreux festivals et autres manifestations favorisant la rencontre
entre les jeunes et le théâtre. Il prouve ainsi sa volonté de s'impliquer concrètement dans la réflexion et dans l’action aux côtés
de partenaires poursuivant des objectifs convergents en France, en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord.
Ainsi sont posés les premiers jalons de démarches à moyen et long termes en faveur de l'émergence et de la circulation
des textes dramatiques francophones pour la jeunesse. Que ce soit à travers des rencontres-animations autour des écritures
contemporaines dans les classes et les bibliothèques, des lectures-découvertes (les "Balades d'Emile") valorisant des pièces
francophones d’aujourd’hui, ou encore l'accueil en résidence d'auteurs en devenir, le TARMAC fait le choix d'un travail de fond
et tisse peu à peu un réseau de partage qui commence à porter ses fruits.
C’est dans cet esprit que nous vous convions à
découvrir cinq nouvelles facettes du talent d'artistes
francophones qui se consacrent (en tout ou partie)
aux jeunes publics et qui ont accepté de lever un
voile sur leur univers artistique en répondant aux
questions de notre conseiller littéraire Bernard
Magnier. De quoi – nous l’espérons – vous donner
envie de nous rejoindre… car bien entendu ces
créations portent le label
"Bienvenue AUSSI aux
Adultes".
© Laurence Leblanc Vu'
à partir de 7 ans
L'Autre
un spectacle de Claudio Stellato
en collaboration avec Martin Firket
dans le cadre d
du 18 au 22 décembre 2012
UN POÈTE ACROBATE,
UN FUNAMBULE SUR LE FIL DU RÊVE
Le mot d’Émile Lansman................................
Silence, on met en boîte ! Captivé par la magie (dans tous
les sens du terme) de l'univers feutré qui peuple la scène
obscure, le public retient son souffle et tente de percevoir
le moindre geste, le moindre déplacement, le moindre
déséquilibre qui pourrait perturber la belle mécanique. Une
performance inclassable, non dénuée d'humour et de poésie,
qui fera le bonheur des spectateurs de tous âges.
Il est seul en scène mais des objets
animés l’entourent et s’en viennent.
Une caisse, une armoire, un carton,
un tapis. Ils surgissent dans son
univers, tour à tour comparses,
complices ou menaçants. Ils se défient
et s’entrelacent. Il en joue, il les évite,
les transporte, il s’y dissimule.
Il se prend les pieds dans l’armoire,
se cogne sur le tapis avant de
l’emporter en coulisses. Les portes
s’ouvrent comme on respire.
Il est seul en scène mais l’Autre est là.
Les images sont belles. La poésie est
de chaque instant.
Claudio Stellato est un poète acrobate,
un funambule sur le fil du rêve,
un danseur magicien.
Stellato est un Claudio lunaire.
Et L’Autre nous emporte ailleurs.
B.M.
© Martin Firket
L'AUTRE > ENTRETIEN AVEC
3
Claudio STELLATO
> "UN SPECTACLE FAIT POUR OUVRIR
L’IMAGINAIRE"
© Martin Firket
Bernard MAGNIER
Afin de faire connaissance, pourriezvous
nous donner les grandes étapes
de votre parcours, en commençant par
votre découverte du spectacle vivant en
tant que spectateur ? Votre première
émotion ?
Claudio STELLATO
La première fois… c’est sans doute à
l'école, des spectacles très traditionnels
et ennuyeux, de type… Molière. Ma
première émotion, je la dois à la
compagnie Cahin Caha en Italie, avec
un spectacle qui s’appelait Cirque
Batard. Je me souviens aussi que,
quand j'étais petit, j’étais fasciné par
les coulisses, par l’arrière du chapiteau
avec les caravanes que j’observais avec
attention.
Comme acteur, comme participant ?
Votre première fois sur scène ?
J'ai commencé comme musicien à
16 ans avec un premier concert dans une
salle de catéchisme. On jouait du heavy
metal !
Puis je suis devenu artiste de rue et donc
d’une certaine façon artiste de cirque.
J’ai également fait du théâtre dans
différents pays, en Italie, en Espagne,
en Amérique du Sud, en Allemagne, en
France, et pour finir, j’ai également fait
de la danse à Bruxelles.
Quels sont vos repères, vos "phares"
dans le spectacle vivant ? Les grands
noms, les grands spectacles, ceux qui
vous ont marqué ?
Johann Le Guillerm, Rodrigo
Garcia, Grotowsky, Karine Ponties, Ivo
Dimchev, Bob Marley, Camaron de la
Isla, Batman, la Need Company (La
chambre d'Isabella), Josef Nadj et sans
doute beaucoup d'autres…
" LES IMAGES SONT LÀ
POUR SUGGÉRER"
Pourriez- vous nous raconter la
naissance de ce spectacle ? Comment
est- il né ? Comment a t- il évolué ?
Il est né dans un parc. Je travaillais
sur une petite performance d’une
minute dans un théâtre. J’ai continué
à travailler pendant trois ans avec
l'obligation de montrer à chaque fois
quelque chose d’un peu plus long que la
fois précédente…
Rien n’était prévu au départ. Tout
est arrivé grâce au travail continu de
recherche…
L’Autre, le titre mérite une explication.
Qui est cet autre ? Un "autre" absent ?
Un "autre" vous- même ?
Je préfère ne pas donner mon point
de vue personnel. L'Autre c'est un
spectacle fait pour ouvrir l'imaginaire.
Les images sont là pour suggérer, pour
donner à chacun la possibilité de voir
l'autre qu’il souhaite… Pendant la période
de conception du spectacle, L’Autre
offrait une version nouvelle de notre
personnalité. J'étudiais comment cette
personnalité pouvait danser, raisonner et
tenter de résoudre les problèmes qui se
posent à lui. Mais le spectacle est devenu
quelque chose de plus complexe. Mais
c'est évident que j'interprète "mon" autre.
Spectacle "jeune public", spectacles
pour adultes… selon vous, un même
univers ? Un même propos ? Deux
mondes différents ?
En ce qui concerne mon spectacle, un
même monde et un même propos. L’Autre
est universel et ne nécessite pas que le
public soit préparé, d’une façon ou d’une
autre, pour le recevoir.
propos recueillis en août 2012
à partir de 10 ans
Moi
Monsieur, Moi
de Patricia Gomis
mise en scène Márcia de Castro
du 15 au 26 janvier 2013
Et le clown parvient à nous faire rire…
Elle c’est moi ! Moi c’est elle !...
Et Patricia Gomis choisit la distance
du clown. Elle sort de son grand sac,
les poupées et les objets de son conte,
un tissu, une valise, un drap…
Elle joue, elle mime, elle prend
l’accent, elle parodie, elle caricature.
Et le clown parvient à nous faire rire
en nous contant la vie de ces petites
poupées du Sénégal placées, déplacées,
emportées dans un tourbillon
menaçant.
Tour à tour petite fille naïve, tante
autoritaire, instituteur sévère, adulte
prédateur, le clown joue et se joue de
ces petites marionnettes aux destinées
tracées, offertes à 7 ans à la tante, à
13 ans bientôt mariées, à 18 ans chez
l’oncle de Paris… Et partout les mêmes
ombres, les mêmes mains adultes.
Poupées de terre, poupées de tissu,
poupées de récupérations, poupées
de bric et de broc, mais surtout
poupées ballottées, laissées, délaissées,
mutilées, exploitées, offertes.
Petites voix fragiles, espiègles, tendres.
Poupées de tristes sires, poupées
de sons.
B.M.
Je veux que mon clown soit mon arme
pour dire, pour dénoncer aussi, pour
régler des comptes peut- ÊTRE…
Je veux qu’à chaque rire, une question
fuse dans la tête du spectateur :
" De quoi je ris ? C’est
horrible et
je ris !
Le mot d’Émile Lansman................................
J'ai vu les premiers pas de clown de Patricia Gomis, alors
jeune comédienne sénégalaise. Que de chemin parcouru !
A coup d'anecdotes savoureuses et de moments de grande
émotion, elle évoque ici avec talent et humour son enfance,
son adolescence et son entrée dans le monde adulte. Talent,
humour, sens du récit et magnifique présence sur scène...
autant d'invitations à ne pas rater ce rendez-vous.
MOI MONSIEUR, MOI > ENTRETIEN AVEC
Patricia GOMIS
>"JE SUIS SIMPLEMENT
QUELQU’UN QUI AIME RIRE
ET FAIRE RIRE"
5
Patricia Gomis a choisi d’emprunter le costume de clown pour conter son
enfance, son adolescence, pour dire les petites et les grandes blessures de
ses premières années au Sénégal.
Un clown qui parvient à porter le rire au cœur des douleurs, à les rendre ainsi
plus supportables. Un clown qui s’est adjoint les services de quelques poupées
et qui a travaillé avec la complicité de Márcia de Castro pour la mise en scène.
Bernard MAGNIER
Afin de faire connaissance pouvez-vous
nous raconter votre itinéraire artistique ?
Patricia GOMIS
Durant ma formation théâtrale à
Dakar avec Márcia de Castro, j’ai eu la
chance de faire un stage de clown avec
Michel Parent, un clown français. A
l’issue du stage, je savais que le clown
ferait partie de ma vie.
D’où vient selon vous votre goût pour la
scène ? Pour le théâtre ?
En faisant un jour une animation au
service de pédiatrie de l'hôpital Albert
Royer de Fann à Dakar, j’ai vu le visage de
ces enfants malades se transformer sous
mes yeux. J’étais touchée et agréablement
surprise par la magie du théâtre ce jourlà.
Je jouais pour la première fois devant
un public d’enfants. C’est vraiment là
que j’ai attrapé le virus de la scène.
Quel est votre premier souvenir de
spectatrice ?
Cela remonte à mes années d'école
primaire. De temps en temps, l'école
faisait intervenir des artistes. On enlevait
les tables et les bancs et on entassait la
moitié des élèves de l'école dans une
classe. Souvent, c'était des spectacles
de magie. Des magiciens qui avaient
de drôles de numéros. En effet, ils
choisissaient un élève à qui ils plantaient
un gros clou dans la tête ou bien ils se
coupaient la langue… Bien sûr, tout ça
était faux mais, pour nous, les élèves, ça
avait tellement l'air vrai que beaucoup
partaient en criant… J’en faisais partie !
Votre première fois sur scène, c’était où ?
A quelle occasion ?
Au Centre Culturel Français de Dakar.
Pour une pièce de théâtre qui devait être
filmée pour la télévision. J'étais figurante.
J'ai répété pendant trois jours pour
gagner 15 000 francs CFA (23€).
Quels souvenirs en gardez-vous ?
De très beaux souvenirs, car c'est
là que j'ai rencontré et connu Marieme
Faye, la comédienne sénégalaise. C'est
avec sa complicité que j'ai démarré les
animations dans les hôpitaux. Ensuite,
avec Márcia de Castro qui nous a enseigné
et donné l'amour du théâtre, nous avons
mis sur pied la première compagnie de
théâtre de clowns à Dakar.
JE N’AI PAS "DURÉ"
SUR LES BANCS DE L’ÉCOLE
Votre pays, le Sénégal, est pionnier dans
l’écriture féminine francophone. Vos
aînées (Aminata Sow Fall, Mariama Ba,
Ken Bugul) ont-elles compté dans votre
parcours ? Les avez-vous lues ? Plus que
d’autres ? Pas davantage ?
A votre liste, j’ajouterai Fatou Diome
que je sens plus proche de ma génération
et de mon expérience personnelle. En
particulier avec Le Ventre de l’Atlantique !
Malheureusement, ou heureusement !!!
Je n'ai pas "duré" sur les bancs de l'école,
comme on dit à Dakar... La littérature,
je l'ai donc découverte plus tard avec le
théâtre, en lisant Molière, Racine, Dario
Fo...
Quels sont vos "modèles" ? Vos "repères"
dans le domaine artistique ?
Werewere Liking, écrivaine, metteure
en scène d’origine camerounaise,
fondatrice du village Ki Yi M’Bock
à Abidjan ; la grande danseuse et
chorégraphe Germaine Acogny, grande
pédagogue et fondatrice de l’école
des Sables à Toubab Dialaw… Je suis
également très intéressée par le théâtre
jeune public belge. C’est un théâtre plein
d’inventivité et d’exigence. Je suis avec
intérêt les compagnies comme le Tof
Théâtre, le travail d’Agnès Limbos sur
le théâtre d’objets. Je regarde aussi avec
intérêt la comédienne Jeannine Gretler
d’origine suisse allemande, qui vit et
travaille en Belgique et présente un travail
fondé sur le mouvement et le clown, ce
qui lui permet de dépasser les frontières
linguistiques et culturelles.
" JE VOULAIS
RACONTER MA VIE D’ENFANT,
D’ADOLESCENTE "
Pourquoi avoir choisi cette forme de
présentation pour Moi monsieur, Moi ?
Au départ, je voulais raconter ma
vie d’enfant, d’adolescente et de jeune
fille, donnée à plusieurs reprises à des
membres de ma famille et même à des
©John Adam
connaissances, à des "amis d’amis". Je
voulais aussi aborder le difficile chemin
emprunté par les petites filles pour
devenir femmes.
Dès les premiers
échanges autour de cette histoire, Márcia
m’a proposé d’intégrer des marionnettes,
ces "êtres sans chair" qui permettent
d’aborder des sujets graves en diminuant
la charge émotionnelle. D’abord cela m’a
fait très peur, car je n’avais jamais vu de
spectacles de marionnettes et je les avais
encore moins manipulées…
Comment est venu le choix du clown ?
Depuis le début, j'ai toujours pensé
cette histoire avec mon personnage
de clown. Tout d’abord parce que ma
formation et mon parcours professionnel
m’y engagent naturellement. Ensuite, le
clown peut dire les choses, se tromper, se
contredire, se moquer. Derrière l’allusion
et le comique se retrouveront toujours
quelques vérités bonnes à méditer.
J’appartiens à une culture où l’humour
tient une grande place. C’est un temps
fort dans les conversations qui permet
de gommer les différences d’origine ou
tout au moins de les faire accepter. Les
fameuses complicités entre "cousins à
plaisanterie"…
Un mot sur le titre, comment faut-il
l’entendre ?
Le titre retenu se rapporte à un
épisode amusant de ma vie d’élève en
classe primaire surchargée où pour ne
pas être interrogée par le maître, quand
on n’avait pas appris la leçon, il fallait
lever le plus haut possible le doigt et crier
"Moi, Monsieur, Moi...". Ainsi le maître
évitait de nous interroger. Sauf qu’ici c’est
le contraire… je connais la leçon et je veux
la transmettre !
"LES JEUNES SONT
MES PREMIÈRES "CIBLES".
C’EST UN PUBLIC SINCÈRE
ET VRAI"
A quel public pensiez-vous en écrivant ce
spectacle ?
Au jeune public. Pour moi, il est
très important de m'adresser aux jeunes
et moins jeunes qui seront des grands
demain. Les jeunes sont mes premières
cibles. C’est un public sincère et vrai.
Ils ne savent pas tricher, ils aiment ou
n’aiment pas. Ils le montrent tout de
suite.
Etes-vous nombreux (nombreuses) à vous
intéresser au jeune public au Sénégal ?
Hélas, au Sénégal, les compagnies
"jeune public" sont quasi inexistantes, je
dois être l’une des rares artistes à faire du
théâtre pour le jeune public...
Comment s’est passé le travail avec
Márcia de Castro ?
Ce n'est pas facile d'évoquer ces
souvenirs, surtout des souvenirs parfois
douloureux ce qui fait qu'au début de la
création, nous avons souvent pleuré en
évoquant des scènes vécues.
Quels ont été ses principaux apports ?
Márcia a vécu dans plusieurs pays en
Afrique elle a une bonne connaissance
des conditions de vie des filles et des
femmes de ce continent. Son expérience
m'a permis d’avancer rapidement dans
la mise en forme dramaturgique de ce
projet.
Le rire est-il pour vous un exutoire ? Un
masque ? Un outil pédagogique ?
J’ai un cousin qui vient de passer
le bac philo, il aurait apprécié devoir
traiter un tel sujet, même si les 4 heures
imparties ne lui auraient sans doute pas
suffi. Moi, je suis simplement quelqu'un
qui aime rire et faire rire.
Promis, la prochaine fois, j’interrogerai
le cousin bachelier.
propos recueillis en juillet 2012
MOI MONSIEUR, MOI > ENTRETIEN AVEC
7
Márcia de castro
>"PATRICIA GOMIS… UNE LONGUE JEUNE FILLE
TRÈS SÉRIEUSE DONT LE REGARD
M’INTIMIDAIT"
Bernard MAGNIER
Pouvez-vous nous raconter votre
rencontre avec Patricia Gomis ?
Márcia de Castro
Pour des raisons familiales je me suis
retrouvée à Dakar en 1994. Dès mon
arrivée je me suis décidée à partager mon
expérience théâtrale. Cela a été possible
grâce au concours du Centre Culturel
Français qui a mis à disposition de ce
projet un lieu de travail, et des outils.
Patricia est venue se présenter à l'atelier.
Hélas le groupe étant déjà constitué, il
lui a été dit que les inscriptions étaient
terminées. Mais Patricia est revenue
à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'une
place se libère et qu'elle puisse intégrer le
groupe de travail.
Au début, je voyais cette grande et
longue jeune fille très sérieuse et dont
le regard m'intimidait ; elle a toujours
eu cette densité, cette concentration qui,
parfois peut désarçonner. Sa persévérance
et sa ténacité m'ont toujours plu, ce sont
des atouts essentiels pour réussir une
carrière professionnelle. Dès le début
de notre deuxième année de travail en
commun, Patricia m'a invitée à créer une
troupe de théâtre pour jeune public…
ainsi est né "Côté Jardin".
Comment est né le projet de travailler
ensemble sur Moi Monsieur, moi ?
En 2007, je suis rentrée définitivement
en France après un long périple
africain et dès 2008 Patricia avait l'idée
de cette création. Je ne pouvais la suivre
car je traversais une période compliquée,
des problèmes de santé. Toujours aussi
tenace et confiante, elle a attendu deux
ans avant que je puisse partager cette
belle aventure avec elle. En septembre
2010, j'étais à Paris et par chance j'avais
un beau lieu de travail, Patricia est venue
et en une semaine nous avons pu faire
une maquette de cinq minutes. Ensuite,
tout est allé très vite, elle a répondu à
l'appel à projet de Cultures France et elle
a obtenu la bourse pour un séjour de
création à Paris...
Le choix du clown comme narrateur du
spectacle s’est-il imposé tout de suite ?
Oui, car avec "Côté Jardin" nous
montions des spectacles de clown,
Marième Faye, Moctar Dada, Cheikh
Tidiane Kassé et Patricia Gomis ont été
parmi les premiers clowns africains. Cette
compagnie a fait le tour de l'Afrique et de
la France avec le spectacle Les aventures de
Dada 1er.
UN CLOWN NAÏF, GAI, DIRECT,
ESPIÈGLE ET POIGNANT
Quelles différences établissez-vous entre
le clown du cirque et celui " de Patricia " ?
Le clown de cirque est souvent
caricatural et simplet, il "fait des bêtises"
et se fait maltraiter alors que le clown de
Patricia est naïf, gai et direct. Il se raconte
avec la spontanéité de l'enfant qui ne sait
pas ce qu'il raconte. Il est poignant, parce
qu'il vit son histoire, il ne commente
pas sa souffrance, il nous la livre avec
espièglerie et confiance.
Qu’en est-il de l’utilisation des marionnettes
?
Dès que Patricia m'a invitée à me
joindre à ce projet - raconter sa vie - je lui ai
proposé de le faire avec des marionnettes.
Il me semble que ce moyen d'expression
permet une plus grande liberté. Nous
pouvons, en tant que spectateur, entendre
une "poupée" raconter une maltraitance
sans que cela nous invite à entrer en
empathie. Nous "souffrons" moins en
l'entendant qu'en entendant un être de
chair. Cette distance permet de recevoir
avec plus d'acuité une parole douloureuse.
Quel type de marionnettes allez-vous
utiliser ?
Des poupées de chiffons, marionnettes
à gaine, des tissus, des habits...
Est-ce plus difficile de "mettre en scène"
des marionnettes ?
Pour moi oui ! Beaucoup plus
difficile, je n'ai pas une formation de
marionnettiste et je ne peux que me
fier à mon intuition. Heureusement,
nous avons été conseillées par des
marionnettistes non seulement de
renom mais aussi d'une grande qualité
humaine : Jean-Louis Heckel qui a cru
à ce projet dès le départ et qui nous a
offert tout son savoir-faire, François
Lazaro a été le premier programmateur
de ce spectacle et nous a fait des critiques
très constructives, Pascale Goubert et la
subtilité des regards, Nicolas Goussef et
le corps castelet.
Vous êtes née au Brésil, Patricia est
sénégalaise, avez-vous souhaité donner
une plus grande universalité aux propos
de la pièce ?
Souhaité ? Je suis née au Brésil, j'y ai
vécu les vingt premières années de ma
vie... Peut-être Patricia en me proposant
ce projet y a-t-elle pensé ?
Quelle place attribuez-vous à la musique
dans le spectacle ?
Les sons harmonieux, mélodieux, que
ce soit le chant a capella de la maman de
Patricia ou les musiques composées par
Malick pour ce spectacle, se sont imposés
d'eux-mêmes.
propos recueillis en août 2012
à partir de 9 ans
Enfant Mouche
de Jean Lambert
& Dominique Renard
Les Ateliers de la Colline
du 19 au 30 mars 2013
Un enfant Mouche
nous mène… en avion.
Léon n’est pas tout à fait comme
les autres. Il est de ceux qui ne sont pas
dans la norme, dans le moule, dans les
clous de la vie. Il a "enfermé sa voix à
l’intérieur". Il se tait. Il a son monde.
C’est un enfant moqué, rejeté,
exclu, avec un bonnet d’âne et des tas de
retards à ranger. Un enfant fragile, blessé,
avec, au bout du bout du souvenir, un
"accident de vie".
Son histoire est là, mise à nu, sous nos
yeux, par six comédiens et bien plus
de personnages et de poupées qui s’en
viennent conter sa destinée. Sébastien son
ami d’enfance, Rémy le percussionniste,
Zoé Zampano la voltigeuse, et puis les
frères Vinesse, Véronique la fée qui devrait
faire un régime, et tant d’autres, aimants
mais maladroits, qui lui ressemblent un
peu.
On est au cirque, côté piste, côté burlesque,
côté clown, côté nez rouge et équilibriste
sur le fil de la vie.
On est dans la vie, côté fragile, côté boîte à
secrets, merveilles et féérie.
C’est magique, c’est poétique, c’est grave et
troublant. Et puis ce n’est pas tous les jours
que l’on voit un enfant s’envoler sur le dos
d’une mouche…
Et qu’un Enfant-Mouche nous mène… en
avion.
B.M.
Hé Léon ! Léon ! Léé Hoon !
© Ateliers de la Colline
Liè Hoon !
Hie Hoon !Hi han ! Hi han !
Le mot d’Émile Lansman................................
Ce spectacle parle lui aussi d'enfance, mais d'une enfance
aux facettes multiples qui ne se laisse pas enfermer dans un
moule. Là où la famille et la société voudraient lui imposer
une voie toute tracée, Léon suit ses chemins de traverse
et assume sa différence malgré les railleries et les coups
tordus. Une grande force évocatrice, un rythme à couper le
souffle, et un propos que chacun appréhendera à son niveau.
ENFANT MOUCHE > ENTRETIEN AVEC
Jean LAMBERT
& Dominique RENARD
> "JOUER C’EST FAIRE COMME SI…
ET FAIRE COMME SI PERMET DE RACONTER
'SA' VÉRITÉ"
Jean Lambert et Dominique Renard reviennent au TARMAC en
compagnie d’un petit cousin, frère de détresse, de Stef et Mika,
les deux petits héros, boucs émissaires de leur précédent spectacle,
Tête à claques, présenté la saison dernière sur cette même scène.
Avec Enfant Mouche, ils nous entraînent dans un étrange cabinet de
curiosités au sein duquel sera contée l’histoire d’un petit gamin,
devenu adulte, qui se heurte aux exclusions, au système, aux autres…
9
Bernard MAGNIER
Pouvez-vous nous raconter la genèse de
ce texte, depuis sa version première sous
forme de nouvelle jusqu’à sa version
scénique ?
Jean LAMBERT
Comme souvent avec Dominique,
nous échangeons énormément d'histoires,
d'observations, de sujets de révolte
et de colère. Nous analysons aussi ce qui
se passe dans nos séances d'atelier –
nous sommes toujours friands de cette
part de création que nous partageons avec
notre public, avec la population de nos
quartiers, de nos lieux de vie – et de cette
analyse sortent de nouvelles histoires. Au
départ de ces histoires, nous en inventons
une autre.
Dominique RENARD
Ici, c'est l'histoire de Léon Mouche
que nous avons choisi de raconter
depuis sa naissance jusqu'à ses 16 ans.
(ses trente ans ?). C’est aussi l’histoire
d'une grande colère : Comment un droit
aussi fondamental que l'instruction
obligatoire des enfants, quelque soit son
origine culturelle ou sociale, peut-il se
transformer pour certains, en une sorte
de torture permanente ? Un droit qui
devient un supplice ! Quel malentendu !
J.L. / Cette histoire, nous l'avons écrite
sous forme de nouvelle, à usage interne.
Elle sert de cadre, de balise à l'équipe de
création. Elle donne des indications quant
aux enjeux dramaturgiques, au point de
vue politique de la création.
UN SPECTACLE
INSCRIT DANS UN CABINET
DE CURIOSITÉS
Comment s’est opéré le processus
de transformation, de la nouvelle au
spectacle ?
D.R. / Dans la Compagnie, nous
sommes auteurs, metteurs en scène,
comédiens, plasticiens… et le processus
de création implique d'aborder
constamment autant le sens que le fond,
le propos que la forme. L’équipe de
jeunes créateurs que nous constituons
autour de nous est plongée dans l’univers
graphique dès le début du travail. Tout
en respectant le manteau de colère des
anciens ! Nous avons organisé un casting
sous forme d' invitation à nous montrer
une performance en plus de sa capacité
de comédien. C'est comme cela que dans
notre drôle de baraque se trouvent une
ballerine, un contorsionniste, un batteur,
un Monsieur Loyal, et deux hommes de
piste. C’est un beau début pour raconter
la vie de Léon Mouche comme un grand
numéro…
J.L. / L'idée que l'histoire se
raconterait lors d'un spectacle inscrit dans
un cabinet de curiosités était à l'origine
dans la nouvelle. On y trouve aussi une
multitude de situations et de personnages
qui se croisent, tissent tant bien que mal
un tissu social. La nouvelle démonte le
principe de confiance et de trahison. Elle
raconte des égarements et des écarts qui
existent entre un père et son fils, entre
deux amoureux devenus parents, entre un
enseignant et ses élèves mais aussi entre
l'idéal qu'il avait en entamant son projet
d'enseignement et la situation matérielle
dans laquelle il est plongé. Ecarts entre
le rêve et la réalité, la générosité d'un
projet politique et la rigidité cynique
d'une logique économique… C'est ainsi
qu'à la lecture, on découvre un enfant, un
père, une mère, des grands parents, des
familles, des enseignants, des immigrés,
des primo-arrivants, des agents de
sécurité, une Fée et des artistes de cirque
se sentant égarés, mais certains de leur
bon droit. Ils peuplent un quartier où ils
doivent vivre ensemble, construire leur
bonheur, où les enfants doivent pouvoir
apprendre à bâtir leur avenir plutôt que
de servir de main d'œuvre à bon marché…
Comment, dans ce contexte, la confiance
peut-elle s'installer entre eux ?
Quels aménagements avez-vous apportés
pour le passage à la scène ? Des personnages
sont-ils apparus ? Si oui lesquels
et pourquoi ?
D.R. / Ayant donné toute cette matière
à l'équipe de création, nous avons
produit ensemble plus de trois heures de
spectacle, d'images, de moments, repris
tels quels de la nouvelle ou réinventés…
Puis, nous avons dû choisir pour entrer
dans un gabarit qui nous est donné par le
contexte du théâtre jeune public – et plus
encore par le contexte des représentations
en temps scolaire – pour arriver à une
version de 80 minutes maximum.
J.L. / Donc, des séquences entières
ont disparu ainsi que les personnages
qui les habitaient. Peut-être dorment-ils
en attendant une nouvelle opportunité !
Mais la réalisation concrète de l'Ici
et Maintenant de la représentation,
c'est-à-dire le spectacle que Léon et ses
complices ont imaginé pour aborder
les spectateurs, a impliqué que certains
personnages, cités dans la nouvelle,
prennent une importance capitale :
Zoé, Séba, G4S et la Fée… mais
surtout Rémy – qui n'existe pas dans
la nouvelle – et qui est maintenant le
jeune percussionniste muet capable
de donner corps à Léon adolescent.
Puis, sont nés les Vinesse, hommes à
tout faire, garçons de piste, ouvriers
communaux… que le mécanisme du
spectacle et la scénographie ont rendus
indispensables.
Qui est Léon Mouche ?
D.R. / C'est le fils de Monsieur et
Madame Mouche. Un enfant adorable
qui va prendre à la lettre les indications
qu'on lui donne tout en s'inscrivant dans
un temps qui lui est propre. C'est un
enfant unique par son être et multiple par
son comportement.
Est-ce un petit frère / petit cousin / copain
de détresse de Stef et Mika, les deux
"héros" de Tête à claques, le spectacle
que vous avez présenté l’an dernier au
TARMAC ?
J.L. / Au sens dramaturgique, oui !
Il fait partie de ceux qui pensent être
adéquats en allant au bout de leur projet ;
ils sont vivants, curieux, et cherchent
à comprendre… mais on leur reproche
d'être comme ils sont. Parce qu'ils
répandent des grains de sable dans les
machines huilées. Parce qu'ils mettent
en évidence un problème jugé insoluble.
Alors, ils sont considérés comme la
source du problème et non les révélateurs
de celui-ci…
"DES GRAINS DE SABLE DANS
DES MACHINES HUILÉES"
Que manque t-il à Léon pour être "comme
les autres" ?
J.L. / Le paradoxe, c'est qu'il a trop de
choses. Plus que d'autres. Ou plutôt, qu'il
a décidé de se servir de tout, de ne pas
faire le tri tout de suite, d'expérimenter
avant de choisir. Et pour cela, il lui faut
du temps. Et du temps, on ne lui en
donne pas. On lui demande au contraire
de rationaliser son temps, de devenir
efficace, de s'inscrire, très tôt dans sa
vie, dans un rythme qui n'est pas le sien.
Alors, il ne comprend plus, il se sent
maltraité. Menacé, aussi ! Car on lui fait
comprendre que n'être pas dans le même
rythme que les autres, c'est signer son
arrêt de mort.
D.R. / Alors, on va au clash ! Le choc
c’est le drame, mais donner du temps au
temps est une force. Ainsi nous donnons
toutes ses chances à notre Enfant Mouche.
L’utopie, pas la mort.
L’école exclut-elle davantage aujourd’hui
qu’hier ? L’exclusion est-elle différente ?
De même nature ?
J.L. / Pas plus, je ne pense pas.
Ne pensez-vous pas que l'exclusion
aujourd'hui se fait autour du projet
économique actuel qui exige de la
malléabilité, de l'efficacité, donc peu
de mise en abîme ou de mise en
perspective ? Le problème de l'école –
pour faire court ! – est toujours le même :
former des gens à s'intégrer dans la
société telle que l'idéologie dominante
la définit ou permettre à chaque enfant
de construire un projet de vie qui lui
convient en l'éveillant aux curiosités
du monde et en lui permettant de se
fabriquer les outils adéquats ? Il me
semble que tout le débat est là depuis
l'Emile de Jean-Jacques Rousseau. Et le
projet de démocratisation de l'instruction
n'a pas changé la donne. L'éducation
est–elle instrument d'intégration et de
normalisation ou bien outil de recherche
et de transformation sociale ?
Comment les différents personnages
vont-ils exister sur scène ? Quels sont
ceux qui vont être interprétés par des
comédiens ? Comment se sont faits les
choix ?
D.R. / Comme nous avons choisi de
raconter la vie de Léon Mouche depuis
sa naissance, j'ai réalisé des poupées,
des mannequins, des Léon de 0 à 16 ans.
Ce qui permet de mettre de la distance
dans la vie pas commode de Léon tout
en créant des tableaux dans l’espace
scénique, en bousculant les éléments
réels et amenant des personnages à
créer. Cela commence par un cabinet
de curiosités miniature inscrit dans une
armoire à pharmacie bien réelle, dans
laquelle se trouvent photos, dents d’âne,
plastic, tête de Séba… Un résumé de la
vie de Léon Mouche. Une invite pour le
spectateur à être curieux dès le début du
spectacle…
J.L. / À l'instar des artistes peintres
qui durant des périodes de leur vie, vont
décliner un projet – une étude – sous de
multiples formes, nous avons décidé avec
Dominique, de reprendre la structure
dramatique de Tête à claques et de voir
jusqu'où nous pouvions la pousser.
Alors qu'il a commis un acte grave, Léon
apparaîtra donc devant les spectateurs
à qui il tentera de raconter son histoire
sous forme de spectacle, avec l'aide de
quelques complices. Il fallait encore
trouver sous quelle forme. Rapidement,
le cabinet de curiosités, s'est imposé à
nous…
C’est dans ce cadre que vont évoluer les
personnages...
J.L. / Oui, ils seront eux-mêmes dans
un cabinet de curiosités, une baraque
de foire, entre cirque et cabaret. Ils se
serviront de tout cela pour arriver à
aconter cette histoire invraisemblable, ce
réel déformé, ces anomalies…
D.R. / La création est mouvement,
la ronde éternelle des choses crée un
tourbillon de forces. Dans le cercle, ils
tournent sur eux-mêmes ou autour des
autres. C’est aussi prendre de la hauteur,
créer ce mouvement, permettre de voir
les images en profondeur. Dans le cirque,
les musiciens sont en direct ; le son, la
musique sont très présents et agissent ;
des hommes de piste amènent les
accessoires ; les artistes de cirque forment
souvent des familles qui créent de curieux
numéros, qui ont installé des rituels dans
un contraste d’ombres et de lumières.
Les poupées, les mannequins, les
costumes racontent un corps ou une
partie du corps blessé, révèlent l’agression
subie. Ni neutres, ni caricatures. Ce sont
des corps dans des postures. Un corps
de prof emprisonné dans son pupitre,
ses élèves à ses pieds. Sur les visages
griffonnés, peints, on perçoit le trait, la
matière. Par la couleur marron rougeâtre
de la tête, on sent la transpiration de
l’humain. Avec Madame Thérèse, j’ai
travaillé les blancs-ocres-bruns et un
regard fuyant. Ce double regard dit : "Je
dois avoir les yeux partout " mais aussi :
"Je vois mais je ne veux pas avoir vu". Elle
est à la fois très présente et légère comme
une plume. Le corps-fauteuil de M. Tom
est une proposition faite aux autres
personnages de se reposer sur lui, la Fée
Bleue est un sucre d'orge mais aussi un
artifice, un étalage. Certains accessoires
sont des objets simplement tirés de la
réalité, sans transgression. Leur puissance
d’évocation provient du choc entre réalité
et souvenirs. Quant aux costumes, je les ai
inscrits, pensés, ressentis dans ce même
rapport à l’espace. Le rouge lie-de-vin des
amis, les quadrillages noirs et blancs de
la famille Mouche sont des éléments de
distance, spectaculaires qui se projettent
sur les écrans de la scéno. Car, il faut non
seulement raconter, mais il faut aussi
montrer, donner à voir.
Quel rôle joue le "cabinet de curiosités" ?
Un ouvroir de possible ? Une armoire aux
merveilles ? Une armoire aux enfers ?
J.L. / Tout cela à la fois ! Ce qui nous a
amusé, c'est de découvrir que les cabinets
de curiosités du 18 ème siècle étaient
d'abord des moyens de communication
scientifique. Une manière pour les
universitaires, les chercheurs, de
s'échanger leurs états de recherches,
leurs observations. Une sorte d'état de
la connaissance universelle. Ensuite,
les parties devenues obsolètes ont été
récupérées par les diocèses, les évêchés
qui les ont diffusées dans les paroisses
à des fins morales. Un foie malade dans
un bocal ou représenté sur une toile
didactique, devenait : voilà comment
l'alcool vous rend mauvais.
Et, de nouvelles images y étaient
ajoutées, telles un mari alcoolique
battant sa femme et ses enfants tout en
les réduisant à la misère. Ce sont ensuite
les forains qui ont repris le concept et les
matériaux pour créer des attractions de
foire : les siamois dans le formol, le lieu de
vie des Lilliputiens, la Femme à Barbe…
Voilà, le lien nous paraissait évident :
un matériel pédagogique devenu objet
de spectacle, un auditoire d'université
devenu baraque de foire !
Cabinet de curiosités, cirque, marionnettes…
Pourquoi ce choix de la métaphore
? Ce passage par l’intermédiaire ?
J.L. / Les personnages vivants sont
devant le public. Ils sont dans le présent.
L'Ici et Maintenant de la représentation.
Tout ce qu'ils vont raconter est dans le
passé. Dans la mémoire. Et la mémoire
déforme les faits, les réorganise. Le point
de vue et la subjectivité s'imposent. C'est
comme cela que le réel peut être raconté
sous forme de spectacle. On va supposer
que Léon – qui a l'âge du comédien qui
le joue, le jour où il le joue – a pu faire
un bilan sur ce drame qu'il a vécu.
Après l'acte très grave qu'il a commis, il
s'est sans doute senti coupable et a dû
s'arranger avec cela. Et aussi, il s'est senti
trompé et doit rétablir de la confiance.
Confiance en lui. Confiance dans la
capacité de vivre avec les autres… OK !
Cela, c'est ce que j'appelle "sa popote
intérieure" et elle n'intéresse que lui !
Mais ce que nous lui donnons en tant
qu'artistes, c'est la possibilité de "dire
cette histoire". De son point de vue. De la
communiquer à d'autres pour provoquer
un choc en eux. Un choc salutaire,
11
bouleversant. Alors pour cela, il faut qu'il
prenne de la distance par rapport aux faits
et aux émotions ressenties. Qu'il passe
de son cas singulier à des concepts plus
universaux. La création du personnage,
les poupées, la mise en forme ludique
servent à cela. Jouer c'est faire comme si…
et faire comme si, permet de "raconter sa
vérité".
D.R. / C'est pour ça que dans l'histoire,
la rencontre avec Zoé a été un élément
déterminant pour notre Léon. Mais aussi
pour le choix du lieu de la représentation.
Et puis, comme dit Jean : " Faut une porte
de sortie à ce gamin " …
propos recueillis à Liège
le 10 août 2012
à partir de 10 ans
Histoire
de l'oie
de Michel-Marc Bouchard
mise en scène Marc Toupence
du 14 au 25 mai 2013
UN TENDRE
ET CRUEL JEU DE L’OIE
"Bulamutumumo" c’est le cri lancé par
Mathilde pour en appeler au tonnerre,
à la foudre, et, dès lors, s’inventer un
monde…
Elle est seule, très seule cette petite
fille dans sa ferme, mais elle est l’amie
de Tarzan, les lianes la protègent, les
arbres sont dans des pots de fleurs, la
jungle a des portes, la baignoire est sa
mer. Elle fréquente les dieux, tutoie
les animaux, et singulièrement Teeka,
l’oie, sa toute proche, son amie, sa…
sœur l’oie. Sa confidente qui lui prête
ses plumes pour écrire ses maux.
Mathilde explore son passé.
Obstinantes, lancinantes, déchirantes,
les bribes de souvenirs s’en viennent et
nous emportent dans un conte cruel.
Mathilde et Teeka jouent, parlent,
se confient, se chamaillent, s’évadent,
mais la violence est là, vive et forte,
brutale. Elle va rattraper les deux
complices et les conduire dans
un tourbillon de plumes, dans le
tourbillon du souvenir d’une enfance
blessée.
B.M.
CONTE POUR ENFANTS HUMILIÉS
1955. Un Québec rural, piégé entre la pauvreté et l’obscurantisme religieux.
Comment y élève-t-on les enfants ? Au doigt et à l’œil, à la cuillère de bois et
à la strappe ! Histoire de l’oie c’est une histoire de lois.
Une histoire de violence héréditaire qui, comme la misère, se transmet
de génération en génération.
Tout mon travail a été de chercher une issue pour Maurice. Celles que j’ai
trouvées sont dans l’univers de la névrose. Il prie Bulamutumumo comme
ses parents prient Dieu. Il souhaite devenir Tarzan comme Teeka, l’oie
blanche, rêve de voler un jour. Il trouve en partie une solution réelle en
se soumettant aux coups, en investissant dans le vil troc que ces coups
lui procurent. Voilà ses issues. Il n’interroge pas l’essence de cette
violence, elle fait partie des lois. De nos jours, des Maurice, il en existe
encore beaucoup plus qu’on pense. Ils et elles sont de tous âges et encore
silencieux et silencieuses.
J’espère que ces enfants humiliés verront ce spectacle ou en liront le texte.
J’espère qu’ils parleront de leur misère à quelqu’un. En parler… ou l’écrire,
voilà les premières issues… ça n’éclipse pas l’orage, ça calme la foudre.
Michel-Marc Bouchard
Histoire de l'oie, Editions Théâtrales
" un cauchemarD
c’est quand on éteint
toutes les lumières,
&
un rêve,
c’est quand on en laisse une."
Le mot d’Émile Lansman................................................
Un classique du théâtre québécois. Sa création en 1991 a constitué un véritable
événement. Il a ensuite beaucoup tourné de par le monde puis connu de
nombreuses recréations, en français et dans d'autres langues. Sans doute à cause
du sujet qu'il évoque de manière fragmentée, intelligente, diffuse et sensible.
J'ai hâte de découvrir cette nouvelle version en compagnie des spectateurs du
TARMAC.
HISTOIRE DE L'OIE > ENTRETIEN AVEC
Marc
TOUPENCE
>" IL NE S’AGIT PAS DE DIVERTIR
LES ENFANTS MAIS D’ABORDER AVEC EUX
UNE QUESTION QUI LES CONCERNE "
13
Depuis sa création en juin 1991 par le Théâtre de la Marmaille,
devenu Théâtre des Deux Mondes, Histoire de l’oie a fait le tour
du monde. La pièce de Michel-Marc Bouchard a été traduite dans
de nombreuses langues, reçu de nombreux prix, fait l’objet de
multiples mises en scène et adaptations internationales. Avec
cette version, Marc Toupence a choisi de féminiser le personnage
principal de la pièce et de débaptiser Maurice en Mathilde…
Une lecture, une relecture de l’œuvre québécoise quelque vingt ans
après sa première représentation publique que le metteur en scène
explique et justifie dans cet entretien.
© DR
Bernard MAGNIER
Pouvez-vous nous raconter votre "rencontre"
avec la pièce de Michel-Marc
Bouchard, Histoire de l’oie ?
Marc TOUPENCE
Cette pièce m’a été offerte il y a
quelques années par une amie. J’ai
d’abord été dérouté à la première lecture,
je me suis donc renseigné sur la façon
dont elle avait été écrite et sur l’histoire
de sa création. Le fait que le texte publié
soit le produit du travail de toute une
équipe sur plusieurs années (auteur,
compositeur, scénographe et metteur en
scène) m’a plu, je me suis dit qu’il y avait
derrière ce texte une histoire de "plateau"
autant qu’une histoire à transmettre.
J’ai eu envie de reprendre ce travail avec
ma propre équipe et, modestement,
prolonger cette recherche en apportant
une notion supplémentaire à cet édifice :
la résilience. Comme des archéologues je
savais qu’il nous faudrait résoudre ce qui
devait être évident à l’équipe de création,
en inventant nos propres interprétations
du texte.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a
touché dans cette pièce ?
C’est la force du narrateur. Un adulte qui
retrace son histoire d’enfant pour s’en
affranchir. Cette quête, il l’a faite pour
lui-même d’abord et aussi pour aider les
enfants humiliés à trouver un chemin
pour grandir malgré la violence.
ET MAURICE EST DEVENUE…
MATHILDE
Dans la version que vous proposez de
cette pièce, le petit garçon, Maurice,
est devenu une petite fille, Mathilde.
Pourquoi ce changement ?
J’aime penser que les projets sont liés
aux interprètes, au sens large (acteurs,
musiciens, scénographes, créateurs
lumière et son, costumiers...). Le désir
d’un texte se concrétise lorsque les
bonnes personnes sont rassemblées. J’ai
rencontré Sophie Matel et Philippe Leroy,
elle, marionnettiste et lui, musicien, alors
même que je cherchais un couple pour
prendre en charge ce récit. Et puis Marie
Bouvier, que je connais depuis longtemps,
nous a rejoints très vite pour le rôle de
l’enfant lorsqu’il m’est apparu évident
qu’il fallait féminiser les personnages.
Je voulais également éloigner le plus
possible l’enfant de son rêve de devenir
Tarzan. D’habitude, on considère que
c’est plutôt un jeu de petit garçon et je
trouvais que ce renversement racontait
mieux l’urgence de la situation de l’enfant.
Et puis, la vitalité et la vivacité du jeu de
Marie pouvaient évoquer l’enfance sans
caricaturer un enfant, ce qui n’est pas si
simple à réaliser. L’affection entre Teeka
et l’enfant devenait alors celle de deux
sœurs, ou deux amies, je crois que leur
relation devient très forte avec ce choix.
Ce changement a t-il nécessité d’autres
modifications ? Lesquelles ?
Nous avons adapté le texte, avec
l’accord de l’éditeur et représentant de
Michel-Marc Bouchard en France, et nous
avons rebaptisé le rôle Mathilde à la place
de Maurice, mais surtout nous avons dû
repenser les scènes dans lesquelles le
corps de l’enfant est exposé. La séquence
de la baignoire notamment, dans laquelle
Mathilde se lave avec Teeka était délicate
à montrer, mais elle nous a permis
d’évoquer avec, je crois, la délicatesse
nécessaire, la dimension intime suggérée
par l’auteur.
Une oie, compagne d’un enfant. Estce
plus facile (plus difficile) qu’un autre
animal plus… familier ?
A la première lecture de la pièce, je ne
connaissais pas la dimension symbolique
attachée à cet animal. L’oie me semblait
un choix étrange et qui me ramenait à
un imaginaire unique de paysannerie,
mais dès que je me suis plongé dans
sa symbolique, le sens de ce choix
m’est apparu plus clair. Dans certaines
traditions, l’oie est le symbole domestique
de l’attachement, du soin et de l’âme.
Dans d’autres, elle représente la sécurité,
l’intelligence et la stratégie. Enfin elle
est souvent associée aux enfants, à
l’imaginaire, au jeu. Pour la représenter,
il nous a fallu commencer par le plus
simple : un oreiller (objet évoqué dans
le texte). A partir de cette première
animation, nous avons découvert un
grand nombre de contraintes qui l’ont fait
"grandir", évoluer jusqu’à la marionnette
définitive. Il aura fallu quatre étapes et
près d’un an et demi pour qu’elle arrive
à maturité dans sa version définitive. Et
il n’est pas impossible qu’elle soit encore
modifiée par la suite.
À CHAQUE SPECTATEUR
" SA " MAISON D’ENFANCE
"Fin de l’été 1955. Une maison de campagne
avec ses dépendances, l’ensemble
est entouré d’une clôture ; le tout est austère.
Au loin un orage se prépare". Telles
sont les indications données initialement
dans la description du dispositif scénique.
Vous êtes vous conformé à cette précision
dans la date et à cette plus grande imprécision
quant au lieu ?
Non. Je souhaitais m’éloigner du récit
strict du drame de Mathilde pour raconter
l’adulte qu’elle était devenue, malgré tout.
Toute l’histoire est donc un souvenir
évoqué sur le plateau par Mathilde
adulte soutenue dans son projet par son
compagnon musicien. Elle retourne au
temps de son enfance et nous raconte
cette histoire pour la première fois.
Donc pas de réalisme dans la "maison"
mais des bribes de souvenirs assemblés
et incomplets : le dessin de son enfance
qui représente la maison est comme le
déclencheur des autres souvenirs. Quant
à la date, nous ne voulions pas la définir
trop clairement, car nous voulions nous
adresser aux enfants d’aujourd’hui et
aussi à leurs parents. Nous ne voulions
pas faire une reconstitution d’une ferme
canadienne des années 50, mais évoquer
pour tous les spectateurs (grands et petits)
les souvenirs de leur maison d’enfance
avec les distorsions de perceptions liées à
la mémoire.
La pièce (tout particulièrement la fin)
est "ouverte". Vers quelle interprétation
avez-vous l’intention de nous diriger ?
J’avais du mal à accepter que la
situation de violence se répète à la fin
de la pièce. Au contraire, tout le sens de
notre travail a été de raconter aux enfants
qu’il existe des possibilités de s’affranchir
de la violence puisque Mathilde a réussi :
elle est devenue adulte, elle a un métier
(marionnettiste) et elle n’est pas seule
pour venir raconter cette histoire. Il ne
s’agissait pas de minimiser la difficulté,
ni de nier la souffrance, mais d’ouvrir un
"espoir raisonnable" de réussite. C’est
cette perspective d’en sortir qui permet
à ces enfants de traverser parfois des
années de terreur et malgré tout, peutêtre
avec de l’aide, de trouver une issue.
C’est ce que Boris Cyrulnik et d’autres
chercheurs ont appelé la résilience.
Spectacles "jeune public", spectacles pour
adultes… selon vous, un même univers ?
Un même propos ? Deux mondes
différents ?
Le texte de Michel-Marc Bouchard
avait déjà ouvert une brèche pour nous
dans cette question. Dans Histoire de l’oie,
il ne s’agit pas de divertir les enfants, mais
d’aborder avec eux une question qui les
concerne. Pour cela, l’auteur utilise ce que
l’enfant connaît : le jeu, la connivence avec
une amie, l’imaginaire, les super héros…
tous ces moyens créent des liens entre le
spectacle et les enfants. Je crois que si ces
éléments existent sur le plateau et que le
thème abordé par le spectacle n’est pas
étranger aux enfants, on n’a pas besoin
d’une forme particulièrement "enfantine",
il ne faut pas sous-estimer leur capacité à
décrypter ce qui leur est proposé.
Mais en revanche il faut prendre soin
de renouveler le lien très régulièrement
par l’action, la musique, l’image ou le jeu.
Nous sommes tous habitués à des films
qui vont à 100 à l’heure, on ne peut pas
leur demander de découvrir tout, d’un
coup, il nous faut tenir compte de ce qu’ils
connaissent, eux.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du
théâtre destiné aux jeunes spectateurs ?
J’ai la chance depuis quelques
années de programmer des spectacles
et j’en vois donc beaucoup et pas mal
de "jeune public". Je trouve que c’est un
domaine très dynamique, dans lequel
toutes les disciplines sont représentées
(marionnette, cirque, musique, danse, jeu
théâtral...) et souvent associées les unes
aux autres. Je crois que c’est un espace de
créativité et qu’il est bon que des artistes
non spécialisés s’y intéressent.
Pensez-vous que l’on soit aujourd’hui
plus ou moins libres dans les propositions
faites ? Dans les thèmes abordés ? A t-on
plus ou moins de liberté aujourd’hui ?
Je ne sais pas, c’est mon premier
spectacle "jeune public", et pour cette
première expérience, j’ai choisi un texte
souvent considéré comme audacieux
quant au thème qu’il traite avec les
enfants. Mais, vous voyez, nous avons
trouvé les ressources pour le créer et
nous le jouons au TARMAC, c’est plutôt
encourageant, non ?
propos recueillis fin août 2012
à partir de 7 ans
15
Théodore
le passager
du rêve
de Joëlle écormier
& Aurélia Moynot
Théâtre des Alberts
mise en scène Eric Domenicone
du 25 au 29 juin 2013
Un voyage en haute
merveille
Chacun sait que sur le Quai 19 de la gare ouest
des Rêves, le chef de gare est une vieille chouette
hulotte qui se nomme Aristophane… Dès lors, il
n’est pas étonnant que Théodore l’interroge afin
de guider son rêve, sa quête amoureuse… Et les
voilà tous deux partis dans le wagon magique
pour une fabuleuse équipée.
Ils vont rencontrer un papillon gardien de phare
en pleine ville, un collectionneur de boutons
qui traîne son trésor dans une malle, une
machine à coudre qui ravaude et parle avec ses
clients, un guichet tenu par une machine à écrire,
un grand porte-manteau jovial et plein de
gouaille, amateur de jeux de mots et tenancier de
l’enseigne du… "Boute-en-train", une danseuse de
corde tentatrice.
Un inventaire prodigieux, une machinerie
féérique, des marionnettes et quelques drôles
de… "bêtes humaines". Aristophane est un drôle
d’oiseau et Théodore ne manque pas d’entrain,
il ne déraille pas mais s’égare et nous emporte
lorsque la folie l’étreint… Ils nous conduisent
dans leur wagon plein de rêves et de folies
raisonnables pour un voyage en haute merveille.
B.M.
Aurélia Moynot / plasticienne-scénographe
Bien emmitouflée, assise en bout de quai 4, je dessine
les trains et les rails, les feux et la brume au soleil
couchant. Demain, je ferai une gare en papier et carton
pour le sujet d’illustration. J’y mettrai la hauteur des
voûtes, les lignes des cables, les couleurs, les machines
rouillées, les odeurs et le bruit infernal des trains qui
passent. J’y mettrai aussi l’émotion des voyageurs, ceux
qui arrivent, ceux qui partent, ceux qui attendent et
ceux qui se quittent, là à l’autre bout du quai. Mais ça ne
tiendra pas dans un rendu d’illustration… il faudrait le
faire en spectacle. Un petit spectacle universel, concentré
de voyage, de couleurs, d’ailleurs.
Le mot d’Émile Lansman......................................
Associer la marionnette à l'enfance est un réflexe qui ne résiste
pas à l'analyse. Un peu partout dans le monde, des spectateurs
de tout âges se réunissent devant des castelets aux formes
multiples et succombent en choeur à la magie des figurines de
tissu, de bois ou de papier. Au TARMAC aussi, nous vous convions
à partager en famille cette grande fête du rêve et de la bonne
humeur.
© Aurélia Moynot
Théodore le passager du rêve > ENTRETIEN AVEC
Le Théâtre
DES ALBERTS
>" AU THÉÂTRE DES ALBERTS,
TOUT EST UNE QUESTION D’IMAGINAIRE,
DE JEU ET DE TRAVAIL EN ÉQUIPE
Après Accidents en 2008, Sakura en 2010, Tigouya en 2011,
le Théâtre des Alberts revient au TARMAC pour la quatrième
fois afin de présenter son nouveau spectacle, imaginé par
Joëlle Ecormier pour le texte et Aurélie Moynot pour
le dessin. Autour de Vincent Legrand, directeur artistique
de la compagnie, Sylvie Espérance, comédienne et
Eric Domenicone, metteur en scène ont bien voulu évoquer
la création de Théodore, le passager du rêve.
Bernard Magnier
Pouvez-vous nous raconter votre
rencontre avec Joëlle Ecormier ? avec
Aurélia Moynot ?
Vincent legrand
Joëlle et Aurélia ont poussé
timidement la porte ouverte du Théâtre
des Alberts au début de l’année 2010.
Elles avaient des cadeaux dans les bras,
un manuscrit, des objets mystérieux
et, dans les yeux, des envies de rêves et
d’aventures. Elles parlaient d’une gare,
d’un phare au milieu d’une ville, d’un
fil tendu au dessus du vide. Elles m’ont
présenté Théodore, le passager du rêve,
chaussé de bottines aux boutons brillants
et son compagnon d’aventure ailé,
Aristophane. Elles amenaient sur un
plateau un univers onirique, fantasque,
surréaliste. Je me suis dit : "C’est la
prochaine création du Théâtre des
Alberts".
Recevez-vous beaucoup de sollicitations
de cet ordre ?
Vincent legrand
C’est la première fois que le Théâtre
des Alberts est sollicité par des porteurs
de projet. D’habitude, je choisis la
thématique de nos spectacles. Les
propositions de cette qualité sont rares
et j’ai été immédiatement conquis par
l’univers de Joëlle et d’Aurélia.
UN TRAVAIL
EN MOUVEMENT JUSQU’À
LA SORTIE DU SPECTACLE
Comment s’est effectué le travail
d’adaptation ?
Vincent legrand
Sylvie Espérance, comédienne, a
travaillé en étroite collaboration avec Joëlle
Ecormier à l’adaptation du spectacle.
Puis Eric Domenicone, le metteur en
scène, y a également participé. Il s’agit
d’un exercice délicat puisque l’adaptation
doit conserver l’esprit de l’œuvre tout en
épurant le texte. Le théâtre visuel peut
s’abstraire du texte au profit de l’image.
Le travail d’adaptation est en mouvement
jusqu’à la sortie du spectacle.
Le projet a t-il beaucoup évolué au contact
de la scène ?
Sylvie Espérance (comédienne)
Le texte s’efface parfois, au profit de
l’image construite au plateau. De même
la narration se réduit au profit de l’action
scénique, bien que nous ayons gardé des
éléments de narration, et singulièrement
la parole rapportée d’Aristophane, c’est
lui qui raconte l’histoire au public.
Ce qui a fait son chemin au plateau
et a enrichi notre imaginaire, c’est
la dramaturgie : nous avions à notre
disposition deux mondes parallèles : d’un
côté celui des rêves, monde de l’illusion,
de l’image en mouvement et de l’autre
côté le monde du théâtre, lui aussi monde
d’illusion et d’images en construction.
Notre proposition est celle d’un univers
en évolution permanente, avec des effets
de morphing, de travelling, comme au
cinéma. Ce qui est magique au théâtre
c’est de voir l’illusion se fabriquer en
même temps que l’on aperçoit parfois
l’envers du décor. Le public accepte
volontiers de se laisser duper par l’illusion
scénique alors même qu’il aperçoit
l’envers du décor. Comme quand on rêve,
on sait bien que l’on rêve, mais…
Et si vous deviez nous présenter
Théodore… Qui est-il ?
Sylvie Espérance
C’est difficile de répondre à cette
question car Théodore est un personnage
complexe, et énigmatique. Je dirais qu’il
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UNE MISE EN SCÈNE
INCONSCIENTE,
UN ACTEUR CONSCIENT,
UN SPECTATEUR VOYANT
© Aurélia Moynot
est la quête d’absolu. Il est le papillon qui
est prêt à brûler ses ailes pour comprendre
la nature du feu. Son chant, comme celui
d’Orphée, fait vibrer jusqu’aux confins
du monde des Rêves. Il nous renvoie à
nos propres limites nos peurs du vide,
du danger immédiat. Il est un héros
mythologique. Intemporel.
Et Aristophane ?
Eric Domenicone (metteur en scène)
Aristophane, guide de Théodore,
véritable valet de comédie, Sancho
Pansa onirique que nous voulons nous
mettre dans les pas de Théodore. Nous
aussi voulons l’accompagner dans
son impossible Quête. Que cherche
Théodore ? L’Amour ?
Dans quelle géographie doit-on situer la
"gare ouest des Rêves" ?
Sylvie Espérance
La gare ouest des Rêves est un lieu
symbolique de notre inconscient collectif.
Il est la première étape du voyage vers le
monde des Rêves. C’est un carrefour. Si
on se retourne, on voit encore le monde
des Eveillés, mais si on se laisse aller vers
le voyage, on s’enfonce et se perd dans
l’imaginaire.
Et le quai 19 ?
Sylvie Espérance
Le quai 19 est l’endroit où tout se joue
: la rencontre de l’absolu pour Théodore,
la prise de conscience de la nécessité
d’agir pour Aristophane. Il est le lieu où
tout s’inverse : finalement n’est-ce pas
plutôt le monde des Rêves qui nous met
devant une conscience aiguisée, devant
une vérité nue ? Qu’est-ce que le réel ?
N’est-il pas plus facile de l’approcher en
rêvant ?
Est-ce facile de diriger une machine à
écrire ? De mettre en scène un portemanteau
?
Sylvie Espérance
Tout est une question d’imaginaire,
de jeu et de travail en équipe ! La
construction de la marionnette participe
beaucoup à l’imaginaire des comédiensmanipulateurs
et se met au service
d’une manipulation optimale. Le travail
évolue quotidiennement au contact
de la scène. Marionnettes et éléments
scénographiques font de nombreux allersretours
entre l’atelier et le plateau. La
machine à écrire comme le porte-manteau
ont des éléments anthropomorphiques,
une tête, des bras… ce qui permet au
public de s’y identifier. Mais ils gardent
aussi des éléments anatomiques qui
leur sont propres et leur apportent une
étrangeté, une poésie.
Dans quelle disponibilité d’esprit le
spectateur doit-il venir voir ce spectacle ?
Eric Domenicone
Je souhaite que la mise en scène de
ce court roman devenu spectacle par
la force de ses acteurs libère les canaux
de l’inconscient. En combinant les
différentes énergies portées sur le plateau,
que le spectateur s’invente, comme nous
le faisons en solitaire à la lecture du texte
de Joëlle, l’histoire de Théodore et de
sa quête. J’aspire à une mise en scène
inconsciente, un acteur conscient, un
spectateur voyant.
propos recueillis en juillet 2012
Théodore le passager du rêve > ENTRETIEN AVEC
Joëlle
Ecormier
>" AURÉLIA MOYNOT
AVAIT RÊVÉ D’UN TRAIN…
THÉODORE ET ARISTOPHANE
N’ONT PAS TARDÉ
À MONTER DEDANS ! "
Bernard Magnier
Pouvez-vous nous dire comment est né
le spectacle "Théodore, le passager du
rêve" ?
Joëlle Ecormier
En 2006, j’ai reçu un coup de
téléphone d’Aurélia Moynot qui s’est
présentée comme une sculpteuse sur
papier. Elle venait de lire N’oublie pas
que je m’appelle Octavie, un album pour
la jeunesse que je venais de publier
chez Océan Editions, et pensait que
j’étais l’auteur qu’elle cherchait depuis
longtemps pour lui écrire un texte. J’avais
de gros doutes quant à ma capacité à
répondre à sa demande… J’ai demandé à
voir son travail et devant sa merveilleuse
ville-baobab toute de papier, j’ai compris
qu’elle ne s’était pas trompée ; nos
deux univers communiquaient. Elle m’a
simplement raconté qu’elle avait rêvé
d’un train la nuit précédente. Je suis
repartie de chez elle avec un train dans la
tête et Théodore et Aristophane n’ont pas
tardé à monter dedans…
Comment s’est passée la rencontre avec
le Théâtre des Alberts ?
En avril 2012, il y avait une lecture
d’un extrait de "Théodore" au Centre
Dramatique de l’Océan Indien. Après
cette lecture, plusieurs personnes
du monde de la culture nous ont
conseillées d’aller présenter notre projet
à la compagnie du Théâtre des Alberts.
Nous y sommes allées, avec beaucoup
de timidité mais avec aussi la conviction
que c’était la bonne porte. Vincent
Legrand m’a écoutée parler de Théodore,
a regardé avec attention les sculptures en
papier d’Aurélia et il ne nous a pas fallu
longtemps pour savoir que nous avions
envie de travailler ensemble.
"UNE HISTOIRE D’IMAGINAIRES
COMMUNICANTS"
Comment s’est opérée l’adaptation de
votre texte (doit-on dire nouvelle ? court
roman ?) à la scène ? Avez-vous collaboré
à ce travail ?
En travaillant sur ce texte, je savais
que je l’écrivais pour un théâtre de
marionnettes et que sa forme devait être
théâtrale, mais j’ai eu besoin de l’écrire
sous une forme narrative et romanesque,
et oui, on peut donc dire que c’est un
court roman. Je savais d’avance que cela
exigerait une adaptation. Vincent Legrand
m’a proposé tout de suite d’y participer et
j’ai été très excitée par ce travail d’écriture
très différent de celui du roman. Je l’ai fait
dans un premier temps en collaboration
avec la comédienne Sylvie Espérance
dont les petits sécateurs furent d’une
extrême délicatesse, puis avec le metteur
en scène, Eric Domenicone à qui j’ai
fait immédiatement confiance, une
fois de plus à cause de cette histoire
d’imaginaires communicants.
Est ce la première fois que l’un de vos
textes est adapté à la scène ? Quelles sont
les impressions d’un auteur lorsqu’il voit
ses personnages incarnés (même s’il
s’agit d’une machine à écrire ou d’un
porte-manteau) ?
Mon tout premier album pour enfant,
La petite fleur et le soleil, avait été adapté
en comédie musicale en 2000. Il avait
d’abord été joué par des enfants avec
un accompagnement professionnel puis
repris par une troupe de comédiens
amateurs. Une belle émotion à chaque
fois !
Je crois qu’un personnage est toujours
vivant pour son auteur, il dépasse
toujours sa dimension de papier, à partir
du moment où on le crée, il existe dans
un ailleurs, sinon il n’est pas crédible.
Lorsqu’il lui arrive d’être habité par
un metteur en scène et animé par un
19
© Aurélia Moynot
comédien, ce qui relève de la "possession
artistique", il acquiert une dimension
supplémentaire qui le rend encore plus
vivant et libre, un peu comme un enfant
lorsqu’il quitte le giron de sa mère. C’est
toujours un petit miracle pour un auteur !
UNE VIEILLE HULOTTE ÉRUDITE
ENGONCÉE JUSQU’AUX PLUMES
ET UN ÊTRE DE L’ABSOLU,
LIBRE, LUMINEUX…
Pouvez-vous nous présenter Aristophane ?
Et Théodore ? D’où viennent-ils ?
Comment sont nés ces personnages ?
Sont-ils nés ensemble ?
Théodore et Aristophane sont nés de
la même idée, celle de faire voyager deux
êtres différents mais complémentaires
dans le Monde des Rêves. Autant
Aristophane est une vieille hulotte
érudite, pragmatique, pusillanime,
engoncée jusqu’aux plumes dans le
respect du règlement et dans sa petite
routine confortable mais ennuyeuse de
fonctionnaire du rêve, autant Théodore
est un être de l’absolu, libre, lumineux,
mystérieux, insaisissable, opiniâtre,
mais leur voyage ne pourrait pas se
faire l’un sans l’autre. J’avais imaginé
Théodore en violoncelle parce que le
son de cet instrument est le son le
plus émouvant que je connaisse et que
Théodore est d’abord un être qui émeut
parce qu’il cherche avec ténacité ce que
nous cherchons nous-mêmes durant
toute notre vie en renonçant souvent par
manque de courage ou par manque de
foi : l’amour.
Les objets "animés" ont-ils donc… une
âme ?
Bien entendu ! Et plurielle encore !
Il y a l’âme de celui qui l’a imaginé, celle
de celui qui l’a fabriqué, de celui qui le
manipule et lui donne sa voix et enfin
celle de celui qui le dirige. Une âme à
quatre ailes !
Dans quelle mesure pensez-vous que
votre île, La Réunion, a joué un rôle dans
l’écriture (l’imaginaire) de ce livre ?
J’aurais pu écrire cette histoire
de n’importe quel endroit de la Terre
parce qu’elle n’est pas attachée à une
culture ou une géographie particulières
mais à une matière universelle : l’être
humain lui-même, c’est-à-dire un être
perpétuellement tendu vers la recherche
de lui-même à travers l’autre. Le Monde
des Rêves est celui de l’imaginaire, c’est
un monde de symboles et ce monde vit
en chacun de nous, où que l’on soit né et
où que l’on vive. Y accéder en train, guidé
par une créature bienveillante capable
de voir la nuit, en l’occurrence une
vieille chouette hulotte, est une idée très
séduisante !
propos recueillis en juillet 2012
LES BALADES
D'ÉMILE&CIE
Inaugurées en 2011, ces balades proposent de (re)découvrir des textes de théâtre francophone qui ont un rapport
avec l’enfance et l’adolescence. Soit par l’âge des publics destinataires, soit par celui des personnages qui y évoluent.
Les pièces sont choisies autour d’un axe qui peut être une caractéristique dramaturgique, un auteur, un pays, un
thème… en lien ou non avec les spectacles programmés.
Le but essentiel, à travers ces rencontres-lectures animées par Emile Lansman et quelques comédiens professionnels,
est – en toute convivialité – d’éveiller la curiosité, de lever un voile sur des textes nouveaux ou sur de plus anciens
parfois un peu oubliés, de provoquer l’envie d’aller plus loin dans la rencontre en se procurant certains textes et, qui
sait, en les valorisant sur scène ou dans les livres.
Ces balades s’adressent donc à des adultes, et notamment aux enseignants en quête de théâtre contemporain à lire
avec leurs élèves, aux animateurs d’ateliers théâtre, aux bibliothécaires soucieux de mieux connaître ce répertoire
singulier, et aussi bien sûr aux comédiens, metteurs en scène, producteurs et auteurs passionnés par les nouvelles
écritures. Sans parler bien sûr des journalistes spécialisés en littérature et théâtre pour la jeunesse…
mercredi 19 décembre 2012 > 20h
Balade spéciale Régis Duqué, un auteur belge plébiscité par les jeunes
Une coproduction CED-WB, Centre des Auteurs Dramatiques Wallonie-Bruxelles
mercredi 16 janvier 2013 > 12h30
Figures d’enfance et d’adolescence dans le théâtre africain
mercredi 20 mars 2013 > 12h30
Figures d’enfance et d’adolescence dans les créations des Ateliers de la Colline
mercredi 10 avril 2013 > 20h
Balade autour de Le sable dans les yeux, de Bénédicte Couka
Prix Annick Lansman 2012 en partenariat avec la Ville d’Ermont
mercredi 15 mai 2013 > 12h30
Quelques « classiques » du théâtre québécois jeunes publics
mercredi 26 juin 2013 > 12h30
Ecrire pour être joué par des marionnettes : le grand retour ?
en collaboration avec le Musée de la Marionnette de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le CED-WB
Remarque importante : certains éléments extérieurs et souvent indépendants de notre volonté pourraient modifier les dates,
heures ou contenus de nos balades. N'hésitez pas à vérifier les dates et heures sur le site du TARMAC.
159 avenue Gambetta 75020 - M° St Fargeau - renseignements / réservations 01 43 64 80 80 - www.letarmac.fr
directrice de la publication Valérie Baran / rédaction Bernard Magnier / conception et visuels de couverture Atelier Pascal Colrat, assisté de
Laëtitia Lamblin, Marie Philippe et Valérie Perriot-Morlac / impression Atelier 30 - licences d’entrepreneurs de spectacles 1052228 -1052085 -1052086