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Dimanche, 16h30. Nous rejoignions Felix Moati qui nous attend place de la Bastille, devant<br />

une de ces grandes terrasses parisiennes typiques. Il nous salue chaleureusement,<br />

et nous le remercions pour l’entretien. Il nous apprend que le bistro est complètement<br />

plein, fin de week-end oblige. Il nous propose d’aller discuter à l’Industrie, un café-restaurant<br />

sympathique non loin de là. Le temps gris se gâte et des gouttelettes commencent à tomber du<br />

ciel. « Quel temps de merde ». Nous lui faisons remarquer que c’est un temps à aller au cinéma,<br />

et à aller découvrir À Trois On Y Va, le film de Jérôme Bonnell dans lequel il joue et donne la<br />

réplique à Anaïs Demoustier et Sophie Verbeeck, formant avec elles un triangle amoureux qui<br />

offre des situations délicieusement burlesques et émouvantes.<br />

La discussion commence, sans qu’on s’en rende vraiment compte, sur le chemin de l’Industrie,<br />

et se poursuit un moment. L’industrie, une autre, sans italique, celle du cinéma français, sera<br />

un des sujets que nous allons aborder à bâtons rompus dans ce qui ressemble finalement plus<br />

à un dialogue qu’à une interview classique. C’est autour de bières et de cafés, au détour de réflexions<br />

sur sa filmographie, mais aussi sur son rapport à son métier de comédien, à l’état actuel<br />

du cinéma français, à l’état de la cinéphilie, à la crise de la critique ou à François Truffaut, que<br />

nous allons brosser le portrait d’un jeune acteur de 2015.<br />

Felix Moati dans Lol<br />

de Lisa Azuelos, 2009<br />

Tu commences à être une tête connue du paysage<br />

cinématographique français ; on t’a découvert<br />

massivement dans Lol de Lisa Azuelos<br />

en 2009. Trois ans plus tard tu transformais<br />

l’essai avec Télé Gaucho de Michel Leclerc et<br />

aujourd’hui tu es à l’affiche de À Trois On Y<br />

Va qui fait un joli démarrage critique et public.<br />

On peut dire que ta carrière de comédien est<br />

définitivement lancée. Le cinéma, ça a toujours<br />

été ta vocation ?<br />

Le cinéma a toujours été présent dans ma<br />

tête, mais ce qui m’intéressais à la base c’était<br />

la mise en scène, l’écriture aussi. Mais le métier<br />

d’acteur, je n’y avais jamais pensé. Sauf<br />

en me disant que c’était un bon moyen pour<br />

draguer des filles, cette idée m’avait effleuré<br />

[Rires]. Donc dans cette optique là, et plus<br />

par curiosité qu’autre chose, un après-midi<br />

on a décidé de s’inscrire à un cours de<br />

théâtre dans le Marais avec des potes. On a<br />

suivi quelques cours, et en fait le prof nous a<br />

tous inscrits au casting de Lol. Du coup on<br />

a passé les essais et j’ai été retenu. Et c’est<br />

vrai que sur le plateau j’ai pris un immense<br />

plaisir à jouer…<br />

Au fond je pense que ça m’a toujours un peu<br />

travaillé même si ce n’était pas vraiment formulé,<br />

pas dit, pas exprimé. J’ai toujours été<br />

le mec à qui on demandait de raconter des<br />

histoires à table. Il y a toujours eu en moi un<br />

plaisir du déguisement, vraiment depuis tout<br />

petit.<br />

En plus, tu as vraiment baigné dans une atmosphère<br />

de cinéma, puisque ton père n’est autre que<br />

Serge Moati. J’imagine que tu as grandi dans un<br />

temple de cinéphilie, ce qui doit avoir contribué à<br />

ton intérêt pour ce métier ?<br />

C’est sûr. Disons que ce n’était pas un monde<br />

qui m’était étranger. Là où d’autres peuvent le<br />

percevoir comme un milieu très lointain qu’on<br />

ne sait pas vraiment comment approcher, moi<br />

je le connaissais, il m’était familier. Je n’étais<br />

pas intimidé par ça, c’était atteignable, même<br />

si mes parents ne voulaient pas jusqu’à il y a<br />

deux ou trois ans que je fasse acteur, par inquiétude.<br />

Tu n’as jamais fais de théâtre à ma connaissance ?<br />

En fait, j’avais commencé à faire des répétitions<br />

avec la troupe de Philippe Découflé,<br />

un grand chorégraphe qui fait le spectacle<br />

de David Bowie en ce moment. Il a fait un<br />

grand spectacle à Chaillot qui s’appelait<br />

Contact. J’avais commencé à répéter avec lui,<br />

mais j’ai dû partir en tournage pour le film de<br />

Jérôme Bonnell. Il a fallu que j’arrête les répétitions<br />

et que j’abandonne le projet. Mais<br />

le théâtre m’intéresse, je lis parfois quelques<br />

pièces qu’on m’envoie mais il faut vraiment<br />

se sentir prêt.<br />

Tu as été révélé par Lol, qui est, qu’on aime ou<br />

qu’on déteste, véritablement un film générationnel.<br />

Comment tu expliques l’impact énorme de ce<br />

film sur toute une jeunesse ?<br />

C’est toujours difficile de répondre à ces questions<br />

parce que ce qui fait le succès ou l’insuccès<br />

d’un film est complètement arbitraire.<br />

L’insuccès surtout est difficilement explicable.<br />

Le succès énorme et surprise d’un film comme<br />

Intouchables est aussi difficilement analysable…<br />

Je pense que ce qui a fait le succès de Lol, qui<br />

a fait cinq millions d’entrées et qui a embrasé<br />

toute une génération, c’est avant tout la simplicité<br />

du propos. Qu’on aime ou qu’on n’aime<br />

pas, c’est un film franc, honnête, qui ne prétend<br />

pas être quelque chose d’autre que ce qu’il est.<br />

Ce qui est assez étonnant c’est que ça dépeint<br />

un milieu plutôt très bourgeois du XVIème<br />

arrondissement, qui moi par exemple m’était<br />

complètement étranger, mais qui a su parler à<br />

des gens de classes sociales extrêmement variées<br />

; je pense que le succès énorme du film<br />

est en partie du au fait que les problématiques<br />

des adolescents soulevées par le film ne sont<br />

pas teintées socialement, c’est un canevas très<br />

classique et n’importe qui avait la possibilité de<br />

s’identifier aux personnages.<br />

Il y a aussi le fait que le film arrivait peut-être au<br />

bon moment. Il y a des films à l’ambition très populaire<br />

qui sont comme ça élus et portés par toute<br />

une génération de manière un peu mystérieuse ; je<br />

pense à La Boum pour la génération de nos parents.<br />

Ces films arrivent à capter, consciemment<br />

ou pas, l’état d’esprit d’une jeunesse à un moment<br />

donné, ou bien la façon dont elle veut se regarder.<br />

Bien sûr, il y a une question de timing. Je n’ai<br />

pas énormément de recul sur ce film parce<br />

que je suis dedans mais je pense que la vision<br />

glamour de la jeunesse a parlé aux gens à ce<br />

moment là. C’était une jeunesse idéalisée qui<br />

était montrée, une vision clinquante, qui attirait<br />

l’oeil. C’était très différent de la jeunesse<br />

présentée par exemple dans Les Beaux Gosses<br />

(Riad Satouf, 2009).<br />

« [Michel Leclerc] m’a<br />

vraiment inventé en tant<br />

qu’acteur, il m’a donné le<br />

goût de ça »<br />

Après Lol, on te retrouve dans une série télévisée<br />

sur Canal + appelée Sweet Dreams, puis trois ans<br />

plus tard dans Télé Gaucho de Michel leclerc.<br />

Après Lol j’ai fait cette série, et je pensais vraiment<br />

que ça allait s’arrêter là. Je continuais mes<br />

études, je voulais peut-être passer la Fémis,


« Je considère que le fait de faire un film est déjà en soi<br />

un acte politique, c’est un geste ; tu défends un rapport au<br />

monde quand tu fais un film »<br />

Felix Moati, Charlotte Le Bon et Baptiste Lecaplain dans Libre et Assoupi (2014)<br />

j’avais d’autres projets comme ça. J’ai quand<br />

même voulu passer le casting de Télé Gaucho.<br />

À la base Michel Leclerc ne voulait pas<br />

me rencontrer parce que j’avais joué dans Lol<br />

et que les gens m’assimilaient à ce personnage<br />

très éloigné de celui de Télé Gaucho. J’ai finalement<br />

passé le casting grâce à la directrice de<br />

casting qui était la même que celle sur Lol qui a<br />

convaincu Michel de me rencontrer. J’ai passé<br />

les essais, et j’ai été pris. C’est vraiment là que<br />

tout s’est concrétisé : il y a eu la nomination aux<br />

Césars, et du coup les propositions ont commencé<br />

à arriver. Il m’a vraiment inventé en tant<br />

qu’acteur, il m’a donné le goût de ça.<br />

Tu vas le retrouver prochainement dans un film<br />

tiré du roman La Vie Très Privée de Monsieur<br />

Sim<br />

C’est fait déjà, le tournage est terminé. Le film<br />

sort l’année prochaine, avec Jean-Pierre Bacri,<br />

Mathieu Amalric, Vimala Pons, Vincent Lacoste…Vincent<br />

c’est un très bon pote ; c’est<br />

moi qui l’ai présenté à Michel. On joue un<br />

couple dans le film [Rires].<br />

Ensuite tu as fait Libre Et Assoupi de Benjamin<br />

Guedj.<br />

Avec Baptiste Lecaplain et Charlotte Le Bon.<br />

C’était très marrant à faire.<br />

Tu as enchaîné avec Hippocrate, qui a été un gros<br />

succès.<br />

Ça a très très bien marché. On l’a senti dès le<br />

festival de Cannes où le film était présenté à<br />

la Semaine De La Critique ; la rumeur était<br />

très bonne. Cannes c’est délicat parce que ça<br />

peut à la fois propulser un film et le détruire,<br />

c’est à double tranchant. Dans ce cas là, ça a<br />

vraiment aidé le film, on sentait que les gens<br />

étaient enthousiastes. Ensuite on a gagné le<br />

grand prix au festival d’Angoulême, qui est<br />

un festival qui a tendance à annoncer les succès<br />

à venir : il y avait eu le film de Gallienne<br />

l’année d’avant par exemple. Donc quand<br />

Hippocrate est sorti il était déjà auréolé de tout<br />

ça, et ça a très bien marché.<br />

Je pense que le succès est dû en partie au fait<br />

que les gens sont toujours fascinés par les<br />

coulisses. C’était la force de Police : les gens<br />

veulent voir l’envers du décor, ici l’hôpital.<br />

Et ce microcosme de l’hôpital c’est bien sûr<br />

une manière de parler de notre société, parce<br />

qu’une société se définit beaucoup par son<br />

rapport avec la mort et la maladie.<br />

Le réalisateur Thomas Lilti est lui-même médecin.<br />

Il est médecin, oui. D’ailleurs je suis complètement<br />

hypocondriaque, je l’appelle tout le<br />

temps [Rires].<br />

Il y a eu Gaby Baby Doll aussi, de Sophie Letourneur.<br />

Oui, un film très original, qui n’a pas marché<br />

malheureusement.<br />

C’est un bon film pourtant, comment tu expliques<br />

qu’il n’ait pas marché ?<br />

Peut être un peu trop auteur, pas assez de<br />

grosses têtes d’affiche même si il y avait Benjamin<br />

Biolay…Et puis Sophie est un petit peu<br />

en dehors du circuit traditionnel, elle n’est pas<br />

nécessairement suivie par tous les exploitants<br />

de salles. Elle est très douée, elle a un vrai sens<br />

de l’image, du cadre, de la mise en scène. Sa<br />

chef-opératrice Jeanne Lapoirie qui a travaillé<br />

avec Ozon et d’autres grands est très douée<br />

a vraiment travaillé l’esthétique du film avec<br />

des cadres très doux, vraiment très beaux.<br />

Tu as désormais la possibilité de faire un choix parmi<br />

les projets qui viennent à toi. Comment choisis-tu de<br />

faire ou non un film ? La décision se prend d’abord<br />

sur le scénario, sur le metteur en scène, sur le casting ?<br />

Moi, j’ai besoin que le film ait une résonance dans<br />

ma vie actuelle ; j’aime que les films arrivent à un<br />

certain moment donné de ma vie. Ensuite, je veux<br />

que le film ait du style, qu’on ressente la patte du<br />

réalisateur. Qu’il soit imparfait, au fond, ce n’est<br />

pas tellement grave du moment que l’identité du<br />

metteur en scène transparait. Je ne veux surtout<br />

pas faire un film qui apparaisse lisse, creux, possiblement<br />

fait par un autre. Et le scénario est primordial,<br />

évidemment.<br />

Est-ce que tu te sens impliqué politiquement dans<br />

la manière dont tu choisis un scénario, un rôle ou un<br />

metteur en scène ?<br />

Je considère que le fait de faire un film est déjà en<br />

soi un acte politique, c’est un geste ; tu défends un<br />

rapport au monde quand tu fais un film. Après<br />

c’est vrai que les films que je fais ont une certaine<br />

forme de résonance, mais ce n’est pas vraiment un<br />

choix conscient; la raison qui me fais choisir tel<br />

scénario plutôt qu’un autre est assez mystérieuse,<br />

je suppose que ça doit rentrer en compte.<br />

On t’a vu dans plusieurs comédies assez stylisées et<br />

originales, qui tranchent en tout cas avec la plupart<br />

des grosses comédies actuelles qui sont des énormes machines<br />

souvent très lisses et creuses. Quel est ton avis<br />

sur la situation de ce genre en France ?<br />

Je pense que c’est le genre le plus compliqué à<br />

réaliser. Une bonne comédie, c’est très rare, très<br />

très rare. À écrire c’est un enfer : il faut réussir à<br />

trouver un rythme sans perdre de vue une certaine<br />

profondeur, et tout le monde n’est pas Woody<br />

Allen… En France on a Pierre Salvadori qui<br />

est un bon auteur comique.<br />

On a l’impression que les trois quarts des comédies se<br />

ressemblent comme deux gouttes d’eau, que les castings<br />

et les scénarios sont à peu de choses près interchangeables…<br />

Bien sûr, mais ça c’est le diktat financier du moment<br />

: on veut à tout prix des formules parce<br />

qu’on a peur de crever. Donc on prend des choses<br />

qui existent déjà et on essaie de faire du neuf avec<br />

du vieux. Le problème c’est qu’on voit que ça ne<br />

marche plus tellement…<br />

On t’en propose beaucoup des comédies de ce genre là ?<br />

On m’en propose certaines. Mais moi j’aime<br />

beaucoup les grosses comédies populaire, ça ne<br />

me pose aucun problème, je suis le premier à aller<br />

les voir au cinéma. Il faut juste que ce ne soit pas<br />

du foutage de gueule quoi.<br />

Ça nous amène à une question plus large: qu’est-ce<br />

que tu penses du cinéma français de manière générale<br />

aujourd’hui ? Nous posions la même question à<br />

David Oelhoffen (réalisateur de Loin Des Hommes<br />

avec Viggo Mortensen et Reda Kateb, interview à<br />

retrouver en cliquant ici qui nous disait qu’en terme<br />

de chiffres, le cinéma français ne s’était pratiquement<br />

jamais mieux porté, mais que le grand problème était<br />

que le système de production actuel se divisait en deux<br />

chapelles : d’un côté le cinéma populaire à très grand<br />

budget genre Bienvenue Chez Les Ch’tis, et de l’autre<br />

les films d’auteurs qui obtenaient des subventions, et<br />

que l’entre-deux, les films du milieu, les films de genre<br />

à l’ambition à la foi populaire et exigeante, étaient<br />

laissés complètement en friche…<br />

… Alors que c’était tout le prestige du cinéma<br />

français il y a trente ou quarante ans. Depuis<br />

peu les choses changent un peu : les films de<br />

Jérôme Bonnell par exemple depuis Le Temps<br />

De L’Aventure sont des films du milieu, très<br />

marqués auteur mais qui ont un certain public<br />

et qui trouvent une certaine résonance. il y a les


films de Rebecca Zlotowski aussi, et des films<br />

comme Suzanne de Katel Quillévéré avec Sara<br />

Forestier, ou comme Les Combattants [Thomas<br />

Cailley ndlr] ou Hippocrate plus récemment<br />

qui, je pense, participent d’un renouveau de ce<br />

cinéma là. Mais je comprends très bien ce que<br />

David Oelhoffen dit : c’est vrai qu’on bascule<br />

entre de très très gros films extrêmement calibrés,<br />

et des films très auteurs que presque personne<br />

ne voit. C’est quand même triste.<br />

« Les têtes d’affiches ne<br />

sont pas des valeurs aussi<br />

sûres qu’on le pensait,<br />

les gens s’en foutent un peu<br />

aujourd’hui »<br />

C’est extrêmement difficile pour ces cinéastes là<br />

de trouver le financement de leurs films, puisque<br />

la plupart des subventions sont attribuées, à juste<br />

titre, aux films d’auteurs qui en ont vraiment besoin.<br />

Seulement, le système tel qu’il est fait rend un<br />

tas de projets pratiquement impossibles à monter.<br />

Oui, puisque ces films auront autant de mal à<br />

séduire les grands studios qu’à convaincre les<br />

commissions de leur donner de l’argent. Parce<br />

que la grande peur des financiers c’est de ne<br />

pas réussir à identifier le produit, de ne pas savoir<br />

à qui ça s’adresse. À partir du moment où<br />

ce sont les chaînes qui financent les films, c’est<br />

normal pour eux, de leur point de vue, d’avoir<br />

un retour sur l’investissement, même si d’autre<br />

part ça nuit à la création. Un film comme Hippocrate<br />

a mis un temps fou à se monter ; les<br />

chaînes disaient qu’un film sur l’hôpital était<br />

beaucoup trop anxiogène, qu’elles ne pourraient<br />

jamais le passer à la télé. Ils ont dû faire<br />

une sorte de teaser qu’ils ont montré aux financiers<br />

pour les rassurer et pouvoir monter le<br />

film. Mais je pense que la diversité du cinéma<br />

français ne peut aller qu’en progressant. Déjà<br />

c’est nécessaire, et puis le marché est clairement<br />

en berne. On voit que les têtes d’affiches<br />

ne sont pas des valeurs aussi sûres qu’on le pensait,<br />

les gens s’en foutent un peu aujourd’hui ;<br />

il y a trente ans on disait qu’on allait voir « le<br />

nouveau Belmondo ». Aujourd’hui, même si il<br />

y a des acteurs adorés par le public comme Jean<br />

Dujardin, Guillaume Canet, Omar Sy, Romain<br />

Duris, Gilles Lellouche, Audrey Tautou, Marion<br />

Cottillard et d’autres, je ne suis pas certain<br />

que ce soit vraiment leur nom plus que le film<br />

dans lequel ils jouent qui influe le plus sur le<br />

nombre d’entrées, en tout cas beaucoup moins<br />

qu’à une certaine époque.<br />

Puisque tu évoques un renouveau du cinéma<br />

français : tu fais partie d’une nouvelle génération<br />

qui débarque sur les écrans, de devant ou<br />

de derrière la caméra. Nouvelle génération d’auteurs<br />

dont on a cité quelques noms plus tôt, nouvelle<br />

génération de comédiens également, celle de<br />

Pierre Niney, Anna Girardot, Vincent Lacoste,<br />

Sara Forestier, Adele Haenel et d’autres. On a<br />

entendu le discours de Pierre Niney aux Césars<br />

qui s’adressait directement à la jeunesse, ou celui<br />

de Xavier Dolan à Cannes qui faisait la même<br />

chose. Est-ce qu’il y a chez toi un sentiment d’appartenir<br />

à quelque chose, à une génération, à un<br />

renouveau quelconque ?<br />

On se connaît ; Pierre par exemple je le<br />

connais depuis que je suis tout petit, depuis<br />

que j’ai quinze, seize ans. On avait fait Lol<br />

ensemble, il avait un petit rôle. Vincent [Lacoste<br />

ndlr] c’est un peu différent parce que<br />

c’est vraiment un très bon ami donc on se<br />

parle beaucoup, on se parle de ce que c’est<br />

que le cinéma pour nous, de ce qu’on a envie<br />

de faire, de ce qui nous plait, de ce qu’on<br />

pourrait y changer aussi. Mais je ne me sens<br />

pas appartenir à une génération, à un groupe<br />

en particulier. En fait mes autres potes acteurs<br />

sont plutôt plus vieux, ce sont des gens<br />

de l’âge de Tahar Rahim par exemple qui est<br />

un ami.<br />

Comment tu définirais la cinéphilie en 2015 ? Elle<br />

a énormément changé en quelques années, elle n’a<br />

plus rien à voir avec celle que ton père ou des gens<br />

de sa génération ont pu connaître et le rapport des<br />

jeunes au cinéma a radicalement changé.<br />

Énormément. Avant, la cinéphilie se constituait<br />

beaucoup par la lecture de grandes revues<br />

comme Positif ou Les Cahiers Du Cinéma, et<br />

par la parole de grands critiques emblématiques<br />

comme Michel Ciment.<br />

…ou Serge Daney.<br />

« Ça me rend fou quand<br />

j’entends quelqu’un dire<br />

« est-ce qu’il est prise de<br />

tête le film ? » ou quelque<br />

chose comme ça… »<br />

Ou Daney, exactement. La cinéphilie se constituait<br />

en ciné-clubs ; les gens se réunissaient, organisaient<br />

des projections et ils avaient des débats<br />

enflammés qui duraient des heures. Et les metteurs<br />

en scène travaillaient aussi beaucoup pour<br />

la cinéphilie : Truffaut faisait en sorte que tout<br />

le monde se rencontre, Bertrand Tavernier a fait<br />

beaucoup de choses aussi, et c’est l’un des derniers<br />

à faire vivre aussi intensément la mémoire<br />

du cinéma. Aujourd’hui, c’est clair qu’on perd la<br />

culture d’aller en salles ; on perd même la culture<br />

d’acheter des DVDs j’ai l’impression, comme les<br />

mélomanes n’achètent plus de disques.<br />

C’est extrêmement dur de savoir qui voit quoi, si<br />

la transmission de la culture cinématographique est<br />

faite ou non...<br />

Et puis on ne prend plus au sérieux les critiques<br />

qu’on lit, on a trop peur de se faire berner. On ne<br />

construit plus notre cinéphilie avec comme appui<br />

les grandes revues que je citais tout à l’heure, et<br />

c’est vrai que je croise rarement des jeunes gens<br />

qui ont vu beaucoup de films. Mais le problème<br />

est plus général je pense, il y a moins de cinéphiles<br />

mais il y a aussi moins de latinistes, il y a moins<br />

de gens qui ont lu Dostoïevski…La culture est de<br />

plus en plus vue comme appartenant à une élite,<br />

À Trois On Y Va,<br />

Jérôme Bonnell<br />

et c’est assez triste, parce que c’est complètement<br />

faux. C’est débile, parce que c’est joyeux de regarder<br />

un film, et ça me rend fou quand j’entends<br />

quelqu’un dire « Est-ce qu’il est prise de tête le<br />

film ? » ou quelque chose comme ça…<br />

Il y a un vrai problème de diffusion d’émissions critiques.<br />

La dernière grande émission de critiques de<br />

cinéma sur une grande chaine était animée par ton<br />

père, et elle s’est arrêtée en 2011. Le Cercle est diffusé<br />

sur une petite chaine (Canal Plus Cinéma), France<br />

Inter a interrompu une émission consacrée à l’histoire<br />

du cinéma l’été dernier…Quand on regarde<br />

les émissions qui persistent, on constate que seul le<br />

discours promotionnel a droit de cité sur les grands<br />

médias...<br />

C’est lié au grand problème de la célébrité et de<br />

la transparence de notre époque. J’ai fais beaucoup<br />

de promo pour la sortie de mon film récemment,<br />

et les trois quarts du temps on on ne<br />

me posait absolument pas de questions sur le<br />

cinéma de manière générale ; on me demandait<br />

des trucs comme « c’est quoi ton rapport à la<br />

vie » ou des choses comme ça, mais rien sur la<br />

façon dont j’appréhende mon métier d’acteur, et<br />

pratiquement rien sur le metteur en scène !<br />

Tu penses qu’être cinéphile est quelque chose d’important<br />

pour un acteur ?<br />

Il y a beaucoup d’acteurs qui ne le sont pas du<br />

tout. Je ne pense pas que ce soit nécessaire dans<br />

l’absolu. Pour moi oui, mais j’ai de très bons amis<br />

acteurs qui ne sont pas du tout des cinéphiles.<br />

Après c’est quand même bien quand tu fais ton<br />

métier de savoir quel genre de cinéma tu as envie<br />

de faire, de savoir ce que c’est que la mise en scène.


[Il prend le dernier exemplaire de L’Affiche ayant en couverture François<br />

Truffaut.]<br />

Mon père a été son assistant un peu non-officiel, parce que c’était<br />

un orphelin que Truffaut a pris sous son aile. Il avait passé des<br />

essais pour jouer Antoine Doinel, et il n’avait pas été pris. Il était<br />

trop triste, et Truffaut a été ému par ce petit orphelin, il l’a engagé<br />

comme assistant, mon père portait ses valises et des choses comme<br />

ça, il était tellement content ; c’était presque un père de substitution<br />

pour lui.<br />

Un peu ce que Bazin avait été pour Truffaut.<br />

Voilà. Il avait deux passions, Truffaut, c’était les femmes et les enfants,<br />

tous ses films parlent de ça: « Je ne fais pas partie de la société<br />

des hommes, tout ce que j’ai fait c’était pour les femmes » [réplique du<br />

film Vivement Dimanche! ndlr]. C’est quand même incroyable de<br />

dire ça ! C’est une tragédie qu’il soit mort si jeune, il aurait fait<br />

tellement d’autres films !<br />

Tu penses réaliser, un jour ?<br />

Ça viendra surement un jour, mais pour l’instant je n’y pense pas<br />

trop.<br />

Tu pourrais arrêter la comédie pour te consacrer uniquement à la réalisation<br />

?<br />

Ah non, j’ai trop envie de continuer à faire l’acteur !<br />

Tu as d’autres projets en dehors du prochain film de Leclerc ? J’ai entendu<br />

parler d’un étrange projet de film de super-héros.<br />

Je vais jouer Catman mec.<br />

Catman ?<br />

Oui, un super-héros un peu lâche et hypocondriaque qui va chez<br />

un acuponcteur et se fait injecter de l’ADN de chat. C’est tout ce<br />

que je sais pour l’instant, je n’ai même pas encore lu le scénario<br />

; c’est réalisé par Gérald Hustache-Mathieu qui a fait Avril et<br />

Poupoupidou, dont j’adore le travail.<br />

Merci beaucoup, Felix.<br />

Rédaction :<br />

Conception graphique :<br />

Alexandre Piletitch<br />

Gauthier Roos<br />

Nadir Belhoucine<br />

Malek.B

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