Article - Journal International de Santé au Travail
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Libouton Dossier médical informatisé J Int Santé Trav 2010;1:1-8<br />
Le dossier médical informatisé en mé<strong>de</strong>cine du travail : l’informatique <strong>au</strong> service<br />
du mé<strong>de</strong>cin ou le mé<strong>de</strong>cin <strong>au</strong> service <strong>de</strong> l’informatique ?<br />
The digitalised medical file applied to occupational medicine : computer science<br />
at the service of the medical doctor or the medical doctor at the service of<br />
computer ?<br />
Patrick LIBOUTON<br />
ADHESIA, Service externe pour la prévention et la protection <strong>au</strong> travail, Gosselies, Belgique.<br />
Aéropole, Rue Antoine <strong>de</strong> Saint-Exupéry 8<br />
6041 Gosselies<br />
patrick.libouton@adhesia.be<br />
Résumé<br />
Où est passée la réflexion <strong>de</strong>puis l’arrivée du dossier médical informatisé en mé<strong>de</strong>cine du travail ? Il<br />
semble qu’on ait tout simplement oublié <strong>de</strong> s’interroger sur la capacité d’un outil à influencer ou à<br />
modifier une pratique et que <strong>de</strong> nombreuses questions fondamentales, telles que la protection <strong>de</strong> la vie<br />
privée du travailleur, la problématique <strong>de</strong>s notes personnelles du mé<strong>de</strong>cin du travail, l’adéquation <strong>de</strong><br />
systèmes <strong>de</strong> codifications,… aient <strong>au</strong>ssi été négligées.<br />
Compte tenu <strong>de</strong> ces constats et <strong>de</strong> ces incertitu<strong>de</strong>s, quelles sont les démarches à mettre en œuvre ?<br />
Abstract<br />
What became of the thought since the medical file in occupational medicine arrived? It seems one<br />
have simply forgotten to examine the ability of an implement to influence or modify a practice, and<br />
that a full of fundamental questions, such as the protection of the private life of a worker, the<br />
problematic of the physician’s personal notes, the appropriation of the classification systems … has<br />
also been neglected.<br />
What should be un<strong>de</strong>rtaken having in mind these statements and in<strong>de</strong>cisions?<br />
Mots-clé<br />
Dossier médical ; Informatique ; Mé<strong>de</strong>cine du travail.<br />
Keywords<br />
Medical record ; Computer science ; Occupational medicine.<br />
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Introduction<br />
La tendance actuelle vers une numérisation <strong>de</strong>s données provenant <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s<br />
travailleurs nous fait entrer dans une nouvelle ère <strong>de</strong> possibilités <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> la « gestion » du dossier<br />
médical du travailleur.<br />
Les problématiques <strong>de</strong> cette entrée <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine du travail dans le mon<strong>de</strong> numérique sont<br />
nombreuses. Il y a d’abord une importante préoccupation <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> la fiabilité technique <strong>de</strong> ces<br />
nouve<strong>au</strong>x systèmes. Par ailleurs, le fait que <strong>de</strong> multiples intervenants, et notamment du personnel<br />
administratif, soient amenés à participer à la gestion du dossier suscite <strong>de</strong> vives inquiétu<strong>de</strong>s dans le<br />
chef <strong>de</strong>s travailleurs, <strong>de</strong>s employeurs et <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins du travail.<br />
Comment i<strong>de</strong>ntifier avec un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> suffisamment élevé les personnes qui consultent les<br />
documents du dossier ? Comment sécuriser les données et assurer leur intégrité ? Quels sont les droits<br />
<strong>de</strong>s travailleurs à l’égard <strong>de</strong> cette semi intrusion dans leurs données médicales et h<strong>au</strong>tement sensibles ?<br />
Comment s’assurer <strong>de</strong> la contribution <strong>au</strong> système <strong>de</strong> tous les intervenants nécessaires <strong>de</strong>s services <strong>de</strong><br />
prévention et <strong>de</strong> protection <strong>au</strong> travail ?<br />
De plus, nous sommes en droit <strong>de</strong> nous interroger sur l’adéquation du dossier médical informatisé en<br />
fonction <strong>de</strong> son rapport bénéfice/risque et du service médical rendu. En effet, l’outil informatique<br />
semble, pour l’essentiel, avoir échappé à l’interrogation sur les conditions et les effets <strong>de</strong> son<br />
application dans l’espace particulier <strong>de</strong> la consultation médicale. Devant les avantages potentiels<br />
offerts par l’informatisation (ai<strong>de</strong> à l’encodage, à l’action <strong>au</strong> raisonnement ou à l’évaluation, contact<br />
permanent avec <strong>de</strong>s bases <strong>de</strong> données actualisées…), il semble qu’on ait tout simplement oublié <strong>de</strong><br />
s’interroger sur la capacité d’un outil à influencer une pratique et à la modifier. Or, dans le cadre du<br />
rapport bénéfice/risque, à côté <strong>de</strong> l’intérêt, les risques ou préc<strong>au</strong>tions à prendre sont <strong>au</strong>ssi à examiner !<br />
La surveillance médicale <strong>de</strong>s travailleurs est ou sera informatisée ; cela semble évi<strong>de</strong>nt, pour la<br />
plupart <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> prévention et <strong>de</strong> protection <strong>au</strong> travail. Malheureusement, «<br />
l’évi<strong>de</strong>nce » disqualifie d’emblée toute réflexion critique à son égard.<br />
Interrogations, questions et réflexions <strong>de</strong>viennent alors <strong>au</strong>ssi difficiles à soutenir… que nécessaires.<br />
Alors, ouvrons la discussion.<br />
L’acte médical est à la fois technique, administratif et relationnel particulièrement en mé<strong>de</strong>cine du<br />
travail. C’est donc sur ces trois plans que doivent porter les réflexions et les interrogations. Quelles<br />
sont les influences <strong>de</strong> l’outil informatique sur la pratique <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s<br />
travailleurs ?<br />
Influence sur le plan technico-administratif ?<br />
Pour Maître Vanlangendonck, « Le dossier médical (électronique) est à la fois, un instrument <strong>de</strong><br />
conservation <strong>de</strong>s données personnelles relatives à la santé du patient, mais <strong>au</strong>ssi un instrument <strong>de</strong><br />
travail du praticien qui sert <strong>de</strong> base à son travail diagnostic et thérapeutique.<br />
Ceci amène à la distinction entre les faits ou données factuelles et les données d’exploitation ou<br />
notes personnelles du mé<strong>de</strong>cin. » (1)<br />
Dans le cas précis <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s travailleurs, il y a lieu <strong>de</strong> rappeler que le contenu<br />
du dossier <strong>de</strong> santé est précisé à la Sous-section 2.- Section 8.- Le dossier <strong>de</strong> santé- <strong>de</strong> l’Arrêté royal<br />
du 28 mai 2003 relatif à la surveillance <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s travailleurs (Moniteur Belge.du16.6.2003) :<br />
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Art. 81.- § 1er. Le dossier <strong>de</strong> santé contient un ensemble <strong>de</strong> données structurées et ordonnées ainsi<br />
que <strong>de</strong>s documents. Il est constitué <strong>de</strong> quatre parties distinctes:<br />
a) les données socio-administratives relatives à l'i<strong>de</strong>ntification du travailleur et <strong>de</strong> son employeur;<br />
b) l'anamnèse professionnelle et les données objectives médicales à caractère personnel [...] et<br />
résultant <strong>de</strong>s prestations obligatoires effectuées lors d'examens médic<strong>au</strong>x <strong>de</strong> prévention. Ces données<br />
personnelles sont en relation avec le poste <strong>de</strong> travail ou l'activité du travailleur;<br />
c) les données particulières à caractère personnel relevées par le conseiller en prévention-mé<strong>de</strong>cin du<br />
travail à l'occasion d'examens médic<strong>au</strong>x <strong>de</strong> prévention et qui lui sont spécifiquement réservées;<br />
d) les données d'exposition [...] pour chaque travailleur occupé à un poste <strong>de</strong> travail ou à une activité<br />
l'exposant à <strong>de</strong>s agents biologiques, physiques ou chimiques.<br />
Sur le plan formel, le dossier <strong>de</strong> santé (informatisé) en tant que mémoire <strong>de</strong>s informations pertinentes<br />
du conseiller en prévention - mé<strong>de</strong>cin du travail doit comporter ses quatre parties distinctes et<br />
notamment une partie « spécifiquement réservée »<br />
Selon Maître Vanlangendonck « La possibilité ou non pour le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> disposer d'une partie<br />
réservée du dossier médical <strong>de</strong> ses patients en tant qu’instrument <strong>de</strong> travail est primordiale, en effet,<br />
si les professionnels sont obligés <strong>de</strong> communiquer <strong>au</strong> patient tout ce qu'ils consignent, le risque est<br />
grand d'aboutir à une consignation <strong>de</strong> données minimales "politiquement correctes", voire à la tenue<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dossiers parallèles.<br />
La problématique du statut <strong>de</strong>s notes personnelles du mé<strong>de</strong>cin dans le cadre <strong>de</strong> l’informatisation <strong>de</strong>s<br />
dossiers médic<strong>au</strong>x <strong>de</strong> même que la qualification médico-légale <strong>de</strong>s éléments participant à<br />
l’élaboration <strong>de</strong>s données médicales se situe <strong>au</strong> sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> la formulation <strong>de</strong>s informations médicales,<br />
c’est-à-dire avant même le sta<strong>de</strong> ultérieur qui est celui du codage ou <strong>de</strong> la classification.<br />
Le codage, d’après la définition du dictionnaire Robert : « c’est la transformation d’un message selon<br />
un co<strong>de</strong> en vue <strong>de</strong> faciliter sa transmission ».<br />
Ainsi apparaît dans le cadre formel du dossier médical (électronique) d’une part, la nécessité <strong>de</strong><br />
co<strong>de</strong>s et classifications pour permettre l’interrogation <strong>de</strong> bases <strong>de</strong> données exploitables et d’<strong>au</strong>tre<br />
part, la nécessité <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s qualifications <strong>de</strong> catégories médico-légales clairement définies <strong>au</strong><br />
nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s éléments s’inscrivant dans le cadre <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong>s décisions médicales pour<br />
permettre un système <strong>de</strong> validation exploitable par les mé<strong>de</strong>cins concernant les données médicales<br />
vis-à-vis <strong>de</strong>squelles ils ont une responsabilité professionnelle.<br />
Le point commun entre le sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> la formulation <strong>de</strong>s informations médicales et celui du codage dans<br />
le contexte <strong>de</strong> l’informatisation <strong>de</strong>s dossiers médic<strong>au</strong>x est celui du respect <strong>de</strong>s contraintes du maillon<br />
le plus important <strong>de</strong> la chaîne <strong>de</strong> production d’information : le mé<strong>de</strong>cin qui est à la source <strong>de</strong><br />
l’information.<br />
Le respect <strong>de</strong> ces contraintes englobe les contraintes et exigences éthiques et techniques <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />
et <strong>de</strong> leurs patients, <strong>de</strong> même que l’incitation <strong>au</strong> codage par le mé<strong>de</strong>cin source, surtout lorsque <strong>de</strong>s<br />
liens sont indispensables entre les informations recueillies.<br />
Le mé<strong>de</strong>cin est en effet à l’origine <strong>de</strong>s informations médicales du dossier, la source <strong>de</strong> tous les<br />
messages relatifs <strong>au</strong>x informations médicales du patient. Lors <strong>de</strong> ce processus d’élaboration, c’est le<br />
mé<strong>de</strong>cin qui transforme ces messages en informations médicales et qui déci<strong>de</strong> soit <strong>de</strong> les considérer<br />
ensuite comme informations médicales avec la<br />
faculté <strong>de</strong> les confirmer ou non, soit <strong>de</strong> les abandonner comme messages dénués <strong>de</strong> toute pertinence.<br />
La confirmation d’une information ou donnée médicale s’effectue selon un processus <strong>de</strong><br />
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maturation qui a un rythme propre à la pratique <strong>de</strong> l’art médical (donc distinct <strong>de</strong> la vitesse <strong>de</strong><br />
processus pour <strong>de</strong>s données comptables, financières, météorologiques, juridiques, statistiques,<br />
d’i<strong>de</strong>ntité, etc. …). De plus le dossier médical informatisé est variable, selon plusieurs axes (l’espace,<br />
le temps, la pathologie, le mé<strong>de</strong>cin, …). Il convient dès lors que la législation sur la protection <strong>de</strong> la<br />
vie privée tienne compte <strong>de</strong>s spécificités relatives <strong>au</strong> processus d’élaboration <strong>de</strong>s données médicales<br />
et les assortisse d’un régime adapté quant à cet aspect par rapport <strong>au</strong>x nécessités professionnelles sur<br />
le plan instrumental que comporte le dossier médical. » (1)<br />
En 1995, le dossier médical informatisé apparaissait comme un défi et le Docteur P. Carlier estimait<br />
que les données collectées dans les dossiers « manuscrits » étaient figées et individuelles, le dossier<br />
médical étant à l’époque : « une compilation <strong>de</strong> données manuscrites pas toujours évi<strong>de</strong>ntes à<br />
déchiffrer, <strong>de</strong> protocole, d’images, <strong>de</strong> données numériques et <strong>de</strong> bilans biologiques. Les recherches<br />
épidémiologiques et les analyses statistiques impliquent donc <strong>de</strong> fastidieuses et peu sûres<br />
manipulations. »<br />
Il ajoutait : « l’usage du logiciel signifie <strong>au</strong>ssi la disparition <strong>de</strong>s abréviations et <strong>au</strong>tres messages<br />
codés seulement compris, <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur lui-même, et encore,… » (2)<br />
Quinze années se sont écoulées, « l’usage du logiciel » s’est généralisé en mé<strong>de</strong>cine du travail, mais<br />
les messages « codés » n’ont pas disparus (bien <strong>au</strong> contraire).L’emploi (ou le non emploi) d’une<br />
codification non adaptée à notre pratique que ce soit par exemple la codification international WHO<br />
ICD (<strong>International</strong> Classification of Diseases - version ICD-9, ICD-10,….) ou ICPC-2 (<strong>International</strong><br />
Classification of Primary Care…) n’a fait que compliquer la collecte <strong>de</strong>s données objectives médicales<br />
à caractère personnel.<br />
Que faire <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> épidémiologique avec <strong>de</strong>s données mal collectées (quand elles le sont !) et/ou<br />
enregistrées dans <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> codification non adaptés et différents d’un service à l’<strong>au</strong>tre ?<br />
Qui dispose actuellement d’un dossier médical informatisé qui est capable <strong>de</strong> collecter les<br />
informations recueillies à <strong>de</strong>s moments différents par différents mé<strong>de</strong>cins, les rapports d’analyses <strong>de</strong><br />
risques, les clichés radiographiques, les analyses sanguines, les copies <strong>de</strong>s déclarations <strong>au</strong> Fonds <strong>de</strong>s<br />
maladies professionnelles ou les fiches d’acci<strong>de</strong>nt du travail…afin <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong>s mêmes données<br />
lors <strong>de</strong> tout contact avec un travailleur ?<br />
Pour conclure ce premier chapitre, quand on parle <strong>de</strong> « technique médicale », on peut ne s’en tenir<br />
qu’à la «technique» <strong>au</strong> sens <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> (basée sur le recueil <strong>de</strong>s expositions, <strong>de</strong>s symptômes et <strong>de</strong>s<br />
plaintes), qui permet d’effectuer une évaluation <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> proposer une décision d’aptitu<strong>de</strong>,<br />
d’aptitu<strong>de</strong> avec recommandations ou restrictions ou d’inaptitu<strong>de</strong>.<br />
À ce nive<strong>au</strong>, l’intérêt <strong>de</strong> l’informatisation paraît illusoire pour le mé<strong>de</strong>cin du travail.<br />
Cette désillusion, transitoire peut-être, est liée à l’état actuel <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>s logiciels médic<strong>au</strong>x<br />
en mé<strong>de</strong>cine du travail. À ce jour, <strong>au</strong>cun ne paraît être en mesure d’intégrer tous les éléments utiles et<br />
nécessaires à la décision médicale en mé<strong>de</strong>cine du travail.<br />
La perception par le mé<strong>de</strong>cin du travail d’un mal-être corporel chez un travailleur suite à une<br />
exposition donnée en constitue un exemple.<br />
Prenons acte: il n’y a actuellement (et heureusement) « encore ni ordinateur pour une bonne<br />
mé<strong>de</strong>cine, ni un bon mé<strong>de</strong>cin dans un ordinateur » (3).<br />
Par ailleurs, le Docteur G. Even estime fort probable que l’utilisation répétée d’un programme influe<br />
sur la démarche <strong>de</strong> son utilisateur possédant ainsi la capacité <strong>de</strong> l’éloigner <strong>de</strong> ce qui n’y est pas<br />
inscrit. La question se formule donc ainsi : la pratique <strong>de</strong> l’informatique avec ses algorithmes actuels<br />
risque-t-elle, ou non, d’amoindrir notre réceptivité à certaines données cliniques ? Si c’est le cas, une<br />
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bonne utilisation <strong>de</strong> cet outil ne doit-elle pas nécessairement se doubler d’une prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong><br />
ses limites ? (4)<br />
La question reste ouverte…<br />
Influence sur l’aspect relationnel <strong>de</strong> la pratique médicale<br />
L’informatique améliore-t-elle la relation <strong>Travail</strong>leur – mé<strong>de</strong>cin du travail ? C’est dans ce domaine <strong>de</strong><br />
la relation à l’<strong>au</strong>tre que l’arrivée <strong>de</strong> l’informatique dans les cabinets médic<strong>au</strong>x <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine du travail<br />
soulève <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>s questions.<br />
En 1995, le Docteur P. Carlier écrivait que l’écran n’était pas une barrière entre le mé<strong>de</strong>cin et le<br />
travailleur. (2)<br />
A l’heure actuelle, ne f<strong>au</strong>t-il pas reconnaître que nous sommes loin d’en être assurés et examiner cette<br />
question <strong>de</strong> la relation <strong>Travail</strong>leur – mé<strong>de</strong>cin du travail comme point <strong>de</strong> discussion ?<br />
Pour le Docteur G Even, il apparaît que dans le domaine relationnel nous n’attendions pas à priori <strong>de</strong><br />
gains importants <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’informatique.<br />
Ne serions-nous pas satisfaits d’une situation où, après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transition, l’ordinateur, objet<br />
neutre, ne viendrait rien changer sur le plan <strong>de</strong> la relation – si celle-ci était <strong>de</strong> qualité, la machine,<br />
simplement, s’y intégrerait, restant dans une place délimitée ? Mais une telle évolution est-elle si «<br />
évi<strong>de</strong>nte » ? … Ce n’est pas évi<strong>de</strong>nt. Certains éléments, remettant en question l’idée <strong>de</strong> la neutralité<br />
d’un tel objet, semblent s’opposer à cette «rassurante » vision d’avenir. Les craintes manifestées par<br />
la population et les mé<strong>de</strong>cins à propos du secret médical sont tout d’abord à relever. Malgré <strong>de</strong>s<br />
mises <strong>au</strong> point répétées, une impression <strong>de</strong> menace plane encore ; ce curieux sentiment doit toujours<br />
être pris en compte et déchiffré. Pourquoi toute la défiance liée à l’informatisation s’est-elle<br />
concentrée sur ce point ? La crainte que soient divulguées les confi<strong>de</strong>nces faites dans une<br />
consultation est fort légitime et <strong>au</strong>rait quelques fon<strong>de</strong>ments. Mais est-ce tout ? Chacun ne révèle pas<br />
quotidiennement un secret à son mé<strong>de</strong>cin. Dans toute consultation, par contre, secret ou pas, quelque<br />
chose est dit à ce mé<strong>de</strong>cin à ce moment, qui n’<strong>au</strong>rait peut-être pas été dit à un <strong>au</strong>tre mé<strong>de</strong>cin. Cela<br />
concerne toute la dynamique d’une relation. Dès lors, ce sentiment <strong>de</strong> menace (« touche pas <strong>au</strong> secret<br />
») pourrait, par déplacement, signaler une peur : celle <strong>de</strong> voir modifier le colloque singulier entre le<br />
mé<strong>de</strong>cin et le patient – ce qu’il contient <strong>de</strong> strictement humain, ce corps à corps particulier, ce<br />
partage <strong>de</strong> silence, <strong>de</strong> paroles et d’émotions, qui se différencie <strong>de</strong> la stricte communication <strong>de</strong>s<br />
données utiles <strong>au</strong> diagnostic. « Ce qui m’embête avec l’ordinateur, disait une patiente, c’est d’arriver<br />
chez un mé<strong>de</strong>cin que je ne connais pas et qu’il sache tout d’emblée, tout, c’est-à dire même ce que je<br />
préfère oublier ». Cette remarque à propos du dossier médical informatisé mérite une réflexion. Peuton<br />
« obliger les patients à avoir toujours avec eux cette infaillible mémoire <strong>de</strong> leur santé, comprenant<br />
<strong>au</strong>ssi les troubles et les moments <strong>de</strong> déprime ?».<br />
P<strong>au</strong>l Valéry mettait en gar<strong>de</strong> contre « les pouvoirs <strong>de</strong> conservation et <strong>de</strong> prévision <strong>de</strong>s machines qui,<br />
attachés <strong>au</strong>x êtres vivants, vont changer la durée capricieuse, les souvenirs incertains, l’avenir<br />
confus, les len<strong>de</strong>mains indéterminés, en une sorte <strong>de</strong> présent i<strong>de</strong>ntique ». Or secrets, oublis, ombres et<br />
mémoire sont constitutifs d’une relation. Est-il ou non <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> l’informatisation <strong>de</strong> modifier,<br />
voire d’évacuer cet élément fondamental <strong>de</strong> la pratique du métier ?<br />
Selon Martin Hei<strong>de</strong>gger, « La langue technique est l’agression la plus violente et la plus dangereuse<br />
contre le caractère propre <strong>de</strong> la langue parce qu’elle se développe en système <strong>de</strong> messages et <strong>de</strong><br />
signalisation formels » qui ne peuvent pas intégrer que « la relation à l’<strong>au</strong>tre […] repose sur le faire<br />
paraître, sur le dire, parlé et non parlé ». Or, s’il y a une commun<strong>au</strong>té <strong>de</strong> structure entre cette langue<br />
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technique dont parle le philosophe et celle <strong>de</strong> l’informatique en passe <strong>de</strong> s’imposer, la dynamique<br />
d’interaction entre le langage informatisé et l’attention à l’<strong>au</strong>tre <strong>de</strong>vra être étudiée.<br />
Quel sera le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> cette relation dans une pratique où la part <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> signalisation<br />
formels va s’amplifier ? (4)<br />
Cette relation, à laquelle les travailleurs et bon nombre <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins du travail semblent attachés,<br />
l’ordinateur serait-il en position <strong>de</strong> s’y attaquer ?<br />
L’informatique <strong>au</strong> service du mé<strong>de</strong>cin ou le mé<strong>de</strong>cin <strong>au</strong> service <strong>de</strong> l’informatique ?<br />
A une époque où l’on s’interrogeait sur l’intérêt à informatiser le dossier médical, le Docteur P. Carlier<br />
(2) s’était déjà posé la question et pour y répondre il avait instruit le « procès » du dossier manuscrit. Il<br />
avait notamment retenu quatre aspects essentiels, l’un d’eux a déjà été évoqué ci-<strong>de</strong>ssus, je<br />
m’attacherai donc <strong>au</strong>x trois <strong>au</strong>tres :<br />
1.« Le mé<strong>de</strong>cin doit pouvoir disposer à tout moment du dossier médical du travailleur qu’il a <strong>de</strong>vant<br />
lui ». ; Encore f<strong>au</strong>t-il que le dossier informatisé soit « synchronisé » et/ou que la connexion soit fiable<br />
et stable…..et qu’il n’y ait pas eu <strong>de</strong> perte <strong>de</strong> données…<br />
2.« La connexion avec les données administratives, souvent modifiées dans le temps, est pénible » ;<br />
Moins pénible actuellement ?<br />
3.« La manipulation <strong>de</strong>s dossiers à emporter n’est pas sans problèmes pour le personnel…. » ; Elle a<br />
été remplacée par la manutention <strong>de</strong>s ordinateurs portables accompagnés <strong>de</strong> l’imprimante et <strong>au</strong>tre<br />
matériel connexe.<br />
A-t-on assez réfléchi à la place respective que doivent avoir le mé<strong>de</strong>cin du travail et l’informatique<br />
dans la pratique journalière <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine du travail ?<br />
Je n’abor<strong>de</strong>rai pas les aspects liés à la facturation <strong>de</strong>s actes médic<strong>au</strong>x et <strong>au</strong> contrôle <strong>de</strong>s activités du<br />
mé<strong>de</strong>cin du travail que le dossier médical informatisé peut permettre sans trop <strong>de</strong> difficultés, mais cela<br />
pourrait faire l’objet d’un <strong>au</strong>tre débat.<br />
L’objectif <strong>de</strong> ces réflexions et interrogations est d’ouvrir la discussion pour nous éloigner <strong>de</strong> la<br />
soumission à l’évi<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong> la confiance irréfléchie en l’efficience <strong>de</strong> l’objet informatique et du<br />
dossier médical informatisé qui en découle.<br />
Il ne s’agit pas <strong>de</strong> s’opposer à ce dont nous percevons tout l’intérêt – l’apport <strong>de</strong> l’informatique à la<br />
pratique <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine du travail – et qui s’est par ailleurs, déjà imposé !<br />
Mais il s’agit <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s perspectives pour améliorer une informatisation débridée et sans doute<br />
contre-productive.<br />
N’a-t-on pas oublié les finalités (Art. 79 <strong>de</strong> l’Arrêté royal du 28 mai 2003 ) du dossier <strong>de</strong> santé du<br />
travailleur qui constitue la mémoire <strong>de</strong>s informations pertinentes concernant un travailleur, qui<br />
permet <strong>au</strong> conseiller en prévention-mé<strong>de</strong>cin du travail d'exercer la surveillance <strong>de</strong> la santé, et <strong>de</strong><br />
mesurer l'efficacité <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> prévention et <strong>de</strong> protection appliquées sur le plan individuel et sur<br />
le plan collectif dans l'entreprise.<br />
Le paragraphe 2 <strong>de</strong> l’article sur les finalités du dossier <strong>de</strong> santé précise <strong>au</strong>ssi que le traitement <strong>de</strong>s<br />
données médicales à caractère personnel et <strong>de</strong>s données d'exposition, à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> recherches<br />
scientifiques, d'enregistrements épidémiologiques, d'enseignement et <strong>de</strong> formation continue, doit<br />
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respecter les conditions et les modalités prévues par la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection<br />
<strong>de</strong> la vie privée à l'égard <strong>de</strong>s traitements <strong>de</strong> données à caractère personnel.<br />
A ce propos, il est peut-être utile <strong>de</strong> rappeler que c’est le conseiller en prévention-mé<strong>de</strong>cin du travail<br />
qui est responsable <strong>de</strong> l'établissement et <strong>de</strong> la tenue à jour du dossier <strong>de</strong> santé pour chaque travailleur<br />
qu'il est appelé à examiner. (Art. 80 <strong>de</strong> l’Arrêté royal du 28 mai 2003.).<br />
En outre, il est précisé (Art.90 <strong>de</strong> l’Arrêté royal du 28 mai 2003) que si le dossier <strong>de</strong> santé fait l'objet<br />
d'un traitement <strong>au</strong>tomatisé, le conseiller en prévention-mé<strong>de</strong>cin du travail qui dirige la section ou le<br />
département <strong>de</strong> surveillance médicale est le responsable du traitement <strong>de</strong>s données.<br />
D’après les avocats Verbiest T. et Wery E., le responsable du traitement doit prendre les mesures<br />
techniques et organisationnelles requises pour protéger les données contre leur <strong>de</strong>struction<br />
acci<strong>de</strong>ntelle ou non <strong>au</strong>torisée, contre leur perte acci<strong>de</strong>ntelle ou leur modification. Il se doit, par<br />
ailleurs, <strong>de</strong> sécuriser l’accès <strong>au</strong>x données et <strong>de</strong> garantir leur intégrité par rapport à d’<strong>au</strong>tres<br />
éventuels traitements non <strong>au</strong>torisés.<br />
Les mesures techniques et organisationnelles doivent assurer un nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> protection adéquat compte<br />
tenu <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> la technique en la matière, <strong>de</strong>s frais qu’entraîne l’application <strong>de</strong> ces mesures, <strong>de</strong> la<br />
nature <strong>de</strong>s données à protéger et <strong>de</strong>s risques potentiels. Cela implique concrètement <strong>de</strong> prendre en<br />
compte la compatibilité <strong>de</strong> systèmes, <strong>de</strong>s protocoles et <strong>de</strong>s architectures relatifs à ces nouve<strong>au</strong>x<br />
services. Il f<strong>au</strong>t également mettre en œuvre <strong>de</strong>s systèmes efficaces d’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s utilisateurs et<br />
intervenants. Il f<strong>au</strong>t en effet définir, <strong>au</strong> préalable, les personnes et les institutions qui peuvent avoir<br />
accès <strong>au</strong>x données.<br />
Dans une certaine mesure, il est nécessaire <strong>de</strong> graduer les données et déterminer celles qui sont<br />
accessibles et par qui elles sont accessibles. A cet égard, le responsable du traitement est également<br />
tenu <strong>de</strong> séparer les données médicales <strong>de</strong>s <strong>au</strong>tres données administratives et comptables. Cette<br />
obligation relative à la gestion <strong>de</strong> l’accès doit avoir son pendant technique. (5)<br />
Conclusion<br />
Pour conclure et compte tenu du contexte, il semble indiqué que notre <strong>au</strong>torité <strong>de</strong> tutelle impose <strong>de</strong>s<br />
critères minimum <strong>de</strong> qualité pour ces outils informatiques, à prendre en compte, par exemple, dans les<br />
conditions d'agrément <strong>de</strong>s Services pour la prévention et la protection <strong>au</strong> travail.<br />
On pourrait même aller plus loin, par exemple en imposant une labellisation préalable <strong>de</strong>s logiciels<br />
proposés par les sociétés conceptrices et/ou une obligation <strong>de</strong> compatibilité <strong>de</strong>s données collectées afin<br />
qu’elles puissent être transmises d’un service à l’<strong>au</strong>tre lors <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> service par un<br />
employeur ou un travailleur ou encore lors <strong>de</strong> fusion <strong>de</strong> service !<br />
L'initiative du Ministère <strong>de</strong> la Santé Publique (Commission « Normes en matière <strong>de</strong> Télématique <strong>au</strong><br />
service du secteur <strong>de</strong>s Soins <strong>de</strong> Santé ». EMDMI) visant à créer un label d'agréation <strong>de</strong>s logiciels DMI<br />
(actuellement limité à la mé<strong>de</strong>cine générale) qui respectent un cahier <strong>de</strong>s charges prédéfini pourrait<br />
s’avérer intéressante.<br />
En effet, le service public fédéral Santé Publique a mis en place dès 1999 un groupe <strong>de</strong> réflexion pour<br />
le développement du traitement informatisé <strong>de</strong> l’information médicale composé <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />
généralistes et <strong>de</strong> développeurs <strong>de</strong> logiciels médic<strong>au</strong>x. Les critères <strong>de</strong> qualités édictés par ce groupe<br />
sont <strong>au</strong> nombre <strong>de</strong> 333. Des mesures politiques, juridiques, éthiques et économiques ont été mises en<br />
place pour permettre le développement du projet.<br />
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Libouton Dossier médical informatisé J Int Santé Trav 2010;1:1-8<br />
La labellisation est réalisée par étape, avec n critères <strong>de</strong> qualité à inclure et vérifiés lors <strong>de</strong> tests<br />
annuels. La labellisation est discutée avec les producteurs <strong>de</strong> logiciels et respecte tant que faire se peut<br />
leur capacité <strong>de</strong> développement.<br />
Le service public fédéral Emploi, <strong>Travail</strong> et Concertation sociale pourrait éventuellement s’inspirer <strong>de</strong><br />
cette démarche <strong>de</strong> labellisation.<br />
Références :<br />
(1) P.Valangendonck. Le dossier médical électronique : problèmes <strong>de</strong> vie privée et <strong>de</strong> Responsabilité.<br />
11/5/2000. http://www.droit-technologie.org .<br />
(2) P.Carlier. Dossier médical informatisé en mé<strong>de</strong>cine du travail : un défi ? Cahiers <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine du<br />
travail 1995; 32:129-31<br />
(3) J.Ménard, N. Postel-Vinay. L’ordinateur et la maladie <strong>de</strong> Sachs. Revue du praticien - Mé<strong>de</strong>cine<br />
générale 2000;14:1437.<br />
(4) G.Even. L’informatique est-elle compatible avec l’attention <strong>au</strong> sujet mala<strong>de</strong>. Santé conjuguée<br />
2005;33:66-70.<br />
(5) T. Verbiest, E.Wery. Le dossier médical informatisé : la délicate protection <strong>de</strong>s données<br />
personnelles. 28/7/2005. http://www.sixi.be.<br />
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