En tout verger, l'on peut voir la demeure parfaite - Centre de ...
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miribilia » du <strong>la</strong>tin c<strong>la</strong>ssique « mīrābilia » signifiant « choses admirables, étonnantes » etsur<strong>tout</strong> en <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> l’Église, « miracles » 1 . Le poète assisterait donc à un fait spectacu<strong>la</strong>ire parsa beauté et son intensité. Et cet « émerveillement » « oscille entre l’enchantement etl’étonnement » qui pousse le poète « à écrire ces pages enchanteresses. 2 » Cette sensation esttrès forte et l’on relève d’autres termes synonymes pour dire l’importance <strong>de</strong> cette expérience :« surpris » (p. 78), « une apparition » (p. 78), « ces apparitions » (p. 78) – substantif utiliséaussi dans le titre du texte Apparition <strong>de</strong>s fleurs – et « sour<strong>de</strong> jubi<strong>la</strong>tion » (p. 78). Ces motstraduisent à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> force dégagée et <strong>la</strong> joie ressentie lors <strong>de</strong> cet instant épiphanique connupar le poète. On pourrait croire d’ailleurs à une certaine impression mystique, impression viterepoussée puisque le poète préfère <strong>la</strong> beauté et <strong>la</strong> simplicité du mon<strong>de</strong> vivant : <strong>la</strong> nature, lesarbres, le <strong>verger</strong> qu’il présente dans B<strong>la</strong>son vert et b<strong>la</strong>nc comme « une salle si bien agencéepour le mariage <strong>de</strong> l’ombre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière que <strong>tout</strong> mariage humain <strong>de</strong>vrait s’y fêter, plutôtqu’en ces tombes que sont <strong>de</strong>venues tant d’églises. » (p. 34) Philippe Jaccottet <strong><strong>de</strong>meure</strong> dans leconcret du mon<strong>de</strong>, dans le réel sensible et son humilité. Et c’est bien cette approche du mon<strong>de</strong>qui lui apporte émerveillement, joie. Le terme <strong>de</strong> « joie » revient plusieurs fois sous <strong>la</strong> plume dupoète ; on le retrouve notamment au début <strong>de</strong> La Secon<strong>de</strong> Semaison :Au sortir d’un bois <strong>de</strong> chênes envahi par le buis et le lierre (comme par une pensée sévère,ténébreuse sinon funèbre) paraît, au creux d’une combe, un champ d’avoine : alors, <strong>de</strong>nouveau, un saisissement, un émerveillement, une joie, pourquoi 3 ?La joie est ici liée aux éléments <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, aux petits bonheurs comme les « épis veloutés 4 » <strong>de</strong>sroseaux, les « premiers bourgeons aux marronniers. Giroflées, anémones. 5 », à « <strong>la</strong> neige sur lemont Ventoux 6 » ou encore aux trois fleurs dont il est question dans ce texte, « séneçon, berce,chicorée » (p. 77) et elle se retrouve dans le poème que Jaccottet qualifie comme « un bref récitlégèrement solennel, psalmodié à <strong>de</strong>ux doigts au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. 7 » La joie suscite alors unquestionnement et motive en ce sens l’écriture : quel est ce « bonheur incompréhensible d’êtreau mon<strong>de</strong> » ? Pourquoi « en rece<strong>voir</strong> les dons, <strong>la</strong> beauté 8 » ? La joie est aussi liée à quelquechose d’originel, d’immémorial, comme le soulignent les premières lignes du Cahier <strong>de</strong>verdure :1 A<strong>la</strong>in Rey, Dictionnaire historique <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française, p. 1229-1230.2 Andreas Isenschmid, « Comme si l’on me hé<strong>la</strong>it par mon nom », traduction d’Agathe Mareuge, texte présent dansLe Combat inégal, Philippe Jaccottet, Grand Prix Schiller 2010, Genève, La Dogana, 2010, p. 42.3 Philippe Jaccottet, La Secon<strong>de</strong> Semaison, Carnets 1980-1994, Gallimard, NRF, 1996, p. 13.4 Philippe Jaccottet, La Semaison, Carnets 1954-1979, Gallimard, NRF, 1984, p. 12.5 Ibid., p. 19.6 Ibid., p. 47.7 Ibid.8 Sébastien Labrusse, « L’Épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie », Philippe Jaccottet, op. cit., p. 110.
Dans ces quelques pages, le lecteur assiste à <strong>la</strong> découverte <strong>voir</strong>e à <strong>la</strong> re-découverte dumon<strong>de</strong> simple, un mon<strong>de</strong> oublié, abandonné faute d’un quotidien toujours plus prenant. Onrencontre alors « une prairie fleurie » (p. 77), « les fleurs <strong>de</strong> cette prairie » (p. 78) puis« uniquement <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> trois couleurs : bleu, jaune et b<strong>la</strong>nc » (p. 78). Le regard se resserreprogressivement afin <strong>de</strong> saisir les éléments au plus près <strong>de</strong> leur réalité. Les fleurs sont alorsnommées : « J’avais donc rapi<strong>de</strong>ment i<strong>de</strong>ntifié, dans ces fleurs, <strong>la</strong> bleue : <strong>la</strong> chicorée sauvage, et<strong>la</strong> jaune : le séneçon ; quant à <strong>la</strong> b<strong>la</strong>nche, une ombellifère, ma science étant plus hésitante. » (p.79) La nomination aussi scientifique soit-elle, et en ce<strong>la</strong> appropriée, ne satisfait pas le poète quisouhaite rendre plus précis son regard sur <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong>s couleurs. C’est pourquoiméthodiquement chaque couleur est donnée par un système <strong>de</strong> comparaisons, « Ce bleu étaitcomme du ciel ; et là, dans <strong>la</strong> prairie, c’était du ciel épars, qui aurait plu pendant <strong>la</strong> nuit, unerosée, <strong>de</strong>s morceaux d’air dans l’herbe. » (p. 80). Le jaune semble plus difficile à définir commesi <strong>la</strong> couleur vue avait quelque chose d’unique. La comparaison ne suffit donc plus à en rendrecompte et le poète en appelle à <strong>la</strong> négation, comme correctif et précision <strong>de</strong> son propre regard 1 :Quant au jaune qui s’y mê<strong>la</strong>it, s’y alliait, c’était un jaune comme il ne me semble pas qu’on envoie à beaucoup <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong>s champs, un jaune c<strong>la</strong>ir, rien que jaune, n’évoquant ni le soleil, nil’or, ni <strong>la</strong> paille ; presque fa<strong>de</strong>, presque insignifiant, c’est-à-dire sans aucun arrière-p<strong>la</strong>nperceptible, ni aucune profon<strong>de</strong>ur ; ne se <strong>la</strong>issant comparer à rien, n’ouvrant apparemment,lui, sur rien. Naïf ? à <strong>la</strong> rigueur. Fa<strong>de</strong> et naïf. M’en approcher ne m’avançait guère. (p. 80)À cette insatisfaction momentanée succè<strong>de</strong> <strong>la</strong> présentation du b<strong>la</strong>nc qui « était au fond plutôtquelconque, sans éc<strong>la</strong>t ni magie, presque terne ; simplement léger, porté légèrement à unecertaine hauteur, en couronnes prodiguées là sans grand faste par <strong>la</strong> nature. » (p. 80) PhilippeJaccottet nous donne donc à lire sa rencontre avec le mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> perception qu’il en a (<strong>la</strong>"conscience primaire") car sa poésie est synonyme <strong>de</strong> présence, présence du mon<strong>de</strong> etprésence au mon<strong>de</strong>, elle part d’une observation précise du réel. Selon Jean-Michel Maulpoix,« poète à sa fenêtre, Jaccottet considère attentivement son jardin (…), ou marche "à travers un<strong>verger</strong>", se promène "sous les arbres", al<strong>la</strong>nt et venant dans un mon<strong>de</strong> proche que d’aucunspourraient croire ennuyeux, mais dont il ne cesse <strong>de</strong> faire apparaître <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> lointains. 2 »Mais cette rencontre aussi émerveillée soit-elle ne reste pas à ce sta<strong>de</strong> car elle <strong>de</strong>vient unvéritable rapt.1 Philippe Hamon abor<strong>de</strong> d’ailleurs ce problème connu dans <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> décrire en par<strong>la</strong>nt d’"approximations »,d’image, <strong>de</strong> "circonlocutions".2 Jean-Michel Maulpoix, « Philippe Jaccottet, poète tardif », Philippe Jaccottet, op. cit., p. 161.
D’une rencontre émerveillée au ravissementoccurrences :Perséphone apparaît trois fois dans ces quelques pages. Nous donnons les troisPerséphone cueil<strong>la</strong>nt ces mêmes fleurs aurait été <strong>peut</strong>-être un moindre mystère. (p. 78-79)L’autre, où Perséphone fut engloutie alors qu’elle cueil<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s fleurs. (p. 80)Perséphone, fille <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre, cueil<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s fleurs quand le sol s’ouvrit sous ses beaux pas. (p. 83)Perséphone a un caractère envoûtant, mystérieux dans <strong>la</strong> mesure où elle appartient à <strong>la</strong> fois aumon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vivants et au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>En</strong>fers après son enlèvement par Hadès. Face au désespoir<strong>de</strong> sa mère, Déméter, Zeus envoie Hermès <strong>la</strong> chercher. Hadès obtient <strong>de</strong> <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>r six moisauprès <strong>de</strong> lui et les six autres mois <strong>de</strong> l’année, Perséphone retourne sur terre, auprès <strong>de</strong> samère 1 . Dans les trois phrases citées précé<strong>de</strong>mment figure l’énigme <strong>de</strong> cette concomitance <strong>de</strong> <strong>la</strong>beauté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort : Perséphone l’incarne par son appartenance au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vivants et aumon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>En</strong>fers, le participe présent « cueil<strong>la</strong>nt », les <strong>de</strong>ux subordonnées, <strong>la</strong> concessivedébutant par « alors qu’elle » et <strong>la</strong> temporelle (ou l’expression <strong>de</strong> l’opposition) commençantpar « quand », expriment cet aller-retour entre <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> mort, entre <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s fleurs et <strong>la</strong>tristesse éprouvée pour cet ami mourant dans le texte Apparition <strong>de</strong>s fleurs. Et se produit unva-et-vient comme celui <strong>de</strong> Perséphone entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, celui du mon<strong>de</strong> visible et celui dumon<strong>de</strong> invisible, <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qui sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Jaccottet se trouvent réunis. Le poète lesdonne à <strong>voir</strong> dans leur globalité, dans leur rapprochement quelque peu paradoxal. Lamythologie avec le personnage <strong>de</strong> Perséphone fournit donc à Philippe Jaccottet l’exemple <strong>de</strong> cequ’il a vécu.Se dévoile alors le processus <strong>de</strong> l’acte d’écriture. Une réflexion sur le geste créateur luimêmeest donnée explicitement interrogeant son fonctionnement et son rapport au mon<strong>de</strong> car1 Rappel du mythe : « À l’insu <strong>de</strong> Déméter, Zeus l’avait promise à son frère Hadès. Tandis que <strong>la</strong> jeune fille cueil<strong>la</strong>itun jour <strong>de</strong>s fleurs dans <strong>la</strong> campagne en compagnie <strong>de</strong> ses compagnes et <strong>de</strong>s nymphes insouciantes, elle aperçut unbeau narcisse dont elle s’approcha et qu’elle cueillit. À cet instant, <strong>la</strong> terre s’entrouvrit, Hadès sortit <strong>de</strong> <strong>la</strong> crevasseet enleva sa nièce sur son char. Déméter, folle <strong>de</strong> douleur, car elle ne savait qui lui avait ravi sa fille, partit à sarecherche et erra le mon<strong>de</strong> pendant neuf jours et neuf nuits. Au bout <strong>de</strong> ce temps, le Soleil, ému, lui apprit le nomdu ravisseur. Pour se venger, Déméter quitta l’Olympe et cessa <strong>de</strong> faire fructifier <strong>la</strong> terre. Inquiet alors sur le sort<strong>de</strong>s mortels, Zeus envoya Hermès dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>En</strong>fers pour y chercher Perséphone et <strong>la</strong> ramener à sa mère,à <strong>la</strong> seule condition que, durant son séjour dans le mon<strong>de</strong> souterrain, elle n’eût rien mangé. Hadès, <strong>de</strong>vinant <strong>la</strong>ruse <strong>de</strong> Zeus, donna à son épouse <strong>de</strong>s grains <strong>de</strong> grena<strong>de</strong>. Ainsi, pensait-il, il pourrait gar<strong>de</strong>r Perséphone. Pourtant,le dieu fut obligé d’accepter un compromis. Perséphone ne resterait auprès <strong>de</strong> lui que six mois et <strong><strong>de</strong>meure</strong>raitl’autre moitié <strong>de</strong> l’année auprès <strong>de</strong> Déméter. La légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette divinité est facile à interpréter : Perséphone,enfermée dans les <strong>En</strong>fers, n’est autre que les grains <strong>de</strong> blé, ensevelis sous terre durant l’automne et l’hiver. Auretour du printemps et durant l’été, à <strong>la</strong> germination <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes correspond le retour <strong>de</strong> Perséphone auprès <strong>de</strong> samère, dont les mystères d’Éleusis symbolisent le caractère sacré. D’une manière générale, Perséphone <strong><strong>de</strong>meure</strong>avant <strong>tout</strong> <strong>la</strong> femme d’Hadès, <strong>la</strong> majestueuse reine <strong>de</strong>s Ombre, <strong>la</strong> mère <strong>de</strong>s terribles Érinyes. », Joël Schmidt,Dictionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> mythologie grecque et romaine, « Le Grand Livre du Mois », Larousse-Bordas, 1998, p. 165.
Ce Cahier <strong>de</strong> verdure est donc – comme son beau titre l’indique – un Cahier d’écolier c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stindont les <strong>de</strong><strong>voir</strong>s champêtres, en vers, en prose, se contestent et se brouillent les uns et lesautres 1 .Jaccottet ponctue ainsi fréquemment son texte <strong>de</strong> parenthèses ayant <strong>de</strong>s fonctions etsignifications différentes : « (Il faut dire les choses comme elles étaient, mais c’est là que lesdifficultés commencent. ») (p. 77-78) pour souligner <strong>la</strong> nécessité d’un vocabu<strong>la</strong>ire précis etapproprié, « (il n’y a pas d’autre mot, bien que l’usage ait tellement affaibli celui-ci, commemaint autre). » (p. 78) pour mettre en évi<strong>de</strong>nce l’utilisation défail<strong>la</strong>nte du vocabu<strong>la</strong>ire,« (J’aurais pu être tenté d’écrire aussi : <strong>de</strong>s papillons ; ou <strong>de</strong>s regards. Mais non.) » (p. 80) pourproposer une rectification dont sa pensée/écriture aurait pu bénéficier, ou encore « (C’étaient,je m’en avise, <strong>de</strong>s couleurs <strong>de</strong> mésanges, <strong>de</strong>s couleurs dites froi<strong>de</strong>s, portées par <strong>de</strong>s oiseauxd’hiver. Dont le nom rime avec ange, alors que ce sont <strong>de</strong> vrais petits ogres ailés, voraces etbatailleurs.) » (p. 82), pour apporter une précision. On note également l’utilisation du pronom« je » renvoyant au poète dans son acte d’écrire ou plutôt dans celui qui réfléchit à son travaild’écriture qu’il évalue : « J’avais donc rapi<strong>de</strong>ment i<strong>de</strong>ntifié », « Pour le poème, j’ai choisi "berce"parce que ce pouvait être exact », « Nommer simplement ces trois noms en fin <strong>de</strong> poème, sansautre explication, je pouvais à <strong>la</strong> rigueur espérer que ce<strong>la</strong> fît l’effet d’une formule magique »,« Je ne pouvais en rester à <strong>la</strong> botanique ou à <strong>la</strong> fausse magie. », « Et si je ne nommais aucontraire que les couleurs, je faisais <strong>de</strong> <strong>la</strong> peinture sans les moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> peinture, et necommuniquais rien non plus <strong>de</strong> l’essentiel. » (p. 79) Comme le remarque Jean-Marc Sourdillon,« Quand on tient le mot, c’est <strong>la</strong> réalité qui échappe ; quand on saisit l’événement, ce sont lesmots qui font défaut. Ce lien est précisément <strong>la</strong> raison d’être <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie : ce qui à <strong>la</strong> foismotive et justifie <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> parole. 2 » <strong>En</strong> outre, Philippe Jaccottet ne sépare pas <strong>la</strong> vue <strong>de</strong>l’écriture, <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> décou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> première :Je ne comprenais donc toujours rien, je ne pouvais toujours rien dire. Écrire seulement « jaune,bleu, b<strong>la</strong>nc », c’eût été faire flotter un drapeau là où il n’y avait que du multiple, du mêlé, dupresque insignifiant, <strong>de</strong> l’épars ; une vague rumeur. (p. 81)Et cette « rumeur <strong>de</strong> <strong>tout</strong>es choses », pour reprendre le titre d’une œuvre <strong>de</strong> Pierre Chappuis, ne<strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas seulement à être transcrite sur <strong>la</strong> feuille b<strong>la</strong>nche mais à être explorée, exploitée, àêtre prise avec soi. C’est pourquoi <strong>la</strong> simple transcription du coloris n’étant pas satisfaisante, lepoète cherche à rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong> ces fleurs et <strong>de</strong>s fleurs elles-mêmes en ayantrecours au système analogique, « une petite fête <strong>de</strong> fleurs, une fête d’enfants : quelque chose <strong>de</strong>1 Jérôme Thélôt, « L’ignorance à l’infini », Philippe Jaccottet, op. cit., p. 218.2 Jean-Marc Sourdillon, « L’événement <strong>de</strong> février », Philippe Jaccottet, op. cit., p. 107.
(p. 81) semblent nous autoriser à utiliser ce terme qui permet <strong>de</strong> <strong>voir</strong> <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>la</strong> voixpoétique dans son approche et sa compréhension du réel.De <strong>la</strong> rencontre du mon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> rencontre ontologique <strong>de</strong> l’être jaccottetienSi le "je" intervient en se montrant en train <strong>de</strong> réfléchir à son propre geste créateur et àson approche du réel, c’est aussi un moyen <strong>voir</strong>e une occasion <strong>de</strong> s’interroger sur lui-même :Je comprenais <strong>de</strong> moins en moins notre sort ; au fond, je ne comprenais plus rien à rien. Pirequ’ignorant, trente ans après que je m’étais ainsi qualifié : ignare, imbécile. (p. 77)<strong>En</strong> plus <strong>de</strong>s termes connotant une sorte <strong>de</strong> négativité, « moins », « rien », « ne…plus », lesadjectifs « ignorant », « ignare », « imbécile » suggèrent le désespoir du poète déjà exprimédans le poème <strong>de</strong> <strong>la</strong> page 56 où nous retrouvons le mot « ignare » mais également dans unpoème du recueil L’Ignorant réuni dans le volume Poésie aux éditions Poésie/Gallimard. Je lereproduis pour mémoire :L’IGNORANTPlus je vieillis et plus je croîs en ignorance,plus j’ai vécu, moins je possè<strong>de</strong> et moins je règne.Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tourenneigé ou bril<strong>la</strong>nt, mais jamais habité.Où est le donateur, le gui<strong>de</strong>, le gardien ?Je me tiens dans ma chambre et d’abord je me tais(le silence entre en serviteur mettre un peu d’ordre),et j’attends qu’un à un les mensonges s’écartent :que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourantqui l’empêche si bien <strong>de</strong> mourir ? Quelle forcele fait encor parler entre ses quatre murs ?Pourrais-je le sa<strong>voir</strong>, moi l’ignare et l’inquiet ?Mais je l’entends vraiment qui parle, et sa parolepénètre avec le jour, encore que bien vague :« Comme le feu, l’amour n’établit sa c<strong>la</strong>rtéque sur <strong>la</strong> faute et <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s bois en cendres… 1 »Sans faire une lecture détaillée <strong>de</strong> ce texte et sans revenir sur <strong>la</strong> figuration du sujet lyrique, lethème <strong>de</strong> l’ignorance montre <strong>peut</strong>-être le désespoir du poète mais également <strong>la</strong> manière dont ileffectue son approche du mon<strong>de</strong> puisqu’il cherche à « expliquer cet émerveillement » face àl’"apparition <strong>de</strong>s fleurs" dans <strong>la</strong> prairie. Ces fleurs et leur tourbillonnement provoquent une1 Philippe Jaccottet, « L’ignorant », L’ignorant, Poésie 1946-1967, Gallimard, NRF, Poésie/Gallimard, 1971, 2003, p.63.
sensation difficile à supporter chez le poète qui se sent pris par ce mon<strong>de</strong> qu’il ne parvient pasà comprendre dans sa totalité :Aujourd’hui, j’étais amené à dire l’inverse, qu’un éparpillement <strong>de</strong> fleurs répondait à mondégoût, à ma peur <strong>de</strong> l’enfer où l’homme est parfois jeté, l’absorbait, ainsi qu’une vive lumièreabsorbe certains jours les montagnes. (p. 82)Et dans cette phase ne <strong><strong>de</strong>meure</strong> que le doute :Le vieil homme n’a pas survécu longtemps à ces fleurs apparues. Naturellement, elles ne l’ontpas sauvé, elles ne nous ont pas consolés, elles ne sauveront ni ne consoleront personne. Nuln’échappe au déclin dans <strong>de</strong>s visions. Les saints pourrissent comme nous autres. C’est aumoins une certitu<strong>de</strong>. Et pourtant… (p. 83)Le poète est donc face à son propre ma<strong>la</strong>ise d’ignorance, d’incompréhension ne parvenant pasà a<strong>voir</strong> une vision globale du mon<strong>de</strong>. Toute cette trajectoire apparaît ainsi dans ces quelquespages avant que <strong>la</strong> figure <strong>de</strong> l’"autre" ne lui apporte ai<strong>de</strong>.La présence <strong>de</strong> l’"autre" paraît alors indispensable pour dire le mon<strong>de</strong> et se dire. Outrel’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> figure <strong>de</strong> Perséphone et le renvoi intertextuel à ses propres textes avec <strong>la</strong>mention <strong>de</strong> l’« ignare », <strong>de</strong> l’« imbécile », <strong>de</strong> l’« ignorant », Philippe Jaccottet fait appel àHöl<strong>de</strong>rlin – Jaccottet a traduit ses textes – pour se rassurer face au fonctionnement mystérieuxdu mon<strong>de</strong> et à l’éc<strong>la</strong>tement d’une certaine pureté qui reste encore à découvrir : « Höl<strong>de</strong>rlin aécrit que <strong>tout</strong> ce qui jaillit pur, en pureté, <strong>tout</strong> pur surgissement est énigme. » (p. 84) Jaccottetmentionne explicitement le texte d’Issa, poète japonais du XIX e siècle, considéré comme l’un<strong>de</strong>s quatre maîtres c<strong>la</strong>ssiques du haïku japonais :<strong>En</strong> ce mon<strong>de</strong> nous marchonssur le toit <strong>de</strong> l’enferet regardons les fleurs. (p. 84)Ces <strong>de</strong>ux références installent un dialogue entre les différents textes. Elles interviennent à <strong>la</strong> findu texte Apparition <strong>de</strong>s fleurs et donnent <strong>tout</strong> leur sens au premier mot du titre. On le saitPhilippe Jaccottet a traduit un ensemble <strong>de</strong> Haïku, recueil paru chez Fata Morgana et Höl<strong>de</strong>rlinest une découverte parmi d’autres – Rilke, Ramuz, Rimbaud, Mal<strong>la</strong>rmé. Ses textes révèlent àJaccottet que « <strong>la</strong> poésie pouvait être non pas même <strong>la</strong> quête, mais plus simplement l’accueil <strong>de</strong>certains signes venus du <strong>de</strong>hors, par surprise, mais reçus au plus profond <strong>de</strong> soi, comme lesflèches <strong>de</strong> l’amour ; signes précieux entre tous, dès lors qu’ils semb<strong>la</strong>ient donner à notremon<strong>de</strong>, et à notre vie dans ce mon<strong>de</strong>, contre <strong>tout</strong> désespoir, une espèce <strong>de</strong> sens… 1 » Le poète aévolué dans son parcours et dans son approche du mon<strong>de</strong> puisque l’ignorance semble a<strong>voir</strong>cédé sa p<strong>la</strong>ce à un sentiment d’« étrangeté », « L’étrangeté <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>, sans trace1 Philippe Jaccottet, « Le Combat inégal », Le Combat inégal, op. cit., p. 61.
d’étrangeté. » (p. 84) La formule au premier abord quelque peu ambigüe trouve son explicationdans le refus du poète <strong>de</strong> <strong>tout</strong>e transcendance religieuse, divine ou autre :Rien, sur<strong>tout</strong>, qui ressemble <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin aux esprits toujours plus ou moins troubles oudérisoires qu’invoquent les occultismes, aux fantômes, aux démons. Pas <strong>de</strong> culte, pas <strong>de</strong> rite,même s’ils peuvent, s’ils ont pu ai<strong>de</strong>r, autrement. Ni ascèse, ni transe, ni extase. (p. 83-84)Si Philippe Jaccottet accepte un certain détachement <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> « l’invisible, ou[du] dérobé » (p. 83), il cherche son explication au sein du réel sensible comme l’expliquePierre Chappuis à partir d’une citation <strong>de</strong> Airs :« je crois que j’ai bu l’autre mon<strong>de</strong> » –, non <strong>de</strong> nous arracher à l’ici, mais, fragmentairement, à<strong>la</strong> faveur d’une sorte <strong>de</strong> déhiscence, <strong>de</strong> faire subir à <strong>la</strong> réalité environnante un é<strong>la</strong>rgissementintérieur dont il ne saurait être rendu compte autrement qu’allusivement par <strong>de</strong>s termes assezvagues bâtis sur une négation, l’Infini, l’Illimité, l’Insaisissable, rarement (plus rarement àmesure qu’on avance dans l’œuvre, et sans majuscule) le divin, comme si, du retrait <strong>de</strong>s dieux(notons le pluriel), <strong>tout</strong>e trace n’avait pas disparu absolument, <strong>de</strong> même que subsiste ousubsisterait, en creux – paysages avec figures absentes –, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s nymphes, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>mi-dieuxqui autrefois peup<strong>la</strong>ient les pays méditerranéens.<strong>En</strong> aucun cas il ne s’agit <strong>de</strong> transcendance, mais d’une présence éprouvée au sein <strong>de</strong>s choses, à<strong>la</strong> fois <strong>tout</strong>e proche et dérobée 1 .Alors <strong>la</strong> pureté dont par<strong>la</strong>it Höl<strong>de</strong>rlin et <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> l’enfer au sein du mon<strong>de</strong> selon Issapermettent <strong>de</strong> comprendre le fonctionnement du réel sensible animé d’un perpétuelmouvement non visible à l’œil nu mais présent au sein <strong>de</strong>s choses et que <strong>la</strong> sensibilité du poèteperçoit dans les éléments du réel :Il y aurait une circu<strong>la</strong>tion invisible manifestée ainsi par <strong>de</strong>s signes ; les signes seraient frêles,comme nous sommes friables, mais <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion continuerait au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>tout</strong>e espèce <strong>de</strong>cassure. (p. 84)Dans un premier temps, nous avions lu l’analogie comme un besoin, une nécessité. Elle serévèle être ici une sorte d’automatisme se réalisant dans l’intime conscience du poète par uneffet <strong>de</strong> transposition. Les fleurs et le contenu <strong>de</strong> leur couleur sont donc restitués sans aucuneexplication, dans une nomination pure comme le suggère l’utilisation <strong>de</strong>s nominales les plusbrèves qui soient :Fontaine. Soleil c<strong>la</strong>ir, soleil écolier. Et ce matin, pas le moindre reflet <strong>de</strong> sang ou <strong>de</strong> feu, pas <strong>la</strong>moindre colère, pas <strong>la</strong> plus petite tentation ! Fontaine, au premier soleil.Mésanges désormais apaisées. (p. 85)Si <strong>la</strong> négation est utilisée successivement par <strong>la</strong> répétition <strong>de</strong> l’adverbe « pas », ce n’est paspour dire l’absence, le résultat d’une quelconque ignorance mais bien plutôt pour montrerl’apaisement que le poète a trouvé dans son rapport au mon<strong>de</strong>, dans sa compréhension, dans <strong>la</strong>1 Pierre Chappuis, « Humainement par<strong>la</strong>nt », Le Combat inégal, op. cit., p. 25-26.
connaissance <strong>de</strong> soi en tant que poète du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s "petites choses", en tant qu’être vivant.Cette démarche souligne aussi le renoncement à l’écriture artiste : Philippe Jaccottet préfèrel’explication rationnelle qui lui permet <strong>de</strong> restituer les choses dans leur nomination pure. Les<strong>de</strong>rniers mots <strong>de</strong> ce texte sont remplis une fois <strong>de</strong> plus par l’humilité et par <strong>la</strong> justesse dont faitpreuve Jaccottet face à sa propre écriture, face à sa rencontre émerveillée du mon<strong>de</strong>.L’élément-nature que sont « les fleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> prairie » l’a révélé à lui-même, l’a apaisé <strong>de</strong> sonpropre tourment d’incompréhension et <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine procurée par l’« ami (…) en train <strong>de</strong>mourir » (p. 77). Le poète nous fait partager généreusement et sensiblement sa découvertecomme si l’« on pouvait à nouveau abor<strong>de</strong>r simplement les choses du mon<strong>de</strong> sans abandonnerles expériences profon<strong>de</strong>s, [comme si] l’on pouvait rétablir un dialogue exaltant entre le texteet ses lecteurs » 1 . Relisons enfin ces <strong>de</strong>rniers mots :Une part invisible <strong>de</strong> nous-mêmes se serait ouverte en ces fleurs. Ou c’est un vol <strong>de</strong> mésangesqui nous enlève ailleurs, on ne sait comment. Trouble, désir et crainte sont effacés, un instant ;mort est effacée, le temps d’a<strong>voir</strong> longé un pré. (p. 85)Ils ne font que confirmer <strong>la</strong> très belle phrase <strong>de</strong> Michel Collot qui déc<strong>la</strong>re que « l’expériencepoétique, nous détournant <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s préoccupations quotidiennes, nous rend ausentiment nu <strong>de</strong> notre présence au mon<strong>de</strong> 2 ». Cette « part invisible » que mentionne PhilippeJaccottet est aussi <strong>peut</strong>-être l’infini que les choses elles-mêmes donnent à <strong>voir</strong>, l’autre façon <strong>de</strong>nommer ce qu’il évoque au début du Cahier <strong>de</strong> Verdure en ces termes :Je me suis dit (et je me le redirai plus tard <strong>de</strong>vant les mêmes arbres en d’autres lieux) qu’iln’était rien <strong>de</strong> plus beau, quand il fleurit, que cet arbre-là [un cognassier]. J’avais <strong>peut</strong>-êtreoublié les pommiers, les poiriers <strong>de</strong> mon pays natal.Il paraît qu’on n’a plus le droit d’employer le mot beauté. C’est vrai qu’il est terriblement usé.Je connais bien <strong>la</strong> chose, pourtant. (p. 27)1 Fabio Puster<strong>la</strong>, « Promena<strong>de</strong> sur une colline », Le Combat inégal, op. cit., p. 34.2 Michel Collot, « Expérience poétique et expérience <strong>de</strong> l’horizon », La Poésie française au tournant <strong>de</strong>s années 80,textes réunis et présentés par Philippe De<strong>la</strong>veau, José Corti, 1988, p. 45.
Le mercredi 28 juillet, Robert Marteau note, dans Journal du Saint Laurent, « <strong>la</strong> science<strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité ne <strong>peut</strong> venir que <strong>de</strong> l’émotion 1 ». Cette <strong>de</strong>rnière est toujours là, <strong>peut</strong>-êtreencore plus intense, et sur<strong>tout</strong> grandie d’a<strong>voir</strong> été partagée, d’a<strong>voir</strong> été mise en mots, d’a<strong>voir</strong>été expliquée. Philippe Jaccottet parvient en effet à nous montrer <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s "petites choses"du mon<strong>de</strong> réel comme « l’épanouissement <strong>de</strong> rose et <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nc autour du pollen, dupoudroiement doré du soleil » (p. 107), à se montrer, avec beaucoup <strong>de</strong> simplicité et d’humilité,comme l’être découvrant le mon<strong>de</strong>, comme le poète faisant l’expérience <strong>de</strong> mots qui ne lesatisfont pas et sur lesquels il faut revenir, comme l’homme faisant aussi simultanément <strong>la</strong>rencontre <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine, du désarroi, <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort imminente d’un ami et celle du bonheur, unbonheur résidant <strong>tout</strong> simplement, mais avec quelle force, dans <strong>la</strong> beauté fragile et éphémèreque peuvent donner <strong>de</strong>s « fleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> prairie » capables <strong>de</strong> repousser l’idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort et sonnéant. Robert Marteau, lui, en parle en ces termes : « Nous sommes un instant lieu <strong>de</strong> passageet forme provisoire du fleuve qui sans cesse surgit et sans fin se noie. », (samedi 14 août, p. 75)Il est aussi <strong>peut</strong>-être temps avant <strong>de</strong> conclure définitivement d’expliquer <strong>la</strong> raison du titredonné à cette étu<strong>de</strong> : « <strong>En</strong> <strong>tout</strong> <strong>verger</strong>, l’on <strong>peut</strong> <strong>voir</strong> une <strong><strong>de</strong>meure</strong> <strong>parfaite</strong> ». Le « <strong>verger</strong> »renvoie à l’intérêt que Jaccottet porte à ce lieu, à ces arbres en fleurs (les pommiers, lespêchers, les cerisiers, les cognassiers ou encore les amandiers qui figurent à l’ouverture <strong>de</strong> Àtravers un <strong>verger</strong>), et le nom « <strong><strong>de</strong>meure</strong> » suggère pour moi l’invitation constammentrenouvelée et toujours aussi envoûtante que le lecteur a <strong>de</strong> franchir cette porte qu’est l’œuvremagnifique <strong>de</strong> ce poète où « <strong>tout</strong> est lié, <strong>tout</strong> se tient, <strong>tout</strong> tient ensemble, comme au premierjour » (p. 111), comme à <strong>la</strong> première lecture. Et nous <strong>la</strong>isserons les mots <strong>de</strong> Philippe Jaccottetterminer cette lecture et nous ne leur apporterons aucune explication, <strong>la</strong>issant chacunsavourer <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers qui amènent à une réelle méditation, « qui se <strong>la</strong>isse[nt]comprendre, qui [sont] lisible[s] par tous 2 », selon Jean-Pierre Vidal, et qui rappellent – en a-tonvraiment besoin ? – <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> lire <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, d’échanger à son sujet :Du moins quiconque écrit ou lit encore ce qu’on appelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie nourrit-il <strong>de</strong>s intuitionsanalogues ;tellement intempestives qu’il se prend quelquefois pour un dérisoire survivant.Ce qui est vu autrement, ce qui est vu, en quelque sorte, <strong>de</strong> l’intérieur <strong>de</strong> nous-mêmes, bien quevu au-<strong>de</strong>hors, semble rejoindre en nous ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime, ou ne se révéler <strong>tout</strong>entier qu’au plus intime <strong>de</strong> nous.Dans cette affaire, <strong>tout</strong>es les apparences sont contre nous. Il n’y a pour ainsi dire aucun espoir<strong>de</strong> les prendre en défaut ; sauf, justement, quand certaines d’entre elles pénètrent ainsi en1 Robert Marteau, Fleuve sans fin. Journal du Saint Laurent, La Table ron<strong>de</strong>, 1994, p. 67.2 Jean-Pierre Vidal, « Le poète, un "maître spirituel" ? (Erreurs et bonheurs d’un lecteur <strong>de</strong> poésie) », PhilippeJaccottet, op. cit., p. 67.
nous et suivent en nous ces beaux chemins. (p. 190)