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Serrer la vis ou changer d'outils ? Les sanctions à l'école et ailleurs

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<strong>Serrer</strong> <strong>la</strong> <strong>vis</strong> <strong>ou</strong> <strong>changer</strong> d’<strong>ou</strong>tils ?<strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong> l’école <strong>et</strong> <strong>ailleurs</strong>S<strong>ou</strong>s <strong>la</strong> coordination de Benoît Ga<strong>la</strong>ndOctobre 2008Avec le s<strong>ou</strong>tien du Service de l’Éducation Permanente,Direction Générale de <strong>la</strong> Culture de <strong>la</strong> Communauté FrançaiseCGé asbl - Chaussée de Haecht, 66 - 1210 Bruxelles - Tél.: 02/2183450 <strong>ou</strong> 02/2233857 - Fax: 02/2184967c<strong>ou</strong>rriel : info@changement-egalite.be - site intern<strong>et</strong> : www.changement-egalite.beN° Compte : 000-0325295-541


SommaireIntroduction p.5Benoît Ga<strong>la</strong>ndChapitre 1 : Quand l’école s’interroge p.7Annick BonnefondChapitre 2 : À <strong>la</strong> recherche d’alternatives p.18Benoît Ga<strong>la</strong>ndChapitre 3 : Des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> « éducatives » ? p.20Danielle M<strong>ou</strong>rauxChapitre 4 : Mais comment font-ils ? p.29Benoît Ga<strong>la</strong>ndChapitre 5 : Travailler collectivement <strong>à</strong> partir d’un incident critique p.35Anne ChevalierConclusion p.40Benoît Ga<strong>la</strong>ndAppendices p.42www.changement-egalite.be 2


Liste des appendicesI. Poser le problèmeSocialisation par l’absurdeBenoît JadinParer <strong>ou</strong> réparer ?Françoise de BurgesVoler de ses propres ailesStéphane LambertDes obligés sco<strong>la</strong>iresC<strong>la</strong>ude PrignonDroits parents, par endroitsNatalie RassonJ’ai l’droit !Marie-France DuflotII. M<strong>et</strong>tre en œuvreDites-moi d’obéir !L<strong>ou</strong>is Ber<strong>la</strong>nTriangle <strong>à</strong> trois voixStéphane LambertLe conseil en 4 e professionnelleIsabelle BergEt si on leur <strong>la</strong>issait le p<strong>ou</strong>voir ?Alexandra PaulSauter du 9 ème étage !Laurence HenrardCe n’est pas au « bon p<strong>la</strong>isir » de …Edith HévelineQui socialiser ?Stéphane LambertS’abîmer dans ses peurs <strong>ou</strong> devenir auteurNoëlle De Sm<strong>et</strong>Règles <strong>et</strong> procéduresA<strong>la</strong>in Desmar<strong>et</strong>swww.changement-egalite.be 3


RemerciementsMême si leurs noms ne figurent pas parmi les auteurs des chapitres, c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage n’aurait pasété possible sans <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration <strong>et</strong> l’enth<strong>ou</strong>siasme de Salima Brahimi, Sandrine Dochain <strong>et</strong>Benoît Roosens. Merci <strong>à</strong> Anne Deroitte p<strong>ou</strong>r sa relecture attentive.Merci <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>tes les personnes qui ont accepté de n<strong>ou</strong>s rencontrer <strong>et</strong> pris le temps de n<strong>ou</strong>s parlerde leur travail.www.changement-egalite.be 4


IntroductionBenoît Ga<strong>la</strong>nd« Il faut frapper plus fort ! » Voil<strong>à</strong> qui p<strong>ou</strong>rrait peut-être résumer certains disc<strong>ou</strong>rs bien dansl’air du temps <strong>à</strong> propos de l’éducation <strong>et</strong> des jeunes. La peur de punir <strong>et</strong> le <strong>la</strong>xisme des<strong>sanctions</strong> seraient <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>rce des défis éducatifs que posent auj<strong>ou</strong>rd’hui les « jeunes » <strong>à</strong> nossociétés vieillissantes. Derrière ses amalgames d<strong>ou</strong>teux <strong>et</strong> ses panoplies d’idées fausses (Fize,2007 ; Nagels & Réa, 2007 1 ), ce genre de disc<strong>ou</strong>rs est sans d<strong>ou</strong>te révé<strong>la</strong>teur d’uneinterrogation profonde sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, le rôle <strong>et</strong> <strong>la</strong> forme de <strong>la</strong> sanction en éducation, <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’écoleen particulier.De fait, l’exclusion sco<strong>la</strong>ire, forme ultime de <strong>la</strong> sanction <strong>à</strong> l’école, interpelle de plein f<strong>ou</strong><strong>et</strong> lerôle des enseignants 2 <strong>et</strong> les missions de l’école (Royer, 1995 3 ). Entre <strong>la</strong> tentation de sedébarrasser de ce(ux) qui dérange(nt) <strong>et</strong> <strong>la</strong> nécessité d’instaurer des limites, <strong>la</strong> frontière ests<strong>ou</strong>vent précaire <strong>ou</strong> <strong>à</strong> réinventer. En amont, beauc<strong>ou</strong>p d’enseignants partagent un certainma<strong>la</strong>ise <strong>et</strong> une insatisfaction face aux <strong>sanctions</strong> sco<strong>la</strong>ires, pris entre le rêve d’une autorité« al<strong>la</strong>nt de soi » <strong>et</strong> le constat d’inefficacité des punitions. De leur côté, des élèves <strong>et</strong> desparents naviguent entre désarroi <strong>et</strong> contestation face <strong>à</strong> des décisions sco<strong>la</strong>ires perçues commearbitraires <strong>ou</strong> excessives. Quant aux intervenants sociaux extérieurs <strong>à</strong> l’école, nombre d’entreeux s’étonnent de ne pas avoir été sollicités plus rapidement p<strong>ou</strong>r prévenir l’esca<strong>la</strong>de, sedisent frappés par <strong>la</strong> difficulté du monde sco<strong>la</strong>ire <strong>à</strong> accepter une démarche d’éc<strong>ou</strong>te <strong>et</strong>constatent les dégâts entraînés par certaines <strong>sanctions</strong> (Ga<strong>la</strong>nd, <strong>à</strong> paraître 4 ). En écho, denombreux enseignants s’estiment peu <strong>ou</strong>tillés <strong>et</strong> peu s<strong>ou</strong>tenus dans les nombreux rôles dontils se sentent investis.A l’école <strong>et</strong> <strong>ailleurs</strong>, les interrogations aut<strong>ou</strong>r de <strong>la</strong> sanction sont donc multiples (Garapon,2003 5 ) : Comment intégrer positivement <strong>la</strong> sanction dans l'acte éducatif ? Comment éviter de"faire payer" <strong>et</strong> sortir du sentiment de vengeance ? Qu’est-ce qu’éduquer <strong>à</strong> partir de l’erreur ?Comment punir sans exclure ? Quel message envoient les élèves <strong>à</strong> travers leurscomportements ? Dans quelle mesure <strong>et</strong> de quelle manière est-il judicieux de mêler les parentsaux <strong>sanctions</strong> sco<strong>la</strong>ires ? Comment se situer face aux tentations répressives présentesauj<strong>ou</strong>rd'hui dans les disc<strong>ou</strong>rs politiques <strong>et</strong> médiatiques ? Etc.Au regard de l’importance de ces questions, il est étonnant de constater que l’on sait assez peude choses sur les <strong>sanctions</strong> effectivement mises en œuvre <strong>à</strong> l’école. Il existe plusieurs analyses<strong>et</strong> modèles théoriques de qualité sur ce suj<strong>et</strong>, s<strong>ou</strong>vent assortis de recommandations (Charles,1 Fize, M. (2007). Le livre noir de <strong>la</strong> jeunesse. Paris : La Renaissance.Nagles, C. & Réa, A. (2007). Jeunes <strong>à</strong> perpète. Génération <strong>à</strong> problèmes <strong>ou</strong> problème de générations ? L<strong>ou</strong>vain<strong>la</strong>-Neuve: Academia Bruy<strong>la</strong>nt.2 Afin d’alléger le texte, <strong>la</strong> forme masculine a été r<strong>et</strong>enue <strong>la</strong> plupart du temps dans c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage.3 Royer, E. (1995). Behavi<strong>ou</strong>r disorders, exclusion and social skills: Punishment is not education. TherapeuticCare and Education, 4, 32-36.4 Ga<strong>la</strong>nd, B. (Coord.) (<strong>à</strong> paraître fin 2008). Réinventer l’autorité <strong>à</strong> l’école. Charleroi : C<strong>ou</strong>leur livres.5 Garapon, A. (dir.) (2003). Quelle autorité ? Paris : Hach<strong>et</strong>te.www.changement-egalite.be 5


1997 ; Defrance, 2001 ; Prairat, 1997 ; Traube, 2002 6 ). Mais les études concernant ce qui sepasse réellement dans les écoles sont très rares (Debarbieux, 1999 ; D<strong>ou</strong><strong>et</strong>, 1989 7 ). Le proj<strong>et</strong>de c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage est justement de partir de ce qui se fait <strong>et</strong> se vit. Pas p<strong>ou</strong>r dénoncer – commec’est s<strong>ou</strong>vent le cas – les problèmes <strong>et</strong> dérives possibles des pratiques sco<strong>la</strong>ires existantes,mais plutôt p<strong>ou</strong>r repérer des pratiques qui semblent porteuses d’un mieux vivre ensemble.Faut-il p<strong>ou</strong>r ce<strong>la</strong> serrer <strong>la</strong> <strong>vis</strong>, <strong>ou</strong> d’autres manières de faire perm<strong>et</strong>tent-elles d’y arriver ?Notre objectif est donc d<strong>ou</strong>ble : d’une part, expliciter certaines difficultés concernant lesrègles <strong>et</strong> les <strong>sanctions</strong> rencontrées par des enseignants dans l’exercice de leur métier ; d’autrepart, identifier des pratiques des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> qui s<strong>ou</strong>tiennent <strong>la</strong> socialisation <strong>et</strong>l’apprentissage.Le premier chapitre de c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage s’intéresse <strong>à</strong> des situations concrètes vécues par desenseignants en lien avec les <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong> l’école. Il pointe les questions <strong>et</strong> les insatisfactionsque ce<strong>la</strong> suscite chez les enseignants <strong>et</strong> analyse les types de <strong>sanctions</strong> utilisés.<strong>Les</strong> trois chapitres qui suivent traitent d’une étude que n<strong>ou</strong>s avons menée auprès de personnesqui assurent <strong>la</strong> responsabilité de gr<strong>ou</strong>pe de jeunes, que ce soit <strong>à</strong> l’école <strong>ou</strong> en dehors del’école. Le but de c<strong>et</strong>te étude est d’identifier des pratiques des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> qui ontune certaine efficacité éducative. Le chapitre 2 présente brièvement <strong>la</strong> méthodologie adoptéedans c<strong>et</strong>te étude. Le chapitre 3 présente les principaux résultats qui émergent concernant lesmanières de rendre les règles <strong>et</strong> les <strong>sanctions</strong> « éducatives ». Enfin, le chapitre 4 tente decerner ce qui perm<strong>et</strong> <strong>la</strong> mise en œuvre de ces pratiques <strong>et</strong> aide <strong>à</strong> leur donner du sens.Le dernier chapitre de l’<strong>ou</strong>vrage propose une démarche – déj<strong>à</strong> expérimentée – p<strong>ou</strong>r réfléchircollectivement <strong>à</strong> ses pratiques <strong>et</strong> les faire évoluer si le besoin s’en fait sentir.Ces différents chapitres sont complétés par de nombreux appendices constitués de récits depratiques. T<strong>ou</strong>s ces récits ont été rédigés par des praticiens <strong>et</strong> publiés s<strong>ou</strong>s forme d’articlesdans <strong>la</strong> revue de ChanGements p<strong>ou</strong>r l’égalité (CGé, m<strong>ou</strong>vement socio-pédagogique pluraliste)entre 1995 <strong>et</strong> 2005. N<strong>ou</strong>s les avons sélectionnés, car ils illustrent de façon vivante, précise <strong>et</strong>concrète des situations <strong>et</strong> des pratiques évoquées dans les chapitres. Ils forment donc uncomplément précieux au texte principal. Ces articles sont organisés en deux parties. Lapremière, « Poser le problème », rassemble des récits montrant les difficultés <strong>et</strong> les questionsauxquelles les professionnels sont confrontés. La deuxième partie, « M<strong>et</strong>tre en œuvre »,regr<strong>ou</strong>pe des récits expliquant en détails l’une <strong>ou</strong> l’autre manière de faire expérimentée parleurs auteurs. T<strong>ou</strong>t au long du texte, des renvois sont suggérés vers les appendices.6 Charles, C.-M. (1997). La discipline en c<strong>la</strong>sse : Modèles, doctrines <strong>et</strong> conduites. Bruxelles : De Boeck.Defrance, B. (2001). Sanctions <strong>et</strong> discipline <strong>à</strong> l’école. Paris : Syros.Prairat, E. (1997). La sanction. P<strong>et</strong>ites méditations <strong>à</strong> l’usage des éducateurs. Paris : L’Harmattan.Traube, P. (2002). Eduquer, c’est aussi punir. Bruxelles : Labor.7 Debarbieux, E. (1999). La violence en milieu sco<strong>la</strong>ire : Le désordre des choses. Paris : ESF.D<strong>ou</strong><strong>et</strong>, B. (1989). <strong>Les</strong> punitions <strong>à</strong> l’école. In J.Berger<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., Quand <strong>et</strong> comment punir les enfants ? (pp.127-140). Paris : ESF.www.changement-egalite.be 6


Chapitre 1 : Quand l’école s’interrogeAnnick BonnefondQu’est-ce qui pose problème aux enseignants ? Que sanctionnent-ils, en vue de quoi <strong>et</strong>comment ? Telles sont les deux questions centrales auxquelles ce chapitre tente d’apporterune réponse.La réflexion développée dans ce chapitre est basée sur des situations de formation. Au c<strong>ou</strong>rsdes années 2004 <strong>à</strong> 2008, CGé est intervenu, dans les régions de Bruxelles, Liège <strong>et</strong> Mons,dans quatre écoles primaires <strong>et</strong> deux écoles de l’enseignement spécial, sur le thème des<strong>sanctions</strong>. Ces formations faisaient suite, en général, <strong>à</strong> d’autres portant sur les règles <strong>ou</strong> <strong>la</strong>gestion des conflits.L’analyse qui suit porte sur une trentaine de récits recueillis lors d’une d<strong>ou</strong>zaine de j<strong>ou</strong>rnéesde formation. Ils ont été sélectionnés en fonction des critères suivants : <strong>la</strong> situation décrite estinsatisfaisante ; il s’agit d’une situation précise, vécue personnellement par l’auteur <strong>ou</strong> dont i<strong>la</strong> été témoin. Au fil de ce chapitre, des encadrés reprennent des extraits de ces récits p<strong>ou</strong>rillustrer notre propos.Questions <strong>et</strong> insatisfactionsDes questionsAu départ des formations, les enseignants arrivent généralement avec un grand nombre dequestions. En voici un échantillon :Est-ce le rôle des enseignants de sanctionner ?Comment faire p<strong>ou</strong>r bien faire ?P<strong>ou</strong>rquoi faut-il encore faire les mêmes remarques ? Pas d’évolution au fil des ans…Comment ne pas prendre les <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> légère ?Comment punir objectivement ?Faut-il <strong>la</strong> même sanction p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s les enfants ? Faut-il moduler en fonction de <strong>la</strong>sensibilité ?Comment adapter les <strong>sanctions</strong> au niveau de compréhension des enfants ?Comment déterminer une échelle de <strong>sanctions</strong> ?Quelle gradation dans les <strong>sanctions</strong> avec les récidi<strong>vis</strong>tes ?Comment uniformiser les <strong>sanctions</strong> en fonction des niveaux <strong>et</strong> de <strong>la</strong> gravité des faits ?Comment choisir <strong>la</strong> sanction qui fera comprendre <strong>à</strong> l’enfant quelle règle il atransgressée ?Comment expliquer les différences d’attitude des enfants dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> sur <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r ?Qu’est-ce qui explique que certains enseignants <strong>la</strong>issent faire ?Comment faire p<strong>ou</strong>r être t<strong>ou</strong>s sur <strong>la</strong> même longueur d’onde ?La sanction doit-elle être immédiate ?Quels types de <strong>sanctions</strong> responsabilisantes ?Quelle p<strong>la</strong>ce p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> parole de l’enfant ?www.changement-egalite.be 7


Comment reconstruire le lien après <strong>la</strong> sanction ?Faut-il donner des punitions collectives ?Quelles structures créer p<strong>ou</strong>r se concerter une concertation en cas de renvoi <strong>ou</strong> deviolence grave ?Comment résister <strong>à</strong> <strong>la</strong> pression des parents (contre <strong>la</strong> sanction) ?Qui assure le suivi des <strong>sanctions</strong> ?Que faire lorsque les enfants ne font pas <strong>la</strong> sanction donnée ?Des situations insatisfaisantesLa consigne donnée aux enseignants p<strong>ou</strong>r écrire un récit est de se s<strong>ou</strong>venir d’une situationvécue en lien avec les <strong>sanctions</strong> <strong>et</strong> qui a <strong>la</strong>issé un sentiment d’insatisfaction. Que n<strong>ou</strong>s disentles enseignants de c<strong>et</strong>te insatisfaction ? Trois s<strong>ou</strong>rces principales d’insatisfactions ressortentdes récits.Impression d’impuissance <strong>et</strong> sentiment d’échec<strong>Les</strong> mêmes situations se répètent sans amélioration sensible malgré leurs multiplesinterventions. Ce<strong>la</strong> génère un sentiment d’impuissance <strong>et</strong> une grande <strong>la</strong>ssitude. <strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong>semblent inappropriées, inefficaces. Le fait de devoir sanctionner est s<strong>ou</strong>vent vécu comme unéchec personnel. C’est un acte pénible <strong>à</strong> poser p<strong>ou</strong>r l’adulte (p<strong>ou</strong>r un autre exemple, voir l<strong>et</strong>exte « Socialisation par l’absurde » en appendice).Le silence n’est pas respecté dans les rangs. Chaque j<strong>ou</strong>r, c’est <strong>à</strong> recommencer !Donner une punition : l’enfant fait <strong>la</strong> punition <strong>et</strong> recommence le lendemain !Un enfant ennuyait ses camarades de c<strong>la</strong>sse.Ces derniers ne savaient plus se concentrer sur leur travail.Après plusieurs avertissements <strong>et</strong> comme les remarques ne lui faisaient aucun eff<strong>et</strong>, j’ai isoléc<strong>et</strong> enfant hors de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, dans le c<strong>ou</strong>loir, sur un banc, t<strong>ou</strong>t seul.Il a continué <strong>à</strong> « embêter son monde » en par<strong>la</strong>nt plus fort <strong>ou</strong> en faisant des grimaces.Manque de cohérence <strong>et</strong> de cohésionFace <strong>à</strong> certaines situations, les enseignants se sentent démunis <strong>et</strong> seuls. Ils ont s<strong>ou</strong>ventl’impression de ne pas être s<strong>ou</strong>tenus par <strong>la</strong> hiérarchie, les collègues <strong>et</strong> surt<strong>ou</strong>t les parents. Ilsobservent une grande diversité entre eux dans leur façon de réagir face aux transgressions,infractions, comportements violents des enfants. En eff<strong>et</strong>, si <strong>la</strong> règle est <strong>la</strong> même p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s, <strong>la</strong>sanction, elle, se donne au cas par cas. Elle demande d’interpréter <strong>la</strong> gravité de <strong>la</strong>transgression <strong>et</strong> le niveau de responsabilité. Elle dépend du rapport de celui qui <strong>la</strong> donne <strong>à</strong> <strong>la</strong>loi <strong>et</strong> de son niveau de tolérance par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> transgression. Ce<strong>la</strong> génère chez lesenseignants un sentiment de perplexité. Ils ressentent confusément, au niveau individuel <strong>et</strong>entre eux, le besoin de plus de cohérence <strong>et</strong> de plus de cohésion (cf. les textes « Parer <strong>ou</strong>réparer » <strong>et</strong> « Voler de ses propres ailes », en appendice).On envoie chez <strong>la</strong> directrice un élève qui a été grossier <strong>et</strong> a frappé une institutrice. Ce<strong>la</strong>semble un motif « grave ». La directrice le gronde (1 minute) puis lui recommande de ne pasrecommencer. L’élève refait <strong>la</strong> même chose 2 j<strong>ou</strong>rs plus tard. Envoyé <strong>à</strong> n<strong>ou</strong>veau chez <strong>la</strong>directrice, il se fait gronder (gros doigt) <strong>et</strong> punir : 3 minutes assis sur une chaise en faced’elle.www.changement-egalite.be 8


J’ai eu l’an dernier un élève de 6 e particulièrement turbulent. Comme je donnaisinformatique, t<strong>ou</strong>s les enfants étaient heureux de venir s’amuser <strong>ou</strong> apprendre. Ce j<strong>ou</strong>r-l<strong>à</strong>, c<strong>et</strong>élève s’amusait <strong>à</strong> détruire le travail des autres sur leur ordinateur. Je n’ai pu faire que lerenvoyer dans sa c<strong>la</strong>sse de 6 e . Ce que je ne savais pas, c’est <strong>la</strong> sanction que son instit al<strong>la</strong>itprendre : il n’a plus pu venir en informatique pendant un mois.Un enfant est puni par un surveil<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> c’est moi qui dois assurer <strong>la</strong> sanction.Un enfant a été grossier avec <strong>la</strong> personne responsable du dîner. C<strong>et</strong>te personne vient m<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>ver <strong>à</strong> 13h30 p<strong>ou</strong>r que je punisse c<strong>et</strong> enfant en lui m<strong>et</strong>tant –1 en comportement.Peur de perdre l’am<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong> le p<strong>ou</strong>voirCertains épr<strong>ou</strong>vent une difficulté <strong>à</strong> sanctionner par crainte de se sentir rej<strong>et</strong>és par les enfants,ils évitent <strong>et</strong> cont<strong>ou</strong>rnent le problème (cf. « J’ai l’droit », en appendice). D’autres se sententdépossédés de leur p<strong>ou</strong>voir si un tiers intervient dans le règlement du problème <strong>à</strong> leur p<strong>la</strong>ce.Deux élèves de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs les mêmes, avaient fait de grosses bêtises dans les WC :uriner par terre, p<strong>la</strong>cer un r<strong>ou</strong>leau de papier WC dans <strong>la</strong> toil<strong>et</strong>te, dér<strong>ou</strong>ler un r<strong>ou</strong>leau depapier WC près des robin<strong>et</strong>s …. Ils se sont r<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>vés chez <strong>la</strong> directrice qui les a r<strong>et</strong>enus t<strong>ou</strong>tl’après-midi dans son bureau. <strong>Les</strong> mamans ont été interpellées par <strong>la</strong> directrice qui a priscomme décision <strong>la</strong> suppression de l’excursion p<strong>ou</strong>r ces deux enfants.Un besoin de formationP<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>tes ces raisons, on peut parler d’un certain ma<strong>la</strong>ise des enseignants par rapport <strong>à</strong> c<strong>et</strong>acte de sanctionner. Ils sentent le besoin de réfléchir <strong>à</strong> leur propre rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> loi <strong>et</strong> <strong>à</strong>l’autorité <strong>et</strong> aux sentiments que génère le fait de sanctionner, ils ont besoin de se m<strong>et</strong>tred’accord sur les règles, leur apprentissage <strong>et</strong> leur application <strong>et</strong> de se donner des critères p<strong>ou</strong>rréagir face aux transgressions. Ceci p<strong>ou</strong>r en<strong>vis</strong>ager <strong>la</strong> sanction d’un point de vue positifcomme une dimension de l’acte éducatif <strong>et</strong> en assumer personnellement <strong>et</strong> collectivement <strong>la</strong>responsabilité.Sanctions <strong>et</strong> transgressionsP<strong>ou</strong>r analyser les récits des enseignants n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s sommes inspirés de <strong>la</strong> grille é<strong>la</strong>borée parun gr<strong>ou</strong>pe de travail de CGé sur les transgressions. 8 Différents aspects <strong>et</strong> dimensions de <strong>la</strong>sanction ont été dégagés <strong>et</strong> repris dans le tableau 1. Ils sont commentés ci-dess<strong>ou</strong>s.Que fait-on quand on sanctionne ?Il s’agit d’abord de se m<strong>et</strong>tre d’accord sur le sens des mots <strong>et</strong> ce qu’ils rec<strong>ou</strong>vrent.Voici une liste de mots spontanément associés au mot « sanction » par les enseignants :8 Le résultat de ce travail est <strong>à</strong> lire dans le numéro 187 de <strong>la</strong> revue « Traces de changement », septembre 2008.www.changement-egalite.be 9


punition, châtiment, peine, brimades, frustration, limites, stop, rej<strong>et</strong>, amende, note,récompense, isolement, protection, privation, réflexion, juger, recadrer, r<strong>et</strong>enue, consigne,renvoi, exclusion, mesure, conséquence, remarque, menace, ignorance, réparation, agressivité,mal-être, dictionnaire, déclinaisons, tables de multiplication, mal au poign<strong>et</strong>, discussion,communication, coin, banc, mur, gros doigt, régl<strong>et</strong>te, bureau du directeur, pression, chantage,menace, indifférence, <strong>la</strong>xisme, enquête, récompense, (in)justice, incompréhension, punitiongénérale.Ces mots renvoient au rôle de <strong>la</strong> sanction, aux attitudes <strong>et</strong> aux émotions suscitées, aux moyensutilisés, aux dérives possibles… Autant d’aspects sur lesquels il est possible de s’arrêter.P<strong>ou</strong>r les enseignants, les <strong>sanctions</strong> servent <strong>à</strong> donner des repères, un cadre, des références, <strong>à</strong>poser des limites, des barrières, des frontières, <strong>à</strong> dire « non », <strong>à</strong> rétablir l’ordre <strong>et</strong> l’autorité, <strong>à</strong>faire respecter le règlement. Elles perm<strong>et</strong>tent aussi de se construire, de réfléchir, de rem<strong>et</strong>treles compteurs <strong>à</strong> zéro, de réparer.À propos des types de <strong>sanctions</strong>, c<strong>et</strong>te liste perm<strong>et</strong> de les situer sur une échelle qui va de <strong>la</strong>s<strong>ou</strong>mission avec parfois une volonté d’humilier <strong>et</strong>/<strong>ou</strong> une dimension moralisatrice <strong>et</strong>culpabilisante <strong>à</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>ti<strong>vis</strong>ation, l’excuse, le <strong>la</strong>isser faire, l’impunité. La difficulté est desanctionner de manière juste <strong>et</strong> efficace sans tomber dans ces excès.Dans les différents sens donnés <strong>à</strong> <strong>la</strong> sanction, les enseignants <strong>ou</strong>blient généralement sonacception positive. En eff<strong>et</strong>, une appréciation positive <strong>et</strong> une bonne note sanctionnent un bontravail <strong>et</strong> <strong>la</strong> réussite <strong>à</strong> un examen sanctionne une année d’efforts. En <strong>ou</strong>tre, une remarque faite,un simple rappel oral de <strong>la</strong> règle sont rarement compris comme des <strong>sanctions</strong>. P<strong>ou</strong>rtant le sensétymologique du mot sanction est bien celui-ci, de « dire qu’on a vu », « rendre <strong>la</strong> loieffective ».C<strong>et</strong>te rapide réflexion perm<strong>et</strong> de mieux distinguer les sens des mots <strong>et</strong> les différences entresanction, punition, réparation. Le terme « sanction » est donc un terme générique qui rec<strong>ou</strong>vredes <strong>sanctions</strong> positives <strong>ou</strong> négatives. Le mot « punition » renvoie, lui, au côté « pénible » de<strong>la</strong> sanction « infligée ». La sanction est donc l’acte par lequel on signifie qu’on a vu, qu’onappr<strong>ou</strong>ve <strong>ou</strong> désappr<strong>ou</strong>ve un comportement, <strong>la</strong> mesure prise suite <strong>à</strong> une transgression. Ellepeut avoir une dimension punitive <strong>ou</strong> réparatrice. Dans <strong>la</strong> suite de ce texte, le mot sanction estutilisé dans l’acception des enseignants, c’est-<strong>à</strong>-dire comme indiquant un sanction« négative ».Que sanctionne-t-on ?<strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong> renvoient <strong>à</strong> <strong>la</strong> règle transgressée. Il est utile dans <strong>la</strong> réflexion sur les <strong>sanctions</strong>de se demander ce que l’on sanctionne. <strong>Les</strong> récits apportés par les enseignants-es montrentque les actes <strong>et</strong> comportements sanctionnés peuvent se c<strong>la</strong>sser en trois catégories 9 selon qu’ilsse réfèrent :9 C<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>ssification serait peut-être différente p<strong>ou</strong>r le secondaire. Il p<strong>ou</strong>rrait, par exemple, s’avérer utile dedistinguer dans <strong>la</strong> catégorie 2, les règles en vigueur au sein de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> celles qui sont propres <strong>à</strong>l’établissement.www.changement-egalite.be 10


- aux habitudes <strong>et</strong> c<strong>ou</strong>tumes, par exemple : les manquements <strong>à</strong> <strong>la</strong> politesse, les attitudes<strong>et</strong> propos qui manifestent de l’impertinence, les p<strong>et</strong>ites moqueries, le mauvais usagedes lieux (p<strong>ou</strong>belles, toil<strong>et</strong>tes…)- aux règles de vie <strong>et</strong> de travail propres au gr<strong>ou</strong>pe d’appartenance, <strong>à</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>ou</strong> <strong>à</strong>l’école, par exemple : le bavardage, les tricheries, le non-respect de l’uniforme, le faitd’avoir son matériel…- aux lois fondamentales en vigueur dans <strong>la</strong> société, par exemple : les faits de violenceavérés, les vols <strong>et</strong> destruction de matériel, les propos racistes <strong>ou</strong> le rej<strong>et</strong> délibéré d’unélève par un gr<strong>ou</strong>pe…Dans les récits analysés, <strong>la</strong> majorité des <strong>sanctions</strong> porte sur le premier type de transgressions.(17 sur 30). Ce sont les plus légères <strong>et</strong> qui se passent dans les territoires communs, l<strong>à</strong> où <strong>la</strong>référence <strong>à</strong> l’adulte est moins c<strong>la</strong>ire, plus aléatoire <strong>et</strong> fluctuante que dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, où lesrègles sont moins connues <strong>et</strong> moins bien appliquées. L<strong>à</strong> aussi où sont rassemblées le plusgrand nombre de personnes, sans t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs les aménagements appropriés. Le risque majeur,dans ce cas, réside dans une banalisation des faits <strong>et</strong> une non-intervention.Dans des jeux, les enfants se b<strong>ou</strong>sculent, prennent les écharpes des autres, tirent descapuchons… Ce ne sont que des jeux p<strong>ou</strong>r eux mais STOP si ces jeux ennuient <strong>ou</strong> blessent lesautres.Ce<strong>la</strong> arrive s<strong>ou</strong>vent <strong>et</strong> les enfants qui j<strong>ou</strong>ent ne comprennent pas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs, mais je pense quece<strong>la</strong> ne mérite pas une sanction.Un enfant renverse délibérément son jus sur <strong>la</strong> table, me rit au nez quand je lui demande den<strong>et</strong>toyer <strong>la</strong> table. Je lui fais une remarque, je l’isole du gr<strong>ou</strong>pe. Il continue <strong>à</strong> rire, <strong>à</strong> hausserles épaules <strong>et</strong> <strong>à</strong> me narguer. Que faire ?<strong>Les</strong> enfants ont dû s’excuser devant les enseignants parce que les déch<strong>et</strong>s dans les p<strong>ou</strong>bellesétaient mal triés. Certains enfants étaient au bord des <strong>la</strong>rmes car ils n’avaient rien fait.Puis viennent les infractions aux règles de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> de l’école (9 sur 30). Il s’agit de r<strong>et</strong>ard <strong>à</strong>l’arrivée <strong>ou</strong> dans le rendu d’un travail, de manifestation bruyante, d’<strong>ou</strong>bli de matériel… <strong>Les</strong>règles <strong>et</strong> le référent sont plus c<strong>la</strong>irs, mais le vécu de l’enseignant n’est pas plus simple. Il reste<strong>la</strong> peur de mal faire, l’impuissance face aux réitérations, le sentiment de solitude <strong>et</strong> le besoinde réfléchir avec d’autres…Pendant un examen, je constate qu’une élève copie les réponses dans sa farde. J’ai repris <strong>la</strong>feuille d’examens.J’avais 4 ans <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’école, je par<strong>la</strong>is énormément. P<strong>ou</strong>r m’inciter (<strong>ou</strong> m’obliger) <strong>à</strong> me taire,l’institutrice m’a mis du papier col<strong>la</strong>nt sur <strong>la</strong> b<strong>ou</strong>che. J’ai été vexée, humiliée. L’institutrice agagné puisque, par <strong>la</strong> suite, je me suis tue.On tr<strong>ou</strong>ve enfin les actes relevant de <strong>la</strong> dernière catégorie (4 sur 30). Ce sont l<strong>à</strong> les faits lesplus graves qui appellent s<strong>ou</strong>vent l’intervention de <strong>la</strong> hiérarchie <strong>et</strong> l’information des parents. 1010 On peut faire un parallèle entre c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>ssification <strong>et</strong> celle réalisée <strong>à</strong> propos des obj<strong>et</strong>s de conflit d’autorité <strong>à</strong>l’école entre le domaine personnel, le domaine conventionnel <strong>et</strong> le domaine moral (Ga<strong>la</strong>nd, <strong>à</strong> paraître, op.cit.).N<strong>ou</strong>s avions également observé que les conflits <strong>à</strong> propos du domaine moral étaient très rares, mais concernaientsurt<strong>ou</strong>t les deux autres domaines.www.changement-egalite.be 11


Un élève embête un autre dans le rang. Il continue jusqu’<strong>à</strong> lui faire un croche-pied <strong>et</strong> l’enfanttombe. Je l’isole dans le c<strong>ou</strong>loir le temps que les autres enfants reprennent leurs affaires enc<strong>la</strong>sse. Il s’énerve <strong>et</strong> m’insulte. Je fais sortir les autres enfants car c’est <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> j<strong>ou</strong>rnée. Ils’avance très arrogant <strong>et</strong> me dit qu’il va reprendre son cartable. Je lui réponds qu’il iraquand je l’aurai décidé. Il me fonce dedans en étant très, très grossier. Je l’ai « empoigné » <strong>et</strong>porté jusqu’au bureau du directeur. Je l’avais menacé plusieurs fois de ne pas aller <strong>à</strong> <strong>la</strong>patinoire <strong>et</strong> c’est <strong>la</strong> sanction qu’il a eue.Je l’ai très mal vécu (pleurs, crise de spasmophilie…) car l’émotion m’a dépassée.<strong>Les</strong> motifs de <strong>la</strong> transgressionLe tableau ne dit rien des motifs de <strong>la</strong> transgression. 11 Or, ils rentrent en ligne de compte dansl’appréciation de <strong>la</strong> transgression <strong>et</strong> de <strong>la</strong> sanction <strong>à</strong> donner. On peut les c<strong>la</strong>sser ainsi :- expérimenter, vérifier les limites- attirer l’attention <strong>et</strong> vérifier qu’on existe aux yeux d’autrui- s’opposer p<strong>ou</strong>r s’affirmer- exprimer des besoins qui ne sont pas entendus- rem<strong>et</strong>tre en question un fonctionnement, objecter p<strong>ou</strong>r faire évoluer un systèmeEn vue de quoi sanctionne-t-on ?La diversité des réactions des enseignants face aux transgressions renvoie <strong>à</strong> des intentionsdifférentes que l’on peut c<strong>la</strong>sser comme suit :Faire payerLa sanction est spontanément <strong>et</strong> <strong>la</strong>rgement comprise dans le sens d’une punition infligée qui ap<strong>ou</strong>r intention de faire payer <strong>et</strong> de rétablir <strong>la</strong> loi. Elle prétend aussi servir d’exemple <strong>et</strong> veutdissuader de recommencer. On est l<strong>à</strong> dans une logique rétributive. <strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong> de typepunitif sont s<strong>ou</strong>vent le fait d’enseignants très autoritaires, qui peuvent tr<strong>ou</strong>ver l<strong>à</strong> une forme dej<strong>ou</strong>issance, mais aussi d’enseignants qui se refusent <strong>à</strong> sanctionner <strong>et</strong> qui, p<strong>ou</strong>rtant, au momentoù ils se sentent dépassés par une situation, tombent dans ce type de réaction, puis leregr<strong>et</strong>tent <strong>et</strong> s’en veulent.Un enfant frappe un autre avec ses mains <strong>à</strong> maintes reprises. Après trois avertissements,l’instit lui « lie » les bras en lui n<strong>ou</strong>ant les manches du pull.Un élève ment en disant que ce n’est pas lui qui a dit telle chose alors que je l’ai entendu ! Jelui demande : « qui a dit ce<strong>la</strong> ? ». Il insiste : « pas moi ! ». Je perds du temps en attendant <strong>la</strong>vérité. Je lui donne jusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> récré p<strong>ou</strong>r dire <strong>la</strong> vérité ! Sinon : punition ! Pas de récrépendant 2 <strong>ou</strong> 3 j<strong>ou</strong>rs ! Réaction : s<strong>ou</strong>vent j’obtiens <strong>la</strong> vérité de leur b<strong>ou</strong>che !Rétablir l’ordre<strong>Les</strong> réactions des enseignants telles qu’elles apparaissent dans ces récits se situentmajoritairement dans <strong>la</strong> catégorie de celles qui <strong>vis</strong>ent <strong>à</strong> garantir <strong>la</strong> loi. Ils cherchentl’efficacité dans <strong>la</strong> clôture rapide de l’incident <strong>et</strong> le maintien de l’ordre. La priorité est donnée11 P<strong>ou</strong>r approfondir ce point, n<strong>ou</strong>s renvoyons <strong>à</strong> <strong>la</strong> lecture du numéro 187 de Traces de changement.www.changement-egalite.be 12


au fonctionnement de <strong>la</strong> règle sur les besoins des personnes. L’efficacité <strong>vis</strong>ée est <strong>à</strong> c<strong>ou</strong>rtterme, dans l’optique de reprendre le c<strong>ou</strong>rs de <strong>la</strong> leçon.Plus rarement, on a <strong>à</strong> faire <strong>à</strong> des <strong>sanctions</strong> de type réflexif qui perm<strong>et</strong>tent de travailler sur lesens des règles <strong>et</strong> de <strong>la</strong> sanction. Il semble que <strong>la</strong> volonté de comprendre, le dialogue, <strong>la</strong>possibilité de s’expliquer soient assez peu présents. C<strong>et</strong>te façon d’agir, plus en profondeur <strong>et</strong>sur le long terme, demande du temps, des lieux, des procédures… Elle s’appuie aussi sur untravail collectif entre les enseignants sur le sens des <strong>sanctions</strong>.Dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r de récréation, des enfants refusent de j<strong>ou</strong>er avec un autre enfant <strong>et</strong> incitent lesautres <strong>à</strong> ne pas j<strong>ou</strong>er avec lui non plus sans raison va<strong>la</strong>ble. Le meneur est mis au mur enréflexion par rapport <strong>à</strong> son comportement.Au moment de <strong>la</strong> récréation, Charlotte griffe Marion, sur les mains, au <strong>vis</strong>age, au c<strong>ou</strong>… Elleest grondée, on lui explique qu’elle ne peut pas. On lui a une fois c<strong>ou</strong>pé les ongles de <strong>la</strong> main,mais <strong>la</strong> maman est intervenue en disant qu’elle n’était pas d’accord car on lui avait enlevéson rôle de maman. On a déj<strong>à</strong> aussi enr<strong>ou</strong>lé t<strong>ou</strong>s ses doigts avec du sparadrap aut<strong>ou</strong>r dechaque ongle. Mais rien n’y fait. On l’a aussi mise au coin en <strong>la</strong> grondant.Expliquer, comprendre <strong>et</strong> apprendreUn certain nombre de <strong>sanctions</strong> <strong>vis</strong>ent <strong>à</strong> aider <strong>à</strong> prendre conscience des motifs <strong>et</strong> desconséquences de son acte. On peut isoler un enfant p<strong>ou</strong>r l’empêcher de nuire simplement. Onpeut aussi m<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> profit c<strong>et</strong> isolement p<strong>ou</strong>r le faire réfléchir.T<strong>ou</strong>tefois, dans les exemples analysés, <strong>la</strong> parole semble davantage présente du côté del’adulte que du côté de l’enfant. C’est lui qui rappelle <strong>la</strong> règle, explique ce qu’il ne faut pasfaire <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>rquoi <strong>et</strong> qui décide de <strong>la</strong> sanction. La parole de l’enfant qui lui donne l’occasion des’expliquer <strong>et</strong> de chercher <strong>à</strong> réparer est plus rare.Ce qui est re<strong>la</strong>tivement peu pris en compte, c’est <strong>la</strong> globalité de <strong>la</strong> personne, de ses besoins,de ses émotions. Il y a généralement peu de p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> de temps <strong>la</strong>issé <strong>à</strong> l’expression du ressenti,<strong>à</strong> <strong>la</strong> formu<strong>la</strong>tion d’une demande, <strong>à</strong> <strong>la</strong> recherche de solutions par les auteurs de <strong>la</strong>transgression.Deux enfants arrivent au bureau en hur<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> se frappant. Ils revendiquent t<strong>ou</strong>s les deux lemême stylo. Ils demandent t<strong>ou</strong>s les deux de faire en sorte qu’ils le récupèrent ! Je demanded’abord le calme, je dis comprendre chacun des enfants mais malgré mes questions, il m’estimpossible de savoir <strong>à</strong> qui est le stylo. Je garde le stylo au bureau <strong>et</strong> leur demande deréfléchir jusqu’au lendemain. <strong>Les</strong> deux enfants reviennent le lendemain avec <strong>la</strong> même version,les deux parents cautionnant le récit de leur enfant. J’ai gardé le stylo !Maxime a j<strong>ou</strong>é avec un briqu<strong>et</strong> dans le bus qui l’amenait <strong>à</strong> l’école. Il a brûlé ses cheveux <strong>et</strong>un p<strong>la</strong>stique. Il a été réprimandé par <strong>la</strong> convoyeuse. Je lui ai expliqué le danger des briqu<strong>et</strong>s,de j<strong>ou</strong>er avec du feu en général. Il a été vu par <strong>la</strong> directrice. Je ne sais pas ce qui s’est dit,pas eu le temps de demander. Elle a écrit un mot p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> maman. Il a été privé de récréationp<strong>ou</strong>r faire de <strong>la</strong> conjugaison : j<strong>ou</strong>er avec un briqu<strong>et</strong> – introduire <strong>la</strong> phrase « ne …. pas ». Jereste sur ma faim : c<strong>et</strong> enfant a-t-il compris ce qu’on lui v<strong>ou</strong><strong>la</strong>it ? A-t-il compris sa faute ?Faire réparerLa réparation est présente quand il s’agit d’un dommage matériel ; quand il y a dommagemoral, c’est plus difficile <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre en p<strong>la</strong>ce. Et ce qui est assez absent, c’est <strong>la</strong> dimension deréintégration dans le gr<strong>ou</strong>pe, <strong>la</strong> formalisation d’une façon <strong>ou</strong> d’une autre du fait de r<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>versa p<strong>la</strong>ce après <strong>la</strong> réparation. C’est selon n<strong>ou</strong>s <strong>la</strong> forme <strong>la</strong> plus accomplie de <strong>la</strong> sanction, <strong>la</strong> pluswww.changement-egalite.be 13


éducative, celle qui s’occupe de <strong>la</strong> « victime » <strong>et</strong> du « c<strong>ou</strong>pable », qui perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois uneprise de conscience <strong>et</strong> une responsabilisation de son acte <strong>et</strong> de ses conséquences, qui invite <strong>à</strong>poser un acte positif <strong>et</strong> apprend une autre façon de réagir. 12Un enfant d’une c<strong>la</strong>sse primaire casse un banc en bois dans notre c<strong>ou</strong>loir en marchantdessus, au moment même où <strong>la</strong> consigne était donnée par l’enseignante de ne pas monter surces bancs.Sanction : mot au j<strong>ou</strong>rnal de c<strong>la</strong>sse demandant réparation.Résultat : en eff<strong>et</strong>, cinq j<strong>ou</strong>rs plus tard, je récupère un banc identique.Ma déception : Je me suis rendu compte que ce<strong>la</strong> a occasionné beauc<strong>ou</strong>p de travail au papa,différents traj<strong>et</strong>s p<strong>ou</strong>r emporter <strong>et</strong> rapporter le matériel…Ce n’était pas le but de c<strong>et</strong>tesanction.Plusieurs garçons se moquent d’une p<strong>et</strong>ite fille en lui disant qu’elle ressemble <strong>à</strong> un clown. Ilsrigolent. La p<strong>et</strong>ite fille pleure <strong>et</strong> vient me rapporter les faits. <strong>Les</strong> enfants <strong>et</strong> <strong>la</strong> victime meracontent les faits. Je leur demande de présenter leurs excuses <strong>à</strong> <strong>la</strong> p<strong>et</strong>ite fille mais je resteinsatisfaite car le mal moral ne me semble pas entièrement « réparé ».Comment sanctionne-t-on ?L’analyse des exemples cités fait apparaître diverses dimensions de <strong>la</strong> sanction.- La loi, <strong>la</strong> règleEn t<strong>ou</strong>t premier lieu vient <strong>la</strong> référence <strong>à</strong> <strong>la</strong> loi <strong>ou</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> règle transgressée. C<strong>et</strong>te référence estessentielle. C’est parce qu’il y a des lois <strong>et</strong> des règles <strong>et</strong> qu’on peut les transgresser, qu’il y ades <strong>sanctions</strong>. Et celles-ci servent <strong>à</strong> les rappeler <strong>et</strong> <strong>à</strong> les intégrer.- La personne, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion, le corpsLa parole accompagne <strong>la</strong> sanction dans le rappel de <strong>la</strong> règle, mais aussi dans <strong>la</strong> prise encompte de <strong>la</strong> personne, dans l’éc<strong>ou</strong>te de ses motifs <strong>et</strong> de son ressenti, dans <strong>la</strong> recherche deréparation. Il y a un équilibre <strong>à</strong> chercher entre <strong>la</strong> règle <strong>et</strong> <strong>la</strong> personne, entre le désir <strong>et</strong> <strong>la</strong> loi.Le corps est s<strong>ou</strong>vent concerné par <strong>la</strong> sanction : mise <strong>à</strong> l’écart du gr<strong>ou</strong>pe, exclusion physique.Le châtiment corporel, même s’il est interdit, reste présent dans les mémoires <strong>et</strong> existe commerisque, car nul n’est <strong>à</strong> l’abri de telle dérive.- Le gr<strong>ou</strong>pe, <strong>la</strong> direction, les parentsDans les c<strong>la</strong>sses où existent des éléments de pédagogie institutionnelle, le Conseil est s<strong>ou</strong>ventutilisé comme lieu de régu<strong>la</strong>tion des conflits, d’é<strong>la</strong>boration des règles, de discussion sur leurutilité <strong>et</strong> leur application. 13L’enseignant fait appel <strong>à</strong> <strong>la</strong> direction en cas de gravité <strong>ou</strong> de récidive.L’information des parents est variable selon les personnes <strong>et</strong> les âges des enfants. Certainsenseignants préfèrent régler les problèmes de leur c<strong>la</strong>sse directement avec leurs élèves sans enréférer aux parents. Quand ils le font, c’est qu’ils attendent un s<strong>ou</strong>tien de leur part dans leuraction éducative. La réaction inverse se produit parfois, les parents s<strong>ou</strong>tenant leur enfantcontre l’enseignant (voir en appendice « Droits parents, par endroits »).12 Chelsom Gossen, D. (1997). La réparation : P<strong>ou</strong>r une restructuration de <strong>la</strong> discipline en c<strong>la</strong>sse. Montréal : LaChenelière.13 Héveline, E. & Robbes, B. (2000). Démarrer une c<strong>la</strong>sse en pédagogie institutionnelle. Paris : Hatier.www.changement-egalite.be 14


- Le tempsOn l’a vu, les <strong>sanctions</strong> données par les enseignants <strong>vis</strong>ent surt<strong>ou</strong>t le c<strong>ou</strong>rt terme. Lechangement de pratique en vue d’une efficacité dans le long terme demande une réflexioncollective, du temps <strong>et</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de procédures.Une autre question est celle du suivi de <strong>la</strong> sanction donnée dans le temps. Qui assure cesuivi ? Qui vérifie que <strong>la</strong> sanction est faite ? Qui perm<strong>et</strong> <strong>la</strong> réinscription dans le gr<strong>ou</strong>pe ? Cesquestions aussi méritent une attention dans le dispositif éducatif d’une école (cf. « Des obligéssco<strong>la</strong>ires » en appendice).P<strong>ou</strong>r qu’une sanction soit éducative, les enseignants reconnaissent qu’elle doit être juste,proportionnée <strong>à</strong> <strong>la</strong> transgression, adaptée <strong>à</strong> l’enfant <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> situation, cohérente, appliquée <strong>et</strong>pas seulement annoncée, individuelle <strong>et</strong> pas collective. Elle ne doit pas être donnée s<strong>ou</strong>s lec<strong>ou</strong>p de <strong>la</strong> colère <strong>et</strong> ne doit pas humilier. La sanction renvoie <strong>à</strong> des valeurs de justice, pardon,confiance, dialogue. Tel est l’idéal vers lequel les enseignants s<strong>ou</strong>haiteraient tendre.P<strong>ou</strong>r conclurePrendre le temps de s’arrêter p<strong>ou</strong>r réfléchir <strong>à</strong> <strong>la</strong> sanction avec des enseignants s’avèrenécessaire <strong>et</strong> utile, <strong>et</strong> pas seulement avec des enseignants du primaire <strong>ou</strong> du spécial. Le r<strong>et</strong><strong>ou</strong>rde l’autorité <strong>et</strong> <strong>la</strong> réhabilitation de <strong>la</strong> sanction s’inscrivent auj<strong>ou</strong>rd’hui dans un contextesécuritaire <strong>et</strong> tr<strong>ou</strong>vent leur p<strong>la</strong>ce dans des disc<strong>ou</strong>rs aux accents parfois répressifs. Comment sesituer dans c<strong>et</strong>te société qui demande plus d’ordre, plus d’autorité, plus de <strong>sanctions</strong> ?N<strong>ou</strong>s constatons que le fait de réfléchir ensemble <strong>à</strong> ces questions renforce chez lesenseignants <strong>la</strong> confiance en eux <strong>et</strong> en leur action. É<strong>changer</strong> sur le p<strong>ou</strong>rquoi <strong>et</strong> le comment de<strong>la</strong> sanction perm<strong>et</strong> de l’inscrire positivement dans une démarche globale d’éducation commeun élément de sa pratique professionnelle qui contribue <strong>à</strong> l’apprentissage de <strong>la</strong> loi, <strong>à</strong> <strong>la</strong>construction de soi <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> vie commune (voir le chapitre 5).À l’issue des formations données, il semble que les enseignants soient plus au c<strong>la</strong>ir avec leurrapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> loi, <strong>à</strong> <strong>la</strong> transgression, <strong>à</strong> l’autorité <strong>et</strong> donc avec leur rôle <strong>et</strong> leur mission; ils sontplus conscients aussi des sentiments liés au fait de p<strong>ou</strong>voir <strong>et</strong> de devoir sanctionner. Plusieursdirections d’école n<strong>ou</strong>s ont fait écho d’eff<strong>et</strong>s rapides sur le climat général de l’établissement.<strong>Les</strong> actes de transgression ont tendance <strong>à</strong> diminuer <strong>et</strong> les directeurs reçoivent moins d’élèvesdans leur bureau, ce qui suggère que les enseignants se sentent plus <strong>à</strong> même de traiter euxmêmesles problèmes, interviennent mieux <strong>et</strong> de façon plus efficace. Mais les <strong>sanctions</strong>restent une s<strong>ou</strong>rce de questions <strong>et</strong> d’insatisfactions p<strong>ou</strong>r beauc<strong>ou</strong>p d’entre eux <strong>et</strong> leurspratiques restent fort éloignées de leur idéal.www.changement-egalite.be 15


Tableau 1 : Analyse de récits d’enseignants <strong>à</strong> propos des <strong>sanctions</strong>.Actes sanctionnés Visées de <strong>la</strong> sanction Dimensions de <strong>la</strong> sanction Exemples tirés des récits de pratiquesLoi, norme, règlePriver de récréS<strong>ou</strong>m<strong>et</strong>tre, faire payerPersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsFaire ramasser les papiers sur <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>rDonner une punition collectiveTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termePriver d'une excursionLoi, norme, règleDire STOPNon respect des habitudes <strong>et</strong>c<strong>ou</strong>tumesGarantir <strong>la</strong> loi, maintenir l’ordre, régler leproblèmePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeIntervenir, éviter que ça dégénère, tenir bonRappel collectif des règlesAttendre 10' dans le c<strong>ou</strong>loir avant d'entrer en c<strong>la</strong>sseExemples : règles de politesse,tenue vestimentaireExpliquer, comprendre, faire réfléchir,apprendre <strong>à</strong> partir des erreursLoi, norme, règlePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsDire son désaccordFaire faire des t<strong>ou</strong>rs de c<strong>ou</strong>rEcrire le nom de l'élève au tableau noirTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeR<strong>et</strong>enir le samediLoi, norme, règleRendre un obj<strong>et</strong> prisMesurer les conséquences, réparer,réintégrer le gr<strong>ou</strong>pePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsFaire n<strong>et</strong>toyer, faire ramasserDemander des excusesTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeCompléter une fiche d'auto-évaluationLoi, norme, règleFusiller du regardNon respect des règles propres augr<strong>ou</strong>pe c<strong>la</strong>sse <strong>ou</strong> <strong>à</strong> l’écoleExemples : r<strong>et</strong>ards, règles deparole, règles liées au matériel,au territoire, <strong>et</strong>c.…S<strong>ou</strong>m<strong>et</strong>tre, faire payerGarantir <strong>la</strong> loi, maintenir l’ordre, régler leproblèmePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeLoi, norme, règlePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsMenacer p<strong>ou</strong>r obtenir <strong>la</strong> véritéM<strong>et</strong>tre au coinDonner des verbes <strong>à</strong> conjuguerRappeler le règlementReprendre <strong>la</strong> copie en cas de tricherieFaire <strong>changer</strong> de p<strong>la</strong>ceTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeDonner un avertissementwww.changement-egalite.be 16


Loi, norme, règleCopier <strong>la</strong> règleExpliquer, comprendre, faire réfléchir,apprendre <strong>à</strong> partir des erreursPersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsQuestionner, éc<strong>ou</strong>ter les différentes versions des histoiresDialoguer avec le gr<strong>ou</strong>pe c<strong>la</strong>sse, utiliser le conseilTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeIsoler un moment p<strong>ou</strong>r réfléchir,Loi, norme, règleDonner une amendeMesurer les conséquences, réparer,réintégrer le gr<strong>ou</strong>pePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsDonner le choix de <strong>la</strong> sanction <strong>à</strong> l'intéresséEnvoyer chez le directeur, <strong>la</strong> directriceTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeFaire une recherche dans le dictionnaireLoi, norme, règleDonner une fessée, m<strong>et</strong>tre une c<strong>la</strong>queS<strong>ou</strong>m<strong>et</strong>tre, faire payerPersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsM<strong>et</strong>tre du papier col<strong>la</strong>nt sur <strong>la</strong> b<strong>ou</strong>cheEnc<strong>ou</strong>rager <strong>la</strong> victime <strong>à</strong> se défendreTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeSuspendre le jeuLoi, norme, règleM<strong>et</strong>tre une note de comportementNon respect des lois en vigueurdans <strong>la</strong> sociétéExemples : actes de violence,vols, propos racistes…Garantir <strong>la</strong> loi, maintenir l’ordre, réglerle problèmeExpliquer, comprendre, faire réfléchir,apprendre <strong>à</strong> partir des erreursPersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeLoi, norme, règlePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsCompléter une fiche de réflexionDénoncer devant t<strong>ou</strong>s <strong>la</strong> transgressionExclure du c<strong>ou</strong>rs d'informatique pendant un moisFaire copier le règlementPriver de repas, de goûterAvertir les parentsTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeExclure quelques j<strong>ou</strong>rs p<strong>ou</strong>r réfléchirLoi, norme, règlePoser un acte positif en lien avec <strong>la</strong> règle transgresséeMesurer les conséquences, réparer,réintégrer le gr<strong>ou</strong>pePersonne, re<strong>la</strong>tion, corpsGr<strong>ou</strong>pe, équipe, direction, parentsDonner une tâche d'intérêt collectifRéunir le Conseil de disciplineTemps, suivi, c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> long termeEtablir un contrat de comportementwww.changement-egalite.be 17


Chapitre 2 : À <strong>la</strong> recherche d’alternativesBenoît Ga<strong>la</strong>ndComme le suggèrent les témoignages repris dans <strong>la</strong> section « Poser le problème » desappendices, les observations faites dans le chapitre précédent ne concernent pas que lesenseignants du primaire <strong>ou</strong> de l’enseignement spécialisé, mais aussi les enseignants de <strong>la</strong>maternelle <strong>ou</strong> du secondaire, les directions, les parents, <strong>et</strong>c. (CRAP, 2007 14 ). Face <strong>à</strong> cesconstats, n<strong>ou</strong>s avons cherché des pistes de réponses face aux questions <strong>et</strong> insatisfactions desenseignants. Comment s’approcher davantage de leur idéal ? N<strong>ou</strong>s pensions que ce<strong>la</strong> passaitnotamment par l’identification d’autres manières d’aborder les règles <strong>et</strong> les <strong>sanctions</strong>. Il n<strong>ou</strong>ssemb<strong>la</strong>it en eff<strong>et</strong> important d’é<strong>la</strong>rgir notre réflexion aux règles, <strong>et</strong> pas uniquement aux<strong>sanctions</strong>, car les <strong>sanctions</strong> ne prennent sens que par rapport aux règles établies. P<strong>ou</strong>r avancerdans c<strong>et</strong>te direction, plutôt qu’une approche théorique, n<strong>ou</strong>s avons cherché <strong>à</strong> analyser despratiques <strong>et</strong> des dispositifs déj<strong>à</strong> en p<strong>la</strong>ce. En eff<strong>et</strong>, dans une précédente étude, n<strong>ou</strong>s avionsdéj<strong>à</strong> analysé les situations, les enjeux <strong>et</strong> les représentations attachés <strong>à</strong> l’autorité <strong>à</strong> l’école <strong>et</strong>balisé ainsi le terrain d’un point de vue conceptuel (Ga<strong>la</strong>nd, <strong>à</strong> paraître, op.cit.). C<strong>et</strong>te fois,notre but était d’identifier <strong>et</strong> de décrire des pratiques qui peuvent aider <strong>à</strong> donner du sens auxrègles <strong>et</strong> aux <strong>sanctions</strong> dans <strong>la</strong> vie d’un gr<strong>ou</strong>pe d’enfants <strong>ou</strong> de jeunes (De<strong>la</strong>nnoy, 2000 15 ).Comme l’Ecole n’est pas le seul lieu extra-familial d’éducation des jeunes, n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s sommesaussi intéressés <strong>à</strong> ce qui se fait en dehors de l’école, dans des associations, des clubs, desservices sociaux, <strong>et</strong>c. (Fondation Roi Baud<strong>ou</strong>in, 1994 ; Derenne <strong>et</strong> al., 1998 16 ). C<strong>et</strong>te diversitéde milieux éducatifs n<strong>ou</strong>s perm<strong>et</strong>tra d’examiner les points communs <strong>et</strong> les différences dansles pratiques des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> entre l’Ecole <strong>et</strong> les autres lieux.La méthodeL’approche r<strong>et</strong>enue était de réaliser des entr<strong>et</strong>iens avec des personnes ayant <strong>la</strong> responsabilitéd’un gr<strong>ou</strong>pe de jeunes dans différents milieux éducatifs. Le choix de se focaliser sur lessituations collectives – en écartant les prises en charge individuelles – fut dicté par le s<strong>ou</strong>ci lelimiter l’obj<strong>et</strong> d’étude <strong>et</strong> de perm<strong>et</strong>tre <strong>la</strong> comparaison avec le milieu sco<strong>la</strong>ire. Il fut égalementdécidé de ne pas prendre en compte les gr<strong>ou</strong>pes composés de jeunes identifiés p<strong>ou</strong>r leursdifficultés de comportement (IPPJ, SAS, … 17 ), qui p<strong>ou</strong>rraient nécessiter une prise en chargespécialisée. 18 Dans les limites de ces critères, n<strong>ou</strong>s avons cherché <strong>à</strong> diversifier un maximumles milieux éducatifs pris en considération. Outre c<strong>et</strong>te volonté de diversification, n<strong>ou</strong>s avonsprivilégié les interlocuteurs qui n<strong>ou</strong>s semb<strong>la</strong>ient m<strong>et</strong>tre en œuvre des pratiques favorables <strong>à</strong> <strong>la</strong>socialisation <strong>et</strong> aux apprentissages. Le contenu des entr<strong>et</strong>iens montre que <strong>la</strong> plupart de nosinterlocuteurs, bien qu’ils travaillent s<strong>ou</strong>vent avec des publics dits difficiles, se déc<strong>la</strong>rentre<strong>la</strong>tivement satisfaits de leur manière de faire, rapportent peu de problèmes de discipline <strong>ou</strong>14 CRAP (2007). La sanction. Cahiers pédagogiques, n° 451.15 De<strong>la</strong>nnoy, C. (2000). Elèves <strong>à</strong> problèmes, écoles <strong>à</strong> solutions ? Paris : ESF.16 Fondation Roi Baud<strong>ou</strong>in (1994). L’école n’est pas t<strong>ou</strong>te seule. Bruxelles : De Boeck.Derenne, C., Gailly, A.-F. & Liesenboghs, J. (dirs.) (1998). Désenc<strong>la</strong>ver l’école : Initiatives éducatives p<strong>ou</strong>r unmonde responsable <strong>et</strong> solidaire. Bruxelles : Editions Luc Pire.17 IPPJ = Institutions Publiques de Protection de <strong>la</strong> Jeunesse, SAS = Services d’Accrochage Sco<strong>la</strong>ire.18 Sur ce suj<strong>et</strong>, voir notamment le dossier « Entre sanction <strong>et</strong> éducation : Quelles réponses <strong>à</strong> <strong>la</strong> délinquance desjeunes » dans le n°37 de L’Observatoire 2002/2003.www.changement-egalite.be 18


de violence <strong>et</strong> quasi aucune exclusion, t<strong>ou</strong>t en restant en questionnement <strong>et</strong> en cheminementpar rapport <strong>à</strong> ces thématiques.Nos interlocuteurs<strong>Les</strong> participants aux 24 entr<strong>et</strong>iens réalisés comprennent : un instituteur maternel, uneinstitutrice primaire, deux directeurs du primaire, <strong>la</strong> directrice d’une école primaire endiscrimination positive, une enseignante dans le professionnel, un enseignant en CEFA 19 , unenseignant dans une école en discrimination positive, un enseignant de l’enseignementspécialisé, une chef d’atelier dans une école en discrimination positive, une directrice dusecondaire artistique, une médiatrice sco<strong>la</strong>ire, deux animatrices d’école de devoirs, uneresponsable d’école de devoirs, un animateur d’un gr<strong>ou</strong>pe d’entraide sco<strong>la</strong>ire, un coordinateurde p<strong>la</strong>ines de jeux, un permanent national de Jeunesse & Santé, un animateur sc<strong>ou</strong>t, unemembre de clubs sportifs, le directeur d’une institut médico-pédagogique (IMP), <strong>la</strong>responsable d’un service d’aide en milieu <strong>ou</strong>vert (AMO), une professeur dans une écoleprivée de musique créative <strong>et</strong> un membre des équipes mobiles de <strong>la</strong> Communauté française.Aucun de ces participants ne travaille dans <strong>la</strong> même organisation. La plupart travaille enrégion bruxelloise. L’âge, <strong>la</strong> formation <strong>et</strong> l’expérience de ces participants sont très variables.C<strong>et</strong> échantillon ne peut prétendre <strong>à</strong> aucune représentativité statistique, mais <strong>vis</strong>e <strong>à</strong> offrir unegrande diversité de points de vue sur les questions posées.<strong>Les</strong> entr<strong>et</strong>iens<strong>Les</strong> entr<strong>et</strong>iens ont été réalisés en face <strong>à</strong> face (sauf deux entr<strong>et</strong>iens téléphoniques) par unmembre de l’équipe de recherche, <strong>la</strong> plupart du temps sur le lieu de travail de <strong>la</strong> personneinterrogée. Leur durée est généralement de 30 <strong>à</strong> 45 minutes. Ces entr<strong>et</strong>iens s’organisaientaut<strong>ou</strong>r de deux questions principales : « Que m<strong>et</strong>tez-v<strong>ou</strong>s en p<strong>la</strong>ce p<strong>ou</strong>r que les règles soientrespectées dans le gr<strong>ou</strong>pe dont v<strong>ou</strong>s avec <strong>la</strong> charge ? », « Que faites-v<strong>ou</strong>s quand ces règles nesont pas respectées ? ». Des questions de re<strong>la</strong>nce étaient prévues <strong>et</strong> des exemples vécus étaientdemandés aux participants.T<strong>ou</strong>s les entr<strong>et</strong>iens ont fait l’obj<strong>et</strong> d’un compte-rendu écrit. Une analyse de ces comptesrendusa été effectuée en équipe de recherche. Chaque membre de l’équipe de recherche avaitréalisé au moins deux entr<strong>et</strong>iens <strong>et</strong> t<strong>ou</strong>s les comptes-rendus ont été lus par au moins troismembres de l’équipe de recherche. L’équipe de recherche p<strong>ou</strong>r c<strong>et</strong>te étude était composéed’une institutrice, d’une licenciée en sciences de l’éducation, d’un assistant social, d’unesociologue, d’un psychologue, <strong>et</strong> de deux formatrices.L’analyse était d<strong>ou</strong>ble. Une première analyse consistait <strong>à</strong> décrire <strong>et</strong> organiser les différentespratiques évoquées dans les entr<strong>et</strong>iens. Une seconde analyse consistait en un traitementthématique transversal des différents entr<strong>et</strong>iens. La première partie de c<strong>et</strong>te analyse estprésentée dans le chapitre 3, s<strong>ou</strong>s <strong>la</strong> forme d’un modèle qui reprend les points forts despratiques étudiées. Le chapitre 4 présente <strong>la</strong> seconde partie de c<strong>et</strong>te analyse, qui <strong>vis</strong>e <strong>à</strong>comprendre ce qui s<strong>ou</strong>s-tend <strong>et</strong> rend effectives les pratiques ciblées.19 CEFA = Centre d’Education <strong>et</strong> de Formation en Alternance.www.changement-egalite.be 19


Chapitre 3 : Des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> « éducatives » ?Danielle M<strong>ou</strong>rauxQue n<strong>ou</strong>s apprennent les entr<strong>et</strong>iens réalisés <strong>à</strong> propos de l’utilisation des règles <strong>et</strong> <strong>sanctions</strong> demanière « éducatives » ? La plupart des professionnels que n<strong>ou</strong>s avons interrogés m<strong>et</strong>tent enpratique des dynamiques réfléchies censées accroître le respect des règles collectives. 20 Cesont ces pratiques que n<strong>ou</strong>s analysons ici en faisant émerger une série d’éléments récurrentsque n<strong>ou</strong>s organisons en une sorte de modèle en trois actes : établir les règles, traiter <strong>la</strong>transgression, établir un contexte favorable. Chaque élément de ce modèle provient d’unepratique re<strong>la</strong>tée mais aucun de nos interlocuteurs n’utilise <strong>la</strong> totalité de ces éléments : notremodèle est donc de l’ordre des idées, il n’est nulle part appliqué tel quel, dans son intégralité.Puisque t<strong>ou</strong>te sanction consiste <strong>à</strong> montrer qu’un fait a été vu, constaté, entériné par celui quidétient l’autorité (voir le chapitre 1), <strong>la</strong> sanction dépend avant t<strong>ou</strong>t de <strong>la</strong> nature des faitsqu’elle atteste. Si ce fait est <strong>la</strong> transgression d’une règle, <strong>la</strong> sanction s’articule nécessairementau processus d’établissement de c<strong>et</strong>te règle. C’est p<strong>ou</strong>rquoi notre analyse de <strong>la</strong> sanctiondébute par l’étude des modes d’é<strong>la</strong>boration des règles. Elle se p<strong>ou</strong>rsuit par l’étude dutraitement de <strong>la</strong> transgression <strong>et</strong> se termine par celle du contexte général qui rend possiblesces manières de faire.Le texte qui suit est présenté en deux colonnes. La première présente les pratiques« efficaces » que n<strong>ou</strong>s avons extraites de l’analyse des entr<strong>et</strong>iens. La seconde reprend despassages de ces entr<strong>et</strong>iens qui illustrent ces pratiques, en précisant l’interlocuteur concerné,sans épuiser <strong>la</strong> diversité des témoignages recueillis.AnalyseEtablir les règlesLa t<strong>ou</strong>te première qualité d’une règlerespectable par t<strong>ou</strong>s est qu’elle ait du sens,que chaque membre du gr<strong>ou</strong>pe puisse direp<strong>ou</strong>rquoi <strong>et</strong> en vue de quoi elle existe. Lamanière <strong>la</strong> plus directe de parvenir <strong>à</strong> ce senscommun, c’est sans d<strong>ou</strong>te construire c<strong>et</strong>terègle t<strong>ou</strong>s ensemble <strong>et</strong> « en life », en se basantsur <strong>la</strong> vie quotidienne, sur les problèmesrencontrés dans <strong>la</strong> pratique du gr<strong>ou</strong>pe. Ainsi,les enfants 21 établissent directement le lienentre le problème <strong>et</strong> <strong>la</strong> solution, entre l’idéalrecherché (le fonctionnement du gr<strong>ou</strong>pe) <strong>et</strong> <strong>la</strong>voie qui y mène (<strong>la</strong> règle).IllustrationInstituteur maternel: C<strong>et</strong>te charte est constituée <strong>à</strong>partir d'un "mini conseil" composé des enfants de <strong>la</strong>c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> de l’instituteur. Le but est de faire émergerdans le chef des enfants ce qu'ils ne peuvent pas fairemais aussi ce qu'ils peuvent faire. J'essaye aumaximum d'éviter les « je ne peux pas », parce quec'est fort négatif p<strong>ou</strong>r les enfants, <strong>et</strong> j'ai s<strong>ou</strong>vent eul'occasion de constater que ça attisait leur curiosité.Enseignant en CEFA : P<strong>ou</strong>r que les règles soientrespectées, il faut : (1) Annoncer c<strong>la</strong>irement lesattentes de chacun, prof <strong>et</strong> élèves : « Qu’est-ce qui estinacceptable p<strong>ou</strong>r moi ? » ; (2) Formaliser ces attentes<strong>et</strong> (3) Faire le point, rediscuter t<strong>ou</strong>s les mois. Plusqu’une technique, il s’agit de développer une certaineculture de travail.20 Seuls deux ne le font pas : le premier refuse d’imposer les règles de l’école dans sa c<strong>la</strong>sse, le second,inexpérimenté <strong>et</strong> en recherche, applique une autorité spontanée <strong>et</strong> peu organisée.21 Afin d’alléger <strong>la</strong> lecture, n<strong>ou</strong>s n’emploierons qu’un seul terme, « enfant », p<strong>ou</strong>r désigner les enfants,adolescents <strong>et</strong> jeunes qui sont impliqués dans l’é<strong>la</strong>boration des règles collectives au sein des gr<strong>ou</strong>pes divers quenos interlocuteurs dirigent.www.changement-egalite.be 20


C<strong>et</strong>te construction collective de <strong>la</strong> règle peutse faire selon diverses modalités où l’oral <strong>et</strong>l’écrit se complètent : constatation desproblèmes <strong>et</strong> conflits, éc<strong>ou</strong>te des p<strong>la</strong>intes,débats sur les propositions, écriture des règlesdans un document sérieux, officiel, instituant(une charte, un contrat, un Règlement d’OrdreIntérieur). C<strong>et</strong>te manière de faire est surt<strong>ou</strong>tpratiquée dans des gr<strong>ou</strong>pes <strong>à</strong> tendancecommunautaire, dont l’objectif estl’amusement, les loisirs, l’occupation dutemps libre (sc<strong>ou</strong>ts, garderies, p<strong>la</strong>ines dejeux, <strong>et</strong>c.) Dans les gr<strong>ou</strong>pes plus institutionnels(école, EDD) qui <strong>vis</strong>ent un objectifd’instruction, les règles des p<strong>et</strong>its gr<strong>ou</strong>pes(les c<strong>la</strong>sses) peuvent parfois êtreconstruites de c<strong>et</strong>te manière collective,mais elles sont t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs subordonnées auxrègles des gr<strong>ou</strong>pes plus <strong>la</strong>rges (de l’école,du réseau, du système sco<strong>la</strong>ire, société).Quoiqu’il en soit, ce qui apparaît commeprimordial, c’est <strong>la</strong> transparence des règles,leur qualité signifiante, leur capacité <strong>à</strong> êtrecomprises par t<strong>ou</strong>s ; si ce sens n’apparaît pasimmédiatement, il importe de le dévoiler, del’expliciter, de l’argumenter afin que chaquemembre du gr<strong>ou</strong>pe en sache <strong>et</strong> comprennevéritablement <strong>la</strong> raison <strong>et</strong> le but.C<strong>et</strong>te construction collective du sens desrègles ne peut se faire une seule fois p<strong>ou</strong>rt<strong>ou</strong>tes. Comme les enfants grandissent <strong>et</strong> queles gr<strong>ou</strong>pes évoluent, il est important qu’elledevienne un processus connu <strong>et</strong> attendu, unehabitude, un rituel, un élément de <strong>la</strong> culture dugr<strong>ou</strong>pe : p<strong>ou</strong>r ce<strong>la</strong>, il s’agit d’instaurer desstructures spécifiques, des lieux <strong>et</strong> des tempsoù c<strong>et</strong>te recherche collective de sens se ferasoit sur un rythme régulier (chaque mois,chaque semaine, chaque rentrée, <strong>et</strong>c.) soitsuite <strong>à</strong> une évaluation du fonctionnement dugr<strong>ou</strong>pe. P<strong>ou</strong>r qu’il garde son sens, t<strong>ou</strong>trèglement est examiné régulièrement <strong>et</strong> adaptési nécessaire, en particulier s’il s’avèreinefficace.Organisateur p<strong>la</strong>ines de jeux : Lors des p<strong>la</strong>ines dejeux, chaque lundi matin, on fait <strong>la</strong> charte de vie avecles enfants en tenant compte des aspects nonnégociables <strong>et</strong> de ceux qui sont négociables. C’estimportant que ce soit une n<strong>ou</strong>velle charte chaquesemaine, qu’elle parle aux enfants, que ce soit doncleur charte.Responsable école de devoirs (EDD) : On installe uncadre. Ça se passe d’abord au moment del’inscription, dans l’entr<strong>et</strong>ien avec les parents <strong>et</strong>l’enfant <strong>ou</strong> le jeune <strong>et</strong> un animateur. À <strong>la</strong> fin, les troissignent <strong>la</strong> charte <strong>et</strong> s’engagent ainsi <strong>à</strong> respecter <strong>la</strong>partie du contrat qui les concerne. Ça perm<strong>et</strong> d’yrevenir en cas de non respect avec l’enfant <strong>ou</strong> leparent.Chef d’ateliers en discrimination positive (D+) :Chaque année, l’équipe de coordination re<strong>vis</strong>ite t<strong>ou</strong>sles règlements de l’école en tenant compte despréoccupations suivantes : (a) donner du sens <strong>à</strong> ce quiest permis <strong>et</strong> interdit ; (b) délimiter c<strong>la</strong>irement l<strong>et</strong>erritoire de ce qui est permis <strong>et</strong> interdit ; (c) veiller <strong>à</strong><strong>la</strong>isser une nécessaire liberté aux jeunes. L’équipe decoordination a <strong>la</strong> volonté de revoir desfonctionnements qui se révèlent inefficaces.Instituteur primaire : J’explique aux enfants, en débutd’année, ça prend beauc<strong>ou</strong>p de temps, comment lesrègles sont construites en c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>rquoi. Enpartant des trois grands principes de <strong>la</strong> pédagogieinstitutionnelle : « Ici, c’est une c<strong>la</strong>sse, chacun est l<strong>à</strong>p<strong>ou</strong>r apprendre. La maîtresse n’appartient <strong>à</strong> personne.Chacun a le droit d’être en paix dans son cœur, dansson corps <strong>et</strong> dans ses affaires ». T<strong>ou</strong>tes les règles qu’ily a en c<strong>la</strong>sse, je les resitue par rapport <strong>à</strong> cesfondamentaux. Le plus possible de règles sontaffichées.Direction primaire : La première chose <strong>à</strong> installerc’est de passer de <strong>la</strong> loi du silence <strong>à</strong> <strong>la</strong> loi de <strong>la</strong> parole,c’est-<strong>à</strong>-dire installer des structures récurrentes,régulières. C’est très important p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>tes structuressociales, p<strong>ou</strong>r les enfants <strong>et</strong> les adultes. Importance durituel <strong>et</strong> de <strong>la</strong> sécurité du fonctionnement : « Quelleque soit <strong>la</strong> situation, je sais qu’il y aura des momentsprivilégiés où l’on p<strong>ou</strong>rra déposer les problèmes <strong>et</strong>tr<strong>ou</strong>ver ensemble des solutions ».Responsable AMO : Régulièrement, temps de parolesur ce qui va, ce qui ne va pas dans le gr<strong>ou</strong>pe.L’agenda est fixé en réunion d’équipe <strong>et</strong> avec unespace p<strong>ou</strong>r les jeunes. <strong>Les</strong> jeunes ne sont past<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs preneurs de ces temps de parole.www.changement-egalite.be 21


<strong>Les</strong> règles auront plus de chance d’êtrerespectées si elles respectent les forces <strong>et</strong> leslimites des enfants, si elles ne sont pas tropnombreuses (plus de sept, on les <strong>ou</strong>blie !), sielles sont exprimées c<strong>la</strong>irement <strong>et</strong> de manièreconcise.Il est aussi très important qu’elles soientaccessibles, <strong>vis</strong>ibles, rendues publiques, parexemple via un dessin, un schéma, uneaffiche.<strong>Les</strong> enfants intègreront plus aisément <strong>la</strong> règle<strong>et</strong> <strong>la</strong> feront davantage leur si elle est dite <strong>et</strong>redite : ce simple rappel de <strong>la</strong> règle, s’il estfait dès qu’il y a transgression, peut suffire <strong>à</strong>rétablir son respect. Rappeler <strong>la</strong> règle <strong>ou</strong> <strong>la</strong>faire dire <strong>et</strong> redire par l’enfant qui l’atransgressée peut donc être une premièresanction, dans le sens où <strong>la</strong> règle est ainsimontrée, désignée, nommée.Ce rappel peut se faire oralement <strong>ou</strong> par écrit,explicitement <strong>ou</strong> symboliquement.La nature des règles du « vivre ensemble »est directement liée au grand interdit social de« tuer », de faire mal <strong>à</strong> l’autre, de le léser, delui causer un dommage matériel, physique <strong>ou</strong>moral : c’est ainsi que t<strong>ou</strong>s les gr<strong>ou</strong>pesé<strong>la</strong>borent des règles qui <strong>vis</strong>ent <strong>à</strong> <strong>la</strong> paix enassurant <strong>la</strong> sécurité de chacun.<strong>Les</strong> règles de civilité aj<strong>ou</strong>tent une t<strong>ou</strong>che desérénité <strong>et</strong> de convivialité <strong>et</strong> assurent <strong>la</strong>sociabilité, liée aux us <strong>et</strong> c<strong>ou</strong>tumes, auxhabitudes culturelles <strong>et</strong> de civilisation.D’autres règles particulières enfin assurent <strong>la</strong>réalisation des objectifs spécifiques desgr<strong>ou</strong>pes institutionnels : l’instruction sco<strong>la</strong>ireInstituteur primaire : <strong>Les</strong> règles doivent être vivables,on ne peut pas demander <strong>à</strong> des enfants de se tair<strong>et</strong><strong>ou</strong>te <strong>la</strong> j<strong>ou</strong>rnée.Responsable EDD : Le cadre, on l’installe aussi avecchaque table, c’est-<strong>à</strong>-dire chaque animateur avec songr<strong>ou</strong>pe définit, m<strong>et</strong> par écrit <strong>et</strong> affiche les règles d<strong>et</strong>ravail <strong>et</strong> de comportement propres <strong>à</strong> son gr<strong>ou</strong>pe.Instituteur maternel : A t<strong>ou</strong>t moment les enfantspeuvent consulter <strong>la</strong> charte qui est affichée en mots <strong>et</strong>en images dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Il existe aussi des règlesspécifiques <strong>à</strong> certains endroits de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, parexemple près du <strong>la</strong>vabo il est fait mention de ce qu'ilfaut faire <strong>à</strong> c<strong>et</strong> endroit, près de <strong>la</strong> bibliothèque uneaffiche rappelle qu'il faut ranger les livres ...Direction primaire : Il est plus important de réagir, derappeler les interdits que de sanctionner <strong>ou</strong> punir. <strong>Les</strong>punitions amènent un climat détestable dans uneécole. Elles sont s<strong>ou</strong>vent disproportionnées. Le fait dedonner une punition, c’est dire « je me <strong>la</strong>ve les mainsdu bazar ».Direction primaire : C’est l’histoire d’une élève de4°, rebelle, qui a du mal avec les règles <strong>et</strong> qui estrégulièrement envoyée dans mon bureau. J’ai j<strong>ou</strong>éavec elle <strong>la</strong> carte de <strong>la</strong> franchise. Je lui ai dit : « Est-ceque tu crois que ça vaut <strong>la</strong> peine que j’utilise encoremon énergie <strong>à</strong> essayer de t’aider ? Je suis déc<strong>ou</strong>ragéedevant les résultats. Tu reviens t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs me voir <strong>et</strong>rien ne s’arrange. » A <strong>la</strong> fin de l’entr<strong>et</strong>ien, je lui aipris <strong>la</strong> main <strong>et</strong> j’ai dessiné un point sur sa paume avecun feutre en lui disant : «Voil<strong>à</strong>, c’est une graine deconfiance que je dépose dans le creux de ta main. Atoi de <strong>la</strong> faire grandir. » Depuis, si je traverse <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r<strong>ou</strong> que je l’aperçois de loin, elle me montre sa main <strong>et</strong>ça suffit p<strong>ou</strong>r l’aider <strong>à</strong> respecter les règles.Instituteur maternel : Parfois le fait de faire <strong>la</strong> chartemarche tellement bien que les enfants entre eux serappellent les règles sans que je doive intervenir, çame montre qu'ils ont vraiment compris le but de ceque je leur ai fait faire.Direction primaire : Dans t<strong>ou</strong>s les cas, je veille <strong>à</strong> ceque adultes <strong>et</strong> enfants ne dépassent pas ‘le fil r<strong>ou</strong>ge’,c’est-<strong>à</strong>-dire l’interdit de t<strong>ou</strong>cher <strong>à</strong> l’intégrité despersonnes tant physique que morale.Responsable EDD : Trois maîtres mots : régu<strong>la</strong>rité,ponctualité, participation.Animateur sc<strong>ou</strong>t : On a très peu de règles édictéesexplicitement. On a ce qu'on appelle <strong>la</strong> loi sc<strong>ou</strong>t, c'estles 10 règles de base communes <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s les sc<strong>ou</strong>ts :respecte <strong>la</strong> nature, ton prochain... Sinon n<strong>ou</strong>s on leurimpose le port du f<strong>ou</strong><strong>la</strong>rd, d'arriver <strong>à</strong> l'heure même sion accepte un battement d'un quart d'heure, <strong>et</strong> lesrègles de bonne conduite.Animatrice EDD : Le plus important, c’est le respect,www.changement-egalite.be 22


nécessite régu<strong>la</strong>rité, ponctualité <strong>et</strong> assiduité,l’objectif d’ « apprendre ensemble » appelle <strong>la</strong>participation, éc<strong>ou</strong>te <strong>et</strong> empathie (c<strong>et</strong>te tripledistinction renvoie <strong>à</strong> celle qui émerge del’analyse des <strong>sanctions</strong> réalisée dans lepremier chapitre de c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage).Au-del<strong>à</strong> des règles, il importe d’établirc<strong>la</strong>irement le rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> norme, c’est-<strong>à</strong>-dire<strong>la</strong> rigueur avec <strong>la</strong>quelle le respect des règlesest exigé : ce rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> norme peut êtrerigide (t<strong>ou</strong>te règle est strictement appliquée),s<strong>ou</strong>ple (<strong>la</strong> règle est appliquée mais desexceptions sont tolérées) <strong>ou</strong> faible (<strong>la</strong> règle esttantôt appliquée, tantôt ignorée).t<strong>ou</strong>t le reste en déc<strong>ou</strong>le. Le respect des autres, deslieux, des horaires, du travail … mais il fautl’apprendre.Instituteur maternel : <strong>Les</strong> principales règlesconcernent le respect de <strong>la</strong> parole d'autrui, lerangement du matériel servant aux activités, le respectde <strong>la</strong> propr<strong>et</strong>é du local, rester c<strong>ou</strong>rtois les uns enversles autres <strong>et</strong> ne pas prendre le matériel des autres sansdemander (vol).Direction primaire : l’équipe s’est mise d’accord surdeux chantiers prioritaires : les r<strong>et</strong>ards <strong>et</strong> <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r derécréation. Au final, n<strong>ou</strong>s avons un n<strong>ou</strong>veau supportdestiné aux enfants avec des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong>.C’est un triptyque : moi <strong>et</strong> le temps, moi <strong>et</strong> le respect,moi <strong>et</strong> <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r de récréation.Traiter <strong>la</strong> transgressionUne fois les règles du gr<strong>ou</strong>pe établies <strong>et</strong>connues, il est inévitable que les individus lestransgressent, c’est-<strong>à</strong>-dire les testent, lescontestent, cherchent <strong>à</strong> les dépasser. Ens’inscrivant dans le gr<strong>ou</strong>pe, chaque individucraint sans d<strong>ou</strong>te de perdre une part de luimêmes’il se s<strong>ou</strong>m<strong>et</strong> pleinement <strong>à</strong> <strong>la</strong> règlecommune ; <strong>la</strong> transgression <strong>vis</strong>e notamment <strong>à</strong>s’affirmer comme différent <strong>et</strong> singulier. Maiselle n’est pas inoffensive, elle peut faire mal,tant au transgresseur qu’aux autres <strong>et</strong> augr<strong>ou</strong>pe t<strong>ou</strong>t entier : elle agit parfois comme unc<strong>ou</strong>p de ciseau dans le cadre.Il importe que <strong>la</strong> transgression soit t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rsconstatée : l’adulte responsable dit qu’il l’avue, annonce qu’il <strong>la</strong> répr<strong>ou</strong>ve <strong>et</strong> prévientqu’une sanction arrive. Ce faisant, il endosse<strong>la</strong> responsabilité du maintien de l’ordre, ilprend les choses en main <strong>et</strong> ainsi rassure lesmembres du gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> le transgresseur. Car <strong>la</strong>transgression non sanctionnée constateraitl’absence de p<strong>ou</strong>voir adulte <strong>et</strong> amènerait chezles enfants <strong>la</strong> panique puis <strong>la</strong> violence.L’adulte dit donc qu’il a vu <strong>la</strong> transgression, <strong>et</strong>il le fait sans dé<strong>la</strong>i car même s’il convientparfois de temporiser afin de faire tomber <strong>la</strong>colère <strong>et</strong> de refroidir les ardeurs, il estAnimateur Jeunesse & Santé : une techniqued’animation consiste <strong>à</strong> construire un carré en cartonp<strong>ou</strong>r représenter le cadre. Il est s<strong>ou</strong>ple mais il tracedes limites. La transgression, c’est comme un c<strong>ou</strong>p deciseau dans le cadre. La sanction intervient p<strong>ou</strong>rrestaurer le cadre.Responsable AMO : L’é<strong>la</strong>boration de règlescommunes p<strong>ou</strong>r l’espace social n’empêche pas lestransgressions, qui testent les limites.Instituteur maternel : Concernant l'évaluation durespect de <strong>la</strong> charte, chaque j<strong>ou</strong>r les enfants sontinvités <strong>à</strong> s'auto évaluer en répondant <strong>à</strong> <strong>la</strong> question"Comment tu penses que tu t'es comporté auj<strong>ou</strong>rd'hui?Est-ce que t<strong>ou</strong>t s'est bien passé p<strong>ou</strong>r toi? P<strong>ou</strong>r lesautres?" A l'aide de c<strong>et</strong>te auto-évaluation, j’essaie defaire prendre conscience aux enfants que, par leurscomportements, ils peuvent être perturbés <strong>ou</strong> bienperturber le dér<strong>ou</strong>lement de <strong>la</strong> j<strong>ou</strong>rnée <strong>ou</strong> desactivités.Enseignant en D+ : Quand les règles ne sont pasrespectées, on ne fait pas semb<strong>la</strong>nt qu’on n’a rien vu.On énonce immédiatement le problème (parfois parune bonne gueu<strong>la</strong>nte).Instituteur primaire : C’est déj<strong>à</strong> une institution, ceConseil, une manière de ne pas répondre t<strong>ou</strong>t de suite.Ça perm<strong>et</strong> de différer les choses <strong>et</strong> donc l’enfant quiétait fâché p<strong>ou</strong>r quelque chose, quand on reprend çaau Conseil, ses tensions sont r<strong>et</strong>ombées <strong>et</strong> on peutgérer le problème autrement.www.changement-egalite.be 23


indispensable de garder une proximitétemporelle entre transgression <strong>et</strong> sanction.Sinon, <strong>la</strong> sanction perd du sens.Chercher <strong>et</strong> comprendre le sens de <strong>la</strong>transgression : c’est <strong>la</strong> t<strong>ou</strong>te première étapedu processus de sanction. P<strong>ou</strong>rquoi <strong>et</strong> en vuede quoi <strong>la</strong> transgression a-t-elle eu lieu ?Derrière l’acte, il s’agit de déc<strong>ou</strong>vrir <strong>la</strong>demande du transgresseur, car <strong>la</strong> transgressionindique t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs que l’enfant ne se sent pasbien dans le gr<strong>ou</strong>pe, que quelque chose legêne, qu’il est en opposition soit <strong>à</strong> une règle précise, soit aux valeurs du gr<strong>ou</strong>pe, soit encore au gr<strong>ou</strong>pe même, <strong>à</strong> <strong>la</strong>collectivité, soit enfin <strong>à</strong> l’autorité <strong>et</strong>/<strong>ou</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> manièredont elle s’applique.Comprendre <strong>la</strong> transgression implique demarquer l’arrêt, revenir sur les faits, analyserle contexte <strong>et</strong> observer l’enfant ; éc<strong>ou</strong>ter lesdivers sons de cloche, susciter les explications<strong>et</strong> entendre les arguments.Coordinateur d’animateurs : un enfant qui fait unebêtise est un enfant qui ne tr<strong>ou</strong>ve pas sa p<strong>la</strong>ce.Responsable AMO : Il faut entendre <strong>la</strong> demandederrière le comportement qui pose problème, lirel’histoire du jeune, impliquer les parents. Le jeune estdans un jeu entre différents lieux de socialisation ; soncomportement est fondé sur une intention positive,même s’il pose problème.Direction primaire : Le problème des enfants qui nerespectent pas les lois doit être le problème de t<strong>ou</strong>t lemonde. Le non-respect des lois est significatif. Leproblème qui se pose est de savoir p<strong>ou</strong>rquoi ce<strong>la</strong> neva pas bien <strong>et</strong> qu’est-ce que « n<strong>ou</strong>s adultes » on vafaire avec l’interpel<strong>la</strong>tion de l’enfant.Direction primaire : Il y a d’abord un travaild’analyse. Par exemple : un élève quitte <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong>une fois dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r, il devient insupportable. <strong>Les</strong>urveil<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> l’enseignant doivent savoir quelles sontles raisons de c<strong>et</strong>te attitude. Qu’est-ce qui fait <strong>la</strong>différence entre <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r de récréation ? Lapression est-elle trop forte <strong>et</strong> donc <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>pape doitlâcher ?Direction IMP : Si un enfant est <strong>la</strong> cible de <strong>sanctions</strong>répétées, on pose <strong>la</strong> question en réunion : Que peut-oncomprendre de ce qui se passe ? Que vit l’enfant ?Que ressent chacun des éducateurs par rapport <strong>à</strong> cequi se passe ?C’est ici que <strong>la</strong> médiation peut j<strong>ou</strong>er son rôled’intermédiaire, d’entre deux, de traducteur,surt<strong>ou</strong>t lorsque le rapport des forces enprésence est particulièrement inégal,notamment dans les institutions sco<strong>la</strong>ires où lerespect de <strong>la</strong> règle spécifique (« apprendreensemble ») est capital.Nos interlocuteurs insistent fortement sur <strong>la</strong>re<strong>la</strong>tion que l’adulte sanctionneur établit avecAnimatrice EDD : Le plus important, c’est le sens. <strong>Les</strong>ens du travail fait <strong>à</strong> l’EDD, p<strong>ou</strong>rquoi on vient, cequ’on cherche en venant. <strong>Les</strong> enfants font le choixd’une exigence, d’une contrainte acceptée. Onrappelle ce choix <strong>et</strong> le sens. Alors l’enfant peuts’expliquer <strong>et</strong> dire les raisons qu’il a d’avoir étéabsent par exemple.Médiatrice : La médiation propose des voiesalternatives <strong>à</strong> <strong>la</strong> sanction, perm<strong>et</strong> d’agir en postposantun minimum. Le travail passe s<strong>ou</strong>vent par l’écrit p<strong>ou</strong>rprendre distance par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> situation. Ce travailnécessite du temps <strong>et</strong> de <strong>la</strong> disponibilité.Direction CEFA : Mise en p<strong>la</strong>ce d’une triangu<strong>la</strong>tionp<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>te sanction disciplinaire : (1) rapportd’incident par le prof <strong>et</strong> par l’élève ; (2) rencontre desprotagonistes avec le directeur : médiation, parole dechacun sur les faits <strong>et</strong> sur son vécu, y a-t-il accord surles faits ? ; (3) directeur <strong>et</strong> prof uniquement : quellesanction s<strong>ou</strong>haite le prof ? ; (4) r<strong>et</strong><strong>ou</strong>r du jeune : ce<strong>la</strong>te semble-t-il juste <strong>et</strong> correct ?Organisateur de p<strong>la</strong>ine de jeux : En cas de conflitentre enfants, je redis les interdits (ne pas frapper, …)www.changement-egalite.be 24


l’enfant transgresseur : d’abord, l’adulteidentifie correctement <strong>et</strong> personnellementl’enfant, l’appelle par son nom, afin qu’ilcomprenne que c’est bien lui qui est concerné.Il est s<strong>ou</strong>haitable d’établir une re<strong>la</strong>tionindividuelle, de prendre l’enfant <strong>à</strong> part afin demener avec lui une discussion franche <strong>et</strong> sipossible sereine. <strong>Les</strong> quatre principes de <strong>la</strong>communication non violente sont icimentionnés comme très utiles :1. décrire les faits de manière objective, d<strong>et</strong>elle sorte que l’enfant marque son accordsur ce qui s’est passé ;2. dire chacun ses sentiments (ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong> decalmer leur expression parfois violente) ;3. reconnaître les besoins respectifs nonsatisfaits ;4. demander un changement réalisable.Inutile par contre de réprimander, gronder,humilier, faire perdre <strong>la</strong> face … car ce quicompte, c’est de conserver le lien, depréserver <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion de l’individu avec legr<strong>ou</strong>pe, de réconcilier les ennemis, bref derétablir <strong>la</strong> paix <strong>et</strong> <strong>la</strong> sécurité.<strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong> mentionnées lors des entr<strong>et</strong>ienssont de trois ordres :1. La sanction réparatrice <strong>vis</strong>e <strong>à</strong> réparer lesdommages causés, tant moraux quephysiques <strong>et</strong> matériels : s’excuser,regr<strong>et</strong>ter, n<strong>et</strong>toyer, reconstruire, payer, <strong>et</strong>c.2. La sanction punitive <strong>vis</strong>e <strong>à</strong> corriger l<strong>et</strong>ransgresseur, <strong>à</strong> modifier soncomportement, <strong>à</strong> l’obliger <strong>à</strong> ne plusrecommencer ; elle offre une <strong>la</strong>rgepanoplie de formes <strong>et</strong> se rencontre surt<strong>ou</strong>tdans le milieu sco<strong>la</strong>ire : copiage de <strong>la</strong>règle, avertissement, cote decomportement, remarque au j<strong>ou</strong>rnal dec<strong>la</strong>sse, travail supplémentaire, r<strong>et</strong>enue,travail d’intérêt général, zéro auxinterrogations en cas d’absence, <strong>et</strong>c.3. La sanction d’écartement, d’isolement <strong>et</strong>,en b<strong>ou</strong>t de c<strong>ou</strong>rse, d’exclusion temporaire<strong>et</strong> définitive est <strong>la</strong> plus forte car elle séparel’individu du gr<strong>ou</strong>pe, elle marquec<strong>la</strong>irement <strong>la</strong> frontière, elle indique quel’enjeu primordial du respect des règles estl’appartenance au gr<strong>ou</strong>pe, <strong>et</strong> que <strong>la</strong>mais essentiellement j’éc<strong>ou</strong>te les deux parties avecl’intention de les faire se parler, de partager leurressenti. Je ne cherche jamais <strong>à</strong> tr<strong>ou</strong>ver le c<strong>ou</strong>pablecar en fait un conflit entre deux personnes, c’est unequestion de re<strong>la</strong>tion entre ces deux personnes <strong>et</strong> j<strong>et</strong>ravaille <strong>à</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> non <strong>à</strong> <strong>la</strong> responsabilité duconflit. Dès que les enfants ont compris que l’enjeu de<strong>la</strong> discussion n’est pas de savoir qui est c<strong>ou</strong>pable, ilss’apaisent <strong>et</strong> sont prêts <strong>à</strong> dialoguer.Animateur EDD : Prendre le jeune <strong>à</strong> part p<strong>ou</strong>r luiréexpliquer les limites, le questionner sur son objectif:« qu’est-ce que tu fais ici ? ».Enseignant en D+ : Féliciter, m<strong>et</strong>tre en avant, dès quepossible, ne jamais dévaloriser (je suis triste face <strong>à</strong> tonattitude, <strong>et</strong> je ne me sens pas reconnu dans mon travailde prof). Voir les gains <strong>et</strong> les coûts d’une décision,d’une sanction.Instituteur primaire : Quand un enfant est violent, jelui dis : « Je peux comprendre que tu sois fâché maisje ne peux pas tolérer c<strong>et</strong>te manière de faire. Tu doisapprendre <strong>à</strong> l’exprimer autrement. » C’est quelquechose de lent qui va se faire.Enseignant en CEFA : L’équipe essaye de m<strong>et</strong>tre enp<strong>la</strong>ce une autorité bienveil<strong>la</strong>nte, qui donne droit <strong>à</strong>l’erreur. Il y a très peu de renvois. <strong>Les</strong> jeunes sesentent respectés. Il n’y a jamais de représailles,d’agression <strong>ou</strong> d’intimidation envers les professeurs.Responsable AMO : La sanction perm<strong>et</strong> de revenirdans le gr<strong>ou</strong>pe, <strong>et</strong> quand c’est possible de réparer parrapport <strong>à</strong> l’acte posé : des jeunes avaient vidé unextincteur dans un local du CEFA, les parents ont étémis au c<strong>ou</strong>rant, un n<strong>et</strong>toyage collectif a été mis enp<strong>la</strong>ce.Enseignante en professionnel : Concernant lesmanquements au ROI de l’école, j’applique lesystème en vigueur dans mon établissement : bonnes<strong>et</strong> mauvaises notes au j<strong>ou</strong>rnal de c<strong>la</strong>sse, r<strong>et</strong>ard noté,envoi chez un éducateur, rapports disciplinaires (quidonnent lieu <strong>à</strong> une convocation chez le préf<strong>et</strong>, où <strong>la</strong>version de l’élève est mise par écrit, suite <strong>à</strong> quoi lepréf<strong>et</strong> prend une décision), …Instituteur primaire : Quand un enfant empêche unautre d’apprendre, il sait bien qu’il va devoir aller secalmer <strong>à</strong> <strong>la</strong> bibliothèque. Il y a une série de s<strong>ou</strong>papesqui sont mises en p<strong>la</strong>ce. Si un enfant ne respecte pasles règles dans un cercle de parole, il sait que j’avertis<strong>et</strong> puis après, s’il continue, il devra r<strong>et</strong><strong>ou</strong>rner <strong>à</strong> sap<strong>la</strong>ce, il ne sera plus dans le cercle.Animatrice EDD : Et il arrive qu’un jeune qui estparti revienne p<strong>ou</strong>r demander <strong>à</strong> consulter des <strong>ou</strong>tils,p<strong>ou</strong>r montrer ce qu’il a fait, p<strong>ou</strong>r demander unconseil. Le renvoi est une décision d’équipe quin’équivaut jamais <strong>à</strong> une exclusion définitive. On peutwww.changement-egalite.be 25


sanction suprême de <strong>la</strong> transgression est lerej<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> solitude. L’exclusion définitiven’est admise par nos interlocuteurs que sile gr<strong>ou</strong>pe est mis en danger par <strong>la</strong>présence du transgresseur.<strong>Les</strong> <strong>sanctions</strong> ne peuvent s’appliquern’importe comment ni par n’importe qui : leurmode d’application j<strong>ou</strong>e lui aussi un rôleimportant dans les pratiques décrites. Le premier principe est « une seulesanction par transgression » : le cumul de<strong>sanctions</strong> est donc <strong>à</strong> rej<strong>et</strong>er au profit d’unchoix judicieux d’une seule sanction quifera m<strong>ou</strong>che. Ce<strong>la</strong> n’empêche qu’une listeprogressive de <strong>sanctions</strong> peut être prévue<strong>et</strong> appliquée. Celui qui donne <strong>la</strong> sanction est seulhabilité <strong>à</strong> <strong>la</strong> lever. T<strong>ou</strong>te sanction est explicitée, reliéec<strong>la</strong>irement <strong>et</strong> directement <strong>à</strong> <strong>la</strong>transgression : l’adulte dit quel acte ilsanctionne <strong>et</strong> <strong>à</strong> quelle règle il se réfère.Attention ici <strong>à</strong> distinguer n<strong>et</strong>tement l’actede l’être : c’est ce que l’enfant a fait quiest sanctionnable, non ce qu’il est.Attention aussi <strong>à</strong> choisir une sanction dansle champ de <strong>la</strong> transgression : parexemple, éviter de sanctionner de manièrepédagogique (un zéro en histoire) uncomportement transgresseur (copiage lorsde l’examen). La publicité de <strong>la</strong> sanction est utile p<strong>ou</strong>rprévenir d’autres transgressions au sein dugr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> renforcer sa cohésion. Mais ellepeut porter préjudice <strong>à</strong> l’enfant si elle sortdu gr<strong>ou</strong>pe directement concerné. P<strong>ou</strong>r augmenter l’efficacité des <strong>sanctions</strong>,il importe de les évaluer régulièrement, demesurer leurs eff<strong>et</strong>s (vertueux <strong>et</strong> pervers)sur les individus <strong>et</strong> sur le gr<strong>ou</strong>pe. La sanction m<strong>et</strong> fin <strong>à</strong> <strong>la</strong> transgression <strong>et</strong>« n<strong>et</strong>toie l’enfant » ; elle perm<strong>et</strong> de passer<strong>à</strong> autre chose.t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs recommencer, revenir, refaire un contrat <strong>et</strong>s’engager <strong>à</strong> respecter le cadre.Direction IMP : pendant 15 j<strong>ou</strong>rs, il a mangé <strong>à</strong> part dugr<strong>ou</strong>pe (<strong>à</strong> une autre table dans <strong>la</strong> même pièce) <strong>et</strong> estmonté plus tôt dans sa chambre. Ce<strong>la</strong> ne signifie qu’ilest exclu du gr<strong>ou</strong>pe mais il est amené <strong>à</strong> avoir desmoments hors du gr<strong>ou</strong>pe.Chef d’ateliers en D+ : On ne décide pas d’unesanction grave (avertissement, renvoi, ..) sur un c<strong>ou</strong>pde tête. On ne sanctionne jamais deux fois <strong>la</strong> mêmechose. On évite les punitions idiotes. Il y a unegradation : (a) p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>t r<strong>et</strong>ard entre 5 <strong>et</strong> 50’, l’élèvereste <strong>à</strong> l’école 50’ plus tard, de préférence le j<strong>ou</strong>rmême ; (b) t<strong>ou</strong>t r<strong>et</strong>ard de plus de 50’ correspond <strong>à</strong> undemi-j<strong>ou</strong>r d’absence injustifiée ; (c) t<strong>ou</strong>te absenceinjustifiée continue <strong>à</strong> être sanctionnée par le r<strong>et</strong>raitd’un point de comportement.Directrice EDD : En sachant qu’il y a t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs <strong>la</strong>liberté de l’enfant <strong>et</strong> qu’on ne peut jamais obliger <strong>à</strong>respecter une règle, seulement y inviter en <strong>la</strong>rappe<strong>la</strong>nt, en <strong>la</strong> renommant chaque fois, en <strong>la</strong>rattachant au sens <strong>et</strong> en <strong>la</strong> reposant <strong>à</strong> n<strong>ou</strong>veau quandelle a été enfreinte en espérant que <strong>la</strong> prochaine foisl’enfant <strong>la</strong> respectera. Et ceci patiemment chaque fois<strong>à</strong> n<strong>ou</strong>veau.Direction Primaire : Quand il y a conflit <strong>ou</strong>transgression, il y a une procédure qui proposedifférentes étapes: (1) <strong>Les</strong> personnes concernéesdirectement sont invitées <strong>à</strong> rés<strong>ou</strong>dre le problème entreelles en exprimant leur ma<strong>la</strong>ise <strong>et</strong> en formu<strong>la</strong>nt unedemande par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> suite. (2) Si c<strong>et</strong>te démarchen’ab<strong>ou</strong>tit pas, on peut faire appel <strong>à</strong> une tiercepersonne de référence (surveil<strong>la</strong>nt, enseignant,directeur, …). Le rôle de c<strong>et</strong>te personne est de fair<strong>et</strong>iers dans <strong>la</strong> démarche proposée en 1. (3) Si l’étape 2n’ab<strong>ou</strong>tit pas, une demande peut être adressée auconseil d’école. Dans ce cas, c’est l’institution qui faittiers. La demande est publique <strong>et</strong> re<strong>la</strong>yée par desintermédiaires.Direction primaire : Dans t<strong>ou</strong>s les cas de résolutiondes transgressions, il ne s’agit pas de <strong>changer</strong> <strong>ou</strong> dejuger le passé <strong>ou</strong> même d’en connaître l'ultime vérité(puisqu’on ne peut rien y <strong>changer</strong>) ; par contre, il estimportant de parler du présent (émotions, …) <strong>et</strong> degérer l’avenir : « Qu’est-ce qu’on va fairemaintenant? »Direction primaire : Concrètement, l’entr<strong>et</strong>ien sepasse en deux temps : (1) Je vérifie avec l’enfant lesfaits. « Ce que j’ai entendu est vrai ? » Je vérifie quel’enfant comprend p<strong>ou</strong>rquoi il est l<strong>à</strong>. (2) Je luidemande ce qu’il compte faire p<strong>ou</strong>r réparer. L’enfants’engage par écrit, par une phrase, par un dessin <strong>et</strong>signe. Ces traces écrites d’engagement sont gardéesdans un cahier. <strong>Les</strong> enfants connaissent ce cahier. Il ya leur nom, <strong>la</strong> date, les remarques <strong>et</strong> les punitionswww.changement-egalite.be 26


faites, les engagements p<strong>ou</strong>r réparer.La punition est choisie avec l’enfant. Elle doit servir <strong>à</strong>comprendre les règles, <strong>à</strong> se recentrer quand on aglissé. C’est s<strong>ou</strong>vent un écrit. L’enfant décide luimêmepar exemple combien de fois il a besoind’écrire une règle p<strong>ou</strong>r ne pas l’<strong>ou</strong>blier.Etablir un contexte favorableE<strong>la</strong>borer <strong>et</strong> sanctionner <strong>la</strong> règle de <strong>la</strong> manièredécrite ci-dessus ne tombe pas du ciel <strong>et</strong> nes’impro<strong>vis</strong>e pas : elle n’est possible que si lesresponsables du gr<strong>ou</strong>pe organisent desstructures adéquates <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>iennent uneculture propice au développement de c<strong>et</strong>te loidémocratique (voir chapitre suivant).<strong>Les</strong> structures reposent sur trois piliers :1. Une équipe : les adultes responsabless’accordent p<strong>ou</strong>r réaliser leur travail demanière complémentaire <strong>et</strong> cohérente. Ilsrespectent <strong>la</strong> même dynamique deconstruction de <strong>la</strong> loi <strong>et</strong> de sanction destransgressions ; ils se plient eux-mêmesaux règles construites ; ils décidentensemble des <strong>sanctions</strong>.2. Une direction : son rôle premier est d<strong>et</strong>enir <strong>la</strong> barre, de mener le gr<strong>ou</strong>pe vers sesobjectifs. Mais p<strong>ou</strong>r ce<strong>la</strong>, elle doitorganiser <strong>et</strong> s<strong>ou</strong>tenir son équipe,l’enc<strong>ou</strong>rager <strong>à</strong> faire correctement sontravail collectif. P<strong>ou</strong>r ce<strong>la</strong>, <strong>la</strong> direction doitp<strong>ou</strong>voir évaluer ce travail, ém<strong>et</strong>tre descritiques envers des actes inappropriés dupersonnel, lui demander des changements<strong>et</strong> si nécessaire le sanctionner.3. Des lieux <strong>et</strong> moments : conseils de c<strong>la</strong>sse,conseil d’école, cahier de doléances,Rocher du conseil, … ce qui importe, c’estde prévoir des temps <strong>et</strong> des lieux oùl’équipe, <strong>la</strong> direction <strong>et</strong> les participants augr<strong>ou</strong>pe se rencontrent p<strong>ou</strong>r traiter de <strong>la</strong> vie<strong>et</strong> des objectifs du gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>r chercherdes solutions aux problèmes identifiés.Ces structures collectives accueillent <strong>à</strong> bras<strong>ou</strong>verts les marques de <strong>la</strong> culture departicipation : Des savoirs sur les règles <strong>et</strong> les <strong>sanctions</strong> :chacun est informé non seulement de <strong>la</strong>nature des règles mais de leur moded’é<strong>la</strong>boration <strong>et</strong> d’application, de leursignification <strong>et</strong> de leur but ; <strong>la</strong> règle <strong>et</strong> <strong>la</strong>Enseignant en D+ : Entre collègues, on a un espacep<strong>ou</strong>r dire le positif, ce qui re<strong>la</strong>ti<strong>vis</strong>e le négatif.J’éc<strong>ou</strong>te <strong>et</strong> s<strong>ou</strong>tiens les jeunes profs (enseignement =solidarité), on ne leur dit pas assez ce qu’il y a debeau dans le métier de prof. La direction s<strong>ou</strong>tient sesprofs (« c’est ch<strong>ou</strong><strong>et</strong>te ce que v<strong>ou</strong>s faites »),s’intéresse <strong>à</strong> leurs proj<strong>et</strong>s.Direction secondaire : Je distingue deux niveauxd’application des règles <strong>vis</strong>-<strong>à</strong>-<strong>vis</strong> du personnel, celuioù l’enseignant est dans sa c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> celui de <strong>la</strong>discipline générale. Dans le premier cas, je n’ai pasbeauc<strong>ou</strong>p de prises <strong>et</strong> je dois bien constater que lerèglement de l’école n’est pas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs appliqué dans<strong>la</strong> vie de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Il y va de <strong>la</strong> cohérence dansl’application des règles. Quand je me rends dans lesc<strong>la</strong>ses <strong>et</strong> constate ce<strong>la</strong>, je passe t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs par une phased’éc<strong>ou</strong>te p<strong>ou</strong>r savoir quel est ‘le cl<strong>ou</strong> dans <strong>la</strong>chaussure’ de l’enseignant. Dans <strong>la</strong> gestion de <strong>la</strong>discipline générale <strong>et</strong> des manquements (profsarrivant en r<strong>et</strong>ard, quittant l’école plus tôt, …), jedispose de différents moyens administratifs desanction <strong>à</strong> l’égard du personnel (rappel <strong>à</strong> l’ordre,avertissement, …) que j’ai déj<strong>à</strong> dû activer.Direction primaire : La réflexion <strong>la</strong>ncée au niveau del’équipe, avant même d’avoir ab<strong>ou</strong>ti <strong>à</strong> des décisions <strong>et</strong>des productions a eu des eff<strong>et</strong>s positifs sur l’ambiancegénérale : moins d’enfants envoyés dans mon bureau.Il semble que les adultes devenaient plus forts p<strong>ou</strong>rréagir <strong>et</strong> se positionnaient déj<strong>à</strong> de façon plus c<strong>la</strong>ire.Mon impression était que le problème était moins auniveau des enfants qu’au niveau des adultes.Animateur Jeunesse & Santé : L’animateur est dans lecadre, comme les jeunes, mais avec d’autres règlesquand se r<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>ve en staff. On travaille sur <strong>la</strong>dynamique de staff : quelles sont les valeurs dum<strong>ou</strong>vement ? Quels sont les comportements cohérentsavec ces valeurs ? On en discute en staffpréa<strong>la</strong>blement <strong>à</strong> l’activité, par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> vie en staff<strong>et</strong> par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> vie avec les animés.Responsable AMO : Face <strong>à</strong> des jeunes avec descomportements différents dans différents lieux, il estessentiel d’instaurer un lieu <strong>et</strong> une parole p<strong>ou</strong>r fairecohérence, avec des adultes portant un regard positif<strong>et</strong> assumant leur position d’adultes. Avec le temps, lesjeunes savent comment gérer les incidents ; rassurés(<strong>ou</strong> moins apeurés), ils s’autonomisent dans l’espacesécurisé qui s’est construit. Mais il faut recommencer<strong>à</strong> zéro chaque année.www.changement-egalite.be 27


sanction sont explicitées tant par lesanciens du gr<strong>ou</strong>pe que par lesresponsables <strong>et</strong> <strong>la</strong> direction qui leurdonnent du sens en lien avec le gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong>ses objectifs. Chacun sait quelle p<strong>la</strong>ce iloccupe dans le rapport de force enprésence. Des croyances sur le caractère juste <strong>et</strong> bonde <strong>la</strong> règle <strong>et</strong> de <strong>la</strong> sanction : chacun estamené, par <strong>la</strong> pratique ordinaire dugr<strong>ou</strong>pe, <strong>à</strong> tester, questionner, discuter,évaluer <strong>la</strong> pertinence de <strong>la</strong> loi <strong>et</strong> <strong>la</strong>légitimité de son application. Chacun croitqu’il peut intervenir dans <strong>la</strong> constructionde <strong>la</strong> règle. Chacun est convaincu que <strong>la</strong>règle est utile <strong>et</strong> juste, mais aussi qu’il serasanctionné s’il <strong>la</strong> transgresse. Des actions qui se traduisent par desattitudes de confiance mutuelle, de fierté,de solidarité, par des actesd’enc<strong>ou</strong>ragement, de s<strong>ou</strong>tien, d’empathie,par une dynamique de responsabilisation<strong>et</strong> d’autonomisation, bref par uneambiance d’autorité bienveil<strong>la</strong>nte.Ces points concernant <strong>la</strong> structure <strong>et</strong> <strong>la</strong> culturesont développés plus en détails dans lechapitre suivant.Instituteur primaire : Une fois que tu es convaincupar des pratiques où l’enfant est acteur, qu’il a le droitde te dire ce qui se passe dans sa tête <strong>ou</strong> ce qui n’a pasété, forcément, t<strong>ou</strong>t ça devient dialogue p<strong>ou</strong>r vivreensemble <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>r apprendre aussi. Et l’un n’est paspossible sans l’autre. Tu ne sais pas apprendre si tun’as pas le contexte qui fait que. C’est difficiled’expliquer, c’est un ensemble.Animateur EDD : On favorise <strong>la</strong> promotion del’entraide <strong>et</strong> des explications entre jeunes, s<strong>ou</strong>vent il ya imitation spontanée du modèle des autres jeunesplus anciens, parfois incitation des animateurs.Direction primaire : L’esprit du document est demiser sur <strong>la</strong> « fierté » d’appartenir <strong>à</strong> l’école. <strong>Les</strong> eff<strong>et</strong>ssont <strong>vis</strong>ibles dans l’enceinte l’école <strong>et</strong> notre s<strong>ou</strong>haitest qu’ils s’étendent au dehors, dans <strong>la</strong> rue, dans lequartier.Enseignant en D+ : La mission, le contrat, le métierde l’élève, c’est apprendre, grandir, s’épan<strong>ou</strong>ir, … ;ceux des profs, c’est enseigner, partager. Je leur dis :« Je ne serai jamais de votre côté <strong>et</strong> v<strong>ou</strong>s jamais dumien », il faut des règles particulières <strong>à</strong> chaquegr<strong>ou</strong>pe. Moi, je crois en v<strong>ou</strong>s.Enseignante en professionnel : L’expression « … queles règles soient respectées » me dérange car mon rôleest d’arriver <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre les élèves au travail, <strong>à</strong> <strong>la</strong>ncer unedynamique d’apprentissage, pas de « faire respecterles règles ». J’apporte un cahier où les élèves quicommencent <strong>à</strong> râler <strong>ou</strong> qui demandent si l’on fera ceci<strong>ou</strong> ça, peuvent écrire. Lorsqu’un élève demande cequ’on va faire de ce qui est écrit dans le cahier, jedémarre un conseil d’inspiration pédagogieinstitutionnelle.www.changement-egalite.be 28


Chapitre 4 : Mais comment font-ils ?Benoît Ga<strong>la</strong>nd<strong>Les</strong> entr<strong>et</strong>iens que n<strong>ou</strong>s avons réalisés font apparaître une grande inventivité dans lesmodalités concrètes de mise en p<strong>la</strong>ce des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong>. Comme indiqué dans lechapitre précédent, les manières d’é<strong>la</strong>borer <strong>et</strong> de communiquer les règles, les contenus <strong>et</strong> lesformes de sanction face <strong>à</strong> des transgressions, <strong>la</strong> répartition des rôles <strong>et</strong> l’organisation dutravail en équipe, sont très diversifiés.C<strong>et</strong>te variété présente deux caractéristiques remarquables. D’une part, elle procède d’uneadaptation aux réalités locales, qui s’appuie sur une connaissance <strong>et</strong> une expérience du métier<strong>et</strong> du contexte de travail. D’autre part, elle reflète l’utilisation variée qui est faite de différents<strong>ou</strong>tils plutôt que <strong>la</strong> maîtrise de techniques multiples. En d’autres mots, <strong>la</strong> variété des pratiquesrencontrées ne vient pas de <strong>la</strong> multiplication des techniques (de communication, dedynamique de gr<strong>ou</strong>pe, de gestion de conflit, <strong>et</strong>c.) mises en œuvre, mais plutôt de différentesmanières d’utiliser <strong>la</strong> formalisation des règles, les temps de concertation, <strong>la</strong> médiation, <strong>et</strong>c.Il n’y aurait donc pas de rec<strong>et</strong>te unique p<strong>ou</strong>r instaurer une certaine qualité du vivre ensemble,comme le suggère <strong>la</strong> diversité des pratiques. En même temps, <strong>la</strong> plupart de ces pratiques sonts<strong>ou</strong>s-tendues par un certain nombre de principes communs, par des lignes de force simi<strong>la</strong>ires.Ainsi, plutôt que de « bonnes pratiques » qu’il faudrait reproduire, il s’agirait plutôt d’étatd’esprit, de culture, des valeurs, de proj<strong>et</strong>s de (micro-)société, de <strong>vis</strong>ion de l’éducation. Cesont ces principes <strong>et</strong> ces lignes de force que n<strong>ou</strong>s allons tenter de mieux comprendre dans cechapitre. Si le chapitre précédent présentait certaines manières de faire, il s’agit ici des’interroger sur ce qui perm<strong>et</strong> aux acteurs éducatifs rencontrés de faire ce qu’ils font(notamment en développant le point « Etablir un contexte favorable » présenté ci-dessus).Quelle efficacité ?<strong>Les</strong> manières de faire investiguées n’offrent pas une prévention absolue garantissant unrisque-zéro de débordement – ce n’est d’<strong>ailleurs</strong> pas leur objectif. Elles se distinguent plutôtpar une façon de gérer les incidents, les transgressions <strong>et</strong> les conflits qui se révèle s<strong>ou</strong>ventbénéfique p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> socialisation <strong>et</strong> l’apprentissage (a contrario, nos deux interlocuteurs qui sedisent n<strong>et</strong>tement insatisfaits de l’efficacité du système de règles <strong>et</strong> <strong>sanctions</strong> en vigueur surleur lieu de travail font état de pratiques d’un type très différent des autres interlocuteurs).C<strong>et</strong>te efficacité est cependant locale, située, circonstanciée, attachée <strong>à</strong> un gr<strong>ou</strong>pe particulier.Plusieurs intervenants signalent que s’il y a peu de problèmes de vivre ensemble au sein desgr<strong>ou</strong>pes qu’ils ont en charge, ils sont informés que des difficultés se posent dans d’autrescontextes (famille, quartier, …) avec les jeunes qui composent ces gr<strong>ou</strong>pes. Ces pratiques neprétendent donc ni régler t<strong>ou</strong>s les types de problèmes, ni avoir (nécessairement) d’eff<strong>et</strong> dansles autres milieux de vie du jeune. Elles parviennent, vaille que vaille, <strong>à</strong> instaurer des espacestempscollectifs où chaque participant peut se sentir en sécurité, de manière <strong>à</strong> rendre possibledes activités <strong>ou</strong> des apprentissages. En essayant de reconnaître ses limites, il s’agit p<strong>ou</strong>r cesacteurs d’éviter le travers du totalitarisme <strong>ou</strong> de l’illusion de t<strong>ou</strong>te puissance. Leur efficacitéest en <strong>ou</strong>tre liée <strong>à</strong> un mandat, <strong>à</strong> une mission reçue des parents <strong>et</strong>/<strong>ou</strong> de l’Etat. De ce fait, ellepeut parfois entrer en tension avec d’autres logiques (familiale, judiciaire, <strong>et</strong>c., voir parexemple le texte « Voler de ses propres ailes » en appendice).www.changement-egalite.be 29


Une autre <strong>vis</strong>ion des choses ?Un élément <strong>la</strong>rgement partagé par les personnes interrogées est une dédramatisation de <strong>la</strong>transgression. <strong>Les</strong> infractions aux règles, ainsi que les <strong>sanctions</strong>, sont considérées comme« normales », comme faisant partie du processus d’éducation. Le fait que ce processus prenddu temps, ne se fait pas en une fois, procède par avancées, stagnations, <strong>et</strong> parfois régressions,est accepté <strong>et</strong> anticipé. L’instal<strong>la</strong>tion d’autres modes de fonctionnement parmi les jeunes sefait progressivement. Redire, refaire, rappeler, interpeller – de multiples fois si nécessaire –est vu comme une composante <strong>à</strong> part entière du travail éducatif (voir notamment en appendiceles textes « J’ai l’droit » <strong>et</strong> « Dites-moi d’obéir »). T<strong>ou</strong>t ce<strong>la</strong> aide <strong>à</strong> ce que le non-respectd’une règle ne soit pas d’office considéré comme de <strong>la</strong> mauvaise volonté <strong>et</strong> <strong>la</strong> récidive commeune provocation. La répétition d’une transgression n’équivaut pas nécessairement <strong>à</strong> uneaggravation des faits. De plus, <strong>la</strong> sévérité, <strong>la</strong> dur<strong>et</strong>é, <strong>la</strong> pénibilité de <strong>la</strong> sanction ne sont pasvues comme des gages d’efficacité éducative. Nos interlocuteurs s’inscrivent donc pleinementdans une logique éducative (<strong>ou</strong> pédagogique), qui cherche <strong>à</strong> donner droit <strong>à</strong> l’erreur, <strong>à</strong> <strong>la</strong>transformer en occasion d’apprentissage, plutôt que dans une logique judiciaire, où l’onaccumule des preuves p<strong>ou</strong>r justifier des <strong>sanctions</strong> de plus en plus l<strong>ou</strong>rdes (Waaub, 2001 22 ).C<strong>et</strong>te <strong>vis</strong>ion des choses s’accompagne <strong>la</strong> plupart du temps de dispositifs p<strong>ou</strong>r ne pas trop« prendre sur soi » le non-respect des règles, c’est-<strong>à</strong>-dire ne pas trop se sentir personnellement<strong>vis</strong>é <strong>et</strong> gérer les émotions que ce<strong>la</strong> suscite. Ce<strong>la</strong> peut notamment passer par certaines formesde travail en équipe, de responsabilisation collective <strong>et</strong> de re<strong>la</strong>is, de dépersonnalisation desrègles <strong>et</strong> des procédures de décisions. Ces éléments sont détaillés ci-dess<strong>ou</strong>s.Travailler en équipe ?Un trait commun <strong>à</strong> <strong>la</strong> majorité des organisations où exercent nos interlocuteurs est que destemps p<strong>ou</strong>r travailler en équipe <strong>ou</strong> en staff sont prévus de manière régulière. Ce travail enéquipe remplit plusieurs fonctions. Il offre <strong>la</strong> possibilité de prendre de recul par rapport auxinteractions avec les jeunes, d’exprimer <strong>et</strong> de confronter son vécu, de gérer les émotions. Ilperm<strong>et</strong> de discuter des règles, des procédures, des <strong>sanctions</strong>, des objectifs, p<strong>ou</strong>r assurer <strong>la</strong>cohérence de l’équipe (par exemple <strong>à</strong> partir de <strong>la</strong> question « qu’est-ce qui est bon p<strong>ou</strong>r moi <strong>et</strong>juste p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s ? »). C’est un lieu de co-formation où les acteurs peuvent é<strong>changer</strong> pratiques<strong>et</strong> informations, imaginer les ajustements qui paraissent utiles, é<strong>la</strong>borer de n<strong>ou</strong>velles idées. C<strong>et</strong>ype de travail en équipe ne se résume donc pas <strong>à</strong> « on décide collectivement une fois p<strong>ou</strong>rt<strong>ou</strong>te <strong>et</strong> puis t<strong>ou</strong>t le monde fait <strong>la</strong> même chose ». Il s’agit d’un mode de fonctionnement plusrégulier, <strong>la</strong>issant <strong>à</strong> chacun une part d’autonomie, sans contrôles pointilleux.Un autre aspect commun <strong>à</strong> <strong>la</strong> majorité des entr<strong>et</strong>iens est <strong>la</strong> possibilité de faire appel <strong>à</strong> un tiers<strong>ou</strong> <strong>à</strong> une personne de référence, mais sans que c<strong>et</strong>te personne « prenne <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce », fasse <strong>à</strong> <strong>la</strong>p<strong>la</strong>ce du praticien concerné, ni ne devienne celle chez qui l’on vient déverser t<strong>ou</strong>s sesproblèmes. P<strong>ou</strong>r ce faire, les rôles <strong>et</strong> responsabilités de chacun sont c<strong>la</strong>irement définis, lesprocédures sont explicites <strong>et</strong> partagées. Dans l’école par exemple, les territoires desenseignants, de l’équipe <strong>et</strong> de <strong>la</strong> direction sont précisés. <strong>Les</strong> modalités de passage <strong>ou</strong> le re<strong>la</strong>isvers l’équipe <strong>ou</strong> <strong>la</strong> direction sont explicités. Éc<strong>la</strong>ircir les questions « qui fait quoi, où, quand,comment, p<strong>ou</strong>rquoi ? » perm<strong>et</strong> d’instaurer un cadre cohérent <strong>et</strong> sécurisant. C<strong>et</strong>te manièred’organiser le travail collectif perm<strong>et</strong> de sortir de <strong>la</strong> gestion au cas par cas <strong>et</strong> du sentiment22 Waaub, P. (2001). La sanction dans l’école : un <strong>ou</strong>til <strong>ou</strong> une arme ? Agenda Interculturel, 193, 8-13.www.changement-egalite.be 30


d’être sur le fil du rasoir face aux incidents qui p<strong>ou</strong>rraient survenir (p<strong>ou</strong>r un exemple concr<strong>et</strong>,voir le texte « Règles <strong>et</strong> procédures » en appendice).<strong>Les</strong> expériences rapportées par les personnes interrogées montrent que ce type defonctionnement est fortement facilité par <strong>la</strong> présence d’un s<strong>ou</strong>tien institutionnel (notammentles directions <strong>et</strong> les P<strong>ou</strong>voirs Organisateurs [PO] en milieu sco<strong>la</strong>ire).Nos interlocuteurs témoignent de l’apport d’un travail en équipe tel que décrit ci-dessus, tantd’un point de vue personnel que collectif. En milieu sco<strong>la</strong>ire, ce<strong>la</strong> peut notamment aider <strong>à</strong>développer un sentiment de solidarité entre collègues, rassurer par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> peur de perdre<strong>la</strong> maîtrise de sa c<strong>la</strong>sse <strong>ou</strong> par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> crainte du jugement des autres concernant sacapacité <strong>à</strong> « tenir » sa c<strong>la</strong>sse. Ce<strong>la</strong> peut aussi aider <strong>à</strong> s’extraire d’interprétation comme « ilsm’en veulent, ils sont méchants » <strong>ou</strong> « si je sanctionne, ils ne vont plus m’apprécier », <strong>ou</strong>encore de réactions de déf<strong>ou</strong>lement <strong>ou</strong> de revanche (Maheu, 2005 23 ). Il paraît ardu de poserun cadre c<strong>la</strong>ir <strong>et</strong> participatif, puis de le faire respecter, sans c<strong>et</strong>te cohérence entre adultes, sansun mode fonctionnement qui perm<strong>et</strong> de vivre soi-même ce que l’on prône (Chevalier,2008 24 ). 25Dialoguer ?P<strong>ou</strong>r les praticiens interrogés, <strong>la</strong> sanction n’est pas considérée comme une simple« rétribution », appliquée de manière automatique (voire bureaucratique) face <strong>à</strong> un<strong>et</strong>ransgression. Elle est vue comme un aspect du travail éducatif <strong>vis</strong>ant <strong>à</strong> l’intégration de <strong>la</strong>règle comme garant du vivre ensemble <strong>et</strong> de <strong>la</strong> sécurité de chacun. Dans c<strong>et</strong>te conception, <strong>la</strong>sanction implique éc<strong>ou</strong>te <strong>et</strong> dialogue, non pas p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>t rem<strong>et</strong>tre en question <strong>à</strong> chaqueincident, ni par s<strong>ou</strong>ci thérapeutique <strong>ou</strong> expressif, mais comme <strong>ou</strong>til d’intégration du gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong>des règles qui perm<strong>et</strong>tent <strong>la</strong> convivialité. Il s’agit d’instaurer un espace de parole p<strong>ou</strong>rélucider ce qui se passe, le comment <strong>et</strong> le p<strong>ou</strong>rquoi, en prenant en considération le point devue des différents partis impliqués (voir le texte « Triangle <strong>à</strong> trois voix » en appendice). Laparole est l<strong>à</strong> p<strong>ou</strong>r rappeler <strong>la</strong> règle, redire son fondement <strong>et</strong> nommer <strong>la</strong> transgression (pas p<strong>ou</strong>rengueuler <strong>ou</strong> faire <strong>la</strong> morale ; voir « Dites-moi d’obéir » en appendice). L’éc<strong>ou</strong>te tente dedéceler ce que le jeune cherche <strong>à</strong> dire <strong>à</strong> travers son comportement. En d’autres mots, il s’agitde « traiter » non seulement les actes, mais également le sens de ces actes, ce que <strong>la</strong>« simple » punition ne perm<strong>et</strong> pas. L’enjeu n’est pas seulement de clore l’incident, maisd’avancer vers <strong>la</strong> résolution du problème. Dans c<strong>et</strong>te perspective, <strong>la</strong> sanction constitue un vraitravail de prévention de <strong>la</strong> récidive (P<strong>et</strong>itclerc, 2004 26 ). En analysant des récits d’incidentsaut<strong>ou</strong>r de l’autorité <strong>à</strong> l’école lors d’une précédente étude, n<strong>ou</strong>s avions observé que les23 Maheu, E. (2005). Sanctionner sans punir : Dire les règles p<strong>ou</strong>r vivre ensemble. Lyon : Chronique Sociale.24 Chevalier, A. (2008). Des problèmes révé<strong>la</strong>teurs d’un déficit démocratique. In N.Rasson (Coord.), Pratiquesdémocratiques <strong>à</strong> l’école. Charleroi : C<strong>ou</strong>leur livres.25 « Ce qui va aider au respect des règles, c’est <strong>la</strong> cohérence des adultes <strong>et</strong> le fait qu’ils fassent t<strong>ou</strong>s appliquerles mêmes règles. Et c<strong>et</strong> idéal semble être l’obj<strong>et</strong> de discussions régulières avec l’équipe.Voici un exemple : dans c<strong>et</strong>te école, il y a des règles qui précisent <strong>à</strong> quoi on peut j<strong>ou</strong>er dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r où, qui <strong>et</strong>quand (par exemple, football <strong>ou</strong> skateboard tel j<strong>ou</strong>r <strong>à</strong> tel endroit). Il arrive que des enfants demandent <strong>à</strong> unesurveil<strong>la</strong>nte de p<strong>ou</strong>voir j<strong>ou</strong>er au foot <strong>à</strong> un moment où ce n’est pas prévu, arguant que l’espace est libre <strong>ou</strong> autreraison. Il arrive que <strong>la</strong> personne <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle les enfants s’adressent autorise ce<strong>la</strong> alors que <strong>la</strong> règle dit lecontraire.Même s’il p<strong>ou</strong>rrait y avoir de bonnes raisons d’accéder, p<strong>ou</strong>r une fois, <strong>à</strong> <strong>la</strong> demande des enfants, ne pas donnerpriorité aux règles établies ensemble (au conseil d’école), génère des revendications, des discussions, de <strong>la</strong>violence.» (direction d’école primaire)26 P<strong>et</strong>itclerc, J.-M. (2004). Enfermer <strong>ou</strong> éduquer ? Paris : Dunod.www.changement-egalite.be 31


stratégies qui prenaient en compte le point de vue des différents partis concernés ab<strong>ou</strong>tissaientgénéralement <strong>à</strong> une résolution plus satisfaisante des incidents que les stratégies uni<strong>la</strong>térales(Ga<strong>la</strong>nd, <strong>à</strong> paraître, op.cit.).Il faut s<strong>ou</strong>ligner que, dans les pratiques étudiées, le rec<strong>ou</strong>rs <strong>à</strong> <strong>la</strong> parole n’empêche nullementl’utilisation d’autres types de sanction. Ce qui fait <strong>la</strong> force de c<strong>et</strong>te parole, c’est sonarticu<strong>la</strong>tion avec les fondements des règles, avec les procédures <strong>et</strong> le mode de fonctionnementdu gr<strong>ou</strong>pe, son ancrage dans le vécu du gr<strong>ou</strong>pe. Elle n’a rien de magique <strong>et</strong> n’est pas en soi ungage d’efficacité. On peut noter que c<strong>et</strong>te parole est s<strong>ou</strong>vent soit individualisée (ex. : le jeuneest pris <strong>à</strong> part), soit ritualisée (ex. : un conseil est organisé), ce qui est assez différent d’uneremarque <strong>ou</strong> d’un rappel fait sur le vif. C<strong>et</strong>te manière de faire perm<strong>et</strong>, de facto, de temporiser,de se donner un temps de réflexion plutôt que de réagir « <strong>à</strong> chaud » (cf. par exemple « Quisocialiser ? » en appendice).Dans c<strong>et</strong>te optique, les règles n’ont pas de valeur en soi. Elles valent p<strong>ou</strong>r leur contribution auvivre ensemble. Elles sont donc pas intangibles, mais peuvent être modifiées p<strong>ou</strong>r mieuxrépondre <strong>à</strong> leur objectif (p<strong>ou</strong>r un exemple de difficulté posée par des règles trop rigides, cf.« Des obligés sco<strong>la</strong>ires » en appendice). P<strong>ou</strong>r éviter les contestations impromptues, cesmodifications s’effectuent selon des procédures explicites, prévues <strong>à</strong> l’avance, <strong>et</strong> non <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>tb<strong>ou</strong>t de champ.<strong>Les</strong> praticiens rencontrés qui ont mis en p<strong>la</strong>ce des lieux de paroles <strong>et</strong> de régu<strong>la</strong>tion collectiveaffirment que ceux-ci contribuent grandement <strong>à</strong> l’établissement d’un meilleur climat dans legr<strong>ou</strong>pe, <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> réduction des tensions aut<strong>ou</strong>r des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> (p<strong>ou</strong>r des exemplesconcr<strong>et</strong>s, voir les textes « Le conseil en 4 e professionnel » <strong>et</strong> « Et si on leur <strong>la</strong>issait lep<strong>ou</strong>voir ? » en appendice ; cf. aussi Jasmin, 1994 27 ). Ces dispositifs peuvent constituer unevéritable éducation <strong>à</strong> <strong>la</strong> citoyenn<strong>et</strong>é s’enracinant dans le quotidien de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, même si cen’est pas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs leur intention initiale.Sanctionner ?Rejoignant <strong>la</strong> définition proposée dans le chapitre 1, les acteurs éducatifs interviewés neconfondent pas sanction avec punition. S’opposant <strong>à</strong> l’impunité, <strong>la</strong> sanction consiste <strong>à</strong>signaler que l’on a vu une transgression, <strong>la</strong> punition n’étant qu’une de ses formes possibles(Prairat, 1997, op.cit.). Dans <strong>la</strong> majorité des lieux <strong>vis</strong>ités, <strong>la</strong> sanction consiste d’abord <strong>à</strong>rappeler <strong>la</strong> règle <strong>et</strong> <strong>à</strong> vérifier <strong>la</strong> compréhension de son fondement, de l’enjeu de satransgression (cf. ci-dessus « Dialoguer ? »), puis <strong>à</strong> interpeller le jeune : « P<strong>ou</strong>rquoi es-tu ici,qu’est-ce que tu veux faire ? ». Dans certains cas, il est aussi question d’examiner lespossibilités de réparation par rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> transgression. Dans d’autres cas, <strong>la</strong> sanction peutinclure le r<strong>et</strong>rait de certains droits au jeune, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs dans un dé<strong>la</strong>i limité <strong>et</strong> avec uneévaluation prévue (p<strong>ou</strong>r un exemple, voir « Sauter du 9 ème étage ! » en appendice). S<strong>ou</strong>vent,une gradation est prévue dans les intervenants (par ex. : enseignant, éducateur, directeur,conseil de c<strong>la</strong>sse) suivant <strong>la</strong> gravité <strong>ou</strong> <strong>la</strong> répétition des faits (cf. ci-dessus « Travailler enéquipe ? »). Ces pratiques forment un système qui articule les différentes composantes de <strong>la</strong>sanction dégagée dans le premier chapitre.P<strong>ou</strong>r nombre de nos interlocuteurs, <strong>la</strong> priorité n’est pas nécessairement d’identifier unc<strong>ou</strong>pable <strong>ou</strong> d’établir « <strong>la</strong> » vérité, mais plutôt de gérer le présent <strong>et</strong> préparer l’avenir. Àtravers les pratiques des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> mentionnées jusqu’ici, il apparaît c<strong>la</strong>irement27 Jasmin, D. (1994). Le conseil de coopération. Montréal : La Chenelière.www.changement-egalite.be 32


que l’objectif de nos interlocuteurs n’est pas <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>mission <strong>ou</strong> l’obéissance aveugle, mais bienl’appréhension de l’intérêt des règles p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> vie en société <strong>et</strong> le développement de <strong>la</strong> capacité<strong>à</strong> se donner des règles de conduite (voir par exemple en appendice « Qui socialiser ? »). Enréférences aux <strong>vis</strong>ées de <strong>la</strong> sanction dégagées dans le chapitre 1, <strong>la</strong> plupart de nosinterlocuteurs se situent c<strong>la</strong>irement dans expliquer, comprendre <strong>et</strong> apprendre <strong>et</strong> faire réparer.À c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, dans les gr<strong>ou</strong>pes étudiés, les jeunes se voient aussi proposer des défis, ils ont desresponsabilités <strong>à</strong> assurer, ils apprennent d’autres manières de faire <strong>et</strong> de réagir (<strong>à</strong> travers desjeux, des espaces de parole, des proj<strong>et</strong>s, …). <strong>Les</strong> adultes sont très attentifs <strong>à</strong> ne pas humilier(entre autres en ne critiquant pas un jeune devant le gr<strong>ou</strong>pe, même en cas de non-respect desrègles), <strong>à</strong> développer <strong>la</strong> fierté d’appartenir au gr<strong>ou</strong>pe (association, école, …), <strong>et</strong> <strong>à</strong> valoriser lesréalisations des jeunes <strong>et</strong> <strong>à</strong> développer leur autonomie (p<strong>ou</strong>r des exemples, voir « Ce n’est pasau bon v<strong>ou</strong>loir de … » <strong>et</strong> « S’abimer dans ses peurs <strong>ou</strong> devenir auteur », en appendice).N<strong>ou</strong>s avons déj<strong>à</strong> indiqué plus haut que les mesures d’exclusion étaient extrêmement raresdans <strong>la</strong> plupart des gr<strong>ou</strong>pes étudiés. Ce<strong>la</strong> n’empêche que l’exclusion du gr<strong>ou</strong>pe reste unes<strong>ou</strong>rce de questionnement p<strong>ou</strong>r nombre de praticiens interviewés, d’autant qu’elle peutprendre différentes formes <strong>et</strong> différentes significations. Qui protéger en priorité, l’individu <strong>ou</strong>le gr<strong>ou</strong>pe ? L’exclusion sanctionne-t-elle l’acte <strong>ou</strong> <strong>la</strong> personne ? Maintient-on <strong>ou</strong> non <strong>la</strong>re<strong>la</strong>tion avec le jeune exclu ? Que fait-on de ceux qui s’excluent eux-mêmes (<strong>et</strong> qui, dans lecas de l’école, se m<strong>et</strong>tent en infraction par rapport <strong>à</strong> l’obligation sco<strong>la</strong>ire) ? Vers qui renvoi<strong>et</strong>-onquand on exclut quelqu’un ? Suivant <strong>la</strong> façon de répondre <strong>à</strong> ces questions, lesconséquences d’une exclusion peuvent être très différentes. Malgré t<strong>ou</strong>t, l’existence de <strong>la</strong>possibilité de renvoyer quelqu’un du gr<strong>ou</strong>pe semble importante. Refuser c<strong>et</strong>te possibilité,c’est croire <strong>et</strong> faire croire que l’on peut faire face <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>tes les situations <strong>et</strong> <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s les types deproblèmes. 28Donner du sens ?Une des préoccupations centrales de nos interlocuteurs est de donner du sens aux règles <strong>et</strong> aux<strong>sanctions</strong> qui peuvent en déc<strong>ou</strong>ler. <strong>Les</strong> éléments suivants, déj<strong>à</strong> présentés ci-dessus, ser<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>vent dans de nombreux entr<strong>et</strong>iens <strong>et</strong> semblent contribuer <strong>à</strong> donner aux yeux des jeunessens <strong>et</strong> légitimité aux règles collectives :- des règles liées au vécu concr<strong>et</strong> du gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> qui tiennent compte de son contexteparticulier ;28 « Le fait de faire mention d’exclusion sur des règlements est quelque chose de n<strong>ou</strong>veau dans notre école dedevoirs. Ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong> d’avoir une position plus c<strong>la</strong>ire par rapport aux parents quant aux limites de notre travail<strong>et</strong> est davantage propice <strong>à</strong> régler le problème AVEC les parents ; ce<strong>la</strong> fait partie des possibilités que l’école desdevoirs se réserve. Il faut t<strong>ou</strong>tefois veiller <strong>à</strong> ce que les animateurs ne s’emparent pas de c<strong>et</strong>te possibilité p<strong>ou</strong>ren<strong>vis</strong>ager l’exclusion dès qu’une difficulté un peu sérieuse se présente. En fait, il ne s’agit pas tant des’autoriser <strong>à</strong> exclure comme moyen de coercition que de protéger le gr<strong>ou</strong>pe.Au début de l’école de devoirs, on ne par<strong>la</strong>it jamais d’exclusion, c’était impensable <strong>et</strong> incompatible avec leconcept même d’école de devoirs puisque ce lieu est destiné <strong>à</strong> une popu<strong>la</strong>tion qui vit déj<strong>à</strong> en partie l’exclusionsociale.C<strong>et</strong>te idée de s’autoriser <strong>à</strong> exclure est le fruit d’un cheminement <strong>et</strong> de l’expérience. S’interdire d’exclure, c’étaitse donner l’illusion d’être super-puissant. On ne peut pas faire face <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s les problèmes. C’est important queles parents se rendent compte qu’on ne peut pas rés<strong>ou</strong>dre t<strong>ou</strong>s les problèmes en m<strong>et</strong>tant un enfant en école dedevoirs ; ils ont aussi leur part de responsabilités face aux difficultés que peut rencontrer leur enfant. Quand desenfants viennent <strong>à</strong> l’école de devoirs avec des problèmes autres que ceux des devoirs, il ne faut pas que ce<strong>la</strong>empêche le gr<strong>ou</strong>pe de travailler. » (responsable d’une école de devoirs)www.changement-egalite.be 33


- se référer <strong>à</strong> un cadre général explicite qui donne une perspective plus <strong>la</strong>rge au gr<strong>ou</strong>pe(valeurs, proj<strong>et</strong>, lois, …) ;- « faire avec » les jeunes, les impliquer dans <strong>la</strong> fixation des règles <strong>et</strong> dans les prises dedécisions ;- des activités « signifiantes » p<strong>ou</strong>r les jeunes (proj<strong>et</strong>, défi, …) ;- un temps d’éc<strong>ou</strong>te <strong>et</strong> de parole inclus dans le processus de décision face <strong>à</strong> un<strong>et</strong>ransgression ;- ne pas isoler <strong>la</strong> transgression, <strong>la</strong> réinscrire dans l’ensemble de <strong>la</strong> situation ;- recommencer, redire les règles, donner plusieurs chances, ne pas enfermer dans unacte négatif <strong>et</strong> savoir t<strong>ou</strong>rner <strong>la</strong> page ;- limiter strictement le rec<strong>ou</strong>rs aux exclusions <strong>et</strong> tenter de maintenir <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion si l’onrenvoie du gr<strong>ou</strong>pe ;- une grande cohérence des adultes entre eux, ceux-ci se concertent régulièrement,adhèrent au même cadre général <strong>et</strong> utilisent les mêmes procédures.Ces manières de faire, qui s’appuient sur des dispositifs <strong>et</strong> des collectifs plutôt que sur despersonnes <strong>et</strong> des habil<strong>et</strong>és particulières, facilitent apparemment l’instauration d’un climatapaisé, non seulement entre jeunes <strong>et</strong> adultes, mais aussi entre jeunes eux-mêmes.Conclure ?Ce qui est mis en œuvre par nos interlocuteurs ne tombe pas du ciel <strong>et</strong> ne tient pas del’évidence ; c’est généralement le fruit de rencontres, d’échanges, de lectures, de formations,d’expériences, de tâtonnements, … Par contre, ce<strong>la</strong> ne semble pas lié <strong>à</strong> l’âge, au genre, <strong>à</strong>l’origine sociale, au type d’études, <strong>à</strong> <strong>la</strong> profession exercée <strong>ou</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> présence de spécialistes(médiateur, psychologue, conseiller, <strong>et</strong>c.).Ces manières de faire, qui vont de pair avec des remises en questions <strong>et</strong> des ajustementsréguliers, se veulent <strong>ou</strong>vertes plutôt que figées, valorisant <strong>la</strong> créativité <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>ant ledogmatisme théorique <strong>ou</strong> idéologique. <strong>Les</strong> questions « Qu’est-ce que je cherche <strong>à</strong> obteniravec les règles ? » <strong>et</strong> « Qu’est-ce que je <strong>vis</strong>e avec c<strong>et</strong>te sanction ? » sont <strong>à</strong> r<strong>et</strong>ravaillerépisodiquement p<strong>ou</strong>r éviter que les procédures mises en p<strong>la</strong>ce deviennent des fins plutôt quedes moyens.Ces manières de faire se rejoignent en ce qu’elles <strong>vis</strong>ent <strong>à</strong> contribuer <strong>à</strong> un vrai travail desocialisation combinant l’affectif <strong>et</strong> le cognitif : apprendre <strong>à</strong> accepter que les règlescollectives concernent chaque individu, malgré ses particu<strong>la</strong>rités, <strong>et</strong> que les <strong>sanctions</strong> sont uneapplication des règles collectives <strong>à</strong> des individus particuliers.P<strong>ou</strong>r œuvre dans c<strong>et</strong>te direction, en accord avec les observations de Casanova (2004) 29 , onp<strong>ou</strong>rrait dire que – dans leurs pratiques – les personnes interrogées combinent une approchepédagogique (sens de l’activité, objectifs éducatifs, …), une approche juridique (règles,procédures, …) <strong>et</strong> une approche re<strong>la</strong>tionnelle (communication, éc<strong>ou</strong>te, …). Ce faisant, ilsemble qu’elles inventent des réponses pro<strong>vis</strong>oires <strong>et</strong> évolutives aux questions <strong>et</strong> problèmesrencontrés par nombre d’enseignants (cf. chapitre « Quand l’école s’interroge »). Quant <strong>à</strong>savoir comment évoluer vers ce type de manières de faire, le chapitre suivant propose unepiste possible parmi beauc<strong>ou</strong>p d’autres.29 Casanova, R. (2004). Ces enseignants qui réussissent, face <strong>à</strong> <strong>la</strong> violence dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Vigneux : Matrice.www.changement-egalite.be 34


Chapitre 5 : Travailler collectivement <strong>à</strong> partir d’un incidentcritiqueAnne ChevalierCe chapitre a p<strong>ou</strong>r obj<strong>et</strong> de présenter une activité que n<strong>ou</strong>s avons menée <strong>à</strong> plusieurs reprisesavec des enseignants dans le cadre de formations que n<strong>ou</strong>s donnons <strong>à</strong> CGé aut<strong>ou</strong>r desquestions de discipline, <strong>sanctions</strong> <strong>et</strong> autorité <strong>à</strong> destination d’acteurs de l’éducation(enseignants du fondamental <strong>ou</strong> du secondaire <strong>ou</strong> animateurs ayant des tâchesd’apprentissage).L’activité que n<strong>ou</strong>s présentons ici est représentative de <strong>la</strong> pédagogie que n<strong>ou</strong>s utilisons enformation, <strong>à</strong> savoir partir d’incidents critiques, en faire une analyse collective afin de fairesurgir le questionnement <strong>et</strong> d’ainsi é<strong>la</strong>rgir le champ des options possibles.Elle prend p<strong>la</strong>ce assez vite en début de processus, après avoir fait connaissance <strong>et</strong> s’être misd’accord sur les objectifs <strong>et</strong> le cadre de <strong>la</strong> formation.<strong>Les</strong> différentes étapes de <strong>la</strong> démarchea) On donne le début d’un récit vécu <strong>et</strong> écrit par une enseignante <strong>et</strong> on le lit <strong>à</strong> voix haute.« Dans une c<strong>la</strong>sse de 18 élèves, en 1 ère A d'une école en discrimination positive, je pratiquais<strong>la</strong> Pédagogie Institutionnelle, <strong>à</strong> <strong>la</strong> force des poign<strong>et</strong>s, avec des élèves très déstructurées, vivantdans l'immédiat, passant vite aux actes, dans n'importe quel conflit. N<strong>ou</strong>s y avions construitde p<strong>et</strong>ites institutions, dont des lieux de parole qui p<strong>ou</strong>vaient être, p<strong>ou</strong>r les élèves <strong>et</strong> lesenseignants, des espaces où adresser demandes <strong>et</strong> autres.Malgré ces possibilités (mais dont les élèves n'avaient pas encore vraiment mesuré t<strong>ou</strong>tes lespossibilités d'en user), ce j<strong>ou</strong>r-l<strong>à</strong>, trois f<strong>la</strong>cons de typex <strong>ou</strong>verts volent au tableau, <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin demon c<strong>ou</strong>rs de français (4e heure de français en suivant, un mercredi matin).Surprise, choc. P<strong>et</strong>ite frayeur chez moi qui me tr<strong>ou</strong>vais au milieu des trajectoires.Je me r<strong>et</strong><strong>ou</strong>rne <strong>et</strong> vois un mé<strong>la</strong>nge de <strong>vis</strong>ages rigo<strong>la</strong>rds, atterrés <strong>ou</strong> baissés. Vite jaillit un " Onne l'a pas fait exprès!". J'éc<strong>la</strong>te de rire (rire nerveux <strong>et</strong> rigo<strong>la</strong>rd aussi p<strong>ou</strong>r le " pas exprès!")Et puis, je me tais <strong>et</strong> regarde chacune. Au bref silence interloqué de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, succède unbr<strong>ou</strong>haha de " C'est pas moi. C'est pas grave. Regardez, notre carte du monde n'est past<strong>ou</strong>chée. C'était pas sur v<strong>ou</strong>s, madame. C'est p<strong>ou</strong>r s'amuser." Il me restait 10 minutes avant <strong>la</strong>fin de c<strong>et</strong>te 4 e heure dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> je les reverrais le vendredi. » 30b) <strong>Les</strong> enseignants sont invités <strong>à</strong> p<strong>ou</strong>rsuivre le récit individuellement <strong>et</strong> par écrit.P<strong>ou</strong>rsuivez ce récit en imaginant que v<strong>ou</strong>s êtes l’enseignant de c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>sse. Commentréagissez-v<strong>ou</strong>s ? Que dites-v<strong>ou</strong>s ? Que faites-v<strong>ou</strong>s ?On précise que les suites possibles serviront de base <strong>à</strong> une réflexion collective sur les eff<strong>et</strong>sattendus <strong>et</strong> les risques de chacune des attitudes possibles.30 De Sm<strong>et</strong>, N. (2005). Au front des c<strong>la</strong>sses. Talus d’approche.www.changement-egalite.be 35


c) Après avoir rappelé au gr<strong>ou</strong>pe <strong>la</strong> règle de non jugement, on invite chacun qui le s<strong>ou</strong>haite <strong>à</strong>lire ce qu’il propose comme suite <strong>à</strong> c<strong>et</strong> incident. On note <strong>à</strong> chaque fois sur un grand tableaules pistes proposées auxquelles on donnera le nom d’options.d) Ensuite, on réfléchit collectivement en se posant les questions suivantes p<strong>ou</strong>r chacune desoptions- D’après v<strong>ou</strong>s, quels sont les eff<strong>et</strong>s attendus par ce type d’intervention ?- Quels sont les risques de ce type d’intervention ?On peut aussi imaginer une étape intermédiaire qui consiste <strong>à</strong> proposer de réfléchir <strong>à</strong> ces deuxquestions en s<strong>ou</strong>s-gr<strong>ou</strong>pes p<strong>ou</strong>r un nombre limité de pistes avant de m<strong>et</strong>tre les réponses encommun.Le tableau 2 offre un inventaire non exhaustif de réponses possibles aux questions posées. <strong>Les</strong>réactions reprises ne concernent que ce qui peut se passer dans les dix minutes qui suiventl’incident. <strong>Les</strong> eff<strong>et</strong>s attendus <strong>et</strong> les risques sont des suppositions que n<strong>ou</strong>s avons faites. <strong>Les</strong>eff<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les risques réels dépendent évidemment du contexte.Tableau 2 : Différentes réactions, eff<strong>et</strong>s attendus <strong>et</strong> risques possibles.Réactions possibles <strong>à</strong> chaud Eff<strong>et</strong>s attendus Risques éventuelsDemander <strong>à</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse en sefâchant : ‘Qui a fait ce<strong>la</strong> ?’Se m<strong>et</strong>tre en colère, dire quec’est inadmissible <strong>et</strong> faire undisc<strong>ou</strong>rs sur le mauvais espritde c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>sseDemander collectivement ense fâchant : ‘Qu’est-ce quev<strong>ou</strong>s me v<strong>ou</strong>lez?’Demander calmement auxélèves ‘Qui peut me dire cequi s’est passé ?’Demander <strong>à</strong> un élève donné(qu’on présume innocent) dedire ce qui s’est passé.Demander <strong>à</strong> un élève donné(qu’on s<strong>ou</strong>pçonne capable defaire ce<strong>la</strong>) de dire ce qui s’estpassé.Arrêter de donner c<strong>ou</strong>rs,regarder les élèves <strong>et</strong> se taireMarquer le c<strong>ou</strong>p, le stopRepérer un c<strong>ou</strong>pable afin dep<strong>ou</strong>voir punirMarquer le c<strong>ou</strong>p, le stopSe déf<strong>ou</strong>lerFaire parlerObtenir de l’information afinde p<strong>ou</strong>voir sanctionnerObtenir de l’information afinde p<strong>ou</strong>voir sanctionnerFaire av<strong>ou</strong>er <strong>ou</strong> dénoncerMarquer le c<strong>ou</strong>pSe poser <strong>et</strong> prendre du reculFaire réfléchirArrêter de donner c<strong>ou</strong>rs, Se poser <strong>et</strong> prendre du recul ImpunitéNe pas obtenir de réponse <strong>et</strong> devoir inventer unmoyen coercitif p<strong>ou</strong>r en obtenir uneAvoir une réponse partielle (un c<strong>ou</strong>pable sedénonce <strong>ou</strong> est dénoncé <strong>et</strong> les autres restentincognito)Renforcer le ma<strong>la</strong>ise entre les élèves <strong>et</strong> leprofesseurStigmatiser <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse (eff<strong>et</strong> Pygmalion)Prendre sur soi plutôt que de voir le problèmeglobalementNe pas obtenir de réponseDevoir gérer des débats entre différentesversionsInviter <strong>à</strong> <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>tionM<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong> élève très mal <strong>à</strong> l’aise par rapportaux autresNe pas obtenir de réponse <strong>ou</strong> des réponsesimprécisesInviter <strong>à</strong> <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>tionDevoir gérer les réactions des autres en sensdiversNe pas obtenir de réponse <strong>ou</strong> des réponsesimprécises <strong>ou</strong> des mensongesSusciter de <strong>la</strong> révolte <strong>et</strong> des réactions des autresp<strong>ou</strong>r le défendreInviter <strong>à</strong> <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>tionMa<strong>la</strong>ise – AngoisseCertains élèves p<strong>ou</strong>rraient se croire investis de<strong>la</strong> responsabilité de tr<strong>ou</strong>ver une solutionwww.changement-egalite.be 36


s’asseoir, attendre le calme <strong>et</strong>demander : ‘Que se passe-til?’Inviter au dialogueDemander qu’on n<strong>et</strong>toie Réparer Personne ne veut le faire prétextant que ce n’estpas luiDes sauveurs innocents s’y collentSentiment d’injusticeDemander des excuses Réparer Personnaliser le problèmeFermer <strong>la</strong> porte <strong>et</strong> dire qu’onne l’<strong>ou</strong>vrira que lorsque lesc<strong>ou</strong>pables se seront dénoncés.Vérifier qui a encore sontypexEnvoyer les élèves quirigolent <strong>ou</strong> ceux qui n’ontplus de f<strong>la</strong>con chez unéducateur <strong>ou</strong> chez le préf<strong>et</strong>Donner une punitioncollective <strong>à</strong> faire <strong>à</strong> <strong>la</strong> maisonsur <strong>la</strong> bonne <strong>et</strong> <strong>la</strong> mauvaiseutilisation du typex.Donner une r<strong>et</strong>enue collectivele mercredi suivant.Faire appel <strong>à</strong> un éducateur, aupréf<strong>et</strong> <strong>ou</strong> au directeurQuitter <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> ne rien direRenvoyer le problème <strong>à</strong> <strong>la</strong>prochaine heure de titu<strong>la</strong>riat<strong>ou</strong> au conseil des élèvesAnnoncer qu’on va convoquerd’urgence le conseil de c<strong>la</strong>sse(des professeurs)Repérer un <strong>ou</strong> desc<strong>ou</strong>pable(s) afin de p<strong>ou</strong>voirpunirAvoir des indicesMarquer le c<strong>ou</strong>pTr<strong>ou</strong>ver une solutionrapidementMarquer le c<strong>ou</strong>pNe pas perdre de temps <strong>à</strong>chercher un c<strong>ou</strong>pableFaire réfléchir en lien avec<strong>la</strong> transgressionTr<strong>ou</strong>ver une solution rapideNe pas perdre <strong>la</strong> faceAvoir de l’aide – ne pasrester seulAvoir un s<strong>ou</strong>tieninstitutionnelAvoir quelqu’un qui peutfaire tiersPrendre du reculLaisser l’initiative auxélèves de proposer quelquechosePrendre distanceInviter <strong>à</strong> réfléchirFaire appel <strong>à</strong> un espace deparole habilité <strong>à</strong> rés<strong>ou</strong>dre lesproblèmes <strong>et</strong> construirecollectivement de <strong>la</strong> loiFaire rendre <strong>la</strong> justice parune instance qui fait tiersNe rien obtenir du t<strong>ou</strong>tEtre obligé de céder <strong>et</strong> devoir <strong>la</strong>isser partir lesélèves sans avoir obtenu de c<strong>ou</strong>pableSentiment d’injustice - Monter les élèves lesuns contre les autresIntrusion – Et que faire avec celui qui n’a pasde typex ?Accusations rapidesSentiment d’injustice dans le gr<strong>ou</strong>pe-c<strong>la</strong>sse, lesrieurs n’étant pas nécessairement les auteursDéresponsabilisation de l’enseignantSentiment d’injusticeInterpréter ce problème en termes de bien <strong>et</strong> demal (eff<strong>et</strong> moralisateur) <strong>et</strong> passer <strong>à</strong> côté de <strong>la</strong>signification du problèmeSusciter un sentiment d’injustice <strong>et</strong> de <strong>la</strong> révoltede <strong>la</strong> part des élèves mais aussi des parentsS’en rem<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> quelqu’un qui ne connaît riende <strong>la</strong> situation.Perdre son crédit auprès des élèvesEtre dépossédé du problème - Ne rien avoir <strong>à</strong>direNe pas être pris en compte dans les décisions <strong>et</strong>ne pas être d’accord avec les décisions prises.Etre sauvé <strong>et</strong> perdre son autorité auprès desélèvesQue les élèves règlent leurs comptes entre eux– Loi de <strong>la</strong> jungleIl n’y a plus de garantNe pas tr<strong>ou</strong>ver les responsablesLaisser du temps p<strong>ou</strong>r déformer <strong>ou</strong> réinventerce qui s’est passéEmpiéter sur le temps des apprentissagesNe pas prendre en compte <strong>la</strong> dynamiquere<strong>la</strong>tionnelle actuelle <strong>et</strong> future entre leprofesseur <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>sse.e) Le but du remplissage de ce tableau n’est pas de faire tr<strong>ou</strong>ver <strong>la</strong> ‘bonne réaction’ maisplutôt de susciter le questionnement par rapport <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te problématique des transgressions <strong>et</strong>des <strong>sanctions</strong> qui les accompagnent. C’est p<strong>ou</strong>rquoi, on peut faire suivre l’activité qui vientwww.changement-egalite.be 37


d’être décrite d’un échange libre aut<strong>ou</strong>r des questions ‘Qu’avez-v<strong>ou</strong>s envie de dire ? Ques<strong>ou</strong>haitez-v<strong>ou</strong>s partager comme réflexion <strong>à</strong> partir de l’activité que n<strong>ou</strong>s venons de réaliser ?’Voici, regr<strong>ou</strong>pées par thème, quelques questions <strong>et</strong> réactions récoltées lors de formations.Le type d’intervention- Faut-il intervenir <strong>à</strong> chaud <strong>ou</strong> <strong>à</strong> froid ?Le sens de <strong>la</strong> transgression- Est-ce vraiment un « jeu » ? P<strong>ou</strong>rquoi ont-ils besoin de j<strong>ou</strong>er de c<strong>et</strong>te façon ?- Le rôle de l’enseignant n’est-il pas d’aider <strong>à</strong> identifier le ma<strong>la</strong>ise ?- Certains élèves vivent des situations difficiles. Comment les aider <strong>à</strong> prendre distance parrapport aux difficultés p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>isser p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> l’apprentissage ?<strong>Les</strong> c<strong>ou</strong>pables- Quelle est l’importance de connaître le(s) c<strong>ou</strong>pable(s) ?- Ne pas tr<strong>ou</strong>ver le c<strong>ou</strong>pable revient-il <strong>à</strong> « <strong>la</strong>isser tomber » <strong>ou</strong> « ne pas agir » ? Ne renforc<strong>et</strong>-onpas le « pas vu » - « pas pris » ? Ne banalise-t-on pas certains faits qui devraient êtreconsidérés comme « intolérables » ?- Que faire si on tr<strong>ou</strong>ve un c<strong>ou</strong>pable ? Le punir individuellement ? Que dire <strong>ou</strong> faire avecles autres ?P<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> parole- Faut-il <strong>la</strong>isser les élèves s’expliquer sur ce qui s’est passé ?- Quels risques prend-on <strong>à</strong> <strong>la</strong>isser trop de p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> <strong>la</strong> parole des élèves ?Règles de vie - socialisation- Où en est le « respect » ?- <strong>Les</strong> élèves n’ont aucune règle ; on est confronté <strong>à</strong> des jeunes de différentes cultures, dedifférents milieux <strong>et</strong> il faut aussi les socialiser. Quel doit être notre investissement dans <strong>la</strong>socialisation ?Sanctions- Comment relier les règles <strong>à</strong> des <strong>sanctions</strong> justes ?- Comment m<strong>et</strong>tre sur pied un p<strong>la</strong>n de réflexion, des <strong>sanctions</strong> responsabilisantes ?- Quels sont les eff<strong>et</strong>s attendus d’une sanction ?Point de vue institutionnel- Il est important que <strong>la</strong> direction des écoles aide les enseignants <strong>et</strong> les élèves <strong>à</strong> sepositionner. Quand on arrive comme jeune enseignant, on ne reçoit pas d’informationsre<strong>la</strong>tives au fonctionnement de <strong>la</strong> discipline d’une école.- Dans les écoles, on parle si peu des situations difficiles <strong>à</strong> gérer. On devrait p<strong>ou</strong>voirs’exprimer sans crainte sur nos difficultés. On manque d’<strong>ou</strong>tils.Autorité- C’est quoi intervenir avec « autorité » ?www.changement-egalite.be 38


- Comment intervenir entre autorité <strong>et</strong> bienveil<strong>la</strong>nce ?En fonction du gr<strong>ou</strong>pe, du temps imparti <strong>à</strong> <strong>la</strong> formation <strong>et</strong> de divers critères, les formateursdécident avec le gr<strong>ou</strong>pe de <strong>la</strong> suite <strong>à</strong> donner <strong>et</strong> des questions qui vont être approfondies (p<strong>ou</strong>rdes pistes, voir entre autres Auger & B<strong>ou</strong>char<strong>la</strong>t, 2004 31 ).Un processus de transformationL’activité décrite fait partie d’un dispositif de formation qui <strong>vis</strong>e essentiellement <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre enp<strong>la</strong>ce un processus de transformation. Il s’agit ici de faire évoluer les représentations <strong>et</strong> lespratiques aut<strong>ou</strong>r de <strong>la</strong> sanction <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> en trois étapes.E<strong>la</strong>rgir le champ des réactions possiblesLa diversité des réactions apportées par les uns <strong>et</strong> les autres perm<strong>et</strong> de prendre conscience que<strong>la</strong> réaction spontanée que chacun p<strong>ou</strong>rrait avoir en telle circonstance est loin d’être <strong>la</strong> seulepossible. Ce<strong>la</strong> invite <strong>à</strong> sortir des évidences <strong>et</strong> donc <strong>à</strong> imaginer d’autres options.Prendre du recul <strong>à</strong> partir d’une grille d’analyseEn s’interrogeant <strong>à</strong> plusieurs sur les eff<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les risques liés <strong>à</strong> chacune des réactions, il nes’agit pas de tr<strong>ou</strong>ver des arguments rationnels p<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong> contre chacune des attitudes mais biend’en percevoir les enjeux réels <strong>ou</strong> cachés.On invite ainsi <strong>à</strong> une prise de recul par rapport aux différentes attitudes possibles. Ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong>de faire émerger le questionnement sur les types d’interventions <strong>et</strong> donc amener lesparticipants <strong>à</strong> analyser leurs propres réactions.Passer du particulier au général, de l’individuel au collectifN<strong>ou</strong>s voyons que <strong>la</strong> méthodologie proposée perm<strong>et</strong> de stimuler une réflexion globale sur les<strong>sanctions</strong> en s’appuyant sur un incident particulier au départ.De plus, on montre par ce travail comment passer d’un vécu individuel <strong>à</strong> une réflexioncollective <strong>et</strong> on invite ainsi <strong>à</strong> ne pas rester seul p<strong>ou</strong>r traiter des difficultés liées auxtransgressions.Ce travail propose ainsi une méthodologie p<strong>ou</strong>r analyser collectivement les pratiques, ce quin<strong>ou</strong>s semble être un des besoins les plus pressants des enseignants.31 Auger, M.-T. & B<strong>ou</strong>char<strong>la</strong>t, C. (2004). Elèves « difficiles », profs en difficulté. Lyon : Chronique Sociale.www.changement-egalite.be 39


ConclusionBenoît Ga<strong>la</strong>ndA partir de récits racontés par des enseignants, le premier chapitre de c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage analysait lesquestions <strong>et</strong> insatisfactions que suscite l’usage des <strong>sanctions</strong> chez les enseignants. Ce chapitreperm<strong>et</strong> de mieux cerner ce que l’on m<strong>et</strong> derrière le mot « sanction », de distinguer troiscatégories d’actes différents sur lesquels portent les <strong>sanctions</strong> sco<strong>la</strong>ires, <strong>et</strong> d’identifierdifférentes <strong>vis</strong>ées <strong>à</strong> ces <strong>sanctions</strong>. <strong>Les</strong> situations rapportées dans <strong>la</strong> section I des appendicesillustrent également certaines s<strong>ou</strong>rces de tensions <strong>et</strong> d’interpel<strong>la</strong>tions <strong>à</strong> propos des <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong>l’Ecole.<strong>Les</strong> trois chapitres suivants cherchaient <strong>à</strong> dégager des manières de faire qui répondent auxquestions <strong>et</strong> insatisfactions des enseignants. Le chapitre 2 explique que le choix posé dans c<strong>et</strong><strong>ou</strong>vrage est d’interroger des professionnels <strong>à</strong> propos de leurs pratiques des règles <strong>et</strong> des<strong>sanctions</strong>, dans l’espoir de m<strong>et</strong>tre en évidence des alternatives concrètes aux pratiquessco<strong>la</strong>ires habituelles. Afin d’augmenter les chances de recueillir des pratiques originales <strong>et</strong> dep<strong>ou</strong>voir comprendre les spécificités du milieu sco<strong>la</strong>ire, les entr<strong>et</strong>iens concernaient aussi biendes professionnels travail<strong>la</strong>nt dans les écoles qu’en dehors de celles-ci (ce que certainsappellent le 3 ème milieu, <strong>à</strong> côté de <strong>la</strong> famille <strong>et</strong> de l’école).Le chapitre 3 présentait les résultats de ces entr<strong>et</strong>iens s<strong>ou</strong>s <strong>la</strong> forme d’un modèle en troistemps. Ces résultats montrent c<strong>la</strong>irement que des pratiques différentes de celles c<strong>ou</strong>rammentutilisées existent <strong>et</strong> semblent contribuer <strong>à</strong> une gestion apaisée du vivre ensemble. Ellesfavorisent apparemment <strong>la</strong> construction d’un climat plus serein au sein du gr<strong>ou</strong>pe, qui perm<strong>et</strong>un travail de socialisation <strong>et</strong> d’apprentissage. S<strong>ou</strong>lignons cependant que ces manières de fairene résolvent pas <strong>la</strong> question des difficultés d’apprentissages <strong>et</strong> de <strong>la</strong> qualité desapprentissages, ni celles de l’exclusion sociale, des discriminations, de <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong>c. Ellesrendent peut-être ces problèmes plus criants aux yeux des intervenants, car ils ne sont alorsplus masqués par des problèmes de discipline. Néanmoins, une approche plus « éducative »des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> – <strong>et</strong> même du fonctionnement de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse – est donc possible <strong>et</strong> nepasse pas nécessairement pas l’affirmation de p<strong>ou</strong>voir <strong>ou</strong> plus de sévérité. Mais une telleapproche récuse également le <strong>la</strong>xisme <strong>et</strong> l’anarchie, elle s’appuie sur une forte explicitation dufondement des règles <strong>et</strong> une grande ferm<strong>et</strong>é dans le respect des procédures.Le chapitre 4 avait p<strong>ou</strong>r obj<strong>et</strong> de mieux comprendre le contexte qui perm<strong>et</strong> aux intervenantsde m<strong>et</strong>tre en œuvre ces pratiques éducatives. Nos observations ne font pas émerger une bonnemanière de faire, qu’il suffirait d’étudier <strong>et</strong> de reproduire. Elles font, au contraire, apparaîtreune variété de pratiques qui partagent un certain nombre de principes, une culture <strong>et</strong> desdispositifs de travail semb<strong>la</strong>bles. La plupart repose sur l’instauration d’un cadre c<strong>la</strong>ir <strong>et</strong> deprocédures de décision transparentes, qui s’appuient sur un travail collectif entre adultes <strong>et</strong>des espaces collectifs de dialogue avec les jeunes. Ces manières de faire sont peut-êtred’autant plus cruciales avec des jeunes moins familiers avec les codes sco<strong>la</strong>ires de par leursorigines sociales (ce qui augmente les risques de malentendus ; Dun<strong>et</strong>on, 1976 32 ). <strong>Les</strong>pratiques repérées ne sont pas vraiment n<strong>ou</strong>velles, dans le sens où elles sont mises en œuvredepuis longtemps (Viaud, 2005 33 ), ni coûteuses, <strong>et</strong> ne demandent pas de spécialisationparticulière. <strong>Les</strong> exemples rapportés dans <strong>la</strong> section II des appendices illustrent bien c<strong>et</strong> étatdes choses.32 Dun<strong>et</strong>on, C. (1976). Je suis comme une truie qui d<strong>ou</strong>te. Paris : Seuil.33 Viaud, M.-L. (2005). Des collèges <strong>et</strong> des lycées différents. Paris : PUF.www.changement-egalite.be 40


Sur les principes de base, on constate beauc<strong>ou</strong>p de points communs entre ce qui se fait endehors des écoles <strong>et</strong> dans les écoles. On peut dès lors se demander p<strong>ou</strong>rquoi ce genre depratiques n’est pas plus répandu en milieu sco<strong>la</strong>ire au sein de <strong>la</strong> Communauté française. Peutêtreest-ce lié <strong>à</strong> certaines spécificités du milieu sco<strong>la</strong>ire qui ressortent de nos investigations ?Premièrement, <strong>la</strong> fréquentation sco<strong>la</strong>ire est s<strong>ou</strong>mise <strong>à</strong> une obligation, alors que <strong>la</strong>fréquentation des associations, m<strong>ou</strong>vements de jeunesse, écoles de devoirs, <strong>et</strong>c., se fonde – aumoins en partie – sur l’adhésion <strong>à</strong> un proj<strong>et</strong>. Deuxièmement, l’Ecole se distingue par le (très)grand nombre de règles spécifiques (propres <strong>à</strong> l’Ecole) qui y ont c<strong>ou</strong>rs, dont le lien avec sesfinalités premières n’est pas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs évident. Troisièmement, l’Ecole tend <strong>à</strong> faire primer <strong>la</strong>collectivité sur l’individu, tandis que le 3 ème milieu tend <strong>à</strong> être beauc<strong>ou</strong>p plus attentif <strong>à</strong> <strong>la</strong>personne. A l’Ecole, <strong>la</strong> priorité semble s<strong>ou</strong>vent de clore l’incident, plutôt que de prendre l<strong>et</strong>emps de rés<strong>ou</strong>dre le problème, p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir continuer <strong>à</strong> donner <strong>la</strong> matière. Mais, in fine,gagne-t-on vraiment du temps <strong>à</strong> procéder ainsi ? Quatrièmement, peut-être <strong>à</strong> cause de sa taille,de sa di<strong>vis</strong>ion travail <strong>et</strong> de sa hiérarchisation, l’Ecole se caractérise par une faiblestructuration du travail en équipe. Dans quelle mesure les difficultés aut<strong>ou</strong>r des règles <strong>et</strong><strong>sanctions</strong> sont-elles par conséquent un problème d’adultes plutôt que d’enfants, <strong>la</strong> questionreste <strong>ou</strong>verte. Il est cependant inquiétant de noter que l’Ecole exclut plus facilement que leslieux éducatifs où <strong>la</strong> présence du jeune n’est pas obligatoire (Ga<strong>la</strong>nd, 2007 34 ). De par sesmissions-mêmes, l’Ecole n’a-t-elle pas une obligation de moyens éducatifs face aux jeunesqui lui sont confiés ?Selon n<strong>ou</strong>s, un abord plus fructueux des règles <strong>et</strong> des <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong> l’Ecole demande unchangement de mentalité, de culture, autant que de pratiques. Ce qui manque le plus s<strong>ou</strong>vent,ce ne sont pas les manières de faire – n<strong>ou</strong>s avons vu qu’elles sont multiples –, mais d’autrespoints de vue <strong>à</strong> partir desquels é<strong>la</strong>borer ses pratiques. N<strong>ou</strong>s espérons que c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage p<strong>ou</strong>rracontribuer <strong>à</strong> <strong>la</strong> réflexion sur ce suj<strong>et</strong>. Le chapitre 5 présentait justement une piste possiblep<strong>ou</strong>r susciter une réflexion collective au sein des établissements, en partant des difficultésconcrètes rencontrées par les uns <strong>et</strong> les autres.Le parti pris de c<strong>et</strong> <strong>ou</strong>vrage est de se m<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> l’éc<strong>ou</strong>te des professionnels de l’éducation. Sic<strong>et</strong>te approche s’est avérée riche <strong>et</strong> passionnante, elle ne n<strong>ou</strong>s dit pas grand-chose du regardque les familles <strong>et</strong> les élèves portent sur les règles <strong>et</strong> les <strong>sanctions</strong> <strong>à</strong> l’école. Voil<strong>à</strong> quimériterait sans d<strong>ou</strong>te d’autres travaux.34 Ga<strong>la</strong>nd, B. (2007). Inscriptions sco<strong>la</strong>ires <strong>et</strong> mixité sociale, beauc<strong>ou</strong>p de bruit p<strong>ou</strong>r rien ? Bruxelles :Changements p<strong>ou</strong>r l’égalité.www.changement-egalite.be 41


APPENDICESwww.changement-egalite.be 42


I. Poser le problèmewww.changement-egalite.be 43


Socialisation par l’absurdeNi socialisation, ni psychologie dans mon métier. Peut-être même pas de pédagogie. C’estnormal, je suis prof de math ! Quelle que soit <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse dans <strong>la</strong>quelle je vais, j’y entre p<strong>ou</strong>rfaire des mathématiques. Avec plus <strong>ou</strong> moins de facilités, plus <strong>ou</strong> moins de résistance <strong>et</strong> unepanoplie de carottes <strong>et</strong> bâtons.Pas de questions existentielles <strong>et</strong> métaphysiques, les mathématiques, c’est utile voireindispensable p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s. T<strong>ou</strong>s les élèves <strong>et</strong> les adultes en sont conscients. Il suffit de donnerl’occasion <strong>à</strong> chacun d’en faire le plus possible <strong>et</strong> <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s…Le r<strong>et</strong>ardataire(Toc-toc)- Oui- Excusez-moi p<strong>ou</strong>r le r<strong>et</strong>ard, Monsieur, mais…- Il n’y a pas d’excuse : on commence <strong>à</strong> l’heure, on termine <strong>à</strong> l’heure.Dans le calme général qui sied <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>t travail digne de ce nom, David rejoint sa p<strong>la</strong>ce. Unep<strong>la</strong>ce fixe <strong>à</strong> une table de quatre dans un gr<strong>ou</strong>pe déterminé p<strong>ou</strong>r deux mois. Je travaill<strong>et</strong><strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs dans le même local, c'est une solution qui arrange t<strong>ou</strong>t le monde : mes collèguesparce je dérangeais les bancs <strong>et</strong> qu'ils étaient obligés de faire rem<strong>et</strong>tre les tables "<strong>à</strong> leur p<strong>la</strong>ce",moi parce que je ne dois plus transporter t<strong>ou</strong>t mon matériel expérimental.Le rêveur- Franz (avec z), ce<strong>la</strong> fait une demi-heure que tu es assis béatement <strong>et</strong> que tu ne fais rien.- Je réfléchissais.- C'est ton problème, je te donne l'information. Je t'observe depuis le début de l'heure, tu esinactif. Il vaudrait mieux ne pas venir ! Quand on franchit le pas de c<strong>et</strong>te porte, c'est p<strong>ou</strong>rtravailler.- Auj<strong>ou</strong>rd'hui, on n'a pas envie, il fait beau dehors, si…- Si c'était p<strong>ou</strong>r ne rien faire, p<strong>ou</strong>r s'ennuyer ensemble <strong>ou</strong> p<strong>ou</strong>r aller se promener, je ne seraispas venu, j'avais d'autres choses <strong>à</strong> faire.L’asociale- Monsieur, v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>vez regarder ce que j’ai fait ?(Silence du prof)- Au moins me dire si je ne me trompe pas t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> fait ?(Resilence)- Ça va, j’ai compris !- Non, tu n’as pas compris ! V<strong>ou</strong>s êtes quatre dans le gr<strong>ou</strong>pe. C’est p<strong>ou</strong>r discuter, comparervos résultats, faire le travail en commun <strong>et</strong> vérifier ensemble vos solutions.- Mais, ils ne sont nulle part, ils n’avancent pas. V<strong>ou</strong>s n’aviez pas besoin de <strong>changer</strong> lesgr<strong>ou</strong>pes. Avec mes copines, ça al<strong>la</strong>it beauc<strong>ou</strong>p mieux.www.changement-egalite.be 44


- Julie, tu es l<strong>à</strong> <strong>et</strong> tu travailles avec ceux qui sont <strong>à</strong> ta table. Il faut être capable de travailleren gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> avec n’importe qui. Tu crois que j’ai choisi mes collègues ?L’agressif- Xavier, qu’as-tu <strong>à</strong> t’agiter ? Ce n’est pas <strong>la</strong> première remarque, c’est <strong>la</strong> dernière. Tu mesors de part<strong>ou</strong>t.- Toi aussi.- Pardon ?- Toi aussi, tu me sors de part<strong>ou</strong>t.Un b<strong>ou</strong>illonnement me saisit, je sens <strong>la</strong> colère me monter mais j'arrive <strong>à</strong> me taire. Lelendemain, Xavier demande p<strong>ou</strong>r me voir après le c<strong>ou</strong>rs.- Monsieur, je v<strong>ou</strong>s demande pardon p<strong>ou</strong>r hier.- Éc<strong>ou</strong>te, je te demande de m'excuser aussi. J'ai été grossier avec toi, tu as été grossier, on estquitte.CQFDLa démonstration par l'absurde est un procédé de démonstration utilisé fréquemment enmathématiques, il s'agit de montrer qu'en niant <strong>la</strong> thèse on en arrive <strong>à</strong> contredire unehypothèse. Ce qui est absurde.J'ai supposé que je faisais de <strong>la</strong> socialisation, v<strong>ou</strong>s avez bien vu, au travers de ces p<strong>et</strong>its récits,que ce n'était que du dressage. Mathématiser : <strong>ou</strong>i, socialiser : incapable. Ce que je v<strong>ou</strong><strong>la</strong>isdémontrer.Benoît Jadin, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°140.www.changement-egalite.be 45


Parer <strong>ou</strong> réparer ?La logique collective a encore eu le dernier mot !C’était un lundi, dans une c<strong>la</strong>sse de 4 ème , trente-trois élèves, dont je suis le professeur defrançais (cinq heures hebdomadaires) <strong>et</strong> <strong>la</strong> titu<strong>la</strong>ire (sans heure prévue p<strong>ou</strong>r c<strong>et</strong>teresponsabilité ni dans l’horaire des élèves, ni dans le mien).Certains élèves s’étaient déj<strong>à</strong> p<strong>la</strong>ints plusieurs fois de chahuts systématiques aux c<strong>ou</strong>rsd’histoire <strong>et</strong> d’ang<strong>la</strong>is. J’avais constaté, en prenant <strong>la</strong> relève après un de ces c<strong>ou</strong>rs, qu’un<strong>et</strong>ringle de rideau pendait, <strong>à</strong> moitié pliée, <strong>et</strong> qu’une tabl<strong>et</strong>te de banc avait été dé<strong>vis</strong>sée.Personne n’avait v<strong>ou</strong>lu se dénoncer… J’avais menacé de prendre une sanction générale 35 .J’avais donc averti <strong>la</strong> pro<strong>vis</strong>eur de <strong>la</strong> situation, en lui demandant d’intervenir p<strong>ou</strong>r ces faitsqui me paraissaient les prémisses possibles d’une esca<strong>la</strong>de dans <strong>la</strong> violence.Ce lundi, <strong>la</strong> pro<strong>vis</strong>eur est donc venue en c<strong>la</strong>sse en début de leçon, a reprécisé les faits, arappelé les points du règlement concernant les déprédations matérielles <strong>et</strong> a demandé auxc<strong>ou</strong>pables de se dénoncer, faute de quoi t<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse serait punie. <strong>Les</strong> élèves étaient,semble-t-il, assez mal <strong>à</strong> l’aise quand elle a quitté <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Comme elle n’avait pas donné dedé<strong>la</strong>i p<strong>ou</strong>r les éventuels aveux, j’ai annoncé que si le mercredi suivant, je ne les avais pas, jeprendrais <strong>la</strong> sanction générale (r<strong>et</strong>rait de trois points de comportement), s<strong>ou</strong>lignant que c<strong>et</strong>tesolution était désagréable p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>t le monde mais que si les vandales, lâches de surcroit,étaient s<strong>ou</strong>tenus par le silence du gr<strong>ou</strong>pe, ce<strong>la</strong> n’était finalement pas si injuste que ce<strong>la</strong>. J’aiposé le problème délicat de <strong>la</strong> dénonciation : quand est-ce de <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>tion ? Quand est-ce unacte de c<strong>ou</strong>rage ? Quand est-on complice ? Quand est-on solidaire ?Quelqu’un m’a demandé ce que risquaient les c<strong>ou</strong>pables. J’ai répliqué que, comme <strong>la</strong> peine demort, <strong>la</strong> prison <strong>et</strong> <strong>la</strong> torture n’existaient pas dans les écoles, ils n’enc<strong>ou</strong>rraient que des<strong>sanctions</strong> administratives dont <strong>la</strong> direction serait juge. Mon rôle serait d’introduire le cas, enessayant éventuellement de p<strong>la</strong>ider les circonstances atténuantes.Dét<strong>ou</strong>rnementLégers rem<strong>ou</strong>s dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Je propose de les <strong>la</strong>isser discuter un quart d’heure entre eux.Deux élèves sont chargés de présider <strong>la</strong> réunion : Sandra p<strong>ou</strong>r mener les débats <strong>et</strong> M<strong>ou</strong>nirp<strong>ou</strong>r veiller <strong>à</strong> leur bon dér<strong>ou</strong>lement. Je suis dans le c<strong>ou</strong>loir, s’ils ont besoin de moi, ilspeuvent m’appeler.Du c<strong>ou</strong>loir, j’entends d’abord un br<strong>ou</strong>haha, qui s’estompe peu <strong>à</strong> peu, puis des rires, desapp<strong>la</strong>udissements. Je m’efforce de rester discrète en engageant <strong>la</strong> conversation avec un élèvede 6 ème éco qui attend son t<strong>ou</strong>r dans le c<strong>ou</strong>loir p<strong>ou</strong>r une simu<strong>la</strong>tion d’interviewprofessionnelle. Quand le quart d’heure est passé, je frappe <strong>à</strong> <strong>la</strong> porte, j’entre : "Regardez,Madame, me <strong>la</strong>nce Sandra t<strong>ou</strong>te s<strong>ou</strong>riante, c’est réparé !"- Qu’avez-v<strong>ou</strong>s décidé ?- Eh bien, demain on répare le banc… Est-ce qu’on sera punis ?L<strong>à</strong> je suis prise au dép<strong>ou</strong>rvu : "Ben… non, si c’est réparé !"35 <strong>Les</strong> punitions collectives sont illégales, dans <strong>la</strong> mesure où <strong>la</strong> Circu<strong>la</strong>ire ministérielle du 11/07/90 les interdit !www.changement-egalite.be 46


Il restait cinq minutes de "c<strong>ou</strong>rs". J’ai <strong>la</strong>issé tomber. Je ne sais pas très bien ce qu’eux ontappris ce j<strong>ou</strong>r-l<strong>à</strong>. Moi, il m’a semblé que c’étaient moins mes disc<strong>ou</strong>rs moralisateurs, l’appel <strong>à</strong>leur conscience, que le rappel pur <strong>et</strong> simple de <strong>la</strong> loi (le point du règlement) qui avait eu unimpact sur le gr<strong>ou</strong>pe. Je n’étais pas satisfaite. J’aurais préféré sans d<strong>ou</strong>te que le gr<strong>ou</strong>pe exercesur les c<strong>ou</strong>pables une pression suffisante p<strong>ou</strong>r qu’ils se dénoncent. De plus, <strong>la</strong> réparation desdéprédations n’effaçait pas le dommage moral subi par ma collègue au c<strong>ou</strong>rs duquel ellesavaient été commises. Mais j’étais épatée par <strong>la</strong> rapidité avec <strong>la</strong>quelle ils avaient résolu leproblème <strong>à</strong> leur façon, par leur efficacité.Je préfère ne pas penser <strong>à</strong> ce qui serait arrivé si un élève avait fait une chute en réparant <strong>la</strong>tringle…François De Burges, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°140.www.changement-egalite.be 47


Voler de ses propres ailesÀ certains moments, on ne sait plus très bien <strong>à</strong> quelle loi se v<strong>ou</strong>er.Ce lundi, en revenant de <strong>la</strong> piscine, j'accroche comme d'habitude mon manteau parmi ceuxdes enfants de ma c<strong>la</strong>sse, 24 élèves de fin de primaire, entre 10 <strong>et</strong> 12 ans. Il n<strong>ou</strong>s reste unebonne heure de c<strong>ou</strong>rs avant <strong>la</strong> sortie. Et l<strong>à</strong>, surprise, mon portefeuille, que je <strong>la</strong>isse t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rsdans ma poche, a disparu...C'est <strong>la</strong> première fois en 18 ans qu'un de mes obj<strong>et</strong>s personnels disparaît ainsi; je passe enrevue le traj<strong>et</strong>... Peu de d<strong>ou</strong>te: ce<strong>la</strong> c'est passé soit dans le bus qui n<strong>ou</strong>s ramenait de <strong>la</strong> piscine,soit en c<strong>la</strong>sse. La vérification est rapide. Et mon incrédulité énorme. La situation est tendue enc<strong>la</strong>sse. N<strong>ou</strong>s savons t<strong>ou</strong>s ce qui s'est passé <strong>et</strong> qu’il s’agit d'un <strong>ou</strong> plusieurs élèves. Dès ledébut, le directeur <strong>et</strong> moi avons décidé que ce serait lui qui effectuerait les recherches p<strong>ou</strong>ridentifier le(s) auteur(s). Et puis, très rapidement, un élève vient le tr<strong>ou</strong>ver p<strong>ou</strong>r dire qu'il saitoù se tr<strong>ou</strong>vent certains documents. De fil en aiguille, les deux élèves responsables sontidentifiés. Ils ont brûlé plusieurs papiers <strong>et</strong> dispersé les autres. Ce qui n<strong>ou</strong>s choque le plus,c'est qu'il s'agit de deux enfants de familles avec lesquelles n<strong>ou</strong>s avons des re<strong>la</strong>tions trèssuivies: depuis un an <strong>et</strong> demi, n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s voyons t<strong>ou</strong>tes les trois semaines p<strong>ou</strong>r accompagneren un des deux élèves dans sa fin de sco<strong>la</strong>rité primaire. Une re<strong>la</strong>tion de confiance s'étaitétablie au fil des mois; les parents, avertis, sont effondrés. Heureusement, très vite, n<strong>ou</strong>sexprimons de part <strong>et</strong> d'autre <strong>la</strong> même crainte: que c<strong>et</strong>te confiance ne se perde. Et n<strong>ou</strong>s avonsles mêmes désirs: comprendre <strong>et</strong> (faire) réparer.École, lieu d'apprentissage<strong>Les</strong> parents marquent leur prise en charge de leur rôle dans l'éducation des deux enfants. Cequi s'est passé doit avoir une valeur éducative. Au point d'assumer une partie de <strong>la</strong> réparationnégociée en commun, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs avec <strong>la</strong> direction : le remb<strong>ou</strong>rsement de t<strong>ou</strong>s les frais liés <strong>à</strong> cevol, puisqu’une série de documents seront <strong>à</strong> refaire; ni moi ni les familles ne s<strong>ou</strong>haitons quedes p<strong>ou</strong>rsuites hors de <strong>l'école</strong> soient engagées. Et donc, je ne porterai pas p<strong>la</strong>inte. N<strong>ou</strong>sconsidérons <strong>l'école</strong> comme un lieu d'apprentissage. On peut utiliser c<strong>et</strong>te « première fois »p<strong>ou</strong>r apprendre. Non p<strong>ou</strong>r fermer les yeux, ce qui aurait sans d<strong>ou</strong>te des conséquencesdésastreuses. Le sentiment d'impunité p<strong>ou</strong>rrait générer de l'angoisse chez l'enfant, qui peutinconsciemment se poser des questions : Où sont les limites? Quand serai-je arrêté, puisqueapparemment rien ne se produit en réaction <strong>à</strong> son geste ?Je tr<strong>ou</strong>ve important que les adultes utilisent c<strong>et</strong>te occasion p<strong>ou</strong>r en faire profiter t<strong>ou</strong>s lesenfants: n<strong>ou</strong>s parlons beauc<strong>ou</strong>p de loi, de sanction en c<strong>la</strong>sse. Je prends le temps d'expliquerque demander une réparation <strong>et</strong> <strong>la</strong> recevoir, c'est perm<strong>et</strong>tre de clôturer un dommage subi. Cen'est pas évident p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s. Quelle est <strong>la</strong> nuance entre une sanction, voire une punition, <strong>et</strong> uneréparation? Des élèves se posent <strong>la</strong> question du r<strong>et</strong><strong>ou</strong>r en c<strong>la</strong>sse de leurs compagnons. Seronsn<strong>ou</strong>sles mêmes? P<strong>ou</strong>rrons-n<strong>ou</strong>s vivre avec eux sans penser chaque fois que ce sont desvoleurs?Ces questions sont essentielles. J'explique: « Ce n'est pas parce qu'on a volé une fois qu'on estvoleur ». <strong>Les</strong> deux élèves vont assumer les conséquences <strong>et</strong> réparer p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir dire: « C'estfini, j'ai réglé le tort que j'ai causé ». Ensuite, ils p<strong>ou</strong>rront reprendre une p<strong>la</strong>ce dans le gr<strong>ou</strong>pe,différente que celle qu'ils occupaient avant. Il y a un avant <strong>et</strong> un après. T<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse sewww.changement-egalite.be 48


transforme par ce qui se passe. Et chacun, dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, peut choisir comment il réagira,même si c'est difficile. Et selon nos réactions, n<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>vons en faire des voleurs si n<strong>ou</strong>s lesregardons comme tels <strong>ou</strong> en faire des enfants qui ont appris quelque chose. Ils continueront <strong>à</strong>assumer des responsabilités financières (caisse coopérative de c<strong>la</strong>sse) comme t<strong>ou</strong>t le monde <strong>et</strong>mon portefeuille sera t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs dans ma veste. N<strong>ou</strong>s essayons de comprendre ce qui se passe <strong>et</strong>de n<strong>ou</strong>s donner des mots p<strong>ou</strong>r le dire.Pas de p<strong>la</strong>inte?La j<strong>ou</strong>rnée terminée, <strong>la</strong> tête <strong>et</strong> les tripes pleines de ce débat ém<strong>ou</strong>vant, r<strong>et</strong><strong>ou</strong>r <strong>à</strong> <strong>la</strong> société horsécole: je vais devoir faire remp<strong>la</strong>cer mon permis de conduire <strong>et</strong> ma carte bancaire détruits. Jene veux pas déc<strong>la</strong>rer ce<strong>la</strong> comme simple perte! Naïvement, après en avoir discuté avec descollègues, je me rends au commissariat p<strong>ou</strong>r déc<strong>la</strong>rer le vol sans porter p<strong>la</strong>inte. Le policier deservice commence par noter mes coordonnées dans son carn<strong>et</strong>. Je lui explique que monportefeuille a été dérobé.-Et v<strong>ou</strong>s s<strong>ou</strong>pçonnez quelqu'un?-En fait, je sais qui c'est. <strong>Les</strong> deux élèves ont reconnu les faits.-Ah, attendez un moment alors, je vais chercher les documents p<strong>ou</strong>r le juge de <strong>la</strong> jeunesse.-Hé, non. Je viens seulement déc<strong>la</strong>rer le vol, mais je ne veux pas porter p<strong>la</strong>inte!-Mais Monsieur, me répond c<strong>ou</strong>rtoisement l'agent, v<strong>ou</strong>s parlez <strong>à</strong> un policier assermenté!Je ne peux pas enregistrer un vol sans p<strong>la</strong>inte. Et il s'agit de mineurs, il yautomatiquement un dossier <strong>ou</strong>vert <strong>à</strong> <strong>la</strong> protection de <strong>la</strong> jeunesse <strong>et</strong> une enquête estmenée. Réfléchissez <strong>à</strong> ce que v<strong>ou</strong>s dites! Si v<strong>ou</strong>s avez besoin de parler <strong>à</strong> quelqu'un qui estlié par le secr<strong>et</strong> professionnel, consultez notre service social. Mais moi, je dois agir dèsque v<strong>ou</strong>s me donnez l'information.J'explique p<strong>ou</strong>rquoi je ne veux pas porter p<strong>la</strong>inte. Je ne s<strong>ou</strong>haite rien de plus que <strong>la</strong> réparationen c<strong>ou</strong>rs <strong>et</strong> les adultes qui éduquent ces enfants ont pris les choses en main en col<strong>la</strong>borationavec <strong>l'école</strong>. Mener une action judiciaire parallèlement, c'est détruire ce que l'on construitd'autre part. Silence.-Ec<strong>ou</strong>tez, je n'ai encore rien noté p<strong>ou</strong>r votre déposition, me dit-il. Que v<strong>ou</strong>lez-v<strong>ou</strong>s medéc<strong>la</strong>rer?-Et si je n'avais pas de s<strong>ou</strong>pçons, que se passerait-il?-Dans le cas d'un vol de portefeuille, n<strong>ou</strong>s transm<strong>et</strong>tons le dossier au parqu<strong>et</strong> qui lec<strong>la</strong>ssera sans suite après un moment s'il n'y a pas d'élément neuf...Donc, si je viens déc<strong>la</strong>rer le vol p<strong>ou</strong>r être c<strong>ou</strong>vert du côté des banques sans que desp<strong>ou</strong>rsuites, soient engagées, je dois trahir <strong>la</strong> vérité!-Très bien. Je viens déc<strong>la</strong>rer le vol de mon portefeuille <strong>et</strong> porter p<strong>la</strong>inte contre inconnu.Je n'ai pas de s<strong>ou</strong>pçons...J'aurais appris ce<strong>la</strong> en plus du reste! Mais le débat est loin d'être c<strong>la</strong>irement tranché: les lois de<strong>la</strong> société doivent-elles avoir c<strong>ou</strong>rs <strong>ou</strong> non dans l'enceinte de <strong>l'école</strong>, p<strong>ou</strong>r les élèves? Lemoindre délit doit-il faire l'obj<strong>et</strong> d'une p<strong>la</strong>inte en bonne <strong>et</strong> due forme? Jusqu'où doit aller <strong>la</strong>sécurité que n<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lons m<strong>et</strong>tre en p<strong>la</strong>ce afin de perm<strong>et</strong>tre que l'erreur soit utile? Quanddevons-n<strong>ou</strong>s passer le re<strong>la</strong>is? Même si j'ai fait un choix auj<strong>ou</strong>rd'hui, je n'ai t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs pas deréponse...Stéphane Lambert, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°129.www.changement-egalite.be 49


Des obligés sco<strong>la</strong>ires<strong>Les</strong> élèves de mon école ont bien du mal. S'ils sont présents aux c<strong>ou</strong>rs, c'est bien parce qu'ilsle doivent. L'école serait facultative, probablement seraient-ils nombreux <strong>à</strong> quitter nosc<strong>la</strong>sses.Auj<strong>ou</strong>rd'hui, l'organisation de notre enseignement impose <strong>à</strong> nos élèves des 2 ème <strong>et</strong> 3 ème degrésplus de trente-deux périodes de présence par semaine <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>. Quelques précisions sur len<strong>ou</strong>veau décr<strong>et</strong> [ce texte date de 1998]. N<strong>ou</strong>s lisons dans les articles 92 <strong>à</strong> 94 que: « t<strong>ou</strong>t élèvemineur qui compte plus de vingt demi-j<strong>ou</strong>rs d'absence injustifiée par année sco<strong>la</strong>ire doit êtresignalé au SAJ (service d'aide <strong>à</strong> <strong>la</strong> jeunesse). À partir du 2ème degré, t<strong>ou</strong>t élève qui compteau c<strong>ou</strong>rs d'une même année sco<strong>la</strong>ire, plus de trente demi-j<strong>ou</strong>rs d'absence injustifiée perd <strong>la</strong>qualité d'élève régulier, sauf dérogation accordée par le Ministre en raison de circonstancesexceptionnelles. L'élève majeur qui compte, au c<strong>ou</strong>rs de <strong>la</strong> même année sco<strong>la</strong>ire, plus dequarante demi-j<strong>ou</strong>rs d'absence injustifiée peut être exclu de l'établissement. »De quoi s'agit-il? Probablement de <strong>la</strong> part du p<strong>ou</strong>voir public, y a-t-il l<strong>à</strong> volonté de donner auxdirecteurs d'école un « bâton » p<strong>ou</strong>r m<strong>et</strong>tre au pas les élèves récalcitrants. Plusieurs d'entren<strong>ou</strong>s, directeurs <strong>et</strong> enseignants, ont cru en ces n<strong>ou</strong>veaux <strong>ou</strong>tils « décr<strong>et</strong> ». Enfin une armep<strong>ou</strong>r combattre l'absentéisme sco<strong>la</strong>ire, ce fléau qui n<strong>ou</strong>s agresse en permanence <strong>et</strong> que n<strong>ou</strong>scombattons j<strong>ou</strong>rs après j<strong>ou</strong>r depuis tant d'années. Seulement voil<strong>à</strong>, ces règles n'ont pas étéimaginées avec n<strong>ou</strong>s <strong>et</strong>, au lieu de n<strong>ou</strong>s aider, elles n<strong>ou</strong>s coincent.Absents non justifiés<strong>Les</strong> réalités sont complexes:- certains élèves mineurs du 1 er degré vivent des situations familiales telles qu'elles produisentun absentéisme supérieur <strong>à</strong> 20 demi-j<strong>ou</strong>rs d'absence injustifiée. À n<strong>ou</strong>s de prévenir le SAJ.Celui-ci, sauf cas particulier, ne peut qu'acter les informations que n<strong>ou</strong>s lui transm<strong>et</strong>tons. <strong>Les</strong>moyens dont il dispose ne lui perm<strong>et</strong>tent rien d'autre.- au deuxième degré, certains élèves mineurs sont dans <strong>la</strong> même situation. Information auSAJ. D'autre part, plusieurs d'entre eux s'aj<strong>ou</strong>tent aux élèves majeurs des 2 ème <strong>et</strong> 3 ème degrésp<strong>ou</strong>r former un gr<strong>ou</strong>pe qui atteint 30 demi-j<strong>ou</strong>rs d'absence non justifiée <strong>et</strong> qui représente 15%de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion sco<strong>la</strong>ire. Ces élèves ne sont donc administrativement plus élèves réguliers.<strong>Les</strong> mineurs des 2 ème <strong>et</strong> 3 ème degrés <strong>et</strong> les majeurs du 2 ème degré doivent obligatoirement êtregardés dans <strong>l'école</strong> sans que leur année compte plus 36 , tandis que les majeurs du 3 ème degréqui dépassent 40 demi-j<strong>ou</strong>rs d’absence injustifiée peuvent être exclus de l'établissement.<strong>Les</strong> raisons de c<strong>et</strong> absentéisme sont multiples: p<strong>la</strong>ce de l'ainé(e) de famille chargé(e) deprendre les plus p<strong>et</strong>its en charge, situation familiale précaire, notamment financièrement, cequi amène <strong>à</strong> éviter l'appel au médecin...Qu'est-ce qu'une absence non justifiée?Sans <strong>ou</strong>blier le rapport de ces adolescents <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>. Quelle p<strong>la</strong>ce <strong>l'école</strong> a-t-elle p<strong>ou</strong>r eux?Lieu obligatoire au passage obligé qui ne perm<strong>et</strong> pas p<strong>ou</strong>r autant de tr<strong>ou</strong>ver un emploi (les36 C<strong>et</strong>te dernière « obligation » est évidemment intenable, dans <strong>la</strong> mesure où elle produirait une violencephysique.www.changement-egalite.be 50


efus qu'ils vivent sont notamment liés <strong>à</strong> <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>leur de leur peau, <strong>à</strong> leurs cheveux,...). Lamajorité de ces élèves, probablement grâce au travail incessant <strong>et</strong> épuisant que n<strong>ou</strong>s menonsp<strong>ou</strong>r les raccrocher, reviennent, se prennent en main, demandent <strong>à</strong> ré-appartenir <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te école,qu'ils perçoivent, <strong>à</strong> un moment donné, comme les « protégeant de l'extérieur ».A ce moment, il est primordial que n<strong>ou</strong>s puissions valoriser notre travail, reconstruire avec lesélèves, m<strong>et</strong>tre t<strong>ou</strong>tes nos forces <strong>et</strong> mobiliser les leurs dans <strong>la</strong> réussite de leur année. Se pose <strong>à</strong>ce moment <strong>la</strong> question de leur statut administratif: élèves réguliers? Élèves irréguliers? Élèvesqui comptent p<strong>ou</strong>r le calcul NTPP (méthode de calcul qui lie le nombre d'heures de c<strong>ou</strong>rs <strong>et</strong>de coordination au nombre d'élèves régulièrement inscrits) de l'année suivante?Raccrocheurs mais irréguliersDire aux raccrocheurs que t<strong>ou</strong>t leur travail <strong>et</strong> le nôtre n'ont servi <strong>à</strong> rien, qu'ils ne peuvent pasprésenter leurs examens, que leur année ne compte pas, qu’ils n’ont droit ni <strong>à</strong> une attestationA, ni <strong>à</strong> une attestation B, ni <strong>à</strong> une attestation C? Élèves qui « ne comptent pas », malgré t<strong>ou</strong>tle travail réalisé par les enseignants?Demander une dérogation au Ministre p<strong>ou</strong>r ceux qui ont raccroché? Au-del<strong>à</strong> du travailconsidérable que ce<strong>la</strong> demande de réaliser un dossier p<strong>ou</strong>r chaque élève concerné, quelleimage ce<strong>la</strong> donne-t-il d'une « règle » que le « fait du Prince » peut suspendre, quelle idée d<strong>et</strong><strong>ou</strong>te-puissance du Ministre <strong>ou</strong> de <strong>la</strong> direction (dans le cas <strong>ou</strong> <strong>la</strong> dérogation est accordée) cefonctionnement n'induit-t-il pas auprès des élèves?N<strong>ou</strong>s attendions un s<strong>ou</strong>tien (une médiation entre les élèves <strong>et</strong> n<strong>ou</strong>s-même) <strong>et</strong> n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>sr<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>vons plus coincés qu'avant: n<strong>ou</strong>s sommes astreints <strong>à</strong> déc<strong>la</strong>rer certains élèves irrégulierst<strong>ou</strong>t en leur <strong>ou</strong>vrant nos c<strong>la</strong>sses <strong>et</strong>, quand n<strong>ou</strong>s avons réalisé avec eux un travail deraccrochage, seule une demande de dérogation peut, éventuellement, apporter une solution.Qu'en sera-t-il <strong>à</strong> terme, <strong>à</strong> propos de <strong>la</strong> reconnaissance, en heures NTPP, du travail réalisé.Une d<strong>ou</strong>ble piste semble t<strong>ou</strong>tefois se dessiner. Elle mériterait d'être f<strong>ou</strong>illée:-quelle que soit <strong>la</strong> situation de l'élève, si un travail de raccrochage est réalisé par <strong>l'école</strong>,l'élève serait comptabilisé lors du calcul NTPP. La question devient: qui va évaluer si un« réel » travail de raccrochage est réalisé? <strong>Les</strong> trav<strong>ailleurs</strong> concernés ne sont-ils pas les seulsen mesure de le dire?-un élève qui raccroche p<strong>ou</strong>rrait obtenir automatiquement <strong>la</strong> dérogation, <strong>et</strong> le fait d'être, <strong>à</strong> unmoment donné, « élèves irrégulier » être utilisé comme déclencheur d'une démarche n<strong>ou</strong>velle<strong>ou</strong> comme élément c<strong>la</strong>rificateur d'une situation de rupture entre l'élève <strong>et</strong> <strong>l'école</strong>. Encorefaudrait-il qu'en cas de rupture, celle-ci soit définitivement consommée, même p<strong>ou</strong>r lesmajeurs de 2ème.C<strong>et</strong>te piste semble intéressante p<strong>ou</strong>r autant qu'elle n'oblige pas <strong>l'école</strong> <strong>à</strong> multiplier desdémarches administratives déj<strong>à</strong> trop l<strong>ou</strong>rdes auj<strong>ou</strong>rd'hui.C<strong>la</strong>ude Prignon, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°129.www.changement-egalite.be 51


Droits parents, par endroitsNotre voisin part en guerre. Son fils est mis <strong>à</strong> <strong>la</strong> porte de son école, dans <strong>la</strong>quelle il ne p<strong>ou</strong>rrapas red<strong>ou</strong>bler sa 5ème secondaire.Le renvoi de Yassine est incompréhensible p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> famille: c'est <strong>la</strong> première fois que celui-ciéch<strong>ou</strong>e une année, sa sco<strong>la</strong>rité a été bonne jusqu'<strong>à</strong> présent, ses professeurs <strong>et</strong> éducateurss'entendent p<strong>ou</strong>r dire que ce garçon a t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs été correct <strong>et</strong> se conduit bien dans l'enceinte de<strong>l'école</strong>.Changer d'école après onze années de fréquentation, c'est dur, surt<strong>ou</strong>t quand on se demande sice renvoi n'est pas le fruit du racisme. Même si ils n'en sont pas t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> fait sûrs, les parents deYassine gardent ce s<strong>ou</strong>pçon au fond de <strong>la</strong> gorge: trop de gestes <strong>et</strong> de réflexions leur rappellentau quotidien qu'ils ne sont « que des immigrés ». Ils ont s<strong>ou</strong>vent entendu que <strong>l'école</strong> de leursenfants n'aimait pas que trop de Maghrébins sortent de 6ème: ce n'est pas bon p<strong>ou</strong>r saréputation. La blessure de Yassine est d'autant plus forte qu'il était bien intégré dans son école<strong>et</strong> qu'il y avait ses meilleurs amis. Il va devoir investir t<strong>ou</strong>te son énergie p<strong>ou</strong>r se refaire unen<strong>ou</strong>velle vie dans une n<strong>ou</strong>velle école, qui déj<strong>à</strong> le regarde d'un mauvais oeil parce qu'il a étérenvoyé d'une école bien cotée.P<strong>ou</strong>r les parents, il ne reste plus qu’<strong>à</strong> r<strong>et</strong>irer les autres enfants de c<strong>et</strong> établissement <strong>et</strong> d'inscrir<strong>et</strong><strong>ou</strong>t le monde <strong>ailleurs</strong>. Chercher une <strong>ou</strong> plusieurs écoles d'un aussi bon niveau, quiaccepteront d'inscrire des Marocains. Porter l'affaire devant le tribunal? La maman a ététentée de le faire. Une association qui s<strong>ou</strong>tient les familles dans leurs affaires de justice lui aconseillé de ne pas s'engager dans une telle démarche: s'ils obtenaient gain de cause, commentleurs fils, admis <strong>à</strong> n<strong>ou</strong>veau dans <strong>l'école</strong>, p<strong>ou</strong>rrait-il s'y refaire une p<strong>la</strong>ce honorable? Autantinvestir sa n<strong>ou</strong>velle école <strong>et</strong> tenter de réussir sa sco<strong>la</strong>rité malgré l'affront... <strong>et</strong> tenter derenverser l'image qui lui colle <strong>à</strong> <strong>la</strong> peau.<strong>Les</strong> plus <strong>et</strong> les moinsC<strong>et</strong>te histoire n<strong>ou</strong>s rem<strong>et</strong> devant nos vrais devoirs <strong>et</strong> nos vrais droits de parents. Il ne s'agitpas de se m<strong>et</strong>tre en m<strong>ou</strong>vement seulement quand notre enfant ne se sent pas bien <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>,rate son année <strong>ou</strong> subit ce que n<strong>ou</strong>s estimons être des injustices. Il s'agit de revendiquer uneécole où t<strong>ou</strong>s les enfants aient une p<strong>la</strong>ce de choix <strong>et</strong> de vraies chances de réussite. Il s'agit deréc<strong>la</strong>mer une école où le b<strong>ou</strong>lot de papa <strong>et</strong> maman, <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>leur de peau, le bagage culturel dedépart,... ne déterminent pas les chances d'arriver. Une école où il ne faut déj<strong>à</strong> connaître ceque l'on va apprendre.Le plus dur, c'est de savoir où <strong>et</strong> comment ces droits <strong>et</strong> ces devoirs collectifs sont <strong>à</strong> construire.Parce qu'on se tr<strong>ou</strong>ve s<strong>ou</strong>vent dans une jungle, où chacun sait très bien s’il est le plus fort <strong>ou</strong>non. Comprenez: si v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s sentez « plus » socialement c'est facile, v<strong>ou</strong>s traitez l'instit devos enfants d'inférieur, v<strong>ou</strong>s apprenez <strong>à</strong> vos enfants qu'ils valent mieux que leurs professeurs<strong>et</strong> que <strong>la</strong> dernière chose <strong>à</strong> faire dans <strong>la</strong> vie, c'est de devenir enseignant. Combien de profssubissent au j<strong>ou</strong>r le j<strong>ou</strong>r ces humiliations <strong>et</strong> v<strong>ou</strong>draient tant que les parents n'aient aucunep<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>? Si, par contre, v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s sentez moins socialement, c'est facile aussi. V<strong>ou</strong>ssavez que votre opinion ne compte pas, puisque v<strong>ou</strong>s n'y connaissez rien: v<strong>ou</strong>s comprenezquand même bien que <strong>l'école</strong> sait ce qu'elle fait.www.changement-egalite.be 52


Bon, mais comment on fait p<strong>ou</strong>r réc<strong>la</strong>mer une école de <strong>la</strong> réussite de t<strong>ou</strong>s? D'un côté lesmarges de manoeuvre semblent tellement étroites, de l'autre, si on ne les investit pas, il n'yaura plus qu'<strong>à</strong> <strong>la</strong>isser faire. Outre son devoir critique de citoyen, de s<strong>ou</strong>tien <strong>et</strong> de militancepossible dans des gr<strong>ou</strong>pe de pression, il me semble qu'on peut au j<strong>ou</strong>r le j<strong>ou</strong>r, faire des choix<strong>et</strong> agir, même en tant que parents, p<strong>ou</strong>r une école plus juste.Le dire fort <strong>et</strong> s<strong>ou</strong>ventCommençons par le choix de <strong>l'école</strong>. Dans ce qui est devenu le marché sco<strong>la</strong>ire, vais-jechoisir une de ces écoles réservées <strong>à</strong> l'élite, qui sélectionnent sévèrement <strong>à</strong> l'entrée <strong>et</strong> éjectentceux qui dérapent en c<strong>ou</strong>rs de r<strong>ou</strong>te, parce que le bien de mon enfant <strong>et</strong> ses chances <strong>à</strong> venirpassent par l<strong>à</strong>? Où vais-je chercher une école <strong>ou</strong>verte <strong>à</strong> d'autres publics, qui fait le pari (ce<strong>la</strong>se fait rare) d'offrir une sco<strong>la</strong>rité de qualité au plus grand nombre <strong>et</strong> de garantir <strong>à</strong> ce plusgrand nombre <strong>la</strong> chance de p<strong>ou</strong>voir p<strong>ou</strong>rsuivre des études supérieures. Il existe quelquesécoles, mais aussi, répartis inégalement sur le territoire sco<strong>la</strong>ire, de nombreux enseignantsp<strong>ou</strong>r lesquels l'émancipation des milieux popu<strong>la</strong>ires n'est pas un vain mot. Parents n<strong>ou</strong>sp<strong>ou</strong>vons les s<strong>ou</strong>tenir.Il y va aussi de notre devoir de parents de faire savoir au gens peu au c<strong>ou</strong>rant du p<strong>ou</strong>voir desélection de <strong>l'école</strong>, qu'il existe des écoles p<strong>ou</strong>belles (<strong>et</strong> ce<strong>la</strong> dès le fondamental), des filièresvoies de garage, des écoles gh<strong>et</strong>tos où des professeurs isolés <strong>et</strong> peu s<strong>ou</strong>tenus ne sont plus <strong>à</strong>même, <strong>à</strong> considérer qu'ils le veuillent vraiment, de tenir leur rôle d'enseignants <strong>et</strong> d'apprendre<strong>à</strong> « ces enfants-l<strong>à</strong> ». Il faudrait dénoncer haut, fort <strong>et</strong> s<strong>ou</strong>vent le fait qu'il ne suffit pasd'inscrire ses enfants dans <strong>l'école</strong> de son quartier, qu'il faut choisir entre deux écoles deniveaux différents, <strong>et</strong> plus fort encore que certaines c<strong>ou</strong>ches de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion n'ont pas accès(<strong>ou</strong> un accès très difficile, parsemé d'obstacles <strong>et</strong> d'humiliations) aux écoles de bon niveau.Mais ce n'est pas si simple. <strong>Les</strong> questions se b<strong>ou</strong>sculent: les écoles dites de haut niveau fontellesréellement des activités de haut niveau? Quand on n'a pas le profil p<strong>ou</strong>r s'inscrire dansune école réputée <strong>et</strong> qui tient <strong>à</strong> sa réputation, faut-il s'y introduire malgré t<strong>ou</strong>t, au risque des'en faire exclure un peu plus tard ?Prendre <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ceOn peut aussi investir les comités de parents <strong>et</strong> maintenant les conseils de participation. Et, deces lieux, interpeler collectivement <strong>l'école</strong> p<strong>ou</strong>r savoir quelle est sa stratégie par rapport auxenfants en difficulté, ce qu'elle fait p<strong>ou</strong>r comprendre les cultures en présence dans <strong>l'école</strong>,quelle est sa politique d'inscription, de red<strong>ou</strong>blement, quelles re<strong>la</strong>tions elle entr<strong>et</strong>ient avec lesgr<strong>ou</strong>pes <strong>et</strong> associations de son quartier... T<strong>ou</strong>tes interpel<strong>la</strong>tions qui auront d'autant plus depoids qu’elles seront portées par un plus grand nombre de personnes.Le proj<strong>et</strong> n°1 des parents élus au conseil de participation de <strong>l'école</strong> primaire de nos enfants estde définir comment ils p<strong>ou</strong>rront consulter les autres parents de <strong>l'école</strong>. La fédérationd'associations de parents propose sa structure <strong>et</strong> ses connaissances p<strong>ou</strong>r n<strong>ou</strong>s aider. Il faudradécider si c'est <strong>la</strong> meilleure voie p<strong>ou</strong>r arriver <strong>à</strong> connaître l'a<strong>vis</strong> d'un maximum de parents surle proj<strong>et</strong> de <strong>l'école</strong> <strong>et</strong> sur sa réalisation sur le terrain. La première réunion d'information<strong>ou</strong>verte <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s a déj<strong>à</strong> appris une chose: beauc<strong>ou</strong>p plus de gens que n<strong>ou</strong>s croyions sontprêts <strong>à</strong> investir du temps dans des réunions de parents <strong>et</strong> ont des choses <strong>à</strong> dire. Alors que <strong>la</strong>direction de <strong>l'école</strong>, depuis t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs c'est: « Il est inutile de faire des réunions de parents dansce milieu-l<strong>à</strong>, les parents ne viendront pas, ça ne les intéresse pas ». Depuis dix ans que n<strong>ou</strong>swww.changement-egalite.be 53


fréquentons c<strong>et</strong>te école, seulement deux réunions de parents collectives ont été organisées par<strong>la</strong> direction: une pendant les grèves <strong>et</strong> l'autre suite <strong>à</strong> des récriminations de certains parentsconcernant <strong>la</strong> garderie du matin. Et je n'ose presque pas v<strong>ou</strong>s parler des réunions dedésinformation organisées par le PMS, où celui-ci ne présente, aux parents des enfants quientrent dans le secondaire, que les écoles techniques <strong>et</strong> professionnelles!Lors de <strong>la</strong> réunion concernant le conseil de participation, il n'y avait sans d<strong>ou</strong>te pas f<strong>ou</strong>le (oùy a-t-il eu f<strong>ou</strong>le ?), mais je r<strong>et</strong>iens ce commentaire d'une maman marocaine: « J'ai dit <strong>à</strong> mesamies qu'elles auraient vraiment dû venir. C'est <strong>la</strong> première fois qu'on n<strong>ou</strong>s expliquait si bienles choses. On a éc<strong>ou</strong>té ce que t<strong>ou</strong>t le monde avait <strong>à</strong> dire. C'était comme une réunion defamille ». Comment <strong>et</strong> où réc<strong>la</strong>mer des réunions qui expliquent aux parents les proj<strong>et</strong>s de<strong>l'école</strong>, le sens des apprentissages, les changements <strong>à</strong> venir, les raisons des décisions... dansles établissements où elles n'existent pas encore ?Natalie Rasson, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°129.www.changement-egalite.be 54


J'ai l'droit!« Ben, j'ai l'droit de parler... » Je n'entends plus ce que profèrent les lèvres de Y<strong>ou</strong>cef, mais jesais qu'il me m<strong>et</strong> dans <strong>la</strong> même escarcelle que les emmerdeurs, les empêcheurs de t<strong>ou</strong>rner enrond... Voil<strong>à</strong> bien où je suis, où j'en suis. Une empêcheuse de t<strong>ou</strong>rner en rond. P<strong>ou</strong>r c<strong>et</strong> enfant,rappeler <strong>la</strong> Loi, les lois de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, c'est l'empêcher de faire ce qu'il veut. À ce moment-l<strong>à</strong>, ilme maudit p<strong>ou</strong>r sept générations.Longtemps je n'ai pu supporter c<strong>et</strong>te malédiction <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>r l'éviter, j'étais prête <strong>à</strong> accepter de nepas dire <strong>la</strong> loi. En ce cas, n<strong>ou</strong>s étions dans <strong>la</strong> fusion, n<strong>ou</strong>s croyions n<strong>ou</strong>s aimer... seulementn<strong>ou</strong>s n'étions que p<strong>et</strong>its: mes élèves étaient p<strong>et</strong>its <strong>et</strong> je ne les aidais pas <strong>à</strong> grandir, <strong>et</strong> moi aussi,je restais p<strong>et</strong>ite... maternante <strong>et</strong> maternée. Dans ces cas-l<strong>à</strong>, quelle était <strong>la</strong> loi? Je croyais quec'était <strong>la</strong> loi de l'am<strong>ou</strong>r alors que c'était celle des enfants <strong>ou</strong> plutôt de certains enfants: LA LOIDU PLUS FORT. Et bien sûr, un peu plus tard, on ne p<strong>ou</strong>vait plus s'aimer, car des exactionsme faisaient dresser les cheveux sur <strong>la</strong> tête, je reprenais alors le p<strong>ou</strong>voir en usant... de <strong>la</strong> Loidu plus fort. Un enfant a t<strong>ou</strong>s les droits. Il ne sait pas qu'il y a des limites. Son p<strong>ou</strong>voir estt<strong>ou</strong>t-puissant. À n<strong>ou</strong>s, éducateurs, parents de les lui donner, ces limites.L<strong>à</strong> p<strong>ou</strong>r travaillerEt n<strong>ou</strong>s devons les répéter, les répéter in<strong>la</strong>ssablement, car ces lois ne sont pas innées, il lesacquiert p<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it. P<strong>ou</strong>r moi, c'est dur... très dur. J'ai quand même mis environ trente-cinqans <strong>à</strong> comprendre que les lois servaient <strong>à</strong> grandir, <strong>à</strong> vivre ensemble, qu'elles étaient le cadrenécessaire <strong>à</strong> <strong>la</strong> liberté, que sans elles, c'était bien le bazar... <strong>la</strong> Loi du plus fort.J'ai mis aussi longtemps, <strong>et</strong> peut-être n'en ai-je pas fini, <strong>à</strong> sortir des lois que je m'étaisfabriquées, <strong>et</strong> surt<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> ne pas voir les lois comme carcan auquel je devais me s<strong>ou</strong>m<strong>et</strong>tre, moi<strong>et</strong> ceux dont j’étais responsable. Oui, mais alors? Dans ta c<strong>la</strong>sse...Dans ma c<strong>la</strong>sse, il y a quatre lois, dérivées des lois fondamentales de l'humanité : Chacun est respecté dans ses affaires <strong>et</strong> dans sa personne. Chacun est ici p<strong>ou</strong>r travailler. Chaque personne est importante p<strong>ou</strong>r le gr<strong>ou</strong>pe. La maitresse n'appartient <strong>à</strong> personne, elle travaille avec chacun.<strong>Les</strong> enfants apprennent peu <strong>à</strong> peu <strong>à</strong> respecter ces lois; ce n'est pas sans peine <strong>et</strong> sans cris dema part:- Comment? Mais tu sais bien que tu es l<strong>à</strong> p<strong>ou</strong>r travailler?- ...-Alors p<strong>ou</strong>rquoi ne travailles-tu pas? (parfois mon <strong>la</strong>ngage n'est pas aussi châtié...)Je dois m'y faire: moi, je sais que je viens <strong>à</strong> <strong>l'école</strong> p<strong>ou</strong>r travailler, p<strong>ou</strong>r les faire travailler,mais les enfants n'en ont pas conscience, surt<strong>ou</strong>t ceux dont les parents n'investissent pas <strong>la</strong>culture <strong>et</strong> le rôle de <strong>l'école</strong>.Des hommes devenusDans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, les enfants ont des droits: le droit d'être éc<strong>ou</strong>té, le droit de parler, le droit dechoisir,... <strong>Les</strong> devoirs en déc<strong>ou</strong>lent : le devoir d'éc<strong>ou</strong>ter, le devoir de se taire, le devoir denégocier, le devoir de travailler. D'avoir des devoirs, de respecter les Lois de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, medonne des droits. En eff<strong>et</strong>, certaines « ceintures de comportement » donnent des droits :www.changement-egalite.be 55


ceinture jaune, je peux aller <strong>à</strong> <strong>la</strong> toil<strong>et</strong>te sans demander; ceinture verte, je peux me dép<strong>la</strong>cerseul dans les c<strong>ou</strong>loirs; ceinture noire, je peux rester seul en c<strong>la</strong>sse pendant les récréations,...Ou bien les droits que j'ai dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse me donnent des devoirs envers moi-même <strong>et</strong> lesautres?Si <strong>la</strong> loi humaine existe au-dessus de n<strong>ou</strong>s, l'éducateur est l'un de ses transm<strong>et</strong>teurs. La loigarantit les personnes. P<strong>ou</strong>rtant, notre vieux monde n'énonce s<strong>ou</strong>vent qu'une loi enfantine: <strong>la</strong>Loi du plus fort. La loi de <strong>la</strong> T<strong>ou</strong>te-puissance. Une loi qui porte <strong>la</strong> mort d'autrui. La guerre, lesexclusions, le capitalisme n'en sont qu'une illustration.Dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, j'énonce des lois qui ne sont pas de c<strong>et</strong> ordre, des lois p<strong>ou</strong>r des hommesdevenus humains.− Tu n'as pas le droit de le frapper... son corps, c'est son corps...− Mais il m'a dit « Nique ta mère ».− Il n'a pas le droit non plus. Je comprends que tu sois en colère mais essaie de te contenir,si tu n'y arrives pas, viens me le dire.La parole comme régu<strong>la</strong>teur mais aussi: les ceinture de comportement p<strong>ou</strong>r apprendre <strong>à</strong> intégrer ces lois difficiles p<strong>ou</strong>rcertains, p<strong>ou</strong>r évaluer où l'enfant en est dans sa maitrise des lois; une instance de régu<strong>la</strong>tion: « Je critique », « Je félicite », qui est une p<strong>et</strong>ite partie duconseil où on éc<strong>ou</strong>te les conflits se dire; <strong>et</strong> encore, le conseil.Moi, l<strong>à</strong>-dedans, je suis garante... <strong>ou</strong> du moins, j'essaie de l'être. Mais j'ai encore des d<strong>ou</strong>tes surles assemblées d'enfants que je ne sais que livrer <strong>à</strong> elles-mêmes... Je ne veux pas que leconseil régisse t<strong>ou</strong>t. Je préfère utiliser <strong>la</strong> loi du plus fort moi-même p<strong>ou</strong>r m<strong>et</strong>tre les enfantsdans le même statut, plutôt que de les <strong>la</strong>isser s'entredéchirer <strong>ou</strong> s'auto-congratuler <strong>et</strong> se donnert<strong>ou</strong>s les droits... Mon histoire est impliquée dans c<strong>et</strong>te peurMarie-France Duflot, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°129.www.changement-egalite.be 56


II. M<strong>et</strong>tre en œuvrewww.changement-egalite.be 57


Dites-moi d’obéir !Pas évident de prendre du recul par rapport <strong>à</strong> nos rêves/fantasmes d’enfants autodisciplinés,qui feraient, sans qu’on le demande, t<strong>ou</strong>t ce qu’on aimerait qui soit fait p<strong>ou</strong>r notr<strong>et</strong>ranquillité avant même qu’on n’y ait pensé.« C’est incroyable qu’il faille leur dire ça ! Ce sont des choses tellement évidentes <strong>et</strong> ils nesont pas capables de les faire sans qu’on leur demande <strong>et</strong> qu’on leur c<strong>ou</strong>rt après ! », tonne leprof d’éducation physique parce que les élèves sont partis sans ranger « spontanément » lematériel.L’obéissance, que l’on appelle prudemment « respect des règles » dans ce cas, on en a besoindans notre métier d’enseignant. Un besoin immédiat. Autant d’adultes dans l’école, autant de« C’est évident que ça ne se discute pas ! ». Des évidences qui posent problème parce qu’ellesne sont t<strong>ou</strong>t simplement pas connues.Vider les cartablesEtat de grâce de <strong>la</strong> rentrée sco<strong>la</strong>ire dans c<strong>et</strong>te sixième primaire de 25 enfants du Namurois. Jediscute quelques instants avec le professeur de morale pendant que les élèves préparent leurmatériel avant le c<strong>ou</strong>rs. S<strong>ou</strong>dain, un hurlement. Matthieu a empoigné Anthony <strong>et</strong> le tabasselittéralement. Une brutalité instantanée, in<strong>ou</strong>ïe. N<strong>ou</strong>s les séparons <strong>et</strong> leur imposons une p<strong>la</strong>cedans des coins opposés de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. En fixant rendez-v<strong>ou</strong>s <strong>à</strong> <strong>la</strong> récréation. Qu’est-ce qui a puse passer p<strong>ou</strong>r que ces deux grands copains qui sont t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs ensemble se tapent dessuscomme ce<strong>la</strong> ?- Il m’avait insulté !Je n’en saurai pas plus. De c<strong>et</strong>te entrevue, je garde l’impression d’une loi du silence. On neparlera pas de ce qui se passe. Entre eux, les noms d’oiseaux sont fréquents, ils font partie du<strong>la</strong>ngage c<strong>ou</strong>rant. L’an passé déj<strong>à</strong> ils étaient dans ma c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> n’avait jamais donné lieu <strong>à</strong>des c<strong>ou</strong>ps p<strong>ou</strong>rtant…A seize heures, je croise <strong>la</strong> maman de Matthieu dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r. Je lui re<strong>la</strong>te l’évènement <strong>et</strong> monétonnement devant <strong>la</strong> brutalité <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle j’ai assisté.- Ce<strong>la</strong> date des vacances, répond-elle, il y a eu de gros problèmes lorsque Anthony, quivenait t<strong>ou</strong>s les j<strong>ou</strong>rs <strong>à</strong> <strong>la</strong> maison, a dépassé certaines limites <strong>et</strong> que je l’ai remis en p<strong>la</strong>ce. Il l’atrès mal pris <strong>et</strong> maintenant ça ne va plus entre eux deux. J’en ai parlé au père d’Anthony, avecqui on s’entend assez bien, mais il dit qu’il est dépassé <strong>et</strong> qu’il n’arrive plus <strong>à</strong> se faire obéir.Depuis que c’est arrivé, Anthony fait payer <strong>à</strong> Matthieu mon intervention. L’autre j<strong>ou</strong>r, il s’estcaché dans le chemin près de l’école avec sa bande. Ils ont frappé Matthieu <strong>et</strong> lui ont pris sonvélo. Moi j’en ai marre que mon gamin se fasse taper dessus <strong>et</strong> rack<strong>et</strong>ter. J’en arrive <strong>à</strong> avoirenvie de porter p<strong>la</strong>inte ! Je tr<strong>ou</strong>ve important que v<strong>ou</strong>s le sachiez, bien que ce<strong>la</strong> se passe endehorsde l’école <strong>et</strong> que ce<strong>la</strong> ne v<strong>ou</strong>s concerne donc pas.Comme quoi, il y a bien autre chose que des crayons dans le cartable <strong>à</strong> <strong>la</strong> rentrée ! D’autantplus que le lendemain matin, <strong>la</strong> mère d’Arthur, un autre gamin de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse m’accroche dèsmon arrivée <strong>à</strong> l’école :www.changement-egalite.be 58


- J’ai appris qu’Anthony s’est battu en c<strong>la</strong>sse. Il est vraiment dangereux celui-l<strong>à</strong>, avecsa bande ! Ma fille a peur de sortir maintenant. Avec ses copains, ils l’ont accostée en luidemandant ce qu’elle faisait, où elle al<strong>la</strong>it. C’est incroyable, on croit qu’on est dans unquartier tranquille <strong>et</strong> puis voil<strong>à</strong> que c’est Chicago ici. Ce n’est quand même pas <strong>à</strong> moi de lefaire obéir ! Si ça continue, c’est <strong>la</strong> police qui va s’en occuper.Construire un disc<strong>ou</strong>rsJe c<strong>ou</strong>pe, un peu agressivement, l’entr<strong>et</strong>ien. Et je vais le plus rapidement possible le rapporterau directeur. J’ai besoin de prendre du recul. D’autant plus que les faits reprochés sontextérieurs <strong>à</strong> l’école, où Anthony a un comportement t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> fait différent de ce qui lui estreproché. Je vois plutôt un enfant qui a beauc<strong>ou</strong>p d’hum<strong>ou</strong>r <strong>et</strong> s<strong>ou</strong>vent le cœur sur <strong>la</strong> main. Ils’occupe parfois des p<strong>et</strong>its de maternelle. Ses difficultés sco<strong>la</strong>ires sont réelles, en particulierp<strong>ou</strong>r l’organisation <strong>et</strong> <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité de son travail, le respect des échéances. Comment donnerdu sens <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te importante différence entre le dedans <strong>et</strong> le dehors de l’école ? A l’école, lesrègles sont construites <strong>et</strong> discutées avec les enfants ; il y a le conseil de c<strong>la</strong>sse p<strong>ou</strong>r poser <strong>et</strong>tenter de rés<strong>ou</strong>dre ce qui pose problème. Et dès qu’on sort de ce cadre, t<strong>ou</strong>t ce qui estconstruit est-il perdu ? Dur constat. Notre travail éducatif n’aurait-il pas d’eff<strong>et</strong> hors desbalises qui l’ont rendu possible ?N<strong>ou</strong>s convenons, le directeur <strong>et</strong> moi, d’une entrevue avec <strong>la</strong> psychologue du PMS attachée <strong>à</strong>l’école. Elle conseille devant <strong>la</strong> menace de p<strong>la</strong>inte formulée <strong>à</strong> deux reprises, de prendrecontact avec l’assistante sociale de police p<strong>ou</strong>r connaître son a<strong>vis</strong>. A<strong>vis</strong> qui ne tarde pas : s’ily a p<strong>la</strong>inte, il y aura enquête <strong>et</strong>, dans le pire des cas, décision de r<strong>et</strong>irer l’enfant <strong>à</strong> <strong>la</strong> garde dupère. Elle conseille de mener un travail d’information auprès de l’enfant, même si ce<strong>la</strong> sepasse hors école. Il faut bien que quelqu’un le fasse ! Avec le directeur, une collègue directe<strong>et</strong> <strong>la</strong> psychologue, n<strong>ou</strong>s construisons le disc<strong>ou</strong>rs qui sera tenu au gamin. N<strong>ou</strong>s devons lui direce que n<strong>ou</strong>s savons. Sans que ce soit une menace.On veut te dire…N<strong>ou</strong>s le rencontrons lors de <strong>la</strong> récréation de l’après-midi :- Voil<strong>à</strong>, Anthony, dis-je. N<strong>ou</strong>s avons v<strong>ou</strong>lu te voir suite <strong>à</strong> ce qui s’est passé en c<strong>la</strong>sseavant-hier. Depuis lors, des parents sont venus n<strong>ou</strong>s voir p<strong>ou</strong>r des actions qui se sont passéeshors de l’école. N<strong>ou</strong>s n’avons pas <strong>à</strong> juger ce que tu as fait. Notre travail, c’est un travaild’éducation. N<strong>ou</strong>s pensons que tu dois savoir que les personnes qui n<strong>ou</strong>s ont parlé ont euenvie de porter p<strong>la</strong>inte <strong>à</strong> <strong>la</strong> police. Comme on ne savait pas ce que ce<strong>la</strong> p<strong>ou</strong>vait avoir commeconséquence, on s’est informés. Tu dois savoir qu’il y aurait une enquête dans le quartier <strong>et</strong>chez toi, que le résultat de c<strong>et</strong>te enquête serait transmis au juge de <strong>la</strong> jeunesse, qui décideraitde ce qu’il faut faire. Dans le pire des cas, le juge p<strong>ou</strong>rrait estimer que ton comportementdemande qu’on te r<strong>et</strong>ire de ta famille.N<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lons te dire qu’on est avec toi. Pas p<strong>ou</strong>r te regarder faire des bêtises. Mais p<strong>ou</strong>r tedire que l<strong>à</strong>, tu passes une limite de <strong>la</strong> société. N<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lons être certains que tu le saches.N<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lons aussi te dire que Matthieu, ce n’est pas les parents de Matthieu <strong>et</strong> que ce quis’est passé entre toi <strong>et</strong> eux pendant les vacances, ce n’est pas avec lui. Il n’est pas responsablede ses parents.Anthony pleure en me fixant dans les yeux. Et puis, il dit d<strong>ou</strong>cement :- Je ne savais pas. J’ai peur. On ne m’a jamais dit. Je n’ai jamais pensé que ce<strong>la</strong> p<strong>ou</strong>vaitarriver.www.changement-egalite.be 59


Ce qui m’impressionne le plus, c’est de prendre conscience que, s’il avait évidemment lesentiment de faire quelque chose qu’on ne peut pas, il n’avait aucune idée des conséquencespossibles de ce comportement. Interdit, d’accord : il sait bien qu’on ne peut pas frapperquelqu’un, qu’on ne peut pas lui prendre son vélo. Mais que se passe-t-il si on le fait quandmême ? Anthony n’en sait rien. Peut-être est-ce ce<strong>la</strong> qui était en jeu : « Je ne savais pas ».Depuis c<strong>et</strong>te entrevue, il n’y a plus eu d’échange de c<strong>ou</strong>ps. Plus de p<strong>la</strong>intes sauvages duvoisinage non plus. Anthony <strong>et</strong> Matthieu ont t<strong>ou</strong>s les deux pris <strong>la</strong> parole au conseil de c<strong>la</strong>ssesuivant : « Merci de v<strong>ou</strong>s être occupés de n<strong>ou</strong>s ». S’occuper d’eux ? S’arrêter, m<strong>et</strong>tre desmots en évitant de moraliser, dire les règles « <strong>à</strong> temps », cerner les cont<strong>ou</strong>rs des personnes,des sentiments (je, lui, eux), présenter les responsabilités.Et si Anthony n<strong>ou</strong>s avait répondu « Je m’en f<strong>ou</strong>s ! » ?L<strong>ou</strong>is Ber<strong>la</strong>n, in Traces de changements n°132.www.changement-egalite.be 60


Triangle <strong>à</strong> trois voixC’est vrai, il n’y a que deux c<strong>la</strong>sses primaires dans notre p<strong>et</strong>ite école. Mais comme <strong>ailleurs</strong>,en récréation, ça cogne dur parfois...Je viens récupérer mes élèves <strong>à</strong> 13h15 <strong>et</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nte m’en désigne deux, alignés le long dumur : « Avec ceux-l<strong>à</strong>, je ne sais plus quoi faire, ils étaient <strong>à</strong> s’insulter <strong>et</strong> se frapper comme desbêtes... »Pendant que les enfants montent déj<strong>à</strong> en c<strong>la</strong>sse, <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nte m’explique qu’elle était déj<strong>à</strong>intervenue plusieurs fois, mais que vraiment, « ils se cherchent ces deux-l<strong>à</strong> auj<strong>ou</strong>rd’hui ». Jeconviens avec elle que si une situation ingérable <strong>à</strong> ce point survenait encore, elle n’hésite pas<strong>à</strong> m’envoyer les belligérants en c<strong>la</strong>sse, <strong>ou</strong> du moins <strong>à</strong> envoyer un élève me prévenir.Ce sera chose faite quelques j<strong>ou</strong>rs plus tard. La surveil<strong>la</strong>nte me rejoint en c<strong>la</strong>sse avec troisélèves : Serge, Gilles (des anciens, qui étaient déj<strong>à</strong> dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse l’an passé) <strong>et</strong> M<strong>ou</strong>nir, quiest n<strong>ou</strong>veau dans l’école. « Voil<strong>à</strong>, comme tu m’as dit que je p<strong>ou</strong>vais les conduire chez toi, jele fais parce que c’est de n<strong>ou</strong>veau les c<strong>ou</strong>ps <strong>et</strong> les insultes. Et impossible de les faires’expliquer, ils ne s’éc<strong>ou</strong>tent même pas, ils n’arrêtent pas de se c<strong>ou</strong>per <strong>la</strong> parole, pas moyende savoir ce qui s’est passé ! » C’est vrai que s<strong>ou</strong>vent, tenter de comprendre <strong>ou</strong> de chercherqui a tort <strong>ou</strong> raison, qui était le premier <strong>à</strong> avoir frappé ne mène <strong>à</strong> rien. Il y a tant de gestes, demots, <strong>et</strong> du non-verbal parfois subtil qui sont présents dans les re<strong>la</strong>tions qu’il s’avère trèscomplexe de démêler t<strong>ou</strong>t ce<strong>la</strong>. Et puis, p<strong>ou</strong>r savoir quoi ? Au fond, peu importe qui acommencé. Il y a avant t<strong>ou</strong>t une somme de subjectivités qui se heurtent <strong>et</strong> qui ont chacunefondamentalement une valeur égale. Ce midi, je sens qu’ils ont besoin de p<strong>ou</strong>voir dire. Diredevant un adulte qui éc<strong>ou</strong>te, <strong>et</strong> qui, surt<strong>ou</strong>t, ne moralise pas. Qui fasse avec eux le pari qu’ilsont en eux les ress<strong>ou</strong>rces qui leur perm<strong>et</strong>tent de sortir de ce conflit en ayant été entendus, <strong>et</strong>avec le minimum de sécurité : arrêt des insultes <strong>et</strong> des c<strong>ou</strong>ps.Histoires sans parolesJe les fais s’installer chacun <strong>à</strong> une table avec de quoi écrire. Je leur explique que comme <strong>la</strong>parole semble difficile p<strong>ou</strong>r le moment, on ne parlera pas, mais qu’on écrira. Et je leurdemande d’écrire ce qui s’est passé, le plus précisément <strong>et</strong> complètement possible. Aprèsquelques minutes, les enfants m’apportent les feuilles <strong>et</strong> je les lis <strong>à</strong> haute voix, de <strong>la</strong> façon <strong>la</strong>plus neutre possible, en nommant chaque fois l’auteur :- Gilles : « Sans faire exprès j’ai mis mon bras dans <strong>la</strong> figure de Bachir alors M<strong>ou</strong>nir a réagisur moi parce que c’est son meilleur copain alors je vais mal. »- Serge : « “Y a M<strong>ou</strong>nir qui tape t<strong>ou</strong>t le monde dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r alors je lui ai dit d’arrêter. Après,il m’a donné un c<strong>ou</strong>p de pied <strong>et</strong> après un c<strong>ou</strong>p de poing dans le ventre de Gilles. Alors, je luiai dit d’aller dans une école de f<strong>ou</strong>s. »M<strong>ou</strong>nir n’a rien écrit.Silence. Ils éc<strong>ou</strong>tent <strong>et</strong>, comme annoncé, je ne fais aucun commentaire. <strong>Les</strong> enfants necherchent pas <strong>à</strong> réagir. Puis, je donne <strong>à</strong> chacun <strong>la</strong> feuille d’un autre, <strong>et</strong> je leur propose d’yécrire une demande adressée <strong>à</strong> un des autres enfants. Je reprends ensuite <strong>à</strong> n<strong>ou</strong>veau les troisfeuilles, <strong>et</strong> les lis <strong>à</strong> haute voix, sans commentaire :- Serge : « Je demande <strong>à</strong> Gilles qu’il ne soit plus jal<strong>ou</strong>x sur les chaussures de M<strong>ou</strong>nir <strong>et</strong> qu’iltape plus Bachir. »www.changement-egalite.be 61


Gilles n’a rien écrit c<strong>et</strong>te fois, mais M<strong>ou</strong>nir bien : « Je v<strong>ou</strong>drais m’excuser auprès de Serge. Jesais pas ce qui m’a pris de taper. Je suis vraiment désolé, je v<strong>ou</strong>drais être ami avec toi. Maisdes fois, je me prive d’ami quand je tape. Désolé. »Silence. Je donne une dernière fois les feuilles, chaque feuille <strong>à</strong> celui des trois qui ne l’a pasencore eue. Je leur propose d’écrire ce qu’ils v<strong>ou</strong>draient faire maintenant, suite <strong>à</strong> ce qui s’estpassé <strong>et</strong> suite <strong>à</strong> ce qu’ils ont écrit.M<strong>ou</strong>nir demande de « faire <strong>la</strong> paix une bonne fois p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>tes », <strong>et</strong> Serge « qu’on soit amisjusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> fin de l’année ».Gilles est plus nuancé : « Faire <strong>la</strong> paix, mais pas copain. J<strong>ou</strong>er ensemble, mais pas dans <strong>la</strong>même équipe. » M<strong>ou</strong>nir ne dit pas un mot, mais il fait <strong>ou</strong>i de <strong>la</strong> tête. Je leur demande s’ils sesentent prêts <strong>et</strong> en sécurité p<strong>ou</strong>r redescendre dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r. Trois fois <strong>ou</strong>i, sans hésiter.Je suis impressionné. Ce dispositif leur a permis de dire ce qu’ils v<strong>ou</strong><strong>la</strong>ient, mais par un<strong>et</strong>ierce b<strong>ou</strong>che, peut-être plus facile <strong>à</strong> éc<strong>ou</strong>ter, t<strong>ou</strong>t en n’ayant pas dans les pattes un adulte enposition d’arbitre <strong>ou</strong> de gardien d’une morale. Et si c’était d’abord de ce<strong>la</strong> dont ils avaientbesoin ?Un triangle dans lequel chacun peut prendre sa p<strong>la</strong>ce, pas t<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, une p<strong>la</strong>ce qui ne serapas confisquée, en ayant <strong>la</strong> garantie d’éviter le choc frontal.Stéphane Lambert, in Traces de Changements n°170.www.changement-egalite.be 62


Le conseil en 4e professionnelleSe <strong>la</strong>ncer, risquer, prendre <strong>la</strong> mesure,...Sortie en 1980 du régendat, je n’enseigne que depuis 14 ans. J’ai passé quelques années avecmes enfants avant de r<strong>et</strong><strong>ou</strong>rner <strong>à</strong> l’école. Et je m’y suis heurtée <strong>à</strong> l’indifférence des élèves,aux chahuts, au surmenage, <strong>à</strong> <strong>la</strong> déprime... Et je m’y suis sentie exploitée par un système qui autilisé rationnellement mon engagement. Puis les grèves... <strong>et</strong> un transfert révolté de monmilitantisme dans un m<strong>ou</strong>vement pédagogique : j’y rencontre des enseignants qui osent unregard réflexif sur leurs pratiques, qui organisent <strong>et</strong> pratiquent <strong>la</strong> formation permanente. Jeparticipe <strong>à</strong> trois stages de Pédagogie Institutionnelle, je déc<strong>ou</strong>vre <strong>la</strong> dynamique qu’elleengendre.En c<strong>la</strong>sse, j’instaure l’institution du Conseil avec les huit élèves de 4e professionnelleServices sociaux. N<strong>ou</strong>ra rêve de devenir chanteuse, écrit des textes... Je reçois despropositions de conc<strong>ou</strong>rs d’écriture. On prévoit les c<strong>ou</strong>rs de français dans c<strong>et</strong>te optique, onrédige <strong>et</strong> on critique les textes. On tr<strong>ou</strong>ve des responsabilités p<strong>ou</strong>r chacun : <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse estpropre, décorée, les informations circulent, <strong>la</strong> bibliothèque est gérée... <strong>Les</strong> élèves se formentau traitement de texte p<strong>ou</strong>r taper les rapports du Conseil, avec <strong>la</strong> coopération d’une prof endehors des heures de c<strong>ou</strong>rs. T<strong>ou</strong>t baigne.MûrirIls veulent organiser un voyage <strong>à</strong> Paris, aller <strong>vis</strong>iter un studio d’enregistrement. Unerandonnée parrainée <strong>à</strong> vélo est organisée, ils <strong>la</strong>vent des voitures sur un parking desupermarché, vendent des gaufres... Une partie de l’argent rentre chez l’élève trésorière. Maiscertains gardent l’argent de leur parrainage, ne rendent pas les feuilles. Comment obligerl’élève qui s’est fait parrainer <strong>à</strong> apporter l’argent en c<strong>la</strong>sse ? Comment motiver <strong>à</strong> participer <strong>à</strong><strong>la</strong> randonnée une fois l’argent récolté ? Deux filles du gr<strong>ou</strong>pe, demandeuses d’asile, nepeuvent quitter le territoire ; une dispute entre trois autres provoque le r<strong>et</strong>rait d’une d’entreelles. Impossible de partir <strong>à</strong> Paris. <strong>Les</strong> élèves votent l’annu<strong>la</strong>tion du proj<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> récupérationde l’argent qu’ils ont gagné. Je m<strong>et</strong>s mon v<strong>et</strong>o. C<strong>et</strong>te question d’argent se discute ferme : i<strong>la</strong>ppartient... <strong>ou</strong> pas aux élèves ; il peut servir <strong>à</strong> remb<strong>ou</strong>rser une partie des frais sco<strong>la</strong>iresimpayés... <strong>ou</strong> pas. Questions. La dispute qui a provoqué le r<strong>et</strong>rait est gérée en médiation parl’assistant social de l’école. Le reste fait l’obj<strong>et</strong> de discussions acharnées, de choix difficiles.Le gr<strong>ou</strong>pe mûrit. Il assume ses décisions. N<strong>ou</strong>s partons deux j<strong>ou</strong>rs <strong>à</strong> <strong>la</strong> mer après les examens,sauf Magali qui rej<strong>et</strong>te ces lois !J’apprécie c<strong>et</strong>te pédagogie qui me perm<strong>et</strong> de regarder fonctionner les élèves, qui ose leurdonner <strong>la</strong> parole, qui favorise <strong>la</strong> prise d’initiatives, l’expression des besoins, les mises aupoint, le respect. Je m’y risque dans les c<strong>la</strong>sses dans lesquelles j’ai beauc<strong>ou</strong>p d’heures (<strong>et</strong> du« poids » face aux élèves <strong>et</strong> aux collègues), pas encore dans les autres. Comment faire naîtrele désir d’un autre fonctionnement de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse quand il semble tellement éteint <strong>ou</strong> m<strong>ou</strong>rant,quand il s’oppose aux pratiques de ses autres profs ? Je me protège. C<strong>et</strong>te année, je vaisrisquer dans t<strong>ou</strong>s les gr<strong>ou</strong>pes l’instauration d’un quart d’heure de Quoi d’neuf, une autreinstitution de <strong>la</strong> PI. Et j’observerai encore.Isabelle Berg, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°152.www.changement-egalite.be 63


Et si on leur <strong>la</strong>issait le p<strong>ou</strong>voir ?Une plongée dans l’inconnu...Mercredi 20 juin 2001, dans l’école dans <strong>la</strong>quelle je travaille depuis 4 ans, a eu lieu le conseilde c<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong> 4e année. Celui-ci se composait du Directeur, du polyvalent, du professeur de4e année <strong>et</strong> de moi-même. Je devais recevoir ces élèves le premier septembre prochain <strong>et</strong>c’était <strong>la</strong> première fois que je faisais une 5e année. Bi<strong>la</strong>n global : catastrophique ! Ce sont desenfants fort turbulents, intelligents mais vraiment difficiles <strong>à</strong> « tenir » <strong>et</strong> bavards. <strong>Les</strong> fillessont des pestes <strong>et</strong> les garçons, des hyperkinétiques. <strong>Les</strong> enfants entre eux sont assez méchants<strong>et</strong> certains sont hypocrites. « Je te préviens », m’avait dit ma collègue de 4e, « je suis s<strong>ou</strong>ventrentrée chez moi en pleurant, <strong>et</strong> ils sont comme ça depuis leur 1e année. »T<strong>ou</strong>t juste p<strong>ou</strong>r moiJe devais donc démarrer ma 5e année d’expérience avec ces monstres <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>rtant, je nev<strong>ou</strong><strong>la</strong>is absolument pas éch<strong>ou</strong>er. Que faire ? Ces professeurs qui ont tellement plusd’expérience que moi <strong>et</strong> qui donnent beauc<strong>ou</strong>p p<strong>ou</strong>r les enfants n’y sont pas arrivés...Comment guider ces enfants, comment les faire grandir ?J’ai prévenu mon mari <strong>et</strong> mon ent<strong>ou</strong>rage de ce qu’ils al<strong>la</strong>ient devoir subir pendant un an <strong>et</strong> j’aiattendu le 17 a<strong>ou</strong>t, premier j<strong>ou</strong>r des Rencontres Pédagogiques d’Été, question de me motiveravant <strong>la</strong> rentrée. Je m’étais inscrite en Pédagogie Institutionnelle parce qu’il était écrit dans <strong>la</strong>description du stage « organiser <strong>la</strong> coopération » <strong>et</strong> « travailler les conflits »... t<strong>ou</strong>t juste p<strong>ou</strong>rmoi !Le premier j<strong>ou</strong>r, Jacques, un des responsables du stage, n<strong>ou</strong>s a dit : « Je donne le p<strong>ou</strong>voir augr<strong>ou</strong>pe ». L<strong>à</strong>, je me suis vraiment demandée si j’al<strong>la</strong>is avoir les réponses <strong>à</strong> mes questions ! Etp<strong>ou</strong>rtant, t<strong>ou</strong>s ensemble, n<strong>ou</strong>s avons construit quelque chose d’unique. N<strong>ou</strong>s avons eu dessensations n<strong>ou</strong>velles, parfois excitantes, parfois déstabilisantes. Mais personnellement, j’ai eubeauc<strong>ou</strong>p de p<strong>la</strong>isir <strong>à</strong> travailler en coopération, de prendre <strong>et</strong> partager le p<strong>ou</strong>voir. Décider,convaincre, imaginer, déc<strong>ou</strong>vrir les autres, organiser, respecter, éc<strong>ou</strong>ter, proposer,... n’était-cepas ce que je désirais p<strong>ou</strong>r ma c<strong>la</strong>sse de monstres ?Il ne me restait plus qu’<strong>à</strong> essayer en c<strong>la</strong>sse. Quels étaient les risques ? Me faire « b<strong>ou</strong>ffer » pareux ? Qu’ils en profitent p<strong>ou</strong>r avoir une heure de récré en plus ? Qu’ils ne se respectent pas ?Tant pis, au point où ils en étaient, je devais essayer... juste p<strong>ou</strong>r voir, puis j’al<strong>la</strong>is a<strong>vis</strong>er. Jeme suis dit que <strong>la</strong> seule force que j’avais était <strong>la</strong> confiance en moi, l’organisation, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté...J’ai appliqué quelques principes de <strong>la</strong> PI <strong>et</strong> instauré des moments p<strong>ou</strong>r leur faire déc<strong>ou</strong>vrir ceque j’avais vécu. Je v<strong>ou</strong><strong>la</strong>is qu’ils partagent le p<strong>ou</strong>voir, le fassent circuler <strong>et</strong> essayent de leconnaitre. Je me suis fort inspirée de quelques lectures <strong>et</strong> j’ai instauré quelques institutions (çava, ça va pas, quoi de neuf ?, cahier de vie de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, responsabilités...) <strong>et</strong>, bien sûr, leConseil. Ils avaient <strong>à</strong> leur disposition trois boites (je reproche, j’aimerais, je félicite) danslesquelles ils p<strong>ou</strong>vaient glisser, t<strong>ou</strong>t au long de <strong>la</strong> semaine, leurs a<strong>vis</strong> sur papier dans le butd’en parler au Conseil.www.changement-egalite.be 64


Juste p<strong>ou</strong>r euxAu premier Conseil de l’année, le lundi 3 septembre 2001 <strong>à</strong> 8 h 30, les bancs sont reculés <strong>et</strong> jeleur demande de s’asseoir en cercle. Chacun s’exécute en silence, très impressionné par monattitude impassible, <strong>et</strong> je leur dis : « Le premier conseil de l’année est <strong>ou</strong>vert ». À ce momentl<strong>à</strong>,certains enfants se sont regardés <strong>et</strong> ont eu beauc<strong>ou</strong>p de mal <strong>à</strong> ne pas rire. C’était <strong>la</strong>nervosité face <strong>à</strong> l’inconnu, sentiment que j’avais eu aux premières paroles de Jacques austage. J’aimais les observer. Sans tarder <strong>et</strong> avec un ton très solennel, je leur ai annoncé t<strong>ou</strong>smes proj<strong>et</strong>s. Déj<strong>à</strong>, ils se sentaient n<strong>ou</strong>veaux, <strong>et</strong> au fur <strong>et</strong> <strong>à</strong> mesure que les j<strong>ou</strong>rs avançaient, jeles ai vus évoluer. Jamais, <strong>à</strong> aucun Conseil, ils n’en ont profité. J’ai été stupéfaite du sérieuxavec lequel chacun s’est investi dans chaque institution, j’ai déc<strong>ou</strong>vert <strong>et</strong> apprécié certainsenfants « difficiles », j’ai <strong>ou</strong>vert chez chacun d’eux un coffre aux trésors dans lequel je vaispuiser quand je ne sais plus quoi faire.Annabelle, une enfant très timide, était venue me voir avec sa maman parce qu’elle avait desproblèmes re<strong>la</strong>tionnels avec Valérie, une « tête » du gr<strong>ou</strong>pe des filles. Renfermée, elle gardaitce problème en elle depuis le mois de septembre. Je l’avais t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs connue secrète <strong>et</strong> peuloquace <strong>et</strong> je ne m’étais pas inquiétée. Mais elle le vivait très mal, me disait sa maman, elle enpar<strong>la</strong>it <strong>à</strong> <strong>la</strong> maison, mais une fois <strong>à</strong> l’école, on ne l’entendait plus. Elle n’avait jamais osé enparler au Conseil.Alors je l’ai rassurée, enc<strong>ou</strong>ragée <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre un p<strong>et</strong>it mot dans <strong>la</strong> boite « je reproche », je lui aiexpliqué qu’elle ne serait pas seule, que d’autres filles l’aideraient, <strong>et</strong> moi aussi. J’avaisl’impression d’être son coach. Après une heure de négociations, de mise au point <strong>et</strong>d’évaluation, j’arrive <strong>à</strong> <strong>la</strong> convaincre... Le j<strong>ou</strong>r du Conseil, je <strong>la</strong> voyais avaler difficilement <strong>et</strong>elle était nerveuse. J’avais aussi peur qu’elle d’en arriver <strong>à</strong> son mot. Enfin, on en arrive <strong>à</strong> elle<strong>et</strong> je lui demande de s’expliquer... T<strong>ou</strong>t est sorti en un bloc, comme un gros fardeau tropl<strong>ou</strong>rd. N<strong>ou</strong>s étions t<strong>ou</strong>s pendus <strong>à</strong> ses lèvres, Valérie s’est <strong>à</strong> peine défendue car ses argumentsne tenaient pas <strong>et</strong> s’est très vite excusée de son attitude de rej<strong>et</strong> envers Annabelle. En cinqminutes, le problème était réglé <strong>et</strong> depuis, elle a pris en charge des responsabilités, jel’entends lors des quoi de neuf ?, je <strong>la</strong> vois s’amuser avec ses copines. J’ai <strong>la</strong> satisfaction de <strong>la</strong>voir s’<strong>ou</strong>vrir <strong>et</strong> s’épan<strong>ou</strong>ir... grâce <strong>à</strong> <strong>la</strong> parole.Ma volonté, leur volontéDernièrement, c’est moi qui ai dû me contrôler. Rien n’était au mur, je v<strong>ou</strong><strong>la</strong>is que le besoinvienne d’eux, cependant ils (les murs !) restaient désespérément vides. Mais je tenais le c<strong>ou</strong>p,les enfants devaient décider eux-mêmes, sans que je leur dise, comment les utiliser <strong>ou</strong> lesdécorer. Vendredi dernier, miracle, le secrétaire du Conseil, qui doit rappeler les dernièresdécisions, se p<strong>la</strong>int qu’il devient difficile de relire les décisions des autres Conseils. « Oui,c’est vrai » réplique un autre, « moi aussi <strong>la</strong> dernière fois, je n’en sortais pas, on ne sait plusce qui est une décision <strong>ou</strong> non ». À <strong>la</strong> bonne heure, n<strong>ou</strong>s y sommes, n<strong>ou</strong>s allons ENFIN avoirun panneau avec les décisions.Mais avant de se m<strong>et</strong>tre d’accord, n<strong>ou</strong>s avons mis 45 minutes p<strong>ou</strong>r un résultat dont je ne med<strong>ou</strong>tais absolument pas. <strong>Les</strong> désirs de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse étaient t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> fait différents des miens. J’avaisenvie de leur dire « mais enfin, il suffit de t<strong>ou</strong>t r<strong>et</strong>ranscrire sur un panneau p<strong>ou</strong>r avoir lesdécisions s<strong>ou</strong>s les yeux, afin de faciliter <strong>la</strong> tâche des secrétaires », mais je mordais sur ma<strong>la</strong>ngue <strong>et</strong> j’observais le dér<strong>ou</strong>lement de c<strong>et</strong>te n<strong>ou</strong>velle décision en attendant, comme t<strong>ou</strong>t lemonde, le résultat du vote. J’avais également exprimé rapidement mon a<strong>vis</strong>, parce que l’onme l’avait demandé, <strong>et</strong> <strong>la</strong> proposition p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>quelle j’avais voté a recueilli seulement deuxwww.changement-egalite.be 65


voix... N<strong>ou</strong>s allions donc avoir deux panneaux : un avec les décisions <strong>et</strong> un autre avec lesprénoms des enfants, afin qu’<strong>à</strong> chaque Conseil, on puisse évaluer les enfants qui respectent lesdécisions du Conseil !!! Moi qui les évaluais t<strong>ou</strong>t le temps, je m’étais dit qu’ils p<strong>ou</strong>vaientfranchement se passer d’une évaluation supplémentaire. Mais non : ils v<strong>ou</strong><strong>la</strong>ient des b<strong>ou</strong>lesvertes <strong>et</strong> r<strong>ou</strong>ges <strong>et</strong>c. L’ensemble est géré avec méthode <strong>et</strong> entente <strong>et</strong> j’en suis ravie. C’étaitpassionnant des les voir ainsi prendre possession de <strong>la</strong> vie de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, le t<strong>ou</strong>t dans <strong>la</strong>coopération !Chat<strong>ou</strong>iller le désir d’apprendreN<strong>ou</strong>s avons vécu des moments très intenses lors de certains Conseils, <strong>et</strong> jamais je n’auraispensé atteindre un tel résultat. Et dire que n<strong>ou</strong>s ne sommes que fin novembre ! En trois mois,j’ai déj<strong>à</strong> atteint l’objectif que je m’étais fixé p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> fin de l’année !Maintenant, malheur <strong>à</strong> moi si je manque <strong>à</strong> une seule des institutions instaurées au début del’année ! Des collègues me félicitent, les enfants sont plus calmes, ils semblent plus«réfléchis», les parents me disent qu’ils sont heureux de voir qu’il y a quand même moyen deleur faire confiance.Maintenant, je me questionne p<strong>ou</strong>r savoir comment je peux rendre plus démocratique encore<strong>la</strong> gestion de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. T<strong>ou</strong>t est encore n<strong>ou</strong>veau p<strong>ou</strong>r moi, <strong>et</strong> je veux aller par p<strong>et</strong>its pas, afind’éviter de faire marche arrière. Il y avait encore un s<strong>ou</strong>s-titre <strong>à</strong> l’annonce du stage en PI :«chat<strong>ou</strong>iller le désir d’apprendre». J’aimerais approfondir c<strong>et</strong> aspect, même si le lien entre PI<strong>et</strong> apprentissages s’est déj<strong>à</strong> fait quelques fois.Maintenant que j’ai osé <strong>la</strong>isser le p<strong>ou</strong>voir aux enfants, j’ai vu <strong>à</strong> quel point ils peuvent êtreriches <strong>et</strong> comme <strong>la</strong> déc<strong>ou</strong>verte est intéressante... <strong>et</strong> vivement le prochain Conseil... juste p<strong>ou</strong>rvoir !Alexandra Paul, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°153.www.changement-egalite.be 66


Sauter du 9 e étage !Septembre…À moi de j<strong>ou</strong>er ! Titu<strong>la</strong>ire p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> première fois d’une c<strong>la</strong>sse 4° <strong>et</strong> 5° primaire, jene v<strong>ou</strong><strong>la</strong>is ni du régime « tr<strong>ou</strong>ille-sanction » ni de l’anarchie totale… Quoique !P<strong>ou</strong>r moi, Émile serait capable de s’autodiscipliner sans heurts, de gérer ses conflits dans <strong>la</strong>joie <strong>et</strong> <strong>la</strong> bonne humeur, de travailler avec p<strong>la</strong>isir sans autre motivation que <strong>la</strong> déc<strong>ou</strong>verte <strong>et</strong>l’apprentissage ; bref un truc idéal où je ne me m<strong>ou</strong>il<strong>la</strong>is pas, où j’intervenais le moinspossible.<strong>Les</strong> premiers j<strong>ou</strong>rs, t<strong>ou</strong>t r<strong>ou</strong><strong>la</strong>it, les enfants fonctionnaient avec les acquis des annéesprécédentes, résultats du patient travail des collègues : éc<strong>ou</strong>te des autres, prise de parole(respectueuse), …Au premier conseil de c<strong>la</strong>sse, les choses ont dérapé, le cadre était trop fl<strong>ou</strong> <strong>et</strong> les enfantsinsécurisés :- Laurence, tu n’es pas assez sévère !- Oui, c’est vrai tu dois n<strong>ou</strong>s faire copier des règles.- Quelles règles ?- Ben… Comme p<strong>ou</strong>r les règles de l’école, par exemple <strong>la</strong> règle n°1 c’est : on ne peut pas<strong>la</strong>ncer de caill<strong>ou</strong>x. Si on le fait, on doit l’écrire plusieurs fois.- C’est vraiment ça que v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lez ?- …T<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> j<strong>ou</strong>rnée, je pense <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te idée, je n’arrive pas <strong>à</strong> m’imaginer dans ce rôle, trop des<strong>ou</strong>venirs se b<strong>ou</strong>sculent dans ma mémoire, les tableaux de conjugaison <strong>à</strong> copier, les notes enr<strong>ou</strong>ge dans le j<strong>ou</strong>rnal de c<strong>la</strong>sse, l’angoisse des punitions d<strong>ou</strong>blées si elles ne sont pas faites…On a les références qu’on peut !Gagner des libertésLe lendemain :- J’ai une proposition <strong>à</strong> v<strong>ou</strong>s faire : si plutôt que d’être sanctionnés p<strong>ou</strong>r non respect derègles dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, v<strong>ou</strong>s étiez récompensés quand v<strong>ou</strong>s les respectez ?En proposant <strong>la</strong> carotte plutôt que le bâton, je sais que je ne change rien fondamentalement, jechoisis une solution qui me paraît plus confortable c’est t<strong>ou</strong>t.- Oui, bonne idée <strong>et</strong> qu’est-ce qu’on aura ?- Des bonbons ? (p<strong>et</strong>it s<strong>ou</strong>rire en coin <strong>et</strong> plus que légèrement ironique.)L<strong>à</strong>, je m’y attendais, les enfants ne sont pas dupes. Tant mieux si les jeux sont c<strong>la</strong>irs !- Non, je v<strong>ou</strong>s propose de gagner des libertés, de p<strong>ou</strong>voir faire plus de choses seuls.- On p<strong>ou</strong>rra rester en c<strong>la</strong>sse pendant <strong>la</strong> récré ?- Oui, par exemple.- Et travailler seuls dans le réfectoire, <strong>et</strong> avoir une cabine individuelle <strong>à</strong> <strong>la</strong> piscine ?- Oui, <strong>ou</strong>i, mais il faudra pr<strong>ou</strong>ver que je peux te faire confiance.- M’w<strong>ou</strong>ai !Certains enfants sentent l’ent<strong>ou</strong>rl<strong>ou</strong>pe : comment Laurence va décider si <strong>ou</strong>i <strong>ou</strong> non elle peutn<strong>ou</strong>s faire confiance ?-Mais, il faut qu’on sache ce que l’on doit faire p<strong>ou</strong>r avoir une liberté en plus.<strong>Les</strong> enfants ont bien compris qu’on ne peut pas en<strong>vis</strong>ager que des comportementsobservables, des actes bien définis <strong>et</strong> vérifiables par t<strong>ou</strong>s.www.changement-egalite.be 67


-Par exemple, si on a terminé t<strong>ou</strong>t son p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> semaine, <strong>la</strong> semaine suivante on peut allertravailler dans le réfectoire pendant le travail individuel.C’était parti, chaque semaine au conseil de c<strong>la</strong>sse, on réajustait, on améliorait le système.L’arbitraire n ‘était pas totalement supprimé, mais était codifié. Dès lors n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s donnionsdes mots p<strong>ou</strong>r le dénoncer <strong>et</strong> surt<strong>ou</strong>t le modifier ! N<strong>ou</strong>s étions arrivés <strong>à</strong> déterminer ainsi huitstades <strong>ou</strong> « étages » ; le « top niveau » perm<strong>et</strong>tait beauc<strong>ou</strong>p <strong>et</strong> exigeait t<strong>ou</strong>t autant. Je gardaisun droit de v<strong>et</strong>o, les enfants p<strong>ou</strong>vaient exprimer leurs impressions <strong>à</strong> propos de « l’ascension »des autres. S’il n’y a pas eu de règlements de comptes, c’est que les enfants prenaient t<strong>ou</strong>t çatrès au sérieux. Sans d<strong>ou</strong>te avaient-ils conscience qu’ils devaient d’être « grands », de montrerleur maturité… Le moment était grave… Trop !Dur dur d’être un champion !Un j<strong>ou</strong>r, Jean a « craqué » :- Je demande qu’on installe un neuvième étage. Je suis au 8 depuis un mois <strong>et</strong> c’est dur. Jepropose qu’au 9, on puisse <strong>ou</strong>blier quelque chose, ne pas faire une des choses demandéesplus bas <strong>et</strong> quand même garder les avantages du 8.Jean avait inventé <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>pape. Génial !Après les vacances de Pâques, dérapage :- Je demande <strong>à</strong> redescendre au premier étage.Étonnement général. Martine est au sixième étage <strong>et</strong> j<strong>ou</strong>it donc de beauc<strong>ou</strong>p de libertés. Quese passe-t-il ?- J’ai envie d’être au premier étage, c’est t<strong>ou</strong>t !Que faire, comment réagir ? Personne n’est jamais resté au premier étage où on doit t<strong>ou</strong>tdemander, jusqu’<strong>à</strong> l’absurde : se lever p<strong>ou</strong>r prendre une fiche, tailler son crayon… C’estinvivable, surt<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>r moi ! Je décide de j<strong>ou</strong>er le jeu, en attendant que ça explose !Martine au premier étage n’a plus de contraintes, de stress : que peut-il lui arriver, qu’ell<strong>et</strong>ravaille <strong>ou</strong> pas, elle n’a rien <strong>à</strong> perdre <strong>et</strong> ne veut rien gagner. Comment se fait-il que lesenfants ne se soient pas aperçus plus tôt de c<strong>et</strong>te énorme faille dans le système ? Mais est-ceune faille ?Conseil de c<strong>la</strong>sse suivant : Martine propose que l’on supprime le système des étages. Troisenfants votent p<strong>ou</strong>r, le reste contre. Janine propose que l’on puisse décider si <strong>ou</strong>i <strong>ou</strong> non onveut le faire. Discussion :- Mais qu’est-ce qu’on fait <strong>à</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce ?- On copie les règles…R<strong>et</strong><strong>ou</strong>r <strong>à</strong> <strong>la</strong> case départ !On a continué un peu comme on avait commencé, en chipotant t<strong>ou</strong>t en se posant desquestions. En fin d’année, les enfants étaient contents de leur évolution. Moi je ne sais pastrop, beauc<strong>ou</strong>p de questions restent sans réponse. J’ai dû parfois me faire violence p<strong>ou</strong>r ne past<strong>ou</strong>t <strong>la</strong>isser tomber, <strong>la</strong> nécessité de <strong>la</strong> rigueur m’a parfois stressée autant que les enfants.Et en septembre qu’est-ce qu’on fait ?Six n<strong>ou</strong>veaux viendront s’aj<strong>ou</strong>ter au gr<strong>ou</strong>pe… Sûrement l’occasion d’un s<strong>ou</strong>ffle n<strong>ou</strong>veau, leplein d’énergie p<strong>ou</strong>r reconstruire une n<strong>ou</strong>velle dynamique !Laurence Henrard, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°108.www.changement-egalite.be 68


Ce n’est pas au « bon p<strong>la</strong>isir » de...Des ceintures, <strong>à</strong> l’école comme au judo, p<strong>ou</strong>r se situer <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tre en proj<strong>et</strong> d’apprendre.Le premier j<strong>ou</strong>r de c<strong>la</strong>sse déj<strong>à</strong>, j’annonce les ceintures. Je dis aux élèves que j’ai besoin desavoir ce qu’ils sont capables de faire p<strong>ou</strong>r leur donner du travail <strong>à</strong> leur niveau. Je leurannonce qu’ils vont passer des examens dans t<strong>ou</strong>tes les matières. <strong>Les</strong> contrôles seront trèsfaciles au début <strong>et</strong> augmenteront en difficulté. Chacun s’arrêtera quand il ne p<strong>ou</strong>rra pluscontinuer <strong>et</strong> saura donc où il devra commencer <strong>à</strong> travailler <strong>et</strong> <strong>à</strong> apprendre.Je démarre t<strong>ou</strong>t de suite par <strong>la</strong> ceinture d’écriture. C’est ma préférée, celle qui m<strong>et</strong> <strong>la</strong> machineen r<strong>ou</strong>te, qui est facile <strong>à</strong> comprendre <strong>et</strong> qui contient déj<strong>à</strong> les enjeux de « l’esprit ceinture ». Jedis donc <strong>à</strong> mes élèves : « V<strong>ou</strong>s allez passer un examen d’écriture qui v<strong>ou</strong>s donnera <strong>à</strong> chacunune ceinture, comme au judo. » Ici <strong>la</strong> ceinture ne sera pas en tissu aut<strong>ou</strong>r de <strong>la</strong> taille maisaffichée en c<strong>ou</strong>leur sur les murs.Progresser l<strong>à</strong> où on en estJe donne l’ordre des c<strong>ou</strong>leurs : rose, b<strong>la</strong>nc, jaune, orange, vert c<strong>la</strong>ir, vert foncé, bleu c<strong>la</strong>ir,bleu foncé, beige, gris, marron, noir, ainsi que le niveau auquel chacune correspond. À <strong>la</strong> findu CP (équivalent français de <strong>la</strong> 1ère primaire), on peut être jaune <strong>ou</strong> orange <strong>ou</strong> même vertc<strong>la</strong>ir. A <strong>la</strong> fin du CM1 (4ème primaire) on peut être vert foncé, bleu, beige <strong>ou</strong> même marron.Je précise bien que ce<strong>la</strong> dépend des enfants, que chacun est différent <strong>et</strong> que c’est normal.L’important est de progresser l<strong>à</strong> où on en est.J’annonce aussi d’emblée que selon le résultat de l’examen <strong>et</strong> <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>leur obtenue, le matérield’écriture utilisé ne sera pas le même. Jusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> ceinture jaune, on utilise le crayon <strong>à</strong> papierobligatoirement, en ceinture orange on peut utiliser le stylo bille, <strong>et</strong> <strong>la</strong> ceinture verte donne ledroit d’utiliser le stylo plume.P<strong>ou</strong>r corriger les examens, j’utilise des grilles s<strong>ou</strong>s forme de tableau <strong>à</strong> d<strong>ou</strong>ble entrée : enabscisse les élèves, en ordonnée les items de <strong>la</strong> ceinture. Chaque exercice réussi de façonparfaite (aucune tolérance p<strong>ou</strong>r les points <strong>ou</strong>bliés, <strong>la</strong> ponctuation...), donne lieu au coloriagede <strong>la</strong> case. Dès que ma grille collective est prête, j’organise une séance solennelle de remisede ceintures où chacun coloriera ses propres résultats sur une grille individuelle.À c<strong>et</strong> instant, t<strong>ou</strong>t est déj<strong>à</strong> n<strong>ou</strong>é, du désir émerge dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Certains enfants, <strong>à</strong> qui ilmanque une case p<strong>ou</strong>r compléter une c<strong>ou</strong>leur par exemple, demandent déj<strong>à</strong> quand ils p<strong>ou</strong>rrontrepasser l’examen. La différenciation est posée <strong>et</strong> s’applique déj<strong>à</strong> en termes de droits <strong>et</strong> dedevoirs. De plus, t<strong>ou</strong>t ceci est le résultat de l’examen, critère objectif, ce n’est pas le bonp<strong>la</strong>isir de <strong>la</strong> maitresse.La ceinture d’écriture est particulièrement intéressante car elle perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> certains qui auront dep<strong>et</strong>ites ceintures par <strong>ailleurs</strong> de se voir progresser dans celle-ci. <strong>Les</strong> difficultés sont facilementrepérables par les enfants : des quantités de plus en plus importantes de copie, des exigencesqualitatives différentes aussi (capitales d’imprimerie, majuscules cursives, écriture script,temps limité...) qui se terminent en ceinture noire par des réalisations de « chefs-d’œuvre » :réalisation d’une affiche, par exemple.www.changement-egalite.be 69


<strong>Les</strong> ceintures matièresP<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it d’autres ceintures vont être installées : en lecture, numération, orthographe,grammaire, conjugaison, c<strong>ou</strong>rse <strong>à</strong> pied... Il est t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs intéressant qu’elles soient constituéesde façon judicieuse dans les matières « principales » de l’enseignement, en respectant lesprogressions d’une didactique par exemple. Cependant ce n’est pas l<strong>à</strong> l’at<strong>ou</strong>t principal d’uneceinture. Même si <strong>la</strong> ceinture n’est pas parfaite aux yeux du maitre, ce qui compte c’est cequ’elle m<strong>et</strong> en jeu dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, <strong>à</strong> savoir <strong>la</strong> possibilité p<strong>ou</strong>r chacun de l’émergence d’un «je»dans le désir d’apprendre, en re<strong>la</strong>tion avec d’autres, dans une institutionnalisation permanente.Dès que je « sors » une ceinture, les élèves se comparent entre eux. C’est p<strong>ou</strong>rquoi il estimportant d’en avoir plusieurs. <strong>Les</strong> comparaisons perdent ainsi leur eff<strong>et</strong> nocif <strong>et</strong> deviennentmulti-référencées. Je suis bleu en écriture mais seulement orange en orthographe. Chacunpeut être reconnu p<strong>ou</strong>r ses compétences <strong>et</strong> devenir ress<strong>ou</strong>rce p<strong>ou</strong>r les autres.Une ceinture n’est pas une progression linéaire. Il y a un saut qualitatif entre deux c<strong>ou</strong>leurs.Un <strong>la</strong>ngage commun se constitue peu <strong>à</strong> peu dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse avec les élèves <strong>et</strong> avec lescollègues. Une ceinture repère des niveaux facilement identifiables par t<strong>ou</strong>s.<strong>Les</strong> ceintures perm<strong>et</strong>tent aussi <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s de travailler sur un même obj<strong>et</strong>. Lors d’une mise aupoint de textes par exemple, chaque gr<strong>ou</strong>pe de c<strong>ou</strong>leur peut travailler en orthographe <strong>à</strong> sonniveau : les verts cherchent les pluriels, les bleus s’attaquent aux accords suj<strong>et</strong>/verbe <strong>et</strong> lesbeiges aux participes passés. De même lorsqu’on travaille en numération, on peut facilementdifférencier certaines tâches : avec un stock d’étiqu<strong>et</strong>tes chiffres par exemple, les orangestravaillent <strong>à</strong> c<strong>la</strong>sser des nombres <strong>à</strong> deux chiffres, les verts <strong>à</strong> trois chiffres, <strong>et</strong>c.La vie de c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> <strong>la</strong> ceinture de comportementDans les j<strong>ou</strong>rs qui suivent <strong>la</strong> rentrée, je fais aussi allusion <strong>à</strong> <strong>la</strong> ceinture de comportement. J’encite volontiers des items face aux comportements inadéquats de certains élèves. À un élèvequi continue un comportement auquel j’ai dit non, je fais remarquer qu’il ne sait pas respecterdes interdictions : item de <strong>la</strong> ceinture b<strong>la</strong>nche en comportement. À un enfant qui donnera sonaide, je citerai « J’aide parfois un p<strong>et</strong>it », ceinture verte en comportement.Le suj<strong>et</strong> des droits <strong>et</strong> des devoirs de chacun est s<strong>ou</strong>vent abordé par des demandes auxquellesje sursois en début d’année. « Est-ce que je peux aller boire ? » En eff<strong>et</strong>, l’exercice de certainsdroits est référencé <strong>à</strong> <strong>la</strong> ceinture de comportement. Il s’agit, par exemple, de gérer t<strong>ou</strong>t ce quiconcerne <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion en solitaire dans l’école. Certains métiers (responsabilités) ne peuventêtre attribués qu’<strong>à</strong> l’essai, par exemple le messager qui doit circuler hors de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. T<strong>ou</strong>tresponsable de rangement d’obj<strong>et</strong>s collectifs doit déj<strong>à</strong> avoir une ceinture jaune : « Je rangemon matériel ».Ceci crée un climat de c<strong>la</strong>sse très différent de celui d’une c<strong>la</strong>sse traditionnelle car ce<strong>la</strong> va <strong>à</strong>l’encontre d’un mythe éducatif qui a <strong>la</strong> vie dure : <strong>la</strong> sacro-sainte égalité. Chacun est uniquemais, p<strong>ou</strong>r vivre avec les autres, doit réguler son comportement en fonction d’un code deconduite commun fondé sur <strong>la</strong> coopération.Pratiquement, les ceintures de comportement sont remises au conseil <strong>à</strong> peu près au momentdes vacances de <strong>la</strong> T<strong>ou</strong>ssaint. C’est moi qui attribue <strong>la</strong> première ceinture en fonction de cewww.changement-egalite.be 70


que j’ai constaté des comportements. Je fais bien attention de ne cocher que descomportements dont je suis certaine. Lorsque j’ai un d<strong>ou</strong>te, que je n’ai pas constaté par moimême,je le signale <strong>à</strong> l’attention du gr<strong>ou</strong>pe. Il est fondamental en eff<strong>et</strong> de ne pas se trompercar on ne peut pas redescendre de ceinture.Certaines attitudes deviennent inacceptables <strong>à</strong> un certain niveau mais dès <strong>la</strong> première ceinture,le principe d’exigence s’allie <strong>à</strong> <strong>la</strong> reconnaissance <strong>et</strong> l’exercice de quelques droits : parexemple, un rose est très dépendant du maitre dans ses dép<strong>la</strong>cements, mais il aura <strong>la</strong> parole lepremier au Quoi de neuf. Un jaune en comportement peut s’entrainer <strong>à</strong> présider le Quoi deneuf, en même temps qu’il doit savoir respecter des interdictions. 37<strong>Les</strong> items : le t<strong>ou</strong>t n’égale pas <strong>la</strong> somme des partiesChaque c<strong>ou</strong>leur est associée <strong>à</strong> un âge plutôt qu’<strong>à</strong> un niveau sco<strong>la</strong>ire, parce que les items nesont pas tirés des programmes sco<strong>la</strong>ires mais de comportements utiles <strong>à</strong> <strong>la</strong> vie coopérative. Unenfant de cinq ans peut ne pas réussir <strong>à</strong> tenir un interdit hors de <strong>la</strong> présence de l’adulte. C’estnormal. De même, il n’est généralement pas autorisé <strong>à</strong> aller seul <strong>à</strong> l’école car même s’il est«sage», s’il sait qu’il faut faire attention p<strong>ou</strong>r traverser, il peut se <strong>la</strong>isser entrainer par unballon <strong>ou</strong> un copain <strong>et</strong> traverser <strong>la</strong> rue sans regarder. Vers sept ans, par contre, il peut bien sûrcomm<strong>et</strong>tre des infractions, mais il saura alors qu’il le fait.La ceinture rose correspond aux compétences d’un enfant de cinq ans environ, <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>leurb<strong>la</strong>nche est possible aux élèves de six ans, <strong>et</strong> ainsi de suite. T<strong>ou</strong>t ceci étant bien sûr variableselon les enfants. Mais ce repère d’âge perm<strong>et</strong> aussi d’aider les élèves <strong>à</strong> re<strong>la</strong>ti<strong>vis</strong>er. « Je n’aique 7 ans, c’est normal que je ne puisse pas encore accéder <strong>à</strong> <strong>la</strong> ceinture verte. » Par contre,un élève de dix ans encore rose en comportement parce qu’il ne sait pas respecter desinterdictions peut apprendre peu <strong>à</strong> peu <strong>à</strong> modifier ses comportements, justement parce queceux-ci sont s<strong>ou</strong>mis <strong>à</strong> des critères.Il y a une liste d’items assez peu nombreux. En ceinture rose par exemple, on demandera <strong>à</strong>l’enfant d’utiliser les WC, de respecter quelquefois les interdictions <strong>et</strong> de travaillerquelquefois. La ceinture rose doit perm<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s les enfants d’être rose au départ du CP. <strong>Les</strong>termes sont choisis de façon <strong>à</strong> montrer un changement. Dans <strong>la</strong> façon d’aborder le travail, parexemple, l’évolution peut se traduire ainsi : je travaille quelquefois, j’essaie de travailler, j<strong>et</strong>ravaille avec aide, travaille seul <strong>et</strong> en équipe, je travaille seul <strong>et</strong> en équipe sans incident.Certains items sont assez faciles <strong>à</strong> déterminer, d’autres sont plus difficiles <strong>à</strong> préciser. C’estp<strong>ou</strong>rquoi ceci se travaille t<strong>ou</strong>s ensemble, <strong>à</strong> partir de t<strong>ou</strong>s les détails de <strong>la</strong> vie de c<strong>la</strong>sse. Chaqueproblème rencontré au conseil fera avancer le gr<strong>ou</strong>pe sur ce que représente <strong>la</strong> ceinture <strong>et</strong> sur <strong>la</strong>compréhension des items. De multiples verbalisations perm<strong>et</strong>tent <strong>à</strong> chacun de prendreconscience des p<strong>et</strong>its actes quotidiens inadéquats p<strong>ou</strong>r le bien-être des autres. On ne peutm<strong>et</strong>tre en p<strong>la</strong>ce des ceintures dans sa c<strong>la</strong>sse si on ne tient pas conseil !37 Voir l’article <strong>Les</strong> droits de l’enfant au quotidien dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse coopérative institutionnalisée, de BrunoRobbes <strong>et</strong> Édith Héveline p. 106, in Ress<strong>ou</strong>rces 95 n° 2, janvier-juin 1992, CDDP du Val d’Oise.www.changement-egalite.be 71


Le changement de ceinture : grandirL’enfant qui grandit acquiert progressivement de n<strong>ou</strong>velles possibilités d’exercer ses droits.La ceinture perm<strong>et</strong> de pointer, dans une c<strong>la</strong>sse où le gr<strong>ou</strong>pe prime s<strong>ou</strong>vent sur l’individu, leprogrès particulier de chacun, t<strong>ou</strong>t en ne stigmatisant pas les échecs.Lorsque les ceintures de comportement sont remises, je donne le mode d’emploi p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voiren <strong>changer</strong>. Je dis qu’il faut s’inscrire au conseil pendant le temps des propositions : « Je mepropose p<strong>ou</strong>r obtenir telle ceinture. » T<strong>ou</strong>tes les réactions sont alors observées. Certainss’inscrivent immédiatement, mais le j<strong>ou</strong>r du conseil ne savent même pas quel(s) item(s) leurmanque(nt). D’autres ne s’inscrivent pas <strong>et</strong> ils ont besoin de l’aide du gr<strong>ou</strong>pe p<strong>ou</strong>r y parvenir.Je me s<strong>ou</strong>viens d’Antoine qui prit conscience t<strong>ou</strong>t en fin d’année qu’il p<strong>ou</strong>vait <strong>la</strong>rgement êtrejaune en comportement en se comparant avec un autre plus en difficulté que lui qui avaitobtenu sa ceinture : « Ben alors, moi aussi je peux être jaune ! »Lorsqu’un enfant a posé au conseil sa demande précise (Je v<strong>ou</strong>drais obtenir <strong>la</strong> case « jerespecte les interdictions <strong>et</strong> je tiens compte des a<strong>vis</strong> »), sont invités <strong>à</strong> prendre <strong>la</strong> parole p<strong>ou</strong>rdonner leur a<strong>vis</strong> les enfants par gr<strong>ou</strong>pe de c<strong>ou</strong>leur égale <strong>ou</strong> supérieure. En eff<strong>et</strong>, p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voirjuger d’une compétence chez l’autre, il vaut mieux l’avoir soi-même. Je reformule t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs leproblème en terme de gr<strong>ou</strong>pe : « Est-ce que le comportement de X est comparable dans <strong>la</strong> viede <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>à</strong> celui des jaunes ? » Lorsque chacun s’est exprimé, je donne le mien qui peutêtre conforme au gr<strong>ou</strong>pe <strong>ou</strong> non, puis je confirme <strong>ou</strong> non l’acquis de <strong>la</strong> case <strong>ou</strong> de <strong>la</strong> ceinture.En général, je fais confiance au gr<strong>ou</strong>pe. Si je pense cependant qu’un enfant mérite <strong>la</strong> ceinturemais que beauc<strong>ou</strong>p y sont opposés, je sursois en disant <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s que chacun est invité <strong>à</strong> observerle comportement de l’élève. La ceinture est t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs donnée <strong>à</strong> l’essai p<strong>ou</strong>r une semaine.<strong>Les</strong> problèmesIl arrive parfois qu’un enfant ne puisse plus assumer sa c<strong>ou</strong>leur p<strong>ou</strong>r des raisons variées. Ilm’est arrivé qu’une p<strong>et</strong>ite fille, Carine, soit beauc<strong>ou</strong>p critiquée au conseil parce qu’ellen’avait plus <strong>la</strong> patience de faire correctement ses métiers, d’aider les autres... J’ai proposé <strong>à</strong>Carine <strong>la</strong> « punaise dorée » (une punaise de c<strong>et</strong>te c<strong>ou</strong>leur rec<strong>ou</strong>vrait sa ceinture decomportement). Son statut de grande en comportement a été momentanément suspendu : ellen’avait plus de métiers, de responsabilités, elle est sortie de son équipe p<strong>ou</strong>r s’installer <strong>à</strong> un<strong>et</strong>able seule. Au b<strong>ou</strong>t de trois semaines, Carine redemandait sa ceinture au conseil.Il y a aussi l’enfant qui explose t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> c<strong>ou</strong>p, qui m<strong>et</strong> les autres ainsi que lui-même en danger,qui ne respecte plus rien. Son statut devient alors celui de « punaise r<strong>ou</strong>ge », totalementdépendant du maitre, comme un t<strong>ou</strong>t p<strong>et</strong>it, ses dép<strong>la</strong>cements ne se font qu’avec l’adulte. C<strong>et</strong>élève ne dépend plus des règles de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>et</strong> du conseil. Quiconque va vers lui le fait <strong>à</strong> sesrisques <strong>et</strong> périls. P<strong>ou</strong>r sortir de ce statut, il lui faut convaincre un camarade de l’inscrire auconseil p<strong>ou</strong>r en parler. Ces « solutions » sont extrêmes <strong>et</strong> je ne les ai pas expérimentées trèss<strong>ou</strong>vent.Il arrive également que des élèves ne demandent pas <strong>à</strong> <strong>changer</strong> de ceinture, n’en ont pas ledésir <strong>ou</strong> ne le montrent pas. À certains, il manque juste un item : « J’ai un métier ». Ils neprennent pas de responsabilités. C’est plutôt révé<strong>la</strong>teur <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> m’aide <strong>à</strong> porter attention <strong>à</strong> cesenfants qui ne se feraient guère remarquer autrement. L’intérêt de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse coopérative estqu’y coexistent de multiples obj<strong>et</strong>s de transfert 38 <strong>et</strong> que si les ceintures ne donnent pas envie38 Voir le livre de Catherine Poch<strong>et</strong>, L’année dernière j’étais mort, signé Mil<strong>ou</strong>d, éditions Matrice.www.changement-egalite.be 72


de grandir <strong>à</strong> certains, peut-être que d’autres techniques <strong>ou</strong> institutions les y aideront : <strong>la</strong>correspondance, <strong>la</strong> monnaie intérieure, le j<strong>ou</strong>rnal sco<strong>la</strong>ire, l’imprimerie... (…)Edith Héveline, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°153.www.changement-egalite.be 73


Qui socialiser ?Ainsi, socialiser, ce serait "rendre socialement acceptable". Vient alors <strong>la</strong> question de quidécide quand, comment de ce qui est acceptable. Entre autres parce que l’arrogance de ceuxqui ont déj<strong>à</strong> intégré — hors de l’école — <strong>la</strong> norme sociale est inacceptable.C’est leur dernière année dans l’enseignement fondamental. Une fin de parc<strong>ou</strong>rs assezexplosive entre ces filles <strong>et</strong> garçons d’horizons très différents. Un peu <strong>à</strong> l’opposé de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ssegh<strong>et</strong>to… Le conseil de c<strong>la</strong>sse hebdomadaire est le refl<strong>et</strong> de c<strong>et</strong> arc-en-ciel. Comme le disaitM<strong>ou</strong>rat : "Eux, ils ont plein de CD, <strong>et</strong> ils se gênent pas p<strong>ou</strong>r les montrer, c’est les familles quiont beauc<strong>ou</strong>p d’argent." Ou le grand frère d’Hamza : "V<strong>ou</strong>s ne donnez pas de devoirs <strong>à</strong>l’école. Mais c’est injuste. Dans certaines familles, comme il n’y a rien, ils inventent alors dutravail p<strong>ou</strong>r leurs enfants, ce que n<strong>ou</strong>s ne savons pas faire. Ce<strong>la</strong> agrandit les différences !"Auj<strong>ou</strong>rd’hui, p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> première fois de l’année, Serge s’adresse <strong>à</strong> Sandra au conseil. P<strong>ou</strong>r luidemander de ne plus dire <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>t le monde qu’il est un drogué parce qu’il fume. Sandra articuledifficilement sa colère entre les sanglots :- Moi, ça fait trois ans que je te demande de ne plus m’appeler 'Jambonn<strong>et</strong>'. Chaque fois tuprom<strong>et</strong>s, chaque fois tu ne tiens pas ta promesse. Et je ne suis pas <strong>la</strong> seule <strong>à</strong> me p<strong>la</strong>indre d<strong>et</strong>oi. Ça dure depuis <strong>la</strong> 4ème ! Avec toi, ça ne sert <strong>à</strong> rien de demander. Regardez au tableau, ily a trois demandes <strong>et</strong> p<strong>la</strong>intes contre lui ! Tu peux t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs c<strong>ou</strong>rir p<strong>ou</strong>r que j’arrête. Non, jen’arrêterai pas, je continuerai même certainement ! Et d’abord tu te vantes devant t<strong>ou</strong>t lemonde que tu fumes !Serge ne bronche pas. Il p<strong>la</strong>nte son regard dans les yeux de Sandra, serre un peu les mâchoires<strong>et</strong> tapote des doigts sur <strong>la</strong> table. Ce geste, je le connais bien. La première fois que je l’ai vu,c’était lors de <strong>la</strong> première rencontre mensuelle avec ses parents. Pendant que n<strong>ou</strong>s parlions, iltapotait ainsi ostensiblement <strong>la</strong> table. "Je n’aime pas qu’on parle de moi quand je suis l<strong>à</strong>. Jepréfère ne pas être l<strong>à</strong> quand tu vois mes parents", m’avait-il expliqué. Depuis lors, je lui faisun rapport personnel après chaque entrevue. <strong>Les</strong> mêmes sentiments sont-ils présents chez luien face de Sandra, qui maitrise remarquablement <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>et</strong> le fonctionnement du conseil ?Elle p<strong>ou</strong>rsuit, encore plus rageuse :- Et il s’en f<strong>ou</strong>t !Me prenant <strong>à</strong> partie, elle aj<strong>ou</strong>te :- Tu vois bien comment il me regarde !On parle pas comme v<strong>ou</strong>sÉric, le copain de t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs de Serge, demande <strong>la</strong> parole. La présidente du j<strong>ou</strong>r s’empresse de<strong>la</strong> lui donner :- V<strong>ou</strong>s êtes t<strong>ou</strong>s contre Serge. V<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s p<strong>la</strong>ignez t<strong>ou</strong>t le temps de lui, mais v<strong>ou</strong>s n’essayezmême pas de voir ce qu’il fait de bien, les efforts qu’il fait. Bon, d’accord, il parle parfoistrop vite. Mais v<strong>ou</strong>s dites aussi vite qu’il v<strong>ou</strong>s insulte <strong>ou</strong> je ne sais quoi. C’est parce qu’onparle pas comme v<strong>ou</strong>s. N<strong>ou</strong>s on dit des choses comme "connard" quand on se parle, mais cen’est pas une insulte, on parle comme ça quoi. Il ne faut pas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs dire qu’on v<strong>ou</strong>s insulte !C’est quand on j<strong>ou</strong>e, on s’amuse, ça sort t<strong>ou</strong>t seul !T<strong>ou</strong>t le monde se tait pendant quelques secondes. Puis Sandra revient <strong>à</strong> <strong>la</strong> charge :www.changement-egalite.be 74


- Tu dis ça parce que c’est ton ami. Moi, en t<strong>ou</strong>t cas je ne change pas d’a<strong>vis</strong> <strong>et</strong> je répondst<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs non. D’<strong>ailleurs</strong>, je ne p<strong>ou</strong>rrais pas m’engager au contraire. Je sais bien que je nep<strong>ou</strong>rrais pas tenir mon engagement !Deux autres élèves interviennent dans le même sens <strong>et</strong> <strong>la</strong> présidente prend <strong>la</strong> parole :- Mais alors v<strong>ou</strong>s ne serez jamais d’accord ! Bon, on écrit au cahier que Sandra a répondu"non".Je demande <strong>la</strong> parole avant de passer au point suivant :- L’intervention d’Éric me fait réfléchir. C’est vrai que parfois on est tellement convaincu dequelque chose qu’on ne remarque plus rien d’autre. Et quand v<strong>ou</strong>s dites qu’on doit t<strong>ou</strong>t l<strong>et</strong>emps se p<strong>la</strong>indre de Serge, c’est évidemment excessif. Je demande, si Serge est d’accord,qu’on m<strong>et</strong>te <strong>à</strong> l’ordre du j<strong>ou</strong>r du prochain conseil, juste après l’<strong>ou</strong>verture du conseil, un point"Serge". Chacun p<strong>ou</strong>rra y dire le positif <strong>et</strong> le négatif de <strong>la</strong> semaine. Ce<strong>la</strong> n<strong>ou</strong>s perm<strong>et</strong>tra den<strong>ou</strong>s rendre compte plus précisément de ce qui se passe.Serge est d’accord <strong>et</strong> il demande qu’on lui dise t<strong>ou</strong>t de suite quand il dit quelque chose deblessant. Sandra hausse les épaules. Pas d’objections. Ma proposition est acceptée, aus<strong>ou</strong><strong>la</strong>gement de <strong>la</strong> présidente qui s’empresse de passer au point suivant.Socialiser les socialiseursDeux j<strong>ou</strong>rs plus tard, Sandra m’accoste pendant <strong>la</strong> récréation :- Toi, tu s<strong>ou</strong>tiens t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs Serge, hein !- P<strong>ou</strong>rquoi dis-tu ce<strong>la</strong> ?- Quand il y a un problème avec lui, tu veux t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs aller plus loin. Pas avec les autres.Enfin si, avec Mury aussi.Quelques instants de silence. J’épr<strong>ou</strong>ve bien des difficultés <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre de l’ordre dans mes idées<strong>et</strong> mes sentiments. Je prends conscience qu’il y a évidemment beauc<strong>ou</strong>p de vrai dans cequ’elle dit. J’utilise les institutions p<strong>ou</strong>r offrir <strong>à</strong> certains enfants une p<strong>la</strong>ce — un morceau dep<strong>la</strong>ce parfois — que d’autres occupent spontanément avec une grande aisance parce que cesdifférences me t<strong>ou</strong>chent. Et que je veux rétablir quelque chose de l’inégalité f<strong>la</strong>grante que jeconstate au j<strong>ou</strong>r le j<strong>ou</strong>r entre les enfants de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Comportement qui engendre commeeff<strong>et</strong> pervers un sentiment d’assistance, d’injustice <strong>ou</strong> de commisération… Je lui répondsfinalement :- Je ne crois pas que ce soit aussi radical que ça. Mais tu as raison, je suis plus t<strong>ou</strong>ché parcertaines situations que par d’autres. L<strong>à</strong> au conseil précédent, je me suis rendu compte quec’était <strong>la</strong> première fois que Serge demandait quelque chose <strong>et</strong> je me rends compte maintenantque j’aurais aimé que ce<strong>la</strong> réussisse p<strong>ou</strong>r l’enc<strong>ou</strong>rager. Je n’aime pas me tr<strong>ou</strong>ver devant unesituation qui a l’air aussi bloquée que <strong>la</strong> vôtre.Au r<strong>et</strong><strong>ou</strong>r de <strong>la</strong> récréation, avec l’accord de Sandra, je raconte notre conversation au t<strong>ou</strong>r deparole. P<strong>ou</strong>r que chacun puisse profiter du recul qu’elle m’a offert.Il n’y aura plus de réaction jusqu’au conseil suivant. Lorsque le président demande qui aquelque chose <strong>à</strong> dire <strong>à</strong> Serge, deux doigts se lèvent, dont celui de Sandra :- Il m’a dit une fois "Jambonn<strong>et</strong>".- Oui, mais je me suis excusé t<strong>ou</strong>t de suite !, répond immédiatement Serge. Je l’avais dit sansfaire attention <strong>et</strong> quand je me suis rendu compte, je me suis excusé.- C’est vrai, reconnait Sandra, j’al<strong>la</strong>is le dire.Lors de deux conseils suivants, n<strong>ou</strong>s faisons collectivement le même constat : Serge n’est pasun enfant plus grossier qu’un autre. Mury dira même :- Vraiment, je croyais qu’il insultait t<strong>ou</strong>t le temps. Comment ça se fait que je croyais ça ?www.changement-egalite.be 75


Et c<strong>et</strong>te fois, je me suis bien gardé de répondre.Stéphane Lambert, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°140.www.changement-egalite.be 76


S'abimer dans ses peurs <strong>ou</strong> devenir auteur« V<strong>ou</strong>s, taisez-v<strong>ou</strong>s! », me crie Karima, dérangée par quelques directives organisationnellesau moment où elle veut imposer <strong>à</strong> travers t<strong>ou</strong>t (<strong>et</strong> t<strong>ou</strong>s!) son envie de théâtre un peuanarchique.Se m<strong>et</strong>tre en scène. En scène, elle <strong>et</strong> d'autres se nomment « drèri » <strong>et</strong> surt<strong>ou</strong>t pas« lèchecardes ». « Drèri », un mot en dialecte marocain p<strong>ou</strong>r dire « voy<strong>ou</strong>s ». Se m<strong>et</strong>tre enscène <strong>et</strong> j<strong>ou</strong>er, elles, les filles voilées, aux garçons caïds dont parle <strong>la</strong> presse en casd'émeutes.« J'ai pas envie » <strong>ou</strong> « ça fait chier » sont des refrains c<strong>ou</strong>rants <strong>à</strong> propos du travail sco<strong>la</strong>ire,même actif. Et si un travail p<strong>la</strong>it t<strong>ou</strong>t <strong>à</strong> c<strong>ou</strong>p, (mais allez savoir ce qui fait « c<strong>ou</strong>p »!!), c'est« cool, <strong>à</strong> l'aise, zen » comme si elles avaient besoin d'apaisement dans un br<strong>ou</strong>il<strong>la</strong>rdd'agitation <strong>et</strong> d'incertitudes.P<strong>et</strong>its traits parmi t<strong>ou</strong>s ceux qui s'inscrivent dans un tableau immense. Tableau qu'il m'estdevenu possible de regarder avec recul <strong>et</strong> de déchiffrer quelque peu grâce <strong>à</strong> ce que j'ai pupuiser, entre autres, dans une discipline qui n'est pas <strong>la</strong> mienne, via le travail entamé un j<strong>ou</strong>rdans mon école avec Virginio Baio, psychanalyste <strong>la</strong>canien. J'ai capté l<strong>à</strong> des éléments qui mesemblent inédits <strong>et</strong> précieux p<strong>ou</strong>r, mon travail d'enseignante.C<strong>la</strong>sse (é)m<strong>ou</strong>vanteDans c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>sse de 1ère A, ceux qui ont donc leur certificat de primaires, 13 filles de 12 <strong>à</strong> 16ans, avec qui j'ai tenté de tracer quelques unes des t<strong>ou</strong>ches captées. La plupart ont leursracines <strong>ailleurs</strong>: deux y<strong>ou</strong>gos<strong>la</strong>ves, serbes, une mi-belge, mi-y<strong>ou</strong>gos<strong>la</strong>ve, une belge, membreaffirmée d'ATD-Quart Monde, neuf marocaines, d'origine berbère <strong>ou</strong> arabe, t<strong>ou</strong>tes de famillesd'origine rurale. Des situations familiales <strong>et</strong> économiques difficiles: trois élèves dont le père aquitté <strong>la</strong> famille, t<strong>ou</strong>s les pères <strong>ou</strong>vriers, dont <strong>la</strong> plupart n'ont plus d'emploi, plusieurs frères enprison. Des résultats fort faibles en primaires <strong>et</strong> de nombreux changements d'école.T<strong>ou</strong>tes habitent le centre de Molenbeek, dans des quartiers vétustes, sans équipement (lesseuls services publics sont <strong>l'école</strong>, <strong>la</strong> police <strong>et</strong> quelques maisons de quartier communales),dans des logements sans commodités. Elles semblent écorchées en permanence <strong>et</strong> craignentt<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs de ne pas compter, d'où une demande d'attention très grande style « t<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>r moi <strong>et</strong>t<strong>ou</strong>t de suite ». Elles interprètent très s<strong>ou</strong>vent en termes affectifs ce qui relève del'organisationnel.La plupart ont beauc<strong>ou</strong>p de mal <strong>à</strong> se tenir <strong>à</strong> une activité plus de 10 minutes, du mal <strong>à</strong> passerd'une activité <strong>à</strong> une autre <strong>et</strong> du mal <strong>à</strong> s'organiser, ne fût-ce qu'un peu. Leur rapport au tempsn'est pas c<strong>la</strong>ir : elles n'anticipent rien... « Dans une semaine » est difficile <strong>à</strong> imaginer <strong>et</strong> <strong>à</strong>opérationnaliser.Chacune cherchant nerveusement une p<strong>la</strong>ce, des conflits éc<strong>la</strong>tent s<strong>ou</strong>vent entre elles avecforce paroles injurieuses <strong>et</strong>/<strong>ou</strong> passage <strong>à</strong> l'acte: cheveux arrachés, griffes, morsures.J'ai l'impression générale que je devrai sculpter avec un burin fin comme une aiguille, dans unmé<strong>la</strong>nge de béton <strong>et</strong> de cristal fragile.« On s'amuse »<strong>Les</strong> c<strong>ou</strong>leurs annoncées en début d'année sco<strong>la</strong>ire n'ont fait que se confirmer. En janvier <strong>et</strong>février, c'est l'esca<strong>la</strong>de. La difficulté <strong>à</strong> se concentrer est énorme. C'est comme si elleswww.changement-egalite.be 77


imaginaient de t<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>r ne pas apprendre. Elles s'amusent par exemple <strong>à</strong> j<strong>et</strong>er des choses <strong>à</strong>travers <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse y compris des b<strong>ou</strong>teilles de Tipp-ex <strong>ou</strong>vertes. Elles essaient aussi de boire <strong>et</strong>de manger t<strong>ou</strong>t le temps (sauf pendant le Ramadan) <strong>et</strong> tentent de quitter <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse s<strong>ou</strong>sn'importe quel prétexte. Quand on sort de <strong>l'école</strong>, c'est une expédition. D'une part, elles'habillent <strong>et</strong> se maquillent avec soin, « pas des gamines », d'autre part, elles copient descomportements de garçons qu'elles connaissent: elles maltraitent les gens <strong>et</strong> les obj<strong>et</strong>s sur lechemin (arrêter des esca<strong>la</strong>tors, dire <strong>à</strong> quelqu'un qui les frôle par hasard « Tu me fais chier,sale con », dire au guide d'une exposition très vivante sur le quotidien des berbères: « C'estbête t<strong>ou</strong>t ça » <strong>ou</strong> « P<strong>ou</strong>r qui v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s prenez ?» , quand le guide demande gentimentd'arrêter avec les chewing-gums, écrire leur nom sur le mur intérieur de c<strong>et</strong>te maison <strong>et</strong>c.).Leur réponse <strong>à</strong> mes interpel<strong>la</strong>tions d<strong>ou</strong>ces <strong>ou</strong> fermes <strong>à</strong> propos de leurs attitudes est s<strong>ou</strong>vent <strong>la</strong>même: « Je fais ce que je veux » <strong>ou</strong> « On a le droit de s'amuser ».Le t<strong>ou</strong>t s'amplifiant avec l'eff<strong>et</strong> de gr<strong>ou</strong>pe <strong>à</strong> l'intérieur duquel il m'est difficile de considérerun <strong>à</strong> un les suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> t<strong>ou</strong>tes les « balles » <strong>ou</strong> « l<strong>et</strong>tres » qui me sont envoyées.Alors? Je cherche.Apprendre leur grammaireJe reçois des bribes. Parmi les bribes qui me semblent communes, il y a comme une peurd'apprendre qui doit venir de loin, peur d'échecs précédents, peur de renoncer quelque partaux parents, non sco<strong>la</strong>risés eux, peur d'une espèce d'arrachement au connu, familier <strong>et</strong>familial, peur de faire confiance parce que peur de se faire r<strong>ou</strong>ler, besoin d'être valoriséesmais n'y croyant pas du t<strong>ou</strong>t, sauts <strong>à</strong> pied joints au milieu des images diffusées, images d'elles<strong>et</strong> des leurs: arriérés, déch<strong>et</strong>s, donc j<strong>ou</strong>er les déch<strong>et</strong>s (cri <strong>la</strong>ncé <strong>à</strong> l'arrivée dans un cinéma:« Garez-v<strong>ou</strong>s, les déch<strong>et</strong>s sont l<strong>à</strong>! ») <strong>et</strong> s'ent<strong>ou</strong>rer de déch<strong>et</strong>s aussi (part<strong>ou</strong>t où elles passent <strong>ou</strong>séj<strong>ou</strong>rnent, elles j<strong>et</strong>tent par terre chewing-gums mâchés, chips, can<strong>et</strong>tes, <strong>et</strong>c.).Elles ont chacune leur grammaire propre mais j'ai beauc<strong>ou</strong>p de mal <strong>à</strong> tenter de composer desphrases avec les bribes qui me sont envoyées chaque j<strong>ou</strong>r, entières <strong>ou</strong> déj<strong>à</strong> effacées lelendemain.Parmi ces bribes, il y a beauc<strong>ou</strong>p de NON: lire c'est non, écrire, c'est non. Des « non » qui semanifestent de t<strong>ou</strong>tes sortes de façons, violentes <strong>ou</strong> s<strong>ou</strong>rnoises. Il y a aussi une insécurité<strong>la</strong>ngagière très grande qui entraine une insécurité t<strong>ou</strong>t c<strong>ou</strong>rt <strong>et</strong> du c<strong>ou</strong>p beauc<strong>ou</strong>pd'agressivité <strong>ou</strong> de r<strong>et</strong>rait. Il ya des OUI <strong>à</strong> parler mais parler n'importe comment, depréférence en criant <strong>et</strong> t<strong>ou</strong>tes <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> surt<strong>ou</strong>t pas avec c<strong>et</strong> « instrument de merde » commedit Hannane, <strong>à</strong> propos d'un p<strong>et</strong>it sablier qui limite le temps de parole de chacune mais leperm<strong>et</strong> aussi. Parler aussi sans se s<strong>ou</strong>cier d'une éc<strong>ou</strong>te, comme si on j<strong>et</strong>ait des mots dansl'espace, contre les murs <strong>ou</strong> uniquement <strong>à</strong> moi, pas au gr<strong>ou</strong>pe.J'ai une p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> tenir. Ce que l'institution attend de moi: qu'elles apprennent des choses d'unniveau de première secondaire, en français <strong>et</strong> étude du milieu. En français, 4 compétences <strong>à</strong>développer: lire, écrire, parler, éc<strong>ou</strong>ter. J'y arrive peu.Qu'est-ce que je fais alors? Il y a un désir <strong>à</strong> deux faces sur lequel je ne cède pas: tenir lesp<strong>la</strong>ces de chacune, que chacune sache, au moins un peu, qu'elle est quelqu'un quelque part <strong>et</strong>donc aménager l'organisation qui le perm<strong>et</strong>: d'autre part, garder s<strong>ou</strong>s les yeux mon goûtd'écrire <strong>et</strong> de lire.Ces désirs l<strong>à</strong> se manifestent en quelques repères que je m<strong>et</strong>s peu <strong>à</strong> peu en p<strong>la</strong>ce, repères p<strong>ou</strong>rmoi, repères p<strong>ou</strong>r les élèves aussi je pense, repères qui me semblent perm<strong>et</strong>tre en t<strong>ou</strong>t cas quequelque chose se passe, ait lieu, même p<strong>et</strong>itement, même non attendu par l'institution.www.changement-egalite.be 78


P<strong>et</strong>its caill<strong>ou</strong>x-repèresL'inscription« C'est écrit l<strong>à</strong> » que Hanane est facteur, qu'Amel est responsable des re<strong>la</strong>tions extérieures,Mariam de <strong>la</strong> bibliothèque, La<strong>et</strong>itia des absentes, Fatima de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte, <strong>et</strong>c. Elles ont choisileurs responsabilités <strong>et</strong> certaines sont très convoitées. Leurs noms sont écrits <strong>à</strong> côté de chaqueresponsabilité. Prendre ces responsabilités, c'est prendre quelque chose du prof, de l'adulte.Elles sont en colère quand des profs ne respectent pas ces responsabilités <strong>et</strong> font les choseseux-mêmes p<strong>ou</strong>r aller plus vite. « On se f<strong>ou</strong>t de n<strong>ou</strong>s ici », disent-elles alors avec raison. Etbien s<strong>ou</strong>vent? Il m'a été dit par des collègues « Enlève leur ces responsabilités parce qu'alors,elles s'y croient... ». Moi, je suis déj<strong>à</strong> bien contente qu'au moins l<strong>à</strong> elles « s'y croient », maisbien sûr, ces prises en mains par les élèves déstabilisent les habituelles complétudes desenseignants.T<strong>ou</strong>s les 15 j<strong>ou</strong>rs, <strong>à</strong> l'intérieur du Conseil, les élèves doivent rendre compte de cesresponsabilités <strong>et</strong> chacune peut dire ce qu'elle pense de <strong>la</strong> façon dont <strong>la</strong> responsabilité a ététenue (<strong>la</strong> sienne, celle d'autres). Il y a une p<strong>la</strong>nte avec <strong>la</strong>quelle on a déj<strong>à</strong> vécu de t<strong>ou</strong>t, maistant que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte reste préoccupante, vivante <strong>et</strong> donc soignée, quelque chose ne s'éteint pas.Trois temps de parole: le conseil, Quoi de neuf, le théâtreLe conseil c'est le cerveau, le coeur <strong>et</strong> le rein du gr<strong>ou</strong>pe. On y fait des proj<strong>et</strong>s, on y réfléchit <strong>à</strong>leur organisation, on tente de s'y purifier de ce qui reste « sale » dans le gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> on établitdes re<strong>la</strong>tions, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs avec des médiations: se parler <strong>à</strong> propos de...Le Quoi de neuf c'est un moment où qui veut peut parler de ce qu'elle veut. On s'inscrit <strong>et</strong> <strong>la</strong>présidente donne <strong>et</strong> gère le temps. Le théâtre, c'est un moment où elles ont demandé de fairel'impro mais où j'ai glissé des textes <strong>à</strong> j<strong>ou</strong>er <strong>et</strong> <strong>à</strong> r<strong>et</strong>enir.Ces moments sont fixés <strong>et</strong> réagis par des règles. Le fixe, les élèves s'y tiennent. C'est elles quime rappellent déj<strong>à</strong> de loin dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r: « Auj<strong>ou</strong>rd'hui on fait quoi de neuf ». Mais les règlesqui doivent régir ces moments <strong>et</strong> dont certaines ont été faites avec elles, se tiennentdifficilement. Sauf quand même le sablier. T<strong>ou</strong>t ce qui t<strong>ou</strong>rne aut<strong>ou</strong>r du temps est assez bientenu. Aut<strong>ou</strong>r de l'espace c'est plus dur (respecter les lieux, les meubles, le rangement). Quantaux règles qui t<strong>ou</strong>rnent aut<strong>ou</strong>r d'elles, style demander <strong>la</strong> parole, ne pas c<strong>ou</strong>per une autre, ellessont les plus dures <strong>à</strong> tenir.L'espaceQuelque chose tient quand même: les règles des murs. Chaque pan de mur est prévu p<strong>ou</strong>rcertains types d'affichage selon un p<strong>la</strong>n qu'elles ont fait elles-mêmes. T<strong>ou</strong>tes les règles qu'onse donne sont en fait comme des s<strong>ou</strong>s-lois de <strong>la</strong> seule loi de l'interdit de l'inceste, de <strong>la</strong>c<strong>ou</strong>pure, de <strong>la</strong> distinction, du non, ça ne sera pas <strong>la</strong> famille, ça ne fusionnera pas n'importecomment dans le gr<strong>ou</strong>pe, non, ça ne c<strong>ou</strong>lera pas n'importe où.N<strong>ou</strong>s avons déj<strong>à</strong> fabriqué beauc<strong>ou</strong>p de p<strong>et</strong>ites règles depuis septembre: p<strong>ou</strong>r le robin<strong>et</strong>, <strong>la</strong>bibliothèque, les correspondants, les murs <strong>et</strong> p<strong>ou</strong>r chacune des règles, on sait que <strong>la</strong>responsable s'en occupe <strong>et</strong> fait respecter... en principe. Si <strong>la</strong> responsable <strong>ou</strong>blie, j'utilise map<strong>la</strong>ce de garante p<strong>ou</strong>r le lui rappeler. L<strong>à</strong> p<strong>ou</strong>r les murs, personne ne transgresse ; il fautdemander l'autorisation d'afficher <strong>ou</strong> de désafficher aux responsables des murs.Au début de Ramadan, j'ai par exemple demandé de p<strong>ou</strong>voir afficher des calligraphies arabestraçant de très belles phrases, <strong>à</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce des posters des spice girls... Je me rendais compte quema demande était peut-être violente vu leur admiration p<strong>ou</strong>r ce gr<strong>ou</strong>pe commercial de jeunesfemmes <strong>à</strong> moitié nues, devant elles, en f<strong>ou</strong><strong>la</strong>rd... puis je me suis dit que le commerce qui se fitsur leur dos était encore plus violent <strong>et</strong> j'ai tenté de demander. J'ai accompagné ma demanded'un texte <strong>à</strong> propos de Ramadan qu'elles ont éc<strong>ou</strong>té attentivement <strong>et</strong> app<strong>la</strong>udi. Elles ont étét<strong>ou</strong>t de suite d'accord de remp<strong>la</strong>cer les posters par des calligraphies mais en me disant « justewww.changement-egalite.be 79


p<strong>ou</strong>r le temps du Ramadan ».les calligraphies y sont restées 3 mois <strong>et</strong> j'ai attendu que lesresponsables <strong>ou</strong> d'autres m'en disent quelque chose. Rien de ces murs n'a été abimé sauf unefois quand elles ont j<strong>et</strong>é du Tipp-ex, <strong>la</strong> carte du monde a été atteinte <strong>et</strong> elles en étaientmalheureuses.Le téléphoneÇa c'est mon système <strong>à</strong> moi. Au départ, c'était leur donner mon numéro au cas où... <strong>et</strong> avoir leleur p<strong>ou</strong>r des motifs pratiques. Je ne suis pas t<strong>ou</strong>s les j<strong>ou</strong>rs dans <strong>l'école</strong> <strong>et</strong> comme titu<strong>la</strong>ire j'aiparfois des choses <strong>à</strong> leur dire <strong>ou</strong> <strong>à</strong> leur demander qui ne peuvent pas trainer.Avoir mon téléphone, c'est aussi une p<strong>et</strong>ite « rassurance » p<strong>ou</strong>r les élèves. Certaines m<strong>et</strong>éléphonent parfois p<strong>ou</strong>r demander ce qu'il faut étudier alors qu'elles n'étudient rien (leurc<strong>la</strong>sseur est resté <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>!). Je me suis vite rendu compte que p<strong>ou</strong>r les élèves, ce téléphoneperm<strong>et</strong>tait des moments privilégiés. D'abord parce que p<strong>ou</strong>r elles, c'est une activité <strong>et</strong> de gens« bien », ensuite parce que c'est neuf le téléphone dans les familles marocaines. Il y a encorecinq <strong>ou</strong> six ans, peu de familles l'avaient. Ensuite parce qu'elles sont comme honorées que jeleur téléphone <strong>à</strong> elles <strong>et</strong> pas <strong>à</strong> leurs parents (eux-mêmes étonnés qu'il n'y ait pas« convocation »- ce même mot <strong>à</strong> <strong>la</strong> police <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>). Enfin, on se téléphone p<strong>ou</strong>r organiser<strong>ou</strong> communiquer quelque chose <strong>et</strong> non p<strong>ou</strong>r une p<strong>la</strong>inte du genre « Votre fille a fait ceci,ce<strong>la</strong> ». Une élève <strong>à</strong> qui je n'avais rien <strong>à</strong> dire c<strong>et</strong>te semaine-l<strong>à</strong> est venue me demander quand jelui téléphonais, même « p<strong>ou</strong>r rien ». Le téléphone est aussi précieux parce qu'il y a <strong>à</strong> <strong>la</strong> foiscontact <strong>et</strong> distance. Du c<strong>ou</strong>p ose s'y dire ce qui ne dirait pas aussi facilement en face <strong>à</strong> face.Enfin, c'est un des lieux du « une par une ». L<strong>à</strong>, elles se sentent plus uniques, plus « <strong>la</strong> seule »que dans le gr<strong>ou</strong>pe-c<strong>la</strong>sse.Un j<strong>ou</strong>r une des plus difficiles m'a parlé pendant une heure au téléphone <strong>et</strong> entre autres dececi: « V<strong>ou</strong>s savez ce que je veux apprendre moi? T<strong>ou</strong>s des mots compliqués d'adultesintellos. Alors v<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s donnez des listes de mots <strong>et</strong> on les apprend par cœur. »Je lui ai demandé un exemple du premier mot qu'elle aurait v<strong>ou</strong>lu connaître. C'était« sadique ». Bien <strong>ou</strong> pas bien, je lui ai dit aussi ce que signifiait « maso » qu'elle confondaitavec « macho ». Du c<strong>ou</strong>p se pointe sa question, inquiète, « Est-ce que je me fais du mal <strong>à</strong> moimême moi? » c'est <strong>la</strong> seule conversation sérieusement « présente » que j'ai eue avec Hananedepuis le début de l'année. Hanane qui regarde t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs <strong>ailleurs</strong> <strong>ou</strong> se b<strong>ou</strong>che les oreillesquand je tente de l'impliquer.S'autoriserVoil<strong>à</strong> 4 repères que j'essaie de garder, tant p<strong>ou</strong>r les élèves que p<strong>ou</strong>r moi. P<strong>ou</strong>r ce qui est desapprentissages sco<strong>la</strong>ires, on n'avance pas encore beauc<strong>ou</strong>p. J'ai l'impression que ces jeunes nesont pas « dans leur tête » mais de t<strong>ou</strong>s les côtés, très déconcentrées, un peu fleurs c<strong>ou</strong>péesqui b<strong>ou</strong>gent <strong>à</strong> t<strong>ou</strong>t vent <strong>et</strong> tombent où elles peuvent, entre autres sur moi, en même temps p<strong>ou</strong>rme m<strong>et</strong>tre en difficulté <strong>et</strong> en même temps p<strong>ou</strong>r s'accrocher. Ce sont des fleurs l<strong>ou</strong>rdes d<strong>et</strong><strong>ou</strong>tes sortes de choses extérieures <strong>ou</strong> intérieures <strong>à</strong> <strong>l'école</strong>. Le refus de c<strong>et</strong> écrit que je doisleur apprendre, tant en lecture qu'en écriture, est très fort <strong>et</strong> jusqu'ici je ne le décode qu'<strong>à</strong>moitié. Sans d<strong>ou</strong>te, en grande partie, l'absence de c<strong>et</strong>te nécessaire quadruple autorisationsubjective: qu'elles s'autorisent <strong>à</strong> être autres que les parents, que les parents les autorisent <strong>à</strong>être autres qu'eux <strong>et</strong> s'autorisent eux-mêmes <strong>à</strong> être autres que leurs enfants, qu'elless'autorisent <strong>à</strong> être autres elles-mêmes, chemin terrible « entre attachement <strong>et</strong> arrachement ».Nécessaires ruptures que j'ai <strong>à</strong> ent<strong>ou</strong>rer du mieux que je peux.Il n'y a qu'<strong>à</strong> nos correspondants français qu'elles veulent bien écrire <strong>et</strong> des textes de théâtrequ'elles veulent bien lire.www.changement-egalite.be 80


Un enseignant est tracassé quand il n'arrive pas <strong>à</strong> faire apprendre t<strong>ou</strong>t ce qu'il est sensé faireapprendre mais j'en ai pris mon parti: il faut peut-être t<strong>ou</strong>t ce temps, t<strong>ou</strong>t le lent travail destructuration, t<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> leur faire, p<strong>ou</strong>r que ces jeunes (qui ne sont pas seulement desélèves mais aussi des filles de...) osent se tenir quelque part <strong>et</strong> enfin s'autorisent <strong>à</strong> apprendre.Des pas risqués<strong>Les</strong> mots du théâtre restaient un peu trop collés aux réalités crues <strong>et</strong> immédiates dont on sesortait pas. Comment sortir de l'immédiat <strong>et</strong> comment garder trace?Comment avancer dans d'autres paroles, comment sortir de l'immédiat <strong>et</strong> comment gardertrace? J'ai fait m<strong>et</strong>tre par écrit des extraits de saynètes dans lesquelles se disait avec forcequelque chose de <strong>la</strong> domination de ceux qui savent sur ceux qui ne perçoivent comme nesachant pas: elles <strong>et</strong> leurs parents qu'elles présentaient comme des « 14-18 arriérés ». Maisp<strong>ou</strong>r quoi, p<strong>ou</strong>r qui c<strong>et</strong> écrit? Il n<strong>ou</strong>s fal<strong>la</strong>it des destinataires. Au milieu des affres d'un févriertrès remuant, n<strong>ou</strong>s avons décidé d'un proj<strong>et</strong> <strong>et</strong> c'est alors seulement qu'est venue <strong>la</strong> consciencede p<strong>ou</strong>voir décider quelque chose de fort ensemble, quelque chose qui change le c<strong>ou</strong>rs desc<strong>ou</strong>rs. Faire un j<strong>ou</strong>rnal dans lequel « On écrit ce qu'on aime <strong>et</strong> notre vie ».<strong>Les</strong> premières idées de rubriques vinrent en référence <strong>à</strong> <strong>la</strong> lecture: les 7extra <strong>et</strong> autres piègescommerciaux p<strong>ou</strong>r jeunes. Après avoir rempli des rubriques Chagrin d'am<strong>ou</strong>r <strong>et</strong> Horoscope,il a fallu inventer de quoi aller plus loin que le connu proposé <strong>à</strong> <strong>la</strong> consommation <strong>et</strong>docilement reproduit. Prenant appui <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois sur l'idée de j<strong>ou</strong>rnal <strong>et</strong> sur les ved<strong>et</strong>tes dont lesposters s'affichaient en c<strong>la</strong>sse, j'ai proposé d'inviter une j<strong>ou</strong>rnaliste marocaine <strong>et</strong> un rappeur.Ces moments-l<strong>à</strong> furent de grâce <strong>et</strong> les interviews réalisées p<strong>ou</strong>r le j<strong>ou</strong>rnal étaient de qualité.Ces rencontres ont créé comme une assise dans le gr<strong>ou</strong>pe <strong>et</strong> une prise de confiance entreautres parce que « ils se sont dérangés p<strong>ou</strong>r n<strong>ou</strong>s ».Depuis, au rythme d'une organisation mise en p<strong>la</strong>ce au conseil devenu un lieu très investi, lej<strong>ou</strong>rnal, devenu revue, s'est construit. T<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs <strong>à</strong> <strong>la</strong> force du poign<strong>et</strong> puisque devait aussis'apprendre <strong>la</strong> patience de <strong>la</strong> réécriture, de <strong>la</strong> correction, des arrangements <strong>et</strong> négociations.T<strong>ou</strong>t un prix <strong>à</strong> payer p<strong>ou</strong>r arriver <strong>à</strong> une production.La bande des complicesLorsque le moment est venu de se redonner un nom p<strong>ou</strong>r c<strong>et</strong>te revue, quelque chose s'estpassé de l'ordre de l'assurance prise, de <strong>la</strong> transformation <strong>et</strong> d'une reconnaissance mutuellecomme suj<strong>et</strong>s acteurs reliés aux autres. Au début, les titres proposés restaient encore dans lesimages négatives de soi style «<strong>la</strong> racaille» <strong>ou</strong> <strong>la</strong> «ruine». Dans une fièvre de sève montante,s'est dessinée comme une n<strong>ou</strong>velle identité. Surement pas celle de p<strong>et</strong>ites filles sages <strong>et</strong>bê<strong>la</strong>ntes mais celle de comparses qui ont fait <strong>la</strong> guerre ensemble.Quand D<strong>ou</strong>nia, tentant de faire synthèse entre diverses proportions, <strong>à</strong> <strong>la</strong>ncé « <strong>la</strong> bande descomplices » chacune s'y est r<strong>et</strong>r<strong>ou</strong>vée avec délectation. Moi aussi. Leur goût de bande étaitsauf <strong>et</strong> <strong>la</strong> complicité était devenue constructive. Depuis ce j<strong>ou</strong>r, elles ne signaient plus « <strong>la</strong> 1ère A » mais « La bande des complices », avec <strong>la</strong> fierté de qui a fait quelque chose de biencomme le rire s<strong>ou</strong>s cape de qui a fait une bonne b<strong>la</strong>gue: « Ceux qui n<strong>ou</strong>s croient des nulles, ilsvont voir... »C'est d'abord dans leurs anciennes écoles qu'elles ont v<strong>ou</strong>lu aller vendre le j<strong>ou</strong>rnal, ensuite <strong>à</strong>d'autres jeunes <strong>et</strong> dans le quartier. Ainsi s'exprimer, en fin d'année, La bande des complices,inspirée par un article de dictionnaire <strong>à</strong> propos de leur n<strong>ou</strong>veau nom: « n<strong>ou</strong>s, on combat p<strong>ou</strong>rêtre les meilleures, p<strong>ou</strong>r que les autres sachent ce qu'on fait. (...) On a un chef, c'est <strong>la</strong>titu<strong>la</strong>ire parce qu'elle p<strong>ou</strong>sse, elle donne le c<strong>ou</strong>p de p<strong>ou</strong>sse (sic), elle se porte garant qu'on vatenir. Et on fait des pyramides comme <strong>à</strong> <strong>la</strong> gym. Il y a une fille très légère qui monte t<strong>ou</strong>t au-www.changement-egalite.be 81


dessus sur les bras des autres mais elle tient parce que t<strong>ou</strong>tes les autres tiennent par endess<strong>ou</strong>s. P<strong>ou</strong>r notre j<strong>ou</strong>rnal, c'était pareil: chacune donne des idées <strong>et</strong> puis, hop, une idée est<strong>la</strong> bonne <strong>et</strong> elle va t<strong>ou</strong>t au-dessus. C'est le chef qui aide <strong>à</strong> tenir <strong>la</strong> pyramide mais c'est aussin<strong>ou</strong>s parce qu'on a t<strong>ou</strong>tes été un peu chef, chef de ces textes, chef des décisions prises auConseil, chef quand on est responsable <strong>et</strong> qu'il faut tenir jusqu'au b<strong>ou</strong>t. »Noëlle De Sm<strong>et</strong>, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°129.www.changement-egalite.be 82


Règles <strong>et</strong> procéduresLa mise en p<strong>la</strong>ce de moments de parole est indispensable p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir vivre ensemble sans sedémolir. C’est certainement vrai p<strong>ou</strong>r les enfants. Mais n<strong>ou</strong>s faisons le choix que ce le soitaussi p<strong>ou</strong>r les adultes qui cohabitent sur leur lieu de travail. <strong>Les</strong> belles intentions du proj<strong>et</strong>pédagogique généreux qui n<strong>ou</strong>s réunit, dans notre école fondamentale, ne gomment pas, parmagie, nos mesquineries, jal<strong>ou</strong>sies <strong>et</strong> autres demandes de valorisation <strong>ou</strong> de protection.N<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s efforçons, comme les enfants ont <strong>la</strong> possibilité de le faire p<strong>ou</strong>r « régler » <strong>la</strong>coexistence (pas si fique que ça !) dans <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r de récréation, de définir <strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre par écritles procédures qui règlent notre vie entre adultes. Ces décisions sont prises pendant le« Conseil des profs » hebdomadaire qui ne s’occupe pas de <strong>la</strong> gestion pédagogique, maisplutôt de <strong>la</strong> gestion humaine <strong>et</strong> matérielle du bateau. C’est justement p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir n<strong>ou</strong>soccuper de notre métier, enseigner, qu’il n<strong>ou</strong>s faut n<strong>ou</strong>s occuper de t<strong>ou</strong>t le reste. P<strong>ou</strong>r que t<strong>ou</strong>tle reste ne prenne pas t<strong>ou</strong>te <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce. <strong>Les</strong> différentes décisions que v<strong>ou</strong>s allez lire ci-après neforment pas un catalogue compl<strong>et</strong> de ce qu’il faut faire, mais c’est une série d’instantanés dece qui a été mis en p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> un endroit, <strong>à</strong> un moment donné.N<strong>ou</strong>s pensons que c<strong>et</strong>te exigence de c<strong>la</strong>rté minimale perm<strong>et</strong>, <strong>à</strong> elle seule, d’expliciter t<strong>ou</strong>tesune série d’implicites qui, s<strong>ou</strong>vent, gèrent le fonctionnement d’une institution. De plus, m<strong>et</strong>tredes règles par écrit, ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong> de les transformer, de les adapter, de les supprimer, de lesrendre vivantes, transmissibles aux « n<strong>ou</strong>veaux ». Ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong> que leur existence soitréellement liée <strong>à</strong> un besoin. Chaque règle est une réponse, une solution partielle, momentanée,mise au point ensemble, face <strong>à</strong> un problème qu’au moins une personne a eu le c<strong>ou</strong>rage dedévoiler.P<strong>ou</strong>r <strong>la</strong> lisibilité, je v<strong>ou</strong>s livre les décisions dans <strong>la</strong> forme que n<strong>ou</strong>s leur avons donnée auConseil, en y raj<strong>ou</strong>tant des notes explicatives. Quand on parle d’A<strong>la</strong>in, on parle du directeur.<strong>Les</strong> autres prénoms sont ceux des collègues enseignants. Le côté parfois anecdotique est<strong>la</strong>issé. Même si ce<strong>la</strong> a l’air fort « interne », il m’a semblé intéressant d’illustrer le fait que nos« problèmes » n’ont rien d’exceptionnel.Le conseil des profsLe Conseil des Profs est structuré comme suit :1 Rappel des tâches <strong>et</strong> agenda,2 Approbation du rapport précédent,3 Demandes,4 Surveil<strong>la</strong>nces,5 Ménage,6 T<strong>ou</strong>r de parole,7 Ordre du j<strong>ou</strong>r,8 Informations urgentes,9 Infos syndicales.Il commence <strong>à</strong> 15 heures <strong>et</strong> se termine <strong>à</strong> 16 heures. Si un point nécessite débat <strong>et</strong>/<strong>ou</strong> décision,il doit être porté <strong>à</strong> l’ordre du j<strong>ou</strong>r en déposant un papier sur le bureau d’A<strong>la</strong>in le jeudi avant16h30.www.changement-egalite.be 83


<strong>Les</strong> différents « moments » du conseil se sont aj<strong>ou</strong>tés au fur <strong>et</strong> <strong>à</strong> mesure. Ce que n<strong>ou</strong>sappelons « tâches » est un tableau qui explique les différentes t<strong>ou</strong>rnantes p<strong>ou</strong>r lessurveil<strong>la</strong>nces, par exemple, mais aussi p<strong>ou</strong>r les différentes responsabilités <strong>à</strong> répartir : lespommes <strong>à</strong> distribuer (les élèves ont <strong>la</strong> possibilité de passer commande mensuellement p<strong>ou</strong>rdes pommes <strong>ou</strong> des mandarines p<strong>ou</strong>r leur « 10 heures »), n<strong>et</strong>toyage de <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r <strong>et</strong> des abords del’école, accueil du Conseil d’école, rédaction du rapport du Conseil des profs, attribution destâches en cas d’absence.<strong>Les</strong> « demandes » perm<strong>et</strong>tent d’officialiser les arrangements nécessaires p<strong>ou</strong>r faire face auxréalités variées <strong>et</strong> aux urgences. Quand quelqu’un part en formation, il doit s’arranger p<strong>ou</strong>rassurer les conséquences de son absence (informations, surveil<strong>la</strong>nces). Aussi quand on abesoin d’un local, de <strong>la</strong> vidéo <strong>ou</strong> t<strong>ou</strong>t simplement d’un c<strong>ou</strong>p de main.<strong>Les</strong> « surveil<strong>la</strong>nces » perm<strong>et</strong>tent de rendre publiques les initiatives prises lors dessurveil<strong>la</strong>nces individuelles. P<strong>ou</strong>r gérer les urgences, mais aussi p<strong>ou</strong>r installer une cohérenceentre les différents adultes qui doivent réagir aux évènements de <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>r. <strong>Les</strong> décisionsurgentes (s<strong>ou</strong>vent des consignes de sécurité) prises par les adultes sont explicitées dans lerapport du Conseil d’école p<strong>ou</strong>r que t<strong>ou</strong>s les enfants soient au c<strong>ou</strong>rant. Ces décisions restentva<strong>la</strong>bles seulement 15 j<strong>ou</strong>rs p<strong>ou</strong>r leur assurer ce caractère d’urgence.Le « ménage » perm<strong>et</strong> de régler les problèmes des nombreux <strong>ou</strong>blis <strong>ou</strong> négligences inhérentsaux gr<strong>ou</strong>pes de gens pressés. <strong>Les</strong> portes, les clés, les cadenas, <strong>la</strong> disparition des brosses <strong>ou</strong> des<strong>la</strong>v<strong>et</strong>tes, l’a<strong>la</strong>rme, les tasses de café, les déch<strong>et</strong>s près de <strong>la</strong> photocopieuse, l’emprunt nonsignalé des <strong>ou</strong>tils collectifs, rogneuse, livres, rallonge <strong>et</strong> autre t<strong>ou</strong>rne<strong>vis</strong>. La vraie vie, quoi !Le « t<strong>ou</strong>r de parole » perm<strong>et</strong> de partager son humeur, ses émotions, mais aussi de poser desproblèmes de t<strong>ou</strong>t ordre, surt<strong>ou</strong>t déontologiques. Comment réagir, que dire, que faire, <strong>à</strong> quiparler ? Si les thèmes nécessitent décision, donc débat, <strong>et</strong> s’il n’y a pas d’urgence, ils sontreportés au point « ordre du j<strong>ou</strong>r » du Conseil suivant.<strong>Les</strong> « informations urgentes » complètent oralement, vu leur urgence, <strong>la</strong> liste des informationsécrites qui est jointe au rapport <strong>et</strong> qui contient le résultat du dép<strong>ou</strong>illement du c<strong>ou</strong>rrierabondant qui arrive chaque j<strong>ou</strong>r dans les écoles. C’est un enseignant qui dép<strong>ou</strong>ille <strong>et</strong> ventile lec<strong>ou</strong>rrier. Fameux b<strong>ou</strong>lot !<strong>Les</strong> rapports du Conseil d’école, l’agenda <strong>et</strong> les mots transmis par <strong>la</strong> direction doivent êtredistribués aux personnes indiquées sur le papier près de <strong>la</strong> photocopieuse.Ces points traduisent notre réflexion sur le partage de l’information, <strong>la</strong> transmission desrapports <strong>et</strong> <strong>la</strong> confidentialité de certaines lignes. <strong>Les</strong> maîtres spéciaux (profs de gym,…) ontfait <strong>la</strong> demande de recevoir le rapport du Conseil des profs malgré leur absence au Conseil.Ce<strong>la</strong> a été accepté <strong>et</strong> quand quelqu’un estime que ce qu’il vient de dire est confidentiel, ilsignale au rédacteur du rapport qu’il ne doit pas transcrire ses paroles.L’agenda est essentiel. Il reprend les activités <strong>et</strong> départs pré<strong>vis</strong>ibles p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s les membres del’équipe p<strong>ou</strong>r les semaines <strong>à</strong> venir. Il est donc distribué chaque semaine <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> ainsi des’organiser <strong>et</strong> d’être tenu au c<strong>ou</strong>rant.www.changement-egalite.be 84


La vie est quotidienneUne demande de dépense avec <strong>la</strong> caisse d’école doit se faire au point « demandes » <strong>et</strong> elle doitêtre faite par au moins deux personnes. La décision est prise <strong>la</strong> semaine suivante par vote <strong>à</strong>bull<strong>et</strong>in secr<strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> majorité absolue (moitié plus 1) des votants (les procurations signées sontacceptées). Le dép<strong>ou</strong>illement se fait après le Conseil par Luc<strong>et</strong>te (institutrice).N<strong>ou</strong>s sommes une école communale <strong>et</strong> n<strong>ou</strong>s n’avons donc pas de caisse ni d’argentdisponible. La seule s<strong>ou</strong>rce de revenus que n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s autorisons est liée <strong>à</strong> notrefonctionnement financier (explicité aux parents). <strong>Les</strong> enfants passent commandemensuellement p<strong>ou</strong>r les repas chauds. Si un enfant est absent, son repas n’est pas commandé.C’est aux parents d’en tenir compte <strong>et</strong> de déduire, le mois suivant, <strong>la</strong> somme correspondant <strong>à</strong>ce qui n’a pas été consommé. Beauc<strong>ou</strong>p de parents (volontairement <strong>ou</strong> non, n<strong>ou</strong>s l’ignorons)<strong>ou</strong>blient de réc<strong>la</strong>mer leur dû. Ce<strong>la</strong> n<strong>ou</strong>s fait un pactole de plus <strong>ou</strong> moins 10 000 francs par anqui n<strong>ou</strong>s perm<strong>et</strong> d’ach<strong>et</strong>er livres, <strong>ou</strong>tils de référence, <strong>et</strong> autres abonnements.Une décision engageant <strong>la</strong> vie de l’école suit <strong>la</strong> procédure suivante : présentation de <strong>la</strong>proposition au Conseil, décision <strong>la</strong> semaine suivante par vote <strong>à</strong> bull<strong>et</strong>in secr<strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> majoritédes 2/3 des votants (les procurations signées sont acceptées). Le dép<strong>ou</strong>illement se fait après leConseil par Luc<strong>et</strong>te.En cas de ma<strong>la</strong>die, il faut <strong>la</strong>isser un message sur le répondeur <strong>et</strong> prévenir A<strong>la</strong>in <strong>à</strong> son privé.<strong>Les</strong> enfants seront répartis par A<strong>la</strong>in en utilisant <strong>la</strong> « r<strong>ou</strong>e de sec<strong>ou</strong>rs ».Chaque titu<strong>la</strong>ire doit préparer (<strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> j<strong>ou</strong>r si nécessaire après chaque absence) une boîtemarquée d’une croix r<strong>ou</strong>ge bien <strong>vis</strong>ible (<strong>la</strong> « r<strong>ou</strong>e de sec<strong>ou</strong>rs »). Dans c<strong>et</strong>te boîte serontdéposées les fardes nominatives contenant du travail <strong>à</strong> faire par les enfants. <strong>Les</strong> consignesdoivent être explicites p<strong>ou</strong>r ce qui est obligatoire <strong>et</strong> ce qui est suggéré. C<strong>et</strong>te « r<strong>ou</strong>e desec<strong>ou</strong>rs » est utilisée en cas de ma<strong>la</strong>die (par définition imprévue !). Doit aussi y figurer <strong>la</strong> listedes enfants avec le prénom de <strong>la</strong> titu<strong>la</strong>ire qui les accueillera. Si le ma<strong>la</strong>de doit surveiller lematin, il prévient Luc<strong>et</strong>te AVANT 7h30 p<strong>ou</strong>r qu’elle puisse être <strong>à</strong> l’école <strong>à</strong> 8h.En cas deproblème de voiture <strong>et</strong> dans l’impossibilité de prévenir qui que ce soit, c’est Luc<strong>et</strong>te quiaccueille les enfants que des parents pressés p<strong>ou</strong>rraient lui amener.En contrepartie de sa disponibilité obligatoire, Luc<strong>et</strong>te, qui habite <strong>à</strong> 50 mètres de l’école, nefait pas partie de <strong>la</strong> t<strong>ou</strong>rnante des surveil<strong>la</strong>nces du matin. T<strong>ou</strong>t se négocie ! Certains collègues« troquent » <strong>la</strong> rédaction du rapport du Conseil contre des surveil<strong>la</strong>nces du matin. Ce qui n’apas empêché de tr<strong>ou</strong>ver réponse <strong>à</strong> des demandes gratuites, sans contrepartie. Peut-être mêmeque ce<strong>la</strong> l’a permis. On ne peut donner gratuitement que quand on est convaincu de ne pasêtre t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs <strong>la</strong> bonne poire qui s’y colle !Le quotidien est l<strong>à</strong> t<strong>ou</strong>s les j<strong>ou</strong>rs<strong>Les</strong> formations continuées sont indiquées dans l’agenda qui présente les évènements dessemaines <strong>à</strong> venir. Deux enseignants maximum peuvent partir le même j<strong>ou</strong>r. Des arrangementsont chaque fois été tr<strong>ou</strong>vés quand plus de deux personnes v<strong>ou</strong><strong>la</strong>ient partir. Mais il faut le faire<strong>à</strong> l’avance <strong>et</strong> au plus tard au Conseil précédant <strong>la</strong> semaine pendant <strong>la</strong>quelle on part enformation continuée. <strong>Les</strong> enseignants qui partent doivent prévenir les titu<strong>la</strong>ires-hôtes de leursélèves LA VEILLE AVANT 13 heures chaque fois qu’ils partent. Si ce n’est pas fait dans lesdé<strong>la</strong>is, <strong>la</strong> formation suivante sera supprimée. En l’absence de consensus, c’est le collègue quia le plus d’enfants qui a priorité p<strong>ou</strong>r partir <strong>à</strong> <strong>la</strong> formation.www.changement-egalite.be 85


Ces points s’apparentent <strong>à</strong> une sorte de « règlement interne » <strong>et</strong> ont le mérite de dire t<strong>ou</strong>t hautce qui « devrait être connu ».La caisse d’école m<strong>et</strong> 5 000 f <strong>à</strong> <strong>la</strong> disposition des c<strong>ou</strong>rs philosophiques p<strong>ou</strong>r l’achat dematériel. A<strong>la</strong>in rappelle néanmoins que les maîtres spéciaux doivent (comme t<strong>ou</strong>t enseignant)<strong>à</strong> s’adresser <strong>à</strong> leur PO respectif p<strong>ou</strong>r obtenir un financement p<strong>ou</strong>r leurs <strong>ou</strong>tils de travail. <strong>Les</strong>5000 f ne seront accessibles qu’aux maîtres spéciaux qui apporteront <strong>la</strong> preuve écrite de leurdemande vers leur PO respectif.L<strong>à</strong> aussi, que faire quand un prof de religion demande du matériel de brico<strong>la</strong>ge p<strong>ou</strong>r donnerson c<strong>ou</strong>rs ? Jusqu’où faut-il être solidaire en assumant les responsabilités financières des PO ?Dès qu’A<strong>la</strong>in a connaissance d’une absence dans le personnel d’entr<strong>et</strong>ien <strong>et</strong> de garderie(Irène, Carine, Marie-Béatriz, Catherine, Jeannine…), il transm<strong>et</strong> le message <strong>à</strong> Michel qui faitsuivre vers les autres c<strong>la</strong>sses.T<strong>ou</strong>tes ces personnes sont essentielles p<strong>ou</strong>r le bon fonctionnement. Elles s’occupent dun<strong>et</strong>toyage, de <strong>la</strong> garderie de midi <strong>et</strong> de 4 heures, de <strong>la</strong> vaisselle. Si elles le s<strong>ou</strong>haitent, ellespeuvent participer au Conseil. Jeannine qui fait <strong>la</strong> vaisselle <strong>et</strong> quelques remp<strong>la</strong>cements p<strong>ou</strong>rles garderies, est présente chaque fois, fait des demandes, des rappels, des suggestions. Ellevient au Conseil <strong>et</strong> demande chaque fois : « Où se m<strong>et</strong> A<strong>la</strong>in ? C’est p<strong>ou</strong>r l’entendre avec mabonne oreille ! »Si un titu<strong>la</strong>ire s<strong>ou</strong>haite <strong>changer</strong> de c<strong>la</strong>sse, il doit le signaler dans le c<strong>ou</strong>rant du mois de juin.Ce changement ne se fera que 14 mois plus tard, p<strong>ou</strong>r qu’il puisse se former durant l’année. Siaucun collègue n’accepte de permuter, c’est le tirage au sort qui s’en chargera <strong>ou</strong> A<strong>la</strong>in quiimposera sa décision après l’avoir justifiée.N<strong>ou</strong>s favorisons donc ce travail de définition de procédures transparentes. Il perm<strong>et</strong> de vivreensemble. T<strong>ou</strong>te situation problématique, lorsqu’elle explose (parfois avec violence <strong>et</strong>d<strong>ou</strong>leur) n<strong>ou</strong>s oblige (n<strong>ou</strong>s perm<strong>et</strong> !) de n<strong>ou</strong>s poser des questions sur le fonctionnement qui afait naître c<strong>et</strong>te situation perçue comme insupportable. Il faut soigner les causes, pas lesvolcans. Heureusement qu’ils peuvent exploser sans risque, car, sinon, ce serait encore plusviolent. La vie confinée dans un climat tendu par le nombre <strong>et</strong> <strong>la</strong> puissance des forces enprésence nécessite des garde-f<strong>ou</strong>s puissants <strong>et</strong> solides p<strong>ou</strong>r ne pas s’y engl<strong>ou</strong>tir.A<strong>la</strong>in Desmar<strong>et</strong>s, in Echec <strong>à</strong> l’échec n°119.www.changement-egalite.be 86

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