Les oiseaux dans Ãcritures - Centre de recherche en poétique et ...
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<strong>Les</strong> Oiseaux <strong>dans</strong> Écritures 1Sandrine BÉDOURET-LARRABURUOn sait la passion <strong>de</strong> Robert Marteau pour les <strong>oiseaux</strong>, ces p<strong>et</strong>its êtres <strong>de</strong> plumes,déliés <strong>de</strong> l’apesanteur. L’oiseau s’affranchit <strong>de</strong> la verticalité, puisqu’il vole, <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’horizontalité du temps, car il fait partie <strong>de</strong> la fable. Robert Marteau racontait avec unecertaine admiration l’histoire d’Euterpe, selon Manilius : « Il perdit l’usage <strong>de</strong> la parolehumaine, acquit le pouvoir <strong>de</strong> s’élever <strong>dans</strong> l’air. Alors, il ne vécut plus que <strong>dans</strong> lesarbres. Par une nuit du mois <strong>de</strong> mai, il s’i<strong>de</strong>ntifia à tel point avec son propre chant qu’ilatteignit la non appar<strong>en</strong>ce ne laissant <strong>de</strong> trace que ce parfum répandu <strong>de</strong>puis parl’aubépine » (EntreTemps, p.45) 2 . Euterpe parle la langue <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, <strong>et</strong> dort <strong>dans</strong> unecabane « pareille à un nid » ; il arrive à trouver le point divin où il coïnci<strong>de</strong> avec sonchant, avec sa parole. Le mythe <strong>de</strong> l’origine consiste <strong>en</strong> c<strong>et</strong>te pur<strong>et</strong>é du Verbe, quicorrespondrait à l’être. Dans la mythologie antique, Euterpe est aussi l’une <strong>de</strong>s neufMuses. Munie <strong>de</strong> sa flûte, couronnée <strong>de</strong> fleurs, elle présidait les fêtes, accompagnaitDionysos <strong>et</strong> on lui doit l’inv<strong>en</strong>tion du dithyrambe. On ne s’étonnera pas que les <strong>de</strong>uxmythes se superpos<strong>en</strong>t <strong>dans</strong> l’imaginaire érudit <strong>de</strong> Robert Marteau.L’oiseau est à la fois un oiseau conting<strong>en</strong>t, l’habitant <strong>de</strong> nos jardins, <strong>et</strong> un symbolefort, associé au langage primitif, à la divinité, au dithyrambe, celui qui relie, un élém<strong>en</strong>tproprem<strong>en</strong>t religieux, un invariant <strong>de</strong> Liturgie à Écritures. La connotation religieuse estévi<strong>de</strong>nte <strong>dans</strong> ce <strong>de</strong>rnier titre <strong>et</strong> <strong>en</strong> même temps, le terme écritures r<strong>en</strong>voie à l’histoire<strong>de</strong> l’humanité. Écritures évoque le temps <strong>de</strong>s saintes Écritures, mais aussi le tempsr<strong>en</strong>du à l’homme pour écrire, laisser une trace <strong>dans</strong> l’humanité, une trace <strong>dans</strong> la fable.Aussi Écritures me parait tout autant relever <strong>de</strong> l’épopée que <strong>de</strong> l’élégie :Ce sont les Goths <strong>en</strong> eff<strong>et</strong> qui ont transféréÀ la pierre la verticalité <strong>de</strong>s arbresEt le cloisonnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la lumière telleQue la distribu<strong>en</strong>t les branches <strong>dans</strong> la forêtEt c’est la cathédrale au milieu <strong>de</strong> la terreQui s’élève <strong>et</strong> grandit comme si la prièreEn était l’architecte <strong>et</strong> l’unique ouvrière,Et le plain-chant <strong>de</strong> lui-même sous les ogivesQui se crois<strong>en</strong>t accè<strong>de</strong>nt à son <strong>en</strong>vol.1 Robert Marteau, Écritures, Seyssel : Champ Vallon, 2012. <strong>Les</strong> sonn<strong>et</strong>s seront référ<strong>en</strong>cés par la page <strong>et</strong> l<strong>en</strong>uméro du sonn<strong>et</strong> <strong>en</strong> exposant.2 Cité par Pierre Jacerme, « La parole s’ébouriffe », Pour saluer Robert Marteau, Champ Vallon, 1996, p.108.1
[…] On y dit, on y réciteEt chante le latin <strong>et</strong> le grec <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>,Langues qu’on peut <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>dans</strong> les bois. 3Autant dire que nous avons tout à appr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> ces p<strong>et</strong>its êtres qui apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t auxÉcritures, <strong>de</strong>s textes grecs à la Bible, jusqu’à Saint François d’Assise, <strong>en</strong> passant parAttar, jusqu’aux <strong>oiseaux</strong> <strong>de</strong>s jardins qui compos<strong>en</strong>t ce qu’il faudrait qu’on recueillît.La poésie est une affaire à déchiffrerInscrite qu’elle est <strong>en</strong> filigrane invisibleDans le tissu sans interruption tisséDont se fait <strong>et</strong> se défait l’univers visibleOu non. (E : 154 1)Il m’a alors semblé important d’aller voir <strong>de</strong> plus près <strong>dans</strong> le bestiaire <strong>de</strong> RobertMarteau, pour essayer d’analyser comm<strong>en</strong>t les <strong>oiseaux</strong> naissai<strong>en</strong>t sous sa plume, avecquelle récurr<strong>en</strong>ce, avec quelle prise sur le réel, pour ébaucher une théogonie propre aupoète. J’ai limité le corpus à un an, l’année 2001 d’Écritures, l’<strong>en</strong>trée <strong>dans</strong> le XXI e siècle.J’ai relevé les occurr<strong>en</strong>ces par ordre d’apparition pour avoir une vision quantitative, <strong>et</strong>j’ai appliqué la même grille <strong>de</strong> lecture : la position métrique <strong>de</strong> l’apparition, le voisinagedu terme, le symbolisme qui lui est associé, <strong>et</strong> <strong>en</strong>fin le travail <strong>de</strong> sonorités. Ce relevé viseà établir les li<strong>en</strong>s qui se tiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les <strong>oiseaux</strong> <strong>et</strong> les hommes, <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>tesstrates <strong>de</strong> la fable avec lesquelles Robert Marteau compose.<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong>, une espèce à partUn prototype…Robert Marteau aime nommer. Il préfère donner le nom <strong>de</strong> l’espèce mais leprototype « oiseau » apparait quelques fois, parfois au singulier, parfois au pluriel. Lepoète lui adjoint <strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce un déterminant générique.L’oiseau est avant tout un chanteur, dès le premier sonn<strong>et</strong> : « Un chanteur est surl’arbre : un inconnu qu’aurait / Vite fait d’i<strong>de</strong>ntifier l’ornithologue. / Entre l’écorce <strong>et</strong> lesnuages il s’<strong>en</strong>chante / À chanter. » (E : 91). L’oiseau chante le paradis originel, lui quipeut passer du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s humains à celui <strong>de</strong>s fées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>en</strong>chanteurs.3 P. 55 dimanche 24 juin 20012
En collocation, l’oiseau est sur la branche. Il perm<strong>et</strong> d’introduire un oiseauparticulier. Le poète aime à jouer <strong>de</strong>s expressions toutes faites : « l’oiseau sur la branche,<strong>en</strong>core une expression / Qui sert couramm<strong>en</strong>t à désigner un état / Précaire ou unesituation instable » ; l’<strong>en</strong>trée <strong>dans</strong> le sonn<strong>et</strong> est donc métalinguistique, puisque le poèt<strong>en</strong>ous donne à lire le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’expression lexicalisée. L’oiseau n’a pas <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, ils’actualisera <strong>en</strong> « le moineau » ou « la pie » (E : 141), <strong>et</strong> <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t autoréfér<strong>en</strong>cé :« l’oiseau/ Sur la branche, on l’a assez dit , sur tous les tons / Chante, dit, récite <strong>et</strong>réitère » (E : 512). La collocation perm<strong>et</strong> à la fois <strong>de</strong> construire un tableau visuel, <strong>et</strong> <strong>de</strong>faire interférer différ<strong>en</strong>ts niveaux énonciatifs : du particulier au général. Ainsi <strong>dans</strong> cevers, peut-on se poser la question du statut du « on » : est-il un pur générique propre àl’idée <strong>de</strong> l’expression toute faite, ou ce « on » est-il un « on » <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie atténuant un« je » ?L’oiseau apparait alors comme un élém<strong>en</strong>t naturel, divin, au même titre que l’air,la terre, l’eau : « la terre l’eau l’air l’oiseau qui couve le feu <strong>dans</strong> l’œuf » (E : 281). L’oiseauest associé au feu, comme le phénix, oiseau lég<strong>en</strong>daire. Feu est le palindrome d’œuf ; laquestion n‘étant pas ici <strong>de</strong> savoir ce qui est premier, l’œuf ou l’oiseau : <strong>de</strong> l’oiseau, naît lefeu puisque naît l’œuf. « L’œuf se brise <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong> apparait, volatil » (311). L’oiseau estalors une ouverture vers l’inconnu : « Je ne sais pas / Si le mon<strong>de</strong> que nous voyons,l’oiseau le voit / Selon notre croyance ou bi<strong>en</strong> s’il <strong>en</strong> perçoit / Mieux que nous l’origineintemporelle qu’il / A vécue embryon par première sem<strong>en</strong>ce / Fixé, grain <strong>de</strong> feu, soufre<strong>en</strong> l’ogive » 4 .L’article indéfini est parfois utilisé <strong>dans</strong> sa fonction d’annonce : « un oiseau noir »(p.252) se révèle être à la fin du sonn<strong>et</strong>, « un faucon ».Au singulier, l’oiseau est donc avant tout un symbole, un élém<strong>en</strong>t, un li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre ladivinité <strong>et</strong> l’humanité.Très souv<strong>en</strong>t, le poète utilise « <strong>oiseaux</strong> » au pluriel, <strong>et</strong> il est convoqué pour lechant. Ainsi avant <strong>de</strong> voir, le lecteur <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d : « Chants d’<strong>oiseaux</strong> <strong>dans</strong> les bois que labrume <strong>en</strong>veloppe / Au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s champs où la corneille s’élève / Et crie <strong>en</strong>disparaissant <strong>dans</strong> le voile épais. / On affûte un œil ; on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, mais on ne voit / Pas. »(E : 422) ; ils sont les laudateurs, « les laudateurs sont là / À officier, s’affinant la gorge,4 Robert Marteau, Liturgie, Champ Vallon, 1992, p.45.3
ec / Ouvert happant parfois une goutte. » (E : 172). Indiffér<strong>en</strong>ciés, saisis <strong>dans</strong> leurglobalité, ils peuv<strong>en</strong>t être actualisés, les <strong>oiseaux</strong> <strong>de</strong> ces bois où le poète se trouve, maisn’<strong>en</strong> rest<strong>en</strong>t pas moins <strong>de</strong>s officiants. En tant que tels, ils sont anthropomorphisés : ilsparl<strong>en</strong>t, se réjouiss<strong>en</strong>t comme <strong>de</strong>s humains : « L’asc<strong>en</strong>sion du soleil / Réjouit les <strong>oiseaux</strong>.Sans se lasser ils dis<strong>en</strong>t, / Sans que nous puissions ri<strong>en</strong> connaître <strong>de</strong> ce qui / Leur futconfié », (E : 442). « Certains ont même prét<strong>en</strong>du que les <strong>oiseaux</strong> / Y aurai<strong>en</strong>t précédé lesdieux les annonçant / Par la langue qu’ils chantai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> haut <strong>dans</strong> les arbres » (292).L’oiseau est inscrit <strong>dans</strong> la fable parce qu’il traverse les temps. Le terme « carinates 5 »est révélateur ; un groupe d'<strong>oiseaux</strong> qui compr<strong>en</strong>d les <strong>oiseaux</strong> actuels (Neornithes) <strong>et</strong>certaines espèces éteintes parmi ce groupe <strong>et</strong> celui <strong>de</strong>s chthyornithiformes. Le terme estune sous-catégorie <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, <strong>de</strong> terminologie sci<strong>en</strong>tifique qui traverse les époques.… <strong>de</strong> qui on doit tout appr<strong>en</strong>dreEn bref, on a tout à appr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> : d’abord, les langues. Le latin, <strong>et</strong> legrec, que l’on récite <strong>en</strong>core <strong>dans</strong> les forêts. Ils connaiss<strong>en</strong>t la langue universelle, celleque recherchait Rimbaud, par exemple. Ils connaiss<strong>en</strong>t le langage poétique ; <strong>dans</strong>Louange 6 , le rouge-gorge « mesure sa prose <strong>et</strong> répond à l’autre qui chante »,<strong>dans</strong> LeTemps ordinaire 7 , « appuyé sur un brin <strong>de</strong> bois le rouge-gorge/ S’<strong>en</strong>chante, <strong>et</strong> on l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dqui roule les pépites / Dans son gosier pour les répandre <strong>en</strong> tropes brefs ». Si aucomm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t était le Verbe, il était universel ; les hommes ont connu la malédiction<strong>de</strong> Babel, <strong>et</strong> « le savoir n’est pas plus que balbutiem<strong>en</strong>t / D’amnésique ; où ce qui futappelé le Verbe/ En toute langue vernaculaire apparaît / Incontestable clé qui ouvrel’av<strong>en</strong>ir. » (TO : 102). La fête <strong>de</strong> la P<strong>en</strong>tecôte qui commémore le jour <strong>de</strong> la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>te <strong>de</strong>l’Esprit Saint <strong>et</strong> la compréh<strong>en</strong>sion universelle malgré la diversité <strong>de</strong>s langues est trèssouv<strong>en</strong>t (systématiquem<strong>en</strong>t relevée) <strong>dans</strong> le cal<strong>en</strong>drier du poète, rêve d’un r<strong>et</strong>our àl’origine :Chaque chanteur ti<strong>en</strong>t sa partie : <strong>en</strong> sa musiqueDe P<strong>en</strong>tecôte, chacun à l’autre répond. […]Si, d’uneTortue animal premier né, à l’origineLa musique humaine a divinem<strong>en</strong>t jailli,C’est <strong>de</strong> la tourte au collier roux qu’a pris naissanceLa langue <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>. (L : 201 2, Ville d’Avray, lundi <strong>de</strong> P<strong>en</strong>tecôte, 20 mai 1991).5 Robert Marteau, Liturgie, op. cit., 18 2.6 Robert Marteau, Louange, Champ Vallon, 1996, 36 2.7 Robert Marteau, Le Temps ordinaire, Champ Vallon, 2002, 10 1.4
Ou <strong>dans</strong> Écritures :Car nous fûmes, dit-on, témoins <strong>de</strong> la PuissanceEt c’est ce que célèbre un jour comme celuiD’aujourd’hui : P<strong>en</strong>tecôte ; abrupte visionEt par les <strong>oiseaux</strong> la langue manifestée. (E : 1962, Dimanche <strong>de</strong> la P<strong>en</strong>tecôte,19/05/2002).Étrangem<strong>en</strong>t, la langue <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> est une, même si le chant peut différer d’unoiseau à l’autre. Mais c<strong>et</strong>te langue ne se perd-elle pas aussi <strong>dans</strong> un mythe personnel ? Lerêve d’une langue <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> rejoint l’idée qu’il n’y aurait plus qu’à redécouvrir ce quiexiste, à redire éternellem<strong>en</strong>t ce qui est dit, <strong>dans</strong> une communion <strong>et</strong> une universalité, quiserait louange définitive. C<strong>et</strong>te louange que l’être porte <strong>en</strong> soi :À la déesseIrrévélée allait notre parole appriseDes <strong>oiseaux</strong>, témoins privilégiés, qui n’ontPerdu <strong>en</strong> route ni leurs plumes ni leurs ailes.Si tu écoutes, tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dras que ri<strong>en</strong> n’estPlus proche que ce qui parle <strong>en</strong> toi. (E : 73 2)On peut lire <strong>dans</strong> ces vers la disparition <strong>de</strong> l’individu, voire <strong>de</strong> l’individualisme au profitd’un collectif, <strong>de</strong> l’harmonie du mon<strong>de</strong>. L’être s’accor<strong>de</strong> <strong>et</strong> l’oiseau chante, dit, récite, ceque le poète a <strong>en</strong> lui. S’effectue un double mouvem<strong>en</strong>t alors quand le poète aura pourmission <strong>de</strong> redire les choses <strong>dans</strong> la langue vernaculaire. Le poète est inspiré par les<strong>oiseaux</strong>, auxquels il s’accor<strong>de</strong> <strong>et</strong>je n’écoute plus ma voix <strong>dans</strong> le chant du mon<strong>de</strong>Dans le gosier <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, <strong>et</strong> sous les nuagesLa couronne du châtaignier faite d’étoiles. (L : 841).L’inspiration est classique, elle est donnée par les dieux, mais est liée à l’imitation <strong>de</strong> ceque dis<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> ce que montr<strong>en</strong>t à voir les <strong>oiseaux</strong>. Il faut juste se ressouv<strong>en</strong>ir, imiter :Oiseaux vocatifs qui n’<strong>en</strong>seignez ri<strong>en</strong>, vousRem<strong>et</strong>tez <strong>en</strong> mémoire, à l’insu du marcheur,Le chemin premier-né où les muses marchai<strong>en</strong>t. (L : 322).Vers où sour<strong>de</strong>nt la désillusion <strong>et</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> la quête. Ces <strong>oiseaux</strong> ne sont que« vocatifs ». Le terme vi<strong>en</strong>t du latin vocativus, « qui sert à appeler », qui a donné le cas« vocatif », seule définition <strong>en</strong> cours. Le mot s’est employé comme adjectif au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>« qui donne son nom », par exemple <strong>en</strong> parlant du père. <strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> vocatifs sont donc5
fatalem<strong>en</strong>t condamnés à appeler la divinité, <strong>et</strong> leur chant perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> les i<strong>de</strong>ntifier, <strong>de</strong> leurdonner un nom. Ils font partie du temple :Temple où la lumière <strong>en</strong> musique nous vi<strong>en</strong>t : là 8Le souffle anime les hauts fûts verticaux, orguesQu’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d amplifier le sil<strong>en</strong>ce ; plain-Chant où sav<strong>en</strong>t bro<strong>de</strong>r les gosiers <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> :Il fut là proféré le poème dont nulN’était exclu. (E : 134 2)Pour c<strong>et</strong>te raison, Robert Marteau interroge les textes fondateurs, pour repr<strong>en</strong>dreune terminologie scolaire :Que dit là-<strong>de</strong>ssus Aristophane avant saintFrançois d’Assise ? Et <strong>dans</strong> l’un <strong>de</strong>s quatre évangilesN’est-il pas question <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> <strong>de</strong> l’air commeDes lis <strong>de</strong>s champs proposés à l’homme sortiDe la sem<strong>en</strong>ce d’Adam <strong>et</strong> du v<strong>en</strong>tre d’Eve ? (E : 45 2)Par les <strong>oiseaux</strong>, les Écritures <strong>de</strong> Marteau peuv<strong>en</strong>t relayer d’autres écritures, les saintes<strong>de</strong> François d’Assise <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Évangiles <strong>et</strong> les profanes d’Aristophane, notamm<strong>en</strong>t sa pièceles Oiseaux, où <strong>de</strong>s hommes cherch<strong>en</strong>t à monter une affaire commerciale avec les <strong>oiseaux</strong>contre les dieux. C’est <strong>dans</strong> la préface du Parlem<strong>en</strong>t volatil, traduction <strong>de</strong> the Parliam<strong>en</strong>tof Fowls <strong>de</strong> Geoffrey Chaucer que Robert Marteau évoque un parchemin peint par T’orosRoslin <strong>en</strong> 1268, « <strong>de</strong>ux pages <strong>de</strong> dédicace <strong>de</strong> l’Évangile <strong>de</strong> Matat’ya », évangile réalisé,est-il dit, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du catholicos Constantin, pour le jeune prince Héthoun. 9 » Cespages représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, <strong>de</strong>ux échassiers <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux faucons célébrant Le Christ.Robert Marteau invoque Attar <strong>et</strong> sa Confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, qu’il relie <strong>en</strong>suite à Mozart <strong>et</strong>sa Flûte <strong>en</strong>chantée, puis à l’ornithologue rythmici<strong>en</strong>, Olivier Messia<strong>en</strong>. La fascinationqu’il a pour ces p<strong>et</strong>its animaux est double : fascination pour l’animal, gracile <strong>et</strong> léger, auchant <strong>en</strong>chanteur <strong>et</strong> pour ce qu’il représ<strong>en</strong>te. Dans une interview à France Culture,Olivier Messia<strong>en</strong> expliquait que l’oiseau chantait pour trois raisons : pour conserver sonterritoire (côté martial du chant), <strong>dans</strong> la para<strong>de</strong> amoureuse ; mais aussi juste pour leplaisir d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sa voix. Olivier Messia<strong>en</strong>, ferv<strong>en</strong>t catholique a construit son œuvre surl’écoute <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> ; Robert Marteau s’inscrit <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te filiation (ici contemporanéiste)8 Et je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’il n’y a pas polysémie du là, certes adverbe <strong>de</strong> lieu, si on le rattache au vers suivant ;mais ne doit-on pas y voir aussi la note ? <strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> vocatifs ne donn<strong>en</strong>t-ils pas le la ?9 Geoffrey Chaucer, Le parlem<strong>en</strong>t volatil [The Parliam<strong>en</strong>t of Fowls] traduit <strong>de</strong> l’anglais par Robert Marteau,Champ Vallon, 2008, p.13.6
<strong>de</strong>s textes sacrés jusqu’aux <strong>recherche</strong>s contemporaines qui font <strong>de</strong> l’oiseau une trace <strong>de</strong>la divinité.Du nom à l’adjectif : volatile.L’adjectif qui correspond aux <strong>oiseaux</strong> chez Marteau est volatil. Je m’y arrête uninstant parce que l’adjectif est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u archaïque <strong>et</strong> littéraire. Le terme 10 vi<strong>en</strong>t du latinvolatilis « qui vole, ailé » <strong>et</strong> dérivé <strong>de</strong> volare, voler, qui a égalem<strong>en</strong>t servi <strong>de</strong> base à« volaille » ou à « volatile ». Ainsi « le pays volatil se répand <strong>en</strong>tre terre <strong>et</strong> ciel. », (E :1351). Entre l’humain <strong>et</strong> le divin, il y a bi<strong>en</strong> le volatil. L’adjectif est lui-même substantivésous la plume <strong>de</strong> Marteau : « De l’ouïe <strong>et</strong> du doigt j’<strong>en</strong> touche / les fibres ; <strong>et</strong> lapalpitation <strong>de</strong>s feuilles / L’associe au bruit du volatil. » (E : 1342). Le volatil est donc c<strong>et</strong>intermédiaire que l’on perçoit <strong>en</strong>core par l’ouïe, mais qui s’éloigne du regard.Au s<strong>en</strong>s figuré, « volatil » signifie « rapi<strong>de</strong>, éphémère ». L’adjectif repr<strong>en</strong>d d’abordun s<strong>en</strong>s figuré du latin <strong>et</strong> s’applique à ce qui ne dure pas longtemps, à ce qui disparaitrapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> parlant <strong>de</strong> l’amour ; il <strong>en</strong>tre <strong>dans</strong> le tissu sémantique <strong>de</strong>volage. C’est bi<strong>en</strong> <strong>dans</strong> ce champ sémantique que Robert Marteau l’utilise pour traduireChaucer, <strong>et</strong> qu’on le r<strong>et</strong>rouve <strong>dans</strong> Écritures. Le congrès volatil (E : 461) y r<strong>en</strong>voieimplicitem<strong>en</strong>t : « c’est qu’<strong>en</strong> moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux tout est dit <strong>et</strong> qu’on s’<strong>en</strong> va ». L’instantprés<strong>en</strong>t rejoint la littérature <strong>et</strong> inversem<strong>en</strong>t. Dans le Livre <strong>de</strong>s Rois <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong>Testam<strong>en</strong>t, le prophète Élie, alors qu'il est <strong>en</strong> compagnie d'Élisée, est <strong>en</strong>levé au ciel <strong>dans</strong>un tourbillon. Dans Écritures, il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t « aurifié », couvert d’or, « volatil », « pouraccé<strong>de</strong>r aux cieux » (E : 212). Là <strong>en</strong>core, il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t volatil, parce qu’il s’est « volatilisé ».« Volatil » caractérise aussi <strong>dans</strong> l’écriture du poète l’origine du mon<strong>de</strong> : « L’œufse brise <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong> apparait, volatil » (E : 311) ; certes, <strong>de</strong> l’œuf ne peuv<strong>en</strong>t éclore que<strong>de</strong>s poussins, ou tout autres p<strong>et</strong>its volatiles ; mais il y a bi<strong>en</strong> l’idée aussi d’un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’origine éphémère, fugace, tourné irrémédiablem<strong>en</strong>t vers sa chute : « Après la chute <strong>de</strong>scorps le vi<strong>de</strong> inversé ».« Volatil » s’associe alors sémantiquem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> phonétiquem<strong>en</strong>t avec « subtil » :« Où nul n’a vu l’alcyon, intermédiaire/ Volatil, mais trop subtil pour être aperçu : Oiseauqui d’un coup d’aile atteint le paradis. » (E : 512). L’alcyon, oiseau mythologique estintermédiaire à plusieurs titres : intermédiaire au même titre que le cheval, qui véhicule10 Article « volatil », Le Robert Dictionnaire historique (dir. Par Alain Rey), p.4116.7
les messages universels, mais aussi <strong>en</strong>tre le mo<strong>de</strong> réel <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fable : si on nel’a pas vu, ce n’est pas qu’il n’existe pas mais qu’il est subtil. Intermédiaire « volatil »,<strong>en</strong>tre les <strong>oiseaux</strong> <strong>et</strong> la divinité égalem<strong>en</strong>t puisqu’il atteint le Paradis, <strong>dans</strong> ce poème.« Volatil » mais « trop subtil » <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te subtilité « sous la toile », se tisse bi<strong>en</strong> sûr <strong>dans</strong> l<strong>et</strong>exte volatil, volage, léger <strong>de</strong> celui qui chante les <strong>oiseaux</strong> <strong>et</strong> les cieux.<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> construis<strong>en</strong>t donc un mon<strong>de</strong> intermédiaire, <strong>en</strong>tre les humains <strong>et</strong> lesdivinités, <strong>dans</strong> un syncrétisme religieux propre au poète. Le prototype « oiseau »recouvre d’abord le chant, la voix <strong>de</strong> la louange, il porte le chant universel. Mais il estaussi le symbole <strong>de</strong> la fragilité du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l’instant. Il nous avertit <strong>de</strong> la chute verslaquelle nous courons. Le prototype s’actualise <strong>en</strong>suite <strong>dans</strong> les hyponymes, c’est-à-direles <strong>oiseaux</strong> particuliers que r<strong>en</strong>contre le poète.<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> du jardinDes <strong>oiseaux</strong> que j’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dsJe voudrais dire les noms pour les accor<strong>de</strong>rAux notes. (Louange : 451)<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> pléonastiquem<strong>en</strong>t « volatiles » sembl<strong>en</strong>t saisis <strong>dans</strong> le surgissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>leur chant qui révèle leur prés<strong>en</strong>ce. Deux marqueurs linguistiques <strong>en</strong> sont révélateurs,l’utilisation du prés<strong>en</strong>t d’énonciation, fixé <strong>dans</strong> la date, <strong>et</strong> l’utilisation du démonstratif,r<strong>en</strong>forcé par le prés<strong>en</strong>tatif ; les sonn<strong>et</strong>s <strong>de</strong>s p. 46 <strong>et</strong> 47 <strong>en</strong> sont exemplaires :« Pourquoi sous le ciel, soudain, c<strong>et</strong>te effervesc<strong>en</strong>ce », où on pourra releverl’allitération <strong>en</strong> [s], suggestive <strong>de</strong> ces mouvem<strong>en</strong>ts. La réponse est donnée <strong>dans</strong> lesurgissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la vision : « ce sont les étourneaux pilleurs / Qui à coup d’ailes <strong>et</strong> dugosier r<strong>et</strong><strong>en</strong>tiss<strong>en</strong>t » (E : 461). Pourtant le son crée la vision, <strong>et</strong> le surgissem<strong>en</strong>t du criperm<strong>et</strong> aussi <strong>de</strong> recomposer le tableau :Ce staccato, c’est le pivertQui, par sacca<strong>de</strong>s, du bec explore le boisDu prunier. Ces accrocs sonores ce sont ceuxDe l’air au cri <strong>de</strong> la corneille. C<strong>et</strong>te noteAigüe au zénith c’est la buse qui l’ém<strong>et</strong>. […]Le coucou se ti<strong>en</strong>t caché <strong>dans</strong> l’ombre : on le saitLà parce qu’on l’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du chanter trois fois. (E : 47 2)Ce poème est bi<strong>en</strong> poème <strong>de</strong> circonstance : il rassure <strong>dans</strong> la reconnaissance d’ununivers familier auditif. Savoir les reconnaître à l’oreille comme à la vue fait partie <strong>de</strong> ce8
savoir que l’on se transm<strong>et</strong>tait, à la campagne. Il marque l’attachem<strong>en</strong>t à la nature, àl’héritage terri<strong>en</strong>. Dans Écritures, apparaiss<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t peu d’<strong>oiseaux</strong>. Il s’agit <strong>de</strong>s<strong>oiseaux</strong> familiers <strong>de</strong> nos jardins, ils font le li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre le conting<strong>en</strong>t <strong>et</strong> l’universel.Quelques données quantitativesCe recueil comme les précé<strong>de</strong>nts, étant un journal <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s, les <strong>oiseaux</strong> yapparaiss<strong>en</strong>t au fil <strong>de</strong>s saisons. Par ordre d’apparition sur l’année 2001 :- Le rouge-gorge : d’abord appelé par son nom sci<strong>en</strong>tifique, parcourt l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>la liturgie. Il apparait <strong>dans</strong> 14 sonn<strong>et</strong>s.- Le moineau : 1 occurr<strong>en</strong>ce.- La pie : 12 sonn<strong>et</strong>s- <strong>Les</strong> palombes : 9 sonn<strong>et</strong>s- La corneille : 17 sonn<strong>et</strong>s- Le pinson : 4 sonn<strong>et</strong>s.- Le merle : 13 sonn<strong>et</strong>s.- <strong>Les</strong> étourneaux : 7 sonn<strong>et</strong>s.- L’effraie : 3 sonn<strong>et</strong>s.- Le coq : 4 sonn<strong>et</strong>s.- L’alou<strong>et</strong>te : 1 sonn<strong>et</strong>- Le rouge-queue :1sonn<strong>et</strong>- La mésange : 11 sonn<strong>et</strong>s- Le coucou : 4 sonn<strong>et</strong>s- La tourterelle : 5 sonn<strong>et</strong>s- La buse : 7sonn<strong>et</strong>s- Le pivert : 13 sonn<strong>et</strong>s- <strong>Les</strong> hiron<strong>de</strong>lles : 2 sonn<strong>et</strong>s- La fauv<strong>et</strong>te : 3 sonn<strong>et</strong>s- Le chardonner<strong>et</strong> : 3 sonn<strong>et</strong>s- Une bergeronn<strong>et</strong>te : 1 sonn<strong>et</strong>- Le geai : 7 sonn<strong>et</strong>s- La chou<strong>et</strong>te : 5 sonn<strong>et</strong>s- Le troglodyte : 3 sonn<strong>et</strong>s- <strong>Les</strong> aigles : 1 sonn<strong>et</strong>9
- La cigogne : 1- Le corbeau ou freux : 2 sonn<strong>et</strong>s- La colombe : 1 sonn<strong>et</strong>- L’épervier : 1 sonn<strong>et</strong>- Un hibou : 1 sonn<strong>et</strong>-<strong>Les</strong> pigeons : 3 sonn<strong>et</strong>s.Ces <strong>oiseaux</strong> particuliers sont généralem<strong>en</strong>t déterminés par l’article défini, le plussouv<strong>en</strong>t au singulier. L’article défini peut avoir différ<strong>en</strong>tes valeurs sémantiques : il peutavoir un s<strong>en</strong>s spécifique par rapport à l’énonciation, ou au contexte. Ainsi le poème 132m<strong>et</strong> <strong>en</strong> scène le rouge-gorge du jardin : « le jardin s’est mis sous la neige avec ses fleurs :[…] Sur sa brindille, c’est le rouge-gorge qui / Change <strong>en</strong> musique son territoire ». « Le »du jardin correspond à mon jardin, à celui du poète, comme il est d’usage <strong>en</strong> français, <strong>et</strong>le « le » du rouge-gorge correspond au rouge-gorge du jardin, celui qui a marqué sonterritoire. On pourra même aller jusqu’à dire <strong>dans</strong> ce cas précis que le rouge-gorge estl’élém<strong>en</strong>t unique <strong>de</strong> sa catégorie, puisqu’il a su marquer son territoire.Au poème 111, le tableau joue <strong>de</strong> la valeur générique : la ronce, l’ordure, les graffiti, larose, ou le rouge-gorge sont les élém<strong>en</strong>ts d’une liste. Ils ne réfèr<strong>en</strong>t pas à <strong>de</strong>s individusi<strong>de</strong>ntifiés. On peut égalem<strong>en</strong>t supposer que <strong>de</strong>s images vues lors du voyage <strong>en</strong> train ontsuscité le choix du défini. D’une manière générale, R. Marteau joue sur c<strong>et</strong>te t<strong>en</strong>sion<strong>en</strong>tre spécifique <strong>et</strong> générique.On relève égalem<strong>en</strong>t quelques occurr<strong>en</strong>ces d’indéfinis :« Un rouge-gorge qui chante requiert toute l’att<strong>en</strong>tion », (E : 1202) ; le déterminantmarque ici le côté générique <strong>et</strong> r<strong>en</strong>voie à la classe du rouge-gorge.« Une palombe », <strong>en</strong> 282, <strong>en</strong> revanche évoque une palombe particulière, indéfinie ;l’article y est spécifique. Cela parait cohér<strong>en</strong>t pour un oiseau plus grégaire que le rougegorge.<strong>Les</strong> palombes vivant <strong>en</strong> colonies, on trouve <strong>de</strong> la même manière le pluriel : « <strong>de</strong>spalombes » où l’article joue pleinem<strong>en</strong>t son rôle d’indéfini. Je m’arrête peut-être justesur la corneille, chère, à Robert Marteau 11 : la corneille noire vit <strong>en</strong> couples territoriauxquand elle est adulte, <strong>en</strong> ban<strong>de</strong> pour les juvéniles. Ce qui explique qu’il y ait <strong>de</strong>soccurr<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> singulier <strong>et</strong> <strong>de</strong> pluriel. Sur les 17 sonn<strong>et</strong>s, 10 « corneilles » sont11 R. Marteau, Guillermo Arizta, Ce que corneille crie, 30 sonn<strong>et</strong>s, Lithographies, Champ Vallon, 1989.10
déterminées par l’article singulier. Le glissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la valeur spécifique à la valeurgénérique est égalem<strong>en</strong>t caractéristique :La corneille au milieu <strong>de</strong>s fleurs est comme un vaseRituel posé là pour l’office du soir.Hiératique <strong>et</strong> noble, immobile <strong>et</strong> noire, elleEst aussi l’officiant. […]Elle extirpe du bec quelque chose qui estDans la terre <strong>et</strong> elle <strong>en</strong> ingurgite un morceau.Maint<strong>en</strong>ant majestueuse elle marche sousLe cerisier pareil à une giboulée. (E : 22 2)L’adverbe « maint<strong>en</strong>ant » <strong>et</strong> les verbes d’action au prés<strong>en</strong>t plac<strong>en</strong>t la corneille <strong>dans</strong>l’instant <strong>de</strong> la vision. Mais les adjectifs lui confèr<strong>en</strong>t un autre statut que celui <strong>de</strong> simpleoiseau du jardin : « hiératique, noble, majestueuse », elle est divine prêtresse <strong>et</strong> ledéterminant pr<strong>en</strong>d la valeur générique du symbole :Elle va certainem<strong>en</strong>t écrire ses p<strong>en</strong>séesÀ l’<strong>en</strong>cre viol<strong>et</strong>te avant <strong>de</strong> parapherLa page comme si c’était l’Apocalypse.Peut-être plus n<strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, elle atteint c<strong>et</strong>te dim<strong>en</strong>sion symbolique <strong>en</strong> 1621 :C’est le paysQui me remonte à la mémoire, où la corneilleSe déploie <strong>en</strong> ét<strong>en</strong>dard glorieux à l’heureLa plus creuse où plus ri<strong>en</strong> nulle part ne résonne.Dans ce poème <strong>de</strong> l’abs<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> du sil<strong>en</strong>ce, la corneille est traitée non pas comme oiseauindividuel <strong>et</strong> familier mais comme représ<strong>en</strong>tant d’un imaginaire symbolique,apocalyptique. Ce symbole revi<strong>en</strong>t <strong>dans</strong> les vers du poème 1411 :Le ciel grince sur ses gonds : ce sont les corneillesÀ la charnière du mon<strong>de</strong> comme à la roueQui s’<strong>en</strong>courag<strong>en</strong>t.Par synecdoque, la corneille se limite assez souv<strong>en</strong>t à son cri : (422, 442, 1272), « lebruit » (632), le huchem<strong>en</strong>t (1042), « ce que la corneille chante » (1701). Le son, le cri, lechant actualis<strong>en</strong>t la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’espèce plus que d’un animal. Ainsi quand la corneilleest vue, c’est plutôt le pluriel qui la détermine : « <strong>de</strong>s corneilles sans <strong>en</strong> avoir l’airépi<strong>en</strong>t » (1651), seule occurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’indéfini pour c<strong>et</strong> oiseau.L’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> déterminant peut faire basculer du nom commun au nom propre : l<strong>en</strong>om d’oiseau <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t au s<strong>en</strong>s propre, vocatif :Pie <strong>en</strong> haut du bouleau qui jappes11
N’es-tu pas là aussi pour confirmer mes dires,Et <strong>de</strong> ta plume signer <strong>en</strong> bas <strong>de</strong> la page ? (E : 169 1).La pie apparait comme un double du poète ; ce que montre l’étu<strong>de</strong> (rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> nonexhaustive) <strong>de</strong>s déterminants est la t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre le perçu, visuel ou sonore <strong>et</strong>l’affabulation, la mise <strong>en</strong> fable <strong>dans</strong> un imaginaire personnel, mythique, <strong>et</strong> poétique.La restitution <strong>de</strong> la perceptionLe poème nous donne à voir <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> ; il y a <strong>de</strong> nombreuses <strong>de</strong>scriptions tout au long<strong>de</strong>s recueils <strong>de</strong>s Liturgies ; je ne revi<strong>en</strong>s ni sur le rouge-gorge ni sur la corneille ; lisonsces quelques vers sur le merle :Le merle s’est mis sur une branche : il se ti<strong>en</strong>tLà, immobile, bec au v<strong>en</strong>t, à regar<strong>de</strong>r<strong>Les</strong> roses rouges, les feuilles jaunes <strong>en</strong> tas.Après il <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d sur le pré que le soleilRepeint <strong>en</strong> vert <strong>et</strong> qu’il décore d’ombres bleues. (E : 168 1)L’apparition <strong>de</strong> l’oiseau crée l’événem<strong>en</strong>t, il attire l’att<strong>en</strong>tion, perm<strong>et</strong> d’ouvrir pluslargem<strong>en</strong>t sur le décor, <strong>et</strong> <strong>de</strong> déboucher sur une réflexion métaphysique ; <strong>en</strong>l’occurr<strong>en</strong>ce sur les valeurs du christianisme <strong>dans</strong> ce poème.Par exemple <strong>en</strong> 1631, le poète nous fait ress<strong>en</strong>tir ce qu’il perçoit <strong>de</strong> sa prom<strong>en</strong>a<strong>de</strong>le mardi 20 novembre 2001 :d’abord la vision panoramiqueL’ager 12 se défait <strong>en</strong> feuilles jaunes qui vêt<strong>en</strong>tD’une toison d’or l’ornière <strong>et</strong> la ligne verte.Ce qu’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, c’est l’aboiem<strong>en</strong>t d’un chi<strong>en</strong> <strong>et</strong> c’estL’appel intermitt<strong>en</strong>t d’une corne <strong>de</strong> chasse.Parallèlem<strong>en</strong>t à ce qu’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, il y a ce qu’on voit, comme élém<strong>en</strong>t qui modifie l<strong>et</strong>ableau :Le merle mu<strong>et</strong> d’un coup d’ailes se transporteD’un roncier à un amas d’épines. (…]Un troglodyte vaPar sacca<strong>de</strong>s d’un bord à l’autre du s<strong>en</strong>tier,Bascule, crépite <strong>en</strong> disparaissant. 163 1Et le regard <strong>de</strong> l’horizon initial s’arrête sur un point focal :Un arbreMort s’agrippe au ciel <strong>et</strong> le tire vers la terre.12 Ager : territoire, domaine médiéval. Le champs, <strong>en</strong> latin.12
L’hypothèse que j’aimerais formuler est que le sonn<strong>et</strong> est un espace <strong>de</strong>représ<strong>en</strong>tation, un cadre, un tableau. Dans ma première interv<strong>en</strong>tion, j’ai cherché àmontrer comm<strong>en</strong>t la pie y trouvait sa place. Posons que le sonn<strong>et</strong> est un arbre <strong>et</strong> quel’oiseau y soit placé : c’est <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te optique que j’ai regardé où était situé l’oiseau <strong>en</strong>tant que position métrique. Mais j’aurais peut-être dû regar<strong>de</strong>r le vers, <strong>et</strong> créer unespace à <strong>de</strong>ux dim<strong>en</strong>sions, pour voir où se positionn<strong>en</strong>t les <strong>oiseaux</strong> <strong>dans</strong> le tableau. Unaxe vertical gradué <strong>de</strong> 1 à 14, <strong>et</strong> un horizontal <strong>de</strong> 1 à 12. Le sonn<strong>et</strong> cité précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>ts’y prête assez bi<strong>en</strong>.L’agerle mer leron cier D’é pi nestro glo dy tearbr<strong>et</strong>erreEn arrière-plan, l’ager ; le regard est dirigé vers l’horizon, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te, à l’écoute ; puis leregard est attiré par le merle, à gauche <strong>dans</strong> l’espace visuel, qu’il traverse, pour ser<strong>et</strong>rouver à droite. Le regard est alors attiré par le troglodyte, qui vol<strong>et</strong>te, <strong>et</strong> le poème seclôt sur les racines <strong>de</strong> l’arbre, à droite. Le tableau s’est donc construit <strong>de</strong> haut <strong>en</strong> bas, <strong>de</strong>gauche à droite.Par ailleurs, j’ai remarqué que le rouge-gorge arrivait <strong>de</strong> manière très récurr<strong>en</strong>te<strong>en</strong> fin <strong>de</strong> vers, plutôt à droite <strong>de</strong> l’arbre, ou du tableau ; la pie, les étourneaux vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tplutôt à gauche ; le coucou se cache au milieu du vers. La démarche est assez intuitive, <strong>et</strong>peut être le mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la parole prime le cors<strong>et</strong>age du sonn<strong>et</strong>.13
Le poème nous donne aussi à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre les <strong>oiseaux</strong> <strong>dans</strong> le grand concert dumon<strong>de</strong> sur « tous ces ceps alignés ce sont les portées / Musicales dont la partition estfaite. » (T. O, 421).Pourquoi, tout ce matin, un tel concert d’<strong>oiseaux</strong> ?Batteurs <strong>et</strong> concasseurs, <strong>et</strong> percussionnistes :Buses, corneilles, geais, pics : les uns ét<strong>en</strong>dardsEntre la terre <strong>et</strong> les cieux, les autres cachésDans la forêt. (E : 123 1)On sera s<strong>en</strong>sible aux allitérations <strong>en</strong> consonnes occlusives : [p], [b], [t], [k], [d],r<strong>en</strong>forcées par la sonore [r], qui ferme les syllabes <strong>et</strong> crée une caisse <strong>de</strong> résonance,adoucie par la sour<strong>de</strong> : [s], Le jeu <strong>de</strong>s occlusives bi-labiales [b], [d] ou apico-<strong>de</strong>ntale [t]<strong>en</strong> début <strong>de</strong> mot cré<strong>en</strong>t un eff<strong>et</strong> sec, percutant, alors que le poète parcourt la gammechromatique <strong>de</strong>s voyelles : a, e, i, o, u, ou, toutes se trouvant à un mom<strong>en</strong>t ou à un autreacc<strong>en</strong>tuées par le jeu <strong>de</strong>s répétitions.Chacun semble avoir son instrum<strong>en</strong>t <strong>et</strong> le poète aime à les convoquer :Percussions <strong>de</strong> la pie qui jacasse ou qui craqu<strong>et</strong>te, le merle est à la flûte, tout au long dumois <strong>de</strong> juin (p.41-66), tout comme la mélodieuse fauv<strong>et</strong>te, alors que les étourneauxsiffl<strong>en</strong>t comme on siffle au théâtre ; le coq chante souv<strong>en</strong>t par 3 fois, comme le ditl’Évangile, la buse ém<strong>et</strong> une note aigüe, la tourterelle roucoule, le chardonner<strong>et</strong> secoueses grelots. Mais c’est à r<strong>en</strong>dre le staccato du pivert, que Robert Marteau pr<strong>en</strong>d un vifplaisir :ce staccato, c’est le pivert/ Qui, par sacca<strong>de</strong>s, du bec explore le bois, 47 2 , 14/6/2001cacophonie / <strong>de</strong>s pics qui, dit-on nous annoncerai<strong>en</strong>t la pluie, 72 2 , 16/07/01le pic tape du bec, 74 2 , 9/07/2001Ce fracas que font <strong>dans</strong> l’air les <strong>oiseaux</strong> : pics, pies, / Geais <strong>et</strong> autres tracassiers : c’estaussi musique, 87 1 , 6/08Seul peut-être le pic noirSe ti<strong>en</strong>t à l’ouvrage auscultant du bec l’écorce,Encore au vacarme accordant son staccato. 89 1 , 10/08/2001.Dans ce relevé incompl<strong>et</strong> <strong>de</strong> citations, l’oreille est saisie par l’importance <strong>de</strong>s [k], <strong>de</strong>s [r],<strong>et</strong> le souci d’harmonie imitative lorsqu’il s’agit du pivert est perceptible immédiatem<strong>en</strong>t.D’autres eff<strong>et</strong>s plus subtils peuv<strong>en</strong>t être relevés <strong>dans</strong> Écritures, comme on pourrait lefaire <strong>dans</strong> les autres recueils : pour le pinson, le poète joue <strong>de</strong>s fricatives [l], [f], [v], [s],[z], [ʒ]:Au jardin, comme au verger le pinsonS’essaie à louer <strong>dans</strong> une langue nouvelleLe soleil asc<strong>en</strong>dant chaque matin plus haut14
Chaque soir qui roule <strong>et</strong> tombe <strong>dans</strong> les confins.Lilas <strong>dans</strong> l’allée a repris au vin sa lie :Il a passé le jour, il passera la nuit (E : 23 1)Au niveau <strong>de</strong>s voyelles, le poète joue <strong>de</strong>s nasales [ɛ̃ ], [ɔ̃ ], [ɑ̃ ], plus douces que les voyellesorales <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’alternance <strong>en</strong>tre la plus ouverte [a] <strong>et</strong> la fermée [i], comme pour mimer lebec du pinson. Il y a un jeu là <strong>en</strong>core très s<strong>en</strong>sible sur le travail <strong>de</strong>s sons, qui sembler<strong>en</strong>ouer avec la chanson populaire ; mais le pinson ne fait-il pas partie <strong>de</strong> l’imaginairepopulaire <strong>de</strong>s chanteurs.Un <strong>de</strong>rnier exemple significatif avec la hulotte :Un huchem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> corneilleEn att<strong>en</strong>dant l’appel <strong>de</strong> la hulotte, l’heureDe l’effraie au vol pareil à un froissem<strong>en</strong>tDe soie ou <strong>en</strong>core au souffle comme au susp<strong>en</strong>sQuand un ange passe. (E : 104 2).Le susurrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vol <strong>de</strong> la hulotte est r<strong>en</strong>due par les fricatives (f], [v], [l], [s] <strong>et</strong>l’assonance <strong>en</strong> [ɑ̃ ]. Alors que les occlusives [t], [p] <strong>et</strong> [d] évoqu<strong>en</strong>t le son qui rompt lesil<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nuit, le cri <strong>de</strong> la hulotte matérialisé par l’aperture du [wa] <strong>de</strong> froissem<strong>en</strong>t <strong>et</strong><strong>de</strong> soie, résolu <strong>dans</strong> le [u] <strong>de</strong> souffle.Je m’<strong>en</strong> ti<strong>en</strong>s à ces <strong>de</strong>ux s<strong>en</strong>s pour les <strong>oiseaux</strong>, mais la question <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>s estfondam<strong>en</strong>tale, <strong>dans</strong> l’écriture <strong>de</strong> Robert Marteau, que ce soit la vue, l’ouïe ou même l<strong>et</strong>oucher ou l’odorat. Peut-être plus <strong>en</strong>core <strong>dans</strong> les romans, où la part belle est faite àl’odorat <strong>et</strong> au goût. Peut-être parce que le voir <strong>et</strong> l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sont plus « intellectuels »alors que le goût, le toucher <strong>et</strong> l’odorat plus prosaïques. Et il y a <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te poésie <strong>de</strong>s<strong>oiseaux</strong>, une volonté d’asc<strong>en</strong>sion.L’anthropomorphisation<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> symbolis<strong>en</strong>t les dieux <strong>dans</strong> <strong>de</strong> nombreux poèmes <strong>et</strong> réagiss<strong>en</strong>t comme<strong>de</strong>s hommes. C’est leur état intermédiaire qui leur perm<strong>et</strong> cela. Leur connaissancehéritée <strong>de</strong>s âges leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> se positionner au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s hommes, <strong>dans</strong> l’écriture dupoète. À titre d’exemple, on peut pr<strong>en</strong>dre le sonn<strong>et</strong> 1651 / Jardin <strong>de</strong>s Plantes 1 erdécembre 2001 : « <strong>de</strong>s corneilles sans <strong>en</strong> avoir l’air épi<strong>en</strong>t », « les palombes paraiss<strong>en</strong>tsonger sous l’emprise <strong>de</strong>s nuages / Et <strong>de</strong> la nostalgie. » « <strong>Les</strong> pigeons march<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>gorgés », <strong>et</strong> on p<strong>en</strong>se davantage à <strong>de</strong>s êtres humains à tête <strong>de</strong> pigeons quimarcherai<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s jambes.15
On ne peut pas lire sans une certaine t<strong>en</strong>dresse ces associations animales / humainesqui relèv<strong>en</strong>t du fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la fable ; les <strong>oiseaux</strong> sont affublés <strong>de</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts ; <strong>en</strong>1652, les tourterelles sont <strong>en</strong> émoi, les corneilles s’exclam<strong>en</strong>t ; <strong>en</strong> 1201, le troglodytes’inquiète.Très souv<strong>en</strong>t, le poète leur associe un verbe <strong>de</strong> parole. <strong>Les</strong> comparaisons relèv<strong>en</strong>taussi <strong>de</strong> l’anthropomorphisation : le hibou est ainsi comparé à un flic, p.151, quisurveille, qui gu<strong>et</strong>te.Et puis il y a la dim<strong>en</strong>sion religieuse, ce qui fait que ces <strong>oiseaux</strong> sont <strong>de</strong>s officiants,<strong>de</strong>s prêtres qui assur<strong>en</strong>t le li<strong>en</strong> :La pie est un oiseau noir <strong>et</strong> blanc qui <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dDroit du ciel, fille qu’elle est d’Uranus, <strong>de</strong>mieSœur d’Uranie, Ouranos l’ayant <strong>en</strong>voyéeSur terre parmi les animaux fabuleuxQui viv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>bout, qui sont verticaux <strong>et</strong> parl<strong>en</strong>t. (E : 161 2).Le corbeau est l’attribut d’Apollon <strong>en</strong> 92, <strong>de</strong> Perséphone <strong>en</strong> 111. L’étourneau « avertit /De l’éveil la graine <strong>en</strong>fouie. À la déesse / Oubliée au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la terre, il adresse / Lemessage qu’il a reconstitué. » (E : 122). <strong>Les</strong> tourterelles sont filles <strong>de</strong>s Parqueslorsqu’elles « dévi<strong>de</strong>nt le fil du temps », 482, « La palombe <strong>dans</strong> l’arbre assure sonoffice » <strong>en</strong> 371, les pics sont prophètes <strong>en</strong> leur pays <strong>en</strong> 811. On relèverait <strong>de</strong> nombreusescitations où les <strong>oiseaux</strong> sont comparés à <strong>de</strong>s officiants <strong>dans</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la Liturgie.Par c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> plus précise <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> prés<strong>en</strong>ts <strong>dans</strong> Écritures, je voulaismontrer comm<strong>en</strong>t le quotidi<strong>en</strong> se manifestait ; comm<strong>en</strong>t il était perçu, pour êtr<strong>et</strong>ransc<strong>en</strong>dé. Le poète observe l’oiseau <strong>dans</strong> son jardin, <strong>et</strong> lui donne une valeur religieuse,une valeur <strong>de</strong> symbole. L’oiseau perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> saisir l’instant, <strong>et</strong> les instants mis bouts àbouts form<strong>en</strong>t l’éternité ; les paraboles <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, parce qu’il s’agit parfois <strong>de</strong> cela,perm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> passer du réel à l’absolu, du prés<strong>en</strong>t à l’immémorial, <strong>de</strong> l’être à latransc<strong>en</strong>dance.L’oiseau comme symboleDans la cosmogonie <strong>de</strong> Robert Marteau, au départ, il y a l’œuf. On peut s’<strong>en</strong> référer aupoème 631. De là éclot l’oiseau originel, celui qui a appris les langues à l’humain <strong>et</strong> auxdieux. Marteau s’<strong>en</strong> réfère ainsi à la pièce d’Aristophane intitulée <strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong>. Si l’idée, le16
thème parcour<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nombreux sonn<strong>et</strong>s, le poète revi<strong>en</strong>t explicitem<strong>en</strong>t sur la question<strong>dans</strong> la préface au Parlem<strong>en</strong>t volatil :Le mon<strong>de</strong> où nous vivons, dont nous sommes, est le mon<strong>de</strong> qu’il est parce queexpulsé du divin dont il gar<strong>de</strong> pourtant la trace, <strong>et</strong> la marque, que transm<strong>et</strong> la mémoire,mère <strong>de</strong>s muses volatiles, lesquelles premièrem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> primitivem<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t, commeme l’a fait connaître Jean-Paul Savignac, neuf <strong>oiseaux</strong> 13 .R. Marteau s’étonne que les neuf <strong>oiseaux</strong> ne sont pas <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> que l’on qualifierait<strong>de</strong> « mélodieux » <strong>et</strong> pourtant, « les Grecs n’ont cessé d’affirmer que leur langue leur avaitété <strong>en</strong>seignée par les <strong>oiseaux</strong>, affirmation que nous trouvons r<strong>en</strong>ouvelée chezAristophane <strong>en</strong> sa comédie justem<strong>en</strong>t intitulée les Oiseaux lesquels avai<strong>en</strong>t même auxdieux fait connaître la langue du ciel, ce qui signifierait qu’ils les aurai<strong>en</strong>t précédé <strong>dans</strong>la création, ainsi introduisant que lesdits dieux aurai<strong>en</strong>t eux-mêmes été créés – <strong>et</strong> nonpoint <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drés, la Révélation <strong>de</strong> l’unique <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dré allant être le fait <strong>de</strong> l’épiphaniechréti<strong>en</strong>ne ou christique. 14 » Autant dire que les <strong>oiseaux</strong> sont inscrits dès leur origine<strong>dans</strong> une création magique <strong>et</strong> fabuleuse. L’oiseau incarne un <strong>en</strong>tre-<strong>de</strong>ux, un hors dutemps, pourtant tangible <strong>et</strong> toujours là.De l’âme à l’ange<strong>Les</strong> référ<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> Robert Marteau sont nombreuses <strong>et</strong> révèl<strong>en</strong>t une profon<strong>de</strong>érudition. <strong>Les</strong> poèmes sur les <strong>oiseaux</strong>, s’ils part<strong>en</strong>t d’observations, se nourriss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ceslectures, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mises <strong>en</strong> réseaux sémantiques. Le poète repr<strong>en</strong>d fréquemm<strong>en</strong>t lesmythes bibliques, Noé <strong>et</strong> le déluge notamm<strong>en</strong>t. Des Évangiles, il évoque saint Luc, où onn’a que peu <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces aux <strong>oiseaux</strong> ; néanmoins, l’oiseau est un animal <strong>de</strong> valeurpuisqu’il est sacrifié pour les hommes, <strong>dans</strong> les rites ; l’oiseau a déjà quelque chose <strong>de</strong>christique, <strong>et</strong> quarante jours après la naissance <strong>de</strong> Jésus, les par<strong>en</strong>ts sacrifi<strong>en</strong>t « <strong>de</strong>uxtourterelles <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux jeunes colombes » 15 , selon la coutume juive. L’oiseau est par ailleursévoqué comme un animal proche <strong>de</strong> Dieu :Regar<strong>de</strong>z les <strong>oiseaux</strong>.Ils ne sèm<strong>en</strong>t ni ne moissonn<strong>en</strong>t,N’ont ni cave ni gr<strong>en</strong>ier. Cep<strong>en</strong>dantDieu les nourrit. Et ne valez-vous pasBeaucoup plus que les <strong>oiseaux</strong> ? 1613 Geoffrey Chaucer, Le parlem<strong>en</strong>t volatil, op.cit., p.11.14 Ibid., p.12.15 Évangile selon Saint Luc, in <strong>Les</strong> Quatre Évangiles <strong>et</strong> les Actes <strong>de</strong>s apôtres (trad. <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Beaumont),Fayard-Mame, 1975, p.204.16 Lc 12. 14, ibid, p.246.17
L’homme est au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’échelle <strong>dans</strong> la vision chréti<strong>en</strong>ne, mais l’oiseau yconserve sa force symbolique ; insouciant mais protégé, bi<strong>en</strong> que :À quoi comparer le royaume <strong>de</strong> DieuEt comm<strong>en</strong>t vous ai<strong>de</strong>r à vous le représ<strong>en</strong>ter ?Ce royaume est pareil à une graine <strong>de</strong> moutar<strong>de</strong>Qu’un homme pr<strong>en</strong>d <strong>et</strong> plante <strong>dans</strong> son jardin.La graine pousse. Elle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t un arbusteEt les <strong>oiseaux</strong> repos<strong>en</strong>t <strong>dans</strong> ses branches. Lc 13, 28.<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> s’associ<strong>en</strong>t au paradis terrestre ; l’image <strong>de</strong> St François d’Assise, àl’écoute <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> fait aussi partie <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>ces du poète. Dans l’imaginaire collectifchréti<strong>en</strong>, la verticalité <strong>de</strong> l’oiseau le conduit à aspirer à la divinité. Farid-ud-Din'Attar,poète soufiste du XII e siècle, ne raconte pas autre chose <strong>dans</strong> la Confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong> 17 .C’est la Huppe qui a chanté la reine <strong>de</strong> Saba à Salomon, qui convoque les <strong>oiseaux</strong> pourgagner le ciel :Et toi, bergeronn<strong>et</strong>te, ô bergère <strong>de</strong>s âmes, que ta flûte flu<strong>et</strong>te annonce l’aube neuve <strong>et</strong> leréveil <strong>de</strong> Dieu ! C’est l’art du musici<strong>en</strong> que d’accor<strong>de</strong>r son chant au chant du cœur dumon<strong>de</strong>. (p.31)Le perroqu<strong>et</strong>La perdrix : « Salut à toi, perdrix à la marche ondulante ! Escala<strong>de</strong> ce mont où Dieu, làhaut,t’att<strong>en</strong>d, savoure pleinem<strong>en</strong>t le bonheur du chemin, frappe <strong>en</strong>fin du heurtoir auportail <strong>de</strong> lumière, mais pr<strong>en</strong>ds gar<strong>de</strong> à l’orgueil, ton <strong>en</strong>nemi juré. » (p. 32), comparé àSaleh.Le faucon royalLa cailleLe rossignol : « Salut, ô rossignol, toi qui as fait ton nid <strong>dans</strong> le jardin d’amour, toi quel’amour meurtrit <strong>et</strong> qui te plains tout doux ! Chante comme David, chante le chant <strong>de</strong>scœurs que la passion consume. Vois comme à chaque instant c<strong>en</strong>t âmes s’offr<strong>en</strong>t àtoi ! » (p.34)Le paonLe faisanLa tourterelle : « Salut, ô tourterelle intime <strong>de</strong> nos cœurs, toi qui partis cont<strong>en</strong>te <strong>et</strong> t’<strong>en</strong>revins <strong>en</strong> larmes ! Non, je n’ignore pas pourquoi tu te lam<strong>en</strong>tes. Tu gis, les pattes <strong>en</strong>sang, <strong>dans</strong> un cachot semblable à celui que souffrit le prophète Jonas. Oh, ce monstreprofond qui t’emporte <strong>et</strong> te perd ! Sans cesse il te soum<strong>et</strong> à l’avidité folle. (p. 35).La colombeLe gerfautLe chardonner<strong>et</strong> : « Salut, chardonner<strong>et</strong>, vif-arg<strong>en</strong>t, feu foll<strong>et</strong> ! Enflamme, embrase toutjusqu’à l’âme <strong>de</strong>s âmes ! L’ondée <strong>de</strong>s dons divins inon<strong>de</strong>ra ton corps quand tu ne verrasplus autour <strong>de</strong> toi que c<strong>en</strong>dres. Alors tu goûteras les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’Aimé. Tu Luiconsacreras, oiseau parfait, ton être, <strong>et</strong> tu ne seras plus. Ne seras plus que Lui ! (p.36).L’oiseau est ici l’incarnation <strong>de</strong> l’âme, <strong>de</strong> ses défauts, <strong>de</strong> ses errances. Dans l’Évangile,c’est l’animal <strong>de</strong> l’insouciance, l’innoc<strong>en</strong>t, par excell<strong>en</strong>ce, au s<strong>en</strong>s étymologique, « celui17 Farid-ud-Din'Attar, la confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>, trad. d’H<strong>en</strong>ri Gougeaud, Le Seuil, 2002.18
qui ne peut pas nuire ». Robert Marteau se montre plus pragmatique : l’oiseau apparaitcomme un intermédiaire ailé comme les anges, il fait donc partie <strong>de</strong> leur famille.Cela qui fut lié au ciel se délie,Mais selon la loi les nombres à l’infiniS’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t, échelle où nous précè<strong>de</strong>nt les anges,Gui<strong>de</strong>s qu’on voyait, au dire <strong>de</strong>s Écritures,Puis dont on a perdu la trace au cours <strong>de</strong>s âges. (31 2)La seule trace qu’il nous reste est celle <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>. « Chaque étoile est à / Gagner, <strong>de</strong>gré<strong>de</strong> feu qu’a laissé sous son pas / L’archange. » Et Marteau associe au feu, l’œuf, c'est-àdirel’oiseau.Darwin inverséDe manière récurr<strong>en</strong>te, le poète associe les <strong>oiseaux</strong> <strong>et</strong> les anges :À d’autres soleils nos os seront exposés :Flûtes faites pour une autre musique, celleQue les anges par les muses <strong>et</strong> les <strong>oiseaux</strong>Propag<strong>en</strong>t <strong>et</strong> dont nous n’avons eu jusque-làQue l’écho. (E : 117 2 )Syntaxiquem<strong>en</strong>t, on r<strong>et</strong>rouve <strong>de</strong> manière récurr<strong>en</strong>te les syntagmes « les anges <strong>et</strong> les<strong>oiseaux</strong> », comme s’il n’était qu’un. L’équival<strong>en</strong>ce est maint<strong>en</strong>ue par la coordination <strong>dans</strong><strong>de</strong>s réflexions auxquelles on ne s’att<strong>en</strong>d pas :La répartition <strong>de</strong> l’espace n’affecteQue le géomètre, astreint qu’il est aux mesures,Aux conv<strong>en</strong>ances, aux courbes <strong>de</strong> niveau dont<strong>Les</strong> anges <strong>et</strong> les <strong>oiseaux</strong> ne ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas compte. (E : 83 1)Parmi les <strong>oiseaux</strong> les plus proches <strong>de</strong>s anges, les aigles : « Là où est le corps / Sontles aigles, là sont les angles <strong>et</strong> les anges » (1291) ; pour <strong>de</strong>ux raisons, parce qu’ils vol<strong>en</strong>tle plus haut <strong>dans</strong> le ciel, ils sont donc plus près <strong>de</strong>s anges <strong>et</strong> pour le jeu sur les sonorités,qui fait passer d’aigles à angles puis d’angles à anges ; par le même rapport, l’ange estcompris au niveau sonore <strong>dans</strong> la mésange.Aussi la mésange est elle un acrobate du bon Dieu (402), elle est l’esprit du mon<strong>de</strong>lorsqu’elle « escala<strong>de</strong> aussi vite qu’un ange l’arbre du milieu où elle chante », elleproduit :Ces bruits qui cour<strong>en</strong>t nous vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la mésangeVoltigeuse <strong>dans</strong> la viorne <strong>et</strong> le lierre (164 2)<strong>et</strong> la viorne appelle phonétiquem<strong>en</strong>t la viole, l’instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s anges.19
L’idée <strong>de</strong> la chute parcourt toute la p<strong>en</strong>sée chréti<strong>en</strong>ne <strong>et</strong> l’écriture <strong>de</strong> R. Marteau.<strong>Les</strong> hommes non seulem<strong>en</strong>t aurai<strong>en</strong>t côtoyé, <strong>dans</strong> le paradis Originel, les anges <strong>et</strong> les<strong>oiseaux</strong>, mais tous aurai<strong>en</strong>t la même histoire. <strong>Les</strong> hommes aurai<strong>en</strong>t perdu leurs ailes pardéchéance :Je le vois ainsi, m’<strong>en</strong> faisant toute une fableQui a comm<strong>en</strong>cé avant le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t […]<strong>Les</strong> anges ailés <strong>en</strong> haut sur l’échelleEt nous plus <strong>en</strong> bas qui avons perdu nos ailes,Quand à mi-chemin l’oiseau se souvi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cieux. (155 1 )Alors que l’homme connait la déchéance parce qu’il n’a plus d’ailes : Encore nous<strong>de</strong>mandant pourquoi nous avions / Perdu nos ailes (1421 ; voir aussi 1461 <strong>et</strong> 1451].Robert Marteau inscrit donc la chute <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> darwinisme inversé : l’évolution<strong>de</strong>s espèces – <strong>et</strong> nous <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dons bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s <strong>oiseaux</strong>- nous <strong>en</strong>traîne non pas <strong>dans</strong> la survie<strong>de</strong>s meilleures mais vers la perte définitive <strong>de</strong> notre ess<strong>en</strong>ce :Aussi ne soyons pas autrem<strong>en</strong>t étonnésDe r<strong>en</strong>contrer <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> la fableAvant les dieux les <strong>oiseaux</strong> messagers directsDu Père qui a mis par le Souffle le mon<strong>de</strong>Au mon<strong>de</strong>. L’évolution ne les rattache-T-elle pas par ses <strong>de</strong>ux extrémités aux anges,Matière aujourd’hui trop subtile pour nos s<strong>en</strong>sMais que l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>t avait pourtant perçue ? (E : 97 1)Matière subtile, c'est-à-dire volatile <strong>de</strong>s anges que le poète essaie <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver.L’oiseau est donne l’occasion à Robert Marteau <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre à rebours Darwin ; je n’iraipas jusqu’à dire qu’il s’inscrit <strong>dans</strong> une théorie créationniste, mais la récurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>l’évolution, qui court à la chute, nous incite à p<strong>en</strong>ser que le poète s’<strong>en</strong> amuse.L’oiseau comme métaphore du poète<strong>Les</strong> <strong>oiseaux</strong> s’appar<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t aux anges par leurs ailes, <strong>et</strong> il y a un <strong>de</strong>rnier champsémantique qu’il me parait important d’explorer : les ailes, le vol, la plume. Le poète esthomme <strong>de</strong> plume <strong>et</strong> peut s’appar<strong>en</strong>ter aux <strong>oiseaux</strong> ; on se souvi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la pie qui signe <strong>de</strong>sa plume (1691), <strong>et</strong> le poète chante sa par<strong>en</strong>té.C’est son vol comme on dit verba volant <strong>et</strong> qu’ilY a un vol migrateur qu’on voit à traversLa vitre passer puis disparaître. (144 1 )20
<strong>Les</strong> mots aussi vol<strong>en</strong>t <strong>et</strong> peuv<strong>en</strong>t peut-être atteindre à la divinité. Dans l’herbe 18 repr<strong>en</strong>dc<strong>et</strong>te idée-là :Vous savez ce que c’est : les paroles, comme on dit, vol<strong>en</strong>t ; <strong>et</strong> sans qu’on les voie tandisqu’on voie voler l’oiseau ou la mouche, ou le papillon.Autant dire l’importance <strong>de</strong>s mots comme li<strong>en</strong> ; l’importance <strong>de</strong> l’oralité, la nécessité <strong>de</strong>dire, <strong>de</strong> parler pour les hommes <strong>dans</strong> la vie quotidi<strong>en</strong>ne, me sembl<strong>en</strong>t être le messagefort <strong>de</strong> ce roman. Comme par hasard, le poète n’utilise pas la fin <strong>de</strong> ce proverbe « scriptaman<strong>en</strong>t ». Pourtant, l’écriture <strong>dans</strong> Écritures, <strong>de</strong>rnier volume, <strong>de</strong> toute une liturgie,perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> fixer, non pas une vérité, mais les mots qui vol<strong>en</strong>t. On ne saurait assez direcombi<strong>en</strong> Robert Marteau est jongleur <strong>de</strong> mots.De plus, les mots écrits chant<strong>en</strong>t <strong>et</strong> s’inscriv<strong>en</strong>t comme les <strong>oiseaux</strong> <strong>dans</strong> la fable.Pour cela, le rêve poétique consiste à trouver les mots qui s’<strong>en</strong>vol<strong>en</strong>t pour créer lacouleur :Dans la transpar<strong>en</strong>ce absolue à nos yeux chaqueVibration d’une aile ou <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocalesSe propage transmise <strong>en</strong> son intégrité,Semble-t-il, <strong>et</strong> les couleurs mêmes se résolv<strong>en</strong>t,Croirait-on, <strong>en</strong> musique : à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r siCe ne serait pas, offert, le premier <strong>de</strong>gréDe l’éternité là où on voit <strong>en</strong> peintureUn ange volatil jouer sur la violeLa partition dont le v<strong>en</strong>t avait <strong>en</strong>vie. (E : 113 1)Il faut r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong> ces mom<strong>en</strong>ts d’éternité, mom<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> sérénité, où l’oreillehumaine peut saisir les vibrations <strong>de</strong>s ailes <strong>de</strong>s anges. Le poème doit être la résolution<strong>de</strong> la musique par la peinture, <strong>de</strong> la peinture par la musique, sans prét<strong>en</strong>tion, par <strong>de</strong>p<strong>et</strong>its sonn<strong>et</strong>s qui sonn<strong>en</strong>t sans rime ni raison. Si les couleurs se résolv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> musique, ildoit être possible <strong>de</strong> remonter l’équation du mon<strong>de</strong> : m<strong>et</strong>tre la musique <strong>en</strong> couleurs <strong>de</strong>rhétorique, <strong>et</strong> <strong>de</strong> poétique.Reste alors le jeu <strong>de</strong> mots pour m<strong>et</strong>tre <strong>en</strong> réseaux, <strong>et</strong> il me semble que peut-êtr<strong>en</strong>ous n’avons pas assez mis l’acc<strong>en</strong>t sur l’esprit malicieux <strong>de</strong> R. Marteau, sur la subtilité(volatilité) <strong>de</strong>s calembours : « ne jouez pas sur les mots : accé<strong>de</strong>z au s<strong>en</strong>s ; c’est ce qui est<strong>de</strong>mandé » (1291).18 Robert Marteau, Dans l’herbe, Champ Vallon, 2006, p. 54.21