Groupe de recherche sur la responsabilité civile en Europe - Grerca
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<strong>Groupe</strong> <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>Journées stéphanoises26-27 novembre 2009Thème généralLa p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité objectiveNotion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> fauteRapport <strong>de</strong> synthèseJuli<strong>en</strong> BOURDOISEAU, maître <strong>de</strong> confér<strong>en</strong>ces à l’Université François-Rabe<strong>la</strong>is (Tours)Mo<strong>de</strong> privilégié <strong>de</strong> dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> charge d’un dommage, <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> estsusceptible d’autoriser l’imputation <strong>de</strong> <strong>la</strong>dite charge <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tête d’un ag<strong>en</strong>t pour <strong>la</strong> raison suffisante quel’intéressé a mis <strong>en</strong> danger <strong>la</strong> personne et/ou le patrimoine <strong>de</strong> ses contemporains. Lorsque vi<strong>en</strong>t letemps <strong>de</strong> s’interroger <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir pour quelle raison le poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> réparation doitêtre dép<strong>la</strong>cé, <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime vers <strong>la</strong> personne désignée responsable du dommage, on peut répondre parceque cette <strong>de</strong>rnière est <strong>en</strong> faute, tout autant que parce qu’elle a fait courir un risque. En un mot, parcequ'elle l'a causé ; non pas parce qu'elle est simplem<strong>en</strong>t impliquée, à tout le moins <strong>en</strong> droit <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité. C'est là une « exig<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison » 1 . C’est là un principe <strong>de</strong> base posé par lesPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> (« basic norm », art. 1:101-2) et par le Cadrecommun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce (« basic rule », art. 1:101).« Pour que le dommage soit sujet à réparation, [écrit le jurisconsulte Tarrible] il doit êtrel’effet d’une faute ou d’une impru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> quelqu’un, s’il ne peut être attribué à cette cause,il n’est plus que l’ouvrage du sort dont chacun doit supporter les chances » 2 .Tant que <strong>la</strong> solidarité familiale et paroissiale 3 , qui palliait l’abs<strong>en</strong>ce d’in<strong>de</strong>mnisation, eut uneréalité socio-économique, <strong>la</strong> victime, protégée contre les aléas et contre les dangers, put trouver lesmoy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> sa condition. Mais l’industrialisation et l’exo<strong>de</strong> rural eur<strong>en</strong>t raison <strong>de</strong> ce modèle. Lavictime dut seule, et <strong>sur</strong> un seul patrimoine, assumer cette fatalité.Ripert ne s’émeut pas du sacrifice <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime pour cette raison que le choix <strong>de</strong> sadésignation a été fait par <strong>la</strong> force obscure du <strong>de</strong>stin : <strong>la</strong> victime est élue écrit-il 4 . Selon l’auteur, leshommes sont habitués à se courber <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> fatalité <strong>de</strong> sorte qu’admettre l’action <strong>en</strong> responsabilité, c<strong>en</strong>’est pas attribuer le dommage, c’est <strong>en</strong> modifier l’attribution naturelle. Alors que les qualités d’auteuret <strong>de</strong> victime ont été établies par hasard, par sa seule qualité, <strong>la</strong> victime n’apparaît pas commepréférable à l’auteur 5 .Seulem<strong>en</strong>t le fatalisme est <strong>en</strong> déclin 6 . « Lorsqu’un acci<strong>de</strong>nt a lieu, causant <strong>de</strong> gravesdommages, il faut trouver un responsable et un responsable solvable, c’est-à-dire <strong>en</strong> état <strong>de</strong> réparer ledommage. Il semble, du moins, que ce soit aujourd’hui pour certains magistrats un strict impératif aupoint qu’ils ai<strong>en</strong>t le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> manquer à leur mission s’ils n’<strong>en</strong> trouv<strong>en</strong>t pas un » 7 . Ils y sontd’ailleurs ar<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t invités par <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues plus exigeantes. « Jadis, <strong>la</strong> résignation étaitperçue comme une attitu<strong>de</strong> banale et raisonnable (…). Elle est le fond <strong>de</strong> tout (…) : si l’on ne savait se1 J. Carbonnier, Droit <strong>de</strong>s obligations, 22ème éd., PUF, 2000, n° 213.2 Discours au corps légis<strong>la</strong>tif, Séance du 19 pluviôse An XII (30 janv. 1804). P.-A. F<strong>en</strong>et, Recueil complet <strong>de</strong>s travauxpréparatoires du Co<strong>de</strong> civil, t. 13, Vidocq, 1827, p. 488. V. à ce sujet O. Descamps, Les origines <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pourfaute personnelle dans le Co<strong>de</strong> civil <strong>de</strong> 1804, op. cit., pp. 464-467.3 Autrefois, <strong>la</strong> solidarité était l’expression d’une justice frappant aveuglém<strong>en</strong>t un groupe à raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute commise par l’un<strong>de</strong> ses membres (J.-M. Pontier, De <strong>la</strong> solidarité nationale, R.D.P. 1983, p. 899).4 G. Ripert, La règle morale dans les obligations <strong>civile</strong>s, 4 ème éd., L.G.D.J., 1949, 116, p. 211.5 Ibid. On notera que Ripert s’inscrit dans ces extraits dans une critique systématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie du risque.6 V. not. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, notre thèse, dont plusieurs séries <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>ts sont extraites (L’influ<strong>en</strong>ce perturbatrice dudommage corporel <strong>en</strong> droit <strong>de</strong>s obligations, préf. F. Leduc, Bibl. dr. pr., t. 513, L.G.D.J., à paraître, n os 111, 242 et s.).7 Gaz. Pal. 1958, Chron., p. 46.1
ésigner, on mourrait <strong>de</strong> colère. » 8Mais voilà, « on ne meurt plus <strong>de</strong> colère, parce que <strong>la</strong> colère est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue droit – traquepassionnée du responsable » 9 . Dans cette traque, l’inadaptation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pour faute à <strong>la</strong>fonction <strong>de</strong> réparation <strong>de</strong>s dommages fut dénoncée. Le processus d’objectivation put alorscomm<strong>en</strong>cer. L’heure <strong>de</strong> « l’hyper-fonction » réparation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> sonner.Si les chefs <strong>de</strong> dommage ont été <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>dus aux fins d’une réparation <strong>la</strong> plus parfaitepossible ; si <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> l’équival<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s conditions put être préférée au gré <strong>de</strong>s espèces à celle <strong>de</strong> <strong>la</strong>causalité adéquate, c’est <strong>la</strong> condition du fait générateur qui dut subir les plus ru<strong>de</strong>s assauts <strong>de</strong> <strong>la</strong>jurispru<strong>de</strong>nce. Ultime digue ral<strong>en</strong>tissant le flot <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>en</strong> réparation <strong>de</strong>s dommages subis, <strong>la</strong>prop<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s juges à <strong>la</strong> faire sauter fut remarquable. L’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute était consommée.Nécessaire à l’in<strong>de</strong>mnisation mais insuffisante, les victimes à peine rassasiées <strong>de</strong>mandèr<strong>en</strong>t uneobjectivation à plus <strong>la</strong>rge spectre. Le légis<strong>la</strong>teur et le juge leur accordèr<strong>en</strong>t le bénéfice d’uneobjectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité.On songea un temps à prononcer l’oraison funèbre <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute et <strong>de</strong>s régimes <strong>de</strong> responsabilitésubjective. Pourtant, écrit à raison Philippe Pierre, « le statut <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>civile</strong> relève plus d’une loicyclique que d’un affaissem<strong>en</strong>t régulier. En contrepoint <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, c’est plutôt <strong>la</strong> vigueur nouvelle<strong>de</strong> <strong>la</strong> faute que soulign<strong>en</strong>t nombre <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>tateurs, évoquant tantôt sa « r<strong>en</strong>aissance », tantôt sa« ver<strong>de</strong>ur » retrouvée, me<strong>sur</strong>able par une résistance perceptible au sein <strong>de</strong>s régimes <strong>de</strong> responsabilité<strong>de</strong> plein droit ». Cette résistance est égalem<strong>en</strong>t un trait remarquable <strong>de</strong>s projets europé<strong>en</strong>s soumis àexam<strong>en</strong>. L’appréciation <strong>de</strong> l’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute (I) et l’appréh<strong>en</strong>sion <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dansl’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité (II) l’attest<strong>en</strong>t.I – De l’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fauteL’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute est à double dét<strong>en</strong>te. Elle passe par l’accommodation <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion<strong>de</strong> faute (A) et par <strong>la</strong> facilitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute (B).A) L’accommodation <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> fauteL’accommodation <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion a trait, d’une part, à <strong>la</strong> définition <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute (1), d’autre part, àl’appréciation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute (2).1) La définition <strong>de</strong> <strong>la</strong> fauteEn 1804, les rédacteurs du Co<strong>de</strong> napoléoni<strong>en</strong> scell<strong>en</strong>t à l’article 1382 un principe fondam<strong>en</strong>taldu droit français – fondateur du droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité – <strong>de</strong>puis lors consacré par le Conseilconstitutionnel 10 . Dans une formu<strong>la</strong>tion générale, ils pos<strong>en</strong>t que « Tout fait quelconque <strong>de</strong> l’homme,qui cause à autrui un dommage, oblige celui par <strong>la</strong> faute duquel il est arrivé, à le réparer ».Les codificateurs ont une conception subjective <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité. L’imputation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<strong>de</strong> réparation <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> l’auteur du dommage suppose une analyse introspective <strong>de</strong> soncomportem<strong>en</strong>t. L’objet <strong>de</strong> cette analyse est connu : il s’agit <strong>de</strong> vérifier si l’ag<strong>en</strong>t a agi <strong>en</strong> consci<strong>en</strong>ce ;autrem<strong>en</strong>t dit, <strong>en</strong> homme libre <strong>de</strong> ses faits et gestes 11 . L’axiome posé par <strong>la</strong> doctrine unanime est le8 J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous <strong>la</strong> V e République, éd. F<strong>la</strong>mmarion, 1996, réimpr. 2006, p. 150.9 Ibid.10 Cons. const., 22 oct. 1982, D. 1983, Jur., p. 189, note F. Luchaire ; Gaz. Pal. 1983, 1, 60, obs. F. Chabas. Le Conseilconstitutionnel rappelle, d’une part, que chacun doit répondre du dommage qu’il cause à autrui, d’autre part, que le droitfrançais ne connaît aucun régime soustrayant à toute réparation le préjudice résultant <strong>de</strong> fautes <strong>civile</strong>s. Dans le même s<strong>en</strong>s :Cons. const., 17 janv. 1989, n° 88-248, Rec. Cons. const., p. 18 ; Les gran<strong>de</strong>s décisions du Conseil constitutionnel par L.Favoreu et L. Philip, Dalloz, 1999, n° 42, p. 732 – Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, J.O. 16 nov. 1999 ; JCP G.2000, I, 280, obs. G. Viney. Ad<strong>de</strong> Ph. Brun, La constitutionnalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pour faute in La responsabilitépour faute, Resp. civ. et as<strong>sur</strong>. 2003, p. 37 ; Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, p.2.11 « La responsabilité <strong>civile</strong> est fondée <strong>sur</strong> une vision humaniste <strong>de</strong> <strong>la</strong> société où chaque ag<strong>en</strong>t social est libre » (Ph. leTourneau, Ver<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> (ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tivité <strong>de</strong> son déclin), RTD civ. 1987, p. 505, spéc. p.506. V. aussi R. Savatier, Comm<strong>en</strong>t rep<strong>en</strong>ser <strong>la</strong> conception actuelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong>, D. 1966, Chron., pp. 151 s.,spéc. n° 3).2
suivant : « Pas <strong>de</strong> responsabilité du fait personnel sans faute (i.e. subjective) ».Dans cette optique, on ne conçoit pas qu’une faute puisse être imputée – <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due reprochée –à un individu dépourvu <strong>de</strong> toute faculté <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t du bi<strong>en</strong> et du mal. Le droit français <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité extracontractuelle n’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong> un comportem<strong>en</strong>t dommageable qu’à <strong>la</strong> condition qu’ilrépon<strong>de</strong> au double critère d’anormalité (élém<strong>en</strong>t objectif) et d’imputabilité (élém<strong>en</strong>t subjectif),<strong>la</strong>quelle peut être définie comme « <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> mettre une sanction au compte d’une personne » 12 .Si, d’av<strong>en</strong>ture, un dommage <strong>sur</strong>v<strong>en</strong>ait sans que le fait dommageable <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne désignée par savictime – bi<strong>en</strong> qu’objectivem<strong>en</strong>t anormal – ne lui soit imputable, résignée, <strong>la</strong> victime <strong>de</strong>vait alorssupporter les conséqu<strong>en</strong>ces personnelles et patrimoniales du dommage souffert. Le dommage causépar un fou, disait Ulpi<strong>en</strong> (si furiosus damnum <strong>de</strong>berit), c’est une tuile qui vous tombe <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tête(quemadmodum tegu<strong>la</strong> ceci<strong>de</strong>rit) 13 . Tournée vers l’auteur du dommage, <strong>la</strong> faute conditionne sa <strong>de</strong>tte<strong>de</strong> réparation 14 . En bref, choisie par le <strong>de</strong>stin, <strong>la</strong> victime supporte seule <strong>la</strong> mauvaise fortune qui <strong>la</strong>frappait 15 .La Cour <strong>de</strong> cassation posait le principe d’irresponsabilité <strong>de</strong>s personnes privées <strong>de</strong> raison <strong>en</strong>ces termes : « par l’emploi <strong>de</strong> l’expression « faute » <strong>la</strong> loi suppose évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t un fait dép<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté ; (...) un ins<strong>en</strong>sé n’ayant pas <strong>de</strong> volonté ne saurait être responsable même <strong>civile</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s faitspar lui accomplis p<strong>en</strong>dant l’état <strong>de</strong> dém<strong>en</strong>ce » 16 . De <strong>la</strong> même manière, au bénéfice <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant, <strong>la</strong> Courrégu<strong>la</strong>trice jugeait que le mineur, ayant dépassé l’âge <strong>de</strong> raison 17 , ne répond à l’égard <strong>de</strong>s tiers <strong>de</strong> sonfait personnel que « s’il a <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> discerner les conséqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s actes fautifs qu’il commet » 18 .La prise <strong>en</strong> charge <strong>de</strong> cette fatalité finit par ne plus être assumée. Ayant pris consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong>sévérité d’une pareille solution, légis<strong>la</strong>teur (L. 3 janv. 1968) et juges (Cass. Ass. plén., 9 mai 1984)fir<strong>en</strong>t montre <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> <strong>en</strong>vers les victimes. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier une faute – condition sine qua non<strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’auteur du dommage – lui ouvrant ainsi <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation 19 , ilss’employèr<strong>en</strong>t à objectiver <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> <strong>la</strong> débarrassant <strong>de</strong> <strong>la</strong> condition d’imputabilité 20 .À l’image <strong>de</strong>s créateurs du Co<strong>de</strong> civil, les rédacteurs <strong>de</strong>s projets europé<strong>en</strong>s ont as<strong>sur</strong>ém<strong>en</strong>t uneconception subjective <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> : le bi<strong>en</strong> fondé <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime du dommageest conditionné à <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> capacité délictuelle <strong>de</strong> son auteur. C’est ce qu’affirme, avec précision,le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce 21 (art. 3.103-1. Comp. art. 5.301). C’est ce que suggèr<strong>en</strong>t, parprétérition, les Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> 22 (art. 4.102-2, acontrario) 23 . Vol<strong>en</strong>s nol<strong>en</strong>s, tout finit immanquablem<strong>en</strong>t par un exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce. Philippe Pierre12 V. G. Cornu (sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>), Vocabu<strong>la</strong>ire juridique, op. cit., v° Imputabilité.13 Référ<strong>en</strong>ce tirée du Cours <strong>de</strong> co<strong>de</strong> napoléon <strong>de</strong> Demolombe, livre troisième, titre quatrième : Des <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts qui seform<strong>en</strong>t sans conv<strong>en</strong>tion, Des contrats ou obligations conv<strong>en</strong>tionnelles <strong>en</strong> général, éd. A. Lahure, Paris, 1882, n° 486, p. 423.14 J. Combacau, La faute est perçue comme <strong>la</strong> condition première d’une rétribution <strong>de</strong>s conduites anormales in Fin <strong>de</strong> <strong>la</strong>faute ?, Revue Droits, 1987.15 Lire à ce sujet R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> aujourd’hui,1 ère série : Panorama <strong>de</strong>s mutations, 3 ème éd., Dalloz, 1964, spéc. p. 333, n° 274.16 Cass. req. 14 mai 1886, S. 1887, 1, 296 ; Cass. req. 21 oct. 1901, D.P. 1901, 1, 524, rapp. Letellier ; Cass. civ., 5 mai 1959,Bull. civ. II, n° 226, « La faute <strong>civile</strong> comme <strong>la</strong> faute pénale implique nécessairem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t » ; Cass. 2 èmeciv., 11 mars 1965, D. 1965, Jur., p. 575, note P. Esmein.17 La jurispru<strong>de</strong>nce "épargnait" les <strong>en</strong>fants <strong>en</strong> bas âge – les infans – d’une quelconque responsabilité appliquant « le principed’incompatibilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute avec l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t ». En ce s<strong>en</strong>s, v. G. Viney et P. Jourdain, Traité <strong>de</strong> Droit civil,Les conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, 2 ème éd., L.G.D.J., 1998, p. 527, n° 582.18 Cass. 2 ème civ., 6 juillet 1978, Bull. civ. II, n° 179, p. 140 ; D. 1979, Inf. rap., p. 69 ; RTD civ. 1979, p. 387, obs. G. Durry.19 La jurispru<strong>de</strong>nce mit à <strong>la</strong> charge du déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> sa folie au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’acte dommageable. La Cour <strong>de</strong>cassation sanctionna égalem<strong>en</strong>t le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur dans les cas où <strong>la</strong> folie était due à sa faute, <strong>en</strong> toute hypothèse à « une fauteantérieure ». Elle définit aussi <strong>de</strong> façon étroite <strong>la</strong> dém<strong>en</strong>ce comme un trouble m<strong>en</strong>tal abolissant totalem<strong>en</strong>t le discernem<strong>en</strong>t,<strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon qu’elle définissait strictem<strong>en</strong>t « l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t ». Fut <strong>en</strong>core recherchée chez le mineur <strong>la</strong>moindre lueur <strong>de</strong> raison afin <strong>de</strong> lui imputer à faute son comportem<strong>en</strong>t, à savoir « un discernem<strong>en</strong>t assez affirmé pour qu’il aitsu distinguer <strong>en</strong>tre un acte involontaire et une int<strong>en</strong>tion coupable, [le mineur n’étant] pas incapable [d’une] prise <strong>de</strong>consci<strong>en</strong>ce qui [permettrait] <strong>de</strong> ret<strong>en</strong>ir une faute à sa charge ».20 Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, p. 6.21 Draft common frame of refer<strong>en</strong>ce, book VI, Non contractual liability arising out of damage caused to another é<strong>la</strong>borés parle Study group on an a <strong>Europe</strong>an civil co<strong>de</strong>, ss. dir. Christian Von Bar, http://www.sgecc.net/22 Principles of european tort <strong>la</strong>w é<strong>la</strong>borés par l’<strong>Europe</strong>an group on tort <strong>la</strong>w, groupe dit <strong>de</strong> Tilburg et <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne.http://www.egtl.org/23 C’est une interprétation que l’on peut avoir <strong>de</strong> l’article 4.102-2 <strong>de</strong>s principes. Quand même ne serait-elle paspartagée, cette disposition invite <strong>en</strong> toute hypothèse à s’interroger <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pertin<strong>en</strong>te du concept <strong>de</strong> faute objective.3
le rappelle : « les considérations psychologiques, chassées lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> l’imputabilité,re<strong>sur</strong>giss<strong>en</strong>t lorsqu’il s’agit d’<strong>en</strong>visager l’autre élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute, l’anormalité du comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><strong>la</strong> personne dépourvue <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t ». En affinant à l’extrême le standard <strong>de</strong> conduite requis, lesPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité interdis<strong>en</strong>t d’imputer à faute son comportem<strong>en</strong>t àl’auteur du dommage, et ce lorsqu’<strong>en</strong> raison <strong>de</strong> l’âge, du handicap m<strong>en</strong>tal ou physique ou lorsqu’<strong>en</strong>raison <strong>de</strong> circonstances extraordinaires, il n’est pas possible d’exiger d’une personne qu’elle s’yconforme.Au vu <strong>de</strong> qui précè<strong>de</strong>, les projets europé<strong>en</strong>s se singu<strong>la</strong>ris<strong>en</strong>t du droit positif français. Ils nesont toutefois pas, à proprem<strong>en</strong>t parler, originaux. En droit comparé, le discernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’auteur dudommage est <strong>en</strong>core exigé dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s pays europé<strong>en</strong>s. La codification étant, par nature, uneœuvre <strong>de</strong> compromis, les rédacteurs se sont, par nécessité, <strong>en</strong> toute vraisemb<strong>la</strong>nce, rangés à <strong>la</strong> pratique<strong>la</strong> plus courante 24 : ex eo quod plerumque fit 25 . Pour autant, il ne s’agirait pas <strong>de</strong> croire que lesrédacteurs <strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité et du Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ceai<strong>en</strong>t consacré un système rigi<strong>de</strong>. Un pareil système aurait été voué aux gémonies. Dans les mêmesconditions, les mêmes causes produis<strong>en</strong>t les mêmes effets : le juge français aurait possiblem<strong>en</strong>t étécontraint <strong>de</strong> déformer <strong>la</strong> faute dans le <strong>de</strong>ssein d’in<strong>de</strong>mniser les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs à l’action <strong>en</strong> réparation,spécialem<strong>en</strong>t les victimes <strong>de</strong> dommages corporels.Aussi, le système est-il bi<strong>en</strong> plutôt mobile, flexible (Bewegliches system). De ce point <strong>de</strong> vue,il est sauf. Mais, il est insuffisamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cadré. De ce second point <strong>de</strong> vue, il porte les fruits <strong>de</strong> sadégénéresc<strong>en</strong>ce. L’appréciation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute n’est pas suffisamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>serrée.2) L’appréciation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fauteUne disposition unique permet au juge d’apprécier <strong>la</strong> capacité délictuelle <strong>de</strong> l’auteur dudommage dans le <strong>de</strong>ssein « d’ajuster » le parangon <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce que se trouve être le bonus paterfamilias, autrem<strong>en</strong>t qualifié <strong>de</strong> « standard <strong>de</strong> conduite requis » (Principes, art. 4.102-1). Le juge estainsi invité à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte l’âge du déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur (dans cette ligne <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée, l’article 3.103-2 duCadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce interdit <strong>en</strong> principe d’actionner <strong>en</strong> réparation un mineur <strong>de</strong> 7 ans), sonhandicap, les circonstances extraordinaires dans lesquelles, <strong>en</strong> toute vraisemb<strong>la</strong>nce, il se trouvaitplongé au jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalisation du dommage 26 .Pour que ce système soit opératoire, c’est-à-dire pour éviter autant que faire se peut touteinelegantia juris, qui ruinerait le projet d’harmonisation <strong>de</strong>s légis<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> l’Union europé<strong>en</strong>ne, ilimporte que les modalités d’ajustem<strong>en</strong>t du standard soi<strong>en</strong>t précisées. Compr<strong>en</strong>ons bi<strong>en</strong> :l’uniformisation du droit civil <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, par <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> codification, serait réduite à peu <strong>de</strong>chose, si chaque interprète du « Co<strong>de</strong> civil europé<strong>en</strong> » définissait ses dispositions, par <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong>jurisdictio, comme bon lui semble 27 . Il ne paraît pas pertin<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser aux juges nationaux <strong>la</strong>possibilité d’appliquer les dispositions <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> leur approche traditionnelle. Il importe au besoin<strong>de</strong> <strong>la</strong> contrarier. Il faut <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière édicter quelques règles d’interprétation <strong>de</strong>s dispositions, une sorte<strong>de</strong> « gui<strong>de</strong>-âne », pour repr<strong>en</strong>dre l’expression du Doy<strong>en</strong> Carbonnier, sans préjudice <strong>de</strong> <strong>la</strong> faculté<strong>la</strong>issée aux hautes juridictions internes <strong>de</strong> contrôler <strong>la</strong> qualification juridique <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute.En premier lieu, il importe <strong>de</strong> s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir si l’ajustem<strong>en</strong>t du standard<strong>de</strong> conduite requis est une faculté <strong>la</strong>issée à l’appréciation souveraine du juge ou une obligation. Sur cepoint, les Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité sont, à proprem<strong>en</strong>t parler, taisants. Pour sapart, le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce est plus explicite. En toute hypothèse, les projets sontcontradictoires. Il s’infère <strong>de</strong>s textes applicables à <strong>la</strong> cause qu’il s’agit d’une faculté, dans le premier24 P. Widmer, ss. dir., Unification of tort <strong>la</strong>w : fault, Comparative report, Kluwer <strong>la</strong>w international, 2005, p. 344 (cite par S.Carval, Notion et role <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans les projets europé<strong>en</strong>s).25 P. Ancel, Rôles respectifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi et du juge dans les projets europé<strong>en</strong>s, journées chambéri<strong>en</strong>nes, spéc. n° 1.26 Sur l’originalité <strong>de</strong> ce modèle d’évaluation, Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, p.8.27 V. égal. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s P. Ancel, Rôles respectifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi et du juge dans les projets europé<strong>en</strong>s, journées chambéri<strong>en</strong>nes, n° 7 :« (…) le développem<strong>en</strong>t pot<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> règles jurispru<strong>de</strong>ntielles diverg<strong>en</strong>tes compromettrait l’harmonisation recherchée ».4
corpus 28 , mais d’une obligation, dans le second 29 . Il serait opportun <strong>de</strong> contraindre le juge <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité à aménager le standard <strong>de</strong> conduite, à peine <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre par trop rigi<strong>de</strong> le dispositif, d’<strong>en</strong>détourner les justiciables et <strong>de</strong> miner, in fine, l’<strong>en</strong>treprise d’uniformisation du droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité<strong>en</strong> <strong>Europe</strong>.En second lieu, pour éviter autant que faire se peut une interprétation hétérodoxe, il n’est pasindiffér<strong>en</strong>t <strong>de</strong> définir une métho<strong>de</strong> d’appréciation du standard <strong>de</strong> conduite requis. Pour cause : <strong>la</strong>question <strong>de</strong> l’appréciation in abstracto ou in concreto est fondam<strong>en</strong>tale dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> techniquedu standard. Au fond, c’est <strong>de</strong> « l’uniformité ou <strong>de</strong> l’individualisation du standard juridique dont ils’agit » 30 .L’option est traditionnellem<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>ux branches : soit on invite le juge à « se référer à un typeabstrait, à un modèle <strong>de</strong> conduite prédéterminé [exclusif] <strong>de</strong> toute prise <strong>en</strong> compte <strong>de</strong>s particu<strong>la</strong>ritésqui affect<strong>en</strong>t <strong>la</strong> personnalité et <strong>la</strong> situation dont il juge <strong>la</strong> conduite » ; soit on prie le juge <strong>de</strong> « pr<strong>en</strong>dre<strong>en</strong> considération toutes les circonstances concrètes, y compris celles qui touch<strong>en</strong>t aux caractères et auxaptitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne dont il analyse le comportem<strong>en</strong>t » 31 . L’option est explicite. Elle est pourtantinconsistante : d’une part, elle est impuissante à expliciter l’article 4.102 <strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droiteuropé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité 32 ; d’autre part, <strong>la</strong> définition <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> l’option n’est pasunanimem<strong>en</strong>t arrêtée <strong>en</strong> doctrine : tantôt <strong>la</strong> définition in abstracto est définie restrictivem<strong>en</strong>t – <strong>en</strong> cetteoccurr<strong>en</strong>ce, lorsque le juge fait référ<strong>en</strong>ce non plus au bonus parter familias mais au professionne<strong>la</strong>visé, il y aurait appréciation in concreto –, tantôt elle l’est <strong>de</strong> manière ext<strong>en</strong>sive.Les mo<strong>de</strong>s d’appréciations sont par trop hétérogènes. Par voie <strong>de</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, leur valeuropérationnelle est <strong>de</strong>s plus re<strong>la</strong>tives. Chacun <strong>de</strong>s juges possiblem<strong>en</strong>t saisis <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute d’un ag<strong>en</strong>trisque d’interpréter librem<strong>en</strong>t le texte applicable à <strong>la</strong> cause. Une semb<strong>la</strong>ble pratique judiciairerisquerait d’empêcher toute t<strong>en</strong>tative <strong>de</strong> conciliation. Aussi bi<strong>en</strong>, dans le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> favoriser <strong>la</strong>compréh<strong>en</strong>sion du standard <strong>de</strong> conduite requis, une grille <strong>de</strong> lecture univoque pourrait être utilem<strong>en</strong>tsuggérée. Dans cette ligne <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée, un auteur a proposé une summa divisio <strong>en</strong> rupture avecl’appréciation binaire c<strong>la</strong>ssiquem<strong>en</strong>t ret<strong>en</strong>ue, mais fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t incertaine. Il s’agirait <strong>de</strong>distinguer l’appréciation intrinsèque <strong>de</strong> l’appréciation extrinsèque du standard. L’appréciationintrinsèque « consiste à rapporter l’objet étudié à un étalon constitué à partir <strong>de</strong> cet objet t<strong>en</strong>u pourunique » 33 . Il s’agit, plus précisém<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> forger l’étalon applicable à partir, tantôt, <strong>de</strong> ce qui est jugénormal par le sujet lui-même (appréciation in concreto subjective), tantôt <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique habituelledudit sujet (appréciation in concreto objective) 34 . L’appréciation extrinsèque consiste à « rapporterl’objet étudié à un étalon constitué à partir ou à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> catégorie d’objets dont il est réputérelever » 35 .L’analyse logique <strong>de</strong>s appréciations possibles est éc<strong>la</strong>irante. Au vu <strong>de</strong> l’article 4.102-1 <strong>de</strong>sPrincipes du droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, l’appréciation intrinsèque du standard <strong>de</strong> conduit<strong>en</strong>’est <strong>en</strong>visagée qu’<strong>en</strong> secon<strong>de</strong> int<strong>en</strong>tion. L’étalon doit, autant que faire se peut, être constitué à <strong>la</strong>28 Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, art. 4.102.29 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.103.30 N. Dejean <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bâtie, Appréciation in concreto et in abstracto <strong>en</strong> droit civil français, préf. H. Mazeaud, Bibl. dr. pr. t. 57,L.G.D.J., 1965, p. 6.31 G. Viney et P. Jourdain, Traité <strong>de</strong> droit civil, Les conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, 3 ème éd., L.G.D.J., 2006, n° 462.32 « (1) Le standard <strong>de</strong> conduite requis est celui qu’aurait adopté une personne raisonnable, p<strong>la</strong>cée dans les mêmescirconstances, et dép<strong>en</strong>d, notamm<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> l’intérêt protégé <strong>en</strong> question, <strong>de</strong> <strong>la</strong> dangerosité <strong>de</strong>l’activité, du savoir-faire qui pouvait être att<strong>en</strong>du <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne <strong>en</strong>gagée dans cette activité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> prévisibilité du dommage,<strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> proximité ou <strong>de</strong> confiance particulière <strong>en</strong>tre les personnes impliquées, ainsi que <strong>de</strong> <strong>la</strong> disponibilité et du coût<strong>de</strong>s me<strong>sur</strong>es <strong>de</strong> protection ou métho<strong>de</strong>s alternatives. »« (2) Le standard précité peut être ajusté lorsqu’<strong>en</strong> raison <strong>de</strong> l’âge, du handicap m<strong>en</strong>tal ou physique ou lorsqu’<strong>en</strong> raison <strong>de</strong>circonstances extraordinaires, il n’est pas possible d’exiger d’une personne qu’elle s’y conforme. »« (3) Les règles prescrivant ou prohibant certaines conduites doiv<strong>en</strong>t être prises <strong>en</strong> considération afin d’établir le standard <strong>de</strong>conduite requis. »33 S. Rials, Le juge administratif français et <strong>la</strong> technique du standard (essai <strong>sur</strong> le traitem<strong>en</strong>t juridictionnel <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong>normalité), préf. P. Weil, Bibl. dr. public, t. 135, L.G.D.J., 1980, n° 221.34 V. topiquem<strong>en</strong>t, C.civ., art. 1927 : « le dépositaire doit apporter, dans <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose déposée, les mêmes soins qu’i<strong>la</strong>pporte dans <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s choses qui lui apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. »35 Ibid., eod. loc.5
faveur d’une appréciation ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t extrinsèque 36 . Toute velléité d’appréciation intrinsèque, quiprocé<strong>de</strong>rait d’une démarche <strong>de</strong> concrétisation poussée à l’extrême, comman<strong>de</strong>rait uneindividualisation telle du droit civil <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité qu’on ne saurait, <strong>en</strong> définitive, tirer profit d’unquelconque standard. Partant, on amputerait les chances d’uniformisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière.L’ajustem<strong>en</strong>t du standard, à l’aune <strong>de</strong>s parties au procès <strong>en</strong> réparation, est une boîte <strong>de</strong>Pandore dont il faut pr<strong>en</strong>dre gar<strong>de</strong>. De ce point <strong>de</strong> vue, <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> l’article 4.102 doit être mieuxciselée. On préférera <strong>de</strong> loin celle ret<strong>en</strong>ue par le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce 37 , qui détermine leparangon <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce à l’aune du bonus pater familias.Lors même que le système responsabilité proposé dans les projets europé<strong>en</strong>s estfondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t subjectif, l’objectivation accessoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> faute le r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> définitive assezfamilier. La facilitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute est par contre plus singulière.B) La facilitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> fauteLa faute <strong>de</strong> l’auteur du dommage est une préoccupation que les rédacteurs <strong>de</strong>s projetseuropé<strong>en</strong>s ont eu à l’esprit (1). On regrettera que <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime du dommage n’ait pas ret<strong>en</strong>uoutre me<strong>sur</strong>e l’att<strong>en</strong>tion (2).1) Faute <strong>de</strong> l’auteur du dommageLe droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité est sans conteste un droit à base <strong>de</strong> faute. Lesdispositions princeps <strong>de</strong>s projets l’attest<strong>en</strong>t (Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 1.101 ; Principes <strong>de</strong>droit europé<strong>en</strong>, art. 1.101). La responsabilité personnelle constitue le principe.La règle juridique traduit et sanctionne le <strong>de</strong>voir moral <strong>de</strong> ne pas nuire à autrui, à tout le moinsinjustem<strong>en</strong>t. On ne sera donc guère étonné <strong>de</strong> l’édiction <strong>de</strong> responsabilités indirectes, aux termes<strong>de</strong>squelles un ag<strong>en</strong>t, dont <strong>la</strong> faute n’est pas positivem<strong>en</strong>t établie par <strong>la</strong> victime, est pourtant t<strong>en</strong>u <strong>de</strong>réparer le dommage souffert par le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur parce que le dommage a été causé soit par une personnedont l’activité dép<strong>en</strong>dait <strong>de</strong> lui, soit par une chose dont il avait <strong>la</strong> maîtrise 38 .De ce strict et premier point <strong>de</strong> vue, le droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité est familier aujuriste français. Dans <strong>la</strong> p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong>s rédacteurs du Co<strong>de</strong> civil <strong>de</strong> 1804, les responsabilités du faitd’autrui 39 et les responsabilités du fait choses 40 sont fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s responsabilités indirectes.Elles ne diffèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité du fait personnel que par le jeu d’un r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> charge<strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve. Quant au fond du droit, <strong>la</strong> responsabilité repose toujours <strong>sur</strong> <strong>la</strong> faute : faute prouvée dansun cas (C.civ., art. 1382), faute présumée – ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>sur</strong>veil<strong>la</strong>nce – dans les autres. Depuislors, <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation française fait peu <strong>de</strong> cas <strong>de</strong>s présomptions légales <strong>de</strong> faute.De ce second point <strong>de</strong> vue, les projets europé<strong>en</strong>s se singu<strong>la</strong>ris<strong>en</strong>t. En droit positif français, ledomaine <strong>de</strong>s présomptions <strong>de</strong> faute est <strong>de</strong>s plus restreints : seuls le débiteur d’une obligation <strong>de</strong>moy<strong>en</strong>s r<strong>en</strong>forcée et l’artisan du fait <strong>de</strong> son préposé y sont assujettis 41 . Le gardi<strong>en</strong> d’une chose <strong>en</strong>mouvem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> contact avec le siège du dommage, et les père et mère, du fait <strong>de</strong> leur <strong>en</strong>fantmineur, ne peuv<strong>en</strong>t s’exonérer <strong>de</strong> leur responsabilité respective qu’<strong>en</strong> rapportant <strong>la</strong> preuve d’une causeétrangère.Suzanne Carval indique que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce importante faite à <strong>la</strong> présomption <strong>de</strong> faute s’explique par<strong>la</strong> part restreinte faite à <strong>la</strong> responsabilité objective 42 . Le domaine <strong>de</strong>s responsabilités à base <strong>de</strong> risque36 V. égal. ce s<strong>en</strong>s, Principes, art. 3.201-a.37 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.102 : Neglig<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>semble 3.103 : Persons un<strong>de</strong>r eighte<strong>en</strong>.38 Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, art. 101.1-2 (b) et (c) <strong>en</strong>semble art. 4.201, 4.202 ; Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.104(Accountability for damage caused by childr<strong>en</strong> or supervised persons).39 Sont visées <strong>la</strong> responsabilité par<strong>en</strong>tale (C.civ., art. 1384, al. 4) et <strong>la</strong> responsabilité patronale (C.civ., art. 1384, al. 5).40 Sont visées <strong>la</strong> responsabilité du fait <strong>de</strong>s animaux (C.civ., art. 1385) et <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> ruines –C.civ., art. 1386 –)41 V. Avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prescription, art. 1358 : « Les autres personnes (par ex. lesassistantes maternelles, le c<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> loisir, l’école à <strong>la</strong>quelle un <strong>en</strong>fant a été temporairem<strong>en</strong>t confié par ses par<strong>en</strong>ts) quiassum<strong>en</strong>t, à titre professionnel, une mission <strong>de</strong> <strong>sur</strong>veil<strong>la</strong>nce d’autrui, répon<strong>de</strong>nt du fait <strong>de</strong> l’auteur direct du dommage, àmoins qu’elles ne démontr<strong>en</strong>t qu’elles n’ont pas commis <strong>de</strong> faute ».42 In Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans les projets europé<strong>en</strong>s, contribution stéphanoise.6
étant strictem<strong>en</strong>t délimité, les rédacteurs <strong>de</strong>s projets europé<strong>en</strong>s ont assoupli le système <strong>de</strong>responsabilité à base <strong>de</strong> faute. Aussi, le droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité paraît-il équilibré. À bi<strong>en</strong><strong>de</strong>s égards, il aurait <strong>la</strong> préfér<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> ce qu’il rétablit <strong>la</strong> fonction normative <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité. À <strong>la</strong>réflexion, il porte <strong>en</strong> lui les germes <strong>de</strong> sa perversion. On doit craindre le gauchissem<strong>en</strong>t du systèmeé<strong>la</strong>boré 43 .Faute d’ordre juridictionnel spécialem<strong>en</strong>t chargé <strong>de</strong> sanctionner le droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité, on peut redouter que le juge interne cè<strong>de</strong> aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s impérieuses <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>dommage corporels et alourdisse le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> le preuve r<strong>en</strong>versée au point que le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur à l’action<strong>en</strong> responsabilité ne soit contraint in fine <strong>de</strong> se débattre avec une présomption irréfragable <strong>de</strong> faute,d’abord, avec une responsabilité <strong>de</strong> plein droit, assumée comme telle, <strong>en</strong>suite. La Cour <strong>de</strong> cassationfrançaise est susceptible <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte, car le système proposé est autrem<strong>en</strong>t moins protecteur<strong>de</strong>s victimes que celui qu’elle a ciselé. Du reste, elle ne <strong>de</strong>vrait pas manquer <strong>de</strong> tirer grand profit <strong>de</strong>l’article 5.102 <strong>de</strong>s Principes du droit europé<strong>en</strong> (Autres cas <strong>de</strong> responsabilité sans faute), qui autorisele juge, sauf disposition contraire du droit national, à induire par analogie avec d’autres sources <strong>de</strong>risque <strong>de</strong> dommage comparable <strong>de</strong>s catégories additionnelles <strong>de</strong> responsabilité sans faute 44 . On neperdra pas <strong>de</strong> vue que l’autorité judiciaire a su s’accor<strong>de</strong>r le pouvoir d’édicter quelques « légis<strong>la</strong>tionsjurispru<strong>de</strong>ntielles ». Aussi <strong>la</strong> Haute juridiction a-t-elle les coudées franches.Ces considérations intéress<strong>en</strong>t i<strong>de</strong>ntiquem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime du dommage.2) Faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime du dommageFaute antérieure et/ou concomitante <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime. La faute contributive <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime dans<strong>la</strong> production du dommage est traditionnellem<strong>en</strong>t une cause <strong>de</strong> minoration <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité dudéf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur à l’action <strong>en</strong> responsabilité.À raison <strong>de</strong> son rôle causal dans <strong>la</strong> production du dommage, <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime rompt pourpartie le li<strong>en</strong> <strong>de</strong> causalité <strong>en</strong>tre le dommage souffert et le délit civil commis par son auteur. Tantôt leli<strong>en</strong> est rompu totalem<strong>en</strong>t rompu, tantôt il l’est partiellem<strong>en</strong>t. Il <strong>en</strong> va ainsi toutes les fois que <strong>la</strong> faute<strong>de</strong> <strong>la</strong> victime ne prés<strong>en</strong>te pas les caractères <strong>de</strong> <strong>la</strong> force majeure. Auquel cas, on dit qu’il y a partage <strong>de</strong>responsabilité. En cette <strong>de</strong>rnière occurr<strong>en</strong>ce, l’exonération est commandée par une doubleconsidération. D’une part, <strong>la</strong> victime ne saurait obt<strong>en</strong>ir une réparation totale, alors que par sa faute ellea contribué à <strong>la</strong> réalisation du dommage, à tout le moins <strong>en</strong> principe 45 . D’autre part, le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur nesaurait échapper à toute charge, alors qu’il est lui-même <strong>en</strong> faute 46 , sans préjudice <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté qui luiest offerte <strong>de</strong> rapporter <strong>la</strong> preuve que <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime revêt les caractères <strong>de</strong> <strong>la</strong> force majeure(imprévisibilité et in<strong>sur</strong>montabilité). En toute rectitu<strong>de</strong>, <strong>la</strong> personne impliquée dans <strong>la</strong> production <strong>de</strong>l’événem<strong>en</strong>t dommageable est purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t disp<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> toute responsabilité, car aucunli<strong>en</strong> <strong>de</strong> causalité ne permet <strong>de</strong> rattacher son comportem<strong>en</strong>t au dommage souffert.S’agissant <strong>de</strong> l’exonération <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce 47 est moinsexplicite que les Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> 48 . Si, <strong>en</strong> toute hypothèse, <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’auteur dudommage peut être minorée, seul l’article 8.101-1 <strong>de</strong>sdits principes dispos<strong>en</strong>t que le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur peut43 W. Van Boom et A. Pinna, La droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> <strong>de</strong>main <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> in La responsabilité <strong>civile</strong> europé<strong>en</strong>ne <strong>de</strong><strong>de</strong>main, ss. dir. B. Winiger, Bruy<strong>la</strong>nt, Schulthess, 2008, p. 261, spéc. p. 263 : un système vague et flexible prés<strong>en</strong>te « <strong>de</strong>sinconvéni<strong>en</strong>ts importants parce qu’il repose <strong>sur</strong> <strong>la</strong> confiance dans <strong>la</strong> production rationnelle et structurée du droit par les jugeset pourrait <strong>en</strong>traîner une insécurité juridique intolérable pour les justiciables ».44 Égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s : Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.207: other accountability for the causation of legally relevantdamage.45 Dans son <strong>de</strong>rnier état, <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation et le Conseil d’État refus<strong>en</strong>t d’opposer à <strong>la</strong> victime d’un dommage corporel unequelconque cause <strong>de</strong> minoration <strong>de</strong> l’in<strong>de</strong>mnité lorsqu’elle poursuit, concurremm<strong>en</strong>t avec un tiers payeurs, l’auteur dudommage (exit tout partage <strong>de</strong> responsabilité ou d’in<strong>de</strong>mnité).46 Contra Cass. Crim., 7 nov. 2001, RTD Civ. 2002, p. 314, obs. P. Jourdain. Par exception, <strong>la</strong> néglig<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime d’uneinfraction int<strong>en</strong>tionnelle contre les bi<strong>en</strong>s n’est pas <strong>de</strong> nature à réduire son droit à réparation. Il s’agit d’empêcher un<strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t sans cause <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong> l’infraction.47 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 5.102 : Contributory fault and accountability.48 Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, art. 8.101-1 : « Liability can be exclu<strong>de</strong>d or reduced (…) ».7
être exonéré <strong>de</strong> toute responsabilité. Certes, le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce ne fixe aucun p<strong>la</strong>ncher <strong>en</strong><strong>de</strong>ssous duquel le juge ne saurait fixer <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> dommages et intérêts. Par voie <strong>de</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, bi<strong>en</strong>que l’exonération ne soit pas expressis verbis autorisée, elle est susceptible d’être pratiquée. Du reste,<strong>la</strong> minoration est étroitem<strong>en</strong>t liée à l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime : l’article 5.102 suggère que plus <strong>la</strong> faute estgran<strong>de</strong>, plus <strong>la</strong> minoration est importante. Mais, on invitera à <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce <strong>en</strong> recommandant que soitexpressém<strong>en</strong>t visée <strong>la</strong> faculté pour le juge <strong>de</strong> disp<strong>en</strong>ser <strong>de</strong> toute responsabilité <strong>la</strong> personne impliquéedans <strong>la</strong> production du dommage.Sauf cette <strong>de</strong>rnière remarque, qui ne porte guère à conséqu<strong>en</strong>ce, l’att<strong>en</strong>tion doit être attirée <strong>sur</strong>une <strong>la</strong>cune <strong>de</strong>s projets europé<strong>en</strong>s, qui emporte autrem<strong>en</strong>t plus. À notre connaissance, <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong>victime n’est pas définie 49 . Au vu du standard <strong>de</strong> conduite ret<strong>en</strong>u, le simple fait causal <strong>de</strong> <strong>la</strong> victimeparaît insuffisant pour fon<strong>de</strong>r une quelconque exonération <strong>de</strong> l’auteur du dommage. I<strong>de</strong>ntiquem<strong>en</strong>t,une poussière <strong>de</strong> faute ou une contribution infime au dommage ne saurait autoriser le juge à ordonnerune minoration <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité du déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur 50 . Pour cause : <strong>en</strong> droit, un fait non fautif <strong>de</strong> l’un oul’autre n’est pas à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> considération dans <strong>la</strong> détermination <strong>de</strong>s responsabilités 51 .La faute ret<strong>en</strong>ue par les rédacteurs <strong>de</strong>s projets europé<strong>en</strong>s est subjective (explicitem<strong>en</strong>t dans leCadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce ; indirectem<strong>en</strong>t dans les Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>), à charge pour lejuge <strong>de</strong> l’objectiver eu égard aux circonstances <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause. La t<strong>en</strong>tation est gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> dupliquer, <strong>en</strong>quelque sorte, le dispositif <strong>en</strong> suggérant au juge, par soucis d’équité, d’ajuster le standard <strong>de</strong> conduitetant au bénéfice <strong>de</strong> l’auteur du dommage que <strong>de</strong> sa victime, possiblem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faute. On aura gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>noter toutefois que l’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute s’est révélée in fine préjudiciable à <strong>la</strong> victime, à tout lemoins <strong>en</strong> droit français. Qu’est-ce à dire ? Lors même que <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong> <strong>la</strong> conditiond’imputabilité as<strong>sur</strong>ât le plus souv<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’auteur du dommage, <strong>la</strong>faute objective facilitât l’opposabilité <strong>de</strong> sa faute à <strong>la</strong> victime, notamm<strong>en</strong>t d’un dommage corporel 52 .Dans cette ligne <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée, les rédacteurs <strong>de</strong> l’avant-projet <strong>de</strong> réforme Cata<strong>la</strong> ont suggéré <strong>de</strong>réintroduire <strong>la</strong> faute subjective. L’exonération ne serait donc plus applicable aux personnes privées <strong>de</strong>discernem<strong>en</strong>t (avant-projet, art. 1351-1). Et ses auteurs <strong>de</strong> proposer que, « <strong>en</strong> cas d’atteinte à l’intégritéphysique », seule une faute grave peut <strong>en</strong>traîner l’exonération partielle » 53 . C’est une condition ret<strong>en</strong>uepar le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, mais cantonnée aux acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion, ce qui ne s’impos<strong>en</strong>ullem<strong>en</strong>t 54 . Pour sa part, le rapport d’information fait au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission <strong>de</strong>s lois par le groupe<strong>de</strong> travail re<strong>la</strong>tif à <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong>, <strong>en</strong> date du 15 juillet 2009, est « favorable à <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong>l’effet exonératoire du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime privée <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t » 55 .Faute postérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime 56 . Par hypothèse, l’obligation pour <strong>la</strong> victime <strong>de</strong> minimiserson dommage pr<strong>en</strong>drait naissance après le fait dommageable puisqu’elle l’obligerait à le réduire ouéviter qu’il ne s’aggravât. Elle ferait donc figure d’obligation autonome par rapport à celle à <strong>la</strong>quelle leresponsable a manqué 57 , autorisant le juge à prononcer, au cas où elle serait inexécutée, un partage <strong>de</strong>responsabilité dans <strong>la</strong> production du dommage final.49 Seule <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> l’auteur du dommage est expressém<strong>en</strong>t visée. En ce s<strong>en</strong>s, l’article 4.102 <strong>de</strong>s Principes du droit europé<strong>en</strong>,qui définit le standard <strong>de</strong> conduite requis précise <strong>la</strong> disposition qui le précè<strong>de</strong>, <strong>la</strong>quelle prescrit : « toute personne qui viole,int<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t ou par néglig<strong>en</strong>ce, le standard <strong>de</strong> conduite requis, <strong>en</strong>gage sa responsabilité pour faute ». Or, il n’y a pas, àproprem<strong>en</strong>t parler, <strong>de</strong> responsabilité – juridique – <strong>en</strong>vers soi-même.50 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 5.102-2 (a) et (b).51 La Cour <strong>de</strong> cassation française accepte pourtant d’<strong>en</strong>gager <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s par<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> raison du simple fait causal <strong>de</strong>leur <strong>en</strong>fant mineur (Cass. 2 ème civ., 10 mai 2001, Levert ; Cass. Ass. plén., 13 déc. 2002, Minc et Poullet).52 Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, pp. 7, 8.53 Avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prescription, art. 1351. Proposition discutée par le rapportd’information précité. Au nombre <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts formulés, il a été suggéré qu’une faute int<strong>en</strong>tionnelle soit substituée à <strong>la</strong>faute grave (spéc. p. 46).54 Art. 5.102-2 (c).55 Sénat, Rapport d’information n° 558, Responsabilité <strong>civile</strong> : <strong>de</strong>s évolutions nécessaires, 15 juill. 2009, p. 47,recommandation n° 11.56 Développem<strong>en</strong>ts extraits <strong>de</strong> notre note <strong>de</strong> jurispru<strong>de</strong>nce <strong>sur</strong> CA Angers, 1 ère Ch. A, 10 octobre 2006, affaire n° 05/00821 –28 novembre 2006, affaire n° 05/02225 et CA Bor<strong>de</strong>aux, 5 ème Ch., 1 er juin 2006, affaire n° 04/06771., Revue juridique <strong>de</strong>l’ouest 2007/2.57 Not. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s P. Jourdain, Faut-il moraliser le droit français <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation du dommage corporel ?, Rapportintroductif, Petites affiches 20 nov. 2002, p. 3, spéc. n° 14.8
On peut regretter, avec Suzanne Carval, que les projets europé<strong>en</strong>s ne réserv<strong>en</strong>t pas quelquesdispositions expresses à <strong>la</strong> faute postérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, spécialem<strong>en</strong>t lorsque l’intéressée <strong>de</strong>man<strong>de</strong><strong>la</strong> réparation d’un dommage matériel. Un article 3.106 <strong>de</strong>s Principes du droit europé<strong>en</strong> paraît toutefoisautoriser le juge à minorer le quantum <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation <strong>en</strong> imputant sa faute à <strong>la</strong> victime : « La victimedoit supporter ses pertes [dispose-t-il] dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e correspondant à l’inci<strong>de</strong>nce possible d’uneactivité, d’un événem<strong>en</strong>t ou toute autre circonstance, incluant <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts naturels, du mom<strong>en</strong>tque cette cause se trouve dans sa sphère d’influ<strong>en</strong>ce ». Au vrai, cette considération résiduelle manque<strong>de</strong> précision. Le juge judiciaire français, rétif à cette cause d’exonération partielle 58 , risque d’<strong>en</strong>refuser le bénéfice à l’auteur du dommage.Unanime, <strong>la</strong> doctrine française dénonce <strong>la</strong> solution catégorique arrêtée <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière par <strong>la</strong>Cour <strong>de</strong> cassation. Les argum<strong>en</strong>ts ne manqu<strong>en</strong>t pas. Primo, on ne peut écarter du débat le dommagematériel causé au responsable : refusant <strong>de</strong> minimiser son dommage, <strong>la</strong> victime condamne celui-ci à<strong>de</strong>voir une réparation qui, sans sa faute, aurait raisonnablem<strong>en</strong>t pu être limitée. Secundo, re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>tà l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s causes du dommage aggravé, l’on ne peut occulter le rôle causal du fait postérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong>victime. Au vu <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux premières considérations, il ne paraît pas déraisonnable <strong>de</strong> lui imputer <strong>en</strong>partie son manque <strong>de</strong> dilig<strong>en</strong>ce. Tertio, le principe <strong>de</strong> solution dégagé par le juge judiciaire est topiqued’une inelegantia juris : le fait postérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime est <strong>en</strong> effet pris <strong>en</strong> compte par le jugeadministratif 59 . Quater, il est suffisamm<strong>en</strong>t su que le droit français est isolé <strong>sur</strong> cette question.Répandue <strong>en</strong> droit comparé 60 et consacrée <strong>en</strong> droit international 61 , l’obligation <strong>de</strong> minimiser ledommage est tue <strong>en</strong> droit interne. À tout le moins, l’est-elle dans le corpus <strong>de</strong> règles hérité <strong>de</strong> <strong>la</strong>codification napoléoni<strong>en</strong>ne 62 .Pour autant, quelle que soit leur pertin<strong>en</strong>ce, pour l’heure, <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation semble fairelitière <strong>de</strong> ces argum<strong>en</strong>ts. La doctrine n’a pas manqué <strong>de</strong> proposer une révision du Co<strong>de</strong> civil français.L’article 1373 <strong>de</strong> l’avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations disposerait, <strong>de</strong> lege fer<strong>en</strong>da, que« lorsque <strong>la</strong> victime avait <strong>la</strong> possibilité, par <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s sûrs, raisonnables et proportionnés, <strong>de</strong> réduirel’ét<strong>en</strong>due du préjudice ou d’<strong>en</strong> éviter l’aggravation, il sera t<strong>en</strong>u compte <strong>de</strong> son abst<strong>en</strong>tion par uneréduction <strong>de</strong> son in<strong>de</strong>mnisation, sauf lorsque les me<strong>sur</strong>es serai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nature à porter atteinte à sonintégrité physique ». Cette faveur manifestée par le texte, à l’égard <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong> dommagescorporels ou d’atteintes à <strong>la</strong> personne, est heureuse. Elle pourrait néanmoins faire difficulté. D’aucunsopposeront, à raison, qu’une semb<strong>la</strong>ble faveur contorsionne le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> pour <strong>la</strong>raison suivante que le comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime est v<strong>en</strong>u rompre <strong>la</strong> causalité <strong>en</strong>tre le faitdommageable imputable au responsable et le dommage final qu’il a subi. Or, « l’appréciation <strong>de</strong> celi<strong>en</strong> <strong>de</strong> causalité <strong>de</strong>vrait permettre au juge d’exclure <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation <strong>la</strong> partie du préjudice que <strong>la</strong>victime aurait pu éviter sans inconvéni<strong>en</strong>t disproportionné pour elle » 63 . Toutefois, re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong>réparation du dommage <strong>de</strong> nature corporelle, le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité est <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce avec ledroit <strong>de</strong>s personnes. Au chapitre « Du respect du corps humain », <strong>la</strong> loi dispose, in limine, « qu’il ne58 « Att<strong>en</strong>du que l’auteur d’un acci<strong>de</strong>nt doit <strong>en</strong> réparer toutes les conséqu<strong>en</strong>ces dommageables ; que <strong>la</strong> victime n’est pas t<strong>en</strong>ue<strong>de</strong> limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable » (Cass. 2 ème civ. 19 juin 2003, FS-P+B+R+I, Bull. civ. II, n° 203 (2arrêts) ; Defrénois 2003, art. 37845, p. 1574, note J.-L. Aubert ; JCP G. 2004, I, 101, p. 18, obs. G. Viney ; RTD civ. 2003, p.716, obs. P. Jourdain. Ad<strong>de</strong> Rapport 2003 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation, L’égalité, La docum<strong>en</strong>tation française, 2004, p. 412-414).V. déjà <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s : Cass. 2 ème civ., 19 mars 1997, Bull. civ. II, n° 86. Au visa <strong>de</strong> l’article 16-3 C.civ., <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassationjuge que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par <strong>la</strong> loi (v. not. C. santé publ., art. L. 3111-1 et s., D. 1221-5 et D.1221-10, L. 3423-1 ; C. pén., art. 131-36-4 ; Cass. 1 ère civ., 3 mai 2006, RDC 2006, p. 1228, obs. S. Carval), <strong>de</strong> subir uneopération chirurgicale.59 CE, sect., 19 oct. 1966, Sieur Marais, Rec. p. 548 – 13 oct. 1976, Commune <strong>de</strong> Mazières <strong>en</strong> Gâtine, Juripro, req. n° 97832– 9 nov. 1988, Commune <strong>de</strong> bossée c/ Société d’économie mixte <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> région <strong>de</strong> Loches-Descartes, Juripro,req. n° 79674 ; CAA Bor<strong>de</strong>aux, 19 nov. 1991, M. Gonzales, Juripro, req. n° 89BX01946 ; CAA Lyon, 15 mai 2001, M meMarie Monin, Juripro, req. n° 96LY21020 ; CAA Marseille, 11 déc. 2001, Zabatta, Juripro, req. n° 98MA00456 ; CAANancy, 30 mai 2002, C<strong>en</strong>tre hospitalier <strong>de</strong> Luneville, Juripro, req. n° 97N00984.60 S. Reifegerste, Pour une obligation <strong>de</strong> minimiser le dommage, préf. H. Muir-Watt, P.U.A.M. 2002, pp. 33-52.61 Ibid., pp. 52-90. C’est le cas notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> v<strong>en</strong>te international <strong>de</strong> marchandises (Conv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne, art. 77).62 De lege <strong>la</strong>ta, on <strong>en</strong> trouve une trace écrite <strong>en</strong> droit <strong>de</strong>s as<strong>sur</strong>ances maritimes (C. as<strong>sur</strong>., art. L. 172-23). Pour unrec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s manifestations implicites <strong>de</strong> l’obligation <strong>de</strong> modérer le dommage <strong>en</strong> droit <strong>de</strong>s contrats, A. Lau<strong>de</strong>,L’obligation <strong>de</strong> minimiser son propre dommage existe-t-elle <strong>en</strong> droit privé français ? in Faut-il moraliser le droit français <strong>de</strong><strong>la</strong> réparation du dommage ?, op. cit., pp. 56 s.63 S. Reifegerste, Pour une obligation <strong>de</strong> minimiser le dommage, op. cit.9
peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain » (C.civ., art. 16-3). D’aucuns souti<strong>en</strong>dront quesanctionner le refus <strong>de</strong> soins n’est pas att<strong>en</strong>tatoire au principe d’intégrité du corps humain : dans <strong>la</strong>me<strong>sur</strong>e où <strong>la</strong> loi interdit seulem<strong>en</strong>t d’obliger une personne à subir <strong>de</strong>s soins, elle ne s’oppose pas à ceque son in<strong>de</strong>mnisation soit réduite. De prime abord, l’argum<strong>en</strong>t est assez séduisant. Pourtant, et à <strong>la</strong>réflexion, il ne convainc pas complètem<strong>en</strong>t, ce<strong>la</strong> <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> l’option <strong>la</strong>issée alors à <strong>la</strong> victime. Parhypothèse, soit le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur à l’action <strong>en</strong> réparation accepte <strong>de</strong> modérer le dommage souffert, et lejuge lui accor<strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong>mandée. Soit il refuse et ne sera in<strong>de</strong>mnisé que partiellem<strong>en</strong>t. End’autres termes, <strong>en</strong> sus du dommage corporel dont <strong>la</strong> victime est le siège, et dont le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur estquand même le premier responsable, il lui faudrait dans cette configuration souffrir un dommagematériel. En un mot : les moins fortunées d’<strong>en</strong>tre les victimes, serai<strong>en</strong>t contraintes, <strong>en</strong> pratique, <strong>de</strong>cons<strong>en</strong>tir à une atteinte à leur intégrité corporelle, et ce pour « ne pas coûter trop cher à l’auteur dudommage » 64 .Le droit ne s’oppose pas à ce que l’on impute à faute à <strong>la</strong> victime l’inobservation <strong>de</strong> son <strong>de</strong>voir<strong>de</strong> minimiser son dommage matériel. En revanche, <strong>en</strong> l’état <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion <strong>civile</strong>, <strong>la</strong> nature corporelledu dommage aggravé r<strong>en</strong>d discutable toute velléité <strong>de</strong> généralisation du <strong>de</strong>voir. Et quant à <strong>la</strong> question<strong>de</strong> savoir qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime ou <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong> l’atteinte à <strong>la</strong> personne doit souffrir le coût final <strong>de</strong> <strong>la</strong>comp<strong>en</strong>sation du dommage, il ne s’agit plus <strong>de</strong> technique juridique à proprem<strong>en</strong>t parler mais bi<strong>en</strong>plutôt <strong>de</strong> politique juridique. Sur ce point, conformém<strong>en</strong>t aux conclusions <strong>de</strong>s rédacteurs <strong>de</strong> l’avantprojet<strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations 65 , le rapport d’information <strong>sur</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d« exclure purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t l’application <strong>de</strong> l’obligation <strong>de</strong> diminuer le dommage <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ced’un préjudice corporel » 66 .Bi<strong>en</strong> que les projets europé<strong>en</strong>s, à tout le moins le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, ai<strong>en</strong>t consacré<strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute subjective 67 , ce qui les distingu<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t du droit positif français,l’accommodation <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> faute et <strong>la</strong> facilitation <strong>de</strong> sa preuve ne <strong>la</strong>iss<strong>en</strong>t pas augurerd’opposition frontale à <strong>la</strong> codification projetée. Sous réserve que les dispositions soumises à exam<strong>en</strong>soi<strong>en</strong>t précisées, à peine d’obérer <strong>la</strong> t<strong>en</strong>tative d’harmonisation <strong>de</strong>s légis<strong>la</strong>tions <strong>civile</strong>s <strong>de</strong>s Étatsmembres <strong>de</strong> l’Union europé<strong>en</strong>ne, le système échafaudé est assez séduisant, à tout le moins pour qui ledroit civil <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité est irréductible à une fonction <strong>de</strong> comp<strong>en</strong>sation <strong>de</strong>s dommages. Au vudu système à base <strong>de</strong> faute proposé, les régimes <strong>de</strong> responsabilité dite objective doiv<strong>en</strong>t ret<strong>en</strong>irl’att<strong>en</strong>tion. Il s’agit à prés<strong>en</strong>t d’apprécier plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans l’objectivation<strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité.II – De <strong>la</strong> faute dans l’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilitéL’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité consiste fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t à évincer <strong>la</strong> faute et ce dansl’intérêt du <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur à l’action <strong>en</strong> responsabilité. Tantôt <strong>la</strong> victime est disp<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> rapporter <strong>la</strong>preuve d’une faute <strong>de</strong> l’auteur du dommage ; <strong>en</strong> cette première occurr<strong>en</strong>ce, l’objectivation est aminima. Tantôt, l’intéressée est in<strong>de</strong>mnisée sauf pour le déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur à rapporter <strong>la</strong> preuve d’une causeétrangère exonératoire ; <strong>en</strong> cette secon<strong>de</strong> occurr<strong>en</strong>ce, l’objectivation est a maxima.À une exception près 68 , l’objectivation du droit français <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité a été commandéepar d’impérieuses considérations sociales et humanistes, qui ont imposé <strong>la</strong> prise <strong>en</strong> charge <strong>de</strong>s lésionscorporelles souffertes par les victimes 69 . Il n’est pas indiffér<strong>en</strong>t <strong>de</strong> souligner le changem<strong>en</strong>t radical <strong>de</strong>64 Expression empruntée à M me Carval (obs. sous Cass. 1 ère civ., 3 mai 2006, RDC 2006/4, p. 1228, in fine).65 Avant-projet, art. 1373 : « Lorsque <strong>la</strong> victime avait <strong>la</strong> possibilité, par <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s sûrs, raisonnables et proportionnés, <strong>de</strong>réduire l'ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> son préjudice ou d'<strong>en</strong> éviter l'aggravation, il sera t<strong>en</strong>u compte <strong>de</strong> son abst<strong>en</strong>tion par une réduction <strong>de</strong> sonin<strong>de</strong>mnisation, sauf lorsque les me<strong>sur</strong>es serai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nature à porter atteinte à son intégrité physique. »66 Sénat, Rapport d’information n° 558, Responsabilité <strong>civile</strong> : <strong>de</strong>s évolutions nécessaire, op. cit., p.72.67 V. les précisions supra.68 Le régime <strong>de</strong> responsabilité patronale (C.civ., art. 1384, al. 5) n’a jamais été manipulé à raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature corporelle dudommage souffert par <strong>la</strong> victime d’un préposé.69 En ce s<strong>en</strong>s, R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, 1 ère série : Panorama <strong>de</strong>s10
perspective qui a insufflé le r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture du Co<strong>de</strong> civil. Savatier écrivit que « <strong>la</strong>jurispru<strong>de</strong>nce mo<strong>de</strong>rne a personnalisé notre co<strong>de</strong> et nos lois, au profit <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, rétablissant ainsi<strong>la</strong> hiérarchie naturelle qui met le droit au service <strong>de</strong> l’homme avant <strong>de</strong> le p<strong>la</strong>cer au service dupatrimoine (…) » 70 . Qu’est-ce à dire ? En l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne impliquée dans <strong>la</strong>production d’un dommage, son patrimoine était, <strong>en</strong> droit s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, disp<strong>en</strong>sé <strong>de</strong> servir une quelconqueprestation à <strong>la</strong> victime, « <strong>de</strong> sorte que si un particulier ou l’État interv<strong>en</strong>ait bénévolem<strong>en</strong>t pour <strong>la</strong>dédommager, c’était affaire <strong>de</strong> charité et non <strong>de</strong> justice » 71 .Inspirés par <strong>la</strong> protection du patrimoine 72 , « âme universelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion » (Portalis), lescodificateurs optai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1804, dans <strong>la</strong> veine <strong>de</strong> <strong>la</strong> consécration d’un droit invio<strong>la</strong>ble et sacré <strong>de</strong> <strong>la</strong>propriété 73 , pour <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> droit 74 . La responsabilité <strong>civile</strong> extracontractuelle<strong>de</strong> l’ag<strong>en</strong>t impliqué dans le dommage, autrem<strong>en</strong>t dit l’imputation <strong>de</strong> <strong>la</strong> charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation <strong>sur</strong> lepatrimoine du déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur, était alors conditionnée à une preuve diabolique.Reflet <strong>de</strong> son temps, le droit civil <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité sut s’adapter aux nouvellesproblématiques. L’incongruité <strong>de</strong>s atteintes portées à l’intégrité physique, l’assomption progressive <strong>de</strong><strong>la</strong> personne et <strong>la</strong> reconnaissance du caractère sacré <strong>de</strong> son corps commandèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> personnalisation <strong>de</strong><strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion <strong>civile</strong>. « Les juges, accompagnés ponctuellem<strong>en</strong>t par le légis<strong>la</strong>teur, <strong>en</strong>couragéscontinûm<strong>en</strong>t par le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’as<strong>sur</strong>ance et incités invariablem<strong>en</strong>t par l’opinion publique,<strong>en</strong>treprir<strong>en</strong>t sa personnalisation » 75 . L’att<strong>en</strong>tion dirigée à l’<strong>en</strong>droit <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong> lésions al<strong>la</strong>it alorsélever <strong>la</strong> fatalité <strong>en</strong> anomalie inacceptable, le dommage corporel <strong>en</strong> anormalité, et autoriser <strong>la</strong>condamnation d’une personne simplem<strong>en</strong>t impliquée dans <strong>la</strong> production d’un dommage à <strong>en</strong> réparerles conséqu<strong>en</strong>ces. L’émin<strong>en</strong>te dignité <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne humaine s’<strong>en</strong> trouva garantie. Depuis lors, cetteimpérieuse considération a été consacrée dans l’avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations 76 . Parailleurs, le rapport d’information <strong>sur</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> pr<strong>en</strong>d acte <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> consacrer uncertain nombre <strong>de</strong> règles à <strong>la</strong> faveur exclusive <strong>de</strong>s personnes ayant fait l’objet d’un dommagecorporel 77 .La Cour <strong>de</strong> cassation finit par s’employer à braquer le projecteur <strong>sur</strong> le dommage souffert parle <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>en</strong> réparation, tout spécialem<strong>en</strong>t lorsque l’intéressé arguait une atteinte à sa personne. Lecomportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’ag<strong>en</strong>t désigné par <strong>la</strong> victime parut alors importer moins ; l’anormalité parut glisserinexorablem<strong>en</strong>t du fait générateur <strong>de</strong> responsabilité au dommage. Commandant l’issue du procès <strong>en</strong>responsabilité <strong>civile</strong> – i.e. contractuelle comme extracontractuelle – le dommage retint <strong>en</strong> définitivetoute l’att<strong>en</strong>tion, au préjudice d’une analyse stricte du comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’auteur du dommage.À <strong>la</strong> différ<strong>en</strong>ce du droit positif français, les projets europé<strong>en</strong>s ne paraiss<strong>en</strong>t pas avoir cédé à <strong>la</strong>mutations, op. cit., p. 332, n° 274. Comp. Ph. Brun, Droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité extracontractuelle, Litec, 2005, p. 95, note 61.70 R. Savatier, Le dommage et <strong>la</strong> personne, D. 1955, Chron., p. 5. Ad<strong>de</strong>, J. Carbonnier, Terre et ciel dans le droit du mariagein Le droit privé français au milieu du XXe siècle, étu<strong>de</strong>s offertes à G. Ripert, t. 1, L.G.D.J, 1950, spéc. p. 331 : « Le corpshumain n’apparaît pour ainsi dire jamais dans le Co<strong>de</strong> civil : l’homme y est personne, c'est-à-dire pur esprit » ; R. Savatier,Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, 1ère série : Panorama <strong>de</strong>s mutations, op. cit., p.333, n° 275 ; Y. Lambert-Faivre, Le dommage corporel <strong>en</strong>tre l’être et l’avoir, Resp. civ. et as<strong>sur</strong>. 1997, Chron. n° 31, p. 5. V.plus récemm<strong>en</strong>t <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> ce mouvem<strong>en</strong>t et <strong>la</strong> généralisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation du dommage corporel, M. Bourrié-Qu<strong>en</strong>illet, Droit du dommage corporel et prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie humaine, JCP G 2004, I, 136, spéc. n° 2.71 Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, ibid.72 Le professeur Halpérin écrit que « Les livres II et III du Co<strong>de</strong> civil, regroupant 1766 articles <strong>sur</strong> 2281, port<strong>en</strong>texpressém<strong>en</strong>t <strong>sur</strong> les bi<strong>en</strong>s, les modifications <strong>de</strong> <strong>la</strong> propriété et les différ<strong>en</strong>tes manières dont on l’acquiert. Ce constat suffit[écrit l’auteur] à démontrer <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce c<strong>en</strong>trale qu’occupe le propriété dans le Co<strong>de</strong> Napoléon » (in Le Co<strong>de</strong> civil, op. cit., p. 55.Ad<strong>de</strong> J.-L. Thireau, Introduction historique au droit, op. cit., p. 308 : « fondée <strong>sur</strong> une aristocratie <strong>de</strong> propriétaires fonciers etnotables, masse <strong>de</strong> granit garante <strong>de</strong> l’ordre politique et social, elle (<strong>la</strong> société nouvelle) ne pouvait naître qu’<strong>en</strong> empruntant(notamm<strong>en</strong>t) le meilleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Révolution (…) : les gran<strong>de</strong>s réformes, désormais irréversibles, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constituante, l’égalité<strong>civile</strong>, <strong>la</strong> propriété individuelle (…) ».73 Aux termes <strong>de</strong> l’article 17 DDHC « La propriété étant un droit invio<strong>la</strong>ble et sacré, nul ne peut <strong>en</strong> être privé, si ce n'estlorsque <strong>la</strong> nécessité publique, légalem<strong>en</strong>t constatée, l'exige évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, et sous <strong>la</strong> condition d'une juste et préa<strong>la</strong>blein<strong>de</strong>mnité ».74 Ceci expressém<strong>en</strong>t aux termes <strong>de</strong> l’article 544 du Co<strong>de</strong> civil, ce<strong>la</strong> par prétérition au titre IV <strong>de</strong>s <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts qui seform<strong>en</strong>t sans conv<strong>en</strong>tion. V. <strong>sur</strong> ce point, J. Carbonnier, Droit civil, Les bi<strong>en</strong>s, 19 ème éd. (2000), P.U.F., 2004, n° 732.75 V. <strong>sur</strong> ce point <strong>la</strong> thèse préc. L’influ<strong>en</strong>ce perturbatrice du dommage corporel <strong>en</strong> droit <strong>de</strong>s obligations, op. cit., n os 242 et s.76 V. not. les « règles particulières à <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong>s préjudices résultant d’une atteinte à l’intégrité physique » (avantprojet<strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations, art. 1379 à 1379-8).77 Sénat, Rapport d’information n° 558, Responsabilité <strong>civile</strong> : <strong>de</strong>s évolutions nécessaire, op. cit., pp.35-39.11
t<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> l’« hyper-fonction » réparation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité. Bi<strong>en</strong> au contraire, l’objectivation estminimaliste 78 . La faute <strong>de</strong>meure le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t cardinal et <strong>la</strong> condition c<strong>en</strong>trale <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, àune exception près, discutable au <strong>de</strong>meurant. À l’image <strong>de</strong> l’article 54 du Co<strong>de</strong> suisse <strong>de</strong>s obligations,si l’équité l’exige, le juge est fondé à condamner un mineur à <strong>la</strong> réparation totale ou partielle dudommage qu’elle a causé 79 .On accor<strong>de</strong>ra que <strong>la</strong> victime n’a pas légitimem<strong>en</strong>t à souffrir <strong>de</strong> sa r<strong>en</strong>contre malchanceuseavec l’auteur <strong>de</strong> son dommage frappé d’infantia 80 . Mais dans le même temps, à quel titre le t<strong>en</strong>irresponsable <strong>de</strong> cet état ? Or, c’est précisém<strong>en</strong>t ce qui a été occulté. Le « s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pitié qui joue <strong>en</strong>faveur <strong>de</strong>s victimes se retrouve au profit <strong>de</strong>s responsables ; ils n’ont été que les « acteurs » <strong>de</strong>sdommages fortuits, et ne doiv<strong>en</strong>t pas non plus supporter les coups du sort » 81 . Seuls <strong>la</strong> spontanéitédéraisonnable <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> bas âge et les mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong> déraison chez le dém<strong>en</strong>t gui<strong>de</strong>nt leurcomportem<strong>en</strong>t respectif. Alors ni <strong>la</strong> victime ni cet auteur singulier du dommage ne doiv<strong>en</strong>t êtrecondamnés : ils sont tous <strong>de</strong>ux innoc<strong>en</strong>ts 82 ! Le dommage est purem<strong>en</strong>t fortuit. Et il n’est pas plusjustifié que le droit se détourne <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime ou que le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité du fait personnel sesaisisse <strong>de</strong> l’auteur du dommage. Starck l’avait perçu 83 . « La théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute nous conduit à choisir<strong>en</strong>tre l’injustice et l’ab<strong>sur</strong><strong>de</strong> » 84 .Les Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité et le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce sedémarqu<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t du droit interne. Le régime <strong>de</strong> responsabilité pour faute présumée ti<strong>en</strong>t lieu <strong>de</strong>principe. La responsabilité <strong>de</strong> plein droit est ravalée au rang d’exception. Par voie <strong>de</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, <strong>la</strong>p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans les responsabilités simplem<strong>en</strong>t présumées (A) et dans les responsabilités« irréfragablem<strong>en</strong>t présumée » (B) est variable.A) La faute dans les responsabilités simplem<strong>en</strong>t présuméesLes chefs <strong>de</strong> responsabilité pour faute simplem<strong>en</strong>t présumée sont cohér<strong>en</strong>ts avec le systèmeproposé. Les rédacteurs ne per<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong> vue que <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> a certes pour objetd’in<strong>de</strong>mniser <strong>la</strong> victime du dommage souffert – fonction réparatrice –, mais à <strong>la</strong> condition que l’auteurait contrev<strong>en</strong>u au standard <strong>de</strong> conduite requis – fonction punitive –. Afin d’éviter que le systèmeresponsabilité ne soit par trop rigi<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s « présomptions <strong>de</strong> responsabilité » ont été édictées. On auraitpu croire cette att<strong>en</strong>tion à l’<strong>en</strong>droit <strong>de</strong>s victimes commandée par <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s dommages soufferts, àl’image du droit positif français <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité aménagé dans le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> garantir à <strong>la</strong> victimed’un dommage corporel une comp<strong>en</strong>sation. Il n’<strong>en</strong> est ri<strong>en</strong>. La lecture <strong>de</strong> quelques dispositionssuggère qu’il n’eût pas été raisonnable <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r autrem<strong>en</strong>t. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans lesresponsabilités explicitem<strong>en</strong>t présumées (1) l’atteste. Il <strong>en</strong> va toutefois différemm<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong>responsabilité implicitem<strong>en</strong>t présumée.1) La faute dans les responsabilités explicitem<strong>en</strong>t présuméesLa faute dans les responsabilités simplem<strong>en</strong>t présumées donne à p<strong>en</strong>ser. À <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>sPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, aucune faute n’est expressém<strong>en</strong>t exigée du primoresponsable <strong>en</strong> droit <strong>la</strong> responsabilité par<strong>en</strong>tale et plus généralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>spersonnes <strong>en</strong> charge d’un incapable, i.e. frappé d’une incapacité juridique d’exercice. L’article 6.10178 En ce s<strong>en</strong>s, Th. Kadner-Graziano, Les principes du droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité délictuelle – forces et faiblesses inLa responsabilité <strong>civile</strong> europé<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, Projets <strong>de</strong> révision nationaux et principes europé<strong>en</strong>s, ss. dir. B. Winiger,Bruy<strong>la</strong>nt, Schulthess, 2008, p. 219, spéc. p. 238.79 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce art. 3.102-3-(b).80 N’eût-il d’ailleurs pas fallu ét<strong>en</strong>dre ce dispositif au bénéfice <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime d’une personne atteinte <strong>de</strong> folie ?81 A. Bénab<strong>en</strong>t, La chance et le droit, préf. J. Carbonnier, Bibl. dr. pr., t. 128, L.G.D.J., 1973, p. 62, n° 74.82 Contra Ch. Radé, 2. – Les voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> réforme, <strong>la</strong> promotion du droit à <strong>la</strong> sûreté, D. 1999, Chron., p. 323, spéc. n° 10, p.326) : livrant ses réflexions <strong>sur</strong> les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong>, l’auteur opte pour <strong>la</strong> condamnation d’une personneimpliquée dans <strong>la</strong> réalisation du dommage, qu’il reconnaît volontiers « innoc<strong>en</strong>te », afin <strong>de</strong> garantir à <strong>la</strong> victime <strong>la</strong> réparation<strong>de</strong> son dommage (dommage corporel dans l’exemple choisi).83 B. Starck, Domaine et fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité sans faute, RTD civ. 1958, p. 475, spéc. n° 11.84 Essai d’une théorie générale <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> considérée dans sa double fonction <strong>de</strong> garantie et <strong>de</strong> peine privée,op. cit., 1947, p. 93.12
<strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> dispose in limine que « toute personne <strong>en</strong> charge d’un mineur ou d’unhandicapé m<strong>en</strong>tal est responsable <strong>de</strong>s dommages causés par ce <strong>de</strong>rnier (…) », non pas causés par <strong>la</strong>faute <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Il n’y aurait donc pas, i<strong>de</strong>ntiquem<strong>en</strong>t à ce qui est pratiqué <strong>en</strong> droit interne, addition<strong>de</strong> responsabilités mais substitution pure et simple. Les père et mère sont ainsi responsables du simplefait causal <strong>de</strong> leur <strong>en</strong>fant mineur 85 . L’objectivation est remarquable. Serait-ce que les rédacteurs <strong>de</strong>sPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, comme avant eux les conseillers à <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation française, ai<strong>en</strong>t<strong>en</strong>visagé les <strong>en</strong>fants – voire les personnes handicapées m<strong>en</strong>tales – pour ce que leur nature sembleraitavoir <strong>de</strong> spécifique : spontanéité déraisonnable, complexité et mystère <strong>de</strong>s déterminations, force, quitout à <strong>la</strong> fois, obéit et résiste à leurs par<strong>en</strong>ts 86 ? L’hésitation est permise.L’article précité édicte une présomption <strong>de</strong> causalité <strong>en</strong>tre le comportem<strong>en</strong>t préjudiciableadopté par l’incapable (<strong>civile</strong>m<strong>en</strong>t) et un défaut <strong>de</strong> « supervision » <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne sous <strong>la</strong>responsabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle cette <strong>de</strong>rnière est p<strong>la</strong>cée au jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalisation du dommage. Leraisonnem<strong>en</strong>t qui se trouve à <strong>la</strong> base <strong>de</strong> cette présomption est le suivant : le dommage causé rési<strong>de</strong>nécessairem<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> celui qui <strong>de</strong>vait le <strong>sur</strong>veiller, sauf pour le répondant à rapporter <strong>la</strong>preuve qu’il n’a commis aucune faute <strong>en</strong> considération du standard <strong>de</strong> conduite requis. Une pareilleprésomption peut signifier que le comportem<strong>en</strong>t du responsable primaire importe autrem<strong>en</strong>t moins quel’attitu<strong>de</strong> adoptée par le répondant. C’est d’ailleurs probablem<strong>en</strong>t ce qui a été <strong>en</strong>visagé, car, s’agissant<strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité patronale, qui se trouve être le second cas <strong>de</strong> responsabilité du fait d’autrui, lesPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> dispos<strong>en</strong>t expressis verbis « Toute personne est responsable du dommagecausé par ses préposés agissant dans l’ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> leurs fonctions, dès lors que ces <strong>de</strong>rniers ont violé lestandard <strong>de</strong> conduite requis » (art. 6.102).On accor<strong>de</strong>ra volontiers qu’une pareille présomption est pertin<strong>en</strong>te lorsque le responsableprimaire est une personne gravem<strong>en</strong>t handicapée m<strong>en</strong>tale et/ou un <strong>en</strong>fant <strong>en</strong> bas âge. Elle l’estautrem<strong>en</strong>t moins lorsque l’intéressé est certes handicapé mais n’est nullem<strong>en</strong>t privé <strong>de</strong> tout capacité <strong>de</strong>distinction du bi<strong>en</strong> et du mal ou, et ce<strong>la</strong> emporte plus, lorsqu’il est un grand adolesc<strong>en</strong>t. Or,l’adolesc<strong>en</strong>ce a pu sérieusem<strong>en</strong>t, voire définitivem<strong>en</strong>t, consommer l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te cordiale sous l’empire <strong>de</strong><strong>la</strong>quelle par<strong>en</strong>ts et <strong>en</strong>fants viv<strong>en</strong>t. La multiplication au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>de</strong>s actions <strong>en</strong> responsabilitépour faute l’atteste 87 . Il n’est pas légitime <strong>de</strong> dédouaner <strong>de</strong> toute responsabilité ces personnes <strong>en</strong> raisonsimplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur état. Le juge <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité doit pouvoir les montrer du doigt et imputer <strong>sur</strong>leur tête le paiem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> dommages et intérêts. Aussi, le droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité,dont <strong>la</strong> fonction normative, partant prév<strong>en</strong>tive, n’est pas écartée, gagnerait à conditionner <strong>la</strong>responsabilité <strong>de</strong>s répondants non pas au fait d’autrui mais à <strong>la</strong> faute du primo responsable. C’estprécisém<strong>en</strong>t ce que dispose le Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce (art. 3.104 : Accountability for damagecaused by childr<strong>en</strong> or supervised persons ; art. 3.201-1 : Accountability for damage caused byemployees and repres<strong>en</strong>tatives). C’est <strong>de</strong> <strong>sur</strong>croît ce qui est suggéré <strong>de</strong> lege fer<strong>en</strong>da <strong>en</strong> droit français.L’avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d conditionner les responsabilités du faitd’autrui à <strong>la</strong> preuve d’un fait <strong>de</strong> nature à <strong>en</strong>gager <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’auteur direct du dommage (art.1355). C’est une recommandation formulée par les rapporteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission <strong>de</strong>s lois du Sénat <strong>sur</strong><strong>la</strong> responsabilité <strong>civile</strong> 88 .2) La faute dans les responsabilités implicitem<strong>en</strong>t présuméeLa mise <strong>en</strong> danger d’autrui est un singulier chef <strong>de</strong> responsabilité pour faute présuméeimplicite et résiduel.L’article 4.103 <strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité dispose : « un <strong>de</strong>voird’agir positivem<strong>en</strong>t pour protéger autrui d’un dommage peut exister lorsque <strong>la</strong> loi le prévoit ou lorsquel’auteur crée ou contrôle une situation dangereuse ou lorsque les parties <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tionsparticulières ou lorsque le caractère sérieux du dommage d’une part et le fait qu’il eut été aisé <strong>de</strong>85 Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, pp. 6, 10, 11.86 C’est très précisém<strong>en</strong>t ce qu’écrivait Carbonnier s’agissant <strong>de</strong>s animaux (Droit civil, Les obligations, op. cit., p. 470, n°261. Dans le même s<strong>en</strong>s, B. Starck, H. Ro<strong>la</strong>nd et L. Boyer, Obligations, 1-Responsabilité délictuelle, op. cit., n° 643).87 En ce s<strong>en</strong>s, F. Gonthier et M. Lamarche, Faute <strong>en</strong> famille, étu<strong>de</strong>s à <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> Ch. Lapoya<strong>de</strong>-Deschamps, P.U.B., 2003,p. 177, spéc. p. 186.88Sénat, Rapport d’information n° 558, Responsabilité <strong>civile</strong> : <strong>de</strong>s évolutions nécessaires, op. cit., pp. 56-58,recommandation n° 16.13
l’éviter d’autre part, induit une telle obligation. »Autrem<strong>en</strong>t dit, il s’agit d’imputer à faute à l’ag<strong>en</strong>t incriminé, soit d’avoir adopté ou d’avoir faitusage d’une chose acci<strong>de</strong>ntogène, soit justem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne pas avoir pris consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ce caractère. C’estce que le droit suisse nomme le Gefahr<strong>en</strong>satz, à savoir un principe fondam<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> l’ordre juridiquehelvétique qui oblige celui qui a adopté un comportem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>tant une pot<strong>en</strong>tialité dommageablepour un tiers à as<strong>sur</strong>er sa protection, à peine d’<strong>en</strong> répondre (Co<strong>de</strong> suisse <strong>de</strong>s obligations, art. 41 :ext<strong>en</strong>sion prétori<strong>en</strong>ne du domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>use générale <strong>de</strong> responsabilité) 89 . La faute revi<strong>en</strong>t alors àpr<strong>en</strong>dre un risque sans être capable d’<strong>en</strong> empêcher les effets préjudiciables. Dés lors, <strong>la</strong> constatationd’un dommage suffit à prouver que les me<strong>sur</strong>es <strong>de</strong> précautions n’ont pas été prises. La faute est <strong>en</strong>quelque sorte incluse dans le dommage 90 . On ne sera donc pas étonné que ce régime <strong>de</strong> responsabilitéait été inséré par les rédacteurs <strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, dans une section consacrée auxconditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pour faute.Considérant néanmoins qu’il s’agit d’apprécier le comportem<strong>en</strong>t du déf<strong>en</strong><strong>de</strong>ur, à <strong>la</strong> différ<strong>en</strong>ceprès qu’on passe d’un jugem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’action à un jugem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s dilig<strong>en</strong>ces faites pour prév<strong>en</strong>ir ledommage, <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> faute risque fort d’être inconsistante. On peut dès lors craindre que l’on aitinstitué « une machine à faire sauter le droit », pour repr<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> formule imagée <strong>de</strong> Jacques Flour, <strong>en</strong>l’occurr<strong>en</strong>ce le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pour faute. Si l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait conserver ce chef <strong>de</strong>responsabilité, <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce voudrait qu’on <strong>en</strong>serrât plus strictem<strong>en</strong>t le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> protéger autrui d’undommage. On aura gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> noter, à titre <strong>de</strong> comparaison, qu’<strong>en</strong> raison d’une objectivation incessantedu droit <strong>de</strong>s États-unis d’Amérique, « non seulem<strong>en</strong>t les Américains, plutôt que <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>sprécautions, ont préféré cesser d’agir et se réfugier dans un att<strong>en</strong>tisme généralisé. Mais <strong>de</strong> plus, onconstate que, contrairem<strong>en</strong>t à toutes les prédictions, c’est là où le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité a le moinsévolué que les Américains sont les plus performants et se révèl<strong>en</strong>t les plus à-même d’as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong>protection <strong>de</strong> leurs concitoy<strong>en</strong>s » 91 .De prime abord, le Gefahr<strong>en</strong>satz est, à proprem<strong>en</strong>t parler, étranger au juriste français. À <strong>la</strong>réflexion, il le pratique à <strong>la</strong> façon <strong>de</strong> Monsieur Jourdain, sans qu’il n’<strong>en</strong> sût ri<strong>en</strong> 92 . On song<strong>en</strong>aturellem<strong>en</strong>t au principe <strong>de</strong> précaution, qui impose à tout ag<strong>en</strong>t <strong>de</strong> prév<strong>en</strong>ir le dommage ou, à tout lemoins <strong>de</strong> s’as<strong>sur</strong>er contre sa <strong>sur</strong>v<strong>en</strong>ance (C. <strong>en</strong>vir., art. L. 110-1). On p<strong>en</strong>se aussi et <strong>sur</strong>tout à <strong>la</strong>responsabilité générale du fait <strong>de</strong>s choses (C.civ., art. 1384, al. 1 er ). Bi<strong>en</strong> qu’elle ait perdue « sondomaine le plus vaste et le plus popu<strong>la</strong>ire » 93 , <strong>en</strong> raison notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s légis<strong>la</strong>tions <strong>sur</strong> les acci<strong>de</strong>ntsdu travail et <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion, <strong>la</strong> responsabilité du fait <strong>de</strong>s choses est une manifestation topique duGefahr<strong>en</strong>satz. Toutes les fois que <strong>la</strong> victime rapporte <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> l’anormalité du positionnem<strong>en</strong>t oudu comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose inerte impliquée dans le dommage dont elle est le siège, c’est <strong>en</strong>définitive une faute que l’on reproche à son gardi<strong>en</strong> : le bonus pater familias, normalem<strong>en</strong>t pru<strong>de</strong>nt etdilig<strong>en</strong>t, s’as<strong>sur</strong>e que <strong>la</strong> chose dont il a <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> est insusceptible <strong>de</strong> causer un quelconque dommage 94 .« L’ordre qui lie les hommes <strong>en</strong> société, ne les oblige pas seulem<strong>en</strong>t à ne nuire <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> par eux-mêmesà qui que ce soit, mais il oblige aussi chacun à t<strong>en</strong>ir tout ce qu’il possè<strong>de</strong> <strong>en</strong> un tel état que personn<strong>en</strong>’<strong>en</strong> reçoive ni mal, ni dommage (…) » 95 .Bi<strong>en</strong> que <strong>la</strong> doctrine majoritaire française y soit hostile, une faute dans <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> d’une chosedangereuse 96 ne pourrait-elle pas constituer, <strong>en</strong> définitive, le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> toute89 V. not. <strong>sur</strong> cette notion, G. Schamps, La mise <strong>en</strong> danger : un concept fondateur d’un principe général <strong>de</strong> responsabilité.Analyse <strong>de</strong> droit comparé, préf. R. O. Dalcq, éd. Bruy<strong>la</strong>nt, L.G.D.J., 1998, n° 20, p. 269.90 V. <strong>sur</strong> <strong>la</strong> faute virtuelle ou incluse dans le dommage, Ph. Pierre, Notion et role <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journéesstéphanoises, p. 11.91 L. Engel, Vers une nouvelle approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité. Le droit français face à <strong>la</strong> dérive américaine, Revue Esprit1993/6, p. 5, spéc. p. 9.92 Molière, Le bourgeois g<strong>en</strong>tilhomme, 1670, acte II, scène IV : « Par ma foi ! il y a plus <strong>de</strong> quarante que je dis <strong>de</strong> <strong>la</strong> prosesans que j’<strong>en</strong> susse ri<strong>en</strong> (…). »93 J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous <strong>la</strong> V e République, éd. F<strong>la</strong>mmarion, 1996, réimpr. 2006, p. 155.94 Égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, Ph. Pierre, Notion et role <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, p. 4.95 Domat, Les loix <strong>civile</strong>s dans leur ordre naturel, Paris, 1713 cité par O. Descamps, Les origines <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pourfaute personnelle dans le Co<strong>de</strong> civil <strong>de</strong> 1804, op. cit., p. 344, note 440. Cette considération a commandé l’édiction <strong>en</strong> 1804d’un régime <strong>de</strong> responsabilité du fait <strong>de</strong>s animaux (C.civ., art. 1385).96 H. Mazeaud, La faute dans <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>, RTD civ. 1925, p. 793. Ad<strong>de</strong> H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons <strong>de</strong> droit civil,tome 2, vol. 1, Obligations, théorie générale, op. cit., n° 539 ; v. <strong>la</strong> prés<strong>en</strong>tation éc<strong>la</strong>irante du concept proposée par M lleViney (in Le déclin <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité individuelle, préf. A. Tunc., Bibl. dr. pr., t. 53, L.G.D.J., 1965, n° 271).V. égalem<strong>en</strong>t14
chose <strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t ?B) La faute dans les responsabilités « irréfragablem<strong>en</strong>t présumées »La faute dans les responsabilités « irréfragablem<strong>en</strong>t présumées » n’est pas indiffér<strong>en</strong>te. Elleconditionne <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s commettants du fait <strong>de</strong> leurs préposés (1). Elle fon<strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité <strong>de</strong> l’ag<strong>en</strong>t qui pratique une activité anormalem<strong>en</strong>t dangereuse (2).1) Condition <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité patronaleLes projets europé<strong>en</strong>s conditionn<strong>en</strong>t <strong>la</strong> responsabilité du commettant à <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion, par sonpréposé, du standard <strong>de</strong> conduite requis 97 . Le droit positif français <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité patronale estégalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s. Le li<strong>en</strong> <strong>de</strong> filiation est étroit, à tout le moins <strong>de</strong> prime abord, car faute pour lesrédacteurs <strong>de</strong>s projets examinés d’avoir indiqué <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s commettants du fait<strong>de</strong>s préposés, <strong>la</strong>dite filiation prête à discussion. On peut hésiter <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir s’il s’agitd’une responsabilité pour faute présumée ou d’une responsabilité exclusive <strong>de</strong> toute faute.À <strong>la</strong> différ<strong>en</strong>ce du droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité par<strong>en</strong>tale (Principes, art. 6.101), l’article 6.102-1<strong>de</strong>s Principes du droit europé<strong>en</strong> ne précise nullem<strong>en</strong>t que le répondant est fondé à rapporter <strong>la</strong> preuve<strong>de</strong> son abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> faute. De <strong>sur</strong>croît, l’article précité dispose que « toute personne est responsable dudommage causé par ses préposés (…) ». Le texte paraît suggérer que le commettant <strong>en</strong>court uneresponsabilité <strong>de</strong> plein droit, i<strong>de</strong>ntiquem<strong>en</strong>t au droit français, sans préjudice bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<strong>la</strong>issé à l’intéressé <strong>de</strong> rapporteur <strong>la</strong> preuve d’une cause étrangère exonératoire. Son contexte instillepourtant le doute. Cette <strong>de</strong>rnière cause d’exonération <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité est réglem<strong>en</strong>tée dans unarticle 7.102 consacré au droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité sans faute 98 , i.e. pour risque, exclusif du droit <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité du fait d’autrui. Autrem<strong>en</strong>t dit, le p<strong>la</strong>n d’exposition systématique ret<strong>en</strong>u suggère qu’ilpourrait s’agir d’une responsabilité pour faute présumée : culpa in elig<strong>en</strong>do et/ou culpa in vigil<strong>en</strong>do ?Une pareille interprétation opposerait radicalem<strong>en</strong>t le droit positif français <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilitéaux projets europé<strong>en</strong>s, lequel se désintéresse purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir si lecommettant est <strong>en</strong> faute. Elle marquerait au <strong>sur</strong>plus une régression <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection accordée aupréposé. « Si le commettant doit pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge l’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong>s dommages causés aux tiers parl’activité <strong>de</strong> ses préposés, c’est parce que cette activité est exercée pour son compte et dans son intérêt.Il doit donc assumer les risques <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treprise » 99 . C’est <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassationfrançaise a accordé une immunité au préposé fautif qui agit « dans les limites <strong>de</strong> sa mission » 100 . Ils’agirait que les projets europé<strong>en</strong>s <strong>la</strong> leur accordât 101 , mais expurgée <strong>de</strong> <strong>la</strong> bi<strong>en</strong>veil<strong>la</strong>nce accordée par<strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation à l’as<strong>sur</strong>eur <strong>de</strong> responsabilité du commettant. Aux termes d’une jurispru<strong>de</strong>nceréc<strong>en</strong>te 102 , l’as<strong>sur</strong>eur du commettant est fondé à poursuivre <strong>en</strong> remboursem<strong>en</strong>t du sinistre (<strong>de</strong>tte <strong>de</strong>responsabilité) l’as<strong>sur</strong>eur du préposé fautif, ce qui, <strong>en</strong> définitive, consiste à faire assumer par lepréposé, par le truchem<strong>en</strong>t d’une as<strong>sur</strong>ance <strong>de</strong> responsabilité – <strong>la</strong>quelle est certes <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t pratiquéemais pas r<strong>en</strong>due obligatoire – les risques <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treprise.Les rédacteurs suggèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> toute vraisemb<strong>la</strong>nce qu’il s’agirait d’une présomption irréfragable<strong>de</strong> responsabilité. On notera qu’une pareille présomption est une contradiction dans les termes : « c’est<strong>en</strong> réalité une règle <strong>de</strong> fond, cachée sous <strong>la</strong> fausse appar<strong>en</strong>ce d’une règle <strong>de</strong> preuve » 103 . La natur<strong>en</strong>otre thèse, n° 445.97 Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.201 ; Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, art. 6.102.98 Égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, art. 3.201 : Accountability for damage caused by employees andrepres<strong>en</strong>tatives in Section 2 : Accountability without Int<strong>en</strong>tion or Neglig<strong>en</strong>ce.99 J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, 13 ème éd., Sirey, 2009, n° 205.100 Cass. Ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat, D. 2000, p. 673, obs. Ph. Brun ; JCP G. 2000, II, 1295, concl. R. Kessous, noteM. Billiau ; JCP G. 2000, I, 241, obs. G. Viney ; RTD Civ. 2000, p. 582, obs. P. Jourdain.101 Égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, S. Carval, Notion et role <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans les projets europé<strong>en</strong>s, journées stéphanoises, p. 8.102 Cass. 1 ère civ., 12 juill. 2007, Gourrion et autre c/ Mathieu, Bull. civ. I, n° 270 ; JCP G. 2007, II, 10162, obs. S. Hoquet-Berg ; Resp. civ. et as<strong>sur</strong>. 2007, comm. n° 334, obs. H. Groutel ; RTD Civ. 2008, p. 109, obs. P. Jourdain : l’immunité dupréposé n’est pas une irresponsabilité. L’action subrogatoire <strong>de</strong> l’as<strong>sur</strong>eur <strong>de</strong> responsabilité <strong>civile</strong> du commettant peut êtreexercée contre l’as<strong>sur</strong>eur du préposé.103 Ibid, n° 204. V. égal. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, P. Widmer, La responsabilité du fait <strong>de</strong>s choses et/ou <strong>de</strong>s activités dangereuses, journéesstéphanoises, p. 9.15
commandant le régime, il y aurait lieu <strong>de</strong> ram<strong>en</strong>er le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité patronale dans le giron<strong>de</strong>s responsabilité sans faute pour l’expliciter.2) Fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pour risqueL’article 5.101 <strong>de</strong>s Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité dispos<strong>en</strong>t, dans unchapitre 5 consacrée à <strong>la</strong> responsabilité sans faute, « toute personne pratiquant une activitéanormalem<strong>en</strong>t dangereuse est <strong>de</strong> plein droit responsable <strong>de</strong>s dommages causés, dès lors que ceux-cisont caractéristiques du risque prés<strong>en</strong>té par l’activité et qu’ils <strong>en</strong> résult<strong>en</strong>t ». Pour sa part, l’article3.206 du Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce institue, dans une section 2 intitulée « Accountability withoutint<strong>en</strong>tion or neglig<strong>en</strong>ce », une responsabilité du fait <strong>de</strong>s « substances ou émissions dangereuses ». Si<strong>de</strong> lege fer<strong>en</strong>da, ce chef <strong>de</strong> responsabilité a été introduit dans l’avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>sobligations (art. 1362), <strong>en</strong> l’état du droit positif français, il n’existe pas <strong>de</strong> régime <strong>de</strong> responsabilitéadapté notamm<strong>en</strong>t aux catastrophes industrielles <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur 104 .Prima facie, <strong>la</strong> faute est indiffér<strong>en</strong>te. Elle ne paraît nullem<strong>en</strong>t conditionner <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>l’ag<strong>en</strong>t économique qui pratiquerait une semb<strong>la</strong>ble activité, à tout le moins dans les Principes <strong>de</strong> droiteuropé<strong>en</strong>. On partage l’analyse <strong>de</strong> Suzanne Carval 105 : <strong>la</strong> cause d’exonération <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, quiconsiste pour l’auteur du dommage à rapporter <strong>la</strong> preuve qu’il a respecté les conditions légalesre<strong>la</strong>tives au contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance ou à l’exploitation <strong>de</strong> son activité (Cadre commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce,art. 3.206-5 (b) (Accountability for damage caused by dangerous substances or emissions), suggèrequ’il s’agirait moins d’un régime <strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong> plein droit qu’un régime <strong>de</strong> responsabilité pourfaute simplem<strong>en</strong>t présumée.En définitive, <strong>la</strong> faute est t<strong>en</strong>ace. Ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> moins étonnant dans un pareil système <strong>de</strong>responsabilité. On peut considérer à bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s égards qu’une personne qui pratique une activitéanormalem<strong>en</strong>t dangereuse est <strong>en</strong> définitive constituée <strong>en</strong> faute. Cette faute est d’une espèce singulière,car elle est aggravante du risque. C’est ce qui fon<strong>de</strong> <strong>la</strong> condamnation au paiem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dommagesintérêts,lesquels « ont accessoirem<strong>en</strong>t une fonction prév<strong>en</strong>tive » 106 .Ce <strong>de</strong>rnier chef <strong>de</strong> responsabilité abordé est un marqueur fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction normative <strong>de</strong> <strong>la</strong>responsabilité. Elle a pour objet d’inviter les ag<strong>en</strong>ts économiques les plus féconds à prév<strong>en</strong>ir <strong>la</strong><strong>sur</strong>v<strong>en</strong>ance du dommage. Le risque est connu, sa réalisation est incertaine. On reproche <strong>en</strong> définitive àl’auteur du dommage d’avoir aggravé par son manque <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong> dilig<strong>en</strong>ce les conséqu<strong>en</strong>cespréjudiciables du risque pris, possiblem<strong>en</strong>t dans l’intérêt <strong>de</strong> tout un chacun. Ainsi compris, lesPrincipes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité paraiss<strong>en</strong>t consacrer, par prétérition, un principe <strong>de</strong>prév<strong>en</strong>tion.« Chassée par <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> l’objectivation <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité, <strong>la</strong> faute [n’a <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> rev<strong>en</strong>ir]par les f<strong>en</strong>êtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> subjectivité <strong>de</strong> ses acteurs contemporains » 107 , et ce tant <strong>en</strong> droit interne que dansles projets europé<strong>en</strong>s. Pour cause : « <strong>la</strong> responsabilité fondée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> faute est le meilleur instrum<strong>en</strong>td’une politique <strong>de</strong> prév<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s dommages : l’homme est incité à agir avec le maximum <strong>de</strong> dilig<strong>en</strong>cepour échapper à <strong>la</strong> charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation » 108 .104 « Sans préjudice <strong>de</strong> dispositions spéciales, l'exploitant d'une activité anormalem<strong>en</strong>t dangereuse, même licite, est t<strong>en</strong>u <strong>de</strong>réparer le dommage consécutif à cette activité. Est réputée anormalem<strong>en</strong>t dangereuse l'activité qui crée un risque <strong>de</strong>dommages graves pouvant affecter un grand nombre <strong>de</strong> personnes simultaném<strong>en</strong>t. L'exploitant ne peut s'exonérer qu'<strong>en</strong>établissant l'exist<strong>en</strong>ce d'une faute <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime dans les conditions prévues aux articles 1349 à 1351-1. » V. <strong>sur</strong> cettedisposition innovante, G. Viney, Avant-projet <strong>de</strong> réforme du droit <strong>de</strong>s obligations, Dispositions re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> responsabilité<strong>civile</strong> (art. 1340 à 1386, exposé <strong>de</strong>s motifs, III, 5°.105 S. Carval, Notion et role <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute dans les projets europé<strong>en</strong>s, journées stéphanoises, p. 7.106 Principes <strong>de</strong> droit europé<strong>en</strong>, art. 10.101 in fine.107 Ph. Pierre, Notion et rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute <strong>en</strong> droit français, journées stéphanoises, p. 1.108 J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, op. cit., n° 66.16