accepte, s’ouvre, s’é<strong>la</strong>rgit, plus <strong>la</strong> vie humaine s’enrichit. Plus on dépasse ce petit mon<strong>de</strong>mesquin et prétentieux qui est une prison — j’aime, je n’aime pas, il a raison, il a tort —moins on <strong>de</strong>vient indifférent. Le sage ne distingue plus entre le bon et le mauvais. Toutlui est égal. Car que signifie exactement l’expression courante : « Ça m’est égal »? « Ducafé ou du thé » « Ça m’est égal. » Pour moi l’un est égal à l’autre. L’un n’est pasmeilleur que l’autre, supérieur à l’autre. Pour le sage, tout est égal. Et si vous voulez bienréfléchir une secon<strong>de</strong> à ce que cette affirmation représente et implique, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die égale à<strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> pauvreté égale à <strong>la</strong> richesse, l’abandon égal à <strong>la</strong> gloire, vous reconnaîtrez qu’ily a là un état <strong>de</strong> conscience, une réalisation, qui vous échappe <strong>com</strong>plètement.Égal. Mais nullement uniforme. Au contraire. Tout est égal mais tout est unique,différent, in<strong>com</strong>parable. Non seulement chaque être humain, chaque créature, maischaque brin d’herbe d’une prairie. Et chaque instant <strong>de</strong> l’existence. L’équanimité n’estpas l’indifférence. Elle l’est d’autant moins que le sage, délivré <strong>de</strong> luimême, est un avectout et avec tous et incarne l’amour illimité. La difficulté pour le sadhaka est justement<strong>de</strong> ne pas tomber dans l’indifférence, le manque d’amour. Il y a <strong>de</strong>ux façons <strong>de</strong>prononcer: « Ce<strong>la</strong> m’est égal », <strong>la</strong> façon négative qui signifie : « Je m’en fous et je vousdis mer<strong>de</strong> » et <strong>la</strong> façon positive : « Toute chose est égale, quoi qu’il arrive je l’accepte etma joie <strong>de</strong>meure. » C’est ce<strong>la</strong>, être libre.La neutralité n’est ni l’inertie, ni <strong>la</strong> stupidité, ni <strong>la</strong> transformation en bloc <strong>de</strong> pierre.C’est au contraire <strong>la</strong> vie illimitée, infinie. Pour le disciple qui est encore sur <strong>la</strong> voie, c’estune vie <strong>de</strong> moins en moins limitée, <strong>de</strong> plus en plus vaste, <strong>de</strong> plus en plus épanouie. Aulieu <strong>de</strong> ne vivre que dans son petit univers, toujours le même, qu’on transporte partoutavec soi — ce qui n’est pas vivre — le disciple va à <strong>la</strong> découverte du vaste mon<strong>de</strong>,ouvert, recevant, <strong>com</strong>prenant. Chaque être humain, du fait même qu’il est uneindividualité, vit dans son mon<strong>de</strong> et jamais dans le mon<strong>de</strong>. Et quand six milliardsd’individualités qui vivent dans leur mon<strong>de</strong> vivent ensemble, ce<strong>la</strong> ne peut donner que <strong>de</strong>sin<strong>com</strong>préhensions, <strong>de</strong>s heurts, <strong>de</strong>s conflits, <strong>de</strong>s souffrances et tous les faux remè<strong>de</strong>s à cessouffrances, les refoulements et les <strong>com</strong>pensations qui font les mensonges intérieurs <strong>de</strong>plus en plus inextricables. Tant qu’il n’y a pas vérité, il y a attachement. La vérité totalec’est <strong>la</strong> liberté.Il faut retourner à <strong>la</strong> vérité, <strong>la</strong> vérité en soi, <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> plus en plus. C’est <strong>la</strong> voie versce merveilleux, ce miraculeux, dont tout être humain conserve <strong>la</strong> nostalgie malgré lenombre <strong>de</strong>s années.C’est <strong>la</strong> voie qui permet à l’homme <strong>de</strong> transcen<strong>de</strong>r toutes ses limites.
6. ÊtreAvant <strong>de</strong> conclure ce livre et <strong>de</strong> quitter ceux qui auront pris <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> le lire jusqu’àcette page, je veux insister sur un point qui <strong>de</strong>vrait être évi<strong>de</strong>nt mais qui risque d’êtreoublié : c’est qu’il ne dit pas tout ce qui concerne <strong>la</strong> <strong>sagesse</strong> à <strong>la</strong>quelle il est consacré, loin<strong>de</strong> là. Tout ne peut pas être écrit et publié sous peine d’être in<strong>com</strong>pris ou, pire, <strong>com</strong>pris <strong>de</strong>travers. Parce que l’humanité se transmet <strong>de</strong> génération en génération <strong>de</strong>s textes sacrés oùtout est dit, <strong>com</strong>me les Upanishads, <strong>la</strong> Prajnaparamita, le Yoga Vashishta Ramayana, <strong>la</strong>Genèse, il ne s’ensuit pas que les hommes d’aujourd’hui en général et les chercheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong>vérité particulier soient tellement plus avancés. « On ne donne pas <strong>de</strong> nourriture soli<strong>de</strong> àun nourrisson », répètent les hindous. A dire vrai, on ne <strong>com</strong>prend ce qu’on lit quelorsqu’on en a déjà fait soimême l’expérience, lorsqu’on le connaît déjà. La véritabletransmission <strong>de</strong> l’enseignement est orale, personnelle et graduelle. Il suffit <strong>de</strong> quelquespages pour résumer <strong>la</strong> métaphysique et l’ontologie. Il faut <strong>de</strong>s années pour se connaître,s’éveiller, réaliser <strong>la</strong> véritable nature du mon<strong>de</strong> extérieur (jagat ou samsara).Dans les pages qui précè<strong>de</strong>nt, il a été sans cesse question <strong>de</strong> perfection et <strong>de</strong> plénitu<strong>de</strong>.Mais je ne pense pas qu’un être humain puisse considérer avoir atteint <strong>la</strong> perfection,l’achèvement <strong>de</strong> tout, une certitu<strong>de</strong> à <strong>la</strong>quelle il ne manque rien, tant que se pose à luil’énigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort. S’il y a une perfection ou une libération, celleci ne peut être qu’uneexpérience personnelle vécue en toute certitu<strong>de</strong> — et non une réponse extraite d’un credoou d’un dogme — par <strong>la</strong>quelle cette énigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort est dissipée. Mais <strong>com</strong>mentespérer savoir ce qu’est <strong>la</strong> mort quand on ne sait pas non plus ce qu’est <strong>la</strong> vie ? La vraiequestion n’est pas celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort mais le fait que nous qui avons l’être d’un homme ou,plus simplement, nous qui sommes vivants, nous ne savons pas ce qu’est <strong>la</strong> vie, nous nesavons pas ce que c’est que d’être vivant.L’énigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort s’est toujours posée à l’humanité et elle n’a jamais été ni ne serajamais résolue par les moyens habituels et les réponses intellectuelles. L’humanité esttoujours dans le doute et toujours dans l’inconnu et les hommes se partagent entre <strong>de</strong>sthéories contradictoires : <strong>de</strong>struction définitive, réincarnation, purgatoire, paradis. Nouspouvons interroger tous les philosophes, tous les yogis, tous les théologiens, tous lesbiologistes et tous les mystiques, nous ne saurons toujours rien sur notre propre mort.Mais tenter <strong>de</strong> savoir ce qu’est <strong>la</strong> vie, ce<strong>la</strong> est à notre portée, puisque nous sommesvivants, puisque nous existons. C’est l’unique sens <strong>de</strong> l’existence, le véritable koan. Nouspouvons nous engager dans cette direction. Savoir ce qu’est <strong>la</strong> mort, savoir ce qu’est <strong>la</strong>vie et savoir aussi ce qu’est <strong>la</strong> naissance. Car nous ne savons rien sur <strong>la</strong> façon dont nousmourrons et ce qui se passera alors, mais nous ne savons rien non plus sur <strong>la</strong> façon dontnous sommes nés et ce qui s’est passé. Nous savons que nous existons mais nousignorons <strong>com</strong>ment notre existence va finir et nous ne savons pas plus <strong>com</strong>ment elle a<strong>com</strong>mencé. Même si nous assistions à un film montrant notre mère accouchant <strong>de</strong> nous,nous ne saurions pas mieux, pour nous, <strong>com</strong>ment cette conscience d’être qui nous animeaujourd’hui a débuté.Lorsque nous rêvons <strong>la</strong> nuit, nous nous trouvons pris en cours <strong>de</strong> rêve et nous ne
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’