intervient, justement, <strong>la</strong> libération ou le nirvana. Mais en même temps, pour l’inconscientet pour le supraconscient, tout existe dans <strong>la</strong> simultanéité et l’éternité, tous les courantssont perçus entièrement <strong>de</strong>puis leur origine.Ces dynamismes intérieurs, personnels, ne sont pas les seuls qui interviennent. Sanscesse ils rencontrent d’innombrables autres processus extérieurs à nous.D’abord, à <strong>la</strong> conception, le flux qui s’incarne se heurte et se mêle aux flux constituantle père et <strong>la</strong> mère et ce<strong>la</strong> déjà dans l’ambivalence <strong>de</strong> mouvements d’attraction et <strong>de</strong>répulsion. C’est ce qui détermine l’hérédité. Ensuite le milieu ou l’environnement et, enparticulier, l’éducation jouent leur rôle primordial dans une <strong>de</strong>stinée humaine etcontribuent aussi à <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s divers <strong>de</strong>stins et à l'inégalité entre les êtres.Ainsi <strong>la</strong> vie n’est qu’une longue suite d’actions et <strong>de</strong> réactions <strong>de</strong> divers courants. Toutest tout le temps mis en question. L’homme, pourtant, se ressent luimême <strong>com</strong>me uneindividualité, <strong>com</strong>me un ego, avec une conscience <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité. C’est une illusion,aussi difficile à définir qu’à décrire. Là où nous disons « rendre l’âme », les hindousdisent « abandonner le corps ». Ainsi une âme individuelle (jiva) changerait <strong>de</strong> corps àtravers les incarnations successives, <strong>com</strong>me on change <strong>de</strong> vêtement. Encore une fois, cen’est qu’une façon <strong>de</strong> parler, un <strong>la</strong>ngage conventionnel. Une âme immuable signifieraitune âme inchangée et inchangeable. Comment pourraitelle alors évoluer et setransformer?Chaque fois qu’une <strong>de</strong>scription re<strong>la</strong>tive, utilisée pour <strong>la</strong> <strong>com</strong>modité d’un enseignementpratique et concret, <strong>de</strong>vient non plus un instrument ou un tremplin mais une conceptionfigée, un maître <strong>la</strong> contredit et en montre <strong>la</strong> fragilité. Le seul enseignement qui ait unevaleur d’éveil est celui qu’un disciple particulier reçoit personnellement <strong>de</strong> son maître.<strong>Les</strong> livres sont là pour faire poser <strong>de</strong>s questions plus que pour y répondre, pour donnerenvie <strong>de</strong> chercher plus que pour indiquer <strong>com</strong>ment chercher. Etre libéré <strong>de</strong> son ego, <strong>de</strong>ses limites, ce<strong>la</strong> se vit <strong>com</strong>me une mort et une résurrection. La meilleure réponse à <strong>la</strong>question si controversée : « Qu’estce qui transmigre ? », c’est <strong>la</strong> plus décevante pour lemental : « Pas qu’il y ait une âme, pas qu’il n’y ait pas d’âme » (ou <strong>de</strong> conscience, ou <strong>de</strong>soi). <strong>Les</strong> bouddhistes nient l’existence d’un atman, les hindous l’affirment. Mais ils neprennent pas le mot dans le même sens.En adhérant à une affirmation, quelle qu’elle soit, qui ne correspond pas à uneexpérience personnelle certaine, nous alourdissons encore le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> nos conceptionset <strong>de</strong> nos opinions, le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> notre mental. Le chemin vers <strong>la</strong> vérité absolue va <strong>de</strong>vérité re<strong>la</strong>tive en vérité re<strong>la</strong>tive (ou vérité dépendante). Il n’y a aucune connaissance <strong>de</strong>soi possible à travers les livres. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> soi se fait sur soimême, sur <strong>la</strong> matièrevivante, sur le champ <strong>de</strong> bataille, <strong>com</strong>me dit <strong>la</strong> Baghavad Gita, où s’affrontent nostendances ennemies qui, <strong>com</strong>me les Pandavas et les Kauravas, sont <strong>de</strong>s parents, <strong>de</strong>scousins, c’estàdire ont <strong>la</strong> même unique origine.Il n’y a rien qui change signifie il n’y a rien qui soit, il n’y a rien. Rien sauf ce que leshindous appellent brahman, les mahayanistes shunyata, et dont le Bouddha a dit:*
«Il existe bien un nonné, nonfait, non<strong>de</strong>venu. » Si nous pouvions constater que «nous » n’existons pas non plus, nous serions, on le conçoit, libéré <strong>de</strong> tous nos problèmes.Or cette incroyable réalisation, incroyable et, je suppose, insensée pour le lecteurocci<strong>de</strong>ntal contemporain, a eu ses témoins à chaque époque, y <strong>com</strong>pris <strong>la</strong> nôtre. Pourcertains, l’expérience est <strong>de</strong>venue définitive ; ce sont les rarissimes jivanmukta, « libérésdans cette vie ». Pour <strong>la</strong> plupart, elle a été un éveil provisoire, une échappée hors dutemps (une ou plusieurs) suivie d’un retour aux conditions ordinaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience,celle du temps, <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation, du désir, <strong>de</strong> <strong>la</strong> peur et <strong>de</strong>s tentatives plus ou moinsintelligentes pour échapper à l’étroitesse et à <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’ego.Je ne veux pas répéter tout ce que j ‘ai écrit dans mes précé<strong>de</strong>nts ouvrages à propos <strong>de</strong><strong>la</strong> conception hindoue <strong>de</strong> l’ego, ce mot <strong>la</strong>tin plus employé dans les ashrams que tous lesmots sanscrits. Pourtant c’est <strong>la</strong> clé du védanta. L’ego est <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> : je suis moi, un «nom » et une « forme » (nama et rupa), soumis à <strong>la</strong> durée, séparé <strong>de</strong>s autres egos. C’est <strong>la</strong>conscience individuelle du temps et <strong>de</strong> <strong>la</strong> multiplicité. Le sage, lejivanmukta est egolessou egofree : il n’y a plus d’ego. Sa conscience, infinie, illimitée, s’exprime par le pur :«Je suis » (aham) et non plus : « Je suis un individu » (ahamkar). Tout homme, toutefemme qui conserve un ego <strong>de</strong>meure soumis au désir et à <strong>la</strong> crainte, inévitables tant quesubsiste le dualisme du moi et du nonmoi.Dès que le bébé <strong>com</strong>mence à sortir <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> grâce <strong>de</strong>s premières semaines ou <strong>de</strong>spremiers mois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion idyllique avec sa mère, son ego se forme pardifférenciation. Toute souffrance, toute frustration renforce cet ego. L’ego <strong>de</strong> l’enfant<strong>de</strong>man<strong>de</strong> et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’autant plus qu’il a l’impression <strong>de</strong> moins recevoir. Comme lebébé n’avait rien d’autre à faire qu’à se <strong>la</strong>isser soigner, <strong>la</strong>ver, nourrir et admirer, l’enfantaccepte difficilement, ou même n’accepte pas du tout, que cette situation bénie necontinue pas indéfiniment. Après n’avoir d’abord rencontré que le oui, il lui faut faireface au non. Ici doit normalement intervenir une éducation juste qui amène l’enfant àtenir <strong>com</strong>pte <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong>s autres et à trouver naturel que ceuxci n’existent passeulement pour lui et en fonction <strong>de</strong> lui. C’est le processus normal <strong>de</strong> croissance qui, parun é<strong>la</strong>rgissement progressif <strong>de</strong>s intérêts, conduit à l’état véritablement adulte. L’enfanttient <strong>com</strong>pte <strong>de</strong>s désirs <strong>de</strong> ses amis, <strong>la</strong> jeune fille <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> ses frères et sœurs, les épouxapprennent à vivre l’un pour l’autre, à vivre ensemble pour leurs enfants, plus tard à<strong>de</strong>venir un père et une mère pour tous ceux qui viennent à eux. Encore fautil que l’adultene conserve pas en lui <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> désespérée d’un enfant frustré qui le condamne àtoujours réc<strong>la</strong>mer et à se sentir perdu si on ne s’occupe pas <strong>de</strong> lui ou si on le critique.Ainsi <strong>la</strong> voie est avant tout une question <strong>de</strong> croissance intérieure, <strong>de</strong>puis l’égoïsme,l’étroitesse et <strong>la</strong> mesquinerie jusqu’à une <strong>com</strong>préhension et un amour universels. Celuiqui n’attend rien et ne dépend <strong>de</strong> rien est un avec tout et accè<strong>de</strong> à <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>l’éternité et du nondualisme. Pour <strong>de</strong>venir indépendant il faut dépendre <strong>de</strong> soi et non <strong>de</strong>l’amour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>com</strong>préhension que les autres nous témoignent ou ne nous témoignentpas. Celui qui a trouvé sa dépendance en luimême n’a plus d’émotions mais seulement lesentiment d’amour du prochain à qui il donne toujours le droit d’être différent <strong>de</strong> lui.L’enfant dépendant <strong>de</strong>s parents est <strong>de</strong>venu l’adulte sur qui d’autres peuvent s’appuyerpour apprendre euxmêmes à grandir.
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toutes choses. » Quel homme ? L’