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Julia SeranoLE PRIVILEGECISSEXUEL


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PREFACE DES EDITRICES(octobre 2011)Ce texte de Julia Serano constitue <strong>le</strong> chapitre 8 de son livre Whipping girl, atranssexual woman on sexism and the scapegoating of femininity, paru en 2007 chez SealPress. Il s'agit là de sa première édition publiée en français.En effet, la littérature trans francophone est principa<strong>le</strong>ment constituée detémoignages et biographies rédigéEs pour satisfaire la curiosité et <strong>le</strong> voyeurisme du<strong>le</strong>ctorat cisgenre, ou à des thèses de psychiatres et autres médecins transphobes. Enraison de cette société transphobe et des <strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s, bien rares sont <strong>le</strong>s livresoù des personnes trans se situent politiquement et analysent <strong>le</strong>ur propre situation, sansdemander pardon ni dire merci.Dans son livre, Julia Serano part en partie de sa vie pour tirer une analysepolitique féministe de la situation des femmes trans dans la société occidenta<strong>le</strong> et <strong>le</strong>smilieux féministes et LGBT. El<strong>le</strong> défend la thèse que <strong>le</strong>s femmes trans, avant de subirdes formes évoluées de transphobie, sont <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s du sexismetraditionnel et de la misogynie bana<strong>le</strong> et parfois insidieuse qui sévit historiquementdans nos sociétés et milieux. El<strong>le</strong> propose donc, avant de partir en guerre contre denouveaux systèmes d'oppression, de revoir en profondeur nos rapports à la féminité et àsa (dé)valorisation. El<strong>le</strong> propose de nouveaux cadres de réf<strong>le</strong>xion, via une remise encause radica<strong>le</strong> des comportements misogynes et des perceptions des féminités.Dans ce chapitre, el<strong>le</strong> s'attarde sur <strong>le</strong>s <strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s ainsi que sur <strong>le</strong>smécanismes que <strong>le</strong>s personnes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s mettent en place pour justifier et maintenir<strong>le</strong>urs <strong>privilège</strong>s. L'idée est de mettre en lumière un statut opprimant (en l'occurence, <strong>le</strong>statut cis), pour l'étudier et en comprendre <strong>le</strong>s fonctionnements. Ce qui permet, pourune fois, de ne pas placer <strong>le</strong>s personnes transsexuel<strong>le</strong>s comme objets d'étude, mais àl'inverse de mettre <strong>le</strong>s personnes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s et <strong>le</strong>urs comportements sous la louped'une analyse matérialiste visant à questionner la norme.Pour la présente édition,<strong>le</strong> Col<strong>le</strong>ctif MTF (Misandres Terroristes Féministes).3


NOTE DES TRADUCTRICESJulia Serano utilise des notions comp<strong>le</strong>xes et novatrices. El<strong>le</strong> propose parfois destermes nouveaux qui n'existent probab<strong>le</strong>ment pas officiel<strong>le</strong>ment dans la langueanglaise, et qui n'ont pas de traduction fidè<strong>le</strong> en français. Pour essayer au mieux derester fidè<strong>le</strong> aux propos de l'auteure tout en préservant une certaine fluidité dans la<strong>le</strong>cture, nous avons parfois choisi d'inventer un néologisme équiva<strong>le</strong>nt ("gendering" >"genrement") et parfois choisi d'utiliser des mots admis dans la langue française ("thirdgendering"> "l'assignation à un troisième genre").Par ail<strong>le</strong>urs, certains termes ont été traduits via des choix subjectifs jugésjudicieux, et pas du tout en fonction d'une éventuel<strong>le</strong> vérité linguistique testée etattestée. Par exemp<strong>le</strong>, "cissexual assumption" devient "évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>", "genderentit<strong>le</strong>ment" devient "sentiment de légitimité de genre", "fema<strong>le</strong>ness" devient"appartenance au genre féminin", "peop<strong>le</strong> of color" devient "personne racisée", "queer"devient "lgbt", "homo/trans" ou "queer" (selon <strong>le</strong> contexte), etc.Enfin, à plusieurs reprises, on rencontre <strong>le</strong>s termes de "sexisme oppositionnel" etde "sexisme traditionnel". Dans une autre partie de son livre, Julia Serano définit ainsices notions : "<strong>le</strong> sexisme oppositionnel [...] est la croyance que femme et homme sontdes catégories rigides, mutuel<strong>le</strong>ment exclusives, chacune possédant un panel d'attributs,d'aptitudes, de capacités et de désirs uniques qui ne se croisent pas.", "<strong>le</strong> sexismetraditionnel [est] la croyance qu'être homme et que la masculinité sont supérieurs aufait d'être femme et à la féminité."4


LE PRIVILEGECISSEXUELpar Julia SeranoDÉMANTELERLE PRIVILÈGE CISSEXUELJusqu'à présent, <strong>le</strong>s discours sur latranssexualité ont systématiquement étéliés à un langage et à des conceptsinventés par <strong>le</strong>s clinicienNEs, <strong>le</strong>schercheureuses et <strong>le</strong>s académicienNEs quiont fait des transsexuelLEs <strong>le</strong>s objets de<strong>le</strong>urs enquêtes. Dans un tel cadre, <strong>le</strong>scorps, identités, perspectives etexpériences transsexuelLEs doiventcontinuel<strong>le</strong>ment être expliquéEs et restentinévitab<strong>le</strong>ment sujets à interprétations.Les attributs <strong>cissexuel</strong>s équiva<strong>le</strong>nts sontsimp<strong>le</strong>ment pris pour acquis − ils sontconsidérés comme "naturels" et"normaux" et échappent donc à unecritique réciproque. Ceci place <strong>le</strong>stranssexuelLEs à un désavantageconstant, qui commence avec <strong>le</strong> fait quenous sommes généra<strong>le</strong>ment forcéEs denous rattacher à une terminologie limitéecis­centrée pour donner du sens à nospropres vies.Ces dernières années, un nouveauparadigme s'est dessiné avec l'essor del'activisme transgenre, permettant lacompréhension des expériences de lapopulation variante de genre (de laquel<strong>le</strong><strong>le</strong>s transsexuelLEs sont un sous­ensemb<strong>le</strong>). D'après ce modè<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s personnesvariantes de genre sont oppressées par unsystème qui force chacunE à s'identifier età être faci<strong>le</strong>ment reconnaissab<strong>le</strong> commefemme ou comme homme. Cetteperspective a amené <strong>le</strong>s activistestransgenres à se focaliser prioritairementsur la contestation des normes de genresbinaires − particulièrement cel<strong>le</strong>s quilimitent l'expression du genre etl'apparence − et à célébrer et créer desespaces particuliers pour cel<strong>le</strong>ux quidéfient, transcendent, ou n'arrivent pas às'identifier au sein de la binaritéhomme/femme. Si l'activisme transgenrea indubitab<strong>le</strong>ment bénéficié à lacommunauté transsexuel<strong>le</strong> sur p<strong>le</strong>in deniveaux, il a aussi rendu invisib<strong>le</strong>beaucoup de nos propres problématiqueset expériences particulières. Dans unelarge mesure, c'est parce que larhétorique transgenre privilégie <strong>le</strong>sperspectives de cel<strong>le</strong>ux qui s'identifient endehors de la binarité homme/femme(alors que la plupart des transsexuelLEss'y retrouvent) et de cel<strong>le</strong>ux dontl'expression de genre et l'apparence ne seconforme pas à la binarité (alors que <strong>le</strong>stranssexuelLEs avancent justement la5


divergence entre <strong>le</strong>ur sexe subconscient et<strong>le</strong>ur sexe physique comme étant unobstac<strong>le</strong> majeur de <strong>le</strong>ur vie).Si je crois que la création d'espacespour <strong>le</strong>s personnes qui existent en dehorsde la binarité homme/femme reste unecause qui mérite qu'on se batte pour el<strong>le</strong>,cel<strong>le</strong>ux d'entre nous qui sommestranssexuelLEs doivent commencersimultanément à développer nos propreslangages et concepts qui s'articu<strong>le</strong>ntcorrectement avec nos expériences etperspectives uniques et à comb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>snombreux vides qui existent à la fois dans<strong>le</strong> langage des gardiens de l'ordre, et à lafois dans celui des activistes transgenres.Je soutiens que ce travail devraitcommencer par une critique minutieusedu <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> − c'est à dire del'analyse à deux vitesses qui promeutl'idée que <strong>le</strong>s genres transsexuels sontdistincts et moins légitimes que <strong>le</strong>s genres<strong>cissexuel</strong>s. Avant de décrire comment <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> est pratiqué et justifié,nous devons récuser deux aspectscruciaux du genre social qui permettent laprolifération des <strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s etqui demeurent pourtant invisib<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>genrement et l'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>.LE GENREMENTLa plupart d'entre nous voudraitcroire que <strong>le</strong> fait de faire la distinctionentre femmes et hommes est un actepassif, que toutes <strong>le</strong>s personnes tombentnaturel<strong>le</strong>ment dans une des deuxcatégories mutuel<strong>le</strong>ment exclusives −masculin et féminin − et que constaterl'état naturel des choses est une attitudeobjective qui va de soi. Pourtant, ce n'estpas <strong>le</strong> cas. Faire la distinction entrefemmes et hommes est un procédé actif,et nous <strong>le</strong> réalisons de manièrecompulsive. Si vous avez <strong>le</strong> moindredoute là dessus, observez simp<strong>le</strong>ment àquel<strong>le</strong> vitesse vous déterminez <strong>le</strong> genredes genTEs : ça se passe instantanément.Nous avons tendance à faire appel à ceprocessus d'une manière ou d'une autre,peu importe si la personne est très loin ousi nous n'avons que très peu d'indices.Alors que nous nous plaisons à nouspercevoir comme des observateuricespassiFves, en réalité nous projetonsconstamment et activement nos idées etsuppositions quant à la masculinité et laféminité sur chaque personne que nousrencontrons. Et nous faisons touTEs ça,que nous soyons <strong>cissexuel</strong>LEs outranssexuelLEs, straight comme uneflèche ou queer comme un bil<strong>le</strong>t de troisdollars.J'appel<strong>le</strong> genrement ce processus quiconsiste à faire la distinction entrefemmes et hommes, pour mettre enévidence <strong>le</strong> fait que assignons activementet compulsivement des genres auxgenTEs, en nous basant en général justesur quelques signaux visuels et auditifs.Reconnaître la nature omniprésente de cephénomène remet en question la plupartdes définitions du "genre" en lui même.On peut dire ce que l'on veut sur ce quidéfinit une femme ou un homme − quece soient <strong>le</strong>s gênes, <strong>le</strong>s chromosomes, lastructure cérébra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s organes génitaux,la socialisation, ou <strong>le</strong> sexe légal qui figuresur un certificat de naissance ou unpermis de conduire − mais la vérité estque ces facteurs ne jouent typiquementpas <strong>le</strong> moindre rô<strong>le</strong> dans comment nousassignons des genres aux genTEs dans <strong>le</strong>ssituations quotidiennes. Typiquement,nous nous rattachons en priorité à descaractéristiques sexuels secondaires(silhouette et tail<strong>le</strong>, teint de la peau,pilosité du visage et du corps, voix, seins,6


etc.), et dans une moindre mesure, àl'expression de genre et aux rô<strong>le</strong>s degenre (l'accoutrement de la personne, sesmanières, etc.). Je vais par<strong>le</strong>r du genreque <strong>le</strong>s autres nous assignent comme denotre sexe perçu (ou genre perçu).Une raison majeure pour laquel<strong>le</strong>l'acte de genrer reste invisib<strong>le</strong> pour laplupart des genTEs est que, dans la trèsgrande majorité des cas, notreappréciation du genre d'une personne atendance à être en adéquation avec sonidentité réel<strong>le</strong> de genre et avec <strong>le</strong>ssuppositions émises par d'autrespersonnes quant à son genre. (Si <strong>le</strong>sgenres que nous attribuons auxindividuEs différaient régulièrement desassignations effectuées par <strong>le</strong>s autrespersonnes, la dimension spéculative dugenrement deviendrait beaucoup plusévidente.) Cependant, en tant quetranssexuel<strong>le</strong>, je me suis retrouvée dansde nombreuses situations(particulièrement durant ma transition)où deux voire plusieurs personnesarrivaient simultanément à desconclusions différentes quant à mongenre perçu − c'est à dire qu'unepersonne supposait que j'étais unefemme, alors qu'une autre supposait quej'étais un homme. De tels exemp<strong>le</strong>sdémontrent la nature spéculative dugenrement. J'ai aussi trouvé que <strong>le</strong>sexpériences et <strong>le</strong>s idées reçues des genTEsrelatives au genre affectent radica<strong>le</strong>mentla façon avec laquel<strong>le</strong> il<strong>le</strong>s genrent <strong>le</strong>sautres personnes. Par exemp<strong>le</strong>, à l'époqueoù je m'identifiais comme un travesti,j'avais <strong>le</strong> sentiment de pouvoir "passer" entant que femme assez faci<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>szones rurbaines, mais dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s (oùl'on présume que <strong>le</strong>s genTEs sont plusconscientEs de l'existence des personnesvariantes de genre), j'étais souvent "lue"comme un travesti. La plupart des<strong>cissexuel</strong>LEs restent inconscientEs quant àla nature subjective du genrement,essentiel<strong>le</strong>ment car il<strong>le</strong>s ne vivent el<strong>le</strong>uxmêmepas l'expérience d'êtrerégulièrement malgenréEs − i.e.,assignéEs par erreur à un genre qui ne<strong>le</strong>ur correspond pas. Malheureusement,ce manque d'expérience amènehabituel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs à croirepar erreur que <strong>le</strong> processus de genrementest une affaire de pure observation, plutôtque de se rendre compte qu'il s'agit enréalité d'un acte de spéculation.L'ÉVIDENCE CISSEXUELLELe second processus qui favorise <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> est l'évidence<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. C'est ce qui arrive quand unE<strong>cissexuel</strong>LE émet l'hypothèse courante,quoique erronée, que la relation qu'il<strong>le</strong> aà ses sexes physiques et subconscients(i.e., <strong>le</strong> fait qu'il<strong>le</strong> n'est pas mal à l'aiseavec son sexe de naissance, ou qu'il<strong>le</strong> nese perçoit pas comme étant de "l'autresexe") s'applique à toutes <strong>le</strong>s autrespersonnes dans <strong>le</strong> monde. En d'autresmots, lae <strong>cissexuel</strong>LE projète sansdistinction sa cissexualité sur <strong>le</strong>s autrespersonnes, ce qui transforme lacissexualité en attribut humain considérécomme acquis. Il y a là une analogieévidente avec l'évidence hétérosexuel<strong>le</strong> :la plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs supposent quetoutes <strong>le</strong>s personnes qu'il<strong>le</strong>s rencontrentsont aussi <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s, tout comme laplupart des hétérosexuelLEs supposentque toutes <strong>le</strong>s personnes qu'il<strong>le</strong>srencontrent sont aussi hétérosexuel<strong>le</strong>s(sauf si, bien sûr, il<strong>le</strong>s ont eu preuve ducontraire).Si l'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> resteinvisib<strong>le</strong> pour la plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs,7


cel<strong>le</strong>ux d'entre nous qui sonttranssexuelLEs en sommes terrib<strong>le</strong>mentconscientEs. Antérieurement à nostransitions, nous constatons que lamajorité <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> suppose simp<strong>le</strong>mentque nous nous identifions intégra<strong>le</strong>menten tant que membre du sexe qui nous aété assigné, ce qui rend compliqué pournous de gérer notre différence de genre etd'être attentiFVEs à la façon dont nousnous percevons. Et après nos transitions,nous sommes nombreuXSES à constaterque la majorité <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> supposesimp<strong>le</strong>ment que nous avons toujours étémembres du sexe auquel nous nousidentifions, ce qui rend impossib<strong>le</strong> pournous d'être francHEs à propos de notrestatut trans sans avoir constammentbesoin de faire des coming out auprès desautres. Par conséquent, alors que laplupart des <strong>cissexuel</strong>LEs n'ont même pasconscience de l'existence de l'évidence<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>, cel<strong>le</strong>ux d'entre nous quisommes transsexuelLEs la percevonscomme un processus actif qui invisibilise<strong>le</strong>s personnes trans et <strong>le</strong>urs expériences.LE SENTIMENT DELÉGITIMITÉ CISSEXUELLEPour la plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs, <strong>le</strong>fait qu'il<strong>le</strong>s se sentent à l'aise en habitant<strong>le</strong> genre qui <strong>le</strong>ur a été assigné, et <strong>le</strong> faitque <strong>le</strong>s autres personnes confirment cesentiment de naturel en <strong>le</strong>s genrantcorrectement, <strong>le</strong>s autorise à développerun sens de la légitimité à l'égard de <strong>le</strong>urpropre genre : il<strong>le</strong>s se sentent autoriséEs àse nommer femme ou homme. Ceci n'estpas forcément une mauvaise chose.Toutefois, en raison du fait que beaucoupde ces mêmes <strong>cissexuel</strong>LEs supposentaussi être infaillib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ur aptitude àassigner des genres aux autres personnes,il<strong>le</strong>s peuvent développer un sentimentexagéré de légitimité <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. Cela vaau­delà de l'appropriation de <strong>le</strong>ur propregenre, pour arriver à un niveau où il<strong>le</strong>s seconsidèrent comme <strong>le</strong>s arbitres ultimespouvant statuer sur qui a <strong>le</strong> droit de senommer femme ou homme. Encore unefois, la plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs sontinconscientEs de <strong>le</strong>ur légitimité de genre,parce que 1/ <strong>le</strong>s procédés qui lapermettent (i.e., genrement et évidence<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>) <strong>le</strong>ur sont invisib<strong>le</strong>s, et 2/aussi longtemps qu'il<strong>le</strong>s sont <strong>cissexuel</strong>LEset qu'il<strong>le</strong>s correspondent à peu près auxnormes de <strong>le</strong>ur genre, il<strong>le</strong>s ne vont àpriori pas être dérangéEs par <strong>le</strong> sentimentde légitimité de genre des autres. Parceque <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs qui se sententlégitimes de genre supposent qu'il<strong>le</strong>s ontla capacité et l'autorité pour détermineravec exactitude qui est une femme et quiest un homme, il<strong>le</strong>s accordent en réalitéun <strong>privilège</strong> − <strong>le</strong> <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> − àcel<strong>le</strong>ux qu'il<strong>le</strong>s genrent correctement.Pour illustrer ce point, imaginez que jesois approchée par quelqu'unE qui mesemb<strong>le</strong> être un homme (i.e., que je genrehomme). S'il<strong>le</strong> se présente ellui­mêmecomme "Mr Jones", je lui accorderaisprobab<strong>le</strong>ment des <strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s −ce qui signifie que je respecterais sonidentité masculine et que je luiaccorderais tous <strong>le</strong>s <strong>privilège</strong>s associés ausexe auquel il s'identifie. Je l'appe<strong>le</strong>rais"monsieur", lui permettrais d'accéder à unespace non­mixte hommes, trouveraiscela normal quand il me dirait être mariéà une femme, etc. Cependant, si j'ai unsentiment de légitimité de genre, ilpourrait y avoir certains cas dans <strong>le</strong>squelsje refuserais de lui accorder <strong>le</strong>s <strong>privilège</strong>sassociés au sexe auquel cette personnes'identifie. Par exemp<strong>le</strong>, si cette personnese présente el<strong>le</strong>­même comme "Mme8


Jones", mais que je choisi de considérer <strong>le</strong>genre que j'ai initia<strong>le</strong>ment perçu (i.e.,masculin) comme étant plus authentiqueou valab<strong>le</strong> que son identité de femme,alors je lui refuserais <strong>le</strong> <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong>. De la même façon, si je devaisapprendre que "Mr Jones" étaittranssexuel et était né femel<strong>le</strong>, et si cetteconnaissance m'amenais à <strong>le</strong> réassignerdans <strong>le</strong> genre féminin plutôt quemasculin, je lui refuserais à nouveau <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>.La citation suivante de GermaineGreer constitue un excel<strong>le</strong>nt exemp<strong>le</strong> decomment <strong>le</strong> sentiment de légitimité degenre génère <strong>le</strong> <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>, et decomment ce <strong>privilège</strong> peut être utilisépour infirmer <strong>le</strong>s genres transsexuels :« Personne ne demande jamais auxfemmes si el<strong>le</strong>s considèrent <strong>le</strong>s hommesqui changent de sexe commeappartenant à <strong>le</strong>ur sexe ou si <strong>le</strong> faitqu'el<strong>le</strong>s se considèrent obligéesd'accepter <strong>le</strong>s transsexuels MTF commedes femmes a un impact dommageab<strong>le</strong>sur <strong>le</strong>ur identité ou l'estime qu'el<strong>le</strong>s ontd'el<strong>le</strong>s même. » 1La première chose que l'on se ditaprès avoir lu cette citation (en dehors dufait que cela donne envie de vomir) estque Greer a un grave sentiment delégitimité de genre. Malgré <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong>sait que <strong>le</strong>s femmes transsexuel<strong>le</strong>ss'identifient comme des femmes, Greerpar<strong>le</strong> de nous comme "d'hommes quichangent de sexe", ce qui démontrequ'el<strong>le</strong> se sent légitime pour nous genrerde la manière qui lui plaira. De même, enraison de l'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> (i.e., sacroyance que la cissexualité est "naturel<strong>le</strong>"et qu'el<strong>le</strong> va de soi), el<strong>le</strong> ne prend pas lapeine de définir exactement ce qu'el<strong>le</strong>veut dire quand el<strong>le</strong> utilise <strong>le</strong> mot"femme" ; dans son esprit, il est évident1. Greer, The Who<strong>le</strong> Woman, 74.qu'el<strong>le</strong> se réfère uniquement aux femmes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s. Greer accorde à ces femmesun <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> quand el<strong>le</strong> suggèrequ'il est légitime de <strong>le</strong>s consulter poursavoir si <strong>le</strong>s femmes transsexuel<strong>le</strong>sdevraient ou non appartenir à <strong>le</strong>ur sexe.Dans ce contexte, c'est particulièrementrévélateur que Greer utilise <strong>le</strong> mot"demander". Après tout, personne dansnotre société ne demande jamais lapermission d'appartenir à un genre ou unautre ; au contraire, nous sommes justequi nous sommes et <strong>le</strong>s autres personnesfont en conséquence des suppositionsquant à notre genre. Ainsi, quand Greerutilise <strong>le</strong> mot "demander" et "obligées",el<strong>le</strong> ne par<strong>le</strong> pas de si <strong>le</strong>s femmes transdevraient être autorisées à être desfemmes, mais si oui ou non notreappartenance au genre féminin devraitêtre respectée et légitimée de la mêmefaçon que cel<strong>le</strong> des femmes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s.En attribuant différents niveaux delégitimité aux genres dans <strong>le</strong>squelss'identifient et vivent <strong>le</strong>s gentes, enfonction de si el<strong>le</strong>s sont <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s outranssexuel<strong>le</strong>s, Greer produit et exerce un<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>.LE MYTHE DU PRIVILÈGECISSEXUEL DE NAISSANCEÉtant donné que <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEssont généra<strong>le</strong>ment inconscientEs du faitque <strong>le</strong>ur sentiment de légitimité de genrerésulte de l'acte de genrement et del'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>, il<strong>le</strong>s se mettentsouvent à justifier <strong>le</strong>ur croyance que <strong>le</strong>urgenre est plus légitime ou "vrai" que celuid'unE transsexuelLE. Le mythe <strong>le</strong> pluscourant utilisé pour justifier <strong>le</strong> <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong> est l'idée que <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEshéritent <strong>le</strong> droit de se nommer femme ou9


homme en raison d'être néE dans ce sexeprécis. En d'autres mots, <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEsvoient <strong>le</strong>ur légitimité de genre comme undroit de naissance. Il s'agit souvent d'unacte malhonnête quand dans notresociété beaucoup de <strong>cissexuel</strong>LEs (si cen'est la majorité) ont tendance àconsidérer avec dénigrement <strong>le</strong>s sociétéset cultures qui reposent sur des systèmesde classes et de castes − alors que <strong>le</strong>urmétier, statut social, situationéconomique, pouvoir politique, etc., estprédéterminé en fonction d'un accidentde naissance. Donc si la plupart des<strong>cissexuel</strong>LEs occidentaUXLES critiquent <strong>le</strong><strong>privilège</strong> de naissance comme un moyende déterminer d'autres formes de classessocia<strong>le</strong>s, il<strong>le</strong>s l'adoptent hypocritementquand il s'agit du genre.À partir du moment où <strong>le</strong>s<strong>cissexuel</strong>LEs supposent que <strong>le</strong>ur légitimitéde genre est un <strong>privilège</strong> de naissance,alors il devient faci<strong>le</strong> pour el<strong>le</strong>ux derejeter la légitimité du sexe dans <strong>le</strong>quelvivent et s'identifient <strong>le</strong>s transsexuelLEs.Après tout, à <strong>le</strong>urs yeux, <strong>le</strong>stranssexuelLEs essayent activement deprendre à <strong>le</strong>ur compte un genre vis à visduquel il<strong>le</strong>s n'ont aucune légitimité (enraison du fait de ne pas y être néEs).Cependant, en tant que transsexuel<strong>le</strong>, jetrouve plusieurs fail<strong>le</strong>s évidentes dans cetargument lié à un "<strong>privilège</strong> denaissance". En premier lieu, <strong>le</strong> sexe quinous a été assigné à la naissance ne jouequasiment pas <strong>le</strong> moindre rô<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>sinteractions humaines quotidiennes.AucunE d'entre nous n'a besoin de porterson certificat de naissance autour du coupour prouver dans quel sexe il<strong>le</strong> est néE.Et depuis que je vis en tant que femme, jen'ai pas rencontré une seu<strong>le</strong> personne quim'a demandé si j'étais née fil<strong>le</strong>. En fait,l'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> rend insignifiantmon sexe de naissance, et <strong>le</strong>s autressupposent automatiquement que je suisnée femel<strong>le</strong> (en se basant uniquement sur<strong>le</strong> fait qu'il<strong>le</strong>s m'ont genrée femme).Les <strong>cissexuel</strong>LEs, avec <strong>le</strong>ursentiment de légitimité de genre, vontprobab<strong>le</strong>ment dire que je chercheactivement à "vo<strong>le</strong>r" <strong>le</strong> <strong>privilège</strong> cissexue<strong>le</strong>n transitionnant et en vivant commefemme, mais la vérité est que je n'ai pas à<strong>le</strong> faire. En réalité, j'ai constaté que <strong>le</strong>s<strong>cissexuel</strong>LEs distribuent faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s, plus ou moins sansdistinction, à des personnes qui <strong>le</strong>ur sonttota<strong>le</strong>ment étrangères. Chaque fois que jerentre dans un magasin et que quelqu'unEme demande "Est­ce que je peux vousaider, madame ?", il<strong>le</strong> m'accorde un<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>. Toutefois, en raisondu fait que je suis transsexuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> que je vis n'est pas égalà celui des <strong>cissexuel</strong>LEs car il peut êtreremis en question à n'importe quelmoment. Il serait d'ail<strong>le</strong>urs peut­être plusjuste de <strong>le</strong> décrire comme un <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong> conditionnel, car il peut (et c'estsouvent <strong>le</strong> cas) m'être en<strong>le</strong>vé dès que jementionne, ou que quelqu'unE découvre,que je suis transsexuel<strong>le</strong>.Les <strong>cissexuel</strong>LEs se plaisent à penserque <strong>le</strong>ur genre est plus authentique que <strong>le</strong>mien, mais cette croyance est malhonnêteet ignorante. La vérité est que <strong>le</strong>s femmes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s se sentent légitimes de senommer femmes parce que 1/ el<strong>le</strong>ss'identifient ainsi, 2/ el<strong>le</strong>s vivent <strong>le</strong>ur vieen tant que femme, et 3/ <strong>le</strong>s autrespersonnes <strong>le</strong>s voient comme des femmes.Tous ces critères s'appliquent à monidentité de femme transsexuel<strong>le</strong>. Dans lasphère des interactions socia<strong>le</strong>s, la seu<strong>le</strong>différence entre mon genre transsexuel et<strong>le</strong>ur genre <strong>cissexuel</strong> est que monappartenance au genre féminin estgénéra<strong>le</strong>ment déclassée et placée enseconde zone, comme une imitation10


illégitime de la <strong>le</strong>ur. Et la différencemajeure entre mon histoire de vie defemme et la <strong>le</strong>ur est que j'ai eu à mebattre pour mon droit à être reconnue entant que femme, alors qu'el<strong>le</strong>s onttoujours eu <strong>le</strong> <strong>privilège</strong> de simp<strong>le</strong>mentconsidérer ceci comme acquis.LA FACSIMILATION TRANSET LE DÉGENREMENTPuisque <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs ont unintérêt personnel à préserver <strong>le</strong>ur propresentiment de légitimité de genre et <strong>le</strong>urs<strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s, il<strong>le</strong>s s'engagentsouvent dans un effort constant etconcerté pour artificialiser <strong>le</strong>s genrestranssexuels. Pour arriver à ce but, unestratégie fréquemment utilisée est lafacsimilation trans − présenter et décrire<strong>le</strong>s genres transsexuels comme des facsimilésdes genres <strong>cissexuel</strong>s. Cettestratégie ne rabaisse pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>sgenres transsexuels à des "contrefaçons",mais insinue que <strong>le</strong>s genres <strong>cissexuel</strong>ssont <strong>le</strong>s versions premières, "vraies", que<strong>le</strong>s transsexuelLEs copient seu<strong>le</strong>ment.La tactique de facsimilation transest évidente si l'on remarque la régularitéavec laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs utilisent desmots tels que "imiter", "copier", "parodier","simu<strong>le</strong>r", et "se faire passer pour" quandil<strong>le</strong>s décrivent <strong>le</strong>s expressions de genre etidentités transsexuel<strong>le</strong>s. On peut aussi <strong>le</strong>voir à la façon dont <strong>le</strong>s producteurICEsmédiatiques <strong>cissexuel</strong>LEs représentent despersonnages transsexuels réels ou fictifsen laissant imaginer qu'ils jouent etsimu<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s de genre associés ausexe auquel ils s'identifient. Cesreprésentations de la transsexualitécomme une simp<strong>le</strong> simulation sabotent<strong>le</strong>s vraies raisons et expériences quiamènent <strong>le</strong>s transsexuelLEs à vivre avanttout comme membres du sexe auquel il<strong>le</strong>ss'identifient. De plus, el<strong>le</strong>s font l'impassesur comment toutes <strong>le</strong>s personnes −qu'el<strong>le</strong>s soient transsexuel<strong>le</strong>s ou<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s − observent et imitent <strong>le</strong>sautres en ce qui concerne <strong>le</strong> genre. Chez<strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs, de tel<strong>le</strong>s imitations seproduisent principa<strong>le</strong>ment durantl'enfance et l'ado<strong>le</strong>scence, quand il<strong>le</strong>sparodient certains comportements genrésd'un parent ou d'unE grandE frère/soeurdu même sexe. Chez <strong>le</strong>s transsexuelLEs,ce processus se produit souvent plus tarddans la vie, durant la période juste avantla transition, ou durant cel<strong>le</strong>­ci. Dans <strong>le</strong>sdeux cas, l'imitation est avant tout uneforme d'expérimentation de genre quipermet de faire <strong>le</strong> tri entre <strong>le</strong>scomportements qui conviennent à lapersonne et qui étaient jusqu'alorsretenus, et ceux qui la mettent mal àl'aise, qui gênent la perception de soi, etqu'il convient mieux de laisser de côté. Àpartir du moment où l'on reconnaît ceci, ildevient évident que la facsimilation transest un procédé flagrant qui fait deuxpoids deux mesures, entre d'un côté laminimisation des processus d'imitation degenre mis en oeuvre par <strong>le</strong>s personnes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s (ce qui a pour effet denaturaliser <strong>le</strong>urs genres), et d'un autrecôté l'exagération des processusd'imitation de genre mis en oeuvre par <strong>le</strong>spersonnes transsexuel<strong>le</strong>s (ce qui a poureffet d'artificialiser nos genres).Un autre moyen permettant dedéclasser <strong>le</strong>s genres transsexuels commedes "copies", est d'appliquer des critèresdifférents de genrement auxtranssexuelLEs et aux <strong>cissexuel</strong>LEs. Cettepratique s'illustre très bien dans <strong>le</strong>passage suivant du livre de Pat Califia, LeMouvement Transgenre :« Récemment, j'ai eu une expérience très11


instructive. J'ai découvert qu'une femmeque je côtoyais depuis longtemps étaittransgenre. [...] Etant donné tout ce quej'avais fait pour m'informer sur latranssexualité, j'ai pensé que cela ne feraitpas beaucoup de différence. Mais je mesuis surpris à la regarder d'une manièrecomplètement différente. Tout à coup, sesmains paraissaient trop grandes, son nezétait bizarre et que dire de sa pommed'Adam ? N'avait-el<strong>le</strong> pas une voix un peugrave pour une femme ? N'était-el<strong>le</strong> pasterrib<strong>le</strong>ment autoritaire, exactementcomme un homme ? Et, mon Dieu, queses avant-bras étaient poilus ! » 2Califia poursuit en expliquant quecet incident lui a fait prendre consciencede la différence de traitement qui existedans la façon dont <strong>le</strong>s transsexuelLEs sontsouvent perçuEs. Par exemp<strong>le</strong>, quand onprésume qu'une personne est <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>,on accepte généra<strong>le</strong>ment l'ensemb<strong>le</strong> deson genre perçu comme étant naturel etauthentique, sans tenir compte des écartsmineurs liés à son apparence de genre. Enrevanche, quand on découvre ou qu'onsuspecte qu'une personne esttranssexuel<strong>le</strong>, on recherche souventactivement (voire compulsivement) danssa personnalité, ses expressions et sescaractéristiques physiques des indices dusexe qui lui a été assigné à la naissance.J'en ai fait moi­même l'expérience lors desinnombrab<strong>le</strong>s occasions que j'ai eu defaire mon coming out en tant quetranssexuel<strong>le</strong> auprès des genTEs. Aprèsavoir appris mon statut trans, la plupartdes genTEs ont ce "regard" caractéristiquedans <strong>le</strong>urs yeux, comme s'il<strong>le</strong>s mevoyaient tout à coup différemment −recherchant des indices laissés par <strong>le</strong>garçon que j'ai été, et projetantdifférentes interprétations de mon corps.J'appel<strong>le</strong> ce processus dégenrement,2. Califia, Sex Changes, 116.comme étant une tentative de briser <strong>le</strong>genre d'une personne trans en privilégiantdes détails et écarts dans son apparencede genre, qui seraient norma<strong>le</strong>mentminimisés ou ignorés si el<strong>le</strong> étaitprésumée <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. Le seul but servipar <strong>le</strong> dégenrement est de privilégier <strong>le</strong>sgenres <strong>cissexuel</strong>s, tout en délégitimant <strong>le</strong>sgenres des transsexuelLEs et des autrespersonnes variantes de genre.ALLER AU DELÀDES "GARÇONS BIOS"ET DES "FILLES GÉNÉTIQUES"La première étape vers <strong>le</strong>démante<strong>le</strong>ment du <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> estd'évacuer de nos vocabulaires <strong>le</strong>s mots etconcepts qui entretiennent l'idée que <strong>le</strong>sgenres <strong>cissexuel</strong>s sont de manièreinhérente plus authentiques que <strong>le</strong>sgenres transsexuels. Un bon début seraitde commencer par la tendance communeà se référer aux <strong>cissexuel</strong>LEs comme étantdes hommes et des femmes "génétiques"ou "biologiques". Malgré son utilisationfréquente, <strong>le</strong> mot "génétique" me semb<strong>le</strong>particulièrement étrange, en raison dufait que nous sommes relativementincapab<strong>le</strong>s de voir aisément <strong>le</strong>schromosomes sexuels des genTEs. Enréalité, puisque si peu de personnes fontexaminer <strong>le</strong>urs chromosomes, on pourraitdéfendre l'idée que dans la grandemajorité des cas, <strong>le</strong>s genTEs ont un sexegénétique qui reste encore à déterminer.Dans <strong>le</strong>s rares cas où des personnesdoivent faire contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urschromosomes (comme lors des tests desexe aux Jeux Olympiques ou dans <strong>le</strong>sservices de consultation pour problèmesde stérilité), on constate que la noncorrespondanceentre <strong>le</strong> sexe12


chromosomique d'une personne et sonsexe assigné est quelque chose qui arrivebien plus souvent que la plupart desgenTEs ne peuvent expliquer. 3L'utilisation du mot "biologique" (etde son abréviation "bio") est tout aussiinappropriée que cel<strong>le</strong> du mot"génétique". Chaque fois que j'entendsquelqu'unE attribuer aux <strong>cissexuel</strong>LEs <strong>le</strong>terme de femmes et d'hommes"biologiques", j'interviens pour dire quemalgré <strong>le</strong> fait que je sois transsexuel<strong>le</strong>, jene suis en aucune façon inorganique ounon­biologique. Si je demande auxgenTEs d'expliquer ce qu'il<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>nt direpar "biologique", il<strong>le</strong>s vont souventrépondre que ce mot se réfère auxpersonnes ayant un système reproductifintégra<strong>le</strong>ment fonctionnel correspondantà <strong>le</strong>ur sexe. Bon, si c'est <strong>le</strong> cas, alors quedire des personnes qui sont stéri<strong>le</strong>s ou quiont subi une ablation des organesreproducteurs pour raison médica<strong>le</strong> ? Estceque ces hommes et ces femmes ne sontpas "biologiques" ? Les genTEs insistentsouvent sur <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> mot "biologique"se réfère aux organes génitaux dequelqu'unE, mais j'aimerais <strong>le</strong>ur3. Lors des JO d'Atlanta de 1996, il y a eu 8athlètes femmes sur 3387 qui ont eu un résultatpositif au test de matériel chromosomique Y ;depuis, <strong>le</strong>s JO ont mis fin aux tests génétiques desexe (Myron Genel, "Gender Verification NoMore ?", Medscape Women's Health 5, no. 3(2000), www.medscape.com/viewartic<strong>le</strong>/408918). Les cliniques ayant des services deconsultation pour problèmes de stérilité onttrouvé que plus de 11% des mâ<strong>le</strong>sazoospermiques (i.e. <strong>le</strong>s mâ<strong>le</strong>s qui n'ont pas despermatozoïdes dans <strong>le</strong>ur sperme) ont uncaryotype XXY (Hiroshi Okada, Hitoshi Fujioka,Noboru Tatsumi, Masanori Kanzaki, YoshihiroOkuda, Masato Fujisawa, Minoru Hazama,Osamu Matsumoto, Kazuo Gohji, SoichiArakawa, et Sadao Kamidono, "Klinefelter'sSyndrome in the Ma<strong>le</strong> Infertility Clinic", HumanReproduction 14, no. 4 (1999), 946­952).demander de combien de personnes ontil<strong>le</strong>sdéjà vu <strong>le</strong>s organes génitaux de près.Dix ? Vingt ? Une centaine ? Et dans lagrande majorité des cas, quand onrencontre une personne entièrementhabillée (et dont <strong>le</strong>s organes génitauxsont par conséquent cachés), commentsavons­nous s'il faut s'adresser à el<strong>le</strong> auféminin ou au masculin ? La vérité estque, quand on voit d'autres personnes etqu'on <strong>le</strong>s classifie comme femmes oucomme hommes, <strong>le</strong>s seuls critèresbiologiques auxquels on se réfère sont <strong>le</strong>scaractéristiques sexuels secondaires, quisont eux­même <strong>le</strong>s résultats de l'actiondes hormones sexuel<strong>le</strong>s. À partir de là, entant que personne qui a des oestrogènesen el<strong>le</strong> depuis maintenant cinq ans, nedevrais­je pas être considérée comme unefemme "biologique" ?Quand on <strong>le</strong>s décortique et qu'on <strong>le</strong>sdémonte ainsi, il devient évident que <strong>le</strong>stermes "biologique" et "génétique" sont desimp<strong>le</strong>s substituts du mot que <strong>le</strong>s genTEsveu<strong>le</strong>nt réel<strong>le</strong>ment utiliser : "naturelLE".La plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs veu<strong>le</strong>nt croireque <strong>le</strong>ur appartenance au genre masculinou féminin est "naturel<strong>le</strong>", de la mêmefaçon que la plupart des hétérosexuelLEsveu<strong>le</strong>nt croire que <strong>le</strong>ur orientationsexuel<strong>le</strong> est "naturel<strong>le</strong>". En réalité, si onregarde <strong>le</strong> spectre comp<strong>le</strong>t des positionssocia<strong>le</strong>s et de classe, on observe une fou<strong>le</strong>de genTEs essayant de "naturaliser" <strong>le</strong>urs<strong>privilège</strong>s d'une façon ou d'une autre −que ce soit une personne fortunéeessayant de justifier l'énorme fossé entre<strong>le</strong>s riches et <strong>le</strong>s pauvres en revisitant lathéorie darwinienne de la sé<strong>le</strong>ctionnaturel<strong>le</strong>, ou que ce soit une personneblanche prétendant être plus intelligenteou plus compétente qu'une personneracisée en raison de caractéristiquesbiologiques ou génétiques. Quand on envient au genre, la notion de "naturel"13


devient une carte maîtresse car el<strong>le</strong>permet de mettre en évidence <strong>le</strong>s vraisenjeux − <strong>privilège</strong>s et préjugés − et deconcevoir quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s places réel<strong>le</strong>s etconsidérées légitimes qu'on attribue auxminorités sexuel<strong>le</strong>s perçues comme étant"non­naturel<strong>le</strong>s" ou "artificiel<strong>le</strong>s", et parconséquent peu dignes d'intérêt.C'est pourquoi je préfère <strong>le</strong> terme<strong>cissexuel</strong>LE. Il indique la seu<strong>le</strong> différencesignificative entre cette population etcel<strong>le</strong>ux d'entre nous qui sommestranssexuelLEs : <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs ontsimp<strong>le</strong>ment vécu <strong>le</strong>urs sexes physiques etsubconscients comme étant alignés.L'ASSIGNATIONÀ UN TROISIÈME GENREET À UN TROISIÈME SEXELes personnes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s qui ensont aux premiers stades de l'acceptationde la transsexualité (et qui n'ont pasencore entièrement pris conscience de<strong>le</strong>ur <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>) vont souventconsidérer que nous, <strong>le</strong>s personnes trans,habitons notre propre catégorie de genrequi serait séparée de "femme" et"homme". J'appel<strong>le</strong> cet acte l'assignation àun troisième genre (ou l'assignation à untroisième sexe). Si certaines tentativesd'assignation des personnes trans à untroisième genre ont clairement pour butd'être dégradantes ou spectaculaires(comme pour <strong>le</strong>s "shema<strong>le</strong>"), d'autresmoins offensives apparaissent souventdans <strong>le</strong>s discussions à propos depersonnes transsexuel<strong>le</strong>s (comme "il<strong>le</strong>","el" ou "MTF"). Si <strong>le</strong> terme "MTF" peutêtre uti<strong>le</strong> en tant qu'adjectif décrivant <strong>le</strong>sens de ma transition, l'utiliser comme unnom − i.e., se référer littéra<strong>le</strong>ment à moicomme "Ma<strong>le</strong>­To­Fema<strong>le</strong>" − niecomplètement <strong>le</strong> fait que je m'identifie etque je vis comme une femme.Personnel<strong>le</strong>ment, je crois que l'utilisationrépandue des mots "MTF" ou "FTM" plutôtque des mots "femme trans" ou "hommetrans" (qui sont plus respectueux, plusfaci<strong>le</strong>s à prononcer, et moins faci<strong>le</strong>mentconfondab<strong>le</strong>s l'un avec l'autre) reflète undésir conscient ou inconscient de la partde nombreuXSES <strong>cissexuel</strong>LEs dedistinguer <strong>le</strong>s femmes et hommestranssexuelLEs de <strong>le</strong>urs homologues<strong>cissexuel</strong>LEs.Si l'on par<strong>le</strong> de l'assignation à untroisième genre, il est crucial de faire ladistinction entre <strong>le</strong>s genTEs quis'identifient el<strong>le</strong>ux­même commeappartenant à un troisième genre, etcel<strong>le</strong>ux qui assignent activement d'autrespersonnes à un troisième genre. Commepour n'importe quel<strong>le</strong> identité de genre,quand une personne se considèreappartenir à un troisième genre, c'est quec'est ainsi qu'el<strong>le</strong> donne du sens à sa vie etqu'el<strong>le</strong> se place dans <strong>le</strong> monde, et celadoit être respecté. En tant que personnequi par <strong>le</strong> passé s'est identifiée commebigenre et gender­queer, je pense qu'il estimportant que nous respections etreconnaissions <strong>le</strong>s identités de genre desautres personnes, quel<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong>s soient.Mais c'est justement pour cette mêmeraison que je proteste contre <strong>le</strong>spersonnes qui en assignent d'autres à untroisième genre contre <strong>le</strong>ur volonté ousans <strong>le</strong>ur consentement. Je pense quecette propension à assigner d'autrespersonnes à un troisième genre estsimp<strong>le</strong>ment un sous­produit du processusspéculatif et non consensuel degenrement. En d'autres mots, noussommes tel<strong>le</strong>ment contraintEs à genrer<strong>le</strong>s genTEs en tant que femmes ethommes que quand on tombe sur unepersonne qui n'est pas si faci<strong>le</strong>ment14


catégorisab<strong>le</strong> de cette façon (souvent enraison de certains aspects inhabituels degenre), on essaye de l'iso<strong>le</strong>r et de ladistinguer des deux autres genres. Lestermes "troisième genre" et "troisièmesexe" ont une longue histoire et ont étéappliqués aux homosexuelLEs, auxpersonnes intersexes et aux personnestransgenres par cel<strong>le</strong>ux qui se considèrentcomme ayant un genre "normal". Celasuggère fortement que la tendance àassigner d'autres personnes à untroisième genre provient à la fois dusentiment de légitimité de genre et à lafois du sexisme oppositionnel.L'OBSESSION DU PASSINGUn autre exemp<strong>le</strong> où <strong>le</strong> langageprésuppose que <strong>le</strong>s genres <strong>cissexuel</strong>s ettranssexuels ont par essence une va<strong>le</strong>urdifférente est l'utilisation du verbe"passer". Si <strong>le</strong> mot "passer" sert unobjectif, dans <strong>le</strong> sens où il décrit <strong>le</strong><strong>privilège</strong> très concret vécu par <strong>le</strong>spersonnes transsexuel<strong>le</strong>s qui reçoivent un<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> conditionnellorsqu'el<strong>le</strong>s vivent dans <strong>le</strong> genre auque<strong>le</strong>l<strong>le</strong>s s'identifient, c'est un termehautement problématique puisqu'ilinsinue que la personne trans parvient àse faire passer pour ce qu'el<strong>le</strong> n'est pas. Sion y regarde de plus près, il devient assezévident que <strong>le</strong> concept du "passing" estpétri de <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>, car il n'estjamais utilisé que pour <strong>le</strong>s personnestrans. Par exemp<strong>le</strong>, si un vendeur demagasin disait "merci, Monsieur" à unefemme <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>, personne ne diraitqu'el<strong>le</strong> "passe" pour un homme ou qu'el<strong>le</strong>n'arrive pas à "passer" pour une femme ; àla place, on dirait qu'el<strong>le</strong> est une femme etqu'el<strong>le</strong> a été confondue avec un homme.De plus, on n'utilise jamais <strong>le</strong> mot"passing" pour décrire des hommes<strong>cissexuel</strong>s qui soulèvent des poids tous <strong>le</strong>sjours pour obtenir une apparence plusmasculine, ou des femmes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s quimettent du maquillage, des jupes et destalons pour obtenir une apparence plusféminine. Pourtant, comme je suis unefemme transsexuel<strong>le</strong>, si je sors de mon lit,enfi<strong>le</strong> un tee­shirt et un jean, et que je mepromène dans la rue et suis généra<strong>le</strong>mentreconnue par <strong>le</strong>s autres en tant quefemme (malgré <strong>le</strong> manque d'attentionpour mon apparence), je peux encore êtrereléguée au fait de "passer" pour unefemme.Le noeud du problème est que <strong>le</strong>smots "passer" et "passing" sont des verbesactifs. Ainsi quand on dit qu'une person<strong>net</strong>ranssexuel<strong>le</strong> "passe", cela donnel'impression fausse qu'el<strong>le</strong> est la seu<strong>le</strong>participante active dans ce scénario (c'està­dire,la personne transsexuel<strong>le</strong> travail<strong>le</strong>dur pour obtenir une certaine apparencegenrée et <strong>le</strong> reste du monde se trouvepassivement trompé ou pas par la"performance" de la person<strong>net</strong>ranssexuel<strong>le</strong>). Cependant, je répondraisque l'inverse est vrai : <strong>le</strong> public est <strong>le</strong>principal participant actif en vertu de sonbesoin incessant de genrer commehomme ou femme chaque personne qu'ilvoit. La personne transsexuel<strong>le</strong> peutréagir à cette situation de deux manièresdifférentes : el<strong>le</strong> peut soit essayer de seconformer aux attentes du publicconcernant ce qu'est un homme ou unefemme, dans une perspectived'intégration et d'évitement de lastigmatisation, soit s'affranchir desattentes du public et simp<strong>le</strong>ment être el<strong>le</strong>même.Toutefois, si el<strong>le</strong> choisit cettedernière option, <strong>le</strong> public continuera de lajuger sur <strong>le</strong>s mêmes bases de ce quiapparaît comme masculin ou féminin et,15


comme excuse pour refuser à cettepersonne <strong>le</strong> droit basique de voir songenre d'identification reconnu et respecté.Parfois <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs se servent mêmede ces situations comme si el<strong>le</strong>s étaientdes invitations à humilier ou maltraiterouvertement des transsexuelLEs. Et ceuxet cel<strong>le</strong>s d'entre nous qui "passent"effectivement sont sans aucun doutemieux traitéEs par <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs,quoique pas nécessairement avec respect.En tant que transsexuel<strong>le</strong> qui "passe", jetrouve qu'il est courant que <strong>le</strong>s personnes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s, lorsqu'el<strong>le</strong>s découvrent monstatut trans, me félicitent en utilisant <strong>le</strong>même ton condescendant que <strong>le</strong>s genTEsutilisent pour féliciter <strong>le</strong>s personneshomosexuel<strong>le</strong>s qui "n'éta<strong>le</strong>nt" pas <strong>le</strong>urhomosexualité (c'est­à­dire, qui secomportent comme des hétéros) ou <strong>le</strong>sminorités racia<strong>le</strong>s qui utilisent un"français correct" (c'est­à­dire, qui secomportent comme des blancHEs). End'autres mots, ce sont des compliments àdoub<strong>le</strong> tranchant conçus pour renforcer lasupériorité <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. Le plus courant deces commentaires, "tu ressemb<strong>le</strong>svraiment à une vraie femme", seraitclairement pris comme une insulte s'ilétait adressé à une femme <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>.Une autre remarque fréquente, "jen'aurais jamais deviné que tu étaistranssexuel<strong>le</strong>", me félicite essentiel<strong>le</strong>mentde ressemb<strong>le</strong>r à une <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>, insinuantune fois encore que <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEs sontpar essence meil<strong>le</strong>urEs que <strong>le</strong>stranssexuelLEs.Puisque <strong>le</strong> terme "passing" fait deuxpoids deux mesures entre <strong>le</strong>s genres<strong>cissexuel</strong>s et transsexuels, et permet unsentiment de légitimité de genre<strong>cissexuel</strong>, nous devrions à la placeadopter un vocabulaire qui reconnaît àraison ce phénomène comme un produitdérivé du genrement et de l'évidence<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. Par conséquent, je suggèred'utiliser <strong>le</strong> terme malgenréE lorsqu'unepersonne <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> ou transsexuel<strong>le</strong> sefait assigner à un genre qui ne correspondpas au genre auquel el<strong>le</strong> s'identifie, et <strong>le</strong>terme genréE correctement lorsque desgenTEs lui assignent un terme quicorrespond à la façon à laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong>s'identifie. Et, comme mentionnéprécédemment, <strong>le</strong> terme <strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>conditionnel devrait être adopté pourdécrire ce qui a historiquement été connucomme <strong>privilège</strong> de "passing".PRENDRE SON GENREPOUR ACQUISUn autre problème avec <strong>le</strong> mot"passer" est qu'il n'est généra<strong>le</strong>ment utiliséqu'en référence au sexe d'identificationd'une personne transsexuel<strong>le</strong> et pas ausexe d'assignation. Cela donnel'impression que <strong>le</strong>s transsexuelLEs necommencent à gérer la perception desautres genTEs qu'après qu'il<strong>le</strong>stransitionnent. Ainsi <strong>le</strong>s genTEs par<strong>le</strong>rontdu fait que je "passe" maintenant commeune femme, mais personne ne sedemandera jamais combien cela devaitêtre diffici<strong>le</strong> pour moi de "passer" pour unhomme avant. Personnel<strong>le</strong>ment, jetrouvais infiniment plus diffici<strong>le</strong> etstressant de gérer mon genre perçulorsque <strong>le</strong>s genTEs présumaient que j'étaisun homme, que maintenant en tant quefemme. Cependant, une fois que l'oncommence à penser en terme de person<strong>net</strong>ranssexuel<strong>le</strong> malgenrée ou genréecorrectement par rapport à sa perceptiond'el<strong>le</strong>­même (en opposition à "passant" oupas aux yeux des autres), alors oncommence à avoir une appréciation plusprécise et réaliste du vécu transsexuel. En17


fait, on pourrait dire que la plupart destranssexuelLEs ont l'expérience d'êtremalgenréEs tout au long de <strong>le</strong>ur enfanceet parfois pendant une bonne partie del'âge adulte. Ce malgenrement continudurant nos années de constructionfaçonne notre relation avec <strong>le</strong> genre (etnotre propre perception de nous­mêmes)avec une amp<strong>le</strong>ur qui ne peut pas êtresous­estimée.N'ayant jamais eu qu'un vécu trans,il m'a fallu beaucoup de temps pourréaliser que je ressens et que je traite <strong>le</strong>genre très différemment de la façon dontla plupart des <strong>cissexuel</strong>LEs <strong>le</strong> font. Parexemp<strong>le</strong>, quelques mois après que j'euscommencé à vivre à p<strong>le</strong>in temps commefemme, un ami à moi m'a demandé sij'étais déjà entrée dans des toi<strong>le</strong>ttes pourhommes par erreur. Au début, la questionm'a paru bizarre. Quand je lui ai lancé unregard perp<strong>le</strong>xe, il a essayé de clarifier. Ila dit qu'il ne pense jamais aux toi<strong>le</strong>ttesdans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il rentre, ne remarquejamais <strong>le</strong> petit symbo<strong>le</strong> "homme" sur laporte, mais finit toujours au bon endroit.Alors, il se demandait si j'étaisaccidentel<strong>le</strong>ment entrée dans <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttespour hommes par habitude depuis matransition. J'ai ri et lui ai dit qu'il n'y avaitjamais eu une seu<strong>le</strong> fois de ma vie où jesois entrée dans des toi<strong>le</strong>ttes publiques −hommes ou femmes − par habitude ;toute ma vie, j'ai été atrocementconsciente de chaque espace genré dans<strong>le</strong>quel j'entrais.Grandir en tant que trans − devoirgérer à la fois la dissonancepsychologique entre mon sexe physique etsubconscient et <strong>le</strong> barrage constant à êtremalgenrée par <strong>le</strong>s autres − a été uneexpérience déchirante qui m'a poussée àme dissocier de mon propre corps et demes propres émotions. Et tandis quetransitionner physiquement et vivre dansmon sexe d'identification m'a permis defina<strong>le</strong>ment triompher de ma dissonancede genre, je lutte encore avec unehypersensibilité au genre (et plusspécifiquement au genrement). N'ayantjamais eu l'opportunité d'apprendre àressentir mon genre comme quelquechose qui ne peut être remis en questio<strong>net</strong> comme une seconde nature(contrairement à mon ami), je ressensencore parfois une secousse inconfortab<strong>le</strong>quand des genTEs par<strong>le</strong>nt de moi comme"el<strong>le</strong>" (même si c'est <strong>le</strong> pronom que jepréfère). Quand je regarde des photos oudes vidéos de moi, je ne peux toujourspas m'empêcher de voir <strong>le</strong> "garçon" dansmon visage ou de l'entendre dans <strong>le</strong> sonde ma voix, quand bien même personnene m'a appelée "Monsieur" depuis plus decinq ans. Je me sens agressée et suisextraordinairement énervée à chaque foisque je regarde la télé ou un film et que jesuis désagréab<strong>le</strong>ment surprise par uneblague ou un commentaire ignorant quibalaye <strong>le</strong> sexe d'identification despersonnes trans ou par<strong>le</strong> d'el<strong>le</strong>s enutilisant <strong>le</strong>ur sexe d'assignation. Et mêmesi je ressens maintenant une concordancede genre, je m'appesantis encoreconstamment sur <strong>le</strong> genre, ce qui, bienqu'uti<strong>le</strong> quand j'écris un livre sur <strong>le</strong> sujet,peut souvent être malsain et épuisant.Mon hypersensibilité au genre merappel<strong>le</strong> ce qu'une amie m'a dit une foissur son rapport à l'argent. El<strong>le</strong> a grandidans une famil<strong>le</strong> où l'argent était rare, etoù des bagarres provenaient de lapression financière qu'il<strong>le</strong>s subissaient.Cela a altéré irrévocab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> rapportde mon amie avec l'argent. Si beaucoupd'entre nous qui avons grandi dans desclasses moyennes voyons l'argentsimp<strong>le</strong>ment comme un moyen d'obtenirce qu'on veut ou dont on a besoin, pourmon amie il est aussi porteur d'un18


élément supplémentaire émotionnel.Même si el<strong>le</strong> a maintenant des basesfinancières plus solides, el<strong>le</strong> trouveencore qu'el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> mérite pas lorsqu'el<strong>le</strong>reçoit de l'argent et se sent coupab<strong>le</strong> àchaque fois qu'el<strong>le</strong> en dépense. Cela lapréoccupe encore et la remplit d'anxiétéparce qu'el<strong>le</strong> n'a jamais l'impressionqu'el<strong>le</strong> peut prendre cela pour acquis −el<strong>le</strong> comprend que cela peut lui être retirén'importe quand.Le rapport de mon amie à l'argentme rappel<strong>le</strong> ma propre insécuritécontinue concernant <strong>le</strong> genre. Même si j'aifina<strong>le</strong>ment atteint un point où je me sensconfortab<strong>le</strong> en vivant dans mon proprecorps, j'ai souvent l'impression que je ne<strong>le</strong> mérite pas et je me sens souventcoupab<strong>le</strong> à ce sujet. Et tandis que tout <strong>le</strong>monde autour de moi semb<strong>le</strong> se sentirlégitime dans son genre au point de <strong>le</strong>prendre pour acquis, j'ai toujoursl'impression que <strong>le</strong> mien pourrait m'êtreretiré à chaque minute. Et en un sens, ilpeut l'être (et l'est souvent) à chaque foisque quelqu'unE essaie de brandir son<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> face à moi.FAIRE LA DISTINCTIONENTRE TRANSPHOBIEET PRIVILÈGE CISSEXUELLe fait que <strong>le</strong>s transsexuelLEs aientsurvécu à une enfance où il<strong>le</strong>s étaientconstamment malgenréEs crée desdifférences majeures entre nos façons deréagir à des expressions publics d'anxiétéde genre et cel<strong>le</strong>s d'autres LGBT. Parexemp<strong>le</strong>, une de mes amies, une gouinebutch <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>, m'a parlé d'unesituation où el<strong>le</strong> avait été accusée d'êtreun "homme" dans des toi<strong>le</strong>ttes pourfemmes (sans doute à cause de son sty<strong>le</strong>vestimentaire et de ses manièresmasculines). La femme qui portait cetteaccusation l'avait interpellée, avec unsentiment de légitimité de genre, en luidisant "tu n'as pas ta place ici". Mon amie,qui était évidemment dérangée parl'événement, a répondu en lui pointantses propres seins et en disant "je suis unefemme et j'ai ma place ici", ce qui a eupour effet de plonger son accusatrice dansl'embarras et de lui faire présenter desexcuses. Si mon amie ne s'identifie pascomme transgenre, on pourrait pourtantdécrire cet incident comme un exemp<strong>le</strong>de transphobie (el<strong>le</strong> a été prise pour cib<strong>le</strong>parce que son apparence "trangressait" <strong>le</strong>snormes de genre). Et quand l'accusatrices'est excusée, el<strong>le</strong> a d'une manièrefrappante étendu (tardivement) <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> à mon amie. C'est­àdirequ'el<strong>le</strong> a reconnue mon amie commeune femme légitime (bien que ne seconformant pas aux normes de genre) et,par conséquent, a reconnu <strong>le</strong> droit à monamie de partager cet espace non­mixtefemmes avec el<strong>le</strong>.Je raconte cette histoire parcequ'el<strong>le</strong> est radica<strong>le</strong>ment différente de lafaçon dont certaines de mes amiesfemmes trans vivent de tel<strong>le</strong>s situations.Quand une femme transsexuel<strong>le</strong> estaccusée d'être un "homme" dans destoi<strong>le</strong>ttes pour femmes, il faut voir en toi<strong>le</strong>de fond une vie entière où el<strong>le</strong> a étémalgenrée comme homme. Ainsi, plutôtque d'avoir l'impression qu'el<strong>le</strong> ainjustement été prise pour cib<strong>le</strong> parce queses comportements "transgressent" <strong>le</strong>snormes de genre (ce que ressententbeaucoup d'homos <strong>cissexuel</strong>LEs), el<strong>le</strong> vaplutôt se sentir ciblée à cause de sonstatut transsexuel − en d'autres mots, el<strong>le</strong>va supposer que l'accusatrice exerce du<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> sur el<strong>le</strong>. Et la femmetranssexuel<strong>le</strong> a souvent raison de19


supposer cela. Après tout, l'accusatrice acommencé à s'excuser quand mon amiegouine butch lui a dit "je suis une femme"(en d'autres termes, el<strong>le</strong> a ététardivement "lue" comme une femme<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>), mais quand mes amiesfemmes trans disent "je suis une femme",el<strong>le</strong>s sont souvent encore accusées d'êtredes "hommes" (en d'autres mots, el<strong>le</strong>ssont "lues" comme des femmestranssexuel<strong>le</strong>s et se voient refuser <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>).Reconnaître la différence entre latransphobie (qui cib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s personnes dontl'expression de genre et l'apparencediffèrent de la norme) et <strong>le</strong> <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong> (qui cib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s personnes dont <strong>le</strong>sexe assigné et <strong>le</strong> sexe d'identificationdiffèrent) est important, spécia<strong>le</strong>mentlorsqu'on essaie de comprendre <strong>le</strong>spolitiques homo/trans contemporaines.Par exemp<strong>le</strong>, certains événements etétablissements pour femmes <strong>le</strong>sbiennes etbies ont des politiques qui excluentspécifiquement <strong>le</strong>s femmes trans. Lesdéfenseureuses de tel<strong>le</strong>s politiquesprétendent souvent ne pas êtretransphobes, parce qu'il<strong>le</strong>s permettent àcertaines personnes s'identifiant commetransgenre de participer (tant qu'el<strong>le</strong>ssont "nées femmes"). Ainsi, plutôt qued'appe<strong>le</strong>r "transphobes" ces politiquesexcluant <strong>le</strong>s femmes trans, il est plusexact de dire qu'el<strong>le</strong>s sont cissexistes, carel<strong>le</strong>s refusent d'accepter l'identité defemme des femmes transsexuel<strong>le</strong>s commeétant aussi légitime que cel<strong>le</strong>s des femmes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s. (De tel<strong>le</strong>s politiques peuventaussi être appelées trans­misogynes,puisqu'el<strong>le</strong>s favorisent <strong>le</strong>s personnes transsur un spectre FTM au détriment despersonnes sur un spectre MTF). De plus,on peut dire de ces <strong>cissexuel</strong>LEs "néesfemmes" (peu importe qu'il<strong>le</strong>s soienttransgenres) qui choisissent de participerà de tels événements qu'il<strong>le</strong>s exercent <strong>le</strong>ur<strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong> (c'est­à­dire, il<strong>le</strong>s tirentprofit de tous <strong>le</strong>s <strong>privilège</strong>s associés à <strong>le</strong>ursexe de naissance). En effet, il estdécevant que la plupart des personnes<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s transgenres et homos −particulièrement cel<strong>le</strong>s qui accusent defaçon hypocrite <strong>le</strong>s transsexuelLEsd'essayer d'atteindre un "<strong>privilège</strong> depassing" en transitionnant vers notre sexed'identification − n'ont pratiquementaucune réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>s manièresincalculab<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong>s s'adonnentrégulièrement à <strong>le</strong>ur propre <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong>.Une fois que l'on comprend <strong>le</strong><strong>privilège</strong> <strong>cissexuel</strong>, il devient évident quebeaucoup d'actes de discrimination quiétaient auparavant regroupés sous <strong>le</strong>terme "transphobie" sont probab<strong>le</strong>mentmieux décrits en terme de cissexisme.Dans ce qui suit, je reconsidérerai uncertain nombre de tels actesdiscriminatoires, en me concentrant sur<strong>le</strong>s façons dont ils sont spécifiquementconçus pour miner la légitimité desgenres auxquels s'identifient <strong>le</strong>spersonnes trans plutôt que pour cib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>spersonnes trans parce qu'el<strong>le</strong>s dérogentaux normes de genre oppositionnel<strong>le</strong>s.L'EXCLUSION DESPERSONNES TRANSL'exclusion des personnes trans estpeut­être l'exercice d'oppression envers<strong>le</strong>s transsexuelLEs <strong>le</strong> plus direct et évidentqui soit. Très simp<strong>le</strong>ment, l'exclusion destrans a lieu lorsque des <strong>cissexuel</strong>LEsexcluent des transsexuelLEs d'espaces, degroupes ou d'événements destinés auxpersonnes du même genre que celuiauquel s'identifie la personne trans.20


L'exclusion des trans peut aussi entrer enjeu dans d'autres cas de figure où <strong>le</strong> genred'identification de la personne trans setrouve passé à la trappe (par exemp<strong>le</strong>,quand quelqu'unE s'obstine à me qualifier"d'homme", ou utilise intentionnel<strong>le</strong>mentdes pronoms inappropriés en s'adressantà moi). Sachant quel<strong>le</strong> énorme bourdesocia<strong>le</strong> constitue <strong>le</strong> fait de mal genrerquelqu'unE dans notre culture, et à quelpoint <strong>le</strong>s genTEs se répandentgénéra<strong>le</strong>ment en excuses lorsqu'il<strong>le</strong>s serendent compte qu'il<strong>le</strong>s ont commis cetteerreur, il est diffici<strong>le</strong> de voir dansl'exclusion des trans (c'est­à­dire <strong>le</strong> nonrespect délibéré du genre destranssexuelLEs) autre chose qu'unedémarche arrogante d'amoindrissement etd'humiliation des personnes trans.L'OBJETISATION DESPERSONNES TRANSL'objetisation des corps transsexuelsest tout à fait corrélée à l'obsession<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> du "passing". Alors que nostransitions physiques interviennentgénéra<strong>le</strong>ment sur une période dequelques années (une simp<strong>le</strong> fraction denos vies), el<strong>le</strong>s dominent presquecomplètement <strong>le</strong>s discours <strong>cissexuel</strong>sportant sur la transsexualité. La raison enest claire : la concentration presqueexclusive de l'attention sur notretransformation physique permet unancrage permanent des transsexuelLEsdans notre sexe d'assignation ettransforme ainsi notre sexed'identification en un but dont nous necessons de nous approcher mais que nousn'atteignons jamais complètement. Cela anon seu<strong>le</strong>ment pour effet de minimisernotre expérience de vie, tout ce qu'il y ade plus réel<strong>le</strong>, en tant que membres denotre sexe d'identification aprèstransition, mais aussi de délibérémentmettre de côté l'enjeu crucial queconstitue l'oppression <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> envers<strong>le</strong>s transsexuelLEs (ce qui rappel<strong>le</strong> lafaçon dont certainEs hétérosexuelLEsconcentrent <strong>le</strong>ur curiosité sur ce que <strong>le</strong>sgays, <strong>le</strong>s <strong>le</strong>sbiennes et <strong>le</strong>s bisexuelLEs fontdans <strong>le</strong>ur chambre à coucher − c'est­àdirede quel<strong>le</strong> façon nous baisons − dans<strong>le</strong> but d'éviter de se demander en quoi<strong>le</strong>urs propres comportements et attitudesvont dans <strong>le</strong> sens d'une oppression desgays, des <strong>le</strong>sbiennes et des bisexuelLEs).Une autre forme couranted'objetisation des trans intervient lorsquedes <strong>cissexuel</strong>LEs deviennent fascinéEs,perturbéEs ou obsédéEs par des écartssupposés existant entre <strong>le</strong> sexe physiqued'unE transsexuelLE et son genred'identification. Assez typiquement, cetype d'attention se porte sur <strong>le</strong>s organesgénitaux de la personne trans. Ainsil'objetisation réduit la person<strong>net</strong>ranssexuel<strong>le</strong> à un statut "d'objet",permettant aux <strong>cissexuel</strong>LEs de nouscondamner, de nous diaboliser, de nousfétichiser, de nous ridiculiser, de nouscritiquer, et de nous exploiter sanséprouver de culpabilité ou de remords.LA MYSTIFICATIONDES PERSONNES TRANSUne autre stratégie qui va de pairavec l'obsession du passing etl'objetisation des trans est la mystificationdes trans : c'est s'autoriser à rester siconfinéE dans l'idée d'une nature tabouedu "changement de sexe" que l'on perd devue <strong>le</strong> fait que la transsexualité est tout àfait réel<strong>le</strong>, tangib<strong>le</strong> et souvent bana<strong>le</strong>21


pour cel<strong>le</strong>ux d'entre nous qui en avonsune expérience immédiate. On peutlisib<strong>le</strong>ment observer la mystification destrans dans <strong>le</strong>s descriptions destranssexuelLEs fournies par <strong>le</strong>s médias, àpartir du moment où notre sexed'assignation est souvent transformé enun secret caché ou en un objet d''intrigue,tandis que notre sexe vécu se trouveprésenté comme une illusion élaborée.Dans la vie réel<strong>le</strong>, lorsque je dis à desgenTEs que je suis transsexuel<strong>le</strong>, il arrivesouvent qu'il<strong>le</strong>s s'éternisent là­dessus, enme répétant combien il <strong>le</strong>ur est incroyab<strong>le</strong>que j'aie autrefois vécu en tant quegarçon, comme si je <strong>le</strong>s avais blufféEs enusant d'un tour de passe­passe. La vérité,c'est que la transsexualité n'a rien defascinant. Pour beaucoup d'entre nous,c'est simp<strong>le</strong>ment une réalité. J'effectueconstamment des coming­outs auprès degenTEs, et lorsque je <strong>le</strong> fais, aucunemusique ne se met à jouer en arrière­planpour souligner <strong>le</strong> suspense. De plus, monappartenance au genre féminin n'est pasune espèce de production comp<strong>le</strong>xe quiexigerait de ma part de jeter de la poudreaux yeux : croyez­<strong>le</strong> ou non, je vis ma vieen étant seu<strong>le</strong>ment moi­même et enfaisant ce qui me convient <strong>le</strong> plus. Lamystification des trans est uniquementune façon de plus pour <strong>le</strong>s <strong>cissexuel</strong>LEsd'en appe<strong>le</strong>r à "l'artificialité" de latranssexualité, créant ainsi l'impressionfallacieuse que nos genres d'assignationseraient "naturels" tandis que nos genresd'identification, vécus, ne <strong>le</strong> seraient pas.L'INTERROGATION SURLES PERSONNES TRANSSi l'obsession du passing,l'objetisation des personnes trans et lamystification des personnes transdélégitiment <strong>le</strong>s identités transsexuel<strong>le</strong>sen se concentrant sur <strong>le</strong> "comment" de latranssexualité, l'interrogation sur <strong>le</strong>spersonnes trans se focalise quant à el<strong>le</strong>sur <strong>le</strong> "pourquoi". Pourquoi <strong>le</strong>stranssexuelLEs existent­il<strong>le</strong>s ? Qu'est­cequinous engage à changer de sexe ? Estceune affaire de génétique ?D'hormones ? D'éducation ? Est­ce corréléau fait de vivre dans une culture obsédéepar la chirurgie esthétique ? Ou peut­êtren'est­ce qu'une bonne vieil<strong>le</strong> maladiementa<strong>le</strong> ? De tel<strong>le</strong>s questionsreprésentent l'intel<strong>le</strong>ctualisation duprocessus d'objetisation destranssexuelLEs. En nous réduisant à unstatut d'objets d'étude et de curiosité, <strong>le</strong>s<strong>cissexuel</strong>LEs se libèrent du désagrémentde nous envisager comme des êtres quivivent et qui respirent, faisant face nonseu<strong>le</strong>ment à nos propres tendancespersonnel<strong>le</strong>s, mais aussi à ladiscrimination de genre ambiante,articulée autour du cissexisme et dusexisme oppositionnel.Tandis que je travaillais sur ce livre,en me plongeant dans <strong>le</strong>s textessexologiques et sociologiques qui tententd'expliquer pourquoi <strong>le</strong>s transsexuelLEsexistent, il m'est venu à l'esprit que, plutôtque simp<strong>le</strong>ment retirer du DSM <strong>le</strong>diagnostic de troub<strong>le</strong> de l'identité degenre, nous devrions peut­être envisagerde <strong>le</strong> remplacer par <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> del'étiologie transsexuel<strong>le</strong>, afin de mettre enlumière cette obsession malsainemanifestée par beaucoup de<strong>cissexuel</strong>LEs : expliquer <strong>le</strong>s origines de latranssexualité. À l'inverse de ceschercheurEUSEs <strong>cissexuel</strong>LEs qui trouventpassionnant et intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>mentstimulant de se perdre en considérationset de pontifier sur mon existence, laquestion "pourquoi suis­je transsexuel<strong>le</strong>" a22


qu'un pourcentage réduit de personnestrans qui disent qu'el<strong>le</strong>s sonttranssexuel<strong>le</strong>s. En second lieu, cel<strong>le</strong>ux quieffectuent <strong>le</strong>ur coming­out <strong>le</strong> font souventen même temps qu'il<strong>le</strong>s décident detransitionner physiquement : unprocessus historiquement régulé (etsévèrement limité) par des gatekeepers 4<strong>cissexuel</strong>LEs. Souvent, cel<strong>le</strong>ux qui sevoyaient délivrer la permission detransitionner étaient sé<strong>le</strong>ctionnéEs sur labase de la conviction des gatekeepersqu'il<strong>le</strong>s correspondraient aux normes degenre de <strong>le</strong>ur sexe d'identification etgarderaient <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce à propos de <strong>le</strong>urstatut trans après <strong>le</strong>ur transition. Cela acontribué à assurer que la plupart destranssexuelLEs se fondent effectivementdans la population <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> aussi bienavant qu'après transition.Mais peut­être que rien ne facilitel'effacement des personnes trans plus que<strong>le</strong> genrement quotidien et l'évidence<strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>. Quand j'effectue un comingoutauprès de genTEs, il<strong>le</strong>s me disentsouvent que je suis la premièretranssexuel<strong>le</strong> qu'il<strong>le</strong>s ont jamaisrencontrée. Cela suggère que la plupartdes <strong>cissexuel</strong>LEs n'ont jamaissérieusement envisagé la possibilité quesur <strong>le</strong>s personnes présumées <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>squ'il<strong>le</strong>s voient chaque jour, un certainpourcentage puisse être des personnestranssexuel<strong>le</strong>s. Les statistiquesinternationa<strong>le</strong>s indiquent que <strong>le</strong>pourcentage de personnes transsexuelLEs"post­op" varie de 1 à 3 % de lapopulation. Bien qu'il n'y ait pas destatistique rigoureuse concernant <strong>le</strong>nombre de transsexuelLEs aux Etats­Unis,<strong>le</strong>s estimations fondées sur <strong>le</strong> nombred'opérations de réassignation sexuel<strong>le</strong>4 : "gatekeeper" = medecins­expertEs, souventpsychiatres, « gardienNEs des clés » de latransition (ndT)réalisées suggèrent qu'au moins unepersonne sur 500 dans ce pays esttranssexuel<strong>le</strong> (et bien plus de personnesencore sont transgenres).Dans un monde dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>spersonnes sont perçues soit comme desfemmes, soit comme des hommes, et dans<strong>le</strong>quel toutes <strong>le</strong>s personnes sontprésumées cisgenres et <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s,cel<strong>le</strong>ux d'entre nous qui sont transgenreset/ou transsexuelLEs sont effectivementeffacéEs de la conscience publique. Celapermet aux producteurICEs des medias denous dépeindre telLEs que cela <strong>le</strong>urchante, aux universitaires d'énoncertoutes <strong>le</strong>s théories qu'il <strong>le</strong>ur plait à notrepropos, et aux médecins, psychologues, etautres "expertEs" auto­proclaméEs<strong>cissexuel</strong>LEs, de prendre la paro<strong>le</strong> à notreplace.CHANGER LA PERCEPTIONDU GENRE, IL NE S'AGITPAS DE PERFORMANCEUne analyse approfondie desmécanismes de genrement, du sentimentde légitimité de genre et du <strong>privilège</strong><strong>cissexuel</strong> permet à la fois de contester lasupposition principa<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s genres<strong>cissexuel</strong>s sont plus "naturels" et légitimesque <strong>le</strong>s genres transsexuels, et à la fois deremettre en question <strong>le</strong> nouveau centred'intérêt des théoricienNEs et activistesdu genre qui consiste à savoir comment<strong>le</strong>s personnes "font" ou "performent" <strong>le</strong>urgenre 5 . Les différentes modélisations du5 : La notion de "faire" <strong>le</strong> genre est souventattribuée à Candace West et Don H.Zimmerman, pour <strong>le</strong>ur artic<strong>le</strong> "Doing Gender",Gender and Society 1, no. 2 (1987), 125­151,et peut aussi être trouvée dans Kess<strong>le</strong>r et McKenna, Gender : An EthnomethodologicalApproach, 155­159. L'idée que <strong>le</strong> genre est"performé" est typiquement attribuée à Judith24


pour altérer mon apparence et mescomportements afin de me sentir bienpouvait ressemb<strong>le</strong>r par différents aspectsà de la performance. Mais quand j'aifina<strong>le</strong>ment entamé ma transition, je nel'ai pas considéré comme uneperformance − j'ai simp<strong>le</strong>ment agit, je mesuis simp<strong>le</strong>ment habillée, j'ai simp<strong>le</strong>mentparlé de la manière dont je l'avaistoujours fait, de la façon qui m'étais laplus confortab<strong>le</strong>. Après plusieurs mois detraitement hormonal, je me suis aperçueque la plupart des genTEs commençaientà me genrer systématiquement commefemme, malgré <strong>le</strong> fait que je "faisais" mongenre de la même façon que je l'avaistoujours fait. Ce qui m'a <strong>le</strong> plus frappée,c'est de voir comment <strong>le</strong>s genTEsinterprétaient différemment <strong>le</strong>s mêmesactes et manières selon qu'il<strong>le</strong>s megenraient femme ou homme. Parexemp<strong>le</strong>, quand j'allais dans un bar, j'airemarqué que si je laissais traîner monregard dans la sal<strong>le</strong> en attendant monverre (ce que j'ai toujours faitinconsciemment avant ma transition), <strong>le</strong>shommes commençaient à me draguerparce qu'ils supposaient que je <strong>le</strong>ursignifiait ma disponibilité (quand j'étaisperçue comme homme, <strong>le</strong> même acteétait simp<strong>le</strong>ment interprété comme uneobservation de la sal<strong>le</strong>). Et dans <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>s àla caisse des supermarchés, quand laepetitE enfant dans <strong>le</strong> caddie devant moicommençait à me sourire et à me par<strong>le</strong>r,j'ai constaté que je pouvais interagir avecellui sans que sa mère ne deviennesuspicieuse ou craintive (ce qui arrivaientsouvent dans de tel<strong>le</strong>s situations quandj'étais perçue comme homme).Durant la première année de matransition, j'ai vécu des centaines de petitsmoments comme ceux­ci, où d'autrespersonnes interprétaient mes mots et mesactes différemment, en se basantuniquement sur l'évolution de mon sexeperçu. Et ce n'était pas simp<strong>le</strong>ment mescomportements qui étaient interprétésdifféremment, mais c'était tout autantmon corps : la façon dont <strong>le</strong>s genTEsm'approchaient, me parlaient, <strong>le</strong>ssuppositions qu'il<strong>le</strong>s faisaient meconcernant, <strong>le</strong> manque d'égard et derespect que j'ai souvent subis, la façondont <strong>le</strong>s autres ont souvent sexualisé moncorps. Tous ces changements se sontproduits sans que je n'ai à faire ou à direquoi que ce soit.Je soutiens l'idée que <strong>le</strong> genre socialn'est pas produit et propagé en fonctionde la façon nous, en tant qu'individuEs,"performons" ou "faisons" nos genres ; ilréside dans <strong>le</strong>s perceptions etinterprétations des autres. Je peuxmodifier mon propre genre autant que jeveux, mais ça ne changera rien au fait que<strong>le</strong>s autres personnes continueront àm'assigner compulsivement un genre, et àme voir à travers <strong>le</strong> prisme distordu del'évidence <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong> et hétérosexuel<strong>le</strong>.Si aucune expression de genre nepeut subvertir <strong>le</strong> système de genre tel quenous <strong>le</strong> connaissons, nous sommesnéanmoins toujours capab<strong>le</strong>s d'initier deschangements dans ce système.Cependant, de tels changements ne seproduiront pas en maniant la façon dontnous "faisons" notre propre genre, maisen démantelant notre propre sentimentde légitimité de genre. Si nous voulonsvraiment mettre un terme à toutes <strong>le</strong>soppressions liées au genre, alors nousdevons commencer à prendre nosresponsabilités quant à nos propresperceptions et présomptions. La chose laplus radica<strong>le</strong> que chacunE de nous peutfaire est d'arrêter de projeter sescroyances à propos du genre sur <strong>le</strong>scomportements et <strong>le</strong>s corps des autres.26


LE PRIVILEGE CISSEXUELCe texte de Julia Serano constitue <strong>le</strong> chapitre8 de son livre Whipping girl, a transsexual womanon sexism and the scapegoating of femininity, paru en2007 chez Seal Press. Il s'agit là de sa premièreédition publiée en français.Dans son livre, Julia Serano part en partie desa vie pour tirer une analyse politique féministe dela situation des femmes trans dans la sociétéoccidenta<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s milieux féministes et LGBT. El<strong>le</strong>défend la thèse que <strong>le</strong>s femmes trans, avant de subirdes formes évoluées de transphobie, sont <strong>le</strong> plussouvent <strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s du sexisme traditionnel et de lamisogynie bana<strong>le</strong> et parfois insidieuse qui sévithistoriquement dans nos sociétés et milieux. El<strong>le</strong>propose donc, avant de partir en guerre contre denouveaux systèmes d'oppression, de revoir enprofondeur nos rapports à la féminité et à sa (dé)valorisation. El<strong>le</strong> propose de nouveaux cadres deréf<strong>le</strong>xion, via une remise en cause radica<strong>le</strong> descomportements misogynes et des perceptions desféminités.Dans ce chapitre, el<strong>le</strong> s'attarde sur <strong>le</strong>s<strong>privilège</strong>s <strong>cissexuel</strong>s ainsi que sur <strong>le</strong>s mécanismesque <strong>le</strong>s personnes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s mettent en placepour justifier et maintenir <strong>le</strong>urs <strong>privilège</strong>s. L'idée estde mettre en lumière un statut opprimant (enl'occurrence, <strong>le</strong> statut cis), pour l'étudier et encomprendre <strong>le</strong>s fonctionnements. Ce qui permet,pour une fois, de ne pas placer <strong>le</strong>s personnestranssexuel<strong>le</strong>s comme objets d'étude, mais àl'inverse de mettre <strong>le</strong>s personnes <strong>cissexuel</strong><strong>le</strong>s et<strong>le</strong>urs comportements sous la loupe d'une analysematérialiste visant à questionner la norme.

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