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16les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105 octobre 2008Mohga FayounLa vieille ville du Caire vue du parc Al Azhar


Le parc Al-Azhar17La vieille ville du Caire requalifiée par un jardin publicGaëlle GillotDu haut du minaret <strong>de</strong> <strong>la</strong> madrassa el-Ghouri, récemmentrestaurée et ouverte au public, on distingue par-<strong>de</strong>ssus lestoits p<strong>la</strong>ts et <strong>de</strong>nses du vieux Caire fatimi<strong>de</strong>, une tache <strong>de</strong>verdure qui tranche sur <strong>la</strong> couleur poussière <strong>de</strong>s bâtiments.C’est le jardin al-Azhar inauguré en octobre 2004 et ouvertau public en mars 2005 1 . Le projet du jardin a mis vingt ansà aboutir. Conçu comme un projet modèle, soutenu etfinancé par plusieurs partenaires dont l’Aga Khan Trust ForCulture qui en est l’initiateur 2 , il est <strong>la</strong> réalisation phare <strong>de</strong><strong>la</strong> requalification <strong>de</strong> ce que l’on nomme couramment levieux centre historique du Caire. À <strong>de</strong>ux pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> mosquéeuniversitéal-Azhar et du très touristique souk du Khan el-Khalili, offrant une vue panoramique sur <strong>la</strong> ville et imprenablesur <strong>la</strong> cita<strong>de</strong>lle, le parc occupe un espace <strong>de</strong>venucentral, après avoir pendant <strong>de</strong>s centaines d’années été unreliquat spatial, utilisé comme une décharge. Présentantune étrange similitu<strong>de</strong> avec <strong>la</strong> reconversion <strong>de</strong>s Buttes-Chaumont au 19 e siècle à Paris, ses concepteurs ont dotéle parc al-Azhar <strong>de</strong> toutes les vertus. Le jardin est toujoursconsidéré comme un espace « miracle » pour guérir <strong>la</strong> ville<strong>de</strong> tous ses maux et <strong>la</strong> rendre attrayante, là où auparavantelle était repoussante, mais pour qui ?La limite et les ordures <strong>de</strong> <strong>la</strong> villeL’expansion <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville du Caire a été pendant <strong>de</strong>s sièclescontenue à l’est par les fortifications ayyoubi<strong>de</strong>s édifiéespar Sa<strong>la</strong>din et son successeur aux 12 e et 13 e siècles. Le but<strong>de</strong> ces fortifications était d’entourer le Caire, sa cita<strong>de</strong>lle etles imp<strong>la</strong>ntations pré-fatimi<strong>de</strong>s afin <strong>de</strong> constituer une mêmeunité <strong>urbaine</strong>, un même système.Longue <strong>de</strong> 1300 mètres, cette portion <strong>de</strong> mur a <strong>de</strong>puislongtemps cessé d’être un élément <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,mais est restée un élément d’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong> limite, d’autantplus facilement qu’au-<strong>de</strong>là du mur se trouve une collineet le mont Moqqattam dont <strong>la</strong> topographie n’était paspropice à l’urbanisation, alors que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine alluviale àl’ouest fournissait un domaine d’expansion facilementaménageable (Abu-Lughod, 1971).À partir du 15 e siècle, le terrain qui jouxtait directementle mur a été utilisé comme décharge : hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone d’habitation,hors les murs, inadéquat à <strong>la</strong> construction, maisproche <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, il était pratique d’y déverser ordures etdéb<strong>la</strong>is, accentuant peu à peu <strong>la</strong> dénivel<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> collineet faisant doucement disparaître le mur (Behrens-Abouseif,1985). Déjà en 1658, le voyageur français Jean <strong>de</strong> Thévenottémoigne <strong>de</strong> l’enfouissement du mur sous les ordures à telpoint qu’à certains endroits elles passaient par-<strong>de</strong>ssus lestours et qu’on pouvait alors ignorer qu’il y avait un mur.Du côté <strong>de</strong>s habitations, l’expansion <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville avait amenéles habitants à accoler leur maison au mur et à construire<strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong>ssus (Clerget, 1934).En 1902, le Comité <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong>s Monuments <strong>de</strong>l’art arabe créé en 1882, prit <strong>la</strong> décision <strong>de</strong> restaurer unepartie du mur, et d’en dégager une autre partie du côté <strong>de</strong>shabitations et du côté <strong>de</strong>s ordures. Mais à part dans lesannées 1950 pendant lesquelles quelques travaux furententrepris, rien d’envergure n’a été engagé pour préserver cemur, qui malgré <strong>la</strong> pression démographique restait unelimite <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville et celle d’un <strong>de</strong> ses quartiers les plus <strong>de</strong>nsémentpeuplés : Darb al-Ahmar (Sivaro, Matero, 2004).Espace insalubre et dévalorisant, le tas d’ordures connudésormais sous le nom <strong>de</strong> colline <strong>de</strong> Darassa jouxte alorsun mur c<strong>la</strong>ssé « patrimoine mondial <strong>de</strong> l’UNESCO », enmême temps que <strong>la</strong> vieille ville is<strong>la</strong>mique du Caire en 1979,dans l’urgence et <strong>la</strong> peur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>structions massives <strong>de</strong> monu-1. Cet article est tiré d’une contribution orale présentée au colloqueFabrique <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville et mutation <strong>de</strong>s formes d’urbanité, USTO, Oran,décembre 2005.2. La fondation Aga Khan finance le projet à hauteur <strong>de</strong> 70 % <strong>de</strong> soncoût.Les <strong>Annales</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105, 0180-930-X, 2008, pp.16-25© MEEDDAT, PUCA


18les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105 octobre 2008Aga Khan Ttrust for CultureLe parc Al Azhar longe <strong>la</strong> vieille ville et jouxte l’hôpital Al Hussein et l’université et <strong>la</strong> mosquée Al Azharments ayant une qualité architecturale jugée remarquableet digne d’être transmis aux générations futures.Au cours d’un séminaire international tenu au Caireen 1984 3 , Karim Aga Khan proposa que sa fondation 4 , parle biais <strong>de</strong> son programme d’ai<strong>de</strong> aux cités historiques is<strong>la</strong>miques,fasse don d’un parc à <strong>la</strong> ville, sur cette colline <strong>de</strong>débris et <strong>de</strong> poussière, inhabitée, qui lui semb<strong>la</strong>it constituerune sorte <strong>de</strong> gaspil<strong>la</strong>ge du sol et d’anomalie dans le paysageurbain 5 . Ce<strong>la</strong> permettrait à <strong>la</strong> fois d’aménager un espace<strong>de</strong> verdure supplémentaire et <strong>de</strong> rénover le mur médiéval,ainsi que tout le quartier qui s’y appuyait (Darb al-Ahmar).Au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville du Caire, plus aucun autre espacen’était libre pour y inscrire un jardin public aussi grand(32 hectares). Ainsi, le projet du parc al-Azhar et <strong>de</strong> <strong>la</strong> rénovationdu quartier était <strong>la</strong>ncé.Un projet ambitieuxL’idée <strong>de</strong>s ingénieurs et <strong>de</strong>s architectes <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation AgaKhan Trust for Culture était d’utiliser <strong>la</strong> topographie particulièredu site (87 mètres au-<strong>de</strong>ssus du niveau du Nil quipermet une vue panoramique à 360°sur <strong>la</strong> cita<strong>de</strong>lle, sur <strong>la</strong>mosquée du Sultan Hassan, sur le Caire ancien et mo<strong>de</strong>rne,sur <strong>la</strong> cité <strong>de</strong>s morts) et son emp<strong>la</strong>cement exceptionnel (àproximité immédiate du Caire médiéval – et touristique –facilement accessible grâce à <strong>la</strong> route circu<strong>la</strong>ire, Sa<strong>la</strong>hSalem) pour mettre en p<strong>la</strong>ce un projet culturel prestigieux<strong>de</strong>stiné à <strong>de</strong>venir pour les visiteurs un symbole <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville duCaire et <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture is<strong>la</strong>mique 6 grâce à <strong>la</strong> mise en œuvred’une architecture is<strong>la</strong>mique contemporaine, ismaélite,faisant le lien entre le passé, représenté par le mur restauré,et le présent 7 . La création du parc représentait pour lesresponsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation Aga Khan « autant <strong>la</strong> célébrationdu passé qu’une expression <strong>de</strong> confiance en le futur <strong>de</strong><strong>la</strong> métropole » (Bianca, Jodidio, 2004). Ainsi conçu commeun projet très ambitieux <strong>de</strong> restauration et <strong>de</strong> développementlocal, <strong>de</strong>stiné à changer non seulement les conditions<strong>de</strong> vie dans le quartier mais également <strong>la</strong> perception <strong>de</strong> <strong>la</strong>3. The expanding Metropolis : Coping with the Urban Growth of Cairo,organisé par l’Aga Khan Award for Architecture.4. L’ONG Aga Khan Trust for Culture, basée à Genève, dont une <strong>de</strong>smissions est <strong>de</strong> promouvoir et ai<strong>de</strong>r l’art is<strong>la</strong>mique, grâce à <strong>de</strong>s prixd’architecture, le financement <strong>de</strong> projets d’architecture is<strong>la</strong>mique, <strong>la</strong>rénovation <strong>de</strong> centres historiques, etc.5. Entretien avec le directeur exécutif du parc Aga Khan à al-Azharau Caire, M. Ossama I. Hambazaza, Le Caire, 9/11/1999.6. Il est à souligner que <strong>la</strong> famille Aga Khan est issue <strong>de</strong> <strong>la</strong> lignée <strong>de</strong>sFatimi<strong>de</strong>s, fondateurs du Caire. L’intérêt <strong>de</strong> Karim Aga Khan pour ceprojet est par conséquent quasiment généalogique (entretien avec Seifel-Rachidi, chargé <strong>de</strong> projet à <strong>la</strong> fondation Aga Khan, Le Caire,1 er mars 2007).7. Voir « The Aga Khan Project in Cairo » dans Historic CitiesSupport Programme, 1996.


Thème libre Le parc Al-Azhar 19Mohga FayounLe restaurant ayyoubi<strong>de</strong>ville par ses habitants et ses visiteurs, le projet <strong>de</strong> parc a faitappel à <strong>de</strong>s partenaires pour son financement et un soutienà <strong>la</strong> fois institutionnel et technique. Ainsi, en 1990, <strong>la</strong> fondationAga Khan signe une convention avec le gouvernoratdu Caire qui lui délègue <strong>la</strong> réalisation du parc, <strong>la</strong> restaurationdu mur et <strong>la</strong> gestion du parc après son ouverturejusqu’en 2007 (convention prolongée <strong>de</strong> cinq ans fin 2007).Des partenariats sont signés avec <strong>la</strong> Fondation Ford, le Fonds<strong>de</strong> développement Suisse-Égyptien ; <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations sontengagées avec le Conseil <strong>de</strong>s Antiquités du Caire avecl’IFAO (Institut Français d’Archéologie Orientale).Le projet démarre dans sa première phase en 1992 avec<strong>la</strong> création à Genève du programme « Historic CitiesSupport Programme » <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation. Un chantier qui vadurer près <strong>de</strong> dix ans s’engage alors. Des stages d’archéologiesont organisés auxquels participent <strong>de</strong>s étudiants dumon<strong>de</strong> entier qui viennent déb<strong>la</strong>yer et restaurer le mur <strong>de</strong>Sa<strong>la</strong>din et ses neuf tours. Le sol doit être stabilisé, uniformisé,traité pour le purifier <strong>de</strong>s polluants divers qui <strong>de</strong>puis<strong>de</strong>s centaines d’années sont déversés sur le terrain, et enrichipour les futures p<strong>la</strong>ntations ; le sous-sol doit êtreaménagé également, comme dans toute réalisation <strong>de</strong> parc,pour faire passer les canalisations d’eau, les réseaux électriques,pour assurer le drainage <strong>de</strong>s eaux d’arrosage,construire <strong>de</strong>s réservoirs d’eau pour les <strong>la</strong>cs. Enfin, lesconstructions sont réalisées : restaurant, café, kiosque…, et<strong>la</strong> végétation p<strong>la</strong>ntée. Le parc est inauguré en octobre 2004et s’ouvre au public en mars 2005.Traces du passé, inspirations du présentDans leur projet, les architectes du parc al-Azhar avaientpour ambition <strong>de</strong> mettre en scène un subtil mé<strong>la</strong>nge entrel’art is<strong>la</strong>mique issu <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> médiévale (celle du quartierqui jouxte le mur) et un art is<strong>la</strong>mique contemporainrompu aux exigences <strong>de</strong>s nouveaux matériaux et techniques<strong>de</strong> l’architecture.Si le p<strong>la</strong>n d’ensemble ressemble davantage à un cheminementen ellipse digne <strong>de</strong>s parcs « anglo-chinois » du 19 esiècle, le détail offre <strong>de</strong>s espaces inspirés <strong>de</strong>s jardinsomeyya<strong>de</strong>s d’Andalousie : un « jardin formel » a été réaliséqui reprend le p<strong>la</strong>n en chahar bagh hérité <strong>de</strong>s Perses. Cep<strong>la</strong>n se présente sous <strong>la</strong> forme d’un rectangle subdivisé par<strong>de</strong>s canaux d’irrigation en plusieurs rectangles égaux, etreprésentant les quartiers du mon<strong>de</strong>. Les fontaines, lescanaux d’eau, <strong>la</strong> variété et <strong>la</strong> luxuriance <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes fleuriessont là pour rappeler cet âge d’or <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisation arabomusulmane 8 . Les jardins <strong>de</strong> cette époque <strong>de</strong> raffinement dumo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vivre ont <strong>la</strong>issé dans les esprits le souvenir et <strong>la</strong>nostalgie, entretenue par l’orientalisme, d’un art <strong>de</strong>s jardinsà son apogée, et <strong>de</strong>s réalisations qui ne <strong>la</strong>ssent pas tellesque l’Alhambra et le Generalife. Le « jardin formel » du parcal-Azhar fait explicitement référence à ces jardins par <strong>la</strong>8. Il est communément admis que cet âge d’or a eu lieu entre le 8 e etle 12 e siècles.


20les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105 octobre 2008présence et <strong>la</strong> mise en scène <strong>de</strong> l’eau réputée pour éveiller<strong>la</strong> vue, l’ouïe, le toucher et <strong>la</strong> vue, l’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> géométriepour <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s sciences, et l’utilisation d’une végétationqui doit être touffue et jouer sur les couleurs.Si l’esp<strong>la</strong>na<strong>de</strong> qui fait suite au jardin formel entre lerestaurant du sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> colline (Cita<strong>de</strong>l ViewRestaurant) et orienté vers <strong>la</strong> cita<strong>de</strong>lle fait franchementpenser aux axes centraux <strong>de</strong> nos jardins à <strong>la</strong> française, elleest cependant réalisée là aussi dans un style rappe<strong>la</strong>nt lesjardins privés <strong>de</strong>s grands pa<strong>la</strong>is marocains avec son canald’eau, ses mosaïques et ses fontaines, dans une sorte <strong>de</strong>syncrétisme <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong>s jardins.L’architecture <strong>de</strong>s bâtiments réalisés dans le jardin pourabriter <strong>de</strong>s restaurants concédés est également thématique :un restaurant « style ayyoubi<strong>de</strong> 9 » et un café du bord du<strong>la</strong>c résolument is<strong>la</strong>mique mo<strong>de</strong>rniste, où les formes architecturalessont épurées, mais revendiquent un style vernacu<strong>la</strong>irepar les fenêtres en structure <strong>de</strong> bois rappe<strong>la</strong>nt lesmoucharabiehs.L’aménagement du parc s’inspire <strong>de</strong>s formes architecturalesanciennes pour rappeler une appartenance culturelleenracinée dans l’espace par le mur <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>din ressurgi ducœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. Ce <strong>de</strong>rnier, situé au pied <strong>de</strong> <strong>la</strong> colline estrénové et une promena<strong>de</strong> a été aménagée qui permet <strong>de</strong> lesuivre sur toute <strong>la</strong> longueur du jardin. Les tours se visitentet <strong>de</strong>s espaces pique-nique avaient initialement été prévuspar les architectes paysagistes du parc le long du mur. Iljoue un rôle d’alibi patrimonial et culturel au parc dont <strong>la</strong>principale attraction est en réalité <strong>la</strong> vue panoramique sur<strong>la</strong> ville, et son caractère <strong>de</strong> promontoire qui permet <strong>de</strong>prendre <strong>de</strong> <strong>la</strong> hauteur à <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> d’un peu d’air lors<strong>de</strong>s fortes chaleurs <strong>de</strong> l’été égyptien.Ainsi, le parc al-Azhar tente une synthèse entre l’artis<strong>la</strong>mique traditionnel et l’art is<strong>la</strong>mique contemporain,mâtiné d’influence ismaélite. L’héritage artistique est misen scène pour provoquer un sentiment <strong>de</strong> continuité entre<strong>la</strong> pério<strong>de</strong> médiévale représentée dans le parc par lesmurailles, et le présent dans ce qu’il a <strong>de</strong> plus contemporain,par l’architecture du café du bord du <strong>la</strong>c. Ainsi, lienentre le passé et le présent, le parc al-Azhar se présentecomme un lieu d’expression d’une i<strong>de</strong>ntité arabo-musulmanerevisitée et mise en scène dans ce qu’elle a <strong>de</strong> plusraffiné, <strong>de</strong> plus prestigieux, reconnu et admiré dans lemon<strong>de</strong> entier. Mais bien qu’il s’affiche résolument mo<strong>de</strong>rneet contemporain dans ses principes, le parc al-Azhar s’inscrit,à <strong>la</strong> fois dans sa philosophie et ses fon<strong>de</strong>ments, dans <strong>la</strong>plus pure tradition hygiéniste du 19 e siècleUne réalisation dans <strong>la</strong> tradition <strong>de</strong> l’hygiénismeL’aménagement <strong>de</strong>s jardins coïnci<strong>de</strong> avec le percement <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s artères, l’aménagement <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces-croisementset l’embellissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville avec l’éc<strong>la</strong>irage public.Cette évolution n’est pas propre aux villes d’Occi<strong>de</strong>nt. Elleaffecte directement les villes d’Orient et notamment LeCaire, dans un premier temps, par l’intermédiaire <strong>de</strong>séchanges entre <strong>la</strong> France et l’Égypte, puis par <strong>la</strong> volontédu Khédive Isma’îl d’offrir à ses invités à l’inauguration ducanal <strong>de</strong> Suez, une ville digne <strong>de</strong>s plus mo<strong>de</strong>rnes citésd’Europe. Lors <strong>de</strong> son passage à Paris pour l’expositionuniverselle <strong>de</strong> 1867, Isma’îl a visité le parc <strong>de</strong>s Buttes-Chaumont qui l’a beaucoup impressionné. Réalisé entre1864 et 1867 par Alphand et Barillet-Deschamps sur unecolline aux f<strong>la</strong>ncs escarpés et <strong>de</strong>venue une décharge <strong>de</strong>puis<strong>la</strong> Restauration, ce parc symbolisait <strong>la</strong> reconversion <strong>de</strong> toutun quartier vers <strong>la</strong> « belle ordonnance » chère àHaussmann. De retour au Caire, Isma’îl <strong>la</strong>nce un projettrès ambitieux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation du Caire, selon les mêmesprincipes que ceux qui étaient appliqués à Paris.Les jardins publics, <strong>de</strong>puis n’ont cessé <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r cetteaura. En <strong>de</strong>venant <strong>de</strong>s « espaces verts », ils ont acquis unelégitimité comptable. L’OMS recomman<strong>de</strong> 10m 2 d’espacevert par personne. Mais ils ont perdu, souvent, leur dimensionartistique et paysagère. Confiés à <strong>de</strong>s ingénieurs davantagequ’à <strong>de</strong>s paysagistes, les jardins <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitiédu 20 e siècle au Caire ont été conçus sans gran<strong>de</strong> passionpaysagère, parfois juste dans le but d’améliorer le ratio.Dans les années 1990, les Cairotes disposaient <strong>de</strong> 30 cm 2d’espace vert par personne. La ville avait besoin d’unnouvel espace vert.Jugé bon pour l’aération du tissu urbain, le parc al-Azhar permettrait d’introduire un vaste espace <strong>de</strong> verduredans un quartier <strong>de</strong>nse et par conséquent, <strong>de</strong> l’aérer, <strong>de</strong> luifournir <strong>de</strong> l’oxygène. Il offrirait un espace <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>ssementsalubre et moral aux familles défavorisées du quartier Darbal-Ahmar et leur donnerait l’occasion <strong>de</strong> s’instruire enfaisant en famille <strong>la</strong> promena<strong>de</strong> culturelle le long du mur<strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>din, et en admirant les références à l’architectureis<strong>la</strong>mique <strong>de</strong>s restaurants ou <strong>de</strong>s jardins, tout en ayant unaperçu <strong>de</strong> l’architecture contemporaine. Les enfants pourraientjouer dans un espace sécurisé conçu pour eux etadapté à leur âge. Enfin, ce parc embellirait le quartier et<strong>de</strong>viendrait certainement un repère dans <strong>la</strong> vieille ville, unpôle d’attraction, par sa nouveauté et par sa qualité, pour lestouristes mais également pour les couches moyennes voireaisées du Caire qui avaient totalement déserté cet endroit.Par son caractère <strong>de</strong> promontoire, il aurait pour effet <strong>de</strong>rendre nécessaire <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong>s quartiers environnants,afin que ces <strong>de</strong>rniers offrent un paysage digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualitédu parc à ses visiteurs. D’ailleurs, <strong>la</strong> fondation Aga Khan a<strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> restauration <strong>de</strong> plusieurs minarets proches du parc(Bianca, Jodidio, 2004). L’inventaire <strong>de</strong>s maisons historiquesest en cours à Darb al-Ahmar dans le but <strong>de</strong> les rénover.Seif el-Rachidi explique que l’idée au cœur du projetest qu’en améliorant les conditions <strong>de</strong> vie et l’environnement9. Dynastie <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>din, 12 e et 13 e siècles.


Thème libre Le parc Al-Azhar 21Mohga FayounLe café du bord du <strong>la</strong>c<strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> ce quartier pauvre, elles pourraient acquérirl’envie <strong>de</strong> respecter leur environnement ; elles apprendraientdans le parc à ramasser leurs ordures et prolongeraientcette habitu<strong>de</strong> chez eux et dans leur rue... Ainsi, leparc al-Azhar s’inscrit bien dans une tradition hygiéniste<strong>de</strong>s parcs publics.Michel Foucault dans sa thèse sur Bor<strong>de</strong>aux, note que<strong>la</strong> ville <strong>de</strong>s hygiénistes est avant tout une ville bourgeoise,excluante, parce que les popu<strong>la</strong>tions défavorisées ne possè<strong>de</strong>ntpas forcément le capital culturel et spatial pour profiterd’une ville conçue pour le spectacle et le loisir(Higounet, 1980). Sur cet aspect, il semble que le parc al-Azhar correspond aussi à une caractéristique hygiéniste.Une réalisation prestigieuse excluanteSitué dans un espace dégradé, appauvri, dé<strong>la</strong>issé par lescouches sociales favorisées, et pourtant dans un centre villehistorique d’une gran<strong>de</strong> richesse le parc al-Azhar renoueavec les réalisations prestigieuses du 19 e siècle. Après <strong>de</strong>sdécennies d’abandon, l’espace public a été à cette occasion,à nouveau considéré comme indispensable au liensocial, au lien spatial et à l’appropriation <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville par seshabitants. La fondation Aga Khan, en privilégiant, à partir<strong>de</strong> 1992, une démarche participative auprès <strong>de</strong>s habitantsvoisins du futur parc a cherché à favoriser leur appropriationdu projet et son insertion dans le tissu urbain avoisinant.Les références architecturales mo<strong>de</strong>rnisées à l’art is<strong>la</strong>miquepermettent son intégration logique dans le quartier.L’argumentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation Aga Khan pour justifier unprojet aussi prestigieux et culturel dans un quartier aussidégradé et pauvre était que ce parc permettrait à tout lequartier <strong>de</strong> bénéficier d’une rénovation concertée. Fondéesur l’idée <strong>de</strong> mise en valeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté, <strong>de</strong> projeturbain commun, <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> rénovation du quartier apourtant connu <strong>de</strong> nombreux aléas et pressions (notammentpolitiques et financières) qui selon Ab<strong>de</strong>l HalimIbrahim 10 n’ont pas permis <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce un vraiprocessus <strong>de</strong> concertation et <strong>de</strong> participation popu<strong>la</strong>ire.Ainsi, les rénovations du vieux Caire is<strong>la</strong>mique dans le quartier<strong>de</strong> Darb al-Ahmar aboutissent au départ <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tionspauvres qui y vivaient, faisant disparaître un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>vie solidaire et communautaire, sans qu’il y ait pour autantgentryfication. Le parc est <strong>de</strong>venu, notamment pour leshabitants, un projet déconnecté <strong>de</strong> <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> <strong>la</strong> villehistorique.Depuis son ouverture au public, le parc al-Azhar est<strong>de</strong>venu un pôle d’attraction très fort du quartier. La jeunesse<strong>de</strong>s couches moyennes du Caire, avi<strong>de</strong> d’espaces ouverts et10. Architecte égyptien, auteur d’un « Jardin culturel pour lesenfants », col<strong>la</strong>borant au projet <strong>de</strong> rénovation participative et <strong>de</strong> revitalisation<strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté <strong>de</strong> Darb al-Ahmar. Entretien du15/12/1999, Le Caire.


22les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105 octobre 2008Mohga FayounLe quartier Darb al-Ahmar, aux marges du parc<strong>de</strong> qualité, s’y rend nombreuse. Depuis plusieurs décenniesdéjà, les couches moyennes et aisées <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tioncairote avaient déserté les espaces publics, et notammentles jardins, dégradés, dont <strong>la</strong> fréquentation était <strong>de</strong>venue troppopu<strong>la</strong>ire à leur goût, leur préférant les clubs (privés etsélectifs) ou les cafés et les restaurants (Gillot, 2002a). Lebouche à oreille a rapi<strong>de</strong>ment fait <strong>la</strong> réputation du parc al-Azhar comme un espace fréquentable, car d’un certainstanding et bien fréquenté. Son accès principal par <strong>la</strong> routeSa<strong>la</strong>h Salem permet d’éviter les embouteil<strong>la</strong>ges du secteurdu Khan al-Khalili et propose un parking gardé (payant, 5LE).Un autre avantage <strong>de</strong> cette entrée principale donnantsur <strong>la</strong> Sa<strong>la</strong>h Salem est qu’il permet, outre les embouteil<strong>la</strong>ges,d’éviter également le quartier Darb al-Ahmar <strong>de</strong>façon complète, voire <strong>de</strong> l’ignorer totalement. En fait, le parcal-Azhar en choisissant une entrée principale avec un grandparking donnant sur une route circu<strong>la</strong>ire très passante afait le choix <strong>de</strong> tourner le dos à Darb al-Ahmar pouraccueillir en priorité les personnes qui s’y ren<strong>de</strong>nt en automobile.Or au Caire, seulement 14 % <strong>de</strong>s dép<strong>la</strong>cementsquotidiens étaient effectués dans <strong>de</strong>s voitures privées en1996 11 . Ainsi malgré les tentatives <strong>de</strong> projet intégré à <strong>la</strong>vieille ville, c’est finalement à un public favorisé et venant<strong>de</strong> l’extérieur du quartier que le parc a été <strong>de</strong>stiné.Il possè<strong>de</strong> les atouts <strong>de</strong> l’attraction : nouveauté, qualité,singu<strong>la</strong>rité, accessibilité. Curieux <strong>de</strong> découvrir un nouveaulieu <strong>de</strong> plein air dont une ville <strong>de</strong>nse rend friand, le publicvient et revient au parc al-Azhar. Non seulement l’endroitpossè<strong>de</strong> un panorama <strong>de</strong> tout premier choix, qui n’étaitpas accessible au Caire jusque là, permet une promena<strong>de</strong>dans le cadre d’une verdure très bien entretenue, aux référencesculturelles affichées et faisant <strong>la</strong> part belle aux innovationsarchitecturales contemporaines et aux techniquesles plus récentes, mais encore il offre <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> standing.Le restaurant « Cita<strong>de</strong>l View » est concédé à <strong>la</strong> filialeégyptienne <strong>de</strong> Lenôtre et, <strong>de</strong> même que le café du borddu <strong>la</strong>c (Lakesi<strong>de</strong> Cafe), peut être réservé pour <strong>de</strong>s conférences,<strong>de</strong>s réunions, ou <strong>de</strong>s soirées privées. Bien conçupour satisfaire un public exigeant, le parc al-Azhar est égalementun lieu désormais très particulier, qu’on ne retrouvenulle part ailleurs au Caire.Devenu un pôle d’attraction en tant que nouveau lieu<strong>de</strong> détente, le jardin en est désormais également un pourle regard puisque dès que l’on monte au sommet d’un minaret,à <strong>la</strong> cita<strong>de</strong>lle ou que l’on passe par <strong>la</strong> route Sa<strong>la</strong>h Salem,l’étendue du parc elle-même et son altitu<strong>de</strong>, <strong>la</strong> luxuriance<strong>de</strong> <strong>la</strong> végétation et le jeu <strong>de</strong>s couleurs qui tranchent sur legris sable généralisé <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité, attirent l’attention et invitentà s’arrêter.Pourtant, contrairement à ce qui aurait pu se passer,les habitants du voisinage se ren<strong>de</strong>nt re<strong>la</strong>tivement peu dansce nouveau parc. Même si un tarif spécial leur est accordé 12 ,11. Enquête ménage, 1996.12. En présentant leur carte d’i<strong>de</strong>ntité sur <strong>la</strong>quelle leur adresse estinscrite. C’est d’ailleurs grâce à cette mesure que les gérants du parcont pu constater que seuls 10 % <strong>de</strong>s 3000 visiteurs quotidiens du parcsont du quartier… (Enquête signalée par Seif el-Rachidi lors <strong>de</strong> l’entretiendu 1 er mars 2007).


Thème libre Le parc Al-Azhar 23Mohga FayounLa clôture du parc côté quartier Darb al-Ahmarl’entrée du parc reste trop onéreuse pour <strong>de</strong>s famillespauvres. De plus, repoussés par le luxe qu’ils pressentent,les habitants du quartier plutôt habitués à <strong>la</strong> précarité,échaudés par d’autres opérations qui leur promettaient <strong>la</strong>participation et <strong>de</strong>squels ils ont finalement été exclus, nes’autorisent pas massivement à franchir <strong>la</strong> porte. Ils ont intégrécette loi sociologique qui ressemble à une contrainteterritoriale selon <strong>la</strong>quelle on n’approprie un lieu que si l’ons’y sent à sa p<strong>la</strong>ce. Or ce parc, ils ne sentent pas qu’il est faitpour eux. Il comporte <strong>de</strong>s services dont ils ne pourrontjamais avoir l’usage faute <strong>de</strong> moyens, et ne se sentent pasdans un cadre familier. Les espaces <strong>de</strong> pique-nique prévusinitialement ont été supprimés et à l’ouverture, il était interdit<strong>de</strong> s’asseoir sur les pelouses. Or un <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs popu<strong>la</strong>ires<strong>de</strong> <strong>la</strong> visite d’un jardin rési<strong>de</strong> en particulier dans lepique-nique et le contact direct avec l’herbe. Par mesureéducative, en attendant que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion voisine ait acquisle savoir être nécessaire à l’usage du parc, les responsablesont interdit d’apporter <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture <strong>de</strong> l’extérieur. Autresignal à l’égard <strong>de</strong>s voisins du parc, <strong>la</strong> porte d’entrée « àpied » du jardin du côté <strong>de</strong> Darb al-Ahmar n’est pas uneentrée monumentale, mais une petite porte, comme uneentrée dérobée, dont les horaires d’ouverture sont variables<strong>de</strong> surcroît. Les seuls habitants du quartier à s’y rendre tousles jours sont les employés du parc (30 % du personnel habitentDarb al-Ahmar) qui ramassent les papiers gras, vi<strong>de</strong>ntles poubelles, curent le <strong>la</strong>c et arrosent les fleurs. Aucund’entre eux n’a été recruté pour un poste <strong>de</strong> responsabilité.Ainsi après avoir mis en p<strong>la</strong>ce un processus participatif<strong>de</strong>s habitants à <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> leur quartier, les promoteursdu parc al-Azhar ont fait <strong>de</strong>s choix qui ne correspon<strong>de</strong>nt pasà l’intégration du jardin au quartier ni aux pratiques popu<strong>la</strong>ires.Au contraire, repoussés <strong>de</strong>rrière le mur médiéval, leshabitants <strong>de</strong> Darb al-Ahmar ont intériorisé que le parc neleur était pas vraiment <strong>de</strong>stiné. Leur représentation et leurpraxis sociales <strong>de</strong> l’espace n’incluent jamais <strong>de</strong> tels endroits,qui ne font pas partie <strong>de</strong> leur espace vécu. Ainsi, il faudrasans doute du temps pour qu’ils s’y ren<strong>de</strong>nt « naturellement» et incluent cet endroit dans leur territoire.Nouvel attrait pour le loisir et <strong>la</strong> détente, voire pour lesren<strong>de</strong>z-vous d’affaire, le parc a en revanche permis <strong>de</strong> fairerevenir les couches moyennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion cairote dansun quartier qu’elles avaient totalement déserté parce qu’ilétait <strong>de</strong>venu trop dégradé, trop pauvre, trop sale, en résumé,trop infréquentable pour elles. Finalement, au cours <strong>de</strong>son aménagement, le jardin al-Azhar est <strong>de</strong>venu un jardinélitiste, alors qu’au Caire, les jardins sont habituellementmassivement fréquentés par les couches popu<strong>la</strong>ires.Le mur ayyoubi<strong>de</strong> qui <strong>de</strong>vait sceller le passé et leprésent, et servir <strong>de</strong> trait d’union entre les usagers du parcet les habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieille ville a retrouvé un rôle <strong>de</strong> frontièreentre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s. Mais cette fois, les « envahisseurs» sont contenus à l’intérieur <strong>de</strong>s fortifications.Les rénovations <strong>de</strong> certains bâtiments médiévaux dans<strong>la</strong> vieille ville ont entraîné le départ <strong>de</strong> leurs habitants, sansêtre encore remp<strong>la</strong>cés, mais ceux qui vivaient dans <strong>de</strong>s bâtiments<strong>de</strong> fortune auto construits sont restés, avec pour différencequ’ils ont désormais un parc prestigieux commevoisin, leur faisant ressentir par contraste, et avec plusd’acuité leur exclusion du système économique formel.


24les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>urbaine</strong> n°105 octobre 2008Matérialisés par le mur ou par <strong>de</strong>s clôtures gril<strong>la</strong>gées, leslimites du parc marquent <strong>la</strong> séparation entre <strong>de</strong>ux universqui ne se rencontrent jamais.Un lieu <strong>de</strong> distinction plus que <strong>de</strong> voisinageLe parc public, hier comme aujourd’hui est considérécomme un espace permettant <strong>de</strong> résoudre <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>sproblèmes dont sont affectées les gran<strong>de</strong>s villes, tout encréant <strong>de</strong>s pôles d’attraction nouveaux. Le parc al-Azhars’inscrit parfaitement dans cette logique et a permis que lesc<strong>la</strong>sses moyennes voire favorisées du Caire se ren<strong>de</strong>nt dansun espace dont elles se détournaient auparavant. Sesconcepteurs ont voulu en faire un lieu phare <strong>de</strong> l’art architecturalis<strong>la</strong>mique ancien et contemporain donnant en ce<strong>la</strong>l’occasion à une catégorie d’intellectuels dépitée par <strong>la</strong>monotonie et le minimalisme paysagistes <strong>de</strong>s autres jardinspublics créés récemment, <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s raisons d’être fièred’une i<strong>de</strong>ntité aujourd’hui brouillée par les re<strong>la</strong>tions internationaleset les dérives extrémistes.Mis en scène à partir du mur, l’art <strong>de</strong>s jardins arabo-is<strong>la</strong>miquesparaît avoir trouvé une filiation au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieilleville du Caire. Mais comme autrefois, pour les jardins privés,le parc reste d’un accès réservé à une couche <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionqui s’y sent à sa p<strong>la</strong>ce et à son aise, qui peut profiter<strong>de</strong>s services et <strong>de</strong>s attractions proposées, quand <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionvoisine ne s’autorise pas et peut difficilement y pénétrer,faute <strong>de</strong> moyens financiers et culturels. En créant unenouvelle po<strong>la</strong>rité qui accentue <strong>la</strong> ségrégation spatiale, leparc al-Azhar est, comme l’ont toujours été les jardins dansles villes, l’objet, ou <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> distinction sociospatiale.


Thème libre Le parc Al-Azhar 25Références bibliographiquesAb<strong>de</strong>lhalim I. A., (7/12/1996,), « Culture,environment, and sustainability: theoreticalnotes and reflexion on a community parkproject in Cairo », Sustainable Landscape<strong>de</strong>sign in arid Climates, The Aga Khan trust forculture, a symposium, Dumbarton Oaks,Washington D.C., p.49-61.Abu-Lughod J., (1971), Cairo : 1001 Years of theCity Victorious, Princeton University Press,Princeton.Aga Khan Trust for Culture, (1997), « A<strong>de</strong>monstration Project for al-Darb al-Ahar. AnAgenda for Revitalisation: Conservation andDevelopment Proposals for a Historic Districtof Cairo », Final report, Le Caire.Arnaud J.-L., (1998), Le Caire. Mise en p<strong>la</strong>ced’une ville mo<strong>de</strong>rne, 1867-1907, Sindbad,Actes Sud.Behrens-Abouseif D, (1992a), « Gar<strong>de</strong>ns inIs<strong>la</strong>mic Egypt », Der Is<strong>la</strong>m, n° 6, pp. 302-312.Behrens-Abouseif D (1985b), Azbakiyya and itsEnvirons from Azbak to Ismail, Cairo, IFAO.Bianca S., Jodidio P. (ed.), (2004), Cairo.Revitalising a historic Metropolis, The Aga KhanTrust for Culture Press.Bourdieu P., (1994), Raisons pratiques. Sur <strong>la</strong>théorie <strong>de</strong> l’action, Seuil.Brookes J., (1987), Gar<strong>de</strong>ns of paradise: thehistory and <strong>de</strong>sign of the great Is<strong>la</strong>mic gar<strong>de</strong>ns,New York.Clerget M., (1934), Le Caire. Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> géographie<strong>urbaine</strong> et d’histoire économique, Le Caire,Imprimerie E&R Schindler.Debié F., (1992), Jardins <strong>de</strong> capitales. Unegéographie <strong>de</strong>s parcs et <strong>de</strong>s jardins publics <strong>de</strong>Paris, Londres, Vienne et Berlin, Paris, CNRSéditions.Gillot G., (2002a) « Espaces popu<strong>la</strong>ires,pratiques intimes : les jardins publics au Caire,à Rabat et à Damas », Géocarrefour, vol. 77, n°3, pp. 267-274Gillot G., (2002b), Ces autres espaces. Lesjardins publics dans les gran<strong>de</strong>s villes du mon<strong>de</strong>arabe: politiques et pratiques au Caire, à Rabatet à Damas, Thèse <strong>de</strong> doctorat, Université <strong>de</strong>Tours.Higounet C., (1980), Histoire <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux,Toulouse, Privat.Hunt J. D., (1996)., L’art du jardin et sonhistoire, Odile Jacob.Medina, (mars 1999), « Al-Azhar Park », LeCaire.Raymond A., (1993), Le Caire, Paris, Fayard.Sivaro F., Matero F., (2004), « The restorationof the Ayyubid City Wall », in Bianca S. JodidioP (eds), Cairo. Revitalising a Historic Metropolis,pp. 165-175.Thévenot M. <strong>de</strong>, (1665-1684), Re<strong>la</strong>tion d’unvoyage fait au Levant, imprimé par M. <strong>de</strong>Thévenot Rouen et Paris : L. Bil<strong>la</strong>ine.BiographieGaëlle Gillot, docteur en géographie <strong>urbaine</strong>est maître <strong>de</strong> conférences à l’IEDES (Institutd’étu<strong>de</strong> du développement économique etsocial)-Université <strong>de</strong> Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur au CRIA (UMRGéographie-Cités) <strong>de</strong>puis 2005, chercheurassocié à l’UMR 201 « Développement etsociétés ». Ses <strong>recherche</strong>s portent sur lesvilles <strong>de</strong>s pays en développement, notammentdu mon<strong>de</strong> arabe et du Moyen-Orient : espacespublics, espaces <strong>de</strong> loisirs, pratiques <strong>urbaine</strong>s.Ses <strong>recherche</strong>s en cours sont consacrées auxparcs <strong>de</strong> loisirs périurbains, le pique-nique, lestranspositions <strong>de</strong> pratiques <strong>urbaine</strong>s duMoyen-Orient à <strong>la</strong> France, les jeunes-femmeset <strong>la</strong> ville moyen-orientale.Elle a publié récemment : « Se verdir les yeux,respirer le printemps. Le pique-nique auMoyen-Orient (Égypte, Syrie, Maroc », dansLe pique-nique. Éloge d’un bonheur ordinaire,Francine Barthe-Deloisy (dir.), Bréal, mai2008, pp.56-72 ; « Du paradis à Dream Park,les jardins dans le mon<strong>de</strong> arabe : Damas, LeCaire, Rabat », <strong>Annales</strong> <strong>de</strong> géographie n° 630,2006, pp. 409-433 ; « Faire sans le dire. Lesrencontres amoureuses au Caire », Géographieet cultures, n° 54, 2005.gaelle.gillot@univ-paris1.fr

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