Le silence en psychothérapie Sophie Garnier - SOFRAPSY
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<strong>Le</strong> <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong><br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong><br />
Analyste psycho‐organique, titulaire du CEP, psychologue, formatrice et superviseur de<br />
psychothérapeutes et de professionnels de santé, <strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> accompagne depuis 1984 des<br />
personnes <strong>en</strong> chemin vers leur id<strong>en</strong>tité profonde questionnées par leur quotidi<strong>en</strong>, par une crise, un<br />
deuil ou une maladie grave.<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> est par ailleurs membre de la Sofrapsy et Secrétaire Général de l’EAPOA (European<br />
Association for Psycho‐Organic Analysis).<br />
Question : Parler du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong>, alors que le processus de<br />
<strong>psychothérapie</strong> est un processus de mise <strong>en</strong> s<strong>en</strong>s, mais aussi de mise <strong>en</strong> verbe …<br />
c’est une peu paradoxal. Pourquoi ce thème ?<br />
Que se passe‐t‐il dans une séance p<strong>en</strong>dant les temps de parole, les mom<strong>en</strong>ts où il nʹy a pas<br />
assez de paroles ou les mom<strong>en</strong>ts où il y a trop de paroles ? Et où puis‐je dans ma pratique,<br />
dans le cadre que jʹapporte aux séances de thérapie, être la plus accueillante possible pour<br />
que le s<strong>en</strong>s qui motive ou qui habite les personnes qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t me voir puisse trouver une<br />
place pour émerger, pour peut‐être se dire ou peut‐être simplem<strong>en</strong>t se vivre ?<br />
Si jʹai ces questions autour du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>, cʹest que je ne suis pas sûre que le verbe soit toujours<br />
dicible, ni même quʹil soit toujours à dire.<br />
Parmi les mots que jʹai utilisés, il y a le mot « le verbe ». Pour moi, « le verbe » a plusieurs<br />
s<strong>en</strong>s, plusieurs approches, plusieurs directions. On peut pr<strong>en</strong>dre le verbe dans son s<strong>en</strong>s<br />
grammatical, il sʹagit un peu de la charnière dʹune phrase, ce qui donne s<strong>en</strong>s, ce qui<br />
indique dont on parle ou quelle action on fait. Il y a une autre direction, qui va plutôt<br />
pr<strong>en</strong>dre un s<strong>en</strong>s spirituel qui est « le Verbe » dans le s<strong>en</strong>s biblique. Quand on parle du<br />
Verbe dans la Bible ou dans les livres sacrés, on parle très souv<strong>en</strong>t soit de la parole de<br />
Dieu, soit de lʹémerg<strong>en</strong>ce de Dieu. Et il y a un s<strong>en</strong>s plus psycho‐organique, qui peut‐être<br />
relie les deux premiers s<strong>en</strong>s : parmi les concepts développés par Paul Boyes<strong>en</strong>, il y a ce<br />
qu’il appelle « verber » et ici il parle de « comm<strong>en</strong>t est‐ce que le s<strong>en</strong>s profond dʹune<br />
personne peut aussi émerger au travers du corps » et « comm<strong>en</strong>t le verbe ‐ donc quelque<br />
chose de lʹordre du s<strong>en</strong>s ‐ bouge dans la personne, pas seulem<strong>en</strong>t dans ses mots, dans la<br />
parole, mais aussi dans son corps ».<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 1
Voilà pour moi les trois directions que peut porter ce mot du « verbe ». Cʹest quelque chose<br />
que je différ<strong>en</strong>cie de la parole, qui fait que le verbe et la parole sont assez différ<strong>en</strong>ts. La<br />
parole peut effectivem<strong>en</strong>t être objet, outil de communication, et elle peut aussi être un<br />
obstacle. Parfois elle est porteuse pour le verbe, et parfois elle est obstacle pour le verbe : la<br />
parole devi<strong>en</strong>t un flot dʹexpression dans lequel la personne va se perdre et ne va plus<br />
arriver à exprimer son s<strong>en</strong>s profond et parfois même se perdre dans les mots et ne plus<br />
pouvoir laisser émerger quelque chose de lʹordre du verbe qui serait porteur de s<strong>en</strong>s pour<br />
ce quʹelle dit.<br />
Question : En ce s<strong>en</strong>s, le verbe parlerait davantage de corps que de concept, n’est ce<br />
pas ?<br />
Parmi mes réflexions autour du « verbe porteur de s<strong>en</strong>s », il y a pour moi quelque chose de<br />
profondém<strong>en</strong>t simple, expérim<strong>en</strong>té, et <strong>en</strong> même temps de profondém<strong>en</strong>t spirituel, qui se<br />
rejoint au travers de ma pratique et de ma propre expéri<strong>en</strong>ce thérapeutique : cʹest cette<br />
phrase des écritures qui dit « le Verbe sʹest fait chair ». On peut le pr<strong>en</strong>dre dans un s<strong>en</strong>s<br />
très profond, théologique, spirituel, on peut y voir tout lʹaspect des croyances des uns ou<br />
des autres et puis il y a aussi tout lʹaspect évoqué précédemm<strong>en</strong>t et qui est : comm<strong>en</strong>t le<br />
s<strong>en</strong>s qui habite une personne peut‐il vraim<strong>en</strong>t vibrer dans son corps ? Je crois que cʹest<br />
vraim<strong>en</strong>t lié à lʹexpéri<strong>en</strong>ce intérieure quʹune personne peut faire de sa vérité. Elle le voit ou<br />
ne le voit pas, elle le s<strong>en</strong>t ou ne le s<strong>en</strong>t pas, cʹest tout notre travail de thérapeute de pouvoir<br />
offrir à une personne un espace de travail où elle puisse expérim<strong>en</strong>ter, découvrir et peut‐<br />
être ress<strong>en</strong>tir cet ess<strong>en</strong>tiel du verbe qui se fait chair, qui sʹest fait chair et quʹelle recontacte.<br />
Par exemple, vous pouvez avoir une personne qui va vous raconter une expéri<strong>en</strong>ce quʹelle<br />
a traversée, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t travailler sur les dim<strong>en</strong>sions que cela touche dans son passé,<br />
avec énormém<strong>en</strong>t dʹanimation au niveau de son corps et, parallèlem<strong>en</strong>t à cela, si vous<br />
interv<strong>en</strong>ez <strong>en</strong> lui demandant ce quʹelle s<strong>en</strong>t, elle peut très bi<strong>en</strong> vous répondre « ri<strong>en</strong> ! ». Et<br />
pourtant vous, <strong>en</strong> tant que thérapeute, vous voyez p<strong>en</strong>dant la séance quʹil y a énormém<strong>en</strong>t<br />
de choses qui vibr<strong>en</strong>t dans son corps mais quʹelle nʹa peut‐être pas directem<strong>en</strong>t lʹaccès,<br />
pour elle, à la s<strong>en</strong>sation de ce qui se passe.<br />
Je crois que dans notre travail de thérapeute, ce qui touche le niveau du verbe qui sʹest fait<br />
chair, cʹest vraim<strong>en</strong>t ce niveau‐là ; comm<strong>en</strong>t la personne peut sʹapproprier le s<strong>en</strong>s, la<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 2
qualité de ce quʹelle vit, comm<strong>en</strong>t est‐ce quʹelle peut sʹapproprier cette qualité dʹexpéri<strong>en</strong>ce<br />
quʹelle a. Soit on est dans lʹexemple que je vi<strong>en</strong>s de pr<strong>en</strong>dre, cʹest prés<strong>en</strong>t, mais la personne<br />
nʹa pas accès au s<strong>en</strong>s, à la vibration qui lʹhabite. Soit à dʹautres mom<strong>en</strong>ts elle va<br />
complètem<strong>en</strong>t avoir accès à cette expéri<strong>en</strong>ce et à ce s<strong>en</strong>s‐là. Elle est alors extrêmem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
contact avec la qualité de son expéri<strong>en</strong>ce et elle le s<strong>en</strong>t dans son corps.<br />
Pour moi, ce sont des mom<strong>en</strong>ts ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t thérapeutiques dans un processus. <strong>Le</strong><br />
mom<strong>en</strong>t où il y a comme quelque chose qui sʹaligne <strong>en</strong>tre la perception quʹune personne<br />
peut avoir dans son corps, la consci<strong>en</strong>ce quʹelle peut <strong>en</strong> avoir au niveau psychologique ou<br />
analytique et quelque chose dʹun ordre plus profond, qui vi<strong>en</strong>t sʹaligner, qui nʹest pas<br />
forcém<strong>en</strong>t toujours dicible avec des mots et qui vi<strong>en</strong>t juste là faire s<strong>en</strong>s pour la personne,<br />
faire une émerg<strong>en</strong>ce qui a du s<strong>en</strong>s et qui est profond. Et nous, thérapeute, on ne le perçoit<br />
pas forcém<strong>en</strong>t comme quelque chose de profond au premier abord. On perçoit que cʹest<br />
profond si la personne le partage mais on ne va pas avoir forcém<strong>en</strong>t accès à cette chose<br />
profonde avec notre tête.<br />
Question : mais comm<strong>en</strong>t le thérapeute peut il faire son travail de thérapeute s’il<br />
n’est pas <strong>en</strong> li<strong>en</strong> avec ce que traverse le pati<strong>en</strong>t ?<br />
Dans mon processus, jʹai un jour fait une découverte importante : jʹai un jour ress<strong>en</strong>ti<br />
quelque chose de très simple qui était que la spiritualité la plus haute cʹest la vie incarnée.<br />
Je lʹai s<strong>en</strong>ti dans mon corps. Simplem<strong>en</strong>t, allongée dans un travail, s<strong>en</strong>tir que jʹétais <strong>en</strong> vie.<br />
Cette s<strong>en</strong>sation qui parfois passait comme quelque chose de banal, qui pr<strong>en</strong>ait parfois des<br />
aspects psychologiques que jʹinterprétais, tout dʹun coup sʹest reliée à un s<strong>en</strong>s beaucoup<br />
plus profond pour moi. Simplem<strong>en</strong>t le fait de s<strong>en</strong>tir la vie à lʹintérieur de moi est dev<strong>en</strong>u<br />
une expéri<strong>en</strong>ce avec mon s<strong>en</strong>s profond. Cela avait quelque chose à voir ‐ je ne savais pas<br />
quoi‐, avec la spiritualité, avec le niveau le plus profond de la spiritualité alors que cʹétait<br />
quelque chose de parfaitem<strong>en</strong>t physique et banal que je ress<strong>en</strong>tais.<br />
En tant que pati<strong>en</strong>te, je dois dire que cʹest quelque chose que jʹai traversé <strong>en</strong> <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>. Cela<br />
avait fait suite à pas mal dʹannées de travail psycho‐organique, de prises de consci<strong>en</strong>ce<br />
analytiques mais cʹest une expéri<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tielle qui ne sʹest pas faite au travers dʹune<br />
parole dans un temps de prise de consci<strong>en</strong>ce avec échange, mais qui sʹest faite dans un<br />
temps de <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>. Je crois que cela fait partie des <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>s précieux que lʹon peut croiser de<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 3
temps <strong>en</strong> temps dans les processus de nos cli<strong>en</strong>ts. Et qui vont parfois pr<strong>en</strong>dre forme ou<br />
parole <strong>en</strong> fin de séance ou à la séance dʹaprès ou parfois plusieurs séances après.<br />
Cet espace du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>, je crois quʹil apparti<strong>en</strong>t au cadre que lʹon peut apporter <strong>en</strong> tant que<br />
psychothérapeute pour offrir à nos cli<strong>en</strong>ts ces possibilités dʹaccès‐là, ces possibilités de<br />
vivre ces mom<strong>en</strong>ts‐là. Et <strong>en</strong> acceptant <strong>en</strong> tant que psychothérapeute de ne pas toujours<br />
analyser ce qui se passe dans les <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>s... Ce qui nʹest pas forcém<strong>en</strong>t une position facile.<br />
Cela nous amène à la seconde question que jʹai apportée au départ : le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>, espace non<br />
rempli par la parole, peut‐il être vecteur de s<strong>en</strong>s ? De quel <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> parle‐t‐on dans une<br />
séance ? Un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de manque ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de rét<strong>en</strong>tion ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> d’affirmation ? un<br />
<strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de rêverie ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> d’<strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de réflexion ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de<br />
partage sans mots ? un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de plénitude ? ... Si on l’aborde dans ses qualités différ<strong>en</strong>tes,<br />
le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> est donc un thème imm<strong>en</strong>se.<br />
Dans un autre registre, jʹai trouvé une phrase dʹun sage hindou, Satprem, que jʹaime<br />
beaucoup, qui dit : « <strong>Le</strong> <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> nʹest pas une fin, cʹest un moy<strong>en</strong>, comme le solfège pour<br />
attraper la musique, et il est bi<strong>en</strong> des musiques... ». Cʹest une phrase qui pour moi, <strong>en</strong> tant<br />
que pratici<strong>en</strong>, est extrêmem<strong>en</strong>t précieuse : si jʹessaie de compr<strong>en</strong>dre chez mon pati<strong>en</strong>t<br />
quelle est la qualité du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> qui est là, jʹai ma grille de psychothérapeute. Mais avec cette<br />
phrase, jʹai aussi une grille <strong>en</strong>core plus vaste qui nʹest pas seulem<strong>en</strong>t dʹ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong><br />
de lʹautre sur le plan thérapeutique mais simplem<strong>en</strong>t dʹaccepter quʹil y a <strong>en</strong> face de moi un<br />
<strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> que je ne compr<strong>en</strong>ds pas et quʹil peut y avoir <strong>en</strong> face de moi des musiques que je<br />
nʹ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pas, qui jou<strong>en</strong>t des gammes qui me sont complètem<strong>en</strong>t étrangères. Je crois que<br />
cʹest un de nos grands défis <strong>en</strong> tant que psychothérapeute que de pouvoir accepter cela : si<br />
on veut que le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> non rempli puisse être vecteur de s<strong>en</strong>s pour nos pati<strong>en</strong>ts, il faut<br />
aussi accepter de ne pas compr<strong>en</strong>dre le s<strong>en</strong>s tout de suite, que la personne ne le partage<br />
pas tout de suite.<br />
<strong>Le</strong> <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> qui peut donner accès à cette émerg<strong>en</strong>ce du s<strong>en</strong>s, est aussi lié pour moi à<br />
lʹespace de réflexion qui peut appart<strong>en</strong>ir à la personne à ce mom<strong>en</strong>t‐là. Dans un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>, il<br />
peut y avoir la place de ce temps de reflet après un processus, après une expéri<strong>en</strong>ce.<br />
Réflexion, cʹest aussi retour sur soi, miroir, et dans ce cas cʹest lʹespace où la personne peut<br />
intégrer quelque chose quʹelle a vécu au travers dʹune séance. Pour quʹil y ait vraim<strong>en</strong>t<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 4
émerg<strong>en</strong>ce de quelque chose de lʹordre du s<strong>en</strong>s lié à lʹintégration dʹun verbe pour la<br />
personne, je crois quʹil faut que le li<strong>en</strong> soit fait avec la s<strong>en</strong>sation, cʹest‐à‐dire que la<br />
personne soit prés<strong>en</strong>te à elle‐même pas seulem<strong>en</strong>t au niveau de la réflexion m<strong>en</strong>tale mais<br />
aussi au niveau de la réflexion s<strong>en</strong>sorielle, de la s<strong>en</strong>sation.<br />
Question : Au fond, vous nous am<strong>en</strong>ez à nous demander si cette émerg<strong>en</strong>ce du s<strong>en</strong>s,<br />
le verbe porteur de s<strong>en</strong>s, est quelque chose qui est toujours à communiquer, à dire, à<br />
partager dans l’espace de la thérapie ?<br />
Il y a cet aspect de la parole qui peut être un filtre, de la parole qui nʹest pas toujours<br />
complètem<strong>en</strong>t porteuse de notre expéri<strong>en</strong>ce. Est‐ce que cette expéri<strong>en</strong>ce que la personne<br />
va faire dʹun s<strong>en</strong>s profond pour elle dans une séance, ça va pouvoir être vraim<strong>en</strong>t traduite<br />
<strong>en</strong> mots? Est‐ce que ça va vraim<strong>en</strong>t pouvoir être dit? Est‐ce que ça garde tout son s<strong>en</strong>s si<br />
cʹest partagé? Cʹest une situation que l’on r<strong>en</strong>contre aussi si on pr<strong>en</strong>d par exemple les<br />
expéri<strong>en</strong>ces profondes que certaines personnes peuv<strong>en</strong>t faire dans les expéri<strong>en</strong>ces de mort<br />
clinique. On ne sait pas ce que sont les expéri<strong>en</strong>ces de mort clinique. On sait ce que les<br />
personnes rapport<strong>en</strong>t mais on ne sait pas vraim<strong>en</strong>t ce que cʹest. Mais ce que lʹon r<strong>en</strong>contre<br />
chez chacune des personnes qui ont traversé des expéri<strong>en</strong>ces de mort clinique, cʹest la<br />
difficulté à partager le s<strong>en</strong>s quʹelle y a trouvé, à mettre des mots qui traduis<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t ce<br />
quʹelle a ress<strong>en</strong>ti et vécu. Et on peut r<strong>en</strong>contrer la même difficulté pour des personnes qui<br />
font une expéri<strong>en</strong>ce profonde de leur s<strong>en</strong>s de la vie, de leur verbe au cours dʹune séance de<br />
<strong>psychothérapie</strong>. Il peut y avoir une difficulté à mettre des mots explicatifs, analytiques, qui<br />
reflèt<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t la qualité dʹexpéri<strong>en</strong>ce quʹelles ont s<strong>en</strong>tie ou trouvée.<br />
On peut aussi se demander si cʹest toujours à communiquer ou si cʹest quelque chose qui<br />
apparti<strong>en</strong>t à une qualité dʹêtre et de vie. Jʹai vu des personnes faire lʹexpéri<strong>en</strong>ce dʹintégrer<br />
des choses profondes touchant leur s<strong>en</strong>s de la vie p<strong>en</strong>dant des séances et dʹavoir des<br />
difficultés à le formuler avec des mots après, même plusieurs séances après. Et <strong>en</strong> même<br />
temps, parallèlem<strong>en</strong>t dans leur vie, voir des choses se transformer complètem<strong>en</strong>t parce<br />
que cette expéri<strong>en</strong>ce avait vraim<strong>en</strong>t été intégrée, vécue. Il y avait pour eux cet alignem<strong>en</strong>t<br />
dont je parlais tout à lʹheure <strong>en</strong>tre une qualité dʹexpéri<strong>en</strong>ce, la compréh<strong>en</strong>sion de quelque<br />
chose et lʹappropriation de ce quʹils avai<strong>en</strong>t compris, s<strong>en</strong>ti, vécu comme qualité<br />
dʹexpéri<strong>en</strong>ce qui faisait que leur fonctionnem<strong>en</strong>t dans la relation avec lʹautre était<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 5
différ<strong>en</strong>t. Même sʹils nʹarrivai<strong>en</strong>t pas vraim<strong>en</strong>t à mettre des mots explicatifs dessus. Et là, il<br />
y avait des transformations thérapeutiques importantes. Cela me pose vraim<strong>en</strong>t question :<br />
la personne essaie de dire, dʹanalyser ce qui sʹest passé, moi jʹoffre lʹespace pour écouter,<br />
pour <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, pour lʹaider à formuler et <strong>en</strong> même temps, nʹy a‐t‐il pas à accepter que tout<br />
ne soit pas forcém<strong>en</strong>t dicible avec des mots et que peut‐être il y a des choses de lʹordre de<br />
lʹindicible qui vont être vécues et vont vraim<strong>en</strong>t avoir leur s<strong>en</strong>s là ; cʹest‐à‐dire dans le fait<br />
que la personne, avec lʹexpéri<strong>en</strong>ce quʹelle a vécue à ce mom<strong>en</strong>t‐là, change quelque chose<br />
dans sa relation avec lʹautre. Là elle a été <strong>en</strong> contact avec un verbe porteur de s<strong>en</strong>s quʹelle a<br />
« verbé » pour repr<strong>en</strong>dre le terme de Paul Boyes<strong>en</strong>, donc quʹelle a intégré dans son corps et<br />
qui continue à être là au niveau de la s<strong>en</strong>sation, au niveau du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, au niveau de sa<br />
façon de sʹexprimer et qui fait que sa relation avec lʹautre est différ<strong>en</strong>te. Là, on est peut‐être<br />
<strong>en</strong> face dʹune part de <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> qui restera toujours dans le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong>, dans lʹindicible et qui<br />
pourtant est là, que la personne vit et porte et a acquis pour elle.<br />
Question : Qu’apporte l’APO d’après vous par rapport au travail des<br />
psychanalystes qui excell<strong>en</strong>t dans le maniem<strong>en</strong>t du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> ?<br />
C’est une vigilance perman<strong>en</strong>te pour le psychothérapeute dʹêtre prés<strong>en</strong>t et att<strong>en</strong>tif à la<br />
qualité du <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> : est‐on <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce dʹun <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> de transc<strong>en</strong>dance ou est‐on <strong>en</strong> face dʹun<br />
cli<strong>en</strong>t qui est emmuré dans son <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> ? Auquel cas cʹest là un <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> à questionner pour<br />
<strong>en</strong> évaluer la nature : conflit, résistance....<br />
En tant qu’analystes psycho‐organiques, c’est la spécificité et la richesse de notre approche<br />
que de pouvoir mobiliser le corps, de pouvoir varier les registres et les interv<strong>en</strong>tions pour<br />
suivre notre pati<strong>en</strong>t là où il est, et l’inviter là où il n’est pas. A ce titre, le <strong>sil<strong>en</strong>ce</strong> est un type<br />
d’interv<strong>en</strong>tion parmi d’autres. Ni le seul, ni le meilleur mais un outil précieux à certains<br />
mom<strong>en</strong>ts du processus et à considérer comme tel.<br />
Si on reste trop non‐interv<strong>en</strong>tionniste, le corps disparaît ou nʹarrive jamais dans la séance,<br />
nʹest jamais m<strong>en</strong>tionné, pris comme base de travail ou dʹexpéri<strong>en</strong>ce. Avec nos outils<br />
spécifiques, on peut interv<strong>en</strong>ir, ram<strong>en</strong>er la personne vers son corps, vers sa respiration,<br />
vers les images qui émerg<strong>en</strong>t et ainsi vers le s<strong>en</strong>s qui émerge de l’inconsci<strong>en</strong>t, quʹelle s<strong>en</strong>t<br />
mais nʹa pas forcém<strong>en</strong>t déjà réfléchi et mis <strong>en</strong> mots.<br />
<strong>Sophie</strong> <strong>Garnier</strong> ; « <strong>Le</strong> Sil<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>psychothérapie</strong> », janvier 2012 6