12.07.2015 Views

Le concours des responsabilités contractuelle et ... - Grerca

Le concours des responsabilités contractuelle et ... - Grerca

Le concours des responsabilités contractuelle et ... - Grerca

SHOW MORE
SHOW LESS

Transformez vos PDF en papier électronique et augmentez vos revenus !

Optimisez vos papiers électroniques pour le SEO, utilisez des backlinks puissants et du contenu multimédia pour maximiser votre visibilité et vos ventes.

INTRODUCTION1. - Un arrêt inattendu de la Cour de cassation, rendu le 29 septembre 2006, a ravivé lesdiscussions entre partisans <strong>et</strong> adversaires du « <strong>concours</strong> <strong>des</strong> responsabilités ». <strong>Le</strong> professeurHubert Bocken a publié un commentaire brillant <strong>et</strong> fouillé de c<strong>et</strong> arrêt 1 . Comme nous nepartageons pas totalement son point de vue sur ce point, nous avons choisi de revenir sur c<strong>et</strong>tequestion dans ses Mélanges, pour lui faire part, avec la mo<strong>des</strong>tie qui convient, de notreopinion. Nous savons par avance que notre collègue ne nous en tiendra pas rigueur puisqu’ilcultive le goût de la discussion sans parti pris ni con<strong>des</strong>cendance. Nous choisissons doncd’entrer dans ce débat avec beaucoup de prudence pour lui dire tout le plaisir que nous avonsr<strong>et</strong>iré de nos rencontres <strong>et</strong> de nos trop rares discussions.LE CONCOURS DES RESPONSABILITES CONTRACTUELLE ETEXTRACONTRACTUELLEULTIME TENTATIVE DE CONCILIATION…Par Bernard DubuissonProfesseur ordinaire à l’Université catholique de LouvainProfesseur aux Facultés Universitaires Saint-LouisDans les limites de c<strong>et</strong>te étude, on se limitera à la question du <strong>concours</strong> proprement dite. Laproblématique de la coexistence <strong>des</strong> responsabilités ou de la tierce complicité ne seront pasabordées. Il s’agit là d’autres situations dans lesquelles peuvent se rencontrer les deux ordresde responsabilité, <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> extra<strong>contractuelle</strong>. On n’abordera pas non plus, si ce n’estsuperficiellement, les questions particulières qui naissent lorsque l’inexécution du contratrésulte de l’intervention d’un agent d’exécution du débiteur principal.Résoudre correctement le problème du <strong>concours</strong> impose de franchir deux étapes que nousexaminerons successivement. Il s’agit, tout d’abord, de fixer le périmètre du contrat (I). Ilconvient ensuite de régler la question du <strong>concours</strong> proprement dite (II). Nous terminerons enproposant une nouvelle piste de solution (III).I. La PHASE PRALABLE A LA SOLUTION DU CONFLIT : LADETERMINATION DU PERIMETRE DU CONTRAT.2. - La solution d’une question de <strong>concours</strong> passe par une étape préalable qu’il convient de nepas négliger : il faut d’abord s’assurer que la responsabilité engagée par le cocontractant (ouson agent d’exécution) est bien de nature <strong>contractuelle</strong>. Si tel n’est pas le cas, il n’est pasnécessaire d’aller plus loin : la responsabilité n’étant pas <strong>contractuelle</strong>, la question du choix nese pose plus <strong>et</strong> il n’y a aucun obstacle à intenter l’action sur une base quasi délictuelle pourobtenir la réparation du dommage.La possibilité pour un contractant d’agir sur le fondement du contrat contre son partenaire estsubordonnée à trois conditions cumulatives : un contrat valide <strong>et</strong> pleinement en vigueur doitexister entre la victime <strong>et</strong> l’auteur du fait dommageable (A). <strong>Le</strong> dommage doit résulter del’inexécution par le cocontractant ou son agent d’exécution d’une obligation découlant ducontrat (B). Ce dommage doit avoir été subi par un cocontractant ou une personne pouvantêtre assimilée au cocontractant (C) 2 .1 H. BOCKEN, « Samenloop contractuele en buitencontractuele aansprakelijkheid : Verfijners, verdwijners en h<strong>et</strong>arrest van h<strong>et</strong> Hof van cassatie van 29 september 2006 », N.j.W., 2007, pp. 722-731.2 Sur ces questions voy. I. CLAEYS, Samenhangende overeenkomsten en aansprakelijkheid. De quasi-immuniteitvan de uitvoeringsagent herbekeken, Anvers, Intersentia, 2003, p. 26 <strong>et</strong> s. ; B. DUBUISSON, Responsabilité<strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> responsabilité extra<strong>contractuelle</strong>, 2 volumes dans l’ouvrage collectif Responsabilité. Traitéthéorique <strong>et</strong> pratique, dirigé par J.-L. FAGNART, Kluwer, vol. 1 er , 2003, p. 8 <strong>et</strong> s.12


C<strong>et</strong>te première phase de vérification est plus délicate qu’on ne le pense. Nous ne nous yattarderons pas outre mesure mais elle perm<strong>et</strong> déjà de m<strong>et</strong>tre en lumière certaines difficultéspropres à la matière.A. Un contrat valide <strong>et</strong> pleinement en vigueur au moment où le fait générateur dudommage est accompli.3. - La faute commise avant que le contrat n’entre en vigueur ne saurait êtrequ’extra<strong>contractuelle</strong>. En droit belge il n’est pas contesté que la faute commise pendant lespourparlers préalables à la formation du contrat est de nature quasi-délictuelle (culpa incontrahendo).Il est cependant <strong>des</strong> situations où il est permis d’hésiter sur l’existence même d’un contratentre les parties en cause. Un contrat peut-il naître lorsqu’une personne se m<strong>et</strong> gratuitement auservice d’une autre pour réaliser une prestation déterminée (transport bénévole) 3 ? Peut-ontenir pour <strong>contractuelle</strong>s les relations entre l’usager d’un service public <strong>et</strong> celui qui le fournit(distribution d’eau ou d’électricité) ? Si les relations entre le distributeur d’électricité <strong>et</strong>l’usager sont de nature réglementaire, il n’y a pas lieu d’évoquer la question du <strong>concours</strong>. LaCour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 27 novembre 2006 sur lequelnous reviendrons plus loin 4 . Dans c<strong>et</strong> arrêt, la Cour rej<strong>et</strong>te en bloc l’argumentation dudemandeur qui était toute entière fondée sur l’existence d’un contrat entre les parties <strong>et</strong> sur lapossibilité d’invoquer la responsabilité aquilienne.D’autres difficultés pratiques peuvent naître, liées à la difficulté de déterminer précisément ledébut de l’exécution du contrat. On songe aux accidents survenus à un passager sur le quaid’une gare avant sa prise en charge ou à un client dans la salle d’attente d’un médecin avant laconsultation. L’extension <strong>des</strong> limites temporelles du contrat est évidemment de nature àmultiplier les hypothèses de <strong>concours</strong> <strong>des</strong> responsabilités 5 .B. <strong>Le</strong> dommage doit résulter de la violation d’un obligation découlant du contrat.4. - Si la faute ou le fait illicite qui a été commis ne résulte pas de la violation d’une obligationdécoulant du contrat, la responsabilité ne saurait être <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> le problème du <strong>concours</strong>ne se pose pas. Un exemple simple suffit à illustrer c<strong>et</strong>te condition. La responsabilité que lelocataire engage à l’égard du bailleur à l’occasion d’un banal accident de la route est, àl’évidence, de nature quasi délictuelle, car le dommage subi par le bailleur ne résulte pas de laviolation d’une obligation découlant du contrat de bail.<strong>Le</strong>s choses ne sont malheureusement pas toujours aussi simples. Des problèmes peuventsurgir lorsque le contrat est purement verbal (contrat passé avec l’exploitant d’un manègeforain par exemple) ou lorsque les parties ont laissé dans l’ombre certaines obligations quipourraient en découler. Déterminer si la faute résulte d’une obligation découlant du contratrelève alors de l’interprétation de la volonté <strong>des</strong> parties, plus exactement de la volontéqu’auraient eue les parties si elles avaient songé au problème. L’art du juge confine ici à ladivination. Il ne faut donc pas s’étonner de certaines divergences.5. – La responsabilité de l’agriculteur à l’égard de l’exploitant professionnel dont l’activitéconsiste à m<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> machines à disposition pour l’exécution d’un travail déterminé enfournit une excellente illustration. Si <strong>des</strong> dégâts sont causés à la machine par <strong>des</strong> débrisenfouis dans le terrain appartenant à l’agriculteur, l’entrepreneur professionnel peut-il fonderson action sur l’article 1384, alinéa 1 er , du Code civil pour obtenir réparation <strong>des</strong> dommages ?C<strong>et</strong>te question a alimenté une abondante jurisprudence surtout dans le nord du pays 6 . On voitimmédiatement tout le profit que l’entrepreneur pourrait tirer de c<strong>et</strong>te disposition qui institueune responsabilité objective du fait <strong>des</strong> choses à charge du gardien.Avant d’envisager la question sous l’angle du <strong>concours</strong>, il convient tout d’abord de franchirl’étape préalable en vue de déterminer si ce dommage résulte de la violation d’une obligationdécoulant du contrat. En d’autres termes, l’agriculteur avait-il en vertu du contrat uneobligation de m<strong>et</strong>tre à disposition de l’entrepreneur un terrain exempt de défaut, ou, à tout lemoins, une obligation de prudence ou de diligence à c<strong>et</strong> égard ? Dans la plupart <strong>des</strong> cas, lesparties ne se sont pas exprimées sur la question.Une première possibilité serait de considérer, dans le silence <strong>des</strong> parties, que l’obligation dontil est question n’est pas de nature <strong>contractuelle</strong>. Dans ces conditions, l’entrepreneur pourraitse fonder sur l’article 1384, alinéa 1 er , pour obtenir réparation sans même évoquer la questiondu <strong>concours</strong>. C<strong>et</strong>te voie n’a généralement pas été suivie, à juste titre. <strong>Le</strong> silence <strong>des</strong> parties nesuffit pas à conclure qu’aucune obligation <strong>contractuelle</strong> n’existe sur ce point.Une deuxième voie consiste à affirmer que le propriétaire du terrain a bien l’obligation<strong>contractuelle</strong> de m<strong>et</strong>tre à disposition du professionnel un terrain exempt de tout défaut. Il fautalors déterminer, sous l’angle contractuel, si c<strong>et</strong>te obligation est de moyen ou de résultat. Sielle n’est que de moyen, l’entrepreneur doit démontrer que l’agriculteur connaissait ou devaitconnaître l’état défectueux du terrain. Si elle est de résultat, le propriétaire serait présumé enfaute <strong>et</strong> il ne pourrait se libérer que par une cause étrangère exonératoire. Dans le silence <strong>des</strong>parties, les tribunaux ont généralement opté pour une obligation de moyen. La responsabilitédu propriétaire du terrain ne pourrait donc être engagée qu’à condition de démontrer une fautedans son chef, faute qui ne sera établie que s’il savait ou devait savoir que le champcomportait <strong>des</strong> débris ou <strong>des</strong> obstacles.Ayant franchi c<strong>et</strong>te étape, la question du <strong>concours</strong> peut seulement se poser afin de savoir sil’action de l’entrepreneur peut être fondée sur l’article 1384, alinéa 1 er . C<strong>et</strong>te question agénéralement reçu une réponse négative en jurisprudence, au motif que la faute commise neconstituait pas un manquement au devoir général de prudence qui s’impose à tous. Une seuledécision parmi celles recensées accepte d’envisager la question sous l’angle l’article 1384,alinéa 1 er , du Code civil 7 .C<strong>et</strong>te seule illustration est typique <strong>des</strong> difficultés qui peuvent surgir dans la détermination dupérimètre du contrat. Des difficultés similaires peuvent être constatées dans les contrats de3 Voy. à ce suj<strong>et</strong>, P. WÉRY, « <strong>Le</strong>s contrats de services gratuits », in Knelpunten. Dienstencontracten (éd.B. TILLEMAN <strong>et</strong> A. VERBEKE), 2006, pp. 68-69.4 Cass., 27 novembre 2006, R.A.B.G., 2007, p. 1257, note L. PHANG, N.j.W., 2008, p. 28, note I.B.5 Pour la question particulière <strong>des</strong> fautes commises dans la phase préliminaire à l’exécution, voy. B. DUBUISSON,op. cit., vol. 1 er , 2003, pp. 11-12.6 Voy. <strong>et</strong> comp. Gand, 25 novembre 1997, T.G.R., 1998, p. 108 ; Civ. Bruges, 21 mai 1999, R.W., 2000-2001,p. 204, note ; Gand, 16 novembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 200, note ; Gand, 10 décembre 2002, N.j.W., 2003,p. 1227 ; Gand, 3 février 2005, R.G.D.C., 2007, p. 523 ; Civ. Courtrai, 3 janvier 2003, R.W., 2004-2005, p. 1110,note.7 Civ. Bruges, 21 mai 1999, R.W., 2000-2001, p. 204, note.34


service lorsque le professionnel doit effectuer un travail bien déterminé au domicile de sonclient <strong>et</strong> qu’il cause <strong>des</strong> dommages à <strong>des</strong> biens qui lui appartiennent (voy. à c<strong>et</strong> égard infra).C. La victime qui a subi le dommage doit être le cocontractant.6. - L’inexécution d’une obligation découlant du contrat peut causer <strong>des</strong> dommages aux tiers,indépendamment de ceux causés au contractant lui-même. Etant par hypothèse étranger aucontrat, le tiers qui souhaite obtenir réparation de ce préjudice ne peut intenter qu’une actionquasi délictuelle. Il ne s’agit pas d’une situation de <strong>concours</strong> mais d’une situation decoexistence. <strong>Le</strong> tiers, auquel le principe de la relativité <strong>des</strong> conventions interdit de se fonderdirectement sur la violation de l’obligation découlant du contrat, devra démontrer que la faute<strong>contractuelle</strong> constitue à son égard <strong>et</strong> dans le même temps une faute aquilienne au sens <strong>des</strong>articles 1382 <strong>et</strong> 1383 du Code civil.Savoir si une personne est tiers ou partie au contrat n’est pas toujours aisé. Il suffit de songer àl’agent d’exécution du débiteur principal ou au titulaire d’une action directe perm<strong>et</strong>tant à uncréancier d’agir, ommisso medio, contre le débiteur de son propre débiteur 8 . Si l’actionexercée par l’agent d’exécution (en qualité de victime) ou le titulaire de l’action directe est denature <strong>contractuelle</strong>, ce qui semble être le cas, l’action quasi délictuelle ne pourrait êtreautorisée que si les conditions du <strong>concours</strong> sont satisfaites.Ce n’est que si ces trois conditions sont remplies qu’il est permis d’entrer de plain-pied dansla question du <strong>concours</strong> 9 .II. LES SOLUTIONS DU CONCOURS DES RESPONSABILITES.7. - La responsabilité étant, par hypothèse, de nature <strong>contractuelle</strong> il faut maintenant sedemander si le créancier peut, selon sa préférence, opter pour l’action ex delicto. C<strong>et</strong>tequestion sera abordée en deux temps. On présente d’abord d’un point de vue théorique lesenjeux du problème <strong>et</strong> les différentes manières de le résoudre (A) puis on examine lessolutions apportées par la jurisprudence de la Cour de cassation (B).8 On rappellera par exemple que la Cour de cassation reconnaît au maître de l’ouvrage le droit d’agir en garantie<strong>des</strong> vices cachés contre le fournisseur <strong>des</strong> matériaux qui les a vendus à l’entrepreneur : Cass., 18 mai 2006, R.W.,2007-2008, p. 147, concl. DUBRULLE, note N. CARETTE.9 Selon certains, il faudrait encore poser en préalable que la faute est de nature quasi-délictuelle. Dans un soucipédagogique, Hubert Bocken, dans son article précité (p. 725, note 20), propose de représenter la problématiquedu <strong>concours</strong> sous la forme de deux cercles qui s’entrecroisent, l’un représentant la faute <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> l’autre lafaute quasi-délictuelle. L’intersection <strong>des</strong> deux cercles représente la faute qui remplit les deux caractéristiques.Si nous comprenons bien, il en déduit qu’il faut préalablement à la question du <strong>concours</strong>, nécessairementdémontrer d’une part que la faute est de nature <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong>, d’autre part, qu’elle aussi de natureextra<strong>contractuelle</strong>. Selon nous, la réponse à c<strong>et</strong>te dernière question anticipe déjà sur le problème du <strong>concours</strong>. Lafaute étant définie comme <strong>contractuelle</strong>, il s’agit en eff<strong>et</strong> de se demander s’il est possible de qualifier autrementles mêmes faits. Or la représentation du problème sous la forme abstraite proposée n’est correcte que si on classedans les ensembles <strong>des</strong> faits différents.La détermination du périmètre du contrat perm<strong>et</strong> donc de remplir les deux cercles extérieurs en séparant lesfautes <strong>contractuelle</strong>s <strong>et</strong> les fautes extra<strong>contractuelle</strong>s. Elle suffit à franchir l’étape préliminaire sans qu’on ait à sedemander si la faute commise est de nature quasi-délictuelle. Au milieu se situent les faits qui peuvent répondreen même temps aux deux qualifications. Cela suppose qu’on soit déjà entré dans la question du <strong>concours</strong>.A. <strong>Le</strong>s paramètres du conflit.8. - Dépouillée de tous ses accessoires, la question du <strong>concours</strong> revient à se demander si uncréancier victime de l’inexécution d’une obligation <strong>contractuelle</strong> peut s’évader du contrat quile lie au débiteur pour invoquer les règles de la responsabilité extra<strong>contractuelle</strong>, <strong>et</strong>, si oui, àquelles conditions 10 . Il pourrait trouver intérêt à le faire pour <strong>des</strong> raisons diverses : soit parceque ce régime de responsabilité lui semble plus favorable, soit pour échapper à l’applicationd’une clause <strong>contractuelle</strong> qui se révèle désavantageuse, soit pour contourner la prescriptionde l’action <strong>contractuelle</strong> ou encore pour orienter la solution d’un éventuel conflit de lois …Comment résoudre la question du choix entre la voie aquilienne <strong>et</strong> la voie <strong>contractuelle</strong> ?Théoriquement, il existe trois solutions possibles.1. <strong>Le</strong>s règles de la responsabilité aquilienne priment le contrat.9. - Selon une première approche, les règles de la responsabilité quasi-délictuelle fixeraient leniveau de protection sur lequel toute victime, contractante ou non contractante, pourraitcompter. Il s’agirait donc d’un domaine réservé que même les cocontractants ne pourraientpas s’approprier totalement.Adm<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong>te solution revient-elle à faire de ces règles <strong>des</strong> règles d’ordre public ? Pas tout àfait. <strong>Le</strong>s clauses qui empiéteraient sur le domaine « réservé » ne seraient pas pour autantfrappées de nullité absolue. Elles seraient vali<strong>des</strong> <strong>et</strong> rien n’empêcherait le cocontractant <strong>des</strong>’en prévaloir mais elles ne pourraient empêcher ce même cocontractant, si tel est sapréférence, de se fonder sur les règles de la responsabilité aquilienne. On conviendracependant que ceci revient à enlever pratiquement toute portée à de telles clauses.Si c<strong>et</strong>te première approche peut être difficilement soutenue en droit belge, c’est que notresystème de responsabilité civile ne hiérarchise pas les intérêts à protéger. Il comprend sous l<strong>et</strong>erme dommage toute atteinte à un intérêt légitime quel qu’il soit, y compris les intérêtspurement économiques. Dans ces conditions, il devient difficile de justifier la primautéabsolue <strong>des</strong> règles de la responsabilité quasi-délictuelle d’autant que les deux ordres deresponsabilité peuvent tendre à un but identique : la réparation du dommage subi.Sans être un spécialiste du droit comparé, nous avons l’intuition que si le droit allemand neconnaît pas le problème du <strong>concours</strong> de responsabilité, c’est précisément parce que ce droitcherche à définir les intérêts dignes de protection <strong>et</strong> tente de les hiérarchiser les uns parrapport aux autres 11 . Or, au plus haut niveau de ces intérêts apparaît la protection de lapersonne (atteinte à l’intégrité physique) <strong>et</strong> la protection <strong>des</strong> biens (atteinte à la propriété).Pour ces intérêts de première catégorie, le détour par le <strong>concours</strong> est inutile car l’actiondélictuelle est toujours possible.10 Nous éviterons ici, soigneusement les termes ambigus de « cumul <strong>des</strong> responsabilités ». Comme l’indiquaitdéjà H. De Page : « La célèbre question du ‘cumul’ n’est jamais qu’une question d’option, de choix entre deuxvoies, entre deux moyens de droit perm<strong>et</strong>tant l’obtention d’une seule indemnité, (…) il ne peut jamais y avoirque <strong>concours</strong> entre elles, ouvrant au demandeur une option pour l’exercice de son droit à la réparation (H. DEPAGE, Traité élémentaire de droit civile belge, t. 2, Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 895).11 <strong>Le</strong> droit allemand connait ainsi depuis 1902 <strong>des</strong> obligations délictuelles de sécurité. Ces obligations trouventdirectement leur source dans le § 823 du BGB. Voy. O. BERG, La protection <strong>des</strong> intérêts incorporels en droit dela réparation <strong>des</strong> dommages, Bruxelles/Paris, Bruylant/ L.G.D.J., 2006, p. 20, n° 34.56


2. <strong>Le</strong> contrat prime les règles de la responsabilité aquilienne.10. - Une deuxième approche se situe à l’opposé de la première. Elle vise à donner au contratune primauté absolue sur les règles de la responsabilité délictuelle. Dès lors que le contratexprime la volonté <strong>des</strong> parties contractantes, le contrat ne saurait être contourné par l’actionquasi délictuelle. L’ouverture de l’action ex delicto entre contractants entraînerait en eff<strong>et</strong> unbouleversement <strong>des</strong> prévisions <strong>des</strong> parties <strong>et</strong> aboutirait à faire supporter à l’un d’eux <strong>des</strong>risques qu’elle n’ a pas voulu supporter.C<strong>et</strong>te thèse a de nombreux partisans 12 . Elle est certainement convaincante dans ses prémissesmais comporte le danger d’un empiètement considérable de la responsabilité <strong>contractuelle</strong> surle terrain de la responsabilité quasi-délictuelle. Dans une telle conception, le domaine de laresponsabilité délictuelle pourrait à loisir se restreindre au gré de la volonté <strong>des</strong> parties. Un<strong>et</strong>elle solution pourrait certainement être acceptée si le domaine contractuel était un champhermétiquement clos, limité à ce que les parties ont voulu <strong>et</strong> exprimé en contractant. Tel n’estcependant pas le cas.<strong>Le</strong> problème vient, tout d’abord, du fait que dans un système dominé par le consensualisme,la rencontre <strong>des</strong> volontés suffit à former le contrat, même si celles-ci n’ont pas songé àpréciser clairement les obligations qui en découlent. Dans le silence <strong>des</strong> parties, c’est le jugequi est alors appelé à nourrir le contrat. Ensuite, les limites du contrat ne sont pas uniquementdélimités par ce qui est exprimé par les parties. <strong>Le</strong>s juges reçoivent <strong>des</strong> articles 1134, alinéa 3,<strong>et</strong> 1135 du Code civil, un pouvoir d’intervention considérable 13 . Selon l’article 1135 en eff<strong>et</strong>,« les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes lessuites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». Au titre de lafonction complétive de la bonne foi déduite de l’article 1134, alinéa 3, les juges peuvent aussidégager du contrat <strong>des</strong> obligations nouvelles qui n’y sont pas formellement exprimées <strong>et</strong> quitraduisent plutôt de normes de bonne conduite entre contractants (devoir d’information, decollaboration, obligation de respecter les règles de l’art …). Il se peut même que ces normesde bon comportement débordent les relations entre les parties pour obliger l’une d’entre elle àveiller spécialement à la sécurité <strong>des</strong> tiers.Tout ceci contribue à faire du contrat le réceptacle d’obligations de nature très diverse dontcertaines ne font, somme toute, qu’exprimer de manière plus précise la règle générale deprudence qui s’impose à tous, quand elles ne se bornent pas à en rappeler l’existence. S’entenir à la primauté absolue du contrat reviendrait dans ces conditions à restreindreexagérément le champ naturel de la responsabilité civile quasi délictuelle, ce qui ne va pastoujours dans le sens de la protection de la victime.3. La recherche d’un compromis.11. - Il existe une troisième voie qui rassemble aussi ses partisans 14 . Tout en reconnaissant laprimauté du contrat <strong>et</strong> de l’action <strong>contractuelle</strong>, celle-là viserait précisément à cantonner le12 Voy. les références citées sous la note 27.13 Voy. notamment H. BOCKEN, op. cit., p. 725.14 Voy. les références citées sous la note 28.domaine du contrat à ce qui en constitue le noyau dur. Ce dernier pourrait être défini à l’aided’une approche objective qui ne serait plus strictement dépendante de ce que les parties ontvoulu ni de ce que le juge pense qu’elles ont voulu. Il s’agirait, en d’autres termes, dedéterminer à l’aide de critères objectifs la partie inexpugnable du contrat, tout en autorisantl’action délictuelle dans les hypothèses qui débordent le domaine ainsi réservé.<strong>Le</strong>s critères perm<strong>et</strong>tant de déterminer le noyau dur du contrat tiendraient à la nature même dela faute <strong>et</strong> du dommage : l’action délictuelle ne pourrait être exercée par le cocontractantquand la faute ou le dommage sont purement contractuels. Au-delà de ce noyau dur, c’est-àdirequand la faute n’est pas purement <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> que le dommage ne l’est pas non plus,l’action quasi délictuelle resterait possible Toute la difficulté consiste bien entendu à donnerun contenu précis à ces notions.Selon les partisans de c<strong>et</strong>te solution, les « obligations purement <strong>contractuelle</strong>s » sont celles quitrouvent uniquement leur origine <strong>et</strong> leur condition d’existence dans le contrat 15 . Il s’agit <strong>des</strong>obligations qui concourent directement à la réalisation de l’opération économique proj<strong>et</strong>ée 16 .Ainsi, l’ach<strong>et</strong>eur d’une marchandise ne pourrait-il invoquer les articles 1382 <strong>et</strong> suivants duCode civil pour sanctionner l’inexécution par le vendeur de son obligation de fournir un bienconforme à ce qu’il avait commandé. C<strong>et</strong>te obligation tend en eff<strong>et</strong> à assurer l’utilité oul’efficacité de l’échange économique qui est au centre du contrat.La notion de « dommage purement contractuel » est plus difficile à cerner car on serait enclinà penser qu’un dommage n’a pas une nature spécifique selon qu’il trouve sa source dans uncontrat ou dans un délit. Dans une acception restrictive, les dommages purement contractuelsseraient tous les dommages qui résultent de la perte ou de la privation de l’avantageéconomique que le contractant devait normalement r<strong>et</strong>irer de son exécution. Dans c<strong>et</strong>teacception, les dommages <strong>et</strong> intérêts purement contractuels auraient pour obj<strong>et</strong> essentiel decompenser l’inexécution totale ou partielle, ou bien le r<strong>et</strong>ard de la prestation promise par lecocontractant ainsi que toutes ses conséquences nécessaires 17 .Ainsi, le maître de l’ouvrage ne pourrait-il poursuivre sur une base quasi-délictuelle laréparation <strong>des</strong> préjudices qui résultent pour lui de l’effondrement du bâtiment afin d’obtenirune indemnité supérieure à celle fixée par le contrat, mais il pourrait fort bien invoquer les15 Sur c<strong>et</strong>te notion, voy. J. VAN RYN, Responsabilité aquilienne <strong>et</strong> contrats en droit positif, Paris, Sirey, 1933,n° s 196 à 212 ; du même auteur, « <strong>Le</strong> <strong>concours</strong> <strong>des</strong> responsabilités <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> délictuelle », note sous Gand,10 juill<strong>et</strong> 1954, R.C.J.B., 1957, p. 302, n° 6 ; « Responsabilité aquilienne <strong>et</strong> contrats », J.T., 1975, p. 505 ;V. SIMONART, op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 739.16 Cass., 4 juin 1971, R.C.J.B., 1976, p. 12, note R.O. DALCQ <strong>et</strong> F. GLANSDORFF : « (…) il ressort <strong>des</strong>constatations de l’arrêt que le droit dont la violation constitue le fondement de l’action intentée, à savoir le droità la fourniture de courant électrique, trouve uniquement son origine <strong>et</strong> ses conditions d’existence dans le contratconclu entre parties, <strong>et</strong> que le dommage subi n’est dû qu’au seul manquement de la demanderesse auxobligations résultant dudit contrat (…) ; les conséquences de ladite violation sont, dès lors, entre partiescontractantes, exclusivement régies par les principes qui règlent la responsabilité <strong>contractuelle</strong> » (noussoulignons). Voy. aussi J. VAN RYN, « Responsabilité aquilienne <strong>et</strong> contrats », J.T., 1975, pp. 505-506 ; J.-H.HERBOTS, « Quasi-delictuele aansprakelijkheid en overeenkomsten », T.P.R., 1980, p. 1078 ; J.-L. FAGNART <strong>et</strong>M. DENÈVE, « La responsabilité civile (1976-1984). Chronique de jurisprudence », J.T., 1985, p. 453.17 Sur c<strong>et</strong>te notion, voy. J. VAN RYN, op. cit., J.T., 1975, pp. 505-506 ; J. HERBOTS, op. cit., T.P.R., 1980,p. 1088 ; M. VAN QUICKENBORNE, op. cit., R.C.J.B., 1988, p. 344 <strong>et</strong> s. Certaines décisions se sont ralliées à c<strong>et</strong>teinterprétation. Voy. ainsi Bruxelles, 13 novembre 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1460, R.G.A.R., 1989, n° 11485 ; Civ.Anvers, 21 septembre 1988, Entr. <strong>et</strong> dr., 1990, p. 48, obs. ; Liège, 19 janvier 1989, R.G.A.R., 1992, n° 12065.78


ègles de la responsabilité quasi-délictuelle pour obtenir réparation <strong>des</strong> lésions corporellesqu’il aurait subies à c<strong>et</strong>te occasion 18 . <strong>Le</strong> fait que les dommages ne soient survenus que parceque les parties étaient entrées en relations <strong>contractuelle</strong>s ne suffirait donc pas à écarter lesrègles de la responsabilité aquilienne.B. La jurisprudence de la Cour de cassation.12. - Nous ne pouvons, dans les limites de c<strong>et</strong>te étude, r<strong>et</strong>racer dans le détail l’évolution <strong>et</strong> lesrévolutions de la jurisprudence de la Cour de cassation concernant le <strong>concours</strong> <strong>des</strong>responsabilités <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> extra<strong>contractuelle</strong>. Des commentaires nombreux ont étéconsacrés à c<strong>et</strong>te question 19 . <strong>Le</strong> professeur Bocken s’y est employé de manière minutieuse <strong>et</strong>excellente dans une étude récente 20 . Notre collègue Patrick Wéry a, lui aussi, procédérécemment à une étude limpide à ce suj<strong>et</strong> 21 . Nous y renvoyons le lecteur <strong>et</strong> nous nouslimiterons à poser les jalons essentiels.L’essentiel du débat doctrinal se focalise autour de la formule généralement utilisée par laCour de cassation pour déterminer les conditions du <strong>concours</strong>, formule qui a été modifiéedans un arrêt rendu le 29 septembre 2006.1. L’arrêt du 13 février 1930 : le <strong>concours</strong> absolu .13. - L’arrêt du 13 février 1930 marque la première étape de la réflexion de la Cour decassation sur la question du <strong>concours</strong> 22 . Elle se fonde sur l’idée que les deux actions enresponsabilité, <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> extra<strong>contractuelle</strong>, ont <strong>des</strong> obj<strong>et</strong>s a priori différents,18 L’exemple est emprunté à J. VAN RYN, op. cit., J.T., 1975, p. 505.19 Voy. ainsi, depuis 1980, E. DIRIX <strong>et</strong> A. VAN OEVELEN, « Verbintenissenrecht », R.W., 1980-1981, col. 2454 <strong>et</strong>s. ; J.-H. HERBOTS, « Quasi-delictuele aansprakelijkheid en overeenkomsten », op. cit., T.P.R., 1980, p. 1055 <strong>et</strong>s. ; X. DIEUX, « <strong>Le</strong> contrat : instrument <strong>et</strong> obj<strong>et</strong> de dirigisme ? », in <strong>Le</strong>s obligations <strong>contractuelle</strong>s, Jeune Barreaude Bruxelles, 1984, p. 309 <strong>et</strong> s. ; H. COUSY, « H<strong>et</strong> verbod van samenloop tussen contractuele en extracontractueleaansprakelijkheid en zijn weerslag », T.P.R., 1984, p. 155 <strong>et</strong> s. ; M. DOUTRÈWE, obs. sous Liège, 24mai 1983, J.L., 1984, p. 440 <strong>et</strong> s. ; A. VAN OEVELEN <strong>et</strong> E. DIRIX, « Kroniek van h<strong>et</strong> verbintenissenrecht », R.W.,1985-1986, col. 96 <strong>et</strong> s. ; J.-L. FAGNART <strong>et</strong> M. DENÈVE, « La responsabilité civile (1976-1984). Chronique dejurisprudence », op. cit., J.T., 1985, p. 453 <strong>et</strong> s. ; E. DIRIX <strong>et</strong> A. VAN OEVELEN, « Kroniek van h<strong>et</strong>verbintenissenrecht (1985-1992) », R.W., 1992-1993, p. 1226 <strong>et</strong> s. ; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY <strong>et</strong> B.DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992). Verbintenissen », T.P.R., 1994, p. 488 <strong>et</strong> s. ; H.VANDENBERGHE, M. VAN QUICKENBORNE <strong>et</strong> L. WYNANT, « Overzicht van rechtspraak. Aansprakelijkheid uitonrechtmatige daad (1985-1993) », T.P.R., 1995, p. 1514 <strong>et</strong> s. ; J.-L. FAGNART, La responsabilité civile.Chronique de jurisprudence (1985-1995), <strong>Le</strong>s Dossiers du Journal <strong>des</strong> tribunaux, n° 11, Bruxelles, Larcier,1997, pp. 13-17 ; V. SIMONART, « La quasi-immunité <strong>des</strong> organes de droit privé », note sous Cass., 7 novembre1997, op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 732 <strong>et</strong> s. ; P. WÉRY, « <strong>Le</strong>s rapports entre responsabilité aquilienne <strong>et</strong>responsabilité <strong>contractuelle</strong> à la lumière de la jurisprudence récente », R.G.D.C., 1998, p. 82 <strong>et</strong> s. ; P. WÉRY,« <strong>Le</strong>s rapports entre responsabilité aquilienne <strong>et</strong> <strong>contractuelle</strong> », C.U.P., Droit de la responsabilité (sous ladirection de B. KOHL), vol. 107, Anthemis, 2008, pp. 10-29 ; H. VANDENBERGHE, M. VAN QUICKENBORNE, L.WYNANT <strong>et</strong> M. DEBAENE, « Overzicht van rechtspraak. Aansprakelijkheid uit onrechtmatige daad », T.P.R.,2000, pp. 1935-1955 ; B. DUBUISSON, op. cit., vol. 2, 2003, p. 20 <strong>et</strong> s. , I. CLAEYS, op. cit., 2003, p. 35 <strong>et</strong> s. W.VAN GERVEN <strong>et</strong> S. COVEMAEKER, Verbintenissenrecht, Louvain/Voorburg, Acco, 2006, p. 306 <strong>et</strong> s. ; M. <strong>et</strong> P. DEBAENE, « Co-existentie contract aansprakelijkheid », in Bijzondere overeenkomsten. Commentaar m<strong>et</strong> overzichtvan rechtspraak en rechtsleer (O.B.O.), Kluwer, 2007.20 H. BOCKEN, « Samenloop contractuele en buitencontractuele aansprakelijkheid”, op.cit;, pp. 722-731.21 P. WÉRY, « <strong>Le</strong>s rapports entre responsabilité aquilienne <strong>et</strong> <strong>contractuelle</strong> », op.cit., pp. 10-29.22 Cass., 13 février 1930, Pas., 1930, I, p. 115, J.T., 1930, p. 182.l’obtention de la chose promise ou d’un équivalent à la chose promise, dans le premier cas, laréparation d’un dommage dans le second. Dès lors, il n’y aurait pas d’obstacle à ouvrir assezlargement les portes de l’action fondée sur le délit ou le quasi-délit : « En prescrivant laréparation par chacun de tout dommage causé à la personne d’autrui ou à ses biens, l’article1382 du Code civil a édicté une règle dont l’observation s’impose, en principe, à tous <strong>et</strong> entoutes circonstances ; (…) la règle ne cesse pas de trouver son application dès qu’un contrata été l’occasion du dommage ; (…) le fait de s’engager, dans un contrat, à veiller toutspécialement aux biens ou à la personne d’un contractant n’enlève pas, par lui-même, touteaction quasi-délictuelle à ce dernier, pour lui réserver seulement, en cas de dommage,l’action née du contrat ; (…) la coexistence de deux actions, nées de rapport de droitdifférents, se conçoit quand ces deux actions tendent à la même fin ; (…) un contractant peutrecourir à l’action délictuelle quand il poursuit la réparation du dommage causé à son bien,comme il peut recourir à l’action revendicatoire quand il réclame la restitution à celui qui ladétient en vertu d’un contrat ».A première lecture, la Cour paraît suivre la première voie évoquée ci-<strong>des</strong>sus : la responsabilitéquasi délictuelle ne s’efface pas devant la responsabilité <strong>contractuelle</strong> parce qu’elle a un obj<strong>et</strong>ou une fonction propre. Ce qui frappe dans c<strong>et</strong> arrêt c’est que la Cour paraît réservernaturellement à la responsabilité quasi délictuelle la protection <strong>des</strong> personnes <strong>et</strong> <strong>des</strong> biens. <strong>Le</strong>fait de s’engager spécialement à veiller aux biens ou à la personne d’un contractant n’enlèvepas, selon ses propres termes, « par le fait même », toute action quasi délictuelle à ce dernier.Par là, la Cour vise clairement les obligations de sécurité non pas pour leur refuser une nature<strong>contractuelle</strong>, mais pour laisser ouverte l’action quasi délictuelle lorsque leur violation a causéun dommage au cocontractant.Implicitement, la Cour semble conférer à la responsabilité <strong>contractuelle</strong> une fonctionspécifique différente de celle attribuée à la responsabilité aquilienne : la responsabilité<strong>contractuelle</strong> tendrait seulement à procurer au créancier ce qui a été promis ou un substitut dece qui a été promis. C<strong>et</strong>te opinion, bien que défendable, paraît dépassée. L’évolution du droit<strong>des</strong> contrats a en eff<strong>et</strong> conduit à donner à la responsabilité <strong>contractuelle</strong> la même fonctionindemnitaire que la responsabilité quasi délictuelle, sur la base de conditions elles-mêmessimilaires. C<strong>et</strong>te dérive a été dénoncée par une doctrine éminente 23 mais elle paraît bienancrée. Il est clair que si la responsabilité <strong>contractuelle</strong> a bien une fonction indemnitaire,l’ouverture sans limite <strong>des</strong> portes du <strong>concours</strong> entraînerait un recouvrement considérable <strong>des</strong>deux ordres de responsabilités, ce qui prêterait à confusion.2. L’arrêt du 7 décembre 1973 : l’interdiction du <strong>concours</strong>.14. - Dans la célèbre affaire de l’arrimeur, la Cour, a choisi une approche manifestement plusrestrictive 24 . Elle subordonne désormais le <strong>concours</strong> à deux conditions cumulatives : « laresponsabilité quasi délictuelle du préposé ou de l’agent d’exécution, qui intervient pourexécuter une obligation <strong>contractuelle</strong> d’une partie, ne peut être engagée que si la faute à luiimputée constitue la violation, non de l’obligation <strong>contractuelle</strong>, mais d’une obligation quis’impose à tous, <strong>et</strong> si c<strong>et</strong>te faute a causé un autre dommage que celui résultant seulement dela mauvaise exécution du contrat ».23 Ph. REMY, « La responsabilité <strong>contractuelle</strong> : histoire d’un faux concept », R.T.D.Civ., 1997, p. 332, n° 12.24 Cass., 7 décembre 1973, R.C.J.B., 1976, p. 15, note R.O. DALCQ <strong>et</strong> F. GLANSDORFF, Pas., 1974, I, p. 376,R.G.A.R., n° 9317, obs. J.-L. FAGNART, Entr. <strong>et</strong> dr., 1975, p. 181, obs. A. LIMPENS-MEINERTZHAGEN, R.W.,1973-1974, col. 1597, note J.-H. HERBOTS.910


L’une <strong>des</strong> originalités de c<strong>et</strong> arrêt du 7 décembre 1973 est d’avoir aligné la situation del’agent d’exécution sur celle de la partie contractante au motif que c<strong>et</strong> agent n’est pas un tiersau regard de l’exécution du contrat, tant <strong>et</strong> si bien qu’au regard du <strong>concours</strong> <strong>des</strong>responsabilité, ce qui vaut pour l’un vaut aussi pour l’autre. Nous n’approfondirons pas ceproblème ici.Dès l’arrêt du 14 octobre 1985, la Cour énoncera la même règle dans les relations entrecontractants directs : « la responsabilité d’une partie contractante ne peut-être engagée, surle plan extracontractuel, du chef d’une faute commise lors de l’exécution du contrat, que si lafaute qui lui est imputée constitue un manquement non pas à une obligation <strong>contractuelle</strong>mais à l’obligation générale de prudence <strong>et</strong> que si c<strong>et</strong>te faute a causé un dommage autre quecelui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat » 25 .15. - Si l’on en reste à la question du <strong>concours</strong> proprement dite, la Cour revient n<strong>et</strong>tement sursa jurisprudence antérieure puisqu’elle subordonne désormais l’action aquilienne à deuxconditions. Il faut tout d’abord que la faute constitue un manquement non pas à une obligation<strong>contractuelle</strong> mais à l’obligation générale de prudence qui s’impose à tous. Il faut ensuite quele dommage soit différent de celui qui résulte de l’inexécution du contrat. C’est évidemmentl’expression « non pas à une obligation <strong>contractuelle</strong>, mais à une obligation qui s’impose àtous » qui r<strong>et</strong>ient tout d’abord l’attention. La deuxième condition relative au dommage estplus obscure car il est difficile de lui donner une portée spécifique : une faute purement<strong>contractuelle</strong> peut-elle en certaines occasions entraîner un dommage « différent de celui quirésulte de l’inexécution du contrat » <strong>et</strong> inversement ?Comme l’observe à propos Hubert Bocken, on note une discordance entre certains arrêts de laCour suprême, en ce qui concerne l’énoncé de la deuxième condition relative au dommage. Ilsemble que la formule utilisée par la Cour dans son arrêt du 7 décembre 1973, « un autredommage que celui résultant seulement de l’inexécution du contrat » soit restée isolée <strong>et</strong> n’aitplus été reprise ultérieurement 26 . C’est pourtant sur la base de ces termes que la doctrinecommentant c<strong>et</strong> arrêt s’est rapidement divisée en deux camps : les partisans de la prohibitiondu <strong>concours</strong> (« verdwijners ») d’un côté 27 , les partisans du <strong>concours</strong> limité (« verfijners ») 28 ,de l’autre.25 Cass., 14 octobre 1985, R.C.J.B., 1988, p. 341, note M. VAN QUICKENBORNE, Pas., 1986, I, p. 155. Voy.ensuite notamment Cass., 9 novembre 1987, Pas., 1988, I, p. 296 ; Cass., 28 septembre 1995, Bull., 1995,p. 856 ; Cass., 23 mai 1997, Pas., 1997, I, p. 583, R.W., 1998-1999, p. 681, note ; Cass., 26 avril 2002, R.G.A.R.,2002, n° 13585. Voy. en jurisprudence notamment Liège, 18 novembre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13094.26 Pour une analyse détaillée <strong>des</strong> différentes formules utilisées par la Cour de cassation dans <strong>des</strong> arrêts ultérieurs,voy. H. BOCKEN, op. cit., pp. 727-728, n° s 17 à 20.27 Dans le sens du rej<strong>et</strong> du <strong>concours</strong>, c’est-à-dire en faveur de la « verdwijningstheorie », voy. W.G., note sousCass., 16 mai 1974, Pas., 1974, I, p. 967 <strong>et</strong> s., spéc. pp. 972-973 ; R. RASIR, « Cumul de la responsabilité<strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> aquilienne », J.T., 1976, pp. 164-165 ; RUTSAERT <strong>et</strong> A. MEEUS, « La responsabilité civile<strong>contractuelle</strong> du prestataire de services en droit privé », Bull. ass., 1977, p. 225 ; R.O. DALCQ, « Examen dejurisprudence », R.C.J.B., 1980, pp. 355-356 ; R. KRUITHOF, « Overzicht van rechtspraak », T.P.R., 1983,p. 610 ; M. VAN QUICKENBORNE, op. cit., R.C.J.B., 1988, pp. 344-345 ; E. DIRIX <strong>et</strong> A. VAN OEVELEN, op. cit.,R.W., 1992-1993, p. 1226 ; A. VAN OEVELEN, « Actuele juriprudentiele en legislatieveontwikkelingen inzake <strong>des</strong>ancties bij ni<strong>et</strong>-nakoming van contractuele verbintenissen », R.W., 1994-1995, pp. 799-800 ; H. BOCKEN, op.cit., N.j.W., 2007, p. 727. Pour un exposé compl<strong>et</strong> <strong>des</strong> thèses en présence, voy. I. CLAEYS, Samenhangendeovereenkomsten en aansprakelijkheid. De quasi-immuniteit van de uitvoeringsagent herbekeken, Anvers,Intersentia, 2003, pp. 59 <strong>et</strong> 154.28 J. VAN RYN, « Responsabilité aquilienne <strong>et</strong> contrats », J.T., 1975, pp. 505-506 ; X. DIEUX, op. cit., in <strong>Le</strong>sobligations <strong>contractuelle</strong>s, Jeune Barreau de Bruxelles, 1984, pp. 310-311 ; X. DIEUX <strong>et</strong> D. WILLERMAIN; « LaIl reste qu’en formulant la première condition, la Cour paraît bien indiquer que si l’obligationviolée découle du contrat, il ne saurait être question d’action quasi délictuelle. Laresponsabilité quasi délictuelle serait donc exclue, même si la faute <strong>contractuelle</strong> résulte ausside la violation d’une obligation qui s’impose à tous. En d’autres termes, la contractualisation,par les parties ou par le juge, d’une norme générale de conduite sous la forme d’uneobligation de sécurité suffirait à repousser l’action quasi-délictuelle.3. L’arrêt du 29 septembre 2006 : le <strong>concours</strong> limité .16. - Dans c<strong>et</strong> arrêt, la Cour de cassation modifie de manière surprenante sa formul<strong>et</strong>raditionnelle 29 . « (…) Sa responsabilité quasi-délictuelle ne peut-être admise que si la fautequi lui est imputée constitue un manquement non seulement à l’obligation <strong>contractuelle</strong> maisaussi au devoir général de prudence qui lui incombe <strong>et</strong> si c<strong>et</strong>te faute a causé un dommageautre que celui qui est dû à la mauvaise exécution du contrat » 30 .La lecture du rapport annuel de la Cour de cassation empêche d’attribuer ce changement à unesimple inadvertance : « En substituant les mots « non pas…mais » par «non seulement… maisaussi », la Cour de cassation énonce la condition relative à la faute de manière beaucoupmoins sévère 31 . Ce faisant, elle reconnaît implicitement que le simple constat de l’existenced’une obligation <strong>contractuelle</strong> ne suffit plus à écarter l’action délictuelle. Par le fait même,elle reconnaît l’existence d’obligations mixtes dont la violation peut donner lieu soit à uneaction <strong>contractuelle</strong> soit à une action quasi-délictuelle selon le choix de celui qui l’exerce,pour autant que la condition relative au dommage soit remplie. Toute la question estévidemment de savoir ce qu’il convient d’entendre par obligations mixtes ou hybri<strong>des</strong> 32 . Onpeut y ranger, selon nous, les obligations de sécurité quant aux personnes <strong>et</strong> quant aux biens.Un lien peut être fait ici avec la situation de coexistence. L’obligation mixte fait aussi partiede celles dont la violation perm<strong>et</strong>trait à un tiers d’agir conte un contractant lorsqu’il a subi undommage à la suite de la violation d’un contrat. <strong>Le</strong> problème à résoudre est exactement lemême puisqu’il convient de démontrer que la faute <strong>contractuelle</strong> qui a été commise se doubled’une faute quasi délictuelle.17. - <strong>Le</strong>s observateurs attentifs n’ont pas manqué de noter que la Cour n’a modifié que lapremière condition, celle relative à la faute, <strong>et</strong> a laissé intacte celle relative au dommage.Plusieurs auteurs éminents considèrent que les deux conditions sont à présent formulées demanière contradictoire <strong>et</strong> qu’à défaut de modifier la seconde condition, le changement deresponsabilité civile du prestataire de services à l’égard <strong>des</strong> tiers », in <strong>Le</strong>s contrats de service, Jeune Barreau deBruxelles, 1994, pp. 218-219, note 28 ; J.-H. HERBOTS, op. cit., T.P.R., 1980, p. 1083.29 Cass., 29 septembre 2006, R.W., 2006-20007, p. 1717, note A. VAN OEVELEN, « De samenloop vancontractuele en buitencontractuele aansprakelijkheid : een koerswijziging in de rechtspraak van h<strong>et</strong> Hof vanCassatie », N.j.W., 2006, p. 946, note I. BOONE, « Samenloop contractuele en buitencontractueleaansprakelijkheid verfijnd », T.B.O., 20007, p. 66, note K. VANHOVE. Voy. aussi H. BOCKEN, «Samenloopcontractuele en buitencontractuele aansprakelijkheid. Verfijners, verdwijners en h<strong>et</strong> arrest van h<strong>et</strong> Hof vancassatie van 29 september 2006 », N.j.W., 2007, pp. 722-731. P. WÉRY, « <strong>Le</strong>s rapports entre responsabilitéaquilienne <strong>et</strong> <strong>contractuelle</strong> », C.U.P., Droit de la responsabilité, vol. 107, Anthemis, 2008, p. 27, n° 17.30 Pour un résumé <strong>des</strong> faits compl<strong>et</strong>, voy. H. BOCKEN, op. cit., N.j.W., p. 723 ; P. WÉRY, op. cit., p. 26, n° 17.31 Rapport annuel 2006, pp. 48-49.32 On trouvera <strong>des</strong> exemples de fautes mixtes, notamment chez J.-H. HERBOTS, op. cit., T.P.R., 1980, p. 1056.1112


formule sera dépourvu de toute conséquence pratique 33 . Il s’agirait d’un coup dans l’eau enquelque sorte. La conclusion nous paraît hâtive …Tout dépend bien entendu de ce qu’il convient d’entendre par dommage purement contractuel.Si l’on estime, comme les partisans de la « verdwijningstheorie », qu’il faut entendre pardommage contractuel, tous les dommages qui sont en lien de causalité nécessaire avec la faute<strong>contractuelle</strong>, on enlève toute portée spécifique à la deuxième condition. Il ne s’agit plus tantde définir le dommage mais de considérer assez artificiellement que tous les dommages quisont la conséquence nécessaire, directe ou indirecte, de la faute <strong>contractuelle</strong> sont <strong>des</strong>dommages contractuels 34 . La question relèverait donc moins de la définition du dommageque de la causalité.La faiblesse de la « verdwijningstheorie » réside précisément dans le fait qu’elle n’est jamaisparvenue à donner une portée spécifique à c<strong>et</strong>te deuxième condition. C’est pourquoi sespartisans ne peuvent, en toute logique, que conclure à son inutilité <strong>et</strong> préconiser sasuppression 35 .L’objection disparaît cependant si l’on parvient à donner à l’expression « dommage qui nerésulte pas seulement de l’inexécution du contrat » une signification propre.18. - Comme les partisans de la « verfijningstheorie », nous pensons qu’il faut entendre pardommage purement contractuel, la perte de l’avantage économique attendu du contrat. Ils’agit de se demander en eff<strong>et</strong> quelle était l’utilité économique que les parties ont recherché enconcluant le contrat. La perte de c<strong>et</strong> avantage <strong>et</strong> de toutes ses répercussions économiques <strong>et</strong>financières ne peut donner lieu qu’à une action <strong>contractuelle</strong>.Il ne s’agit donc pas ici d’opposer artificiellement dommages directs <strong>et</strong> dommages indirects.Comme la Cour de cassation l’a indiqué dans son arrêt du 14 octobre 1985 36 , un dommage neperd pas sa nature <strong>contractuelle</strong> par le fait qu’il serait une conséquence indirecte d’une faute<strong>contractuelle</strong>. Encore faut-il aussi s’entendre sur la notion de dommage indirect. Certainsdonnent à c<strong>et</strong>te notion une portée trop extensive en y incluant tous les dommages qui sont laconséquence nécessaire de la faute <strong>contractuelle</strong>, c’est-à-dire conformément à la théorie del’équivalence <strong>des</strong> conditions, tous les dommages dont c<strong>et</strong>te faute est la condition sine quanon 37 . Or, il faudrait, selon nous, limiter c<strong>et</strong>te notion aux préjudices par répercussion qui estune suite du préjudice direct <strong>et</strong> qui se situe dans son prolongement, c’est-à-dire les préjudicesqui n’auraient pu se concevoir indépendamment de la survenance du dommage direct cedernier consistant dans la perte de l’avantage attendu du contrat.On remarquera à c<strong>et</strong> égard que l’arrêt de la Cour de cassation précité concernait les perteséconomiques <strong>et</strong> financières résultant pour une boulangerie d’une interruption fautive de lafourniture d’électricité. <strong>Le</strong> dommage consistait dans la perte de la pâte, dans une perte deproduction <strong>et</strong> dans <strong>des</strong> frais de personnel supplémentaires. Il s’agissait donc bien d’unpréjudice indirect dans le sens restrictif proposé ci-<strong>des</strong>sus. La solution peut donc êtreapprouvée.Par contre, pour reprendre l’exemple donné par Hubert Bocken dans son commentaire, latache qui serait faite par un coiffeur sur la jupe de sa cliente alors qu’il utilise un colorantdifférent de celui demandé n’est pas, selon nous, un préjudice indirect 38 . Ce dommage estbien en relation causale avec la faute <strong>contractuelle</strong> initiale qui consiste dans l’utilisation d’unmauvais colorant mais il s’agit d’un dommage qui se conçoit indépendamment du préjudiceinitial. Tout préjudice qui se situe dans un lien de causalité nécessaire avec le dommage neconstitue pas nécessairement un dommage par répercussion. Par contre, constituerait unpréjudice par répercussion, les pertes économiques <strong>et</strong> financières que subirait la cliente,actrice de théâtre, qui, en suite de c<strong>et</strong>te erreur, ne pourrait, par exemple se produire sur scène.Dans c<strong>et</strong>te acception, le dommage purement contractuel ne concernerait que la perte del’avantage économique attendu du contrat ainsi que toutes les préjudices économiques <strong>et</strong>financiers qui en sont la suite nécessaire.19. - Il faut reconnaître que la « verfijningstheorie » comporte, elle aussi, une faiblesse : uneinterprétation si restrictive de l’obj<strong>et</strong> du contrat paraît très difficilement conciliable avecl’énoncé plutôt catégorique de la première condition relative à la faute, telle qu’elle découlait,jusque là, de la jurisprudence de la Cour de cassation. Une telle définition du dommagepurement contractuel ne pouvait manquer de rejaillir sur la définition de la faute purement<strong>contractuelle</strong>.Une modification de la formulation de la première condition devenait donc nécessaire. C’estce qu’à fait la Cour dans son arrêt du 29 septembre 2006. La nouvelle formule traduit cechangement d’orientation <strong>et</strong>, pour autant que l’on adopte une interprétation restrictive de lanotion de dommage contractuel dans le sens indiqué ci-<strong>des</strong>sus, ce changement n’impliquaitpas nécessairement de modifier aussi la formulation de la seconde.20. - Contrairement à certains auteurs 39 , nous ne pensons pas que l’arrêt du 27 novembre2006 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation soit de nature à rem<strong>et</strong>tre encause la portée de l’arrêt du 29 septembre 2006 40 . <strong>Le</strong> problème posé à la Cour concernait eneff<strong>et</strong> une affaire opposant un distributeur d’électricité <strong>et</strong> son client. La controverse liée à laqualification de c<strong>et</strong>te relation est bien connue : certains la tiennent pour une relation<strong>contractuelle</strong>, d’autre pensent qu’elle est purement réglementaire 41 . <strong>Le</strong> demandeur encassation avait fondé l’essentiel de son argumentation sur l’interdiction du <strong>concours</strong> <strong>des</strong>responsabilités, car le juge du fond avait fait droit à l’action quasi délictuelle.La question ne pouvait se poser en ces termes qu’à condition de considérer préalablement quela relation entre l’usager <strong>et</strong> son client est bien de nature <strong>contractuelle</strong>. Si, au contraire, elle estde type réglementaire, elle perd toute pertinence. C’est ce qu’observe la Cour dans c<strong>et</strong> arrêt.Elle se déclare en eff<strong>et</strong> faveur de la qualification réglementaire, ce qui prive la question du<strong>concours</strong> de tout fondement.33 H. BOCKEN, op. cit., N.j.W., pp. 724 <strong>et</strong> 730 <strong>et</strong> A. VAN OEVELEN dans leurs notes précitées.34 En ce sens, R. KRUITHOF, op. cit., T.P.R., 1983, pp. 610-611 ; E. DIRIX <strong>et</strong> A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W.,1980-1981, col. 2457.35 H. BOCKEN l’a bien compris, voy. note précitée, p. 730, n° 24.36 Cass., 14 octobre 1985, R.C.J.B., 1988, p. 341, note M. VAN QUICKENBORNE.37 H. BOCKEN, op. cit., p. 729, n° s 22 à 24 ; P. WÉRY, op. cit., p. 22, n° 12.38 H. BOCKEN, op. cit., p. 728, n° 21.39 Voy. P. WÉRY, op. cit., p. 28, n° 18; H. BOCKEN, op. cit., p. 723, note 9.40 Cass., 27 novembre 2006, R.A.B.G., 2007, p. 1257, note L. PHANG, N.j.W., 2008, p. 28, note I.B.41 Pour un examen d’ensemble de c<strong>et</strong>te question, voy. P. VAN DER WIELEN, « <strong>Le</strong>s relations entre services publics<strong>et</strong> usagers en droit belge », dans La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, M. FONTAINE <strong>et</strong>J. GHESTIN (dir.), PARIS, L.G.D.J., 1996, pp. 269- 344.1314


La Cour énonce : « L’impossibilité de principe, pour les parties contractantes, d’invoquer lesrègles de la responsabilité extra<strong>contractuelle</strong> dans le cadre de leur relation <strong>contractuelle</strong>,découle de l’hypothèse que, sauf stipulation contraire, les parties au contrat ont voulusoum<strong>et</strong>tre leur relation <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> ses manquements aux seules règles de laresponsabilité <strong>contractuelle</strong> ». Pour la Cour, « c<strong>et</strong>te hypothèse est dénuée de fondement,lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la relation juridique porte sur un service public <strong>et</strong>, enconséquence, est de nature réglementaire <strong>et</strong> non <strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> est régie par un règlementde droit public ».On reconnaîtra que l’entrée en matière est assez catégorique <strong>et</strong> fait penser à un r<strong>et</strong>our à laprohibition pure <strong>et</strong> simple du <strong>concours</strong>, mais il faut noter que c<strong>et</strong> attendu n’est nullementindispensable au soutien de la décision. Comme la Cour le précise elle-même, l’hypothèse du<strong>concours</strong> est dénuée de fondement à partir du moment où la relation en cause n’est pas denature <strong>contractuelle</strong>. La question préalable étant résolue, celle du <strong>concours</strong> ne se posait plus.En outre, en posant en principe l’impossibilité d’invoquer les règles de la responsabilitéextra<strong>contractuelle</strong>, la Cour n’anticipe nullement sur les cas particuliers où l’option pourraitêtre admise. Il serait hasardeux d’y trouver l’amorce d’un revirement. Tout au plus pourraitonentrevoir une divergence d’approche entre la première <strong>et</strong> la troisième chambre civile de laCour de cassation. Compte tenu de la proximité temporelle, il est d’ailleurs possible que latroisième chambre ait rendu son arrêt dans l’ignorance de celui rendu par la premièrechambre.III. TENTATIVE DE CONCILIATION.21. - Notre proposition consiste à considérer que l’atteinte à l’intégrité physique (sécurité <strong>des</strong>personnes) <strong>et</strong> l’atteinte à d’autres biens que celui qui fait l’obj<strong>et</strong> du contrat (sécurité <strong>des</strong> biens)autorisent l’action quasi délictuelle entre parties contractantes, même si la protection de ceuxcia expressément ou implicitement été prise en charge par l’un <strong>des</strong> contractants sous la formed’une obligation de sécurité. En définitive, suivant en cela l’approche du droit allemand, laquestion dépendrait davantage de la nature <strong>des</strong> intérêt qu’il convient de protéger plutôt que dela nature de la faute ou du dommage.La loi du 25 février 1991 sur la responsabilité du fait <strong>des</strong> produits défectueux héritée de ladirective européenne du 1985 apporte de l’eau à notre moulin. Une <strong>des</strong> originalités de ce texteeuropéen tient en eff<strong>et</strong> au fait qu’il n’y est nulle part question de <strong>concours</strong> <strong>des</strong> responsabilités.<strong>Le</strong>s règles relatives à la responsabilité du fabricant s’imposent d’elles-mêmes sans qu’il y aitlieu de trancher une question de <strong>concours</strong>. C’est pourquoi certains commentateurs ont estiméque la directive était parvenue à transcender la distinction problématique entre responsabilité<strong>contractuelle</strong> <strong>et</strong> extra<strong>contractuelle</strong>. Cela n’est pas exact. La loi ne transcende pas la distinctionentre les deux ordres de responsabilité. Influencée sans doute par le droit allemand, ell<strong>et</strong>ranche implicitement ce conflit en faveur <strong>des</strong> règles de la directive, en considérant que lasécurité <strong>des</strong> personnes <strong>et</strong> <strong>des</strong> autres biens que le produit défectueux lui-même ne ressortentpas du domaine naturel du contrat. La loi sur la responsabilité du fait <strong>des</strong> produits défectueuxtranche donc elle-même la question du <strong>concours</strong> dans le sens de l’admission de l’action quasidélictuelle,au départ d’une analyse <strong>des</strong> intérêts qu’elle entend protéger : la sécurité <strong>des</strong>personnes <strong>et</strong> <strong>des</strong> biens. C<strong>et</strong>te solution mériterait d’être généralisée.A. La sécurité <strong>des</strong> personnes.22. - Même les partisans de la « verdwijningtheorie » ne verront guère d’objection à ce queles atteintes aux personnes puissent donner lieu à une action quasi délictuelle.C<strong>et</strong>te possibilité se déduit, en eff<strong>et</strong>, déjà de la jurisprudence de la Cour de cassation mais parune voie quelque peu détournée. Depuis son arrêt du 26 octobre 1990, la Cour adm<strong>et</strong> que lecréancier opte pour la responsabilité aquilienne, lorsque le manquement à l’obligation<strong>contractuelle</strong> est constitutif d’infraction pénale 42 . Elle considère que « la circonstance qu’uneinfraction est commise lors de l’exécution d’un contrat ne fait, en principe, obstacle ni àl’application de la loi pénale ni à celle <strong>des</strong> règles de la responsabilité civile résultant d’uneinfraction » <strong>et</strong> ajoute que « le dommage causé par un fait légalement punissable ne peut êtreconsidéré comme un dommage de nature exclusivement <strong>contractuelle</strong> par le seul motif qu’il aété causé ensuite de la mauvaise exécution de l’obligation <strong>contractuelle</strong> de veiller à lasécurité de la victime ». On notera en passant que la formulation de c<strong>et</strong>te dernière phrasemontre bien que la Cour dissocie les deux conditions <strong>et</strong> qu’elle entend donner à chacune unsens spécifique.La Cour de cassation a ainsi ouvert une brèche importante dans l’interdiction de l’option,puisque dans la plupart <strong>des</strong> cas, une atteinte à la personne sera constitutive d’infraction pénale(coups <strong>et</strong> blessures ou d’homicide volontaires ou involontaires…). On notera cependant que lechoix de l’action délictuelle est autorisé avant même que les éléments de l’infraction soientétablis <strong>et</strong> démontrés. Certains auteurs s’en sont émus au motif qu’il aurait là une entorse à laprésomption d’innocence 43 . L’enjeu du débat ne se situe toutefois pas à ce niveau. Ce n’estpas la culpabilité de l’auteur qui importe, c’est la qualification <strong>des</strong> faits. Il suffit apparemmentque la faute soit susceptible de recevoir une qualification pénale pour que l’action quasidélictuelle soit autorisée.Il est cependant permis de s’interroger sur les raisons qui fondent une telle exception. Sansdoute pourrait-on penser que dans le cas où la faute ayant entraîné un dommage estconstitutive d’infraction pénale, ni la faute ni le dommage ne seraient purement contractuels.C<strong>et</strong>te explication serait cependant artificielle <strong>et</strong> insuffisante. Lorsque l’obligation<strong>contractuelle</strong> porte précisément sur la personne, comme l’obligation de soins dans un contratmédical, il paraît difficile d’affirmer, sans plus, que le manquement à l’obligations de soins neserait pas purement contractuel.Il existe une autre explication plus technique qui tient à la primauté de la procédure pénale surle procès civil. L’action quasi-délictuelle serait permise parce qu’il serait contraire à l’ordrepublic que l’existence d’un contrat entre l’auteur du fait dommageable <strong>et</strong> la victime fasseéchec à la compétence du juge répressif pour connaître de l’action civile. C<strong>et</strong>te justification neconvaincra toutefois que les partisans de la primauté du procès pénal sur le procès civil.C<strong>et</strong>te raison purement procédurale en dissimule, selon nous, une autre, plus fondamentale 44 .Nul ne niera que la sécurité <strong>des</strong> personnes constitue une valeur fondamentale de la société.42 Cass., 26 octobre 1990, R.C.J.B., 1992, p. 497, note R.O. DALCQ, Pas., 1991, I, p. 216.43 H. VANDENBERGHE, M. VAN QUICKENBORNE, L. WYNANT <strong>et</strong> M. DEBAENE, op. cit., T.P.R., 2000, p. 1942.44La multiplication <strong>des</strong> infractions pénales pour sanctionner tout type de comportement enlève à c<strong>et</strong>tedérogation une part de sa légitimité. Voy. par exemple, Gand (13 ème ch.), 26 avril 1995, R.W., 1996-1997, p.1299, où l’infraction consistait dans le fait de ne pas avoir transmis le certificat de conformité lors de la livraisond’une caravane.1516


C’est précisément pour c<strong>et</strong>te raison que le fait de porter involontairement ou volontairementatteinte à la personne est érigé en infraction. L’atteinte à l’intégrité physique ne saurait doncêtre confisquée par le contrat 45B. La sécurité <strong>des</strong> biens autres que celui qui fait l’obj<strong>et</strong> du contrat.23. - Comme la sécurité <strong>des</strong> personnes, la sécurité <strong>des</strong> biens autres que ceux qui font l’obj<strong>et</strong>du contrat constitue un intérêt qui mérite protection. Rien n’empêche les parties contractantesde prévoir ni de modaliser c<strong>et</strong>te obligation de sécurité dans leur contrat, mais ce seul fait nepeut conduire à barrer la route à une action quasi délictuelle lorsque <strong>des</strong> dommages sontcausés à ces biens à la suite d’une faute <strong>contractuelle</strong> 46 .C<strong>et</strong>te solution est sans doute plus difficile à accepter. <strong>Le</strong> droit pénal apporte, il est vrai, unsoutien moins affirmé ou moins compl<strong>et</strong> à c<strong>et</strong>te prétention. On notera cependant que lesinfractions qui sanctionnent l’atteinte directe aux biens ne manquent pas. L’article 519 duCode pénal punit, notamment, l’incendie <strong>des</strong> propriétés (…) immobilières d’autrui qui auraété causé (…) par <strong>des</strong> feux ou lumières portés (…) sans précaution suffisante. Dans une tellehypothèse, l’action ex delicto est déjà ouverte 47 . Il serait curieux qu’une solution identique nepuisse être soutenue lorsque <strong>des</strong> dommages ont été causés aux biens par imprudence ounégligence, pour le seul motif que le Code pénal ne sanctionne pas ce comportement. Lasanction pénale n’est somme toute qu’un indice du caractère vital de l’intérêt auquel il estporté atteinte.L’article 11 de la loi du 25 février 1991 sur la responsabilité du fait <strong>des</strong> produits défectueuxfournit un autre argument dans le même sens : si elle inclut dans son domaine d’applicationtous les dommages causés à d’autres biens que le produit défectueux, lui-même, elle en écarte,par contre, les dommages causés au produit défectueux car ceux-ci relèvent de la conformitéou de la garantie du produit, donc du noyau dur du contrat 48 . C<strong>et</strong>te différence de traitementest particulièrement éclairante <strong>et</strong>, de surcroît, parfaitement légitime puisque la loi vise lasécurité <strong>et</strong> non l’efficacité du produit.24. - Il est vrai cependant que c<strong>et</strong>te loi ne concerne que la mise en circulation d’un produitdéfectueux <strong>et</strong> non l’exécution d’un service défectueux. Une frontière aussi n<strong>et</strong>te n’existe pasdans les contrats de service. Qu’en est-il par exemple lorsqu’un professionnel chargé45 A c<strong>et</strong> égard, on ne peut manquer de souligner que l’article 33 de la loi sur les pratiques du commerce,l’information <strong>et</strong> la protection du consommateur répute abusives, dans les relations entre professionnels <strong>et</strong>consommateurs, les clauses qui ont pour obj<strong>et</strong> ou pour eff<strong>et</strong> de limiter ou d’exonérer le vendeur de saresponsabilité en cas de dommages corporels. Il en va ainsi également de toute clause qui dérogerait à la loi sur laresponsabilité du fait <strong>des</strong> produits défectueux en vertu de l’article de c<strong>et</strong>te loi.46 En ce sens, Liège (7 ème ch.), 18 novembre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13904, dans le cas d’une explosionsurvenue dans les tuyaux d’alimentation d’une habitation, contra Mons, 16 janvier 1997, R.D.C., 1997, p. 694,obs. J.-L. FAGNART, à propos de la démolition d’une partie de bâtiment étrangère au contrat.47 Un entrepreneur engage aussi sa responsabilité aquilienne, en qualité de comm<strong>et</strong>tant, lorsque ses ouvriersn’ont pas utilisé avec discernement un chalumeau, provoquant ainsi un incendie dans l’immeuble du maître del’ouvrage : pour la cour d’appel de Mons, c<strong>et</strong>te faute <strong>des</strong> préposés est constitutive d’infraction, « dès lors quel’article 519 du Code pénal punit, notamment, l’incendie <strong>des</strong> propriétés (…) immobilières d’autrui qui aura étécausé (…) par <strong>des</strong> feux ou lumières portés (…) sans précaution suffisante (Mons, 15 octobre 1997, R.G.A.R.,1999, n° 13166).48C<strong>et</strong>te distinction peut évidemment se heurter à <strong>des</strong> difficultés pratiques lorsque le produit défectueux est unproduit composite ou complexe. Peut-on considérer que le dommage causé par une pièce défectueuse àl’ensemble complexe est un dommage causé à un autre bien que le produit défectueux lui-même ?d’effectuer une prestation de services cause un dommage à d’autres biens que celui qui faitl’obj<strong>et</strong> de la prestation ?On connaît l’exemple classique du peintre qui repeint un plafond <strong>et</strong> qui, à la suite d’une faussemanœuvre abîme le tapis de son client ou celui de l’entrepreneur chargé d’ensemencer unchamp ou d’abattre un mur <strong>et</strong> qui, par erreur, exécute le travail à un autre endroit ou sur unautre obj<strong>et</strong>. On cite aussi souvent l’exemple du plombier qui, en utilisant un chalumeau m<strong>et</strong> lefeu aux boiseries avoisinantes ou qui, dans un mouvement de recul, casse un miroir.La première difficulté consiste à déterminer exactement les contours de la mission duprestataire en vue de déterminer précisément l’obj<strong>et</strong> confié. <strong>Le</strong> garagiste s’est-il vu confiertoute la voiture ou seulement la pièces qui doit être réparée ? <strong>Le</strong> plombier s’est-il vu confierl’ensemble de l’habitation ou seulement la partie du bâtiment (la tuyauterie) qui fait l’obj<strong>et</strong> <strong>des</strong>on travail. Il s’agit d’une question d’interprétation qui est, en soi, étrangère au <strong>concours</strong>. Ilfaut ensuite se demander si l’entrepreneur a <strong>contractuelle</strong>ment l’obligation de veiller àl’intégrité <strong>des</strong> autres biens appartenant à son client ? Il s’agit, là aussi, d’une questionpréalable au <strong>concours</strong>. Dans le silence <strong>des</strong> parties, une interprétation restrictive ou extensivede l’obj<strong>et</strong> du contrat est possible.Certains ne verront pas d’inconvénient à déduire du contrat de service une obligationaccessoire de sécurité quant aux autres biens appartenant au contractant. Ce n’est qu’à c<strong>et</strong>tecondition que la question du <strong>concours</strong> peut être posée. Dans ce cas, il faut encore vérifier siles deux conditions tenant à la faute <strong>et</strong> au dommage sont remplies. Il ne suffit pas, pour rej<strong>et</strong>erl’action délictuelle, d’affirmer que le dommage n’a pu se produire qu’en raison de l’exécutiondu contrat.Or, on sait que depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2006, la constatation dela violation d’une obligation <strong>contractuelle</strong> ne suffit plus à écarter ipso facto l’actiondélictuelle. Il nous semble qu’en tout état de cause, l’obligation de sécurité dont nous parlonspeut être considérée comme une obligation hybride dont l’inexécution autorise lecocontractant à invoquer les règles de la responsabilité extra<strong>contractuelle</strong>. Il est certain que lestaches qui ont été faites par le peintre négligent n’ont pu se produire que parce que leprofessionnel avait été chargé de peindre le plafond <strong>et</strong> que l’on voit mal un tiers entreprendreun tel travail sans en avoir été chargé. Mais ce ne sont pas tant les circonstances de fait danslesquelles la faute a été commise que l’intérêt que l’action entend protéger qui importe.25. - L’action quasi-délictuelle ne devrait donc pas nécessairement être repoussée dans le casoù un peintre négligent abîme un tapis en repeignant le plafond. Qu’en est-il de la conditionrelative au dommage dans ce cas d’espèce ? On notera que les taches qu’il a faites n’ont paseu pour conséquence de priver le cocontractant du bénéfice du travail qui, pour le surplus, asans doute été parfaitement exécuté (l’avantage économique attendu du contrat a donc étéobtenu : le mur est repeint). Il s’agit certes d’un préjudice qui découle d’une faute<strong>contractuelle</strong> mais qui n’empêche pas l’action extra<strong>contractuelle</strong>, à moins que le contraire soitexprimé dans le contrat.La solution pourrait être différente dans le cas du champ qui a été ensemencé par erreur parceque dans une telle hypothèse, l’avantage promis n’a pas été obtenu. Pour obtenir c<strong>et</strong> avantage,il faudrait que l’entrepreneur soit condamner à recommencer le travail une deuxième fois aubon endroit. Ce dommage est purement contractuel. Par contre si le terrain ensemencé par1718


erreur a lui-même subi un dommage, ce dommage là pourrait, selon nous, faire l’obj<strong>et</strong> d’uneaction délictuelle.L’action délictuelle sera, par ailleurs, certainement admise en vue de réparer les biens détruitssuite à la propagation <strong>des</strong> flammes car c<strong>et</strong>te faute est constitutive d’infraction pénale. Elledevrait l’être aussi lorsque le professionnel casse ou abîme par inadvertance un bienappartenant au propriétaire. La question de principe étant résolue, il faut reconnaître quel’action quasi délictuelle ne présentera guère d’intérêt pratique, tout au moins sous l’angle <strong>des</strong>conditions de la responsabilité, sauf éventuellement pour le demandeur à se fonder sur unedisposition instituant une responsabilité sans faute.de sécurité quant aux personnes ou quant aux biens. L’atteinte à ces intérêts devrait autoriserl’action délictuelle même entre contractants.En ce qui concerne l’atteinte aux personnes, l’action délictuelle est déjà très largement admisemais pour <strong>des</strong> motifs détournés qui tiennent à la primauté de la procédure pénale. La mêmesolution est sans doute plus difficile à adm<strong>et</strong>tre s’agissant de l’atteinte aux biens, mais ellepeut se justifier également. Elle ne ferait au fond que traduire la nécessité pour le droit de laresponsabilité civile de protéger le droit de propriété. Même si elle n’est pas exempte dedifficultés, c<strong>et</strong>te méthode devrait garantir une meilleure sécurité juridique.De manière générale, la proposition faite ici concernant la sécurité <strong>des</strong> biens ne vaudrait quesous réserve de convention contraire. Dans l’état actuel <strong>des</strong> choses, les clauses limitatives ouexonératoires de responsabilité restent en principe licites, même dans les contrats deconsommation. Encore faut-il que la clause en question vise également la responsabilitéextra<strong>contractuelle</strong> sans quoi le principe d’interprétation stricte <strong>des</strong> clauses dérogatoires audroit commun pourrait conduire à conclure qu’elle ne la couvre pas. On rappellera que lesclauses exonératoires ne sont cependant pas admises dans le contexte de la loi sur laresponsabilité civile du fait <strong>des</strong> produits défectueux (art. 10, §1 er , de la loi du 25 février 1991).CONCLUSIONLa jurisprudence de la Cour de cassation en matière <strong>concours</strong> peut être qualifiée de« cyclothymique ». <strong>Le</strong> dernier rebondissement en date résulte de l’arrêt du 29 septembre2006. Qu’on le veuille ou non, celui-ci peut difficilement s’interpréter autrement que commeun pas en direction de la « verfijningstheorie » ou du <strong>concours</strong> limité. En tout état de cause, laCour paraît désormais adm<strong>et</strong>tre plus largement qu’auparavant l’action quasi délictuelle entreparties contractantes.La doctrine se perd en conjectures sur la véritable portée de c<strong>et</strong> arrêt. A notre avis, lamodification de la formulation de la première condition du <strong>concours</strong> ne peut manquer derejaillir sur la portée de la seconde condition. Sans cela, c<strong>et</strong> nouvelle jurisprudence resteraitl<strong>et</strong>tre morte <strong>et</strong> le revirement ne serait que de façade. La seule manière de lui donner une réellesignification est de comprendre la notion de dommage purement contractuel dans un sensobjectif comme la perte de l’avantage économique attendu du contrat <strong>et</strong> toutes les pertes quien sont le prolongement.La difficulté de cerner la portée de ce revirement conduit toutefois à s’interroger surl’existence d’autres pistes de solution. <strong>Le</strong> droit allemand <strong>et</strong> la loi sur la responsabilité du fait<strong>des</strong> produits défectueux peuvent servir de sources d’inspiration à c<strong>et</strong> égard. Il est frappant deconstater en eff<strong>et</strong> que ni le droit allemand ni la loi sur la responsabilité du fait <strong>des</strong> produitsn’abordent directement la problématique du <strong>concours</strong> <strong>des</strong> responsabilités, comme si ladifficulté se résolvait d’elle-même. Dans ce contexte, l’admission de l’action quasi délictuelleparaît dépendre d’une analyse de l’intérêt qu’il convient de protéger plutôt que d’un examende la nature de la faute ou du dommage. Même si notre droit ne hiérarchise pas les intérêtsqu’il convient de protéger, c<strong>et</strong>te méthode pourrait s’avérer profitable .Il faut se demander en eff<strong>et</strong> si l’action quasi délictuelle ne devrait pas aussi être admise demanière générale en droit belge, lorsque le dommage résulte de la violation d’une obligation1920

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!