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"Guerre sainte" à Kano - Politique Africaine

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G. NICOLASU <strong>Guerre</strong> sainteà <strong>Kano</strong>AU cours du mois de décembre 1980, pendant douze jours, plusieursmilliers d’adeptes d’une secte islamiste obscure ontsemé la terreur dans l’une des plus importantes métropolesafricaines, la ville de <strong>Kano</strong>, au nom de la


GUERRE SAINTEet le PRP) ont présenté des programmes Q rogressistes >> (1). Le Peopk‘sRedemption Party (PRP) s’est scin B é au printemps 1981 endeux fractions. La première, animée par le vieux leader charismati ueAminu <strong>Kano</strong>, prône une révolution (( conscienciste )) légale qual 9 iéed’i( humanisme démocrutique D, tandis que la seconde, qui comptela plupart des élus du arti, s’oriente vers le modèle marxiste. Lesmembres de cette branc f: e dissidente adhèrent à la coalition d’op o-sition formée par I’UPN, le GNPP et elle-même, sous le Jeaders R ipd’Obafemi Awolowo. Cette coalition, qui contrôle neuf Etats, contestela prétention hégémonique du NPN, lequel entend assumerseul la direction du pays alors que son leader, le président Shehu Shagari,n’a obtenu que 33 % des voix aux dernières élections (1).L’alliance tactique entre le parti du président et le NPP de NnamdiAzikiwe tend, en effet, à se relâcher. L’opposition mène une luttetrès active contre le pouvoir central et espère l’emporter aux électionsde 1983. De son côté, le NPN mène une stratégie d’infiltration de sesbastions, en profitant des divisions de ses adversaires et de dissensionslocales. En dépit de leur vocation


population organisée, par ailleurs, sur la base de multiples cadresethniques, religieux, associatifs, de G chefferies >> ou de >.La plupart des débats qui défraient la chroniquqpolitique o posentles divers partis, le pouvoir fédéral et celui des Etats, les mi f! ieuxd’affaires et les syndicats et les grandes vedettes de la scène politique.Périodiquement, é alement, des troubles édatent entre diverses collectivitéslocales. %oute cette agitation vient en contrepoint del’inquiétude soulevée par la croissance de l’insécurité. A l’arrièreplan,une armée de près de 200 O00 hommes qui, bien que divisée entendance politiques diverses, semble décidée à empêcher qu’unrégime dont elle considère qu’il est son œuvre ne sombre dans lechaos, quitte à intervenir en cas de crise grave, comme en 1966.1Dans ce contexte, les événements dont il est question dans cesli nes ont suscité la stupeur : depuis le début de 1 ère militaire, ene a et, toute forme de politisation de la religion est proscrite, pouravoir contribué à conduire le ays au désastre sous la première République(3). La grande masse a es musulmans de la fédération adhère àcette olitique. Or l’insurrection a révélé la persistance de tendancesrefoubes capables de ressurgir brusquement au grand jour en mettanten cause l’ensemble d’un système dont nul ne veut admettre lafra ilité, en dépit des mises en garde dramatiques de quelquespo ß iticiens (4J.Pendant ouze jours, un etit grou e a donc pu embraser la principaleville septentriogale cu f> musulman (5)’ mettre endéroute la olice d’un Etat fédéré dont la population est supérieure àcelle d’un E énégal ou d’un Niger (6) et menacer d’étendre son insurrectionà une vaste partie du pays. Et ce soulèvement, marqué par le


GUERRE SAINlXmême. Des milliers d’hommes ont été massacrés (7). Le quartier quiservait de repaire à la secte a été rasé au mortier et au bulldozer. Unechasse aux sorcières a suivi. Le corps de son leader a été incinéré pouréviter que ses fidèles n’en fassent un martyr. Ces réactions manifestentun trouble profond et la volonté de colmater à tout prix une fissure,témoignant du désarroi d’une population saisie de vertige auspectacle du retour de ses plus vieux delnons.Prenant le visage et le nom de la e guerre sainte D islamique, cemouvement subversif a assumé un discours ayant joué par le passé unrôle mobilisateur considérable et que l’on avait cru oublié arce qu’ilavait. été proscri! .ou parce qu’on le considérait comme $épassé. I1venait en opposition, non seulement avec l’orientation d’un régimeengagé dans la voie d’une occidentalisation accélérée, mais encoreavec celui des partis d’opposition, dont les visées e pro ressistes )>impli uaient un refus de la manipulation des religions. I B opposait,en e 2 et, à toute notion de > un rejet radical, dénonçanttout emprunt à l’Occident, notamment le port de vêtements ou demontres importés et l’usage de voitures, comme une manifestationde (hafim] justiciable d’une , se proclamait prophèteet messie (8). I1 avait modifié le texte du Coran, remplaçant lenom du Prophète de Dieu par le sien, ainsi que l’orientation et lenombre des prières, et se livrait à des activités relevant de la criminalitéet de la magie noire. Or, ces excès lui attiraient des milliers dedisciples, prêts à mourir sur son ordre (9). Ce nœud de croyanceshétérodoxes a ébranlé l’immense agitation provoquée par l’afflux desroyahes et la fièvre d’investissements, les reves et espoirs de millionsd’hommes. C’est à ce titre qu’il nous intéresse, les éruptions spontanéesétant plus révélatrices que le fonctionnement des institutionsofficielles.L’islam politique : le modèle nord-nigérianLe soulèvement de <strong>Kano</strong> doit d’abord être situé par rapport à unetradition locale ancienne. Dès le XI^ siècle, la religion islamique a faitfi ure d’idéologie du pouvoir au sein du sultanat du Kanem-Bornu,é lf ifié sur les rives du lac Tchad. Au XV’ siècle, elle a inspiré la dynastiedes axkya de Gao, au nord-ouest, dont l’empire a dominé quelquetemps les cités de <strong>Kano</strong> et Katsina. A la même époque, les ca italesdes royaumes hausa établis entre Niger et Tchad ont accuei f li des(7) D,es centaines de nr suspects ))auraient eté arrêtés par la foule, déshabilléspour vérifier la présence sur leur corps d’unemarque spécifique et lynchés sur-le-champpar incinération à l’essence.(8) Le surnom de K Maitatsine est unsobriquet de circonstance signifiant approximativemenrl‘a imprécateur D, dans le mauvaishausa d‘un étranger confondant le masculin(‘ya) er le féminin (ta) dans la formuleusuelle de malédiction : K Alla ya tsine makaalbarka Y (e Que Dieu te prive de sa bénédictionv), dont Muhammadu Mama était coutumier.Xénophobie et orthodoxie islamiquese mêlent à l’esprit caustique des Hausa danscette appellation insolite.(9) Au début des combats, MuhammaduMama aurait comparé ceux-ci à la prise de LaMekke par le Prophète de l‘islam.


musulmans venus des cités méditerranéennes ou d’autres villes soudanaises,avec les caravanes. Sous leur influence, leurs aristocraties sesont en partie converties, non sans admettre des compromis avec lescultes ancestraux auxquels la masse de leurs sujets demeurait fidèle.Une bourgeoisie cosmopolite fondée sur le négoce a égalementadhéré à cette religion. Au début du XE siècle, enfin, un vaste mouvementde conquete et de réforme a submergé, sous le qualificatif dejihad, la plupart de ces royaumes et les sociétés voisines. On a vu danscet événement, conduit par un lettré peul de la Cour du Gobir,Usman dan Fodyo, une conquête ethnique, une révolution pastoraleet marchande, un mouvement proprement religieux, une réformeinterne au monde musulman (10). L’important est que cette guerresubversive, conduite par des immigrants étrangers (Peul ou Fzllanz’),ait abattu les puissantes aristocraties hausa et édifié un immenseempire dont la classe diri eante, constituée par ces con uérants, alégitimé son pouvoir en fe fondant sur le modèle de 4 a et sur un régime


GUERRE SAINEAu moment où s’est ébauche‘ le processus de la décolonisation,sur la base du maintien de l’unité d’un territoire associant des régionset des populations de crpyances diverses,. le colonisateur s’est emplo éà raviver le clivage ancien entre la région côtière, où une nouve P leélite formée par les écoles des missions s’ouvrait au panafricanisme etau nationalisme et, réclamait des institutions démocratiques, et lei( North N, soumis à l’autorité des émirs, ui constituait un puissantcontre oids à ce courant émancipateur (18. A cet effet, i1 a favoriséle ren P orcement de l’emprise de l’islam en tant que fondement del’identité régionale septentrionale, support du régime etbarrage à la conta ion des idées importées d’occident (14). Les nouveauxcadres du 8 ord, choqués par les dispositions hégémonistes deleurs pairs méridionaux, ont valorisé par réaction le régime des émirats,reprenant à leur compte la théorie de la légitimation par lejihadour l’opposer au modele démocratique. rôné par les .bans ce contexte, le s’est mob1 P isé dans le cadre du partirégional NPC (Northem People ’s Congress), dont le principal leaderétait un descendant d’Usman dan Fodyo, le surdumu Ahmadu Bello.Une alliance s’est nouée entre aristocrates, intellectuels, marchands etpaysans inquiets des menaces portant sur l’accès à la mer de leur productionarachiditre et hostiles à l’avènement des cadres côtiers.Lors de l’indépendance du Ni eria, le NPC s’est assuré le contrôledu gouvernement de la Région &.I Nord-Nigeria, dont le sunduunaAhmadu Bello est devenu Premier ministre (15). Ce re résentant dusultanat s’est attaché à renforcer la cohésion du


G. NICOLASd’Usman dan Fodyo (16). II s’est même engagé devant le WorldMzs.&z Congress, dont il était vice-président, à convertir un millionde e païens D. Cet homme fort,la sécession pakiztanaise,rêvait de séparer sa. régionla constituer en Etatislamique. Mais les posítionsassuraient é alementau grand parti septentrional le contrôle du gouvernement &déral.Pour l’opposition méridionale, cette mainmise traduisait unevolonté de porter jusqu’à l’océan les étendards dujihud. Les populationsseptentrionales redoutaient, au contraire, la domination del’intelligentsia sudiste issue des écoles chrétiennes. Tous les conflitsde l’époque oqt ainsi revêtu à quelque degré un caractère reli ieux.Le coup d’Etat militaire de anvier 1966 a modifié très pro B ondémentcette situation : il a brisé i a structure fédérale mise en place parle colonisateur, supprimé les rimi aux leaders >, interditles partis politiques et toute Porme i ’agitation ethnique, régionale oureligieuse (17). Au cours des treize années u’a duré le. régime militaire,les émirs ont perdu la majeure partie je leurs attributions politiques,administratives ou judiciaires. Les élites scolarisées du Nord sesont ralliées au mouvement national, en acceptant ses fondementslaïques. Les cadres tfaditionnels ont été ébranlés. Les structures dupouvoir ont été modlfrées. Si les partisans de la sécession du Nord musulman contre unpeuple chrétien, en vue de mobiliser chrétiens (et israélites) dumonde entjer à leur bénéfice, cet argument ne correspondait àaucune réalité. Le chef du gouvernement fédéral et une partie mportantedes troupes de La os étaient en effet d’obédience chrétienne.Le vieux schéma d’un is P am politique semblait définitivement brisé.Au moment de l’élaboration de la Constitution de la secondeRépublique, en 1978, cependant, certains politiciens ont tenté deressusciter le clivage olitico-religieux antérieur, dans la perspectivede fonder un parti is ‘I amique bénéficiaire de l’héritage du NPC. Ilsont utilisé à cet effet un problème juridique posé par I>ntégration del’appareil ùridi ue de la shan”u, en vigueur dans les Etats du Nord,à I’ensem ìle ifé a éral. Cette question a soulevé un débat passionné,provoquant le boycottage des travaux de l’assemblée par ses partisans(16) J.-N. Paden, Religion and PoliticalCulture in <strong>Kano</strong>, Berkeley Los Angeles. Universityof California Press, 1973 ; M. Hiskett: a An Islamic Tradition of Reform inthe Western Sudan from the sixteenth to theeighteenth century D, Bull: SOAS vol. 25,1962 ; a Northern Nigeria D, in J. Kritzeckand W.-H. Lewis, Islam in Afica, NewYork, Van Nostrand-Reinhold and Co,1969 ; Islam and Political Verse Propagandafrom I946 to Nigenan Independence,Papers and Proceedings of the Africa Colloquium,Bonn, Bad Godesberg, 2-4 may1979.(17) A.-A. Madiebo, The NigetianRevolution and the Biafian Wur, FourthDimension Publishers, 1980 ; AHM Kirk-Greene, Crisir and Conflicts in Nigeria, Londres,OxfordUniv. Press, 1971 ; G. Nicolas,a Crise de 1’Etat et affirmation ethnique enAfrique noire contemporaine s, Revue franpisede science politique, Paris, oct. 1972 ;Oyeleye Oyediran, ed. Nigenan Governmentand Politics under Military Rule, Londres,Macmillan Press LTD, 1979 ; James C.Ojiako, 13 ears of Military rule. A DailyTimes Pubication, 1979 ; S.-K. Panter-Brick, ed. : Nigerian Politics and MilitaryRule, Londres, The Athlone Press, 1970.53


GUERRE SAINTEet une cam agne de presse de grande ampleur (18). Mais le gouvernementmilitaire a systématiquement ignoré ces remous. Les partispolitiques autorisés par la suite ont dû se définir hors de toute référencereligieuse. Une affaire qui eût sans doute connu un développementconsidérable dans un contexte démocratique a été ainsi escamotée,au nom de l’unité nationale.Depuis ce moment, les débats politiques ont éludé s stématiquementtoute question im liquant une politisation du ry ait religieux.Les grands problèmes PO P itiques des musulmans septentrionaux semblaientêtre l’option entre les programmes libéraux du NPN, du NPPet du GNPP, et Q révolutionnaire >) ou conscienciste )> du PRP, certainespositions locales incarnées par ces divers partis, les conflitsentre l’Administration centrale et celle des Etats, ces derniers et lesconseils des local govemments. C’est cette quiétude qu’est venuébranler le cataclysme de <strong>Kano</strong>, en ramenant le thème dujihad, dissociédu cadre des émirats, au premier rang de l’actualité politique.Islam et Dolitiaue à <strong>Kano</strong>Dans cette évolution mouvementée, la ville et l’émirar de <strong>Kano</strong>ont connu un destin singulier. La grande cité caravanière soudanaise,fréquentée de bonne heure par des marchands maghrébins, sembles’être ouverte à l’islam plus tôt que ses rivales. Certains de ses souverainshausa auraient été de purs adeptes de l’islam. On cite le casexemplaire de l’un d’eux qui renonça à son trône par refus de toutcompromis avec un pouvoir qui corrompt ne‘cessairement. C’est à<strong>Kano</strong> que le doctrinaire qadiri Al Maghih, venu du Touat, a diffuséune attie de ses enseignements politiques, au XV‘ siècle. Lors du@ha ap du XIX’ siècle, toutefois, l’aristocratie locale n’a pas été épar-gnée par les conquérants. A l’encontre de la situation qui a prévaluen d’autres parties du sultanat de Sokoto, et en particulier dans lacapitale, l’aristocratie peul s’est alliée à la riche bour eoisie marchandehausa et s’est identifiée à l’ancien ro aume ha f e. En 1893,l’émirat tout entier a fait sécession. Depuis Y ors, <strong>Kano</strong> a maintenuune orientation résolument autonomiste. Cette disposition a étéfavorisée par le pouvoir colonial, lorsque celui-ci a démembré le sultanatentre ses divers émirats. Principale place économique du, la vieille citadelles’est entourée de nouveaux quartiers d’affaires peuplés d’étrangers et(18) Y. Bala Usman, For the Liberation Liberation, ABU Zaria, Politicd ScienceofNigeria, Londres, New Beacon Books Ltd, Journal, vol. 3, déc. 1980 ; G. Nicolas,1980 : Niyi Oniororo, Who Becomes the Nigeria. Les métamorphoses contemporai-President ? Ibadan, The Nigerian Political nes de l’islam D, Le Monde dz$lomatique,ljmment, Ororo Pub]., 1979 ; Salo Bako, novembre 1980.e A Reappraisal of Bala’s Concept of Nigeria54


a fait figure de capitale se tentrionale, aux dépens de Sokoto et duchef-lieu administratif s e Kaduna, construit par le pouvoircolonial ( 19).Au lendemain de la Seconde <strong>Guerre</strong> mondiale, lorsque le Nigeriadu Nord s’est mobilisé sous la férule du sardauna de Sokoto, fermementdécidé à restaurer l’unité du sultanat, le patriotisme de <strong>Kano</strong> arefait surface : face au > du $arachides et qui ne voyait pas sans ombrage le gouvernementde Kaduna développer sa capitale à ses dépens. Cetterésistance au :( nationalisme septentrional a repris par moment uneallure sécessionniste, I’émirat demandant sa transformation enRégion autonome au sein de la fédération. Elle s’est également manifestéesous la forme d’une adhésion au arti d’opposition NEPU(No&hem Elements Pro ressive Union), gridé par un lettré local,Aminu <strong>Kano</strong> (20). Tan cfis que ce parti, associé au parti d’Azikiwe(région Est), contestait l’hégémonie du NPC, lui opposant la vieilledoctrine de la légitimité d’une révolte contre un pouvoir corrompu,la majorité des habitants de la ville, l’émir en tête, adhérait d’autrepart à la branche réformée de la Tijaniyya fondée par le cheikh sénégalaisIbrahim Nyass, dont le prestige religieux, opposé à celui dusardauna, venait renforcer sa position. Les adeptes de la Tijaniyyaréformée dénonçaient les déviations du gouvernement septentriona!,suscitant des troubles dans les mosquées et autres institutions islamiues,mettant en cause I’autorité de Kaduna et les initiatives!’Ahmadu Bello. Contre ces attaques, le du Nord adéveloppé une stratégie répressive, instituant des organes de contrôledes pratiques et croyances et, finalement, procédé à la destitution del’émir Muhammadu Sanussi. Remplacé par un rival plus docile,celui-ci s’est replié sur la fonction purement religieuse de khadifatijani, tandis que la population de <strong>Kano</strong> s’orientait vers une positionpolitique de plus en plus sécessionniste, dans le cadre de partis locauxtels le NEPU ou le <strong>Kano</strong> State Movement (KSM).Sous le régime militaire, les aspirations de <strong>Kano</strong> opt été satisfaites: la région septentrionale fut démembrée et un Etat fédéré de<strong>Kano</strong> fut constitué. Tandis que l’émir Ado Bayero perdait la plusgrande partie de ses prérogatives, l’ancien leader du NEPU, Aminu<strong>Kano</strong>, entrait au gouvernement fédéral Ct se voyait confier les fonctionsde Commissaire civil du nouvel Etat (21). Ces fonctions nel’empêchaient pas de venir chaque année prêcher le ramadan dans saville, en qualité de commentateur islamique renommé. I1 fut en 1978un des leaders du groupe pro-shari’a. Mais il s’est dissocié des tentati-(19) J.-A. Paden, op. cit. ; Adamu (21) fbzd. et Alan Feinstein, AfricanMohammed Fika, The <strong>Kano</strong> Civii War and Revoiutionnaq : The LTe and Times ofBritish Over-mie : 1822-1940, Oxford Unh. Nigeria’s Aminu <strong>Kano</strong>, New York, DavisonPress, 1978.(20) Interview d’Aminu <strong>Kano</strong> in NiyiPubl. Books, 1973 ; Lawan dan Bazau.Aminu <strong>Kano</strong>, Zaria, Gaskiya Corporation,Oniororo. op. cit. 1963.55


GUERRE SAINTEves de politisation de l’islam. Dés le retour au régime des partis, il apris la tête du Parti de la rédemption du peuple. Ce arti a obtenu,en 1979, le contrôle du gouvernement et de l’assemb&e de 1’Etat de<strong>Kano</strong>, ainsi devenu une citadelle Q révolutionnaire B. Sitôt en place,le gouverneur Abubakar Rimi a appliqué sa ligne tuZuku, consistant àéliminer du pouvoir les anciens aristocrates au profit de leurs sujets(tuZuku~uu, sing. tuZukuj. I1 s’est attaché à briser les derniers privilègesd’un émir au demeurant lié au parti résidentiel. Peu avant les événements,il avait interdit aux notab P es de lui rendre hommage àl’occasion des fêtes religieuses musulmanes. Bien qu’inspirée d’unevision laïque, cette politique se légitimait également par un recours àl’interprétation révolutionnaire du zhud en tant que révolte légitimecontre un pouvoir musulman in f” ideie s. Cependant, nous l’avonsvu, .un conflit a aussitôt éclaté entre le vieux leader charismatiqueAminu <strong>Kano</strong>, usuellement qualifié de (( mahm )), terme qui désignetout lettré islami ue en hausa, lequel continuait à vivre ostensiblementau niveau 2 u tuZuku, et les technocrates > du partiinstallés aux Ostes de commande et dans les privilè es du ouvoir.Dans ce con&,, le (( muZum )J a repris à son compte Y ee modele de la en tant que révolte légitime contre un pouvoir corrompu,contre ses lieutenants rebelles. Ainsi aime-t-il opportunémentrappeler ue lors du ihud, un de ses ancêtres, seul, avait refusétout honneur 2 es mains a‘Usman dan Fodyo, ne demandant pourlui-même que la justice (22). . .Du fait de ces dissensions, nul ne représentait lus à <strong>Kano</strong> l’autoritépolitique légitime, selon le schéma hérité cf u jihad : pas plusl’émir Ado Bayero, désavoué par ses sujets, contesté par le gouvernementet rivé de toute fonction exécutive, qu’dminu <strong>Kano</strong>,dépourvu !?e pouvoirs légaux, le gouverneur Abubakar Rimi, chasséde son parti et contesté par ses électeurs, et u fortiori le chef du gouvernementfédéral, dont le parti avait été vaincu par le PRP et dont legouvernement de <strong>Kano</strong> contestait l’autorité. Dans ce jeu complexe,marqué par les affrontements souven! violents entre les partisans desdeux fractions du PRP, les provocations et contre-provocations duouvernement fédéral, du gouvernement local, du PRP et du NPN,E gouverneur et l’émir, aucune autorité n’était en mesure d’empêcherl’émer ence d’un autre discours : les révo1.utionnaires tenaientle langage li u pouvoir ; les champions élus de la cause des démunisétalaient leurs privilèges et s’engageaient dans une politique d’investissementsproche de celle du régime. Nul ne parlait plus le langagede l’islam, en tant que discours du pouvoir et duC’est ce langage qu’a repris à son compte le(22) Interview d’Aminu <strong>Kano</strong> par A.-B. malum Y s’identifie au frère d‘Usman danAhmed, Nutionu/ Concord, II décembre Fodyo, Abdullahi, dont les Ecrits sont une1980. Comme beaucoup de lettrés musul- des bases de la doctrine révolutionnairemans d’avant-garde de sa génération, le locale du jihad.56


G. NICOLASLa main de l’étraneer ?Divers commentateurs ont vu dans cette insurrection l’effet demani dations d’origine étrangère. En premier lieu, elle coïncidaitavec P ’entrée des troupes libyennes à N’Djamena et venait créer unesituation déstabilisatrice dans la capitale du Nord. Au moment où seposait la uestion d’une intervention de l’armée nigériane au Tchadcontre les f orces de Trieoli ou d’une poussée libyenne appuyée sur lesforces centrifuges de 1’Etat de Borno, héritier d’un empire ui s’étendaitjadis sur une grande partie du Tchad et en conflit avec 9 e gouver-nement fédéral, il était logique d’envisager I’éventualité d’un (23). La presse nigériane a insisté sur la présence desujets au


les (26). Cette thèse semble également peu fondée, car on voit difficilementcomment le (( mulam )) aurait pu favoriser un mouvementaussi étranger à l’orthodoxie islamique et susceptible de mettre encause son propre charisme. Par ailleurs, le mouvement sectaire enquestion est bien plus ancien que la conjoncture présente. Son leaderavait déjà été expulsé par l’émir Muhammadu Sanussi en 1962 etemprisonné à plusieurs reprises (27). La rébellion ne s’est déclenchée,enfin, u’en ré onse à l’ultimatum du ouverneur Rimil’expulsant dela ville. jour certains, au contraire, !aiTaire aurait étéprovoquée par les services secrets israéliens. On voit mal, ce ydant,pourquoi une telle tentative aurait choisi comme cible hat de<strong>Kano</strong>, étant donné que son ouverneur s’est rallié aux positionsd’Obafemi Awolowo, leader !i e 1’UPN et principal opposant aurégime, dont les sympathies pro-israéliennes sont connues. Or, <strong>Kano</strong>est une pièce maîtresse dans le jeu de conquête du pouvoir parl’opposition. On a également évoqué une action déstabilisatrice émanantde 1’Afri ue du Sud et de la CIA ayant pour objectif de provoquerdes troub P es au sein d’un Etat assumant des ositions fermes àl’égard des régimes. d’upudwid ou, au contraire, i e susciter la priseen main d’un Etat par un régimefort, voire-le retourde l’armée (28). De toute façon, à supposer qu’il y ait eu interventiond’agitateurs ou de provocateurs étrangers, celle-ci ne sauraitexpliquer le mouvement en question, sa capacité mobilisatrice etl’attitude de son leader (29). Sur un autre plan, le gouvernementfédéral a immédiatement mis l’accent sur le role moteur joué ar desimmi rants étrangers en son sein, à commencer par le e prop I ète )>,dont s ’origine est camerounaise. De même, les immi rants extérieurssont accusés de constituer le vivier au sein duquel se fi éveloppe la criminalitéurbaine dans les villes du Sud. Une expulsion massive(26) Sunday Times, 22 février 1981.(27) Muhammadu Mawa a été expulséde <strong>Kano</strong> du fait des troubles suscités par sesprédications, après avoir été jugé par le tribunalde cadi (a/Rali) pour prêche illégal etcondamné à deux mois de prison. Revenu en1966, sous le régime militaire, il fut arrêté ànouveau et jugé pour entrée illégale au Nigeriaet prédication sans licence. I1 a été alorsemprisonné du 10 décembre 1966 au 10 janvier1967 (Daib Times, 11 février 1981). I1aurait Ctéensuitc arrêtéà nouveau en 1973 etmis en prison jusqu’en 1975, puis libéré parle, gouvernement Murtala Mohammed. I1serait alors rentré à <strong>Kano</strong>, où il a repris sesactivités en modérant ses propos jusqu’auretour du régime civil (Nigenàn Tribune, 21fév. 1981).(28) A plusieurs reprises, au cours desdernières années, des agitateurs intérieurs etextérieurs ont tenté de raviver le débat religieuxnigérian dans le but de déstabiliser lepays ou le régime du moment. C’est ainsique, lors de l’assassinat du général MurtalaMohammed, le 13 février 1976, le représcntantlocal de l’agence Reuterà Lagos a diffusédes informations erronées faisant état demassacres de chrétiens par les musulmansdans le Nord du pays. Ces informations ontété diffusées par la BBC. Diverses organisationsont également insisté sur la qualité demusulman du a martyr I). Ces agissementsont été perçus sur place comme relevant ducomplot et suscité des réactions collectives etofficielles. En particulier, le correspondantde l’agence Reuter a été expulsé. Cf. JamesO. Ojiako, op. cit., et Y. Bala Usman, TheManipulation of Religion in NigeriaToday : Its Social and Political Basis I), in ForLhe Liberation of Nigenà, op. cit.(29) Dans une lettre du 26 novembre1980, le gouverneur de <strong>Kano</strong> a donné l’ordreà Muhammadu Mama de quitter la villedans les quatorze jours (Daily Times, 10février 1981). Au lieu de se soumettre, lechef de la secte aurait alors rassemblé ses partisansen vue d’une épreuve de force.


d’étrangers a suivi les événements, détournant l’attention du publicvers des boucs émissaires faciles à isoler. Mais on ne saurait oublierque la grande masse des fidèles de Muhammadu Marwa.était constituéede très jeunes ruraux autochtones chassés de leurs villagesmisère, attirés par les feux de la ville, mais aussi, comme il est ¿far e tra- ladition dans la région, par la quête d’un idéal mystique incarné parun maître prestigieux (30).Les effets pervers du boom pétrolierL’événement . évoqué dans ces lignes semble s’expliquer avanttout par la situauon socio-économique du Nigeria actuel et plus particulièrementdu Nord de ce pays. Ainsi que nous l’avons vu, eneffet, le (( géant de l’Afrique D connaît depuis peu une brusque croissance,fondée sur l’exploitation de ses gisements de .pétrole. Toutel’économie d’un pays qui vivait jusqu’alors de son agriculture est suspendueà ce pactole. Du fait de cette situation, les structures traditionnellesont éclaté ; une fièvre d’investissements s’est em arée duays ; les villes s’entourent de zones industrielles et de bi convilles.fbne forte inflation ruine les plus pauvres. Le prix des aliments necesse d’augmenter, du fait d’une spéculation sans mesure:L’écart secreuse entre une minorité très riche qui étale son luxe et une masse deus en plus misérable. Pris en main par les milieux d’affaires etginté par le modèle d’un progrès conçu sur le mode occidental, lepouvoir n’a pas su profiter des immenses ressources dont il disposepour développer l’agriculture. Or, la majeure partie de la populationnigériane est constituée de petits roducteurs ruraux ruinésaujourd’hui par l’usure des sols, la séc ?I eresse, la chute des coursmondiaux de leurs produits, la liausse des biens de consommation etune croissance démographique très rapide que ne compense aucuntransfert technique, en dehors d’aménagements localisés (31). Cesui ne parviennent plus à assurer leur subsistance, abandonnentpaysans, de p 4 us en plus leurs champs et émigrent vers les villes. Celles-ciaccueillent également des immigrants chassés des pays voisins par la(30) Selon une déclaration du commissairede police de <strong>Kano</strong> devant le tribunalfédéral d’enquête, les 905 membres de lasecte encore détenus par ses services fin janviercomprenaient 203 Nigériens, 17 Tchadiens,2 Camerounais, 1 Malien, 1 Voltaïque,soient 224 émangers pour 681 Nigérians.Parmi ces derniers, 226 étaient originairesde I’État de <strong>Kano</strong>, 183 de celui deKaduna, 62 de Borno, 88 de Bauchi, 85 deSokoto, 24 de Gongola, 8 de Niger. 4 de Plateau,1 d’Oyo. 168 étaient des adolescents.Ces chiffres ne concernent cependant que lesrescapés. On peut penser que la plupart desémangers ont été tués au cours des événements.Cf. notamment, National Concord, 5fev. 1981 et Daily Sketch, 4 fév. 1981.(31) Les revenus pétroliers sont venuscompenser une crise économique causée parle déclin de la production de produits agricolesd’ex ortation, notamment de l’arachidedu Nord: Celle-ci était la principale ressourced’exportation du pays lors de I’indépendance.Elle représentait 19,s % des exportationsen 1963. Elle n’en représentait plus que2 % en 1973 (contre 83,2 % pour lepétrole). Cette chute brutale, qui a affectétous les petits producteurs et le marché duNord du pays, a été due en grande partie àlasécheresse, laquelle a également affecté leséleveurs septentrionaux.59


GUERRE SAINTEsécheresse, lë .déclin économique ou la guerre. Or, la croissanceindustrielle, si rapide soit-elle, ne eut absorber une demanded’emploi aussi considérable. Les con b? itions de vie urbaines sont deplus en plus difficiles. En dehors d’une minorité intégrée au secteursalarié régulier, dont les revendications sont prises en cause dans unecertaine mesure par le pouvoir, du fat de la puissance des organisationssyndicales et de leur capacité théorique de bloquer la machineéconomique, la grande masse de ces citadins déracinés ne subsistequ’au prur des plus grandes difficultés, au jour le jour. Ce milieu>, sans avenir, &oie le désespoir et constitue un terreauoù se développe la criminalité, en tant que moyen de survie ou purcri de révolte. Exclu des reliefs du festin pétrolier, il réagit à sa conditionpar une subversion totale, qui pFut dégénérer en brusquesexplosions de violence ou implosions suicidaires. Car ces hommes etces femmes vont parfois délibérément au devant de la mort. Ainsi sedéveloppe un climat de terreur, suscitant en retour des réactions depogroms, d’émeutes, de lynchages ublics, scènes en miroir où bourreauxet victunes se donnent la rép F ique. Ces manifestations ne peuvents’inscrire dans aucun mouvement de lutte organisée et se produisenten marge des courants politiques classiques.Les événements de <strong>Kano</strong> se situent dans ce contexte ; cet holocausteapparaît comme une alternative, propre à un milieu islamisé,hanté ar le geste du jibad et fasciné par certains exemples spécifiques8, monde islamique : révolution libyenne ou iranienne,pogroms tchadiens, prise de la mosquée de La Mekke (32), etc., aupur cri de révolte des masses urbaines du Sud, dépourvues de tellesréférences (33). Dans le Nord musulman, traditionnellement disciplinéet principalement à <strong>Kano</strong>, où continue à régner une aunosphèred’éthique religieuse rigide freinant la délinquance et où secBtoient des prédicateurs itinerants, des milliers de pèlerins, des étudiantsen uête d’idéaux exclusifs, la réaction des déracinés à ung progrès )> 1 ondé sur des valeurs urement matérialistes d’inspirationoccidentale.et qui les exclut tot af ement (34) ne pouvait que prendreun tour religieux. Or, l’aristocratie, qui a incarné jusqu’d un pouvoirmusulman fondé sur le jihad, bien qu’affaiblie, est trop impliquéedans le mouvement des affaires our rendre en charge ce courant.II en est de m&me de la plupart ies ’a P amas, qui s’orientent versd’autres combats ou s’engagent dans une partici ation au c dévelo -pement )> pleine d’avantages, et des marchands a u


G. NICOLASAminu <strong>Kano</strong>, qui allie une légitimité islamique incontestée, en tantque membre d’une rande famille de juristes et prédicateur réputé, à1 autorité que lui va 7 ent ses positions populistes et sa rigueur de vie,rejette toute position de type islamiste. Quant aux activistes du PRP,leur action s’inscrit avant tout dans le cadre du schéma d’une > contre un pouvoir oppressif. Et ce fut le(( jihad N , font les héritiers ont aujourd’hui pignon sur rue, à <strong>Kano</strong>comme à Sokoto. De même que ces révoltés qui attaquaient des pouvoirsmusulmans au nom de l’islam, les insurgés de décembre 1980tuent systématiquement ceux qui se livrent à l’influence occidentalede païens s, justiciables d’une purificatrice (37).Cette visée d’une purge rédemptrice, qui a inspiré lejihaddu siècledernier comme les fondateurs du parti de la G rédemption )> dupeuple au pouvoir à <strong>Kano</strong>, n’est pas exclusiye de la société musulmane.Elle figure à l’arrière: lan des réactions spontanées de lasociété nigériane tout entière P ace aux maux qui la menacent, et en(36) Cf. Spears, Nigeria’s National (37) Les adeptes de la secte interpellaientMagazine, fév. 1981. Voir également inter- les autres musulmans dans la rue en les traiviewdu Dr Femi Odekunle, professeur asso- tant de (( païens 2 (kafiraz), pour peu qu’ilscié de criminologie à l’Université de Zaria, portent sur eux un objet de facture euro-New Nigerian, 7 mars 1981.péenne ou refusent de les rejoindre.61


GUERRE SAINEparticulier à la corruption des puissants et à la criminalité excessive.C’est elle qui a ins iré la du gouvernement dugénéral Murtala Mo R ammed, autre citoyen de <strong>Kano</strong>, en 1975 38).Cette campagne qui a débouché sur l’éviction de milliers de $ onctionnairesou d’hommes d’affaires, demeure un modèle. Le spectredu général, transfi uré par son assassinat, qui en a fait un


tants, comme lors dujihaddu siècle dernier. C’est aussi grâce à ellesqu’il a pu bénéficier de l’appui occulte ou de la complicité de hautsersonnages dont on ne saura amais sans doute les noms et les rôles.ear beaucoup de politiciens, d e marchands, de hauts fonctionnairesavaient recours à ses services, pour des raisons inavouables. Lorsque lasecte s’est en agée dans la guérilla urbaine, en réponse à la menaced’e ulsion cfu ouverneur, les autorités se sont montrées hésitantes.Les ? orces de poke se sont débandées comme les cavaleries hausa duXIX’ siècle. Seule l’armée fédérale, en ma eure partie constituée decontin ents recrutés ailleurs et confante d ans sa force, a pu venir àbout B ’une subversion qui menaçait d’enflammer tout le Nord dupays. Mais elle l’a fait de manière excessive, en massacrant aveuglémentles insurgés, comme si elle voulait exorciser à tout jamais unmal redouté. Ledes autorités fut de retrouver le corpsdu (( mahdi J) etque les criminels du Sud) din queses adeptes ne mémoire ou e oiter son absence.De même, passée la terreur des débuts, la fou T1 e s’est livrée à deslynchages répétés, répondant à l’exorcisme sectaire par un autre exorcismevisant à effacer un cri que nul ne voulait entendre.’ Lors du zhaddu siècle dernier, il n’existait pas de ouvoir extérieurcapab i‘ e de se substituer aux autorités locales dé P aillantes. Lespuissantes cavaleries hausa n’ont pu opposer aux révoltés un frontuni. En 1980, une , menée ar des déments marginauxmais tout aussi décidés, a trouvé en fp ace d’elle un adversaireautrement sûr de lui et disposant de moyens bien supérieurs. Lamasse de la population s’est tenue à l’écart d’un mouvement verslequel elle aurait peut-être basculé en cas de succès. A l’abri du boucliermilitaire, qui garantissait la survie de l’ordre, les militants duPRP ont poursuivi leurs querelles, comme si le jeu n’avait pas failliêtre bousculé par une nouvelle donne (42). Au plus fort des combats,la fraction dissidente du parti a tenu à Lagos une convention roclamantl’expulsion d’ Aminu <strong>Kano</strong> et nommant le gouverneur ifbubakarRimi secrétaire général du parti. Si ce dernier n’y a pas assisté,c’est du fait d’une émeute provoquée dans sa ville par ses électeursfidèles au (( maZam D, protestant contre son indifférence aux malheursde ses concitoyens. Au cours de cette manifestation, sa(42) Cette fraction, présidée par le syndicalisteMichaël Imoudou, assisté des deuxgouverneurs de Kaduna et <strong>Kano</strong>, BalarabeMusa et Abubakar Rimi et qualifiée courammentde a PRP-Aigle x (d’après sonemblème) s’est désignée elle-même commele seul véritable PRP, lors du Directoirequ’elle a tenu à Port Harcourt les 15 et 16nov. 1980 et de sa convention de Lagos, le 27décembre de la même année. Elle a procédé1 l’expulsion de son leader Aminu <strong>Kano</strong> etde son secrétaire général, Samuel Ikoku,ainsi que de leurs fidèles. Ces derniers ontadopté une attitude diamétralement opposéeet expulsé du parti les a dissidents n. Cettedécision a été ratifiée par la convention qu’ilsont réunie à Maiduguri le 15 décembre 1380(National Concord, 19 déc. 1980 ; DaihTimes, 27 déc. 1980). Jusqu’ici, les tribunauxont tranché en faveur de la fractiond’Aminu <strong>Kano</strong> (a PRP-Clé D), malgré le faitqu’une grande partie des élus du PRP ait ralliéla fraction Q Aigle )>. La commission électoralefédérale qui enregistre les partis légaux(FEDECO) a tranché dans le même sens,mettant ainsi en cause leur réélection.63


demeure privée a été endommagée (43). La direction du PRP a continuéà fustiger ses élus. Le parti présidentiel a vu dans les événementsla main du leader de l’opposition, Obafemi Awolowo (44), associéau gouverneur, et I’UPN celle du pouvoir fédéral et du NPN, quivenait de tenir à <strong>Kano</strong> une convention nationale jugée provocatrice ’quelques jours avant les émeutes et qu’el15 accuse, ainsi que toutel’opposition, de chercher à déstabiliser les Etats qui lui sont hostiles.Passé le premier moment de stupeur, les alternatives ,marxiste et populiste se sont réimposées sur le devant de la scène.C’est à <strong>Kano</strong> que la centrale syndicale NLC a tenu son congrès triennalet reconduit sa direction marxiste, deux mois après I’événement... Il ne reste de celui-ci qu’un malaise diffus et une doublequestion lancinante : comment ceZu a-t-il été possible ? CeLu peut-ilse reproduire ?Vers un développement du courant islamiste ?L’insurrection qui a ébranlé quelques jours la grande métropolenigériane a été étouffée dans le sang et, malgré les rumeurs faisantétat de regroupements des membres de la secte çà et là, celle-ci sembledécimée. Un contrôle sévère s’est abattu sur les étrangers, dontbeaucoup ont été expulsés. Les cadres musulmans officiels ont rofitéde l’événement pour rappeler leur fonction traditionnelle cf e gardiensde l’ordre religieux, se proposant pour surveiller plus étroitementles prêches et activités islamiques (45). Les conflits partisanscontinuent à déchirer le pays. Les exigences syndicales se font pressantes.Mais elles n’intéressent que les salariés réguliers. Le du leader du PRP triomphera du courant révolutionnairedissident et si l’une ou l’autre des organisations politiques légalesou non enregistrées parviendra à mobiliser les masses rurales surson rogramme. Des pesanteurs ethniques et régionales, des conflitsde c P ientèles, des querelles confessionnelles freinent tout mouvementcohérent.L’intervention de l’armée a donc écarté l’alternative islamiste. Enfait, elle n’en a effacé que l’une de ses manifestations, la plus margi-(43) New Nigerian, 27 déc. 1980 ; Nige- fédéral d’enquête qu’une loi soit votée pourrian Tribune, 29 déc. 1980.le contrôle des prédicateurs et que les insritu-(44) National Concord, 28 août 1980. tions traditionnelles soient pleinement(45) De nombreux émirs, ainsi que le impliquées dans son application, déclarantsultan de Sokoto, Sir Abubakar III, ont rap- qu’r après tout, dans l’islam, il n‘y a pas depelé que de tels événements ne pouvaient se distinction entre leaders religieux et politiproduireau temps où ils détenaient le pou- ques B (Daily Timef, 12 mars 1981).voir. Le sultan a proposé devant le tribunal64


G. NICOLASnale et la moins susceptible de rallier la majorité des adeptes del’islam, du fait de ses positions hétérodoxes (46). I1 existe par ailleursplusieurs courants islamiques intégristes orientés dans le. sens d’unepolitisation de cette religion. Les uns s’inspirent d’expériences extérieures,dont le khomeinisme, le wahhabisme, le kadhafkme,l’action des Frères musulmans, ou de doctrines de théoriciens locauxdu jihad du XIX’ siècle (47). Les autres s’inscrivent au contraire dansun schéma plus traditionnel, plus populaire. Tandis que les premierssont animés par des intellectuels ayant ac uis une formation universitaire,les seconds s’organisent autour de P ettrés de facture plus conventionnelle.Certains de ces prédicateurs ont de; centaines de disciples.Les tendances du premier type sont particulièrement activesdans les universités Bayero de <strong>Kano</strong> et Ahmadu Bello (ABU) deZaria. Elles y entretiennent un climat de violence, de concert avec lesgroupes Q révolutionnaires >> parmi lesquels l’aile activiste du PRPrecrute une partie de ses cadres. Leurs militants ont été accusésd’avoir joué un rôle dans les émeutes étudiantes qui ont entraîné lafermeture de la première université le 6 décembre 1980,jours avant les événements de <strong>Kano</strong>, puis celle denla secon e, quelquessemaines plus tard (48). De ces fiefs traditionnels de l’intégrismeislamique du Q Nord D, elles tendent aujourd’hui à s’infiltrerdans les milieux scolaires. C’est ainsi qu’en mai 1981, un mouvementd’effervescence s’est roduit dans lusieurs colleges et écoles de]’Etat de Sokoto (49), du P ait du refus s es élèves, et notamment desfilles, de réciter l’hymne national et le serment à la nation, parce quecontraires à leurs yeux à la seule constitution acceptable : la constitutionislamique (50). Les graffiti inscrits sur les murs des collèges proclamaientles slogans : et (( zbad only )). Ce mouvementsubversif, qui a entraîné l’arrestation d’une cinquantaine d’élèves,aurait été prêché par des étudiants chassés de l’Université deZaria, et notamment par l’un d’eux qui avait achevé ses études enIran. I1 utilisait des brochures et des cassettes. Déclenché par des élèves,dans là capitale du sultanat de Sokoto, aujourd’hui fief du NPN,il a une base plus orthodoxe que la secte de Muhammadu Mqrwa. Lescourants du second type sont plus diffus. Le plus important est celuide I’lzaZatdBidi’a (51), souvent confondu avec elle, au point que leYIques(46) En février 1981, cependant, lapolice de <strong>Kano</strong> a alerté la population, indiquantque des membres de la secte se regroupaientà nouveau et qu’elle avait arrêté untrafiquant d’armes tchadien au moment où ilvendait des pistolets à certains d’entre eux(National Concord, 17 fév. 1981).(47) Quelques mois avant les événements,la Société des étudiants musulmansde I’hhmadu Bello University de Zaria avaitréclamé l’instauration d’un régime islamiquede parti unique : la République islamiquedu Nigeria (cf. Ebenezer Babatope, Towardsihe Reuofuiion; Ibadan, Sketch Publ. CoLtd, 1981. p. 2).(48) Les causes immédiates de ces troublesont ité d’ordre purement circonstanciel(problèmes de bourses, d’alimentation, derapport entre filles et garçons...). Mais lesmilitants activistes en auraient profité pourameuter les étudiants.(49) New Nigerian. 14, 15, 19, 27 et 28mai 1981.(50) Le texte de l’hymne et du sermentnationaux s’adresse à la Nation en tant quetelle, ce que les intégristes considerentcomme profanatoire. Cf. Nigerian Officialt?land&ooh, 1078-79, p. 270.(51) New Nigienun, 29 oct., 6 et 22 nov.1980.65


GUERRE SAINEnom de ses adeptes (jan Izuh a été faussement attribué à sesmilitants,malgré des démentis pu b liés par voie de resse (52). Cette dernitreorganisation a été liquée, en effet, ans de3 troubles comportantdes attaques de notamment dans 1’Etat de Plateau,en septembre et novem (53). Ces divers groupements prô-nent toutefois une orthodoxie islamique qui, pour supporter desinterprétations diverses, ne pouvait cependant qu’éloi ner leursadeptes de celle de i( Muitutszne )), voire les inciter à réc B amer unerépression exemplaire à son encontre. Ajoutons que certains d’entreeux ont appelé à la,guerre contre les chrétiens et que cinq églises ontété brûlées dans 1’Etat de <strong>Kano</strong> en octobre 1980. Ces derniers attentatsont suscité y e motion de protestation unanime au sein del’assemblée de 1’Etat voisin de Kaduna (dont le gouverneur est demême tendance que celui de <strong>Kano</strong>), invitant ce dernier à intervenirénergi uement pour éviter que ce processus ne s’étende à tout lepays. 1 cette occasion, le Speaker de l’Assemblée en question adéclaré : (( Nous ne pouvons nous permettre d’avoir an autre Libanau Nigeria (54). ))L’insurrection de <strong>Kano</strong> présente des traits communs avec les événementsqui ont affecté récemment l’Iran et l’Arabie Saoudite (55) ;comme la révolution khomeiniste, d’une part, elle s’est définie àl’encontre du modèle importé d’occident et a bénéficié du désespoirde la rande masse des déracinés du secteur a informel D. Elle a surgidans isruptures d’un système économique bouleversé par un boompétrolier. Comme elle, elle a mobilisé une masse d’hommes qui nepouvaient se situer dans les programmes du mouvement ouvrier oude l’aile c révolutionnaire )> de l’intelligentsia. Prenant ceux-ci deobjectif qu’unrésoudre les contra-forces de l’ordre (soit le). A sonralliement des cadresSurvenant dans un pays qui n’est islamisé qu’en partie, elle n’a pu sedonner une dimension nationale. Bien au contraire, le caractère cosmopolitede son recrutement ne pouvait que favoriser sa répression,en l’isolant de la masse d’une population qui possède une traditiond’ostracisme bien &irmée, en dépit de sa capacité d’accueil habituelle,comme l’ont montré les pogroms ethni ues de 1953 et 1966,et qui supporte de plus en plus mal l’afflux 1 es étrangers, qu’elleaccuse d’entraîner des conséquences fâcheuses pour sa sécurité. Ellene s’est as heurtée, non plus, à un pouvoir unique cristalJisant surlui tous 7 es rejets, en raison de la structure fédérale d’un Etat complexeet du caractère relativement démocratique du régime de 1979.On doit cependant remarquer que I’événement en question a été(52) New Nigenan, 29 oct. 1980.(53) Ibid., 29 oct., 6 et 22 nov. 1980 ;National Concord! 28 fév. 1981.(54) New Nigenan, 7 nov. 1980.(55) Nous nous référons ici à I’étude deJ.-F. Clément, art. cit.66


G; NICOLASdéclenché de façon inopinée par l’ultimatum du gouverneur AbubakarRimi, lequel a suscité une épreuve de force qui s’imposait, maisdont il n’avit visiblement pas mesuré la portée, en acculant la secte às’engager dans un combat n’intervenant pas à son heure. Il est vr;uque le chef de l’exécutif local redoutait une collusion de celle-ci avecles partisans d’Aminu <strong>Kano</strong>, dans un contexte de manifestations derues dirigées contre son gouvernement, après son éviction du PRP. IIpouvait é alement redouter une manœuvre du pouvoir fédéral suscitantun 2 ésordre pour investir son Etat en écartant un adversairerésolu, voire un G complot n conjoint au PRP et du NPN. Telle estd’ailleurs l’une des risons pour les uelles il a tardé à demanderl’intervention de l’armée fédérale. A 4 a diffe‘rence de l’Iran, l’armées’est engagée massivement.Comme le mouvement qui s’est assuré pendant plusieurs jours lecontrôle de la grande mosquée de La Mekke, d’autre part, cetteinsurrection s’est placée d’emblée dans une position marginale,sinon sacrjlège, du point de vue orthodoxe )> 56). Arc-boutée surl’imaginaire messianique, elle s’est acculée de (l a même manière àune impasse, dans l’espoir irrationnel de provoquer un miracle salvateur(57). Elle a été une sorte d’ désespérée et suicidaire,un holocauste san; lendemain. Dénonçant .tout com romisavec le siècle, elle inversit le ra port de I’orthodoxle et de 1’ R étérodoxie.Défiant le système qu’e P le mettait en cause dans ses fondementsmême, elle s’est attirée le même type de répression.phénomènes récents ayantparaissent coroborer l’hypoformeparticulière de réacexplosionéconomique du type decelle provoquée par un boom pétrolier, intervenant à !’extérieur dusecteur de production habituel. Un tel événement, suscitant des rutures socio-économiques ne ermettant pas d’intégrer la masse d%producteurS.en raison des o B jectifs de ceux qui s’en sont assuré lecontrôle, rovoque 1a.formation d’un secteur , groupantune popu P ation déracinée ne ouvant s’inscrire dans les programmesproposés par les régimes en ace ou leurs adversaires (58). Ces programmessupposent, en e f! et, une adhésion à des cadres socioéconomiquesqui les excluent en fait .ou qu’ils récusent. Dans un telcontexte, une peut venir brusquement libérer momentanémentles tensions, les résorbant parfois par ses effets, au mêmetitre que les violences parallèles d’une criminalité déchaînée et deslynchages collectifs qui lui donnent la réplique hors du contexte islamique.Face à ce type de processus, les mouvements révolutionnairesclassiques sont aussi démunis que leurs adversaires, car ils ne peuvent(56) Cf. Le Monde, 22, 24 nov. 1979, quée de <strong>Kano</strong> et celle du quartier moderne1“. 2 déc. 1979 ;Jeune Afique, 5 et 19 dic. Fagge et d’y installer leurs imams (Daily1979. E. Rouleau, a L’Arabie Saoudite : Sketch. 4 fév. 1981).Paradis ou poudrière ? D, Le Monde, 29 et 30 (58) Cf. J.-F. Clément, a Pour une comavril1981 et 2 mai 1981. préhension des mouvements islamistes D,(57) Au début des événements, les insur- Esprit, no 46, oct. 1980 ; a Problèmes degb se proposaient d’occuper la grande mos- l’islamisme i\, art. cité.67


GUERRE SAINEproposer que des objectifs d’intégration à l’ordre de la production, cequi im lique la déviation des modèles islamistes vers des fins plusmatéria P istes. Telle a été précisément la voie suivie par le NEPU, puispar le PRP, lorsqu’ils ont opéré le glissement du mythe du jihad àcelui de la .I( ligne tulaka )) ou du , ou par le généralMurtala Mohammed, dans son interprétation nationaliste du modèledu sacrifice. Les dirigeants des partis au pouvoir ont opéré des transfertsanalogues, sous le chef de l’unité nationale (59). Dans un paysoù diverses confessions se côtoient, les modèles islamistes doivent êtrede ?sés ou déviés, sauf à se pro oser des fins sécessionnistes à lap 2 istanaise, comme au temps de P a première Ré ublique nigérianeou selon les aspirations des étudiants et écoliers a e Zaria et Sokoto.L’expérience du passé a montré qu’un régime justicialiste incarnéar des capitaines intègres peut momentanément capter à son pFofit$es tendances de cette nature en associant musulmans et chrétiensdans une même m stique du sacrifice (60). Un tel modèle béneficieaujourd’hui de la Lgende du général Murtala Mohammed, tra,)@ìurépar son e martyre P, et dans une certaine mesure de celles d’unbkrumah et d’un capitaine Rawlings (61). L’éventualité d’une tellealternative aux programmes des partis actuels n’est as à écarter, pourpeu que la fédération s’engage dans une crise ana P ogue à celles quiont provo ué la remière intervention de l’armée, en 1966, pdisI’éviction au géneral p Gowon, en 1975. L’attitude résente des forcesde l’ordre laisse cependant entrevoir dans I’immé s. iat une autre possibilité,à savoir un durcissement du régime, dont les détenteurs semblentbien décidés à perpétuer leur empire et qui bénéficie de puissantssoutiens extérieurs. Une telle politique ne serait pas incompatibleavec un effort visant à élargir la participation des roducteurs à ladistribution de la manne pétrolière, dans le but prévenir toutmouvement de fond contraire susce tible d’être capté par l’op osition.Les réactions des autorités reyigieuses nigérianes, aussi iienmusulmanes que chrétiennes, aux événements évoqués dans cespages laissent présager qu’en une telle occurrence, elles se rallieraientaisément à ce ty e de stratégie, car l’esprit de jihad, sous son aspectjusticialiste, i s menace tout autant que le reste del’a Establishment D.(59) L’actuel chef de l’Érat, Alhaji ShejuShagari, est co-auteur d’un ouvrage sur lefondateur du jihad du XIX’ siècle (op. cit.).Mais sa position~litique actuelle est trèséloignée de celle u parti dont il fut ministresous la 1“ République.(60) L’abandon du pouvoir par les militairesau profit des civils a été présenté par legénéral Olusegun Obasanjo comme una suprême sacrifice D (The Punch, sept.1973).(61) S. Ikoku, secrétaire général du4 PRP-Clé Y a vécu auprès de Nkrumah etpublié un ouvrage sur le e Rédempteur D (S.Ikoku. Le Ghana de Nkmmah, Paris, Maspero,1371).68


G. NICOLASL’insurrection du 10 juillet l9Sl : une> ?L’ÉTUDE qui précède était à peine terminée qu’unenouvelle émeute enflammait <strong>Kano</strong>. Le 10 juillet1981, des centaines de manifestants, dont la majoritéavait moins de quinze ans, armes de coktails Molotov, ontdétruit divers édifices publics de l’Etat, dont plusieurs ministères,l’assemblée législative, la radio et les domiciles de plusieursmembres éminents du gouvernement, avec l’appuid’une foule nombreuse. Bien que les dégâts matériels aient étéimportants, on ne déplore cependant que deux victimes, dontun conseiller politique du gouverneur. La police s’est montréepassive, sinon a compréhensive s.Divers commentateurs ont voulu voir dans cette insurrectionune manifestation spontanée de soutien à l’émir AdoBayero, menacé par un ultimatum du gouvernement de 1’Etatimpliquant de graves sanctions pour manquement à la discipline.On a souligné le fait que les émeutiers s’étaient d’abordrassemblés à la grande mosquée de la vieille cité, proche dupalais, à l’occasion de la prière du vendredi, avant de se répandrebrusquement dans les quartiers administratifs en criant leslogan : U Nous voulons notre einir. Nous ne voulons pas legouverneur Rimi. B Et le secrétaire général du gouvernement,M. Yaya Sulé Hama a déclaré à la presse que cette affaire était(( une vei-itabe de%laration de guerre sainte traditionnellepropos repris par les journaux.Sans nul doute, l’ultimatum provocateur du gouvernementlocal au chef traditionnel, de même que celui lancé endécembre à Muhammadu Mama, a eu un rôle dans le décclenchementde l’émeute, ne serait-ce qu’en fournissant un alibi àceux qui l’ont suscitée. L’équipe du gouverneur AbubakarRimi applique la du PRP, qui implique l’évictionde l’aristocratie. On a vu également dans sa décision uneriposte à la ptocédure d’impeachment de Musa Balarabe, gouverneurde I’Etat voisin de Kaduna, coéquipier du gouverneurRimi, menée par sa majorité NPN. Mais l’insurrection en questionressemble davantage à celle qui a eu lieu en décembre àl’encontre du domicile du gouverneur, dans la foulée de larévolte islamiste, qu’à cette dernière. Elle s’inscrit dans lecadre du conflit politique nigirian actuel : depuis quelques69


GUERRE SAINTEmois, en effet, la fraction Q Aigle s du PRP est l’objet d’attaquesconvergentes. Forte de sa reconnaissance judiciaire,l’équipe du i( mulam )) Aminu <strong>Kano</strong> livre à ses un combat sans merci, allant jusqu’à approuver la destitutiondu gouverneur Musa Balarabe. Quant au parti présidentiel(NPN), il amplifie sa stratégie d’investissement des bastions del’opposition, en s’appuyant sur toutes les forces hostiles àcelle-ci. Peu avant les émeutes de juillet, un membre éminentdu NPN de <strong>Kano</strong> a appelé à l’organisation de prières pour lapluie sous le patronage de l’émir et de l’imam et demandé ladestitution du gouverneur. On constate par ailleurs un rapprochemententre le parti d’ Aminu <strong>Kano</strong> (PRP-)) et celui deShehu Shagari, au nom d’une unité nationale considéréecomme menacée par les (( nezcfgozcvemezcrs B. Enfin, les mesureséconomiques prises par le gouvernement local lui ont attirél’hostilité de différents milieux.A la différence de l’insurrection islamiste de décembre1980, l’dément religieux semble n’avoir joué ici qu’un rôlemineur : détonateur, agent cristallisateur ou alibi, sa manipulationsemble surtout avoir eu pour objet de conférer une certainelégitimité à un processus inavouable : les émeutes étaientdirigées contre une équipe et non contre les institutions de lanation en tant que telles. Les participants appartenaient auxcatégories les mieux intégrées. Ils n’avaient ni leader proclamé,ni d’autre programme que de manifester une réaction spontanéede colère. I1 est cependant significatif que l’institution deI’émirat ait été promue au rang de symbole mobilisateur, cequi paraissait exclu jusqu’ici, en raison du passé et des succèsdu PRP. Même gi les

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