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Actes - Forums du Champ Lacanien

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Nouveauxsymptômes ?2 ème colloque de psychanalysede l’Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong><strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)ACTESLouvain-la-Neuve, le 6 mai 2006Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES1


TABLE DES MATIERESARGUMENT Nouveaux symptômes Michel CODDENS 3SEANCE PLENIEREOUVERTURE Du symptôme au sinthome Michel CODDENS 7« Le symptôme de Freud. Et aujourd’hui ? » Jean-Jacques GOROG 11Le scandale de l’inconscient aujourd’hui Claire HARMAND 15affection corporelle Véronique SIDOIT 21ATELIERSLE BONHEUR OBLIGE DANS LE COUPLEOn s’est trompé d’histoire d’amour Anne-Marie DEVAUX 31Le parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve,aujourd’hui un devoir Patrick DE NEUTER 35Homme et femme : moitié-moitié ? Elisabeth d‟ALCANTARA 41Le féminin est subversif, et ça fait désordre Danielle BASTIEN 43ENFANTS-ADOLESCENTSLa tentation de mort chez l’adolescent diabétique Pascal FAVERON 49Enfance asociale et psychanalyse Bernadette DIRICQ 53La demande d’enfant Marie-Françoise HAAS 57Pourquoi l’enfant concentre-t-il toute notre attention ? Sylvain GROSS 61CLINIQUE DE L‟EXTREMEJouir de la honte Brigitte HATAT 71Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire :la parole suffit-elle à les "guérir" ? André PASSELECQ 75Technologie moderne, métonymie <strong>du</strong> désiret inflammation de l’objet Pat JACOPS 79Un intrus dans le champ de l’hygiène mentale Manuelle KRINGS 81PERVERSION GENERALISEELa perversion comme norme :ce qui est permis devient obligatoire Yves BATON 89Enfin un père ? Michel CODDENS 93Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ? Didier MATHY 97Egalité et ségrégation Guillermo RUBIO 103CONCLUSIONQuoi de neuf ? Christian DEMOULIN 1111 Clé pour 2 (film court-métrage) Delphine NOELS2Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Michel CODDENSArgumentArgumentMichel CODDENSEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonDepuis quelque temps, la littérature « psy »décrit toute une série de symptômesautres que ceux auxquels nous sommesaccoutumés. Ce sont les troubles bipolaires, lesparaphilies, le syndrome d‟Asperger, les TOC, lesyndrome de fatigue chronique, c‟est-à-dire lesnouveaux symptômes que la sociétépostmoderne nous offre en pâture.La dysphasie, l‟hyperkinésie, le syndrome deGilles de la Tourette, le syndrome deMünchhausen, la spasmophilie, latrichotillomanie, la boulimie, … sont-ils vraimentnouveaux ? Et s‟ils le sont, en quoi le sont-ils ?La nouveauté ne réside-t-elle pas dans l‟abordqu‟en font la psychiatrie biologique et lesstatistiques et dans le harcèlement dont ils fontl‟objet de la part de psychothérapies ?Le symptôme dit nouveau peut-il devenir unequestion pour le sujet, et non pas simplementune « étiquette-réponse » qui le désignesommairement et l‟inscrit dans des statistiques ?Peut-il être tenu comme une tentative deguérison ? Obéit-il à l‟aphorisme lacanien quiveut que le symptôme est la façon dont chacunjouit de son inconscient en tant que celui-ci ledétermine ? Vient-il à la place d‟une satisfactionsexuelle ? Peut-il devenir un symptômeanalytique ? Comment ? Le sujet peut-il lesubjectiver dans la cure avec l‟analyste ?Bien sûr, on peut se laisser sé<strong>du</strong>ire par leschants de sirène <strong>du</strong> discours ultralibéral etentreprendre un « traitement » qui vise àéradiquer le symptôme nouveau de manièrerapide, efficace et peu onéreuse de sorte à être« opérationnel » et, ainsi, pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> travail etde la plus-value pour le discours <strong>du</strong> capitaliste.Tel que Lacan le théorise, le discours <strong>du</strong>capitaliste est dans ses manifestations (DSM,TCC, hypnose…) aux antipodes <strong>du</strong> discoursanalytique car il permet au sujet de ne pass‟interroger, puisqu‟il apporte une réponse toutefaite. Le symptôme y est vu comme unedéviation, un hors-norme. Les TCC, lesmédicaments comme la rilatine, et les« é<strong>du</strong>cateurs commerçants », pour citer Ph.Sollers, sont les serfs <strong>du</strong> capitalisme dontl‟argent reste le signifiant-maître. Ces praticiensrenouent <strong>du</strong> reste avec une des fonctions de lapsychiatrie <strong>du</strong> XIX e siècle : être les gardiens del‟ordre social.Aussi, ne peut-on pas imputer au discours <strong>du</strong>capitaliste la volonté de créer, à l‟instar <strong>du</strong>fascisme ou <strong>du</strong> communisme, un « hommenouveau » qui jouit de se plier à ses slogans ?En effet, comment interpréter autrement lesidéaux qui obsèdent notre société : être jeune,beau, mince, aux dents blanches, indivi<strong>du</strong>alistecertes, mais sachant communiquer, parler toutehonte bue de l‟argent, entrer dans la compétitionet éliminer le « maillon faible » avec aisance ;être un peu branché new age et spiritualité, maistout en restant sportif, etc. ?Se soumettre à ces mots d‟ordre, nous dit-on,promet le bonheur. La belle affaire ! Mais alors,comment expliquer l‟extraordinaireconsommation d‟antidépresseurs et autresomega-3 ?Quelle est la conséquence de ces pratiques quivisent la normalité, l‟adaptation etl‟uniformisation ? Le rejet des « laissés-pourcompte», de ceux qui refusent d‟une manièreou d‟une autre, de ceux qui ne se laissent pasdomestiquer ? Où l‟on voit une fois de plus quela ségrégation est la petite sœur de l‟adaptation.N‟est-ce pas Lacan qui voyait dans Auschwitzl‟aboutissement ultime de cette discrimination ?Une autre voie existe, celle qu‟a ouverte Freudet qu‟a continuée Lacan. Le sujet peut se faireentendre dans ce qui cloche pour lui, il peutdonner à entendre la manière dont il habite sonsymptôme. Ceci implique une démarche àl‟inverse de celle qui est proposée par le DSM,par exemple, qui prétend déterminer pour lesujet ce qui fait symptôme pour lui. Lapsychanalyse, qui considère que le sujet estresponsable de ce qui lui arrive, respecte sonrythme dans la mise au travail de son symptômeet dans son dépliement.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES3


4Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


SEANCEPLENIEREAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES5


6Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Michel CODDENSDu symptôme au sinthomeOUVERTUREDu symptôme au sinthomeMichel CODDENSEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonLorsque j‟ai réfléchi à l‟ouverture de cettejournée des <strong>Forums</strong> de Wallonie consacréeaux nouveaux symptômes, je me suis une foisde plus heurté aux aphorismes lacaniens surl‟identification au symptôme et le symptômecomme suppléance au non-rapport sexuel.Qu‟est-ce que Lacan veut indexer là ?Lorsque le sujet fait une demande d‟analyse, ildésigne, il nomme le symptôme dont, dit-il, ilveut se débarrasser. Celui-ci revêt différentsoripeaux : le rituel qui s‟impose et dont on nepeut se défaire, la marque qui s‟inscrit dans lecorps comme conversion ou phénomènepsychosomatique, l‟inhibition intellectuelle, lesdivers avatars de la sexualité, l‟échecprofessionnel, l‟impossibilité de poser un choix,etc.Si le sujet fait cette démarche auprès <strong>du</strong>psychanalyste, c‟est parce qu‟il croit à sonsymptôme : il croit que ce dernier a unesignification et qu‟il est de ce fait déchiffrable.“Quiconque vient nous présenter un symptôme ycroit.”, dit Lacan. Et cette signification est àarticuler en termes de vérité pour le sujet. Chezle névrosé, ajoute Lacan, “Le symptômereprésente le retour de la vérité dans les failles<strong>du</strong> savoir”. En tout état de cause, le sujet a àparler de son symptôme, à le dialectiser sinoncelui-ci reste insensé, sans sens aucun.En s‟adressant à l‟analyste, le sujet le supposecapable d‟entendre au-delà <strong>du</strong> simple énoncéde la plainte, ce qui renvoie à la responsabilitééthique et clinique de l‟analyste. Ici, il ne fautpas oublier que l‟analyste complémente lesymptôme, il fait partie <strong>du</strong> symptôme.Dans un premier moment de l‟enseignement deLacan, le symptôme est un message adressé àl‟Autre, mais un message énigmatique. Lesemblable, le parent, l‟enseignant, lepsychologue, … qui n‟en saisit pas lasignification s‟égare dans des interprétations. Etlorsque celles-ci font défaut, l‟organicité, les“nerfs” sont invoqués, quand ce ne sont pas lechangement de saison ou la pleine lune ... Lesymptôme est d‟abord un texte, un chiffre quiappelle le déchiffrage. C‟est un moment de lathéorie lacanienne où l‟on pose que le seuldécryptage <strong>du</strong> message contenu dans lesymptôme suffit à le faire disparaître. On gardeen mémoire les guérisons “miraculeuses”relatées par Dolto.C‟est aussi le moment où, à la suite de Freud,Lacan lit le symptôme au départ de la fonctionpaternelle et de ses ratés. Le symptôme estalors le signe au sens linguistique de ce ratage.Mais poser un ratage suppose une correctionpossible qui s‟opère par l‟interprétation dans lecadre <strong>du</strong> transfert. Lacan assigne aupositionnement <strong>du</strong> père une fonctionstructurante dans le procès œdipien. Onretrouve cette mise en regard <strong>du</strong> père et <strong>du</strong>symptôme ailleurs dans la littératurepsychanalytique : le père pervers des premièreshystériques de Freud et de sa Neurotica, le pèrede Hans et sa gentillesse débordante, le pèred‟Ernst Lanzer et son rapport aléatoire à laparole donnée, le père de Dora et sonimpuissance sexuelle, le père é<strong>du</strong>cateur deSchreber, ... Le symptôme est alors, pourreprendre un mot de Marc Strauss, l‟index <strong>du</strong>dysfonctionnement de la métaphore paternelle.Plus tard dans son enseignement, Lacanarticule le symptôme avec la jouissance car s‟ilest porteur d‟une souffrance, il est aussi unmode de satisfaction, ce que Freud avait repérétrès tôt. Lacan montre bien que le symptôme nese ré<strong>du</strong>it pas à sa structure de langage. Lesymptôme n‟est pas-tout métaphore, donc pastoutsignifiant. Pour Freud, le symptôme estl‟activité sexuelle <strong>du</strong> névrosé, il est une solutionde compromis entre les exigences pulsionnelleset celles <strong>du</strong> moi et de la conscience. C‟est unesatisfaction, certes, mais bien maigre en regard<strong>du</strong> prix de souffrance à payer. Et s‟attaquer defront au symptôme n‟est guère prudent. En effet,on ne s‟attaque pas impunément au partenaireintime <strong>du</strong> sujet qu‟est le symptôme.Le symptôme vient suppléer au non-rapportsexuel. Là où le rapport sexuel, le rapport entreles sexes n‟existe pas, vient un substitut, unejouissance propre à chaque sujet, une fixationAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES7


Michel CODDENSaux contours parfois flous et à laconceptualisation hésitante. On pense àl‟inusable dépression, signifiant fourre-tout quiest censé rendre compte aussi bien des troublesde l‟humeur, <strong>du</strong> taedium vitae, <strong>du</strong> délire que descrimes des tueurs en série. Comment ne passonger à ce que Maleval a appelé à propos <strong>du</strong>DSM une “capitulation de la pensée” ? Lanouveauté ne réside-t-elle pas dans l‟abord quien est fait dans notre paysage façonné par lapsychiatrie biologique, par l‟évaluation et par lesstatistiques ? Ou renvoie-t-elle au glissement <strong>du</strong>statut <strong>du</strong> symptôme ? Souvent, celui-ci quitte safonction de signe d‟un trouble pour accéder aurang de maladie organique traitable et curable.La spasmophilie est un bel exemple : desymptôme hystérique banal, elle est devenuemaladie qui exige un traitement médical.La nouveauté, c‟est que le discours de lascience et le discours <strong>du</strong> capitaliste promeuventen quelque sorte un symptôme ré<strong>du</strong>it au silence,qui ne permet pas un déchiffrage. C‟est unsymptôme solitaire qui a per<strong>du</strong> son statutd‟énigme puisqu‟il n‟est plus une question que lesujet adresse à l‟Autre. Et, dans la foulée, ladimension de jouissance <strong>du</strong> symptôme estforclose. Le discours <strong>du</strong> capitaliste, comme leremarque J-P Drapier, a donné au symptômeune valeur marchande. Il est devenu un bienéchangeable : tel symptôme contre telmédicament, tel symptôme contre telle thérapie,...Le symptôme est devenu un pur signe quirenvoie à des normes sociales. Du reste, leconcept de con<strong>du</strong>ite lui est préféré car il permetde mettre l‟accent sur le comportement et defaire l‟économie <strong>du</strong> psychisme, de l‟inconscientdonc, et de la sexualité. C‟est pourquoi lapsychanalyse est sans doute l‟un des dernierslieux, si pas le dernier, où le symptôme trouverefuge et se fait entendre. Et c‟est là que lerapport <strong>du</strong> sujet à la jouissance pourra êtreinterrogé, ce rapport toujours marqué par un “jen‟en veux rien savoir‟.Comme on le sait, le symptôme a toujours deuxfaces : il rend possible le lien à l‟autre mais, enmême temps, il garde sa dimension autistiquepuisqu‟il ne tient pas compte de la réalité. Unefonction <strong>du</strong> symptôme est de permettre auxsujets de s‟inscrire dans le discours social. Eneffet, il arrive souvent que ces symptômessoient des signifiants utilisés comme étendardsqui représentent ces sujets auprès de l‟Autresocial, médical ou psy et qui leur procurent unepseudo-identité. (Par exemple, le toxicomaneest fixé à un signifiant, ce qui le pousse à avoirune con<strong>du</strong>ite qui le coupe de l‟autre : fumer, sepiquer, ... Cette con<strong>du</strong>ite reçoit un nom, elle estDu Symptôme au sinthomenommée et cette nomination est entérinée parl‟Autre social, psy ou médical.)Ces nouveaux symptômes peuvent-ils devenirune question, pour l‟instant sans réponse ?Sont-ils des messages qui trouveront leurdestinataire ? Seront-ils élevés au rang de signed‟une jouissance ignorée <strong>du</strong> sujet ? Sont-ilstraitables par la psychanalyse ? Autrement dit,peuvent-ils devenir des symptômespsychanalytiques ? Peuvent-ils êtrecomplémentés par le psychanalyste ? Peuventilsglisser <strong>du</strong> statut autistique de jouissancefermée sur elle-même, qui ne demande pasd‟interprétation, à la dimension de l‟Autre <strong>du</strong>transfert ? Le symptôme sous transfert, ditBassols, devient un symptôme avec l‟Autre. Onse rappelle que la cure analytique nécessite quele sujet nomme son symptôme et qu‟il lesuppose déchiffrable. D‟où l‟exigence desentretiens préliminaires. En tout état de cause,son identification et sa nomination renvoient ausouci <strong>du</strong> diagnostic, qui est cette opération parlaquelle on fait entrer le cas singulier dans unecatégorie plus générale. On connaît l‟importance<strong>du</strong> diagnostic pour nous qui sommes lacanienset on sait la place qu‟il prend dans la formation<strong>du</strong> psychanalyste.Bien sûr, on peut se laisser sé<strong>du</strong>ire par leschants de sirène <strong>du</strong> discours ultralibéral etentreprendre un “traitement” qui vise à éradiquerle symptôme nouveau de manière rapide,efficace et peu onéreuse de manière à être“opérationnel” et, ainsi, pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> travail et dela plus-value pour le capitaliste. Quelle y est laplace <strong>du</strong> sujet et de son énonciation ? Nulle.Un exemple tiré d‟une pratique institutionnelle.Un enfant placé en Centre d‟Hébergementsouffre, selon l‟enseignant, de troubles de laconcentration. La rilatine, potion magique dansla psychopathologie de l‟enfant, lui est prescrite.Lors d‟une conversation que j‟ai avec lui, ils‟avère que, certes, <strong>du</strong> point de vue de lapédagogie et de la psychiatrie biologique, il ades troubles de la concentration. En fait, sonattention est concentrée sur tout autre choseque l‟apprentissage scolaire : il ne pense qu‟à samère qu‟il veut retrouver et dont il ne supportepas d‟être séparé. Il la supporte d‟autant moinsqu‟il se trouve sur l‟axe imaginaire a-a‟ <strong>du</strong>schéma L et qu‟il est l‟autre, qu‟il est sa mère.Le discours <strong>du</strong> capitaliste élabore une véritableidéologie <strong>du</strong> bien-être qui prétend procurer àchacun la jouissance ici et maintenant, laguérison et le bonheur. A chaque désir, sonobjet de satisfaction. Ses mots d‟ordre ontd‟ailleurs une teinte surmoïque indéniable. (Cf.Le slogan Light macht frei qu‟inscrivait le journalsatirique PAN au fronton d‟un article sur laAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES9


Michel CODDENSnourriture allégée) Les thérapies cognitivocomportementales,les médicaments comme larilatine, ... et les “é<strong>du</strong>cateurs commerçants”,pour reprendre le mot de Ph. Sollers, risquentfort de devenir les serfs <strong>du</strong> capitalisme dontl‟argent reste le signifiant-maître.Mais quelle est la conséquence de ces pratiquesqui visent à atteindre la normalité et l‟adaptation? Qu‟est-ce qui reste de cette médecinevétérinaire <strong>du</strong> psychisme, pour reprendre le motde Sidi Askofaré ? Le rejet des “laissés-pourcompte”,de ceux qui les refusent d‟une manièreou d‟une autre. Lacan voyait dans Auschwitzl‟aboutissement ultime de cette ségrégation.Pour prendre la mesure de cela, il suffit de serendre à Auschwitz et de s‟y laisser enseigner…Du Symptôme au sinthomeUne autre voie existe, celle qu‟a ouverte Freudet qu‟a continuée Lacan. Le sujet peut se faireentendre dans ce qui cloche pour lui.Le symptôme, dit Lacan dans R.S.I., est le signede ce qui ne va pas dans le réel. Ceci impliqueune démarche à l‟inverse de celle qui estproposée par le DSM, par exemple, qui prétenddéterminer pour le sujet ce qui fait symptômepour lui. La psychanalyse, elle, s‟occupe <strong>du</strong>symptôme et elle dit que le sujet, que l‟analysanty a sa part de responsabilité ... C‟est <strong>du</strong> reste ceà quoi Lacan renvoyait déjà dans les années 50quand il parlait de rectification subjective, c‟està-direcette démarche par laquelle le sujetappréhende la part qu‟il prend dans ce qui luiadvient. Eh bien, il n‟y a rien à changer à cetteéthique <strong>du</strong> bien-dire.10Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Jean-Jacques GOROG Le symptôme de Freud. Et aujourd‟hui ?« Le symptôme de Freud. Et aujourd’hui ? »Dr Jean-Jacques GOROG (Paris)Ecole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Paris-Ile de FranceEn ce 150eme anniversaire, il me paraitutile de revenir sur le point de départ quin‟est autre que celui que le film « La Passion deFreud », scénario de Sartre illustre au mieuxmême s‟il s‟agit d‟une fiction hollywoodienne, àsavoir, en dehors d‟un court passage impliquantla psychose, la confrontation de Freudl‟obsessionnel avec la jeune hystérique, soit laconfrontation d‟un mode <strong>du</strong> symptôme avec unautre. Le symptôme de Freud, nul besoin de lechercher dans une psychobiographie qui n‟estpas d‟ailleurs ce que Jones a fait, mais qui a ététentée par un certain nombre de détracteursdont le propos n‟était pas autre que de nuire à lapsychanalyse, le symptôme de Freud, il en faitlui-même amplement état puisqu‟il est la matièreprincipale de son « Interprétation des rêves »avec son culmen dans le rêve dit de latriméthylamine. Le symptôme de Freud, disonsque c‟est la psychanalyse sortie tout habillée deson chapeau. Admettons que la référence àAthéna lui agrée, ce dont je ne saurais obtenir laconfirmation qu‟à faire tourner les tables,pratique à laquelle on peut raisonnablement audire de Jung considérer qu‟il a pu se livrer.Mais qu‟est-ce que le symptôme ?Formation de compromis, sûrement, et j‟ai choisicet extrait <strong>du</strong> texte freudien :« Dans les névroses de défense, voilàgénéralement comment se déroule la maladie :1) Un ou plusieurs incidents d'ordre sexueltraumatisants et précoces doivent subir lerefoulement;2) Refoulement de cet incident dans certainesconditions ultérieures capables d'en réveiller lesouvenir et ainsi formation d'un symptômeprimaire ;3) Un stade de défense réussie qui, l'existence<strong>du</strong> symptôme mise à part, équivaut à la santé ;4) Un stade au cours <strong>du</strong>quel les représentationsrefoulées ressurgissent. Dans la lutte qu'ellessoutiennent contre le moi, des symptômesnouveaux, ceux de la maladie proprement dite,se forment, c'est-à-dire un stade de compromis,de défaite ou de guérison défectueuse.Les caractères différents des diverses névrosessont révélés par la façon dont lesreprésentations refoulées resurgissent. Le modede formation des symptômes, le tour que prendla maladie, sont également révélateurs à cetégard. Toutefois, le caractère spécifique dechaque névrose réside dans la manière donts'effectue le refoulement.C'est la marche de la névrose obsessionnellequi me semble la plus compréhensible, parceque c'est elle que je connais le mieux. » 1Le symptôme donc est ce qui reste <strong>du</strong> sexerefoulé. La suite avec Lacan pourrait faire croirequ‟il l‟avait oublié mais c‟est seulement parce qu‟ilveut montrer le mode langagier <strong>du</strong> refoulement, lalogique à l‟œuvre, celle qui va permettre la cure.Une référence fondamentale oriente la question,en tout cas pour Lacan, c‟est la page consacréeau symptôme dans « Psychologie des foules », oùse trouve le trait unaire 2 . L‟idée est celle <strong>du</strong> traitpar lequel se construit le symptôme, trait non pasidéal mais pris sur un défaut, la douleur de la mèretoussant à laquelle il convient de se substituer oul‟impuissance <strong>du</strong> père toujours à propos de Dora.L‟exemple de Lacan dans le même registre estd‟abord celui que nous appellerons de la loicoranique où c‟est la faute <strong>du</strong> père, le vol dans cecas, qui est emprunté par le sujet pour fairesymptôme, autrement dit un trait non pas d‟idéalmais qui doit se compte négativement, soit commeun défaut <strong>du</strong> père. Le sujet prend appui sur un traitqui marque la faille de l‟Autre :« Ce que je vous raconte a l'air d'être un petitapologue, mais j'ai connu un sujet dont la crampedes écrivains était liée à ceci, qu'a révélé sonanalyse – dans la loi islamique dans laquelle ilavait été élevé, le voleur devait avoir la maintranchée. Et cela, il n'a jamais pu l'avaler.Pourquoi? Parce qu'on avait accusé son pèred'être un voleur. Il a passé son enfance dans uneespèce de profonde suspension à l'égard de la loicoranique. Tout son rapport avec son milieuoriginel, le pilier, les assises, l'ordre, lescoordonnées fondamentales <strong>du</strong> monde était barré,1 MANUSCRIT K p.1322 p.169 de l‟édition française Payot.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES11


Jean-Jacques GOROG Le symptôme de Freud. Et aujourd‟hui ?parce qu'il y avait une chose qu'il se refusait àcomprendre-pourquoi quelqu'un qui était un voleurdevait avoir la main tranchée. En raison de celad'ailleurs, et justement parce qu'il ne le comprenaitpas, il avait, lui, la main tranchée. »Il n‟est pas difficile de constater que lesymptôme résiste à l‟analyse, souvent le plusdirectement en menaçant par sa présencemême le dispositif chargé d‟en rendre raison.C‟est ainsi que c‟est le symptôme qui rendmatériellement impossible au sujet de se rendreà sa séance, ou bien d‟y dire quoi que ce soit.D‟où la façon de Lacan d‟intro<strong>du</strong>ire cesymptôme au tout début de son séminaireintitulé : Les Quatre concepts fondamentaux dela psychanalyse, lequel séminaire occupe uneplace particulière à cause de sa dimensiondidactique, d‟être désormais hors les murs deSainte-Anne, et donc pour tout public. On voit iciLacan rappeler quelque chose qui n‟est pasexactement nouveau, puisque développé dèsson premier séminaire, mais sous une formeplus percutante de nature à préciser la place etla fonction de l‟analyste. Il présente le symptôme<strong>du</strong> mutisme hystérique, ce qui reste une étrangefaçon de concevoir le début de la cure, lemutisme s‟opposant manifestement à la« talking cure » :« …qu’on pourrait définir la psychanalyse commeconsistant, au dernier terme, dans la levée <strong>du</strong>mutisme. » Et c‟est bien, en effet, ce qu‟on aappelé un moment de l‟analyse des résistances.Le symptôme c’est d’abord le mutisme dansle sujet supposé parlant. » 3A ceci je voudrais ajouter quelques remarques.Quelles que soient les formes <strong>du</strong> symptôme quele monde d‟aujourd‟hui aurait vues transformer,il ne me semble pas qu‟il y ait lieu de revenir surces définitions, et le changement de point devue que Lacan opère sur le symptôme ne remetpas foncièrement en cause celles-ci. Il prend encompte et précise ce que la découvertefreudienne implique quant à l‟analyste et endé<strong>du</strong>ira une valeur <strong>du</strong> symptôme jouissance, cereste même de la jouissance refoulée selonFreud, dont le sujet se plaint mais qui en mêmetemps fait qu‟il est ce qu‟il est, que ce symptômeest incompatible avec ce dont se plaint le voisin,même si c‟est apparemment le même.On peut toujours penser que notre mondefacilite quelque chose d‟une homogénéisationdes discours, telle que chacun puisse lire sonsymptôme à la lumière de clés de lectureuniformisantes, anonymisantes 4 , plus qu‟avantcroit-on, mais il ne me semble pas pour autantque le dispositif lui-même ait changé defonction. La politique et les faits divers, typetsunami, montrent que la théorie physique de lamatière s‟y vérifie, qu‟un battement d‟ailes depapillon peut véritablement déclencher uncyclone à l‟autre bout <strong>du</strong> monde, étant donné lavitesse de propagation de l‟information. Qu‟onsache ou pas se servir d‟un téléphone portable,qu‟on devienne esclave de cet objet a pure voixne change pas de fait la nature de ce dont on seplaint. La réponse analytique tient toujours : elleconsiste très simplement et ce depuis le début àne pas considérer le symptôme comme uneaddiction mais comme un trait prélevé sur l‟autredont le sujet est le pro<strong>du</strong>it. S‟intéresser non pasau portable mais à la voix.Seulement, contrairement à ce que Lacanvoudrait nous faire croire, les effets de la parolene sont pas éternels et lui-même a contribué àréanimer l‟invention freudienne. L‟effet <strong>du</strong>passage au discours courant qui lui fait dire queson enseignement « sera clair pour tout lemonde dans 10 ans » a fait long feu. Il faut yajouter l‟insupportable de l‟inconscient, celui quicontraint Freud à prévenir que, en somme,après quelques années, on aurait quelqueavantage à retourner sur un divan. Dès lors, ilexiste une nécessité auprès des patients à nepas croire qu‟ils sont familiers de Lacan, soit àleur rappeler de quoi il s‟agit dans l‟analyse, cequ‟est que la dimension sexuelle en jeu dans lathéorie, castration et jouissance et non Œdipe.En quoi c‟est différent ? Précisément en cecique l‟Œdipe est chose commune qui ne suffitpas à en faire la chose d‟un sujet. La castration,par contre, est beaucoup moins facilementsaisissable immédiatement quant au terme dejouissance. Il se laisse bien moins attrapercomme quelque chose de partageable, quelquechose qui ne serait pas spécifique à chacun.Il existe un malenten<strong>du</strong> que l‟invention des« quatre discours » par Lacan a pro<strong>du</strong>it àl‟occasion : on a cru qu‟il s‟agissait de sociologieet, de fait, il est vrai qu‟il découpe le mondeselon les liens sociaux. Mais sa visée reste lediscours analytique, lequel est intro<strong>du</strong>it parl‟ouverture hystérique. Il est à noter qu‟il suffit deconsidérer le portable et non la voix, soit de setromper de cible, pour s‟ériger en savoirconstitué et faire virer le symptôme(originellement hystérique) à l‟addiction. Lesthéories comportementales offrent un savoirtoujours construit sur le modèle d‟un traitementanonyme. Il vaut ainsi pour tout le monde si cen‟est pour chacun.3 Les Quatre concept fondamentaux de la psychanalyseLeçon I 15 janvier 19644 Cf. Ecrits, p.67912Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Jean-Jacques GOROG Le symptôme de Freud. Et aujourd‟hui ?Il en est de même pour le symptôme « gender »qui parvient à « identifier » l‟identité sexuelle autitre <strong>du</strong> même, soit faire <strong>du</strong> choix <strong>du</strong> sexel‟équivalent d‟une addiction, par laquelle onrejoint l‟anonymat <strong>du</strong> groupe, et ce, quelle qu‟ensoit la raison, de suppléance avec rejet del‟inconscient ou, plus « névrotiquement », dansun mouvement de fuite, renoncer à assumer ceque, à un moment de son enseignement, Lacanqualifiait « céder sur son désir ».Je vais donner un exemple de symptôme et deson éclairage :Des pleurs sans raison depuis toujours ainsiqu‟une soumission extrême à l‟autre constituentla plainte d‟une jeune femme mais, avecdifficulté et un douloureux sentiment de honte,cette plainte est prononcée « illégitime ». Surquoi j‟interviens me surprenant moi-même enme demandant, et donc en lui faisant partagercette réflexion, si une plainte adressée à soimêmepouvait jamais être légitime, parce quepersonne n‟imaginerait qu‟une plainte contre unautre ne puisse pas l‟être. « Ŕ Peut-être seraitellelégitime seulement dans le cas de lamélancolie ? » est le propos que je garde pardevers moi.Mon intervention, qui peut paraître inutile, vienten réalité comme une réponse à ce qu‟ellemêmeavait énoncé en matière d‟intro<strong>du</strong>ction,soit qu‟elle-même n‟avait pas pu répondre à unede mes questions lors <strong>du</strong> premier entretienquant à ce pourquoi elle venait, là, maintenant,voir un psychanalyste, se reprochant d‟avoirparlé trop de ses déboires sexuels et amoureuxavec ses hommes successifs et non passuffisamment d‟elle. Je voudrais insister sur maréponse, laquelle ne saurait être un conseiltechnique. Non seulement je ne sais pas cequ‟elle va dire mais je ne peux pas me contenterd‟une formule trop générale. Si se plaindre estpar principe perçu comme illégitime, reste àpréciser en quoi ce signifiant l‟en-gage bel etbien corps et âme, Ŕ Lacan évoque à unmoment l‟ « en-forme » <strong>du</strong> symptôme Ŕ et doncnécessite la psychanalyse. Notez l‟aporieapparente, le paradoxe, forme logique, quiconstitue la structure même <strong>du</strong> symptôme entant qu‟analytique : si sa plainte est illégitime,pourquoi aller voir un analyste ? Or, il estlégitime d‟aller voir un psychanalyste même sion a l‟idée que cette plainte est illégitime, mieux,c‟est le statut de cette illégitimité qui fait <strong>du</strong>symptôme un symptôme analysable. C‟estnécessaire pour que le sujet fasse d‟une plainte,qui serait commune à tous, une propriétépersonnelle, avant que, comme dans la formuleclassique, elle ne parvienne à en faire unmalheur ordinaire.C‟est qu‟on ne peut pas traiter le symptômesans que cette logique paradoxale soit au moinsentrevue par le postulant analysant sinon nousnous mettrions à la merci d‟une interruption dela cure à la moindre difficulté, légitime ou non.Mon intervention avait une autre visée, celle detoute interprétation de la part d‟un analyste,ouvrir la voie de l‟association libre, exercice icide son intro<strong>du</strong>ction. Les séances préliminairesdoivent faire valoir l‟effet de la parole, sonefficacité a minima, en même temps que laspécificité de cet analyste-là, moi enl‟occurrence, différent de ceux qui avaientprécédé. On le voit il s‟agit d‟un dispositifcomplexe à deux étages, la psychanalyse et salogique <strong>du</strong> signifiant d‟une part, son exerciceconcret d‟autre part dans une expériencesingulière avec un tel et sa propre conception del‟acte, elle-même fonction de l‟analyse qu‟il afaite. Donc voici ce qui vient comme exemple deces pleurs sans raison, véritable acting out,parce qu‟il se situe entre les deux séancespremières et que l‟événement n‟estmanifestement pas sans lien avec le premierrendez-vous et mes questions un peuintempestives :Peu importe le détail de l‟affaire, il nous suffirade savoir que s‟y vérifie le lien entre les pleurs etune déception sexuelle qui n‟arrive même pas àêtre perçue. Seul le contexte permet de ladé<strong>du</strong>ire et de la faire saisir au sujet, moins ladéception elle-même qui n‟est pas ignorée queson lien aux pleurs.D‟où mon titre et l‟accent mis sur les pleurs et laplainte nécessairement illégitime car le phallus,qu‟on ait ou non l‟organe, est toujoursd‟emprunt. La jouissance sexuelle elle-mêmeest-elle elle-même légitime ? Rappelons que,pour Lacan, elle est par principe « interdite ». Jen‟entre pas ici dans le trait qui fait le symptômeet dont on pourrait vérifier qu‟il constitue le sujetà partir d‟un emprunt, au père, de ce qui lui faitfoncièrement défaut Ŕ au père.Innocemment, Lacan indique la dimensiontransférentielle <strong>du</strong> symptôme ou plutôt commentdonner au symptôme sa place dans la cure avecl‟analyste. Et tout de suite, il prend soin de sedémarquer de Freud, de faire saisir que saconception de la cure entend revisiter ladécouverte freudienne et notamment pour ce quiconcerne l‟abord <strong>du</strong> symptôme :« Que pour guérir l’hystérique de tous sessymptômes, la meilleure façon soit desatisfaire à son désir d’hystérique, qui est,pour nous, à nos regards, elle l’hystérique, depeser son désir comme désir insatisfait, laisseentièrement hors <strong>du</strong> champ la questionspécifique de ce pourquoi elle ne peut soutenirAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES13


Jean-Jacques GOROG Le symptôme de Freud. Et aujourd‟hui ?son désir que comme désir insatisfait, de sorteque l’hystérie, dirais-je, nous met sur la traced’un certain péché originel de l’analyse. Il fautbien qu’il y en ait un. Le vrai n’est peut-êtrequ’une seule chose, c’est le désir de Freud luimême,à savoir le fait que quelque chose,dans Freud, n’a jamais été analysé. » 5Je me permettrai ici un très court récit de cas. Ils‟agit d‟une petite fille de 5 ans qui, après deuxans d‟analyse Ŕ la chute montre que le termed‟analyse convient Ŕ, en vient à me poser laquestion en termes crus : « Ŕ Toi, tu as faitl‟analyse ? Ŕ mi affirmation, mi question, et sansattendre une réponse qui ne venait d‟ailleurs pasŔ Mais celui avec qui tu l‟as fait, aussi ? Ŕ Jebafouille un oui prudent Ŕ Mais, et le premier ? »A la suite de quoi elle a décidé très fermementque c‟était terminé avec la psychanalyse, aumoins pour cette période de son existence.C‟est très remarquable bien sûr et me fait mieuxcomprendre la remarque de Lacan, critique sil‟on veut mais qui touche à un impossible : ilfallait bien qu‟il y en eut un au départ qui sesacrifie avec son génie. Il n‟empêche qu‟il restece point qui fait que, bien que Lacan rendehommage à l‟effort d‟un Octave Mannoni, il n‟y apas d‟auto-analyse qui tienne quel que soit sonpoint de vue ou celui d‟Anzieu 6 sur la question.Le développement dont j‟ai fait part plus haut nepouvait être seulement posé à partir d‟unesimple scansion : il arrive qu‟il faille être un peumoins preste. Je dirais, aussi léger qu‟il estpossible, cependant on devrait tenir compte del‟extrême diffusion non seulement des conceptsanalytiques mais aussi de tout ce quil‟accompagne de ratés et de malenten<strong>du</strong>s dansla culture qui s‟y sont déposés en même tempsque les atten<strong>du</strong>s de la théorie de Freud ou lescommentaires de Lacan. C‟est ainsi que lacritique de la psychanalyse, très souvent,s‟empare de tout ce qui se trouve dans sonsillage en son nom. On a ainsi la curieuseimpression que les arguments critiqués le sont àjuste titre mais ils ne représentent que lesdéviations correspondant à la pratique de ceuxlàmême qui critiquent la psychanalyse. C‟est lecas par exemple de l‟accusation portée sur lesparents.Elle est le fait, sans doute de psychanalystesmal orientés mais aussi de tous ceux,psychothérapeutes en tous genres, qui se sontnourris de la psychanalyse à l‟envers. 76 Cf. Didier Anzieu, L’Auto-analyse de Freud, Paris, PUF.5 Les Quatre concept fondamentaux de la psychanalyseLeçon I 15 janvier 1964.7 C‟est le titre et la raison <strong>du</strong> titre <strong>du</strong> séminaire de Lacandéjà évoqué, « L‟Envers de la psychanalyse » avec lediscours universitaire dont les anti-discours analytiques sontles servants.14Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Claire HARMANDLe scandale de l‟inconscient aujourd‟huiLe scandale de l’inconscient aujourd’huiDr Claire HARMAND (Paris)Forum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Paris Ŕ Ile de FranceAl'époque de Freud, l'inconscient a faitscandale :Du fait de "l'assimilation conventionnelle <strong>du</strong>psychique et <strong>du</strong> conscient", écrit Freud, "onnous conteste de tous côtés le droit d'admettreun psychique inconscient et de travaillerscientifiquement avec cette hypothèse" 1 .Pourtant, les rêves, lapsus, actes manqués, lessymptômes qu'on appelle psychiques, "lesidées qui nous viennent sans que nous enconnaissions l'origine, et les résultats depensée dont l'élaboration nous est demeuréecachée" 1 rentrent dans une autre logique sinous admettons l'inconscient.La révélation de la sexualité infantile est l'autreversant <strong>du</strong> scandale. A partir de l'écoute deshystériques, Freud s'interrogeant sur lefondement des névroses remarque d'abord lafréquence des agressions sexuelles dansl'enfance. Et en 1897, il remet en cause sa"neurotica", théorie des névroses, il ne croitplus à la réalité des agressions sexuellescon<strong>du</strong>isant à l'hystérie, il désavoue la théorie dela sé<strong>du</strong>ction. Il voit avec l'analyse de sespropres rêves qu'il s'agit de formationsfantasmatiques, et il élabore le complexed'Oedipe. C'est la réalité sexuelle del'inconscient.Quel inconscient ?L‟inconscient selon Freud est une instance àlaquelle la conscience n‟a pas accès, mais quise dévoile à elle par les rêves, les lapsus, lesactes manqués, etc. Freud a forgé le conceptd‟inconscient à partir de deux traditions, lapsychiatrie dynamique et la philosophieallemande, et avec une synthèse entre lesenseignements de Charcot, Bernheim etBreuer. L‟interprétation des rêves lui a permisd'en découvrir le fonctionnement : dansl‟inconscient, les mécanismes de condensationet déplacement, modes de passage d‟unereprésentation à une autre, caractérisent leprocessus primaire. Le système préconscientconscientest le lieu <strong>du</strong> processus secondaire,support de la pensée logique et de l‟actioncontrôlée, processus qui se caractérisent pardes liaisons et un contrôle de l‟écoulementénergétique soumis au principe de réalité 2 .L‟infantile est la source de l'inconscient, "lesprocessus de pensée inconscients ne sont riend‟autre que ceux qui se trouvent mis en placedans la prime enfance, à l‟exclusion de toutautre" 3 . Freud part de l‟hypothèse que "notremécanisme psychique s‟est établi par unprocessus de stratification" : des perceptionssans mémoire, puis un premier enregistrementdes perceptions qui ne peut devenir conscientet qui est aménagé selon des associationssimultanées, et ensuite un secondenregistrement, l‟inconscient, aménagé peutêtreselon des rapports de causalité 4 .Le noyau de l‟inconscient ne peut jamaisparvenir à la conscience, une autre partie, lerefoulé, peut y parvenir dans certainesconditions, ce sont "des choses qui veulent bienvenir un petit peu", comme me le disait unpatient, après avoir regretté que tant de chosesrestent floues dans un rêve. Le refoulementconsiste à empêcher une représentationreprésentant la pulsion de devenir consciente.Les représentations refoulées supportent lesdésirs inconscients et cherchent constammentà se décharger.Avec la deuxième topique en 1923,l‟inconscient qualifie les trois instances : le moi,le ça, le surmoi. C‟est à partir de là que lespost-freudiens ont mis l‟accent sur le moiconscient, malgré l‟insistance de Freud sur lemaintien de l‟inconscient comme axe essentiel.Lacan redonne à l‟inconscient de la véritéfreudienne sa place centrale (première partie<strong>du</strong> séminaire XI), mais il en modifie laconception. Toutes les "formations" del'inconscient (rêves, lapsus, etc.) relèvent <strong>du</strong>signifiant, elles sont structurées comme unlangage, elles obéissent à ce que Freudnomme le processus primaire, condensation etAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES15


Claire HARMANDLe scandale de l‟inconscient aujourd‟huidéplacement, renvoyant aux lois <strong>du</strong> signifiantque sont la métaphore et la métonymie.Avec le primat <strong>du</strong> signifiant et <strong>du</strong> langage,l‟inconscient se définit comme le discours del‟Autre. L‟enfant assujetti d‟emblée à l‟ordresymbolique, pris dans le réseau de la parentéet de la nomination, est institué comme sujetpar le langage. Pris dans un univers signifiant, ilse met à parler avant de connaîtreconsciemment ce que sa parole dit. Quelquechose échappe au sujet qui parle, il en estfondamentalement séparé. Ce qui estdéterminant pour le sujet enfant pris dans un« bain de langage », ce qui le structure, c'est lafaçon dont il reçoit ce qu‟il entend, dont ilperçoit ce qui lui est adressé et ce qui ne lui estpas adressé, et dont tous ces élémentsprennent place les uns par rapport aux autres.Là est le chiffrage. Reposant sur le fait quel‟homme parle, l‟inconscient se manifeste pardes ratages, des vides, des achoppements, destrouvailles qui peuvent être enten<strong>du</strong>s quand lesujet se met à parler, et qui peuvent faireénigme pour lui. Il s‟agit de l'insistance dont semanifeste le désir. L'inconscient, à travers sesformations, se donne à déchiffrer, à lire. Ledéchiffrage de ces énigmes est nécessairedans les cas où le chiffrage a mené le sujet àune impasse, un point d‟arrêt dans sa vie. Cequi est trouvaille est "retrouvaille, toujours prêteà se dérober à nouveau, instaurant ladimension de la perte" 5 .L'inconscient, ça parle, ce qui le fait dépendre<strong>du</strong> langage. La condition de l'inconscient, c'estle langage.Au plus près de la lettre freudienne,l'inconscient, das Unbewusste, le "non-su" ou"insu" dans sa tra<strong>du</strong>ction littérale par Lacan,c'est un savoir présent pour chaque sujet etinsu de lui, un savoir qui précède le sujet, unsavoir sans sujet. "Il y a <strong>du</strong> savoir qui ne se saitpas" 6 . Ce savoir articulé dans la langue, c‟estune jouissance : "là où ça parle, ça jouit" 7 .Avec la conception de l‟inconscient commeréel 8 , la perspective est d‟atteindre ce qui seraitle hors-sens. Le sens n‟est pas évacué, maispoussé à ses dernières limites.Lacan définit alors l'inconscient comme parlêtre: un effet de la langue parlée, attenant à lalangue parlée, un effet de la parole. Il ne s'agitpas dans l'analyse <strong>du</strong> niveau des significations,de la signification <strong>du</strong> phallus, de ce qui se ditdans les signifiants qui s‟entendent.L'inconscient (parlêtre), c'est l'inconscient quise lit ; et ce qui se lit, c‟est la jouissance."L‟inconscient, c‟est que l‟être, en parlant,jouisse, et ne veuille rien en savoir <strong>du</strong> tout" 9 .Aujourd'hui, plus d'un siècle après ladécouverte de Freud, tout le monde parle del'inconscient, connaît les lapsus, actesmanqués, oublis, méprises, erreurs ; des sujetss'adressent à des psychanalystes, certainstémoignent des effets de leur analyse.Précisons que nous parlons là de notre cultureoccidentale. « Cela ne se dit pas pareil » dansles différentes cultures 10 . Par exemple enAfrique, on dit que ce sont les esprits quiparlent par la bouche des hommes, on ne parlepas d‟inconscient."Aujourd‟hui", dans la société occidentale, nousvoici dans l‟ère de la science, celle de la toutepuissancede l‟homme sur le monde, au méprisde tout ce qui s‟oppose à cette maîtrise ; maisla science soumise au pouvoir de l‟argent, quiré<strong>du</strong>it l‟homme tout puissant à un instrument auservice de ce pouvoir ; la consommationd‟objets de plus en plus techniques, à <strong>du</strong>rée devie de plus en plus brève envahit la vie dechacun, la jouissance s'impose à tous, sanspossibilité de régler symboliquement cedéferlement d'objets, ces changementsincessants. La jouissance est auxcommandes avec le discours <strong>du</strong> capitaliste,maître moderne, qui propose une fiction debien-être. Les exigences économiquesimposent rapidité et accélération, et gommentla dimension <strong>du</strong> temps, au mépris de la logiquesubjective (le temps logique).La civilisation scientifique et capitalisteméconnaît la place <strong>du</strong> symbolique dansl‟humain. Cela exclut la subjectivité, le singulier<strong>du</strong> sujet, et implique la forclusion <strong>du</strong> sujet, sujetparlant, pensant, discutant, contestant ; celaimplique la prévalence de l‟image et de samanipulation, aux dépens de la parole et detoute dialectique, et ceci de manière radicale.Le sujet est formaté à son insu vers unconformisme qui obéit à des idéaux relayés parles médias. Le surinvestissement de l‟espacevirtuel cache le désinvestissement de l‟espacepsychique. Ainsi la pensée est-elle délaissée auprofit de l‟action et des comportements.L‟inconscient, tout aussi intolérable qu'àl'époque de Freud, n'a pas de place dans cesystème : c'est un mensonge, une fabulation,cela n'existe pas. Au scandale de l'inconscient,répond un démenti : Cela ressemble audémenti <strong>du</strong> sujet pervers, "Je sais bien, maisquand même", puisqu'il s'agit de ne pas vouloirsavoir quand "tout le monde sait maintenantqu‟il y a un inconscient" 11 .Conséquences <strong>du</strong> démenti de l'inconscient,aujourd’hui16Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Claire HARMANDLe scandale de l‟inconscient aujourd‟huiUne clinique <strong>du</strong> malaise apparaît : desréactions pulsionnelles sans limites et sansparoles, la course vers de nouveaux objets, oula dépression, le mal-être.Le sujet qui exprime un malaise est considéré,dans la même logique, comme un objet dont lesphénomènes sont observables, isolables etregroupés en statistiques, tout peut être guéripar un savoir sans failles sur la biologie et lagénétique (et ce qu‟on ne sait pas encore, onva le découvrir un jour) ; le sujet n'est nicoupable ni responsable, la parole n‟a pasd‟intérêt.Le malaise et les réactions sont traités commedes désordres 12 , des altérations, desdérèglements par rapport à un ordre, l'ordre dela santé. On observe l'état dedysfonctionnement de l'indivi<strong>du</strong>, en référence àdes normes atten<strong>du</strong>es (exemple <strong>du</strong> rapport del'INSERM sur les troubles de con<strong>du</strong>ites chezl'enfant et l'adolescent). Dans ce systèmerigide, nouveau modèle <strong>du</strong> psychisme, on neparle plus de symptôme ; on ne considère plusle phénomène subjectif qui constitue selonFreud l'expression d'un conflit inconscient, etselon Lacan de l'ordre de la jouissance. Il y aune nouvelle façon d'accueillir le symptôme, unnouveau langage, une nouvelle logique : Pasde parole, pas de conflit inconscient, pas desymptôme.Pas de nouveaux symptômes, mais destroubles et des désordres, qu'il s'agit de traiterde manière univoque, pour les supprimer et neplus en entendre parler, dans une viséed'efficacité et de sécurité. Cette démarche, quifait confiance au seul signe "objectif" pris enlui-même, est empruntée à l'approche biomédicale,et on réclame à la science (médicale)de parer à cette déviation.Les symptômes ne sont plus seulementstructurés selon l‟Autre <strong>du</strong> langage, mais selonl‟Autre de la science (science au service <strong>du</strong>capitalisme généralisé)… ce qui provoque uneffet de suspens de l‟adresse et <strong>du</strong> transfert. Ilest devenu difficile aux « usagers - sujets » deconsentir à s‟engager dans le procès de lademande, de consentir à se resituer dans lediscours de l‟Autre et à prendre position ; tant lediscours courant vise à éviter le surgissement<strong>du</strong> signifiant <strong>du</strong> manque dans l‟Autre.La demande devient celle de la suppression <strong>du</strong>symptôme le plus vite possible, le sujet réclamela jouissance per<strong>du</strong>e, sans question sur lacause, ni sur son être, questions que lesymptôme pourrait amener. Fixé à sajouissance, il ne croit pas à son symptôme. Ilréclame à l‟Autre ce qu‟il considère comme undû, ce qu‟ont les autres et qu‟il n‟a plus, tant lavérité est celle des autres.Avec le scandale de l‟inconscient, qui nousrend étranger à nous-mêmes, et fait objection àl'idéal de jouissance pour tous, la psychanalysedérange. "Faut-il en finir avec lapsychanalyse ?" titre le Nouvel Observateur <strong>du</strong>1 er septembre 2005, après la parution <strong>du</strong>« Livre noir de la psychanalyse ». Lapsychanalyse échappe à toute politique desurveillance et de mise aux normes, parcequ‟elle part de l‟énonciation <strong>du</strong> sujet et de sademande, prenant en considérationl‟inconscient, la division <strong>du</strong> sujet, la singularitéde son histoire, le manque qui le frappe,condition de son inscription dans les relationshumaines. C‟est une expérience qui transformeun sujet, l‟ouvre à la responsabilité, l‟initiative,l‟esprit critique : toutes choses dérangeantesqui ne le con<strong>du</strong>isent pas à viser en premier lieula jouissance des biens <strong>du</strong> marché.Les critiques de la part d‟idéologies issues desneurosciences et des théories cognitives etcomportementales, qui n‟ont pas varié depuisles premiers travaux de Freud, reçoiventdésormais le soutien actif de l‟État pour sanouvelle gestion bureaucratique de la « santémentale ».Ce qu‟on ne pardonne pas à la psychanalysec‟est de ne pas répondre à la demande debonheur que l‟analyste s‟offre de recevoir.Un autre type de conséquences se retrouve parexemple dans les discussions autour <strong>du</strong>scandale <strong>du</strong> procès d'Outreau. Dans un texteintitulé "L'inconscient, le grand absent" 13 ,Samuel Lepastier (psychanalyste SPP) écrit enfévrier 2006 dans le journal Le Monde que "lafaillite observée est celle des conceptionspsychopathologiques qui animent la lutte contrela pédophilie depuis un quart de siècle environ… Les experts, spécialistes éminents, ont étéaveuglés par leur méconnaissance revendiquée<strong>du</strong> psychisme inconscient, tel qu‟il estappréhendé par l‟expérience psychanalytique. Ily a plus d‟un siècle, Freud avait constatél‟absence totale d‟indices permettant dedistinguer la vérité <strong>du</strong> fantasme. Cependant,loin de considérer ses patients comme desaffabulateurs, il a distingué la "vérité matérielle"(qui pourrait relever d‟une condamnationpénale) de la "vérité historique" (qui structurel‟histoire <strong>du</strong> sujet). Il en conclut à l‟existence depulsions sexuelles dès la plus tendre enfancedont la manifestation la plus aboutie constituaitle complexe d‟Œdipe. Enfin, il a considéré quele fantasme de sé<strong>du</strong>ction sexuelle étaitoriginaire, autrement dit qu‟il pouvait êtreretrouvé chez tout le monde. La volonté deAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES17


Claire HARMANDLe scandale de l‟inconscient aujourd‟huibannir la vie psychique inconsciente dans lapsychiatrie athéorique con<strong>du</strong>it à une cascadede conséquences … Chaque fois que le refusde la pensée et le mépris de la culture sontrevendiqués, la place de la démocratie setrouve rapidement remise en question" 11 .En réaction à ce texte, Mikkel Borch-Jacobsen,enseignant en philosophie à l'université deWashington, coauteur <strong>du</strong> Livre noir de lapsychanalyse, se demande à quel titre lathéorie œdipienne classique est mieux établieque la théorie de la sé<strong>du</strong>ction abandonnée parFreud en 1897. On ne voit pas pourquoi les"fantasmes" œdipiens seraient plus fiables queles "souvenirs" d'abus pédophile. L'abandon dela théorie de la sé<strong>du</strong>ction prouve seulementque Freud pouvait confirmer tout et n'importequoi 14 .Fantasme ou réalité, c'est une difficile questionpour les psychiatres nommés experts, et on nepeut pas dire qu'il suffise de prendre en comptel'inconscient pour trancher…L'inconscient ne justifie ni ne prouve rien engénéral, c'est pourquoi, dans le séminaire "D'unAutre à l'autre", Lacan le replace dans lapratique analytique :L'inconscient dans la pratiquepsychanalytique"Qu‟il y ait une théorie de la pratiquepsychanalytique, assurément. De l‟inconscient,non… Parler de théorie de l‟inconscient, c‟estvraiment ouvrir la porte à cette déviationbouffonne… qui s‟est déjà étalée sous le termede psychanalyse appliquée, et qui a permistoutes sortes d‟abus" 15 . Dans la pratique, lapsychanalyse pose la règle fondamentale del‟association libre, avec le rêve comme « voieroyale vers l‟inconscient".On y retrouve la question sur le fantasme et laréalité, comme dans cet exemple : Un patienten analyse depuis plusieurs années, fait unrêve très "lourd" : A<strong>du</strong>lte, il est allongé à côtéd'un enfant nu, ils font l‟amour ; les images,l‟atmosphère, les gestes sont très précis ;l'enfant lui demande si c‟est normal, et il lerassure, lui dit que oui. Il est très troublé par saposition de pédophile dans le rêve. Sesdifficultés sexuelles sont plutôt de l'ordre del'inhibition et de la peur de l'engagement. Apartir de rêves dans l'analyse, il s'est souvenutrois ans auparavant d'un épisoded'attouchements sexuels par un ami de lafamille, et de son trouble face à la jouissancesexuelle de cet homme. Il se souvient surtoutde son attachement à cet homme pendant touteson enfance, de l'importance que celui-ci luidonnait, à lui, petit : il pouvait alors seconsidérer comme un grand, plus important queles autres, au-dessus d'eux. Dans ce rêve, sesparoles d'a<strong>du</strong>lte sont exactement celles quel'homme lui avait adressées, et les paroles del'enfant sont les siennes à l'époque. Il sedemande si le rêve inverse ce qui aurait eu lieu,et dit que non, les choses ne se sont paspassées ainsi, mais ça a la même valeur que siça c‟était passé, valeur de jouissance pouvonsnousdire. Il voit alors ce qu‟il refusait de voirdepuis si longtemps : que cette relationamoureuse d'enfant avec l'homme étaitterminée, et qu‟il la maintenait, faisant commesi ce n‟était pas fini. Il ne savait pas qu'il vivaitavec le désir de continuer cette relation. Il estsoulagé de pouvoir enfin en accepter la fin. Ilvoit qu'il avait interprété les faits (car il y a euabus sexuel) selon son désir d'être important. Ildécouvre qu'il s'agit <strong>du</strong> désir d'être le plusimportant pour sa mère, désir de petit garçonpour sa mère, désir soutenu par un fantasmede supériorité, fantasme actif dans tous lesdomaines de sa vie et inaperçu de lui-mêmependant longtemps. Cela permet que per<strong>du</strong>redans la jouissance sa relation infantile avec samère ; relation inconsciente qu'il a commencé àapercevoir dès le début de son analyse.Dans un autre cas : Les rêves d'une jeunefemme hystérique montrent son attachement àson père, son désir pour lui : elle rêve souventqu'elle fait l'amour avec lui, ce qui n'a pas eulieu. Le travail d'analyse l'amène à dire que cedont elle se plaint, sa difficulté amoureuse,l‟arrange, parce que ainsi elle garde sa relationà son père, plus exactement au père tel qu‟ellese l‟imaginait, petite. C‟est un système solide,dans sa tête, dit-elle. Elle est fixée à uneposition de jouissance intacte depuis sonenfance, avec le fantasme qu‟elle est l‟uniquepour son père, qui la désire en tant qu‟enfant.Elle ne le lâche pas, elle ne veut pas grandir.Un sujet qui parle à un psychanalyste dans letransfert, qui s‟accepte comme effet designifiant, "ouvre les yeux", voit où il est, àquelle place il se met et met les autres. Ilreconnaît que "ça parle", et pourra dire dansl'après-coup que "ça s‟est dévoilé".Dans les propos qu'il adresse aupsychanalyste, autre chose s'indique que cequ'il croit qu'il dit. Ainsi, tel autre patient n‟estpas "à la hauteur" dans son travail, il n'est pas àla hauteur … d‟aider son père psychotique ettoxicomane. Il fait des efforts incessants avectout le monde, … c'est son père qui sera"mal par sa faute" s‟il refuse de lui répondre. Lesignifiant "hauteur" fait glisser d‟un contexte àun autre, <strong>du</strong> travail au père, par mécanisme dedéplacement. Et en effet, comment serait-il à la18Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Claire HARMANDLe scandale de l‟inconscient aujourd‟huihauteur <strong>du</strong> père, lui, l'enfant (car l'inconscientest atemporel, le patient parle aussi de sa placed'enfant), enfant d'un père qui n'a jamais été àla hauteur ?Tous ces exemples concernent des sujetsnévrosés. Il en est autrement chez le sujetpsychotique. L‟inconscient est "à ciel ouvert".Un défaut, une faille chez le sujet, ou chezl‟autre peut le mettre devant une béance, et leprécipiter dans un gouffre où il n‟a plus depoints de repère. Il n'est donc pas question derévélation de ce qui aurait été refoulé, mais deconstruction de la vérité <strong>du</strong> sujet, constructionqui pourrait pallier le défaut de la structure, ledéfaut de nouage RSI.L’inconscient dérange, c'est "de structure"On peut nier l'inconscient, mais on ne peut pasle rayer. Les négations et diverses tentativesd‟adaptation ne feront pas disparaîtrel‟inconscient tant qu'il y a des sujets parlants.Encore faut-il qu'il y ait quelqu'un pour y croireet pour le déchiffrer … c'est pourquoi Lacan ditque l'analyste fait partie de l'inconscient.Quant à la psychanalyse, souvenons-nousqu‟elle a été l‟invention de Freud face àl‟inadéquation des réponses médicales etscientifiques aux étranges symptômes deshystériques, hystériques historiques* qui n‟ontcessé de l‟obliger à remettre en cause sathéorie. Les hystériques, rayées dans laclassification <strong>du</strong> DSM, n‟ont pas disparu.Faisons leur confiance, elles ne se tairont pasde si tôt. Elles ont donné <strong>du</strong> fil à retordre àFreud et ne manqueront pas d'en donner àceux qui déconsidèrent leur souffrance.Prendre en compte l‟inconscient, c‟est sedonner la possibilité d‟accéder à une vérité quiresterait verrouillée. Le travail analytique dansla cure apporte un gain de savoir, on sait deschoses qu‟on ne savait pas, ce qui ne semaîtrisait pas peut le devenir. Mais face àl‟inconscient comme réel qui ne s‟aperçoit quedans l‟expérience de l‟analyse, le sujet recule.Par exemple : Un patient rêve qu‟il tue un êtreaimé. Il commente ensuite tous les détails <strong>du</strong>rêve, sauf ce point-là … l'analyste le souligne,ce qui provoque la colère <strong>du</strong> patient à sonégard. Il y a chez tous les êtres humains destendances agressives et meurtrières, dit-il, saufchez lui. Il n‟est pas question d‟accepter cetteidée surgie <strong>du</strong> rêve. S‟en suit une fermeture, unrefus de l‟inconscient. La pulsion de mort estaussi un scandale.Le travail de l‟analysant est un exercice difficilecar il dérange, il con<strong>du</strong>it vers ce qu‟on ne veutpas savoir. Le sujet ne sait pas où il va, et il va"vers le réel", dit-on dans la théorie : cela veutdire vers l‟impossible à dire et à imaginer,l‟intolérable. (C‟est pourquoi l‟enthousiasmepour la psychanalyse peut être suspect.) A lafin de l‟analyse, s'il consent à cet impossible, ilne s‟y arrête pas pour autant, ce serait la mort,il continue à parler, imaginer, vivre. S‟il passe àl‟analyste, il est invité par Lacan à "reprendre lebâton <strong>du</strong> psychanalysant", faute de quoi lafermeture logique de l‟inconscient l'amène à neplus savoir quelle est "sa dépendance àl‟endroit d‟un certain fantasme" 16 , ce qui feraitempêchement dans sa position d‟analyste.L‟inconscient est un scandale. Il nous dérange.Admettons-le, pour nous-mêmes, et œuvronspour qu‟il se révèle, autant qu‟il peut l‟être c'està dire très partiellement toujours, tant chezchacun d‟entre nous que chez ceux que nousécoutons et rencontrons.L'insaisissable inconscient est inéliminable, caril se trouve que l'homme parle, qu'il est un"parlêtre", et que son être a des ratés, desratages, des retours, des trous, des trouvailles,des blancs, des battements, desachoppements, toutes indications qu'il voudraittant éviter parce qu'elles tendent à briser l‟unitéimaginaire et s‟opposent à la jouissance.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES19


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Véronique SIDOITaffection corporelleaffection corporelleVéronique SIDOITEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienLorsque Michel Coddens m‟a proposéd‟intervenir sur le thème des “nouveauxsymptômes”, j‟ai pensé qu‟un terme pouvaitépingler d‟une certaine façon notre époque,celui de la promotion des corps, une promotionaussi bien dans son versant d‟affection Ŕaffectionner son corps - que dans son versantd‟affect, un corps affecté, voire ravagé.Les discours actuels sur le corps et les pratiquesqui le mettent en jeu font florès, en témoignentn‟importe quel magazine, émission de TV ouforum Internet. Mais ces discours témoignentsurtout d‟une grande confusion, confusion descorps d‟une part, des différentes dimensions <strong>du</strong>corps, et confusion des registres et desinstances d‟autre part où le sujet et l‟inconscientdisparaissent au profit <strong>du</strong> moi et de l‟imaginaire.Mais est-ce pour autant que l‟on peut parler desymptôme dans ces affections <strong>du</strong> corps ? Unsymptôme social, peut-être, au sens où un écartest relevé par rapport à un discours, une normeou un idéal, mais un symptôme au sensanalytique, ce n‟est pas sûr. Dès le début de lapsychanalyse, dans “Intro<strong>du</strong>ction à lapsychanalyse”, Freud s‟attache à distinguer lesymptôme analytique <strong>du</strong> symptômepsychiatrique, le symptôme névrotique,subjectivé, <strong>du</strong> “symptôme typique” (c‟est-à-diregénérique) en avançant que « les symptômesnévrotiques indivi<strong>du</strong>els ont un sens (…qui…)réside dans les rapports qu‟ils présentent avecla vie intime » <strong>du</strong> patient.Lacan formalisera le symptôme ainsi définicomme un message à déchiffrer, une« métaphore (qui est le mécanisme) même oùse détermine le symptôme au sens analytique.Entre le signifiant énigmatique <strong>du</strong> trauma sexuelet le terme à quoi il vient se substituer dans unechaîne signifiante actuelle, passe l'étincelle quifixe dans un symptôme, - métaphore où la chairou bien la fonction sont prises comme élémentsignifiant, - la signification inaccessible au sujetconscient où il peut se résoudre 1 ». Noussommes là dans les années 50 où Lacan abordele symptôme dans sa dimension signifiante,structuré comme un langage, et il précise quec‟est une parole car elle « inclut le discours del'autre dans le secret de son chiffre 2 ». Maisl‟évocation <strong>du</strong> trauma sexuel et les mots qu‟ilemploie “l‟étincelle qui passe” laissent entendrela dimension autre <strong>du</strong> symptôme, dimensionlibidinale, de jouissance sur laquelle il mettral‟accent dans les années 70… On peut doncavancer que le symptôme analytique est uneécriture de l‟inconscient qui noue ce que Freudnommait “la vie intime” et que l‟on peut appeleravec Lacan la jouissance <strong>du</strong> sujet, et le langage.Cette conception <strong>du</strong> symptôme comme lenouage singulier <strong>du</strong> Symbolique et <strong>du</strong> Réel pourun sujet, de ce qui pour lui est réel, permet ainsiune répartition entre symptôme social etsymptôme particulier, symptôme <strong>du</strong> sujet.Mais si ce sont les conditions nécessaires pourqu‟un symptôme soit analysable, on peut direqu‟elles ne sont pas suffisantes ; en effet, il fautque le sujet ait l‟idée de l‟existence de cediscours de l‟autre inscrit dans le chiffrage deson symptôme, qu‟il veuille bien supposer queson symptôme signifie quelque chose qu‟ilignore, qu‟il lui fasse donc énigme et que decelle-ci, il veuille en savoir quelque chose.Ces conditions dépendent, en partie, <strong>du</strong>discours de l‟Autre social. Lacan a régulièrementavancé que la découverte de la psychanalyseest liée à l‟avènement <strong>du</strong> discours de la sciencemoderne, celle <strong>du</strong> cogito ergo sum, qu‟avant cecogito cartésien, la psychanalyse ne pouvait pasexister. De même nous savons aussi qu‟il a, àplusieurs reprises, avancé que rien nepermettait de dire que la psychanalyse existeraittoujours, que le discours analytique pourraitsinon faire la pièce aux autres discours (de lascience et <strong>du</strong> capitalisme), <strong>du</strong> moins per<strong>du</strong>rer1 J.Lacan, “L'instance de la lettre dans l'inconscient”, Ecrits,Seuil, Paris, 1966, p. 518.2 J.L “Fonction et champ de la parole”, Ecrits, Seuil, Paris,1966, p.160.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES21


Véronique SIDOITsous leur emprise. Le discours de l‟autre quis‟inscrit dans le chiffrage <strong>du</strong> symptôme <strong>du</strong> sujetest certes celui de son Autre, son Autre privé,mais aussi celui de l‟Autre social, celui dans lediscours <strong>du</strong>quel nous baignons…. Je ne saispas si Lacan a dit « l‟inconscient c‟est lesocial », comme c‟est souvent évoqué, je n‟aijamais mis la main sur cette citation, mais parcontre, qu‟il n‟y ait pas de différence entrel‟inconscient et le politique, c‟est ce qu‟il avancedans le Séminaire La logique <strong>du</strong> fantasme 3 ,« L'inconscient c'est le politique ; l'Autre c'estaussi l'inconscient ». Que les discours ne soientpas sans effet sur les symptômes est d‟ailleurstrès connu, il suffit pour cela de se référer auxsymptômes hystériques … Ainsi, le discourscontemporain n‟est pas sans incidence sur lesformes <strong>du</strong> symptôme, mais aussi, et surtout, sursa réception par le sujet, sur son appréhension.Les discours contemporains, scientifique etcapitaliste, se particularisent pour l‟un deforclore le sujet, et pour l‟autre de forclore nonpas le sujet mais sa singularité … Peut-être quecette évolution <strong>du</strong> discours peut éclairer unedifficulté un peu plus marquée actuellementdans ce passage <strong>du</strong> symptôme social ausymptôme analytique, un discours où lesymptôme est soit rabattu <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> toutbiologique, soit pris dans la nasse <strong>du</strong> “tout psy”.Et c‟est là que l‟analyste est atten<strong>du</strong> pour que,de ces discours, émerge ce qui fera questionpour le sujet et le mettra ainsi au travail à l‟heurede son inconscient, via son symptôme.Je disais que celui-ci nouait symbolique et réel,mais non sans le corps, un corps souffrant, uncorps qui pâtit de la jouissance <strong>du</strong> symptôme…Lacan, dans son Séminaire si difficile sur Joyce,rappelle que “le symptôme est événement decorps lié à ce que l‟on l‟a 4 ”, un corps que “LOM”n‟est pas mais a, ce qui veut dire, nous dit-il,qu‟il peut faire quelque chose avec [ce corps].Ce peut être en faire le lieu d‟accueil <strong>du</strong>symptôme hystérique, ou s‟en servir pour fairesymptôme pour un autre corps, positionféminine, ou encore le choyer, le malmener, lemettre en jeu sur le marché… Que Lacans‟appuie sur Joyce pour nous parler <strong>du</strong> corpsn‟est pas sans intérêt, Joyce pour qui le corps,justement, ne prend pas consistance de corps,« ne veut rien dire ». Car, pour avoir un corps eten faire quelque chose, il faut en payer la dîme,dit-il, c‟est-à-dire s‟inscrire sous la marque de lacastration symbolique qu‟opère le langage sur lajouissance <strong>du</strong> corps. Dans ce texte, Lacan faitune précision intéressante pour nous3 J.Lacan, Séminaire Livre XIV La logique <strong>du</strong> fantasme,leçon <strong>du</strong> 10 mai 1967, inédit.4 J.Lacan, Joyce le Symptôme, Autres Ecrits, Seuil, Paris,2001, p.569.affection corporelleaujourd‟hui, à savoir que les tentatives faitespar la société pour que LOM n‟ait pas qu‟un seulcorps sont vouées à l‟échec… Peut-être que,pour pouvoir comprendre la raison de ce proposde Lacan, il est nécessaire de revenir plusprécisément sur ce qu‟est le corps.La question <strong>du</strong> corps, nous avons l‟habitude del‟aborder en nous référant aux différentsmoments de l‟enseignement de Lacan et de ledécliner selon les trois registres de l‟Imaginaire,<strong>du</strong> Symbolique et <strong>du</strong> Réel. Ainsi, nous avonsl‟abord <strong>du</strong> corps par l‟image. C‟est la prise <strong>du</strong>corps morcelé, de l‟organisme dans une imagespéculaire qui lui donne une forme et une unité,et dans laquelle le sujet se reconnaît. Ils‟identifie narcissiquement à cette image auniveau moïque et se constitue un corps qui faitmaintenant Un. Je ne vais pas développer lestade <strong>du</strong> miroir, mais nous savons bien sûr quece moment d‟identification via l‟image nécessitela présence de l‟Autre symbolique et qu‟il met enjeu la dimension libidinale, pulsionnelle del‟enfant. En témoignent tout aussi bien l‟échangede regard entre la mère et l‟enfant que l‟intensejubilation qui le saisit. Mais ce qui se constituepour le sujet, in fine, est sa captation dans uneimage qui devient le support de son corps et deson Moi. L‟identité corporelle s‟accompagned‟une identité mentale. D‟où l‟importance de laremarque de Lacan qui nous rappelle qu‟elles sedistinguent, que le rapport de l‟homme à soncorps n‟est pas un rapport d‟être, mais d‟avoir.Nécessité structurale, disais-je, de la présencede l‟Autre symbolique pour que le corps prenneforme spéculaire. C‟est même ce corpssymbolique qui, de s‟incorporer dans le corpsorganisme, fait le corps. Lacan a beaucoupparlé de l‟effet de mortification <strong>du</strong> signifiant. Ilemploie toute une série de termes pour indiquercette action <strong>du</strong> signifiant sur la jouissance :mortification, néantisation, meurtre de la chose,soustraction, perte de jouissance, vidage,désertification <strong>du</strong> corps…. L‟incorporation <strong>du</strong>langage dans le corps vivant, dans l‟organisme,opère une schize entre ce qui devient corps etun reste que Lacan, dans Radiophonie, nomme“la chair”. S‟en dégage deux dimensions <strong>du</strong>corps, ce qu‟on appelle le corps symbolique et lecorps réel. D‟une part, ce corps qui habite lelangage, ce corps <strong>du</strong> symbolique avecl‟équivoque <strong>du</strong> génitif “<strong>du</strong>” est devenu unsignifiant, et, en tant que tel, est mortifié, coupéde la vie et de la jouissance. L‟admission <strong>du</strong>corps dans le langage qui le décerne, ledécoupe en le nommant, le prive de sajouissance, cela c‟est l‟aspect perte, un "moinsde jouissance" dans un corps signifiant. Maisd‟autre part, le corps <strong>du</strong> symbolique permetaussi l‟inscription <strong>du</strong> signifiant dans le corps,signifiant qui pro<strong>du</strong>it un "plus de jouissance" en22Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Véronique SIDOITpermettant l‟extraction de l‟objet (a) commereste de la jouissance per<strong>du</strong>e. C‟est ladimension <strong>du</strong> corps que l‟on nomme réel, uncorps qui jouit aussi, chacun d‟entre nous le saitbien pour l‟éprouver ! Le signifiant fait marquesur le corps, ce que mémorisent les cicatrices,les tatouages, mais aussi découpe pulsionnelle.L‟inscription <strong>du</strong> signifiant dans le corps faitcoupure dans la jouissance en extrayant « lalivre de chair que paie la vie pour en faire lesignifiant des signifiants, comme telle impossibleà restituer au corps imaginaire 5 » nous ditLacan, à savoir le signifiant phallique. Lajouissance est morcelée selon les pulsionspartielles qui, d‟être prises dans les rets de lademande, s‟ordonnent autour d‟un objet plus-dejouiret se localisent dans ce qui fait coupure surle corps, les orifices corporels. Le corps jouitdonc, et la jouissance peut être définie par sesobjets, orale, anale, scopique ou vocale, peutêtre dite phallique si elle se range sous cesignifiant <strong>du</strong> phallus, peut se rattacher à l‟objet<strong>du</strong> fantasme, se loger dans le symptôme ; toutesces jouissances sont pro<strong>du</strong>ites et permises parle signifiant et viennent à la place, se substituentà la jouissance primordiale. Mais une part dejouissance peut aussi échapper au signifiantphallique, une jouissance dite alors jouissanceautre. Cette jouissance, féminine en tant qu‟elleéchappe à la part phallique <strong>du</strong> parlêtre, estparticulièrement difficile à cerner mais concernetellement le corps que Lacan en viendra à parler<strong>du</strong> corps comme étant l‟Autre, mais un Autre quiéchappe totalement à toute saisie, à touteappréhension. Car s‟il l‟a, son corps, le sujet necontrôle pas pour autant sa jouissance !Laissons ces développements et revenons à laremarque de Lacan dans le Séminaire sur Joycesur les tentatives de la société pour que LOMn‟ait pas qu‟un seul corps. En déclinant cesdifférentes approches <strong>du</strong> corps, il m‟est apparuque les pratiques et les usages de la sociétéquant au corps s‟attachaient justement à leconsidérer sous une et une seule dimensionqu‟elle isole et à laquelle elle voudrait le ré<strong>du</strong>ire.C‟est bien en quoi ces tentatives sont vaines,car elles méconnaissent que le corps se définitde ces trois consistances que sont le réel,l‟imaginaire et le symbolique dans un nouageborroméen. Certes, ces différents abords sousentendenttous un nouage avec les deux autresdimensions, mais la nouveauté qu‟intro<strong>du</strong>itLacan avec le nœud est que ces troisdimensions sont maintenant équivalentes. Cequi donne au corps une consistance tout à faitautre, chaque dimension s‟étoffant de sontressage avec les deux autres.5 J.Lacan, La direction de la cure, Ecrits, Seuil, Paris, 1966,p.630.affection corporelleDans ce même Séminaire, Lacan nous préciseque LOM c‟est par son corps qu‟on l‟a. Et c‟estbien que visent le discours <strong>du</strong> capitalisme et lediscours de la science.Le discours capitaliste se spécifie de promouvoirla jouissance, d‟établir un rapport direct entre lesujet et une jouissance sans entraves, un sujetidentifié par sa jouissance en quelle sorte. C‟estce que nous retrouvons dans ces associationsqui regroupent des sujets sous le signifiant deleur jouissance… Les Alcooliques Anonymessont bien connus, mais faites un petit tour surInternet et vous verrez une multitude de cesassociations qui identifient les sujets, lesHypochondriaques Anonymes, lesOutremangeurs Anonymes pour lesboulimiques-vomisseurs, etc., … Que le corpsde ce sujet <strong>du</strong> discours capitaliste soit auxpremières loges n‟a donc rien de biensurprenant… Un corps que l‟on entretient, quel‟on montre, que l‟on peut faire rectifier àl‟occasion s‟il n‟est pas assez aimable, un corpsnarcissique dont on jouit, nul besoin de chercherdes exemples très loin. C‟est aussi un corps quifait marcher le commerce, qui peut jouir aussi àl‟aide d‟une multitude d‟objets de consommationqu‟on lui propose… Mais ce peut être aussi uncorps dont on veut tirer de la jouissance, commeles con<strong>du</strong>ites à risques de certains sujets,certaines pratiques sexuelles qui se développentet qui utilisent des techniques de ligature <strong>du</strong>pénis ou des testicules pour obtenir unejouissance accrue, jusqu‟aux snuff movies, cesfilms qui circulent sous le manteau et quiprésentent des scènes de tortures puis demeurtres réels…. Ce sont des extrêmes, maislà, nous voyons vraiment un corps utilisé commeun objet de pure jouissance, un équivalentd‟objet a en quelque sorte.La négation de la castration qui est au principe<strong>du</strong> discours capitaliste se vérifie dans son usagedes corps mis au service d‟une jouissancegénéralisée. Un autre discours contemporain <strong>du</strong>discours capitaliste d‟ailleurs se prévaut ausside cette tentation de nier la castration, maisdans un usage autre <strong>du</strong> corps.C‟est le discours de la science qui essaye deré<strong>du</strong>ire le sujet à un être “tout biologique”,déterminé par ses gènes, ses synapses, sesneurones, etc., un sujet que l‟on a lui aussi parson corps … Les recherches scientifiquesactuelles (les PMA, le clonage, les greffes, etc.)tendent à considérer ce corps comme unemachine que l‟on peut réparer, modifier,observer sous toutes ses facettes, forcer audelàde ses possibilités naturelles, bref, veulentconsidérer le corps comme un corps désertifiéde sa jouissance, un corps pur symbole. Il s‟agitpour la science d‟abolir la castration effectuéeAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES23


Véronique SIDOITpar le langage en faisant coïncider le corpssignifiant et ce reste qui échappe, la chair. Lavie et la mort, c‟est ce qu‟il s‟agit de maîtriser,ainsi que nous l‟indiquent ces quelquesdéclarations :« Il faut améliorer génétiquement l'espècehumaine, rendre l'ADN humain parfait, afin queles gens soient moins atteints de maladies, plusintelligents et vivent plus longtemps 6 ». (RobertEdwards, pionnier des enfants éprouvettes etexpert en diagnostic pré-implantatoire enAngleterre).« Il faudra que certains aient le couraged'intervenir sur la lignée germinale sans être sûr<strong>du</strong> résultat. De plus, et personne n'ose le dire, sinous pouvions créer des êtres humainsmeilleurs grâce à l'addition de gènes (provenantde plantes ou d'animaux), pourquoi s'en priver ?Quel est le problème ? 7 « . (James Watson, codécouvreuravec Francis Crick de la structure del'ADN. Prix Nobel 1962).Ces deux discours, en voulant faire fi de lacastration et de l‟impossible d‟une jouissancetoute, rabattent le symbolique sur l‟imaginaire,un imaginaire où le moi et le corps trouvent leurancrage. Que les sujets qui souscrivent à cesdeux discours en tirent un gain de jouissance,c‟est vérifiable à tout moment, mais je reprendslà une question qui a été soulevée à Marseillelors de la Journée nationale des Collègesclinique sur la névrose : est-ce que cettejouissance concerne la psychanalyse ? Tantqu‟elle ne fait pas symptôme pour le sujet, enquoi la psychanalyse devrait-elle s‟en saisir ?C‟est peut-être là d‟ailleurs l‟occasion pour ellede se démarquer de tout ce que le mot “psy”véhicule dans l‟imaginaire des sujets.Mais il arrive qu‟elle fasse symptôme, etnotamment dans sa rencontre avec le discoursscientifique, ou <strong>du</strong> moins avec un de ses dérivésqu‟est le discours médical. La jouissance <strong>du</strong>corps à travers la maladie ne trouve pastoujours à se réguler selon le discours de lascience, que cette maladie soit symptômehystérique, symptôme somatique ou maladieorganique. Et face à cette objection <strong>du</strong> réel, réelde la jouissance <strong>du</strong> corps et/ou réel de lamaladie, nous assistons de plus en plus à unglissement d‟une conception <strong>du</strong> corps purementsymbolique, le corps-machine, à une conceptionentièrement imaginaire “c‟est le tout psy”. Cettepsychosomatisation généralisée, qui s‟appuie6 In “Va-t-on modifier l‟espèce humaine ?”, Le Nouvelobservateur, doc. N°10, p.80 (propos tenus en 1990).7 Courrier International 21 décembre 2000. Proposprononcés lors <strong>du</strong> symposium de 1998 à UCLA sur lathérapie germinale (modification génétique d'humains).affection corporellesur le modèle <strong>du</strong> symptôme hystérique, est letémoignage le plus flagrant des effets conjuguésdes discours de la science et <strong>du</strong> capitalisme quesont la confusion des corps et le règne del‟imaginaire avec son pendant qui estl‟insupportable de la castration, de la mort, <strong>du</strong>réel.Alors, pour conclure, je voudrais juste en direquelques mots parce que ce discours, marquépar un glissement sémantique entrepsychosomatisation et psychosomatique mesemble particulièrement nocif pour le sujetatteint dans son corps, et pour la psychanalyse,pour sa crédibilité même. Car, dans nosdiscours aussi, la confusion règne parfois. Ilsuffit de lire ce qui s‟écrit à ce sujet pour enavoir un aperçu. Il est vrai qu‟il est parfoisdifficile de s‟y reconnaître, tant ce qui touche aucorps et aux mystères de la vie nous échappent.Mais nous pouvons quand même tâcher d‟avoirquelques repères.La causalité psychique <strong>du</strong> symptôme a été miseen valeur spécialement par le sujet hystériquevia son symptôme, symptôme de conversion ;ça a été la révélation que l‟inconscient avait uneffet sur le corps. La résolution <strong>du</strong> symptômepar l‟interprétation signifiante a mis en valeur lespouvoirs de la parole et la dimension <strong>du</strong> corpscomme un corps parlant. Que le corps tra<strong>du</strong>isedans des atteintes fonctionnelles des conflitspsychiques ou qu‟il réagisse à l‟équivoquesignifiante, en tant que celle-ci articule signifiantet jouissance, est parfaitement congruent avecle fait que le corps se constitue par l‟autreimaginaire et dans l‟Autre symbolique. Saisiepar le symbolique et l‟imaginaire de l‟organismequi devient corps, mais sans l‟y ré<strong>du</strong>ireentièrement. Une part de celui-ci échappe àcette prise, ce que nous avons l‟habitude denommer le corps réel. Nous avons ainsi les troisdimensions <strong>du</strong> corps, symbolique, imaginaire etréel.Lacan a parlé des phénomènespsychosomatiques, Ŕ toujours de phénomènes,non de structure ni de symptôme Ŕ d‟une part(Séminaire XI) comme effet d‟un achoppementdans l‟articulation signifiante, l‟holophrase, cequi a pour effet que le sens (l‟imaginaire, donc)est gelé et que l‟objet a (la jouissance) resteincluse dans le PPS, donc dans l‟atteintelésionnelle <strong>du</strong> corps. D‟autre part, dans laConférence de Genève, il avance que le PPSest quelque chose qui est écrit dans le corps ;on est <strong>du</strong> côté de la lettre et de la jouissance,plus <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> signifiant et de la signification, lecorps étant comme le cartouche qui contient lalettre qui nomme le sujet. Nomination qui estdévolue au signifiant <strong>du</strong> Nom <strong>du</strong> père, lorsqu‟iln‟y a pas d‟anicroche.24Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Véronique SIDOITNous voyons donc qu‟il s‟agit, dans cesphénomènes, de quelque chose qui se passe auniveau de l‟opération de transformation del‟organisme en un corps significantisé, et qu‟ilsconcernent un corps circonscrit, marqué par cesopérations signifiantes. Corps symbolique etimaginaire, mais aussi corps réel en tant quecelui-ci est bordé par le symbolique etaccessible par l‟imaginaire. Je pense que lemalenten<strong>du</strong> ou la confusion qui existe concernela difficulté à appréhender ce dernier, le corpsréel. D‟où une imaginarisation de celui-ci enmiroir <strong>du</strong> corps parlant. Comment expliquersinon les glissements qui se font, jusqu‟à allermaintenant soutenir une causalité psychique àdes maladies létales telle le cancer, ouneurologiques telle la sclérose en plaques ? Lecorps réel, tant que nous le pensons comme uncorps pulsionnel, (donc affecté par lesymbolique), ou comme un corps organique,composé d‟organes (donc pris quand mêmedans le symbolique et l'imaginaire, puisquenommé et saisi dans des formes) nous est d‟unecertaine façon appréhendable. Mais il y a uneautre dimension qui nous échappecomplètement, le réel <strong>du</strong> corps réel, ce queLacan appelle le vivant, ou la jouissance de lavie, qui est le processus même de la vie … Etc‟est ce réel <strong>du</strong> corps réel, me semble-t-il, quiest visé dans cette dérive psychosomatique, unetentative de mettre <strong>du</strong> sens sur ce qui estabsolument hors sens, ce trou réel dans le corpsréel. Tentative d‟imaginarisation <strong>du</strong> réel quiparticipe aussi d‟une tentative de dénier lacastration, d‟où son succès actuel.Lorsque le sujet se sait atteint d‟une maladiegrave, ce qui surgit pour lui est ce réel de la vieet de la mort ; les propos de certains patientsme font penser que le surgissement de cettedimension réelle <strong>du</strong> corps obère les expressionsde jouissance <strong>du</strong> corps articulées ausymbolique : arrêt de la jouissance pulsionnelle,orale et sexuelle notamment, l‟envahissementde la vie <strong>du</strong> sujet par ce réel peut d‟ailleurs leprécipiter dans le passage à l‟acte suicidaire. Uncollègue travaillant dans un grand hôpital poursujets atteints de cancer me signalait que laaffection corporelleplupart des suicides ont lieu dans les cinq moissuivant l‟annonce de la maladie. Il me sembleque les propos de Lacan sur la peur que nousavons de notre corps, sur l‟angoisse qui surgitlorsque nous avons le soupçon d‟être ré<strong>du</strong>it ànotre corps, ces propos si parlants et en mêmetemps si complexes s‟éclairent à être mis enrapport avec ce réel <strong>du</strong> corps réel qui surgit.Ce réel échappe à toute prise et, si les sujetsatteints tentent de l‟inscrire dans descoordonnées symboliques et imaginaires, c‟estpour subjectiver quelque chose de leur histoire.Il est particulièrement difficile, lorsqu‟un sujet yest confronté dans sa réalité de sujet, de ne pasrecouvrir par <strong>du</strong> sens le non-sens de la vie, dene pas inscrire le réel de la mort dans quelquechose qui fait trame symbolique. Que le sujet s‟yemploie lorsqu‟il est concerné par ce réel, celarelève de son choix, et cette construction nepeut être que singulière, une construction quin‟est pas d‟ailleurs de causalité mais de travaild‟inscription.Le discours psychosomatique ne peut pasconcerner le réel <strong>du</strong> corps réel, parce que celuiciéchappe à toute dimension symbolique. C‟estle trou de la vie que Lacan situe dans le nouageborroméen entre la consistance <strong>du</strong> corps et leréel, un trou réel, dit-il. Ceci peut être notrepremier point de repère, la psychosomatique neconcerne que le corps en tant qu‟il estaccessible par le signifiant. Un autre point derepère, un point qui me semble particulièrementparlant et que je dois à ce collègue est laprésence, dans le PPS, de la discontinuité, del‟alternance, comme dans un battementsignifiant. Cette alternance est de jouissance,bien sûr, mais les PPS se caractérisent par leurspoussées, sont comme des pulsations dejouissance rythmées selon un battementprésence/absence, il y a ou il n‟y a pas. Cecipourrait être un second repère, la prise de lajouissance malgré tout dans le systèmesymbolique comme en témoigne cettesymbolisation minimale. Il y en auraitcertainement d‟autres à chercher, mais je vaism‟arrêter là.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES25


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ATELIERSAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES27


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Le bonheur obligé dans le coupleAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES29


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Anne-Marie DEVAUXOn s‟est trompé d‟histoire d‟amourOn s’est trompé d’histoire d’amourAnne-Marie DEVAUXForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonIl s‟agit de la mère d‟une analysante que, jeprécise, je n‟ai jamais reçue. Certainesparticularités de son histoire avaient attiré monattention. Aussi loin que remontaient sessouvenirs, mon analysante s‟était toujours sentieexclue par ce qu‟elle appelait l’amour entre sesparents. Un amour qui « les entourait de sonrempart » (J. Harpmann, L’apparition desesprits, p. 10) et la tenait, elle, à l‟écart. En toutecirconstance, sa mère privilégiait son mari audétriment même de ses enfants. Monanalysante en avait fait l‟amère expérience à denombreuses reprises. S‟agissait-il là d‟un amourpassionné, illimité, exclusif ? La question estlégitime, Lacan ne dit-il pas que les femmespeuvent aller très loin dans l‟amour pour unhomme ? Mais chez cette femme, le côté infiniet sans égards pour elle-même de cet amoursuggérait plutôt l‟absence de limites de lapsychose. Après de nombreuses tromperiesdont elle s‟était accommodée, son mari laprostitua afin, entre autres, de filmer ses ébatsavec d‟autres hommes et, dès lors, de satisfairesa perversion. Elle qui était si soucieuse <strong>du</strong>qu‟en dira-t-on et des convenances souscrivitsans recul à ces exigences, sans que le désir deson mari fasse énigme ou même question pourelle, pas plus que le sien d‟ailleurs. N‟était-il passon homme ? Contre toute évidence, cettefemme était convaincue de l‟amour, mais au prixde séparer radicalement amour et désir. Sondésir inconscient n‟était pas mobilisé, ni dans lelien à son mari, ni dans le choix des hommesqu‟elle rencontrait pour lui. Pour cette femme,repousser toujours plus loin les limites luipermettait de maintenir un Autre non barré etcomplet en l‟englobant d‟un amour parfait.Je me suis donc intéressée à une clinique de« l‟amour fou », c‟est-à-dire de l‟amour quand iln‟est pas corrélé à la signification phallique. Et jel‟ai pris <strong>du</strong> côté des femmes. Ce n‟estévidemment pas un hasard. L‟amour à la folie, latendance à se perdre dans l‟autre, le ravage,s‟inscrivent davantage côté femme. Freud l‟avaitdéjà remarqué, faisant de l‟état amoureux unprototype des psychoses. Quant à Lacan,s‟agissant des femmes, il précise qu’il n’y a pasde limites aux concessions que chacune faitpour un homme : de son corps, de son âme, deses biens, n’en pouvant mais pour sesfantasmes dont il est moins facile de répondre.(Télévision, pp. 63-64).Trait féminin que cette proximité avérée del‟amour avec la folie ? Ou trait de structure ? Lafolie d‟amour tient-elle à un point de forclusion ?Le défaut fondamental lié à la structurepsychotique se tra<strong>du</strong>it-il par une faillite del‟amour ? Par l‟impossibilité d‟un amour vrai ?De fait, même si les contes de la folie ordinairene sont pas absents dans la névrose, l‟amourfou ne se réalise que dans la psychose. Et cela<strong>du</strong> fait précisément de l‟absence structurale delimites. Partout ailleurs, la dimension de ratageet d‟échec Ŕ ce que Lacan appelle l‟impossible<strong>du</strong> rapport sexuel Ŕ vient y faire objection. Dansla psychose, la catastrophe symbolique de laforclusion se répercute sur le désir <strong>du</strong> sujet, sursa capacité à faire lien et sur son rapport auxsemblants. On conçoit donc que l‟amour, larencontre d‟un partenaire et l‟exercice de lasexualité peuvent confronter le sujetpsychotique au vide de la signification quandsurgissent les grandes questions existentielles :la naissance, la mort, la procréation, la filiation,le corps, le sexe, …Comment parler de l‟amour dans la psychose ?Ou plutôt, quels en sont les ressorts et laspécificité ?Lacan a reformulé à différents moments de sonenseignement la fonction de l‟amour dans lapsychose. Je m‟appuierai ici sur quelques-unesde ses élaborations pour éclairer ce qu‟il en estde ma pratique d‟analyste avec des sujetspsychotiques.Bien enten<strong>du</strong>, les personnes que j‟ai reçues neprésentaient pas les symptômesparadigmatiques d‟Aimée, de Schreber ou deJoyce. Mais, pour mes analysantes relevant dece qu‟on appelle la psychose ordinaire, larencontre amoureuse était toujours source dedifficultés : soit elle s‟étiolait dans une petite vieAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES31


Anne-Marie DEVAUXtranquille mais étriquée, soit elle virait à lapassion fatale avec ses effets ravageants pourle sujet. Cette alternative étroite m‟a fait songeraux commentaires de Lacan sur la théorie del‟amour au Moyen Age (Les psychoses, p. 287).Une première théorie, dite physique, se fondesur la conception aristotélicienne de la Nature etprône la philia, l‟amour d‟amitié. L‟autre théorieest dite extatique : l‟amour jette le sujet hors delui-même, le dépossède de lui-même, le rendex-statique. C‟est <strong>du</strong> fait d‟Eros, l‟amour fou. Laquestion qui se pose est de savoir commentarticuler ces deux amours sans que l‟un excluenécessairement l‟autre.Pour Lacan, l‟amour entre un homme et unefemme n‟existe que si l‟amour d‟amitié laisseune place au désir. Dans le champ de lanévrose, le manque lié à la castration et auphallus commande les scénarios et lesstratégies de l‟amour et <strong>du</strong> désir. On peutschématiser ce premier moment del‟enseignement de Lacan en rappelant que lechoix <strong>du</strong> partenaire est orienté par le fantasme.La formule <strong>du</strong> couple pourrait s‟énoncer : Je tedésire parce que tu es impliqué (e) dans monfantasme.A partir de 1974-1975 (RSI, le sinthome), Lacancomplète cette première thèse en ajoutant quele partenaire est investi à titre de symptôme :c‟est la thèse <strong>du</strong> partenaire-symptôme qui inclutdans le choix Ŕ inconscient Ŕ la dimension de lajouissance.Dans la psychose, c‟est en tant qu‟aimé, en tantqu‟objet donc, que le sujet rencontre sonpartenaire. Quand celui-ci se situe sur l‟axeimaginaire a-a‟, c‟est-à-dire quand le choixamoureux reste un choix narcissique, l‟amourphilia pare au déclenchement. Quand le circuitinclut l‟élaboration fantasmatique, c‟est-à-direquand le partenaire ne se ré<strong>du</strong>it pas ausemblable, les risques de déclenchement sontplus sérieux. Parce que ce que rencontre alorsle psychotique, c‟est le désir non symbolisé del‟Autre, un désir non déterminé par lasignification phallique, c‟est-à-dire une énigmeabsolue qui se présente plutôt sous la guised’une volonté que sous la guise d’un désir (C.Soler, La querelle des diagnostic, p. 153) Ledéclenchement, c‟est la réponse <strong>du</strong> sujet à cettesituation : il se fait objet venant complémentercet Autre non barré, confon<strong>du</strong> avec l‟Autreprimordial (maternel).C‟est en ce sens que, pour Lacan, en 1956, lepsychotique est en quelque sorte assigné àrésidence. S‟il quitte le socle stable de l‟amourphilia, il risque le déclenchement.Cette difficulté résulte <strong>du</strong> rapport particulier queOn s‟est trompé d‟histoire d‟amourle sujet entretient avec l‟Autre. Dans lapsychose, en effet, le signifiant <strong>du</strong> Nom <strong>du</strong> Pèrene vient pas métaphoriser le signifiant premier<strong>du</strong> désir de la mère. Cette coupure faisantdéfaut, le phallus comme signifiant ne peut venirsymboliser ce qu‟il en est de la jouissance. Leseffets de « tempérament » de la jouissance nese pro<strong>du</strong>isent pas. C‟est dire que la jouissancen‟est pas appareillée au signifiant, elle n‟est pasnégativée, pas symbolisée par le -castration. Faute de cette boussole phallique, lepsychotique est livré à la jouissance de l‟Autre.Un Autre féroce, obscène ou pervers, selon lescas, mais toujours habité d‟une volonté dejouissance dont le sujet pâtit et qui le ré<strong>du</strong>it àl‟état d‟objet.La relation amoureuse est propice à ce type decourt-circuit où le sujet s‟offre comme objet dejouissance de l‟Autre.Dans le séminaire III, Lacan démontrebrillamment la nécessité pour l‟être humain desoutenir son rapport à l‟autre (son semblable)par la parole. En toute rigueur, il en dégage lessuites logiques en nommant « grand Autre » lelieu de la parole. Aucune intersubjectivité nepeut s‟envisager sans le passage par le lieu del‟Autre. D‟autant que c‟est de ce lieu que le sujetreçoit la signification de son message.C‟est ça qui fait problème dans la psychose : <strong>du</strong>fait de la forclusion, manque « le caractèreinstituant de la parole pleine » (M-H. Briole) quipose l‟Autre comme élément tiers entre le sujetet l‟autre. Ne reste de l‟Autre que « la forme dela parole », « une enveloppe », « une ombre »,« une coque », dit Lacan (Les psychoses, p.288). Et il précise : « Là où la parole estabsente, là se situe l’Eros <strong>du</strong> psychosé, c’est làqu’il trouve son suprême amour. » (Id., p. 289).Risquent de s‟ensuivre les errances imaginaires,les interprétations délirantes, les con<strong>du</strong>itesmortifères caractéristiques de l‟amour fou. Neprenant pas appui sur un dire, cet amours‟épanouit sur une interprétation qui fait signe ausujet et qui emporte sa conviction : un regard,un geste, une élucubration sur le nom. Au termede ce processus, on a l‟érotomanie.Mais ce n‟est pas une fatalité. Certains sujetsont un curieux savoir (Mais quel statut luidonner ?) qui les fait se mettre à l‟abri desravages de cet amour. Ainsi, la « passion de lanormalité », loin d‟être une forme dégradée del‟amour, apparaît comme la réponse <strong>du</strong> sujet àl‟absence de repère phallique. L‟idéal de vieconformiste vient en effet pallier l‟absence desconditions de l‟amour qui présidentgénéralement au choix <strong>du</strong> partenaire. Ce n‟estpas davantage une dialectique désirante quirègle ce choix (puisque ces sujets ne se sont32Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Anne-Marie DEVAUXpas séparés de la régence de l’Autre, selonl‟expression de C. Soler, ils restent aliénés ausignifié de l‟Autre.Lors des ateliers préparatoires à ce colloque,j‟avais déjà évoqué ce type particulierd‟accrochage à l‟autre que Lacan décrit dans leséminaire III. Il s‟agit pour ces sujets de prendreappui « sur une série d’identifications purementconformistes à des personnages qui leurdonneront le sentiment de ce qu’il faut faire pourêtre un homme. » Ces identifications sont desbéquilles imaginaires qui permettent au sujet unaccrochage à l‟image d‟un autre, d‟un semblableet qui assurent une stabilité de pureconformisme mais qui tient.Ainsi, de cette femme qui s‟était tenue à l‟écartd‟une vie de couple mais qui s‟était trouvé un« ami » qu‟elle voyait régulièrement. Elle avaitdonc un compagnon à présenter à sa famille età ses connaissances mariées. Elle n‟était plusseule. Il avait été choisi à l‟époque pour le « chicfou de ses tempes grisonnantes ».Ne disposant pas de la fonction phallique pours‟orienter dans l‟existence, cette femme s‟appuiesur son compagnon pour trouver une boussoleet un soutien. L‟amour et le désir de cet hommeviennent suppléer le sentiment d‟incapacitédouloureuse qui l‟habite depuis toujours et quine témoigne pas chez elle d‟une insatisfaction<strong>du</strong> désir, mais plutôt de son extinction. Le lien àson ami vient alors « agalmatiser » son image.La fragilité de cette solution tient à ce qu‟ellenécessite la présence réelle d‟un autre sansfaille, non entamé par le manque. Il estimpossible à cette femme de symboliserl‟absence, l‟imperfection et l‟incomplétude. C‟esten cela que c‟est un amour mort : il ne s‟adressepas à un être incarné. Dans l‟amour de cethomme, elle cherche ce qui lui fait défaut : unidéal et un narcissisme qui la soutiennent. Oncomprend ici que la solution par l‟amour est toutà fait seconde dans sa démarche : elle aurait putrouver autre chose ou quelqu‟un d‟autre. Ce quicompte, c‟est de suturer le défaut de son être.Je pourrais également évoquer cette autrefemme qui, dans la foulée d‟une rencontre avecun homme, se précipite aussitôt dans unecascade de projets avec lui : mariage, achatd‟une maison, grossesse, … Elle voulaitrencontrer un homme, fonder une famille, vivrenormalement. Cet homme était disposé àl‟épouser. Cela suffit à enclencher la mécaniquesignifiante qui règle toute une vie. Ce discoursconvenu sur le mariage et l‟amour ne prend pasen compte la question <strong>du</strong> désir : ni le sien nicelui de l‟homme. Ce qui est visé, ce n‟est pasl‟amour en tant qu‟il aspire à l‟être de l‟autre,c‟est un amour désincarné, ré<strong>du</strong>it à sonOn s‟est trompé d‟histoire d‟amourenveloppe formelle. Dans ce cas, le sujet, pourparer à la carence <strong>du</strong> fantasme fondamental,s‟accroche à un autre idéalisé. Cetteidentification purement imaginaire permet ausujet d‟entrer dans un semblant de con<strong>du</strong>iteamoureuse. Mais son fonctionnement ne reposeque sur des formules toutes faites qui dictent cequ‟elle doit faire dans chaque circonstance. Leproblème, c‟est qu‟il n‟existe aucun moded‟emploi expliquant comment incarner laféminité, ni comment faire rapport sexuel … Elleimpose toutefois à son partenaire lesprescriptions qu‟elle relève dans ses lectures oudans ses conversations, qu‟elle tient de samère, etc., même si elles ne sont pas adaptéesà sa réalité ni à celle de son partenaire.Autrement dit, le vouloir se substitue au désir.Exit le romantisme et le mystère de l‟amour.Mais pas de tourments non plus : le choix <strong>du</strong>partenaire n‟est pas marqué <strong>du</strong> sceau del‟incertitude. La réponse est évidente : c‟est lui !Et l‟amour de l‟autre ne fait pas non plusquestion. Au bal, les amants n‟étaient pasmasqués.Je me suis, vous vous en doutez, interrogée surle rapport particulier que ces sujetspsychotiques entretiennent au désir. Je vouslivre les pistes que j‟ai trouvées chez Lacan.Elles ne constituent pas une réponseexhaustive.On l‟a vu, l‟amour peut être convoqué pourhabiller le manque à être. Pour une femme,l‟amour est une voie privilégiée pour traiter leréel <strong>du</strong> non rapport sexuel, en tout cas dans lanévrose. Mais cette tentative n‟est pas vouée àla réussite complète : le doute et l‟incertitudeinsistent, fidèles au rendez-vous. La sexualité laconfronte également au manque propre <strong>du</strong> réel<strong>du</strong> sexe. La jouissance y sépare le sujet del‟Autre.Bien que ne disposant d‟aucune garantie,certaines femmes peuvent toutefois consentir àun désir qui prend en compte ce manque et quine s‟assigne pas comme tâche de le combler.Dans la psychose, le traitement <strong>du</strong> manque estplus hasardeux et le sujet est davantageconfronté à la faillite de l‟amour. Pour parer autrou de la structure et à la jouissanceravageante, reste alors la solution dont parleLacan dans RSI (leçon <strong>du</strong> 8 avril 1975) : lacongélation <strong>du</strong> désir. C‟est un désir qui exclut ladialectique <strong>du</strong> manque et qui fixe le sujet dans lavoie qu‟il s‟est tracée une fois pour toute, àl‟exclusion de toute autre. Aucune interrogation,aucun doute n‟habitent le sujet. En amour, cetétrange désir fait exister l‟homme comme l‟aumoins-un: il n‟est pas rêvé, ni espéré, niatten<strong>du</strong> : il existe. C‟est lui. Cependant, il estsommé de répondre aux exigences de saAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES33


Anne-Marie DEVAUXcompagne. Ce n‟est pas un désir vectorisé parla loi de l‟interdit de l‟inceste. C‟est un « désir »On s‟est trompé d‟histoire d‟amourfait de règlements et de diktats. Ici, le ravagen‟est pas pour celle qu‟on croit …34Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Patrick. DE NEUTERDu parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve, aujourd‟hui un devoirDu parfait bonheur dans le couple :Hier un rêve, aujourd’hui un devoir ?Patrick DE NEUTERAssociation freudienne de BelgiqueBien que nous soyons entrés dans une cultureapparemment non normative, noncontraignante, laissant chacun décider de sondestin, des normes implicites s‟imposent de fait,notamment dans le domaine de la vie de couple,normes d‟autant plus contraignantes qu‟elless‟exercent sur chacun à l‟insu de tous. Il nes‟agit pas là d‟une thèse psychanalytique maisd‟une constatation que font la plupart dessociologues parmi lesquels, Louis Roussel 1 ,Olivier Galland, Bernard Roudet 2 et JacquesMarquet 3 .Par ailleurs, leurs sondages indiquent qu‟unedes principales de ces normes, voire laprincipale d‟entre elles, est constituée par lebonheur indivi<strong>du</strong>el à trouver dans la famille et lecouple.« C‟est parce qu‟elle est devenue le lieu desattentes les plus vives que la famille triomphedans les sondages ; mais c‟est précisémentaussi à cause de ces espoirs exorbitants qu‟ellesuscite à l‟expérience autant de déception àceux qui en attendent le bonheur », écrit L.Roussel dans ses conclusions 4 .La clinique analytique, elle aussi, comme lasimple logique d‟ailleurs, démontre l‟impossibilitéde la réalisation de ce vœu caractéristique del‟aujourd‟hui <strong>du</strong> couple.Tout d‟abord parce que le bonheur complet n‟estjamais que déni de l‟incomplétude de cebonheur dans ce double sens. D‟une part,quoique le sujet en dise, il n‟est jamais complet.D‟autre part, cette illusion de complétude n‟estjamais que passagère.Autre raison de cette impossibilité structurale <strong>du</strong>bonheur parfait dans le couple : les conditions1 Roussel L., La famille incertaine, Odile Jacob, 1989.2 Galland O. et Roudet B. (éds), Les jeunes européens etleurs valeurs, La Découverte, 2005.3 Marquet J., Normes et con<strong>du</strong>ites sexuelles, Academia-Bruylant, 2004.4 Roussel L., op. cit., p. 245.<strong>du</strong> bonheur sont pour « chaque un » trèsparticulières et par conséquent jamaistotalement complémentaires.Pour rappel, Freud disait <strong>du</strong> bonheur qu‟il était« la réalisation retardée d‟un désirpréhistorique » ; autrement dit, le désir de nonséparationd‟avec das Ding, c‟est-à-dire laChose maternelle 5 .Il disait encore que le bonheur visé par l‟hommeconsistait à revenir au narcissisme infantile et àêtre sexuellement son propre idéal 6 , ce qui àl‟évidence fait <strong>du</strong> bonheur parfait un impossibleà atteindre dans un couple.Lacan n‟a pas démenti Freud puisqu‟après avoirdifférencié l‟amour imaginaire et l‟amoursymbolique, amour de l‟autre en tant qu‟autre etincluant la parole donnée 7 , il s‟en tint finalementà affirmer avec Freud l‟omniprésence de l‟amournarcissique 8 .Cela étant, si tant de nos contemporainsrecherchent le bonheur dans le couple, c‟estprobablement qu‟ils y trouvent plus de bonheurque de malheur, même si, pour certains il s‟agit,dans ce choix, d‟une méconnaissance desdifficultés inhérentes à la vie partagée, pourd‟autres, de la satisfaction de leur appétencepour l‟insatisfaction <strong>du</strong> désir, et, pour d‟autresencore, d‟un assouvissement de cette tendanceaux jouissances masochistes qui nous affectenttous et toute au moins partiellement.Car c‟est aussi cela que nous enseignent lescliniques psychanalytiques : si le désir decertains et de certaines est essentiellement5 Freud S., La naissance de la psychanalyse, PUF, 1973,note <strong>du</strong> 16.1. 1898.6 Freud S., « Pour intro<strong>du</strong>ire le narcissisme » (1914), in Lavie sexuelle, PUF, 1973.7 Lacan J., Séminaire I sur « Les écrits techniques deFreud », séance <strong>du</strong> 7 juillet 1954.8 Les plus âgés d‟entre vous se rappelleront peut-être lespropos de Lacan sur l‟amour lorsqu‟il disait aux Facultés StLouis en 1960 : « Rien d‟étonnant à ce que ce ne soit rienque moi-même que j‟aime dans mon semblable ».Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES35


Patrick. DE NEUTERDu parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve, aujourd‟hui un devoirdésir d‟un désir insatisfait, nous sommes touteset tous affectés par une tendance plus ou moinsprononcée au masochisme et nous trouvonstous et toutes une part de notre bonheur dans lasatisfaction de cette tendance à cultiver lasouffrance et le malheur.Cela étant, que nos contemporains recherchentdonc ce bonheur avant tout dans la famille et lecouple se constate tout d‟abord dans leursréponses conscientes aux questionnaires dessociologues. Ainsi, l‟observation des réponsesdes jeunes Européens à une enquête sur lesvaleurs qui ont leur préférence, enquête quis‟est répétée en 1981, 1990 et 1999, amèneChristina Pina à affirmer : « Qu‟il s‟agisse de seprononcer sur l‟importance <strong>du</strong> partage destâches, le fait d‟avoir des enfants ou la fidélitépour assurer la réussite d‟un mariage, l‟enquêtedémontre… que ces valeurs sont en croissancedans la plupart d‟entre eux (les payseuropéens). Les jeunes générations seraientainsi plus attachées au couple qu‟on ne le dit ouqu‟on ne l‟entend parfois ». Ainsi, par exemple,l‟affirmation « Le mariage ou une relation stableet <strong>du</strong>rable sont nécessaires pour être heureux »recueille l‟assentiment de 61% des jeunesFrançais 9 .Pensons aussi à ce nombre très important dedivorcés et autres " victimes " d‟une vie decouple qu‟ils disent avoir été profondémentinsatisfaisante et qui néanmoins n‟hésitent pas às‟engager dans de nouvelles relationsconjugales plutôt que de vivre une vie solitaireou encore la multiplication des relationspassagères.Ceci pour dire qu‟il ne faudrait pas trop vite ettrop simplement affirmer « qu‟il n‟y a pasd‟amour heureux » ou, plus précisément, qu‟iln‟y a pas de couple qui ne soit source debonheurs, plus nombreux et plus grands queceux que peut apporter la vie libre <strong>du</strong> célibataire.Autrement dit encore, s‟il n‟y a pas d‟amourheureux, il y en a de moins malheureux qued‟autres. Et cela serait faire preuve d‟idéologietragique ou de noir romantisme que de ne fairevaloir que la dimension de leurre et de malheursde la vie conjugale et le côté profondémentinsatisfaisant de la relation sexuelle.Il arrive ainsi que d‟aucuns font glisserl‟aphorisme lacanien « Il n‟y a pas de rapportsexuel » de son versant logique « il n‟y a pasdans l‟inconscient de rapport entre les signifiantshomme et femme qui orienterait la dynamiquepulsionnelle », vers son versant idéologique :« le couple est toujours raté » ou, plus9 Galland O. et Roudet B., op. cit., pp. 250 et 286.radicalement, « le couple n‟existe pas » 10 . Nepas vouloir emboîter le pas aux affirmationsracoleuses de certains sexologues concernantl‟épanouissement sexuel en 10 séances, ne doitpas nous empêcher de faire valoir les réelseffets de nos cures psychanalytiques.Un collègue, pourtant lacanien lui aussi, s‟est unjour demandé si le plaisir avec lequel certainslacaniens pouvaient répéter cet aphorisme <strong>du</strong>non-rapport sexuel ne trouvait pas sa sourcedans la déresponsabilisation qu‟elle impliquaitquant à nos vies de couple. Autrement dit, « simon couple ne marche pas, je n‟y suis pour rien,c‟est un effet de la structure : aucun sujetd‟ailleurs ne peut se dire heureux dans soncouple, sauf dans l‟illusion ou la bêtise ». De là àcréer une antinorme, c‟est-à-dire une nouvellenorme, psychanalytique cette fois, il n‟y a qu‟unpas. « Il n‟y a pas à tenter de dépasser lesdifficultés que nous rencontrons. Il faut que moncouple soit source de malheurs, voire, il faut quenous nous séparions, sinon c‟est le signe que jevis dans la bêtise ou l‟illusion ».Quel serait un plus juste positionnementanalytique par rapport au bonheur, au bonheurdans le couple et, plus précisément, par rapportà cette obligation <strong>du</strong> bonheur dans le couple ?La question n‟est pas simple. J‟essayerainéanmoins d‟y apporter quelques réponses, pastrop idéologiques, si tant est que cela soitpossible en cette matière.Je pense tout d‟abord qu‟il convient de continuerà soutenir ce que les cliniques psychanalytiquesnous ont enseigné :1. Le bonheur relève, en partie <strong>du</strong> moins, <strong>du</strong>domaine de l‟illusion. Comme tout sentiment, lesentiment de bonheur est partiellementmenteur : « le senti ment », disait Lacan, etencore : « le bonheur "sans ombre" n‟existepas » 11 .2. Par conséquent, ce serait une escroquerieque de promettre ce parfait bonheur en fin decure. Ce serait aussi une escroquerie qued‟accepter sans questionnement une demanded‟analyse ou de thérapie de couple qui seraitessentiellement demande d‟atteindre un grandbonheur.3. Par contre, nous ne pouvons pas, mesemble-t-il, nous faire les apôtres d‟une religion10 À lire à ce propos l‟excellent travail de Gisèle Chaboudez« Le rapport sexuel en psychanalyse », in Figure de lapsychanalyse, 5, 2001, Eres, 41-64.11 Lacan J., Séminaire sur l’Ethique de la psychanalyse,leçon <strong>du</strong> 29 juin 1960.36Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Patrick. DE NEUTERDu parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve, aujourd‟hui un devoir<strong>du</strong> malheur et <strong>du</strong> mal-être essentiel de l‟êtrehumain. Bien sûr, nous sommes des êtres pourla mort et la rencontre viscérale de cette véritéde la condition humaine fait partie <strong>du</strong>cheminement analytique. C‟est à passer par là,c‟est à rencontrer et à assumer cette vérité, quel‟analysant trouve le chemin de la jouissanceconsécutive à la réalisation de son désir, à toutle moins dans la sublimation 12 .4. Bien sûr, le Souverain Bonheur n‟existe pasplus que le Souverain Bien. Point de bonheursans faille et, donc, valable pour tous. C‟est ceque l‟expérience psychanalytique permet nonseulement de découvrir mais aussi d‟accepter,ce qui permet de surcroît l‟accès à toute unesérie de petits bonheurs qui font que l‟on devientheureux de vivre, malgré tout ce que la vie peutnous apporter comme malheur, Dans l‟Ethique,Lacan le dit en ces termes : « l‟expérienceanalytique permet au sujet de « se placer dansune position telle que les choses,mystérieusement et presque miraculeusement,lui arrivent à bien, qu‟il les prennent par le bonbout » 13 .On se souviendra que Lacan a parlé d‟Œdipe etd‟Antigone, ces deux héros tragiques de laGrèce antique, avec quelques accentsidéalisants.Néanmoins, si Œdipe termine sa vie sur un« plutôt, ne pas être » ou encore « puisais-je nepas être né comme c‟était le vœu de mesparents », je ne vois pas pour ma part au nomde quoi il y a lieu d‟imposer à nos analysants,cet idéal « d‟épousailles avec l‟anéantissement». Et si Antigone s‟est dévouée à être lebâton et le guide de son père aveugle avant derenoncer à son fiancé, non seulement pourdonner une sépulture à son frère, mais aussipour rejoindre son père et ses frères dans letombeau familial, il n‟y a pas lieu là non plus,me semble-t-il, d‟en faire un idéal de find‟analyse.On oublie souvent d‟ailleurs que Lacan a luimêmeprécisé, paradoxalement il est vrai, qu‟iln‟était pas sûr qu‟une éthique analytiqueexiste 14 . On oublie aussi souvent que, dans sonintervention à l‟université de Yale, il avait affirméqu‟une analyse n‟avait pas à être menée troploin : « Lorsque l‟analysant pense qu‟il estheureux de vivre, c‟est assez », avait-il ajouté 15 .Ce que peut offrir l‟analyse est donc, mesemble-t-il, un rapport plus juste à cette12 Lacan J., ibidem, leçon <strong>du</strong> 20 juin 1960.13 Lacan J., ibidem, leçon <strong>du</strong> 20 juin 1960.14 Lacan J., ibidem, leçon <strong>du</strong> 6 juillet 1960.15 Lacan J., Conférences et entretiens dans les Universitésnord-américaines, Scilicet, 6/7, Seuil, 1976, p.15.appétence actuelle pour le bonheur parfait, toutcomme elle offre depuis longtemps la possibilitéd‟atteindre à un rapport plus adéquat auxmasochismes commun qui nous animent.Ce que peut offrir l‟analyste est un désir averti,ce que vous pouvez entendre comme étant undésir averti par sa propre expérience analytiquede la vraie nature <strong>du</strong> désir et donc <strong>du</strong> bonheur etde leurs inévitables incomplétudes, mais aussicomme étant un désir orienté par l‟objet petit« a », c‟est-à-dire par cet objet manquant quicause notre désir et, par là, la jouissance qu‟ilsoutientDu bonheur obligéQuelques mots à présent sur le Bonheur en tantqu‟il constitue une des normes contraignantinsidieusement nos contemporains. Il en va, mesemble-t-il, de cette obligation comme de toutesles obligations qui peuvent contraindre unanalysant : il convient de la soumettre àl‟analyse et cela même si cela allait à l‟encontrede la poursuite des rendez-vous analytiques 16 .Cela arrive parfois.Imaginons en effet qu‟un analysant en arrive àse demander si sa quête d‟un bonheur sexuel« sans ombre » qui le pousse à poursuivre sonanalyse depuis de nombreuses années est unedémarche analytiquement fondée ou bien uneffet de sa quête de ce bonheur sexuel parfaitjustement impossible. Quête animée par leperfectionnisme dont il témoignerait dansd‟autres aspects de sa vie privée etprofessionnelle. Autrement dit, convient-il quel‟analyste le laisse croire à l‟existence de cebonheur ou, au contraire, l‟amène à questionnerla quête de l‟impossible et la non-acceptation dece reste d‟insatisfaction qui affecte ses relationssexuelles conjugales ?Par ailleurs, en présence <strong>du</strong> vœu d‟interromprel‟analyse, il arrive plus d‟une fois, me semble-t-il,qu‟il faille se poser la question de savoir si cevœu est formulé dans la perspective d‟unrenoncement au Souverain Bonheur ou, aucontraire, dans la perspective d‟une résignationnévrotique à l‟insatisfaction ?Je tiens d‟un analysant de Lacan que, dans detelles circonstances, celui-ci tenait beaucoup àdistinguer le renoncement et la résignation. Cerepérage est en effet indispensable à une justeréponse de l‟analyste : acquiescer au vœu del‟analysant ou lui indiquer que cette idée de16 J‟ai récemment traité de ce sujet dans le chapitre d‟unlivre intitulé « Normes, normalité, sexualité etpsychanalyse », in Frogneux N. et De Neuter P., Sexualités,normes, thérapies, Academia-Bruylant, 2006, pp. 151-190.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES37


Patrick. DE NEUTERDu parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve, aujourd‟hui un devoirmettre fin a son analyse est vraiment pour lemoment une très mauvaise idée.Nous pourrions aussi nous questionner sur lesinterventions adéquates vis-à-vis des analysantsqui, mus par une solide aliénation à ces normesconjugales <strong>du</strong> parfait, décident la rupture de leurcouple ou d‟entamer une relation parallèle dèsqu‟apparaissent les premières désillusions, dèsque l‟élan amoureux ou l‟intense plaisir sexuelne sont plus quotidiennement aux rendez-vousou encore dès que surgit dans leur champ devision un ou une autre qui semble promessed‟un bonheur amoureux ou sexuel moins limité ?D‟autres pensent à la rupture dès qu‟approchele sixième anniversaire de la vie de couple 17 .Comment intervenir analytiquement lors de telspassages à l‟acte sans se faire pour autant lesderniers « gardiens » <strong>du</strong> couple ?Je laisse ici aussi la question ouverte enajoutant néanmoins qu‟il me semble importantsur le plan de l‟éthique analytique que soientanalysées les possibles aliénations parasitantles décisions, quelles qu‟en soient les origines.On conviendra qu‟en présence de tel passage àl‟acte, l‟analyste invite l‟analysant à analyser toutd‟abord l‟aliénation aux normes contemporaines.Tout comme il convient de le faire pourl‟obéissance aux normes familiales ou <strong>du</strong> cercled‟amis en ce qui concerne l‟acte de concevoir ounon un enfant, pour reprendre un exemple tiréde ma clinique 18 .Ceci est d‟autant plus important que, comme lesoulignait Freud, le bonheur est incompatibleavec les exigences immodérées <strong>du</strong> surmoi. Onvoit ici l‟impasse de cette obligationcontemporaine au bonheur dans le couple et detoute intervention <strong>du</strong> psychanalyste quirenforcerait cet impératif. Tout autre chose estde viser l‟allègement des inconforts consécutifsde la névrose et de ses répercussionsinévitables dans la vie de couple.Les entretiens de couplesJe termine par quelques mots sur la viséepossible des entretiens de couple, puisque c‟estaussi au titre de cette pratique 19 que lesorganisateurs de cette journée m‟ont demandé17 Norme actuelle de <strong>du</strong>rée des couples repérée par lessociologues dans les grandes villes.18 Les sociologues nous disent qu‟avoir des enfants est jugéassez important ou très important pour le succès <strong>du</strong> mariagepour 86% des jeunes Belges et que ce pourcentage est enaugmentation constante depuis 1981 où le pourcentage nes‟élevait qu‟à 77%. Galland O. et Roudet B., op. cit., p. 251.19 Pratique initiée il y a quelque dix ans dans le cadre <strong>du</strong>Service de Santé mentale Chapelle- aux-<strong>Champ</strong>s del‟Université de Louvain.de prendre la parole. Ces pratiques pourraientapparaître en contradiction avec l‟éthiqueanalytique que je viens de décrire. Je ne vaispas dire qu‟il n‟en est rien : ces entretiens ontassurément d‟autres fins.Précisons tout d‟abord que, dans maperspective et dans celle de mon équipe, lesentretiens de couple ne visent pasnécessairement à faire <strong>du</strong>rer un couple quisinon se déferait. Ils peuvent tout aussi bienservir à aller vers une rupture qui n‟osaits‟engager. Ou encore à rompre sans pourautant entrer dans une haine intarissable, ce quiest d‟autant plus important lorsqu‟il y a desenfants et que le couple devra continuer à vivredans sa dimension parentale.Cela étant, parler ensemble, rétablir un dialoguelà où il n‟existait plus, parler à deux de sonhistoire et des particularités de son désir, toutcela « crée <strong>du</strong> couple », tout comme parler vraien présence d‟un analyste crée <strong>du</strong> transfertsymbolique et donc le couple de l‟expériencepsychanalytique.Bien sûr il ne s‟agit pas d‟associer librement etdonc la vérité <strong>du</strong> désir inconscient de « chaqueun » restera forcément cachée.Mais il arrive que la confrontation des récitsd‟une soirée passée ensemble et donnant lieu àdes narrations à ce point différentes que l‟on sedemande si les deux partenaires étaient tous lesdeux à la même soirée, au même endroit etavec les mêmes personnes, peut aussi donnerlieu à une petite approche conjugalement vécue<strong>du</strong> fantasme qui parasite inévitablement nosperceptions et nos récits et par là à tempérer lesconflits conjugaux qui s‟originent souvent dansde tels malenten<strong>du</strong>s.Il arrive aussi que cette découverte forcémentpartielle de la subjectivité fantasmatique, donnele goût d‟aller y voir plus radicalement,indivi<strong>du</strong>ellement, sur un divan.Par ailleurs, l‟expérience des entretiens decouple montre que pour ceux qui sont déjà enanalyse, partager en vérité avec l‟autre nonseulement crée <strong>du</strong> couple mais entraîne aussiparfois des avancées dans l‟analyse elle-même.Une telle avancée peut être suscitée parl‟interpellation ou la contradiction apportée par lepartenaire qui, par exemple, fera remarquer àl‟autre qu‟il a beau dire et croire que telle tiercefemme le laissait indifférent, il avait néanmoinsles yeux qui brillaient, les joues qui rougissaientet le sexe qui <strong>du</strong>rcissait lorsqu‟il en parlait…Et pour conclure …38Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Patrick. DE NEUTERDu parfait bonheur dans le couple : Hier un rêve, aujourd‟hui un devoirNéanmoins, dans ces entretiens, comme dansles analyses, il importe d‟être vigilant sur lepossible renforcement analytique de l‟obligationculturelle au bonheur sans faille dans le couple.La formule analytique serait à mon avis quelquechose comme « Si tu le veux, tu peux arriver àte donner un peu moins de mal pour atteindreun peu plus de bonheur, un peu plus de plaisir,voire un peu plus de jouissance » 20 .20 Formule que j’ai développée dans un texte intitulé « l’Autreguérir ou La subversion <strong>du</strong> concept de guérison », Le Bulletinfreudien, n° 43-44, pp. 75-91.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES39


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Elisabeth d‟ALCANTARA Homme et femme : moitié-moitié ?Homme et femme : moitié-moitié ?Elisabeth d‟ALCANTARAEcole belge de PsychanalyseLes nouveaux symptômes, comment ne pasfaire de ces signifiants un universel, unslogan diagnostique auquel nous serions obligésde répondre comme à une injonction, entendred‟une certaine manière les plaintes et lesdemandes qui nous sont adressées ? Devoirrépondre à une holophrase, phrase entières‟exprimant dans un seul mot, où les signifiantss‟amalgament.Cette interrogation est à reprendre nonseulement en aval mais surtout en amont. A unpatient qui me disait : «L‟analyse, c‟est uneobligation à venir parler que de mesproblèmes.», je rappelle la règle de l‟associationlibre.Ce qui a comme effet de le délier d‟uneinjonction faite par lui-même et de pouvoirprendre en compte l‟offre qui lui est faite <strong>du</strong>déploiement d‟un espace psychique pour parler,une mise en série qui n‟est soumise à aucunediscrimination.Le sujet est effet de langage. Notre culturen‟existe pas hors <strong>du</strong> texte Ŕ oral ou écrit Ŕ dontla structure même est un dépliement dessignifiants. Notre tâche clinique est de maintenircet espace Autre là où des impératifsd‟économie sociale et marchande tendent àl‟écraser.Le symptôme considéré comme représentant dela Vérité (cf. Note sur l‟enfant de J.LACAN à J.AUBRY) se transforme en trouble à éradiquer ouà réé<strong>du</strong>quer, en déficit.Le patient qui vient nous trouver se présenteavec un « diagnostic » fait à la hâte par luimêmeou par d‟autres <strong>du</strong> style : je suisborderline, homosexuel, boulimique, j‟ai destocs…Il assigne le thérapeute à remédier, si possible àfaire vite, car il n‟a pas de temps à perdre. Il n‟apas de question, si ce n‟est celle d‟unetechnique qui lui permettrait de gérer, maîtremot, ses angoisses par exemple. Nous sommestrès loin d‟une interrogation sur ce que l‟autreme veut. Le patient consomme l‟outilthérapeutique qu‟il instrumentalise comme unarsenal. Face à ces positions parfoispressantes, l‟analyste a à repenser sansdésemparer sa pratique et éthique clinique.Comment se maintenir comme tiers dans uneposition de non savoir là où le rapport <strong>du</strong>el estprêt à nous rattraper au tournant ?Le statut de l‟Autre, nous avons à nous y référerdans un désir qui ne soit pas anonyme tout ennous rappelant, comme l‟a formulé J.LACAN,que l‟analyste dirige la cure et non le patient.Devons-nous nous énoncer plus rapidement ?Par exemple, à un patient alcoolique qui, aprèsune cure de désintoxication, demande : « quesubstituer à l‟alcool ? », pouvoir signifier quel‟alcool est déjà venu se substituer à la question<strong>du</strong> sexuel laissée en friche. Ne pas prendre laformulation des nouveaux symptômes commeun universel, c‟est le retour au cas par cas,permettre au patient de dégager sa logiquesignifiante singulière.Pour en venir à la question <strong>du</strong> couple et <strong>du</strong>bonheur obligé, j‟ai repris deux cas, l‟unconjugal, l‟autre, parental.1. Une femme, la trentaine, consulte. Motif :après plusieurs mois d‟entente sur tous lesplans, le partenaire met fin à la relation demanière unilatérale et totalement imprévisiblepour elle. Il lui dira : « la relation était parfaite, jen‟ai rien à te reprocher, mais il y a un petit déclicqui ne s‟est pas fait, tu ne corresponds pas àmon idéal féminin. » Ce qui est manifeste dansce cas-là, c‟est la soumission <strong>du</strong> couple àl‟impératif de bonheur sur tous les plans. Maisce qui vient faire « trou », l‟intro<strong>du</strong>ction de cetidéal, ne peut pas faire tiers face à l‟impératif dejouir et le manque ne va pas s‟inscrire. Le jeunehomme compte relancer la poursuite de l‟objetde jouissance. La patiente n‟a qu‟une demande,« comment oublier le plus vite possible ? », touten disant qu‟il y a, pour elle, la vie et le sexe, àla limite, séparés. Après la déceptionamoureuse, elle retombe dans la vie.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES41


Elisabeth d‟ALCANTARA Homme et femme : moitié-moitié ?2. Comment manier des situations où le tierssocial représenté par la justice ne soutient pasles différences de fonctions entre père et mère.Ce tiers superpose à la différence des sexes età la différence entre les fonctions de père et demère, une parité des rôles, une symétrie.Situation clinique d‟un bébé de 6 mois ; lecouple des parents s‟est disloqué peu après laconception de l‟enfant. Un cadre juridique estmis en place par le juge pour le système degarde. Le couple parental est soumis par lajustice à un travail avec le Gerseau dont je faispartie, travail thérapeutique pour la mise enplace des liens parents-enfant. Après 6 mois deséances mensuelles, les parents serontconfrontés à une décision prise par les instancesjuridiques pour les vacances de juillet-août : lebébé, 6 mois, non sevré se voit attribuer unrégime moitié-moitié, moitié pour le père, moitiépour la mère ! Décision idéale s‟il en est…Dans ce cas, la justice, représentée par les deuxavocats, traite chaque sujet de droit commeégal, elle pratique la «justice distributive». Auxquestions posées par l‟Altérité, pas la différencedes sexes, le droit répond : symétrie et égalité,sans aucune représentation <strong>du</strong> lien précocemère-bébé. La parité des rôles vient recouvrir ladifférence structurelle homme-femme, le fait quel‟un et l‟autre soit décomplété.Jusque là, le couple était réglé dans sadifférence par une nomination dans lesymbolique. Aujourd‟hui, les noms de père etmère, leurs fonctions sont déplacées vers uncontrat à deux. Où trouver ce tiers qui faitdéfaut? Comment pouvons-nous penser cessituations sans répondre non seulement auxpatients mais aussi aux intervenants quiprescrivent à toute situation de souffrance sansdiscrimination une prise en chargethérapeutique? Comment l‟analyste va-t-il offrirau patient un cadre transférentiel ?Il n‟y a pas de constitution subjective sansrencontre avec un désir qui ne soit pasanonyme. Comment maintenir le rapport àl‟Autre, à la différence des sexes ? Comment leratage à partir <strong>du</strong>quel nous travaillons peutrester énigmatique et ne pas être rattrapéimmédiatement par le colmatage et le déni de cequi cloche ? Comment réintro<strong>du</strong>ire la dimensionde la perte dans le travail thérapeutique et doncla possibilité d‟un récit à partir d‟un objet per<strong>du</strong> ?Une patiente me disait : mon analyse, ça avraiment été la possibilité que vous m‟avezdonnée de construire le récit de mon histoire …Ce qui fait difficulté, c‟est la précarité symboliquedans laquelle sont souvent pris nosinterlocuteurs. Comment les manifestations del‟Inconscient peuvent elles être reconnues dansleurs effets de surprise pour un sujet déjàprécarisé sur le plan symbolique et social, avecun réel souvent traumatique ? Le travail, entreautres avec les très jeunes enfants, me donne àpenser quant à notre responsabilité de la miseen place de l‟Inconscient dans le transfert, c'està-direà ne pas répondre dans l‟urgence.Un enfant de 4 ans dessine. Les parentspressent les deux thérapeutes par des questionssavantes sur l‟énurésie, symptôme de l‟enfant.Les thérapeutes ne répondant pas auxquestions immédiates des parents, cette nonréponsepermettra à l‟enfant un mouvementtransférentiel : s‟approchant de moi, il memontre son dessin en disant qu‟il s‟agit d‟un…pont !Le pont par-dessus la rivière.Le symptôme n‟est plus un trouble déterminépar le social mais un début de construction dansla cure.42Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Danielle BASTIEN Le féminin est subversif, et ça fait désordre !Le féminin est subversif, et ça fait désordre !Danielle BASTIENAssociation freudienne de BelgiqueLydia Flem, La voix des amants :« Je ne sais toujours pas pourquoi, un matind‟été, ma fille à peine née blottie dans le creuxde mes bras, je me suis mise à arpenter lamaison en chantant à tue-tête l‟air <strong>du</strong> cataloguede Don Giovanni. Je me promenais avec monbébé ensommeillé, un sourire aux angesvoltigeant sur son visage, l‟arrondi de sa jouecontre les battements de mon cœur lorsquesoudainement me vint aux lèvres, non pasquelques berceuses, mais l‟aria orgueilleuse etgourmande de Leporello Madamina/ilcataloguo/è questo delle belle che amo il padronmio/un cataloguo/egli è che ho fatt‟io. Petitemadame, voici le catalogue des belles qu‟aaimées mon maître : c‟est un catalogue que j‟aifait moi même.Quel étrange rapprochement, je ne voulaispourtant pas qu‟elle, ma fille, devienne un jourla mille e quatresima. Ce pas de deux sonoredemeure un souvenir dont je ne peux toujourspercer ni l‟étrangeté ni la troublante intensité.N‟y avait-il quelques indécences à entonner laliste des conquêtes <strong>du</strong> dissolu, alors que j‟étaisdevenue la mère d‟une petite fille, d‟une futurefemme ? » 1Etranges et indissociables questions <strong>du</strong>maternel et <strong>du</strong> féminin, comme métaphorepremière pour me permettre de reprendre, ausens de la reprise de ce qui fait retour, laquestion <strong>du</strong> féminin, de ses contoursconceptuels, de ses définitions et ses opacités,de ses grandeurs et ses impasses, de sesdestins et de ses jouissances, actuelles.Faudrait-il, comme le suggère Lydia Flems‟autoriser <strong>du</strong> maternel pour pouvoir penser lestonalités excessives, outrancières <strong>du</strong> féminin ?Qu‟est-ce que la liste des conquêtes de DonJuan pourrait évoquer pour une femme, pourraitévoquer aussi de ce qui se passe, de ce quipasse entre une mère et sa fille « allantdevenant » une femme ?1 Lydia Flem, La voix des amants, Paris, Seuil, 2002, p 18La Femme, avec un grand F, n‟existe pas, nousdisait Lacan, intro<strong>du</strong>isant ainsi l‟idée que, dansle registre <strong>du</strong> féminin, il y avait une autremodalité de jouissance que la « simple »jouissance phallique. Quelque chose « d‟autre »,qui est précisément, ce qui me remet au travail.Le féminin des femmes, avec un petit f, sesdétours, ses refus, ses exigences, on peut enentendre quelque chose dans les cures, biensûr. On peut aussi l‟interroger sous l‟angle desmythes contemporains que constituent certainespro<strong>du</strong>ctions cinématographiques. Le dernier filmde Bertrand Blier Combien tu m’aimes ? mesemble être de ceux-là. Mise au travail dans uneversion onirique, quasiment fantasmatique de laquestion « que veut une femme ? », c‟estMonica Belluci, plantureusement fatale, quirépond « un homme, ou plus exactement, unhomme qui soit mon homme ». C‟est-à-direaussi et surtout dans le film, un homme quifasse jouir.Entre les notes somptueuses des voix d‟opéra,ce film, outre le fait qu‟il remplisse les salles, estextrêmement intéressant dans ce qu‟il nouspermet de penser, sous ce mode <strong>du</strong> scénariofantasmatique, les lignes-forces des dimensionsoutrancières, voir obscènes, à l‟œuvre dans leféminin. Car, en effet, à la question « que veutune femme ? », en quoi est-ce que ce fémininserait obscène, Blier répond « il faut être unepute, une prostituée, pour pouvoir en direquelque chose »Figures classiques de la mère et de la putain,qui nous ramènent à la question inauguraleformulée par Lydia Flem. Qu‟est ce qui, de lafemme, au moment où elle devient mère, penseà être sé<strong>du</strong>ite par un Homme, par deshommes ? Comme si la mise en tension de lamère et de la putain était la seule façon, ici aussiexagérée, d‟approcher le féminin ? Cela ne peutd‟ailleurs ne pas évoquer les théories sexuellesinfantiles et le clivage si typiquement masculindes courants tendres et sexuels, mais quepeuvent en dire ou qu‟en taisent les femmes ?Quand elles parlent <strong>du</strong> féminin dans les cures,c‟est sous le registre de la dépendance, deAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES43


Danielle BASTIEN Le féminin est subversif, et ça fait désordre !l‟attente, de l‟abandon, de la peur de mourir oude devenir folle si l‟autre s‟absente. C‟est leregistre de la passivité. C‟est de cela que Lacanparle quand il évoque le terme de ravage.« Ravage, qui vient de ravir, dérober,« dommage ou dégât important causé àquelqu‟un par une action violente, étatdésastreux de quelque chose sur quelqu‟un ».Ainsi pourrait-on dire que parler <strong>du</strong> féminin et deses risques, si on ne recourt pas à la figure de laputain, c‟est évoquer le registre de la passion ?Lacan proposait d‟ailleurs qu‟une femme, dansce registre là, est prête à tout pour son homme,à tout donner de son corps, de son âme, de sesbiens. On comprend que certaines s‟enabstiennent ou au moins s‟en méfient. CatherineChabert, dans un article nommé « Les voiesintérieures », à propos de la passivité écrit : «C‟est une histoire banale. Une jeune fille pure etinnocente consacre sa vie à sa famille. Un jour,elle rencontre un homme dont la force desé<strong>du</strong>ction exceptionnelle l‟emporte dans unepassion sans mesure. Il la prend et puisl‟abandonne. Elle sombre dans la folie et tuel‟enfant de sa faute »Maternel et féminin, de nouveau, se confrontent,se méprisent, s‟égarent.Dans la version onirique de Combien tum’aimes ?, c‟est aussi de dépendance à lajouissance qu‟il s‟agit. Combien, à entendrecomme ce qui viendrait donner un prix, un coûtpour posséder cette femme définitivement, maisaussi combien à percevoir comme façond‟interroger l‟importance de l‟amour, de sa forceillimitée, de comment en parler de ce qui est detoi dans l’amour que tu me donnes ?. Commentêtre sûre que tu ne m’abandonneras pas ?,semble sans cesse investiguer Monica Belluci ?Peut-on jamais en être sûre si ce n‟estjustement, répond-t-elle, en s‟inscrivant à laplace de celle qui appelle encore et toujours ledésir des hommes, celle de la prostituée ? Etpourtant, c‟est <strong>du</strong> leurre et <strong>du</strong> faux qui viendraitdire au plus proche le vrai, qu‟il s‟agit aussi. Leleurre de l‟argent gagné au Lotto qui viendraitgarantir la fin <strong>du</strong> doute. Le leurre de cequ‟incarne Monicca Bellucci. Elle dit dans uneinterview « Dans sa façon de s‟habiller, Daniela(l‟héroïne) ne fait pas pute. En lisant le scénario,je croyais qu‟elle devait porter des portejarretelles,marcher les seins en avant, faire lapute, quoi. Mais pas <strong>du</strong> tout Il s‟agit d‟unefemme sensuelle mais très classique, qui portedes jupes normales, des petits pulls, des talonsaiguilles et un manteau très correct avec lequelelle pourrait même aller à la messe. En fait, lepersonnage n‟est pas vulgaire. Il y a beaucoupd‟ironie dans le personnage quand elle dit « jesuis faite pour être aimée, je suis faite pour ça ».Je crois qu‟elle est faite surtout pour êtredésirée »Une femme donc qui jouerait la pute, ou unepute qui serait une femme, la Femme ? BernardCampan, le héros dans le film, commente« Mais qui est vraiment Daniela ? C‟est uneicône de l‟amour, de la forme, des formes, de lachair. Elle symbolise l‟idéal féminin, j‟imagine. Ilvoit en elle trois femmes en une : une amante,une compagne et une mère. C‟est une histoired‟amour explosive et toute bête. »Une femme donc, le féminin d‟une femme qui nepourrait s‟énoncer que comme une mise entension de deux pôles : d‟une part celui de laprostitution, de l‟abandon de son corps propreau désir de l‟autre sous un mode rémunéré, etde l‟autre, celui de la passion, de l‟abandon desoi au désir de l‟autre, sous un modetoxicomaniaque. Mais comment l‟entendre alorssous le registre de la jouissance, de cette Autrejouissance ?Des pistes intéressantes de réponses,apparaissent dans le récent ouvrage de ColetteSoler Ce que Lacan disait des femmes 2 . Eneffet, si l‟on s‟accorde avec elle pour soulignerl‟importance de définir cliniquement ce pôle dejouissance Autre, autrement qu‟en l‟articulantprincipalement aux mystiques que peu d‟entrenous rencontrerons, un trajet important reste àsoutenir.Dans un premier temps, Lacan va définir le désirféminin en lien avec ce qu‟une femme consent àêtre pour l‟autre, dans le désir de l‟autre. Ledésir féminin est ainsi défini à partir <strong>du</strong> désirmasculin et de ses attentes. Le désir féminin,propose Soler, est dé<strong>du</strong>it <strong>du</strong> consentementd‟une femme à être pour l‟autre, pour sonhomme, son symptôme, son objet, son phallus.La femme, dès lors, « se soumet aux conditionsd‟amour de l‟Autre, pour que le fantasme del‟homme trouve en elle son heure de vérité » 3 .Elle sera ainsi complaisante au semblant pourmaintenir ce qui, de son offre, pourrait garantir ledéploiement, y compris pulsionnel, <strong>du</strong> fantasmede son homme. C‟est d‟ailleurs ce consentementet cette complaisance qui peuvent nouspermettre de comprendre ce que Lacan évoque<strong>du</strong> don de soi au sens ravageant <strong>du</strong> terme. EtSoler de nous proposer cette remarquableformule « Une femme prend des airs demasochiste pour être la femme d‟un homme » 4 .C‟est effectivement ce que, dans un registrefreudien, Schaeffer nomme masochisme2 Soler Colette, Ce que Lacan disait des femmes, Paris, EdDu <strong>Champ</strong>s <strong>Lacanien</strong>, 20033 Ibidem, p. 774 Ibidem, p 7944Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Danielle BASTIEN Le féminin est subversif, et ça fait désordre !érogène nourricier. Soler en parle en termed‟« abnégation ».La question initiale reste pourtant toujoursposée, à savoir quelle est la visée de cettecomplaisance, de cet au-delà <strong>du</strong> semblant si cen‟est la visée de la jouissance Autre.Pour percevoir les nuances de cette autrejouissance, un arrêt au roc biologique estindispensable. En effet, rappelle Soler, pour fairel‟amour, il s‟agit quand même qu‟il y en ait unequi se fasse désirer et l‟autre qui désire ! Celaexplique, proposait déjà Freud, toute lacomplaisance au semblant et mêmel‟abnégation (Verwerfung) de son être. Ladissymétrie, dès lors, à avoir également avec ladialectique précise <strong>du</strong> désir et sa soutenancejusqu‟au plaisir. Et qu‟on soit d‟accord ouopposé à l‟inégalité structurelle de cettedifférence biologique intervenant dans le rapportcharnel ne change rien. C‟est toujours, jusqu‟àprésent au moins, incontournable. Et ce n‟estcertainement pas la clinique des hommesassistés chimiquement dans la qualité de leursérections, et qui viennent interroger lesdimensions désirantes qui leur échappent, quivient contredire cela.La confrontation inévitable à cette inégalitéstructurelle, disais-je, ne peut se comprendreque dans le sens de ce qu‟elle supporte devisée de jouissance, phallique et Autre. Maisquelles sont donc ces jouissances ? Soler nouspropose, relisant Lacan, de considérer qu‟ellessont toutes deux organisées autour d‟une quêtede plus-de-jouir. Cette quête va pourtants‟articuler bien différemment suivant que l‟on est<strong>du</strong> côté <strong>du</strong> pôle masculin, de la jouissancephallique ou <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> pôle féminin, de lajouissance Autre.Du côté <strong>du</strong> pôle masculin, l‟objet cause <strong>du</strong> désir,c‟est celui que Lacan nomme a. C‟est donc bienla partenaire, complaisante et consentante auleurre, qui va incarner, qui va porter, voiresupporter dans ses bouts de corps propre, ce a,objet cause <strong>du</strong> désir de l‟homme. C‟est doncbien par ce consentement-là que la femmepourra susciter chez l‟autre ce qu‟elle désire, àsavoir, être désirée. Car, pour elle, l‟enjeu estdifférent. Soler nous propose 5 de considérerque, pour la femme, ou, plus exactement, leféminin d‟une femme, l‟objet cause de son désirest bien différent. Il s‟agit, nous dit-elle, d‟unesorte de fétiche composé de l‟organe mâle deson homme, lequel, transformé par le signifiantphallique, va lui permettre de soutenir la viséed‟un plus-de-jouir. Autrement dit, le désirféminin, dans le registre de la jouissance Autre,5 Ibidem, p. 44ou d‟un féminin érogène nourricier, ne serait niune quête d‟avoir le phallus, ni de l‟être faute del‟avoir, ce qui caractérise la jouissance phallique.Il serait, propose-t-elle, un équivalent d‟unevolonté de jouissance, d‟un plus-de-jouir, d‟uneffort de jouir autant qu‟elle ne le désire.Etre le symptôme de l‟autre, voilà bien ce quisemble dès lors le prix à payer pour maintenir cedésir d‟un plus-de-jouir. Voilà aussi pourquoi unefemme peut aller jusqu‟à l‟abnégation ou auravage pour soutenir l‟équation désirante de sonhomme. Voilà aussi pourquoi une desconséquences possibles est de se vivre commen‟étant plus rien si l‟amour de cet homme vient àmanquer.Et pourtant, tout cela ne semble pas être dansl‟air <strong>du</strong> temps. Le refus <strong>du</strong> féminin, par contre,est bien repérable.« Cet été, tout le monde porte les culottes »,annonce une chaîne de prêt-à-porter en ceprintemps 2005. « Il n‟y a pas de métiers defemmes, il n‟y a que des femmes de métier »,propose une société de télécommunication,quelques mètres plus loin, dans le même centrecommercial. « Soyons les mêmes pour êtreégaux » ? Ce refus de la différence des sexessemble devoir s‟associer impérativement avecun refus <strong>du</strong> féminin. Et pourtant, comme le disaitaussi Lacan, « Faire aussi bien qu‟un homme,ça ne vous fait quand même pas une femme ». 6Ces exemples publicitaires semblent soutenirqu‟il s‟agit que hommes et femmes soientsemblables et égaux devant les impératifs de lajouissance. Tout le monde y aurait droit ! Unmessage soutenant que le principe d‟égaliténécessite un principe de similitude et que le prixà payer pour garantir cette similitude, et donccette égalité, est que tous les sujets serejoignent en dessous de la bannière de lajouissance phallique. Exit la jouissance Autre.C‟est donc la « culotte », le pôle masculin,l‟enjeu d‟une jouissance phallique qui devientseul référant. En ce, bien sûr, la clinique del‟hystérie peut nous apprendre beaucoup dechoses, dans les modalités de pouvoir « fairel‟homme ou se placer en lieu et place de l‟objetcause <strong>du</strong> désir pour mieux s‟en défendreensuite ». L‟hystérie, mais aussi et surtout le prixà payer qu‟elle implique, ne pouvant quandmême et très précisément se poser ets‟entendre que comme une modalité de refus <strong>du</strong>féminin.Bien évidemment, ces modalités d‟unejouissance qui ne serait que phallique, ne6 Jacques Lacan, Pour un congrès sur la sexualité féminine,Ecrits, P ,732Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES45


Danielle BASTIEN Le féminin est subversif, et ça fait désordre !pourront satisfaire tout le monde. Ce qui faitretour dans les cures, ce sont des figures derepli sur de l‟identique, que les modalités soientauto-érotiques, maternelles, ou groupales. Unesorte de prix à payer pour maintenir le refus <strong>du</strong>féminin coûte que coûte. En effet, dans notreépoque actuelle <strong>du</strong> « tout tout de suite », c‟està-direune période où l‟illusion que la jouissanceimmédiate devrait être garantie à chacun et toutle temps, la jouissance <strong>du</strong> manque, la passivité<strong>du</strong> féminin, l‟attende, l‟abandon à l‟autre, ça faitdésordre ou démodé.Dans la clinique, dès lors, c‟est parfois l‟alcool,la nourriture ou l‟enfant fétichisé qui permettentque s‟installe la jouissance. C‟est-à-dire, pourpoursuivre la question là où nous a amenésSoler, faute de fétiche sexuel, d‟autres fétichessurgissent mais dans une modalité d‟installationparfois plus auto-érotique que phallique. Eneffet, une des autres modalités de jouissancerepérable est celle <strong>du</strong> montage jouissif danslequel c‟est le bébé et ensuite l‟enfant qui estmis en place de fétiche, au sens d‟incarner unbouche-trou d‟une économie de jouissancephallique évoquée par Lacan, fétiche« objectalisé », d‟autant plus investi qu‟il estpro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> corps propre de la mère et,psychiquement au moins, toujours à sadisposition. « Un homme, ça peut partir ; unenfant, ça vous appartient » disait déjà une desmères que j‟interrogeais en 1996.Règne d‟une jouissance phallique qui soutient,surtout et contre tout, l‟éviction, le refus, <strong>du</strong>féminin. Refus <strong>du</strong> semblant comme « oui, mais… hystérique », refus plus précis <strong>du</strong> « pas …tout », refus de ce qui ne pourrait se définir, secirconscrire, s‟énoncer clairement etprécisément. Refus de ce qui fait désordre etsubversion. Et après tout, c‟est aussi de l‟amourfou, de la folie d‟un amour au féminin dont il estquestion dans la théorie lacanienne. JouissanceAutre, féminin et psychose se frôlent, secôtoient, flirtent, et parfois, se différencient.Consentements, complaisances, abnégationspour accéder au plus-de-jouir ?Combien tu m‟aimes ? Combien tu m‟aimes à cepoint et cela me fait jouir ? Que veut unefemme ? Demandez à une pute, répond le film.Incarner la question de La femme, de ce qui faitfemme, fût-ce sous le mode onirique <strong>du</strong> cinéma,nécessite de se protéger, de se prémunir desabîmes supposés d‟une jouissance qui seraittrop complaisante. Et même la belle Monica yrépond, sans vouloir le nommer : « Tomberenceinte, accoucher, allaiter, tout ça m‟acomblée. Pendant le tournage, ma fille était avecmoi dans la caravane et cela m‟a beaucoupaidée. Tourner une scène d‟amour et donner lesein 2 minutes après, c‟était pour moi très beau,très sain (c‟est le cas de le dire) de passer ainside l‟actrice à la femme. D‟ailleurs, le fait que mafille soit avec moi me permet d‟oublier ce que jetourne. »Qu‟est-ce qui passe, qu‟est-ce qui se passeentre une mère et une fille et en quoi cela vientnommer le féminin ? Féminin et maternelcomme les deux visages indissociables de laJouissance Autre. Comme ce qui, d‟une femme,ne pourra jamais être que subversif. Encore ettoujours.46Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Enfants-adolescentsAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES47


48Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Pascal FAVERONLa tentation de mort chez l‟adolescent diabétiqueLa tentation de la mort chez l’adolescent diabétiqueDr Pascal FAVERONForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonDans ma pratique, j'ai été amené àrencontrer des adolescents diabétiquesdans des circonstances particulières, à savoirqu'ils étaient adressés sur ordre d'un tiers(parent, diabétologue) et qu'il s'agissait àchaque fois de faire cesser des comportementsincompatibles avec leur survie. J'étais frappé parla gravité de ces adolescents qui leur donne unecurieuse maturité ...Tous devaient construire,comme les autres, une nouvelle identité; maisen plus avec un savoir lourd à porter, celui deleur propre mort, non pas à venir mais présenteau quotidien et que seul le respect scrupuleux<strong>du</strong> traitement permettait d'éviter.Dès lors, comment peut-on penser chez certainsgarçons diabétiques des passages à l'actemettant leur vie en danger, dont souvent euxmêmes,au début, ne savent rien en dire?Deux contextes me semblent d'emblée àdifférencier:D'un coté, celui de l'adolescent dont le diabèteest découvert dans l'enfance et, d'un autre coté,celui dont le diabète est découvert au décoursde l'adolescence. Dans le premier cas, la mortest présente depuis le début; très souventcomme un non-dit, un presque refoulé, et cesavoir déjà présent fait retour et non pas àn'importe quel moment. Dans le deuxième cas, ilfait effraction, irruption, dans un psychisme envoie de construction et apparaît alors comme unobjet dont on ne sait que faire, presqueincongru.Pour illustrer le premier cas, je vais vous parlerd'Albert, 13 ans, spécialiste en herbe <strong>du</strong> diabète,diabétique lui-même depuis l'âge de 9 ans.Garçon intelligent et scrupuleux, Albert était leprototype même d'une é<strong>du</strong>cation au diabèteréussie. Que lui passe-t-il alors par la tête,quand, depuis 6 mois, il se met à dévorer despaquets entiers de gâteaux ? Ce qui lui valuplusieurs malaises d'hyperglycémie qui ont faitsouffler un vent de panique dans son entourage.Dans l'é<strong>du</strong>cation de leurs enfants, les parentsd'Albert ont eu le souci de la responsabilisationet de l'autonomie. Albert a donc appris à gérerlui même son traitement, les parents en étant lessuperviseurs. Lors des visites chez lediabétologue, c'est lui qui discute de sontraitement et des résultats.L'Albert qui va peu à peu apparaître dans lesentretiens n'est pas cet adolescent sage etraisonnable ; c'est un rebelle en colère qui pestecontre le monde entier et surtout contre luimême.D'abord, on lui a menti, surtout son père et sondiabétologue (un homme) qui lui ont « ven<strong>du</strong> »le diabète comme une petite contrainteinsignifiante qui ne change rien à la vie. « Tu escomme les autres » est une phrase qu'Albert nesupporte plus. C'est faux ! Albert n'a de cesseque de débusquer l'escroquerie dont il a étévictime. Car en fin de compte, me dit-il, si je neprends pas mon traitement, je meurs. Cetteréalité le différencie douloureusement desautres qui, eux, vivent sans ce savoir. Lesautres semblent éternels et tout-puissants.J'y vois là pour Albert la tentative d'élaborerdans l'inconscient la notion de Phallus. Or, chezlui, elle reste accrochée à celle de diabète,autrement dit, de mort face au non-diabétiques,non soumis à cette réalité. Le père d'Albert estnon-diabétique. Il a menti sur le fait que, àl'adolescence, le phallus, Albert ne l'aura pasmais que lui, en tant que non-diabétique, legarde. Il est, de ce fait, non destitué de saposition de toute-puissance et reste l'idéalphallique à jamais irréalisable. Tout se passecomme si la menace de castration était réaliséeet qu'Albert découvrait ce qui est pour lui unevérité qu'on lui a cachée : il est castré et non pasprivé.Ceci aura de nombreuses conséquences dansl'adolescence d'Albert. Tout mouvementd'empathie sera vécu comme un sentiment depitié humiliante. Ce qui lui vaudra de nombreuxmalenten<strong>du</strong>s dans les relations avec les autres,notamment les tentatives de sé<strong>du</strong>ction de la partdes filles. Ne savent-elles pas que lesAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES49


Pascal FAVERONLa tentation de mort chez l‟adolescent diabétiquediabétiques deviennent impuissants et stériles ?A quoi bon vivre? Tant qu'Albert était sûr de sanon-phallicité, la réponse était pour lui évidente :à rien.Or, en fait, ce qu'Albert ne peux accepterinconsciemment, c'est de quitter l'enfance. Figerle phallus dans un objet qu'il faut avoir lepréserve de subjectiver son propre désir sexuelet de se confronter à la question de la rencontreavec lui-même et, a fortiori, avec l'autre sexe. Endisant qu'il ne l'a pas, Albert reste l'éternelenfant, ne renonçant pas à ses premiers objetsd'amour que sont ses parents et notamment sonpère qui reste en position de père phallique toutpuissant.La colère d'Albert masque un désir quiporte sur l'interdit de l'inceste. En fait, ce qui ledéprime, c'est bien que quelqu'un doit mourir enlui : l'enfant qu'il a été.En affolant son entourage, Albert resserre lesliens avec le maternel et oppose un obstacle detaille à la pulsion sexuelle : la mort.Je me montrerai d'emblée fort sceptique sur sonimage d'adolescent condamné à ne pas avoir lephallus et l'amènerai à trouver suspecte cettevérité. Par exemple, comment quelqu'und'intelligent comme lui pouvait acheter desgâteaux dans un magasin dont la gérante étaitune amie à sa mère ? Bizarre, non ?Pour illustrer le deuxième cas, celui dont lediabète se découvre pendant l'adolescence, jevais vous parler de Louis. Quand il découvreson diabète, Louis a 16 ans. Tout semble sepasser comme dans le meilleur des mondes. Ilsuit à la lettre son traitement et, pendant lapremière année, il semble tout à fait avoirintégré son diabète dans sa vie d'adolescent.Louis est sportif, bon élève, sort avec sescopains et a connu déjà quelques velléitésamoureuses. Or, depuis quelques temps, sondiabète fait <strong>du</strong> yoyo entre hyper et hypo. Il estrappelé à l'ordre par le diabétologue unepremière fois. Les injections se font avec retardpuis de manière anarchique. La veille de Noël,Louis se retrouve aux urgences dans le coma.Ses parents sont à son chevet. Remis sur pied,il est transféré dans le service de diabétologieoù le spécialiste demande qu'il soit vu par unpsy.Mon hypothèse <strong>du</strong> suicide n'est pas confirméepar Louis; il n'a pas voulu mourir mais, en cemoment, il en a marre de son diabète ; d'ailleurs,il en a marre de tout. Au fil des entretiens, jeretrouve une origine à cette lassitude. Quelquestemps auparavant, Louis était tombé amoureuxet cette relation n'avait pas pu se concrétiser. Lajeune fille, via une amie, lui aurait fait savoir qu'iln'était pas son genre d'homme. La déception deLouis semblait immense, un véritableeffondrement. Cette jeune fille était parée detoutes les qualités aussi bien physiques quemorales. En perdant tout espoir de la conquérir,Louis semblait se perdre lui même. Il ne voulaitpeut-être pas mourir mais non plus vivre sanselle.Les choses se sont aggravées quand Louisaccusa le diabète de tous ses maux. Du néantsurgissait un coupable. Quelle femme digne dece nom voudrait d'un sous-homme atteint d'unetelle infirmité? D'ailleurs, c'est génétique et Louisse refuse à mettre au monde des enfantsdiabétiques; il renonçait, à 17 ans, à être père.Face à la déferlante autodestructrice, il a falluréagir. Il fut donc décidé que sa mères'occuperait de son traitement. Louis acceptasans rien dire. Du jeune adolescent de 16 ans, ilne restait plus rien. Louis maintenait vaille quevaille sa scolarité mais avait arrêté le sport et lessorties avec les copains. Quand aux filles, n'enparlons même pas. Toujours accompagné de samère, Louis venait aux entretiens.Comment comprendre cet effondrement et cetterégression chez Louis? C'est en lisant les textesde Serge Lesourd que je compris mieux lesenjeux auxquels Louis était confronté. En effet,Louis avait retrouvé, à travers cette jeune fille,LA Femme qui fait écho à la mère idéale del'enfance. Le rejet amoureux le confrontait denouveau à l'impuissance de combler son désir.Cette réactivation de la désillusion infantile avaitravagé le narcissisme de Louis. Ce manque àêtre, insupportable, avait été mis en lien avec lediabète vécu comme une limite à la jouissanced'un phallus resté imaginaire. Louis reprendracette question en faisant un détour par une autrejouissance - la drogue -, tout en maintenant lelien thérapeutique. Heureusement, Cupidondécocha sa flèche et Louis se confronta ànouveau à l'amour; autrement dit, à être aimant,puis amant, et c'est là que nos chemins seséparèrent.Le diabète, pour ces jeunes, renvoie à unmanque à être. Chez Albert, c'est l'insoutenable<strong>du</strong> désir sexuel qui le pousse à maintenir lediabète comme symptôme de l'enfance per<strong>du</strong>e.Pour Louis, la désillusion phallique fait <strong>du</strong>diabète un coupable tout désigné. Comment direalors « je suis manquant » si ce n'est que dansl'agir qui le révèle, quitte à en mourir. Lapromesse œdipienne d'être un beau cygneblanc s'est transformée en certitude mortifère derester un vilain canard. Beaucoup <strong>du</strong> travailthérapeutique sera de l'amener à élaborer lephallus non pas comme ce que les autres ont eteux, non, mais comme ce que personne nepossède mais auquel tout le monde est soumis;50Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


autrement dit, un symbole.Pascal FAVERONLa tentation de mort chez l‟adolescent diabétiqueLe travail de l'adolescence n'est-il pas de créerun nouveau symptôme?Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES51


Bernadette DIRICQEnfance asociale et psychanalyse52Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Bernadette DIRICQEnfance asociale et psychanalyseEnfance asociale et psychanalyseBernadette DIRICQ (Lille)Ecole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Lille-TournaiLe symptôme est, comme le disait Freud,« l‟expression de la réponse d‟un sujet à unvécu difficile et indicible ».Comment se construit-il en fonction <strong>du</strong> vécu dechaque sujet et, plus particulièrement, enfonction de sa structure ? Voilà ce que jepropose de repérer.La psychanalyse nous apprend que le caractèreproblématique <strong>du</strong> désir singulier est toujoursprésent dans le symptôme ; et le désir masquéŔ selon une expression de Lacan dans Lesformations de l’inconscient Ŕ dont il est questiondans le symptôme, s‟articule à la demande,demande liée au jeu de la présence et del‟absence de l‟Autre primordial, au manque qu‟ilgénère, autrement dit, au battement signifiant età la symbolisation qui s‟y origine.Que cache dès lors le symptôme d‟un sujet si cen‟est sa vérité ? Et comment aborder la questiondans la pratique psychanalytique ? D‟ailleurs,cette pratique sous forme de cure analytiquevaut-elle pour tous ?Comment, dès lors, l‟analyste dont le désirsoutient qu‟il convient de « mettre à l‟épreuve <strong>du</strong>temps les instruments de la psychanalyse enlien avec le désir » Ŕ comme le disait ColetteSoler lors des Journées européennes sur « Laparenté en question » (Paris, 8 et 9 octobre 05)Ŕ peut-il entendre ce qui se dit à travers lesymptôme et accompagner le sujet par sonécoute et son acte ? Car il est des sujets qui nese plaignent pas de leur symptôme, des sujetsqui s‟y complaisent plutôt, tandis que ce sontles autres, ceux qui les entourent, qui lesrencontrent, qui s‟en préoccupent et nousadressent une demande d‟intervention.Comment y répondre, sachant que l‟entrée d‟unsujet en institution dite thérapeutique sertsouvent aujourd‟hui de dernier recours quandd‟autres institutions (famille, école…) n‟arriventplus à gérer une situation problématique ?Comment accompagner le sujet « responsable »de son symptôme pour qu‟il puisse lâcher unbout de la jouissance à laquelle il tient tant etque, face au réel approché et cette jouissance siprésente, il puisse soit remodeler ou mêmeparfois domestiquer ce symptôme lorsqu‟il est,par exemple, asocial, pour enfinexister autrement, dans le lien aux autres ?C‟est dans ce sens, en effet, que j‟ai choisi deprendre l‟expression « nouveau symptôme »voulant indiquer ainsi que la solution vient <strong>du</strong>sujet et de personne d‟autre.Cas clinique.Je mettrais avant tout un bémol à la partition quisuit qui, sans cela, paraîtrait trop belle, voiremiraculeuse. Ce n‟est pas le cas ; des annéesde galère et de travail acharné pour ce jeunesont une réalité qui, parfois, désenchante.Mon expérience de travail en institution dans ledomaine de la psychose m‟amène en effet àtémoigner <strong>du</strong> travail réalisé par Lucien, enfantentré en institution à la demande des servicessociaux. Alors âgé de 10 ans, Lucien étaitpourvu d‟un symptôme objectif ; il ne s‟enplaignait donc pas mais ce symptômedérangeait les autres ; ce symptôme le mettaitlui-même dans une position asociale périlleusemais sans que cela semble le questionner.Voici le témoignage de ce cas clinique qui,,même s‟il n‟est pas le récit de l‟évolution d‟unepsychanalyse demandée par le sujet, méritequ‟on s‟y arrête. Ici, le symptôme de Lucien futenvisagé comme signe à subjectiver, dépendantdès ce moment d‟une prise de conscience <strong>du</strong>sujet, d‟un vouloir dire de ce dernier et, dès lors,pouvant se mo<strong>du</strong>ler. J‟estime, en effet, que toutsujet rencontré, même s‟il s‟avère qu‟il estpsychotique, est responsable de son devenir etde son avenir. Il n‟est pas pour autant réceptif àun questionnement et à une élaborationanalytiques qui, dans ce cas, le mettraientencore davantage en péril.Notons ici que, à ce jour, Lucien est un jeunea<strong>du</strong>lte. Du temps, beaucoup de temps, s‟estAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES53


Bernadette DIRICQdonc écoulé <strong>du</strong>rant lequel les choses ont évoluéau rythme de Lucien.Reprenons brièvement ce parcours :A 10 ans, ce jeune garçon présentait unsymptôme très handicapant, le mettant au bande la société ; physiquement, son corps sedéfaisait, il était sale, voire répugnant ;encoprétique, c‟était couvert d‟excréments quenous le retrouvions souvent ; socialementparlant, il n‟était pas « é<strong>du</strong>qué », ne se lavantpas, grossier et parlant mal, sans que cela legêne.A l‟école, Lucien était la risée des autresenfants ; il s‟en faisait une gloire, les menaçantde son approche. Un faible retard scolaire étaitbien repéré mais ce qui faisait l‟objet de lademande provenant des services sociaux étaitl‟insupportable et inacceptable relation aupère et ses conséquences.C‟est donc, dans un premier temps, à la dyade« enfant ◊ Autre social » Ŕ selon une formuleutilisée par Jean-Pierre Drapier Ŕ à laquellenous avions eu à faire, la demande étant depermettre la mise à l‟écart de Lucien d‟avec sonpère. Mesure de protection indispensable.Ceci fait, c‟est à la dyade « enfant ◊ Autrepaternel » que nous nous sommes attachés.Comment faire pour que Lucien puisse rectifiersa position d‟être, ait envie de changer sans lesoutien de son père ? Ce dernier entretenaitune forme de lien social particulier en buvantplus que de raison dans les bars de son quartieret restait sourd à nos invitations.La mère de Lucien était décédée lorsquel‟enfant avait 4 ans et depuis, le père noyait sonchagrin dans l‟alcool ; les deux aînés de lafamille se débrouillaient comme ils pouvaient,tandis que la violence et le rejet envers Lucienétaient permanents. Pourtant, Lucien ne s‟enplaignait pas, il en rigolait même, désarçonnantl‟équipe é<strong>du</strong>cative de son groupe par soncynisme. Au vu de différents critères, lediagnostic de psychose schizophrénique futposé ; le père qui, selon Freud, a pour fonctiond‟ouvrir l‟enfant-sujet au désir, n‟avait pu remplirce rôle ; pas d‟Idéal <strong>du</strong> moi (I(A)) pour Lucienqui ne semblait pas prêt à s‟identifier davantageà l‟Autre a<strong>du</strong>lte que les intervenants incarnaient,pas plus qu‟à se prendre en charge.Lucien était plutôt en position d‟objet déchet,d‟objet de jouissance de l‟Autre ou, plusprécisément, des autres.Cette difficulté à faire avec cette situation <strong>du</strong>raEnfance asociale et psychanalysequelques années et les nombreuses tentativesde la part des intervenants pour modifier cetteposition de jouissance restèrent vaines.L‟équipe se sentait tout bonnement impuissanteà le faire se questionner. Après plusieurschangements de lieux de vie, devant en principeinterpeller Lucien, ce dernier, devenuadolescent, se faisait avec délectation l‟objetdes autres garçons <strong>du</strong> groupe, se laissantenfermer dans sa chambre avec ses« tortionnaires », se faisant « entuber », commeil le disait alors, se masturbant à outrance,chiant dans le lavabo… C‟est que son corpsentier était zone érogène sans aucun voile ousoupçon de pudeur ; ce corps était pulsionsanale et sexuelle massives.Je soutenais, à l‟époque, un nouveau projetdans l‟institution, projet qui donnait sonimportance au savoir, savoir scolaire entreautres, et Lucien étant assez bon élève. Il futproposé qu‟il y soit admis. Ainsi écarté <strong>du</strong>groupe précédent, il serait moins « appelé » parses petits autres jouisseurs. Lors d‟un entretiende pré-admission dans ce nouveau groupe devie, je lui fis part de ma perplexité quant à soncomportement et m‟interrogeais à voix haute:« Pourquoi donc se ré<strong>du</strong>ire à cet objet, à cette« merde » étalée? » Au signifiant « merde »Lucien réagit :« Mais je suis une merde, mon père l‟a dit ; Il adit que j‟étais fils de merde ».Parole dite, énonciation de vérité d‟un sujet qui,à partir d‟un dire de l‟Autre, reconnaît sonexistence, son être de déchet.Voilà donc comment son père l‟avait désigné,comment Lucien s‟était enten<strong>du</strong> nommer, ce àquoi il s‟était identifié ; ce lourd « secret » qu‟iln‟avait pu confier encore à personne s‟étaitpourtant manifesté par ces comportementssymptomatiques et leur lien à la jouissancetoute.On peut penser que le père de Lucien, dont lafonction est forclose (forclusion <strong>du</strong> Non <strong>du</strong>Père), avait, dans la logique familiale de Lucien,pris la place de l‟Autre maternel disparu. Aprèsla séparation réelle imposée par la mort de lamère, mort non symbolisée par l‟enfant alorsâgé de 4 ans, la parole de ce père avait étéprise au pied de la lettre par Lucien. Lucien nepouvait exister Ŕ hors sa mère Ŕ qu‟en tant quemerde et c‟était beaucoup mieux que de ne pasexister <strong>du</strong> tout. C‟est là que se situait le bénéficede cet état symptomatique, avec tout le réel dela jouissance que cela impliquait. Pour Lacan,« le symptôme participe <strong>du</strong> Réel », comme il ledit en 1975 . Mais déjà, lors <strong>du</strong> discours aux54Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Bernadette DIRICQcatholiques, conférence donnée à Rome en1960, il avançait que : « l‟analyse s‟occupe trèsspécialement de ce qui ne marche pas. Le Réel,c‟est ce qui ne marche pas. Ce qui marche,c‟est le monde. Le monde va, il tourne rond ».Le Réel, dans sa résistance à « marcher droit »comme le voudrait notre société, ce Réel, dansson impossibilité à tourner rond, s‟oppose tantau monde qu‟au discours é<strong>du</strong>catif ou discours<strong>du</strong> Maître.Le symptôme d‟un sujet est donc lamanifestation inévitable <strong>du</strong> Réel à notre niveaud‟être vivant.Qu‟advint-il ensuite de ce symptôme de Lucien?Qu‟en fit-il ?Une fois admis dans le groupe de vie devenusien, nous l‟avons envoyé, comme quelquesautres jeunes lors d‟une période de vacances,dans une ferme équestre ... là où une odeur defumier persiste ... En fait, sans le savoir Ŕ cen‟est qu‟après-coup que la chose apparaîtcomme évidente Ŕ, nous lui avons ten<strong>du</strong> uneperche …qu‟il a saisie. Cette perche saisie,intervint « la bonne rencontre », rencontrecontingente, celle de Lucien et des chevaux.Au retour de ce camp, Lucien, qui s‟étaitrenseigné à propos de cet animal, s‟est mis à enétudier l‟anatomie ; peu à peu, il est devenuincollable sur le sujet. Dans l‟institution, uneé<strong>du</strong>catrice aimant particulièrement l‟équitationdevint sa référante tandis qu‟il participait àl‟activité équestre ; au manège, chaussé debottes, vêtu <strong>du</strong> pantalon d‟équitation et coiffé dela bombe, son moi s‟unifiait, Lucien étaittransformé.Dans le même temps, il devenait a<strong>du</strong>lte devantla Loi.Il y a deux ans, à la suite d‟un premier stageréussi en Centre d‟Aide par le Travail, en CATd‟horticulture où, là encore, il manipulait <strong>du</strong>fumier pour les plantations, il a émis le souhaitde faire un stage en CAT centre équestre :soigner les chevaux, entretenir leur box,emmener le fumier sur le tas, étaler le paillage,nourrir les bêtes avec attention, les préparerpour la clientèle <strong>du</strong> centre de loisir …deviendrait sa fonction.Malgré quelques difficultés <strong>du</strong>es non à sontravail mais au manque de soin sur sa personneencore insuffisamment investie, il a pu entendreles remarques qui lui furent adressées lors <strong>du</strong>bilan et modifier peu à peu sa tenue ; le résultatfut probant ; il est, à ce jour, inscrit sur la listed‟attente de ce CAT. Voici quelques mois, dansl‟attente de cette place souhaitée, il est passéEnfance asociale et psychanalysedans un groupe de jeunes a<strong>du</strong>ltes dont le lieud‟hébergement porte le nom de « Maison desjeunes travailleurs », venant ainsi souligner sadécision et sa position nouvelle.Pour conclure, j‟avancerais que le temps etl‟accompagnement particulier de ce sujet lui ontpermis de domestiquer un symptôme trèsinvalidant en faisant le choix d‟une option à lafois différente et voisine de la première, sous laforme d‟un nouveau symptôme, sorte dequatrième anneau, tel un ego correcteur ( cf.Séminaire Le sinthome ) de la cliniqueboroméenne, anneau symptôme permettant quetiennent les trois autres cercles R,S,I tandis quele lien social dont il était exclu est restitué.Lucien a<strong>du</strong>lte existe aujourd‟hui en temps quetravailleur stagiaire dans le cadre qu‟il s‟estchoisi : « Les chevaux, c‟est ce qu‟il me fautpour aller travailler, bien travailler et êtreembauché » a-t-il dit dernièrement.Les chevaux sont devenus sa famille, celle-làqui lui manquait pour exister comme sujetresponsable de lui-même aux yeux des autres.Le symptôme qui faisait de lui un être asocial,objet de jouissance des autres, a été« d‟hommestiqué », ce que j‟écrirai cette fois enutilisant l‟orthographe « homme » ; cesymptôme, Ŕ Lacan l‟appellerait-il sinthome ? Ŕs‟est déplacé sur un choix de vie où Luciens‟entoure toujours de l‟objet anal mais il s‟en sertdans l‟intérêt des chevaux auxquels il prodigueles soins adéquats. De « fils de merde » le voilàdevenu « mère de chevaux ». Bon travailleur,son savoir-faire s‟appuie sur l‟élaboration d‟unsavoir scientifique : l‟anatomie <strong>du</strong> cheval dontl‟étude indique qu‟il s‟agit <strong>du</strong> cheval réel, d‟unepart, corps organique de l‟animal organisé, etordonné par les noms scientifiques utilisés ;d‟autre part, l‟analogie des parties <strong>du</strong> corps <strong>du</strong>cheval avec celles de l‟homme Ŕ ne parle-t-onpas de bouche et de jambes ? Ŕ contribue, danscette réalité corporelle, à la reconstructionminimale <strong>du</strong> corps morcelé <strong>du</strong> schizophrène.L‟image de ce cheval, i(a), vient comme supportà la constitution <strong>du</strong> moi unifié <strong>du</strong> sujet (premierétage <strong>du</strong> Graphe).Cheval comme corps significantisé, donc, maisaussi cheval comme partenaire, cheval luidonnant un nom, le nommant travailleur« soigneur de chevaux », cheval réglant salibido, il s‟agit là d‟un véritable tissage où « lemonde <strong>du</strong> cheval » lui sert, de différentesmanières, pour lui permettre de se loger danscet Autre social qui lui manquait tant.Le monde <strong>du</strong> cheval est devenu, pour ce jeunea<strong>du</strong>lte, sa raison d‟être et d‟exister socialementtandis qu‟il l‟oriente aujourd‟hui vers un « pousseà la mère » … singulier.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES55


Bernadette DIRICQEnfance asociale et psychanalyse56Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Marie-Françoise HAASLa demande d‟enfantLa demande d’enfantMarie-Françoise HAAS (Lille)Forum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Lille-TournaiCe titre, « la demande d‟enfant », centre laquestion <strong>du</strong> symptôme autour desfonctions maternelle et paternelle dans lemalaise actuel de notre civilisation soumise auxprogrès de la science médicale. La science faitde l‟être humain un champ d‟expérimentation deses découvertes pouvant répondre auximpasses <strong>du</strong> réel, notamment en matière deprocréation. Ainsi, l‟offre de techniquesd‟assistance médicale et de procréation peutrecouvrir ce qu‟il y a d‟imprévisible pour chacundans la rencontre avec le réel sexuel. Laquestion n‟est pas de se prononcer sur lerecours aux techniques de procréation mais d‟ensaisir les occurrences toujours déclinables aucas par cas.Toutefois, deux points ne peuvent être ignorés :- Il est maintenant possible d‟enfanter sanspasser par l‟acte sexuel, donc en évitant touterencontre avec l‟autre sexe.- Engendrer n‟est pas transmettre. Or, le petitd‟homme doit s‟insérer dans la chaîne desgénérations dès lors que son existence l‟inscritdans l‟Autre <strong>du</strong> langage.Bien enten<strong>du</strong>, ce mode de conception par lerecours à la science n‟est pas ségrégatif en luimême: ce nouveau-né ne sera pas quelqu‟un àpart des mortels résultant d‟un coït. Lapsychanalyse freudienne a toujours soutenu, parsa référence au sujet et à l‟inconscient, quel‟être humain est d‟abord « fils <strong>du</strong> signifiant ». Lathéorie de Lacan, avec la promulgation <strong>du</strong> Nom<strong>du</strong>-Père,inscrit l‟éthique <strong>du</strong> désir noué à la loiau cœur de son questionnement 1 .Mais qu‟en est-il des effets de jouissance chezles sujets ?J‟ai choisi de vous faire part, à cette table ronde,de ma première rencontre avec un enfant conçupar insémination artificielle, une petite fille alorsâgée de 4 ans et demi.1 Lacan J., Les formations de l’inconscient, Paris ; Seuil,1998, p. 143Cauchemar et plainte de ne pas être aimée desenfants à l‟école sont le motif de la consultation.Les parents de Natividad, séparés depuis sanaissance, ont fini par divorcer. Monsieur s‟estremarié ; la nouvelle union est sans enfant. Horsde la présence de l‟enfant, Madame me dit queson ex-mari ne voulait pas d‟enfant, mais que,en raison d‟une stérilité chez lui, confirmée parles examens médicaux, il a fini par accepterqu‟elle recoure à une fécondation parinsémination d‟un donneur anonyme, à conditionqu‟elle garde à jamais le secret de cettenaissance à venir. Ce qu‟elle fit. Le recours à latechnique médicale révèle de façon implicite unparadoxe : ne pas vouloir d‟enfant se trouvecourt-circuité par la possibilité de maternité.Une des conséquences de la position subjective<strong>du</strong> mari fut que son épouse <strong>du</strong>t assumer seuleles échecs éprouvants inhérents à cettetechnique. Dès le début de la grossesse, le marise montre agressif, jaloux. Il espère toutefois unfils et l‟annonce d‟une fille va décupler saviolence jusqu‟à vouloir un jour étrangler « lafuture mère ». Il quitte le foyer conjugal à lanaissance de Natividad (prénom choisi par lamaman en raison <strong>du</strong> jour de naissance.)L‟enfant est rapidement confiée à ses grandsparentsmaternels, la mère dépressive habitantalors chez une tante. De cette période, elle neparlera que de façon fragmentaire. Au momentde la consultation, mère et fille vivent ensemble.En séance, les dessins et les modelages deNatividad représentent un univers morcelé avec,pour thème central, les animaux : ceux quimangent et ceux qui sont mangés, les unspouvant se transformer et devenir autres. Toutceci sans affect particulier.De ses cauchemars, Natividad ne sait rien dire,sauf un, pour lequel elle dessine « le petitfantôme Casper triste parce que mangé par unchien qui le fait tomber » et dans lequel serepèrent angoisse de dévoration et identificationà l‟objet anal. Ce récit va lui permettre d‟associersur une plainte dont le signifiant majeur est : leAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES57


Marie-Françoise HAASlit. Elle se plaint de façon récurrente de dormir àla maison avec maman parce que « son papane lui a pas acheté de lit » et chez son papa de« ne pas vouloir dormir dans le lit avec lui et ladame parce qu‟ils sont tout nus ».Dans la rétroaction <strong>du</strong> travail, la plainte laisseprésupposer un appel au père réel commeséparateur d‟avec l‟Autre maternel 2 . Après avoirobtenu de son père d‟avoir un lit chez sa mamanet de ne plus dormir avec lui et sa femme, lescauchemars disparaissent. Plus gaie à l‟école,elle commence à vouloir apprendre à écrire.C‟est à ce moment là que la maman décide demettre fin aux séances, arguant <strong>du</strong> fait que sonex-mari y a toujours été opposé, disant : « Ellen‟est pas folle ».Avant de partir, Madame me demande si jepense que les difficultés de sa fille ont un lienavec l‟histoire de sa conception. Le momentserait-il venu pour la maman de Natividad decommencer à se poser la question de la placede l‟enfant dans le désir parental avec la part desubjectivation qui en reviendrait au sujet ?Trois ans plus tard, je reçois à nouveauNatividad.Depuis plusieurs mois, Natividad se plaintauprès d‟une tante d‟être frappée sur les fesseset sur le ventre par son papa avec sa ceinture.Bien que la maman de Natividad en ait parléavec son ex-mari, cela ne change rien. Ilrétorque qu‟elle est « mal élevée », qu‟elle « leprovoque » en faisant, par exemple, pipi deboutdessus le lit ; c‟est pourquoi il la bat. C‟est cequ‟il me dira également la seule fois où jepourrai le rencontrer.Il ne s‟agit pas, dans le rapport père-fille, d‟uneoccurrence <strong>du</strong> fantasme freudien : « On bat unenfant », fantasme inconscient qui soutient,dans le retour <strong>du</strong> refoulé, l‟amour <strong>du</strong> père pourl‟enfant, reconnu dans sa dimensionsymbolique 3 . Pour ce cas, le corps de l‟enfantest objet offert à la jouissance d‟un Autredéréglé qui se révèle dans l‟incapacité d‟opérerle nouage <strong>du</strong> désir à la loi nécessaire à lafonction paternelle.Face à cette violence paternelle, Madame,soutenue par sa famille, fait appel à la justice, àla brigade des mineurs, laquelle sollicite unehospitalisation de plusieurs jours enpédopsychiatrie pour suspicion de mauvaistraitements de la part <strong>du</strong> père. La carencepaternelle est maintenant directement dénoncée2 Lacan J., La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 199.3 Ibid. P. 111 et Freud, S., « Un enfant est battu », Névrose,psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973.La demande d‟enfantpar la mère avec, dans un effet de répétition, lemédical doublé de la justice en position de tiers.Le rapport médical stipule qu‟aucune marquesur le corps n‟a pu être constatée mais uneproposition de suivi est faite avec deuxmédecins, l‟un pour soigner l‟encoprésie et unautre pour l‟énurésie.Au retour de cette hospitalisation, Natividad, deplus en plus triste et angoissée, accepte laproposition de sa mère, inquiète, de me revoir.Lorsque je la reçois seule, elle m‟explique qu‟undes docteurs rencontrés aurait dit :– « J‟ai <strong>du</strong> caca jusqu‟au cou. »– Qu‟est-ce que tu en as pensé ?– « Il faut l‟enlever. Je veux le dessiner ici. »L‟enten<strong>du</strong> d‟une parole, dans ce contextemédical, prononcée par un tiers en position demaître, renvoie à la question de l‟inscription dece sujet dans la demande de l‟Autre et de seseffets surmoïques imaginaires. La collusionhomophonique, des signifiants coup (ceinture) etcou, tra<strong>du</strong>it pour l‟enfant ce qu‟il y ad‟incompréhensible dans la violence paternelle.Le travail de la parole en séance permettra à cesujet de faire passer une part de la jouissanceau symbolique, avec pour effet l‟arrêt del‟encoprésie et l‟espacement de l‟énurésie.Natividad, pro<strong>du</strong>it d‟une paternité refusée, entra<strong>du</strong>it l‟horreur dans ce fantasme mortel.Chaque enfant occupe un lieu dans le fantasmematernel mais ce lieu se fait réel pour le seulenfant psychotique. Objet étron d‟un Autre réeldans un effet de répétition <strong>du</strong> destin, la parole<strong>du</strong> médecin ne vient-elle pas présentifier unpère réel, faisant « déclencher » le sujet?Dans L’Etourdit, Lacan écrit : « L‟irruption d‟Unpère, comme sans raison, précipite l‟effetressenti <strong>du</strong> forçage au champ de l‟Autre 4 . »L‟encoprésie et l‟énurésie, la violence <strong>du</strong> père,correspondent au moment où la maman deNatividad, enceinte de son nouveaucompagnon, sait qu‟elle attend un fils. Agé de 2mois au moment où Natividad revient me voir,cet enfant comble le vœu de Madame depouvoir s‟occuper tranquillement d‟un bébé. Lanaissance de ce petit frère plus apte à répondreau manque phallique maternel est venuedéloger Natividad de la fragile assisenarcissique qui la tenait à sa mère 5 . La4 Lacan J., « L‟étourdit », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001,p.449.5 Lacan J., « Du traitement possible de la psychose »,Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 531.58Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Marie-Françoise HAASbrusquerie de Natividad à l‟égard <strong>du</strong> bébé ainsique son comportement de plus en plus difficileoù mutisme et colère alternent, inquiète samaman.En séance, ses dessins vont lui permettred‟inscrire les constructions d‟un roman.A la question : « D‟où viennent les enfants? » Samaman lui avait répon<strong>du</strong> : « <strong>du</strong> ventre de lamaman et <strong>du</strong> ciel ». Dans un raccourcisaisissant, Natividad ajoute : « le papa s‟occupedes besoins, dans mon ventre, il n‟y a rien ; je letouche pour savoir si j‟ai faim ».Cette parole situe la façon dont ce sujet doitsoutenir un Autre imaginaire en donnant cequ‟elle a, les déchets <strong>du</strong> corps, et recevoir, enretour <strong>du</strong> père, le fouet, dans une scène oùl‟objet scopique est prévalent. L‟insoumission deNatividad peut se lire comme une tentative pourfaire exister un autre en place de pèreimaginaire comme barrage à la pulsionincestueuse psychotique.La parole maternelle recouvrant le secret de laconception va permettre à Natividad deconstruire une théorie cosmique avec Dieu enplace de père :- « Dans un grand livre noir, le Bon Dieu écrit lenom des méchants qui sont sur terre avec lesdiables et le nom des gentils qui sont, eux, auciel. Mais dans les cauchemars, les gentilspeuvent devenir méchants et inversement ».C‟est pour conjurer cela qu‟elle laisse sesdessins dans le bureau.Natividad tente-t-elle de soutenir, en miroir deDieu, à l‟adresse d‟un autre désirant, le comptedes petits autres qui la persécutent et de ceuxqui l‟aiment ? Fragile tentative de stabilisationqui sera remise en question après une absenceprolongée en raison des vacances.La supposition d‟hallucinations visuelles etverbales, dans la restitution de ses récits,accompagnés parfois de rires discordants, demimiques, de regards fixant les traits dessinés,va se confirmer dans un passage à l‟acteinquiétant. Un matin d‟école, s‟échappant d‟ungroupe d‟enfants et d‟a<strong>du</strong>ltes qui l‟accompagne,elle traverse en courant une grand-route aumoment où passe une voiture, qui parviendra àl‟éviter.Insistant pour qu‟elle fasse, en séance, le récitde ce moment, Natividad affirme qu‟une voix,celle de Jeanne d‟Arc, lui a commandé detraverser. S‟en suit un éloge à la gloire deJeanne d‟Arc, de son courage, « morte célèbreà 19 ans pour sauver la France et être aimée deLa demande d‟enfantson roi ». Ce n‟était d‟ailleurs pas la premièrefois que Jeanne d‟Arc lui parlait mais c‟était lapremière fois qu‟elle lui faisait faire « unedangereuse bêtise ».Vouloir figurer, par identification imaginaire, àune place de « gentille » dans le livre noir deDieu peut s‟avérer mortel. S‟agissant de parolesimposées, la voix qui les véhicule révèle laprésence de l‟Autre, ré<strong>du</strong>ite à sa sonorité.Forclos, le Nom-<strong>du</strong>-Père revient comme voix. Laprésence <strong>du</strong> psychotique se présente-t-elle alorsautrement que comme un pur « j‟entends 6 » ?L‟incorporation <strong>du</strong> père comme marque <strong>du</strong>refoulement originaire est ce qui permet àl‟enfant de prendre place dans la chaîne desgénérations. Ici, la nécessité d‟une historisationpour Natividad passe par le recours à l‟histoirede France pour soutenir un présent là où lascience qui ne pense pas ne peut proposer quedes solutions sans sujet. Là où l‟on trouveordinairement la construction d‟une fictionromanesque œdipienne, on note, dans ce cas,une tentative pour fixer la jouissance surmoïqueen faisant intervenir un Autre en position d‟Idéal.De Jeanne d‟Arc, il y aura trace métonymiquedans toute une série de dessins : sur le bord dela feuille est dessinée une hampe surmontée,non pas d‟une oriflamme, mais d‟une étoilebleue. Ce bricolage signifiant est une tentative<strong>du</strong> sujet de nouer une parole maternelle surl‟origine à une figure de femme guerrière etmystique en place d‟idéal mythique. Cesconstructions requièrent, dans le transfert, dansle cas d‟un patient psychotique, la nécessitépour l‟analyste de trouver à s‟insérer entre lesvoix et un Autre trop absolu, de façon à ledécompléter en étant l‟autre qui parle. Cela aaussi pour effet de fractionner une jouissancenon phallicisée.Au bout d‟un an, avant que le travail ne soitencore stoppé par la maman, Natividad me ditaimer le dessin, comme son papa, et que celuicilui apprend à dessiner des sirènes.Nous savons que, si leur pouvoir de sé<strong>du</strong>ctionsur le genre masculin, grâce à leur voix, estlégendaire, leur possibilité d‟enfanter finit enqueue de poisson !Si le dessin soutient une relation pacificatriceentre père et fille, un goût en commun, celareste <strong>du</strong> registre de l‟imaginaire, en deçà de lacastration phallique par laquelle la petite filleincorpore le Nom-<strong>du</strong>-père à son désir. Il y a,pour le papa de Natividad, un insoutenable de la6 Rabinovitch S., « Les voix », Ramonville Saint Agne, Erès,1999.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES59


Marie-Françoise HAASfonction paternelle, stigmate de sa propreinscription dans une histoire familiale qu‟il tait.En conclusion, être père ne peut se situer dansla simple continuité d‟être un homme, comme lapsychose le démontre.Pour le papa de Natividad, le point de vérité <strong>du</strong>sujet est l‟impossibilité d‟intro<strong>du</strong>ire le signifiant« être-mère » dans la chaîne des générations.Le « pas d‟enfant » serait le signifiant forclos quine peut trouver inscription dans le désir del‟Autre par la béance qu‟intro<strong>du</strong>it dans lesymbolique le Nom-<strong>du</strong>-Père. Le géniteur n‟entrepas en tant que tel dans la fonction paternelle.L‟échec de cette fonction, c‟est l‟échec de laplace d‟un désir et la mère peut se trouver ensituation de réaliser la « mère-toute » combléepar l‟enfant. Dans son texte à Jenny Aubry« Deux notes sur l‟enfant 7 », Lacan précise que« l‟enfant sature la mère en se substituant àl‟objet a dans le fantasme. Il sature le mode demanque où se spécifie le désir (de la mère),quelle qu‟en soit la structure spéciale :névrotique, perverse ou psychotique. [……]La demande d‟enfantLe symptôme somatique donne le maximum degarantie à cette méconnaissance ; il est laressource intarissable selon les cas à témoignerde la culpabilité, à servir de fétiche, à incarnerun primordial refus. »Trouver place d‟objet agalmatisé dans le désirmaternel nécessite l‟inscription de l‟enfant-sujetdans la métaphore paternelle. Ici, le « vouloir unenfant » <strong>du</strong> côté de la mère est resté en deçà decette opération signifiante. L‟entrée <strong>du</strong> sujetdans les voies <strong>du</strong> désir dépend <strong>du</strong> fait que lamère est une femme et, comme telle, privée.C‟est ce qui fait dire à Lacan dans L‟envers de lapsychanalyse que « le rôle de la mère, c‟est ledésir de la mère ».A la thèse de l‟absence de rapport sexuel, quesoutient la castration féminine à n‟être pas-touteprise dans la signification phallique, il y al‟antithèse qui est la repro<strong>du</strong>ction de la vie oùl‟enfant peut se retrouver logé à la place de laquestion <strong>du</strong> sujet 8 .7 Lacan J., « Note sur l‟enfant », Autres Ecrits, Paris, Seuil,2001, p. 373.8 Lacan J. Le savoir <strong>du</strong> psychanalyste, séminaire 1971-1972, non publié.60Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?Pourquoi l’enfant concentre-t-il toute notre attention ?Dr Sylvain GROSSEcole de Psychanalyse Sigmund FreudQuestionnement psychanalytiqueLe 20 avril 2006, s‟est tenue à Bruxelles unetable ronde concernant le trouble déficitairede l‟attention avec ou sans hyperactivité. Le titrede la table ronde était « TDA/H : mythe ouréalité ? ».C‟est le sujet le plus médiatisé concernant lapathologie infantile. On peut lire dans le JDM (4mai 2006) « Tandis que l‟existence même decette affection ainsi que celle de son traitementmédicamenteux sont souvent remises enquestion, le New England Journal of Medicine atout récemment consacré un article au risquecardiovasculaire potentiel des médicamentsutilisés dans son traitement ».Bien enten<strong>du</strong>, le Pr Patrick Van Bogaert, chef <strong>du</strong>service de neuropédiatrie à l‟Hôpital Erasme, atenu à relativiser le chiffre absolu de 25 cas demort subite recensés.« Suite à cet article, dit-il, on parle beaucoup <strong>du</strong>TDA/H dans les médias et c‟est une bonnechose, pour plusieurs raisons. D‟une part, c‟estune pathologie fréquente dont l‟incidence enpédiatrie tourne autour de 3 à 5 % mais qui estencore mal connue. On s‟est récemment ren<strong>du</strong>compte <strong>du</strong> caractère chronique de cettepathologie.Alors qu‟on a longtemps cru qu‟il s‟agissait d‟unepathologie <strong>du</strong> développement qui disparaissait àla puberté, il a bien été montré que plus de lamoitié des a<strong>du</strong>ltes continuent à en souffrirpendant toute leur existence. Même si certainssymptômes ont tendance à diminuer, l‟âgeavançant ».Traitement médicamenteux« On ne décidera de traiter par médicament quesi le trouble a des répercussions dans la vie detous les jours (encore heureux !).Il faut présenter le méthylphénidate (Rilatine,Ritaline) comme un médicament avec des effetssecondaires bien connus dont il faut tenircompte. Il faut dire qu‟il s‟agit d‟un dérivé desamphétamines : il vaut mieux que les gensl‟apprennent par le médecin que par les voisins.Une bonne image, bien qu‟un peu simpliste, estcelle d‟un stimulant de l‟attention, qui va ré<strong>du</strong>irel‟hyperactivité résultant <strong>du</strong> manque d‟attention.Actuellement, il n‟y a aucune indication pourréaliser un ECG ou une échocardiographiepréalablement à la prescription deméthylphénidate. Ce dernier est rembourséjusqu‟à 17 ans inclus (Belgique) à condition quele diagnostic ait été posé par un psychiatre. Legénéraliste peut faire alors la prescription.Il est intéressant pour nous de connaître lesapproches non-médicamenteuses préconiséespar les neuropédiatres.La thérapie comportementale consiste à essayerd‟analyser les situations pratiques ayant poséproblème pour éviter qu‟elles ne serepro<strong>du</strong>isent.La psychoé<strong>du</strong>cation est essentielle pour fairecomprendre le mode de fonctionnement despatients TDA/H, à l‟entourage et au patient luimême.Les stratagèmes utilisés consistent par exempleà établir un horaire très précis, routinier et strict,toute l‟année <strong>du</strong>rant. Avec des stratégies derécompenses : ces enfants fonctionnent mieuxaux récompenses qu‟aux punitions. Ils ont déjàdroit à tant de remarques de partout. Que diraitJ.P. Lebrun, lui qui s‟insurge contre l‟émergenced‟une génération de parents qui ne s‟accordentplus la légitimité de prescrire une perte dejouissance à leur enfant, qui se trouvent dans lemalaise Ŕ sinon l‟impossibilité Ŕ à faire accepterpar leur enfant une limite à sa toute-puissance).(Mutation <strong>du</strong> lien social et é<strong>du</strong>cation Ŕ Ledébat). »Toujours selon les conclusions de ce colloque,le plus grand dommage <strong>du</strong> TDA/H, c‟est la pertede l‟estime de soi. Il faut aider ces enfants à seAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES61


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?reconstruire pour qu‟ils deviennent des a<strong>du</strong>ltesépanouis et heureux. Tout un programme !TDA/H a<strong>du</strong>lteNon traitée, la maladie persévère à l‟âge a<strong>du</strong>ltechez plus de 50 % des patients. L‟hyperactivités‟atténuant avec l‟âge, le trouble est moinsdécelable mais ses conséquences restentgraves. Aux échecs scolaires succèdent leséchecs professionnels.Le malade peut être pris dans une spiraled‟exclusion sociale qui peut s‟aggraver detroubles de la con<strong>du</strong>ite ou de la personnalité,d‟alcoolisme, de toxicomanie, de criminalité. Cesont là les conclusions sombres que l‟on peuttirer de cette table ronde pour laquelle le TDA/Hest bien une réalité à traiter toute affairecessante par une alliance médicamenteuse etcomportementaliste. Il faut relever le passagerécent d‟un trouble restreint à l‟enfant à celuid‟un trouble généralisé à l‟a<strong>du</strong>lte. Continuitébiologique oblige ! On peut constater cettecontinuité des troubles des con<strong>du</strong>ites chezl‟enfant de 36 mois (Inserm) non traitées àl‟a<strong>du</strong>lte TDA/H. Il y a une criminalisation <strong>du</strong>trouble.*Le TDA/H ou, plus communément, appeléhyperkinésie, est une zone de confrontationsépistémiques où s‟affrontent, dans la clinique del‟enfant, l‟approche subjective ou analytique etl‟approche neurobiologique et comportementaliste.L‟autre zone de confrontation estl‟autisme. On pourrait également ajouter ladysphasie.J‟aborderai d‟abord l‟évolution récente de laclinique psychiatrique et sa "Mac Donaldlisation"en cours qui signe la fin de la fécondation de lapsychiatrie classique par la psychanalyse.Ensuite, je dirai quelques mots sur une cliniquepsychanalytique qui est à distinguer de touteclinique psychiatrique.Le psychiatre et le marché de la guérison.Critique d‟une "McDonaldlisation" en cours de lapsychiatriePaul Bercherie annonçait avec optimisme en 88,dans une étude portant sur les rapports entre laclinique psychiatrique et la cliniquepsychanalytique, que l'on pouvait attendre « quedomine progressivement l'éthique de vérité et deréalisation subjective qui fonde la cliniqueanalytique et la démarque de l'inféodation <strong>du</strong>dispositif psychiatrique aux impératifs de groupequi l'ont engendré ».Nous pouvons constater, certes avec joie, lavigueur de la clinique psychanalytique, commeen témoigneront très certainement lescontributions à ce colloque. Toutefois, en cedébut de 3 ème millénaire, le caractère quelquepeu achevé de la clinique psychiatriqueancienne a laissé la place à un système de"désagrégation sémio-biologisante de lanosologie, le DSM III et IV, manuel diagnostique(de l'association des psychiatres américains) etstatistique des troubles mentaux qui, nonseulement rend incertaine la domination del'éthique de vérité de la clinique analytique, maiségalement contrarie fondamentalement lesconditions de sa pratique.Actuellement, l'hégémonie <strong>du</strong> DSMs'accompagne de l'effacement de la question <strong>du</strong>sujet que la psychanalyse avait contribué àréintro<strong>du</strong>ire au sein de la psychiatrie classique.Les cendres <strong>du</strong> corps de la psychiatrie classiqueet de ses structures cliniques ont étédisséminées dans un catalogue de troublesnumérisés.Je rappellerai en quelques mots la nouveautéessentielle <strong>du</strong> DSM (III) par rapport aux éditionsprécédentes : la domination de la penséebehavioriste a eu pour principal objectif de virerà proprement parler la psychanalyse de latroisième édition (1980).La perspective de sémiologie évolutionniste, a-théorique, de ce manuel se veut un outil pourévaluer l'efficacité des traitements. La viséeopératoire <strong>du</strong> DSM imprègne au plus profond lescouches de psychiatres en formation (J.J.Kress) par une approche unidimensionnelleré<strong>du</strong>ite à un manuel diagnostique.Nous savons que la psychiatrie biologique netient pas compte <strong>du</strong> sujet, ni dans l'évaluationdes troubles selon les échelles de plus en plusrépan<strong>du</strong>es, ni dans la compréhension desmécanismes cliniques liés auxneurotransmetteurs et modifiés par la pathologieet les psychotropes.Le danger majeur de la psychiatrie actuelle estcelui de l'extension des procé<strong>du</strong>res évaluativesconcernant l'effet des psychotropes et cellesbasées sur les échelles. Une nouvellesémiologie et nosographie se constitue à partirdes méthodes de la psychiatrie biologique. Elleest foncièrement différente <strong>du</strong> débat entre lapsychiatrie "classique" et la psychanalyse. Larégulation des dépenses de santé justifiel'extension des études épidémiologiques qui62Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?trouvent dans la psychiatrie biologique unefausse objectivation.La santé a donc un prix et l'effort qui lui estconsacré pour une collectivité est forcémentlimité. Voilà le discours des pouvoirspublics.Pourquoi la psychiatrie américaine ("McDonaldlisation") l'a-t-elle emporté sur lapsychiatrie européenne (française et allemande)?La psychiatrie a voulu être reconnue commeune spécialité médicale avec des donnéeschiffrables comme les autres afin de justifier del'obtention de ressources, de moyensbudgétaires. L'analyse statistique de groupenécessite une certaine homogénéitésymptomatique et une langue psychiatriquecommune. Un certain consensus doit sedégager quant à la symptomatologie pour fairedes corrélations avec les éléments biologiqueset non plus biographiques.Le DSM est en quelque sorte une réponse de lapsychiatrie sur le mode sémio-biologisant àl'économie de marché. Le "bonheur" est dans labiologie.La démarche et la pensée <strong>du</strong> psychiatre sontunifiées par la méthode <strong>du</strong> consensus. Il n'y aplus de possibilité de confrontation, dediscussion diagnostique. Le Maître Livredonnera enfin l'accès à la maîtrise <strong>du</strong> marché dela santé.Quel intérêt d'établir un diagnostic différentiel,de savoir si nous sommes en présence d'unenévrose hystérique ou d'un délire chronique dèslors que la symptomatologie est dépressive etque le médicament fait disparaître le symptôme?Pourquoi reconstituer patiemment etlaborieusement l'histoire <strong>du</strong> sujet puisque nousavons les moyens de faire disparaître lesconséquences, quelle qu'en ait été la cause ?Le symptôme n'est plus porteur d'un sensinconscient à découvrir mais conçu comme unsigne de dysfonctionnement biologique àré<strong>du</strong>ire. Que le symptôme persiste ou sedéplace ne permet pas dans cette approche desoupçonner la jouissance qui lui est afférente.Le DSM pro<strong>du</strong>it une clinique symptomatiquedescriptive, qui éliminerait toute référencethéorique et toute hypothèse pathogénique. Unefois le sujet éliminé de sa maladie, il ne resteplus qu'à organiser ses symptômes dans unsystème binaire, qu'une machine, après analysedes données, délivrera l'ordonnance enindiquant le médicament précis qui correspond àun symptôme défini.On reconnaît là l'effet psychotisant de la sciencemoderne. Dès lors que le hiatus <strong>du</strong> sujet estméconnu, le mot devient la chose même.L'exactitude de la machine est confon<strong>du</strong>e avecla vérité, et le médicament devient adéquat ausymptôme. On peut imaginer les bénéfices quepeut en tirer une société axée sur laconsommation et le profit.La clinique était le terrain privilégié d'échange etde confrontations entre psychanalyse etpsychiatrie sur le même champpsychopathologique. Avec le DSM, on assiste àla déstructuration de la clinique dans unessaimage de troubles : troubles obsessionnelscompulsifs, phobie sociale, troubles dissociatifs,trouble panique.On est bien loin de ce qu'écrivait Lacan dans lepréambule à l'acte de fondation (21 juin 1964)de l'école freudienne de Paris : « Lapsychanalyse s'est pourtant d'abord distinguéede donner un accès à la notion de guérison enson domaine, à savoir : rendre leur sens auxsymptômes, donner place au désir qu'ilsmasquent, rectifier sous un mode exemplairel'appréhension d'une relation privilégiée, encoreeût-il fallu, pour pouvoir l'illustrer des distinctionsde structure qu'exigent les formes de la maladie,les reconnaître dans les rapports de l'être quidemande et qui s'identifie à cette demande etcette identification elles-mêmes. »A partir <strong>du</strong> moment où les pouvoirs publicsdonnent une légitimation au DSM et le valide enen imposant l'utilisation, il faut bien mesurer lesconséquences cliniques et thérapeutiques d'untel acte. La clinique psychiatrique classiquedisparaît ainsi que la référence analytique. Lesnévroses sont absentes <strong>du</strong> champ diagnostique,elles offrent trop de résistance à la mesureobjective.Les troubles anxieux et de l'humeur occupentune place prépondérante. De nouvelles entitéscliniques apparaissent : phobies sociales,troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Bienévidemment, le but recherché serait qu'à chaquepathologie corresponde un médicament. C'estl'usage <strong>du</strong> médicament qui, désormais,détermine la clinique, qui devient une clinique <strong>du</strong>médicament ou <strong>du</strong> psychotrope.Médicalisation de la sociétéLa "guérison" dans la personne <strong>du</strong> médecin estsoumise aux déterminations d'une politique desanté conjuguée aux effets <strong>du</strong> discours de lascience. La pratique médicale, si elle venait à seconformer strictement à cette double exigence,signerait à terme la disparition de la fonction <strong>du</strong>médecin.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES63


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?Pour Michel Foucault (in Les Machines à guérir),l'histoire de la profession médicale serait un bonangle d'attaque pour mettre en évidence lamanière spécifique dont, à un moment donné etdans une société définie, l'interaction indivi<strong>du</strong>elleentre médecin et malade s'articule surl'intervention collective à l'égard de la maladieen général ou de tel malade en particulier. "Lamédecine privée ou libérale est un mode deréaction collectif à la maladie".La politique de santé se dessine au XVIII è sièclepar la constitution d'un appareil qui peut prendreen charge les malades comme tels et parl'aménagement d'un dispositif qui permetd'observer, de mesurer et d'améliorer enpermanence un "état de santé" de la population.La famille sera médicalisée et l'enfancedeviendra un objet d'attention particulièrementprivilégié. Le médecin sera promu comme legrand expert dans l'art d'améliorer le "corpssocial". La médecine fonctionnera commeinstance <strong>du</strong> corps social, notamment à traversl'hygiène. L'hôpital, de lieu d'assistance qu'ilétait, se transformera en lieu d'opérationthérapeutique, en "machine à guérir".Pour Foucault, la médecine moderne est unemédecine sociale dont le fondement est unecertaine technologie <strong>du</strong> corps social : lamédecine est une pratique sociale et l'un de sesaspects seulement est indivi<strong>du</strong>aliste et valoriseles relations entre le médecin et le patient.L'hypothèse de Foucault est qu'avec lecapitalisme, on n'est pas passé d'une médecinecollective à une médecine privée, mais que c'estprécisément le contraire qui s'est pro<strong>du</strong>it.Le capitalisme, qui se développe à la fin <strong>du</strong>XVIII è siècle et au début <strong>du</strong> XIX è , a d'abordsocialisé un premier objet, le corps, en fonctionde la force pro<strong>du</strong>ctive, de la force de travail. Lecontrôle de la société sur les indivi<strong>du</strong>s nes'effectue pas seulement par la conscience oupar l'idéologie, mais aussi dans le corps et avecle corps. Le corps est une réalité bio-politique; lamédecine est une stratégie bio-politique. (Thèsede Foucault). Pour gouverner, il faut guérir eté<strong>du</strong>quer comme on le verra avec l'analyse <strong>du</strong>pseudo "syndrome hyperkinétique". Commentempêcher la vérité de sortir de la bouche desenfants ?A propos <strong>du</strong> préten<strong>du</strong> syndrome hyperkinétique.Chaque jour, depuis une quarantaine d'années,plusieurs articles concernant ce sujet sontpubliés, et non plus seulement dans les paysanglo-saxons. Le taux de prévalence <strong>du</strong> déficitde l‟attention / hyperactivité a été estimé entre 3et 5 % chez les enfants d‟âge scolaire. Alors quele taux de prévalence <strong>du</strong> trouble autistique seraitde 2 à 5 cas pour 10 000 personnes.La place accordée à ce trouble, mieux connu enFrance sous la dénomination de syndromehyperkinétique, est devenue prépondérante.Michel Dugas 1 écrivait ceci en 1987 dansl‟intro<strong>du</strong>ction à son livre sur l‟hyperactivité chezl‟enfant :« La différence la plus évidente, et sans doute laplus importante, entre la pratique psychiatriqueaux Etats-Unis d‟Amérique et en France est laplace que chacune attribue à l‟hyperactivité del‟enfant. Ce que nous appelons plus volontiers« instabilité psychomotrice » n‟a guère le statutd‟une catégorie diagnostique. L‟instabilité esttout au plus un symptôme, d‟ailleurs bien banalchez l‟enfant, sans signification précise ». Parcontre, « L‟hyperactivité de l‟enfant constituepour nos confrères américains une entitéclinique particulière, fréquemment observée,dont les conséquences scolaires et socialessont graves ».Michel Dugas interroge alors bien évidemmentla discordance entre la place de l‟hyperactivitéde l‟enfant accordée aux États-Unis et enFrance. Il ne s‟agit bien évidemment pas d‟uneméconnaissance des travaux anglo-saxons. Onretrouvait davantage en France la description <strong>du</strong>syndrome hyperkinétique de l‟enfant dans lesmanuels de neurologie pédiatrique, à la rubriquedes troubles de l‟apprentissage que dans lestraités de psychiatrie infantile. Ce n‟est plus lecas. Les neurologues plaident pour l‟organicité<strong>du</strong> syndrome alors que les psychiatres leconsidéraient comme un trouble de lapersonnalité.Déconstruction <strong>du</strong> syndromeL‟analyse de l‟évolution terminologique <strong>du</strong>syndrome est des plus instructive : instabilitépsychomotrice, hyperkinésie, hyperactivité,dysfonctionnement cérébral a minima, déficitattentionnel avec ou sans hyperactivité.Dans le domaine anglo-saxon, c‟est en 1902que le Dr. Still, pédiatre <strong>du</strong> King‟s CollegeHospital de Londres, décrit le cas d‟enfants detempérament violent et destructeur, demeurantinsensibles aux punitions. Ces enfants étaientimpatients, agités et incapables d‟une attentionsoutenue, ce qui entraînait des échecs scolairesen dépit de leurs capacités intellectuelles. Le Dr.Still conclut à un déficit <strong>du</strong> contrôle moral, à larecherche d‟une satisfaction immédiate sansconsidération pour l‟entourage.1 Michel Dugas, « L‟hyperactivité chez l‟enfant », PUF, 198764Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?Il parle alors de « brain damage syndrome » ensupposant une analogie de comportement entreles enfants au cerveau lésé et ceuxapparemment normaux neurologiquement. Lelien avec un dommage cérébral étant loin d‟êtredémontré, la conception de dommage cérébralminime (minimal brain damage) fait sonapparition dans l‟explication <strong>du</strong> syndromejusqu‟au début des années soixante.Le concept de dommage lié à une lésion et àune localisation sera remplacé par celui de« dysfonctionnement cérébral a minima »(minimal brain dysfunction) et ce au cours desannées 60. La terminologie évoluera également.La dénomination d‟enfant hyperkinétique ouhyperactif remplacera celle d‟enfant avec undommage cérébral minime.L‟association des psychiatres américains, en1968, classera cette entité dans les réactionshyperkinétiques de l‟enfant. L‟hyperkinésie a ététrès vite retenue comme un élément essentiel etconsidérée, principalement aux Etats-Unis,comme synonyme de trouble de l‟apprentissage.L‟appréciation de l‟hyperkinésie est difficile : ellevarie chez un même enfant selon la tâchedemandée, l‟environnement, l‟attitude desparents et selon l‟attitude de l‟examinateur.La priorité, dans les années 70, se portera surles difficultés d‟attention. Le déficit attentionnel,déficit fondamental qui affecterait la vigilance etle maintien de l‟attention, est associé à desdéficits perceptifs et cognitifs entraînant desperturbations <strong>du</strong> comportement dontprincipalement l‟hyperactivité.L‟appellation officielle, en 1980, passera de« réaction hyperkinétique » à « trouble déficitairede l‟attention ». Le syndrome de déficitattentionnel avec ou sans hyperactivité (ADDH)s‟est ainsi substitué à celui de syndromehyperkinétique. La mutation est alors complète,le trouble alors extérieur dans sesmanifestations (hyperactivité) devient intérieurdans le déficit attentionnel.Le trouble de déficit de l‟attention / hyperactivitéest défini dans le DSM IV (1995) comme « modepersistant d‟inattention et/ou d‟hyperactivité /impulsivité, plus fréquent et plus sévère que cequ‟on observe habituellement chez des sujetsd‟un niveau de développement similaire. Il fautqu‟un nombre minimum de symptômesd‟hyperactivité / impulsivité ou d‟inattentionentraînant une gêne fonctionnelle aient étéprésents avant l‟âge de 7 ans et se manifestentdans au moins deux types d‟environnementsdifférents (maison, école, travail). Laperturbation ne doit pas être expliquée par untrouble psychotique, de l‟humeur anxieuse ou dela personnalité. Rappelons que la prévalence aété estimée entre 3 et 5 % chez les enfantsd‟âge scolaire.Le trouble se subdivise en trois sousgroupes:déficit de l‟attention / hyperactivité,type mixte ; déficit de l‟attention / hyperactivité,type inattention ; déficit prédominant del‟attention / hyperactivité, type hyperactivité /impulsivité prédominante.Dans les critères diagnostiques, il faut laprésence de six des symptômes d‟inattention(ou plus) ayant persisté au moins six mois :- inattention aux détails, étourderie dans letravail de base,- soutient mal son attention au travail ou dansles jeux,- semble ne pas écouter quand on lui parle, nese conforme pas aux consignes et ne mène pasà terme ses devoirs scolaires ou tâchesdomestiques,- ne parvient pas à organiser ses travaux ou sesactivités, a en aversion ou évite les tâchesnécessitant un effort mental soutenu (travailscolaire, devoirs),- perd souvent les objets nécessaires à sontravail,- se laisse facilement distraire, oubliefréquemment dans la vie courante.Et il faut également six (ou plus) des symptômesd‟hyperactivité-impulsivité ayant persistépendant au moins six mois :- remue souvent les mains et les pieds, setortille sur son siège,- se lève souvent,- court ou grimpe partout,- a <strong>du</strong> mal à se tenir tranquille dans les jeux oules activités de loisir,- est « sur la brèche » ou « monté sur ressorts »,- parle trop,- répond avant la fin de la question,- attend son tour avec difficulté,- interrompt les autres ou impose sa présence.Chacun se retrouvera peu ou prou dans cescritères qui évoquent davantage la référence àun manuel de civilité qu‟à un livre de médecine.L‟inattention serait devenue une forme modernede manque de savoir vivre ou d‟é<strong>du</strong>cation !Plusieurs hypothèses pour expliquer ce trouble :dysfonctionnement métabolique au niveau desneurotransmetteurs cérébraux (particulièrementla dopamine), facteurs génétiques, nécessitéd‟un seuil d‟excitation élevé car faible niveaud‟excitabilité.Aucune étiologie bien sûr n‟a été démontrée àAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES65


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?ce jour. La profusion des travaux serait déjà àelle seule suffisante à indiquer l‟insuffisanced‟une quelconque cause. La multiplication desarticles et des arguments sert à masquerl‟inexistence d‟une preuve qui ne viendra detoute façon jamais.On peut affirmer à juste titre que l‟intérêt et ledéveloppement considérable des études liées àce syndrome sont liés principalement à l‟actionsupposée d‟un médicament de la classe despsychostimulants (amphétamines), leméthylphénidate, commercialisé en France sousle nom de Ritaline, en Belgique, Rilatine, oudepuis peu Concerta ; d‟autres médicaments ouformes médicamenteuses arriveront sur lemarché.C‟est en 1937 que le Dr. Charles Bradleyobserva une amélioration <strong>du</strong> comportementchez des enfants ayant des troubles <strong>du</strong>comportement et des difficultés scolaires, aprèsadministration de benzédrine (amphétamine).L‟utilisation <strong>du</strong> méthylphénidate en 1957, autrepsychostimulant, donnera lieu alors à descentaines de publications concernant sonusage. Le mode d‟administration de cettedrogue est hautement significatif : elle seradonnée à des enfants d‟âge scolaire (7 ans), etce en dehors des périodes de congé (weekends,vacances). Il va sans dire que laprescription de cette drogue n‟est pas sansdanger dans le développement ultérieur d‟unetoxicomanie.Michel Dugas conclut son étude de 1987 enécrivant que la question de l‟existence d‟uneentité neurologique distincte, le syndromed‟hyperactivité ou trouble déficitaire del‟attention n‟est pas actuellement résolue.Le DSM IV (1995) n‟use pas des mêmesprécautions et forge de toutes pièces une entitéqui fera florès.Jean Berges 2 écrit très justement ceci dans leJournal français de psychiatrie (n° 6) à proposde l‟approche médicale de ce syndrome : « Lademande ne peut se situer <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sujetévacué, elle s‟articule au nom de la normecomme une quête de la mise à jour, de lamonstration démonstrative d‟une atteinte d‟ordrelésionnel des structures. Cette quête passe pardes examens de plus en plus sophistiqués. Maislorsque ces moyens ne parviennent pas à lamise en évidence de la lésion, la présence dessymptômes implique nécessairementl‟imputation d‟une atteinte, qui de ne pouvoir êtrevisualisée va être dite minime ». Au dommage2 Jean Berges, « Journal français de psychiatrie », n° 6,ERES, 1998cérébral a minima succéderont ledysfonctionnement cérébral et le déficit enneurotransmetteurs.« On peut ainsi constater que la perturbationmarquée d‟une « in », défaut de stabilité, sousenten<strong>du</strong>à réparer, à renforcer, fait place à celled‟un « hyper » qui marque un excès à contrôler,à ré<strong>du</strong>ire, à maîtriser, à exorciser » (Berges).Il convient dès lors de prescrire un médicament,là où il faut proscrire un comportement. Il fautque l‟enfant apprenne à tout prix, voire aumépris de toute vérité que son comportementmanifeste.La Rilatine, un des rares médicamentspédopsychiatriques existants, connaît un succèsqui n‟est pas prêt de s‟arrêter. A tels maux(hyperkinésie, déficit d‟attention), enfin sonremède. Le glissement sémantique <strong>du</strong>syndrome et son changement de définitionindiquent clairement le lien entre l‟é<strong>du</strong>catif, lepédagogique et le médical. L‟hyperactivité del‟enfant ne dérange que quand il n‟arrive pas àfaire attention, à se concentrer pourl‟apprentissage. C‟est au sein de son milieuscolaire que l‟enfant sera repéré et désignéd‟hyperkinétique. Les parents seront convoquéset invités à consulter un pédopsychiatre.L‟enfant médiqué sera par là même« ségrégué » au sein de la classe qu‟il pourraalors enfin réintégrer.L‟enfant, dont le corps ainsi sera domestiqué,réé<strong>du</strong>qué, ren<strong>du</strong> docile, rentrera enfin dans leprocessus d‟incorporation <strong>du</strong> savoir. On peuttrouver bien évidemment des manuels é<strong>du</strong>catifsà l‟usage des parents d‟enfants hyperactifs.Sous la figure respectable <strong>du</strong> tout savoirneurologique qui traite de la « jouissance » sepointe le cachet <strong>du</strong> Maître. Maître qui, sous lesauspices <strong>du</strong> discours de la science, uniformiseratoute parole de l‟enfant.La dimension <strong>du</strong> symptôme en tant qu‟ilreprésente le retour de la vérité comme telledans les failles d‟un savoir est ainsi forclose.La neurologisation des esprits con<strong>du</strong>it ainsiinexorablement à un écrasement de ladimension subjective. Le déficit attentionnel estcorrélatif de l‟obligation scolaire. Sa pseudoexistences‟inscrit dans l‟exigence <strong>du</strong> discours<strong>du</strong> Maître à faire ingérer à l‟enfant un savoirsans vérité : apprends et tais-toi !On aurait souhaité que ceux qui sont d‟ordinairesi prompts à dénoncer les pseudo-imposturesintellectuelles le soient également quand il s‟agitde vraies impostures scientifiques, dont lesdommages, eux, ne sont pas minimes.66Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?Que deviendront les enfants traités de la sorte ?Bon nombre d‟entre eux arrêtent tout travailpsychothérapeutique dès lors qu‟ils sontmédiqués. Comment pourront-ils accéder àcette vérité en souffrance à l‟œuvre dans leursymptôme ?L‟exemple <strong>du</strong> syndrome hyperkinétique nemontre-t-il pas que l‟approche neurobiologique,en évacuant la dimension de la vérité, ne relèvepas d‟un progrès dans l‟approche <strong>du</strong> symptôme,mais repose davantage sur un systèmerhétorique de persuasion et de sé<strong>du</strong>ctionadressé à ceux qui veulent que gouverner,é<strong>du</strong>quer et guérir soient enfin possibles.La fonction médicale, on pourrait dire analytiquedans le contexte qui nous occupe, s'exerce àproprement parler dans la dimension de lademande, dans la faille entre la demande et ledésir et dans la considération de la jouissance<strong>du</strong> corps dans sa dimension éthique. Le 16février 1966, Lacan participe, à l'invitation deGinette Raimbault, à une table ronde <strong>du</strong> Collègedes médecins. Il scandalisera son auditoire enaffirmant que le médecin doit maintenir ladécouverte freudienne sous peine d'êtrerecouvert et enseveli par le déferlement <strong>du</strong>discours de la science et de l'économie demarché.Il dit ceci, qui dans le contexte actuel delégislation, prend toute sa valeur : "Le médecinest requis dans la fonction de savantphysiologiste, mais il subit d'autres appelsencore : le monde scientifique déverse entre sesmains le nombre infini de ce qu'il peut pro<strong>du</strong>irecomme agents thérapeutiques nouveaux,chimiques ou biologiques, qu'il met à ladisposition <strong>du</strong> public, et il demande au médecincomme à un agent distributeur, de les mettre àl'épreuve. Où est la limite où le médecin doit agiret à quoi doit-il répondre ? A quelque chose quis'appelle la demande. Ce développementscientifique inaugure et met de plus en plus aupremier plan ce nouveau droit de l'homme à sasanté, qui existe et se motive déjà dans uneorganisation mondiale (O.M.S.). Dans la mesureoù le registre <strong>du</strong> rapport médical à la santé semodifie, où cette sorte de pouvoir généraliséqu'est le pouvoir de la science donne à tous lapossibilité de venir demander au médecin sonticket de bienfait dans un but précis immédiat,nous voyons se dessiner l'originalité d'unedimension que j'appelle la demande.C'est dans le registre <strong>du</strong> mode de réponse à lademande <strong>du</strong> malade qu'est la chance de surviede la position proprement médicale. Répondreque le malade vient nous demander la guérisonn'est rien répondre <strong>du</strong> tout. Il met le médecin àl'épreuve de le sortir de sa condition de malade,ce qui est tout à fait différent, car ceci peutimpliquer qu'il est tout à fait attaché à l'idée de laconserver".Il continue ainsi : "Qu'il le veuille ou non, lemédecin est intégré à ce mouvement mondial del'organisation d'une santé qui devient publiqueet, de ce fait, de nouvelles questions lui serontposées. Au nom de quoi les médecins auront-ilsà statuer <strong>du</strong> droit ou non à la naissance ?Comment répondront-ils aux exigences quiconflueront très rapidement aux exigences de lapro<strong>du</strong>ctivité ?Car si la santé devient l'objet d'une organisationmondiale, il s'agira de savoir dans quelle mesureelle est pro<strong>du</strong>ctive. Que pourra opposer lemédecin aux impératifs qui le feraient l'employéde cette emprise universelle de la pro<strong>du</strong>ctivité ?Il n'y a d'autre terrain que ce rapport par lequel ilest médecin, à savoir la demande <strong>du</strong> malade.C'est à l'intérieur de ce rapport ferme où sepro<strong>du</strong>isent tant de choses qu'est la révélation decette dimension dans sa valeur originelle, qui n'arien d'idéaliste, mais qui est exactement ce quej'ai dit : le rapport à la jouissance <strong>du</strong> corps".Il conclut de la sorte : "Si le médecin doit resterquelque chose qui ne saurait être l'héritage deson antique fonction qui était une fonctionsacrée, c'est à poursuivre et à maintenir dans savie propre la découverte de Freud".Je voudrais terminer sur une question, celle quedevrait être une clinique psychanalytique, c'està-direpropre au discours analytique, et qui neviendrait pas prêter renfort à la cliniquepsychiatrique, dont nous déplorons par ailleursle déclin.Aussi intéressante que soit l‟analyse psychosociologiquede Françoise Parot dans la revueLe Débat (novembre décembre 2004) consacréà l‟enfant problème, elle accrédite l‟existence dece trouble en lui donnant une consistancethéorique : « on ne nait pas hyperactif, on ledevient », elle postule une fabrication socialedes enfants trop agités par notre façoncontemporaine de vivre notre lien aux autres etnotre présence au monde qui passe par unerecherche inextinguible de l‟excitation, par lacondamnation à ne pouvoir lui trouver qu‟unactivisme de chaque instant. D‟autres évoquentl‟existence de défenses maniaques pour luttercontre un noyau dépressif.J.P. Lebrun parle, quant à lui, de perte d‟autoritéet de légitimité des parents et enseignants :« les enseignants sont en difficulté dansl‟exercice de leur autorité ou que des parentsattendent le consentement de leurs enfants pourAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES67


Sylvain GROSS Pourquoi l‟enfant concentre-t-il toute notre attention ?leur poser des interdits, faute de lareconnaissance spontanée et symbolique par lesocial de leur légitimité ». « Sans consentementà la perte et à la différence de places, au nomde quoi y aurait-il une vie collective ? » (cf.supra sur la transmission <strong>du</strong> manque à jouir).Une autre explication, celle de Robert Levy (Dela spécificité de la notion de symptôme chezl‟enfant, in La Clinique <strong>Lacanien</strong>ne, n° 5), risqued‟aller également dans le sens d‟une pédagogieanalytique : « On rencontre souvent un exemplefrappant de symptôme que l‟on désigne <strong>du</strong> nomd‟hyperactivité ou d‟instabilité psychomotrice,chez des enfants auxquels on ne peut pasmettre des limites.Cette absence de limites posées témoigne del‟incapacité <strong>du</strong> père d‟énoncer un non. En effet,pour pouvoir dire non à un enfant, un non <strong>du</strong>père, il faut pouvoir courir le risque en tant queparent non seulement d‟être éventuellementdésapprouvé par la mère de l‟enfant, mais aussid‟accepter de perdre momentanément l‟amourde l‟enfant. Cette opération renvoie les pèresinévitablement à leur propre castration et leurrend bien difficile la rupture de cette complicitéqu‟ils préfèrent parfois ne pas rompre avec leurenfant, laissant alors la mère assumer le rôle decenseur, ce qui engendre nombre deperversions ». En conclusion : Pères, osez direnon !On voit bien que ces symptômes concernantl‟excès de pulsions con<strong>du</strong>isent à des principesd‟é<strong>du</strong>cation au nom d‟une vulgaire pédagogieanalytique.Rappelons que si la présentation <strong>du</strong> symptômeà qui est supposé savoir « ce que je ne saispas » n‟est pas reçue d‟abord en tant que signe,il aura alors le statut de signifiant et celui qui lereçoit en tant que tel en sera partie prenante, ilsupportera une part <strong>du</strong> symptôme.« Si le clinicien qui présente ne sait pas qu‟unemoitié <strong>du</strong> symptôme, c‟est lui qui en a la charge,qu‟il n‟y a pas de présentation de maladie maisprésentation <strong>du</strong> dialogue de deux personnes etque sans cette seconde personne, il n‟y auraitpas de symptôme achevé, celui qui ne part pasde là est condamné comme c‟est le cas pour laplupart, à laisser la clinique psychiatriquestagner dans les voies d‟où la doctrinefreudienne devrait l‟avoir sortie » (PCPP :Lacan, Problèmes cruciaux pour lapsychanalyse, 5 mai 1965).Le symptôme « achevé » est le symptôme lorsqu‟ilest posé et reçu comme adressé, il est alorsanalysable parce que reconnu et supporté pardeux. C‟est cela l‟essence de la cliniquepsychanalytique.68Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Clinique de l’extrêmeAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES69


70Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Brigitte HATATJouir de la honteJouir de la honteBrigitte HATAT (Reims)Ecole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de ReimsDans Le temps retrouvé, écrit quelquesannées avant le Malaise dans la civilisationde Freud, Marcel Proust compare l‟effet quepeut avoir une femme dans la passionamoureuse à celui de certains médicaments :« Il existe chez la femme », dit-il, « ce qui existeà l‟état inconscient chez les médicaments à leurinsu rusés, comme sont les soporifiques ou lamorphine. Ce n‟est pas à ceux à qui ils donnentle plaisir <strong>du</strong> sommeil ou un véritable bien-êtrequ‟ils sont absolument nécessaires ; ce n‟estpas par ceux-là qu‟ils seraient achetés à prixd‟or, échangés contre tout ce que le maladepossède, c‟est par ces autres malades(d‟ailleurs peut-être les mêmes, mais, àquelques années de distance, devenus autres)que le médicament ne fait pas dormir, à qui il necause aucune volupté, mais qui, tant qu‟ils nel‟ont pas, sont en proie à une agitation qu‟ilsveulent faire cesser à tout prix, fût-ce en sedonnant la mort. » 1Cet effet paradoxal, la clinique <strong>du</strong> toxicomaneen témoigne : la drogue devient l‟objet d‟unepassion d‟autant plus incoercible qu‟elle devientplus insatisfaisante dans sa fonction de calmantou de remède à la souffrance. Si la drogue apour fonction de réguler l‟homéostasie <strong>du</strong>parlêtre, de servir le principe <strong>du</strong> plaisir, c‟est-àdirede substituer à toute sensation de déplaisirune sensation de plaisir, comment comprendrequ‟elle ne soit pas abandonnée dès lors qu‟elledevient elle-même source d‟insatisfaction et desouffrance ? Comment comprendre que toutesles tentatives pour se séparer de cet objet, ou luien substituer un autre, soient la plupart <strong>du</strong>temps vouées à l‟échec ?Pour le discours scientifique, dont s‟oriente lediscours courant, la cause est tout entièrereportée sur la molécule et ses effets toxiquessur l‟organisme. Mais les échecs répétés descures de sevrage montrent que les choses sontplus complexes : si l‟organisme se déprendassez rapidement de sa dépendance au pro<strong>du</strong>it,1 PROUST Marcel, Le temps retrouvé, in A la recherche <strong>du</strong>temps per<strong>du</strong>, T VIII, 1913-1927, Folio, 1985, p.164.il n‟en est pas de même pour le sujet, tropprompt à réitérer son acte. Sans nier l‟effet de ladrogue sur le réel <strong>du</strong> corps, remarquons que leparallèle que fait Proust entre une femme etcertains médicaments nous mène un peu plusloin que cette rationalité scientifique. Si l‟on peutêtre leurré par le lien de cause à effet entresubstance psychoactive et dépendance,comment comprendre qu‟une femme, commeProust le suggère, puisse engendrer une mêmedépendance ? Comment comprendre la passiondévorante pour le jeu qui, pas plus qu‟unefemme, ne renferme en lui-même aucunesubstance psychoactive propre à influer surl‟organisme ? Plus proche de notre expérience,l‟alcool, même s‟il pro<strong>du</strong>it des effets surl‟organisme et si son usage chronique in<strong>du</strong>it unedépendance, également vérifiable sur l‟animal, ilest indéniable que ce n‟est pas seulement àcause de l‟alcool qu‟on devient alcoolique, qu‟il yfaut une autre détermination. La cause n‟estdonc pas à situer dans le pro<strong>du</strong>it mais dans lesujet en tant qu‟il joue sa part dans cettedétermination. Remarquons-le, même unévénement sans rapport avec une intentionnalité<strong>du</strong> sujet, là où il semble objectivement n‟y êtrepour rien, sera repris dans une intentionnalité etorganisé en subjectivité.Prenons l‟exemple <strong>du</strong> pot de fleur qui tombe surla tête <strong>du</strong> passant qui, selon sa subjectivité,l‟interprètera différemment ; par exemple :« c‟est toujours sur moi que ça tombe », ou bien« c‟est moi qui étais visé », mais aussi « çatombe bien, je n‟avais pas envie d‟allertravailler ». On voit que cette réponse nousinforme davantage sur une certaine positionsubjective que sur l‟objectivité même des faits.C‟est pourquoi Freud n‟hésitait pas à interprétercomme une résistance à l‟analyse, le fait qu‟unanalysant manque sa séance … pour avoir prisun pot de fleurs sur la tête ! Non qu‟il niât la partaccidentelle de l‟évènement, plutôt misait-il surcette capacité <strong>du</strong> sujet à enregistrer en défaiteou en triomphe, en intentions bonnes oumauvaises, les événements même les plusextérieurs à lui. Exagération, dirons-nous …mais comment méconnaître que depuis l‟origineAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES71


Brigitte HATATdes temps, l‟homme a interprété, donné sens etsupposé une intention à tout ce qu‟il percevaitde son monde, <strong>du</strong> retour des saisons auxtrajectoires des astres, de l‟advenue de la pluieà son attente anxieuse, de la richesse desrécoltes à leur dévastation, de l‟opulence de lacommunauté à sa destruction par les épidémiesou la famine, etc., leur donnant le sens d‟unevolonté et d‟un jugement divins qui le faisaientcomptable de ses actes et assuraient sa prisesur le réel. On sait en effet ce qu‟il en découlaitde rites, de sacrifices, d‟offrandes et de prièrespour tenter d‟infléchir cet Autre supposé tenirl‟ordre <strong>du</strong> monde.Cette place <strong>du</strong> sujet est celle que rejette lediscours de la science, en tant que ce discourssuppose une homogénéité, une continuité entrel‟ordre <strong>du</strong> vivant et celui de l‟humain. Entémoignent les interprétations modernes <strong>du</strong>malaise subjectif, de plus en plus ré<strong>du</strong>it à sacausalité génétique, organique ou chimique, quine différencie pas l‟homme de l‟animal. L‟ordresymbolique, c‟est-à-dire le langage, commeordre propre à l‟humain, intro<strong>du</strong>it pourtant dansla chaîne <strong>du</strong> vivant, une coupure radicale etirréversible, subordonnant les facteurs naturelsà des facteurs culturels. Ceux-ci ordonnent,jusque dans ses fonctions les plus vitales, lerapport <strong>du</strong> sujet au monde de ses objets. Toutedéfaillance de cet ordre symbolique confronterale sujet au réel, révélant ainsi le rapportfondamentalement déréglé <strong>du</strong> sujet au mondede ses objets quand fait défaut la médiationsymbolique. Ceci dément d‟ailleurs touteperspective ou nostalgie d‟un retour à un ordredit naturel. Quant à ce que l‟on nomme « lesnouveaux symptômes », qui ne sont pas dessymptômes au sens psychanalytique <strong>du</strong> terme,ils témoignent pour la plupart, remarquons-le,d‟un rapport déréglé à l‟objet, indice de ladéfaillance actuelle des modes d‟instauration <strong>du</strong>symbolique. Ces objets ne valent plus commeéquivalents d‟une appartenance ou d‟unereconnaissance symboliques, ni comme donsd‟amour, mais comme objets d‟une jouissancedirecte, en court circuit sur la jouissancephallique, c‟est-à-dire sans médiation ni frein.En deçà de la contingence de la rencontre avecla drogue, c‟est le rapport singulier <strong>du</strong> sujet audésir et à la jouissance qui est en cause. Mais àmettre l‟accent sur la drogue, c‟est cette causequ‟on méconnaît. Or c‟est là précisément lafonction subjective de la drogue pour celui quis‟y voue : mettre la drogue en place de causepour méconnaître la cause qui le divise. Causequi insiste pourtant, au-delà de l‟appointchimique que fournit le pro<strong>du</strong>it. Ainsi, c‟estquand la drogue échoue dans sa fonction decalmant, quand elle devient elle-même ce quidivise le sujet et porte les stigmates d‟uneJouir de la hontejouissance inavouable, qu‟elle atteint,paradoxalement, sa véritable efficacité. Disonsqu‟en mimant le rapport <strong>du</strong> sujet avec unejouissance qui le divise, une jouissance refuséemais insistante, la drogue lui permet decontinuer à jouir de celle-ci sous couvert d‟uneautre, plus nommable et plus avouable.Impossible sinon de comprendre ce que Proustnous rappelle fort justement à savoir que cen‟est pas à celui à qui le médicament apporte lebien être qu‟il est absolument nécessaire, maisà celui que le médicament tourmente et nesoulage plus. Car la jouissance, pour un tempsmuselée par la drogue, reprend son droit, maiselle le fait cette fois sous couvert de la drogue.On pourrait dire que la drogue est le cheval deTroie par lequel la jouissance fait retour dans lecorps à l‟insu <strong>du</strong> sujet.Ainsi, une jouissance en cache une autre, maiscelle-ci, c‟est au c‟est au cas par cas qu‟ilconvient de la cerner. Si la toxicomanie n‟estpas un symptôme au sens psychanalytique <strong>du</strong>terme et reste difficilement accessible en tantque telle au traitement analytique, l‟abord <strong>du</strong>sujet dans son rapport singulier à la jouissanceest l‟objet même de la praxis analytique. Acondition toutefois que la drogue n‟y fasse pastrop obstacle, tant pour le patient que pourl‟analyste. En effet, si la nomination« toxicomane » in<strong>du</strong>it imaginairement l‟idée <strong>du</strong>« tous pareils », la drogue, pour sa part,homogénéise réellement les modes de jouir. Ellesert le principe <strong>du</strong> plaisir qui consiste, dit Lacan,« à n‟avoir rien de particulier » 2 . Or ce qui estvisé dans l‟énoncé de la règle fondamentale,c‟est « la chose dont le sujet quelconque est lemoins disposé à parler, c‟est […] de sonsymptôme, c‟est de sa particularité. » 3 C‟est parla voie de ce particulier que quelque chose <strong>du</strong>singulier pourra peut être, « par chance », êtreserré. 4J‟évoquerai le cas d‟un patient de 26 ans quiconsomme de l‟héroïne depuis l‟âge de 18 ans.Alors qu‟il me fait part de ses nombreuses etdiverses tentatives pour arrêter l‟héroïne, jecoupe court à leur description détaillée pour luidemander quelle raison, selon lui, le pousse àvouloir arrêter la drogue. Il me répond alors qu‟il2 LACAN J., « Le plaisir et la règle fondamentale », 1975,Lettres de l’École freudienne, n° 24, 1978, pp. 22-24.3 Idem.4 « Si quelque chose se rencontre qui définisse le singulier,c‟est ce que j‟ai quand même appelé de son nom, unedestinée, c‟est ça, le singulier, ça vaut la peine d‟être sorti, etça ne se fait que par une bonne chance, une chance qui atout de même ses règles. Il y a une façon de serrer lesingulier, c‟est par la voie justement de ce particulier, ceparticulier que je fais équivaloir au mot symptôme. » ;LACAN J., « Le plaisir et la règle fondamentale », op. cit.72Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Brigitte HATATa honte. Cette honte est la raison pour laquelle ilvoudrait arrêter la drogue mais c‟est aussi laraison qui le pousse à en reprendre, cet affectlui étant particulièrement insupportable. L‟accentqu‟il met sur cette honte m‟amène à lui dire qu‟ily a sans doute autre chose qui motive celle-ci.Dans les entretiens qui suivront, l‟essentiel desa plainte tournera autour de la relation à samère qui le traite, dit-il, comme un enfant.Depuis son enfance, il occupe pour sa mère laposition d‟enfant phallus, qui le situe <strong>du</strong> côté del‟être et non de l‟avoir. Si cela lui convenaitquand il était petit, à l‟adolescence, il acommencé à en avoir honte. Honte qu‟elle letienne par la main à douze ans pour l‟emmenerau collège, honte qu‟elle l‟habille, aujourd‟huiencore, comme un enfant modèle, honte qu‟ellele suive partout, jusque dans la salle de bain oules toilettes, honte qu‟elle se montre nue devantlui ou le prenne à témoin de ses essayagesvestimentaires, etc., ajoutant qu‟avec elle, il estdifficile d‟être un homme. En réponse à maquestion : « C‟est-à-dire ? », il hésite et me dit :« Je suis précoce ». Surprise, je lui demande deme parler de cette précocité. Il évoque alors unproblème d‟éjaculation précoce qui aprofondément perturbé sa relation aux filles. Achaque fois, il se sentait honteux. Il ajoute qu‟iléprouve une certaine honte à en parler, quec‟est d‟ailleurs la première fois qu‟il en parle.J‟arrêterai la séance en lui disant qu‟en effet, il acertainement été un enfant précoce.A la séance suivante, il apportera deuxsouvenirs : le premier se situe aux environs dequatre ans. Il est sous les draps, dans le lit deses parents, et joue avec les pieds de sa mère.Il en éprouve un grand plaisir. L‟autre se situevers l‟âge de 5 ans : il est allongé près de samère ; au pied <strong>du</strong> lit, sa tante se déshabille. Aumoment où il voit ses seins, il a une érection.Mais l‟essentiel de la scène se situe dans un jeude regards : celui de la tante sur le sexe del‟enfant, puis sur la mère, qui à son tour regardel‟enfant. Les deux femmes rient, mais ne disentrien. Honteux, il se cache sous les draps. Cettescène fixera pour lui les coordonnées de sajouissance.Remarquons que si l‟émoi suscité par la tantedétourne pour un temps l‟enfant de son intérêtérotique pour la mère, la honte le ramène sousles draps, c‟est-à-dire à la position de « l‟enfantaux pieds de sa mère ». Au moment même oùs‟amorce un virage d‟être à avoir le phallus, leregard complice des deux femmes et le refusmaternel de signifier la castration, le rabattenten place d‟objet de jouissance de l‟Autre. Cen‟est pas seulement l‟érection de l‟organe quiretombe, mais aussi son érection de petit sujetdésirant.Jouir de la honteUne autre scène, qui cette fois implique le père -peu présent dans la relation mère / enfant -réitère tant l‟élan vers l‟assomption de laséparation que sa retombée. Il a huit ans. Songrand père paternel, gravement malade, esthospitalisé. L‟enfant est dans le couloir del‟hôpital avec sa mère, sa grand-mère et sasœur. Son père a voulu rester seul auprès <strong>du</strong>grand père. A un moment donné, quelque chosepousse l‟enfant à rejoindre son père. Mais celuicile repousse, le renvoie dans le couloir, c‟està-direqu‟il le rabat <strong>du</strong> côté des femmes. Il diraqu‟il s‟est passé là quelque chose dont il n‟a pasmesuré, ni ne mesure encore, toutes lesconséquences. Quelque chose a échoué, quiaurait à voir avec le fait de devenir un homme,de passer <strong>du</strong> côté des hommes. Mais cela n‟apas eu lieu.Il évoquera ensuite sa relation avec les femmes,notamment sa première amie, avec qui il estresté de 16 à 20 ans. C‟est avec elle qu‟il adécouvert qu‟il était « précoce », mettant cesymptôme au compte de la trop forte excitationque suscitait cette femme, dont il réaliseraseulement au cours des séances laressemblance avec sa tante, comme toutes lesfemmes d‟ailleurs qui suscitent son désir sexuel.Bien que cette relation n‟ait pas étésatisfaisante, ni sur le plan sentimental, ni sur leplan sexuel, il dit être resté fixé de façonobsédante à cette femme, qu‟elle est toujoursprésente dans ses pensées et dans sesfantasmes. Ce sont toujours les mêmes scènesqui reviennent, des scènes qu‟il juge« malsaines » et dont il a honte. Elles serépétaient toujours pareil : il la forçait à mettredes sous vêtements féminins qu‟il achetait luimême,lui demandait de se déshabiller au pied<strong>du</strong> lit et de le regarder. Face à son refus, ilinsistait jusqu‟à ce qu‟elle lui cède. Si ledéshabillage lui procurait plus de plaisir quel‟acte sexuel, trop tôt conclu faute <strong>du</strong> soutien dela fonction phallique, c‟est dans le forçage et lahonte éprouvée sous le regard de l‟autre, qu‟ilsoutirait sa jouissance. Jouir de la honte étaitdevenu aussi nécessaire qu‟insupportable. Lacontingence de la rencontre avec la drogue luipermettra de tempérer cette jouissance,relançant pour un temps la fonction phallique.Mais l‟insistance de cette jouissance qui faitretour et le divise entre chaque prise, sera viréeau compte de la drogue qui en fixe dès lors lescoordonnées singulières, déchiffrables non dansla drogue mais dans les dires <strong>du</strong> patient sur ladrogue. Chaque prise de drogue, dit-il,convoque le regard de l‟Autre et le surgissementde la honte, devenue honte de prendre de ladrogue. Ce qui, dans la réalité trouve unancrage par le redoublement de la vigilance etde l‟omniprésence maternelle, dès lors ré<strong>du</strong>ite àun regard inquisiteur et intrusif qui le ré<strong>du</strong>it àAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES73


Brigitte HATATquelque honte. Comme la tante, comme le père,comme les femmes, la drogue polarise un brefinstant l‟élan vers le désir, comme eux elleéchoue, rabattant le sujet vers une jouissancepulsionnelle où l‟objet regard occulte lacastration maternelle. C‟est ce circuit qu‟ilrépètera inlassablement, couvrant une honte parune autre honte, dans son effort dedétachement de la jouissance et d‟assomptionau désir. C‟est aussi ce qu‟il répètera dans lacure, puisque dira-t-il, « vous êtes aussi unefemme » ; mais le détour par les mots dériverala honte à jouir sur une honte à dire, avant ques‟opère le virage qui la fera passer à laculpabilité, incluant la figure <strong>du</strong> père. La levéerapide <strong>du</strong> symptôme de « précocité », et lelâchage progressif de la drogue incluant desrechutes « signifiantes », témoignent d‟unetransformation <strong>du</strong> rapport <strong>du</strong> sujet, non à ladrogue, mais au désir et à la jouissance.Freud définit la honte comme une formationréactionnelle ayant pour fonction, comme ledégoût, la pudeur ou la morale, de maintenir lerefoulement de certaines pulsions sexuelles,notamment voyeuristes ou exhibitionnistes 5 .Secondaire au refoulement elle est au servicede l‟idéal <strong>du</strong> moi et fonctionne comme « digue »,« rempart », contre le retour de la jouissance.Mais avant même d‟assurer cette fonction deformation réactionnelle, Freud découvre ce quel‟on pourrait appeler une honte primaire, d‟avantle refoulement, qui surgit au moment où lasatisfaction pulsionnelle de l‟enfant tombe sousle regard de l‟Autre. Antérieure au refoulementet à la constitution de l‟idéal <strong>du</strong> moi, cette hontepremière met en jeu l‟Autre non barré, l‟Autre dela jouissance. A ce titre, la honte diffère de laculpabilité, tout comme l‟envie diffère de lajalousie. Elle est topologiquement plus prochede la jouissance que la culpabilité qui, elle,implique le manque et se réfère à l‟Autre <strong>du</strong>désir et de la loi, l‟Autre barré. Ce n‟est quedans l‟après coup <strong>du</strong> refoulement que la hontepourra être reprise, en tant que formationréactionnelle, dans la subjectivité <strong>du</strong> sujet.Autrement dit, si cette honte seconde est unedéfense, la honte première peut valoir commeéquivalent métonymique de la jouissance.Dans le cas de ce patient, l‟objet regard inclusau champ de l‟Autre dont il masque la faille,surprend l‟enfant et le ré<strong>du</strong>it, comme dit Lacan,5 FREUD Sigmund, Cinq leçons sur la psychanalyse, PBP,1980, p. 52, et Trois essais sur la théorie de la sexualité,Idées Gallimard, 1980, p.70.Jouir de la honteà quelque honte. 6Le « quelque » est à souligner car il prend icitoute sa valeur d‟indétermination. En effet, estcela honte <strong>du</strong> sujet surpris dans sa position devoyeur (l‟enfant regardant les seins de sa tante)ou dans sa position d‟exhibitionniste (l‟enfant nuet son sexe en érection) ou plutôt l‟enfant« forcé » à la jouissance, par l‟exhibition de latante et la complicité de la mère, mais aussi parla jouissance de l‟organe qui, comme Lacan leprécise à propos <strong>du</strong> petit Hans, lui estfondamentalement hétérogène, étrangère ?« Laissé en plan, par les carences de sonentourage symbolique, devant l‟énigme soudainactualisée pour lui de son sexe et de sonexistence » 7 , Hans se « rempardera » d‟unephobie. Mais on le sait, seule l‟intervention <strong>du</strong>père, avec l‟aide de Freud, parviendra àempêcher que la découverte <strong>du</strong> pénis ait desconséquences trop désastreuses, en permettantà Hans de dompter, par les mots qui calment 8cet organe qui rue et se cabre. Pour le patientque j‟évoque, il n‟y a eu ni l‟objet phobique, niles mots qui calment ; seulement la honte, lesymptôme de précocité, puis la drogue, dontLacan résume ainsi la fonction : « tout ce quipermet d‟échapper à ce mariage estévidemment le bienvenu, d‟où le succès de ladrogue, par exemple ; il n‟y a aucune autredéfinition de la drogue que celle-ci : c‟est ce quipermet de rompre le mariage avec le petitpipi.» 9Ce succès de la drogue, qui aujourd‟hui vagalopant, n‟est-il pas le signe d‟un laissé en plangénéralisé face à l‟énigme toujours actualiséepour le parlêtre de son sexe et de sonexistence ? Car les carences symboliques nesont pas à étendre, comme il est commun de lefaire, à tout le champ <strong>du</strong> parlêtre. Plutôt celui-cipâtirait-il d‟un trop de symbolique, inefficace etimpuissant face au défaut croissant <strong>du</strong> seul quivaille, celui qui borde et insère dans la vie le réel<strong>du</strong> sexe et de la mort. Faute d‟être médiatiséespar ce noyau central, les relations humaines sevident de leur caractère humain. Reste alors « lavie comme honte à boire, de ce qu‟elle ne méritepas qu‟on en meure. » 106 LACAN Jacques, Séminaire Livre XI, Les quatre conceptsde la psychanalyse, Seuil, p.79.7 LACAN Jacques, « L‟instance de la lettre dansl‟inconscient », Ecrits, Seuil, p.519 .8 LACAN Jacques, « Conférence à la Yale University »,24.11.1975.9 LACAN Jacques, Journées d‟étude des cartels de l‟Écolefreudienne. Séance de clôture, 1975.10 LACAN Jacques, Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de lapsychanalyse, Seuil, p. 210.74Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


André PASSELECQ Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire : la parole suffit-elle à les « guérir » ?Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire : la parole suffit-elle àles « guérir » ?La nourriture à sa vraie place : celle de simple carburantDr André PASSELECQPsychiatreGroupe hospitalier La Ramée/Fond‟Roy (Bruxelles)« On nous propose d‟avoir des quantitésde choses qui donnent envie d‟autrechose… On nous fait croire que le bonheur c‟estd‟avoir, de l‟avoir plein nos armoires… Dérisionde nous dérisoire, on a soif « ou faim »d‟idéal… ».Chanson d‟Alain Souchon, Foule Sentimentale,lumineux et admirable résumé de ce qui, dansnotre société, notre société de consommation,génère sans doute la multiplication des troublesdes con<strong>du</strong>ites alimentaires, en interrelation, enprise directe, bien sûr, avec l‟affadissement dela fonction paternelle.Il est couramment dit que la psychanalyse neguérit pas les troubles <strong>du</strong> comportementalimentaire, il est tout aussi couramment admisque rendre par tous les moyens possibles unpoids normal à une anorexique ne guérit pasnon plus celui ou celle qui souffre de cestroubles.Exemple type de demande qui m‟arrive parfois :tel psychanalyste, réputé cependant trèssérieux, me téléphone en me disant ceci : j‟ai entraitement psychanalytique Mademoiselle X,âgée de 19 ans, et ce depuis 2 ans environ :nous avons, je pense, fait un bon travail, nousavons presque tout compris, le seul problèmeest qu‟elle ne pèse plus que 30 kg, pourrais-tu laprendre quelques jours dans ton service àl‟hôpital pour qu‟elle reprenne <strong>du</strong> poids … ?Voilà le genre de malenten<strong>du</strong> qui continue àexister chez certains de nos collègues sur ceque sont les troubles alimentaires, graves, quinécessitent parfois des hospitalisations.En quelques mots, rappelons d‟abord lessymptômes de l‟anorexie mentale et de laboulimie nerveuse : l‟anorexie mentale, sur leplan psychiatrique, c‟est d‟une part l‟anorexie, la« perte d‟appétit », processus cependant actif etpas passif, l‟amaigrissement important (perte de50% <strong>du</strong> poids, voire plus) ; ces patientes seretrouvent avec environ 30 kg pour 1 m 70, et ceen quelques mois, l‟aménorrhée (perte desrègles), et bien sûr la personnalité assez typiquede ces sujets, où le déni prédomine. C‟estmême le symptôme cardinal de l‟anorexiementale. Nous sommes dans le registre d‟unemonstration qui n‟est pas <strong>du</strong> domaine del‟hystérie ; la visée <strong>du</strong> sujet étant sans doute decharger l‟autre, le témoin de cette monstration,de ce qui est ainsi dévoilé de lui-même,récusant, déniant cependant ce qu‟il donne àvoir.Rappelons également que, étalé sur plusieursannées de « carrière anorexique », lepourcentage des décès peut monter jusqu‟à17% …La boulimie nerveuse comporte elle deuxsymptômes essentiels : tout d‟abord les crisesd‟hyperphagie, qu‟on appelle binge eating,plusieurs fois par jour, avec consommation decalories pouvant aller jusqu‟à 10.000 et ceplusieurs fois par jour. Ensuite, pour qu‟on parlede boulimie nerveuse, il faut que coexiste touteune série de comportements visant la perte depoids, que ce soit des vomissements,phénomènes très fréquents, de prises de laxatifsou de diurétiques à doses énormes, l‟alternanceavec des périodes d‟anorexie.Danger majeur pour les boulimies avecvomissements : la mort par arrêt cardiaque surperte de potassium lors des vomissementsrépétés. Tout ceci se passe dans un climat dehonte et de culpabilité inouï, et en secret.Ces quelques rappels très physiques avaientpour but de rappeler que ces troubles sont destroubles extrêmement complexes, qui mettenten jeu le corps dans tous les registres etdimensions de l‟être humain. C‟est-à-dire à lafois le corps au sens <strong>du</strong> réel <strong>du</strong> corps, le corpsen tant qu‟organe et autour de lui tout ce qui luiest nécessaire pour vivre, c‟est-à-dire lesaliments, les calories. Ces troubles mettentégalement en jeu le corps en tant que symbole,exprimant par là de grosses difficultéspsychologiques, indivi<strong>du</strong>elles et/ou relationnellesfamiliales. Enfin un relais est pris, à moins quece ne soit l‟inverse, par les images <strong>du</strong> corpsAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES75


André PASSELECQ Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire : la parole suffit-elle à les « guérir » ?telles qu‟elles sont habituellement véhiculéespar les médias, avec toutes les variationshistoriques que ces critères dits esthétiquescomportent. Réel, symbolique, imaginaire,catégories essentielles à se remémorer pourprendre en charge ces patients, voies d‟accèsqui permettent également de repérer en quoi laparole est pour nous essentielle dans unprocessus de prise en charge thérapeutique.En effet, quelle autre pathologie nécessite à cepoint que soit interrogée la lisière entre lamédecine en ce qu‟elle nous apprend à soignerle corps en tant que réel, et la psychologie, ou lapsychanalyse, en ce qu‟elle nous sensibilise àl‟usage, entre autre symbolique de ce mêmecorps, porteur de sens, porteur de messagesadressés à l‟Autre ?La question de fond pourrait être celle-ci :pourquoi certaines personnes, enfant Ŕadolescent ou a<strong>du</strong>lte - usent-elles de leur corpset de la nourriture pour « créer » ces maladiesparticulières que sont l‟anorexie et la boulimie ?Pourquoi ces personnes ne semblent-elles pasavoir d‟autre choix pour s‟exprimer, se fairereconnaître comme sujet différencié ? Commentcomprendre ce paradoxe qui consiste, pourl‟anorexique, à arrêter de manger, jusqu‟à setrouver parfois proche de la mort, et parfoismême par mourir, alors que quand on veut bienl‟écouter, il indique que c‟est là sa seule façonde vivre comme sujet différencié, car il ne s‟agitpas uniquement pour l‟anorexique de montrer uncorps décharné évoquant un cadavre, il s‟agitaussi, d‟abord, de revendiquer « entre leslignes » une forme d‟ existence autonomepersonnelle où enfin son désir propre seraitreconnu. Lacan disait : dans le réel <strong>du</strong>symptôme, il faut reconnaître le dernier supportde son être.Classiquement, on dit que si ces sujets finissentpar ressembler à des squelettes, c‟est qu‟ilsveulent réellement mourir. On dit aussi quepuisque ces problèmes surviennent enpréadolescence ou à l‟adolescence (oùapparaissent les caractères sexuels de lapuberté), c‟est parce que leur sexualité faitl‟objet d‟un refoulement massif et estcomplètement désinvestie. On dit égalementque puisqu‟il y a disparition des règles chez cesjeunes filles, c‟est parce qu‟il y a un refus de laféminité ou une peur de la grossesse.Tout ceci est sans doute vrai ; il y a de ça, maisça reste fort <strong>du</strong> côté imaginaire, essentiellementle côté imaginaire des psy : ce sont souvent nospropres projections. Les scénarios ainsi pointéspar cet abord classique sont finalement assezlimités, et comme le dit le dicton : « Jupiteraveugle ceux qu‟il veut perdre ».Lacan, vous le savez, a énormément théorisé laquestion de l‟anorexie mentale, beaucoup detextes et de séminaires en témoignent :rappelons quelques-uns des concepts qu‟il athéorisés :1. Besoin Ŕ demande Ŕ désir : c‟est l‟enfant que l„on nourrit avec le plus d‟amour qui refuse lanourriture, et il joue de son refus comme d‟undésir. (« La Direction et la Cure… »).2. Dans la relation d‟objet, Lacan indique quec‟est de ce qui manque à l‟objet, à l‟objetnourriture comme à tout objet, que naît le désir.Par-delà tout objet existe la place vide qui doitrester vide de rien, ce rien tellement revendiquépar les anorexiques et qui est la cause de leurdésir : je mange rien mais avec avidité ; il fautque mon besoin ne soit pas tout à fait satisfaitsous peine de ne plus désirer.3. C‟est pour que ce désir qui déborde de lademande ne s‟éteigne pas, que le sujet qui afaim ne se laisse pas nourrir … parce quel‟écrasement de la demande dans la satisfactionne saurait se pro<strong>du</strong>ire sans tuer le désir. (« LeTransfert »).4. (« Les 4 concepts fondamentaux de lapsychanalyse ») Le premier objet qu‟unenfant propose au désir parental, dont l‟objet estinconnu, c‟est sa propre perte. Veut-il meperdre ? Le fantasme de sa mort, de sadisparition est donc le premier objet que le sujeta à mettre en jeu dans cette dialectique …nommément dans l‟anorexie mentale. Unemanière de dire que l‟anorexique se réfugiedans le fantasme de sa propre mort, tout enl‟offrant à ses parents : jusqu‟où me laisserontilsaller ?5. (« Scilicet 1974 ») « Pourquoi est-ce que jemange rien ? Si vous le demandez auxanorexiques, ou plutôt si vous les laissez venir,alors qu‟est-ce qu‟elles m‟ont répon<strong>du</strong> ? Maisc‟est très clair : elle était tellement préoccupéede savoir si elle mange que, pour décourager cesavoir, le désir de savoir attribué à l‟autre, rienque pour ça, elle se serait laissé crever defaim la gosse! C‟est très important cettedimension de savoir et aussi de s‟apercevoirque ce n‟est pas le désir qui préside au savoir,c‟est l‟horreur ».Quelques rappels théoriques qui peuventfonder, qui doivent fonder une certainespécificité de la prise en charge de ces patientesou patients.Les symptômes sont le travail <strong>du</strong> sujet et nondes parasites dont nous devons débarrasser àtout prix les patients, mais en même temps la76Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


André PASSELECQ Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire : la parole suffit-elle à les « guérir » ?place <strong>du</strong> corps, non seulement le corps de laréalité, mais aussi le corps en tant que réel, àpartir <strong>du</strong> moment où il est pris dans cesproblématiques, on ne peut pas se contenter dedire qu‟il va aller mieux rien qu‟en écoutantparler les patientes, en leur disant : quel estvotre désir ? Trouvez votre désir ! Si ellespouvaient le faire, elles ne seraient pas dansl‟état où elles sont actuellement … Ces patientssont dévorées par des contraintes internes :toujours plus maigrir, toujours moins d‟aliments,toujours plus manger et vomir , et les contraintesexternes « le fameux contrat de poids » sont, endébut de traitement, souvent le seulsoulagement possible.Pendant tout un temps, avant qu‟elles n‟arriventà pouvoir reconstruire quelque chosed‟admissible narcissiquement pour elles et,parallèlement, à trouver leur désir, il faudra peutêtreleur prescrire ce dont elles ont au fondd‟eux-mêmes envie : nous devons leur poser,leur imposer une limite, car paradoxalementc‟est une liberté qu‟on leur donne : l‟anorexien‟est pas une con<strong>du</strong>ite suicidaire, c‟est une luttecontre la dépression.Comme si quelque part une problématiquetoxicomaniaque se mettait en place, dans unprocessus où la jouissance confère à ce tableauclinique quelque chose dont il faut tenir compte,médicalement aussi. La clinique nous montreque laisser descendre ces patients à des poidseffrayants, sans « garde-fou médical « participeà une chronification, une pérennisation de cesproblèmes. De manière générale, c‟est uneerreur de considérer l‟anorexie mentale ou laboulimie nerveuse comme simplement unsymptôme névrotique hystérique … De même,laisser un patient boulimique vomir plusieurs foispar jour, sans renvoyer à un médecin pourcontrôler médicalement lesrisques d‟hypokaliémie n‟est pas sérieux : ilparaît fondamental pour ces patients qu‟uneprise en charge à plusieurs soit proposée etréalisée.Donc, ce corps, est aussi <strong>du</strong> réel : autant s‟ensouvenir.Cela étant dit, est-ce que l‟anorexie mentale estl‟expression symptomatique d‟une entiténévrotique connue ou est-elle en elle-même unestructure ? Autrement dit, existe-t-il un nouagespécifique entre le corps et le langage que l‟onpourrait nommer anorexie mentale et quipro<strong>du</strong>irait dès lors un symptôme qu‟il resterait àdéfinir ? Existe-t-il une modalité d‟anorexiementale qui interroge d‟une manière autre quedans l‟hystérie le rapport structurel à la perte del‟objet et qui dès lors peut mettre en placed‟autres formes symptomatiques ? Ceci est biensûr un débat de fond, tel qu‟en particulier Jean-Richard Freymann l‟a bien amené dans cetexcellent livre « Les Parures de l‟Oralité ». Ilsoutient que l‟anorexique, par son symptôme,s‟essaie à la symbolisation. Si l‟hystériqueagence <strong>du</strong> symptôme alimentaire parsurdétermination, c‟est pour voiler le manque,pour tenter d‟échapper au furet <strong>du</strong> désir tout enle soulignant. L‟anorexique quant à elle souffre<strong>du</strong> manque d‟un manque : le terrain est celui ici<strong>du</strong> défaut même de la Bejahung, de l‟affirmationprimitive. Ce qui est en défaut, c‟est la création<strong>du</strong> symbole de la négation. Il ne s‟agit pasd‟évacuer quelque représentation trop chargée ;il s‟agit au contraire de vaincre l‟espace <strong>du</strong> corpscomme en trop. Comment se vivre autrementque monstrueuse quand le champ est envahipar la demande de l‟Autre ? En résumé, onpourrait dire que le dégoût désigne l‟hystérie, lerefus alimentaire, c‟est autre chose, on est versun autre registre.C‟est aux griffes de la forclusion quel‟anorexique tente d‟échapper, en donnantparfois la possibilité d‟ouvrir un lieu desymbolisation à partir d‟une difficulté spécifiquede la métaphore paternelle : c‟est comme si lafonction phallique faisait défaut, maisuniquement sur le mode <strong>du</strong> comme si : lasymbolisation est en suspens, mais pasimpossible, ce en quoi il échappe à la psychoseet au délire.De même, pour la boulimique, on peut dire queles passages à l‟acte boulimiques représententune satisfaction, un soulagement, une formed‟apaisement après la mise sous tension del‟organisme, et le plaisir sensoriel physique n‟estici que très limité, voire paraît tout à fait exclu, eten tout cas suivi chronologiquement d‟uneculpabilité accompagnée de honte et de dégoûtde soi. Toxicomanie sans drogue, presquetoujours cachée, même au conjoint, pendant denombreuses années. La boulimie forceégalement à réaborder l‟objet nourriture en tantque substitut de l‟objet <strong>du</strong> désir, voire d‟objetd‟amour : l‟objet primitif, la mère, c‟est l‟objetrêvé, représenté ici par l‟objet alimentaire, et quiest censé « apporter le nirvana ». Il en fautcependant toujours plus pour qu‟il puissecombler le sujet, puisque ce que la nourriture estcensée apporter n‟en est pas moins toujoursabsent : les sujets boulimiques n‟ont jamais suintérioriser l‟image de la mère absente et leurcon<strong>du</strong>ite addictive par rapport à la nourriturereprésente un simulacre d‟expérience primitivede satisfaction, mais en même temps leurinterdit de symboliser la perte de la mère,déniant cette perte.Et dans son séminaire « ou pire », Lacan faisaitune articulation entre le savoir inconscient et leAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES77


André PASSELECQ Troubles de la con<strong>du</strong>ite alimentaire : la parole suffit-elle à les « guérir » ?corps, le corps de l‟être, qui ne se fait être quede paroles, ceci de morceler sa jouissance(Scilicet n°5).En termes à peine imagés, on peut donc direqu‟il est curieux de constater qu‟il est des sujetsqui auraient là un estomac qui sait qu‟il doitvomir, qu‟il doit vomir quoi ? Les paroles del‟Autre, bien sûr et que cet estomac làfonctionnerait comme pour ainsi dire décérébré,puisque ce savoir-là affecterait le corps, et pas,ou pas encore (c‟est donc bien là le lieu d‟untravail psychanalytique) la conscience <strong>du</strong> sujet.A ne pas oublier, je le rappelle que, réel oblige,les vomissements, c‟est aussi des ions, <strong>du</strong>potassium, de la mort possible.Pour résumer, la psychanalyse peut aider àguérir les sujets souffrant de troubles descon<strong>du</strong>ites alimentaires, mais à condition detravailler théoriquement beaucoup plus lesspécificités originales que sont ces troubles, àcondition également de pouvoir poser, imposer,des limites (ne fût-ce qu‟en conseillantfermement un travail à plusieurs, un suivi chezun médecin) face aux risques de chronificationou de mort de ces patients, risques qu‟il fautconnaître.Inventer avec eux d‟autres points de capitonsque les comportements toxicomaniaques etextrêmes qu‟ils ont découverts etutilisés, inventer avec eux des nouveaux pointsde capitons sur lesquels ils vont pouvoir prendreappui pour exister autrement : la parole,souvent, ne suffit pas, elle n‟en reste pas moins,j‟en suis convaincu, un outil essentiel.ConclusionAu travers et par-delà les diverses interventionsdans le réel, souvent incontournables sur le planvital, le travail avec ces patients doitparallèlement les aider à formuler, àmétaphoriser l‟Autre, la mère, et à accepter sonabsence. Ce travail doit aussi leur permettre dedemander autrement au père, leur permettre dese révolter autrement qu‟en refusant de mangercontre le désordre lié à cette absence relative depère, absence relative de loi.Là où il n‟y avait qu‟à manger (ou à refuser demanger) peuvent également prendre place desmots, peut s‟opérer une requalification de laparole au sens fort. Entre la nourriture et le rien,la parole doit pouvoir apparaître dans un travailpsychothérapeutique patient et respectueux.Laissons le dernier mot à Amélie Nothomb,notre excentrique mais remarquable romancièrebelge, qui a elle-même abondamment décrit sespropres expériences anorexiques passées.Amélie Nothomb disait à propos de son livre« Robert des Noms Propres » : « Dans lesmoments où j‟écris, j‟essaie de me maintenir à lafrontière entre cohérence et folie pure, entre cequi a <strong>du</strong> sens et ce qui n‟en a pas, entre quelquechose et rien <strong>du</strong> tout. Et, pour m‟être aventuréede l‟autre côté, je sais que ce n‟est pas siintéressant que cela… c‟est l‟écriture qui m‟aréappris à remettre ».78Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Pat JACOPSTechnologie moderne, métonymie <strong>du</strong> désir et inflammation de l‟objetTechnologie moderne, métonymie <strong>du</strong> désir et inflammation del’objetPat JACOPS (Gand)Gezelschap voor Psychoanalyse et PsychotherapieQuand j‟entends parler de “nouveauxsymptômes ”, je me demande si j‟entendsvraiment des nouveautés dans ma pratique. Lapremière chose qui me passe par la tête est le“Mais t‟es un vieux con ou quoi ? Tu habites surMars ?” d‟une jeune étudiante en réaction à mongrand étonnement alors qu‟elle me signalaitl‟existence de sites internet sur l‟automutilation.Il y a même un “forum” de discussion où desjeunes gens déposent les photos de leurspropres mutilations. C‟était nouveau pour moiqui utilise mon ordinateur pour correspondreavec mes collègues et qui cherche des sujetspsychanalytiques sur internet … Un certaintemps après, des patients m‟ont parlé de sitessur l‟anorexie mentale et sur la boulimie, dessites où on échange des “donnéesd‟expériences”. Une jeune patiente me disaitqu‟elle avait beaucoup plus de satisfaction à sebrancher sur le ”chat-box” d‟un site de boulimieque de venir parler chez le psychanalyste ! Unsujet polytoxicomane me donnait desrenseignements sur les nouvelles médicationspsychopharmacologiques qu‟il avait trouvées surInternet. Un autre patient me racontait qu‟il ycherchait des histoires pour ses pratiquesmasturbatoires. Il avait trouvé des scenarii quimettaient en scène la sé<strong>du</strong>ction d‟un jeunehomme par une parente plus âgée. Ils luiprocuraient une excitation maximale justementparce qu‟ils s‟accordaient au mieux avec unsouvenir d‟enfance qui avait donné forme à sonfantasme. Tout ce qu‟on peut s‟imaginer (etmême davantage), on le trouve sur internet !Pour chaque fantasme, son correspondant parGoogle!Je ne suis pas sûr qu‟il s‟agisse ici de nouveauxsymptômes mais il est certain que cette nouvelletechnologie peut faciliter les choses et fournirdes possibilités pour la fonction métonymique <strong>du</strong>désir. Je suis toujours étonné par le nombre dejeunes gens qui tuent le temps sur des chatboxesde toutes sortes ou qui cherchent unnouveau partenaire sur les sites de rendezvous.Je pense à une jeune patiente qui, aprèsune rupture amoureuse, veut rester seule maisqui, néanmoins, prend contact avec différentshommes sur des chat-sites. Cependant, aprèsquelques rendez-vous, elle leur dit qu‟elle …veut rester seule. Un homme sort <strong>du</strong> gouffreaprès une rupture très douloureuse par l‟usaged‟un site de rendez-vous où il a desconversations avec une dame inconnue trois àquatre heures par journée. Une relationd‟exclusivité se répète ici. Il a pris contact aveccette dame et ils ont commencé une relationsexuelle “non virtuelle”. Nourrie par la penséeque cette dame a eu, et peut encore avoir descontacts avec d‟autres hommes par ledatingsite, la jalousie réapparaît. Le portable etles messages SMS jouent également un grandrôle dans cette relation. A mon grandétonnement, cet analysant me dit qu‟ils sedonnent chaque jour plus de dix messagesd‟amour et qu‟il s‟inquiète quand la partenaire nerépond pas. Quand l‟amour bascule, il utilise cemédium pour les querelles, les reproches, voireles messages grossiers, répétant ainsi l‟autreversant de la relation ambivalente à la mère. Unautre patient me raconte ses querellesquotidiennes avec une dame qu‟il n‟a jamaisrencontrée, dont il ne connaît pas le vrai nom etavec laquelle il a, depuis quelques mois, unerelation intense et sexuelle par le biais delongues conversations MSN, alternées par desmasturbations mutuelles enregistrées par lewebcam. De temps en temps, ce jeune hommeloue cette nouvelle forme de communication carelle lui offre la possibilité sans égale d‟uneincroyable liberté de parole autour de fantasmessexuels. Cette liberté de ton, ”plus grande quecelle par l‟association libre”, est, selon lui, l‟effetde ce circuit où ”il n‟y a plus de honte” !Avec ses possibilités d‟immédiateté, cettetechnologie informatique semble pallier leproblème <strong>du</strong> manque, elle a assurément uneinfluence sur l‟économie des machinesdésirantes : des sujets névrosés s‟adonnentquotidiennement à des pratiques qu‟on qualifiait,le siècle dernier, de perverses : voyeurisme,exhibitionnisme, travestisme, e.a. Ainsi, unhomme qui se dit hétérosexuel se présentecomme homosexuel sur un chatbox pour inciterun autre homme à se masturber devant leAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES79


Pat JACOPSTechnologie moderne, métonymie <strong>du</strong> désir et inflammation de l‟objetwebcam, il répète ce même jeu en se présentantcomme femme à une femme homosexuelle.Donc, le moins qu‟on puisse dire est que cettetechnique donne des possibilités et peut facilitercertaines choses… Cette nouvelle technologiepeut aussi fournir de nouveaux exemples depsychopathologie quotidienne, de nouveauxlapsus : p.e., Sándor Márai, dans Les crises dela vie conjugale, laisse exploser le drame àpartir de l‟oubli de son portefeuille par lepersonnage principal. L‟oubli d‟un appareil GSMpeut avoir des effets désastreux après lecontrôle des messages SMS par le partenaire.Et nous savons tous par expérience quel‟aphorisme de Lacan qui veut qu‟une lettrearrive toujours à son destinataire trouve denouvelles applications dans les messages e-mail …Je peux donner d‟autres exemples car il s‟agitvraiment d‟un envahissement dans ma pratiquede ces dernières années. Je me demande enmême temps si ce que je raconte ici fournitquelque chose de nouveau en ce qui concerneles symptômes. Ne s‟agit-il pas plutôt de lavieille symptomatologie habillée d‟une nouvellerobe par la technologie postmoderne ? On peutdire que ce ne sont que de nouveauxphénomènes où le sujet, avec sa structureparticulière, utilise ce qui lui tombe sous la main.Je pense à un sujet psychotique qui cherche ettrouve par Internet une nouvelle compagneimmédiatement après une rupture amoureuse,pendant qu‟un autre sujet, névrosé, perd sontemps dans des rencontres virtuellesmasturbatoires avec des personnes de tous lescoins <strong>du</strong> monde, mais sans vraiment rencontrerune femme. Je pense donc qu‟il s‟agit ici denouveaux phénomènes où la technologie aassurément son influence sur la voiemétonymique <strong>du</strong> désir, mais avec uneparticularité au cas par cas. Donc, je pense quela meilleure manière d‟aborder cette matièrereste le récit d‟une situation particulière.Il s‟agit d‟un jeune homme chez qui le circuit deSMS-datings a fourni, au moins pour un certaintemps, une possibilité ”légale” de donner formeà son monde fantasmatique. Comme la cure aété interrompue, je laisse ouvertes les choses,non sans néanmoins donner quelques points derepère. Après cinq ans d‟emprisonnement, cethomme a pris des contacts <strong>du</strong>rant ses congéspénitentiaires pour essayer de sortir del‟impasse où il était. Après deux actes d‟incendiemineurs, il avait été interné pour irresponsabilitégrave, sur la base d‟un rapport injuste. Le faitd‟avoir commencé une ”psychothérapie” lui adonné la possibilité de sortir de cette machineinfernale de l‟internement par une libertéconditionnelle. J‟ai écouté cet homme un certaintemps, d‟abord deux fois par mois pendant soncongé pénitentiaire, puis, après sa libération,une fois par semaine jusqu‟à une nouvelleincarcération : il s‟était livré à des actesexhibitionnistes. Je n‟ai plus revu cet hommeaprès cette nouvelle incarcération.Dans un premier temps, ce patient essayait deréécrire son histoire : comment avait-il étéincarcéré et quel était le lien entre ses actesincendiaires Ŕ qu‟il articulait comme desréponses à des exclusions et des vexations Ŕ etles vicissitudes de son passé où il se sentaitrégulièrement exclu et vexé ? C‟estprécisément pendant ces moments demortification qu‟il s‟intéressait à l‟inflammabilitédes objets. Il faisait des expériences sur lacombustibilité de différents matériaux. A cemoment-là, ce jeune homme bien sympathiqueme lançait un premier défi : il remarquait que leplancher de ma vieille maison devait avoir unbon degré d‟inflammabilité et, disait-il, il pourraitfacilement y mettre le feu !Dans un second temps qui coïncide avec salibération, il témoigna avec contentement etjubilation de son nouvel intérêt : il me racontaitde semaine en semaine ses rencontres avecdes jeunes filles au moyen <strong>du</strong> SMS-datingsite.Cette nouvelle occupation, qu‟il appelait son”jouer au feu”, devenait une obsession quil‟habitait une grande partie de la journée. Ellen‟était pas sans résultats : chaque semaine,j‟entendais le récit d‟une ou plusieurs nouvellesconquêtes, non pas sans prosélytisme pourl‟utilisation de ce merveilleux instrument qu‟étaitle datingsite et non sans intérêt pour l‟effetsupposé de sa parole sur la jouissance del‟auditeur que j‟étais. Il est convaincu de pouvoirenflammer toutes les filles qui se prêtaient à cejeu de SMS-dating et même les autres. A uncertain moment, il m‟a mis au défi de pouvoirégalement importuner ma fille. Elle avait alorsun an et demi !Voilà, je vous ai livré ces fragments de ce casclinique. Je le laisse un peu ouvert pour signalerque, ici, la technologie moderne et samédiatisation font fonction de catalyseur. Ellesfacilitent le virement de l‟intérêt pourl‟inflammabilité des objets en un attrait pourl‟inflammabilité des jeunes filles ! La jubilationqui accompagnait l‟utilisation des SMS-datingsa, pour un certain temps, semblé remplir lemanque <strong>du</strong> sujet, mais elle n‟était pas à lahauteur des exigences <strong>du</strong> déni de castration.80Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentaleUn intrus dans le champ de l’hygiène mentaleDr Manuelle KRINGSEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de LiègeJe vais d‟abord vous parler de Léa dont onpourrait dire qu‟elle manifeste des« nouveaux symptômes » si seulement cetteentité existe.Léa a aujourd‟hui 26 ans. Nous nous sommesrencontrées il y a cinq ans au Centre de Santémentale où elle demandait à être hébergée dansnos « habitations protégées », dans les suitesd‟une hospitalisation psychiatrique.Voici comment Léa se présente :C‟est une jeune femme moderne vêtue à lamode, elle aime écouter la musique et regarderla télévision. Elle souvent dans la ville. Elleconsomme quotidiennement <strong>du</strong> cannabis. Ellese met régulièrement en danger : elle peutdécider de partir en auto-stop en pleine nuit surde longues distances ou errer seule toute la nuitdans les cafés des quartiers difficiles. Elle a faitrégulièrement des tentatives de suicide parintoxications médicamenteuses. Elle commetdes actes qu‟on peut qualifier de petitedélinquance, sans conséquences juridiques à cejour.En ce qui concerne sa place dans la famille,« on ne veut plus d‟elle » et ce, depuis plus decinq ans déjà : ni sa mère car cela pose desproblèmes avec son nouveau compagnon ; nison père qui a refait sa vie il y a plus de quinzeans : ni sa sœur qui est mariée ; ni son frère ; nison amie d‟enfance qui tente de faire une croixsur son passé pour pouvoir continuer sa vie.Elle dérange.Au niveau affectif, Léa noue facilement des lienset elle a alors une vie sexuelle mais ces liens ne<strong>du</strong>rent guère plus de quelques mois.Elle vit seule dans un petit appartement qu‟ellepartage parfois le temps de la relation affective<strong>du</strong> moment.Dans les premiers contacts, elle tait ce qu‟il enest de ses symptômes psychotiques. Pourtant,quand on la côtoie au quotidien, rapidement, cesmanifestations symptomatiques apparaissent :elle tient des propos délirants, elle communiqueavec des personnes par télépathie et elle estsujette à de fausses reconnaissances, enparticulier avec des personnes décédées ou,depuis peu, avec des vedettes de variétés, etelle présente des moments d‟hilarité nonpartageable. Tous ces phénomènes sontexacerbés volontairement par la patiente sousl‟effet <strong>du</strong> cannabis.Dans le champ de la santé mentale, elle a étéhospitalisée à plusieurs reprises mais, dans leshôpitaux psychiatriques aussi, elle « dérange ».Et c‟est dans un de ces hôpitaux, où lepsychiatre précisait que le délire avait pu êtrecontenu par des neuroleptiques, que Léaprécise, quant à elle : « il n‟y a pas de placepour une schizo dans ce service ».Que veut-elle dire en accusant le service den‟avoir pas de place pour elle en tant que« schizo » ?Parce que, en fait, Léa est bien une jeuneschizophrène délirante, elle aurait toutes lesbonnes raisons de bénéficier de soinspsychiatriques réguliers dans le champ de lasanté mentale. Et pourtant, elle reste en margede ce champ et elle y met <strong>du</strong> sien autant que lesintervenants y mettent <strong>du</strong> leur.En fait, elle s‟est arrangée pour vivre seule avecl‟aide de certains services qu‟elle-même ainstitués autour d‟elle et selon ses conditionssingulières.Qu‟est-ce qui fait que Léa reste en marge sansrentrer dans le champ de la santé mentale maisqu‟elle maintienne le contact avec certains lieuxet certaines personnes ?Pour cela, voyons quelle a été la trajectoire deLéa lors des cinq dernières années.En 2001, elle a été hébergée dans nosAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES81


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentalehabitations protégées mais ce n‟est queseulement une année plus tard après unesuspension de l‟hébergement et un retour chezsa mère et son beau-père qui s‟est mal passéque Léa se met à parler de ses pro<strong>du</strong>ctionsdélirantes. Avant cela, elle restait hilare ouprostrée avec des montées d‟angoisse quil‟amenaient à passer à l‟acte suicidaire ou àpartir en errance. Les périodes d‟hospitalisationalternaient avec les périodes d‟hébergement.Quand elle se met à parler de ses délires, ellenous confie qu‟elle se sent responsable d‟unmeurtre qui a été commis près de chez elle. Elleaurait prévenu le meurtrier (Mais qui saitcomment elle prévient ? Par transmission depensée ou en parole ?) qu‟il n‟avait pas intérêt àfaire <strong>du</strong> mal à cette famille mais que cela auraiteu un effet paradoxal en provoquant le meurtre.Elle est convaincue que c‟est ce meurtre qui acausé sa maladie.Léa nous parle par bribes, elle vient déposerdes morceaux de récit comme des rébus sansavoir l‟air de les reprendre. Et pourtant, quelquechose se passe, quelque chose va se modifier,au fil <strong>du</strong> temps, dans son discours d‟abord maisaussi dans sa vie.Malgré les accès d‟angoisse, Léa trace sonchemin, bien vivante. Le plus souvent seule, elleponctue sa trajectoire en venant déposer desbribes de récit dans un même lieu, au groupe deparole hebdomadaire. Elle y livre ses déliressans qu‟ils soient interprétés.Petit à petit, elle nous dit son investissementpour les jeux de cartes et de tarot, les utilisantpour raconter des scénarios délirants. Elles‟intéresse aussi de plus en plus à la TV, auxémissions de variétés mais aussi à cesémissions-réalités où des personnes se confientsur le plateau, la TV devient ainsi une autrescène pour ses délires. Au fil des années, Léaparle de ses intentions d‟agir avant de passer àl‟acte.Pendant tout ce parcours, elle sembleréellement s‟appuyer sur une consommation decannabis qui augmente son délire mais qu‟elle« gère » à sa manière. Elle se plaint des‟éteindre quand les neuroleptiques « tassent »trop son délire mais en même temps elle revientdemander son injection de ces mêmesneuroleptiques dans la mesure où unecouverture médicamenteuse apaise ses accèsd‟angoisse et limite le nombre et la <strong>du</strong>rée de seshospitalisations.Ainsi peut-on dire qu‟alors qu‟au début de notrerencontre, elle déposait son histoire comme unvécu dont elle était l‟objet, par exemple lors desfausses reconnaissances qui s‟imposaient à ellesans qu‟elle puisse établir de dialogue mêmehallucinatoire avec ces personnes, actuellement,on peut dire qu‟elle construit un délire où c‟estelle qui est en position d‟influence sur l‟autre :TV, vedettes, cartes…, il lui arrive maintenantd‟halluciner des dialogues se passant sur uneautre scène où elle se met à parler.A presque chacune de nos rencontres, augroupe de parole mais aussi entre deux portesdans le service, dans la rue parfois, elle mesalue et dépose une parole puis elle continueson chemin.***Cette vignette pourrait paraître dans unepremière lecture un laisser-faire vers uneclinique où seul l‟extrême de la confrontationavec le réel viendrait mettre une limite, faireentame à ce qui s‟exprime sous une forme desymptômes actuels dans l‟agir : se faire excluredes lieux de soins, consommer des pro<strong>du</strong>its,avoir des comportements délinquants, s‟exposerà des risques importants pour son intégrité, quece soit par les autoagressions à l‟occasion deses tentatives de suicide ou le risque d‟êtrel‟objet d‟agression lors de ses errances. Etpourtant, en nous positionnant dans un champrégit par la parole, Léa passe et repasse aucentre de santé mentale nous déposer sondiscours, mais aussi elle vient demander sontraitement ou une aide sociale ou simplementdemander asile quelques heures. Et quelquechose se passe.Qu‟est-ce que la psychanalyse apporte desingulier dans l‟approche de la psychose dansses manifestations actuelles par rapport àl‟approche médicale de l‟hygiène mentale ?Reprenons quelques repérages énoncés parLacan dans la question préliminaire à touttraitement de la psychose et par Colette Solerdans l‟inconscient à ciel ouvert de la psychose.Tout d‟abord, Lacan dans la questionpréliminaire inclut la psychose dans ce qu‟il aappelé la fonction et le champ de la parole et <strong>du</strong>langage, il pose que le rapport au signifiant, lefait <strong>du</strong> langage, est ce qui fait l‟unité de lanévrose et de la psychose. Ce qui fait leur unitémais aussi leur différence. 1Ainsi, est formulée l‟inclusion de la psychosedans le champ des faits <strong>du</strong> langage, ce qui sedistingue en effet complètement de l‟approche1 J. Lacan, D’une question préliminaire à tout traitementpossible de la psychose.82Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentalehygiéniste de la santé mentale où il est questionessentiellement de déviation par rapport à unenorme et un rapport préten<strong>du</strong> normal à la réalitéde l‟approche psychanalytique prenant pourpierre angulaire le rapport au langage et sesconséquences.La forclusion, dit-il, est la condition de lapsychose, mais si elle en est la condition, elle nefait pas partie <strong>du</strong> phénomène observable. On nerepère pas la forclusion, mais ses effets. Penserainsi la psychose implique, comme le dit ColetteSoler, que la psychose n‟est pas un chaos, cen‟est pas un désordre mais bien « un ordre <strong>du</strong>sujet ». Un ordre, certainement bouleversé parrapport à l‟ordre <strong>du</strong> sujet névrosé mais un ordrenéanmoins. » 2 . Et prendre la psychose commeun ordre <strong>du</strong> sujet exclut qu‟on la considère <strong>du</strong>moins uniquement comme un phénomèneorganique. 2Donc, dans la psychose, les faits <strong>du</strong> langagesont ce qui apparaît tandis que dans la névrose,la structure langagière <strong>du</strong> symptôme n‟apparaîtque par le biais <strong>du</strong> déchiffrage. Quoi qu‟il ensoit, il s‟agit donc d‟écouter le dire <strong>du</strong> patient quiparle, écouter l‟intrus qu‟est le symptômepsychotique dans le champ de l‟hygiènementale. Intrus dans ce qu‟il a d‟insu, c‟est bienl‟insu qui fait intrusion quand l‟éthiquepsychanalytique régit le travail de la psychose.Si nous sommes dans le champ <strong>du</strong> langage,entendons-nous sur ce qu‟il y a lieu d‟écouter ?Avec Freud, nous tenons qu‟il convient d‟écoutercelui qui parle, quand il s‟agit d‟un message quine provient pas d‟un sujet au-delà <strong>du</strong> langagemais bien d‟une parole au-delà <strong>du</strong> sujet. 1L‟hallucination, mais aussi les autrespro<strong>du</strong>ctions délirantes, ne sont en effet pas audelà<strong>du</strong> langage mais bien au-delà <strong>du</strong> sujet, et iln‟est pas toujours facile de les entendre, et sinous ne pouvons les entendre, nous entravonsla poursuite <strong>du</strong> déroulement de la parole <strong>du</strong>sujet.A propos de l‟hallucination, Lacan en commenteles nécessaires dispositions pour l‟entendre,dans la question préliminaire (p.534), il prône lasoumission entière aux positions proprementsubjectives <strong>du</strong> malade, positions qu‟on forcetrop souvent à les ré<strong>du</strong>ire dans le dialogue auprocessus morbide, renforçant alors la difficultéde les pénétrer d‟une réticence provoquée nonsans fondement chez le sujet. 1 C‟est cettesoumission qui est parfois difficile à soutenir sice n‟était en se basant sur l‟idée qu‟il s‟agit nonpas d‟un chaos mais d‟un ordre <strong>du</strong> sujet. Et c‟est2 C. Soler, l‟inconscient à ciel ouvert de la psychosebien dans cette soumission à la positionsubjective sans y répondre par uneinterprétation mais en prenant le dire au pied dela lettre que réside la particularité analytique denotre écoute.Comment se présente le symptômepsychotique :Au niveau psychiatrique, le symptômepsychotique sera considéré comme déviationpar rapport à une norme. Il sera l‟élément àsupprimer ou faute d‟y parvenir à annuler dansses effets. On pourrait aussi dire comme l‟écritdéjà Freud dans son « intro<strong>du</strong>ction à lapsychanalyse » p.260 : « … la psychiatrieclinique, qui ne connaît qu‟une psychologie <strong>du</strong>conscient, ne sait se tirer d‟affaire qu‟endéclarant que toutes ces manifestations ne sontque pro<strong>du</strong>its de dégénérescence » 3Au niveau psychanalytique, revenons-en à lathèse de la forclusion.Le symptôme psychotique est à articuler avecles effets de la forclusion.Dans la mesure où il représente une manièrepour le sujet psychotique de jouir de soninconscient, la psychanalyse ne peut éradiquerle symptôme puisque ce serait éradiquer toutesexualité, on sait qu‟il s‟agit là d‟un impossible. 4Si c‟est ainsi ne peut-on pas avancer que dansla psychose, la tentative d‟annuler les effets dela forclusion ne viendrait-elle pas risquer de lesaccentuer et débrider la jouissance hors les rets<strong>du</strong> langage avec amplification de con<strong>du</strong>itesjouissive dans le réel, ce que d‟aucunnommeraient des nouveaux symptômes ?Avec Colette Soler, différencions les étapes <strong>du</strong>processus psychotique et précisons où nousintervenons dans le processus :Avant le déclenchementPuisqu‟il y a un « avant le déclenchement », onpeut en dé<strong>du</strong>ire que la forclusion peut êtrecompensée et c‟est en cela que le traitement dela psychose peut avoir un sens. Mais voyons cequ‟il en est une fois la psychose déclenchée.Au moment <strong>du</strong> déclenchementLe psychotique est pris dans un bain dejouissance qui l‟assaille de toutes parts. A cemoment, le patient peut très peu nous en dire, ilest souvent aux prises dans le réel avec sa3 S. Freud, Intro<strong>du</strong>ction à la psychanalyse, Psychiatrie etpsychanalyse.4 C. Demoulin, Théorie <strong>du</strong> symptôme.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES83


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentalejouissance qui le mène à des accès d‟angoissequi risquent de le con<strong>du</strong>ire à des passages àl‟acte. D‟autant plus s‟il ne peut que rarementadresser une parole à quelqu‟un qui peutsimplement la recevoir. Le patient endéclenchement n‟est pas à même à ce momentde problématiser les actes qu‟il agit.Pendant le déroulement, ou une fois lapsychose déclenchée.Lors de cette étape, le psychotique, si on peut ledire ainsi, s‟approprie progressivement les effetsde la forclusion. Les deux aspects de lapsychose auxquels nous nous intéressons leplus en tant que psychiatre-psychanalyste sontce qu‟il advient de la jouissance au niveau <strong>du</strong>réel et la pro<strong>du</strong>ction délirante.On pourrait émettre l‟hypothèse que sansdonner une place au dire qui implique l‟écoutedes phénomènes de langage qui sont les effetsde la forclusion, le patient psychotique qui nousconsulte resterait figé dans un déclenchementqui n‟en finit pas d‟être annulé, et par là mêmequi n‟en finirait pas de faire effraction au niveau<strong>du</strong> réel.Par contre, que se passe-t-il quand le patientpsychotique se met au travail ? Pour C Soler,(p.188) « La frontière entre la maladieproprement dite et les tentatives de solutionvient distinguer le psychotique « martyr » de soninconscient et le psychotique éventuellement« travailleur ». Le travail de la psychose seraittoujours pour le sujet, une façon de traiter lesretours dans le réel, d‟opérer des conversionsqui civilisent la jouissance jusqu‟à la rendresupportable. » 2 Ainsi peut-on penser qu‟il est denotre responsabilité au moins si ce n‟est denotre désir en tant que psychiatre-psychanalysteen institution de soins de proposer un dispositifqui offre un lieu de travail au patientpsychotique.Comment travailler ?Dans la psychose, on peut dire qu‟il y a uneexhibition de la jouissance et l‟une des visées <strong>du</strong>traitement est sans doute de la nouer, donc del‟entamer entre autres en permettant d‟historiserles actes et les délires. Pensons à cetteinscription sur la fesse de Léa quand elle ladécouvre pour son injection de neuroleptiques etqu‟on peut lire ce qu‟elle y a inscrit en grattantsa peau à sang avec une aiguille : « I hateyou », voici à mon sens une tentatived‟aménagement de la jouissance pour la fairerentrer dans les bornes <strong>du</strong> langage et de plus deune parole qui est adressée. Pensons à sespassages à l‟acte et à ce qu‟elle ne parvient pasencore à historiser à propos de ses voyages enauto-stop qu‟elle tente d‟articuler dans sesdélires. Évoquons aussi ce dialogue le long del‟autoroute, dialogue avec le psychiatre qu‟ellehallucine sur une autre scène, celle d‟un plateaude télévision lors d‟une émission interview et quilui permet de ne pas se mettre en danger enpartant cette nuit-là en auto-stop et de venir lerapporter lors <strong>du</strong> groupe de parole suivant,tentant à nouveau d‟articuler cet acte dans sonhistoire et son fantasme. Ici, Léa se sert <strong>du</strong>psychiatre, qui s‟y prête, pour régler lajouissance de son symptôme. Dans le cas de lapsychose déclenchée, l‟intervenant en santémentale peut s‟inclure dans le travail derestauration.Donc, « vis-à-vis de la jouissance, le traitementviserait plutôt à la faire rentrer dans des limites,ces limites ne pouvant venir de rien d‟autre quede sa coordination à un signifiant ». 2 Et donc,d‟écouter parler le patient le temps qu‟il faudraafin qu‟il puisse « y mettre les mots » mais celane suffit pas, il sera question, dans l‟élaborationdélirante, d‟autre chose que le déchaînementimaginaire des scénarios délirants : d‟un travail<strong>du</strong> délire, qui sera travail de restauration. Letravail <strong>du</strong> délire étant de réussir à prendre lajouissance dans les rets <strong>du</strong> scénariofantasmatique. 2Il reste la question de savoir commentl‟intervenant peut être placé dans un lientransférentiel par son interlocuteur psychotique.Et c‟est ici qu‟apparaît l‟intérêt de la pratique àplusieurs dans l‟aménagement <strong>du</strong> transfert etdes risques inhérent à la place où nous sommesplacés dans le transfert psychotique. La viséeétant de pouvoir soutenir au maximum la placede témoin pour éviter celle <strong>du</strong> persécuteur sansnier les éléments de réalité auxquels nousconfronte entre autre l‟apragmatisme <strong>du</strong>psychotique.Ainsi, faire entrer la jouissance dans les bornes<strong>du</strong> discours et <strong>du</strong> lien social, c‟est sur cela queporte la question de la stabilisation de lapsychose pour nous, psychiatrespsychanalystesFreud, déchiffrant Schreber, a reconnu dans ledélire une tentative de guérison que nousconfondons, dit-il, avec la maladie.Reprenons C.Soler, dans l’Inconscient à cielouvert de la psychose, dans le chapitre sur letravail de la psychose : « Dans le travail <strong>du</strong>délire, c‟est le sujet lui-même qui prend encharge les "retours dans le réel quil‟accablent". »La stabilisation84Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentaleIl y a un écart entre les perspectivespsychiatrique de l‟hygiène mentale et de lapsychanalyse. Cela implique de distinguerl‟apragmatisme <strong>du</strong> patient au fond de son lit etcelui de l‟indivi<strong>du</strong> qui par la suppléance de lamétaphore délirante reste « vivant » ! Il estessentiel de définir ce qu‟il en est d‟unestabilisation de la psychose et de la différencierd‟un aménagement des troubles de la psychose.Il faut en effet distinguer l‟aménagement parl‟intervention à partir de l‟extérieur etl‟aménagement par le fait de faire rentrer lajouissance dans les bornes <strong>du</strong> discours. 2 Car ils‟agit en effet de soutenir l‟émergence d‟un sujetvivant plutôt que socialement adapté.De plus, malgré l‟importance que nous donnonsau délire, il ne faut pas méconnaitre qu‟il n‟estpas la seule manifestation <strong>du</strong> travail de lapsychose. La forclusion est susceptible d‟êtrecompensée dans ses effets sous des formes quine se ré<strong>du</strong>isent pas à la métaphore délirante, lavoie des sublimations créationnistes est aussiune façon de civiliser la chose par lesymbolique, l‟œuvre picturale, le traitement <strong>du</strong>réel par le réel aussi lors de passages à l‟acteauto- ou hétéro-mutilateurs. Ce qui est importantà repérer dans ce passage à l‟acte estl‟indifférence <strong>du</strong> sujet quant à la gravité desactes, le sujet pouvant seulement les énumérer,sans jamais les problématiser et en les tenantpour étrangers à lui-même. 2 Ce qui n‟est pas lecas des sublimations créationnistes ni de lamétaphore délirante que le sujet s‟approprie.Mais il est vrai que dans le dispositif analytique,c‟est la métaphore délirante qui est privilégiée.***Revenons-en à la clinique et à la question del‟intrus et à ses conséquences.On peut avec Léa repérer les effets del‟intervention dans le champ de la parole et <strong>du</strong>langage.Elle refuse très clairement les aménagementsde son lien social à partir de l‟extérieur, il semblemême qu‟elle tente elle-même de dés-aménagerson rapport social. On peut se demander si lefait de dés-aménager volontairement son liensocial avec les lieux de soins psychiatriques,serait une façon de pouvoir se dire ou est-ce ense disant qu‟elle dés-aménage ce lien social ?Ou pour le dire autrement :Participer à un travail de la psychose selon uneéthique psychanalytique, vient-il subvertir le lienaux lieux de soins en « hygiène mentale » ouvient-il là où le sujet déjà est en décalage avecce lien-là ?Le dire <strong>du</strong> symptôme qui fait jouissance seraitl‟intrus dans une conception de l‟hygiènementale où l‟objectif est la normalisation etl‟élimination <strong>du</strong> symptôme comme nous le ditLéa quand nous la rencontrons pour la premièrefois au sortir d‟une hospitalisation, quand ellenous dit : «y a pas de place pour un schizo danscet hôpital » !On peut avancer que, ce que l‟hygiène mentalese refuse d‟entendre, voire forclore, c‟est ce qu‟ilen est <strong>du</strong> sujet et de son inscription dans sondire. Ainsi, comment interpréter le fait que Léase fasse exclure des lieux de soinspsychiatriques ou qu‟elle manifeste dessymptômes d‟inadaptation sociale? S‟agit-il d‟undire qui cherche à se faire entendre ou, aucontraire, un agir qu‟il s‟agit de faire passer audire mais qui nécessiterait un certain heurt auréel avant de pouvoir être tra<strong>du</strong>it en mots ? 4J‟avance que, dans le cas de la psychose nonreçue dans le champ <strong>du</strong> langage, les heurtsavec le réel viennent en conséquence de ceteffet d‟annulation de la pro<strong>du</strong>ction langagière <strong>du</strong>psychotique.Ainsi, ce que d‟aucuns nomment les « nouveauxsymptômes », ne serait-il pas, dans le cas de lapsychose, l‟expression de la mise en tension oude la conflictualisations entre le sujet ré<strong>du</strong>it à setaire et à nier son symptôme et le lieu de soinsoù il peut adresser une demande d‟aide à son« ça ne va pas ». Si le conflit ne peut êtreenten<strong>du</strong> comme faisant partie <strong>du</strong> sujet, ne va-t-ilpas être projeté à l‟extérieur <strong>du</strong> sujet et sefocaliser dans le rapport social de celui-ci ?Comment, concrètement alors, laisser une placeà la psychanalyse dans une institution quiaccompagne le psychotique au quotidien et aulong cours ?Il s‟agit d‟abord d‟entendre. Et entendre, c‟ests‟inscrire dans le champ de la parole et nonrépondre dans le champ de l‟acte ou <strong>du</strong>passage à l‟acte, fût-il acte médicalpsychiatrique. Entendre un psychotique n‟estpas interpréter son dire mais le prendre au piedde la lettre.Quand l‟accompagnement au quotidien <strong>du</strong>patient psychotique implique des interférencesavec sa réalité, cela rend pourtant impossible lefait de garder dans le transfert la place <strong>du</strong>témoin, <strong>du</strong> scribe. La prise en compte de lapsychose sans viser la suppression <strong>du</strong>symptôme implique une pratique à plusieurs,mais plusieurs qui s‟accordent sur un dispositifAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES85


Manuelle KRINGSUn intrus dans le champ de l‟hygiène mentalede base :Au niveau de chaque intervenant dans safonction au sein de l‟institution, il est question des‟inscrire dans le dispositif et concrètement desoutenir une place de non-savoir à la place del‟autre, d‟entendre ce qui se dit, ce qui se parleet ce qui se tait et de laisser une place à l‟insu, àl‟intrus qu‟est le symptôme psychotique.En ce qui concerne la place <strong>du</strong> psychiatrepsychanalyste, il s‟agit de soutenir une placeparticulière dans le transfert avec le patient maisaussi avec l‟équipe soignante. En fait, le rapportqui s‟établit, par exemple dans le cas de Léa,entre elle et le psychiatre est à la fois direct maisaussi, pour la plus grande part, indirect, dans lamesure où la pratique à plusieurs implique unemultiplicité des liens transférentiels. Ainsi, Léavient-elle non pas seulement dire dans un lientransférentiel au psychiatre-psychanalyste maisaussi dire dans un lieu dont elle sait que c‟estl‟inscription dans le champ de la parole qui lerégit. Et la tâche <strong>du</strong> psychiatre consiste autantdans l‟écoute directe de la patiente que dansl‟écoute de ce qui se dit ou se passe à l‟actedans le lieu de soins et donc entre Léa et lesautres membres de l‟équipe où entre Léa etd‟autres patients.Ce qui est particulier au lien transférentiel avecle psychotique dans ce type de pratique, est quecela implique d‟accepter d‟être un instrumentdans le système <strong>du</strong> patient. Là est peut-être uneplace <strong>du</strong> psychiatre psychanalyste dans uneinstitution de soin régie par la parole, laissantune place pour l‟intrus <strong>du</strong> symptôme en tant quejouissance de l‟inconscient.Des psychanalystes se sont engagés dans desétablissements psychiatriques pour participer auprocessus qui permettait à ces établissementset à leurs services de devenir des espacesvivants et des lieux de parole. Ne s‟agissait-ilpas d‟une tentative de subversion desinstitutions ? 5Comment faire pour ne pas refuser des‟affronter à la psychose sans collaborer audiscours médical dominant ? Comment éviter dele dénoncer et ainsi le renforcer mais accepterde s‟y affronter sans collaborer ?En acceptant de s‟affronter à la clinique de lapsychose dans le champ de la santé mentale, ils‟agirait non pas de collaborer au discoursscientifique médical et, souvent, de plus en plushygiéniste, mais de participer en assurant, dansce champ, une place, pour l‟intrus <strong>du</strong> symptômeet de son dire, sans laisser le dispositif serefermer et exclure toute émergence <strong>du</strong> sujet.5 S. Bruckmann, Subversions <strong>du</strong> sujet etsubversions des institutions.86Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Perversion généraliséeAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES87


Yves BATONLa perversion comme norme : ce qui est permis devient obligatoire88Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Yves BATONLa perversion comme norme : ce qui est permis devient obligatoireLa perversion comme norme : ce qui est permis devientobligatoireYves BATONForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonIl est étonnant que des analystes, dans lecadre d‟un colloque traitant des "Nouveauxsymptômes", organisent un atelier de réflexionsur "La perversion généralisée". Remarquepréliminaire mais interpellante : en quoi laperversion généralisée est-elle un phénomèneou un symptôme "nouveau" ? Dès 1905, Lestrois essais sur la théorie de la sexualitéaffirment : tout enfant est un "perverspolymorphe", tout a<strong>du</strong>lte garde des "traits deperversion" infantiles dans son fantasmecomme dans les préliminaires amoureux…Généralisée la perversion ? Depuis toujours !Est-il justifié, et en quoi, de requalifier un faitéternel ? Notre société valorise desphénomènes qu‟elle condamnait sans aucundoute ; les sujets actuels sont-ils pour autantde „nouveaux‟ pervers ? Pour tenter derépondre à ces questions, j‟ai construit monexposé autour de deux courtes vignettescliniques et d‟une réflexion théorique.La première vignette traite d‟un pervers"classique", un fétichiste.André, plus ou moins 50 ans à l‟époque, est"un analysant de carrière" ; avant de venir mevoir en 1987, il a déjà usé deux analystesroutinés … Il fera une troisième tranche dedeux ans qui se conclura par une sortiethérapeutique : il renonce au fétichisme quil‟isolait douloureusement et, au prix d‟uneabstinence totale, reconstruit un couple.Sa vie est scandée par un événementdramatique : quand il avait cinq ans, pendantla guerre, son père fut décapité par lesAllemands pour faits de sabotage. Le voilàdonc orphelin, seul avec sa mère… Il la décritcomme fort bête et à moitié cinglée : elle nesavait pas se contrôler, elle dirigeait mal savie, elle croyait que son mari la trompait alorsqu‟il était en train de résister, elle s‟en remettaità son père à elle pour guider sa vie. Contrel‟emprise très forte de cette mère, en puisantdans la légende familiale car il en a, dans lesfaits, fort peu de souvenirs, il idéalise ce pèreet choisit son grand-père paternel commesubstitut. Cet assassinat <strong>du</strong> père, cetraumatisme, frappe l‟imagination mais ce n‟estpas l‟essentiel … Très tôt dans son enfance,peut-être même avant la mort de son père, ilfouillait l‟armoire de sa mère, découvrit lescorsets de sa grand-mère. Fasciné, il lesmettait et se masturbait ! Adolescent, c‟est unélève médiocre ; il n‟a connu aucun flirt. Aprèsses études universitaires, il épouse la filled‟amis de la famille. On ne peut pas dire quece soit un mariage d‟amour ; le couple marchetellement mal que son épouse demande unrendez-vous, pour le couple, chez un premieranalyste.Les plaintes de son épouse portaient sur sonavarice, sa maniaquerie, ses traits decaractère, une absence totale decommunication, son manque de fantaisie ; nonsur son manque de spontanéité affective, nonsur la rareté de leurs relations sexuelles, ni surle fait qu‟il les accepte seulement s‟il peutmettre en place un cérémonial assezcontraignant et assez long (nettoyage completde la maison, ruminations fastidieuses sur lemenu à préparer pendant une bonnesemaine…) et seulement si elle porte un corsetou un imperméable en caoutchouc noir. Aucontraire, dit-il, elle ne trouve pas celadégradant, elle repère qu‟il s‟agit d‟un scénariopervers fixe et met ce fétichisme sur le comptede la truculence apparente (car s‟il n‟y a pasde sexualité en vue, André est quelqu‟un detrès sociable) et des bizarreries mentales deson mari. Après leur divorce, André auraencore deux relations amoureuses (mais sanscohabiter) ; le même scénario se repro<strong>du</strong>it.André n‟a jamais eu de relations sexuelles ouamoureuses en dehors de son scénariofétichiste.La perversion "ancienne mode" n‟étant pas lesujet, je vais arrêter ici et souligner lescaractères généraux de cette perversion :scénario et objet pervers fixes mis en acte defaçon à permettre le coït, déni de la castrationrejetée sur l‟autre (les femmes sont bêtes),relation truculente des faits perversAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES89


Yves BATONLa perversion comme norme : ce qui est permis devient obligatoireaccompagnée d‟une certaine pauvreté deparoles sur le reste de la vie intime, victimesconsentantes, <strong>du</strong> moins dans le discours <strong>du</strong>pervers, etc. Mais il y a une chose dont je n‟aipas encore parlé et dont il est conscient : iltransgresse une loi, sa perversion est ignoréede son entourage, il a honte. Il en résulte sonabsolue solitude affective, levier de ses troisdemandes d‟analyse.Malgré son apparente robustesse, la réponseperverse (qui "accentue à peine" la dominancede l‟objet a 1 ) au complexe de castration neprotège pas André de la dysharmonie sexuelle,<strong>du</strong> "ça cloche", <strong>du</strong> réel. Actuellement, lessujets s‟affichent, revendiquent leur perversioncomme un droit, voire un "plus", par rapport ànotre banale hétérosexualité.Je vous présente donc Marie. Fille d‟un coupleconventionnel, rien, ni dans son anamnèse nidans sa parole en séance, ne permet de porterun diagnostic structural de perversion. C‟estune bonne névrosée… Vers 35 ans, ellecommence à pratiquer l‟échangisme et Ŕ c‟estosé dans son milieu Ŕ à le valoriser auprèsd‟amis et de ses trois enfants ! « Chez leséchangistes, on rencontre des gens plusintéressants culturellement et humainementque dans les couples traditionnels ! »Toutefois, à propos de la pratique même del‟échangisme, elle ne dit rien par "belleindifférence" ! Si elle fait une demanded‟analyse, ce n‟est pas par honte mais parcequ‟elle appréhende que son mari, tombéréellement amoureux d‟une rivale, ne la quitteet qu‟elle ne soit plus rien pour lui. En somme,l‟angoisse qu‟in<strong>du</strong>it la perversion chez lenévrosé lui revient après-coup sous la formed‟un risque vital de perte d‟amour, de perdreson statut auprès de son mari… D‟avoir relevéce point a lancé l‟analyse. Comment etpourquoi se lance-t-elle dans l‟échangisme ?Son couple marche bien : elle a trois enfants,un travail, un mari qu‟elle trouve tout à faitvivable malgré sa possessivité et sa jalousie,une maison, un chat et un canari… Le couples‟ennuie ; pour le raviver, son mari la pousse àrenouer avec un premier flirt et même la metgentiment dans son lit. Jusqu‟ici, nous restonsdans l‟ancienne "normalité" : elle trompe sonmari et tout continue à tourner normalement.Toutefois, cette petite aventure prend del‟importance ; elle est vraiment amoureuse !Mais son mari, au lieu de tomber banalementjaloux, pousse son petit fantasme jusqu‟aubout: l‟échangisme ! Il lui met le marché enmain : « Puisque tu as une relationextraconjugale, j‟ai droit à ma petite1Cfr. Lacan, J., Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, p. 823.compensation ! Tu acceptes l‟invitation <strong>du</strong>couple Machin, bien connu pour ses pratiqueséchangistes ». Par culpabilité ou pour garderl‟amour de son mari, elle accepte. Cetéchangisme reste très soft.J‟arrête ici le développement de cette vignettepar discrétion mais aussi parce que monpropos est ailleurs. André obéit à une loiuniverselle, à la loi <strong>du</strong> père ; comme le ditSaint Paul, cette loi interdit, elle crée la "faute",mais paradoxalement elle crée aussi le désir,ce qui nous "sé<strong>du</strong>it" : « Quand la loi est venue,la faute a pris vie. […] Oui, la faute saisitl‟occasion : à travers la loi, elle me sé<strong>du</strong>it etme tue par elle. » 2 André transgresse une loi, ille sait, il en a honte ; mais en même temps,cette loi a créé son désir pervers singulier.Marie revendique sa "perversion" certes…mais est-elle perverse ? Sa parole en séanceindique que son échangisme est corrélé à sescoordonnées subjectives identificatoires etfantasmatiques de névrosée ; le choix <strong>du</strong>scénario pervers en tant que tel ne relève pasd‟un choix intime comme chez André maisd‟une norme sociale anonyme et standardisée,d‟une identification quasi-moïque. Sonsymptôme s‟estompe…** *Certes, la Loi universelle est en perte devitesse, chacun réclame et l‟égalité et lerespect de sa singularité ; certes, lesreprésentants de l‟autorité se présententdésormais comme des interlocuteurs quasiégaux…Mais à ce titre-là, si l‟on suitDostoïevski et une partie de l‟enseignement deLacan, le thème « Dieu est mort, plus rien n‟estpermis » 3 devrait prévaloir ; c‟est bien lecontraire qui se passe ! Au-delà de lasociologie, de l‟évolution des mœurs, <strong>du</strong>triomphe <strong>du</strong> capitalisme et <strong>du</strong> discours de lascience, comment rendre comptepsychanalytiquement et structuralement de cerenversement de perspectives ? DansSubversion <strong>du</strong> sujet et dialectique <strong>du</strong> désir 4 ,Lacan pose trois positions subjectives face àl‟Autre barré. Devant la demande de castrationémanant de l‟Autre (que le névrosé imagine),le sujet peut d‟abord, entre lui et l‟Autre,interposer l‟écran <strong>du</strong> fantasme et limiter sajouissance à celle qu‟autorise la loi <strong>du</strong> désir.En l‟absence de cette "chaîne souple" <strong>du</strong>fantasme, le sujet se trouve confronté non plus2 La Bible, « Lettre aux Romains » 7,9 et 7,11, tra<strong>du</strong>ctiond‟André Chouraqui, Desclée de Brouwer, 1985, p. 2196.3 Cfr. Lacan, J., Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, p. 130.4 Idem, pp. 826-827.90Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Yves BATONLa perversion comme norme : ce qui est permis devient obligatoireà la demande mais à la "volonté de l‟Autre" ; ilpeut se faire $, héraut de l‟impératifsurmoïque, ou devenir l‟objet de cet impératif.Le séminaire Encore reprend cette tensionentre le sujet, responsable de sa structure (caril est impossible de respondere hors-structure),et l‟Autre qui n‟existe pas. Le "droit-à-lajouissance"devient "impératif de jouissance"dès lors que le surmoi s‟en mêle : « Qu‟est-ceque la jouissance ? Elle se ré<strong>du</strong>it ici à n‟êtrequ‟une instance négative. La jouissance, c‟estce qui ne sert à rien. Je pointe là la réservequ‟implique le champ <strong>du</strong> droit-à-la-jouissance.Le droit n‟est pas le devoir. Rien ne forcepersonne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi,c‟est l‟impératif de jouissance Ŕ Jouis ! » 5 Faceà l‟impératif surmoïque, Lacan mobilise chez lesujet responsable une "réserve" : « le droitn‟est pas le devoir » et « rien ne forcepersonne à jouir » ; bien sûr … mais le désirtotalement épuré <strong>du</strong> pathologique kantien, <strong>du</strong>plaisir, n‟existe pas ! Après le fantasme, aprèsl‟appel à la responsabilité <strong>du</strong> sujet, quelle autresolution Lacan propose-t-il pour faire obstacleà l‟Autre sans foi ni loi car comment ne paspenser que ces deux pare-jouissances restenttrès généraux ? Certes, le fantasme est le plussingulier <strong>du</strong> sujet névrosé mais comment lepsychotique se débrouille-t-il quand il n‟a pasdécompensé ?Le père de Hans nous démontre que, quan<strong>du</strong>ne loi universelle se révèle inopérante et sestenant-lieux, défaillants, une loi singulière laremplace automatiquement. Ce père vient dedonner à Hans l‟autorisation apparemmentdéculpabilisante et libératrice de regarder leschevaux ; ne voilà-t-il pas qu‟il s‟y sentparadoxalement "commandé" : « Tout commedans les systèmes totalitaires qui sedéfinissent par le fait que tout ce qui est permisdevient obligatoire, il [Hans] s‟y sentmaintenant commandé. […] Que peut bienvouloir dire ce mécanisme que j‟ai résumésous cette forme Ŕ Ce qui est permis devientobligatoire ? […] Cela doit être comme unmécanisme fait pour maintenir sous une autreforme le droit à ce qui était défen<strong>du</strong>. » 6 Quesignifie cette dernière phrase ? « Maintenir […]le droit à ce qui est défen<strong>du</strong> » renvoie sanséquivoque au thème de la Loi ; mais vers quelautre thème nous dirige la partie de phrase« comme un mécanisme fait pour maintenirsous une autre forme » ? Celui <strong>du</strong> symptôme(en l‟occurrence phobique) qui, en l‟absenced‟interdit de l‟inceste posé par un père carent,5 Lacan, J., Le séminaire, Livre XX, Encore, Le Seuil,Paris, 1975, p.10.6 Lacan, J., Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, LeSeuil, Paris, 1994, p. 281.protège Hans "mécaniquement" et "sous uneautre forme" de l‟Autre maternel déréglé ;symptôme qui fait loi. Plus généralement, sil‟« élément quand sans lequel rien n‟estpossible dans le nœud <strong>du</strong> symbolique, del‟imaginaire et <strong>du</strong> réel » 7 , si le père, n‟est paslà, il est automatiquement et immédiatementremplacé par le symptôme qui localise et limitela jouissance. Qui plus est, le symptômearrime, et l‟impératif surmoïque et lajouissance, à un sujet singulier : « C‟est en tantque l‟inconscient se noue au sinthome, qui estce qu‟il y a de plus singulier chez chaqueindivi<strong>du</strong>, qu‟on peut dire que Joyce, comme ilest écrit quelque part, s‟identifie àl‟indivi<strong>du</strong>al. » 8Pour conclure, les phénomènes sociétauxpervers sont certes dictés par le surmoi"Jouis ! " ; mais ils sont aussi une stratégie <strong>du</strong>désir pour maintenir la Loi, distribuer lesjouissances, et arrimer cette loi pluralisée à lasingularité <strong>du</strong> sujet. Je ne sous-entendsnullement quelque chose comme "c‟est de pireen pire mais il y a encore pire et somme toute,échappant au-plus-pire, nous vivons dans lemeilleur des mondes possibles… " maisj‟affirme que le travail analytique est possible --pour peu qu‟on veuille transformer la plainteen symptôme, le symptôme social ensymptôme analytique, les affects de souffranceen souffrance énigmatique quand les"cicatrices" œdipiennes intrapsychiquessaignent à nouveau sous l‟effet de boomerang<strong>du</strong> complexe de castration. Ce libre-servicedes jouissances offre la possibilité aupsychotique d‟obvier à sa déréliction et, d‟unefaçon conformiste, de faire lien social Ŕ d‟unemanière économiquement catastrophique,certes, mais parfois moindrement Ŕ selon lebon vieux dicton « Plus on est de fous, plus onrit ». L‟analyste, là, peut aider par unraboutage signifiant, à trouver des solutionsplus stables et moins coûteuseséconomiquement…Avec le névrosé, la psychanalyse nousconvoque à dégonfler les identificationsphalliques, à faire déconsister les objets, àdisjoindre « l‟objet petit a [<strong>du</strong>] grand I idéalisantde l‟identification » 9 pour parer auconnormisme ambiant et construire une (sa ?)singularité subjective.7 Lacan, J., Le séminaire, Livre XXII, Le sinthome, inAubert, J. et alii, Joyce avec Lacan, Navarin, Paris, 1987,p. 28.8 Idem.9 Lacan, J., Le séminaire, Livre XI, Les quatre conceptsfondamentaux de la psychanalyse, Le Seuil, Paris, 1973,p. 244.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES91


Yves BATONLa perversion comme norme : ce qui est permis devient obligatoire92Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Michel CODDENS Enfin un père ?Enfin un père ?Michel CODDENSEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien <strong>du</strong> Brabant wallonLors d‟un tout récent voyage en Pologne, àCracovie plus exactement, quelle n‟a pasété ma stupéfaction d‟apprendre que l‟ancienpape Karol Wojtyla se dressait sur l‟appui de lafenêtre de sa chambre à l‟archevêché deCracovie pour prêcher aux fidèles rassembléssur la place devant l‟édifice. Fascinés par cetteposture phallique, ils étaient éper<strong>du</strong>sd‟admiration devant cette puissance imaginaire.Lors des Journées Mondiales de la Jeunesse deCologne, je lisais que les jeunes avaient en lapersonne de M. Ratzinger quelqu‟un qui faisaitoffice de père, eux qui en manqueraienttellement. Mais aussi, j‟apprenais que descouples de ces jeunes catholiques avaient dormidans un seul sac de couchage et avaientlargement fait usage de préservatifs ou de pilule<strong>du</strong> lendemain.Alors, je me suis quand même posé l‟une oul‟autre question. Comment expliquer que despersonnages dotés d‟une telle aura et misindéniablement dans une position paternelleaient si peu d‟impact en matière de morale, etde morale sexuelle en particulier ? Commentexpliquer que des personnages nimbés d‟unetelle prestance imaginaire échouent à faireappliquer la loi dont ils sont les représentants ?Naturellement, on ne peut que souscrire à C.Soler quand elle dit que ce qui prime, pour cesjeunes, c‟est d‟être ensemble, c‟est de constituerun « corps anonyme ». Un corps qui, notons-le,permet de faire l‟économie de la castration. Maisil n‟en reste pas moins que ce corps, qu‟il soitconstitué de Polonais ou de jeunes gens de touspays, aspire à un père. Il ne peut pas s‟enpasser, comme le signale Pauline Prost, neserait-ce que parce que ce père réunit ce corpsanonyme autour de son nom, signifiant quirenvoie à l‟Eglise, à la foi, au ChristRédempteur, etc. Evidemment, une question sepose ici : ce nom, Jean-Paul II, Benoît XVI, …fonctionne-t-il comme un Nom <strong>du</strong> Père qui feraitnouage ? On en doute fort : le corps anonyme,traversé par le signifiant fraternité, apparaîtdavantage comme une multitude de jeunes etde moins jeunes déboussolés, désarrimés. C‟estune religion des frères et non <strong>du</strong> père. Il suffit delire Mgr Boccardo, le prélat responsable del‟organisation des JMJ : il ne cesse de lemarteler.Qu‟est-ce que ce père qui aime, qui est aimé,qui rassure, qui accueille, qui bénit urbi et orbi etqui, cependant, échoue à imposer la loi ?Certes, le pape est un père imaginaire quiprotège contre la peur, mais dont la vocation estde prêcher dans le désert. Son discours n‟estagréé par personne. Qui, en effet, tient comptede sa parole ? Dès l‟instant où il énonce la loidont il est le gardien, ce père est disqualifié. Etla castration dont il se fait le porteur est récusée.Alors, je me suis demandé ce qui permettaitcela. Dans quel discours baignons-nous, dansquel lien social sommes-nous pris qui rendepossible un tel phénomène ? Même si sonmessage en matière de sexualité résonne chezcertains qui répriment toute vie sexuelle « avantle mariage » et qui trouvent dans ses injonctionsprétexte pour l‟économie <strong>du</strong> sexuel …Lacan a dégagé un discours particulier, lediscours <strong>du</strong> capitaliste, qui domine notre monded‟une façon prégnante, oppressante. On enconnaît les effets majeurs : perversiongénéralisée puisque chaque désir trouverait,dans la réalité qui le comble, quitte à tuer pourl‟obtenir, ravalement <strong>du</strong> sujet au rang deconsommateur d‟objets de jouissance, des plusde-jouirinventés par la science et jetés dansune économie mondialisée, obligation <strong>du</strong>bonheur, indivi<strong>du</strong>alisme forcené, effritement dela solidarité, compétition et rejet <strong>du</strong> « maillonfaible », valorisés, isolement croissant desindivi<strong>du</strong>s malgré les instruments de lacommunication (GSM, e-mails, …), ségrégationstoujours grandissantes et constitution deminorités toujours prêtes à revendiquer, horreursuscitée par la vieillesse et négation de la mort,déclin <strong>du</strong> père, chute des grandes idéologies, cequi n‟empêche pas les sujets d‟être toujours enquête d‟un idéal, ce qui s‟entend sur le divanAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES93


Michel CODDENS Enfin un père ?dans les projets, souvent filandreux, d‟aidehumanitaire dans les pays ravagés par la misèreet la maladie … Il y aussi un phénomène qu‟afort justement repéré Irène Foyentin, c‟est celui<strong>du</strong> traitement de la langue qu‟opère le discours<strong>du</strong> capitaliste : une chose n‟est plus désignéepar son nom, mais par un autre. Ainsi, on ne ditplus « bombardement », mais « frappechirurgicale », on ne dit plus « licenciementmassif », mais « flexibilité de l‟emploi », … Lesexemples abondent. Je rappellerai seulementque « extermination des Juifs » s‟appelait à unecertaine époque « solution finale »,« Endlösung ». Maintenant, on dirait sans doutede « purification ethnique » …Les signifiants-maîtres <strong>du</strong> discours <strong>du</strong> capitaliste(réussite, argent, succès, …) échouentcependant. Les symptômes des sujets quis‟adressent à nous montrent bien que lajouissance ne s‟y soumet pas : ils restent à laquête d‟une oreille qui leur prête attention, quientende et qui ne propose pas desmédicaments ou des conditionnements à laPavlov. Le discours <strong>du</strong> capitaliste, sous saforme de l‟ultralibéralisme et de l‟offre desjouissances prêtes à porter, fournit toujours sonlot de sujets souffrants, les « éclopés <strong>du</strong> surmoicapitaliste », pour reprendre l‟expression de C.Soler. En effet, la jouissance ne se laisse pasapprivoiser par des gadgets.Parmi les éléments constitutifs <strong>du</strong> discours <strong>du</strong>capitaliste, il y a le déclin <strong>du</strong> père que Lacanavait déjà aperçu en 1938, dans son texte Lescomplexes familiaux. Cette notion de déclin dela métaphore paternelle parcourt tout leséminaire de Lacan. En témoigne soncommentaire <strong>du</strong> petit Hans dans les années 50.On se rappelle la gentillesse, la bonté de MaxGraf et, aussi, <strong>du</strong> peu de cas que fait Mme Grafde la parole de son mari. Cependant, commenous l‟enseigne Lacan, la carence paternellechez Hans trouve une suppléance dans l‟objetphobique <strong>du</strong> cheval et dans la grand-mère.Cependant, comme le note judicieusementSerge Lesourd, pour que « l‟invalidation <strong>du</strong>père » fonctionne et empêche ainsi de poserune limite à la jouissance ou de localiser celle-ci,il faut que le discours social la rende possible.On voit ainsi une manifestation de ce déclindans la notion moderne de parentalité. Celle-cine fait que confirmer la dégénérescence <strong>du</strong>Nom <strong>du</strong> Père. Le père n‟est plus prévalent enmatière d‟autorité parentale. Père et mères‟équivalent, ils sont dans un rapport de"mêmeté" où, nolens volens, la notion même dedifférence des sexes s‟étiole. Comme le rappelleSol Aparicio, parler aujourd‟hui de famille nenécessite plus que l‟on se réfère à la familleconjugale. Dois-je rappeler les conceptsmodernes de monoparentalité, d‟homoparentalité?La notion de "père carent" n‟est pas insignifiantecar elle est assez neuve. Ce concept, qui ne seretrouve pas dans les textes freudiens, indexeelle-même le déclin <strong>du</strong> père comme paterfamilias, <strong>du</strong> père comme dépositaire del‟autorité. Maintenant, la "carence" <strong>du</strong> père peutl‟amener à être déchu de ses droits. Qui plusest, la possibilité qu‟offre désormais le droitfrançais aux enfants de ne porter que le nom deleur mère efface le père qui nomme. Et les"nouveaux pères" ne sont rien d‟autre que des… mères. C‟est indéniable, le Père <strong>du</strong> Nom aper<strong>du</strong> de son poids dans la sociétépostmoderne. Comme Irène Foyentin lerappelle, tenter de restaurer le père ou seraccrocher à son mythe ne font que témoignerde sa disparition ou, <strong>du</strong> moins, de sonrabaissement.Assez curieusement, on assiste à un retour del‟image <strong>du</strong> père telle que Freud en parle dans saNeurotica : un père pervers, dangereux pour sesenfants. Le père est devenu celui qui,contrairement à la mère, ne sait pas y faire avecles enfants, il est surtout celui qui peut enabuser. Il suffit de se reporter aux conflits quientourent la garde des enfants dans les cas dedivorce. On entend même dire que des pèresqui s‟aventurent à exercer leur autorité sont despères qui ne sont pas à l‟écoute de leur enfantet qui le traumatisent parce que leur imposantce qui est présenté comme de l‟arbitraire. Enl‟occasion, le père est une figure d‟un Autrepersécuteur qui jouit à priver l‟enfant <strong>du</strong>bonheur.Autrement dit, le père comme agent de lacastration est démenti dans notre société. Celaétant dit, le père postmoderne n‟est pas forclos,comme le remarque bien Lesourd, mais safonction d‟être le représentant <strong>du</strong> phallus estdéniée. La mère, elle, est dotée de la puissancephallique. Ce n‟est plus le père qui en est ledépositaire. Elle est castrée, bien sûr, elle estmarquée par le manque mais ce qui est neuf,c‟est que ce n‟est plus le père qui est en mesurede répondre à son manque mais les objets deconsommation, les plus-de-jouir. Il n‟est doncpas rare que ces hommes sont posés moinscomme des pères ou des amants que commepourvoyeurs d‟objets de consommation. Riend‟étonnant donc à ce qu‟ils soientinterchangeables.94Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Michel CODDENS Enfin un père ?Est-il besoin de rappeler ici, dans le meilleur descas, le ravalement <strong>du</strong> père réel à n‟être qu‟unoutil nécessaire à la procréation auprès decertaines femmes ? Mais on sait bien que lascience permet quelque chose de radicalementneuf : plus besoin de deux personnes pour faireun enfant ! La technoscience médicale rendpossible une procréation débarrassée de larencontre sexuelle entre un homme et unefemme (Lesourd). Le recours à l‟inséminationartificielle implique ainsi l‟exclusion <strong>du</strong> père.D‟ailleurs, on sait combien de fois le Nom <strong>du</strong>Père est branché par la mère à son propre pèreplutôt qu‟à son homme.Croire qu‟il suffirait de revalider le Nom <strong>du</strong> Pèrepour pallier la défaillance paternelle inhérente audiscours <strong>du</strong> capitaliste relève de l‟illusion, mêmesi Lacan a pu dire à Milan, en 1972, que cediscours était « voué à la crevaison ». Est-ilbesoin de rappeler qu‟il assignait au discoursanalytique la fonction de sortir <strong>du</strong> discours <strong>du</strong>capitaliste.Enfin, la prétention des catholiques de trouveren leur pape un père n‟est jamais qu‟unecroyance : eux non plus n‟échappent pas audiscours <strong>du</strong> capitaliste. Benoît XVI l‟a remarqué :la religion, dit-il, est devenue un pro<strong>du</strong>it deconsommation où chacun puise ce qui l‟agrée.De son vivant, Jean-Paul II offrait un autre plusde-jouirà ces jeunes des JMJ : la sainteté, leursainteté, pas moins !La dimension imaginaire <strong>du</strong> pape a déjà étéépinglée par P. Legendre dans un vieux texte,L’amour <strong>du</strong> censeur. Loin d‟être l‟autocratedessiné par le fantasme, le pape est « serf d’unsacerdoce suprême, […] il est dépossédé deses désirs par sa tâche de pasteur, … ».Autrement dit, le pape est présenté comme leporteur <strong>du</strong> phallus, mais aussi commel‟empêché, le sacrifié. Il est le père, bien sûr,mais châtré. Sa puissance, son autorité moraleet son charisme ne sont que purs semblants, ceque les jeunes catholiques ont très bien perçu,eux qui, comme me le signalait A.-M. Devaux,lui renvoient son message sous une formeinversée. Le Saint Père est donc décevant etinsatisfaisant, puisque jamais à la hauteur,impuissant. Comme le père de Dora. En effet,qu‟a-t-il à offrir pour se faire préférer, et se fairepréférer à qui, <strong>du</strong> reste ?Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES95


Michel CODDENS Enfin un père ?96Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Didie MATHYPost-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet?Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?Didier MATHYForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de LiègeAdisparition, dit, à propos de ce qui entoure « levrai dire, plutôt à défaut de dire vrai,1 p.44, Gallimard, 1994. précurseurs <strong>du</strong> tiers, p.29, Eres, 2005.puisque le sujet de l‟énonciation qui causedevant vous est habité d‟un malaise. Pas lemalaise de l‟obsessionnel, qui choisit de ne paschoisir, mais un malaise qui porte sur l‟endroitd‟où il cause, plus précisément de ce quil‟autorise à causer. Au fond, qu‟est-ce quil‟autorise ce sujet à porter réponse à la questionqu‟il se pose ?temps vécu <strong>du</strong> sujet »… « qu‟il ne s‟agit plus detension ou d‟attention, mais de suspension pureet simple (par accélération), disparition etréapparition effective <strong>du</strong> réel, décollement de la<strong>du</strong>rée » 2 . Ces ères <strong>du</strong> temps suspen<strong>du</strong>, <strong>du</strong> videpour Lipovetsky, de basses eaux mythologiquepour Morin, pro<strong>du</strong>isent-elles un sujet in-eksistant,un non-sujet qui laisse une trace de lanon-trace, sujet emporté, voire structuré parPost-modernité : Déclinaison <strong>du</strong> sujet ?une dynamique métonymique plutôt quemétaphorique ? L‟effondrement des structuresLe savoir qu‟il se suppose lui permet-il de cernerson sujet ? Dispose-t-il <strong>du</strong> temps, donc <strong>du</strong> retraitnécessaire et des moyens heuristiques etclassiques de socialisation (remplacées pour lesplus “pauvres”, pour les exclus, pour les boucsémissaires, par des situations d‟a-socialisation),cliniques, pour voir, comprendre et juger de la disparition progressive de l‟impact del‟objet de sa quête ? Son sujet, objet d‟un savoirsupposé,est-il un sujet dans, voire de la post-« qui organise le champ de la représentation enl‟opérateur traditionnel (le père), cet opérateurmodernité ? Au demeurant, n‟est-ce pas danscet intervalle entre le dans et le de, que selocalise sa difficulté ? Qu‟est-ce donc ce sujet ?Son immersion dans le bain post-modernein<strong>du</strong>it-elle un changement de structure, donc unséparant des lieux topiques différents, inscrivantla psyché dans une temporalité d‟après-coup etpromouvant un agent, défini par l„acte qu‟il pose,acte fondamental de négation, de refoulement,mais aussi acte de décision, assentimentsujet nouveau ou, plus prosaïquement, ce bain fondamental fondateur de la vie de l‟esprit » 3 , lapro<strong>du</strong>it-il des formes symptomatiques qui ne tendance sociétale qui substitue lestémoignent pas fondamentalement d‟une transcendances idéologiques passéesmodification substantielle ? Témoigner, être (communisme, socialisme, libéralisme social, …)témoin. Le sujet que je convoque, témoigne-t-il par l‟idiologie consumériste, pro<strong>du</strong>it-elle unde ce qu‟il lui arrive en laissant une trace ? Cette objet-sujet, un sujet plus objet que sujet, qui setrace se manifeste-t-elle au travers de rejetons consume par sa consommation effrénée ?de son désir inconscient ? Le langage est-il levéhicule privilégié de cette trace ? Cette trace a- Et partant, ce pare-temps, ce temps qui set-elle un sens ? Est-elle le fruit d‟acting out ou de dissipe, qu‟on ne prend plus même si l‟on saitpassage à l‟acte ? La place de “sujetconnaissant”que j‟occupe, si tant est que jequ‟il nous échappe, génère-t-il :puisse l‟occuper, peut-elle être à son tour – un sujet apparenté au “Musulman” de Primogarante d‟un savoir qui ne laisse aucune trace Levi. Cet « être indéfini, au sein <strong>du</strong>quel nonsur celle supposée-laissée par le dit-sujet ? seulement l‟humanité et la non-humanité, maisN‟est-il pas plus complexe aujourd‟hui d‟être, encore la vie végétative et la vie de relation, lad‟ek-sister, d‟être témoin de son temps, dans la physiologie et l‟éthique, la médecine et lamesure où, précisément, ce temps est assigné à politique, la vie et la mort passent les unes dansun maintenant ? Au sujet de la problématique <strong>du</strong> les autres sans solution de continuité. C‟esttemps, Heidegger dans Sein und Zeit écrit pourquoi son ” troisième règne” est le fin mot <strong>du</strong>« …dans le phénomène <strong>du</strong> temps, pour peu qu‟ilsoit correctement vu et correctement explicité,s‟enracine la problématique centrale de touteontologie » 1 et Paul Virilio, dans Esthétique de la2 p.26, Le livre de poche, essais, 1979.3 Avons-nous encore besoin d’un tiers ? sous la direction deJ-P Lebrun et Elisabeth Volckrick, L. Balestrière, LesAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES97


Didier MATHY Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?camp, de ce non- lieu où les barrières entre les idéaux collectifs, la perte des repères5 Totalité et Infini, p.188domaines s‟effondrent, où toutes les digues se symboliques, le rejet des hiérarchies,rompent. » 4 .l‟affaiblissement de l‟autorité, la fuite devant les– Un sujet sans ou aux cents visage (s), quiresponsabilités. C‟est la constitution de lasubjectivité qui serait menacée avec l‟abandonne peut “en visager” l‟autre comme visage, quine peut atteindre son épiphanie, donc qui n‟apas ou plus la faculté de s‟ouvrir à l‟humanité.Levinas fait de l‟étranger et <strong>du</strong> pauvre desfigures emblématiques qui permettent au sujetde sortir de sa clandestinité, de sortir <strong>du</strong><strong>du</strong> patriarcat, tandis que la destruction <strong>du</strong> liensocial aboutirait au camp de concentrationgénéralisé. » 6 ; ou simplement serai-je un sujetdans un moment lyrique de son ek-sistenceemporté par sa conviction plutôt que par saneutralité raisonnante.dyadique, <strong>du</strong> miroir (a-a‟), de présentifier le tiers« dans les yeux qui me regardent » 5 .« Chacun sa merde, rien à foutre, ils l‟ontB. Qu‟est-ce que la post-modernité ?cherché, qu‟ils crèvent, c‟est bien fait pour leurgueule ».Pour faire court, avec t, je reprendrai lestendances lourdes qui caractérisent l‟ère <strong>du</strong>« Afin de rembourser vos dettes, il s‟agirait de temps de l‟espace occidental.travailler comme femme d‟ouvrage pour leCPAS (Centre Public d‟Action Sociale) ! » • Des découvertes scientifiques fondamentales« Vous ne croyez pas que je vais faire leménage des autres alors que je ne fais déjà pas :Les théorèmes de l‟Incomplétude de Godëlle mien ! » Réparties fréquentes qui manifestent – Liaison espace-temps, relativité d‟Einsteinle règne de la carence de l‟Autre (Axe de l‟Idéal Principe d‟incertitude de Heisemberg…<strong>du</strong> moi) ; règne de l‟insulte généralisée (Axe <strong>du</strong>moi-idéal), réparties d‟un sujet-déchet qui • Des Techno-sciences omniprésentespousse à la non-rencontre, à l‟arrêt de l‟échange Informatique, nucléaire, biologique,…et à l‟inconsistance de l‟Autre, de l‟autre, <strong>du</strong>soi,…A cet autre temps, s‟articule un nouvel • Le Démocratismeespace, un espace comparable aux Limbes oùdes sujets, des sujets semblables à ces enfants– Justice distributivemort sans baptême, des sujets-enfants sont • Des riches plus riches et des pauvres plusdisposés à zoner perpétuellement. Un « espacepot”pauvres (économiquement, socialement,non nommé à, donc un “pas-un-pot-de-culturellement,…)moutarde”, qui représente le sujet et qui le faits‟échapper au principe d‟indivi<strong>du</strong>ation. Un sujet • Une multinationalisation <strong>du</strong> Capitalismedont l„Un ne surgit pas <strong>du</strong> vide, <strong>du</strong> zéro(avant, il était de marché, puisoriginaire. Un sujet voué dès lors à errer dans etmonopolistique)hors-scène, dans et hors subjectivation, dans ethors-pot. Un sujet non-poinçonné après-coup • Dès événements historiques majeurspar un Tiers, par un S1, par un Signifiant Maître.Un sujet qui se suffit à lui-même sans le leurrede l‟Unité, de l‟Un-ité ; un sujet auto-référencé.Un Je sans le Moi ? « Pourquoi restes-tu dansta chambre ? Pourquoi ne vas-tu pas voir desShoahChute <strong>du</strong> mur de Berlin, de l‟Empire soviétique(fin <strong>du</strong> stalinisme)11 septembre 2001 : World Trade CenterAutres génocides (rwandais, bosniaque,…)copains ? Pourquoi ne vas-tu pas à l‟école ? ŔMais j‟ai des milliers d‟amis sur la toile, je n‟ai • Des Mentalités, des manières de penser…besoin de rien, j‟ai tout ce qu‟il me faut avec mesécrans ; le monde m‟appartient… ». Des sujets– Fantasme de maîtrise de la réalité (<strong>du</strong>réel ?)qui, excluent l‟autre incarné, qui excluent – Course à la complétude, déni del‟altérité, l‟altérité sexuelle ; des sujets quil‟incomplétudeassoient leur genre (féminin ou masculin) sur le – Culte de l‟imageréel, au dépend de l‟assise symbolicoimaginaire.– Intimité surexposéeSerai-je ce sujet conservateur décrit – Culte <strong>du</strong> corpspar Christian Demoulin dans son texte Sortir <strong>du</strong> – Culte de l‟objet consommablediscours capitaliste ; qui « s‟angoisse de – Narcissisme contemporainl‟évolution de nos sociétés, qui met en avant la – Equivalence généraliséedisparition de la transcendance, le déclin des – Plus de jouir, excès, surabondance4 Giorgio Agamben, “Ce qui reste d‟Auschwitz”, Rivagespoche, p. 50, 2003.6 In Psychanalyse et politiques, <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong>, 2, p.107,2005.98Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


– Hédonisme postmoderne (sans ortho-logosréférentiel)– Nouvelle économie <strong>du</strong> sexe• Perversion généralisée– “Rejet”, voire Forclusion de l‟autorité– Relativité généralisée-Chaos social– Morcellement, éclatement– Uniformisation, homogénéisation– Mondialisation– Eviction de l‟origine (le post plutôt quel‟ante)– Fin des grands récits, des grands mythes– Dissolution de l‟espace-temps– Ère <strong>du</strong> vide– Instantanéité– Crise <strong>du</strong> jugement– L‟identité problématique, identitésmeurtrières…– Dévitalisation de la parole– Déclin des rites d‟initiation traditionnels• Métonymie plutôt que métaphore– “Mort de l‟Homme”– L‟Autre n‟existe pas– Désarrois nouveaux <strong>du</strong> sujet– Homme sans gravité– Nouvelles maladies de l‟âme– Fin <strong>du</strong> dogme paternel• Appauvrissement psychique (représentation,symbolisation, sur-imaginarisation, désir desavoir,…)• Déliaison– Déclin des idéologies collectivistes au profitde l‟idiologie• DésillusionExclusionPrécaritéBanalisation de la souffranceA l‟aise dans la barbarieEtre bien dans le malJouissance généraliséeCrise <strong>du</strong> mythe <strong>du</strong> progrèsDésenchantementPassions tristes“Autruicide”-…C. Qu‟est-ce qu‟une déclinaison ?Au signifiant déclin que j‟avais choisipréalablement, signifiant qui marque la finituded‟une chose, son affaiblissement inéluctable quicon<strong>du</strong>it à sa disparition, s‟est substitué lesignifiant déclinaison. Substitution heureuseaprès-coup car, comme le confirme Emile, le“Lettré”, déclinaison renvoie :Didier MATHY Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?à la conception épicurienne <strong>du</strong> mouvement desatomes et à sa qualité d‟obliquité. Par oppositionà la thèse d‟un mouvement rectiligne uniformeatomique de Démocrite ;à la notion de surface, de cette sur-face« comprise entre l‟astre qu‟on observe etl‟équateur » 7– à la mesure de la distance angulaire, del‟écart, de la différence entre « la direction <strong>du</strong>méridien et celle d‟une aiguille aimantée » 8– au manque, au manque gnomonique 9 , doncce manque qui inscrit le cadran vertical dans saquête des points cardinaux ;à ce qui dans la grammaire marque la variabilité<strong>du</strong> radical par l‟en plus, parce qui s‟y ajoute.Variabilité <strong>du</strong> passage <strong>du</strong> singulier au pluriel…Ainsi, philosophie, astronomie, physique etlinguistique sont convoquées par ce signifiant,convocation qui ouvre à la transversalité, à ladifférence, au mouvement, à l‟incomplétude, … ;des dit-mansions coutumières à lapsychanalyse.D. Qu‟est-ce qu‟un sujet pour Lacan ?Aujourd‟hui, je centrerai sur l‟abord lacanien <strong>du</strong>sujet kantien.Pas tout Kant, pas celui de la philosophiepratique, pas celui de la morale, pas celui queLacan problématisera avec Sade pour définirl‟éthique analytique. Seulement le Kant qui,dans la CRP, campe son sujet connaissant.D.1. Le sujet connaissant kantienKant pose un sujet, un sujet connaissant, quidégage “naturellement” des lois universelles, etce en se fondant sur des jugementssynthétiques a priori. Comment cela est-ilpossible ? Comment la connaissance peut-ellesurgir sans le recours à l‟expérience, parexemple, sans « la présence réelle del‟objet » 10 ?Parce ce que ce jugement synthétique a prioriest un jugement antérieur à toute connaissancea posteriori (ce que Kant appelle connaissanceempirique). Ce jugement synthétique a prioricon<strong>du</strong>it à une connaissance pure, à des7 Littré, p.14698 Ibid., p.14709 Le gnomon est cet instrument d‟astronomie munit d‟un tigeverticale, qui fait de l‟ombre à un surface horizontale.10 Kant, Critique de la raison pure, p.109.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES99


Didier MATHY Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?n‟implique pas que le sujet se ré<strong>du</strong>ise à ce quiéléments fondamentalement indépendants des12 Lacan, L‟identification, p.155objets étudiés, donc une connaissance purgéede toute sensation issue <strong>du</strong> rapport <strong>du</strong> sujetcaractérise cette tendance lourde de la penséeconsciente. Contrairement à Kant, dont le sujetconnaissant d‟avec l‟objet. Cette logique pensant ordonne les choses sous son unité,transcendantale dégagée par Kant s‟établit surl‟intuition pure, une intuition portée par notreentendement. Qu‟est-ce qui est au fondementde cette intuition pure ? C‟est l‟espace et leLacan tend ses deux oreilles afin de saisir cettevérité qui apparaît « au niveau des symptômes,des rêves, des actes manqués, <strong>du</strong> traitd‟esprit » 13 , vérité qui se mi-dit dans lestemps. Pour Kant, aucune chose n‟est formations inconscientes qui structurent sonreprésentable sans le recours à l‟espace, car sujet, un sujet ontologiquement divisé. De lal‟espace est là bien avant toute tentative de sorte, Lacan passe de l‟Einheit kantien (deperception sensible de l‟objet. L‟espace l‟unité), ce fondement de toute synthèse a priori,s‟appréhende essentiellement par la géométrie ce Un comme norme universelle ; au Einzigkeit,euclidienne. L‟espace, en précédant toute ce trait connaissant comme exception pour leperception sensible a priori conditionne, ordonnenos représentations, représentations qui nepourraient “voir le jour”, si je puis dire, sans cettesujet désirant, où l‟unité se fait distinctive, se faitunicité. Alors que Kant, au travers d‟uneconscience, d‟un sujet de la raison pure et d‟uneéten<strong>du</strong>e spatiale a priori. Il en est de même pour expérience, cherche l‟absolument vrai, lale temps, cette seconde intuition fondamentale.En effet, afin de représenter la temporalité, lasuccession, la continuité, la <strong>du</strong>rée, …, desobjets, le temps est présupposé. Le temps est« mêmeté » dans UN même ; ce qui con<strong>du</strong>it àune structure pleine purgée de tout trou ; Lacan,au travers de l‟inconscient, d‟une clinique etd‟une éthique, trouve :une forme interne de notre sensibilité, quiordonne nos représentations. Pour Kant, le – une conception singulière de l‟espace autemps et l‟espace ont donc une portée travers <strong>du</strong> registre <strong>du</strong> réel, cet en deçà ou audelàréellement empirique tout en ayant une validité<strong>du</strong> symbolique, dans la chose et l‟objet,objective. Ils conditionnent son intuition, sans – une approche <strong>du</strong> temps, avec le trait unaire,pour autant déterminer les objets en soi.ce trait qui fonde la différence <strong>du</strong> sujet ; cetAutre issu dans l‟après-coup de ce pur manqueoriginaire, cet inconditionné absolu. C‟estD.2. Le sujet lacaniennotamment dans le séminaire IX surl‟identification que Lacan dégage l‟origineD.2.1. Le sujet de l‟inconscientlogique de son sujet. Un sujet dont le trait qui lesigne l‟exclut en tant que tel. Le sujet lacanienAlors que le sujet connaissant kantien s‟appuiesur les catégories de l‟espace et <strong>du</strong> temps etdégage le persistant, le régulier, le continu, dansune intuition diachronique, le sujet lacanien estissu de l‟inconscient, où « l‟espace et le tempsne sont pas des formes pures de l‟intuitionsensible, mais ils sont ce qui résulte de lastructuration <strong>du</strong> sujet autour de ces deux objetspulsionnels que sont le regard et la voix. » 11 ; lesujet lacanien pointe ce qui vacille, glisse,trébuche, manque, dans la dit-mension (dans lanaît <strong>du</strong> rapport d‟exclusion qui fonde la classeauquel il appartient. Le trait connaissant estexclu, au départ, de la classe (par exemple pasde mamme, -1), mais en étant exclu, il ouvre lapossibilité qu‟il y ait une classe qui puisse nepas manquer de lui, ce qui ouvre à l‟universel <strong>du</strong>« pas d‟absence de mamme -(-1) ». Lacan situele sujet dans son énonciation originaire, danscette énonciation se rapportant au réel de lachose. C‟est en tant que -1, en tant que privé <strong>du</strong>trait unaire originairement, donc « en tant qu‟ilmension <strong>du</strong> dit ) synchronique. Ainsi, Lacan se préserve les droits <strong>du</strong> rien », <strong>du</strong> pas possible,centre plutôt sur la faille constitutive, sur le que le sujet ouvre la possibilité d‟unemanque-à-être, sur ce qui caractérise la béanceoriginaire <strong>du</strong> sujet. Il veut la rouvrir cette béance,avec précaution, afin d‟en dégager cette part deréel qui caractérise sa structure. Malgré cetteapproche différente, Lacan localise chez leparlêtre une tendance à se penser en tantidentification symbolique à son endroit. Comme-1, le sujet fonde la chose. Il donne forme à laclasse. A ce “stade”, il n‟est pas encoresubjectivé (il n‟est ni su, ni sachant) ; il est pureprivation réelle. C‟est dans l‟après-coup qu‟ilréintègre la chose, qu‟il peut en savoir quelque« qu‟unité unifiante » 12 ; ce qui est une des chose de « son rejet originel » 14 . « Mais, …, il seidées centrales de l‟esthétique transcendantale<strong>du</strong> maître de Köenigsberg.sera passé assez de choses pour que quand ilviendra au jour le sujet sache, non passeulement que ce savoir le rejette, mais que ceMais si l‟homme se pense comme UN ; cela savoir est lui-même à rejeter en tant qu‟ils‟avérera être toujours soit au-delà, soit en deçà11 Bernard Baas, De la chose à l’objet, Peeters Vrin, 1998,p.24713 Lacan, Les formations de l’inconscient, Seuil, 1998, p.48.14 L’identification, p181.100Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Didier MATHY Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?traces effacées, ces effaçons, c‟est le signifiantde ce qu‟il faut pour atteindre son désir. » 15 Ce20 Ibid., p.258.moment de ré-inclusion, Lacan le rapporte à cemoment d‟identification, qui, dans l‟histoire desidées et <strong>du</strong> sujet, a vu coïncider la pensée etl‟être ; et c‟est au même moment que le sujet« se retrouvera irrémédiablement divisé entreson désir et son idéal » 16qui les représente, qui représente le sujetauprès d‟un autre signifiant. C‟est la seule« effaçon » qu‟il a de s‟inscrire, notre sujet. C‟estau travers des trous, des manques, des objetsper<strong>du</strong>s que sont le sein, la merde, la voix et leregard, et c‟est cela qui lui permet de signer, dese signer, de signer sa névrose… ou saC‟est après la ré-inclusion que le sujet, se psychose, s‟il ne peut se réinscrire (après-coup)comptant, imaginarise l‟objet réel. C‟est, en au champ de l‟Autre en se signant puisqu‟il y esteffet, là que le sujet fait l‟expérience de la tout humanité inclut dans cet Autre. Notre sujet,frustration imaginaire puisqu‟il se met en quête contrairement au sujet kantien, ce sujet pensant,de posséder cet objet réel fondamentalement « s‟aperçoit qu‟il ne peut se reconnaître queper<strong>du</strong>. Ainsi, nous y voyons un peu plus clair comme effet <strong>du</strong> langage ; autrement dit qu‟avantquant à la structure <strong>du</strong> sujet lacanien par rapportà celle <strong>du</strong> sujet kantien. Le premier, son assiseconnaissante, le ré<strong>du</strong>it à un “vulgaire bâton”, ced‟être pensant, il est d‟abord le a ». 21 La fonction<strong>du</strong> trait unaire, <strong>du</strong> 1, <strong>du</strong> Un primordial, c‟est defonder la possibilité d‟un sujet prit dans laqui lui ôte toute possibilité d‟unité, sauf à la logique de l‟après-coup d‟une négativitéfantasmer, ce qui nous engage topologiquementvers une conception non sphérique <strong>du</strong> sujet etoriginaire où il n‟était pas encore subjectivé. Letrait unaire correspond donc à l‟apparition d‟unevers une éthique <strong>du</strong> réel. Le second, qui unifie le positivité d‟après-coup <strong>du</strong> réel dans lesujet, sujet qui idéalise son rapport à la réalité symbolique ; ce qui scelle définitivementde l‟expérience en passant par une conceptionspatiale « simplement imaginaire” 17 .l‟impossibilité pour le parlêtre de réunir désir etidéal, savoir et vérité, puisque l‟un et l‟autre nepourront retrouver ni l‟objet per<strong>du</strong> dans la chose,ni la chose per<strong>du</strong>e dans l‟objet. Ainsi, impossibleD.2.2. La logique <strong>du</strong> Sujet lacanien : le traitunairede retrouver le même objet, ni la même choseparce que la perte est instaurée par cetteébauche d‟un mouvement métonymique quiJe terminerai mon intervention sur le “sujetlacanien”, en épinglant l‟importance de lafonction <strong>du</strong> trait unaire, <strong>du</strong> signifiant unaire.« J‟en tue une, c‟est une aventure, j‟en tue uneautre, c‟est une seconde aventure que je peuxdistinguer par certains traits de la première,mais qui lui ressemble essentiellement d‟êtremarquée de la même ligne générale ». 18 C‟est àce niveau qu‟émerge la fonction <strong>du</strong> signifiant.C‟est quand notre Magdalénien marque d‟untrait vertical la mort d‟une bête, et que dansl‟intervalle entre ce trait et un autre, qui peut êtrelégèrement différent, il s‟y compte, il s‟y repèrecomme être désirant, désirant tuer l‟animal ; ounous fait passer <strong>du</strong> 0 au 1, qui nous fait passerde ce vide originaire symbolisé par le nombre 0,« ce concept non- identique à soi-même(puisqu‟il est vide), ce 0 à la fois antécédentnécessaire au un et pro<strong>du</strong>it dans l‟après-couppar le un » 22 ; à ce 1, « nombre cardinal quiappartient au concept identique à zéro, c‟estdonc le nombre qui suit immédiatement 0 dansla suite naturelle des nombres ». 23 Ce 0 qui estnon existant en soi et non identique à soi, maisexistant dans tout nombre, donc il garantit aumoins le trou, est parfois assimilé à ce pèremythique, à ce père déjà mort, à ce père réeldes origines qui, par l‟opération de sontirer, … sa partenaire…à l‟instar <strong>du</strong> divin incorporation par les fils, participe auxmarquis, qui marquait, non dans le maquis, maisau chevet de son lit, les fois qu‟il avait fait lachose… la chose sexuelle… Ici, puisqu‟il s‟agitde distinction dans l‟extinction, d‟un animal oud‟un coup de mâle, distinguons le signe <strong>du</strong>signifiant. Le signe , « c’est ce qui représentequelque chose pour quelqu’un. Une trace sesuffit en elle-même. » 19 Sauf si cette trace estau lieu de l‟Autre, alors l‟essence <strong>du</strong> « sujet, cesont ces façons mêmes par quoi, commefondations de l‟inconscient <strong>du</strong> sujet, en devenantce Nom-<strong>du</strong>-Père, ce moins un, symbolisés parce signifiant <strong>du</strong> manque. Cette assimilation aupère mythique peut-être mise en question, ceque Guy Le Gaufey ne manque pas de fairedans L’éviction de l’origine 24 . Ainsi il écrit « qu‟ilne suffit pas qu‟il y ait eu <strong>du</strong> père et même, àproprement parler, on peut soutenir qu‟il n‟y ajamais eu de père premier, primitif. Le chef de lahorde n‟est pas un père, le premier Moïse n‟estempreinte, la trace se trouve effacée. » 20 Ces pas un juif, et le coït de Pankejeff (L’homme aux15 Ibid., p.181.2116 Ibid. P.125Ibid., p.181.2217 Séminaire 1998-1999 , Catherine Alcouloumbré, LaLes non-<strong>du</strong>pes errent, version AFI, p.49.logique <strong>du</strong> signifiant, Espace Lacan.18 L’identification, p. 5723 G. Frege, Fondements de l’arithmétique, Seuil, 1959,19 D’un Autre à l’autre, Version AFI, p. 258.p.77.24 L‟Éviction de l‟origine, EPEL, 1994, P101.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES101


loups) n‟est pas à lui seul un événementtraumatique. Ces termes premiers ne doiventêtre mis en place que parce qu‟ils présententune sorte de valence laissée libre et qui vas‟accrocher à un terme à venir, précisémentcelui que nous avions déjà en mains puisqu‟ilnous est historiquement donné : le hérostragique, le Moïse des tables de la Loi, le rêvedes loups. » L‟opération de la métaphorepaternelle qui sanctionne le processus denévrotisation <strong>du</strong> sujet en donnant à ce signifiant<strong>du</strong> Nom <strong>du</strong> Père la fonction de fournir « un sensau désir de la mère » 25 et qui par la même,institue le lien social dans la société des fils, estparticulièrement remise en cause par/dans lapost-modernité.E. Conclusion :Le sujet post-moderne est-il une déclinaison <strong>du</strong>sujet moderne ?Didier MATHY Post-modernité : déclinaison <strong>du</strong> sujet ?– témoigneraient d‟un changement au sein decertains sujets ; ne serait-il pas concevable dedégager un “mythe <strong>du</strong> sujet post-moderne”,comme une déclinaison <strong>du</strong> sujet moderne, unmythe issu <strong>du</strong> sujet de la science “relativiste”.En partant de l‟hypothèse que le sujet postmoderneest le pro<strong>du</strong>it de la science relativiste,donc d‟une nouvelle conception de l‟espacetemps,ne pourrait-on pas envisager ce sujetcomme une déclinaison <strong>du</strong> sujet moderne, unesujet qui aurait tendance à :– évincer son origine ; 26– s‟inscrire dans une variabilité permanente(cause de l‟indétermination de saréférence) ;– être quelconque ; être un signifiéabsolument quelconque d‟aucun signifiantsingulier ;La dynamique post-moderne met à mal leseffaçons, les signifiants <strong>du</strong> NdP, les intuitionspures, les transcendances,…, quiconditionnaient le sujet moderne. En s‟appuyantsur :la fin de l‟enseignement de Lacan ; notammentlorsqu‟il :– significantise, par exemple, au travers <strong>du</strong>« nommé à », une issue possible pour le sujet,ce qui ré<strong>du</strong>it par la même la portée <strong>du</strong> temps ;– topologise, dans un espace à troisdimensions à quatre termes : RSI + lesymptôme, + les NdP,…) ;– les tendances lourdes qui caractérisent lapost-modernité ; particulièrement dans le champde la science, de l‟économie, <strong>du</strong> social ;– les premiers cas cliniques qui– dénier la loi de l‟Autre ;– être animé par un espace mental de plus enplus relativiste (le manque, l‟incomplétude,l‟irrégulier, le morcelé,…, sontépistémologiquement inclus dans le corpus <strong>du</strong>sujet de la science) ; espace mental qui entre entension avec les effets <strong>du</strong> marché, marché qui lepousse à colmater, souvent « imaginairement »,ses béances, ses trous, …, donc à renforcercette illusion qu‟il aurait toute la puissance sur leréel : il peut penser tous les possibles, ce qui lemène à nier sa castration.Le sujet de/dans la post-modernité, n‟est-il pasau fond « un sujet représenté par un autresignifiant pour un autre signifiant », mais dont lesignifiant peut perdre son pouvoir de trancherdans le réel ; donc, peut perdre sa facultéd‟appel à la responsabilité au profit d‟unejouissance sans temps mort, sans entrave.25 D’un discours qui ne serait pas <strong>du</strong> semblant, version AFI,p.145, leçon <strong>du</strong> 16/06/197126 Thèse que Guy Le Gaufey déplie dans L’Èviction del’Origine, E.P.E.L., 1994.102Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Guillermo RUBIOEgalité et ségrégationEgalité et ségrégationGuillermo RUBIOEcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de Bruxelles« Je sais. Je sais qu‟il n‟y a pas l‟Hommeet la Femme, mais des femmes et deshommes. Pas de généralités mais uniquementdes cas particuliers. Autant de cas particuliersque d‟indivi<strong>du</strong>s. Je sais qu‟il y a <strong>du</strong> féminin enl‟homme et <strong>du</strong> masculin en la femme. Je saisque je ne suis même pas une femme…L‟homme idéal est une vraie femme. Il a ren<strong>du</strong>les armes. Le poids entre ses jambes estdevenu trop lourd. Aujourd‟hui, tout ce qui relève<strong>du</strong> masculin est un gros mot. Une tare. Mais larévolte gronde. Les hommes ont une identité àreprendre ».Je cite ici le dernier libre d‟Eric Zemmour, Lepremier sexe, que j‟ai lu parce qu‟il a été fortmédiatisé tout récemment et que je ne vousrecommande pas de lire. La thèse de l‟auteurest très simple, l‟homme s‟est féminisé et doitreprendre sa masculinité per<strong>du</strong>e. Il incite à unenouvelle forme de mouvement social, machiste,qui irait dans la même logique que lesmouvements féministes.Mais il va plus loin, ce dont il s‟agit pour lui c‟estde la disparition de la différence des sexes. « Iln‟y plus d‟hommes, il n‟y a plus de femmes, ditil,rien que des êtres humains égaux, mieuxqu‟égaux, identiques, indifférenciés,interchangeables ».A l‟opposé, et en même temps dans le mêmesens que Zemmour, le mouvement delesbiennes queer proclame la « répudiation de laféminité ». Lisons un passage de MoniqueWitting, la pionnière <strong>du</strong> mouvement « Qu‟est-ceque la femme ? Un problème que nous leslesbiennes n‟avons pas. L‟objet d‟une lesbiennen‟est pas une femme. Les lesbiennes ne sontpas des femmes, car elles ne sont pas endépendance avec un homme. Pour nous, il y a,non pas un ou deux sexes, mais beaucoup desexes, autant de sexes qu‟il y a d‟indivi<strong>du</strong>s ».Beatriz Preciado, auteur <strong>du</strong> Manifeste contresexuels‟attaque pour sa part et d‟une manièreobscène à la relation sexuelle et à la sexualitégénitale : « le phallus n‟existe pas. Un pénisn‟est qu‟un gode en chair. La plasticité dessexes, c‟est le sexe en plastique, la pro<strong>du</strong>ctiontechnologique <strong>du</strong> corps branché aux objets.N‟importe quel organe <strong>du</strong> corps peut devenirreprésentant <strong>du</strong> sexe et <strong>du</strong> plaisir ».Ce mouvement, que j‟ai repris <strong>du</strong> discoursactuel est héritier <strong>du</strong> droit à l‟égalité des sexeset s‟appuie sur l‟idée de Foucault de « l‟inventionde soi-même » et <strong>du</strong> libre choix pour chacun deson mode de jouissance. C‟est une idée légitimedans le monde actuel, dans le monde <strong>du</strong>discours capitaliste de la libre entreprise dechacun. Cette idéologie nous amène très loin dela normalité conjugale, très loin de cette idéeque l‟homme et la femme sont faits l‟un pourl‟autre, qu‟ils se complètent dans l‟amour etdans l‟acte sexuel. Elle nous amène loin ausside l‟idée qu‟il y aurait une déterminationbiologique de l‟être femme ou de l‟être hommeou encore une détermination biologique de l‟actesexuel, de la sexualité.Sommes-nous devant un déclin de la relationsexuelle entre homme et femme, un déclin de larelation hétérosexuelle, au profit d‟autres modesde jouissance ? Si c‟est le cas, s‟agit-il d‟uneperversion généralisée ? d‟un « touspervers » comme nous laissent entendre lesmedias ?La psychanalyse a été la première à découvrirque l‟identité sexuelle et la sexualité humainen‟ont rien de naturel, que la sexualité estaberrante par rapport à l‟accouplement de larepro<strong>du</strong>ction. Pour la psychanalyse il n‟y a pasd‟instinct sexuel mais un savoir à construire surle sexe. Déjà en 1905, dans ses Trois essais surla sexualité, Freud définit l‟enfant comme unpervers polymorphe : l‟enfant ne dispose quedes pulsions partielles, oral et anale, commemoyen d‟accès à la jouissance. Il s‟agit depulsions a-sexuées, auto-érotiques, c‟est-à-dire,en deçà <strong>du</strong> rapport à l‟Autre sexe et que l‟enfantsatisfait par le biais d‟une zone érogènedéterminée : les orifices de son corps. C‟estainsi que Freud désigne le sein et l‟excrémentcomme des objets épisodiques de la pulsion, lesAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES103


Guillermo RUBIOobjets séparés <strong>du</strong> corps, auxquels Lacanajoutera la voix et le regard. Freud conclut quecette perversion polymorphe infantile n‟est riend‟autre que la prédisposition de tout être humainà toutes les perversions.Mais il ne s‟arrête pas là. Pour le névrosé, dansle destin normal de l‟Œdipe et <strong>du</strong> complexe decastration, ces pulsions vont se soumettre à laprimauté <strong>du</strong> phallus, elles vont être refoulées ouréunifiées au service de la génitalité et de larepro<strong>du</strong>ction. Dans le cas contraire, où l‟enfantresterait identifié au phallus de la mère, à ce quila complète, nous serons alors en présence dela structure clinique perverse, de la perversioncomme telle, où le sujet met en acte ce que lenévrosé refoule dans son inconscient.Finalement, la question que Freud se pose estcelle de savoir comment ce petit perverspolymorphe devient homme ou femme et celapasse par l‟acceptation de la castration, parl‟acceptation de la différence des sexes, à savoirl‟acceptation de l‟absence de phallus chez lesfemmes. D‟ores et déjà, chacun d‟eux devraprendre position et se représenter en tantqu‟homme ou en tant que femme <strong>du</strong> fait d‟avoiroù de ne pas avoir ce signifiant. C‟est tout ceque l‟inconscient retient <strong>du</strong> sexe. C‟est ce quiouvrira pour le sujet la question phallique, celled‟avoir ou d‟être le phallus, celui-ci étant définiplus tard par Lacan comme le signifiant <strong>du</strong>manque dans l‟Autre.A partir de cette formulation freudienne, Lacanavancera plus tard la formule « La femmen‟existe pas ». Il y a des femmes, mais Lafemme n‟existe pas car dans l‟inconscient il n‟y aaucun signifiant qui la représente, il n‟y a pas determe qui indiquerait le désir féminin.Pour Freud, la question de l‟appartenancesexuelle, celle de savoir ce que les hommes etles femmes font en tant qu‟êtres sexués,comment ils jouissent, comment ils désirent, serésout par l‟identification au parent <strong>du</strong> mêmesexe, selon donc l‟assimilation des modèlessociaux. Pour sa part, Lacan abordera plus tardla différence de sexes à partir de la logique de lasexuation et <strong>du</strong> mode de jouissance qui définitl‟homme et la femme.Mais quoi qu‟il en soit, cela ne marche pas sibien que ça, car la pulsion ne renonce pas à sefaire entendre. Il reste de structure une exigencede satisfaction, un manque à jouir propre à toutêtre parlant, une quête de complément dejouissance.Comment se satisfait cette jouissancepulsionnelle dite perverse ?Egalité et ségrégationFreud découvre très tôt que les symptômes desnévrosés se constituent comme le pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong>conflit entre les pulsions partielles liées à unescène sexuelle inconsciente et les Idéaux <strong>du</strong>sujet et de la société qui limitent les jouissancesdes indivi<strong>du</strong>s. Conflit, formation de compromisentre la pulsion et l‟Idéal. Il s‟ensuit que lanévrose reste le prix à payer pour l‟hommecivilisé, le prix <strong>du</strong> renoncement à cettejouissance qui va faire retour <strong>du</strong> refoulé pour sesatisfaire sous le mode de la souffrance, d‟unemanière détournée, à travers le symptôme. Lemodèle de la psychonévrose de défense, qui estune des premières tentatives de Freudd‟expliquer la formation des symptômes de sonépoque, illustre très bien comment l‟abstinencesexuelle se tra<strong>du</strong>isait directement en angoisse.Le symptôme apparaît donc comme le premiermode de satisfaction pulsionnelle, comme uneémergence de jouissance qui se manifeste sousla forme d‟un malaise subjectif.Le deuxième mode de satisfaction est lajouissance de l‟acte sexuel, de la rencontreentre l‟homme et la femme. Freud n‟aborde pasl‟acte sexuel d‟une manière systématique, maisil dira en 1929, dans Malaise dans la civilisation,qu‟il n‟arrive pas à satisfaire pleinement le sujet,qu‟il rate dans l‟obtention de la satisfaction : « depar sa nature même, dit-il, la fonction sexuellese refuserait quant à elle à nous accorder pleinesatisfaction et nous contraindrait à suivred‟autres voies ».Lacan ira beaucoup plus loin dans l‟analyse dela sexualité jusqu‟à pro<strong>du</strong>ire la formule : « il n‟y apas de rapport sexuel » qui équivaut dans lastructure à la castration freudienne. Le nonrapport sexuel est un fait de structure, universelpour tout être parlant. C‟est le réel de lacondition humaine, il est inéliminable. D‟unemanière générale, le non-rapport des sexes veutdire que quelque chose ne va pas entre leshommes et les femmes et que les voies d‟accèsà l‟autre sexe sont complexes.Lacan annonce déjà la couleur dans Position del‟Inconscient. Dans ce texte, il répartit lasexualité dans son rapport à l‟inconscient dedeux côtés : le côté <strong>du</strong> vivant et <strong>du</strong> côté del‟Autre. Le côté de l‟Autre c‟est l‟espace del‟ordre et de la norme, des semblants del‟homme et de la femme et <strong>du</strong> signifiantphallique. Le côté <strong>du</strong> vivant est celui <strong>du</strong> corps àcorps de l‟acte et de la jouissance qu‟il implique.Du côté <strong>du</strong> vivant, dit-Lacan, « il n‟y a d‟accès àl‟Autre <strong>du</strong> sexe opposé que par la voie despulsions partielles, où le sujet cherche un objetqui lui remplace cette perte de vie qui est lasienne d‟être sexué ». C‟est à dire que quelquechose, le jouissance pulsionnelle, l‟objet a <strong>du</strong>fantasme, s‟interpose entre le sujet et l‟Autre104Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Guillermo RUBIOsexué, entre le sujet et l‟énigme de l‟altérité, del‟"Autreté", de l‟"hétéros" <strong>du</strong> partenaire. Dans larencontre sexuelle chacun jouit de son objet,l‟objet <strong>du</strong> fantasme, qui est son vraie partenaire.Car la pulsion par sa jouissance est lepartenaire <strong>du</strong> sujet. Dans la relation sexuelle, lesujet prélève l‟objet sur l‟Autre. Lacan illustrececi très bien dans un passage de Télévision oùil parle de Dante et de Béatrice : « Un regard,celui de Béatrice, soit trois fois rien, unbattement de paupières et le déchet exquis quien résulte : et voilà surgi l‟Autre que nous nedevons identifier qu‟à sa jouissance à elle, celleque lui, Dante, ne peut satisfaire, puisque d‟elleil ne peut avoir que ce regard, que cet objet,mais dont il nous énonce que Dieu la comble ».Dans le royaume d‟Eros, l‟amour aspire à lafusion avec l‟autre, à faire Un avec l‟Autre, maisla jouissance sexuelle réalise la solitude dechacun, car on jouit seul et la jouissance ne separtage pas, même et surtout si l‟acte sexuel estréussi, car c‟est justement la réussite de l‟actesexuel, l‟orgasme en tant que plaisir d‟organe,qui fait le ratage <strong>du</strong> rapport.La jouissance fait objection aussi à l‟amour pourune deuxième raison : l‟amour institue l‟Autre,érige l‟Autre, tandis que la jouissance le rabatcomme objet, comme objet plus de jouir. C‟est àpartir d‟ici, que Colette Soler définit la perversiongénéralisée, comme le fait d‟interposer un objet<strong>du</strong> fantasme entre le sujet et son partenaire.Il s‟ensuit que toute sexualité est « tenue »perverse, ce qui ne veut pas dire perverse dansle sens de la structure clinique perverse. Laperversion généralisé n‟est pas un phénomèned‟époque, n‟est pas un possible changement del‟être sexué <strong>du</strong> capitalisme tardif mais un fait destructure pour tout en chacun. Elle est en fait latra<strong>du</strong>ction de la formule « il n‟y a pas de rapportsexuel ». La perversion généralisée n‟a rien àvoir avec les connotations habituellesmédiatiques et catastrophiques à l‟usage, « touspervers ». Elle équivaut par contre à lajouissance pulsionnelle qui fait suppléance aunon-rapport des jouissances sexués, Laperversion généralisée se réfère à l‟utilisation dela jouissance <strong>du</strong> fantasme, a-sexuée, commesuppléance au fait que dans leur jouissancel‟homme et les femmes ne se retrouvent pas. Apartir de ceci, la formule de Colette Soler« perversion généralisée <strong>du</strong> champ de lajouissance » prend toute sa pertinente.A l‟opposé de la suppléance pulsionnelle noustrouvons la suppléance de l‟amour. En effet,Lacan dit dans le Séminaire Encore que l‟amourest une suppléance au non-rapport sexuel.« C‟est bien en relation avec le par-être quenous devons articuler ce qui supplée au rapportEgalité et ségrégationsexuel en tant qu‟inexistant. Ce qui supplée aurapport sexuel, c‟est précisément l‟amour.L‟amour et ses semblants.Je voudrais m‟arrêter un moment avant decontinuer avec cette question de l‟amour pouraborder le concept de discours. Dans leSéminaire L‟envers de la psychanalyse, Lacandéfinit d‟une manière inédite le lien socialcomme discours et écrit la formule des quatrediscours, celui <strong>du</strong> Maître, celui de l‟Universitaire,celui de l‟Hystérique et celui de l‟Analyste. Il yajoutera plus tard le discours de la Science,« l‟idéologie de la suppression <strong>du</strong> sujet », etcelui <strong>du</strong> Capitaliste.Un discours est un mode de traitement <strong>du</strong> réelde la condition humaine qui se réalise à traversun certain nombre de relations stables fondéesdans le langage. Le discours collectivise dans lelien social le rapport <strong>du</strong> sujet à l‟Autre et à lajouissance. C‟est en définitive le mode deconnecter les sujets entre eux et de civiliser lesjouissances.Chacun des discours propose des agencementsparticuliers de la jouissance et <strong>du</strong> rapport àl‟Autre. Il semble donc légitime de se demandersi chaque discours promut aussi des modesdifférents de suppléance au non rapport sexuel.Dans le discours <strong>du</strong> maître, qui est celui quicommande au moment où Freud élabore sathéorie, qui est le discours qui préside lanormalité conjugale, la jouissance sexuelle estrefusée, rejetée, au profit de l‟amour et de sessemblants.Mais cet amour n‟arrive pas à combler la béance<strong>du</strong> non rapport. « L‟amour est impuissant, quoiqu‟il soit réciproque, dit- Lacan, parce qu‟ilignore qu‟il n‟est que le désir d‟être Un, ce quinous con<strong>du</strong>it à l‟impossibilité d‟établir la relationd‟eux. La relation des deux sexes ».Le discours <strong>du</strong> maître et l‟amour ont commeeffet le refus de la jouissance dans l‟espace <strong>du</strong>sujet. Ils s‟affirment dans la répression de lapulsion mais celle-ci fera retour dans lesymptôme comme témoin <strong>du</strong> ratage de larelation avec le partenaire. A l‟intérieur de cediscours le symptôme se présente teinté deculpabilité et d‟angoisse accompagnées de toutela dimension <strong>du</strong> conflit subjectif et <strong>du</strong> conflitavec l‟autre.Du côté <strong>du</strong> fantasme, le sujet ne vivra sesaspirations et ses souhaits que dans la sphèreprivée de sa réalité psychique, dans sesrêveries conscientes ou inconscientes, car laréalité ne permet jamais la réalisation desfantasmes. Aucun sujet ne peut posséder l‟objetde son fantasme, c‟est ainsi que le scénario queAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES105


Guillermo RUBIOchacun se fait dans ses espoirs ne se réaliseque dans le ratage, dans l‟échec, une fois etd‟autres fois encore, <strong>du</strong> cycle de la répétition,A partir de ceci j‟avancerai une premièreconclusion : dans le discours <strong>du</strong> maître lesmodes de suppléance <strong>du</strong> réel de la différencesexuelle sont l‟amour et le symptôme.Aujourd‟hui nous ne sommes plus à l‟époque deFreud mais plutôt à celle <strong>du</strong> capitalisme tardifapparu avec la révolution libertaire des années60-70. De tout ce que cette révolution contre lemaître a apporté je retiendrai deux choses : d‟uncôté l‟idée de révolution et de liberté sexuelle,déjà entamée par un psychanalyste, WilhelmReich, vers 1930, avec sa sex-pol, où il prétendque l‟indivi<strong>du</strong> obtiendra la pleine satisfactionsexuelle une fois tombés les interdits <strong>du</strong> maître.Si on jouit si mal, c‟est qu‟il y a répression sur lesexe. (Nous avons pu constater après-coup quece n‟est pas la cas). De l‟autre côté, ce que nousappelons l‟idéologie paritaire, c‟est à dire le droità l‟égalité de droit pour tous.Mais qu‟est ce qui a changé vraiment depuis cemoment ? C‟est sans doute le glissement <strong>du</strong>discours <strong>du</strong> maître vers le discours <strong>du</strong> capitalisteet son instrumentalisation <strong>du</strong> discours de lascience, « la mutation capitale qui donne audiscours <strong>du</strong> maître son style capitaliste ».Quel est le destin <strong>du</strong> manque à jouir dans lediscours <strong>du</strong> capitaliste ?Ici le sujet est expolié de la satisfaction par lebiais <strong>du</strong> travail et de l‟exploitation, mais cettejouissance per<strong>du</strong>e est récupérée par le capitalen forme de plus-value. Lacan signale commentMarx a paradoxalement contribué au succès <strong>du</strong>capitalisme par le fait de proposer au prolétairela récupération de la « plus value » pour enjouir, car cette enseigne : récupérer la « plusvalue », récupérer la jouissance per<strong>du</strong>e parl‟exploitation, le plus de jouir, n‟a trouvé d‟autreobjet que l‟objet de consommation pro<strong>du</strong>it parl‟in<strong>du</strong>strie. Comme il le dit dans le SéminaireL‟envers de la psychanalyse : « La société desconsommateurs prend son sens de ceci, qu‟à cequi en fait l‟élément « humain » (la jouissance),est donné l‟équivalent homogène de n‟importequel plus de jouir, qui est pro<strong>du</strong>it de notrein<strong>du</strong>strie ; un plus de jouir en toc pour toutdire ». La société capitaliste ré<strong>du</strong>it la jouissanceà la consommation d‟objets plus de jouir. Cesont des objets superflus, "innécessaires", maisils deviennent indispensables parce qu‟ilsincarnent la jouissance <strong>du</strong> fétiche et tententd‟obturer sans succès le trou de la perte dejouissance. Il suffit d‟examiner la fonctionactuelle des gadgets électroniques informatisésou des gadgets sexuels, de plus en plus ven<strong>du</strong>s,pour s‟en apercevoir. C‟est tout ce que leEgalité et ségrégationprolétaire récupère et en plus il le paye, il lepaye au capitaliste qui récupère ainsi la plusvalue.A plus de consommation plus depro<strong>du</strong>ction, tout tourne sans perte, sansobstacle, tout se récupère.Lacan formalise ses discours en forme demathèmes. Tout discours a quatre places :l‟agent, l‟autre, la vérité et la pro<strong>du</strong>ction etquatre éléments : le sujet, le signifiant maître, lesavoir et l‟objet a. Chaque discours se définit parla place occupée par ces quatre éléments.Le discours <strong>du</strong> capitaliste résulte d‟une tournure<strong>du</strong> mathème, de l‟inversion des places <strong>du</strong>signifiant maître et <strong>du</strong> sujet. Celui-ci, le sujet, sesitue à la place de l‟agent en tant que maître delui-même, comme le self made man <strong>du</strong>néolibéralisme, et loge sa vérité dans lesignifiant maître de l‟identification à l‟Un quirenforce son égo comme nous le montre letriomphe de l‟indivi<strong>du</strong>alisme.Du côté de l‟objet, il est récupéré par le sujet,car ici la renonciation à la jouissance n‟opèrepas. C‟est un discours qui rejette la castration,pour qui rien n‟est impossible. Il place l‟objet enprise directe avec le sujet, qui reste dès lorssoudé à sa jouissance, sans perte. Pas deséparation entre le sujet et son objet C‟est sansdoute à cela que répond dans nos sociétésl‟exigence de bien-être absolu pour tous, et toutl‟imaginaire déployé dans la publicité autour decette exigence de bonheur.Dans ce discours, le sujet se passe de l‟Autre.Ici, le lien social ne s‟appuie plus sur les lienslibidinaux, l‟amitié, la sympathie, l‟amour etl‟identification, car la jouissance ne se situe pasdans l‟Autre. Il ne faut plus passer par le corpsde l‟Autre pour l‟obtenir. Le capitalisme faitexploser les liens humains. Il laisse aussi decôté « les choses de l‟amour », comme le ditLacan, il met « le sexe au rancard ». Il laisseenfin le sujet seul avec son objet, avec unejouissance égoïste dénuée <strong>du</strong> désir et del‟amour.C‟est ainsi que nous retrouvons ce qui faitsuppléance au non rapport sexuel dans lediscours <strong>du</strong> capitaliste, c‟est à dire la jouissancede l‟objet plus de jouir. Je dirais commedeuxième conclusion que le mode desuppléance propre au capitalisme est lasuppléance par la pulsion, que nous avons déjàabordé plus haut.Nous sommes en effet dans un monde derevendication des jouissances. Nous sommespassés de le répression à la promotion de lajouissance, au droit aux jouissancesindivi<strong>du</strong>elles. Un monde où tout en chacun a le106Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Guillermo RUBIOdroit de jouir à sa manière plutôt que de seconfronter à la rencontre avec l‟hétéro <strong>du</strong> sexe.Une multiplicité de jouissances, aussi multiplesque les semblants de l‟objet a.Ici les paroles d‟Eric Zemmour et <strong>du</strong> mouvementqueer que j‟ai cité au début : « il y a autant desexes que d‟indivi<strong>du</strong>s », « n‟importe quel organe<strong>du</strong> corps peut devenir représentant <strong>du</strong> sexe et<strong>du</strong> plaisir » prennent tout leur ampleur. Nossommes sans doute dans une époque delibéralisation de mœurs, dans les pratiquessexuelles et dans les discours, qui manifestent àciel ouvert la jouissance cachée dans le régime<strong>du</strong> maître.Certains pensent que le discours capitaliste adonné lieu à de nouvelles structures subjectives,à des nouvelles économies psychiques. Lalibéralisation de ces pratiques tenues perversesne relève pas de changements structuraux dansla subjectivité ou de la structure cliniqueperverse. Il n‟y a pas longtemps nous avons eul‟occasion d‟écouter Marc Strauss à Bruxelles,qui a parlé <strong>du</strong> cas d‟une jeune fille de 15 ansqu‟il avait en analyse. Une jeune fille d‟unefamille bourgeoise qui passait ses soirées à fairece qu‟on appelle des tournantes, c‟est-à-dire, àcoucher avec plusieurs inconnus à la fois dansdes coins sordides de la banlieue ou à seprostituer avec des a<strong>du</strong>ltes. L‟analyse a montréqu‟il s‟agissait d‟un cas d‟hystérie quiEgalité et ségrégations‟interrogeait sur le sexe. Un cas où la défenseétait mise en place comme dans toute hystérie.Il s‟agit ici, comme le dit Lacan dans leséminaire sur le Transfert, de la « perversionquand elle est le pro<strong>du</strong>it de la culture », donc lepro<strong>du</strong>it d‟un discours et de ses effetsimaginaires.Il en reste que cette suppléance <strong>du</strong> plus de jouir,dénouée <strong>du</strong> désir et de l‟amour ne satisfait pasle sujet. C‟est une jouissance qui insatisfait,parce que la pulsion comme activité, à la foiscompense et restaure la perte. Plus le sujet enjouit, plus il restaure l‟insatiable soif <strong>du</strong> manqueà jouir, car il s‟agit, dit Lacan, de la jouissancequ‟il ne faudrait pas, de celle qui éclipse l‟amouret court-circuite la satisfaction d‟Eros.Les manifestations cliniques de ces sujets gavéssont les symptômes autistes <strong>du</strong> rapport à l‟objet,la boulimie, l‟anorexie, la toxicomanie, ou encorele non sens, l‟alternance comme le dit CarmenGallano, entre la pression <strong>du</strong> surmoi capitalistequi presse à devenir quelqu‟un, le stress etl‟euphorie d‟un côté, et la dépression, le mal denotre temps, le vide subjectif, de l‟autre côté.Il s‟en suit la dimension <strong>du</strong> sujet pris par sajouissance, pris dans le discours par son corps,identifié à l‟objet, ce qui ne peut mener qu‟à laségrégation. Faute de temps, je ne développeraipas maintenant cette articulation.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES107


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ConclusionAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES109


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Christian DEMOULIN Quoi de neuf ?Quoi de neuf ?Dr Christian DEMOULINÉcole de Psychanalyse des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanienForum <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> lacanien de LiègeDe la plainte au symptôme analytique.Au commencement, il y a la plainte, le ça neva pas adressé à l‟Autre, médecin maisaussi tout autre guérisseur. Le médecin vachercher, au-delà de la plainte, à objectiver lessymptômes, soit les signes visibles dont laconcordance doit permettre d‟établir lediagnostic. Symptôme vient <strong>du</strong> grec συνπτομαqui veut dire, ce qui tombe avec, c‟est-à-dire cequi correspond. Il s‟agit de repérer les signesconcordants. Nous sommes là dans le champ<strong>du</strong> visible et même, plus précisément, dans lechamp <strong>du</strong> lisible. L‟antique médecinemésopotamienne, de Sumer, d‟Akkad ou deBabylone, avait déjà relevé des listessystématiques de symptômes pour en tirer unsavoir 1 . C‟est là, dans cette recherche de lacoïncidence, que débute, selon Jean Bottéro,l‟esprit scientifique. C‟est l‟invention de l‟écriturequi a donné aux mésopotamiens l‟idée de lascience. Il s‟agissait de tenter de lire ce qui seprésente comme l‟écriture des dieux dans lemonde. Au fond, cette définition de la sciencereste pertinente, même si ses moyens ontchangés. Il s‟agit toujours de lire ce qui sembleécrit, ce qui est supposé écrit, dirait sans douteLacan, dans le grand livre de la Nature.En se développant comme science moderne, lamédecine a élargi le champ <strong>du</strong> visible avecl‟imagerie médicale et le champ <strong>du</strong> lisible avecles examens de laboratoire. Cela reste dans lamême logique. Il s‟agit de vaincre l‟opacité <strong>du</strong>corps souffrant. La lecture des symptômescon<strong>du</strong>it au diagnostic : on passe <strong>du</strong> lire au dire.Le médecin a la tâche de dire ce qu’il y a enréponse au ça ne va pas. Cette fonction <strong>du</strong> direest essentielle et fait depuis toujours le privilègede celui qui incarne la fonction médicale. Le direcomme nomination autorisée vient répondre àl‟angoisse liée au ça ne va pas <strong>du</strong> corps,angoisse liée au sans nom de ce ça ne va pas,sans nom qui permet les dérives imaginaires lesplus folles. Car c‟est par le ça ne va pas de lamaladie que le corps comme vivant vient à1 Jean Bottéro, Mésopotamie, l’écriture la raison et lesdieux. Gallimard, Paris 1987.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006l‟existence pour le sujet. Le corps vivant est purejouissance hors symbolique. Il se jouit, diraLacan dans La troisième 2 . La maladie fait existerle corps comme lieu d‟angoisse et c‟est à celaque vient répondre le diagnostic commenominationEn psychiatrie, les choses sont un peu pluscompliquées. On se trouve devant dessymptômes qui, le plus souvent, ne sont pasvisibles. Toute la question de l‟hystérie est partiede cela. Si rien ne semble objectivable dans lesymptôme hystérique, celui-ci pourrait bienrelever de l‟imposture. C‟était l‟avis de nombreuxmédecins. Ainsi Lasègue publie-t-il en 1881 Leshystériques, leur perversité, leurs mensonges 3 .Il s‟agit de mettre en garde les médecins faceaux affabulations des hystériques. Il fallait êtreFreud pour passer outre et entrer dans lediscours de l‟hystérique, ce qui l‟a con<strong>du</strong>it àinventer la psychanalyse. Entrer dans lediscours de l‟hystérique, cela consiste à ne plusprendre le symptôme comme signe naturel maisà l‟aborder comme un fait de discours. Freudn‟hésite pas à rapprocher le symptômenévrotique <strong>du</strong> rêve. Il avance que les conditionsde la formation <strong>du</strong> symptôme névrotiqueressemblent parfaitement à celles de laformation <strong>du</strong> rêve.Ce qui distingue la psychiatrie de la médecine,c‟est qu‟on y reste dans le champ <strong>du</strong> discours,au niveau de la plainte, plainte <strong>du</strong> patient ou del‟Autre, sans référence claire au corps. Aussi, lapsychiatrie s‟efforce-t-elle d‟objectiver dessymptômes invisibles à partir d‟un échangeparlé, l‟anamnèse. Et c‟est en objectivantl‟inobjectivable qu‟elle arrive à imiter le schémade la médecine: liste de symptômes commeindices de troubles supposés, diagnostic demaladie mentale, pronostic, traitement.L‟aboutissement de cette démarche, ce sont lessystèmes de diagnostic basés sur le2 J. Lacan,La troisième (1974), Lettres de l‟EcoleFreudienne 16, 1975.3 Charles Lasègue, Ecrits psychiatriques, Privat, Toulouse1971.ACTES111


Christian DEMOULIN Quoi de neuf ?comportement 4 et le recours toujours plusimportant aux substances psychotropes.Évidemment, cela revient à mettre entreparenthèse le discours et même toutesubjectivité. Cela ne laisse aucune place àl‟inconscient.Avec Freud, la psychanalyse découvre que lessymptômes névrotiques ont un sens. Lesymptôme est le représentant <strong>du</strong> refoulé devantle moi. Il se présente comme un « territoireextérieur interne », ce qui est le plus étranger aumoi 5 . C‟est donc un sens caché quel‟interprétation tente de découvrir à partir desassociations <strong>du</strong> patient névrosé, de ses rêves etautres formations de l‟inconscient. On passe ici<strong>du</strong> symptôme ça ne va pas au symptôme senssupposé, c'est-à-dire au symptôme énigme. Parson symptôme, l‟hystérique se fait énigme àinterpréter et c‟est à ce jeu que Freud se prêteet, après lui, les psychanalystes. Ce jeu, c‟est ceque Lacan va appeler le Discours del’Hystérique : par son symptôme énigmatique,l‟hystérique s‟adresse au maître et l‟engage àpro<strong>du</strong>ire un savoir. Dans un second temps, ons‟est aperçu qu‟il y avait là un piège et que lemaître mis au défi de pro<strong>du</strong>ire le savoir nepouvait que rencontrer l‟impuissance de cesavoir à rejoindre la vérité <strong>du</strong> symptôme, c‟est-àdiresa jouissance. Ce second temps se trouvedéjà chez Freud 6 . Il précise : « Il y a savoir etsavoir ; il existe diverses sortes de savoir quipsychologiquement n‟ont pas <strong>du</strong> tout la mêmevaleur. Il y a fagots et fagots, est-il dit une foischez Molière. » (C‟est Sganarelle qui prononcecette réplique dans Le médecin malgré lui.) « Lesavoir <strong>du</strong> médecin n‟est pas le même que celui<strong>du</strong> malade et ne peut pro<strong>du</strong>ire les mêmes effets.Si le médecin transfère son savoir au malade enle lui communiquant, cela n‟a aucun succès ».Ou plutôt, précise-t-il ensuite, cela n‟a pas poursuccès de supprimer le symptôme mais celapeut avoir pour succès de « mettre en marchel‟analyse ». On le voit, Freud, en 1917, a déjàtiré la leçon de l‟échec de ses premièrestentatives qui visaient une tra<strong>du</strong>ction directe <strong>du</strong>symptôme.Quoiqu‟il en soit, on est passé <strong>du</strong> symptômecomme ça ne va pas à traiter, diagnostic,pronostic, traitement, au ça ne va pas énigmesupposée contenir un sens pour l‟Autre mis enposition de sujet supposé savoir lire le sens <strong>du</strong>symptôme. C‟est à partir de cette supposition de4 Christian Demoulin. Les systèmes de diagnostic (DSM IV-CIM 10). Remarques critiques. Acta psychiat. belg., 97, 279-286 (1997).5 Sigmund Freud. Nouvelles conférences sur lapsychanalyse (1932), Gallimard 1936. (31 ème leçon)6 Sigmund Freud. Leçons d’intro<strong>du</strong>ction à la psychanalyse(1917), Œuvres complètes, volume XIV, PUF 2000. (18 èmeleçon).savoir que s‟installe le transfert qui est aussimise en acte de la réalité sexuelle del‟inconscient. Et c‟est à l‟aide <strong>du</strong> pouvoir donnépar le transfert que la suggestion opère, depuisle chaman jusqu‟à l‟hypnotiseur. D‟où laquestion: l‟analyste fait-il la même chose que lechaman et l‟hypnotiseur ? C‟est évidemmentune pente où il peut glisser et Freud s‟eninquiète. Sa réponse, c‟est la nécessité <strong>du</strong>travail de perlaboration par l‟analysant lui-même,à partir <strong>du</strong> symptôme. C‟est à lui de fairel‟essentiel <strong>du</strong> travail, l‟interprétation n‟ayantd‟autre fin que de rendre ce travail possible.Au chapitre VI de son Intro<strong>du</strong>ction à lapsychanalyse, Freud disait déjà, à propos del‟énigme <strong>du</strong> rêve, que « la psychanalyse suit,aussi loin qu‟il est possible, la techniqueconsistant à se faire dire la solution de sesénigmes par ceux-là même qu‟elle soumet àinvestigation. Ainsi c‟est le rêveur lui-même quidoit lui aussi nous dire ce que son rêve signifie.»Autrement dit, si nous passons <strong>du</strong> rêve ausymptôme, Freud soutient que celui-ci est uneénigme dont le sujet sait le fin mot. C‟est sonhypothèse de l‟inconscient. Mais, en mêmetemps, le sujet ne dispose pas de ce savoir. « Ilne sait pas qu‟il le sait », dit Freud, « et croit dece fait qu‟il ne le sait pas». Freud trouve ladémonstration <strong>du</strong> savoir inconscient dans lesexpériences d‟hypnose. Après son réveil,l‟hypnotisé ne se souvient de rien de ce qu‟il avécu sous hypnose. Mais si on force le sujet àse souvenir, en surmontant sa résistance, lesouvenir fait retour. Il était seulementinaccessible de sorte que le sujet ne savait pasqu‟il savait. Il refoulait son savoir.Chez Lacan, la réponse à la théorie de lasuggestion, c‟est la théorie des discours. LeDiscours <strong>du</strong> Psychanalyste est obtenu par unquart de tour à partir <strong>du</strong> Discours del’Hystérique. Le passage <strong>du</strong> symptôme ça ne vapas au symptôme psychanalytique nécessitedeux franchissements. D‟abord passer de laplainte au symptôme comme énigme, c‟est,disons, le passage <strong>du</strong> discours médical auDiscours de l’Hystérique. Cette mise en forme<strong>du</strong> symptôme peut prendre beaucoup de tempset n‟est pas toujours possible, certains sujetsrestant attachés à la plainte sans aucunquestionnement. Au fond, entrer dans leDiscours de l’Hystérique, c‟est se poser desquestions, se rendre compte qu‟on n‟est pas unego transparent mais qu‟on est énigme à soimême.Le passage de la plainte au symptôme,c‟est finalement le passage <strong>du</strong> ça ne va pascomme appel au pouvoir de l‟autre au c’est plusfort que moi de l‟énigme comme appel au savoirde l‟autre. Mais il faut ensuite passer del‟énigme adressée à l‟Autre et défiant son savoirà l‟énigme mise au travail par le sujet lui-même112Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Christian DEMOULIN Quoi de neuf ?dans le transfert, soit le passage <strong>du</strong> Discours del’Hystérique au Discours <strong>du</strong> Psychanalyste.C‟est là que commence la tâche analysante etc‟est à partir de cette mise au travail dans letransfert qu‟est pensable l‟interprétation. Aveccertains sujets qui sont dans l‟agir, acting out etpassage à l‟acte, il y a même un tempspréalable à ces deux franchissements, puisque,avant tout, il faut passer de l‟agir à la fonction dela parole. Il s‟agit de passer de la violencecomme agir au dire mais cela n‟est possibleparfois qu‟après coup, après un certain heurtavec le réel.Le sens <strong>du</strong> symptôme.Et le symptôme, dans tout cela, que se révèle-tilêtre ? Freud fait <strong>du</strong> symptôme névrotique unemanifestation de la vie sexuelle <strong>du</strong> névrosé. Lesens <strong>du</strong> symptôme est pour lui un sens sexueloù se manifeste le retour <strong>du</strong> refoulé. Dansl‟Intro<strong>du</strong>ction à la psychanalyse, il précise : « lessymptômes servent la satisfaction sexuelle desmalades, ils sont un substitut de la satisfactiondont ils sont privés dans la vie ». Évidemment,une telle thèse n‟est pas généralisable sansprécaution à tout symptôme. Freud précise« tout ce que je dis ici sur le refoulement, laformation <strong>du</strong> symptôme et la signification <strong>du</strong>symptôme a été obtenu à partir de trois formesde névroses, l‟hystérie d‟angoisse (phobie),l‟hystérie de conversion et la névrose decontrainte (névrose obsessionnelle) ». « Cestrois affections que nous avons l‟habitude deregrouper sous le nom de « névrose detransfert » circonscrivent également le domainedans lequel la thérapie psychanalytique peuts‟exercer ». On le voit, Freud est loin de faire dela psychanalyse une panacée. Nous avons uneconception plus large de la cure mais il reste àjuger dans quelle mesure ce que nous appelonssymptôme renvoie ou pas à la sexualité.Pour Freud, il y a donc deux faces ausymptôme, une face de savoir inconscient etune face de satisfaction sexuelle. C‟est ce queva reprendre Lacan, abordant d‟abord lesymptôme <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> symbolique, comme uneformation de l‟inconscient, puis, dans un secondtemps, le situant <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> réel et de lajouissance. Dans Fonction et <strong>Champ</strong> de laparole et <strong>du</strong> langage en psychanalyse 7 Lacansouligne que le symptôme névrotique pourFreud exige au minimum un double sens. Il est« symbole d‟un conflit défunt par delà safonction dans un conflit présent non moinssymbolique ». Cette surdétermination relève <strong>du</strong>discours, ce qui permet à Lacan de conclure« que le symptôme se résout tout entier dansune analyse de langage, parce qu‟il est lui-7 J. Lacan, Ecrits, Seuil 1966, p. 237-322.même structuré comme un langage, qu‟il estlangage dont la parole doit être délivrée ». Lesymptôme, ajoute-t-il, « est le signifiant d‟unsignifié refoulé de la conscience <strong>du</strong> sujet ». S‟ilparticipe <strong>du</strong> langage par l‟ambiguïté sémantique,le double sens, il n‟en est pas moins « uneparole de plein exercice car elle inclut lediscours de l‟autre dans le secret de sonchiffre».Il s‟agit de symboles dont l‟analyse doit délivrerle sens emprisonné. Mais que sont-ils, cessymboles ? Lacan en dresse une liste, qui estau fond la liste des symptômes qui se proposentà l‟analyse: « hiéroglyphes de l‟hystérie, blasonsde la phobie, labyrinthes de la Zwangsneurose,Ŕ charmes de l‟impuissance, énigmes del‟inhibition, oracles de l‟angoisse, Ŕ armesparlantes <strong>du</strong> caractère, sceaux de l‟autopunition,déguisements de la perversion ». « Pour libérerla parole <strong>du</strong> sujet, nous l‟intro<strong>du</strong>isons aulangage de son désir, c‟est-à-dire au langagepremier dans lequel, au-delà de ce qu‟il nous ditde lui, déjà il nous parle à son insu, et dans lessymboles <strong>du</strong> symptôme tout d‟abord ». Ce quiest intéressant, c‟est ce passage <strong>du</strong> symptômeà l‟idée d‟un langage premier <strong>du</strong> désir fait desymboles, langage premier que Lacan n‟hésitepas à rapprocher des nombres premiers. Cessymboles premiers sont des signifiants : « c‟estl‟incidence concrète <strong>du</strong> signifiant dans lasoumission <strong>du</strong> besoin à la demande, qui enrefoulant le désir en position de méconnu,donne à l‟inconscient son ordre » 8 . Mais cessymboles sont des signifiants particuliers : « cesidées primaires désignent les points où le sujetdisparaît sous l‟être <strong>du</strong> signifiant ; qu‟il s‟agisse,en effet, d‟être soi, d‟être un père, d‟être né,d‟être aimé ou d‟être mort, comment ne pas voirque le sujet, s‟il est le sujet qui parle, ne s‟ysoutient que <strong>du</strong> discours ». Nous sommespassés <strong>du</strong> symptôme au symbole puis <strong>du</strong>symbole au signifiant, là où le signifiantreprésente le sujet en le faisant disparaître. Etcela va permettre de faire <strong>du</strong> symptôme unemétaphore dans L’instance de la lettre dansl’inconscient 9 . C‟est le côté retour <strong>du</strong> refoulé queLacan interprète comme substitution signifiante.Mais comme énigme, le symptôme se présentecomme un signifiant hors chaîne, non connectéau discours conscient que profère le sujet. C‟esten tant qu‟il est hors chaîne qu‟il se présentecomme un symbole. C‟est là, me semble-t-il,l‟ambiguïté <strong>du</strong> symptôme: il est à la foissymbole, S1 tout seul, et signifiant, S1renvoyant à un S2 refoulé. Comme S1 tout seul,le symbole c‟est aussi la lettre.Symptôme et jouissance.8 J. Lacan, A la mémoire d‟Ernest Jones, Sur sa théorie <strong>du</strong>symbolisme, Ecrits, op.cit. p. 697-717.9 J. Lacan, Ecrits, op. cit. p. 493-528.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES113


Christian DEMOULIN Quoi de neuf ?Lacan revient sur le chiffrage dans Intro<strong>du</strong>ctionà l’édition allemande d’un premier volume desEcrits 10 . Il évoque « la découverte par Freud quel‟inconscient travaille sans y penser, ni calculer,juger non plus et que pourtant le fruit est là : unsavoir qu‟il ne s‟agit que de déchiffrer puisqu‟ilconsiste dans un chiffrage ». Si l‟analyse estdéchiffrage <strong>du</strong> symptôme, c‟est que l‟inconscientest chiffrage. C‟est là l‟accent nouveau, quipermet à Lacan d‟intro<strong>du</strong>ire la question de lajouissance. La jouissance est dans le chiffrage,en tant que jouissance sexuelle. Cettejouissance <strong>du</strong> chiffrage est « ce qui fait obstacleau rapport sexuel établi, donc à ce que jamaispuisse s‟écrire ce rapport : je veux dire que lelangage en fasse jamais trace autre que d‟unechicane infinie ». L‟expérience de l‟analyse livreà l‟analysant, ajoute-t-il, le sens de sessymptômes. Le sens <strong>du</strong> symptôme est donc unsens joui. Cela situe le symptôme comme unmode de jouissance, jouissance qu‟on peut doncdire sexuelle au sens freudien et qui supplée àl‟absence <strong>du</strong> rapport sexuel, tout en rendantcelui-ci impossible. Ici Lacan radicalise Freud :ce n‟est pas l‟absence de satisfaction sexuelledans la vie qui est la cause <strong>du</strong> symptôme, c‟estl‟impossible <strong>du</strong> rapport sexuel. Et cet impossibleprovient de la jouissance de l‟inconscientcomme chiffrage. Car la sexualité chez leparlêtre passe par le fantasme inconscient et lesymptôme est une manière de jouir del‟inconscient. S‟il n‟y a pas rapport sexuel maisrapport inter fantasmatique et même intersymptomatique, la psychanalyse ne peutéradiquer le symptôme puisque ce seraitéradiquer toute sexualité. On sait que ce n‟estpas possible et que c‟est justement ce que tentele refoulement, tentative qui se paie ensymptôme.Dans le Séminaire R.S.I. 11 , Lacan propose unenouvelle définition <strong>du</strong> symptôme : « Je définis lesymptôme par la façon dont chacun jouit del‟inconscient en tant que l‟inconscient ledétermine ». La psychanalyse ne peut doncobtenir qu‟une transformation <strong>du</strong> symptôme. Etcela le con<strong>du</strong>it à se demander dans leSéminaire suivant 12 si, finalement, le symptômene relève pas <strong>du</strong> réel plutôt que <strong>du</strong> symbolique.L‟hypothèse qu‟il suggère est celle d‟un nœudborroméen où l‟inconscient correspond ausymbolique, le corps à l‟imaginaire et lesymptôme au réel. « Après tout » dit-il, « on peutfaire une théorie de Freud en faisant de cetimaginaire, à savoir <strong>du</strong> corps, ce qui tient séparél‟ensemble constitué par le nœud <strong>du</strong> symptôme10 J. Lacan, Autres écrits, Seuil 2001, p. 553-559.11 J. Lacan, Le Séminaire livre XXII R.S.I., inédit. Séance <strong>du</strong>11. 2. 1975.12 J. Lacan, Le Séminaire livre XXIII, Le sinthome, Seuil,2005. Chapitre 9.et <strong>du</strong> symbolique ». Si le symptôme relève <strong>du</strong>réel, un réel noué au symbolique, quelle peutêtre la portée thérapeutique d‟une analyse ?Sans doute de passer <strong>du</strong> symptôme qui dérangeà un symptôme dont on s‟arrange, un symptômesimplifié et plus satisfaisant pour le sujet. C‟estce qui con<strong>du</strong>it Lacan à élargir la notion desymptôme au point de dire qu‟une femme pourun homme est toujours un symptôme, et unhomme pour une femme, pire qu‟un symptôme,un ravage. La question est reprise dans leSéminaire suivant 13 . « En quoi consiste cerepérage qu‟est l‟analyse ? » dit-il « Est-ce quece serait, ou non, s‟identifier, tout en prenant sesgaranties d‟une espèce de distance, à sonsymptôme ? ». Cela con<strong>du</strong>it à penser la fin del‟analyse comme identification au symptôme. Sil‟on entre en analyse par le Discours del’Hystérique, en mettant au travail l‟énigme <strong>du</strong>symptôme comme question, à la sortie laquestion est close puisque le sujet assume sonsymptôme au point de s‟y identifier. Mais, biensûr, il ne s‟agit pas <strong>du</strong> symptôme de départ. Cequi permet à Lacan cette formulation nouvelle, ille précise, c‟est d‟avoir « avancé que lesymptôme peut être le partenaire sexuel ».L‟analyse permettrait donc de passer <strong>du</strong>symptôme prégénital au symptôme génital. Ils‟agit de « connaître son symptôme », ce quiveut dire savoir faire avec, savoir le débrouiller,le manipuler. « Savoir y faire avec sonsymptôme, c‟est là la fin de l‟analyse. Il fautreconnaître que c‟est court » conclut-il. Entre laconception <strong>du</strong> symptôme comme façon de jouirde son inconscient et celle <strong>du</strong> symptômepartenaire sexuel, il n‟y a pas contradiction maiséclairage différent, selon qu‟on aborde lesymptôme par le symbolique ou par le réel. Onpeut d‟ailleurs relever tel passage de Latroisième où Lacan situe le symptôme au niveaude la jouissance phallique, à l‟intersection <strong>du</strong>symbolique et <strong>du</strong> réel. De ce point de vue, lacure est ce qui permet de gagner sur lesymptôme, de le ré<strong>du</strong>ire mais avec un reste.C‟est à la place de ce reste que vient lepartenaire symptôme.Nouveaux symptômes.Comment situer les nouveaux symptômes liés àl‟avancée <strong>du</strong> Discours <strong>du</strong> Capitaliste et auxremaniements de nos structures symboliques ?Freud était un juif athée et l‟on peut considérerque le contexte culturel de son élaborationrelève d‟une sorte de monothéisme athée qu‟onretrouve dans sa théorie de la Horde primitive et<strong>du</strong> Meurtre <strong>du</strong> Père con<strong>du</strong>isant au Patriarcataprès un intermède matriarcal. Le Discours <strong>du</strong>Capitaliste semble aller dans le sens d‟un13 J. Lacan, Le Séminaire livre XXIV, L’insu que sait del’une-bevue s’aile à mourre ,inédit, séance <strong>du</strong> 16.11.1976.114Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES


Christian DEMOULIN Quoi de neuf ?polythéisme athée avec l‟objet fétiche, le gadget.Le patriarcat est aboli dans les familles au profitde l‟autorité parentale partagée, les femmessont libérées de l‟autorité maritale et certains enviennent à craindre le retour de la terribleDéesse blanche <strong>du</strong> matriarcat, soit La femmecomme Nom-<strong>du</strong>-Père. Lacan l‟évoque en citantRobert Graves 14 dans sa Préface à l’Eveil <strong>du</strong>printemps 15 .L‟ethnologie contemporaine 16 nous a appris àrelativiser le point de vue patriarcal de Lévi-Strauss. Chez les Na de Chine 17 , il n‟y a ni pèreni mari mais un visiteur furtif qui vient arroser lagraine mise dans le ventre des femmes par ladéesse Abaog<strong>du</strong>. Ils semblent avoir résolumieux que nous le conflit entre la liberté sexuelleet la famille en séparant la famille basée sur lecouple frère-sœur de la sexualité qui est libre detoute attache, sauf quand surgit l‟Amour qui estlà comme partout le grand perturbateur del„ordre social. Mais nous n‟en sommes pas là.Pour la plupart, nous tenons encore par le Nom<strong>du</strong>-Pèrefreudien et son complexe d‟Œdipe.Mais alors que veulent dire les nouveauxsymptômes ?Si le symptôme est une manière de jouir de soninconscient, encore faut-il pour qu‟il soitanalytique qu‟il s‟agisse d‟un symptôme adresséà l‟Autre de la parole et qu‟il ne soit passimplement jouissance autoérotique. Or, c‟est ceque promeut la société de consommation. Onpeut situer ici toute la clinique des assuétudes.La société de consommation comme pousse àla jouissance tend à renforcer la dimensionautoérotique <strong>du</strong> symptôme, le symptôme sansAutre. D‟autre part, la consommation est uncourt-circuit pulsionnel où l‟objet est rapidementéliminé et devient déchet, selon un schéma oralanal.Mais c‟est aussi de cela qu‟il s‟agit avectous les gadgets que propose le marché. De cefait, la consommation s‟oppose à la sublimation,ce qui recon<strong>du</strong>it soit à l‟assuétude soit à ladépression ou tout au moins à l‟ennui, le plusgrand de tous nos vices disait déjà Baudelaire.Le Discours <strong>du</strong> Capitaliste propose au sujet unpanel de jouissances autoérotiques qui tendentà le maintenir dans une position infantile, celleque Freud épinglait comme perversepolymorphe. Disons plutôt, qu‟il s‟agit souventd‟une sorte d‟adolescence prolongée.L‟adolescence, c‟est le temps où le sujet estcon<strong>du</strong>it à quitter le giron maternel ou familialpour s‟affirmer comme désirant et c‟est là quesurgit le symptôme, lors de la rencontre avec ledésir de l‟Autre. La société de consommationpermet à ses privilégiés de rester en deçà, dansle flou, parfois avec un faux air libéré quimasque la honte, avant la vraie rencontre où serisque le désir. Et donc avant que se cristallisele symptôme et se révèle la structure. Ce qu‟onnote alors, c‟est que certains sujets sont enquête …d‟un symptôme qui tienne. L‟hommesans qualité ou sans gravité, c‟est finalementl‟homme sans symptôme. Face au symptômeautoérotique et à l‟homme sans symptôme, ilnous importe à nous, psychanalystes, de ne pasdevenir de simples objets de consommation Ŕon consomme <strong>du</strong> psy et cela va être réglementé- mais de maintenir la dimension del‟inconscient, au-delà <strong>du</strong> principe deconsommation14 R. Graves, The white Goddess (Faber and Faber 1948),Trad. Les mythes celtiques .Ed. <strong>du</strong> Rocher 1979.15 J. Lacan, Autres écrits, op. cit. p. 561-563.16 M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard 2004.17 Cai Hua, Une société sans père ni mari, les Na de Chine,PUF 1997.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES115


Bureau (2006)Michel CODDENSAndré LEVEAUXChristian DEMOULINCoralie VANKERKHOVENprésidentvice-présidentsecrétairetrésorièreLes membres <strong>du</strong> Comité organisateur <strong>du</strong> Colloque:Yves BATONConcetta CIUROMichel CODDENSLucile COGNARDHenri de GROOTEAnne-Marie DEVAUXDelphine NOËLSCoralie VANKERKHOVENChantal de WOUTERSCécile VAN WYMERSCHGraphismeDelphine NOËLSEdition des ACTESMichel CODDENSRoland VREBOSAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 6 mai 2006ACTES116

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