Mes voyagesDu plus loin que je me souvienne, j’aitoujours vécu dans l’intimité <strong>de</strong> ces objets<strong>du</strong> quotidien – meubles, tapis, ustensiles <strong>de</strong> tableou <strong>de</strong> cuisine en terre, en cuivre, en verre –que <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles, les artisans <strong>de</strong> ma Tunisienatale façonnent avec soin. Soucieux <strong>de</strong> préserverle savoir-faire hérité <strong>de</strong> leurs aïeux, ils perpétuentles gestes anciens. Les matières qu’ils travaillents’anoblissent entre leurs mains.C’est ce travail-là <strong>de</strong>s artisans tunisiensque j’ai voulu offrir au regard <strong>de</strong>s visiteurs<strong>de</strong> l’<strong>Institut</strong> <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> arabe.Ainsi ils pourront découvrir les œuvresd’Ab<strong>de</strong>laziz ben Abda, nattier originaire <strong>de</strong> la ville<strong>de</strong> Nabeul au Cap Bon. Le métier <strong>de</strong> nattier esttrès répan<strong>du</strong> en Tunisie. On natte toutes sortes<strong>de</strong> fibres – palmiers, roseaux, alfa, osier –,selon les régions. On recouvre <strong>de</strong> nattes les solset les murs <strong>de</strong>s mosquées. Les nattes protègent<strong>de</strong> la chaleur, laissent passer l’air : elles respirent.Au Cap Bon, on tresse les joncs qui poussentà proximité, dans les marais près <strong>de</strong>s rivages.Les smars (joncs verts) se récoltent au début<strong>de</strong> l’été. Ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt beaucoup <strong>de</strong> soins.Il faut les sécher, les trier, les teindre.Ab<strong>de</strong>laziz ben Abda travaille les fibres naturellesou teintes comme <strong>de</strong>s générations <strong>de</strong> nattiersavant lui. Les fibres teintes avec <strong>de</strong>s colorantsnaturels et tissés composent <strong>de</strong>s motifs inspiréspar les tapis <strong>de</strong> Kairouan. Hélas la <strong>du</strong>reté <strong>de</strong> cetartisanat – il faut travailler à même le soloù sont posés les métiers, les fibres sont <strong>du</strong>reset blessantes pour les doigts qui jouent icile rôle d’une navette sur un métier à tisserordinaire – fait que peu <strong>de</strong> jeunes genss’y consacrent désormais. Les nattiers se fontrares et leur art millénaire est en danger.Mohamed Lidarssa travaille la feuille <strong>de</strong> cuivreet crée <strong>de</strong>s objets en cuivre repoussé.Il est dinandier. Son art est né <strong>de</strong> la tradition.Jadis les ustensiles <strong>de</strong> cuisine et en particulierles casseroles et les couscoussiers étaienten cuivre étamé. Ils faisaient partie <strong>du</strong> trousseau<strong>de</strong> la mariée. On se léguait ces objets précieux<strong>de</strong> génération en génération. Lors <strong>de</strong>s héritages,ils faisaient partie <strong>du</strong> patrimoine tant parleur valeur sentimentale que par leur valeurmarchan<strong>de</strong>.Lorsque j’ai rencontré le travail <strong>de</strong> MohamedLidarssa, j’ai été sé<strong>du</strong>ite par son art et je l’ai faittravailler pour mes décors, en particulier pourcelui <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong>. Il a réalisé <strong>de</strong> magnifiquesplateaux bien sûr car c’est ce qu’il a l’habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> faire, mais ce qui m’intéresse toujours dansmon rapport aux artisans, c’est <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rd’utiliser leur savoir‐faire et <strong>de</strong> le mettreau service d’objets pour eux inatten<strong>du</strong>s. Je lui aidonc <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s tableauxavec <strong>de</strong>s animaux et j’ai imaginé qu’il pouvaitaussi créer un buste en cuivre gravé pour mondécor <strong>de</strong> Noël. Ce type <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> étonnetoujours les artisans qui ne savent pas qu’ilspeuvent aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s objets familiers qu’ilsont appris à exécuter. J’aime leur révéler d’autrespossibles.La pierre taillée telle que la travaille aujourd’huiNoureddine Bou<strong>de</strong>n dans la cité <strong>de</strong> BeniKhiar non loin <strong>de</strong> Nabeul est un art très ancienqui remonte au temps <strong>de</strong>s Romains.La pierre que l’on trouve dans cette région, à BeniKhiar ou à Dar Chaâban est un grès d’un roseorangé qui s’illumine au moindre rayon <strong>de</strong> soleilet vire au pourpre au couchant. C’est cettepierre-là avec laquelle a été construite Carthage.Pierre tendre, elle permet au ciseau<strong>du</strong> sculpteur <strong>de</strong>s virtuosités insoupçonnées.Noureddine Bou<strong>de</strong>n a réalisé <strong>de</strong>s moucharabiés<strong>de</strong> pierre qui sont pure <strong>de</strong>ntelle. Il a sculpté <strong>de</strong>scolonnes torses et <strong>de</strong>s chapiteaux. Et une fontainepalmier pour le café maure <strong>de</strong> mon décor. L’eaucoule sur les palmes et c’est un enchantement…Il travaille aussi avec <strong>de</strong>s architectescontemporains à <strong>de</strong>s réalisations très mo<strong>de</strong>rnes.Les encadrements <strong>de</strong> portes et <strong>de</strong> fenêtres taillésdans cette pierre sont d’une rare élégance.Les mosaïques sont une <strong>de</strong>s richesses<strong>du</strong> patrimoine tunisien. Celles qu’on peutadmirer au musée <strong>du</strong> Bardo, à Tunis, maisaussi celles d’El Djem, entre Monastir et Sfax.Il y a là un <strong>de</strong>s plus beaux amphithéâtresromains, le troisième au mon<strong>de</strong> après le Coliséeet les arènes <strong>de</strong> Nîmes, et une tradition <strong>de</strong>mosaïste qui se perpétue <strong>de</strong>puis le v e siècle avantnotre ère jusqu’à nos jours. L’amphithéâtre <strong>de</strong>douze mille places où se déroulaient jadis les jeuxcruels <strong>du</strong> cirque, où s’affrontaient <strong>de</strong>s hommeset <strong>de</strong>s lions, accueille désormais <strong>de</strong>s concertspendant l’été. Il y a là aussi un très beau musée<strong>de</strong> la mosaïque.Les mosaïstes contemporains travaillentla mosaïque-bijou avec <strong>de</strong> petites tesselles,c’est‐à‐dire <strong>de</strong>s petits cubes <strong>de</strong> pierre,<strong>de</strong> marbre, d’émaux, <strong>de</strong> verre ou <strong>de</strong> simplesgalets. Ils repro<strong>du</strong>isent <strong>de</strong>s scènes romainesinspirées ou copiées <strong>de</strong>s mosaïques antiquesmais aussi parfois inspirées <strong>de</strong> grands artistestels que Poussin ou Delacroix. Ils réalisent ainsi<strong>de</strong>s œuvres pour <strong>de</strong>s aéroports, <strong>de</strong>s hôtels,<strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong> piscines, <strong>de</strong>s revêtementsmuraux, <strong>de</strong>s terrasses ou plus simplement<strong>de</strong>s tables. Ab<strong>de</strong>rrazak Belcacem qui a réalisé<strong>de</strong> merveilleuses mosaïques pour mes décorssera présent à l’exposition <strong>de</strong> l’IMAoù il créera <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>vant le public.Les souffleurs <strong>de</strong> verre tunisiens ont eux aussiune très longue histoire. Depuis <strong>de</strong>sgénérations ils se consacrent aux arts <strong>de</strong> la tableet font <strong>de</strong> merveilleux objets <strong>du</strong> quotidien. Verres,assiettes, tajines <strong>de</strong> couleur, couscoussiers enverre…, les ustensiles <strong>de</strong> la cuisine qu’ils soufflentsont à la fois précieux et utilitaires. Ils fabriquentaussi <strong>de</strong>s vases et <strong>de</strong>s lampes et toutes sortesd’objets <strong>du</strong> répertoire traditionnel <strong>de</strong> cet artisanat.Tarek Khanoun est l’un d’eux ; il estoriginaire <strong>de</strong> Sfax, une <strong>de</strong>s villes les plus activeset commerçantes <strong>de</strong> Tunisie. Là, on est moinsdilettante que dans le Nord, plus en phase avecle mouvement accéléré <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Ne pouvantpas emporter avec lui le matériel nécessaire poursouffler <strong>de</strong>s objets, il peindra <strong>de</strong>s verres soufflésdans l’une <strong>de</strong>s échoppes où seront présentésau regard et à la vente les objets raffinés <strong>de</strong> cetartisanat tunisien. Les visiteurs découvriront aussices autres œuvres que le doigté <strong>de</strong>s artisans etmon imagination ont inventées pour ces contesnoma<strong>de</strong>s et mo<strong>de</strong>rnes que les décors d’Hermèsdéclinent au fil <strong>de</strong>s ans et au rythme <strong>de</strong>s saisons.Leïla <strong>Menchari</strong>23