12.07.2015 Views

Numéro 52 - Le libraire

Numéro 52 - Le libraire

Numéro 52 - Le libraire

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Depuis la fin deses études enphilosophie, MiraCliche vit dejournalisme,d’écri ture et detradution. Elle littout ce qui luitombe sous la main.S ENS CRITIQUELA CHRONIQUE DE MIRA CLICHEessaiÊtre juif au XX e sièclePar des souvenirs vifs et des récits sobres, Armand Abécassis, Chil Rajchman etJacques Chessex nous présentent des Juifs de tous les horizons, voués à des destinstrès différents, parfois heureux, souvent tragiques. Du camp d’extermination deTreblinka au ghetto de Casablanca en passant par un petit bourg suisse, leurs troisdocuments nous font entrevoir le quotidien de quelques communautés juivesau XX e siècle.Commençons par les mémoires d’Armand Abécassis, Rue des Synagogues, publiéschez Robert Laffont. Né au Maroc en 1933, ce philosophe et exégète de la penséejuive a vécu toute la Deuxième Guerre mondiale à Casablanca, alors sous occupationfrançaise. C’est cette jeunesse marocaine qu’Abécassis raconte avec attendrissementet clairvoyance, faisant revivre sous nos yeux le Mellah, ghetto juif de Casablanca,auquel il reste très attaché.<strong>Le</strong> lecteur découvre avec fascination la rue des Synagogues et ses habitants, leur viecommunautaire riche et variée, les jeux des enfants, les questionnements des adolescents…Sont-ils juifs marocains ou marocains juifs? Doivent-ils faire primer leurpays ou leur religion? Et quelle langue leur appartient vraiment? Celle qu’ils parlentdans les écoles de l’Alliance française, l’hébreu de leurs rabbis et des synagogues oucet arabe mâtiné de yiddish et d’espagnol que l’on parle dans lesmaisons juives marocaines? Il y a de quoi perturber un adolescent enquête d’identité! Et pourtant, la communauté organisée autour de larue des Synagogues, avec quelques îlots plus aisés du côté desquartiers européens, est tissée si serrée que les jeunes qui y grandissenttrouvent dans leur diversité un solide ancrage.RUE DES SYNAGOGUESArmand Abécassis,Robert Laffont,378 p. | 48,49$Malgré le mur érigé par les Français entre le quartier européenet le Mellah, malgré la grande pauvreté du ghetto,et malgré les tournois de soccer très politisés entre écoleschrétiennes, juives et musulmanes, Abécassis brosse unportrait nostalgique et chaleureux de cette époque. Tout enréflexion, Rue des Synagogues est un recueil de souvenirs, certes, mais de souvenirslentement décantés, que l’auteur nous présente moins pour leur singularité quepour leur valeur symbolique. Si le texte peut parfois lasser par son lyrisme surannéou ses pointes de complaisance, il dépeint une vie spirituelle et communautaire qui,vue d’aujourd’hui, a bel et bien quelque chose d’idyllique.TreblinkaOn ne peut plus éloigné de ce paradis, Je suis le dernier Juif raconte les deux annéesque Chil Rajchman a passées au camp d’extermination tristement célèbre de Treblinka.Inédit jusqu’à la mort de Rajchman en 2004 et traduit pour la première foisen français en 2009, ce texte relate la vie quotidienne des détenus juifs enrôlés deforce comme esclaves par les Allemands.Entre 700 000 et 900 000 Juifs ont été exterminés au camp de Treblinka pendant laguerre, la majorité d’entre eux étant d’origine polonaise, comme Rajchman. Débarquantau camp par milliers, ces Juifs de diverses allégeances et communautés étaientdépouillés de tout, puis envoyés aux chambres à gaz. <strong>Le</strong>s plus jeunes et les plus fortspouvaient échapper un temps à la mort en mettant leurs dernières forces physiquesau service de l’horreur.Vider les chambres à gaz des corps serrés et gonflés de Juifs asphyxiés, porterces corps jusqu’aux charniers, arracher leurs dents en or et leurs couronnes…Puis quelques mois plus tard, sur une volte-face des Allemands, déterrer lescorps en putréfaction et empiler leurs membres disloqués sur d’immensesbûchers qui brûleront des nuits entières… Voilà le sombre quotidien desquelques centaines de Juifs qui « travaillaient » à Treblinka. Sauvagement battus,sous-alimentés, contraints de courir du matin au soir pour maintenir la cadenceinfernale de l’extermination de leur propre peuple, quelques détenusont miraculeusement survécu à cet enfer en s’échappant à la faveur d’unsoulèvement. Rajchman fut du lot. Il a erré deux mois avant d’arriver,plus mort que vif, au ghetto de Varsovie,où il fut hébergé par des amis qui leprotégèrent jusqu’à la fin du conflit. Il s’estensuite installé en Uruguay, où il a fondéune famille avant de témoigner dansplusieurs procès de grands criminels de laDeuxième Guerre mondiale.<strong>Le</strong> fait que Chil Rajchman ait survécu est bien la seule chose qui adoucisse untant soit peu ce récit dur, écorché, mais extrêmement bien écrit.Loin des ghettosPetite commune suisse de quelques milliers d’habitants, Payerne a vécu laDeuxième Guerre mondiale dans le silence craintif et l’hypocrisie d’une certainebourgeoisie. Composée de paysans et d’éleveurs relativement aisés, la communautéde Payerne est reconnue pour ses « cochonnailles », saucissons et autrescharcuteries. C’est en droite ligne avec cette tradition de boucherie que s’inscrirale meurtre d’Arthur Bloch, marchand de bétail de la région, relaté parJacques Chessex dans Un Juif pour l’exemple.UN JUIF POURL’EXEMPLEJacques Chessex,Grasset,112 p. | 19,95$JE SUIS LE DERNIERJUIF: TREBLINKA(1942-1943)Chil Rajchman,<strong>Le</strong>s Arènes,168 p. | 19,95$En 1942, encouragé par les progrès du Reich, un groupuscule nazidirigé par un pasteur furieusement antisémite entreprend dedonner un exemple: assassiner un Juif pour signifier aux autresqu’ils ne sont pas les bienvenus. Prospère et connu de tout le canton,Arthur Bloch est la victime toute désignée. Il sera tué d’uncoup de barre de fer, puis son corps sera découpé enmorceaux avant d’être jeté dans un lac. N’eût été de l’enquêtequi révéla rapidement les coupables, Bloch auraitété le premier d’une série « d’exemples »…Originaire de Payerne, l’écrivain Jacques Chessex (prixGoncourt 1973) a fouillé autant dans ses souvenirs que dans les archives de laville pour reconstituer ce meurtre violent qui a marqué son enfance. D’uneplume sobre et tranchante, il signe un récit (bizarrement sous-titré « roman »)d’une vigueur peu commune. Dans le dernier chapitre, où il réfléchit sur l’horreurinsondable de cette boucherie, Chessex saisit l’impact destructeur que detels massacres peuvent avoir sur ceux qui y survivent: « Rien n’est explicable,plus rien jamais n’est ouvert à qui a reconnu une fois pour toutes l’injusticefaite à une âme. Hors de toute raison. »LE LIBRAIRE • AVRIL - MAI 2009 • 31

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!