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Le contre-transfert, la symbolisation et le don d'absence

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Filigrane, volume 13, numéro 2, 2004, pages 34 à 47<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong><strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong>d’absencewilfrid reidPour Pau<strong>la</strong> Heimann (1950), avec <strong>le</strong> concept de résonance <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>,<strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> devient un <strong>le</strong>vier pour <strong>le</strong> processus analytique, en particulierdans <strong>le</strong>s <strong>transfert</strong>s en mal de <strong>symbolisation</strong>. Dans ce contexte, <strong>la</strong> théorie de <strong>la</strong><strong>symbolisation</strong> de Winnicott perm<strong>et</strong> de penser <strong>le</strong> rapport transféro-<strong>contre</strong>transférentielcomme une remise en jeu de <strong>la</strong> transitionnalité, pouvant ouvrir <strong>la</strong>voie à une <strong>symbolisation</strong> du <strong>transfert</strong>. Avec <strong>le</strong> travail du négatif, Green prolongec<strong>et</strong>te théorie de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> en présentant <strong>la</strong> situation analytique comme un<strong>don</strong> d’absence.« La paro<strong>le</strong> est moitié à celui qui par<strong>le</strong>, moitié à celui qui écoute »La résonance <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>MontaigneAu tournant des années cinquante, en rafa<strong>le</strong>, des textes de Winnicott,Heimann, Gitelson <strong>et</strong> Annie Reich perm<strong>et</strong>tent au <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> d’entrerpar <strong>la</strong> grande porte dans <strong>la</strong> théorie analytique. <strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> est, enquelque sorte, dédouané : il cesse d’être uniquement un obstac<strong>le</strong> <strong>et</strong> acquiert <strong>le</strong>statut de <strong>le</strong>vier pour l’instauration d’un processus analytique. On pense, enparticulier, au très court texte de Pau<strong>la</strong> Heimann qui, souvent cité, est devenu untexte-phare en introduisant <strong>la</strong> notion de résonance <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> : ainsicertaines dimensions du <strong>transfert</strong>, souvent même <strong>le</strong>s plus significatives, sontd’abord repérées dans <strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> longtemps avant d’être traduitesverba<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> <strong>transfert</strong> de l’analysant; dans <strong>le</strong> <strong>la</strong>ngage de Winnicott (1947),il s’agit du <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> objectif.Nous avons là sans doute l’une des percées théoriques majeures de <strong>la</strong> psychanalysepost-freudienne; en même temps toute découverte, si uti<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> soit,possède sa part d’ombre. C’est pourquoi Winnicott nous m<strong>et</strong> en garde <strong>contre</strong> unusage abusif du concept de résonance <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> qui conduirait àn’attribuer qu’au patient <strong>le</strong> vécu transférentiel de l’analyste. Pour lui, l’analysten’est pas uniquement l’obj<strong>et</strong> d’un <strong>transfert</strong> : il est simultanément <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> d’un<strong>transfert</strong>, <strong>le</strong> sien, par rapport à l’analysant, voire par rapport à l’analyse. Winnicottnous incite ainsi à être attentif à ce <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> subjectif, propre à l’analysé,qui s’exprime dans sa manière personnel<strong>le</strong> d’accueillir <strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> objectif.


35<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absenceL’analyste comme suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l’analyste comme fonctionCe statut de l’analyste comme suj<strong>et</strong> d’un <strong>transfert</strong> est toujours peu ou proususceptib<strong>le</strong> de faire obstac<strong>le</strong> au processus analytique. Dès lors, il est uti<strong>le</strong> de seréférer simultanément au statut de l’analyste comme fonction, cel<strong>le</strong>-ci constituant,pour lui, une voie de dégagement possib<strong>le</strong> de sa conflictualité interne. À c<strong>et</strong> égard,une question se pose qui perm<strong>et</strong> de baliser <strong>le</strong>s eff<strong>et</strong>s du <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> subjectif :dans quel<strong>le</strong> mesure <strong>le</strong> vécu <strong>contre</strong>-transférentiel s’avère-t-il une positionanalytique fonctionnel<strong>le</strong>, c’est-à-dire une position qui facilite <strong>le</strong>s conditions de <strong>la</strong>libre association <strong>et</strong> <strong>la</strong> réponse interprétative. Tel devient l’enjeu fondamental.Selon Jean-Luc Donn<strong>et</strong>.« L’analyste est <strong>don</strong>c toujours astreint à <strong>la</strong> discipline de disjoindre<strong>et</strong> d’articu<strong>le</strong>r en lui suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> fonction. » (Donn<strong>et</strong>, 1995, 44)Gar<strong>don</strong>s à l’esprit que c<strong>et</strong>te position analytique fonctionnel<strong>le</strong> ne relève passimp<strong>le</strong>ment d’un savoir théorique; el<strong>le</strong> demande une é<strong>la</strong>boration auto-analytiquequi rend ce savoir compatib<strong>le</strong> avec <strong>le</strong>s aménagements actuels de <strong>la</strong> conflictualitéinconsciente de l’analyste. Ce processus continu de subjectivation de <strong>la</strong> théorieassure <strong>la</strong> dia<strong>le</strong>ctisation du rapport entre suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> fonction dans <strong>la</strong> mesure où <strong>la</strong>méthode analytique est opérante, soit dans <strong>la</strong> mesure où <strong>la</strong> libre association suitson cours <strong>et</strong> peut recevoir une réponse interprétative. C<strong>et</strong>te tension dia<strong>le</strong>ctique estmise à mal dans <strong>la</strong> réaction thérapeutique négative. Cel<strong>le</strong>-ci, paralysant <strong>la</strong> fonctionanalytique, ferme <strong>la</strong> voie privilégiée de dégagement de <strong>la</strong> conflictualité interne del’analyste; el<strong>le</strong> risque de créer une surcharge économique du côté de l’analystecomme suj<strong>et</strong>.<strong>Le</strong> trauma psychique de l’analysteDans <strong>la</strong> réaction thérapeutique négative, l’analyste est fréquemment à l’oréed’un fonctionnement psychique traumatique; il devient vivement sollicité par l<strong>et</strong>out-pouvoir de l’affect qui peut <strong>le</strong> mobiliser à son insu. L’évacuation hors psychéde <strong>la</strong> surcharge affective risque de prendre <strong>le</strong> pas sur l’é<strong>la</strong>boration <strong>contre</strong>transférentiel<strong>le</strong>;l’analyste, souvent à son insu, sous couvert d’interprétation, esttenté de réagir du tac au tac. Dans c<strong>et</strong>te réaction <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>, il estcontraint de faire l’économie du temps de <strong>la</strong>tence nécessaire pour ce qui serait del’ordre d’une réponse <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> où il pourrait se situer ail<strong>le</strong>urs qu’àl’endroit où il est explicitement ou implicitement sollicité par l’analysant. <strong>Le</strong>trauma psychique, peut-on penser, est aussi contagieux qu’une infection vira<strong>le</strong> desorte que <strong>le</strong> fonctionnement psychique traumatique de l’analyste – il est permisd’espérer qu’il ne soit pas son mode usuel – devient un excel<strong>le</strong>nt indicateur dufonctionnement psychique traumatique de l’analysant.Du côté de l’analysant, ce fonctionnement psychique traumatique s’exprimerapar une modalité d’articu<strong>la</strong>tion contenant/contenu de <strong>la</strong> conflictualité peu


36Filigrane, printemps 2004compatib<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> processus analytique, davantage que par une conflictualitéspécifique. C<strong>et</strong>te articu<strong>la</strong>tion peu propice comporte cliniquement deux variantes.Dans l’une, l’analysant est engouffré dans <strong>le</strong> vécu transférentiel; il ne peut prendre<strong>la</strong> distance nécessaire à <strong>la</strong> méta-communication que représente l’interprétation. Larivière est sortie de son lit; <strong>la</strong> non-métaphorisation du <strong>transfert</strong> est à l’avant-scène.Nous observons une problématique du trop. Dans <strong>la</strong> seconde variante, il y aexclusion du <strong>transfert</strong>; aucune allusion n’est faite à <strong>la</strong> présence de l’analyste audelàd’une référence à son statut professionnel. L’analyste, comme obj<strong>et</strong> transférentiel,n’existe pas. La re<strong>la</strong>tion est à ce point désaffectée que <strong>le</strong> vécu transférentielbril<strong>le</strong> par son absence.Gar<strong>don</strong>s-nous de sous-estimer l’importance de ce vide affectif. Nous décrironsultérieurement <strong>le</strong> négatif au p<strong>la</strong>n métapsychologique; nous sommes ici enprésence du négatif, au p<strong>la</strong>n clinique. Notre compréhension clinique a intérêt àprendre pour obj<strong>et</strong> d’abord <strong>et</strong> avant tout ce qui n’est pas là, ce qui manque du côtéde l’affect; ce manque devient <strong>la</strong> chose significative, davantage que ce qui est là,soit <strong>le</strong>s contenus évoqués. La rivière est asséchée; nous r<strong>et</strong>rouvons <strong>la</strong> problématiquedu trop, devenue cel<strong>le</strong> du trop peu. <strong>Le</strong> vide affectif qui caractérise <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tiontransférentiel<strong>le</strong> dissimu<strong>le</strong> mal <strong>la</strong> non-métaphorisation du <strong>transfert</strong> qui, moinsexplicite, n’en est pas moins présente. El<strong>le</strong> pourra subitement faire irruption dansune érotisation manifeste du <strong>transfert</strong> ou encore dans un rêve qui d’emblée m<strong>et</strong> enscène un rapport incestueux. L’analysant s’empressera d’ignorer ce matériel peudéguisé; <strong>le</strong> désinvestissement reprendra rapidement ses droits.Dans l’une <strong>et</strong> l’autre variantes, l’analyste a intérêt à faire porter son attentionsur l’activité menta<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même plutôt que sur <strong>le</strong> produit de c<strong>et</strong>te activité menta<strong>le</strong>.Dans <strong>le</strong>s deux cas de figure, <strong>la</strong> problématique fondamenta<strong>le</strong> concerne un accèsdiffici<strong>le</strong> à <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>. Dès lors, l’évacuation hors psyché de l’une des forcesen présence dans <strong>la</strong> conflictualité interne a préséance sur l’é<strong>la</strong>boration psychiquede c<strong>et</strong>te conflictualité. La psyché opérant en deçà de <strong>la</strong> représentation commereprésentation, <strong>le</strong> mot, autant que <strong>le</strong> geste, devient une action.<strong>Le</strong> discours pourra dès lors prendre l’allure d’une vaste opération conjuratoire.Selon <strong>le</strong> P<strong>et</strong>it Robert, conjurer c’est : « écarter (<strong>le</strong>s esprits malfaisants) par desprières, des pratiques magiques ». Il en va ainsi chez Simone avec une formu<strong>le</strong> quirevient comme un mantra : « Ça ne m’intéresse pas... ça ne m’intéresse pas. »C<strong>et</strong>te formu<strong>le</strong> devient <strong>la</strong> ponctuation de son discours. Simone s’est d’abord montréepréoccupée par <strong>le</strong> caractère désertique de sa vie amoureuse. Son passé amoureuxa été plutôt chaotique; el<strong>le</strong> a ensuite effectué un mouvement de r<strong>et</strong>rait quicommence à lui peser.Ce motif de consultation est à peine mentionné que Simone s’empresse del’oublier. Longtemps, il n’y aura plus aucune allusion à son rapport avec <strong>le</strong>shommes. El<strong>le</strong> s’emploie plutôt à décrire par <strong>le</strong> menu une activité professionnel<strong>le</strong>qu’el<strong>le</strong> présente comme de plus en plus satisfaisante. C<strong>et</strong>te activité est visib<strong>le</strong>mentsurinvestie. Il en était ainsi éga<strong>le</strong>ment pour son père <strong>don</strong>t, selon <strong>la</strong> légende familia<strong>le</strong>,une addiction au travail aurait entraîné une mort prématurée. Simone a vécu


37<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absenceune re<strong>la</strong>tion très intense <strong>et</strong> ouvertement très conflictuel<strong>le</strong> avec son père. Plusieurséléments de l’anamnèse vont dans <strong>le</strong> sens d’un inceste psychique; <strong>le</strong> matérielonirique y fait parfois écho de manière peu déguisée.P<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, <strong>le</strong> rapport amoureux refait surface dans <strong>le</strong> matériel mais sur unmode très particulier. Simone, au passage, décrit <strong>le</strong>s hommes qu’el<strong>le</strong> croise, <strong>don</strong>tcertains qui éprouvent un sentiment amoureux à son endroit. Là, inévitab<strong>le</strong>ment,<strong>la</strong> formu<strong>le</strong> tombe comme un couper<strong>et</strong> : « Ça ne m’intéresse pas. » L’explorationdu phénomène conduit Simone au récit suivant. Récemment, el<strong>le</strong> a rencontré unhomme qui s’intéresse à el<strong>le</strong> <strong>et</strong> qui, bien sûr, ne l’intéresse pas. L’homme l’inviteau restaurant; Simone est disposée à accepter l’invitation à <strong>la</strong> condition quechacun paye son repas. L’homme s’objecte <strong>et</strong> menace de r<strong>et</strong>irer son invitation;Simone cède à <strong>la</strong> menace; el<strong>le</strong> accepte l’invitation en renonçant à <strong>la</strong> conditionqu’el<strong>le</strong> vou<strong>la</strong>it poser.Ainsi surgit un clivage entre <strong>le</strong> discours <strong>et</strong> <strong>le</strong> comportement. Au p<strong>la</strong>n dudiscours, Simone introduit une mise à distance sur un mode conjuratoire, magique;au p<strong>la</strong>n du comportement, <strong>le</strong> lien amoureux suscite un sur-investissementou un tout-pouvoir du désir par rapport auquel Simone s’avère tout à fait démunie,sinon en <strong>le</strong> vidant de tout substrat affectif. Avec André Green (1990), nous prenonsacte du « sacrifice subjectal » de Simone; il induit un désinvestissement magiquede soi comme de l’autre. C<strong>et</strong>te pure culture d’un processus primaire dénaturé enpulsion de mort opère, de manière clivée, par rapport au comportement. Laproblématique du trop refait ainsi surface sous <strong>la</strong> problématique du trop peu; aup<strong>la</strong>n métapsychologique, nous assistons à <strong>la</strong> prépondérance de <strong>la</strong> dimensionéconomique.La théorie de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> de WinnicottÀ c<strong>et</strong> égard, ce n’est pas <strong>le</strong> moindre mérite de <strong>la</strong> théorie de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> deWinnicott (1960a) que de s’inscrire dans une doub<strong>le</strong> perspective économique <strong>et</strong>re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> p<strong>la</strong>n économique ou quantitatif réfère au rô<strong>le</strong> central de l’omnipotence<strong>et</strong> conséquemment au travail psychique qui, induisant un deuil re<strong>la</strong>tif dec<strong>et</strong>te omnipotence, favorisera sa médiatisation. <strong>Le</strong> p<strong>la</strong>n re<strong>la</strong>tionnel situe ce travailà l’interface psyché/environnement. Un rapport psyché/environnement suffisammentbon est nécessaire à une régu<strong>la</strong>tion heureuse de l’omnipotence qui devientgarante d’un accès à <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>.Rappelons succinctement c<strong>et</strong>te théorie de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>. Pour Winnicott, <strong>le</strong>symbo<strong>le</strong> est essentiel<strong>le</strong>ment un espace psychique; c<strong>et</strong> espace prend p<strong>la</strong>ce dansl’écart entre l’obj<strong>et</strong> subjectif <strong>et</strong> l’obj<strong>et</strong> objectif. L’instauration de c<strong>et</strong> écart dépendde l’évolution favorab<strong>le</strong> de <strong>la</strong> doub<strong>le</strong> paradoxalité, <strong>le</strong> trouvé/créé <strong>et</strong> <strong>le</strong>détruit/trouvé à l’œuvre dans <strong>la</strong> ren<strong>contre</strong> de <strong>la</strong> psyché <strong>et</strong> de l’environnement.Pour <strong>le</strong>s fins de son développement affectif, l’enfant, nous dit Winnicott, doitPosséder des « prérogatives divines » (Ribas, 2000, 52); il se doit de créer <strong>le</strong>monde afin de pouvoir affectivement l’habiter <strong>et</strong>, par voie de conséquence, habiteraffectivement sa vie. Paradoxa<strong>le</strong>ment, pour que l’enfant puisse <strong>don</strong>ner libre cours


38Filigrane, printemps 1993à sa création, il importe que l’environnement pose <strong>le</strong> monde à l’endroit <strong>et</strong> aumoment même où l’enfant <strong>le</strong> crée. Ce paradoxe du trouvé/créé perm<strong>et</strong> « l’expériencede l’omnipotence » (Winnicott, 1971a, 67) ou l’arrimage de l’omnipotence<strong>et</strong> de <strong>la</strong> réalité extérieure; c’est <strong>la</strong> création de l’obj<strong>et</strong> subjectif.Au trouvé/créé doit faire suite <strong>le</strong> détruit/trouvé. Nous avons à considérer ici,davantage qu’un ordre chronologique, une succession théorique qui relève d’unmouvement toujours à refaire. De plus, Winnicott y introduit une conceptionorigina<strong>le</strong> de <strong>la</strong> destruction; c<strong>et</strong>te conception inaugure véritab<strong>le</strong>ment une coupureépistémologique avec <strong>la</strong> notion courante de destruction, voire avec <strong>la</strong> notiontraditionnel<strong>le</strong> de pulsion. Depuis Freud (1905), qui dit pulsion, dit une excitationqui prend sa source dans l’individu. Or Winnicott (1971b) décrit une destructionsans intentionnalité destructrice : <strong>le</strong> terme est choisi pour définir <strong>la</strong> réponsepossib<strong>le</strong> de l’obj<strong>et</strong>/environnement qui peut se sentir détruit. C’est <strong>la</strong> réponse del’obj<strong>et</strong> qui qualifie rétroactivement <strong>le</strong> mouvement pulsionnel du suj<strong>et</strong> commedestructeur. C<strong>et</strong>te nouvel<strong>le</strong> conception, faut-il préciser, n’invalide pas <strong>la</strong> conceptionancienne; el<strong>le</strong> pose <strong>le</strong>s racines du monde pulsionnel dans un temps théoriqueantérieur à l’actualisation de <strong>la</strong> conception freudienne.Nous reviendrons à Freud ultérieurement : pour <strong>le</strong> moment, poursuivons avecWinnicott. Selon lui, l’enfant ne peut s’approprier sa destructivité que si el<strong>le</strong> estdé<strong>le</strong>stée de l’omnipotence. C’est pourquoi il importe que l’obj<strong>et</strong>/environnementne se sente pas détruit, perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>le</strong> deuil de l’omnipotence du mouvementdestructeur. L’enfant devient dès lors <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> de sa destructivité; <strong>la</strong> source de <strong>la</strong>pulsion s’inscrit « dans <strong>la</strong> représentation inconsciente que l’individu se fait de luimême» (Winnicott, 1940, 35). C<strong>et</strong>te subjectivation de <strong>la</strong> destructivité rend opérationnel<strong>le</strong><strong>la</strong> conception freudienne de <strong>la</strong> pulsion. Conjointement, ce deuil del’omnipotence <strong>don</strong>ne accès à l’obj<strong>et</strong> objectif, un obj<strong>et</strong> hors d’atteinte dumouvement destructeur. La destruction fabrique ainsi <strong>la</strong> réalité, nous dit Winnicott(1971b). L’instauration de l’obj<strong>et</strong> objectif fait surgir un espace entre obj<strong>et</strong> subjectif<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> objectif; c<strong>et</strong> espace ouvre <strong>la</strong> voie à <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>. C<strong>et</strong>te théorie de <strong>la</strong><strong>symbolisation</strong> enrichit considérab<strong>le</strong>ment, au p<strong>la</strong>n conceptuel, l’expérienc<strong>et</strong>ransféro-<strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>. En eff<strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te expérience peut dorénavant êtrepensée comme une remise en jeu de <strong>la</strong> doub<strong>le</strong> paradoxalité inhérente au rapportpsyché/environnement. De c<strong>et</strong>te manière, el<strong>le</strong> délimite un nouveau territoire pour<strong>le</strong> travail du négatif, de par une reprise du mouvement vers <strong>la</strong> transitionnalité.<strong>Le</strong> travail du négatifC<strong>et</strong>te théorie de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> implique en eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> travail du négatif. Qu’estceà dire? Winnicott souligne que : « Dans l’espace transitionnel, l’obj<strong>et</strong> est <strong>et</strong>n’est pas* <strong>la</strong> mère. Si l’obj<strong>et</strong> représente <strong>la</strong> mère, il est tout aussi important qu’il nesoit pas <strong>la</strong> mère. » (Winnicott, 1971c, 14) Comme Bion <strong>le</strong> fera à sa manière,Winnicott ouvre ainsi une nouvel<strong>le</strong> avenue théorique qui pose <strong>la</strong> nécessité pour* Mots soulignés par l’auteur du présent texte.


39<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absencel’enfant de construire en lui une non-existence de <strong>la</strong> mère, une absence de <strong>la</strong> mère.Dans c<strong>et</strong>te perspective, il importe de distinguer l’absence <strong>et</strong> <strong>la</strong> perte. C<strong>et</strong>te présence/absence,pourrait-on dire, se situe à mi-chemin entre d’une part <strong>la</strong> présencehallucinatoire ou l’intrusion par l’obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> d’autre part <strong>la</strong> perte ou <strong>la</strong> disparition del’obj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>te absence de <strong>la</strong> mère devient une condition d’éclosion d’un psychismeindividuel. Winnicott <strong>don</strong>ne ainsi un statut métapsychologique au concept denégatif, entendu au sens du non-être par rapport à l’être, <strong>le</strong> « no-thing » de Bion.André Green (1993) s’emploiera à développer c<strong>et</strong>te théorie du négatif où <strong>la</strong> nonexistence,l’absence, devient un élément structurant de <strong>la</strong> psyché.Comme Winnicott, Green situe sa réf<strong>le</strong>xion dans une doub<strong>le</strong> perspectiveéconomique <strong>et</strong> re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong>. Au p<strong>la</strong>n re<strong>la</strong>tionnel, il prolonge dans l’intrapsychique<strong>la</strong> théorisation interpsychique de Winnicott en m<strong>et</strong>tant l’accent sur <strong>le</strong>s répercussionsintrapsychiques des aléas du développement de l’espace interpsychique.Au p<strong>la</strong>n économique, Green m<strong>et</strong> en lumière comment un certain travail sur <strong>le</strong>quantitatif est un préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong> à l’induction de ce saut qualitatif que représente <strong>la</strong><strong>symbolisation</strong>. De c<strong>et</strong>te manière, André Green pose <strong>le</strong>s assises métapsychologiquesde c<strong>et</strong>te problématique du trop <strong>don</strong>t nous avons rappelé antérieurement <strong>la</strong>théorie clinique.Il s’agit d’articu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s registres de <strong>la</strong> force <strong>et</strong> du sens; à c<strong>et</strong> égard, on peutconsidérer que <strong>la</strong> force doit perdre une partie de sa puissance pour qu’il y ait dusens de rechercher du sens. Il existe ainsi un préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong> à <strong>la</strong> capacité de <strong>la</strong> psychéd’investir <strong>la</strong> recherche du sens. En l’absence de ce pré-requis, au-delà du refusd’une interprétation spécifique, l’exercice de <strong>la</strong> méthode analytique vient buter surune remise en cause de <strong>la</strong> légitimité de tout travail interprétatif. Il importe alorsd’envisager comment concevoir l’instauration de ce préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong> : ce à quoi s’emploieAndré Green dans sa réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong> travail du négatif. Pour ce faire, Green prendcomme point de départ <strong>le</strong> postu<strong>la</strong>t fondamental de <strong>la</strong> métapsychologie de Freud :<strong>le</strong> premier psychisme opère sous l’égide de l’hallucinatoire. C’est <strong>le</strong> tournant de1897, <strong>le</strong> moment où Freud aban<strong>don</strong>ne <strong>la</strong> théorie de <strong>la</strong> séduction.De par ce mode hallucinatoire, l’investissement de l’obj<strong>et</strong> possède une force quirelève de <strong>la</strong> toute-puissance. C’est <strong>la</strong> mise en œuvre de c<strong>et</strong>te toute-puissance quiopère dans <strong>la</strong> satisfaction hallucinatoire. Dans c<strong>et</strong>te modalité d’investissement,l’obj<strong>et</strong> occupe d’emblée tout l’espace psychique du suj<strong>et</strong>; <strong>la</strong> psyché du suj<strong>et</strong> subiten quelque sorte une occupation étrangère.Ce mode de présence est, ipso facto, une présence en excès; nous sommesmétapsychologiquement dans <strong>le</strong> trop de présence de <strong>la</strong> mère. Si dans <strong>la</strong> modalitétransitionnel<strong>le</strong> d’investissement de l’obj<strong>et</strong>, c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> est <strong>et</strong> n’est pas <strong>la</strong> mère, ce<strong>la</strong>implique que <strong>le</strong> développement affectif, en particulier l’accès à <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>,est dorénavant conçu comme l’introduction progressive du non-être de <strong>la</strong> mère,comme un processus d’absentification de <strong>la</strong> mère dans <strong>la</strong> psyché. André Greenthéorisera ce travail du négatif en articu<strong>la</strong>nt <strong>le</strong>s métapsychologies de Freud <strong>et</strong> deWinnicott.


40Filigrane, printemps 2004<strong>Le</strong> modè<strong>le</strong> hallucinatoireAu commencement était l’hallucinatoire; <strong>la</strong> psyché est d’emblée plongée dans<strong>la</strong> démesure, l’hubris que <strong>le</strong>s Grecs m<strong>et</strong>tront en scène dans <strong>la</strong> tragédie antique.Lors du tournant de 1897, Freud découvre <strong>la</strong> réalité psychique, au sens fort duterme : il existe, dans <strong>le</strong> premier psychisme, comme un noyau dur, une sorte deréalité qui ne <strong>le</strong> cède en rien à l’existence de <strong>la</strong> réalité matériel<strong>le</strong>. C<strong>et</strong>te démesure,ce quantitatif font en sorte que, dans <strong>le</strong> rêve, <strong>la</strong> représentation prend va<strong>le</strong>ur deréalité. L’hallucinatoire est une composante norma<strong>le</strong>, universel<strong>le</strong> de <strong>la</strong> psychéprimitive; c<strong>et</strong>te composante doit être distinguée de l’hallucination, phénomènegénéra<strong>le</strong>ment pathologique. De par l’hallucinatoire, <strong>la</strong> toute-puissance régit <strong>le</strong>psychisme infanti<strong>le</strong>; el<strong>le</strong> infiltre toute <strong>la</strong> vie psychique de l’enfant.P<strong>et</strong>ite scène de <strong>la</strong> vie quotidienne. Nous sommes amenés à observer un p<strong>et</strong>itfilsqui ren<strong>contre</strong> son grand-père. Antoine a deux ans <strong>et</strong> demi. Il semb<strong>le</strong> prendregrand p<strong>la</strong>isir à conduire l’auto de son grand-père. Tantôt il est au vo<strong>la</strong>nt, tantôt ils’affaire à manier tout ce qui bouge. Il refait <strong>le</strong>s mêmes gestes à plusieurs reprisespuis tout à coup il s’arrête; il veut savoir où est <strong>le</strong> « ça rou<strong>le</strong> ». Que diab<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>rou<strong>le</strong> c<strong>et</strong>te voiture? Maman devra lui dire qu’« il est trop p<strong>et</strong>it pour <strong>le</strong> “ça rou<strong>le</strong>” ».Ainsi a cours, à j<strong>et</strong>s continus, <strong>la</strong> démesure, <strong>le</strong> sans-limite du psychisme infanti<strong>le</strong>.L’enfance passe, l’infanti<strong>le</strong> demeure. En s’associant au mouvement de <strong>la</strong> pulsion,l’hallucinatoire constitue un cocktail explosif pour <strong>la</strong> psyché; il représenteune menace pour l’intégrité narcissique du suj<strong>et</strong>. <strong>Le</strong> tout-pouvoir de l’hallucinatoiredétruit <strong>le</strong> psychisme individuel comme entité propre; en quelque sorte,nous observons <strong>le</strong> r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> structure individu/environnement en ce sens que <strong>la</strong>psyché individuel<strong>le</strong> a perdu son fonctionnement spécifique, essentiel<strong>le</strong>ment sacapacité d’é<strong>la</strong>boration psychique. La psyché n’a pas <strong>la</strong> capacité de penser <strong>le</strong>spensées. Si penser un désir équivaut inconsciemment à réaliser un désir, <strong>le</strong> registrede <strong>la</strong> pensée devient peu différencié du registre de l’agir. En pensant une chose, <strong>le</strong>suj<strong>et</strong> court irrémédiab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> danger d’un débordement où <strong>la</strong> pensée, échappantà son contrô<strong>le</strong>, risque à tout moment de devenir, à son insu, une réalité. Il importe,dès lors, d’abolir <strong>le</strong> surgissement de toute pensée personnel<strong>le</strong>, c’est-à-dire unepensée qui prendrait sa source « dans <strong>la</strong> représentation inconsciente que l’individua de lui-même » (Winnicott, 1940, 35). Pour ce faire, <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> abolit inconsciemmentsa capacité é<strong>la</strong>borative : <strong>le</strong> suj<strong>et</strong>, ne pouvant effacer l’obj<strong>et</strong>, s’efface luimême.C’est « <strong>le</strong> sacrifice subjectal » (Green, 1990, 365).Au p<strong>la</strong>n métapsychologique, <strong>la</strong> pensée cesse d’être une action psychique : el<strong>le</strong>devient une réaction à <strong>la</strong> pensée d’autrui (Pontalis, 1975). Dans <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion interpersonnel<strong>le</strong>,quand el<strong>le</strong> est mobilisée affectivement, <strong>la</strong> psyché devient enfermée dansun di<strong>le</strong>mme : ou bien accuser une fin de non recevoir ou bien se soum<strong>et</strong>tre à <strong>la</strong> penséed’autrui, une pensée qui, comme cel<strong>le</strong> du suj<strong>et</strong>, cesse d’être du pensab<strong>le</strong> <strong>et</strong> prendva<strong>le</strong>ur de réalité. Comment peut-on questionner ce qui se présente à <strong>la</strong> psychécomme étant <strong>la</strong> réalité? Ainsi en est-il de l’invitation au restaurant pour Simone.Pour être préservée, <strong>la</strong> capacité de penser <strong>le</strong>s pensées demande l’arrimage del’hallucinatoire <strong>et</strong> de l’épreuve de réalité. Or c<strong>et</strong>te cohabitation n’est pas <strong>don</strong>née


41<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absenced’emblée; el<strong>le</strong> est <strong>la</strong> résultante d’un développement comp<strong>le</strong>xe qui comporte untravail de négativation de l’hallucinatoire : c’est l’hallucination négative del’obj<strong>et</strong>. Ainsi qu’il a cours dans <strong>la</strong> réalisation hallucinatoire du désir, l’hallucinatoirefreudien est une hallucination positive de l’obj<strong>et</strong>, soit une perception sansobj<strong>et</strong>; il s’agit de voir un obj<strong>et</strong> qui n’est pas là. A contrario, l’hallucination négativede l’obj<strong>et</strong> devient <strong>la</strong> non-perception d’un obj<strong>et</strong> qui est là. Il s’agit d’uneCAPACITÉ NÉGATIVE, cel<strong>le</strong> pour l’enfant de ne pas percevoir une mère qui estprésente; c<strong>et</strong>te capacité négative est un prélude à <strong>la</strong> capacité de penser <strong>le</strong>s penséesconcernant <strong>la</strong> mère : penser <strong>la</strong> mère plutôt qu’être engouffré dans <strong>le</strong>s penséesattribuées à <strong>la</strong> mère, des pensées qui prennent va<strong>le</strong>ur de réalité. C<strong>et</strong>te capaciténégative qui perm<strong>et</strong> au suj<strong>et</strong> de ne pas percevoir une mère qui est présente, peutêtre considérée comme <strong>le</strong> répondant intrapsychique de ce que Winnicott décrit,dans <strong>le</strong> territoire interpsychique, comme <strong>la</strong> capacité d’être seul en présence del’obj<strong>et</strong>.Pour faire <strong>contre</strong>poids à <strong>la</strong> toute-puissance de <strong>la</strong> réalisation hallucinatoire dudésir, <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> individuel de <strong>la</strong> structure individu/environnement, pour advenircomme psychisme individuel, doit générer une force équiva<strong>le</strong>nte de refus de <strong>la</strong>présence hallucinatoire. C<strong>et</strong>te force de refus perm<strong>et</strong> <strong>la</strong> création d’un vide structurant;ce vide structurant résulte de l’hallucination négative de l’obj<strong>et</strong>. L’émergencede c<strong>et</strong>te <strong>contre</strong>-force nécessite <strong>la</strong> participation de l’obj<strong>et</strong>/environnementqui, en acceptant de s’effacer, est partie prenante du processus. C<strong>et</strong> effacement nedoit pas être un r<strong>et</strong>rait mais plutôt, en terme cinématographique, un fading out.C<strong>et</strong> effacement favorise l’actualisation intrapsychique de l’hallucination négativede l’obj<strong>et</strong> qui rend possib<strong>le</strong>, pour <strong>la</strong> psyché, <strong>la</strong> création d’une illusion nécessaire,cel<strong>le</strong> d’être el<strong>le</strong>-même à <strong>la</strong> source de son fonctionnement. C<strong>et</strong>te illusion rendainsi opérationnel<strong>le</strong> <strong>la</strong> conception freudienne de <strong>la</strong> pulsion.Comme nous l’avons rappelé antérieurement, pour Freud, l’origine interne del’excitation est nécessaire pour déterminer <strong>la</strong> nature pulsionnel<strong>le</strong> de c<strong>et</strong>teexcitation. Pour lui, c<strong>et</strong>te origine interne va de soi; el<strong>le</strong> est <strong>don</strong>née d’emblée. PourWinnicott, ce<strong>la</strong> ne va pas de soi; au point de départ, « l’excitation pulsionnel<strong>le</strong> estaussi externe qu’un grondement de tonnerre, une c<strong>la</strong>que » (Winnicott, 1960b, 117).Un processus de subjectivation de <strong>la</strong> pulsion doit advenir afin que l’excitationpulsionnel<strong>le</strong> soit affectivement vécue comme prenant sa source dans l’individu(Reid, 2002). Au p<strong>la</strong>n interpsychique, <strong>le</strong> processus est tributaire des aléas dudéveloppement de l’affectivité primaire. Au p<strong>la</strong>n intrapsychique, il est tributairedu destin heureux du travail du négatif.Si <strong>la</strong> réponse de l’obj<strong>et</strong>-environnement n’est pas favorab<strong>le</strong> à l’instauration del’hallucination négative de l’obj<strong>et</strong>, l’individu ne peut faire <strong>le</strong> deuil de l’omnipotence.Seul « <strong>le</strong> sacrifice subjectal » ou l’hallucination négative du suj<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>de <strong>contre</strong>r <strong>le</strong>s eff<strong>et</strong>s destructeurs de l’omnipotence, pour <strong>la</strong> psyché. C’est l’instaurationd’une autre modalité de vide; c<strong>et</strong>te fois, il n’est pas structurant maisplutôt défensif, désorganisateur; c’est <strong>la</strong> création d’un vide affectif. « Si je ne peuxêtre affectée que sur <strong>le</strong> mode de <strong>la</strong> toute-puissance, je ne peux me défendre qu’en


42Filigrane, printemps 2004abolissant toute implication affective », semb<strong>le</strong> dire Simone. Quand el<strong>le</strong> estmobilisée au p<strong>la</strong>n pulsionnel, el<strong>le</strong> cesse d’exister affectivement; en même temps,el<strong>le</strong> devient entièrement mue par l’autre. Évitons cependant d’être piégés par <strong>le</strong><strong>la</strong>ngage qui réfère tantôt au suj<strong>et</strong>, tantôt à l’obj<strong>et</strong> alors que nous décrivons unprocessus qui est antérieur à <strong>la</strong> différenciation suj<strong>et</strong>/obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> qui, dans une évolutionheureuse, devrait éventuel<strong>le</strong>ment conduire à c<strong>et</strong>te différenciation. L’échecde ce processus a précisément pour eff<strong>et</strong> d’empêcher toute distinction suj<strong>et</strong>/obj<strong>et</strong>.De fait, l’hallucination négative du suj<strong>et</strong> entraîne ipso facto une non-reconnaissancede type hallucinatoire des caractéristiques propres de l’obj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>tedérive négativiste du travail du négatif, de c<strong>et</strong>te manière, suscitera chacune desmodalités transférentiel<strong>le</strong>s décrites antérieurement. Divers moments de <strong>la</strong> curem<strong>et</strong>tront à l’avant-scène l’une ou l’autre de ces modalités.La mère qui a réussi dans sa fonction de s’effacer comme obj<strong>et</strong>/environnementdevient, nous dit Green (1990), structure encadrante de <strong>la</strong> psyché; el<strong>le</strong> y prendp<strong>la</strong>ce paradoxa<strong>le</strong>ment comme « c<strong>et</strong>te dimension de l’absence si essentiel<strong>le</strong>, aupsychisme, pour sa comp<strong>le</strong>xification <strong>et</strong> son progrès » (Green, 2002, 204). Selon <strong>le</strong>mot de Lao-Tseu (1979, 41), « C’est avec l’argi<strong>le</strong> que l’on fabrique <strong>le</strong>s vases, maisc’est du vide interne que dépend <strong>le</strong>ur usage. » Tel<strong>le</strong> est <strong>la</strong> fonction de ce videstructurant qui, de par une réduction du quantitatif, perm<strong>et</strong> un saut qualitatif; i<strong>la</strong>ssure une présence qualitativement différente de l’obj<strong>et</strong> à l’intérieur du suj<strong>et</strong>.« L’utilisation » (Winnicott, 1971c) de l’interprétation est devenue possib<strong>le</strong>, perm<strong>et</strong>tantalors une dia<strong>le</strong>ctisation du coup<strong>le</strong> suj<strong>et</strong>/fonction de l’analyste. Jean-LucDonn<strong>et</strong> décrit bien <strong>le</strong> phénomène« Ainsi s’il “utilise” l’interprétation, l’analysant investit c<strong>et</strong>tecapacité de désimplication subjective <strong>et</strong> de réimplication de <strong>la</strong>fonction; el<strong>le</strong> devient <strong>don</strong> d’absence* <strong>et</strong>, à ce titre, ressourcefondamenta<strong>le</strong> du site. » (Donn<strong>et</strong>, 1995, 44)À l’inverse, <strong>la</strong> non utilisation de l’interprétation empêche <strong>le</strong> dé<strong>le</strong>stage d’un trop,d’une surcharge économique, du côté de l’analyste comme suj<strong>et</strong>; c<strong>et</strong>te surcharge <strong>le</strong>fragilise dans l’exercice de <strong>la</strong> fonction analytique.<strong>Le</strong>s pièges <strong>contre</strong>-transférentielsCe statut de l’ordre de <strong>la</strong> fonction de l’analyste est mis en danger quand n’a pluscours l’oscil<strong>la</strong>tion implication/désimplication inhérente au travail interprétatif.Dans ce contexte, <strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> devient l’enjeu fondamental de <strong>la</strong> cure. Eneff<strong>et</strong>, <strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> subjectif risque d’être occulté; <strong>le</strong> « sacrifice subjectal »(Green, 1990, 365) pourra maintenant concerner l’analyste qui tente de faire porter<strong>le</strong> poids de l’impasse transféro-<strong>contre</strong>transférentiel<strong>le</strong> au <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong> objectif,celui qui relève de l’analysant.* Mots soulignés par l’auteur du présent texte.


43<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absenceDans c<strong>et</strong>te situation diffici<strong>le</strong>, l’analyste s’avance, en quelque sorte, sur un fil<strong>et</strong> s’avère en danger de bascu<strong>le</strong>r d’un côté ou de l’autre. Ce sera tantôt du côté de<strong>la</strong> tentation pédagogique; faisant alors appel à l’intel<strong>le</strong>ct de l’analysant, il s’emploieraà lui enseigner sa problématique conflictuel<strong>le</strong> ou son métier d’analysant,voire même il lui proposera une attitude à prendre face à ses difficultés. Horsd’une utilisation très ponctuel<strong>le</strong>, c<strong>et</strong>te démarche éducative m<strong>et</strong> généra<strong>le</strong>ment uncran d’arrêt au potentiel symbolisant de <strong>la</strong> situation analytique.L’analyste pourra tantôt être tenté de bascu<strong>le</strong>r du côté d’une interprétationprématurée du <strong>transfert</strong>, qu’il s’agisse du <strong>transfert</strong> proprement dit ou du <strong>transfert</strong><strong>la</strong>téral; il tentera de lier <strong>le</strong> vécu transférentiel au passé de l’analysant avant que cedernier ne se soit approprié ce vécu transférentiel, alors même qu’il en faitl’expérience dans un mouvement de désappartenance psychique. <strong>Le</strong> vécu transférentieln’est pas é<strong>la</strong>boré; il constitue une simp<strong>le</strong> évacuation de <strong>la</strong> charge pulsionnel<strong>le</strong>.L’analyste est alors entraîné dans un fonctionnement psychique en miroir :sous couvert d’interprétation, par c<strong>et</strong>te rétorsion interprétative, il essaie d’évacuer<strong>la</strong> surcharge affective <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>. Nous sommes ici confrontés aucaractère contagieux du trauma psychique <strong>et</strong> bien malin sans doute qui pourraprétendre en être à l’abri. « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés »,nous dit <strong>le</strong> fabuliste.<strong>Le</strong> passé comme obj<strong>et</strong> analytiqueCe dernier piège <strong>contre</strong>-transférentiel, l’interprétation prématurée du <strong>transfert</strong>,nous amène à sou<strong>le</strong>ver une question qui nous semb<strong>le</strong> pertinente pour l’é<strong>la</strong>rgissementde <strong>la</strong> pratique analytique au-delà du champ de <strong>la</strong> névrose; c’est <strong>la</strong>question du passé comme obj<strong>et</strong> analytique, une question que <strong>la</strong> découverte de <strong>la</strong>transitionnalité a profondément renouvelée. Avons-nous cependant tiré toutes <strong>le</strong>sconséquences de c<strong>et</strong>te découverte au p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> méthode analytique? Il vaut <strong>la</strong>peine de citer ici un peu longuement Winnicott« En psychanalyse, comme nous <strong>le</strong> savons, il n’existe pas d<strong>et</strong>raumatisme qui soit extérieur à <strong>la</strong> zone de toute-puissance del’individu [...] <strong>Le</strong> psychanalyste n’est d’aucune aide s’il dit à sama<strong>la</strong>de : “Votre mère n’était pas assez bonne [...] votre père vous aséduite [...] votre tante vous a <strong>la</strong>issé tomber.” En analyse, <strong>le</strong>smodifications se produisent lorsque <strong>le</strong>s facteurs traumatiquespénètrent dans <strong>le</strong> matériel analytique selon <strong>le</strong>s modalités propresau patient <strong>et</strong> dans <strong>le</strong> champ de sa toute-puissance*. » (Winnicott,1960c, 237)C<strong>et</strong>te théorie du trauma renoue ainsi avec <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> hallucinatoire que Freudintroduit en 1897; en même temps <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> est revisité. N’a-t-on pas dit que* Mots soulignés par l’auteur du présent texte.


44Filigrane, printemps 2004l’aban<strong>don</strong> de <strong>la</strong> théorie traumatique de <strong>la</strong> séduction a eu un eff<strong>et</strong> traumatique sur<strong>la</strong> théorie? Là où Freud, pour découvrir <strong>la</strong> psychanalyse, a senti <strong>le</strong> besoin desacrifier, au p<strong>la</strong>n théorique, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de l’obj<strong>et</strong>/environnement, Winnicott cherche àfaire tenir ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s deux fils de l’intra <strong>et</strong> de l’interpsychique.De plus, Winnicott souligne que c<strong>et</strong>te révision du modè<strong>le</strong> hallucinatoire n’estpas sans conséquence au p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> méthode thérapeutique, en particulier au p<strong>la</strong>ndu travail interprétatif.« Pour en revenir à <strong>la</strong> psychanalyse, j’ai dit que l’analyste est prêtà attendre longtemps que <strong>le</strong> patient soit capab<strong>le</strong> de présenter <strong>le</strong>sfacteurs de l’environnement dans des termes qui perm<strong>et</strong>tent de <strong>le</strong>sinterpréter comme des projections [...] avec <strong>le</strong> temps, <strong>le</strong> patientdevient capab<strong>le</strong> d’utiliser <strong>le</strong>s interprétations psychanalytiques destraumatismes primitifs comme des projections. » (Winnicott,1960c, 238)Évitons ici un ma<strong>le</strong>ntendu. <strong>Le</strong> concept de projection n’a pas chez Winnicott <strong>le</strong>sens qu’il a couramment chez Freud, celui d’une modalité défensive, <strong>le</strong> plussouvent pathologique. Pour Winnicott, <strong>la</strong> projection a une nature <strong>et</strong> une fonctiondifférentes. Si pour Freud <strong>la</strong> projection relève d’un mouvement de désubjectivation,de désappartenance psychique, pour Winnicott el<strong>le</strong> réfère au contrairedans « l’expérience de l’omnipotence », à un mouvement où <strong>le</strong> territoire du mois’é<strong>la</strong>rgit <strong>et</strong> parvient à englober <strong>la</strong> réalité extérieure; <strong>la</strong> projection a une visée desubjectivation, d’appropriation subjective de <strong>la</strong> réalité extérieure. El<strong>le</strong> devient <strong>le</strong>véhicu<strong>le</strong> du processus de médiatisation qui conduira à <strong>la</strong> transitionnalité.C<strong>et</strong>te différence de nature entraîne une différence de fonction. Pour Winnicott,<strong>la</strong> projection a fondamenta<strong>le</strong>ment une fonction structurante. El<strong>le</strong> est un passageobligé dans l’arrimage psyché/environnement qui est une composante essentiel<strong>le</strong>de <strong>la</strong> structuration de <strong>la</strong> psyché« Tout ce qui est bon <strong>et</strong> tout ce qui est mauvais n’est pas en soi uneprojection. Paradoxa<strong>le</strong>ment, il est indispensab<strong>le</strong> au développementnormal de l’enfant que tout lui apparaisse comme une projection*.Nous r<strong>et</strong>rouvons ici l’omnipotence <strong>et</strong> <strong>le</strong> principe de p<strong>la</strong>isir en actiontels qu’ils sont sans doute dans <strong>la</strong> p<strong>et</strong>ite enfance. » (Winnicott,1960c, 239)De c<strong>et</strong>te manière, Winnicott m<strong>et</strong> l’accent non pas sur <strong>le</strong> contenu x ou y del’activité menta<strong>le</strong>, mais sur l’activité menta<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même, sa nature ou sa modalité.<strong>Le</strong> rapport psyché/environnement devient traumatique s’il ne facilite pas <strong>la</strong>projection de <strong>la</strong> toute-puissance dans <strong>la</strong> réalité extérieure. Seu<strong>le</strong> c<strong>et</strong>te projection,* Mots soulignés par l’auteur du présent texte.


45<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absencesi <strong>la</strong> réalité se prête à sa réussite, peut subséquemment ouvrir <strong>la</strong> voie à c<strong>et</strong>temédiatisation de <strong>la</strong> toute-puissance que représente <strong>la</strong> transitionnalité.« La perte de l’omnipotence représente un choc immense pour <strong>la</strong> psyché », nousdit Winnicott (Winnicott, 1971d, 99). Grâce à c<strong>et</strong>te médiatisation, un processustoujours à refaire, l’appareil psychique peut éventuel<strong>le</strong>ment absorber ce « chocimmense ». Il pourra différencier dans son fonctionnement un système inconscientoù a cours l’omnipotence <strong>et</strong> un système préconscient où el<strong>le</strong> cesse d’avoir cours <strong>et</strong>ce en autant que c<strong>et</strong> appareil a accès à un territoire tiers où simultanément <strong>la</strong>psyché est <strong>et</strong> n’est pas omnipotente. Au p<strong>la</strong>n du jugement, nous quittons <strong>le</strong>s catégoriesdu vrai <strong>et</strong> du faux pour cel<strong>le</strong> du possib<strong>le</strong>. De c<strong>et</strong>te façon, <strong>la</strong> transitionnalitéperm<strong>et</strong> l’accès au statut de suj<strong>et</strong>.À l’inverse, l’échec du processus de médiatisation entrave <strong>la</strong> subjectivation oul’appropriation subjective de <strong>la</strong> conflictualité interne. Comme modalité de fonctionnement,l’appareil psychique ne peut avoir recours qu’à l’évacuation horspsyché de <strong>la</strong> source de c<strong>et</strong>te conflictualité. Selon Bion, <strong>la</strong> psyché possède fondamenta<strong>le</strong>mentdeux modalités de réponse à <strong>la</strong> frustration soit l’é<strong>la</strong>boration, quidemande de maintenir <strong>la</strong> source de <strong>la</strong> frustration dans l’intra-psychique, ou encorel’évacuation où c<strong>et</strong>te source est reportée dans <strong>la</strong> réalité extérieure.Dans un contexte transférentiel où l’analysant privilégie <strong>la</strong> seconde modalité,il est un enjeu prioritaire, celui de favoriser <strong>le</strong> développement de <strong>la</strong> capacitéd’é<strong>la</strong>boration psychique. Un long travail d’é<strong>la</strong>boration du <strong>transfert</strong> devra précéderl’interprétation transférentiel<strong>le</strong> proprement dite, c’est-à-dire l’établissement d’unlien entre <strong>le</strong> vécu dans <strong>le</strong> hic <strong>et</strong> nunc <strong>et</strong> l’expérience infanti<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> recours prématuréau passé, dans ce contexte, ne fait que dép<strong>la</strong>cer du présent au passé une sourcedemeurée extériorisée de <strong>la</strong> conflictualité interne.L’é<strong>la</strong>boration <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong>Dans <strong>le</strong> présent contexte, l’é<strong>la</strong>boration <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> devra précéderl’é<strong>la</strong>boration transférentiel<strong>le</strong>. C<strong>et</strong>te contrainte à l’é<strong>la</strong>boration, côté fauteuil,implique, selon Donn<strong>et</strong> (1995), une imprégnation-transformation de l’analyste. Làcomme ail<strong>le</strong>urs <strong>et</strong> peut-être là plus qu’ail<strong>le</strong>urs, il est uti<strong>le</strong> de se rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong>changement passe d’abord par l’acceptation du non-changement. C<strong>et</strong>te acceptationdu non-changement est un préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong> à l’é<strong>la</strong>boration de <strong>la</strong> position traumatiquede l’analyste. En même temps, c<strong>et</strong>te é<strong>la</strong>boration est seu<strong>le</strong> garante d’uneremise au travail, en sous-main, de <strong>la</strong> doub<strong>le</strong> paradoxalité à l’œuvre dans c<strong>et</strong>tenouvel<strong>le</strong> structure individu/environnement que constitue désormais <strong>la</strong> situationanalytique.L é<strong>la</strong>boration <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> n’est certes pas sans eff<strong>et</strong> sur <strong>la</strong> sémantiqueou <strong>le</strong> contenu des interventions de l’analyste; cependant sa visée principa<strong>le</strong>est de modifier ce que l’on peut désigner comme <strong>la</strong> pragmatique de l’intervention,c’est-à-dire son rythme, sa formu<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> tout particulièrement sa tonalité affective.Car l’évolution heureuse de <strong>la</strong> doub<strong>le</strong> paradoxalité semb<strong>le</strong> fonction de ce quise passe dans l’expérience de l’analyse davantage que de ce que l’on comprend


46Filigrane, printemps 2004dans c<strong>et</strong>te expérience. Dans <strong>le</strong>s situations favorab<strong>le</strong>s, avec l’apparition d’une activitéde liaison chez l’analysant, <strong>le</strong> jeu transféro-<strong>contre</strong>-transférentiel recè<strong>le</strong> unenouvel<strong>le</strong> actualisation des conditions de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong>.Au terme de ce parcours, nous espérons avoir mis en lumière <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur heuristiqued’une synergie entre <strong>le</strong> concept de résonance <strong>contre</strong>-transférentiel<strong>le</strong> de Pau<strong>la</strong>Heimann, <strong>la</strong> théorie économico-re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong> de <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> de Winnicott <strong>et</strong><strong>le</strong> prolongement de c<strong>et</strong>te théorie dans <strong>la</strong> réf<strong>le</strong>xion d’André Green sur <strong>le</strong> travail dunégatif. A-t-on suffisamment pris <strong>la</strong> mesure des ouvertures pour <strong>la</strong> méthodeanalytique que représentent ces percées théoriques majeures de <strong>la</strong> psychanalysepost-freudienne? À c<strong>et</strong>te question, chaque cure apporte sans doute une réponse àsa manière.wilfrid reid5757, decel<strong>le</strong>s, bureau 214montréal, québec, h2s 2c3RéférencesDonn<strong>et</strong>, J.-L., 1995, <strong>Le</strong> divan bien tempéré, Paris, PUF, <strong>Le</strong> fil rouge.Freud, S., 1887-1902, La naissance de <strong>la</strong> psychanalyse. <strong>Le</strong>ttres à W. Fliess, trad. A. Berman. Paris,PUF, 1956.Freud, S., 1905, Trois essais sur <strong>la</strong> théorie sexuel<strong>le</strong>, trad. Ph. Koeppel, Paris. Gallimard. 1987.Gitelson, M., 1952, The emotional position of the analyst in the psycho-analytic situation, InternationalJournal of Psychoanalysis, vol. 33, 1-10.Green, A., 1990, La folie privée, psychanalyse des cas limites, Paris, Gallimard.Green, A., 1993, <strong>Le</strong> travail du négatif, Paris, Minuit.Green, A., 2002, Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, PUF.Heimann. P., 1950, On counter-transference, International Journal of Psychoanalysis, vol. 31, 81-84.Lao-Tseu, 1979. La voie <strong>et</strong> sa vertu, Tao Tê King, Paris, Seuil, coll. « Points ».Montaigne, M. 1588, Essais, édition présentée, établie <strong>et</strong> annotée par Pierre Michel, <strong>Le</strong> livre de poche,Tome III, chapitre XIII, 1972, 351-416.Pontalis, J.B., 1975, Naissance <strong>et</strong> reconnaissance du soi, in Entre <strong>le</strong> rêve <strong>et</strong> <strong>la</strong> dou<strong>le</strong>ur. Paris, Gallimard,coll. « Tel ». 1977, 159-189.Reich, A., 1951, On counter-transference. International Journal of Psychoanalysis, vol. 32, 25-31.Reid, W., 2002, Freud, Winnicott : <strong>le</strong>s pulsions de destruction ou <strong>le</strong> goût des passerel<strong>le</strong>s, Revuefrançaise psychanalyse, Tome 2, vol. XVII, 1157-1166.Ribas, D., 2000, Donald Woods Winnicott, Psychanalystes d’aujourd’hui, 52, PUF, Paris.Winnicott, D.-W., 1940, <strong>Le</strong>ttre à Kate Fried<strong>la</strong>nder, in <strong>Le</strong>ttres vives, trad. par Michel Gribinski, Paris,Gallimard, 1989 34-36.


47<strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, <strong>la</strong> <strong>symbolisation</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>don</strong> d’absenceWinnicott, D.-W., 1947, La haine dans <strong>le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, in De <strong>la</strong> pédiatrie à <strong>la</strong> psychanalyse, trad.par J. Kalmanovitch, Paris, PBP, 1969, 48-58.Winnicott, D.-W., 1960a, <strong>Le</strong> <strong>contre</strong>-<strong>transfert</strong>, in De <strong>la</strong> pédiatrie à <strong>la</strong> psychanalyse, trad. parJ. Kalmanovitch, Paris, PBP, 1969, 229-236.Winnicott, D.-W., 1960b, Distorsion du Moi en fonction du vrai <strong>et</strong> du faux « self », in Processus dematuration chez l’enfant, développement affectif <strong>et</strong> environnement, traduit par J. Kalmanovitch,Paris, PBP, 1983, 117.Winnicott. D.-W., 1960c, La théorie de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion parent-nourrisson, in De <strong>la</strong> pédiatrie à <strong>la</strong>psychanalyse, trad. par J. Kalmanovitch, Paris, PBP, 1969, 237-256.Winnicott, D.-W., 1971a, Jouer, proposition théorique, in Jeu <strong>et</strong> Réalité, l’espace potentiel, trad. parC<strong>la</strong>ude Monod <strong>et</strong> J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1975, 55-74.Winnicott, D.-W., 1971b, L’utilisation de l’obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> mode de re<strong>la</strong>tion à l’obj<strong>et</strong> au travers desidentifications, in Jeu <strong>et</strong> Réalité, l’espace potentiel, trad. par C<strong>la</strong>ude Monod <strong>et</strong> J.-B. Pontalis,Paris, Gallimard. 1975, 120-131.Winnicott, D.-W., 1971c, Obj<strong>et</strong>s transitionnels <strong>et</strong> phénomènes transitionnels, in Jeu <strong>et</strong> Réalité,l’espace potentiel, trad. par C<strong>la</strong>ude Monod <strong>et</strong> J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1975, 7-39.Winnicott, D.-W., 1971d, La créativité <strong>et</strong> ses origines, in Jeu <strong>et</strong> Réalité, l’espace potentiel, trad. parC<strong>la</strong>ude Monod <strong>et</strong> J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1975, 91-119.

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