L'ELIXIR D'AMOUR - Opéra de Rouen Haute Normandie
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L’Elixir d’amourLes personnagesAdina : belle et riche propriétaire terrienne (soprano), Nemorino : jeune paysan, amoureux d’Adina(ténor), Belcore, sergent <strong>de</strong> la garnison du village (baryton), Dottore Dulcamara : mé<strong>de</strong>cincharlatan ambulant (basse), Giannetta, jeune paysanne (mezzo-soprano), les villageois, soldatset musiciens du régiment, un notaire, <strong>de</strong>ux serveurs et un Maure (le chœur)L’argumentActe ILors <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong>s récoltes, le jeune Nemorino livre son amour pour la belleAdina, qui se moque <strong>de</strong> ses sentiments. La jeune femme lit aux villageois l’histoire <strong>de</strong> Tristanet Iseult. Elle se moque <strong>de</strong> ce philtre d’amour qui permit à Tristan <strong>de</strong> conquérir Iseult tandisque Nemorino ne rêve que d’une chose : acquérir un tel breuvage. Arrive alors en ville lesergent Belcore et ses soldats. Le jeune homme, sûr <strong>de</strong> lui, fait la cour à Adina qui ne dit pasnon. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage. Le pauvre Nemorino tente discrètement d’exprimer sessentiments mais Adina n’y prête pas attention. Le mé<strong>de</strong>cin et charlatan Dulcamara entrealors en scène. Il propose <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s en tout genres. Nemorino lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors unphiltre d’amour. Dulcamara lui vend aussitôt une bouteille magique qui ne contient enréalité que du vin <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. Le jeune homme boit d’une traite cet élixir qui n’agira quedans 24 heures (laissant ainsi le temps au mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> déguerpir). Mais l’alcool fait son effet :Nemorino, éméché et sûr <strong>de</strong> lui, ignore Adina, convaincu qu’elle lui tombera dans les brasd’ici quelques heures. Adina, vexée par ce comportement, se venge en acceptant la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>du soldat Belcore. Le mariage aura lieu dans 8 jours. Mais une nouvelle arrive au mêmemoment : le départ <strong>de</strong>s troupes doit se faire immédiatement. Le mariage est donc avancé.Nemorino supplie Adina d’attendre le len<strong>de</strong>main.Acte IILe village se prépare pour les noces. Adina repousse la signature du mariage afin <strong>de</strong> profiter<strong>de</strong> sa vengeance. Nemorino est désespéré : le philtre ne donne pas le résultat souhaité. Il<strong>de</strong>man<strong>de</strong> une secon<strong>de</strong> bouteille à Dulcamara mais manquant d’argent, il s’enrôle dans latroupe <strong>de</strong> Belcore en échange <strong>de</strong> 20 écus. Pendant ce temps, au village, une rumeur court : levieil oncle <strong>de</strong> Nemorino vient <strong>de</strong> mourir, lui léguant toute sa fortune. Nemorino, ignorant cedétail, se retrouve entouré <strong>de</strong> jeunes filles attirées par l’appât du gain. Le jeune homme pensequ’il s’agit <strong>de</strong> l’effet du philtre. Adina regar<strong>de</strong> la scène, déconcertée. Le docteur lui racontealors l’histoire du philtre et l’enrôlement <strong>de</strong> Nemorino. Flattée par cet amour sincère, ellerachète l’engagement <strong>de</strong> Nemorino. Au moment du départ, il voit dans les yeux <strong>de</strong> la jeunefemme une larme furtive et comprend qu’elle l’aime. Elle lui apprend qu’il ne part plus etelle lui avoue son amour. Belcore se fait une raison et se console rapi<strong>de</strong>ment auprès d’autres
femmes. Le docteur Dulcamara peut se réjouir : son philtre a réunit les <strong>de</strong>ux amants, luifaisant une publicité incroyable au point qu’il vend tout son stock !Une histoire douce-amèreL’Elisir d’amore a été crée au Teatro <strong>de</strong>lla Canobbiano à Milan le 12 mai 1832. AlessandroLanari passe comman<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong> Donizetti. Le librettiste Felice Romani s’inspire largementd’une pièce d’Eugène Scribe Le Philtre (1831). L’œuvre est composée en six semaines (lalégen<strong>de</strong> parle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux !). Cet opéra comique, ou melodramma giocoso rencontre un vifsuccès. Lors <strong>de</strong> sa création, il fut écrit dans « La Gazetta di Milano » :Le style en est brillant, le passage du bouffe au sérieux est effectué avec <strong>de</strong>sgradations surprenantes et les émotions sont traitées avec une véritablepassion musicale… L’orchestration y est toujours brillante et appropriée auxsituations. Elle relève la main d’un maître et accompagne une ligne vocaletantôt brillante, tantôt vivante, tantôt colorée. Airs, duos, trios, morceauxd’ensemble, tant au premier qu’au second acte, tout est beau, très beau et futtrès applaudi. Dire quel morceau est le plus beau serait une tâche biendifficile.Donizetti, avec Bellini et Rossini, est un représentant <strong>de</strong> l’art du bel canto (« beau chant »).Ce style apparaît au XVII e siècle et met en avant un chant somptueux et imaginatif. Il est basésur l’ornementation improvisée dans la musique baroque où les castrats étaient nombreux.Avec le bel canto, la technique vocale se développe et s’approfondit, mettant en avant leschanteurs avec <strong>de</strong>s airs virtuoses. En Italie, où l’opéra romantique connaît un grand succès,l’art du bel canto prend ses racines dans l’opéra buffa et l’opéra seria. Apparaît lemelodramma qui signifie « opéra » (ne pas confondre avec son faux-ami français« mélodrame »). Les récitatifs y sont accompagnés, les ensembles ont la même importanceque les airs. Dès la fin du XVIII e , on ajoute le terme « giocoso » (« joyeux ») pour désigner <strong>de</strong>sopéras semi-seria mêlant <strong>de</strong>s airs gais et tristes. Ce genre est composé d’une intriguesentimentale ou pathétique avec une fin joyeuse. Il est issu <strong>de</strong> la tradition <strong>de</strong> l’opéranapolitain qui se développa avec Goldoni à Venise. Ce terme sera utilisé jusqu’au milieu duXIX e siècle par Verdi qui qualifie ainsi ses œuvres. Après la mort <strong>de</strong> Donizetti, le bel cantolaisse place au vérisme avec Verdi qui fait évoluer l’opéra vers une forme toujours plusflui<strong>de</strong> et où les sentiments prennent le pas sur la virtuosité.L’Elixir d’amour est bien plus qu’une simple comédie ou une simple histoire d’amour. Lamusique <strong>de</strong> Donizetti apporte <strong>de</strong> nombreuses nuances et une épaisseur aux personnages. Ilsne sont pas lisses et contiennent en eux les ambiguïtés du caractère humain. Le génie <strong>de</strong>Donizetti se trouve bien là, faisant <strong>de</strong> cet opéra un chef-d’œuvre.Nemorino : signifie « le petit rien ». Il n’est pas un simple amoureux naïf et maladroit, il estaussi attendrissant et attire la compassion. Il éprouve un amour sincère pour la belle Adinaet croit en l’existence d’un philtre d’amour. Cette naïveté le rend attachant pour le spectateur
qui l’accompagne dans cette aventure. Nemorino apprend à assumer ses sentiments : rien <strong>de</strong>magique ne pourra remplacer une parole sincère. Le fameux air Una furtiva lagrima estincontournable et n’était pas prévu dans le texte <strong>de</strong> Scribe. Il rend honneur au personnageainsi qu’au chanteur. A partir <strong>de</strong> cet instant, le personne change, acquiert une maturité, unesolidité. Ce passage intervient dans la continuité <strong>de</strong> l’histoire, sans rupture. Il est introduitpar une combinaison peu habituelle <strong>de</strong> harpe, basson et <strong>de</strong> pizzicati.Adina : femme capricieuse et coquette chez Scribe, elle prend ici une dimension sensible. Ellese laisse séduire par Belcore et ses compliments mais comprend l’amour profond que luiporte Nemorino : il est prêt à perdre sa liberté et à mourir pour elle. Elle rachète alors sonenrôlement et chante son air Prendi, per me sei libero (Prends, grâce à moi tu es libre). Elleaussi évolue et acquiert une maturité.Dulcamara : signifie « doux-amer ». Personnage indispensable à une bonne commedia<strong>de</strong>ll’arte. Ce voyageur n’a pas d’attache, il est solitaire. Il crée l’admiration et l’étonnement<strong>de</strong>s villageois qui écoutent les mots <strong>de</strong> ce bon orateur. Il apparaît finalement comme celui quia permis aux jeunes amants <strong>de</strong> se trouver, passant d’un statut <strong>de</strong> charlatan à celui <strong>de</strong>bienfaiteur.©Frédéric Iovino
La composition <strong>de</strong> l’orchestreVous pourrez découvrir dans la fosse d’orchestre les musiciens <strong>de</strong> l’Orchestre <strong>de</strong> l’Opéra <strong>de</strong><strong>Rouen</strong> <strong>Haute</strong>-<strong>Normandie</strong> dans la composition suivante :9 violons 1, 7 violons 2, 5 altos, 4 violoncelles, 3 contrebasses, 2 flûtes dont un piccolo, 2hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, Timbales et percussions,1 harpe, 1 pianoforte.©Frédéric Iovino – RépétitionLa mise en scène <strong>de</strong> Richard BrunelVous avez peut-être pu découvrir Richard Brunel lors <strong>de</strong>s saisons passées avec sa mise enespace <strong>de</strong> Lakmé, sa mise en scène d’In the Penal colony <strong>de</strong> Phil Glass ou celle d’Albert Herring<strong>de</strong> Benjamin Britten. Il signe ici une mise en scène dynamique et profon<strong>de</strong> où cette histoiredouce-amère prend tout son sens.L’Elixir d’amour ou l’expérience <strong>de</strong> transformationPour Richard Brunel, il est évi<strong>de</strong>nt que L’Elixir d’amour est bien plus qu’une simple romanceou une version <strong>de</strong> Cendrillon inversée. Ce que contient cette histoire, c’est avant tout unvoyage dans les méandres <strong>de</strong>s sentiments, un parcours dans l’âme humaine. Nous avons iciun quatuor, un quadrille marivaudien : Adina rejette la stabilité, et l’engagement, elle semoque du mythe <strong>de</strong> l’amour absolu que représentent Tristan et Iseult. Or, Nemorino ou
Belcore ne lui proposent qu’une seule chose : le mariage. Elle le refuse à l’un et retar<strong>de</strong> lasignature avec le second. La situation est bloquée et la solution ne peut venir que d’unélément extérieur soit l’élixir qui pousse Nemorino à feindre l’indifférence soit le nouvelattrait qu’il représente avec la mort <strong>de</strong> son oncle. Ces <strong>de</strong>ux éléments sont <strong>de</strong>s blessures pourl’amour propre d’Adina. Deux valeurs s’opposent : un amour basé sur la liberté <strong>de</strong>spartenaires, un libertinage assumé et une croyance en l’amour romantique basé sur la fidélitéet la constance. Pour jouer ce théâtre <strong>de</strong>s sentiments, il faut <strong>de</strong>s observateurs. Le chœur, biensûr mais aussi Giannetta et Belcore. Adina et Nemorino se mettent en scène, allant au bout<strong>de</strong> l’expérience du mensonge. Le risque est gros : partir à la guerre et risquer la mort pourNemorino et épouser un homme qu’elle n’aime pas pour Adina. On triche, on ment, on faitsouffrir. On passe <strong>de</strong> Marivaux à Sa<strong>de</strong>.Dulcamara est lui aussi un observateur qui, peu à peu, va s’impliquer dans cette histoire.Richard Brunel a voulu en faire un personnage plus complexe qu’un simple bateleur. Ilcommence d’ailleurs sa mise en scène par l’arrivée du mé<strong>de</strong>cin, avant même toute musique.Cet homme solitaire, désabusé, mélancolique, peut-être une ancienne célébrité, passe <strong>de</strong> villeen ville. Pour sauver son activité, il répond à toute <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et donne du vin à la place d’unélixir magique. Peu à peu, il se prend au jeu, reprend goût à la vie, <strong>de</strong>venant un observateuractif et psychologue. Il est troublé par Adina. Richard Brunel en fait un personnageprofondément humain. Lui aussi, comme tous les personnages, vit l’expérience <strong>de</strong> latransformation. Car là est l’essence même <strong>de</strong> L’Elixir d’amour: une histoire sur l’i<strong>de</strong>ntité et larecherche <strong>de</strong> la vérité. L’expérience <strong>de</strong>s sentiments y est nécessaire bien que dangereuse.Pour Richard Brunel, la musique ment aussi. Elle tente <strong>de</strong> faire croire que tout va bien alorsque tout va mal. Avec <strong>de</strong>s aspects joyeux et emprunt <strong>de</strong> légèreté, elle contraste avec lasituation dramatique. La musique dévoile sa vraie tonalité et la mélancolie <strong>de</strong> l’œuvre avecUna furtiva lagrima. A partir <strong>de</strong> ce moment, plus personne ne triche.Le geste du metteur en scènePour Richard Brunel, cet opéra est constitué <strong>de</strong> nombreuses conventions, propices à <strong>de</strong>nombreux clichés <strong>de</strong> mise en scène. Or, ce metteur en scène est plutôt à la recherche d’unthéâtre <strong>de</strong> vérité et d’humanité. Il a donc recherché la théâtralité dans l’œuvre. Pour cela, il aeu trois gestes :- Affirmer ce qui existe en jachère- Déplacer la convention- Sublimer la musique par les <strong>de</strong>ux opérations précé<strong>de</strong>ntes.Ainsi, lors <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong>s soldats, c’est la musique militaire qui les amenait sur scène,empêchant tout effet <strong>de</strong> surprise et immobilisant l’action. Richard Brunel a inversé latendance en veillant à ce que ce soit l’action qui amène la musique et l’état <strong>de</strong>s personnages.Il est important que lorsque la pièce commence, on se dise que cela avait déjà commencé etque lorsque la pièce se termine, que cela va se poursuivre bien au-<strong>de</strong>là. La musique se glissealors dans le mouvement du théâtre.
©Frédéric Iovino - RépétitionLa scénographieLa didascalie situe l’action dans un petit village italien du XIX e siècle. Comment représenterla campagne sur scène ? Et quelle campagne représenter aujourd’hui en 2011 ?Représenter la nature ou la campagne sur scène peut vite s’avérer être un échecscénographique. Richard Brunel a donc voulu montrer une image <strong>de</strong> la campagne, unephotographie idéalisée, loin <strong>de</strong> la réalité. Un grand panneau représentant un paysage orne lefond <strong>de</strong> scène. Des meules <strong>de</strong> foin jonchent le sol et côtoient <strong>de</strong>s bureaux ou <strong>de</strong>s chaisesindustriels. Adina apparaît ici plus comme une chef d’entreprise. Les costumes sont coloréeset contemporains. Par ces mélanges, Richard Brunel crée une campagne aseptisée,industrialisée et abandonnée. Il s’est inspiré <strong>de</strong> ses souvenirs d’enfance, <strong>de</strong> ces fêtes <strong>de</strong>village où tout le mon<strong>de</strong> était réunit et où après avoir un peu bu, on racontait ses histoires,ses déchirures.Pour aller plus loin…DONIZETTI / ROMANI, L’Elixir d’amour, L’Avant-scène Opéra, n°95, Editions PremièresLoges, ParisTHANH Philippe, Donizetti, actes Sud/Classica, 2005KAMINSKI Piotr, Mille et un opéras, Fayard, 2003PERROUX Alain, L’Opéra mo<strong>de</strong> d’emploi, l’avant scène opéra, 2000