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Quel est l'objet de l'art ? - Art Absolument

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| forum | à propos <strong>de</strong> | rencontre | note d’atelier | <strong>est</strong>hétique | photographie | point <strong>de</strong> vue | poésie | ailleurs | domaine public |<strong>de</strong> nous, tout un mon<strong>de</strong> confus <strong>de</strong> choses vaguesqui auraient voulu être, et qui, par bonheur pournous, n'ont pas été. Il semble aussi qu'un appel aitété lancé on nous à <strong>de</strong>s souvenirs ataviques infinimentanciens, si profonds, si étrangers à notre vieactuelle, que cette vie nous apparaît pendantquelques instants comme quelque chose d'irréelou <strong>de</strong> convenu, dont il va falloir faire un nouvelapprentissage. C'<strong>est</strong> donc bien une réalité plus profon<strong>de</strong>que le drame <strong>est</strong> allé chercher au-<strong>de</strong>ssousd'acquisitions plus utiles, et cet art a le même objetque les autres.Il suit <strong>de</strong> là que <strong>l'art</strong> vise toujours l'individuel.Ce que le peintre fixe sur la toile, c'<strong>est</strong> ce qu'il a vuen un certain lieu, certain jour, à certaine heure,avec <strong>de</strong>s couleurs qu'on ne reverra pas. Ce que lepoète chante, c'<strong>est</strong> un état d'âme qui fut le sien, etle sien seulement, et qui ne sera jamais plus. Ceque le dramaturge nous met sous les yeux, c'<strong>est</strong> ledéroulement d'une âme, c'<strong>est</strong> une trame vivante<strong>de</strong> sentiments et d'événements, quelque choseenfin qui s'<strong>est</strong> présenté une fois pour ne plus sereproduire jamais. Nous aurons beau donner à cessentiments <strong>de</strong>s noms généraux ; dans une autreâme ils ne seront plus la même chose. Ils sontindividualisés. Par là surtout ils appartiennent à<strong>l'art</strong>, car les généralités, les symboles, les typesmême, si vous voulez, sont la monnaie courante <strong>de</strong>notre perception journalière. D'où vient donc lemalentendu sur ce point ?La raison en <strong>est</strong> qu'on a confondu <strong>de</strong>ux chos<strong>est</strong>rès différentes : la généralité <strong>de</strong>s objets et celle<strong>de</strong>s jugements que nous portons sur eux. De cequ'un sentiment <strong>est</strong> reconnu généralement pourvrai, il ne suit pas que ce soit un sentiment général.Rien <strong>de</strong> plus singulier que le personnage <strong>de</strong>Hamlet. S'il ressemble par certains côtés àd'autres hommes, ce n'<strong>est</strong> pas par là qu'il nousintéresse le plus. Mais il <strong>est</strong> universellementaccepté, universellement tenu pour vivant. C'<strong>est</strong> ence sens seulement qu'il <strong>est</strong> d'une vérité universelle.De même pour les autres produits <strong>de</strong> <strong>l'art</strong>.Chacun d'eux <strong>est</strong> singulier, mais il finira, s'il portela marque du génie, par être accepté <strong>de</strong> tout lemon<strong>de</strong>. Pourquoi l'accepte-t-on ? Et s'il <strong>est</strong> uniqueen son genre, à quel signe reconnaît-on qu'il <strong>est</strong>vrai ? Nous le reconnaissons, je crois, à l'effortmême qu'il nous amène à faire sur nous pour voirsincèrement à notre tour. La sincérité <strong>est</strong> communicative.Ce que <strong>l'art</strong>iste a vu, nous ne le reverronspas, sans doute, du moins pas tout à fait <strong>de</strong> même ;mais s'il l'a vu pour tout <strong>de</strong> bon, l'effort qu'il a faitpour écarter le voile s'impose à notre imitation.Son œuvre <strong>est</strong> un exemple qui nous sert <strong>de</strong> leçon.Et à l'efficacité <strong>de</strong> la leçon se mesure précisémentla vérité <strong>de</strong> l'œuvre. La vérité porte donc en elle unepuissance <strong>de</strong> conviction, <strong>de</strong> conversion même, qui<strong>est</strong> la marque à laquelle elle se reconnaît.Plus gran<strong>de</strong> <strong>est</strong> l'œuvre et plus profon<strong>de</strong> la véritéentrevue, plus l'effet pourra s'en faire attendre,mais plus aussi cet effet tendra à <strong>de</strong>venir universel.L'universalité <strong>est</strong> donc ici dans l'effet produit,et non pas dans la cause.❚Henri BergsonExtrait du livre Le rire, 1900(artabsolument) no 1 • printemps 2002 page 97

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