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Lire le livre - Bibliothèque

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progressivement (mais avec une rage d’autant plus grande) que <strong>le</strong>s gens se sont renducompte que <strong>le</strong> vrai scanda<strong>le</strong> ce n’étaient pas <strong>le</strong>s mots osés de Prochazka mais <strong>le</strong> violde sa vie; ils se sont rendu compte (comme par un choc) que <strong>le</strong> privé et <strong>le</strong> public sontdeux mondes différents par essence et que <strong>le</strong> respect de cette différence est lacondition sine qua non pour qu’un homme puisse vivre en homme libre; que <strong>le</strong> rideauqui sépare ces deux mondes est intouchab<strong>le</strong> et que <strong>le</strong>s arracheurs de rideaux sont descriminels. Et comme <strong>le</strong>s arracheurs de rideaux étaient au service d’un régime haï, ilsfurent tenus unanimement pour des criminels particulièrement méprisab<strong>le</strong>s.Quand, de cette Tchécoslovaquie truffée de micros, je suis ensuite arrivé enFrance j’ai vu à la une d’un magazine une grande photo de Jacques Brel qui se cachait<strong>le</strong> visage, traqué par des photographes devant l’hôpital où il soignait son cancer déjàavancé. Et, soudain, j’ai eu <strong>le</strong> sentiment de rencontrer <strong>le</strong> même mal que celui devant<strong>le</strong>quel j’avais fui mon pays; la radiodiffusion des conversations de Prochazka et laphotographie d’un chanteur mourant qui cache son visage me semblaient appartenir aumême monde; je me suis dit que la divulgation de l’intimité de l’autre, dès qu’el<strong>le</strong>devient habitude et règ<strong>le</strong>, nous fait entrer dans une époque dont l’enjeu <strong>le</strong> plus grandest la survie ou la disparition de l’individu.Il n’y a presque pas d’arbres en Islande, et ceux qui y sont se trouvent tous dansdes cimetières; comme s’il n’y avait pas de morts sans arbres, comme s’il n’y avait pasd’arbres sans morts. On <strong>le</strong>s plante non pas à côté de la tombe, comme dans l’idylliqueEurope centra<strong>le</strong>, mais au milieu pour que celui qui passe soit forcé d’imaginer <strong>le</strong>sracines qui, en bas, transpercent <strong>le</strong> corps. Je me promène avec Elvar D. dans <strong>le</strong>cimetière de Reykjavik; il s’arrête devant une tombe où l’arbre est encore tout petit; il ya à peine un an, on a enterré son ami; il se met à se souvenir de lui à haute voix : sa vieprivée était marquée d’un secret, d’ordre sexuel, probab<strong>le</strong>ment. « Comme <strong>le</strong>s secretsprovoquent une curiosité irritée, ma femme, mes fil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s gens autour de moi ontinsisté pour que je <strong>le</strong>ur en par<strong>le</strong>. À un point tel que mes rapports avec ma femme, dèslors, se sont gâchés. Je ne pouvais pas lui pardonner sa curiosité agressive, el<strong>le</strong> ne m’apas pardonné mon si<strong>le</strong>nce, preuve pour el<strong>le</strong> du peu de confiance que je lui faisais. »Puis, il sourit et : « Je n’ai rien trahi, dit-il. Car je n’avais rien à trahir. Je me suis interditde vouloir connaître <strong>le</strong>s secrets de mon ami et je ne <strong>le</strong>s connais pas. » Je l’écoutefasciné : depuis mon enfance j’entends dire que l’ami est celui avec qui tu partages tessecrets et qui a même <strong>le</strong> droit, au nom de l’amitié, d’insister pour <strong>le</strong>s connaître. Pourmon Islandais, l’amitié c’est autre chose : c’est être un gardien devant la porte où l’amicache sa vie privée; c’est être celui qui n’ouvrira jamais cette porte; qui à personne nepermettra de l’ouvrir.Je pense à la fin du Procès : <strong>le</strong>s deux messieurs sont penchés au-dessus de K.qu’ils égorgent : « De ses yeux qui s’obscurcissaient K. vit encore, tout près de sonvisage, joue contre joue, <strong>le</strong>s deux messieurs observer <strong>le</strong> dénouement : “Comme unchien !” dit K.; c’était comme si la honte devait lui survivre. »Le dernier substantif du Procès : la honte. Sa dernière image : des visagesétrangers, tout près de son visage, <strong>le</strong> touchant presque, observent l’état <strong>le</strong> plus intimede K., son agonie. Dans <strong>le</strong> dernier substantif, dans la dernière image, la situationfondamenta<strong>le</strong> de tout <strong>le</strong> roman est condensée : être, à n’importe quel moment,

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