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Lire le livre - Bibliothèque

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« sans s’interrompre, sans barrer ou récrire un seul mot »; 2) la <strong>le</strong>ttre el<strong>le</strong>-même où lafemme par<strong>le</strong> de la maladie vénérienne de son mari; 3) <strong>le</strong> monologue intérieur qui suit etque je reproduis :« Peut-être pourra-t-il me dire ce qu’il faut faire, songea-t-el<strong>le</strong>. Peut-être me <strong>le</strong>dira-t-il ? Sur la photo du journal, il a l’air très savant et très intelligent.Tous <strong>le</strong>s jours, il dit aux gens ce qu’il faut faire. Il saura sûrement. Je ferai tout cequ’il faudra. Pourtant il y a si longtemps que ça dure… si longtemps. Vraimentlongtemps. Mon Dieu, comme il y a longtemps. Je sais très bien qu’il devait al<strong>le</strong>r où onl’envoyait, mais je ne sais pas pourquoi il a été attraper ça. Oh, mon Dieu, j’auraistel<strong>le</strong>ment voulu qu’il ne l’attrape pas. Je m’en fiche de savoir comment il l’a attrapé.Mais Dieu du ciel, j’aurais tant voulu qu’il ne l’attrape pas. Il n’aurait vraiment pas dû. Jene sais pas quoi faire. Si seu<strong>le</strong>ment il n’avait pas attrapé de maladie. Je ne saisvraiment pas pourquoi il a fallu qu’il soit malade. »L’envoûtante mélodie de ce passage est fondée entièrement sur des répétitions.El<strong>le</strong>s ne sont pas un artifice (comme une rime en poésie) mais ont <strong>le</strong>ur source dans <strong>le</strong>langage parlé de tous <strong>le</strong>s jours, dans <strong>le</strong> langage <strong>le</strong> plus brut.Et j’ajoute : cette petite nouvel<strong>le</strong> représente dans l’histoire de la prose, mesemb<strong>le</strong>-t-il, un cas tout à fait unique où l’intention musica<strong>le</strong> est primordia<strong>le</strong> : sans cettemélodie <strong>le</strong> texte perdrait toute sa raison d’être.Le souff<strong>le</strong>D’après ce qu’il en a dit lui-même, Kafka a écrit sa longue nouvel<strong>le</strong> Le Verdict enune seu<strong>le</strong> nuit, sans interruption, c’est-à-dire à une extraordinaire vitesse, se laissantporter par une imagination quasi incontrôlée. La vitesse, qui est devenue plus tard pour<strong>le</strong>s surréalistes la méthode programmatique (l’« écriture automatique »), permettant delibérer <strong>le</strong> subconscient de la surveillance de la raison et de faire exploser l’imagination,a joué chez Kafka à peu près <strong>le</strong> même rô<strong>le</strong>.L’imagination kafkaïenne, réveillée par cette vitesse méthodique, court commeune rivière, rivière onirique qui ne trouve de répit qu’à la fin d’un chapitre. Ce longsouff<strong>le</strong> de l’imagination se reflète dans <strong>le</strong> caractère de la syntaxe : dans <strong>le</strong>s romans deKafka, il y a une quasi-absence de deux-points (sauf ceux de routine qui introduisent <strong>le</strong>dialogue) et une présence exceptionnel<strong>le</strong>ment modeste de points-virgu<strong>le</strong>s. Si onconsulte <strong>le</strong> manuscrit (voir l’édition critique, Fischer, 1982), on constate que même <strong>le</strong>svirgu<strong>le</strong>s, apparemment nécessaires du point de vue des règ<strong>le</strong>s syntactiques, manquentsouvent. Le texte est divisé en très peu de paragraphes. Cette tendance à affaiblirl’articulation - peu de paragraphes, peu de pauses graves (en relisant <strong>le</strong> manuscrit,Kafka a même souvent changé <strong>le</strong>s points en virgu<strong>le</strong>s), peu de signes soulignantl’organisation logique du texte (deux-points, points-virgu<strong>le</strong>s) - est consubstantiel<strong>le</strong> austy<strong>le</strong> de Kafka; el<strong>le</strong> est en même temps une perpétuel<strong>le</strong> atteinte au « beau sty<strong>le</strong> »al<strong>le</strong>mand (ainsi qu’au « beau sty<strong>le</strong> » de toutes <strong>le</strong>s langues dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s Kafka esttraduit).Kafka n’a pas fait une rédaction définitive du Château pour l’impression et onpourrait, à juste titre, supposer qu’il aurait pu apporter encore tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> correction ycompris dans la ponctuation. Je ne suis donc pas choqué outre mesure (enchanté nonplus, évidemment) que Max Brod, en tant que premier éditeur de Kafka, pour rendre <strong>le</strong>

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