l’appe<strong>le</strong>r « arpenteur » et peut-être même autrement encore, mais Kafka lui-même, <strong>le</strong>narrateur, ne désigne jamais K. par <strong>le</strong>s mots : étranger, nouveau venu, jeune hommeou je ne sais quoi. K. n’est que K. Et non seu<strong>le</strong>ment lui mais tous <strong>le</strong>s personnages,chez Kafka, ont toujours un seul nom, une seu<strong>le</strong> désignation.Frieda est donc Frieda; pas amante, pas maîtresse, pas compagne, pas bonne,pas serveuse, pas putain, pas jeune femme, pas jeune fil<strong>le</strong>, pas amie, pas petite amie.Frieda.Importance mélodique d'une répétitionIl y a des moments où la prose de Kafka s’envo<strong>le</strong> et devient chant. C’est <strong>le</strong> casdes deux phrases sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s je me suis arrêté. (Remarquons que ces deux phrasesd’une beauté exceptionnel<strong>le</strong> sont toutes <strong>le</strong>s deux des descriptions de l’acte amoureux;ce qui en dit, sur l’importance de l’érotisme pour Kafka, cent fois plus que toutes <strong>le</strong>srecherches des biographes. Mais passons.) La prose de Kafka s’envo<strong>le</strong> portée sur deuxai<strong>le</strong>s : l’intensité de l’imagination métaphorique et la mélodie captivante.La beauté mélodique est liée ici à la répétition des mots; la phrase commence :« Dort vergingen Stunden, Stunden gemeinsamen Atems, gemeinsamen Herzschlags,Stunden… » Sur neuf mots, cinq répétitions. Au milieu de la phrase : la répétition dumot die Fremde, et <strong>le</strong> mot die Fremdheit. Et à la fin de la phrase, encore une répétition :« … weiter gehen, weiter sich verirren ». Ces répétitions multip<strong>le</strong>s ra<strong>le</strong>ntissent <strong>le</strong> tempoet donnent à la phrase une cadence nostalgique.Dans l’autre phrase, <strong>le</strong> deuxième coït de K., on trouve <strong>le</strong> même principe derépétition : <strong>le</strong> verbe « chercher » répété quatre fois, <strong>le</strong>s mots « quelque chose » deuxfois, <strong>le</strong> mot « corps » deux fois, <strong>le</strong> verbe « fouil<strong>le</strong>r » deux fois; et n’oublions pas laconjonction « et » qui, à l’encontre de toutes <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s de l’élégance syntactique, estrépétée quatre fois.En al<strong>le</strong>mand, cette phrase commence : « Sie suchte etwas und er suchteetwas… » Vialatte dit quelque chose de tout à fait différent : « El<strong>le</strong> cherchait et cherchaitencore quelque chose… » David <strong>le</strong> corrige : « El<strong>le</strong> cherchait quelque chose et lui aussi,de son côté. » Curieux : on préfère dire « et lui aussi, de son côté » que traduire mot àmot la bel<strong>le</strong> et simp<strong>le</strong> répétition de Kafka : « El<strong>le</strong> cherchait quelque chose et il cherchaitquelque chose… »Savoir-faire de la répétitionIl existe un savoir-faire de la répétition. Car il y a, bien sûr, des répétitionsmauvaises, maladroites (quand pendant la description d’un dîner on lit dans deuxphrases trois fois <strong>le</strong>s mots « chaise » ou « fourchette », etc.). La règ<strong>le</strong> : si on répète unmot c’est parce que celui-ci est important, parce qu’on veut faire retentir, dans l’espaced’un paragraphe, d’une page, sa sonorité ainsi que sa signification.Digression : un exemp<strong>le</strong> de la beauté de la répétitionLa très petite nouvel<strong>le</strong> (deux pages) de Hemingway, Une <strong>le</strong>ctrice écrit, estdivisée en trois parties : 1) un court paragraphe qui décrit une femme écrivant une <strong>le</strong>ttre
« sans s’interrompre, sans barrer ou récrire un seul mot »; 2) la <strong>le</strong>ttre el<strong>le</strong>-même où lafemme par<strong>le</strong> de la maladie vénérienne de son mari; 3) <strong>le</strong> monologue intérieur qui suit etque je reproduis :« Peut-être pourra-t-il me dire ce qu’il faut faire, songea-t-el<strong>le</strong>. Peut-être me <strong>le</strong>dira-t-il ? Sur la photo du journal, il a l’air très savant et très intelligent.Tous <strong>le</strong>s jours, il dit aux gens ce qu’il faut faire. Il saura sûrement. Je ferai tout cequ’il faudra. Pourtant il y a si longtemps que ça dure… si longtemps. Vraimentlongtemps. Mon Dieu, comme il y a longtemps. Je sais très bien qu’il devait al<strong>le</strong>r où onl’envoyait, mais je ne sais pas pourquoi il a été attraper ça. Oh, mon Dieu, j’auraistel<strong>le</strong>ment voulu qu’il ne l’attrape pas. Je m’en fiche de savoir comment il l’a attrapé.Mais Dieu du ciel, j’aurais tant voulu qu’il ne l’attrape pas. Il n’aurait vraiment pas dû. Jene sais pas quoi faire. Si seu<strong>le</strong>ment il n’avait pas attrapé de maladie. Je ne saisvraiment pas pourquoi il a fallu qu’il soit malade. »L’envoûtante mélodie de ce passage est fondée entièrement sur des répétitions.El<strong>le</strong>s ne sont pas un artifice (comme une rime en poésie) mais ont <strong>le</strong>ur source dans <strong>le</strong>langage parlé de tous <strong>le</strong>s jours, dans <strong>le</strong> langage <strong>le</strong> plus brut.Et j’ajoute : cette petite nouvel<strong>le</strong> représente dans l’histoire de la prose, mesemb<strong>le</strong>-t-il, un cas tout à fait unique où l’intention musica<strong>le</strong> est primordia<strong>le</strong> : sans cettemélodie <strong>le</strong> texte perdrait toute sa raison d’être.Le souff<strong>le</strong>D’après ce qu’il en a dit lui-même, Kafka a écrit sa longue nouvel<strong>le</strong> Le Verdict enune seu<strong>le</strong> nuit, sans interruption, c’est-à-dire à une extraordinaire vitesse, se laissantporter par une imagination quasi incontrôlée. La vitesse, qui est devenue plus tard pour<strong>le</strong>s surréalistes la méthode programmatique (l’« écriture automatique »), permettant delibérer <strong>le</strong> subconscient de la surveillance de la raison et de faire exploser l’imagination,a joué chez Kafka à peu près <strong>le</strong> même rô<strong>le</strong>.L’imagination kafkaïenne, réveillée par cette vitesse méthodique, court commeune rivière, rivière onirique qui ne trouve de répit qu’à la fin d’un chapitre. Ce longsouff<strong>le</strong> de l’imagination se reflète dans <strong>le</strong> caractère de la syntaxe : dans <strong>le</strong>s romans deKafka, il y a une quasi-absence de deux-points (sauf ceux de routine qui introduisent <strong>le</strong>dialogue) et une présence exceptionnel<strong>le</strong>ment modeste de points-virgu<strong>le</strong>s. Si onconsulte <strong>le</strong> manuscrit (voir l’édition critique, Fischer, 1982), on constate que même <strong>le</strong>svirgu<strong>le</strong>s, apparemment nécessaires du point de vue des règ<strong>le</strong>s syntactiques, manquentsouvent. Le texte est divisé en très peu de paragraphes. Cette tendance à affaiblirl’articulation - peu de paragraphes, peu de pauses graves (en relisant <strong>le</strong> manuscrit,Kafka a même souvent changé <strong>le</strong>s points en virgu<strong>le</strong>s), peu de signes soulignantl’organisation logique du texte (deux-points, points-virgu<strong>le</strong>s) - est consubstantiel<strong>le</strong> austy<strong>le</strong> de Kafka; el<strong>le</strong> est en même temps une perpétuel<strong>le</strong> atteinte au « beau sty<strong>le</strong> »al<strong>le</strong>mand (ainsi qu’au « beau sty<strong>le</strong> » de toutes <strong>le</strong>s langues dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s Kafka esttraduit).Kafka n’a pas fait une rédaction définitive du Château pour l’impression et onpourrait, à juste titre, supposer qu’il aurait pu apporter encore tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> correction ycompris dans la ponctuation. Je ne suis donc pas choqué outre mesure (enchanté nonplus, évidemment) que Max Brod, en tant que premier éditeur de Kafka, pour rendre <strong>le</strong>
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grande que les autres. Ainsi en a d
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