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Lire le livre - Bibliothèque

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pourra faire la distinction entre <strong>le</strong>urs caractères ? La jeune fil<strong>le</strong>, subti<strong>le</strong> et poétique, etl’homme, terre à terre ?Pourquoi pas, on peut imaginer la jeune fil<strong>le</strong> comme étant plus poétique quel’homme. Mais on peut aussi bien voir dans sa trouvail<strong>le</strong> métaphorique un maniérisme,une préciosité, une affectation : voulant être admirée comme origina<strong>le</strong> et imaginative,el<strong>le</strong> exhibe ses petits gestes poétiques. Si c’est <strong>le</strong> cas, l’éthique et <strong>le</strong> pathétique desmots qu’el<strong>le</strong> a prononcés sur <strong>le</strong> monde qui, après l’avortement, ne <strong>le</strong>ur appartiendraplus pourraient être attribués à son goût pour l’exhibition lyrique plutôt qu’à l’authentiquedésespoir de la femme qui renonce à sa maternité.Non, rien n’est clair dans ce qui se cache derrière ce dialogue simp<strong>le</strong> et banal.Tout homme pourrait dire <strong>le</strong>s mêmes phrases que l’Américain, toute femme <strong>le</strong>s mêmesphrases que la jeune fil<strong>le</strong>. Qu’un homme aime une femme ou qu’il ne l’aime pas, qu’ilmente ou qu’il soit sincère, il dirait la même chose. Comme si ce dialogue attendait icidepuis la création du monde pour être prononcé, sans aucun rapport avec <strong>le</strong>urpsychologie individuel<strong>le</strong>, par d’innombrab<strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>s.Juger mora<strong>le</strong>ment ces personnages est impossib<strong>le</strong> vu qu’ils n’ont plus rien àrésoudre; au moment où ils se trouvent à la gare, tout est déjà définitivement décidé; ilsse sont déjà expliqués mil<strong>le</strong> fois auparavant; ils ont déjà mil<strong>le</strong> fois discuté <strong>le</strong>ursarguments; à présent, l’ancienne dispute (ancienne discussion, ancien drame)transparaît seu<strong>le</strong>ment vaguement derrière la conversation où rien n’est plus en jeu et où<strong>le</strong>s mots ne sont que des mots.3.Même si la nouvel<strong>le</strong> est extrêmement abstraite, décrivant une situation quasiarchétypique, el<strong>le</strong> est en même temps extrêmement concrète, essayant de capter lasurface visuel<strong>le</strong> et acoustique d’une situation, notamment du dialogue.Essayez de reconstruire un dialogue de votre vie, <strong>le</strong> dialogue d’une querel<strong>le</strong> ouun dialogue d’amour. Les situations <strong>le</strong>s plus chères, <strong>le</strong>s plus importantes, sont perduesà jamais. Ce qu’il en reste c’est <strong>le</strong>ur sens abstrait (j’ai défendu ce point de vue, lui telautre, j’ai été agressif, lui défensif), éventuel<strong>le</strong>ment un ou deux détails, mais <strong>le</strong> concretacoustico-visuel de la situation dans toute sa continuité est perdu.Et non seu<strong>le</strong>ment il est perdu mais on ne s’étonne même pas de cette perte. Ons’est résigné à la perte du concret du temps présent. On transforme <strong>le</strong> moment présentimmédiatement en son abstraction. Il suffit de raconter un épisode qu’on a vécu il y aquelques heures : <strong>le</strong> dialogue se raccourcit en un bref résumé, <strong>le</strong> décor en quelquesdonnées généra<strong>le</strong>s. Cela est valab<strong>le</strong> même pour <strong>le</strong>s souvenirs <strong>le</strong>s plus forts qui, commeun traumatisme, s’imposent à l’esprit : on est tel<strong>le</strong>ment ébloui par <strong>le</strong>ur force qu’on ne serend pas compte à quel point <strong>le</strong>ur contenu est schématique et pauvre.Si l’on étudie, discute, analyse une réalité, on l’analyse tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> apparaît dansnotre esprit, dans notre mémoire. On ne connaît la réalité qu’au temps passé. On ne laconnaît pas tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> est dans <strong>le</strong> moment présent, dans <strong>le</strong> moment où el<strong>le</strong> se passe,où el<strong>le</strong> est. Or <strong>le</strong> moment présent ne ressemb<strong>le</strong> pas à son souvenir. Le souvenir n’estpas la négation de l’oubli. Le souvenir est une forme de l’oubli.Nous pouvons tenir assidûment un journal et noter tous <strong>le</strong>s événements. Un jour,en relisant <strong>le</strong>s notes, nous comprendrons qu’el<strong>le</strong>s ne sont pas en mesure d’évoquerune seu<strong>le</strong> image concrète. Et encore pis : que l’imagination n’est pas capab<strong>le</strong> de venir

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