13.07.2015 Views

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

exceptions confirment la règ<strong>le</strong> : ses concertos pour piano et orchestre sont faib<strong>le</strong>s.) Il aagi contre l’esprit de son temps qui considérait la création d’une symphonie, d’unconcerto, d’un quatuor comme <strong>le</strong> critère obligatoire de l’importance d’un compositeur.Mais c’est précisément en se dérobant à ce critère que Chopin créa une œuvre, peutêtrela seu<strong>le</strong> de son époque, qui n’a nul<strong>le</strong>ment vieilli et restera vivante entièrement,pratiquement sans exceptions. La stratégie de Chopin m’explique pourquoi chezSchumann, Schubert, Dvorak, Brahms, <strong>le</strong>s pièces de moindre volume, de moindresonorité me sont apparues plus vivantes, plus bel<strong>le</strong>s (très bel<strong>le</strong>s, souvent) que <strong>le</strong>ssymphonies et concertos. Car (constatation importante) la dichotomie intrinsèque de lamusique du deuxième temps est <strong>le</strong> problème exclusif de la grande composition.Critiquant l’art du roman, Breton s’attaque-t-il à ses faib<strong>le</strong>sses ou à sonessence ? Disons, avant tout, qu’il s’attaque à l’esthétique du roman née avec <strong>le</strong>commencement du XIX e sièc<strong>le</strong>, avec Balzac. Le roman vit alors sa très grande époque,s’affirmant pour la première fois comme une immense force socia<strong>le</strong>; pourvu d’unpouvoir de séduction quasi hypnotique, il préfigure l’art cinématographique : sur l’écrande son imagination, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur voit <strong>le</strong>s scènes du roman si réel<strong>le</strong>s qu’il est prêt à <strong>le</strong>sconfondre avec cel<strong>le</strong>s de sa propre vie; pour captiver son <strong>le</strong>cteur, <strong>le</strong> romancier disposealors de tout un appareil à fabriquer l’illusion du réel; mais c’est cet appareil qui produiten même temps pour l’art du roman une dichotomie structurel<strong>le</strong> comparab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> qu’aconnue la musique du classicisme et du romantisme : puisque c’est la minutieuselogique causa<strong>le</strong> qui rend <strong>le</strong>s événements vraisemblab<strong>le</strong>s, aucune particu<strong>le</strong> de cetenchaînement ne doit être omise (si vide d’intérêt qu’el<strong>le</strong> soit en el<strong>le</strong>-même) ; puisque<strong>le</strong>s personnages doivent paraître « vivants », il faut rapporter à <strong>le</strong>ur sujet <strong>le</strong> plusd’informations possib<strong>le</strong> (même si el<strong>le</strong>s sont tout sauf surprenantes) ; et il y a l’Histoire :jadis, son allure <strong>le</strong>nte la rendait quasi invisib<strong>le</strong>, puis el<strong>le</strong> accéléra <strong>le</strong> pas et subitement(c’est là la grande expérience de Balzac) tout est en train de changer autour deshommes pendant <strong>le</strong>ur vie, <strong>le</strong>s rues dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ils se promènent, <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s de<strong>le</strong>urs maisons, <strong>le</strong>s institutions dont ils dépendent; l’arrière-plan des vies humaines n’estplus un décor immobi<strong>le</strong>, connu d’avance, il devient changeant, son aspect d’aujourd’huiest condamné à être oublié demain, il faut donc <strong>le</strong> saisir, <strong>le</strong> peindre (si ennuyeux quepuissent être ces tab<strong>le</strong>aux du temps qui passe).L’arrière-plan : la peinture l’a découvert à l’époque de la Renaissance, avec laperspective qui a divisé <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au en ce qui se trouve devant et ce qui est dans <strong>le</strong> fond.Il en est résulté <strong>le</strong> problème particulier de la forme; par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> portrait : <strong>le</strong> visageconcentre plus d’attention et d’intérêt que <strong>le</strong> corps et encore plus que <strong>le</strong>s draperies dufond. C’est tout à fait normal, c’est ainsi que nous voyons <strong>le</strong> monde autour de nous,mais ce qui est normal dans la vie ne répond pas pour autant aux exigences de laforme en art : <strong>le</strong> déséquilibre, dans un tab<strong>le</strong>au, entre des endroits privilégiés et d’autresqui sont a priori inférieurs, restait à pallier, à soigner, à rééquilibrer. Ou bien àradica<strong>le</strong>ment écarter par une nouvel<strong>le</strong> esthétique qui annu<strong>le</strong>rait cette dichotomie.Après 1948, pendant <strong>le</strong>s années de la révolution communiste dans mon paysnatal, j’ai compris <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> éminent que joue l’aveug<strong>le</strong>ment lyrique au temps de la Terreurqui, pour moi, était l’époque où « <strong>le</strong> poète régnait avec <strong>le</strong> bourreau » (La vie estail<strong>le</strong>urs). J’ai pensé alors à Maïakovski; pour la révolution russe, son génie avait été

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!