photo de famil<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> et l’empêche de sortir de là. Gombrowicz : sans aucune utilité(sans aucune compétence, non plus), ses commentateurs étrangers s’escriment àexpliquer son œuvre en discourant sur la nob<strong>le</strong>sse polonaise, sur <strong>le</strong> baroque polonais,etc., etc. Comme <strong>le</strong> dit Proguidis 1 , ils <strong>le</strong> « polonisent », <strong>le</strong> « repolonisent », <strong>le</strong>repoussent en arrière dans <strong>le</strong> petit contexte national. Pourtant, ce n’est pas laconnaissance de la nob<strong>le</strong>sse polonaise mais la connaissance du roman mondialmoderne (c’est-à-dire la connaissance du grand contexte) qui nous fera comprendre lanouveauté, et, partant, la va<strong>le</strong>ur du roman gombrowiczien.Ô petites nations. Dans l’intimité cha<strong>le</strong>ureuse, chacun y envie chacun, tout <strong>le</strong>monde y surveil<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> monde. « Famil<strong>le</strong>s, je vous hais ! » Et encore ces autres motsde Gide : « Rien n’est plus dangereux pour toi que ta famil<strong>le</strong>, que ta chambre, que tonpassé […] Il te faut <strong>le</strong>s quitter. » Ibsen, Strindberg, Joyce, Séféris l’ont su. Ils ont passéune grande partie de <strong>le</strong>ur vie à l’étranger, loin du pouvoir familial. Pour Janacek,patriote candide, cela était inconcevab<strong>le</strong>. Donc, il paya.Bien sûr, tous <strong>le</strong>s artistes modernes ont connu l’incompréhension et la haine;mais ils étaient en même temps entourés de discip<strong>le</strong>s, de théoriciens, d’exécutants qui<strong>le</strong>s défendaient et, dès <strong>le</strong> début, imposaient la conception authentique de <strong>le</strong>ur art. ÀBrno, dans une province où il a passé toute sa vie, Janacek avait lui aussi ses fidè<strong>le</strong>s,des exécutants souvent admirab<strong>le</strong>s (<strong>le</strong> quartette Janacek fut un des derniers héritiersde cette tradition), mais dont l’influence était trop faib<strong>le</strong>. Dès <strong>le</strong>s premières années dusièc<strong>le</strong>, la musicologie officiel<strong>le</strong> tchèque jetait sur lui son dédain. Les idéologuesnationaux ne connaissant en musique d’autres dieux que Smetana, d’autres lois quesmetanesques, furent agacés par son altérité. Le pape de la musicologie praguoise, <strong>le</strong>professeur Nejedly, devenu à la fin de sa vie, en 1948, ministre et maître omnipotent dela culture en Tchécoslovaquie stalinisée, ne gardait, dans sa sénilité belliqueuse, quedeux grandes passions : vénération de Smetana, exécration de Janacek. Le soutien <strong>le</strong>plus efficace qui lui a été accordé sa vie durant fut celui de Max Brod; ayant traduit,entre 1918 et 1928, tous ses opéras en al<strong>le</strong>mand, il <strong>le</strong>ur a ouvert <strong>le</strong>s frontières et <strong>le</strong>s adélivrés du pouvoir exclusif de la famil<strong>le</strong> jalouse. En 1924, il écrit sa monographie, lapremière qu’on lui a consacrée; mais il n’était pas tchèque et la première monographiejanacékienne est donc al<strong>le</strong>mande. La deuxième est française, éditée à Paris en 1930.En tchèque, sa première monographie complète n’a vu <strong>le</strong> jour que trente-neuf ansaprès cel<strong>le</strong> de Brod 2 .Franz Kafka a comparé la lutte de Brod pour Janacek à cel<strong>le</strong> menée autrefoispour Dreyfus. Comparaison étonnante qui révè<strong>le</strong> <strong>le</strong> degré d’hostilité qui s’abattit surJanacek dans son pays. De 1903 à 1916, obstinément, <strong>le</strong> Théâtre national de Prague arepoussé son premier opéra, Jenufa. À Dublin, à la même époque, de 1905 à 1914, ses1Lakis Proguidis : Un écrivain malgré la critique, Gallimard, 1989.2Jaroslav Vogel : Janacek (Prague, 1963; traduit en anglais chez W.W. Norton andCompany, 1981), une monographie détaillée, honnête mais, dans ses jugements,bornée par son horizon national et nationaliste. Bartók et Berg, <strong>le</strong>s deux compositeurs<strong>le</strong>s plus proches de Janacek sur la scène internationa<strong>le</strong> : <strong>le</strong> premier n’est pas du toutmentionné, l’autre à peine. Et comment situer Janacek sur la carte de la musiquemoderne sans ces deux références ?
compatriotes refusent à Joyce son premier <strong>livre</strong> en prose, Gens de Dublin, et en brû<strong>le</strong>ntmême <strong>le</strong>s épreuves en 1912. L’histoire de Janacek se distingue de cel<strong>le</strong> de Joyce par laperversité du dénouement : il fut obligé de voir la première de Jenufa dirigée par <strong>le</strong> chefd’orchestre qui pendant quatorze ans l’avait éconduit, qui pendant quatorze ans n’avaiteu que mépris pour sa musique. Il fut obligé d’être reconnaissant. À partir de cettehumiliante victoire (la partition fut rougie de corrections, de ratures, d’ajouts), on a fini,en Bohême, par <strong>le</strong> tolérer. Je dis : tolérer. Si une famil<strong>le</strong> ne réussit pas à anéantir <strong>le</strong> filsmal-aimé, avec une indulgence maternel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> l’abaisse. Le discours courant enBohême, et qui se veut favorab<strong>le</strong> à son égard, l’arrache du contexte de la musiquemoderne et l’emmure dans la problématique loca<strong>le</strong> : passion du folklore, patriotismemorave, admiration de la Femme, de la Nature, de la Russie, de la Slavitude, et autresbalivernes. Famil<strong>le</strong>, je te hais. Aucune étude musicologique importante analysant lanouveauté esthétique de son œuvre n’a été écrite jusqu’aujourd’hui par aucun de sescompatriotes. Pas d’éco<strong>le</strong> influente de l’interprétation janacékienne qui aurait pu rendreson étrange esthétique intelligib<strong>le</strong> au monde. Pas de stratégie pour faire connaître samusique. Pas d’édition complète en disques de son œuvre. Pas d’édition complète deses écrits théoriques et critiques.Et, pourtant, cette petite nation n’a jamais eu aucun artiste plus grand que lui.Passons. Je pense à la dernière décennie de sa vie : son pays indépendant, samusique enfin applaudie, lui-même aimé par une jeune femme; ses œuvres deviennentde plus en plus audacieuses, libres, gaies. Vieil<strong>le</strong>sse picassienne. En été 1928, sa bienaiméeaccompagnée de son enfant vient <strong>le</strong> voir dans sa petite maison de campagne.L’enfant s’égare dans la forêt, il va à sa recherche, court en tous sens, attrape un chaudet froid, fait une pneumonie, est emmené à l’hôpital et, quelques jours après, meurt. El<strong>le</strong>est là avec lui. Depuis mes quatorze ans, j’entends chuchoter qu’il est mort en faisantl’amour sur son lit d’hôpital. Peu vraisemblab<strong>le</strong> mais, comme aimait dire Hemingway,plus vrai que la vérité. Quel autre couronnement pour cette euphorie déchaînée que futson âge tardif ?Voilà aussi la preuve que dans sa famil<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> il y en avait quand même quil’aimaient. Car cette légende c’est un bouquet de f<strong>le</strong>urs déposé sur sa tombe.
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