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D E L AS A G E S 5 E.


01 2126 5417 UB AMSTERDAM


D E L ASAGESSE,TROISLIVRESPar PIERRE CHARRON9Parifien , Dofteurès Droits.Smvant la yrait CopU dc Bourdcaux.TOMESEC O ND.AMSTERDAM.M. DCC. L X X X 11.


DELASAGESSE,LIVRETROISIEME,AUQUEL font traités les avis particuliersde Sageffe par les quatre Vertus morales.P R É F A C E.P UISQUEnotre dejfein en ce livre ejl d'injlruirepar le menu a la fagzffe, & en donner les avisparticuliers , aptes les' généraux touchés au Livrtprécédent, pour y tenir un train & un ordre certain,nous avons penfé, que ne pouvant mieux faire ,que de fuivre 'Les quatre vertus maitreffes & morales;prudence, jujlice , force & tempérance ; car en cesquatre prefque tous les devoirs de lavie font compris.La prudence ejl comme une générale guide & condute des autres vertus & de toute la vit ; bien quz11. Part ie. A


ï DE LA S A G E S S E,proprement elle s'exerce aux affaires. La jujliccregarde les p erf onnes, car cejl rendre a chacun cqui lui appartient. La force & tempérance. regardentous accidens bons & mauvais, joyeux & fdcheux ,la bonne & mauvaifè fortune. Or en ces trois ,p>erjonnes, affaires & accidens , ejl cornprife tla vie & condition humaine, & le trafic de ce mondei.Diifinitlon,DE LA PRUDENCE EN GÉNÉRJL.C H A P I T R E P R E M I E R .De la Prudence, première vertu.i. 'PRUDENCE eft avec raifon mife au premier rang^Son excellence.comme la Reine, générale furintendante & guidede toutes les autres vertus, auriga virtutum; fanslaquelleil n'y a rien de beau , de bon , de bienféant & avenant; c'eft le fel de la vie,le luftre,Pageancement & 1'aflaifonnement de toutes actions,Pefquierre & la regie de toutes affaires, en unmot, l'art de la vie, comme la médecine eft l'artde la fanté.C'eft la connoiffance & le choix des cbofes,qu'il faut defirer cu fuir; c'eft la jufte eftimation& le tirage des chofes; c'eft 1'ceil quitoutvoit,qui tout conduit & ordonne. Eile confifte en troischofes, qui font de rang ; bien confulter & déliberer;bien jügêr & réfoüdre; bien conduire &cxccutcr.


L I V R E I I I. 3C'eft une vertu univerfelle , car elle s'étendEfl univer,. générale ment a toutes chofes humaines , non-felle.feulement. en gros, maïs par le menu k chacune :ainfi efl-elle infinie comme les individus.Très-difficile, tant a caufe de 1'infinitéja dite :car'es particula rités font hors de fcience , commehors de rombre , Ji qua finiri non pojj'unt, extrafapientiain funt; que de 1'incertitude Sc inconftancegrande des chofes humaines, encore plusgrande de leurs accidens , circonftances, appartenances,dépendances d'icelles: temps, lieux,perfonnes ; tellement qu'au changementd'unefeule & la moindre circonftance toute la chofefe change; & aufli en fon office, qui eft en 1'afTemblageÖC temperamment des chofes contraires :Diftin&ion & triage de celles qui font fort femblables.La contrarieté &la refTemblance 1'empêchent.Très-obfcure, pource que les caufes Sc refTortsdes chofes font inconnues, les femences & racinesfont cachées , lefquelles 1'humaine nature ne peuttrouver, ni ne doit rechercher. Occultat eorumfemina Deus , 6* plerumque lonorurn malorumque Obfccire.caufce fub diverfa fpecie latent. Et puis la fortune, 1la fatalité , ( ufez des mots que vous voudrez )cette fouveraine , fecrette & inconnue puiffance& autorité maintient toujours fon avantage au I'Iinïn paneg.travers de tous les confeüs Sc précautions; d'oüvisat fouvent que les meilleurs confeüs ont deA ij4-Difficile.Sensc,r-


6.Néceffaïre.Horat. 3. od.4-Euripid. Livius.4 DE LA S A G E 5 S E;très-mauvaifes iflues: un même confeil très-utile kun , malheureux en un autre en pareil cas : tk kun même homme fuccéda &c réuffit heureufementhier, qu'aujourd'hui eftmalencontreux: c'eft unefentence juftement refue, qu'il ne faut pas jugerles confeils ni la fuffifance & capacité des perfonnespar les événemens. Dont répondit quelqu'unk ceux qui s'étonnoient comment les affairesfucccdoient fi mal, vu que fes propos étoient fifages: qu'il étoit maïtre de fes difcours, non dufuccès des affdires. C'étoit la fortime , laquellefeinble fe jouer de tous nos beaux deffeins &confeils; renverfe en un moment tout ce qui aété par fi long-temps projetté & délibéré, & nousfemble tant bien appuyé , nous clouant, comme1'on dit, notre artillerie. Et de fait la fortune ,pour montrer fon autorité en toutes chofes , &rabattre notre préfomption , n'ayant pu faire lesmal habiles Sages, elle les fait heureux k 1'envide la vertu. Dont ii avient fouvent que les plusfimples mettent k h*n de très-grandes befognes &publiques & privées.X'eft donc une mer fans fonds&z fans rive, qui ne peut être bornée & prefcritepar préceptes & avis que la Prudence. Elle nefait que toumoyer k 1'environ des chofes , unnuage obfeur, éV fouvent bien vain & frivole.Toutefois elle eft de tel poids & nécefiité, qu'ellefeule peut beaucoup; & fans elle tout le refterfeft rien; non-feulemen£ les richeffes, les moyens,


L I V R E 1 1 I. 5la force. Vis confilii expers mole ruit fua. Mens una.fapiens pluriumnatura impedua funt,vincit manus. Et multa , qu


8.Diüinif.ion.6 D E LA S A G E S S E,elle eft moins -ferme & affurée, auffi eft-elleplusaifée, plus fréquente , ouverte & commune atous. On fe rend plus réfolu , afTuré k fes dépens,' mais il eft plus facile aux dépens d'autrui. Or ,de ces deux proprement expérience & hiftoire,vient la prudence , ufus me genuit, mater peperitmemoria,feu memoricz anima & vila hijloria.Or, la prudence fe peut & fe dok diverfementdiftinguer, felon les perfonnes & les affaires. Póurles perfonnes il y a prudence privée,foit-ellefolitaire & individuelle, qui k grande peine peutbienêtre dite prudence, ou fociale & économiqueen petite compagnie ; & prudence pubüque& politique. Celle-ci eft bien plus haute , excellente, difficile, & k laquelle plus proprementconviennent toutes ces qualités fufdites,doublé ; pacifique & militaire.& eftPpur le regard des affaires, d'autant qu'ils fontdedeuxfacons, les uns ordinaires,faciles;les autresexraordinaires. Ce font accidens , qui apportentquelque nouvelle difficulté& ambiguité. Aufïï1'on peut dire y avoir prudence ordinaire & facilequi chemine felon les loix, cóutumes & train jaétablis; fautre extraordinaire & p\:s difficile.II y a encore uneautre diftincrion de prudence,tant pour les perfonnes que pour les affaires , quieft plutöt de degrés que d'efjjece, S?avoir, prudencepropre par laquelle 1'on eft fage: & prendonavis de foi-même; Tautre empruntée, par


L I V R E I I 1. 7laquelle 1'on fuit le confeil d'autrui. II y a deuxfortes & degrés de Sages, diient tous les Sages.Hefiod. _L'vius, Ci-:ero.T ! Hr f~,„Tar-i',n pft flp rPUV CUVL VOVeMLe premier & louverain eft de ceux qui voyentclair par-tout, & gavent d'eux-mêmes trouverles remedes & expédiens ; oü font ceux-la ? Ochofe rare & finguliere ? L'autre eft de ceux quigavent prendre, fuivre & fe prévaloir des bonsavis d'autrui; car ceux qui ne fcavent donner mprendre confeil, font fots.9»Les avis généraux & communs, qui conviennenta toute forte de prudence , toutes fortes de perfonnesScd'affaires, ont été touchés & briévementdéduits au livre précédent, & font huit; i. connoiffancede perfonnes & d'affiires , 2. eftimationCh. 10.des chofes, 3. choix &c éleftions d'icelles, 4.prendre confeil fur-tout, 5. tempéramment entrecrainte & affurance, fiance & défïance, 6. prendretoutes chofes en leur faifon, & fe faifir de 1'occafion, 7. fe bien comporter avec 1'induftrie &Cla fortune ; 8. difcrétion par-tout. II faut maintenanttraiter les particuliers , premiére.nont dela prudence publique, qui regaide les perfonnes,puis de celle qui regarde les affaires.A iv


* D E L A S A G E S S E ,DE LA PRUDENCE POLITIQUE DUSOUVERAINPOUR GOUVERNER LE TA T.P R £ F A C E.Dïvifion decette matkreCETTEdoctrine ejl pour les Souverains & Gouverneursd'Etats. Elle ejl vague , infnk , difficile &quafi impojjible de rangeren ordre , clore & prefcrireen préceptes ; mais il faudra tdcher d'y apporterquelque petite lumiere & adreffe. Nous pouvons rapportertoute cette doclrine a deux chefs vrinchauyqui feront les deux dtvoirs du Svuverain. Uoncomprend & traite les appuis & foutiens de CEtat,piecesprincipales&efentielles du gouvernement public]comme les os & nerfs de ce grand corps, ajin que.le Souverain s'en pourvoye & muniffe, & f onEtat;lefquels peuvent étre fept capitaux , connolfmce deVet at, vertus, mazurs & fa gons, confeils, finances ,farces & armes, alliances. Les trois premiers font enlaperfonne du Souverain, le quatrieme en lui &prés de lui, les trois dernier s hors lui. Uautre eft a.agir ,^ bien employer & faire valoir lesfufdits moyens,c'eft-a-dire , en gros, & en un mot, bien gouverner& fe mamt:nir en autorité & bienveiilance, tant desfujets, que des étrangers; mais diftinclement: cettepart ie eft doublé, pacifique & militaire, Foila fommairement& groffiérement la befogne taillée,& les


L i r R E 11I. 9'premiers grands traits tïrés, qui font a traiter ci-apres.Nous diviferons donc cette matiere politique & d'e'taten deux parties. La première fra de la provifion ^ffavoir des fept chofes nécefjaires ; la feconde &qui préfuppofe la première, fra de Caclion du Souverain.Cette matiere ejl excellemment traitée parLipfius a la maniere quil avou!u,la moelle de fonlivre. eft ici. Je nai point pris ni du tout fuivi faméthode , ni fon ordre , comme déja fe voit ici encette générale divifton, & fe verra encore apres : /'enai laifjé auffi du ften, & en ai ajouté d'ailleurs.C H A P I T R E II.Première partie de cette Prudence politique & gouvernementd'Etat, 'qui eft de la provifion.LA première chofe reqviife avant tout ceuvre, r;Chef de cetteeft la connoiffance de 1'état; car la première regie provifion,connoiffancede toute prudence eft en la connoiffance , comme de 1'état.a été dit au livre précédent. Le premier en touteschofes eft fcavoir a qui on a affaire. Parquoid'autant que cette prudente régente & modératricedes états, qui eft une adreffe & fuffifancede gouverner en public, eft chofe relative , quife manie & fe traite entre les fouverains &les fujets: le devoir & office premier d'icelle ,eft en la connoiffance des deux parties , fcavoir,


clup. 48.Senec,IO D £ LA S A G E S S E,despeuples Sc de la fouven:'neté, c'eft-a-dire, de1'état. II faut donc premierement bien connoitre leshumeurs Sc naturels des peuples. Cette connoiffancefaqonne & donne avis a celui les doit gouverner.Le naturel du peuple en général a été dépeint aulong au premier livre (léger, inconftant, mi tin ,bavard, amateur de vanité Sc nouveauté, fier Scinfupportable en la profpérité , couard Sc abbattuen 1'adverfité); mais il faut encore en particulierle connoitre : car autant de villes Sc de perfonnes,autant de diverfes humeurs. II y a des peuplescoleres , audacieux, guerriers , timides, adonnésau vin Sc fujets aux femmes , & les uns plus que lesautres , nofcenda natura vulgi ejl, & quibus modtemperanter habeatur. Et c'tft en ce fens, quedoit entendre le dire des Sages; qui n'a point obéi,ne peut bien commander, nemo bene imperat, niqui ante paruerit imperio. Ce n'eft pas que lesSouverains fe doivent ou puiftent toujours prendredu nombre des fujets ; car plufieurs font nésRois Sc Princes; Sc plufieurs étatsfont fuccefiifs:mais que celui qui veut bien commander doitconnoitre les humeurs & volontés des fujets ;comme fi lui-même étoit de leur rang Sc en leurplace. Faut aufii connoitre le naturel de 1'état,non-feulement en général, tel qu'il a été décrit,mais en particulier celui que 1'on a en main, faforme, fon établiffement, fa portée, c'eft-a-dire,s'il eft vieil ou nouveau, échu par fuccefïionou


L I V R E III. **par éleftion, acquis par les loix, ou par les'armes,de quelle étendue il eft, quels voifiris, moyens,puiffance , il a. Car felori toutes ces circonftancesil faut diverfcment manier lefceptre,cc autres, u IUTWIMM»" -•-,-.«ferrer ou lacher les rénes de la domination.Après cette conr.oiflan'ce d'état, qui eft commeun préalable, ia première des chofes requifes eft1„ tont nfWflTaïrft au Souverain , non tantla vertu., tam necenanc au jyui«w"j ^~pour foi que pour 1'état. Heft premiérementbienconvenable, que celui qui eft par-defius tous?foit le meilleur de tous, felon le dire de Cyrus.Et puis il y va de fa réputation ; car le bruitcommun recueille :n„ +~,„* tous loc les foïtc taits 6c dits flits de ceuu reluiqui le maïtrife ; il eft en vue de tous, & ne fe1 _1-C~1 '1 n « „ t A„ on Klonpeut cacher non plus que le boleil. LJont ou en menou en mal on pariera de lui. Et il importe debeaucoup & pour lui & pour 1'état en quelleopinion il foit. Or, nón-feulement en foi & en favie le fouverain doit être rcvêtu de vertu; maisil doit foigner que fes fujets lui reffemblent. Carcomme ont dit tous les Sages, 1'état, la ville , lacompagnie , ne peut durer ni profpérer , dont lavertu eft bannie. Et ceux-la équivoquent bienlourdement, qui penfent que les Princes font tantplus affurés, que leurs fujets font plus méchans.A caufe , difent-ils , qu'ils en font plus propres ,& plus niais a. la fervitude & au joug2."a. Chef dacette provifionvertu.Senec;Salluft. adCelar,Plin. paneg.,*patïtnrioresfervituüs , quos non dieet niji effè fervos. Carau rebours les méchans fupportent impatiemmentSatuft. adCefar.


5alluft. adCefar.BSLASAGESSE,le joug: & les bons & débonnaires craignentbeaucoupplus, qu'ils ne font k craindre. Pejwquifque afperrimè reclorem patltur : contra facimperium in bonos, qui metuentes magis quamtuendi. Or, le moyen très-puiffant pour les induire& former k la vertu , c'eft 1'exemple duPrince , car comme 1'expérience le montre, tousfe moulent au patron & modele du Prince. Laraifon eft que 1'exemple preffe plus que la loi. C'eftune loi muette, laquelle a plus de crédit que lePlin. paneg.commandement, nee tam imperia nobis opus quaPrincipalementquatre Jvertus.exemplo ; & mitius jubetur exemplo. Or, toujourles yeux & les penfées des petits font fur lesgrands; admirent & croyent tout fimplement quetout eft bon & excellent ce qu'ils font; & d'autrespar ceux qui commandent, penfent affez enjoindre& obliger les inférieurs k les imiter en faifantfeulement. La vertu eft donc honorable & proftableau fouverain , & toute vertnMais par préciput & plus fpécialement Ia piété,la juftice, la vaillance, la clémence. Ce font lesquatre vertus principefques & princeffes en lapnncipaute. Dont difoit Augufte , ce tant grandPrince, la piété & la juftice défïent les Princes.Et Seneque dit que la clémence convient mieuxau Prince qu'a tous autres. La piété du fouveraineft au foin qu'il doit employera la confervationde la religion, comme fon proteeïeur. Cela faiti fon honneur & k fa confervation propre; car


L I V R E IJL ifceux qui craignent Dieu, n'ofent attenter ni penfercontre le Prince, qui eft fon image en terre, &1'état; car comme enfeigne fouvent Laöance, c'eftla religion qui maintient la focieté humaine, quine peut autrement fubfifter , & fe remplira tot deméchancetés, cruautés beftiales, fi le refped & lacrainte de religion ne tient les hommes en bride.Et au contraire 1'Etat des Romains s'eft accru &rendu fi florhTant , plus par la religion , difoitCiceron même, que par tous autres moy ens. Parquoile Prince doit foigner que la religion foit confervéeen fon entier , felon les anciennes cérémoniesloix du pays ; &c empêcher toute innovation Scbrouillis en icelle , chatier rudement ceux&qui1'entreprennent. Car certainement le changementen la religion & 1'injure faite k icelle , traïne avecfoi un changement & empirement en la république,comme difcourt très-bien Mécénas k Augufte.Après la piété vient la juftice , fans laquelle lesétatsne font que brigandage, laquelle le PrinceStdoit garder & faire valoir en foi &C aux autres:en foi, car il faut abominer ces paroles tyranniques& barbares, qui difpenfent les Souverains de toutesloix , raifon, équité , obligation , qui les difentn'êtretenus k aucunautre devoir qua leur vouloir& plaifir ; qu'il n'y a point de loix pour eux:que tout eft bon & jufte , qui accommode leursaffaires; que leur équité eft la force, leur devoirDien.eft au pouvoir. Principi leges nemo fcripjit: licet,] Plin, Paneg.4-1. Jufiicefoi.


Tacit. Sen.ntr.Ser.cc.Eurip.Colmn.Tacit.14 DE LA S A G E S S E,Ji libet. In fumma fortuna id cequius quod validius:nihil injuftum quod frucluofum ; fanclitas , pietas ,fidcs , privata bona funt: qua juvat reges eant. Etleur o .j of.r les beaux & faiiïts avis des fages,que plus doit être r.églé & retenu, qui plus a depouvoir: la plus grande puiffance doit être la plusétroite bride : la regie du pouvoir eft le devoir:minimum decet libere cui nimium Heet, non fas potentespojfe, fieri quod nefas. Le Prince donc doitêtre le premier jufte & équitable, gardant bien& inviolablement fa foi, fondement d juftice atous & un chacun , quoiqu'il foit. Puis il doitfaire garcer & maintenir la juftice aux autres;car c'eft fa propre charge, & il eft inftallé pourcela. II doit entendre les caufes & les panics.rendre & garder a chacun cc qui lui appartientéquitablement felon les loix , fans longueur , i-cannerie , innovationde proces, chafa.:t & aboliffantcevilain & permdcux métier de plaidcriequi eft une foire ouverte, un légitime & honorablebiigandage,' conc ffum Utrocinium , évitantla multipücité de loix °c ordonnancos, témoignagede république makde , corruptijjlmcz rtipublic*plurimce leges, cornmc force médecines &enrplatres du corps mal difpofé, afin que ce qui efteft établi par bonnes loi- , ne foit détruit par tropFlin paneg. de loix. Mais ii eft è fcavoir que la juflice, vertu& probité du fouverain chemineun peu autrementTifiement. que celles des privés, elle a fes allures plus larges


L I V R E / /. 15& plus libres a caufe de la grande , pefante &dangereufe charge qu'il porte & conduit; dontil lui convient marcher d'un pas qui fembleroitaux autres détraqué & déréglé , mais qu'il lui efteft néceffaire, loyal & légitime. II lui faut quelquefoisefquiver tk gauchir, mêler la prudenceavec la juftice, comme Ton dit, coudre a la peaude lion , fi elle ne fuffit, la peau de renard. Cequi n'eft pas toujours öc" en tous cas, mais avecces conditions, que ce foit pour la néceflité ouévidente & importante utilité publique, ( c'efta-direde 1'état tk du Prince , qui font chofesconjointes ) k laquelle il faut courir; c'eft uneobligation naturelle tk indifpenfable , c'eft toujoursêtre en devoir que procurer le, bien public.Salus populi fupnma lex ejlo.Que ce foit k la défenfive tk non k 1'offenfive;a fe conferver tk non k s'aggrandir, k fe garantiro_ r 1 - i - --_ - • - o. r - - /r_ _ Lt-.„ ... /öc" lauver des trompenes öc hneües, ou bien mechancetés& eritreprifes dommagcables, & non ken faire. II eft permis de jouer k fin contre fin,& pres du renard le renard contrefaire. Le mondeeft plein d'artifices & de malices; par fraudes &tromperies ordinairement les Etats font fubvertis,ditAriftote. Pourquoi ne fera-t-il loifible, maispourquoi ne fera-t-il requis d'empêcher ik détournertels maux , &c fauver le public par lesmêmesmoyens, que 1'on le veut miner &C ruiner?Pourlebieapublic,A la défenfiveconlervation.


tllfcrétementfans vice &méchaneeté.16 DE LA S A G E S S M,Vouloir toujours Sc avec telles gens fuivre lafimplicité tk le droit fïl de la vraie raifon Scéquité, ce feroit fouvent trahir 1'Etat & le perdre.II faut aufïï que ce foit avec mefure & difcrétion -aïin que 1'on n'en abufe pas , & que les méchansne prennent d'ici occafion de faire paffer & val oirleurs méchancetés, car il n'eft jamais permis delaiffer la vertu tk 1'honnête pour fuivre le vice tkle déshonnête. II n'y a point de compofition oucompenfation entre ces deux cxtrêmités. Parquoiarriere toute injuftice, perfidie, trahifon Sc déloyauté;maudite la doclrine de ceux qui enfeignent(comme a été dit) toutes chofes bonnes tk permifesaux fouverains; mais bien eft-il quelquefoisrequis de mêler 1'utile avec 1'honnête, & entreren compofition tk compenfation des deux. II nefaut jamais tourner le dos a 1'honnête ; mais bienquelquefois tourner le dos a 1'entour & le cötoyer,& employant 1'artifice tk la rufe; car il y en ade bonne, honnête tk louable , dit le grand SaintBafiie, magna & laudabilis ajiutia , Sc faifantpourle falut public comme les mcres & médecins,qui amufent & frcmpent lts etits enfans, Sc lesmalades pour leur fanté. Bref faifant a couvert ceque 1'on ne peut ouvertement, joindre la prudencea la vaillance, apporter 1'artifice Sc 1'efprit oii lanature & la main ne fuffit; être comne dit Pindare,lion aux coups, tk renard au confeil, colombeSc ferpent comme dit la vénté divine.Et


Ltr&Mlll. 17Et pour traiter ceci plus diftinAfement eft requileau fouverain la défiance tk fe tenir couvert, fanstoutefois s'éloigner de la vertu & 1'équité. Ladéfiance , qui eft la première , eft du tout néceffaire;comme fa contraire, la crédulité & lachefiance eft vicieufe & très-dangereufeau fouverain.11 veille & doit répondre pour tous, fes fautesne font pas légeres, pourquoi il y doit bien aviferS'il fe fie beaucoup , il fe découvre tk s'expofea la honte & a beaucoup de dangers, opportunusfit injur'm , voire il convie les perfides & lestrompeurs qui pourroient avec peu de danger &cbeaucoup de récompenfe , commettre de grandesméchancetés adïtum nocendi perfido prajlat fides.II faut donc qu'il fe couvre de ce bouclier dedéfiance, que les fages ont eftimé une grandepartie de prudence , tk les nerfs de fagefle ,c'eft-a-dire, veiller , ne rien croire, de tout fegard er : & k cela induit le naturel du monde toutconfit en menteries , feint, fardé tk dangereux ,nommément prés de lui en la cour & maifonsdes grands. II faut donc qu'il fe fie k fort peude gens tk iceux connus de longue main & effayésfouvent. Et encore ne faut-il qu'il leur lache tkabandonne tellement toute la corde , qu'il ne latienne toujours par un bout: & n'y ait 1'ceil. Maisfaut qu'il couvre & déguife fa défiance, voirequ'en fe défiant il fafie mine & vifagedefa fierfort. Car la défiance ouverte injurie , tk. convie//. P, rtie, B6.Déhrncerequife auPrince.Senec.Epichar. Fi>rip.Cicero.


Senec.7-Et cüiiimulation.l8 DE LA SAGESSE,aufli-bien k tromperie que la trop lache fiance ,Sc plufieurs montrant c


Su'-iilitis. 9-L I V R E III. Xppetites chofes il procédé tout ouvertement, afinque 1'on le tienne pour tel.Tout ceci eft plus en omiffion, a fe retenir& non agir; mais il lui eft quelquefois requis depaffer outre & venir a. 1'acfion, icelle eft doublé.L'une a faire &c dreffer pratiques & intelligencesfecrettes, attirerfinement les cceurs & fervices desofficiers, ferviteurs & confidens des autres princes& feigneurs étrangers, ou de fes fujets. C'eft unerufe fort en vogue & toute commune entre lesprinces, & un grandtrait de prudence, dit Ciceron.Ceci fe fait aucunement par perfuafion , maisprincipalement par préfens & penfions, moyensfi puiflans que non-feulement les fecrétaires, lespremiers du confeil, les amis, les mignons font induitspar-la k donner avis, & détourner les deffeinsde leur maïtre , les grands capitaines a prêterleurs mains en la guerre, mais encore les propresépoufes font gagnées k découvrir les fecrets deleurs maris. Or,cette rufe eftallouée,approuvéede plufieurs , fans difficulté & fans fcrupule. A lavérité fi c'eft contre fon ennemi , contre fonfujet, que 1'on tient pour fufpecf., & encore contretout étranger, avec lequel 1'on n'a point d'allianceni de fidélité & amitié , il n'y a point de doute;mais contre fes alliés, amis & confédérés, il nepeut être bon: & eft une efpece de perfidie , quin'eft jamais permife.L'autre eft gagner quelqüe avantage & parvenirB ij 't'Pratiqueji


lO D E L A S A G E S S E ,k fon deffein par m^yens couverts, paréquivovcquesSc fubtilités, affiner par belles parolesSc promeffcs , lettres, ambaffades , faifant Scobtenant par fubtlls moyens ce que la difficultédu temps Sc des affaires empêche de faire autrement:& a couvert ce que 1'on ne peut k découvert.Plufieurs &grands & fages difent cela être permis ScVUt^. Plin. loifible , crebro mendacw & fraude uti imperantesVal. Max.debent ad ccmmodum fubdhorum. Decipere pro moribustemporum prudentia eft. II eft bien hardi detout fimplement dire, qu'il eft permis. Mais bienpourroit-on dire, qu'en cas de néceffité grande,temps trouble Sc confus , Sc cue ce foit nonfeulementpourpromouvoir le bien, mais pourdétourner un grand mal de 1'état, Sc contre lesméchans, ce n'cft grande faute , fi c'eft faute.10.Injuflice uti-Ie au public.Mais il y a bien plus grand doute Sc difficultéen d'autres chofes , pource qu'elles fententtiennent beaucoup de 1'injufiice; je dis beaucoup&non du tout, car avec leur injuflice, il fetrouve quelque grain mêlé de juftice. Ce qui eftdu tout & manifeftement injufte , eft réprouvéde tous , même des méchars, pour le moins deparole & de mine, finon de fait. Mais de ces faitsmal mêlés , il y a tant de raifons & d'autoritésde part & d'autre, que 1'on ne fijait pas bien kquoi fe réfoudre. Je les réduirai ici k certains chefs.Se dépêcher Sc faire mourir fecrétement ou autrementfans forme de juftice, certain qui trouble,&


L I V R E Ilt n& eft pernicieux a 1'état, tk qui mérite bien lamort, mais 1'on ne peut lans trouble & fans danger" 1'entreprendre, & le réprimer par voie ordinaire ,en cela il n'yaquela forme violée. Et le princen'eft-il pas fur les förrnes & plus ?Rogner lesaües i racccu cir les grands mcyensde quelqu'un , qui s'éleve & ie fortifie trop en1'état & fe rend redoutable au fouverain , fansattendre qu'il foit invincible , tk en fa puiffance,fi la volonté lui avenoit d'attenter quelque chofecontre 1'état & la tête du fouverain.Prendre d'autorité & par force des plus richesen me grande néceffité , & pauvreté de 1'état.Affoiblir ik caffer quelques droits &C privileges,dont jouiffent quelques fujets, au préjudice &Cdiminution de 1'autorité du fouverain.Préoccuper & fe faifir d'une place, ville ouprovince fort commode k 1'état, plutöt que lalaifTer prendre & occuper k un autre puiflant tkredoutable , au grand dommage , fujeftion tkperpétuelle allarme dudit état.Toutes ces chofes font approuvéescomme \\&estk licitcs par plufieurs grands & fages, pourvvtqu'elles fuccedent bien ck heure-ufement, defquelsvoici les mots & les fentences. Pour garder jufticeaux chofes grandes, il faut quelquefois s'en détourr.eraux chofes petites ; tk pour faire droit engros, il eft permis de faire tort en détail; qu'ordinairementles plus grands faits & exemples ontB iijPlut.rqTacit.


22' DE LA S A G E S S E,quelque injuflice qui fatisfait aux particuliers parPintartj. ia le profit qui en revient a. tout le public , omneFlam.mag/rum extmpium navet auquia ex iniquo, quodCurt,Senec.A-iftot. inpo'iticis.Democr.adverfus fingulos utilitate publica rependitur. Quele prudent& fage prince. non-feulement doitfcavoir commander felon les loix , mais encoreaux loix mêmes, fi la néceflité le requiert; &faut faire vouloir aux loix, quand elles ne peuventCequ'elles veulent. Aux affaires confufes& déploréesle prince ne doit fuivre ce qui eft beau adire , mais ce qui eft néceflaire d'être exécuté. Lanéceflité, grand fupport &excufe k la fragilitéhumaine , enfreint toute loi, dont celui-la n'eftguere méchant, qui fait mal par contrainte. Nece£itasmagnum imbecillitatis humana patrocinium,omnem legem frangit: non ejl nocens quicumquenofponte eft nocens. Sile prince ne peut être du toutbon, fuffit qu'il foit a demi, mais quil ne foitpoint du tout méchant; qu'il ne fe peut faire queles bons princes ne commettent quelqueinjuflice.A tout cela je voudrois ajouter pour leurjuftification ou diminution de leurs fautes , quefe • rouvant les princes en telles extrêmités , ilsne doivent proccdsr k tel faits qu'a regret & enfoupirant, reconnoiflant que c'eft un malheur &coup difgracié du ciel, & s'y porter comme lepere quand li faut cautériferou couper unmembrek fon enfant, pour lui fauver la vie, ou s'arracherune dent pour avoir du repos. Quant aux autres


L I V R E m. *3mots , plus hardis, qui rapportent tout au prontlequel ils égalent ou preferent a 1'honnête, 1'hommede bien les abhorre.Nous avons demeuré long-temps fur ce pointde la vertu de juftice , k caufe des doutesdifficultés , qui proviennent des accidens & néceflitésdes états, & qui empêchent fouvent lesplus refous & avifés.Après la juftice vient la vaillance, j'entendsla vertu militaire , la prudence , le courage & lafufhfance de bien gucrroycr, néceffaire c u toutau prince, pour la dcfenfe & iüreté de foi,1'état, de fes fujets, du repos & de la libertepublique, & fans laquelle k peine mérite-t-il lencm de prince.Venons k la quatrieme vertu principefque, quieft la clémence , vertu qui fait incliner le princek la douceur , remettre & lacher de la rigueurde la juft ,e avec jugement & difcrction. Elie raodere& manie doucement toutes chofes, déiivreles coupables, releve les tombés, fau/j ceuxqui s'en vont perdre. Elle eft au prince ce c u'aucommun eft 1'humanitc : elle eft contra^ k lacruauté & trop grande rigueur , non k la juftice,de laquelle elle ne s'eloigne pas beaucoup, maiselle 1'adoucit, la manie; elle eft très-néceffaire kcaufe de i'infirmité humaine, de la fréquence desfautes, facilitédefaillir; une grande & continuellerigueur & févérité ruine tout, rend les chatimensB iv&deir.Vaillance.II.Clémence.


Item.T. T ivj. c. 3,a» commencemenr.Taeït. inAgricol.24 DE LA S A G E S S EconteiMptibles : feveritas amittit ajjiduitate autoritatem:irrite la malice; par dépit 1'on fe fait méchant,fufcite les rébellions. Car la crainte qui retienten devoir, doit être tempérée & douce; fi elleeft trop dpre & continuelle, fe change en rage &rengeance. Temperatus timor eft , qui cohibet,affmims & acer in vindiclam excitat. Elle eft auffitrès-ut'ile au prince & a 1'état, elle requiert labienveillance des fujets, &p a rainfi alfure&affermit 1'état, jirmiffïmum imperium quo obedientesgaudent (comme fera dit après) auffi très-hono-Wble au fouverain ; car les fujets 1'honoreront &adoreront comme un Dieu, leur tuteur, leurpere: & aulieu de le craindre , ils craindronttous pour lui, auront peur qu'il ne lui méfavienne.Ce fera donc la lecon du prince , fcavoir toutce qui ie paffe, ne relever pas tout, voire difïïmulerlouvent, aimant mieux être eftimé avoirtrouvé de bons fujets que les avoir rendus tels,accommoder le pardon aux légeres fautes , larigueur aux grandes ; ne chercher pas toujours lesfupplices ( qui font auffi honteux & infames auPr : ce, qu'au Médecin plufieurs morts de maladi.s) fe contenter fouvent de la repentance,comme fumfant chatiment,Ignofcere pulchrumJam mifero, pcenceque genus vidijje prtcaniem.Et ne faut point craindre ce qu'aucuns obje&ent


L i v n e III. Mtrès-mal qu'elle relache, avilit & énerve 1'autoritédu fouverain öc de 1'état; car au rebours elle lafortifie aun très-grand crédit ÖC vigueur: ÖC leprince aimé fera plus par elle, que par une grandecrainte; qui fait craindre öc trembler öc nonbien obéir, comme difcourt Sallufte k Céfar , cesSalluft. *Aétats menés par crainte ne font point durables.(Csefar.Nul ne peut être craint de plufieurs , qu'il necraigne auffi plufieurs. La crainte qu'il veut verferfur tous, lui retombe fur la tête. Une telle vieeft douteufe , en laquelle 1'on n'eft jamais couvertni par-devant ni par derrière, ni a cöté ; maistoujours en branie , en danger öc en crainte. IIeft vrai, comme a été dit au commencement,qu'elle doit être avec jugement: car comme temperéeöc bien conduite eft très-vénérable , auftltrop lache ÖC molle eft très-pernicieufe.t?. •Aprcs ces quatre principalcs öc royales vertus, Ap-ès lefqae'leslontil y en a d'autres , bien que moins illuftres ÖCrequife. auffinéceffaires, toutefois en fecond liett bien utiles & libéralité falut.requifes au fouverain ; fcavoir , la libéralité tantconvenable au Prince , qu'il lui eft moins méféantd'être vaincu par armes que par magnificence.Mais en ceci eft requife une très-grande difcrétion,autrement elle feroit plus nuifible qu'utile.II y a doublé libéralité , 1'une eft en dépenfe Doub'e libéralité.& en montre; celle-ci ne iert a guere. C'eft chofemal k propos aux fouverainsvouloir fe fairevaloir ÖC paroitre par grandes öc exceffives


20 p E LA S A G E S S Sidépenfes , mêmement parmi leurs fujets , ou ïispeuvent tout. C'eft témoignagne de pufdlanimitécV. de ne fentir pas affez ce que 1'on eft, outrequ'il femble aux fujets fpeöateurs de fes triomphes,qu'on leur fait montre de leurs dépouilles , qu'onles feftoie , k leurs dépens, qu'on repait leursyeux de ce qui devoit païtre leur ventre. Et puisle prince doit penfer qu'il n'a rien proprementfien; il fe doit lui-même k autrui. L'autre libéralitéeft en dons faits a autrui: celle-ci eft beaucoup plusutile & louable , mais fi doit-elle être bien réglée,& faut avifer k qui, combien &c comment 1'ondonne. II faut donner k ceux qui le méritent, qui ontfait fervice au public, qui ont couru fortune && travaillé en guerre. Perfonne ne leur enviera ,s'il n'eft bien méchant. Au contraire grande largeffeemployée fans refpeft & mérite , fait honte&C apporte envie k qui la recoit, & fe recoitfans grace & reconnoiffance. Des tyrans ont étéfacrifiés k la hainedu peuple par ceux-mêmes qu'ilsavoient avancés, fe raillans par-la avec lecommun,& affurans leurs biens en montrant avoir k mépris&ahaine celui duquel ils les avoient refus. Et avecmefure, autrement la libéralité viendra en ruine de1'état & du fouverain, fi elle n'eft réglée & que1'on donne k tous , & a tous propos; c'eft jouera tout perdre. Car les particuliers ne feront jamaislaouls, & fe rendront exceflifs en demandes felonque le prince le fera en dons, & fe tailleront


L I V R E UT. 27non a la raifon, mais k 1'exémple : le publicdéfaudra tk fera 1'on contraint de mettre les mainsfur les biens d'autrui, remplacer par iniquité ceque 1'ambition tk prodigalité aura dimpé, quodambitione exhaufium , per fcelera fupplendum. Or,il vaut beaucoup mieux ne donner rien du tout,que d'öter pour donner; car 1'on ne fera jamaisfi avant en la bonne volonté de ceux qu'on auravêtus, qu'en la malveillance de ceux qu'on auradépouillés; & a fa ruine propre, car la fontaine fetarit fi 1'on y puife trop. Liberalitas libéralitéperit. IIfaut auffi faire filer tout doucement la libéralité,& non donner tout-a-coup. Car ce qui fe fait fivitement; tant grand foit-il, eft quafi infenfible,& s'oubliebientöt. Les chofes plaifantes fe doiventexercer a 1'aife tk tout doucement, pour avoirloifir de les goüter; les rudes tk cruelles ( s'il enfaut faire) au rebours fe doivent vitement avaler.II y a donc de l'art tk de la prudence a biendonner & exercer libéralité. Falluntur quibus luxuriafpecie liberalitatis imponit : perdere multifciunt , donare nefciunt. Et pour en dire la vérité,la libéralité n'eft pas proprement des vertus royales;elle fe porte bien avec la tyrannie même. Et lesgouverneurs de la jeuneffe des princes ont tortd'imprimer fi fort k leur efprit & volonté cettevertu de largeffe, de ne rien refufer, tk ne penferrien bien employé que ce qu'ils donnent, ( c'eftleur jargon) mais ils le font a leur profit, ouHier»».Tasit.


*3 D E L A S A G E S S Z,n'avifent pas a qui ils parient , car il eft tropda gereux d'imprimer la libéralité en celui, quia de quoi fournir autant qu'il veut aux dépensd'autrui. Un Prince prodigue ou libéralfans difcrétion&.fans mefure, eft encore pire que 1'avare ;& 1'irnmodérée largelfe rebute plus de gens, qu'ellen'en pratique. Maisfi elle eft bien réglée, comme diteft, el'e eft très-bien féahte au prince, & trèsutilea. lui & è 1'état.14- La magnanimité & grandeur de courage aMagmnimité1. w,«.rk-rationde co-méprifer les injures & mauvais propos, & modérerfa cokre : jamais ne fe dépiter pour les ouleretrages& indifcrétion d'autrui, fortunam magnusSenec.'.tacit.Tacit-Chef de cetteprovifion.fouverain.animus decet : injunas Cr ojfenjionesfupernèdejpicere,indignus Cctfarls ird, s'en facher c'eft s'en confeflércöupable: n'en tenant compte cela s'évanouit,convhiifitrafcan,agnitavidentur : fpreta exolefcunt.Que s'il y a lieu , & fe faut courroucer, que cefoit tout ouvertement & fans eliffimuler, fansdonner occafion de foupconner que 1'on couvreun maltalent; ce qui eft a faire a gens de néant,de mauyais naturel & incurable: obfeuri & irnvovocabilisreponunt odia : fevce cogitatinnisindleïumfecret:> fuo fatlari. II eft moins iméféant a un grandd'oifenfcr que de haïr : les autres vertus fontmoins royales & plus communes.Ap^ès la vertu viennént les moeurs, facons &contenances qui fervent & appartiennent a lamajeftétrès-requiie au prince. Je ne m'arrête point


LIVRE lil. 2-9Ici : feulement comme en paffant je dis que lanature fait beaucoup k ceci; mais auffi l'art1'érude. A ceci appartient la bonne & belle compofitionde fon vifage, fon port, fon pas, fonparler,feshabiüemens.La regie générale en tousces points eft une douce, modérée & vénérablegravité , cheminant entre la crainte &c 1'amour ;digne de tout honneur & révérence, il y a auffifa demeure & fa hantife; la demeure foit en üeumagnifique & fort apparent, & tant prés, que fepourra, du milieu de tout 1'état, afin d'avoir1'ceil fur-tout, comme un foleil qui toujours dumilieu du ciel éclaire par-tout: car fe tenant enun bout il donne occafion au plus loin de plushardimentfe remuer, comme fe tenant fur unbout d'une grande peau, le refte fe leve. Sa hantifefoit rare, car beaucoup fe montrer &fecommuniquer,ravale la majefté , continuus afpectus minusverendos magnos homines ipfa fatietate facit.Majefias major ex longinquo reverentia , quia omneignotum pro magnifico eft.Après ces trois chofes, connoiffance de 1'état,vertu &mceurs, qui font en la perfonne dunrince. viennentles chofes qui font prés & autourde lui ; fijavoir, en quatrieme Üeu , confeil, legrand & principal point de cette doftrine politique, & fi important que c'eft quafi tout: c'eftTame de 1'état, & 1'efprit qui donne vie, mouvement& aöion k toutes les autres parties: tkk&Livïus.Tacit.16.4. Chef iecette prov : -fion, confeil.


Ci-deffus«hap,r.Tacit.Tit. Liv.Tacit.'lin.Xenoph.30 DE LA SAGESSE' ycaufe d'icelle il eft dit, que le maniement deffaffaires confifle en prudence. Or, il feroit a defirerque le prince eüt de foi-même affez de confeil Scde prudence, pour gouverner & pourvoir a tout,c'eft le premier Sc plus haut degré de fageffe,comme a été dit, en tel cas les affaires irontbeaucoup mieux; mais c'eft chofe qui ne fe voitpas, foit k faute de bon naturel ou debonne inftitution.Etil eft quafi impoffible qu'une feule têtepuiffe fournir a tant dé chofes, nequit princeps fuafcientia cuncta complecli, nee unius mens tanta moejl capax. Un feul ne voit & n'ouit que bien peu.Or, les Rois ont befoin de beaucoup d'yeux Scde beaucoup d'oreilles. Les grands fardeaux Sc lesgrandes affaires ont befoin de grandes aides.Parquoiil lui eft requis de fe pourvoir Sc garnirde bon confeil , Sc de gens qui le lui fcachentdonner; Sc celui, quelqu'il foit, qui veut toutfaire de foi, eft tenu pour fuperbe plutöt que pourfage. Le prince a donc befoin d'amis fidéles Szferviteurs, qui foient fes aides , quos affumat inpartem curarum, Ce font fes vrais tréfots, & lesinftrumens très-utiles de 1'état. A quoi fur-toutil doit travaiiler les choifir & les avoir bons ,& y employer tout fon jugement. II y en a dedeux fortes, les uns lui aident de leur efprit,. T »cor.ieil Sc langue, & font dits confeillers ; lesautres fe fervent de leurs mains Sc leurs faits, &peuvent être dits officiers. Les premiers font


LIVRE 111. 31beaucoup plus honorables; car ce difent les deux ] Platon.Ariftote.plus grands philofophes , c'eft une chofe facréeSc divine, que bienconfeil.délibérer Sc donner bonOr, les confeillers doivent être premiérement '7- .Difciétionfideles , c'eft-a-dire, en un mot, gens de bien, < le bons Coneillers.optimum quemque fiddiffimum puto : fecondement Fidélité.Plin.fufHfans en cette part, c'eft-a-dire, connoiffans bien Sumf.mce.Mitrhictin1'état , diverfement expérimentés & effayés ,Salu.(car les difficultés 6c afflictions font de belleslecons & inftruttions ; tnifu fortuna multis rebusereptis ufum dedit bene fuadendi ) & en un mot,fages & prudens, moyennement vifs 8c non pointtrop pointus : car ceux-ci font tropremuans,novandis quam gerendis rebus aptiora ingenia Maignea. Et pour être tels, faut qu'ils foient agés Scmürs , outre que les jeufies gens pour la tendreur6c molleffe de leur age , font aifément trompés ,facilement croyent 6c recoivent imprefïïon. II eftbon qu'autour des princes il y en ait des fagesfins; mais beaucoup plus les fages qui font requispour 1'honneur , 6c pour toujours ; les fins pourla néceffité quelquefois. Tiercement qu'en propofant6c donnant bons 6c falutaires confeils , ilss'y portent librement 6c coarageufemeut 6c fansflatterie ou ambiguité tk déguifement, n'accommodantpoint leur langage a la fortune préfenteCurtiitsiLiberté.du prince. Ne cum fortunapotim principum loquatur Tacit.quam cum ipfo. Mais fans épaigner la vérité ils


L I V R E III. 33qui fait déliberer 8c opiner audacieufement; carle fage en delibérant penfe Sc repenfe , redoutanttout ce qui peut avenir , pour, puis après, êtrehardi a exécuter. Non animus vereri qui feit, feittuto aggredu Au contraire le fol eft hardi Sc chaud'a déliberer , Sc quand il faut joindre , le nez luifaigne, confüia calida & audacia prima Jpecie latafint,tractata dura , eventu triftia. Puis toutepaffion decolere, envie , dépit, haine, avarice ,cupidité, Sc toute affecfion particuliere, lapoifonmortelle du jugement 6c tout bon fentiment,Tacit.privatx res femper offecére officientque publicis confiliis,peffimum veri affeiïus & judicii venenum fuaPrécipitationvoycz 1. 3.Cio. Tacit,cuique utilitas. Et précipitation ennemie de toutbon confeil, 6c feulement propre a mal faire.Voila que doivent être les bons confeillers.Or, le prince les doit choifir tels ou par fa «7-Devoir dupropre fcience 6c jugement ,.ou s'il ne le peut, Princea choifir bonspar la réputation laquelle ne trompe guere; dont confeillers.Plio ad Trai.difoit un d'entr'eux k fon prince, tenez-nous pourtels que nous fommes eftimés: nam (inguli decipere& decipi poffunt , nemo omnes ; neminem omnesfefellerunt. Et fe bien garder des mignons, courtifans, flatteurs , efclaves qui font honte a leurmaitre 6c le trahiffent. N'y a rien plus pernicieuxque le confeil du cabinet. Et les ayant choifis 6ctrouvés, il s'en doit fervir prudemaient en prenantconfeil d'eux k temps fans attendre au moment,de 1'exécution, 6c perdre le temps en les écoutant;II. Partie.CTit.Lïvr.Et a s'enfervir.


Curtius.Tacit.Veget.34 O E LA S A G E S S E,8c avec jugement fans fe laiffer aller lachementa leur avis, comme ce fot Empereur Claude; tkavec douceur auffi fans roidir trop , étant plusraifonnable , comme difoit le fage Mare Antonin,de fuivre le-confeil d'un bon nombre de fes amis,qu'eux foient contraints de fléchir fous fa volonté.Et s'en fervant avec une autorité indifférente fansles payer par préfens pour leurs bons confeils,afin de n'attirer les mauvais fous efpoir de récompenfe,ni auffi les rudoyer pour leurs mauvaisconfeils. Car il ne fe trouveroit plus qui voulütdonner confeil, s'il avoit danger k le donner.Et puis fouvent les mauvais réuffiflént bien 8cmieux que les bons, ainfi difpofant la fouverainepourvoyance. Et ceux qui donnent les bons confeils, c'eft-a-dire, heureux & affurés , ne fontpas pour cela toujours les meilleurs 8c plus fidelesferviteurs; ni pour leur liberté a parler, laquelleil doit plutöt aggréer tk regarder obfeurémentles craintifs 8c flatteurs; car miférable eft lePrince chez qui 1'on cache ou 1'on déguife la vérité,cujus aures ita formatie funt, ut afpera quut'dia, Cy nilnijïjucundum leefurumaecipiant; & enficéler fon avis tk fa réfolution , étant le fecret1'ame du confeil, nulla meliora confilia quam quizignoraverit adverfarius, ante quam fier ent.^uiauL OUA wiiiticra , vjiu vicuiicuL apres , cx.Des officiers.qui fervent k prince tk 1'état en quelque charge,il les faut choifir gens de bien, de bonne 6c honnête


L I V R E UI. 35familie. II eft a croire qu'ils n'en feront quemeilleurs; Sc n'eft beau quedes gens de peus'approchent du prince, & commandent aux autres,fauf qu'une grande Sc infigne vertu les releve Scfupplée le défaut de noblelfe; mais non gens infames,doublés,dangereux, Sc de quelque odienfecondition, Auffi doivent-ils être gens d'entendement,Sc employés felon leur naturel; car lesuns font propres aux affaires de la guerre , lesautres aux affaires de la paix. Aucuns font d'avisde les choifir d'une douce & médiocrité vertu,car ces outrés Sc invincibles , qui fe tiennenttoujours fur la pointe, Sc ne veulent rien quitter,ne font communément propres aux affaires, utpares negotüs , neque fupra : fint recii non erccii.Après le confeil nous mettrons les finances, 20.5. Chef


II.i. Foi der lesfinances.1.i.5-«•36 D E L A S A G E S S E }confervant le droit envers tous, & 1'honneur pourfoi.Pour le premier, qui eft faire fonds & accroitreles finances, il y a plufieurs moyens, & les fourcesfont diverfes , qui ne font pas toutes perpétuellesni également affurées , fcavoir; le domaine &Crevenu public de 1'état, qu'il faut ménager & fairevaloir , fans jamais 1'aliéner en aucune facon ,comme auffi eft de fa nature facré &c inaliénable.Les conquêtes faites fur les ennemis, qu'il fautapprofiter & non prodiguer ni diftiper, commele pratiquoient bien les anciens Romains , rapportansa 1'épargne de très-grandes fommestréfors des villes & pays vaincus, comme Tite-Live raconte de Camillus Flaminius,PauliEmile,des Scipions , Luculle , Ceefar ; & puis tirantdespays conquêtés, foit des naturels y laiffés , oudes colonies y envoyées , certain revenu annuel.Les préfens , dons gratuits , penfions , oflrois,tributs des amis alliés & fujets , par teftamens ,donations entre-vifs ou autrement; les entrees,forties & paffages de marchandifes aux havres,ports & portes, tant fur les étrangers que fur lesfujets, moyen ancien, général, jufte & légitime&c très-utile avec ces cpnditions ; ne permettreJa traite des chofes néceffaires a la'vie, que lesfujets n'en foient pourvus ; ni des matieres crues;aftn que le fujet les mette en ceuvre , & gagnele profit de la main; mais bien permettre la traite&


' L I V R E 111: 37des ouvrées; & au contraire permettre I'apportdes crues & r.on des ouvrées, tk en toutes chofescharger beaucoup plus 1'étranger que le fujet. Car1'impofition foraine grande accroït les finances &:foulage le fujet, modérer toutefois les impöts J .urks chofes nécefTaires a la vie que 1'on apporte.Ces quatres moycn; font non-feulement permis,mais juftes , légitirnes & honnêtes. Lecinquiemequi n'eft guere hor.nête, eft le trafic que le fouverainfait par fes fact eurs ; & s'exerce en diverfesmanieres plus oumoins laides, mais le plusvilain & pernicicr.x eft des honneurs , ctats,offices , bénéfïces. II y a bien un moyen quiapprochedu trafic; tk pour ce peut-il être mis ence rang, qui n'eft pas fort déshonnête, & a étépratiqué par de très-grands & fages princes , quiefte mettre les deniers de 1'épargne de referve,a quelque petit profit, comme a en. pour cent,& les bien affurer fous bons gage; . ou cautionfuffifante tk folvable. Cela fert a tro s chofes, kaccroïtre tk faire prof!ter les finance;, a donnermoyens aux particuliers de trafiquer tk gagner ,& qui eft bien le meilleur, k fauver ks denierspublics des griffes de larrons de cour, importunesdemandes, tk flatteries des mignons , tk facilitétrop grande du prince. Et pour cette feule raifonaucuns princes ont prêté 1'argent public fans aucurtprofitni intérêt, msis feulement a peine du doubléa faute de payer au jour. Le fixieme tk dernierC üjAnfonuisPius.SeveruSAugtift.


I.D?simpötstifubiides.i.38 DE LA S A G E S S E,eft aux emprunts & fubfides des fujets , auquel ilne faut venir qua regret , lors que les autresmoyens défaillent, & que la néceflité preffe 1'état.Car en ces cas il eft jufte, felonla regie , que touteft. jufte, qui eft néceflaire ; mais il eft requis queces conditions y foient, après cette première dela néceflité. 1. Lever par emprunt (aufli fe trouverat-ilplutót argent k caufe de 1'efpérance de recouvrerle fien, & que 1'on n'y perdra rien, outre lagrace d'avoir fecourule public) & puis rendre,la néceflité paffée & la guerre fïnie , comme firentles Romains, mis k 1'extrêmité par Annibal. 2. Quefi le public eft fi pauvre , qu'il ne puiffe rendre ,& qu'il faille procéder par impofition, il faut quece foit avec le confentement des fujets , leur repréfentant& faifant comprendre la pauvreté &Cnéceflité, & prêchant le- mot du bon Roi des Rois,Dominus his opus habet. Jufqu'a leur faire voir,fi befoin eft, la recette & la dépenfe. La perfuafiony peut être employée fans venir k la contrainte,comme difoit Themiftocles. Impetrare meliüs quamimperare. II eft vrai que les prieres des Souverainsfont commandemens : fatis imperat qui regnat patizntia, armam funt preces regum ; mais que ce foitpar forme d'oftroi & don gratuit, au moins quece foient deniers extraordinaires , pour certaintemps préfix & non ordinaires , & ne prefcrirejamais ce droit fur les fujets , fi ce n'eft de leurconfentement. 3. Et que telles impofltions fe lerent


L I V R E HL 39fur les biens öc non fur les têtes (étant la capitationodieufe k tous gens de bien ) foient réelles tknon nerfonnelles ( étant iniufte que les riches, lesgrands , les nobles, ne payent point, tk que lespauyres gens du plat pays payent tout.) 4. Etégalement fur tous. L'inégalité afflige fort, tk k cesfins les répandre fur les chofes dont tout le mondecomme fel, vin, afin que tous trempent ÖC contribuenta la néceflité publique. Bien peut 6c doitonmettre impöts ordinaires ÖC gros fur les marchandifes& autres chofes vicieufes , 6c qui nefervent qu'a corrompre les fujets , comme toutce qui fait au luxe , k la débauche , cunofiti,fuperfluité en vivres , en habillemens ; volupté,mceurs öc maniere de vivre licentieufe, fans autrementdéfendre ces chofes. Car ladéfenfe aiguife1'appetit.Le fecond point de cette fcience eft de bienemployer les finances. Voici par or Ire lesarticlesaede cetteceueemploiteempione ccÖCaepeme;dépenfe; entretenement deCIIUCLCIICUKUL UCla maifon du prince; paiement de la endarmerie;gages des officiers; lovers juftes de ceux qui ontbien mérité du public; penfions & fecours charitablesaux perfonnes recommandées. Ces cinqfont néceffaires , après lefquels viennent ceuxcitrès-utiles; réparer les villes, fortifier tk munirles frontieres ; refaire & racoutrer les chemins,ponts & paffages: établir les colleges d'honneur;de vertu öc de ffavoir ; édifïer maifons publiques.Civ!.liv. 1. de c.eun, tollend,C.4-1. Employerles finances.


3- t. ire réferve& épargne.Lai. 30.40 ö£ IA S A G E S S E fDe ces cinq fortes de réparations, fortifications& fondations en viennent de très-grands prorits,outre le bien public; les arts & artifans font entretetenus,1'envie & dépit du peuple k caufe de lalevée des deniers , ceffe quand il les voit bienemployés : & deux pefies de républiques font chaffées,ffavoir, de 1'oiliveté & la pauvreté. Au conraireles grandes libéralités& donationsdémefuréesenvers quelques particuliers mignons, les grandsbatimens fuperbes & non néceffaires , les dépenfesfuperflues & vaines font odieufes aux fujets, quimurmurent qu'on en dépouille mille pour en vêtirun , que 1'on piaffe leur fubftance, 1'on batit deleur fang & leur fueur.Le troilieme point eft en la réferve qu'on doitfaire pour la néceflité , afin que 1'on ne foit contraintau befoin de courir aux moyens & remedesprompts, injuftes & violens ; c'eft ce que 1'onappelle 1'épargne. Or,comme d'affembler de fortgrands tréfors, & faire grands amas d'or & d'argent,encore que ce foit par moyens juftes Schonnêtes, cen'eft pas toujours le meilleur. C'eft une occafionde guerre active ou paffive , car ou il fait venir1'envie de la faire mal-a-propos , fe voyant abondancede moyens, ou c'eft une amorce k 1'ennemïde venir. Etferoitplus honorable de les emploitercomme a été dit. Auffi dépendre tout & n'avoirrien en réferve, ert encore bienpire, c'eft jouerk tout perdre. Les fages fouverains s'en gardent


L I V R E UI. 4*bien. Les plus grands tréfors, qui ont anciennementété, felon celui de Darius, dernier Roi desPerfes,chez lequel Alexandre trouva quatre-vingt millionsd'or. Celui de Tibere, 67 millions. Trajan 51millions gardés en Egypte. Mais celui de Davidpaffe beaucoup tous ceux-la ( chofe incroyable enun fi petit &c fi chétif état) qui étoit de fix vingtmillions.Or , pour regarder que ces grands tréfors ne fedépendent point, ou ne foient violés ou dérobés,les anciens les faifoient fondre & réduire engrandes maffes & boules , comme les Perfes &CRomains , ou les mettoient dedans les temples desDieux , comme lieux de toute füreté, comme lesGrecs au temple d'Appollon, qui toutefois a étéfouvent pillé & volé: les Romains au temple deSaturne. Mais le plus utile eft comme a été dit,le prêter avec quelque petit profit aux particuliers,fous bons gages ou caution fuffifante. Auffi faudroit-ilpourgarder les finances des larrons, nonpas vendre k gens de baffe & méchanique condition,mais donner k gentilshommes & gensd'honneur le maniement des finances, & les officesfinanciers, comme les anciens Romains,qui entrenoientles jeunes hommes des plus nobles& crandes maifons, & qui afpiroient aux plusgrands honneurs & charges de la répubhque.Après le confeil des finances, je penfe bienmettre les armes, qui ne peuvent fubfifier, ni être1. Paralip;armée.6. -Hief decette provifion, force&.ir.nie.


4 2 DE LA S AG-ES SE,bien & heureufement levées & conduites fans cesdeux. Or, la force armee eft bien néceffaire aupnnce, pour garder fa perfonne & fon état: carc'eft abus de penfer gouverner unétat long-tempsfans armes. 11 n'y a jamais de füreté entre lesfoibles & les forts, & ya toujours gens qui remuentdedans ou dehors 1'état. Or , cette' forceeft ou ordii aireen tout temps: ou extraordinaireau temps de guerre. L'ordinaire eft aux perfonnes&auxp!aces. Les perfonnes font de deux fortes;II y a les gardes du corps & de la perfonne dufouverain, qui fervent non-feulement k fa füreté& confervation , mais auffi pour fon honneur &ornement: car le beau & bon dire d'Agefilausn'eft pas perpétuellement vrai, & y auroit tropde danger de 1'effayer & s y fier. Que le princevivra bien affuré fans gardes, s'il commande kfes fujets comme un bon pere k fes enfans (car lamalice hiimainene s'arrête pas en fi beau chemin)Et ks compagnies certaines entretenues& toujoursprêtes pour les promptes néceffités & foudainesoccurrences , qui peuvent furvenir. Car attendreau befoink lever gens, c'eft grande imprudence.Quant aux places, ce font les fortereffes & citadellesaux frontieres, au lieu defquelles aucuns &les anciens approuvent plus les colonies & nouvelkspeuplades. L'èxtraordinaire eft aux armes;qu'il lui convient lever & dreffer en temps deguerre; comment H s'y doit gouverner, c'eft-a-


L I F & E l i l . 43dire, entreprendre 8c faire la guerre; c'eft pour ic.fuivantla feconde partie, qui eit de 1'aüion: cette premièreefl de la provifion. Seulement je dis que le princefage doit outre les gardes de fon corps, avoircertaines gensennombre plus grand ou plus petit, -felon 1'ëtendue de fon état, pour réprimer unefoudaine rebellionou émotion, qui pourroit avevenirdedansou dehorsfon état, réfervant k faireplus grande levée lors qu'il faudra faire la guerreabon efcientde propos délibéré , offenfive oudéfenfive,Sc cependant tenir les arfenals 8c magafinsbien garnis 8c pourvus de toutes fortes d'armesoffenfives 8c défenfives , pour éqüipper gens depied 8c de cheval; plus , des munitions deguerre , d'engins , d'outils. Un tel appareil nonfeulementeft néceffaire pour faire la guerre, carces chofes ne fe trouvent ni ne s'apprêtent en peude temps, mais encore il empêche la guerre. Car1'on n'eft pas fi hardi d'attaquer un état, que 1'onfcait bien prêt & bien garni. II fe faut apprêterk la guerre pour ne 1'avöir point, qui cupit pacem,partt bellum.Après toutes ces provifions néceffaires Sc effentiellés,nous mettrons finalement les alliances, fion. Ailian-7. Chef decette provice.qui n'eft pas un petit appui 8c foutient de 1'état.Mais il faut de la prudence k les chorür öc menbltir , regarder avec qui 1'on s'allie, Sc commentII faut s'allier avec des puiffans 8c voifins; cars'ils font foibles Sc éloignés, de quoi pourront-r.Avec qui.


L i r R E 111. 4$eft-ce qu'il vaut mieux renouveller ( ce que 1'onpeut 8c doit-on faire avant que le temps expire )8c renouer, que les faire perpétuelles. Car elless'allanguiffent & fe relachent: & qui fe fentiragrevéla rompra plutöt, fi elle eft perpétuelle ,que fi elle ed limitée : auquel cas il attendra leterme. Voilanos fept provifions néceffaires.C H A P I T R EIII.Seconde partie de la. Prudence politique & duGouvernement d'Etat, qui ejl de Caclion & gouvernementdu Prince.A YANT traité de la provifion , 8c inftruit leSouverain de quoi 8c comment il doit garnir & ]munir foi 8c fon état : venons a 1'acfion , 8c jvoyons comment il fe doit employer & fe prévaloirde ces chofes, c'eft-a-dire, en un mot biencommander 8c gouverner. Avant traiter ceci diftinaementfelon le partage que nous en avonsfait, nous pouvons dire en gros [qué bien gouvernerSc fe bien maintenir en fon état, git as'acquérir deux chofes, bienveillance & autorité.La bienveillance eft une bonne volonté 8c aflectionenvers le fouverain & fon état. L'autoritéeft une bonne 8c grande opinion, une eftimehonorable du fouverain Sc de fon état. Par leÏ.?e(cription'ommaire da'aftion du?rince.Bienveillance, autorité,deux foutiens


2.Brenveil'an-cequis'ac-cfiikrt pardouceur.Tacit.Sericc.Tacit.4


L I V R E III. 47Et k la vérité 1'on obéit plus volontiers k celuiqui commande doucement, remijjius imperanti meliusparetur, qui vult amari , languida regnet manu.La puiffance, difoit Céfar , grand dofteur en cettematiere médiocrement exercée, conferve tout,mais qui commande indifféremment & eshontément,n'eft ni aimé ni afluré. II ne faut pas toutefoisunedouceur trop lache , molle ni abandonnée,afin que 1'on ne vienne en mépris , qui eft encorepire que la crainte, fed incorrupto ducis honorc.C'eft le tout de prudence de tempérer ceci, nerechercher d'être rédouté en faifant du terrible;ni aimé en trop s'abaiffant.Tacit.Le fecond moyen d'acquérir la bienveillance eft vBénéficence.bénéficence, j'entends premiérement envers tous,mêmement le petit peuple , par une providence& bonne police , par laquelle le bied & touteschofes néceffaires au foutien de cette vie ne manquent,mais foient k bonne raifon, voire abondents'il eft poffible'; que la cherté ne travaille pointles fujets. Car le menu peuple n'a foin du public,Tacit.que pour ce regard. Vulgo una ex republica annoncecura.Le troifieme moyen eft la libéralité (bénéficence 4- ,Libéralité.plus fpéciale) qui eft une amorce , voire un enchantementpour attirer, gagner tk captiver lesvolontés. Tant eft chofe douce que de prendre ,honorable de donner. Tellement qu'un fage a dit,qu'un état fe gardoit mieux par bienfa:L que par


'48 DE LA SAGESSE,armes. Elle a principalement lieu k 1'entrée tk utiétat nouveau. A qui, combien tk comment ilfaut%n 1. c. art. exercer libéralité, a été dit ci-deffus. Les moyens13. Tacit. ^ ekienveillanceo n t£ tA iagement pratiqués parAugufte , qui militetn donis , populum annona ,cunclos dulccdine otii pellexit.$• L'autorité eft 1'autre appui des états, MajeflasAutorité. „ , . _ - , ... \imperu, falutis tutda. La torterene ïnvincible duPrince , par laquelle il fcait avoir raifon de ceuxqui ofent le méprifer & lui faire tête. Aufïi a caufed'icelle 1'on ne 1'ofe attaquer, & tous recherchentd'être bien avec lui. Elle eft compofée de crainte& de refpeö. Par ces deux le prince & fon étatQui s'ac - eft redoutable k tous & affuré. Pour acquérir cettehuiert parfévérité. autorité, outre la provifion des chofes fufdites ,Cicero,il y a trois moyens qui fe doivent foigneufementen la forme de commander. Le premier eft la févérité,qui eft meiileure , ,plus falutaire, affurée,durable que 1'ordinaire douceur & grande facilité.Ce qui vient premiérement du naturel du peuple,lequel, comme dit Ariftote , n'eft pas fi bien né ,qu'il fe range au devoir par amour, ni par honte,mais par la force &C crainte des fupplices ; puisde la corruption générale des mceurs & débaüchecontagieufedu monde , k laquelle ne faut paspenfer pourvoir par douceur qui aide plutöt kmalfaire. Elle engendre mépris tk efpérance d'impunité, qui eft la pefte des républiques tk desétats, ilUctbm peccandi maxima fpcs impunitatiC'eft


L I V R E III.4 9C'eft une grace envers plufieurs & tout le public,de quelquefois en chatier bien quelqu'un. Et fautpar fois couper m doigt pour empêcher Iagangrene de fe prendre a tout le bras , feloncette réponfe d'un Roi de Thrace, a qui 1'ondifoit qu'il faifoit 1'enragé & non le Roi; quefa rage rendoitfes fujets fains & fages. Laiévéritémaintient les officiers & magiftrats en devoir,chafle les flatteurs , courtiers , méchans, impudensdemandeurs & petits tiranneaux. Au contrairela trop grande facilité ouvre la porte a tous cesgens-la, dontil avient un épuifement des finances,impunité des méchans, appauvriflement du peuple,comme les catares & fluxions en un corps flouet& maladif tombent fur les parties plus foibles.La bonté de Pertinax , la licence d'Héliogabale,penferent perdre & ruiner 1'empire; la févéritéde Severe & pnis d'Alexandre le rétablit & remiten bon état. II faut toutefois que cette févéritéfoit avec quelque retenue , par intermiffion & kpropos, afin que la rigueur envers peu de gens,tienne tout le monde en crainte, utpcena adpaucos,metus ad omnes. Et les rares fupplices fervent plusa la réformation de 1'état, a dit un ancien, queles fréquens. Cela s'entend, fi les vices ne fe renforcent&c ne s'opiniatrent pas ; car lors il néfaut épargner le fer & le feu, crudelem medicumintemperans ceger facit.Le fecond eft la confiance, qui eft une fermeté//. Partie. Q7-Cüulhnce.


s.ijO D E L A S A G E S S E ;&c réfolution, par laquelle le Prince marchanttoujours de même pied , fans varier ni changer,maintient toujours tk preffe 1'obfervation desloix & coutumes anciennes. Le changer tk ravifer,outre que eet argument d'inconftance & irréfolution.apporte tk aux loix, tk au Souverain , &a 1'Etat du mépris tk mauvaife opinion. Dontles fages défendent tant de rien remuer tk rechangeraux loix & coutumes, fut-ce en mieux :car le remuement apporte toujours plus de mal& d'incommodité, outre 1'incertitude tk le danger,que ne peut apporter la nouveauté. Par quoitous novateurs font fufpeéts, dangereux & achaffer. Et n*y peut avoir affez forte 8c" fuffifantecaufe ou occafion de changer, fi ce n'eft unetrés-grande, évidente tk certaine utilité ou néceflitépublique. Et en ce cas encore faudroit-ily procéder comme d'aguet, doucement tk lentementpeu a peu , tk quafi infenfiblement ,Unittr & lente.Le troifleme eft a tenir toujours ferme enmain le timon de 1'Etat , les rênes -du gouvernement, c'eft a dire lhonneur & la force decommander & erdonner & ne s'en fier ni remettrepoint a d'autre , & renvoyer touteschofes au confeil , afin que tous ayent 1'ceilfur lui., & ffachent que tout dépend de lui. Lefouverain qui quitte tant peu que ce foit de fonautorité, gate tout. Parquoi il ne doit éleverni


LIVRE III. y jfaggrandir pas trop perfonne , communis cujlodiaprincipatus neminem unum magnum facere. Que s'ily en a quelqu'un tel, il le faut ravaler & reculer,mais doucement; & ne faire point les grandes &hautes charges perpétuelles ni k longues années,afin que 1'on ait moyen de fe fortifier a 1'encontredumaitre, comme il eft fouvent avenu , uil tamutik , quam brevem potejlatem ejj'e , qua magnajit.Voila les moyens juftes & honnêtes au fouverain, pour maintenir avec la bienveillance l'autorité, & fe faire aimer , craindre & redoutertOUt Pnfpml-llrJ _ rar 1'un fnnc 1'-]


D E Z A S A G E S S E ,fic magnitudinis , veile quantüm pojjis , vel pot'iusquantum debeas. Le plus grand malheur qui puiffearriver k un prince , c'eft de croire qu'il luieft loifible tout ce qu'il peut & lui plait. Si-tötqu'il a confenti k ce penfement, de bon il devientméchant. Or, cette opinion leur vient des flatteurs,qui ne manquent jamais a leur prêcher toujoursla grandeur de leur pouvoir; tk bien peu y adefideles ferviteurs, qui leur ofent dire 1'obligationde leur devoir. Mais il n'y a au monde plusdangereule flatterie que celle qui fe fait foi-même,quand c'eft un même le flatteur & le flatté; iln'y a plus de remede a ce mal. Néanmoins qarrivé quelquefois par confidération de temps ,perfonnes , lieux, occafions , qu'il faut qu'un bonRoi faffe des chofes qui par apparence peuventfembler tyranniques, comme quand il eft queftionde réprimer une autre tyrannie , fcavoir ; d'unpeuple forcené, duquel la licence eft une vraietyrannie , ou bien des nobles & richcs qui tyrannifentles pauvres tk le menu peuple; ou bienquand le Roi eft pauvre & néceffiteux, qui nefcait oii prendre argent, & fait des emprunts furles fiches. Et ne faut pas eftimer toujours êtretyrannie la févérité d'un prince ou les gardes tkfoiterefles, ou bienlamajefté Hes commandemensimpérieux, qui font quelquefois utiles , voirencceffaires; tk font plusafouhaiter que les doucesprieres'des tyrans.


L I V R E III. 5:3Voila deux vrais foutiens du prince Sc de 1'état. ia.Hai:e , m ! -Si en iceux 'auffi le prince fe fcait maintenir ,pris, deuxSc fe préferver des deux contraires, qui font lesmeurtners du prince Sc de 1 etat, ff avoir ; haineSc mépris, defquels il faut dire un mot, pourmieux y pourvoir Sc s'en garder. La hainecontraire a la bienveillance eft une mauvaife Scobftinée affecfion des fujets contrele prince & fonétat; elle procédé ordinairement de crainte pour1'avenir , ou defir de vengeance pour 1 le pafTé ,ou de tous les deux. C'eft haine, quand elle eftgrande & eft de plufieurs , a grande reine lePrince peut-il échapper, multorum odiis nullce opespojfunt re/ijlere. II eft expofé a tous , Sc n'en fautqu'un pour y mettre fin. Multce Mis manus, Miuna cervix. II faut donc qu'il s'en préferve : cequ'il fera en fuyant les chofes qui 1'engendrent,fcavoir; cruauté & avarice , les contraires auxinftrumens fufdits de bienveillanc?.II faut qu'il fe garde pur & net de cruauté ir.vilaine, indigne de grandeur, trés-infame au prince;mais au contraire qu'il s'armede clémence, commea été dit ci-deffus aux vertus requifes au prince.Mais pource que les fupplices, bien qu'ils foientjuftesck: néceffaires en un état, ont quelque imagede cruauté , il doit prendre garde de s'y porterdextrement; Sc pource lui en voulons donneravis: par exprès il ne doit mettre la main au glaivede juftice, que bien tard Sc comme k rcgret :D iijdu prince.pol.Arift.!. j.ILn.e.Cicers.Qui vicnt decruauté. c. 2.art. 1. 12.Avis rour'(fuppii e;.Sencc.


11.Avarice endeux.54 D E L A S A G E S S X ,libenter damnat, qui citö : ergo ibiparfimonia ttiamviliffimi fanguinis. 2. Forcé pour Ie bien public ,tk plutöt pour exemple, öc empêcher que 1'onn'y retdurne que pour punir le coupable, 3. fanscolere ni jcie, ou autre palfion.Que s'ilen falloitmontrer aucune , ce feroit compaffion; 4. a. lamaniere accoutumée du pais tk non par nouveauxfupplices, témoignages de cruauté ; 5. fans aflifterni fe trouver a 1'exécution ; s'il en faut punirplufieurs, il les faut dépêcher vitement tk touten un coup ; car les faire longuement trainer lesuns après les autres , femble que 1'on s'y plait tks'en pait.II faut auffi qu'il fe garde d'avarice bien méféanteen un grand. Elle fe montre ou a trop exiger& tirer\, ou k trop peu donner. Le premierdéplaïc fort au peuple avare de nature, tk k quile bien c'eft le fahg & la vie : c'eft de quoi plusvolontiers il fe dépite, le fecond aux hommes defervice tk de mérite qui ont travaillé pour lepublic, &penfent qu'il leur eft du quelque entretien.Of, comme le prince fe doit gouverner entout cela, tk en matiere de finances , tant k fairefonds & impofer , qua dépendre tk réferver ,il a été bien au long difcouru au chapitre précédent.Seuiement dirai ici , que le prince fe doitfoigneufement garder de trois chofes, 1'une dereffembier par trop grandes tk exceflives impofitïons,ces tyrans ronge-fujets , mange-peuple s,


L I V R E 11.qui dcvoratit pkbem ficut efcam panis denariosquorum ararium fpoliarium civium , cruentarumqutprcedarum reeeptaculum, car il y a danger de tumultes,temointantd'excmples Sc vdains accidens;fecondement de fordité, tant k amaffer (Indignumlucrurn ex omni occafwne odorari: & ut dïcitur,etlam a mortuo auferre: parquoi ne fe doit fervira ceia d'accufations, confifcations, dépouilles injuftes)qui ne rien donner, ou donner troppeu tk mercenairement, cc fe laiffer par tropimportuner par requêtes&c 6c longue pourfuite.Tiercement de violence en la levée , de iourrage,pillerie ; cC que s'il eft poffible 1'on ne vienne afaifir les meubles, les outils du labourage. Ceciregarde principalement les receveurs 5c extracteurs,qui par leurs rigueurs expofent le princea la haine du peuple , 5c le diframent, gens fins,cruels a ftx mains tk trois têtes, dit quelqu'un-A quoi le prince doit pourvoir qu Is oient prudhommes: puis s'il s faillent, les ch-iTer rudementavec rude chatiment Sc groiles amandes pourleur faire rendre Sc regorger , comme épongcs,yce qu'ils ont fuccé tk tiré induement du pcuple #Venons a 1'aUtre pire ennemi, mépris , qui eftune finifire , vilë Sc abjefte opinion du prince de1'état; c'eft la mort des états, comme l'autoritéeft 1'ame Sc la vie. Qui maintient un homme feul,voire vieil Sc caffé fur tant de milliers d'hommes,finon l'autorité Sc la grande eftime : fi elle s'enD ivMépris.


^ Sc 1'état donnent du nez en terre. Et tout ainfiEn ce ekart. 5. 'que comme a été dit, l'autorité eft plus forte&Plin paneg. fe dégrade 6c proftitue foi-même, & videatur exircQuï viont deDe laforme de gouverner trop lache, efféminée,rr.auvaife faconde gouverner.molle , languiffante Sc nonchalante , ou bienlégere Sc volage , fans aucune tenue , c'eft étatMalheur.56 2? £ S A G E S S £,va & fe perd par mépris , il faut que le princeaugufte que la bienveillance, auffi le mépris eftplus contraire Sc dangereux que la haine , laquelleofe rien étant rerénue paria crainte, fi le méprisqui fecoue la crainte, ne 1'arme & ne donne lecourage d'exécuter. II eit vrai que le mépris vientrarement , mêmement s'il eftvrai Sc légitimeprince; finon qu'il foit du tout fainéant, & qu'ilde imperio. foutefois il faut voir d'oii peut venirpour s'en garder. II vient de chofes contraires auxmoyens d'acquérir autorité , Sc fpécialement detrois, fcavoir;fans état. Sous tels princes les fujets fe rendenthardis, infolens , penfent que tout eft permis,que le prince ne fe foucie de rien,malumprïncipemhabere , fub quo nihil ulli liceat: pejus , eum ,fubquo omnia omnibus.Secondement du malheur du prince , foit enfes affaires qui nefuccedent pas bien , ou en lignée,s'd eft fans enfans, qui fervent d'un grand appuiau prince , Ou au moins certitude de fucceffeurs,dont fe plaignoit Alexandre le grand, orbitas mta,


L i r R s 1II. 57quod Jint libtrisJum, fpernitur. Mun'umn aulce regisliberi.Tiercement des mceurs , fpécialement diffolus, Mceurs vilaines.laches Sc voluptueux , ivrognerie , gourmandife;aufTi de lourdife, ineptie, laideur.DiflinflionVoila en gros parlé de 1'adtion du fouverain.de 1'aöion duPour la traiter plus diftinctement & particuliére-Prince.ment, il fe faut fouvenir comme a été dit aucommencement, qu'elle eft doublé, pacifique Scmilitaire, j'entends ici 1'acfion pacifique, 1'ordinairequi fe fait tous les jours Sc en tout temps, depaix ou de guerre ; la militaire qui ne s'exercequ'en temps de guerre.La pacifique Sc ordinaire du fouverain ne fe peut De la pacifique.du tout prefcrire, c'eft chofe infinie : &C confifte Avis pouricelle.autant u fe garder de faire comme k faire. Nousen donnerons ici des avis principaux Sc" néceffaires.Pour un premier, le prince doit pourvoir a cequ'il foit fidélement & dlligemment averti de touteschofes. Ces toutes chofes reviennent k deux chefs,dont y a deux fortes d'avertiffemens Sc d'avertiffeurs,qui doivent être bien confidens Sc affurés,prudens Sc fecrets ; bien qu'aux uns eft requifeune plus grande liberté , fermeté Sc franchife ,qu'aux autres. Les uns font pour 1'avertir de fonhonneur Sc devoir , de fes défauts, Sc lui dire fesvérités.Il n'y a gens au monde qui ayent tant debefoin de tels amis comme les princes qui neyoyent Sc n'entendent que par les yeux Sc par les


58 DE LA S A G E S S E ,oréilles d'autrui. Ils foutiennent une vie publique,ent k fatisfaire a tant de gens , on leur cele tantde chofes , que fans le fentir ils fe trouvent en*gagés en la haine & déteftation de leurs peuples,pour des chofes fort remédiables & fort aifées aéviter, s'ils en cuffent étéavertis d'heure. D'autrepart les avertiffemens libres , qui font meilleursoffices de la vraie amitié, font périlleux k 1'endroitdes fouverains ; combien au'ils foient bien délicats& bien foibles, fi pour leur bien & profitils ne peuvent fouffrir un libre avertiffement, quine pince que 1'ouie , étant lereftede 1'opérationen leur main. Les autres font pour 1'avertir detout ce qui fe paffe Ik. fe remue non-feulementparmi fes fujets &C dedans 1'enclos de fon état ,mais encore chezfes voifins , de tout, dis-je, quitouche de loin ou pres 1'état fien & de fes voifins.Ces deux fortes de gens répondent aucunementk ces deux amis d'Aiexandre, Epheftion & Craterus,dont 1'un aimoit le Roi, & 1'autre Alexandre,c'eft-a-dire, 1'un 1'état & 1'autre la perfonne.En fecond lieu le prince doit toujours avoir ena. avoir unmémorial des main un petit mémorial & livret, contenant troischofes , principalement un regiftre abrégé desaffaires d'état; afin qu'il fcache ce qu'il faut faire ,ce qui eft cömmëncé de faire, & qu'il ne demeurerien imparfait & mal exécuté; une lifte des plusdignes perfonnages , qui ont bien mérité ou font2. Ferfonnes-. capables de bien mériter du public ; un mémoire


L I V R E 111. 59des dons qu'il a fait, k qui & pourquoi, autrement& fans ces trois il lui aviendra de faire de grandesfautes. Les grands princes & fages politiques 1'ontainfi bien pratiqué. Augufte, Tibere, Vefpafian,Trajan, Adrian, les Antonins.16.En tiers lieu, d'autant que 1'un des principauxOrdonnerdevoirs du prince eft k difcerner Sc ordonner des c'es loyers Scweines.loyers Sc des peines, Sc pource que 1'un elf favorableSc 1'autre odieux , le prince doit retenirk foi la diftribution des loyers Sc bienfaits, quifont états, honneurs, offices, bénéfices, privileges,penfions, exemptions , immunités, reftitutions ,giaces Sc faveurs, Sc renvoyer k fes officiers kfaire & prononcercondamnations , amandes,confifcations , privations , fupplices Sc autrespeines.En diftribution des loyers, dons Sc bienfaits , 17.4. diflnbueril s'y doit porter prompt Sc volontaire , les les loyers.donner avant au'ils foient demandés. s'il fe neut.Sc n'attendre pas qu'il lui faille les refufer; Sc lesdonner lui-même s'il peut, ou les faire donner enfa préfence. Paree moyen,les dons Sc bienfaitsferont beaucoup mieux recus, auront plus d'efficace:Sc 1'on évitera deux grands inconvéniensordinaires qui priyent les gens d'honneur Sc demérite des loyers qui leur font dus; 1'un eft unelongue pourfuite , difficile Sc pleine de dépenfe ,qu'il convient faire pour obtenir ce que 1'onveut6c 1'on penfe avoir mérité; ce qui eft grief agens3. Dons.


6o D E L A S A G E S S E ,d'honneur & de cceur. L'autre, qu'après avoJobtenu du prince le don avant qu'en pouvoijpuir , d coüte la moitié & plus de ce que vanle bienfait, & encore quelquefois viendra k rieniS.Do l'aflion Venons k 1'aéUon militaire du tout néceffaire imilitaire,quila tuition & défenfe du prince, des fujets & dcii en troispoints. tout 1'état, traitons-la briévement. Toute cett1. Entreprendreoii il faut matiere revientk trois chefs, entreprendre, fairesdeux chofes.1, Injuflice, finir la guerre. A 1'entreprife il faut deux chofes;PI in. inpineg.Kalk*.juftice & prudence , & fuirdu tout les contraire»1'injuftice & la témérité. II faut premiérement quila guerre foit jufte ; la juftice doit rnarcher devanJla vaillance, comme le délibérer va devant 1'exéJcuter. II faut abominer ces propos, que le droileft en la force, que 1'iffue en décidera, que le phJfort 1'emportera. II faut regarder k la caufe, aufonds & au mérite , & non k 1'iffue ; la guerre rjfes droits & loix, comme lapaix. Dieu favorife led]iuftes guerres , donne les viefoires a qui lui plaït j& s'en faut rendre capable , premiérement par ldjufte entreprife. II ne faut donc pas pour toutJcaufe ou occafion commencer la guerre, non e\omni occajione qucerere triumphum. Et fe bien gardque 1'ambition, 1'avarice , la colere ne nous \fourrent, qui (ont toutefois k vrai dire plus ordiJnaires motifs des guerres: una & ea vetus caufkbellandi eft profunda cupido imperii & divitiarum Imaximam gloriam in maximo imperio putant,pén fezdus impius lucri furor, & ira precceps.ru\


L I V R E III. CiPour rendre la guerre de tous points jufte, ili&ut trois chofes, qu'elle foit indite 6c entreprifepar celui, qui peut, qui eft le feul fouverain.Pour caufe jufte, telle eft abfolumentla défenfivejuftifiée par toute raifon aux Sages, par néceflitéaux barbares; par la coutume a toutes gens;par la nature aux bêtes : défenfive , dis-je,foi, oii je comprends fa vie , fa liberté & fes parens, 8c" fa patrie: De fes alliés, confédérés, c'eftpour la foi donnée pour les injuftement oppreflés,qui non defendit, nee obfiftit,ft potejl injurice ,-tamejl in vitio , quam ji parentes , aut patriam , autfiocios deferal. Ces trois chefs de différence fontcompris en la juftice par faint Ambroife ,fortitudoquiz per bella tuetur a. barbaris patriam, vel defenditlinfirmos , vel d latronibus foeios , plena jujlitice ejl..Un autre plus court la met en deux , foi & falut.^Nullum bellum a civitate optima fufcipitur, niji aut;pro fide aut pro falute , & 1'offenfive avec deuxxonditions ; qu'il y ait eu óffenfe'9- •Trois chofesrendent 1'cntrepril'ejufte.29.Cic. pr»Vlilone.Inoffi,SalluIdemandé clairement par héraut exprès cequiaétéPlin. I. 22.: pris ( poft clarigatum ) &C recherché la voie de nat. hifi. c. 2.deprécédente,: comme outrage ou ufurpation , & après avoir re-juftice , qui doit toujours aller la première. Car.ü 1'ori y veut entendre , 8c" fe foumettre a la• raifon, faut s'arrêter; finon, le dernier & par ainfi: néceffaire eft jufte 8c" permis, juftum bellum, quibus\necejfarium , pia arma 3quibus nulla nift in armisrelinquitur Jpes.Lifius.


II.Prudence,Livius,Tacit.6l DE LA S A G E S S E ,3. A une bonne fin, fcavoir; !a paix & le repos.Sapientes pacis caufa bellum gsrunt, & laborem fpe\otii fujlentant,ut in pace fine injuria vivant.Après la juftice vient la prudence qui faitmurementdéliberer avant que corner la guerre. Dontpour ne s'échauffer pas tant , & fe garder detémérité , il eft bon de penfer a ces points ; auxforces & moyens, tant fiens que de fon ennemi.2. Au hafard & dangereufe revolution des chofeshumaines , fpécialement des armes qui font journalieres, & auxquelles lafortune aplus de crédit,& exerce le plus fort empire qu'en toute autrechofe dont 1'iffue peut être telle , qu'en une heureelle emportera tout, Jïmul parta ac fperata decoraunius hora "fortuna evertere potefl.3. Aux grands maux , malheurs & miferes publiques&particulieres, qu'apporte néceffairementla guerre , qui font telles que la feule imaginationeft lamentable. 4. Aux calomnies , malédictions& reproches que 1'on jette & verfe fur les auteursde la guerre, a caufe des maux qui en arrivent;car il n'y a rien plus fujets aux langues & jugemens,que la guerre. Mais tout tombe furie chef,iniquifjima bellorum conditio hese eft ^ profpera omnesJibi vindicant, adv erfa uni imputantur. Toutes ceschofes font que la plus jufte guerre eft déteftable,dit faint Auguftin , & que le fouverain n'y doitentre-r cue par grande néceffité , comme i! eft ditd'Augufte; & ne fe laifler gagner a ces boutefeux


L I V R E III. 63! & flambeaux cle guerre, qui par quelque pafficm[ particuliere Py veulent échauffer: quibus in pacedurius fcrvitium ejl, in idnati, ut nee ipji quiefcant,; jieque alios Jinant. Et font fouvent ceux a qui11e nez faigne , quand il faut venir au fait. Duke\ bellum 'mexpertis. Le fage fouverain fe contjendraI paifible, fans provoquer ni auffi craindre la guerre,I fans rémuer fon état tk celui d'autrui entre efpéïrancetk crainte, tk venir a ces extrêmités deipérir ou faire périr les autres.Le fecond chef de 1'aclion militaire eft a fairez. Chef, fair»Ha guerre. A quoi font requifes trois chofes , I a guerre otiy a troisimunitions , hommes , regies de guerre. La points. 2.Provifions1 première eft la provifion tk munition dê toutes Sc munitions.(chofes néceffaires a. la guerre , qui doit être faite(de bonne heure; car ce feroit grande imprudence(d'attendre au befoin k chercher ce qu'il faut avoirt tout prêt. Diu apparandum eft ut vincas celerius.(Or, de la provifion requife pour le bien du[prince tk cle 1'état , ordinaire & perpétuelle enttout temps, a étéparlé en la première partiedeicechap.qui eft toute de ce fujet. Les principalesjprovifions & munitions de guerre font trois,(deniers qui font t'efprit vital & les nerfs de lacguerre, en a été parlé; armes tant offenfives queC. precéd.c défenfives, defquelles a été auffi parlé. Ces deuxfont ordinaires & en tout temps. 3. Vivres, fans1 lefquels 1'on ne peut vaincre ni vivre , 6c eft-on(défait fans coup férir, le foldat fe debauche tk


Cafliod.13.1. avoir,hommes,24.3. Hutot.piétons quecavalerie.64 B S L A S A G t S S £,n'en pcut-on venir a bout. Difciplinam non fervatjejunus exercities; mais c'eft une provifion extraordinaireSc non perpétuelle, qui nefe fait que pourla guerre, dont n'en a été parlé ci-defTus. II fautdonc en déliberant de la guerre , faire de grandsmagafins de vivres, bleds, chairs'falées, tant pour1'armée qui eft en campagne, que pour les garnifonsdes frontieres, qui peuvent être afiiégées.La feconde chofe requife k faire la guerre,font les hommes propres k affaillir Sr k défendre.II les faut diftinguer. La première diftinttion eften foldats ou gendarmes &i chefs ou capitaines. IIen faut de tous les deux. Les foldats font le corps,les chefs font 1'ame , la vie de 1'armée , qui donnemouvement Sc action. Or , nous parierons icipremiérement des gendarmes Sc foldats, qui fontle gros. II y en a de diverfes fortes; il y a lespiétons Sc les gens de cheval, les naturels dupays, Sc les étrangers, les ordinaires Sc les fubfidiaires.II les faut prem'érement tous coraparerenfemble pour fcavoir qui font meilleurs Sc apréférer; Sc puis nous verrons comment il les fautchoifir, Sc après les gouverner Sc difcipliner.En cette comparaifon tous ne font d'accord.Les uns, même lesrudes Sc barbares préferentlesgens de cheval aux piétons, les autres au contraire.L'on peut dire que les piétons tout limplementSc abfolument font meilleurs; car ils ferventSc tout du long de la guerre, Sc en tous lieux,


L I V R E 111. 5?& en toutes affaires; la oü aux lieux montueux ,fcabreux & étroits, tk k affiéger places, la cavaleriey eft prefque inutile. Ils font auffi plutötprêts &c coütent beaucoup moins; & s'ils fontbien conduits tk armés comme il faut, ils foutiennentle choc de la cavalerie. Auffi font-ilspréférés par ceux qui font Dotteurs en cette befogne.On peut dire que la cavalerie eft meilleureau combat, & pour avoir plutöt fait: equejlriumvirium proprium citb parare. , citb ceclere vicforiam.Car les piétons n'ont pas fi-töt fait; mais ils agiffentbien nlus fürement.Quant aux naturels & étrangers, auffi ne fontilstous d'accord fur la préférence , mais fans rels qu'étran.2. Et natu­trangers.doute les naturels font beaucoup meilleurs; carils font plus loyaux que les étrangers mercenaires.Venalefque manus, ibi fas, ubi maxima,merces, plus patiens tk obéiffans, fe portant avecplus d'honneur tk de refpedt envers les chefs; decourage aux combats, d'affection a la victoire,& au bien du pays, & cofitent moins & font plusprêts que les étrangers, fouvent mutins , mêmeau befoin, & faifant plus de bruit que de fervice,i & la plupart importuns tk onéreux au public ,i cruels k ceux du pays , qu'ils fourragent commet ennemis, qui coütent k les faire venir & retou-1 ner; tk les faut attendre fouvent avec dommager grand. Que fi en une néceflité externe il en faut,lübit; mais qu'ils foient en beaucoup plus petitII. Part ie.E


T»nt ordinaire»quefubfiditires.C. 2. art. 21.èS DE LA S A G E S S E,


L I V R E 111. &ytambour , enrölés , duits tk induits a la guerre.Et venant la paix fe retirent & retournent k leursvacations.Nous avons entendu leurs diftinftions & différences,maintenant faut avifer k les bien choifir; fir.*7-%. Bien choi­c'eft a quoi il faut diligemment avifer, tk non pask en amaffer tant tk en fi grand nombre, lequel Non le noir,.bre , mais I»,n'emporte pas la vief oire, mais la vaillance; tk vaillance.ordinairement peu font qui font la déroute. Uneeffrénée multitude nuit plus qu'elle neprofite. Nonvires habet fed pondus , potiüs impedimentum quamauxilium. Ce n'eft donc pas au nombre, mais enla force & vaillance, manibus opus eft bello , nonrnultis homïnibus. II faut bien donc les choifir ( nonles acheter indifféremment avec quelque fommelégere par mois) qu'ils ne foient avanturiers,ignorant la guerre, racaillc de ville , corrompus,vicieux , diflblus en toutes facons,piaffeurs,hardis k la picorée , tk loin des coups, cerfs tklievres aux dangers , ajfueti latrociniis belloruminfolentes , galeati lepores, purgamenta urbium,quibus ob egefiatem & fiagitia maxima peccandinecefjitudo.Pour les bien choifir, il faut du jugement, de 28.Eleftion da1'attention tk de 1'adreffe , & a ces fins il faut foldats en j.chofes.'confidérer ces cinq chofes, le pays, c'eft-a-dire,le lieu de leur naiffance & nourriture. II les fautprendre des champs, des montagnes, lieux ftériles,rabotteux ou voifins de la mer, nourris aE ijI.paVS,


Weger.Tacit.i. Age.3« Corps.Ticit.68 D S L A S A G E S S Ê ;toute forte de peine. Ex agris fupplendum prceciputrobur exercitus , aptior armis, ru/lica p ebs , fub dlo& in laboribus cnutrita , ipfo terra fux folo & cottoacrius animantnr. Et minus mortem timet, qui mindeliciarum novit in vita. Car ceux des villes,nourrisa 1'ombre, aux délices , au gain, font pluslacb.es, infolens , efféminés, vernacula multitudo ,lafcivice fueta , laborum intolerans. l. L'age, qu'ilsfoient pi-is jeunes a 18 ans, ils en font plus fouplesSc obéiïfans, les vieux ont des vices , Sc ne feplient pas fi bien k la difcipline.3. Le corps duquel la ftature grande eft requifed'aucuns, comme de Marius Sc de Pyrrhus; maisencore qu'elle ne foit que médiocre, moyennantque le corps foit fort fee, vigoureux, nerveux,d'un regardfier, c'eft tout un. Dura corpora , firicliartus, minax vultus, major animi vigor. Les gros,gras, fluïdes n'y valent rien; 4. L'efprït, qui foitvif, réfolu, hardi, glorieux , ne craignant rien^.Efptit.tant que le déshonneur Sc le reproche , 5. Con-A\t\r\n nn'imnnrtp hpnurniin - rar rfiTV nui fontültion qu iraporic utraucuiLp, ccti wciut LJUI IUJILJ.Condition.de vilaine Sc infame condition, de qualité déf-B'e- il'ciphnés.yeget.honnête , ou qui fe font mêlés de métiers fédentaires,fervant k délices Sc aux femmes, font malpropres k cette profeffion.Après le choix Sc l'éleftion, vient la difcipline ;car ce n'eft pas affez de les avoir choifis capablesd'être bons foldats , fi 1'on 'ne les fait, Sc s'ilsfont faits , fi on ne les garde Sc entretient tels,


LIVRE III. 6$Nature fait peu de gens vaillans; c'eft la bonneRecommaa»inflitution tk difcipline. Or , 1'on ne f^auroit Jdation dealfez dire combien vaut tk eft utile la bonne 1 difcipline.difcipline en la guerre: c'eft tout, c'eft elle qui arendu Rome fi floriffante , tk lui a ac ]uis la feigneuriedumonde; auffi 1'avoient-ils en plus granderecommandation, que 1'amour de leurs enfans. Or,le principal point de la difcipline eft 1'obéiffance ,k laquelle fera eet ancien précepte, quele foldatdoit plus craindre fon chef que 1'ennemi.Or, cette difcipline doit tendre a d&ux fins ; krendre les foldats vaillans & gens de bien ; & ainfi: parties.aux armes, auquel il les faut contenir fans relache:c'eft d'oii eft venu le mot latin exercitus, quifignifie armee. Cet exercice des armes eft uneinfl rudïion k les bien manier tk s'en fervir , fedreffer aux combats , tirer bien des armes, dextrements'aider du bouclier, difcourir tk repréfentertout ce que peut avenir aux combats, tkvenir k 1'effai, comme en bataille rangée ; propoferplusadroits pour les échauffer. Le travailqui eft tant pour les endurcir k la peine, k la fueur,a la poufïiere, exercitus labore proficit, otio con-, 2. Le traYïOjfenefcit, que pour le bien tk fervice de 1'armée tkfortification du camp, dont les faut apprendre k tbien foffoyer, planter une palliffade , dreffer unebarricade , courir , porter fardeaux pefans, ceE iij30:Elle a detrfI. Vaillanceelle a deux parties, la vaillance & les mceurs. A quis'acquiertpar exercice»la vaillance trois chofes fervent; 1'exercice afïidu


70 'D E LA S A G Z S 3 X >font chofes nécelTaires tant 'pour fe défendre , queJ. L'ordre. pour prelfer 8c enclore 1'ennemi. L'ordre qui elfLKi^lemcntde, mceurs.de grand ufage Sc doit être en plufieurs facons©arde en la guerre: premiérement en la diftributiondes troupes , en bataillons, régimens , enfeignes, camerades. Secondement en 1'affiette ducamp, qu'elle foit en quartiers difpolée,proportion , ayant fes places, entrees ,aveciffues,logis a propos pour ceux de cheval & de pied,dont il foit aifé a chacun de trouver fon quartier,fon compagnon. Tiercement au marcher par campagneSc contre les ennemis, que chacuntiennefon rang; qu'ils foient également diftans les unsdes autres, fans trop fe preffer ni s'éloigner. Touteet ordre eft bien néceffaire , Sc fert a plufieurschofes. II eft fort beau k voir, rejouit les amis,étonne les ennemis , affure 1'armée , facilitetous les remuemens Sc les commandemens deschefs, tellement que fans bruit, fans confufion,le général commande , Sc de main en main fonintention parvient jufques aux pluspetits. Imperiumducis fimul omnes copice fentiunt, & ad nutum regeneis jine tumultu refpondent. Bref eet ordre biengardé rend 1'armée prefque invincible. Et au contraireplufieurs fe font vues perdre k faute d'ordreSc de bonne intelligence.La feconde partie de la difcipline militaire regardeles mceurs, qui font volontiers bien débauchées,Sc difficile me ntfe reglent parmi les armes,


LIVRE UI. ytajjidue dimlcantïbus difficile morum cujlodire menfuram.Toutefois il y faut mettre peine , & fpécialementy inftaller s'il fe peut, trois vertus: continence, En continer\6ce.par laquelle toute gourmandife, ivrognerie,paillarr_-— l D_ , - _ D,tdife & toute volupté infame foit chalfée, laquelleapoltronit & relache le foldat. Degenerat a roboreac virtute miles ajfuetudine voluptatum; témoinAnnibal, qui fut amolli par délices en un hiver,& fut vaincu par les vices , lui qui étoit invincible, Modeftie,ik. vainquoit tout par armes; modeftie en paroles,chalfant toute vanité , braverie de paroles ; lavaillance ne remue point la langue, mais les mains;n'eft point harangueufe mais exécute. Viri natimilitite faclis magni, ad verborum , linguceque, certaminarudes: difcrimen ipfum certaminis diffiert; viriJortes in opere acres ante id placidi. Et au contraireles grands parleurs ne valent rien. Nimii verbis ,lingua feroces. Or, la langue eft pour le confeil,la main pour le combat , dit Homere ; en faits(c'eft une firnple & prompte obéiffance fans marchanderou contröler les commandemensdes chefs)hcec funt bonce militice, veile , vereri, obedire. Abftinence,par laquelle les foldats gardent leurs mainsAbffinence.nettes de toute violence, fourrage, larcin. Voilaen fomme la difcipline militaire, laquelle le généralfera valoirpar loyer&récompenfes d'honneurenvers les bons & vaillans , & punitions féverescontre les défaillans ; car 1'indulgence perd lesfoldats.


Des chefs.Du général.Tacit.T»cir.Tacit.72 DE LA SAGESSE,C'eft affez parlé des foldats: difons maintenantdeux mots des chefs, fans lefquels les foldats nevalent rien; c'eft un corps fans ame ; un navireavec des voyageurs fans maïtre, qui tient le gouvernail.II y en a de deux fortes , il y a le généraltk premier; & puis les fubalternes. Maïtres decamp , Colonels ; mais le Général ( qui ne doitjamais être qu'un, fouspeine de perdre tout) c'efttout. C'eft pourquoi a été dit que 1'armée vautautant que vaut fon général. Et faut plus d'étatde lui, que de tout le refte, plus in duce reponesquam in exercitu. Or , ce général, c'eft le princemême tk fouverain, ou celui qu'il aura commis& bien choifi. La préfence du prince eft de trèsgrandspoids tk efticace , pour obtenir la vittoire ;redouble la force & le courage des fiens, & ftmbleêtre requife, quand il y va du falut de fon état,ou d'une province. Aux guerres de moindre conféquenceil s'en peut déporter : dubiis pmliorumexemptus fummce rerum 6* imperii fe ipfum referAu refte un général doit avoir ces qualités, ffavanttk expérimenté en l'art militaire , ayant vu tkfenti toutes les deux fortunes; fecundarum ambipuarumquererum fciens eoque interims. 2. Providetk bien avifé, & par ainfi rafïis, froid & pofé,éloigné de toute témérité & précipitation, laquellenon-feulement eft folie mais malheureufe. Or, lesfautes en la guerre ne fe peuvent rabiller: nonHeet in bello bis peccare : par quoi il doit plutót


L I V R B 111. 7?regarder derrière foi que devant, Ducem oportcc Sertor iaPlut.potius refpicere quamprofpicere. 3. Vigilant & attif,& par Ion exemple menant Sc" faffant faire a fesfoldats tout ce qu'il veut. 4. Heureux , le bonheurvient du ciel; mais volontiers il fuit Sc accompagneces trois premières qualités.Après les munitions Sc les hommes de guerre, 34- ,3. Chefs desvenons aux regies Sc avis généraux pour bien faire regies Sc avisi faire lala guerre. Ce troifieme point eft un très-grand guerre.Sc néceffaire inftrument de guerre, fans lequel Scles munitions Sc les h >mmne font que fantömes,j plura conjilio quam vi perfieiuntur. Or, de les pref-1 crire certains Sc perpétuels, il eft impoffibie. Carils dépendent de tant de chofes, qu'il faut confifidérer& auxquelles il fe faut accommoder, donta été bien dit que les hommes ne donnent confeil, auxaffaires,maislesaffairesledonnentauxhommesi1 qu'il faut faire la guerre k 1'ceil. II faut prendre; avis fur le champ , confilium in arena: car les1 chofes qui furviennent donnent avis nouveaux. Il1y en a toutefois de li généraux & certains , que11'on ne peut faillir de les dire & les obferver.Pour tout leI Nous en déduirons ici briévement quelqu'uns . temps del»guerre.; auxquels 1'on pourra toujours ajouter. Les unst font a obferver tout du long de la guerre, que1 nous dirons en premier lieu, les autres font pour1 certains endroits & affaires.Le premier eft de guetter foigneufement & emjpoignerles occalions, n'en perdre pas une, &C


y4 o E Z A S A G E S S E ,ne permettre , s'il fe peut, que 1'ennemi prenneles fiennes. L'occafion a grand cours en toutesaff.'res humaines , fpécialement en la guerre, oiielle aide plus que la force. x. Faire fon profit desbruits qui courent; car vrais ou faux peuventbeaucoup même au commencement. Farad bellaconjlant, fama bellum confidt, in fpem metumveimptllit animos.3. iViais quand 011 eft en train, il ne s'en fautplus donner la peine ; les bien confidcrer, maisen laifier k faire ce qu'on doit tk peut, ce que laraifon conieille ; tk demeurer la ferme.4, Sur-tcut fe garder de trep grande confiance& affuranxë, par laquelle on méprife 1'ennemi,& fe rend-on nonchalant & pareffeux, c'eft le plusdangereux mal qui foit en guerre. Qui méprife fonennemi fe découvre


L I V R E III. 753. La fituation des lieux, & le naturel du pays oü1'on eft. Annibal étoit excellent en cela.6. Pour le fait du combat, il faut avifer plufieurschofes, quand, oii, contre qui, & comment, ba».34-Pour les com>afin que ce ne foit mal a propos. Et ne faut venira cette extrêmité qu'avec grande deliberation ,choifir plutót tout autre moyen , & chercher arompre fon ennemi par patience, & le laifferbattre au temps, au üeu , au défaut de plufieurschofes, qu'a ce hafard. Car 1'iffue des batailles efttrès-incertaine Stdangereufe : Incerti exituspugnarum.Mars communis, qui fcepe fpoliantem & jamexultantem everlit & perculit ab abjeclo.Quand.7. II ne faut donc venir k cela que rarement,c'eft-a-dire , dans la néceffité ou pour quelquegrande occafion ; néceffité , comme fi les difficultéscroiffent de votre part; les vivres, les financesdéfaillent; les hommes fe dégoutent &s'envont; 1'on ne peut plus guere fubfifter, capienda.rebus in malis pmceps via ejl: occafion, commefi votre parti eft tout clairement plus fort: que lavief oire femble vous tendre la main, que 1'ennemieft a préfent foible & fera bientöt plus fort, &Cpréfentera le combat: qu'il ne s'en doute pas; &penfe que 1'on foit bien loin. II eft las &recru, il repaït, les chevaux font en litiere.Oi.8. Faut confidérer le lieu, car il eft de grandeconféquence aux batailles. En général ne faut pointattendre, s'il fe peut, que 1'ennemi entre dans


Avec &contre cjui.7


L I V R E III. 77la première & principale eft une belle & bonneordonnance cle fes gens. 1. Un renfort & fecourstout pret, mais couvert & caché; afin qu'inopinémentfurvenant il étonne 1'ennemi. Car touteschofes fubites , encore que vaines & ridicules,donnent 1'épouvante. Primi in omnibus pmliis oculiyincuntur & aures. 3. Arriver le premier au champ& être rangé en bataille; 1'on fait ainfi tout plusa fon aife, & fert a croïtre le courage des fiens:& abattre celui de fon ennemi ; car c'eft êtreaffaillant qui a toujours plus de cceur que la foultenant. 4. Belle, brave, hardie, refolue contenancedu général & autres chefs. 5. Harangue pour en-[ courager les foldats & leur remontrer 1'honneur,l le profit & füreté qu'il y a en la vaillance.!Le déshonneur, le danger, la mort font pourlies couards; minus timoris minus periculi, audaciamipro muro ejfe, effugere mortem, qui tam conumnit.Etant venu aux mains, fi 1'armée branie , fautcque le général tienne ferme , faife tout devoircd'un chef réfolu & brave gendarme , courir au-(devant des étonnés, arrêter les reculans, fe jetter enHa preffe, faire connoitre k tous fiens ennemis, que11a tête , la main , la langue ne lui tremblent point.Si elle a du meilleur & le deffus, la retenir,r qu'elle ne s'épande & fe débandepar trop k pour-(ifuivre obftinément les vaincus. II eft k craindrecce qui eft avenu fouvent, qu'en reprenant cceuriils jouent au défefpoir , faffent un c. ort &4. Etant auxmains.


yS DE L A S J G E S S E ,défaffent les vainqueurs : c'eft une violente maitrelted'école que la néceflité. Claujls ex defptrationecrefclt audacia: & cum fpei nihil ejl, jumit arma fomido. Leur faut plutöt donner palfage & faciliterleur fuite; encore moins permettre s'amufer aubutin , fi vous êtes vainqueur. II faut ufer de lavief oire prudemment, afin qu'elle ne tourne enmal. Par quoi ne la faut falir de cruauté en ötanta 1'ennemi tout efpoir, car il y auroit du danger.Ignaviam neceffitas acuit, fcepe defperatio fpeicf, graviffimi fint morfus inham nece ffitatis; acontraire faut lui lailfer occafion d'efpérer ouverturede paix , ne fouler ni ravager le paysconquis ; la fureur tk la rage font dangereufesbêtes , ni d'infolence , mais s'y comporter modeftementScfe fouvenir toujours duperpétuel fluxtk reflux de ce monde & révolution alternative,par laquelle de 1'adverflté nait la profpérité, &au contraire. II y en a qui fe noyent a deuxdoigts d'eau, tk ne peuvent digérer une bonnefortune. Magnam felicitatem concoquere nonpojfufortuna vittea ejl, tune cum fplendet frangitur: óinfidam fiduciam , & fcepe viclor viclus. Si vousêtes vaincu de la fageffe a bien connoitre & peferfa perte, c'eft fottife de fe faire croire que ce n'eftrien , tk fe paitre de belles efpérances , fupprimerles nouvelles.de la défaite. Illa faut confldérer toutede fon long , autrement comment y remédierat'on? Et puis du courage a mieux etpérer, a


LIVRE m.7 9reftaurerfes forces , faire nouvelle levée, cherchernouveau fecours, mettre bonnes & fortes garnifonsdedans les places fortes. Et quand le ciel feroit licontraire, comme il femble quelquefois s'oppoferaux armes faintes & juftes: il n'eft toutefois jamaisdéfendu de mourir au lit d'honneur qui eftmeilleurque vivre en déshonneur.Voila le fecond chef de cette matiere achevé, 18.Queflion desi qui eft de faire la guerre, faut' un fcrupule qui mies deguerre.refte, fcavoir; s'il eft permis d'ufer de rufes, definelfes &non,ftratagêmes. II y en a qui tiennent quequ'il eft indigne de gens d'honneur 8c devertu; rejettant ce beau dire : Dolus an virtus quisin hofle requirat? Alexandre ne voulut fe prévaloirde l'obfcurité de la nuit; difant ne vouloiri des viéioires dérobées, malo me fortuna pigeat,quam vietoria pudeat. Ainfi les premiers Romainsrenvoyant aux Phalifques leur Maitre d'école, ai Pyrrhus, fon traitre Médecin, faifant profeffionde la vertu, défavouant ceux des leurs qui enfaifoient autrement, réprouvant la fubtilité desGrecs, 1'aftuce des Africains, & enfeignant que lavictoire vraie eft avec la vertu, qua falva fide&, integra dignirate paratur, celle qui eft acquife parfinelfe, n'eft généreufe , ni honorable ni afturée.1 Les vaincus ne fe tiennent pour bien vaincus,non virtute, fed occafione & arte ducis fe villos rati:i ergo non fraude neque occultis fed palam & armatumhoflesfuos ulcifci. Or tout cela eft bie.i cit vrai,


Auguft.quaeftio fup.Jolué.38.Chef de Iamatiere militaire, fuir laguerre.De la paix dela part desvaincus.88 D e S A G E S S É J&c s'entend en deux cas, aux querelles^ particülieres& contre les ennemis privés, ou bien quandil y va de la foi donnée ou alliance traitée. Maishors ces deux cas, c'eft-a-dire en guerre & fanspréjudice de la foi, il eft permis de quelque facon«-,,,0 r-aque ce foit 4~n\-t de.faire rUfairp fon frm ennemi pnnpmi qui eft nui deja eft deia con-coPolyb lib. damné , & eft loifible de 1'exterminer. C'eft aprèsPlut. in Marcel!. Ulp.1- 1'avis des plus grands guerriers (qui au contrairet. de Prob.rmr tnuc nréféré la vïtfoire acauife par occafionont tous preiere ia VICLUIIC ÖV.C.I.UIC pai v^v-cm^.*& fineffe a celle de vive force ouverte; dont atcelle-la ordonnent un bceuf pour un facrifice, Sca celle-ci un coq feulement) la décifion de cegrand Docfeur chrétien: Cum juftum bellum fufcipitur,ut aperte pugnet quis, aut ex injidiis, nihiad juftitiam interejl. La guerre a naturellement desprivileges raifonnables au préjudice de la raifon.En temps & lieu eft permis de fe prévaloir de lafottife des ennemis, auffi bien que de leur lacheté.Venons au troifieme chef de cette matiere militaireplus court & plus joyeux de tous, qui eftde finir la guerre par la paix;. le mot eft doux,la chofe plaifante, très-bonne en toutes facons,pax optima rerum, quas homini noviffe datumpax una triumphis innumeris potior, & très-utilek tous partis vainqueurs & vaincus ; mais premiérementaux vaincus plus foibles, auxquels premiersje donne avis de demeurer armés, fe montreraffurés & réfolus; car qui veutlapaix , faut qu'ilfe tienne tout prêt k la guerre : dont a été biendit


L I V R E IJL tidit que la paix fe traite bien & heureufement fousle bouclier. Mais il faut qu'elle foit honnête &tavec conditions raifonnables; autrement combienqu'il foit dit qu'une paix fourréeelf plus utilequ'une jufte guerre , li eft - ce qu'il vaut mieuxmourir librement & avec honneur, que ferviri honteufeme it. Et au;li pure & franche , fansfraude & feintile , laquelle finiffe la guerre, nonla differe^ pace fufpecla tutius bellum : toutefois enla néceffité il le faut accommoder comme 1'onpeut. Quand le Pilote craint le n au fra ge, il fait jetpour fe fauver, & fouvent il fuccede bien de fecommettre a la difcrétiöh del'adverlaire généreux:'Viclores , qui funt alto animo : fecundce res in miferationemex ir/i vertunt. Aux vainqueurs, je con-^uers aux-De fa jjan''des vainquelselle eftfeille ne fe rendre fort dimciles a la paix, car bien utile.qu'elle foit peut-être moins utile qu'aux vaincus,fi 1'eft-elle ; car la continuation de la guerre eftennuyeufe. Et Lycurgue défend de faire la guerrefouvent a. mêmes ennemis, car ils apprennent kfe défendre, & enfin k aflaillir. Les morfures desbêtes mourantes font mortelles. Fraclis rebus vioilentior ultima virtus. Et puis 1'iffue eft toujours inicertaine. Melior tutiorqïie ceria pax fperatavicloria,, illa in tua, fuec in Deorum manu ejl. Et fouvent k\ la queue git le venin, plus la fortune a été favoirable,plus la faut-il redouter : nemo fe tutoHoncfrablj,diu} perieulis offerre tam crebris poteft. Mais elle eft vraimenthcnorable , c'eft gloire ayant la viétoire enII. Partie.F


tl DE LA S A G E S S E ,5. Bernard.Livius.main fe rendre facile k la paix; c'eft montrer que1'on finit la guerre. Et au rebours la refufer, Scqu'il arrivé un mauvais fuccès, c'eft honte. Ondit la gloire 1'a perdu : il refufoit la paix Sc voidoitrhonneur , Sc il a perdu tous les deux. Mais fautoctroyer une paix gracieufe Sc débonnaire, afinqu'elle foit durable; car fi elle eft trop rude Sccruelle, k la première commodité les vaincus ferévolteront. Si bonam dederitis, fidam & perpetuum'.fi malam , haud diuturnam. C'eft grandeur de montrerautant de douceur envers les vaincus fupplians, comme de vaillance contre 1'ennemi. LesRomains ont très-bien pratiqué ceci, Sc s'en fontbien trouvé.C H A P I T R E IV.De la Prudence requife aux affaires difficiles, mauvaisaccidens publiés & prives.P R É F A C E.-/J- PRES avoir parlé de la prudence politique requifeau Souverain, pour bien agir & gouverner, nousvoulons ici fèparèment parler de la prudence requifea fe garder & remèdier aux affaires & accidens d 'tffi-ciles & dangereux qui furviennent tant au SouverainDivifion decette matiere qu'aux fujets & particuliers. Premiérement ces affairespardiflinctiond'accidens.& accidens font en grande diverjieé: ils font pubhes


LIVRE lil § 3^particuliers,font i venir & mus menacent ouj aprcfcns & preffans; /„u n e s f o n t6- les autres font dangereux & Importans« caujede la violence. Et ceux-ci qui font les plusgrands & diffieiles ,font ou fecrets & cachés, &deux , fgavoir; conjuration contre la perfonne dupnnce ou l'e'tat, & trahifon contre les places &compagnies; ou manifefles & ouvtrts, & ceux-cifont de plufieurs fortes; car ou ils font fans farm,de guerre & ordre certain , comme les émotions populacrespour quel Hue prompte & légeref ontoccafion,fa&wns & hgues entre les fujets des uns contre lesautres , en petit & grand nomlre . grands ou penis;Jedmons du peuple contre le PrinceouLMagifiratrébellion contre f autorité & l atête du Prince - ou. font müris & formés en guerre , & s'appellent guerres«viles q«if o n [ e n a u t a m d i f o m s^ ^ ^troubles & remuemens; car c\n font les caufes, fondemens& femences; mais ont cru & fint venus en.confequence & durée. De tous nous dirons difiincle-> ment, & donnerons avis & confeil pour


§4 DE LA S A G E S S X,naturel divers, tk des accidens , & de ceux a quiils arrivént: 1'une eft de contefter fort tk s'oppofera 1'accident, remuer toutes les chofes pour leconjurer & détourner, au moins émouffer fapointe tk amortir fon coup, lui échapper oU leforcer. Ceci requiert une ame forte tk opiniatre.L'autre eft de prendre les chofes incontinent aupire, &fe réfoudre a les porter doucement &patiemrnent, tk cependant attendre paifiblementce qu'il aviendra fans fe tourmenter k 1'empêcher.Celui-la étudie k ranger les événemens, celui-cifoi-même ; celui-la femble plus courageux, celuicijoue au sur; celui-la eft fufpens, agité entre lacrainte & 1'efpérance, celui-ci fe met al'abri,&fe loge fi bas qu'il ne peut plus tomber de plushaut. La plus baffe marche eft la plus ferme tk. lefieae de conftance. Celui-la travaille d'en échapper,celui-ci de foüffrir; & fouvent celui-ci en ameilleur marché. II y a fouvent plus de mal & deperte aplaider qua perdre, a fuir & fe donnergarde, qu'k fouffrir. L'avaricieux fe tourmenteplus que le pauvre , le jaloux que le coca. Encelui-la eft plus requife la prudence, car il agit,en celui-ci la patience. Mais qui empêche que 1'onne fait tous les deux par ordre, & qu'oii la prudence& vigüance ne peut rien, y fuccede la pa-> o„ Ymaux nublics il faut effayer leuence , tcirprenus--i,:„„.^Rr „ji>,nt tpims ceux aui*en ont la charge,;• I& le peuvent; au refte, chacun choiüffe le mieuxJ


L I V R E III. *5§.11.Maux & accidens préfens , prefans & extrémes.LE moyen propre pour alléger les maux &adoucir les paffions, ce n'eft pas s'y oppofer,car 1'oppolition les piqué & dépite davantage.On aigrit & irrite le mal par la jalouiie du débat& du contrafte; mais c'eft ou en les détournant& divertiffant ailleurs, ainfi que les Médecins quine peuvent bien purger 6c exterminer du tout lemal, le divertiffent & lefont dériver en une autrepartie moins dangereufe. Ce qui fe doit faire toutdoucement & infenfiblement, c'eft un excellentremede a tous maux, 6c qui fe pratique en touteschofes, fi 1'on y regarde bien, parlequel onnousfait avaler les plus rudes morceaux & la mortmême infenfiblement : abducendus animus ejl adalia Jludia, curas, negotia; loei denique mutationetanquam cegroti non convalefcentes, fozpe curandusejl. Comme a ceux qui paffent une profondeureffroyable 1'on confeille de clorre ou détourner.Jes yeux. On amufe les enfans lorfque 1'on veutleur donner le coup de la lancette. Faut pratiquer1'expédient & la rufe d'Hippomenes, lequel ayanta courir avec Atalante, fille d'excellente beauté,pour y perdre la vie s'il étoit devancé, ou avoirla fille en mariage, s'il gagnoit a la courfe, fegarnit de trois belles pommes d'or, lefquelles ilF iij


86 DE LA S A G E S S E ,laifla tomber a diverfes fois, pour amufer la fillea les cueillir, & ainfi les divertiffant gagner 1'avantagetk elle; ainfi fi la confidération d'un malheurou rude accident préfent, ou la mémoire d'unpaffe nous pefe fort, ou quelque violente paffionnous agite & tourmente, que 1'on ne puiffe dompter,il faut changer tk jetter fa penfée ailleurs,lui fiibftituer un autre accident tk paffion moinsdangereufe. Si 1'on ne la peut combattre , il luifaut échapper, fourvoyer, rufer, ou bien 1'affoiblir,la diffoudre tk détremper avec d'autres amufemens& penfees , la rompre en plufieurs pieces;& tout cela par détours tk divertiffemens.L'autre avis aux dernieres & t>-ès-dangereufesextrêmités, oü n'y a plus que tenir, eft de baifferun peu la tête, prêter au coup, céder a la néceffité, car il y a grand danger qu'en s'opiniatrantpar trop a ne rien relacher, 1'on donne occafiona la violence de fouler tout aux pieds. II vautmieux faire valoir aux loix ce qu'elles peuvent,puifqu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. II aété reproché a Caton d'avoir été trop roide auxguerres civiles de fon temps, tk plutöt avoir laifféla répubhque encourir toutes extrêmités, que lafecourir un peu aux dépens des loix. Au reboursEpamirondas, au befoin continua fa charge outrele terme, bi


L I V R E III. 87les loix; mais encore commander aux loix même,quand la néceflité publique le requéroit. II fautau befoin biaifer, ployer un peu, tourner le tableaude la loi, finon 1'öter, efquiver & gauchirpour ne perdre tout; c'eft un tour de prudencequi n'eft contraire a raifon & juftice.§.111.Affaires douteufes & ambigués.A.ux chofes ambiguës, oules raifons font fortesde toutes parts , & 1'impuiffance de voir & choifirce qui eft le plus commode, nous apporte de1'incertitude & perplexité, le meilleur eft fe jetterau parti ou y a plus d'honnêteté & de juftice ;car encore qu'il en méfavienne, fi reftera-t-il toujoursune gratification au dedans, & une gloireau dehors d'avoir choifi le meilleur. Outre que1'on ne fcait quand on eüt pris \z parti contraire,ce qu'il en fut advenu, & li 1'on eüt échappé afon deftin. Quand on doute quel eft le meilleur& plus court chemin, il faut tenir le plus droit.§. IV.Affaires diffeiles & dangereufes.Aux affaires difhciles , comme aux accords, yvouloir apporter trop de süreté , c'eft les rendremal afïïirés, paree que 1'on y emploie plus deF iv


88 DE LA S A G E S S E ,temps, plus de gens s'en empêchent, 1'on y mêleplus de chofes Sc de claufes; Sc de-la naiffent lesdifférends : joint que c'eft, ce femble, dépiter lafortune , Sc fe vouloir exempter de fa juridicuon,ce qui ne fe peut, vim fuarn ingrumttm refringi nonvult. 11 eft meilleur les faire plus briévement &doucement, avec un peu de danger, que d'y êtrefi exact Sc chagrin.Aux affaires dangereufes il faut être fage &courageux, il faut prévoir Sc fcavoir tous les dangers,ne les faire point plus grands ni plus petitspar faute de jugement, penfer qu'ils n'arriverontpas tous Sc n'auront pas tous leur effet, que 1'onen échappera plufieurs par induftrie , ou par diligence, ou autrement; quels font ceux auxquels1'on pourra être aidé, Sc la-deffus prendre courage, fe réfoudre Sc ne quitter 1'entreprife honnêtepour iceux , le fage eft courageux, car ilpenfë, difcourt & fe prépare a tout; le courageuxauffi doit être fage.§• v.Conjurations.Nous entrerons aux plus grands, importans &dangereux accidens; parquoi nous les traiteronsplus au long & expreffément les décrivant, &puis donnant en chacun les avis pour le fouverain, &c a la fin de tous les donnerons pour lesparticuliers. Conjuration eft une confpiration Sc


L i y R M III. 89èntreprife d'un ou plufieurs contre la perfonne duprince ou 1'état; c'eft chofe dangereufemalaiféea éviterou remédier, pource qu'elle eft ouverteöc cachée. Comment fe peut-on fauver d'un ennemicouvert , du vifage dü plus officieux ami ?Comment peut-on fcavoir les volontés & penféesd'autrui ? Et puis celui qui méprife la vie , eftmaitre de celle d'autrui, contemnlt omnes Me , quimortem prius. Tellement que le prince eft expofek la merci d'un particulier, quel qu'il foit.x.Les avis öcremedes fur ce, font, i.une fecrette Remedes &avis.rechercheöc contremine, par gens propresk cela,fideles öc difcrets; qui font les yeux öc les oreillesdu prince , faut découvrir tout ce qui fe dit ÖCfe fait fpécialement par les principaux officiers.Les conjurateurs volontiers diffament ca öc la leprince , ou prêtent 1'oreille a ceux qui le blamentöc accufent. II faut donc fcavoir les difcours öcpropos que 1'on tient du prince , öc hardimentpropofer récompenfe en deniers öc impunité k telsdécouvransjmais auffi nefaut-il croire légérementk tout rapport. Faut bien prêter 1'oreille k tous,non la foi , öc examiner bien diligemment, afinde n'accabler les innocens , öc fe faire haïrmaudire au peuple. Le fecond eft d'effayer parclémence ÖC innocence k fe faire aimer de tous,même de fes ennemis , fidiffima cuftodia principis,innocentïa. N'offenfant perfonne on donne ordrede ne 1'être point : öc c'eft mal k propos faireöc


90 DE LA SAGESSE,valoir fa puilfance par outrages & offenfes , mailvim fuam poujlas, aliorum contumdiis expcritur.Le troilieme erf tenir bonne mine a 1'accoutumé,fans rienravaler; & publier par-tout qu'il elf bienaverti de toutes les menées qu'on drelfe, & faire croireque rien ne fe remue qu'il n'en fente incontinentle vent. Ce fut un expediënt que fournit utilementquelqu'un a Denis, tyran de Sicile, qui lui coütaun talent. Le quatrieme eft d'attendre fans effroi& fans trouble tout ce qui pourra avenir. Céfarpratiqua bien ces trois derniers moyens, mais nonle premier. II vaut mieux, difoit-il, mourir unefois, que demeurer toujours en tranfe & en fievrecontinue d'un accident qui n'a pas de remede, &faut en tout cas remettre tout a Dieu, ceux quiontprisautre chemin,& ont voulu courir audevantparfupplices & vengeances, très-rarements'en font bien trouvé , & n'ont pour cela échappé,tcmoin tant d'Empereurs Romains.Mais la conjuration découverte , la vérité troiivée,quefaut-il faire? punir bien rigoureufementPunition rlesconjurés &les avis furce. les conjurés. Epargner telles gens, c'eft trahircruellement le public. Ils font ennemis de la liberté,biens & repos detous, la juftice le requiert,fi eft-ce qu'il y faut de la prudence. Et ne s'yfaut porter toujours &C par-tout de même facon.Quelquefois il faut foudainement exécuter mêmements'ily a petit nombre de conjurés , mais foiten petit ou grand nombre, il ne faut pas gehennes


L I V R E III. 91& tortures, vouloir fcavoir les complices ( fiautrement & fecrettement 1'on les peut fcavoir,& faire mine de ks fcavoir eft bon ) car 1'on1 chercheroit ce que 1'on ne voudroit pastrouver. II: fuffit que paria punition d'un petit nombre, lesbons fujets foient contenus en leur devoir , Sc"1 détournés ceux qui ne font pas ou penfent n'êtrej pas décelés. Vouloir tout fcavoir par tortures;1 c'eft exciter fortement contre foi. Quelquefois faut1 dilayer la punition , bien faut-il promptementI pourvoir a fa füreté; mais les conjurés peuventi être tels, ou la découverte faite en tel temps ,1 qu'il n'en faut pas faire le femblant, & les vouloir| punir fur 1'heure, c'eft jouer a tout perdre. Le1 meilleur de tous c'eft de prévenir la conjuration,l 1'éluder &c rendre vaine, feignant pour ce coup[ ne fcavoir les conjurés; mais faire comme fi 1'on1 vouloit pourvoir a autre chofe, comme firent les! Carthaginois a Hannon leur capitaine, optimum &Jufün. 1. %.'folum feepe injidiarum remedium , fi non intelligantur.Mais qui plus eft quelquefois faut pardonner,Tacit.fi c'eft un grand, a qui le prince & 1'état foient:obligés, duquel les enfans, parens , amis foient:puiffans. Que ferez vous? Comment rompre tout; cela, s'il fe peut avec füreté, faut pardonner,:ou au moins adoucir la peine. La clémence en eet;endroit eft quelquefois non-feulement glorieufeiau prince , nil gloriojius principe impune lecfo; maisIde très-grande efficace pour la füreté a 1'avenir,


52 r> E LA S A G E S S E ;détourne les autres de femblable deffein, & fait :qu'il s'en repentent, ou en ont honte, 1'exemple :en eft très-beau d'Augufte envers Cinna.§• V I.Trahifon.Defcripüon.s.Avis & remedes.TRAHISON eft une confpiration ou entreprife 1.fecrette contre une place ou une troupe: c'eft llcomme la conjuration , un mal fecret, dangereux, ,difficile a é^ iter ; car fouvent le traitre eft au 1milieu öc au giron de la compagnie, ou du lieuqu'il veut vendre öc livrer. A ce malheureux»métier font vo'ontiers fujets les avaricieux, efprits;légers , hypocrites, & ont volontiers ceci, qu'ils:font bien fonner la fidélité , la louent & gardentambitieufement en petites chofes , öc par-la feivoulant couvrir ils fe découvrent. C'eft la marqué 1pour les connoitre. Les avis y font prefque tousimêmes qu'en la conjuration, fauf en la punition,laquelle doit être ici prompte, grieve ÖC irrémif-lfible; car ce font gens mal nés , incorrigibles,très-pernicieux au monde, dont ne fautpitié.§. VII.Emotions populalrcs.avoiriI L y en a plufieurs fortes felon la diverfité descaufes, perfonnes , maniere öc durée , comme feverra après; fa&ion , ligue , fédition, tyranniej


L i r B. E li-guerres civiles; mais nous parierons ici toütfimplement8c en général de celles qui s'énervent ala chaude , comme tumultes fubits, 5c ne durentgueres. Les avis 8c remedes font leur faire parler6c remontrer par quelqu'un qui foit d'autorité, devertu 6c réputation finguliere, éloquent, ayantla gravité 6c enfemble la grace 8c 1'induftried'amadouer un peuple;' car a la préfence de telkmme. comme a un éclair, le peuple fe tientjiomme, wuuuc o wu wv»^. , —r_ „ r_ -coit.Veluti magno in populo cum fcepe coorta ejlSeditio, favitque animis ignobile vulgus:93fJamque faces & faxa volant, furorarma miniflrat.Turn pietate gravemConfpexere,/ilent,acmeritis,jifortevirumquemarreclisque auribus ajlant;Ille regit diclis animos & peclora .mulcet.Quelquefois le chef même y aille ; mais ilfaut que ce foit avec un front ouvert, une fortealfurance, ayant 1'ame quitte 8c nette de touteimagination de la mort, 8c du pis qu'il peut avenir,car d'y aller avec contenance douteufe 8c incertainepar flatterie, douce Sc humble remontrance,c'eft fe faire tort Sc ne rien avancer. Ceci pratiquoitexcellemment Céfar contre fes légionsmutinées 6c armées contre lui.Jletit aggere fultiCefpitis intrepidus vultu, meruitque timeri fNU metuens.2.Avis &remedes.


94 D E L A S A G E S S E IAutant en fit Augufte a fes légions Actiaques >dit Tacite. II y a donc deux moyens de jouir &appaifer un peuple ému & furieux. Celui - ciqui eft meilleur & plus noble, convient au chefs'il y va, mais il y doit bien penfer comme aété dit: 1'autre plus ordinaire eft par flatterie &amadouement, car il ne lui faut pas réfifter toutouvertement. Les bêtes fauvages ne s'apprivoifentjamais a coups de baton, dont les belles parolesni les promeffes ne doivent être épargnées. Ence cas les fages permettent de mentir, comme 1'onfait envers les enfans & les malades. En cela étoitexcellent Periclès qui gagnoit le peuple par lesyeux, les oreilles & le veptre, c'eft-a-dire, parjeux, comédies, feftins, & puis en faifoit ce qu'ilvouloit. Cette maniere plus baffe & fervile, maisnéceffaire, fe doit pratiquer par celui que le chefenvoye, comme fit Menenius Agrippa k Rome;car il penfe 1'avoir de haute luitte , lorfqifil efthors des gonds de raifon, fans rien quitter, commevouloient Appius , Coriolan , Caton, Phocion ,font contes.§. VIII.Faclion & ligue.Defcription.FACTION ou ligue eft un complot & affociationdes uns contre les autres entre les fujets, foit ouentre les grands ou les petits, en grand nombreou petit. Elle vient quelquefois des haines qui lont


L I V R E 111. 95; entre les particuliers & certaines families, mais, le plus fouvent d'ambition , ( pefte des états)j chacun voulant avoir le premier rang. Celle quif eft entre les grands eft plus pernicieufe. II y en, a qui ont voulu dire qu'elle eft aucunement utilej au fouverain ,& fait le même fervice au public,j que les riottes des ferviteurs en la maifon , difoit, Caton. Mais cela ne- peut être vrai, finon auxj tyrans, qui craignent que les fujets foient d'accord ,| ou bien de petites Sc légeres querelles d'entrej les villes, ou d'entre les dames de la cour, pour• ftjavoir force nouvelles; mais non pas des fac-1 rions importantes, qu'il faut étouffer dés leur. naiffance, Sc leurs marqués, noms, habillemens,I foubriquets , qui font quelquefois femences desvilains effets , témoin le grand embrafement Scf lies grands meurtres advenus en Conftantinople. 1 pour les couleurs de verdek: bleu, fous Juftinien;[ i défendre les affemblées fecrettes, qui peuvent| i fervir a cela. Les avis fur ce, font fi la facïion| t eft entre deux feigneurs ; le prince tachera par(douceur de paroles , ou menaces les accorder,(comme fit Alexandre le grand entre Epheftion Sc(Craterus, 6c Archidamus entre deux de fes amis.JS'ilne peut, il leur doit donner des arbitres non! i fufpefts ni paflionnés. Le même doit-il faire , fiHa facfion eft entre plufieurs fujets ou villes, 6cccommunautés. S'il faut que lui même parle , ilHe fera avec confeil appellé pour éviter 1'envieZonaras.1.Les avis &remedes.


Defcriptionlongue.Cj6 BB LA S A G B S S Ê ,& la haine des condamnés. Si la fadtion eft entrsgens qui font en fort grand nombre , & qu'ellefoit fi tbrte qu'elle ne fe puiffe appaifer parjuftice , le prince y employera la force pour1'éteindre du tout ; mais il fe gardera bien de femontrer affectionné a 1'une plus qu'a 1'autre,car acela y a grand danger , & plufieurs fe fontperdus; & eft indigne de .fa grandeur, fe fairecompagnon des uns & ennemis des autres , luiqui eft le maitre de tous; & s'il faut venir apunition, il doitfuffire que ce foit des chefs plusapparens.§. IX.Séd'itioti.SEDITION eft un violent mouvement de la multitudecontre le prince ou le magiftrat : elle nait& vient d'oppreffion ou de crainte, car ceux quiont fait quelque grande faute, craignent la punition; les autres penfent & craignent qu'on leurvueille courir fus; & tous deux par appréhenfiondu mal fe remuent pour prévenir le coup.Auffi naït de trop grande licence , de difctte &cnéceffité, tellement que les gens propres a cemétier lont les endettés & mal accommodés detout, légers, éventés & qui craignent la juftice..Tous ces gens ne peuvent durer en paix , la paixleur eft guerre, ne peuvent dormir qu'au milieude lafédition, ne font cn franchife que parmi lesconfufions.


L I V R E III. 97confufions. Pour mieux conduire leur fait ilsconferent enfemble en fccret, font de grandesplaintes , ment de mots ambigus, puis parient plusouvertement, & font les zélés k la liberté &C aubien public , au foulagement du peuple, & fousces beaux prétextes ils font fiiivis de grand nombre. 2;Avis &ré»Les avis & remedes font , premiérement ceux nnodes.qui fervent aux émotions popuiaires, faire parlerk eux , & leur remontrer par gens propres k cela,comme a été dit. 2. Si cela ne profite., il fauts'armer & fortifier, & pour cela neprocédercontre eux, mais leur donner loifir & terme demettre 1'cau en leur vin, aux mauvais de fe repentir, aux bons de fe réunir. Le temps eft ungrand médecin mêmement aux peuples plus prêtsa fe mutiner & rebelier qua combattre. Ftrociorplebs ad rebeilandum, quam bellandum: tentare ma^gis quam tueri libertatem. 3. Cependant effayer kles ébranler par efpérance & par crainte , ce fontles deux moyens, fpem offer , ntttutn intendt,4.lacher a les défunir & rompre leur intelligence.5. En gagner & attirer par fous main quelquesuns d'entr'eux par promeffes & fecrettes récompenfes,dont les uns fe retirent d'eux pour venira vous, les autres demeürent avec eux pour vousy fervir, vous avertiflant de leurs menées & lesendormiffant & attiédiffant leur chaleur. 6. Attirer& gagner les autres, leur accordant une partie dece qu'ils demandent & par belles promeffes en//. Partie. G


C)8 DE LA S A G E S S E ,termes ambigus. II fera puis après aifé de révoquerjuftement ce qu'ils auront extorqué injuftementpar fédition. iitita facies , quce per feditionem expreferint,8c laver tout par douceur 8c clémence.7. S'ils retournent en fanté, raifon 8c obéiiïance,les faut traiter douCement , 8c fe contenter duchatiment de fort peu des principaux auteurs 8cboütefeux , fans s'enquérir davantage des complices, mais que tous fe fentent en fureté 8cen grace.§• X.La Tyrannie &Rèbellion.Pefcriptïo.'o L A tyrannie, c'eft-a-dire , la domination violentecontre les loix & coutumes , eft fouventcaufe des grands remuemens publics, d'oüil avientrèbellion , qui eft une élevation du peuple contrele Prince, a caufe de fa tyrannie pour le chalfer8c débouter de fon fiege. Et differe de la féditionen ce qu'elle ne veilt point reconnoïtre le Princepour fon maitre; la fédition ne va pas jufqueslii,mais elle eft mal contente du gouvernement,fe plaint 8c veut un mandement en icelui. Or,cette tyrannie exercée par gens mal nés, cruels,qui aiment les méchans, brouillons, rapporteurs,haïffent 8c redoutent les gens de bien 8c d'honneur,quibus femper aliena virtus formidolofa , nobilitas ,opes, gcftique honores pro crimine , ob virtutes certijfimumexitium : & non minus ex magna fa ma quam


LIVRE 111. 9$mala. Mais ils font bien punis, car ils font haïs& ennemis de tous; vivent en perpétuelle crainte& appréhenfion: tout leur eft fufpect, font bourrelés&c déchirés au-dedans en leurs confciences,& enfin de male-mort & bientöt, car c'eft chofetrès-rare qu'un vieil tyran.Les avis & remedes en ce cas font au long Avis. & remedes.c. 10.déduits ci-après en lieu plus propre. Les avis reviennenta deux , empêcher a 1'entrée le tyran,qu'il ne fe rende maitre ; étant inftallé & reconnule fouffrir & lui obéir. II vaut mieux le tolérerqu'émouvoir fédition & guerre civile, pejus ,deteriufque tyrannide jive in/ujloimperio bellumcivile, 1'on n'y gagne rien, le regimber ou rebelier,enaigrit & rend encore plus cruels les mauvaisprinces: nil tam exafperdt fzrvorem vulneris , quam Plutar. juBruto,ferendi impatientia. La modeftie & obéiffance lesadoucit, car la douceur du Prince , dit ce grandPrince Alexandre , ne confifte pas feulement enleur naturel, mais auffi au naturel des fujets, lefquelsfouvent par leurs médifances & mauvaisdéportemens , irritent &gatent le Prince , ou1'empirent, obfequio mitigantur imperia, & contracontumacia inferiorum lenitatem imperantis diminuit:contumaciam cum pernicie , quam obfequium cumfecuritate mdlunt.Curt.Tacit,G ij


Pcfcription.iOO DE LA S A G E S S E t§. X I.Guerres civiles.Q UAKD 1'un cle ces fufdits remuemens publics;émotions populaires, faction, fédition, rèbellion,vient k fe fortifier & durer jufques a prendre untrain & forme ordinaire; c'eft une guerre civile ,laquelle n'eft autre chofe qu'une prife & menéed'armes par les fujets ou entr'eux, & cette émotionpopulaire ou fa£tion& ligue, ou contre le Prince,1'Etat, le magiftrat , & c'eft fédition ou rèbellion.Or, il n'y a mal plus miférable ni plus honteux ;,c'eft une mer de malheurs. Et un fage a très-biendit que ce n'eft pas proprement guerre mais maladiede 1'état, maladie chaude &c fréhéfie. Certesqui en eft 1'auteur , doit être effacé du nombredes hommes, & chafle des bornes de la naturehumaine. Toute forte de méchanceté s'y trouve,impiété &l cruauté entre les parens mêmes , meurtresavec toute impunité, occidere palam, ignofcerenon niji fallende Heet, non eetas , non dignitasquemquam protegit, nobil'ms cum plehepent, latequeyagatur enfis. Toute déloyauté, difcipline abolie.In omne fas , nefafque avidus aut venales nonfacro,nonprophano abfiinentes. Le petit & inférieur faitdu compagnon avec le grand. Rheni mihi Cafar..in undit dux erat, hicfocius. Facinus quos inquinat,iequat. Lequel n'ofe parler, car il eft du métier;encore qu'il ne 1'approuve , obnoxis ducibus &


L I V R E III. ÏOÏproklbere non aufis. C'eft une conrufion horrible.Metus ac neceffitate huc illuc mutantur. Somme cen'eft que miferes. Mais il n'y a rien fi miférableque la viöoire. Car quand pour le mieux elletomberoit entre les mains de celui qui a le droitde fon cöté, elle le rendroit infolent, cmelfarouche, voire quand il feioitd'un doux naturel,tant cette guerre inteftine acharne & eft un venin ,qui conlomme toute 1'humanité. Et n'eft en lapuifiance des chefs de retenir les autres. II y adeux caufes k confidérer des guerres civiles. L'unefecrette, laquelle comme elle ne fe fe&& ne fevoit, auffi ne fe peut-elle empêcher ni remédier,c'eft le deftin , la volonté de Dien, qui ventchatier ou du tout ranger un érat. In fe magnamunt, leetis hunc numina rebus crefcendi pofueremodum. L'autre eft bien appercue par les& s'il peut bien remédier, fi i'on veut, &fages,queceux a qu'il appartient y meltenl Ia main; c'eftla diffolution 6> générale corruption des mceurs,par laquelle les vau-néans, & n'ayant que faireveulent remuer , mettre tout en combuftion ,couvrir leurs plaies par les maux de 1'état. Carils aiment mieux être accablés de la mine publiquede la leur particuliere. Mïfcere cuncla &privataruinerartipubltca mails operire ; nam itd fe reshabet, ut publlca ruina qulfque mailt quam fuaproteri& idem paffurus minus confpici. Or , les avis A\isScromeJ& remedes a ce mal de guerre civile , font k la ^Giiji.Sesca.ifes.


102 DE LA S A G E S S £,finir au plutöt, ce qui fe fait par deux moyens ,accord ou vief oire. Le premier vaut mieux, encorequ'il ne fut pas tel que 1'on defire, le tempsremédiera au refte. II faut quelquefois fe laifferun peu tromper , pour fortir de guerre civile ,comme il eft dit d'Antipater, bellum finire cupienti,opus erat ikcipLLa victoire eft dangereufe , car ileft a craindre que le vi&orieux en abufe , & enfuiveune tyrannie. Pour bien s'y porter il fe fautdéfaire de tous les auteurs de troubles , & autres' remueurs tk fanguinaires, tant d'une part qued'autre, foit en les envoyant loin fous quelque beauprétexte & charge, en les divifant ou les employantcontre 1'étranger; traitant au refte doucementle menu peuple.% X I I .Avis pour les particuliers en toutes les fufdltesdlvljions publlques."VOILA plufieurs efpeccs de troubles tk divifionspubllques, auxquelles & a chacune d'icelles ontété donnés avis tk remedes pour le regard duPrince ; maintenant il en faut donner pour lesf)enx qi: et particuliers. Ceci ne fe vuide pas en un mot { ilions. ya deux queftions, Tune, s'il eft loifible a-1'hommede bien de prendre parti, ou demeurer ici; 1'autreen tous les deux cas, c'eft-a-dire, étant d'unparti ou n'en étant'point, comment 1'on s'y doit


L I V R E III. 103comporter. Quant au premier point il fe propofepour ceux qui font libres, & ne font encoreengagés k aucun parti; car s'ils y font engagés 5cette première queftion n'eft pour eux , ils fontrenvoyés k la feconde. Je dis ceci a caufe que1'on peut bien être d'un parti non par choix ècdefTein, voire que 1'on n'approuve pas, maisparee que 1'on s'y trouve tout porté & attachépar très-grandes & puiffantes liaifons •, que 1'onne peut honnêtement rompre , qui couvrent &excufent alfez, étant naturelles cc équivalentes.Or, la première queftion a desraifons & exemplescontraires. II femble d'une part que 1'homirjE debien ne fcauroit mieux faire que de fe tenir (pit,car il ne fcauroit s'immifcer a aucun parti fansfaillir , pource que toutes ces divifions font iliégitimesde foi, & ne peuvent être menées n 1fubfifter fans inhumanité & injtr ;ice. Et plufieursgens de bien ont abhorré cela, comme réponditAfinius Pollioa Augufte, qui le prioit de le fuivrecontre Mare Antoine. D'autre part eft-il raifonnablede fe joindre aux bons &C ceux qui ont ledroit. Le Sage Solon 1'a ainfi jugé, ilchatierudementcelui qui s'en retire & ne prend parti. LeprofefTeur de vertu, Caton 1'a ainfi pratiqué nefe contentant de tenir un parti, mais y commandant.Pour vuider ce doute, il femble que leshommes illuftres , qui ont & charge publique oCcrédit & fuffifance en 1'état, peuvent & doiventG ivLa premières'il faut prendreparti oufe tenir coit,Velleius.liv.2.


La 2. Commentfe compoiter.Outrés, motie-ces.'64 D Ë L A S A G E S S E , 'fe ranger du parti qu'ils jugeront le meilleur , carils ne doivent abandonner en la tourmente legouvefnail du vaiffeau, qu'ils conduifcient enbonnace; doivent fervir a leur dignité , pourvoirè la. füreté de 1'état; Sc les privés ou qui.fontmoindres en charge Sc en fuffifance d'état, s'arrêter& fe rërirer en quelque lieu paifible Sc affiirédurant la diviiion, Sc tous les deux fe comportercomme il va être dit. Au refte pour le choix duparti, quelquefois il n'y a point de difficulté, car1'un eft fi injufte & fi malheureux que 1'on ne s'ypeut mettre avec aucune raifon. Mais d'autres forsla difficulté eft bien grande, Sc puis il y a.plufieurschofes a penfer outre la juftice Sc le droit desparties.3. Venons k 1'autre point qui eft du comportementde tous. Or, il fe viriele en un mot par1'avis Sc la regie cle modératroh, fuirant 1'exempled'Atticus, tant r'enommé pour fa modeftie & prudenceen tels orages, tenu toujours &eftimé pourfavorifer le bon parti, toutefois fans s'envelopperaux armes & fans ofFenfe de 1'autre parti.1. Parquoi ceux qui font déclarés d'un parti, s'ydoivent porter non outrés, mais avec modération,ne s'enbefognant point aux affaires, s'ils n'y fonttcus portés & preffés, & en ce cas s'y porteravec tel ordre Sc attrempance que 1'orage paffefur leur tête fans offenfe, n'ayant aucune part k cesgrands fJéfordresScinfolcncesquis'y commettent;


L I V R E III. 10?mais au rebours les adouciffans, les détournans,éludans comme ils pourront. Ceux qui ne fontdéclarés ni engagés en aucun parti ( defquels lacondition eft plus douce tk meilleure) encoreque peut-être au-dedans & affedtionils en ont vu,ne doivent demeurer neutres , c'eft-a-dire, ne fefoucier de 1'iffue tk de 1'état des uns ni des autres, Neutresidemeurant a eux feuls , tk comme fpedtateurs enthéatre fe paiffans des miferes d'autrui. Tels fontodieux a tous tk courent enfin grande fortune,comme il fe dit des Thebains en la guerre deXerxes tk de Jabes Galaad. Niutralitas nee amieos Jud. 21. T!tLiv., parit, nee inimicos tollit. Laneutralité n'eft ni belleni honnête , fi ce n'eft avec confentementdes] partis, comme Cefar qui déclara de tenir lesi neutres pour fiens, au contraire de Pompée qui1 les déclara ennemis; ou k un étranger ou k tel,(qui pour fa grandeur tk digniténe s'en doit pointimêler, mais plutöt être réclamé arbitre tk moidérateurde tous; ni auffi tk moins encore in-(confians , chancelans , métis , Prothées , plusInconfhns.( odieux encore que les neutres tk. offenfifs k tous.^Mais ils doivent ( demeurant partifans d'affectionss'ils veulent, car la penfée & l'affedtion eft toutemötre) être communs en aclions, offenfifs a nuls, Communs.oofficieux & gracieux k tous, fe complaignant dunmaiïieur commun. Tels ne fe font point d'ennemis,'Itk ne perdent leurs amis. Ils font propres k êtrei 1nmédiateurs & amiables' compofiteurs , qui font Médiateurs.2.


IOü DE LA S A G E S S E,encore meilleurs que les communs. Ainfi des nonpartifansqui font quatre, deux font mauvais ,les neutres & les inconftans; tk deux bons lescommuns tk les médiateurs; mais toujours 1'unplus que 1'autre , comme des partifans il y en adeux, les outrés tk moderés.§•XIII.Des Troubles & Divijions privies.A ux divifions privées 1'on peut commodément,loyalement fe comporter entre ennemis, fi ce n'eftune égale affection au moins tempérée; ne s'engagertant aux uns, qu'ils puiffent requérir toutde nous , & auffi fe contenter d'une moyennemefure de leur grace, ne rapporter que les chofesindifférentes ou connues , ou qui fervent encommun , ne difant rien a 1'un qu'on ne puiffedire a 1'autre a fon heure, en changeant feulement1'accent & la fa^on.DE LA JUSTICE EN GÉNÉRAL.C H A P I T R E V.De la Jujlice, feconde vertu.T.T USTICE eft rendre a chacun ce qui lui appartient,Defcription.a foi premiérement tk puis k autrui; tk par ainfielle comprend tous les devoirs & offices d'un


L I V R E 111. 1071 chacun , qui font doublés , le premier eft a foiimême , le fecond a autrui; tk font compris enfee commandement général qui eft le fommaire de1 toute juftice. Tu aimeras ton prochain comme toiïmême,lequel non-feulement met le devoir envers;autrui en fecond lieu, mais il le monte & le regie:au patron en devoir & amour envers foi, cari comme difent les Hebreux il faut commencer laLe commencement donc de toute juftice, lei .Juftice première& eri-premier & plus ancien commandement eft de laginelle.raifon fur la fenfualité. Auparavant qne 1'on puiffehien commander aux autres, il faut apprendre krommander k foi-même , rendant k la raifon laipuiffance de commander,& affujettiffant les appéitits& les pliant a 1'obéiffance. C'eft la premièreoriginelle juftice interne, propre & la plus bellequi foit. Ce commandement de 1'efprit fur la partietbrutale &fenfuelle , de laquelle fourdent lesiDaffiOns, eft bien comparé a un écuyer qui dreffeiiih cheval, pource que fe tenant toujours dedansaa felle , il le tourne & manie k fa volonté.Pour parler de la juftice qui s'exerce auüehors& avec autrui, il faut fcavoir, premiéreiinentqu'il y a doublé juftice ; une naturelle ,mniverfelle, noble, phüofophique ; 1'autre aucuneimentartificielle, particuliere, politique, faiter.ontrainte au befoin des polices & états. Celle-laftft bien mieux réglée , plus roide, nette tk belle,&J:DiftincliomIe juftice.


*• .De la jufticeu!V.el]e eftcüiUriguée.I0S DE LA S A G E S 'ii E 1 ,mais elle eft hors 1'ufage, incommode au mondetel qu'il eft , veri jus germanague jufiitixfolidam& exprejjam effigiem nullam tinemus ; umbris &imaginibus utimur, II n'eft aucunement 'capable,comme a été dit. ( Voyez 1. i. c. 4.) C'eft la regiede Polyclete , infléxible , invariable; cel!e-ci eftplus lache tk molle, s'accommodant k la foibleffe&C néceffité humaine & populaire. C'eft la regieLesbienne tk de plomb , qui ploie tk fe tord felonqu'il eft befoin, & que le temps, les perfonnes,les affaires tk accidens requierent. Celle-ci permetau befoin & approuve plufieurs chofes que cellelarejetteroit tk condamneroit du tout. Elle a_plufieurs vices légitimes , tk plufieurs aclionsbonnes illégitimes. Celleda regarde tout purementla raifon, 1'honnête; celle-ci confidere fort 1'utilele joignant tant qu'elle peut avec 1'honnêteté. Decelle-la qui n'eft qu'une idéé tk enthéorique n'enpoint parler.La juftice ufuelle, tk qui eft en pratique parlemonde, eft premiérement doublé, fcavoir; légaleaftrainte aux termes des loix , felon laquelleles magiflrats tk juges ont k procéder; 1'autreéquitable , laquelle fans affujettir aux mots de laloi marche plus librement, felon 1'exigence descas, voire quelquefois contre les mots de la loi.Or, pour mieux dire , elle mene & regie la loifelonqu'il faut, dont a dit un fage, que lesloix mêmes tk la juftice ont befoin d'être menées


L I V R E Hl. 209;& concluites juftement, c'eft-a-dire, avec équité.I Celle-ci eft en la main de ceux qui jugent eni fouveraineté. Item pour en parler plus particuliéfrement,il y a doublé juftice; 1'une commutative(entre les particuliers , laquelle fe mene par proportionarithmétique ; 1'autre diftributive admi-: niftrée publiquement par proportion géométrique,• elle a deux parties, la récompenfe .& la peine.Or, toute cette juftice ufuelle tk de pratique 5' .N'y a pointn'eft point vraiment tk parfaitement juftice ; tk. ia vraie jufticeau monde.humaine nature n'en eft pas capable non plus quede toute autre chofe en fa pureté. Toute jufticehumaine eft rnêlée avec quelque grain d'injuftice,1faveur, rigueur , trop & trop peu; tk n'y a pointde pure & vraie médiocrité , d'oii font fortis ces:mots des anciens, qu'il eft force de faire tort en!détail, qui veut faire droit en gros , tk injuftice1en petites chofes, qui veut faire juftice en grandes.Les légiflateurs pour donner cours k la juftice| commutative, tacitement permettent de fe trompet' 1'un 1'autre, tk k certaine mefure , mais qu'il ne:paffe point la moitié de jufte prix; tk c'eft pourcel qu'ils ne fcauroient mieux faire. Et en la juftice1diftributive, combien d'innocens pris , & de cou-1pables abfous & relachés , tk fans la faute desjuges, fans compter le trop ou. le trop peu, qui efti prefque perpétuel en la plus nette juftice, la jufticei s'empêche elle-même , & la fuffifance humaine1ne peut voir ni pourvoir k tout. Voici entre autres


101 D E L A S A G E S S E \un grand défaut en la juftice diftributive de punirfeulement, tk non falarier , bien que ce foient lesdeux parties & les deux mains de la juftice; maisfelon qu'elle s'exerce communément elle eft manchotte& incline toute a la peine. La plus grandefaveur que 1'on recoive d'elle , c'eft 1'indemnité ,qui eft une monnoie trop courte pour ceux, quifont mieux que le commun, Mais il y a encore plus;car foyez déféré & accufé k tort, vous voila enpeine tk fouffrez beaucoup : enfin votre innocencecomme vous en fortez abfous de la dernierepunition, mais fans réparation de 1'aftliction quivous demeure toujours. Et 1'accufateur moyennantqu'il ait apporte fi petite couleur que ce foit(qui eft facile a faire) s'en va fans punition, tanteft écharfe la juftice au loyer, & reconnoiffancedu bien , tk toute au chatiment. Dont eft venuce jargon que faire juftice tk être fujet k juftice ,s'entend toujours de la peine ; & eft aifé qui veutde mettre vn autre en peine , tk le réduire en telétat qu'il n'en fortira jamais qu'avec perte.6. De la juftice tk du devoir y a trois partiesDivifïon decette matiere.principales. Car 1'homme doit k trois ; k Dieu,k foi, k fon prochain; au-deffus de foi, k foi, tkk cöté: du devoir envers Dieu , rui eft la piété& religion, a été dit amplement ci-d-ffus. II reftedonc ici k parler du devoir envers foi &prochain.fon


LIVRE 111. %\tC H A P I T R E VI.De la juftice


Voyczl. I,C.36.Ili DE LA S A G E S S E ,Ils s'affettionnent tk fe roidiffenta toutes chofes,'les uns a. amalfer fcienccs, honneurs , dignités ,richeffes ; les autres k prendre leurs plainrs ,chaffer, jouer, paffer le temps; les autres k desfpéculations , fantaifies , inventions : les autres kmanier tk traiter affaires, les autres k autres chofes;mais k vivre ils n'y penfent pas. Ils vivent commeinfenfiblement étantbandés & penfifs k autreschofes. La vie leur eft comme un terme tk undélai pour 1'employer k autre chofe,. Or tout cecieft très-injufte , c'eftun malheur tk trahifon kfoi-même ; c'eft bien perdre fa vie tk aller contrece qu'un chacun fe doit, qui eft de vivre férieufement,attentivement & joyeufement, bene vivere& leetari ; jibi femper valere & vivere doclus , afinde bien vivre tk bien mourir ; c'eft la tached'unchacun. II faut mener & conduire fa vie a la fagond'une grande affaire de poids tk de conféquencetk comme un prix fait, duquel il fautrendrecompte exacfement tk par le menu. C'eft notregrande affaires ; auffi tout le refte n'eft que baboies,chofes acceffoires & fuperficiaires. II y en a quidéliberent bien de ce faire, mais c'eft quand il neleur faut plus vivre , reffemblenta ceux quiatten.dent k vendre & acheter jufques aprés que la foireeft paffée, tk puis font des fottes & vaines plaintes.Ne me fera-t-il jamais loifible de faire ma retraite,tk vivre k moi, quam ferum ejl ineipere cum de(i~nendum ejl: quam jlulta mortalitatis oblivio ? diimdiffettur s


1 I V R E III.Ï T 5difiertur, vita tranfcurrit. Voila pourquoi les fagescrient cle bien ménager le temps , tempori paree,Que nous n'avons befoin de chofe tant que dutemps , difoit Zenon, car la vie eft courte , ScTart eft long ; non l'art de guérir, mais plutötde vivre, qui eft la fageffe. A ce premier Sc capita!avis fervent les fuivans.2. Apprendre a demeurer, fe délecler Sc contenterfeul, voire fe paffer de tout le monde, ftbefoin eft ; la plus grande chofe eft de fcavoirêtre foi, la vertu fe contente de foi, gagnonsfur nous de pouvoir a bon efcient vivre ïeuls,& y vivre k notre aife, apprenons k nous paffer& nous déprendre de toutes liaifons , qui nousattachent k autrui, Sc que nofre contentementdépende de nous, fans chercher ni auffi dédaignerou refufer les compagnies, voire gaiment Sc allerSc s'y trouver; fi le befoin notre ou d'autrui lerequiert; mais ne nóus y accoquiner, Sc y établirnotre plaifir , comme aucuns, qui font commedemi-perdus étant feuls. II faut avoir au dedansfoi de quoi s'entretenir Sc contenter, & in finufuo gaudere. Qui a gagné ce point fe plaït partoutSc en toutes chofes. II faut bien faire la mineconforme k la compagnie & k 1'affaire, qui fepréfente & fe traite Sc s'accommoder k autrui ;tnfte fi befoin eft, mais au dedans fe tenir toujoursmême. Ceci eft la méditation & confidération,qui eft 1'aliment Sc la vie de t'efprit, cujus vivereII Partie.H


Se connoitreSc cultiver.114 O E L A SA GES SE,tjl cogitare. Or, par le bénéfice de nature 11n'y a occupation que nous faffions plus fouvent,plus long-temps qui foit plus facile , plusnaturelle Sc plus nötre, que méditer , entretenirfes penfées. Mais elle n'eft pas k tout demême ,ains bien diverfe, felon que les efprits fontaux uns; c'eft fétardife, oifiveté languifTante , vacanceSc difette de toute autre befogne; mais lesgrands en font leur principale vacation Sc plusférieufe étude, dont ils ne font jamais plus embefognésni moins feuls , ( comme il eft dit deScipicn) que quand ils font feuls Sc féjournentd'affaires, a 1'imitation de Dieu , qui vit Sc fepaft d'éternelle penfée. C'eft la befogne des Dieux( dit Ariftote ) dé laquelle nait leur béatitude Scla notre.Or , cette folitaire occupation Sc eet entretienjoyeux ne doit point être en vanité , moins encbofe vicieufe ; mais en 1'étude Sc connoiffanceprofonde , Sc puis diligente culture defoi-même:c'eft le prixfait, le principal, premier & plusplein ouvrage de chacun. II faut toujours fe guetter,tater, fonder , jamais ne s'abanJonner, être toujourschez foi, fe tenir k foi. Et trouvant queplufieurs chofes ne vont pas bien, foit par vice &défaut de nature, ou contagion d'autrui ou accidentfurvenu, qui nous trouble, faut tout doucementles corriger Sc y pourvoir. 11 faut s'arraifonnerfoi-même,lè redrefferSc rem ettre courageufementj


L I V R EHLnon pas fe laiffer aller & couler par dédain &nonchalance.II faut en évitant toute fainéantife & fétardife,qui ne fait qu'enrouiller & gater & 1'efprit & lecorps , fe tenir toujours en haleine, en exercice& en office ; non toutefois trop tendu, violent4-Sc tenir enexercice.&pénible, mais fur-tout honnête, vertueux &férieux: & plutöt pour ce faire, fe tailler de labefogne, & fe propofer des deffeins pour s'yoccuper joyeufement, conférant avec les honnêteshommes & les bons livres, difpenfant bien fontemps & non vivre tumultuairement & a 1'hafard.Ménager bien & faire fon profit de toutes r-chcfes cui fe préfentent, fe font, fe difent s'enfaire lecon, fe les appliquer fans en faire bruitni femblant.Et pour plus particularifcr nous fcavons que ledevoir de Phomme- envers foi eft en trois, commeil a trois parties k regler & conduire, 1'efprit, lecorps & les biens. Pour 1'efprit, ( le premier &principal auquel appartiennent premiérement &par préciput les avis généraux, que nous venonsde dire, nous fcavons que tous fes mouvemensreviennent k deux, penfer & defirer; 1'entendement& la volonté , auxquels répondent lafcience& la vertu , les deux ornemens de 1'efprit. Quantau premier qui eft 1'entendement, il le faut préferverde deux chofes aucunement contraires &Cexternes, fjavoir; fottife & folie, c'eft-a-dire, deHij3Mc : nne:ertoutes cliofes6.Regler foncfprit, c'efta-dire, fonjugement.


Tlé DE LA S A G E S S Ë;vanité & niaiferies, d'une part, c'eft 1'abatardir& Ie perdre ; il n'a pas été fait pour niaifer, nonad jocum & lufum genitus , fed ad feverhatem potlus, & d'opinions fantafques , abmrdes & extravagantes,d'autre c'eft fe falir 8c vilaner. 11 lefautpaitre 8c entretenir de chofes utiles & férieufes,le teindre Sc abreuver d'opinions faines, douces,naturelles, Sc ne faut pas tant étudier a 1'élever8c guinder, a le tendre & roidir, comme a lerégler, ordonner 8c policer. L'ordre 8c la perti"nence, c'eft 1'effet de fageffc, qui donne prix a1'ame, fur-tout fe garder de prelomption, opiniatreté, vices familiers a ceux qui ont quelquegaillardife 8c vigueur d'efprit; plutöt fe tenir auaoute, en fufpens, principalement ès chofes quirecoivent oppofitions 8c raifons de toutes parts, |malaiféesa cuire 8c digérer, c'eft une belle chofe, jque fcavoir bien ignorer, & douter eft la plus ifüre, de laquelle ont fait profeffion les plus nobles ;philofophes, voire c'eft le principal effet 8c fruit Ide la fcience.Pour le regard de la volonté, il faut en toutes \chofes fe régler 8c foumettre a la droite raifon^qui eft 1'office de vertu, non a 1'opinion volage ,inconftante , fauffe ordinairement, moins encoreja la paffion. Ce font les trois qui remuent 8c rëgiffent nos ames. Mais voici la différence , le fagefe regie 8c range a ce qui eft felon nature 8£raifon, regarde au devoir, tient pour apocrypte


' L I V R E Hf. 117§£" fufpecf ce qui eft de 1'opinion , condamne toutk fait ce qui eft de la paffion, tk pource vit-ilen paix, chemine tout doucement en toutes chofes,n'eft point fujet a fe repentir , fe dédire, changercar quoiqu'il avienne , il ne pouvoit mieux faireni choifir; & puis il ne s'échauffe point , car laraifon va tout doux. Le fol qui fe laiffe mener kces deux, ne fait qu'extravaguer, fe gendarmer;jamais ne repofe. II eft toujours k fe ravifer ,changer, rabiller , repentir Sejamais n'eft content;auffi n'appartient-il qu'au fage de 1'être, tk qu'ala raifon tk k la vertu de nous faire & rendre tels.Nul/a placidior quies niji quam ratio compofuit.L'homme de bien fe doit régénérer, refpecter tkcraindre fa raifon tk fa confcience , qui eft fon bongénie , fi qu'il ne puiffe fans honte broncher enleur préfence , rarum ejl, ut fatis fe quifque vereatur.Quant au corps, 1'on lui doit lVfiftance & conduite.C'eft folie'de vouloir féqueftrer tk déprendreces deux parties principales 1'une de 1'autre ; aurebours il les faut rallier tk rejoindre. La naturenous a donné le corps comme inftrument néceffairek la vie ; il faut que 1'efprit, comme leprincipal, prenne la tutelle du corps. II ne le doitpas fervir; ce feroit la plus vile, injufte, honteufe,& onéreufe fervitude de toutes; mais l'affifter,le confeiller tk lui être comme mari. II lui doitdonc du foin tk non du fervice: il le doit traitercomme feigneur,non comme tyran; le nourrir,H iij


L.i.c.6.' 9-Pour lesbiens.il8 DE LA S A G E S S E ,nonl'engraiffer, lui montrant qu'il ne vit pas pourlui, mais qu'il ne peut vivre ici bas fans lui. C'eft:adreffe k 1'ouvrier de fcavoir bien ufer Sc fe fervirde fes outils. Aufli eft-ce un grand avantage k1'homme de fe fcavoir bien fervir de fon corps,8c le rendre inftrument propre a. exercer la vertu.Au refte le corps fe conferve en bon état parnourriture modérée Sc exercice bien réglé. Comment1'efprit doit avoir part Sc lui faire compagnieaux plaifirs , il a été dit ci-deffus , Sc fera encoredit en la vertu de tempérance.Quant aux biens 8c au devoir d'un chacun eneet endroit, il y a plufieurs Sc divers offices ,font fciences différentes qu'amaffer des biens ,conferver, ménager , emploitter 8c leur donnertout. Tel eft fcavant en 1'un, qui n'entend rienen 1'autre, 8c n'y eft propre. L'acquifition a plusde parties que toutes les autres. L'emploitte eftla plus glorieufe Sc ambitieufe. La confervation& la garde , qui eft propre k la femme, eft fombre.Ce font deux extrêmités pareillement vicieufes,aimer Sc affettionner les richefles , les haïr Screjetter. J'entends richeffe ce qui eft outre Scpar-deffus la néceflité Sc la fuffifance. Le fage nefera ni 1'un ni 1'autre felon le fouhait Sc priere deSalomon, ni richeffe ni pauvreté; mais les tiendraen leur rang les eftimant ce qu'elles font, chofede foi indifférente , matiere de bien Sc de mal3utiles k beaucoup de bonnes chofes.


L I V R E lil. 119L. i.c.23.Les maux & miferes qui font a 1'affedfionnerSc haïr les biens, ont été dit ci-defTus: voicimaintenantla regie en la médiocrité qui eft en cinqmots. 1. Les vouloir mais ne les aimer point,Japiens non amat divitias, fed mavult. Tout ainfique 1'homme petit Sc foible de corps voudroitbien être plus haut Sc plus robufte, mais c'eft fansfoucier Sc fans s'en donner peine , cherchant fanspaffion ce que la nature defire , la fortune nenous en fcauroit priver. 2. Encore beaucoupmoins les chercher au dépens Sc clommage d'autrui,ou par moyens laches Sc fordidcs, afin queperfonne ne nous les pleure , plaigne ou envie ,s'il n'eft malicieux. 3. Avenant tk entrant par lalaporte honnête de devant, ne lesrebuter, ainsgaiement les accepter tk recevoir enfamaifon,non en fon cceur; en fa poffeffion, non en fonamour , comme n'en étant dignes. 4. Les ayant ,les employer honnêtement tk difcrétement en bienméritant d'autrui, afin que pour le moins foitautant honnête leur fortie que leur entrée. 5. S'enallant d'elles-mêmes, fe dérobant tk fe perdant nes'en contrifter , ne s'en allant rien du notre, fidivitice effluxerint, non auferent nififemetipfas. Brefcelui ne mérite être accepté de Dieu, tk eft indignede fon amour Sc de profeffion de vertu,qui fait cas des biens de ce monde.Aude hojles contemntre opes, & te quoque dlgnum.Finge Deo.H iv


«20 DE LA SA G E S S EsA V E R T I S S E M E N T .De la juftice & devoir de Chomme envers Vhomme.C E devoir eft grand tk a plufieurs parties. Nousen ferons du premier coup deux grandes; en lapremière nous mettrons les devoirs généraux ,fimples & communs , requis de tous, & unchacun, envers tous tk un chacun, foient de cceur,de parole tk de fait, qui font amitié , foi , vérité& amonition libre , bienfait, humanité, libéralité,reconnoiffance; en la feconde feront les devoirsfpéciaux, requis'par une fpéciale & expreffe raifon& obligation entre certaines perfonnes , commeentre les marics, parens & enfans, maitres tk ferviteurs,Princes & fujets, magiftrats, les grands& puiffans tk les petits.C H A P I T R EVII.i .DcfctipdMd'amitié.Première partie qui eft des devoirs généraux & communsde torn envers tous ; & premiérement de F amourou amitié.AMITIÉ eft une flamme facrée, allumée en nospoitrines, premiérement par nature, & a montréia première ardeur entre le mari & la femme, lesparens tk les enfans; les freres tk fceurs, tk puis


L I V R E III. fii! fe roidiffant a été rallumée pnr art tk inventioni des alliance s , compagnies, frairies, college Sc"i communautés. Mais pource qu'en tout cela étanti divifée en plufieurs pieces elle s'affoiblilToit, Sci qu'elle étoit mêlée 8c" détrempée avec d'autresi confidéfations utiles , commodes , délecfables[ pour fe roidir 8c" nourrir, plus ardente s'eft raimafTée toute en foi , 8c" raccourcie plus étroitet entre deux vrais amis. Et c'eft la parfaite amitiéi qui eft d'autant plus chaude tk fpirituelle que tout; autre , comme le cceur eft plus chaud que le foiei & le fang des veines.L'amitié eft 1'ame 8c" la vie du monde, plusi néceffaire, difent les fages, que le feu tk 1'eau ^i 'amicitia , neceffitudo, amict neceffarii, c'eft le foleil,He baton , le fel de notre vie; car fans icelle tout(eft ténebres, &n'y a aucune joie, foutien ni goüttde vivre: amicus fidelis proteciio fords, medica-; mtntum vitte & immortalitatis; 6* qui invenit Mum•invenit thefaurum.Et ne faut que l'amitié ne foit utile tk plaifantecqu'en privé, tk pour les particuliers ; car encorepublic.il'eft-elle plus au public, c'eft la vraie merenouriricede la fociété humaine, confervatrice des étatsi& polices. Et n'eft fufpecte ni ne déplait qu'auxt tyrans tk aux monftres , non qu'ils ne 1'adorent, en leur cceur , mais pource qu'ils ne peuvent être«de 1'écot ; l'amitié feule fuffit a conferver ceimonde. Et fi elle étoit en vigueur par-tout, il ne.€ombieancceffaife a»


Ï2Ï' DE IA S A G E S S E ;feroit ja befoin de loi , qui n'a été mife fus quöfubfidiairement & comme un fecond remede auldéfaut de l'amitié, afin de faire & contraindre par-;fon autorité ce qui devoit être librement & volon-Jütairement fait par amitié. Mais la loi demeure beampcoup au-deffous d'elle. Car l'amitié regie le cceuri:la langue, la main, la volonté & les effets. Lalloi ne peut pourvoir qu'au dehors. C'eft pourquoitjAriftote a dit que les bons légiflateurs ont eu plusfjde foin de l'amitié que de la juftice. Et pourceljque la loi & la juftice fouvent encore perd fonwcrédit, le troifieme remede & moindre de tousla été aux armes & a la force du tout contraire!au premier de l'amitié. Voila par degrés les troislmoyens du gouvernement politique; mais 1'amitiélvaut bien plus que les autres, auffi les feconds &lfubfidiaires ne valent jamais tant que le premier&C principal.II y a grande diverfité & diftindfion d'amitié •UiftincHonï-descaufes, celle des anciens en quatre efpeces, naturelle,fociale & hofpitaliere, vénérienne n'eft point fuffifante.Nous en pouvons marquer trois ; la premièreeft tirée des caufes qui 1'engendrent, quifont quatre ; Nature , vertu, profit, plaifir , quimarchent quelquefois toutes en troupe, autrefoisdeux ou trois, &c affez fouvent une feule. Maisla vertu eft la plus noble & la plus forte, carelle eft fpirituelle & au cceur comme l'amitié; lanature eft au fang , le profit en la bourfe, le


L I V R E III. '123plaifir en quelque partie & fentiment du corps.Auffi la vertu eft plus franche 6c nette, 6c fansicelle les autres caufes font chétives , laches 6ccaduques. Qui aïme pour la vertu ne fe laffepoint d'aimer, tk fi l'amitié fe rompt, ne leplaintpoint. Qui airne pour le profit, fi elle rompt, feplaint imprudemment, vient en reproche qu'il atout fait 5c a tout perdu. Qui aime pour le plaifir,fi la volupté ceffe, il fe fépare 8c s'étrange du toutfans fe plaindre.La feconde diftincfion, qui eft pour le regardDes perfonnes.des perfonnes, fe fait en trois efpeces, 1'une eften droite ligne entre fupérieurs 6c inférieurs; tkeft ou naturelle comme entre parens 6c enfans,; oncles 6c neveux; ou légitime comme entre le.prince Sc les fujets, le feigneur 6c les vaffaux,I le maitre 6c les ferviteurs, le doéteur 6c le difciple,le prélat ou gouverneur 6c le peuple. Or, cette.efpece n'eft point k proprement parler amitié,'tant a caufe de la grande difparité qui eft entre[eux , qui empêche la privauté 6c familiarité 6c.entiere communication, fruit 6c effet principal:de l'amitié , qu'auffi k caufe de 1'obligation qui\y eft, qui fait qu'il y a moins de liberté 6c de notre:choix 6c affeelion. Voila pourquoi on leur donne'd'autrcs noms que l'amitié ; car aux inférieurs onrequiert d'eux honneur, refpect, obéiffance, auxfupérieurs foin 6c vigilance envers les inférieurs.ÜLa feconde efpece d'amitié pour le regard des


114 t> £ LA S A G E S Sperfonnes eft en ligne ccmchée & collaterale entrépareils ou prefque pareils. Et celle-ci eft encoredoublé, car ou elle eft naturelle, comme entrefreres, fceurs, coufins; tk celle-ci eft plus amitiéque la précédente : car il y a moins de difparité.Mais il y a de 1'obligation de nature, comme d'uncöté elle noue tk ferre, de 1'autre elle relache.Car a caufe des biens tk partages & des affaires,il faut quelquefois que les freres tk parens feheurtent; outre que fouvent la correfpondance& relation d'humeurs tk volontés, qui eft 1'effencede l'amitié , ne s'y trouve pas ; c'eft mon frere ,mon parent, mais il eft méchant, fot: ou elleeft Iibre tk volontaire, comme entre compagnons& amis, qui ne touchent tk ne tiennent de riènque de la feule amitié, tk c'eft proprement tkvraiement amitié.a. La troifieme efpece touchant les perfonneseft mixte tk comme compofée des deux, dontelle eft ou doit être plus forte, c'eft la conjugaledes mariés, laquelle tient de l'amitié en droiteligne , a caufe de la fupériorité du mari tk infénoritéde la femme ; & de l'amitié collatéraleétant tous deux de compagnies , parties jointesenfemble & fe cötoyant. Dont la femme a ététirée non de la tête ni dés pieds, mais du cöté de1'homme. Auffi les mariés par-tout & alternativementexercent & montrent toutes ces deuxamitiés. En public la droite ; car la femme fage


L I V R E Ut. \i$Konore &C refpette le mari; en privé, la collatéraleprivée tk familiere. Cette amitié de mariage eftencore d'une autre facon doublé tk compofée ;car elle eft fpirituelle & corporelle , ce qui n'eftpas és autres amitiés, iïnon en celle qui eft réprouvéepar toutes bonnes loix, & par la naturemême. L'amitié donc conjugale par ces raifons eftgrande , forte tk puiffante. II y a toutefois deuxou trois chofes qui la relachent tk empêchentqu'elle puiffe parvenir a. perfeftion d'amitié , 1'unequ'il n'y a que 1'entrée du mariage libre, car fonprogrès tk fa durée eft toute contrainte , forcée,j'entends aux mariages chrétiens , car par-toutailleurs elle eft moins contrainte , k caufe desdivorces qui lont permis; 1'autre eft la foibleffe& infuffifance de la femme qui ne peut répondre& tenir bon k cette parfaite conférence tk communicationdes penfées tk jugemens; fon armen'eft pas affez forte tk ferme pour fournir tkfoutenir 1'étreinte d'un nceud fi durable , c'eftcomme nouer une chofe forte tk grolfe avec unemince tk déliée. Celle-ci ne rempliffant pas affez,s'échappe, gliffe tk fe dérobe de 1'autre. Encorey a-t-il ici qu'en l'amitié des mariés ils fe maffentde tant d'autres chofes étrangeres, les enfans, lesparens d'une part tk d'autre, & tant d'autresfufées k démêler , qui troublent fouvent tk relachentune vive affection.La troilieme autinction a amuie regarue ia ïcrcc -6.


Diffcren're!de ramitié,commune &pai faite.1X6 DE LA S A G E S S E ,& intention , ou la foibleffe & diminution de?ramitié. Selon cette raifon il y a doublé amitié »>la coutume & imparfaite qui fe peut appellerrbienveillance, familiarité , accointance privée ,,& a une infinité de degrés , 1'une plus étroite ,,intime tk forte que 1'autre ; tk la parfaite qui ne:fe voit point , tk eft un phcénix au monde; aipeine eft-elle bien concue par 1'imagination.Nous les connoitrons toutes deux en les dépein--peignant &corvfrontant enfemble, tk reconnoifianttleurs diiférences. La commune fe peut batir tk:concilier en peu de temps. De la parfaite il eft:dit, qu'il faut déliberer fort long-temps, & manger::J J„ r„iun muid de fel.a. La commune s'acquiert, fe batit tk fe drefïe :partant de diverfes occafions & occurrences utiles,,déledtables; dont un fage donnoit ces deux moyens :d'y parvenir, dire chofes plaifantesck faire chofes ;utiles ; la parfaite par la ftule vraie & vive vertu.réciproquement bien connue.3. La commune peut être avec & entre plufieurs,la parfaite avec un feul, qui eft. un autre foimême,tk ainfi entre deux feulement, qui ne fontqu'un. Elle s'impliqueroit tk s'empêcheroit entreplufieurs, car fi deux en même-temps demandoientêtre fecourus , s'ils me demandoient offices contraires, fi 1'un commettoit a mon filence chofequ'il eft expediënt a 1'autre de fcavoir, quel ordre ?


L I V R E Ut 127Certes la divifion eft ennemie de perfecfion &cunion de fa germaine.4. La commune recoit du plus & du moinsdes exceptions , reftridtions & modifications ,s'échauffe ou relache, fujette a accès & recès,comme la fievre felon la préfence ou abfence ,mérites, bienfaits, &c. la parfaite non toujoursmême, marchant d'un pas égal, ferme, hautain&conftant.5. La commune re£oit& a befoin de plufieursregies & précautions données par les fages, dont1'une eft aimer fans intérêt de la piété , vérité ,vertu, amlcus ufque ad aras. L'autre eft d'aimercomme fi on avoit a haïr, & haïr comme fi onavoit a aimer, c'eft-a-dire, tenir toujours la brideen la main, & ne s'abandonner pas fi profufémentque 1'on s'en puiffe repentir, fi l'amitié venoit afe dénouer.• Item, d'aider & fecourir au befoin fans êtrerequis; car 1'ami eft honteux , Sc,kti coüte de dedernanderce qu'il penfe lui être dü. Item, n'êtreimportun k fes amis, comme ceux qui fe plaignenttoujours k la maniere des femmes. Or, toutesces le^ons trés - falutaires és amitiés ordinairesn'ont point de lieu en cette fouveraine &c parfaiteamitié.Nous fcaurons encore mieux ceci par la peintureck defcription de la parfaite amitié, qui eftUne confufion de deux ames , très-libre , pleineDefcriptiorjrle parfaiteamitié.


&5.S O £ L A S A G E S S E ' ,& univerfelle. Voici trois mots. i. Confufioiinon-feulement conjontlion Ik jointure, commetdes chofes folides , lefquelles bien attachées ,mêlées tk nouées foient-elles; fi peuvent k partelles être féparées tk fe connoifTent bien. Lesames:en cette parfaite amitié font tellement plongées;tk nouées 1'une dedans 1'autre , qu'elles ne ffpeuvent plus ravoir , ni ne veulent k la maniereides chofes liquides mêlées enfemble. 2. Trèslibretk batie par le pur choix & pure liberté dela volonté fans aucune obligation, occafion nicaufe étrangere , il n'y a rien qui foit plus hbrei& volontaire que 1'affection. 3. Univerfelle fans:exception aucune de toutes chofes , biens , hon-,neurs , jugemens , penfées , volontés , vie. Decette univerfelle tk fi pleine confufion vient que1'une ne peut prêter ni donner a 1'autre , tk n'y;a point entre eux de bienfaits, obligation, recon-inoiffance , re'merciement tk autres pareils devoirsqui font nourriciers des amitiés communes, maistémoignages de divifion tk différence; tout ainficomme je ne fcais point de gré du fervice que jeme fais, ni l'amitié que je me porte ne croit pointpour le fecours que je m'apporte. Et au mariagemême pour lui donner quelque reffemblance decette divine liaifon, bien qu'il demeure bien amdeffous : les donations font défendues entre lemari tk la femme ; & s'il y avoit lieu de fepouvoir donner 1'un k 1'autre, ce feroit celui quiemployeroit


L i r R E III. 129employeroit fon ami, & recevroit le bienfait quiobligeroit fon compagnon , car cherchant 1'un Sc1'autre, mr-tout avec faim de s'entre-bien-faire ,celui qui en donne 1'occafion Sc en prête la matiere, eft celui qui fait le libéral, donnant cecontentement a fon ami d'effecf uer ce qu'il defirele plus.De cette parfaite amitié Sc Communion , nousExemples.avons quelques exemples en 1'antiquité. Blofiuspris comme trés-grand ami de Tiberius Gracchusja condamné Sc interrogé ce qu'i? eüt fait pourlui, ayant répondu toutes chofes , il lui fut demandé, comment s'il t'eüt prié de mettre le feu; aux temples, 1'euffe-tu fait ? 11 repondit que jamais1Gracchus n'eut eu telle volonté, mais que quandi il Peut eu il lui eüt obéi : trés - hardie Sc dangeireufe réponfe. II pouvoit dire hardiment que1 Gracchus n'eüt jamais eu cette volonté, c'étoita! lui a en répondre, car comme porte notre def-1 cription, 1'ami parfait non-feulement fcait Sc contnoïtpleinement la volonté de fon ami , Sc celaluimt pour en répondre , mais il la tient en fat manche Sc lapoffede entiérement. Et ce qu'il ajoute:que fi Gracchus Peut voulu il 1'eüt fait, ce n'eftrien dit, celan'altere ni n'empire point fa premièreréponfe, qui eft de 1'affurance de la volonté de.Gracchus. Ceci eft des volontés Sc jugemens.,2. Voyons des biens. Ils étoient trois amis (cermot trois heurtenos regies, Sc fait penfer que ceII. Partie.I


I30 BE LA S A G E S 8 Eln'étoit encore une amitié du tout parfaite) deuxriches tk unpauvre chargé d'une mere vieille,&d'une fille a marier; celui - ci mourant fait fonteftament, par lequel il legue a un de fes amis denourrir fa mere tk 1'entretenir ; tk a 1'autre demarier fa fille, tk lui donner le plus grand douairequ'il pourra ; & avenant que 1'un d'eux vienne adéfaillir, il fubftitue 1'autre. Le peuple fe moquede ce teftament , les héritiers 1'acceptent avecgrand contentement, & chacun vient a jouir de fonlégat, mais étant décédé cinq jours après celui quiavoit pris la mere; 1'autre furvivant tk demeurantuniverfel héritier, entretint foigneufement la mere,tk dedans peu de jours il maria en même jour fafille propre unique , tk celle qui lui avoit étéléguée, leur départant par égales parts tout fonbien. Les fages felon la peinture fufdite ontjugéque le premier mourant s'étoit montré plus ami,plus libéral, faifant fes amis héritiers , tk leur donnantce contentement de les employer a fon befoin.3. De la vie , 1'hiftoire eft notoire de ces deuxamis, dont 1'un étant condamné par ce tyran amourir a certain jour & heure , demande ce délaide refte pour aller pourvoir k fes affaires domeftiquesen baillant caution , le tyran lui ayantaccordé k cette condition, que s'il ne fe repréfentoitau temps , fa caution fouffriroit le fupplice.Le prifonnier baille fon ami qui entre en prifona cette condition ; tk le temps étant tenu , tk


L I V R E IU. ^ Tfaml caution fe délibérant demourir, le condamnéne faillit de fe repréfenter. Dc quoi le tyran plusqu ebahi & délivrant tous les deux, les pria dele vouloir recevoir & adopter en leur amitiépour tiers.C H A P I T R EVII.De la Foi, Fidélité, Perfidie, Secree.Tous , voire les perfides fcavent & confeffentque la foi eft le lien de la fociété humaine, fondementde toute juftice, & que fur-tout elle doitêtre religieufement obfervée. Nihil auguftiusfide,qu


ecoit. Celui qui laDivifion decette matierer ?' •Olul C[U1donne la to ; .132 DE LA S A G E $ S E\tk fcavoir au vrai comment il s'y faut porter Jil y a quatre confidérations auxquelles tout fepeut rapporter ; les perfonnes tant celui qui donnela foi que celui qui la recoit; la chofe fujettedont eft queftion, tk. la maniere que la foi a étédonnée.Quant a celui qui donne la foi, faut qu'il aitpuiffance de ce faire : s'il eft fujet d'autrui, il nela peut donner , & 1'ayant donnée fans congé ikapprobation de fon maitre eft de nul effet, commeil fut bien montré au Tribun Saturnin tk fes complices, qui fortis du Capitole ( qu'ils avoient prispar rèbellion ) fur la foi des Confuls, fujets tkofficiers de la république, furent juftement tués.Mais tout homme libre tk a foi doit tenir fa foi,tant grand foit-il tk fouverain ; voire plus eftgrand, plus y eft-il obi^gé, car plus étoit librea la donner. Et eft bien dit qu'autant doit valoirla fimple parole du prince, que le ferment d'unprivé.Quant a celui a qui eft donnée la foi, qui qu'ilfoit , il la lui faut garder , tk n'y a que deuxexceptions qui font claires, 1'une s'il ne 1'avoitpas recue, & ne s'en étoit contenté , c'eft-a-dire,qui auroit demandé autre caution tk affurance.Car la foi comme chofe facrée doit être recue toutfimplement, autrement ce n'eft plus foi ni fiance,demander otages, donner gardes; prendre cautionou gages avec la foi, c'eft chofe ridicule. Celui4-


L I V R E III. 133qui eft term fous garde d'homme, de muraille,ou de ceps , s'il échappe & f efauve n'tft pointen faute. La raifon du Romain eft bonne. VultJibiquifique credi, & habita fides ipfam Jibi obligat fidcm:fides requirh fiduciam & relativa funt, L'autrë fi1 'ayant acceptée , il la rompoit le premier ,frangentifidem , fides frangatur eidem : quando tu menon habes pro Senatore, nee ego te pro Confule. Leperfide ne mérite que la foi lui foit gardée pardroit de nature, fauf que depuis il y ait eu accordqui couvrit la perfidie dont ne feroit plus loifiblela venger : hors de ces deux cas il ia faut gardera quiconque foit a fon fujet , comm? fera dit.2. A 1'ennemi, témoin le beau fait d'Attilius Regulus, Chap. 14.la proclamation du Senat Romain contre tousceux qui avoient été congédiés par Pyrrhus furleur foi, & Camillus qui ne vouloit pas feulementavoir part ni fe fervir de la perfidie d'autrui ,renvoyant les enfans des Falifque avec leur maitre.3. Au voleur & criminel public, témoin le faitde Pompée aux pirates & brigands, & d'Augufle kCrocotas. 4. Aux ennemis de la religion, a 1'exemplede Jofué contre les Gabaonites. Mais il ne la fautbailler k ces deux derniers , voleurs & hérétiquesou apoftats, ni la recevoir d'eux; car il ne fautcapituler ni traiter fciemment paix & alliance avectelles gens, fi ce n'eft en extréme néceffité, oupour leur réducfion, ou pour un trés-grand bienpublic ; mais leur étant donnée la faut garder,1 iij


Quant a la chofe fujette, fi elle injufte ouf.te fujet de 1 aimpolfible , 1'on en eft quitte, & étant injufte,foi.c'eft bien fait de s'en départir , doublé faute deLivius.134 D E L A S A G E S S E,la garder. Toute autre excufe hors ces deux, n'eftpoint de mife, comme perte, domrnage, déplaifir,incommodité , difficulté , comme ont pratiquéfouvent les Romains, qui ont rejetté plufieursavantages grands pour ne rompre leur foi, quibustanta utilitate fides antiquior fiuit.6. Quant a la maniere que Ia foi a été donnée ,La manierequ'a été donnéeia foi.c'eft oii il y a plus a douter; car plufieurs penfentque fi elle a été extorquée ou par force & crainte,ou par fraude & furprife, 1'on n'y eft point fujet,pource qu'en tous les deux cas le promettantn'a point eu de volonté, par laquelle il faut jugertoutes chofes. Les autres au contraire; & de faitJofué garda fa foi aux Gabaonites, bien qu'extorquéepar grande furprife & faux donné kentendre; & fut déclaré depuis qu'il devoit ainfifaire. Parquoi il femble que 1'on peut dire qu'oüil y a fimple parole & promeffe, 1'on n'y eftpoint tenu, mais fi la foi donnée a été revêtue& autorifée par ferment, comme au fait de Jofué,1'on y eft tenu pour le refpecf. du nom de Dieu ;mais qu'il eft loifible après en jugement pourfuivreréparation de la tromperie ou violence. La foidonnée avec ferment & intervention du nom deDieu , oblige plus que la fimple promeffe; Sc1'enfreindre , qui includ parjure avec la perfidie%


L I V R E HL 135eft beaucoup pire. Mais penfer afïïirer la foi parfermens nouveaux Sc étranges , comme plufieursfont , eft fuperflu entre gens de bien, Sc inutiie,fi 1'on veut être déloyal. Le meilleur eft de jurerpar le Dieu Eternel, vengeur des moqueurs defon nom, Sc infracf eurs de la foi.La perfidie Sc le parjure eft plus exécrable que]1'athéifme. L'Atheifte qui ne croit point de Dieu, jne lui fait pas tant d'injures , ne penfar.t pointqu'il y en ait, que celui qui le fcait, le croit,Sc le parjure par moquerie. Celui qui jure pourtromper, fe moque évidemment de Dieu , Sc necraint que 1'homme. C'eft moindre mal de mecroireDieu, que s'en moquer. L'horreur Sc ledéréglement de la perfidie Sc du parjure ne fcauroitêtre plus richement dépeint qu'il a été par unancien , difant que c'eft donner témoignage deméprifer Dieu Sc craindre les hommes. Qu'y a-t-il plus monftrueux que d'être couard a 1'endroitdes hommes, Sc brave a 1'endroit de Dieu. Le perfideeft après traitre Sc ennemi capitalde lafociétéhumaine; car il rompt Sc détruit la liaifon d'icelle,Sc tout commerce qui eft la parole, laquelle fielle faut, nous ne nous tenons plus.A 1'obfervation de la foi appartient la garde fideledu fecret d'autrui. Or, c'eft une importunegarde mêmement des grands; qui s'en peut pafferfait fagement, mais encore faut-ilfuir a le fcavoir,comme fit ce pocte a Lyfimachus. Qui prend enI iv7.''erficlio , ïniure a Oicu,Aux hommesS.Garder lefecret.


Ï3«


L I V R E II T. 137: autrement ils courent grande fortune, ou ils fontI bien fages.Ce bon office eft rendu de bien peu de gens;Rare , difficile,dange-'• il y faut, difent les fages, trois chofes, jugementreule.i ou difcrétion , liberté courageufe, amitié 6c fïdé-] lité. Elle s'affaiffonnent enfemble. Peu s'en mêlent] par crainte de déplaire , ou faute de vraie amitié;i Sc de ceux qui s'en mêlent peu le ftpavent bienl faire. Or, s'il eft mal fait, comme une médecinei donnée mal a propos, bleffe fans profit tk produitj prefque le même effetavec douleur, que fait la] flatterie avec plaifir. Eftre loué 5c être repris mal; apropos, c'eft même bleffure Sc chofepareillemertt1 laide a celui qui le fait. La vérité toute noblei qu'elle eft, fi n'a-t-elle pas ce privilege d'être! employée a toute heure 8c en toute forte. Unejfainte remontrance peut bien être appliquée vi-< cieufement.Les avis & précautions pour s'y bien gouverïnerferont ceux-ci, s'entend ou il n'y a point4-Regies de Isvraie amomnitiofi.(grande privauté , familiarité , confïdence ni d'auttorité8c puiffance ; car en ces cas n'y a lieu detgarder foigneufement ces regies fuivantes. 1. Obiferverle lieu tk le temps ; que ce ne foit enttemps ni lieu de fête Scde grande joie , ce feroitc comme fon dit troubler toute la fête ; ni det triftefTe & adverfité, ce feroit lors un tour d'hofti-1 lité, vouloir achever du tout, & accab'er, c'eftHors la faifon de fecourir 6c confoler. Crudelis in


138 DE L A S A G E S S E ,3 -i.re adverfa ob/urgatio. Damnare ejl objurgare, cuauxilio ejl opus. Le Roi Perfeus fe voyant ainfitraité par deux de fes familiers, les tua. 2. Nonpour toutes fautes indifféremment, non pour lesles légeres & petites , c'eft être ennuyeux Sc importun& trop ambitieux repreneur. L'on pourroitdire, il n'en veut ni pour les grandes Sc dangereufes; lefquelles l'on fentaffez, & l'on s'en craintd'être en peine. II penferoit qu'on le guette. 3. SecrétementSc non devant témoins, pour ne luifaire honte, comme il avint a un jeune hommequi recutfi grande honte étant repris de Pythagoras,qu'il s'en pendit; & Plutarque ettime quece fut pour cela qu'Alexandre tua fon ami Clytus,de ce qu'il le reprenoit en compagnie ; mais principalementque ce ne foit devant ceux defquels1'amonêtérequiert être approuvéck eftimé commedevant fa partie, en mariage devant fes enfans, fesdifciples. 4. D'une naiveté Sc franchife fimple,nonchalante, fans aucun intérêt particulier ouémotion tant petite foit-elle. 5. Se comprendreen la faute Sc ufer de termes généraux, nous nousoublions, a quoi penfons-nous ? 6. Commencerpar louanger & finir par offres de fervice Sc fecours,cela détrempefortl'aigreur de la correction,Sc la fait avaler plus doucement, telle chofe vousfied fort bien, non pas fi bien telle Sc telle. IIy a bien a dire entre celles-la Sc celles-ci; l'on nediroit jamais qu'elles fortent de même puvrier.


L I V R E III. 1397. Exprimer la faute par mots qui foient au-deflbusdt poids de mefure de la faute. Vous n'y avezpas du tDUt bien penfé, au lieu de dire vousavez mal fait: ne recevez point cette femme quivous ruinera, au lieu de dire ne 1'appellez pointcar vous vous ruinez pour elle; ne difputez pointavec tel, au lieu de dire ne lui portez point d'envie.8. Après 1'amonition achevée ne s'en faut allertout court, mais continuer d'entretenir par autrespropos communs & plaifans.7-8.C H A P I T R E X.De la Flatterie3Menurie & Dijjimulatlon'.F LATTERIE efl: uh poifon très-dangereux a tous ï.'Flatterieparticuliers , & la prefque unique caufe de lachofe perni-pernicieufe& vi'ruine du prince 8c" de 1'état; eft pire que fauxlaine.témoignage, lequel ne corrompt pas le juge,mais le trompe feulement, lui faifant donner méchantefentence contre fa volonté 8c" jugement;mais la flatterie corrompt le jugement, enchante1'efprit, & le rend inhabile k plus connoitre lavérité. Et fi le prince eft une fois corrompu deflatterie , il faudra meshui que tous ceux qui fontautour de lui, s'ils fe veulent fauver, foient flatteurs.C'eft une chofe donc autant pernicieufe commela vérité eft excellente; car c'eft corruption de


2.Spécialeaienta deux?•^ Dïftïcile kéviter & s'engirder.MO DE LA S A G E S S E,la vérité. C'eft auffi un vilain vice d'ame lachejjbaffe & belitreffe, auffi laid & méchant al'homme,tque 1'impudence a la femme. Ut matrona mcretridifpar erit, atque difcolor infido fcurrx difiabit acus. Auffi font comparés lesflatteurs auxputainsiempoifonneurs , vendeurs d'huile , quêteurs dejrepues franches , aux loups; & dit un autre fagelqu'il vaudroit mieux tomber entre les corbeauxiique les flatteurs.II y a deux fortes de gens fujets a être flattésic'eft-a-dire, a qui ne manquent jamais gens quilleur fourniffent de cette marchandife , & qui auffiIaifément s'y laiffent prendre, fcavoir les princeslchez qui les marchands gagnent crédit par-la, &lles femmes; car il n'y a rien fi propre & ordinairea corrompre la chafteté des femmes, que les paitre& entretenir de leurs louanges.La flatterie eft très-difficile a éviter & a s'engarder , non-feulement aux femmes a caufe de leurfoibleffe, & de leur naturel plein de vanité, &amateur de louange; & aux princes a caufe quefont leurs parens, amis, premiers officiers, &ceux dont ils ne fe peuvent paffer, qui font ce métier.Alexandre ce grand Roi & Philofophe ne s'enput défendre ; & n'y a aucun des privés qui nefit pis que les Rois s'il étoit affiduellement effayé& corrompu par cette canaille de gens commeils font; mais généralementa tous, d'autant qu'ellepft mal aifée a dégouvrir; car elle eft fi bien fardée


LIVRE 111. 141!& couverte du vifage d'amitié, qu'il eft mal aifé:étudie d'agréer & complaire; elle honore tk loue;;elle s'embefogne fort 5c fe remue pour le bien tkifervice , s'accommode aux volontés tk humeurs :j iquoi plus; elle entreprend même le plus hautS8c plus propre point d'amitié, qui eft de montrer>i !8c reprendre librement. Bref le flatteur fe veutii Idire tk montrer fupérieur en amour, tk k celuiï ]qu'il flatte. Mais au rebours n'y a rien plus con-I traire a l'amitié que la médifance, 1'injure, 1'ini-'i imitié toute ouverte ; c'eft la pefte tk le poifon{; ! de la vraie amitié; elle font du tout incompatibles,t 'non potes mejimulamlco & adulatore uti. MeilleursJr[font les aigreurs tk pointures de 1'ami, que lesjbaifers du flatteur, mtlïora ruinera diligentis, quamvofeula blandientls.' lParquoi pour ne s'y mécompter, voici par fa 4-Peinture &t wraie peinture les moyens de la bien reconnoitre antithefe dfela flatterie Si£ifk remarquer d'avec la vraie amitié. 1. La flatterie amitié.| eeft bientöt fuivie de 1'intérêt particulier, 6c en1Idela difcerner. Elle en ufurpe les offices, en a Imite Sc refTembleTami^davoix, en porte le nom tk le contrefait fi artificiellementque vous diriez que c'eft-elle. Elletié, maisc'eneftlapefte.ccela fe connoit : 1'ami ne cherche point le fien.! iz. Le flatteur eft changeant 6c divers en fes jir-'i fgemens; comme le miroir 6c la cire, qui recoit: Moutes formes; c'eft un caméleon , un polipus :| tfeignez de louer ou vitupérer 8c haïr , il en feraj ttout de même, fe pliant 6c accommodant felon


142. DE LA S A G E S S E ,qu'il connoïtra être en 1'ame du flatté. L'ami eroferme tk conftant. 3. II fe porte trop ambitieufe4ment tk chaudement en tout ce qu'il fait au fcuf& vu du flatté, a louer & s'offrir & fervir. 11 neltient pas modération aux actions externes, tk au|contraire au dedans il n'a aucune affection, c'eft!tout au rebours de l'ami. 4. II cede & donnejtoujours le haut bout & la vicfoire au flatté, &|lui applaudit n'ayant d'autre but que de plaire ,1tellement qu'il loue tout &trop, voire quelquefoisa fes dépens , fe blamant tk humiüant comme leluiteur qui fe baiffe pour mieux atterrer fon compagnon.L'ami va rondement, ne fe foucie s'ila le premier ou fecond lieu , & ne regarde pastant a plaire comme d'être utile & profiter ,foit-il doucement ou rudement, comme le bonmédecin a fon malade pour le guérir. 5. II veutquelquefois ufurper la liberté de l'ami a reprendre;mais c'eft bien k gauche. Car il s'arrêtera k depetites tk légeres chofes , feignant n'en voir tkn'en fentir de plus grandes ; il fera le rude cenfeurcontre les autres parens , ferviteurs du flatté dece qu'ils ne font leur devoir envers lui: ou bienfeindra d'avoir ehtendu quelques légeres accufationscontre lui ; & être en grande peine d'enfcavoir la vérité de lui-même , tk venant le flattéa les nier ou s'en excufer , il prend de-la occafionde le louer plus fort. Je m'en ébahiffois bien ,dira-t-il, tk ne le pouvois pas croire? car je vois


L I V R E 111. 143le contraire ; comment prenclriez-vous de 1'autriri,vous donnez tout le votre, & ne vous fouciezd'en avoir. Or, bien fe fervira de repréhenfionpour davantage flatter, qu'il n'a pas affez de foinde foi, n'épargne pas affez fa perfonne fi requifeau public , comme fit un Sénateur a Tybere enplein Sénat avec mauvaife odeur. 6. Bref j'acheveraipar ce mot que l'ami toujours regarde , fert,procure tk pouffe a ce qui eft de la raifon , de1'honnêteté tk du devoir, le flatteur a ce qui eftde Ia paffion , du plaifir, & qui eft ja malade en1'ame du flatté. Dont eft inftrument propre atoutes chofes de volupté & débauche , tk non ace qui eft honnête ou pénible tk dangereux, ilfemble le finge qui n'étant propre k aucun fervice,comme les autres animaux, pour fa part il fertde jouet & de rifée.A la flatterie eft fort conjoint tk allié le mentir,vice vilain ; dont difoit un ancien que c'étoit auxefclaves de mentir, tk aux libres de dire vérité.jQuelle plus grande lacheté que fe dédire de fapropre fcience ? Le premier trait de la corruptiondes mceurs eft le banniffement de vérité, commeau contraire dit Pindare ; être véritable eft lele commencement de grande vertu. Et pernicieuxa la fociéié humaine. Nous ne fommes hommes,& ne nous tenons les uns aux autres, comme aété dit, fi elle nous faut. Certes le filence eft plusfociable queleparler faux. Si lemenfongen'avoitDu mert-Ir,falaideur &fon dommage


D E L A144S A G E S S E I6.De la feintife7.Sa clifficulté.qu'un vifage comme la vérité, encore y auroit-ilquelque remede, car nous prendrions pour certainle contraire de ce que dit le menteur ; mais lerevers de la vérité a cent mille figures & un charapindéfini. Le bien, c'eft-a-dire, la vertu & la véritéeft fini 6c certain, comme n'y A qu'une voie aublanc; le mal, c'eft-a-dire , le vice , Terreur tkle menfonge eft infini 6c incertain , car millemoyens a. fe dévoyer du blanc. Certes fi l'onconnoifToit 1'horreur tk le poids du menfonge,l'on le pourfuivroit k fer 6c k feu. Et ceux quiont en charge la jeuneffe devroient avec touteinftance empêcher tk combattre la nailfance & leprogrès de ce vice , & puis de 1'opiniatreté, 6cde bonne heure ; car toujours croiffent.II y a une menterie couverte tk déguifée, qui eftla fantailie tk diffimulation ( qualité notable descourtifans , tenue en crédit parmi eux commevertu) vice d'ame lache &baffe, fe déguifer,fecacher lous un mafque , n'ofcr fe montrer 6c fefaire voir tel qu'on eft, c'eft une humeur couarde& fervile.Or, qui fait profeflion de ce beau métier, viten grande peine, c'eft une grande inquiétude quec\e vouloir naroitre autre mie l'on rft. tk avoir1'ceil k foi, pour la crainte que l'on a d'être découvert.Le foin de cacher Ion naturel eft unegêne , être découvert une confufion. II n'eft telplaifir que vivre au naturel, vaut mieux être moinseftimé ,


LIVRE 111. 145eftimé & vivre ouvertement, que d'avoir tant depeine a fe contrefaire, & tenir couvert: la franchifeeft chofe fi belle & li noble.Mais c'eft un pauvre métier de ces gens, carla dilfimulation ne fe porte guere loin; elle efttot découverte, felon le dire que les chofes feintes& violentes ne durent guere ; & le falaire k tellesgens eft que l'on ne fe fie point en eux , ni ne lescroit-on quand ils difent vérité; l'on tient pourapocryphe, voire pour piperie, tout ce qui vientd'eux.Or, d y a ici lieu de prudence & de médiocrité;Confeil futcar fi le naturel eft dirforme , vicieux & offenfif ce.a autrui, il le faut contraindre, ou pour mieuxdire,corriger. II y a dirférence entre vivrefran*chement & vivre nonchalamment. hem il ne fauttoujours dire tout, c'eft fottife; mais ce que l'on• dit, faut qu'il foit tel que l'on penfe.II y a deux fortes de gens auxquels la feintife 10.Feintifeieft excufable, voire aucunement requife, mais 1 bicnféanteaux femmes.ipour diverfes raifons , fcavoir; le prince pour 'iï'utilité publique, pour le bien & le repos fieni&de 1'état, comme a été dit ci-deffus. Et lest femmes pour la biemeance, car la liberté tropifranche & hardie leur eft méiéante & gauchif kU'impudence. Les petits déguifemens, faire la petitetbouche, les figures & feintife , qui fentent a la[pudeur & modeftie, ne trompent perfonne queHes fots , & leur flent fort bien, font la au fiegei7. Partie.S.Inutilité.1. arf. fi


146 DE LA S A G E S S B,d'honneur. Mais c'eft chofe qu'il ne faut point êtreen peine de leur apprendre; car 1'hypocrifie eftnaturelle en elles. Elles y font toutes formées ,& s'en fervent par-tout 8c trop , vifage, vêteme'ns,paroles, contenances, rire , pleurer , 8c 1'exercentnon-feulement envers leurs maris vivans, maisencore après leur mort. Elles feignent un granddueil 6c fouvent au dedans rient. Jaclantius mcerentqua minus dolent.C H A P I T R E IX.Du Bicnfait, Obligation & Reconnoijfance.Tacit.Senec.L A fcience 8c matiere du bienfait 8c la reconnoi/fancede 1'obligation aftive Sc paffive, eftgrande, de grand ufage 6c fort fubtile. C'eft enquoi nous faillons le plus : nous ne fcavons nibien faire ni le reconnoitre. II femble que la gracetant le mérite que la reconnaiffance foit courvée,6c la vengeance ou la méconnoiffance foit a gain,tant nous y fommes plus prompts 6c ardens.Gratia oneri ejl, ultio in qucejlu habctur ; altiusjurice quam merita defcendunt. Nous parierons doici premiérement du mérite 6c bienfait, oii nouscomprenons Phumanité, libéralité, aumönes, &leurs contraires, inhumanité, cruauté, 6c puis de1'obligation, reconnoifTance & méconnoiffance4ingratitude 8c vengeance.


L I V R E III. 147Dieu, nature, & toute raifon nous convient 1.Exlioit.itiona bien faire & mériter d'autrui ; Dieu par fon a bie f irepar diverfesexemple & fon naturel, qid eft toute bonté; & raifons. Cic.Plin.ne fcaurions mieux imiter Dieu que par ce moyen,nulla re propius ad Dei naturani accedimus, quambeneficentia. Deus ejl mortahm Juecurrere mortali;Nature , témoin qu'un chacun fe delecte a voircelui a qui il a bienfait; c'eft fon femblable. Nihiltam Jecundiim naturam , quam jux are eonjortem naturm.C'eft 1'ceuvre de 1'homme de bien & généreux,de bien faire & mériter d'autrui, voire d'en chercherles occafions , libcralis etiam dandi caujas Ambrof.quatrit. Et dit-on que le bon fang ne peut mentirni faillir au befoinC'eft grandeur de donner,petiteffe de prendre, beatiuse.fi dare quam aceipere.Qui donne fe fait honneur , fe rendmaïtre dupreneur ; qui prend fe ver.d. Qui premier, ditquelqu'un , a inventé les bienfaits , a forgé desceps & manottes pour lier & captiver autrui;dont plufieurs ont refufé de prendre , pour nebleffer leur liberté, fpécialement de ceux qu'ilsne vouloient aimer ni reconnoitre , comme portele confeil des fages , ne prendre du méchant,pour ne lui être tenu. Céfar difoit qu'il n'arrivoitaucune voix a fes oreilles plus plaifantequeprieres & demandes; c'eft le mot de grandeur,1 demandes-moi , invoea me in die tribulationis( (eruam te) & honorificabis me. C'eft auffi le plusi noble & honorable ufage de nos moyens, lefquelsKij


Cruanté.Voyez 1. I.c. 32.1.Diflinftion


L I V R E III. 14$agir en pere & en vrai ami: plus, il y a doublébienfaits, les uns font devoirs qui fortent d'obligationnaturelle ou légitime; les autres font mérites& libres qui partent d'affedtion pure. Ceux-cifemblent plus nobles ; toutefois fi ceux-la fe fontavec attention & affettion , bien qu'ils foient dus,font excellens.Le bienfait & ie mérite n'eft pas proprement ceLe b'ic-nf;qui fe donne , fe voit, fe touche; ce n'en eft que la interne &externe.matiere groffe, la marqué, la montre ; mais c'eftla bonne volonté. Le dehors eft quelquefois petit,& le dedans eft trés-grand; car 5a été avec unetrés-grande faim& affection, jufquesa enchercherles occafions , on a donné tant que l'on a pu ,& de ce qui faifoit befoin ou étoit plus cher, inbeneficio hoe fufpiciendum quod alteri dedit, ablaturusJibi, utilitatis fuce oblitus. Au rebours de don grandla gracepetite; car c'eft a regret, s'il le fait demander& marchander long-ten-ps, & fonge s'ille donneroit: c'eft de fon trop a>/ec parade; le faitfort valoir ; le donne plus a foi & fon ambition ,qu'a la néceflité & au bien du recevant. Item ledehors peut être incontinent ravi, évanoui, lededans demeure ferme; laliberté, fanté, 1'honneur,qui vient d'être donné, peut-être tout k 1'infiantenlevé & emporte par un autre accident, le bienfaitnonobftant demeure entier.Les avis pour fe conduire au bienfait lerontceux-ci, felon l'inftruétion des fages. PremiérementKiij4-_ Regies dbienfait.A qui.


IJO DE LA S A G E S S E ,a qui ? k tous ? II femble que bien faire auxméchans tk indignes , c'eft faire tout en uncoup plufieurs fautes, cela donne mauvais nomau donneur, entretient & échauffe la malice ,rend ce qui appartient k la vertu tk au mérite,comme auffi au vice. Certes les graces libres tkfavorables ne font dues qu'aux bons tk dignes;mais en la néceffité tk en la généralité tout eftcommun. En ces deux cas les méchans 8c ingratsyont part, s'ils font en néceffité, ou bien s'ils font tellementmêlts avec les bons, que les unsn'en puiffentavoir fans les autres. Car il vaut mieux bien faire auxindignes, a caufe des bons, que d'en priver les bonsa caufe des méchans. Ainfi fait Dieu du bien k tous,pleuvant 8c élancant fes rayons indifféremment;Mais fes dons fpéciaux, il ne les donne qu'a ceuxqu'il a choifis pour fiens ; non ejl bonum Jumerepanem filiorum & projïcere canibus , multum refertutrum aliquem non exc'uJas an eligas. Au befoindonc en 1'afHiction tk néceffité il faut bien fairek tous, hominibus prodejje natura jubet; ubicumquhomini beneficio locus. Nature tk humanité nousapprend de regarder, & nous prêter a ceux quinous tendent les bras, tk non k ceux qui noustournent le dos. A ceux plutöt k qui nouspouvonsfaire du bien qu'a ceux qui nous en peuvent faire.C'eft générofité fe mettre du parti battu de lafortune, pour fecourir les affligés , tk foufiraireautant de matiere a 1'orgueil 8c impétuofité du


LIVRE 111. 151vittorieux, comme fit Chelonis, fille & femmede Roi, laquelle ayant fon pere tk fon mari malenfemble, lorfque le mari eut le deffus contre fonpere, fit !a bonne fille fuivant &c fervant fon perepar-tout en fes afHictions ; puis venant la chancea tourner, tk fon pere étant le maïtre , fe tournadu cöté de fon mari, 1'accompagnant en toutesfes traverfes.En fecond lieu il faut bien faire volontiers,&i.Volont.crsgaiement, non ex triffuia aut neceffitate, hilaremdatorem d'digit Deus : bis ejl gratum , quod opus ejl,ji ultro cff ras , fans fe laiffer prier ni prefler,autrement ce nefera point agréable: nemo lubenterdebet quod non accipit, fed expreffit. Ce qui eft accordéa force de prieres eft bien cherement vendu;non tulit gratis, qui accipit togans , imb nihil chariusemitur, quam quodprecibus. Celui qui prie s'humilie,fe confeffe inférieur, couvre fo . vifage de honte,honore grandement celui qu'il r r'.e : dont difoitCéfar après s'être défait de Pomp k, qu'il ne prêtoitplus volontiers 1'oreille , & ne fe plaifoit tant enaucune chofe,que d'être prié; tk k ces finsdonnoitefpérance k tous, voire aux ennemis qu'ils obtiendroienttout ce qu'ils demanderoient. Les gracesfont vêtues de robes tranfparentes tk defceintes,libres, non contraintes.Tot & promptement celui-ci femble dépendredu précédent, les bienfaits s'eftiment au prix dela volonté. Or, qui demeure long-temps k fecourirK iv6.3. Tot.


7- .Sans efpérancede reddition.ÏJ2 DE LA S A G E S S E,Sc donner, femble avoir été long-temps fans levouloir, qui tardèfecic, diu noluit. Comme aurebours la promptitude redouble le bienfait: bis dat,qui celeriter. La neutralité Sc 1'amufement qui fefait ici, n'eft approuvé de perfonne que desaffronteurs.II faut ufer de diligence en tout cas. II ya donc ici cinq manieres de procéder , dont lestrois fontréprouvées, refufer & tard, c'eft doubléinjure; refufer tot & donner tard, font prefquetout un. Et y en a qui s'offenferoient moins deprompt refus : minus decipitur, cui negatur celeriC'eft donc le bon de donner töt, mais 1'excellenteft d'anticiper la demande, deviner la néceffité& le defir.Sans efpérance de reddition, c'eft oii git principalementla force Sc vertu du bienfait. Si c'eftvertu , elle n'eft point mercenaire: tune ejl virtusdare benejieia non reditura. Le bienfait eft moinrichementaffigné ouyarétrogradation&réflexion;mais quand il n'y a point de lieu de revanche ,voire l'on ne fcait d'oii vient le bien , la le bienfaiteft juftement en fon luftre. Si l'on regarde ala pareille , l'on donner a tard & a peu. Or , ilvaut beaucoup mieux renoncer a toutè pareille,que laiffer k bien faire Sc mériter; cherchant cepaiement étranger Sc accidental, l'on fe privé dunaturel Sc vrai , qui eft la joie Sc gratifkatiöninterne d'avoir bien fait. Auffi ne faut-il être priédeux fois d'une même chofe ; faire injure eft de


L I V R E III. 153! Foi vilain Sc abominabe , Sc n'y faut autre chofepour s'en garder. Auffi bien mériter d'autrui, eftbeau Sc noble , Sc ne faut autre chofe pour s'yléchauffer. Eten unmot, ce n'eft pas bien faire,fi l'on regarde a la pareille, c'eft trafïquer & mettre;a profit: non ejl benejiciurn quod in qucejlum mittitur.III ne faut pas confond, e Sc mêler les acfions tant diiverfes : demus benejicia, non fieneremus. Telsméritentbien d'être trompés qui s'y attendent; dignus.decipi, qui de recipiendo cogitavit, cum daret. Cellen'eft femme de bien, qui pour mieux rappeller\Sc réchauffer, ou par crainte refufe, quce quianon' licuit non dedit, ipfa dedit. Auffi ne mérite celui:qui fait bien pour ler'avoir. Les graces fontvierges^[fans efpérance de retour, dit Hefiode.Bien faire.a la facon que defire Sc qui vientB gré a celui qui recoit, afin qu'il connoiffe Scffente que c'eft vraiment a lui que l'on 1'a fait.5Sur quoi eft k fcavoir qu'il y a doublés bienfaits;lies uns font honorables k celui qui les recoit, dontiils fe doivent faire en public; les autres utilestqui fecourent k 1'indigence, foibleffe, honte Sci autre néceffité du recevant. Ceux-ci fe doiventffaire fecrettement, voire s'il eft befoin que celuiifeul le fcache qui le recoit, & s'il fert au recevantod'ignorer d'oii le bien vient ( pource que peut-êtrelil eft touché de honte, qui 1'empêcheroit de prendreeencore qu'il en eüt befoin. ) II eft bon & expédienti!de lui céler Sc lui faire couler le bien Sc fecours3.6. Au defir:!u recevant.


Sans demériteaucun.IJ4D E L AS A G E S S E ypar fous main. C'eft affez que le bienfaiteur le •fcache, & fa confcience lui ferve de témoin qui ien vaut mille.Sans léfion ou office d'autrui, & fans préjudice :de juftice ; ck bien faire fans mal faire. 7. donner •1'un aux dépens de 1'autre , c'eft facrifier le fils en 1la préfence du pere , dit le fage.Et prudemment, l'on eft quelquefois bien em-


L I V R E III. 155;bien compofant tel'ement la promeffe en termes! généraux ou ambigus , qu'elle n'oblige pointiprécifément. II y a icifubtilité tk fineffe, élolgnée!de la franchife, mais 1'injuftice du demandeur en:eft caufe ik le mérite.ir.D'un cceur humain tk affect ion cordiale, homo S.D'unefprltd'humiiiiité.fum, humani a me nihil alienum puto. Specialement:envers les affligés & indigens, c'eft ce qu'on appelleimiféricorde. Ccuxquin'ont cette affection, immams yifont inhumains tk marqués pour n'être des bons ikllus. Mais c'eft d'une forte , ferme ik généreufe,•&c non d'une molle, efféminée tk troublée. C'eft uneipaffion vicieufe tk qui peut tomber en méchanteame, de laquelle il eft parlé en fon lieu; car ily a bonne tk mauvaife miféricorde. Ilfaut fecouriraux affligés, fans s'affliger tk adapter a foi le mal[d'autrui, n'y rien ravaler de ia juftice & digaité ;car Dieu dit qu'il ne faut point avoir pitte duipauvre en jugement; amfi Dieu & les faiots fontIdits miféricordieux&C pitoyables.Sans fe jatter, en faire fête ni brult, c'eft efpece1de reproche ; ces yanteries ötcnt tant la grace,voire décrient odieux les bienfaits, hoe ejl in odiumbeneficia perducere. C'eft en ce fens qvi'il eft dit quede bienfaiteur doit oublier les bienfaits.Continuer & par ncuveaux bienfaits confirmer& vajeunir les vieux (cela convie tout lemendeh 1'aimer & rechercher fon amitié ) tk jamais nefe repentir des vieux, quoiqu'on fente avoir feméII.9. Sans jactance.tl-10 Conti-.ni'er fans ferepentir.


II. Ni revo-


L I V R E III. i«yqui fortent de main amie, de ceux que l'on eft'idifpoféd'aimer fans cette occafion; au contraireil eft grief d'être obligé a celui qui ne plait &lauquel on ne veut rien devoir. Ceux auffi quiiviennent de la main de celui qui eft aucunementiobligé; car il y a de juftice Sc obligent moins.Ceux qui font faits en la néceffité Sc au grandbefoin, ceux-ci ont une grande force, ils fontoublier toutes les injures & offenfes paffées, s'ily en avoit eu; Sc obligent fort: comme au contrairele refus en telle faifon eft fort injurieux , &fait oublier tous les précédens bienfaits. Ceux quife peuvent reconnoitre & recevoir la pareille ,tcomme au contraire les autres engendrent haine;car celui qui fe fent du tout obligé fans pouvoirpayer , toutefois qu'il voit fon bienfaiteur , ilpenfe voir le témoin de fon impuiffance ou ingratitude, Sc lui fait mal au cceur. II y en a quiplus font honnêtes & gracieux, plus font au recevant,s'il eft homme d'honneur, comme ceuxlui lient la confcience , la volonté , car ils ferrentibien plus Sc le font demeurer en cervelle Sc encrainte de s'oublier Sc faillir. L'on eft bien plusprifonnier fous la parole que fous la clef. il vautimieux être attaché par les liens civils 8c publics,que par la loi d'honnêteté Sc de confcience;i plutöt deux notaires qu'un. Je me fie en vous,en votre foi & confcience ; celui-ci fait plus: d'honneur, mais étreint, ferre, follicite Sc preffe


i6. Du bienfait nait 1'obligation, tk d'elle auffi ilObligationmere & fille en fort & eft produit; ainfi eft-il Tenfant tk leldu bienfait. pere, Teffet Sc la caufe , Sc y a doublé obliganjObligationpremière &mere.158 DE LA SAGESSE,bien plus; Sc celui-la l'on s'y porte plus lachemenricar Ton fe fie que la loi Sc les attachés externesöiréveilleront affez, quandillefaudra. Oiiily amoinsjde la contrainte , la volonté fe refferre , quod mjus cogit, vix a voluntate impttnm.tion acYive tk paffive. Les parens, les princes Safupérieurs par devoir de leur charge font temujde bien faire tk profiter a ceux qui leurfontjcommis , recommandés par la nature , ou pairla loi, tk généralement tous ayant moyens envers»tous néceffiteux & afffgés , par le commandementjde nature. Voila 1'obligation première , puis desJbienfaits, foient-ils dus tk émanésde cette première!obligation , ou bien libres tk purs mérites, fortiTobligation feconde Sc acquife , par laquelle lesjlrecevans fonttenus a lareconnoiffance tk remer-Jciement: tout ceci eft fignifié par Hefiode , quiia fait les graces, trois en nombre , tk s'entretenant|par les mains.La première obligation s'acquitte par lesbonsioffices d'un chacun , qui eft en quelque charge Jlefquels feronttantót dhcourus en la fccondelpartie qui eft des devoirs particuliers; mais elle!s'affermit Sc fe relache , & amoindrit acciden-|talement par les tonditions, Sc le fait de ceuxjqui les recoivent. Car leurs offenfes, ingratitudesj


Senec,Senec.l6o DE LA S A O E S S E,que d'agir felon nature , riens'acquitter tk demeurer libre.fi plaifant que AiPar-tout ceci eft aifé k voir combien eft lach


LIVRE 111. 161' pudoris ejl fateri per quos profecerimus , CV hcec quafi Idem.Plin.merces autoris. Comrne on a trouvé le cceur tk lamain d'autrui ouverte k bien faire, auffi faut-ilavoir labouche ouverte k le prêcher ; & afin quela roémoire en foit plus ferme tk fólemnellè ,nommer le bienfait& le préfent du nom dubienfaiteur. Le quatrieme eft k rendre avec cesquatre mots d'avis. Que ce ne foit tout promptement,ni trop curieufement, cela a ma'üvaife odeurtk femble que l'on ne veuiile rien devoir, maispayer le bienfait; c'eft auffi donner occafion aubienfaifant de penfer que fon bienfait n'a pas étébien recu; fe montrer trop ambitieux tk foigneuxde rendre, c'eft encourir foupcon d'ingratitude.II faut donc que ce foit quelque temps après, tknon fort long , afin de ne laiffer vie'liir le préfent:l ( les graces font peintes jeunes ) & avec bellei occafion , laquelle s'offre de foi-même , ou bien(étudiée fans éclat & fans bruit. i. Que ce foit aveclufure, tk furpaffe le bienfait, comme la bonnetterre, ingratus ejl, qui beneficium redditfineufura,(ou k tout le moins 1'égale avec toute démonftrattion, que l'on étoit obligé k mieux, tk. que cecirn'efl pas pour latisfaire a 1'obligation, mais pourïmontrer qu'on fe reconnoit obligé. 3. Que ce foitttrès-volontiers tk de bon cceur. Ingratus eft quinmetu grams ejl. Si ainfi il a été donné , eodem animo[beneficium habetur, quo datur: errat fi quis beneficiumiübentius accipit quam reddit, 4. Si 1'impuiffance yII. Partie.L2.4'


ï6l DE LA S A G E S S E,eft de le rendre par effet, au moins la volontéy döit être , qui eft ia première & principalepartie, & comme 1'ame tant du bienfait que dela reconnoiffance ; elle n'a point de témoin quefoi-même ; & faut reconnoitre non-feulementle bien recu , mais encore celui qui a été offert& qui pouvoit être recu, c'eft-a-dire, la volontédu bienfaiteur, qui eft, comme a été dit, leprincipal.S E C O N D E P A R T I E ,Qui eft des devoirs fpèciaux de certains a certainspar certaine & fpèciale obligation.P R É F A C E,jA. YANT a. parler des devoirs fpèciaux & particuliersd/fferens, felon la diverfitè des perfonnes & deleurs états, foient inégaux, comme fupérieurs & inférieurs, ou égaux , nous commencerons par lesmariés, qui font mjxtes& tiennent de tous les deux ,ègalit: 6- inègalitè. Auffi faut-il premiérement parlerde la juflice & des devoirs privès & domefiques ,avant que des publiés, car ils précédent; comme lesfamilies & maifons font premières que les rèpubliques,dont la juftice privée qui fe rend en. la familie,eft £ image, la fource & le modele de la république.


L I V R E III. 163Or, ces devoirs privès & domeflïques font trois ,fgavoir; entre le mari & la femme, les parens &les enfans, les maitres & les ferviteurs. Volla toutesles parties d'une maifon & familie , laquelle prendfon fondement du mari & de la femme- qui en fontles maitres & auteurs. Parquoi premiérement desmariés.C H A P I T R EXII.Devoir des Mariés.S ELON les deux confidérations diverfes, qui fontau mariage , comme a été dit , fcavoir ; égalitéSc inégalité, auffi font de deux fortes les devoirs&C offices des mariés. les uns mêmes & communsa tous deux également réciproques & de pareilleobligation , encore que felon 1'ufiige du mondene foient de pareille peine, reproche, inconvénient, fcavoir ; une entiere loyauté , fidélité ,communauté & communication de toutes. Puisun foin Sc autorité fur la familie & tout le biende la maifon. De ceci plus au long au livre premier.DevoirsrommuiiS, I.t. c. 42.7 42-Les autres font particuliers & différens felon 2.Farticulierg1'inégalité qui eft entre eux , car ceux du mari du mari.font: 1. Inftruire fa femme, Tenfeigner avecdouceur de toute chofe qui eft de fon devoir ,honneur 8c bien, 6c dont eile eft capable. 2. LaLij


164 D E LA S A G E S S Enourrir, foit qu'elle ait apporté douaire ou non.3. La vêtir. 4. Coucher avec elle. 5. L'aimer &la défendre : les deux extrêmités font laides tkvicieufes, les tenir fujettes comme fervantes' tkamijettir k elles comme maitreffes. Voila lesprincipaux.Ceux-ci viennent après, la panfer malade,la délivrer captive , 1'enfevelir morte, la nourrirdemeurant veuve, tk les enfans qu'il a eu d'ellepar provifion teftamentaire.Les devoirs de la femme font rendre honneur,De la femmerévérence tk refpecf k fon mari , comme k fonmaitre tk bon feigneur; ainfi ont appellé leursmaris les femmes fages, tk le mot Hebreu Baalfignifie tous les deux mari tk feigneur. Celle quis'acquitte de ce devoir, fait plus pour foi tk fonhonneur, que pour fon mari; & faifant autrementnefait tort qu'a elle. 2. Obéiffance en touteschofes juftes & licites, s'accommodant &fe ployantaux mceurs & humeurs de fon mari, comme lebon miroir qui repréfente fidelement la face ,n'ayant aucun deffein , amour , penfement particulier;mais comme les dimenfions & accidensqui n'ont aucune action ou mouvement propre ,& ne fe remuent qu'avec le corps, elles fe tiennenten tout & par-tout au mari. 3. Service, commelui appareiller par foi ou par autrui fes vivres,lui laver les pieds. 4. Garder la maifon , dont elfcomparée a la tortue, & eft peinte ayant lespieds nuds, tk. principalemeut le mari abfent. Car


L I V R E III. 16>éloignée dn mari elle doit être comme invifible , &au rebours de la lune ne paroitre point, tk prés de fonfoleil paroitre. 5. Demeurer enfilence & ne parlerqu'avec fon mari, ou pour fon mari; tk pource quec'eft chofe rare tk cïïPRci 1P mip la fpmmo filpnr-ionfov Liituuicicuc ut umixi ie que ia leiume niencieuie,elle eft dite undon de Dieu précieux. 6. Vaquer &étudier a la ménagerie, c'eft la plus utile tk honorablefcience tk occupation de la femme, c'eft fa maïtrelfequalité , tk qu'on doit en mariage chercher principalementen fortune ; c'eft le feul douaire quiferta ruiner ou a fauver les maifons, mais elleeft rare. II y en a d'avaricieufes, mais de ménagerespeu. Or, il y a bien a dire des deux. Demenagerie tót aptès a part.En 1'accointance & üfage de mariage, il fautde la modération, c'eft une religieufe tk dévoteliaifon : voila pourquoi le plaifir qu'on en tiredoit être mêlé k quelque févérité, une voluptéprudente & confciencieufe. II faut toucher fa femmefévérement& pour 1'honnêteté , comme dit eft,& de peur comme dit Ariftote , qu'en la chatouillanttrop lachement, le plaifir ne la faffe fortirdes gonds de la raifon, tk pour la fanté; car leplaifir trop chaud tk affidu altere la fémence, tkempêche la génération. Afin d'autre part qu'ellene foit trop languiifante , morfondue & ftérile,il s'y faut préfenter rarement. Solon 1'a taillé ktrois fois le mois, il ne s'y peut donner loi;ni regie certaine.L iijEccl. 16.Avis furl'accointanceprivée desmariés.Plutarq. inSolone.


169 DB LA S A G E S S B ,La doftri ne de la menagerie fuit volontiers ,&eftannexée au mariage.C H A P 1 T R EXIII.Menagerie.1.a.L A menagerie eft une belle , jufte & utileoccupation. C'eft chofe heureufe , dit Platon , defaire fes affaires particuliers fans injuftice. II n'ya rien fi beau qu'un ménage bien réglé , bienpaifible.C'eft une occupation qui n'eft pas difficile,qui fera capable d'autre chofe , le fera de celle-'a;mais elle eft empêchante, pénible , épineufe, acaufe d'un fi grand nombre d'affaires, lefquelsbien qu'ils foient petits & mcnus, toutefois pourcequ'ils font drus , épais & fréquens , fachent &ennuyent. Les épines domeftiques piquent, pourcequ'elles font ordinaiies; mais fi elles viennentdes perfonnes principales de la familie , ellesrongent, ulcerent & font irremédiables.Avoir k qui fe fier & fur qui fe repofer, c'eftun grand féjour Sc moyen propre pour yivre afon aife ; il le faut choifir loyal &C entier, commel'on peut, & puis 1'obliger k bien faire par unegrande confiance: habita fides ipfam obligat fidem:multi fialhre docuerunt, dum timent falli; & aliisjus pzccandi, fujpicando dederunt.


LIVRE III. 167Les préceptes & avis cle menagerie'principaux 4.font ceux - ci: 1. Acheter & dépendre touteschofes en temps tk faifon, elles font meilleures& k meilleur prix. i. Garder que les chofes quifont en la maifon ne fe gatent & périffent ou feperdent tk s'emportent. Ceci eft principalemeta la femme, k laquelle Ariftote donne par préciputcette autorité tk ce foin. 3. Pourvoir premiérement& principalement k ces trois, néceflité,netteté , ordre ; tk puis s'il y a moyen, l'onavifera k ces trois autres ( mais les Sages ne s'endonneront pas grande peine : non ampliter fedmunditer ccnvivium ; plus quam fumptui) Abondance,pompe tk parade, exquife & riche fi.con.Le contraire fe pratique fouvent aux bonnesmaifons , oii y aura litsgarnisde foie, pourfilésd'or , & n'y aura qu'une couverture fimple enhiver, fans aucune commodité dc cc qui eft leplus néceffaire. Ainfi de tout le refte.Régler fa dépenfe, ce qui fikt en ötant le fuperflu,fans faillir k la ncccilitc, devoir & bienféance; un ducat en la bourfe fait plus d'honneurque dix mal dépendus, difoit quelqu'un. Puis ,mais c'efl 1'induflrie tk la fuffifance, faire mêmedépenfe a moindre frais , & fur-tout ne dépendrejamais fur le gain avenir tk efpéré.Avoir le foin 6k: 1'ceil fur tout; la vigilance tk 6.préfence du maitre, dit le proverbe, engraiffe lecheval & la terre. Mais pour le moins le maitreL iv


ï


Li v RE' 11L 169foucier a qui les laiffer? C'eft comme fe foucierdu fculier & non de fon pied. Pourquoi des biensa un qui n'eft pas fage , & n'en fcait ufer ?Comme une belle bi riche felle fur un mauvaischeval. Les parens font donc doublement obligésa ce devoir , & pource que ce font leurs enfans ,& pource quecefont les plantes tendres & 1'efpérancede la répubhque; c'eft cultiver fa te,re& celle du public enfemble.Or , c'eft 1'office k quatre parties fucceffives ,i.Divifion defelon les quatre biens que 1'enfant doit recevoir 1'office desparens»fucceffivement de fes parens , la vie & la nourriture,i'inftrucf ion, la communication. La premièreregarde le temps que 1'enfant eft au ventre jufquesa la fortie inclufivement; la feconde le temps de1'enfance au berceau , jufques a ce qu'il fcachemarcher & parler ; la tiercé toute la jeuneffe;cette partie fera plus au long &férieufementtraitée; la quatrieme eft de leur affection, communication& comportement envers leurs enfansja hommes faits , touchant les biens, penfées ,deffeins.La première qui regarde la génération & porteePremièreau ventre n'eft pas eftimée &c obfervée avec telle partie, 1'officedesparens.diligence qu'elle doit, combien qu'elle ait autantou plus de part au bien & mal des enfans, tantde leurs corps que de leurs efprits ; que 1'éducation& inftrutiion après qu'ils font nés & grandelets.Ceft-elle qui donne la fubftance, la trempe,


1JO DE LA S A G E S S E,le temperamment,le naturel; 1'autre eft artificiële& acquife, & s'il fe commet faute en cette premienpartie, la feconde, ni la troifieme ne la réparera;pas non plus que la faute en la première concocïionde I'eftomac ne fe rabille pas en la fecondeni troifieme. Nos hommes vont a Pétourdie k ce.1accouplage, poufies par la feule volonté & envie defe décharger de ce qui les chatouille & les preffe,s'il en avient conception, c'eft rencontre , c'eflcas fortuit; perfonne n'y va d'aguet & avec telledéhberation & difpofition précédente, comme ilfaut& que nature requiert. Puifque donc leshommes fe font k 1'avanture & k 1'hafard, cen'eft merveilles fi tant rarement il s'en trouvede beaux, bons, fains, fages & bien faits. Voicidonc bien briévement felon la Philofophie, lesavis particuliers fur cette première partie, c'efta-dire, pour faire des enfans males, fains, fages& avifés; car ce qui fert k 1'une de ces chofes,fert aux autres. i. L'homme s'accouplera defemme qui ne foit de vile , vilaine & lache condition,ni de mauvaife &C vicieufe compofitioncorporelle. 2. S'abfiiendra de cette acfion & copulationfept Ou huit jours. 3. Durant lefquelsfe nourriffant de bonnes viandes plus chaudes &feches qu'autrement, & qui fe cuifent bien enI'eftomac. 4. Faffe i'exercice peu plus que médiocre.Tout ceci tend k ce que la femence foit bien cuite& affaifonnée;, chaude & feche, propre k un


L I V R E 11T. 17 1I temperamment male , fair. & fage. Les fainéans ,llaicifs , grands mangeurs, qui pource mal cuiient;Ine font quefilles ou hommes efféminés & laches.l( comme raconte Hippocrates des Scythes ) 5. Etfeapprpcherdefapartie avertie d'en faire tout da•kiême, lo~.g-temps après le repas ; c'eft-a-dire ,Uc ventre vuide tk k jeun (car le ventre pleinine fait rien qui vaille pour 1'efprit ni pour le< corps ) dont Diogenes reprocha k un jeune homme(débauché, que fon pere 1'avoit planté étant ivre...2. de legtlEt laloidesCarthag'noiseft louée de Platon, quii enjoint s'abftenir de vin le jour que l'on s'approche(de fa femme) 6. Et loin des mois de la femme,ifix ou fept jours devant & autant ou plus après.•7. Et fur 'e point de la conception tk rétention(des femences , elle fe tournant 6c ramaffant duj tcóté droit fe tienne k recoi quelque temps. 8. Lesiquel reglement touchant les yiandes tk 1'cxefcice1 ife doit continuer par la mere durant le temps de1Ha portée.Pour venir au fecor.d point de eet office, aprèsHa raiffance de 1'enfant, ces quatre points s'ob-' iferveront.1. L'enfant fera lavé d'eau chaude tk! ifalée , pour rendre enfemble föupies tk fermesles;11 membres, effuyer& deffécher la chair & le cer-'veau, affermïr les nerfs , coutume trés - bonne• td'orient tk des Juifs. x. La nourrice, fi elle eft:Ik choifir, foit jeune, de tempéramment le moinsI froid tk humide qui fe pourra, nourrie k lapeine,2 partie1'office despan* HJ.Èfec. 6.


Au!. Geil. 1.I2,i', I.Ï7 2 DE L A S A G E S S E ;k coucherdur, manger peu, endurcie au fröïl& au chaud. Fai dit, fi elle eft a choifir; car felon,raifon & tous les fages, ce doit être la mere;dont ils crientfort contre elle quand elle ne prendcette charge, y étant conviée & comme obligéapar nature , qui lui apprête k ces fins le lait auxsmammelles, par 1'exemple des bêtes, par 1'amour &Cjaloufie qu'elle doit avoir de fespetits, quirecoiventtuntrès-grand dommageau changement de 1'alimenttjaaccoutumé en un étranger , & peut-ê.re tresmauvais& d'un tempéramment tout contraire'au premier; dont elles ne font meres qu'a demi.,Quod eft contra naturutn Imperfectum, ac dimidiatum 1matris genus peperljfe ,&ftatlma fe abjeclffe , alulffeutero fangulnefuo nefcio quld quod non videret ;non alere autem nunc fuo lacte , quod vldeat jamvlventem , jam hominem jam matris officia implorantem.3. La nourriture outre la mamelle foitlait de chevre, ou plutöt beurre, plus fubtile&aërée partie du lait,cuit avec miel & un peude fel. Ce font chofes tres-propres pour le corpsèc pour VHprit par 1'avis de tous les fages &cgrands médccins Grccs & Hcbreux.ButyrumGalen, multis &melcomedI*j>. Homeret, ut fiat reprobare ma:'urn, & eligere10. lliad ECu. honum. La qualité du lait ou beurre eft fort tempereeöc de bonne nourriture, la ficcité du7.miel& du fel confommc l'humiditc trop grande ducerveau & le difpofe kh fagcffe. 4. L'enfant foitpeu-a-peu accoutumé & endurci k 1'air, au chaud


LIVRE 111. 173& au froicl, & nt faut craindre en cela, vu qu'enleptentrion ils lavent bien leurs enfans fortant duventre dü la mere en eau froide, &c netrouvent pas mal.Les deux premières parties de 1'office des parensont été bientöt expédiées; par oü il paroit queleur ne font vrais peres qui n'apportent le foin,laffeétion & la diligence a ces chofes fufdites;*Lii font caufe ou occafion, par nonchalance ounitrementjde la mrrt ou avortement de leurs•tifans, qui les expofent étant nés , dont ils fontorivé par les loix yfla puhTance paternelle. Eties enfans ala honte des parens demeurentefclavesde ceux qui les enlevent & nourriffent, qui n'ontfoin de les élever tk préferver du feu, de Peau&: tout encombre.La troifieme partie, qui eft de 1'inftrudtion,"era plus férieufement traitée. Si-töt que eet enfantmarchant tk parlant commencera k remuer fonÉne avec le corps, tk que les facultéss'end'icelle» OUVrixuiU. tx. ucvenjpptri um ia uicinunc, i IIIJCIigination, ratiocination qui fert k quatre ou cinqans, il faut avoir un grand foin & attention k labien former; car cette première teinture ik liqueurde laquelle fera imbue cette ame, aura une trèsigrandepuiffance. II ne peut dire combien peutcette première impreffion & formation de la-jeu»neffe, jufques k vaincre la nature même. Nourriturelit-on , paffe nature , Lycurgue le fit voir k tout6.3 Partie de1'office despareus. Inftrnclioncombienimportante.


Quint.7'174D EL A S A G E S S E ,le monde par deux petits chiens de même ventréejmais diverfement nourris , produits en public iauxquels ayant préfenté des foupes 8c un petiltlievre , le nourri mollement en la maifon s'arrêtea la foupe, 8c le nourri a la chaffe quittant hfoupe courut après le lievre, La force de cetteinftruftion vient de ce qu'elle y entre facilemem6c difficilement fort. Car y entrant la premièrey prend telle place 6c créance que l'on veut tn'y en ayant point d'autre précédente qui la lucontefte ou difpute. Cette ame donc toute neuvn6c blanche, tendre 6c molle recoit fort aifémeri'le plis 6c 1'impreffion que l'on lui veut donner6c puis ne le perd aiiément.Or, ce n'eft pas petite befogne que celle-ci, 8ofe l'on dire la plus difficile 6c importante qu]foit. Qui ne voit qu'en un état tout dépend dla ? toutefois ('6c c'eft la plus notable, pernieieufe!facbeufe& deplorable faute qui foit en nos policeremarquée par Ariftote& Plutarque) nousvoyonque la conduite 6c difcipline de la jeunefTe eft dtous abandonnée k la charge des parens , qiqu'ils foient, fouvent nonchalans , fols , 6c 1public n'y veille ni ne s'en loucie point; 8c potuquoi tout va mal. Prefque es feules polices Lacédémonienne 6c Crétenfe ont commis aux loix 1difcipline de 1'enfance. La plus belle difcipline dmonde pour la jeunefTe étoit la Spartaine, dorAgefilaus convioit Xenophon a y envoyer fe


L i r R £ III,IJ75enfans ; car on y apprend, dit-on, la plus belleilcience du monde, qui eft de bien commander>& de bien obéir , & oü Ton forge les bons Lé-;giflateurs , Empereurs d'armées, Magiftrats , ciitoyens.Ils avoient cette jeunefTe & leur inftrucf ionen recommandation fur toutes chofes, dont Antipaterleur demandant cinquante enfans ponrpages, ils dirent qu'ils airnoient mieux deux foisautant d'hommes faits.Or, avant entrer en cette matiere, je veuxIdonner ici un avertiffement de poids : il y enia qui travaillent fort a découvrir leurs inclinationsi& a quoi ils feront propres. Mais c'eft chofeifi tendre, obfcure & incertaine qu'a chaque foisTon fe trouve trompé après avoir fort dépenduï& travaillé. Parquoi fans s'arrêter k ces foibles&légeres divinations & pronoftiques tirées desimouvemens de leur enfance, il faut leur donnermne inftruöion univerfellement bonne & utile ,ipar laquelle ils deviennent capables , prêtsIdifpofés k tout. C'eft travailler a 1'affuré, & faire:ce qu'il faut toujours faire ; ce fera une teinture>bonne k recevoir toutes les autres.I l^our entrer maintenant en cette matiere, nous9-Ja pourrons rapporter a trois points , former Divifion


176" D E L A S A G E S S Ë ,porter d'gnemert & heureufement , qu'il faittfcavoir un r.réalable.II.1. Avisgénéral,choix des inftrucfeurs ,propos &livres.10. Le premier eft de garder foigneufement fon ameAvis généralpucelle éV nette de la contagion & corruptionfur 1'inflruction.Garder du monde , qu'elle ne recoive aucune tactie niles oreüles.atteinte mauvaife. Et pour ce faire il faut diiigemmentgarder les portes , ce font les oreilles prin«cipalement, & puis les yeux, c'eft-a-dire, donnerordre qu'aucun , fut-il même fon parent, n'approchede eet enfant, qui lui puiife dire ou fouffleraux oreilles quelque chofe de mauvais. II ne fautqu'un mot, un petit propos , pour faire un maldifficile a. réparer. Garde les oreilles fur-tout, &les yeux. A ce propos Platon eft d'avis de nepermettre que valets, fervantes & viles perfonnesentretiennent les enfans ; car ils ne leur peuventdire que fables, propos vilains & niais, fi pisils ne difent. Or, c'eft déja abreuver & embahnninprrpftp tpnrlrp iPiinpfTorip fnrrWpc. lis niaifpripcuvjiuiici CCLLC icnu: c JCUJJCIIC^IC IULLUC5 uc iiiö'icrici.Le fecond avis eft au choix tant des perfonnesqui auront charge de eet enfant, que des preposque l'on lui tiendra, & des livres que l'on luibaillera. Quant aux perfonnes ce doivent être gensu: ' .1 . X„V,1„„ „,,.—•i„de Dien, Dien nes , doux öc agrcaoies , ayant ia tetebien faite, plus pleine de fageffe que de fcience, &qu'ils s'entendent bien enfemble , de peur quepar avis contraires ou par diiTemblable voie deprocéder, 1'un par rigueur, 1'autre par flatterie ,ils ne s'entrempêchent &ne troublent leurchasge,&


L I V R E III, i 7 7leur deffein. Les livres & propos ne doivent êtrede chofes petites, fortes , frivoles ; mais grandesférieufes , nobles & généreufes ; qui régl'ent lesfens, les opinions , les mceurs, comme ceux quifont connoitre la condition humaine , les branies& refforts de nos ames, afin de fe connoitre ,i 6Y les autres; lui apprendre ce qu'il faut craindre,, aimer, defirer, ce que c'eft que paffion , vertu , ce(qu'il y a k dire entre 1'ambition & l'avarice,laI fervitude & la fujettion , la liberté & la licence..AufTi-bien leur fera-t-on avaler les unes que les; autres. L'on fe trompe. II ne faut pas plus d'efprit


Coloiï.3.Terent,-lyS DE LA S A G E S S E lpuniffable, comme eft un juge Sc médecin , qui Iferoit animé Sc ému de colere contre fon criminel8c patiënt , préjudiciable 8c toute contraire audeffein que l'on a, qui eft de rendre amoureux8c pourfuivant la vertu, fageffe , fcience , honnêteté.Or, cette fafon impérieufe 8c rude leuren fait venir la haine , 1'horreur 8c le dépit; puisles effarouche 8c les entête, leur abat 8c öte lecourage, tellement que leur efprit n'eft plus quefervile, bas Sc efclave, auffi font-ils traités enefclaves. Parentes ne provocetis ad iracundiamfiliosvejlros, ne defpondeant animum. Se voyant ainfitraités ne font rien qui vaille, maudiffent Sc lemaitre Sc 1'apprentifTage. S'ils font ce que l'onrequiert d'eux, c'eft pource qu'on les regarde ,c'eft par crainte Sc non gaiement Sc noblement,Sc ainfi non honnêtement. S'ils y ont failli pourfe fauver de la rigueur, ils ont recours aux remedeslaches Sc vilaines menteries , fauffes excufes,larmes de dépit, cachettes , fuites , toutes chofespires que la faute qu'ils ont faite.Diitn id refcitum iri credit, tantifper cavet :Si fperat fore clam, rurfum ad ingenium redit ;Me, quem beneficio adjungas , ex animo facit;Studet par referre, pmjens, abfensque idem erit.Je veux qu'on le traite librement Sc libéralement,y employant la raifon Sc les douces remontrances,Sc lui engendrant au cceur les affections d'honneur


L I V R E III.1 7 C )& de pudeur. La première lui fervira d'éperon aubien; la feconde de bride pour le retirer & dégoüterdu mal. II y a je ne fbis quoi de fervile& de vilain en la rigueur & contrainte , ennemide 1'honneur & vraie liberté. II faut tout aurebours leur groffir le cceur d'ingénuité, de franchife,d'amour , de vertu & d'honneur.Pudore & liberalïtate liberos retlnereSatius efte credo, quam metu :Hoe patrium eft potius confuejacere fillumSua fponte ncïè facere , quam alieno metu.Boe pater ac dominus intereft, hoe qui nequitFateatur.fe nefcire imperare liberis.TerentLes coups font pour les bêtes qui n'entendent|pas raifon, les injures & crieries font pour lestefclaves. Qui eft une foisaccoutumé, ne vaut plusrrien; Mais la raifon, la beauté de 1'acfion, larreffemblance aux gens de bien , 1'honneur, 1'approbbationde tous, la gratification qui en demeureaau-dedans , & qui au-dehors en eft rendue parcceux qui la fcavent, & leurs contraires, la laideur8& indignité du fait, la honte , le reproche , lerregret au cceur & 1'improbation de tous , ce fontHes armes, la monnoie, les aiguillons des enfansiuens nés , & que l'on veut rendre honnêtes. C'eft:ce qu'il leur faut toujours fonner aux oreilles ;SS ces moyens ne font rien, tous les autres detrudeffe n'ont garde de profiter. Ce qui ne fe peutM ij


proverb. 13.Ecde.. 30.180 D E L A S A G E S S E,faire par raifon, prudence , adreffe, ne fe ferajamais par force , tk quand il fe feroit, nevaudroitrien. Mais ces moyens ici ne peuvent être inutiles,s'ils y font employés de bonne heure, avant qu'ily ait encore rien de gaté. Je ne veux pour celaapprouver cette lache tk flatteufe indulgence,& folte crainte de contrifter les enfans, qui eftune autre extrêmité auffi mauvaife. C'eft commele lierre qui tue tk rend ftérile 1'arbre qu'elle embraffe;le finge qui tue fes petits par force de lesembraffer,& ceux qui craignent d'empoignerparles cheveux celui qui fe noye de peur de luifaire mal, tk le laiffent périr. Contre ce vice le fageHébreu parle tant. II faut contenir la jeunefTe endifcipline non corporelle des bêtes ou forcats ,mais fpirituelle, humaine, liberale de la raifon.. **• . Venons maintenant aux particuliers tk plusAvis particulier*to'.ichanc1'efprit.exprès avis de cette inftrucf ion. Le premier chef1. F tuclainentalde la find'iceux eft comme nous avons dit, d'exercer,t: dn but d eaiguifer tk former 1'efprit. Sur quoi y a divers1'inft uftionpréceptes, mais le premier, principal tk fonda-de la jeuneffemental des autres, qui regarde le but tk la finde Pinftruction, & que je defire plus inculquer atcaufe qu'il eft peu embraffé tk fuivi , tk tousccurent.après fon contraire, qui eftun erreur toutcommun tk ordinaire. C'eft d'avoir beaucoup plus& tout le principal foin d'exercer, cultiver tk fairevaloir le naturel tk propre bien, & moins amaffer& acquérir de 1'étranger, plus tendre a la fageffe qu'a.


L I V R E III. 1S1la fcience & a 1 'art; plus k former bien le jugement&par confequent la volonté & la confcience, qu'aremplir la mémoire & rechauffer 1'imagination.Ce font les trois parties maitreffes de 1'ame raifonnable; Mais la première eft le jugement, I. I. c. 13.comme a été difcouru ci-deffus, oii je renvoyeexpreffément le lecTeur. Or , le monde fait toutle contraire , qui court tout après l'art, la fcience,1'acquis. Les parens pour rendre leur enfans fcavans: font une grande dépenfe, & les enfans prennenti une grande peine , ut omnium rtrum fic llmrarumfacicus'\ intempcrantia laboremus, & bien fouvent tout eft; perdu ; mais de les rendre fages & honnêtes ,I habiles, a quoi n'y a tant de dépenfe ni de peine,i ils ne s'en foucient pas. Quelle plus notable folie; au monde, qu'admifer plus la fcience, 1'acquis,1 la mémoire que la fageffe , le naturel ? Or, tousine commettent pas cette faute de même efprit ,1 les uns fimplement menés paria coutume, penfant(que la fageffe & la fcience n? font pas chofesi fort différentes , ou pour le moins qu'elles mar-< chent toujours enfemble, qu'il faut avoir 1'une pourf avoir 1'autre; ceux-ci méritent d'être remontrés]


182 DE LA S A G E S S E ,mercenaire, pedantefque, fordide & mécnanique,ils achetent de la fcience pour puis la revendre.LaifTons ces marchands comme incurables.14. _ Pour enfeigner les autres Sc découvrir la fauté.Comparaïfonde fcience 6c qui eft en tout ceci, il faut montrer deux chofes,fageffe.1'une que la fcience Sc la fageffe font chofes fortdifférentes. & cue la fao-pfTp vsnt miPHY run» tniifiil—.iw. W.LV-J , vy.ia lagC-liC VdUL unciiA l^llC IUULCla fcience du monde, comme le ciel vaut mieuxque toute la terre , & 1'or que le fer; 1'autre que jnon-feulement e.'les font différentes, mais qu'ellesne vont qu'elles ne vont prefque jamais enfemble,qu'elles s'entre mpêchent 1'une 1'autre ordinairement, iqui eft fort fcavant n'eft guere fage; & qui eftfage n'eft pas fcavant. II y a bien quelques ex- \ceptions en ceci, mais elles font bien rares. Cefont des grandes ames , riches , heureufes. II y en \a eu en 1'antiquité , mais il ne s'en trouve prefque jnlncpms.IJ. Pour ce faire il faut premiérement fcavoir queDeXnition decieuce Sc c'eft que fcience Sc fageffe. Science eft un granda^ffe.amas & provifion du bien d'autrui; c'eft un foifneuxrecueil de ce que l'on a vu, oui dire & lu auxlivres, c'eft-a-dire, des beaux dits & faits desgrands perfonnages qui ont été en toutes nations.Or, legardoir Sc le magafinoii demeure Sc fegarde cette grande provifion , 1'étui de la fcience& des biens acquis eft la mémoire. Qui a bonnemémoire, il ne tient qu'a lui qu'il n'eftfcavant;car il en a le moyen. La fageffe eft un maniement


L I V R E III. 183doux Sc regie de 1'ame; celui-la eft fage, qui feconduit en fes defirs , penfées, opinions , paroles,faits, régiemens avec mefure Sc proportion. Brefenun mot, la fageffe eft la regie de .1'ame ; 6ccelui qui manie cette regie, c'eft le jugement quivoit, juge, eftime toutes chofes, les arrange commeil faut, rend a chaciufce qui lui appartient. Voyonsmaintenant leurs différences, öc combien la fageffevaut mieux.La fcience eft un petit 6c ftérile bien au prixde la fageffe; car non-feulement elle n'eft pointnéceffaire, car des trois parties du monde lesdeux 6c plus s'en paffent bien; mais encore elleeft peu utile, 6c fert k peu de chofes. Elle nefert point k la vie; combien de gens richesÖCpauvres, grands öc petits vivent plaifamment 6cheureufement fans avoir oui parler de fcience ?II y a bien d'autres chofes plus utiles au fervicede la vie öc fociété humaine , comme 1'honneur,la gloire, la nobleffe , la dignité , qui toutefois nefont néceffaires. 2. Ni aux chofes naturelles, lefquelles1'ignorant fait auffi bien que le fcavant.La nature eft ;a cela fuffifante rnaitreffe. 3. Ni k laprud'hommie , öc a nous rendre meilleurs ,pducisejl opus Intens ad bonam mentzm, plutöt elle yempêche. Qui voudra bien regarder trouvera nonfeulementplus de gens de bien, mais encore deplus excellens en toute forte de vertu, ignoransque fcavans, témoin Rome qui a été plus prudeM iv2.


184 DE LA S A G E S S E,encore jeune 8c ignorante, que vieille, fine &fcavante. Simplex Ma & aperta virtus in obfcur& Jolertem fcientiam ver fa ejl. La fcience ne ferqu'a inventer finefies , fubtilités , artificestoutes chofes ennemies d'innocence , laquelle logevolontiers avec la fimplicité 8c 1'igriorance. L'athéifme,les erreurs, les fecfes 8c les troubles dumonde font forties de 1'ordre des fcavans. Lapremière tentation du diable, dit la Bible, Sc lecommencement de tout mal Sc de la ruine du genrehumain , a été 1'opinion , le defir & envie defcience.Eritis ficut DU, fcientes bonum & malum.Les Sirenes pour piper & attraper Uüffe enleurs filets, lui offrirent en don la fcience, 8c S.Paul avertit de s'en donner de garde , ne quis vosSalomon ou feducat per philofophiam. Un des plus fcavans quifon Ecclefiafte.a été, parle de la fcience comme de chofe nonfeulementvaine, mais encore nuifib'e, pénible&facheufe. Bref la fcience nous peut rendre plushumains & courtois , mais non plus gens de bien.4. Ne fert de rien aufii a nous adoucir ou nousdélivrer des maux qui nous preflenten ce monde.Au rebours elle les aigrit, les enfle &grofiit,témoins les enfans idiots, fimples, ignorans,mefuransles chofes au feul gout préfent, ont beaucoupmeilleur marché des maux, & les fupportentplus doucement que les fcavans & habiles, Sc felaiffent plus facilement tailler, incifer. La fciencenous anticipe les maux, tellement que le mal eft&


L I V R E III. 18$plutöt en 1'ame par la fcience qu'en nature. Lefage a dit, que qui s'acquiert fcience, s'acquiertdu travail Sc du tourment ; 1'ignorance eft unbien plus propre remede contre tous maux. Inersmalorum nmedlum ignorantiu ejl; d'oii viennent [n Ecclefïaft*ces confeils de nos amis , n'y penfez plus, ötezcela de votre tête Sc de votre mémoire; eft-cepas nous renvoyer Sc remettre entre les brasde 1'ignorance, comme au meilleur abri Sc couvertqui foit ? C'eft bien une moquerie; car le fouvenirSc 1'oubli n'eft pas en notre puiffance. Maisils veulent faire comme les chirurgiens qui nepouvant guérir la plaie, la pallient Sc 1'endorment.'Ceuxqui confeillent fetuer aux maux extrêmesiSc irremédiables , ne renvoyent-ils pas bien a.11'ignorance , fttupidité , infenfibilité ? La fageffeeft un bien néceffaire Sc univerfellement utile kitoutes chofes; elle gouvérne Sc regie tout: ilin'y a rien qui fe puiffe cacher ou dérober de fajjurifdittion Sc connoiffance; elle régente par-touiten guerre, en public, en privé; elle regie mêmeHes débauches, les jeux, les danfes , les banquets,loc apporte de la bride & de la modération. Brefiil n'y a rien qui ne fe puiffe Sc ne fe doive faireIfagement, difcrétement Sc prudemment. Au conitrairefans fageffe , tout s'en va en trouble Sceen confufion.Secondement la fcience eft fervile , baffe Sc«7.nméchanique au prix de la fageffe : c'eft une chofe


iS.19.l86 DE LA S A G E S S E,empruntée avec peine. Le fcavant eft comme letcorneille revêtue & paree cle plumes dérobées desautres oifeaux. II fe montre 8c entretient le monde,mais c'eft aux dépens d'autrui; 8c faut qu'il mettetoujours la main au bonnet, pour reconnoitre 6cnommer avec honneur celui de qui il a empruntéce qu'il dit. Le fage eft comme celui quivit de fes rentes. La fageffe eft un bien propre 6cfien; c'eft un naturel bon, bien cultivé 6c labouré.Tiercement, les conditions font bien autres, plusbelles 6c plus nobles de 1'une que- de 1'autre. i.Lafcience eft fiere, préfomptueufe , arrogante, opiniatre,indifcrette , querelleufe , fc'unüa inflat. Lafageffe modefte, retenue, douce 6c paifible. z. Lafcience eft caquetereffe , envieufe de fe montrer,qui toutefois ne fcait faire aucune chofe , n'eftpoint aftive, mais feulement propre a parler 6ck en compter. La fageffe fait, elle agit & gouvernetout.. La fcience donc 8c la fageffe font chofes biendifférentes, 6c la fageffe eft bien plus excellente,plus a prifer 6c eftimer que la fcience. Car elleelle eft néceffaire , utile par-tout , univerfelle,aftive , noble, honnête, gracieufe , joyeufe. Lafcience eft particuliere, non néceffaire ni guereutile , point aftive, fervile , méchanique, mélancolique,opiniatre , préfomptueufe.Venons a 1'autre point, qui eft qu'elles ne fontpas toujours enfemble, mais au rebours elles fontScience &fngeffe ne felencontrent.


L I V R E III. 187prefque toujours féparées. La raifon naturelle eft,comme a été dit, que les temperammens fontcontraires. Car celui de la fcience & memoi e efthumide, Sc celui de la fageffe Sc du jugement eftfee. Ceci auffi nous eft fignifié en ce qui avintaux premiers hommes, lefquels fi-töt qu'ils jetterentleurs yeux fur la fcience , Sc en eurent envie , ilsfurent dépouillés de la fageffe, de laquelle ils, avoient été inveftis de leur origine : par expériencenous voyons tous les jours le même. Les] plus beaux & florifftns Etats, Républiques, Em-Ipires anciens Sc modernes, ont été Sc font gou-1 vernés très-fagement en paix Sc en guerre fansSagffe fans; aucune fcience. Rome les premiers cinq eens ans fcience.iqu'elle a fleuri en vertu Sc vaillance, étoit fansifcience, Sc fi-töt qu'elle a commencé a devenirifgavante, elle a commencé de fe rompre, fettroubler par guerres civiles Sc fe ruiner. La plusl belle police qui fut jamais , la LacédemonienneIbatie par Lycurguesqui a produit les plus grandsjperlonnages, n'avoit aucune profeffion des lettres;cc'étoit 1'école dr, vertu, de fageffe, Sc s'eft renduewicforieufe d'Athenes , la plus fcavante ville durmonde , 1'école de toutes fciences, le domicileddes mufesjle magazin des Philofophes. Voilajescanciens. Le plus grand Sc floriffant état Sc empirecqui foit mainter.ant au monde , c'eft celui dusgrand feigneur, lequel comme le lion de toute latterre fe fait craindre, redouter par tous les Princes


iS8 DE L A S A O E S S E,& Monarques du monde ; & en eet état il n'yja aucune profeffion de fcience ni école, ni Ipermiifion de lire, enfeigner au public non pasmême pour la religion. Qui conduit & fait mêmeprolpérer eet état ? la fageffe , la prudence. Maisvenons aux états auxquels les lettres & la fciencefont en crédit. Qui les gouvernent ? Ce ne fontpoint les fcavans. Prenons pour exemple ceroyaume, auquel la fcience & les lettres ont étéen plus grand honneur qu'en tout le refte dumonde , & qui femble avoir fuccedé a Athenes.Les principaux officiers de cette couronne ,Connétabine, Maréchaux, Amiraux, & puis lesSecrétaires d'états qui expédient les affaires, fontgens ordinairement du tout fans lettres. Certesplufieurs grands légiflateurs , fondateurs & princesont banni & chaffé la fcience, comme le venin& la pefte des républiques, Licinius, Valentinien,Science fans Mahomet, Lycurgue. Voila la fageffe fans fcience.fageffe.Voyons la fcience fans fageffe , il eft bien aifé.Regardons un peu ceux qui font profeffion deslettres, qui viennent des écoles & univerfités , &ont la tête toute pleine d'Ariftote , de Ciceron,de Bartole. Y a-t-il gens au monde plus ineptes& plus fots & plus mal propres a toutes chofes ?Dont eft venu le proverbe, que pour dire fot,inepte , l'on dit un clerc , un pédant. Et pour direune chofe mal faire, Pon la dit faite en clerc. IIfemble que la fcience entête les gens odeur donne


L I V R X I I I . 189xin coup de marteau ( comme l'on dit) ala tête,& les fait devenir fots ou fois , felon que difoitle Roi Agrippa a faint Paul, Multce te ütteree ad Aclor. 26.'infaniam adducunt. II y a force gens, que s'ilsn'euffent jamais été au College, ils feroient plusfages, tk leurs freres qui n'ont point étudié fontplus fages. Ut melius fuijfet non didicijfe ; nampoflquam docii prodierunt, boni defunt. Venez k lapratique , prenez-moi un de ces fcavanteaux,menez-le moi au confeil de ville , en une affembléeen laquelle l'on délibere des affaires d'état, oude la police ou de la ménagerie, vous ne vïtesjamais homme plus étonné, il palira,couffira;mais il ne fcait ce qu'il doit dire. S'il fe mêle deparler, ce feront de longs difcours, des définitions,divifionsd'Ariflote. Ergb gluq. Ecoutez en cemême confeil un marchand , un bourgeois quin'a jamais oui parler d'Ariflote, il opinera mieux,donnera de meilleurs avis & expédiens que lesfcavans.Or, ce n'eft pas affez d'avoir dit le fait, que la so.Eft clierchetfageffe & la fcience ne vont guere enfemble. IIla raifon deen faut chercher la raifon, & en la cherchant cette féparation.je payerai tk fatisferai ceux qui pourroient êtreoff enfés de ce deffus, tk penfer que je fuis ennemide la fcience. C'eft donc une queftion, d'oii vientque fcavant tk fage ne fe rencontrent guere enfemble.II y a bien grande raifon de faire cettequeftion; car c'eft un cas étrange tk contre raifon,


21.Rcponfe , Iamauvaife difcip'une.190 DE LA SAGESSE,qu'un homrrse pour être fcavant n'en foit pas pluSfage; car la fcience eft un chemin , un moyen 8c"inftrument propre a la fageffe. Voici deux hommes,un qui a étudié, 1'autre non; celui qui a étudiédoit tk eft obligé d'être beaucoup plus fage que1'autre , car il a tout ce que 1'autre a , c'eft-adirele naturel, une raifon , un efprit, & outrecela il a les avis, les difcours 8c" jugemens de tousles plus grands hommes du monde , qu'il trouvepar les livres. Ne doit-il donc pas êtreplusfage, plus habile , plus honnête que 1'autre, puisqu'avec fes moyens propres 8c" naturels, il en atant d'étrangers acquis tk tirés de toutes parts ?comme dit quelqu'un, le bien naturel joint avec1'accidental fait une bonne compofition, & néan»moins nous voyons le contraire, comme a étédit.Or, la vraie raifon 8c" réponfe k cela, c'eft lamauvaife 8c" finiflre facon d'étudier, 8c" la mauvaifeinflrudfion. ïls prennentaux livres 8r auxécoles de trés-bonnes chofes, mais de très-mauvaifesmains. Dont il avient que tous ces biensne leur profitent de rien , demeurent indigens 8c"néceffiteux au milieu des richeffes tk de 1'abondance,& comme Tantalus prés de la viande enmeurent de faim : c'eft qu'arrivant aux livres tkaux écoles, ils ne regardent qu'a garnir tk remplirleur mémoire de ce qu'ils difent tk entendent, &les voila fcavans, tk non k polir tk former leur


L I V R E III. 15»jugement pour fe rendre fages, comme celui quimettroit le pain dedans fa poche &c non dedansfon ventre , il auroit enfin fa poche pleinemourroit de faim. Ainfi avec la mémoire bienpleine ils demeurent fots, Jludent non Jibi & vitctfed aliis & fcholce. Ils fe préparent a. être rapporteurs; Ciceron a dit, Ariftote, Platon a laiffépar écrit, &c. & eux ne fcavent rien dire. Ilsfont deuxfautes, 1'une qu'ils n'appliquent pas cequ'ils apprennent k enx-mêmes a fe former k lavertu, fageffe, réfolution ; Sc" ainfi leur fcienceleur eft inutile; 1'autre eft que pendant ce longtempsqu'ils employent avec grande peine Sc" dépenfe,a amaffer Sc" empocher ce qu'ils peuVentdérober fur autrui inutilement pour eux , ilslaiffent chaumer leur propre bien & ne 1'exercentLes autres qui n'étudient, n'ayant recoursa autrui,avifent de cultiver leur naturel, s'en trouventfouent mieux, plus fages Sc" réfolus, encore quemoins fcavans Sc" moins gagnans moins glorieux.Quelqu'un a dit ceci un peu autrement Sc plusbriévement. Que les lettres gatent les cerveauxSc efprits foibles, parfont les forts Sc bons naturels.Or , voici la lecon & 1'avis que je donne ici, 21.La bonneil ne faut pas s'amufer k retenirSc garder les opinions& le fgavoir d'autrui, pour puis ledifcipline.rapporter& en faire montre & parade k autrui, ou pourprofit fordide &mercenaire, mais il les faut fairenötres. II ne faut pas les loger en notre ame,&


19* DE LA S A G E S S E,Tacit.mais les incorporer & tranfubftancier. II ne fautpas feulement en arrofer 1'ame , mais il la faut.teindre & la rendre effentieliement meilleure , Ifage , forte , bonne , courageufe ; autrement de Iquoi fert d'étudier. NonparanJa nobis folüm, fed*fruenda fapientia ejl. II ne faut pas faire comme lebouquetieres, qui pilottentpar-ci par-la des fleurs jitoutes entieres, & telles qu'elles font les emportent i:pour faire des bouquets & puis des préfens; ainfi hfont les mauvais étudians qui amalfent des livres iplufieurs bonnes chofes, pour puis en faire parade p& montre aux autres; mais il faut faire comme ples mouches a miel, qui n'cmportent point les |fleurs comme les bouquetieres, mais s'affians fin: Ielles comme fi elles les couvoient, en tirent Tefprit,la force, la quintelfence^ & s'en nouiriffent,en font fubftance, &z puis en font de très-bon &doux miel, qui efl tout leur , ce n'eft plus thymni marjolaine. Auffi faut-il tirer des livres lamoelle, 1'efprit (fans s'affiijettir k retenirpar cceurles mots, comme plufieurs font, moins encore kretenir le lieu, le livre , le chapitre ; c'eft une.fotte & vaine fuperftition & vanité, qui fait perdrele principal) & ayant fuccé & tiré le bon, enpaitrefoname, en formerfon jugement,&inflruire& régler fa confcience & fes opinions; rectifier favolonté, bref en faire un ouvrage tout fien, c'efta-dire, un honnête homme , fage, avifé , réfolu ,non ad pompam nee ad fpeciem , nee ut ' nommagnijico


LIVRE Hl. , 9Jmaghificofequïotium ve/is,fed qub firmior adv erf usfortuita rempublicam capefjas.Et a ceci le choix des fciences eft néceffaire.Celles que je recommande fur toutes, & qui 2. Avis,choix desfervent k la fin que je viens de dire, font les fciences.Voyez 1. I.naturelles & morales, qui enfeignent k vivre &c. y.bien vivre, la nature & la vertu ; ce que nousfommes& ce que nous devons être. Sous les moralesfont comprifes les politiques, économiques,les hiftoires. Toutes les autres font vaines &en 1'air, & ne ry faut arrêter qu'en paffant.Cette fin & but de 1'inftruöion de la jeuneffe,& comparaifon de la fcience & fageffe m'a tenu 3. Moyensd'apprendre.fort long-temps a caufe de la conteftation. Pourfiuvonsles autres parties & avis de cette inftruction.Les moyens d'inftruétion font divers. Premiérementdeux; 1'un par paroles , c'eft-a-dire,Par paroles.préceptes , inftrucfions & lecons verbales , oubien par conférences avec les honnêtes & habiles: hommes, frottant & limant notre cervelle contreda leur, comme le fer qui s'éclaircit, fe nettoye


Comparaifon horreur par ce fpecfacle. Or, cette feconde maniereparexemple nous apprend 6cie ces deux.plusfacilement16.Des vivans.194 DE LA S A G E S S E,fervir d'exemples aux autres. Et difoit le vieuxCaton , que les Sages ont plus a apprendre desfois, que les fois des fages. Les Lacédémoniens,pour retirer leurs enfans de 1'ivrognerie, faifoientenivrer devant eux leurs ferfs, afin qu'ils en cuffent6c avec plus de plaifir. Apprendre par précepteseft un chemin long, paree que nous avons peinea les entendre , les ayant entendus, alesretenir,après les avoir retenus , a les mettre en ufage.Etdifficilement nous promettons-nous d'en pouvoirtirer le fruit qu'ils nous promettent. Mais 1'exemple6c imitatlon nous apprennent fur 1'ouvrage même,nous invitent avec beaucoup plus d'ardeur , Scnous promettent quafi femblablegloireque celle deceux que nous prenons k imiter. Les femences tirenta la fin la qualité de la terre ou elles font tranfportées,6c deviennent femblables a celles qui ycroiffent naturellement. Ainfi les efprits 6c lesmceurs des hommes fe conforment k ceux aveclefquels ils frequentent ordinairement. II paffe parcontagion des chofes une grande part de 1'une a1'autre.Or, ces deux manieres de profiter par parolestk par exemples, encore font-elles doublés; carelles s'exercent 6c fe tirent des gens excellens ouvivans , par leur fréquentation 6c conférence fenfible6c externe, ou morts, par la lecfure des livres.


L I V R E HL 195Le premier commerce des vivans eft plus vif &plus naturel, c'eft un frucfiieux exercice de la viequi étoit bien en ufage parmi les anciens, mêmementles Grecs, mais il eft fortuit dépendantd'autrui & rare, il eft mal aifé de rencontrertelles gens, & encore plus d'en jouir. Et cecis'exerce, ou fans guere s'éloigner de chez foi, oubien en voyageant & vifitant les pays étrangers,non pour s'y paitre de vanités comme la plupart,mais pour en rapporter la confidération principalementdes humeurs & facons de ces nations-la.C'eft un exercice profïtable, le corps n'y eft nioifif ni travaillé; cette modérée agitation le tienten haleine, 1'ame ya une continuelle exercitationa remarquer les chofes inconnues & nouvelles.II n'y a point de meilleure école pour former lavie, que voir inceffamment la diverfité de tantd'autres vies, & goiiter une perpétuelle variétéde formes de notre naturp.Voyager.L'autre commerce avec les morts par le bénéhcedes livres, eft bien plus sur & plus k nous, plusconftant & qui moins coüte. Qui s'en fcait bienfervir , en tire beaucoup de plaifir & de fecours. IInous décharge du poids d'une oifiveté ennuyeufe,nous diftrait d'une imagination importune , & desautres chofes externes qui nous flchent; nousconfole & fecourt en nos maux & douleurs ;mais au/Ti n'eft-il bon que pour 1'efprit dont lecorps demeure fans adion , s'attrifte & s'altere.Nij27-Et des mortspar leslivres.


i8.2- Avis faireparler & raiiunnerle difciple.196 DE LA SAGÊSSE,II faut maintenant parler de la procédure Scformalitéque doit tenir l'inftrucfeur de la jeunefTe,pour bien & heureufement arriver k fon point.Elle a plufieurs parties : nous en toucheronsquelques-unes. Premiérement il doit fouvent interrogerfon écolier, le faire parler & dire fonavis fur tout ce qui fe préfente. Ceci eft au reboursdu ftyle ordinaire, qui eft que le maitre parletoujours feul, & enfeigne eet enfant avec autorité,& verfe dedans fatête , comme dedans un vaiffeau,tout ce qu'il veut; tellement que les enfans nefont que fimplement écoutans & recevans , qui eftune très-mauvaife facon ; obeji plerumque iis, quidifcere volunt, autoriteis eorum qui docent. IIréveiller & échauffer leur efprit par demandes,les faire opiner les premiers, & leur donner mêmeliberté de demander , s'enquérir & ouvrir lechemin quand ils voudront. Si, fans les faire parler,on leur parle tout feul, c'eft chofe prefque perdue,1'enfant n'en fait en rien profit, pource qu'il penfen'en être pas d'écot; il n'y prête que 1'oreille,encore bien froidement : il ne s'en piqué pascomme quand il eft de la partie. Et n'eft affezleur faire dire leur avis, car il leur faut toujoursfaire foutenir & rendre raifon de leur dire , afinqu'ils ne parient pas par acquit, mais quils foientfoigneux & attentifs a ce quils diront; & pourleur donner courage, faut faire compte de ce qu'ilsdiront, au moins de leur effai, Cette facon d'inf-


L I V R E III. 197truire par demandes eft excellement obfervée parSocrates, ( le premier en cette befogne ) commenous voyons par-tout en Platon , oü par unelongue enfiiure de demandes dextrement faites ,il mene doucement au gite de la vérité; Sc parle Dofteur de vérité en fon Evangile. Or, ces Mat. ié8sdemandes ne doivent pas tant être des chofesde fcience Sc de mémoire, comme a été dit, quedes chofes de jugement. Parquoi k eet exercicetout fervira, même les petites chofes, comme lafottifed'un laquais , 'a malice d'un page , un proposde table ; car 1'ceuvre de jugement n'eft pas detraiter Sc entendre chofes grandes Sc vtes; maiseftimer Sc réfoudre juftement Sc pertinemment,li LIK. IJ,&. 14.quoi que foit. II leur faut donc faire des queftion sfur le jugement des hommes Sc des acTions, Scle tout raifonner, afin que par enfembleils formentleur jugement Sc leur confcience. L'inftrudteur deCyrus en Xenophon, pour fa lecon lui propofece fait; un grand garcon ayant un petit faye , ledonna a un de fes compagnons de plus de petitetaille, Sc lui öta fon faye qui étoit plus grand,puis lui demande fon avis Sc jugement fur ce fait.Cyrus répond que cela alloit bien ainfi, Sc quetous les deux garcons demeuroient ainfi bien accommodés.Son inftrucf eur le reprend Sc le tanfebien aigrement de ce qu'il avoit confidéré feulementla bienféance Sc non la juftice , qui doit allerbeaucoup. devant , Sc qui veut que perfonne neNiij


Avis, cufiontJhonnête.I98 DE LA S A G E S S E,foit forcé en ce qui eft fien: voila une belle formed'inftruire. Et avenant de rapporter ce qui eftdedans les livres , ce qu'en dit Ciceron, Ariftote,ce ne doit pas être pour feulement le réciter Scrapporter, mais pour le juger; Sc pource il le luifaut tourner a tous ufages, Sc lui faire appliquerk divers fujets. Ce n'eft pas affez de réciter commeune hiftoire, que Caton s'eft tué a Utique, pourne venir aux mains de Cefar , que Brutus ScCaffius font auteurs de la mort de Cefar, c'eft lemoindre; mais je veux qu'il leur faffe le procésSc qu'il juge s'ils ont bien fait en cela; s'ils ont bienou mal mérité du public; s'ils s'y font portésavec prudence , juftice , vaillance; en quoiils ontbien Sc mal fait. Finalement Sc généralement ilfaut requérir en tous fes propos, demandes, réponfes, la pertinence , 1'ordre, la vérité, ceuvredu jugement & de la confcience. En ces chofesne lui faut quitter ou diffimuler aucunement, maisle preffer Sc tenir fujet.Secondement il doit le duire Sc fagonner kune honnête curiofité de fcavoir tout, par laquellepremiérement il ait les yeux par-tout k confidérertout ce qui fe dira Sc remuera a 1'entour de lui,& ne laiffer rien paffer qu'il ne juge Sc repaffeen fon efprit; puifqu'il s'enquiere tout doucementdes autres chofes tant du droit que du fait. Quine demande rien, ne fcait rien , dit-on ; qui neremue fon efprit, il s'enrouille Sc demeure fot:


L I V R E III. 199& de tout il doit faire fon profit, 1'appliquer afoi, en prendre avis & confeil , tant fur le paffe,pour reffentir les fautes qu'il a faites, que pour1'avenir , afin de fe régler & s'affagir. II ne fautpas laiffer les enfansfeuls rêver , s'endormir,s'entretenir ; car n'ayant la fuffifance de fournirmatiere belle & digne, ils fe paitront de vanités:il les faut embefogner &c tenir en haleine , &leurengendrer cette curiofité qui les piqué & réveille,laquelle, telle que dit eft, ne fera ni vaine en foi,ni importune a autrui.30.II doit auffi lui former 8c" mouler fon efprit au;. Avis.modele & patron général du monde 5c de la nature, le rendre univerfel, c'eft a-dire, luivoyezlel. 2.c. 2.repréfenteren toutes chofes la face univerfelle denature ; que tout le monde foit fon livre; que' dequelque fujet que l'on parle il jette fa vue & fapenfée fur toute l'étendue du monde , fur tantde facons & d'opinions différentes qui ont été 8cfont au monde fur ce fujet. Les plus belles ames& les plus nobles font les plus univerfelles Sc pluslibres : par ce moyen 1'efprit fe roidit, apprenda ne s'étonner de rien, fe forme en la réfolution ,fermeté , conflance. Bref il n'admire plus rienqui eft le plus haut Sc" dernier point de fageffe.Car quoiqu'il avienne & que l'on lui dife, iltrouve qu'il n'y a rien de nouveau & d'étrangeau monde; que la c mdition humaine eft capablede toutes chofes; qu'il s'en font bien paffe d'autres,N iv


200 D E 'L A S A G E S S E;& s'en PafTent encore ailleurs de plus vertes^plus grandes. C'eft en ce fens que Socrates le fagefe difoit citoyen du monde. Au contraire il n'yachofe qui abatardiffe & afferviffe plus un efprit,que ne lui faire goüter & fentir qu'une certaineopinion, créance & maniere de vivre. O la grandefottife & foibleffe de penfer que tout le mondemarche, croit, dit, fait, vit & meurt commel'on fait en fon pais, comme font ces badaux,lefquels quand ils oyent réciter les mceurs & opinionsd'ailleurs fort différentes ou contraires auxleurs, ils tremouffent, ils mécroyent, ou bientout détrouffement difent que c'eft barbarie , tantils font alfervis &renfermés dedans leur berceau,gens comme l'on dit, nourris dans une bouteille 'qui n'ont vu que par un trou. Or , eet efprituniverfel fe doit acquérir de bonne heure par ladiligence du maitre inftrucïeur, puis par les voyages& communication avec les étrangers, & par laleéture des livres & hiftoires de toutes nations.Vnyez 1. 2.3. 2.Finalement il doit lui apprendre a ne rienrecevoir a credit & par autorité: c'eft être béte& fe laiffer conduire comme un buffle ; maisd'examiner tout avec la raifon, lui propofer tout& puis qu'il choififfe. S'il ne fcait choifir, qu'ildoute, c'eft peut-être le meilleur, le plus fain &le plus sur, mais lui apprendre auffi k ne rienréfoudre tout feul & fe défier de foi.


L I V R E III. 101Après 1'ame vient le corps, il en faut avoir fointout quant &c quant 1'efprit , & n'en faire pointa deuxfois. Tous deux font 1'homme entier.Or, il faut chaffer de lui toute molleffe& clélicateffeau vêtir , coucher, boire , manger; lenourrir groffiérement k la peine & au travail;1'accoutumer au chaud, au froid, au vent, voire. aux hafards; lui roidir & endurcir les mufclesles nerfs ( auffi bien que 1'ame ) au labeur, &Ci de-la a la douleur ; car le premier difpofe aufecond , labor callum obducit dolori. Bref le rendre• vert & vigoureux , indifférentaux viandes Sc"aux goüts. Tout ceci fert non-feulement a la fanté,mais aux affaires & au fervice public.Venons au troifieme chef qui eft des mceurs,33-, auxquels ont part & 1'ame & le corps. Ceci eft Avistouchant lesi doublé: empêcherles mauvaifes , enter Sc cultiver mceurs.1 les bonnes. Le premier eft encore plus néceffaire,I Sc" auquel faut apporter plus de foin Sc d'attention.III faut donc de tres-bonne heure , & ne fcauroitiontrop tot, empêcher la naiffance de toutesi mauvaifes mceurs & compiexions , fpécialementiceux ici qui font a craindre en la jeunefTe.Mentir , vice vilain Sc de valets , d'ame lache &tcraintive; & fouvent la mauvaife & trop rudeiinffrucTion en eft caufe.Une fotte honte & foibleffe , par laquelle ilsife cachent , baiffent la tête , rougiffent a tous(propos, ne peuvent fupporter une correclion,Avis:ouchant le:orps.r.Mceurs mauvaifes.


20i D E L A S A C E S S E;une parole aigre fans fe changer tout. Tl y afouvent en cela du naturel; mais il le faut corrigerpar étude.Toute affection Sc fingularité en habits, port,marcher, parler,geftes& toutes autres chofes;c'eft témoignage de vanité 6c de gloire : & quiheurte les autres même en bien faifant. Lieer fapereJine pompa ,Jïne invidia.4-34-Mceursbonnest.Sur-tout la colere, le dépit, 1'opiniatreté; &pource il faut tenir bon, que 1'enfant n'obtiennejamais rien pour fa colere ou larmes de dépit;& qu'il apprenne que ces arts lui font du toutinutiles, voire laides & vilaines: tk k ces fins ilne les faut jamais flatter. Cela les gate tk corrompt,leur apprend k fe dépiter, s'ils n'ont ce qu'ilsveulent, & enfin les rend infolens , tk que l'onn'en peut plus venir a bout. Nihil magis redditiracundos, quam educatio mollis & blanda.II faut par même moyen lui enter de bonnes& honnêtes mceurs ; tk premiérement 1'inftruirea craindre tk révérer Dieu, trembler fous cetteinfinie tk inconnue majefté , parler rarement tktrès-fobrement de Dieu, de fa puiffance, éternité,fageffe, volonté, tk de fes ceuvres , non indifféremment5c k tous propos, mais craintivementavec pudeur 6c tout rffpecf. Ne difputer j amaisdes myfteres 6c points de la religion; mais fincérementcroire , recevoir 6c obferver ce queFEglife enfeigne 6c ordonne.


L i r R E III-En fecond lieu, lui remplir tk groffir le cceurid'ingénuité , franchife , candeur , intégrité , tk1'apprendre a être noblement & fiérement homme1de bien; non fervilement &c méchaniquement, parerainte ou efpérance de quelque honneur ou profit,IOU autre confidération que de la vertu même.Ces deux font principalement pour lui-même.Et pour autrui & les compagnies le faut inftruireik une douceur , foupleffe tk facilité a s'accomimoderk toutes gens tkk toutes facons. OmnisAriftippum decuit color , CV flatus & ns. En cecietoit excellent Alcibiades. Qu'il apprenne a pouivoir& fgavoir faire toutes chofes , voire lesexces & les débauches , fi befoin efT; mais qu'ilin'aime k faire que les bonnes. Qu'il laiffe a fairele mal, non a. faute de courage , ni de force &fcience, mais de volonté. Multum interefi utruinipeccart quis nolit, aut nefciat.Modeftie par laquelle il ne contefte & ne s'atitaqueni k tous , comme aux plus grands & refppedfables,& k ceux qui font beaucoup au-deffous,oou en condition, ou en fuffifance, ni pour toutescchofes , car c'eft importunité ni opiniatrement,mi avec mots affirmatifs, réfolutifs & magiftrals,nmais doux &modérés. De ceci a été ditailleurs.Woila les trois chefs de devoir des parens auxcenfans expédiés.Le quatrieme eft de leur affection & communiccationaveceux, quand ils font grands tkcapables5Ï>Voyezle 1,c. 9.4. Partie riltdevoir desparens.


Amours desparens plusfort que celuides enfans ,pourquoi.•36.Paterneldoublé.204 DE LA S A G E S S Elk ce qu'elle foit reglée. Nous fcavons que 1'affecTïorleft réciproque & naturelle entre les parens & lesenfans; mais elle eft plus forte tk plus naturelledes parens aux enfans. nource mi'il Pf> A n„„A A„r „ ""«"••) puuuc Ljuii eir aonne dela nature allant en avant, pouffant & avancantla vie du monde & fa durée. Celui des enfansaux peres eft k reculons, dont il ne marche fifort ne fi naturellement ; tk femble plutöt êtrepayement de dette & reconnoiffance du bienfaitque purement un libre, fimple & naturel amour.Davantage celui qui donne & fait du bien , aimeplus que celui qui recoit tk doit. Dont le peretk tout ouvrier aime plus qu'il n'eft aimé. Lesraifons de cette propofition font plufieurs. Tousaiment d'être ( lequel s'exerce tk fe montre aumouvement tk en 1'acfion). Or, celui qui donnetk fait bien a autrui , eft aucunement en celuiqui recoit. Qui donne & fait bien a autrui, exerce.chofe honnête tk noble; qui recoit n'en fait point;1'honnête eft pour le premier, 1'utile pourle fecond.Or, 1'honnête eft beaucoup plus digne,ferme,ftable , aimable, que 1'utile quis'évanouit. Item leschofes font plus aimées qui plus nous coütent:plus eft cher ce qui eft plus cher. Or, engendrer,nourrir, élever, coüteplus que recevoirtout cela.Or, eet amour des parens eft doublé, bien quetoujours naturel, mais diverfement; 1'un eft fmrplement tk univerfellement naturel, tk comme unfimple inftinft qui fe trouve aux bêtes , felon


L I V R E III. 105lequel les parens aiment tk chériffent leurs petitsencore bégayans, trépignans tk tettans, & en ufentcomme de jouets tk petits finges. Cet amour n'eft[point vraiement humain. L'homme pourvu deiraifon ne doit point fi fervilement s'affujettir kI la nature , comme les bêtes. Mais plus noblement!la fuivre avec difcours tk raifon. L'autre donci eft plus humain tk. raifonnable , par lequel l'on; aime les enfans plus ou moins, k mefure que l'ony voit furgir & bourgeonner les femences tk1 étincelles de vertu , bonté, habilité. 11 y en a quiicoiffés& tranfportés au premier ont peu de celui-1 ci, tk n'ayant point plaint la dépenfe tant que1 les enfans ont été fort petits, la plaignent quandi ils deviennent grands & profitent. II femble qu'ilsO 1 ±I portent envie tk font dépités de ce qu'ils croiffent,1 taux tk inhumains!Or , felon ce fecond vrai tk paternel amourien le bien réglant , les parens doivent recevoir1 leurs enfans, s'ils en font capables , k la focieté< tk partage des biens, k 1'intelligence , confeil tk; traite des attaires domeftiques , tk encore a la1 communication des deffeins , opinions tk penfées,' voire confentir & contribuer k leurs honnêtes(ébats & paffe-temps, felon que le cas le requiert,1 réfervant toujours fon rang tk autorité. Parquoi1 nous condamnons cette trogne auftere , magittrale«& impérieufe de ceux qui ne regardent jamaisis'avancent tk fe font honnêtes gens; peres bru-17-Du vraiamour paternelrecevoirfes enfansgrands encommunication.


10Ö DE LA S A G E S S E,leurs enfans, ne leur parient qu'avec autorité,ne veulent être appellés leurs peres, mais feigneurs,bien que Dieu ne reiüfe point ce nom de pere ,ne fe foucient d'être aimés co'dialement d'eux,mais craints , redoutés , adorés. Et k ces fins leurdonne chichement, & les tiennent en néceflité ,pour par-la les contenir en crainte & obéiftance,les menacent de leur faire petite part en leurdifpofition teftamentaire. Or , ceci eft une fotet,vaine tk ridicule farce; c'eft fe défier de fon autoritépropre, vraie tk naturelle, pour en acquérirune artificielle. C'eft fe faire moquer tk défeftimer,qui eft tout le rebours de ce qu'ils prétendent.C'eft convier les enfans a finement feporteravec eux, tk confpirer k les tromper tk amufer.Les parens doivent de bonne heure avoir régléleurs ames au devoir par la raifon , non avoirrecours k ces moyens plus tyranniques quepaternels.Errat longe , med quidem fenterztld,Qui imperium credit ejfe gravius aut JlabiliusUt quodjit, quam Mud quod amicitia adjungituEn la difpenfation derniere des biens, le meilleurLes tcaitnaux teüamens Sc plus fain eft de fuivre les loix tk coutumes dufcionlci loix.païs. Les loix y ont mieux penfé que nous, tkvaut mieux les laiffer faillir, que nous hafarderde faillir en notre propre choix. C'eft abufer dela liberté que nous y avons , que d'enfervirnos petites fantaifies, frivoles tk privées paflions»


L I V R E lil. 207:comme ceux qui fe laiffent emporter a des récentesacTions officieufes ; aux flatteries de ceux qui fontpréfens, qui fe jouent de leurs teftamens , a gratifierou chatier les actions de ceux qui y prétendentintérêt, & de loin promettent ou menacentide ce coup, folie. II fe faut tenir a la raifon 8c:obfervance publique, qui eft plus fage que nous,x'eft le plus sur.Venons maintenant au devoir des enfans auxparens, fi naturel, fi religieux , & qui leur doit:être rendu non point comme a hommes purs 8cfimples, mais comme k demi-Dieux; Dieux terreins,mortels , vifibles. Voila pourquoi Philon , Juif,ia dit que le commandement du devoir des enfans:étoit écrit moitié en la première table , qui contenoitles commandemens qui regardent le droitide Dieu, 8c moitié en la feconde table, ou fontles commandemens qui regardent le prochain,comme étant moitié divin 8c moitié humain. Auffieft-ce un devoir fi certain , fi étroitement dü 8crequis, qu'il ne peut être difpenfé ni vaincu partout autre devoir ni amour, encore qu'il foit plusigrand, car avenant qu'un ait fon pere & fonfifils en même peine Sc danger, 8c qu'il ne puiffe'fecourir a tous deux, il faut qu'il aille su pere,ïencore qu'il aime plus fon fïls, comme a été dit ci-Jdeffus. Et la raifon eft que la dette du fils au perettü plus ancienne 8c plus privilégiée, 8c ne peut êtreaabfous 8c effacé par uae fuivante dette.39-Du devoirdes enfansaux parens.


40- Or, ce devoir confifte en cinq points compris liLequel confifieeu cinq fous ce mot d'honorer fes parens ; le premier eft I:puints.la révérence, non-feulement externes en geftes Sc 1Hierem. 35.Levitit.Job.30.aoc? DE LA SAGESSEÏcontenances, mais encore plus internes, qui eft i:une fainte &C haute opinion tk eftimation, que1'enfant doit avoir de fes parens comme auteurs, Icaufe tk origine de Ion être Sc de fon bien, Iqualité qui les fait reffembler a Dieu.Le fecond eft obéiffance, voire aux plus rudes ISc difficiles mandemens du pere, comme porte1'exemples des Rechabites, qui, pour obéir aupere , fe priverent de boire vin toute leur vie:Sc Ifaac ne fit difficulté cle tendre le cou au glaivede fon pere.Le tiers eft de fecourir aux parens en toutbefoin, les nourrir en leur vieilleffe, impuiflance,néceffité , les fecourir Sc afTifter dans toutes leursIn examer. affaires. Nous avonsexemple Sc patron de cela auxbêtes; en la cicogne, comme St. Bafile fait tant valoir.Les petits cicogneaux nourriffent leurs parensvieils, les couvrent de leurs plumes lorfqu'ellesleur tombent, ils s'accouplent Sc ie joignent pourles porter fur leur dos. L'arhour leur fourniffant eetart. Cet exemple eft fi vif Sc expres que le devoirdes enfans aux parens a été fignifié par le fait de cettebéte , reciconare. Et les Hebreux appellent cette bétea caufe de ceci chajïda, c'eft-a-dire, la débonnaire,la charitable. Nous en avons auffi des exemplesnotables en 1'humanité. Cymon, fils de ce grandMiltiades,


LlVKE III.Ï Q 9Miltiades, ayant fon pere trépaffé en prifon &n'ayant de quoi 1'enterrer ( aucuns difent quec etoit pour payer les dettes, poar lefquelles l'onne vouloit laiffer emporter le corps , felon leftyle des anciens) fe vendit 6c fa liberté , pourdesdeniersprovenans,être pourvu èfa fépulture!II ne fecoururpas fon pere de fon abondance nide fon bien, mais de fa liberté, qui eft plus chereque tous les biens & la vie. II ne fecourut pasfon pere vivant & en néceffité , mais mort &p etant plus pere ni hommê. Qu'eüt-il fait pourfecourir fon pere vivant, indigent, le requérantde fecours ? Cetexemple eft riche. Au fexe foibledes femmes nous avons deux pareils exemples deBlies, qui ont nourri & allaité, 1'une fon pere(J autre fa mere, prifonniers & condamnés k périri de faim, punition ordinaire aux anciens. II femb'e• aucunement contre nature, que la mere foit nourrie'de lait de la fille, mais c'eft bien felon nature' voire de fes premières loix que la fille nourriffeifa mere.Le quatrieme eft de ne rien faire, remuer.entreprendre , qui foit de poids , fans 1'avis, con'ifentement 6c approbation des parens, fur-tout enifon mariage.. L e d n c P l J e eft de fupporter doucement lesmees .mperfeöions, aigreur, chagrin des parens,leur fevente & rigueur. Manlius Ie pratiqua benccar ayant le Tribun Pompcnius accufé le pere deII. Partie,Q


!IO DE LA S A G E S S E,ce Manlius envers le peuple de plufieurs fautes, j& entre autres, qu'il traitoit trop rudement fon 1fits, lui faifant même labourer la terre: le fils ialla trouver le Tribun en fon lit, & lui mettant tle couteau a la gorge , lui fit jurer qu'il défifteroit tde la pour-uite qu'il faifoit contre fon pere, aimant tmieux fouffrir la rigueur de fon pere , que de le jvoir pourfifivi de cela.L'enfant ne trouvera difficulté en tous ces cinq:devoirs, s'il confidere ce qu'il a coüté a fes parens,,tk de quel foin tk affection il a été élevé. Maisiiil ne le fcaura jamais bien jufqu'A ce qu'il ait des:des enfans , comme celui qui fut trouvé a chevau- vchons fur un baton fe jouant avec fes enfans ,pria celui qui 1'y furprit de n'en rien dire jufques j.a ce qu'il tut pere lui-même, eftimant que juf-|qu'alors il ne feroit juge équitable de cette acfion.itC H A P I T R EXV.Devoirs des Maitres & Serviteurs."V IENT après la troifieme Partie & derniere dela juftice privée tk domeftique , qui eft des devoirsdes maitres tk des ferviteurs. Sur quoi faut fcavoirla diftinttion des ferviteurs ; car il y en a prin-icipalement de trois fortes. II y a les efclaves donttout le monde étoit plein au temps paffé , tk


L v x R E HL2 nencore l'eft-il,fauf unquartierd'Europe, &n'y enaendroitplusnetquela France. Ils n'ont en leiupuiflance ni corps ni biens , mais font du tout aleurs maitres, qui les peuvent donner, engagervendre, revendre, échanger & en faire commede bêtes de fervice. D, ceux-ci a été parlé aulong. IIy ales valets & ferviteurs, genslibres,I. r. c. 4j.maitres de leurs perfonnes & biens, voire nepeuvent par contrat ni autrement faire aucun] préjudice k leur liberté. Mais ils doivent honneur' o b e i f f a n ce & fervice , a tel certain temps & telles. condmons qu'ils ont promis, & l e smaitres ontpr eux commandement, correétion & chatimentEavec modération & difcrétion. II yales mericenairesqui font encore moins fujets, car ilsne:doiyent fervice ni obéiffance , mais feulementfeuelque travail & induftrie pour argent, & onma fur eux aucune correftion ni commandement.Les devoirs des maitres envers leurs ferviteurs,tant efclaves que valets , font ne les traiteriruellement,fe fouvenant qu'ils font hommes &de même nature qu'eux, que la feule fortuney3.a. mis la différence , laquelle eft variable & f ejoue k fa,re les grands petits, & les petits grands.IDont la cliftance n'eft pas telle qu'il les fafferebuter fi loin. Sun, hommes eontubernales, hu-v/uupemaies , hu-,Senecbiles, amici, conferui, cequifortunce fubjecli. Traiter«•immanent, ïïlin.iinpmnr.* ötchercher Sr -1 1_ _ plutöt 1 . A kfe . r. faire ~ . aimerlie craindre, eft témoignage de bonne nature:Oij


%ll DB LA S A G B S S E,les rudoyer par trop , montre une ame cruellej6c que la volonté efl toute pareille envers lesautres hommes, mais que le défaut de puiffance Iempêche 1'exécution. Auffi avoir foin de leur fanté& inftrucfion de ce qui eft requis pour leur bien I6c falut.Les devoirs des ferviteurs font honorer 6c" |craindre leurs maitres, tels qu'ils foient, 6c leur Irendre obéiffance 8c fidélité, les fervant, non paracquit au-dehors feulement 6c par contenance ,mais cordialement, férieufement, par confcience6c fans feinte. Nous lifons de très'-beaux, nobles8c généreux fervices avoir été faits par aucunsa leurs maitres , jufqu'a avoir employé leur vie ,pour fauver celle- de leurs maitres, ou leur honneur.C H A P I T R EXVI.Devoirs des Souvcrains & des Sujets.D ES Princes 8c Souverains, leurs defcriptions,marqués, humeurs , miferes 8c incommodités, aété parlé au Livre i. Ch. 46. de leur devoir kgouverner Etats, a été parlé très-amplement auLiv. préfent. Ch. z 8c 3. qui eft de la prudencepolitique. Toutefois nous toucherons ici les chefs6c traits généraux de leur devoir.


LIVRE 1 IL 213Le Souverain comme médiateur entre Dieu& r.'Devoir desles peuples , débiteur a tous deux, fe doit toujours Sonverains*fou venir qu'il eft Pimage vive, 1'Officier & Lieutenantgénéral du grand Dieu fon Souverain, Scaux peuples un flambeau luifant , un miroiréclairant, unthéatre élevé, auquel tous regardent;une fontaine, en laquelle tous vont puifer, unaiguillon a 3a vertu, Sc qui ne fait aucun bien,qui ne porte fur plufieurs , & ne foit mis en regiftre& en compte. II doit donc premiérement 1. Etre rel»,gieux,être craignant Dieu, dévot, religieux, obfervateurde piété, non-feulement pour foi Sc fa confcience,comme tout autre homme, ma' pour fonétat Sc comme fouverain. La piété que nous requéronsici au prince, eft le foin qu'il doit avoirSc montrer k la confervation de la religion Sc descérémonies anciennes du pays, pourvoyant parloix Sc peines k ce qu'il ne fe faffe aucun changementni trouble , ni innovation en la religion.C'eft chofe qui fait grandement a fon humeur &süreté ( car tous réverent, obéiffent plus volontiersSc plus tard entreprennent contre celui qu'ilsvlercurivoyent révérer Dieu; Sc croyent être en fatutelle :frifm.Sc fauve-garde, una cufiodiapittas : pium virum neemalu.% genius nee fatum devincit. Deus enim eripitcum ab omni malo ). Et auffi de fon état, car commeont dit tous les fages, la religion eft le lien Si leciment de la fociété humaine.Oüj


Gsrder !esloix de fes fupérieurs.Garder fespromeiiës.5-Obferver lesloix.114 DE LA S A G E S S E,Le Prince doit auffi fe .rendre fujet tk inviolablementgarder tk faire garder les loix de Dieutk de nature, qui font indifpenfables: qui attentecontre elles n'eft pas feulement tyran , mais unmonftre.Quant aux peuples, il eft obligé premiérementde garder fes promeffes & conventions , foit avecfujïts ou autres y ayant intérêt : c'eft 1'équiténaturelle tk univerfelle. Dieu même garde fespromeffes. Davantage le Prince eft caution tkgarant formel de la loi tk des conventions mutuellesde fes fujets. II doit donc par-deffus tousgarder fa foi, ni ayant rien plus déteftable en unprince, que la perfidie tk le parjure, dont a étébien dit, qu'on doit mettre entre les cas fortuitsfi le prince contrevient a fa promeffe, tk qu'il n'eftpas k préfumer au contraire. Voire il doit garderles promeffes tk conventions de fes prédéceffeurs,s'il eft leur héritier, ou bien fi elles font au bien& profit public. Auffi fe peut-il relever de fespromeffes tk conventions raifonnables & malfakes, tout ainfi & pour les mêmes caufes, que lesparticuliers fefont relever par lebénéfice du prince.II doit auffi fe fouvenir que combien qu'il fokpar-deffus la loi (civile & humaine s'entend)comme le Créateur par deffus fa créature ( car laloi eft 1'ceuvre du prince , laquelle il peut changer& abroger k (on plaifir, c'eft le propre droit dela fouveraineté ) fi eft-ce que cependant qu'elle


L I V R E III. 2.15eft en vigueur & crédit, il la doit garder, vivre,agir Sc juger felon elle; Sc ce lui feroit déshonneurSc de tics-mauvais exemple d'ul'cr au contraire,Sc comme de deme-ntir. Le grand Auguftepour avoir une fois fait coatre la loi en fon proprefait, en penfa moi irir de regret. A gqfilaus, SeleucOjS,ont donné de très-notJjlcs exemples en c itte partSc a leurs dépens.Tiercement le prince eft débiteur de juftice atous fes fujets; & doit mefuretia puiflance aupied de la juftice. C'eft la propre vertu du princevraiment royale & principefque, dont juftementfut dit par une vieille au Roi Philipp?, qui dilayoitlui faire juftice, difantn'avoir le loifir,qu'il défiftat Sc laiflat donc d'être Roi. MaisDemctrius n'en eut pas fi bon marché , qui futdépouillé de fon royaume par fes fujets pourFaire jaftice.avoir jetté du pont en bas en la riviere plufieurs deleurs requêtes , fans y avoir répondu Sc fait droit.Finalement le prince doit aimer, chérir, veillerSc avoir foin de fon état, comme le mari de lafemme, le pere de fes enfans, le pafteur de fontroupeau, ayant toujours devant les yeux le profit& le repos de fes fujets.L'heur Sc le bien de1'état eft le but Sc contentement d'un bon prince,ut rejpublica opibus firma , copiis locuples, gloriaampla , virtutt honcfia fit. Le prince qui s'arrêtea foi , s'abufe ; car il n'eft pas k foi , ni 1'étatauffi n'eft fien, mais il eft a 1'état. II en eft bienOiv6.7.foigne ?!affecuonnerlu hien pabiic.Senec.


s.9.T.IVvo s desfujets.D X L A S A G E S S E ,le maïtre, non pas pour maitrifer, mais pour lëmaintenir. Cninoncivium favitustradita ,fidmtda.Pour le foigner & veiller, afin que fa vigilancegarde tous fes fujets dormans, fon travail lesraffechomer , fon induftrie les maintienne en dé lees,fon occupation leur donne vacations , & quetous fes fujets fcachent & fenrent qu'il eft autantpour eux que par-deffus eux.Pour être tel & bien s'acquitter, il fe doit portercomme a été dit biena ulong au z & 3. chap.de ce hvre, c'eft-a-dire, faire &a voir provifionde bon confeil, de finances, & des forces dedansfcfnétat, d'alliances & d'amis au-dehors, agir&commander en paix &e n g l I erre, de telle fortequ'il fe faffe aimer & craindre tout enfemble.Et pour comprendre tout en peu de paroles 'il doit craindre Dieu fur-tout, être prudent auxentreprifes, hardi aux exploits, ferme en fa parole,fage en fon confeil , foigneux des fujets,fecourable aux amis, terrible aux ennemis, pitoyableaux affligés, courtois aux gens de bieneffroyable aux méchans, & jufte envers tous.Lc-devoir des fujets eft en trois chofes, rendre1'honneur aux princes , comme a ceux qui portenti image de Dieu, ordonnés & établis par lui;dont font trés-mal ceux qui en détraétent &c enparient mal, engeance de Cham & Chan ? a nz. Rendre obéiffance, fous laquelle font compris'plufieurs devoirs , comme aller k la g«erre, payer


L I V R E III. 117les tributs & impöts mis fur par leur autorité.3. leur defirer tout bien tk profpérité, & prierDieu pour eux.Mais la queftion eft s'il faut rendre ces trois;droits généralement a. tous princes, li aux méchans, aux tyrans. La décifion de ceci ne fe peutfaire en un mot. II faut diftinguer. Le prince efttyran & méchant ou a 1'entrée ou en 1'exercice.Si a 1'entrée, c'eft-a-dire, qu'il envahiffe la fouveraine'éparforce tk de fa propre autorité, fansdroit aucun , foit-il au refle bon ou méchant(& c'eft en ce fens que fe doit prendre ce motde tyran ) c'eft fans doute qu'il lui faut refifterou par voie de juftice , s'il y a temps & lieu,ou par voie de fait ; tk y avoit anciennemententre les Grecs , dit Ciceron , loyers tk honneursdécernés a ceux qui en délivroient le public. Etne fe peut dire que ce foit réfilter au prince, ne1'étant encore ni de droit ni de fait, puifqu'iln'eft regu ni reconnu.Si en 1'exercice, c'eft-a-dire, qu'il foit entréduement, mais qu'il commande induement, cruel-,lement tk méchamment , c'eft-a-dire, felon le 'jargon du vulgaire tyranniquement, il vient encorea diftinguer. Car ilpeut être tel en trois manieres,& a chacun y a avis particulier. L'une eft enviolant les loix de Dieu tk de nature, c'eft-a-dire,«contre la religion du pays, commandement de IDieu, tk forcant les confeiences. En ce cas il ne r11.Exod. 12.Queftion s'il. eft permis' d'attenter a. la perfonnedu tyran.Doublé tyranAl'entree.2.En 1'exercice& ce en troismanieres.De cecivoyezcideflusc. 4.au c. de latyrannie &rèbellion. j


2I§ DE LA S A G E S 3 E ,Tacit.lui faut pas rendre 1'obéiffance fuivant les axiomesfaints, qu'il fautplutöt obéir k Dieu qu'auxhommes, & plus craindre celui qui a puiffancefur 1'homme entier, que ceux qui n'en ont quefur la moindre partie. Mais auffi ne fe faut-il pasélever contre lui par voie de fait, qui eft 1'autreextrêmité , ains tenir la voie du milieu , qui eftk s'enfuir ou fouffrir , fugere, aut pad. Les deuxremedes nommés par la doftrine de vérité entelles extrêmités. 2. L'autre moins mauvaife , quine touche les confciences, mais feulement lescorps & les biens, eft en abufant des fujets,leur deniant juftice, raviffant la liberté des perfonnes,tk la propriété des biens. Auquel cas ilfaut avec patience tk reconnoiffance de 1'ire deDieu rendre les trois devoirs fufdits, honneur,obéiffance , vceux & prieres , & fe fouvenir detrois chofes, que toute puiffance eft deDieu,& qui réfifte k la puiffance , refifte k 1'ordonnancede Dieu; principi fummum nrum judiciumDU dederunt. Subditis obfequii gloria rdicla ebonos principes voto expetere , qualefcunque tolEt qu'il ne faut pas obéir au fupérieur, pour cequ'il eft digne & dignement commandé, maispource qu'il eft fupérieur; non pource qu'il eftbon , mais pource qu'il eft vrai tk légitime. 11y a bien grande différence entre vrai & bon,tout ainfi qu'il faut obéir k la loi, non pource»„1t- _ / l 1 e> • r. . .qu uie eunonne 0£ jutte, mais tout limplement


L I V R E III. 219pource qu'elle eft loi. 2. Que Dieu fait regner1'hypocrite pour les péchés du peuple, &c 1'impieau jour de fa fureur , que le méchant prince eftrinftrument de fa juftice, dont le faut fouffrircomme les autres maux que le ciel nous envoye,quomodo ftirilitatcm aut nimios imbns & extern naturcemala , Jïc luxum & avarltïam dominanüumTacit.tolerare. Les exemples de Saiil, Nabuchodonofor,de plufieurs Empereurs avant Conftantin & quelquesautres depuis méchans tyrans au poffible,auxquels toutefois ces trois devoirs ont été renduspar les gens de bien, & enjoint de leur rendrepar les prophetes & docfeurs de ces temps, jouxte1'oracle du grand docteur de vérité : qui ported'obéir k ceux qui font afïïs en la chaire , nonobftantqu'ils impofent fardeaux infupportables& qu'ils gouvernent mal.La troifieme concerne tout 1'état, quand il leveut changer, ruiner, le voulant rendre d'éleétif,héréditaire, ou bien d'ariftocratique ou démocratique,lefaire monarchique, ou autrement : ence cas il lui faut réfitter & empêcher par voieou de juftice ou autrement; car il n'eft pas maitrede 1'état, mais feulement gardien & dépofitaire.Mais eet affaire n'appartient pas k tous , ains auxtuteurs de 1'état , ou qui ont intérêt comme auxelecteurs és états éleclifs ; aux princes parens ésétats héréditaires; aux états généraux és états quiont loix fondamentales. Et c'eft le feul cas auquel


I. Cogiratio.JïïsrT. de peen.t. Si quis HDndicam. c. Defacrof. Eccl.ri.Examinationdesfouve-reins aprèsleur mort.220 DE LA S A G E S S E ;il eft loifible de refifter au tyran. Et tout ceci eft; dit des fujets , auxquels n'eft jamais permis d'attentercontre le prince fouverain, pour quelquecaufe que ce foit, & eft coupable de mort celuiqui attente , qui donne confeil, qui le veut &le penfe feulement , difenr les loix. Bien eft-ilpermis a 1'étranger, voire c'eft chofe tres-belle Scmagnifique a un prince de prendre les armes pourvenger tout un peuple injuftemenf opprimé , & Iedélivrer de la tyrannie, comme fit Hercules , &depuis Dion,Timoleon& Tamerlan, Prince desTartares , qui défit Bajazet , Turc affiégeantConftantinople.Ce font les devoirs des fujets envers leurs fouveramsvivans; c'eft afte de juftice , après leur1^ mort . rPipvaminpr lan


L I V R E III. %%tpolitique oü nous vivons , a befoin cle notrecommun appiü; mais après qu'ils s'en font allés ,ce n'eft: pas raifon de refufer a la juftice & a notreliberté 1'expreffion denos vrais relfentimens;voirec'eft un très-bon& utile exemple que nous donnonsa la poftérité, d'obéir fidélement a un maitre ,duquel les imperfedfior.s font bien connues. Ceuxqui, pour quelque obligation privée , époufent lamémoire d'un prince méchant, font jiiftice particuliereaux dépens de la publique. O la belle leconpour le fucceffeur, fi ceci étoit bien obfervé !CHAPITREXVII.Devoir des Magijlrats.L ES gens de bien en la répubfique aimeroientjouir en repos du contentement que les bons &excellens efprits fe fcavent donner en la confidérationdes biens de nature &C des effets de Dieu,qu'a prendre charges publiques , n'étoit qu'ilscraignoient d'être mal gouvernés, & par les méchans:parquoi ils confentoient être Magiftrats ;mais de briguer & pourfuivre les charges publiques,même de judicature , c'eft chofe vilaine , condamnéepar toutes bonnes loix, voire payens,témoin la loi Julia de ambitu. Indigne de perfonned'honneur, &ne fcauroit-on mieux s'en dcclarerPourquoiacceprer iaMagiftrat.


Lamprid.222 DE LA S A G E S S E ]incapable. De les accepter eft encore plus vilain& puant, & n'y a point de plus fordide & vilainemarchandife que celle-la; car il faut que celuiqui a acheté en gros, revende en détail: dontFEmpereur Severe parlant contre telle faute , ditque l'on ne peut bien juftement condamner celuiqui vend ayant acheté.2.Préparationa exercerleMagiftrat.Tout ainfi que l'on s'habüle, l'on fe pare &fe met-on en bienféance avant fortir de 'a maifon,& fe montrer en public: avant que prendre chargepuDiique, i! raut en Ion pnve attendre a réglerfespaffions, & bien établir fon ame. Onn'amenepas au tournouoir un cheval neuf, ni s'en fertonen affaire d'importance, s'il n'a été dompté& appris auparavant, auffi devant que fe mettreaux affaires, & fur la montre du monde, il fautdompter cette partie de notre ame farouche , luifaire ronger fon frein, lui apprendre les loix &les mefures avec lefquelles elle fe doit manier entoutesoccafions. Mais au rebours, c'eft chofe piteufe& bien abfurde, difoit Socrate, que bien queperfonne n'entreprenne d'exercer un métier &c artméchanique, que premiérement il ne Fait appris,toutefois aux charges publiques & a l'art de biencommander & bien obéir, de gouverner le monde,le métier plus difficile ,de tous ceux qui fontrecus & 1'entreprennent, qui n'y fcavent du toutrien.


L I V R E 111. 113Les Magiftrats font perfonnes mixtes ck mitoyennesentre le fouverain & les particuliers , 1dont il faut qu'il fcachent commander & obéir,qu'ils fcachent obéir au Souverain, ployer fousla puiffance des Magiftrats fupérieurs a foi, honorerleurs égaux , commander aux fujets, défendre lespetits, faire tête aux grands, & juftice a tous:dont a été bien dit a propos que le Magiftratdécouvre la perfonne, ayant a jouer en publictant de perfonnages.Pour le regard de fon fouverain, le Magiftratfelon la diverfité des mandemens, doit diverfementfe gouverner , ou promptement, ou nullementobéir, ou furféoir 1'obéiffance. 1. Aux mandemensqui lui attribuent connoiffance , commefont toutes lettres de juftice, &c toutes autres ohy a cette claufe ou équivalente ( s'il vous appert)ou bien qui fans attribution de connoiffance fontde foi juftes ou indifférentes ; il doit obéir, &eft aifé de s'en acquitter fans fcrupule.2. Aux mandemens qui ne lui attribuent aucuneconnoiffance, mais feulement 1'exécution ,comme font lettres de mandement , s'ils fontcontre le droit & la juftice civile, & qu'il y aitclaufe dérogatoire , il doit fimplement obéir, carle fouverain peut déroger au droit ordinaire , Scc'eft proprement en quoi git la fouveraineté.3. A ceux qui font contraires au droit, & necontiennent la claufe dérogatoire, ou bien quiDefcriptionrénérale daMagiftrat,4-Devoirs daMagiftratquant au fou*verain.


4-J-Quant auxparticuliers.I.224 DE LA S A G E S S E,font contre le bien 6c 1'utilité publique, quelque Iclaufe qu'il y ait, ou bien que le Magiftrat fgaitêtre faux 6c nuls, mal impétrés 6c par furprife , |il ne doit en ces trois cas promptement obéir , rmais les tenir en fouffrance , 6c faire remontrance tune ou deux fois; & a la feconde ou troifiemejufïïon, obéir.4. A ceux qui font contre la loi de Dieu & fnature; il doit démettre 6c quitter fa charge, voirefouffrir tout plutót que d'y obéir ou confentir: |6c ne faut dire que la-deffus pourroit y avoir du itdoute ; car la juftice naturelle eft plus claire que fla fplendeur du Soleil.5. Tout ceci eft bon pour les chofes a faire; fmais après qu'elles font faites par le fouverain, Etant méchantes qu'elles foient, il vaut mieux lesdifïimuler 6c d'enfevelir la mémoire, que 1'irriter& perdre tout Ccomme fit Papinian ) frujlra niti& nihil aliud, nifi odium qutzrtn, extremce dementiaejl.Pour le regard des particuliers fujets, les Magiftratsfe doivent fouvenir que la puiffance qu'ilsont fur eux, ils ne l'ont qu'en dépot, 6c la tiennentdu fouverain qui en demeure toujours Seigneur& propriétaire, pour l'cxercer durant le tempsqui leur a été préfix.2. Le Magiftrat doit être de facile accès, prêta ouir 6c entendre toutes plaintes 6c requêtes ,tenant fa porte ouverte a tous, & ne s'abfentejpoin


L I V R E III. ,, Epoïnt, fe fouvenant qu'il n'eft k foi, mais k tousi Deut. ïg.& fervitetir du public. M*tna r,),,,*rjeivuus , mamafortuna. A cette caufe la loi de Moïfe vouloit queles juges Sc les jugemens fe tinffent aux portes desvides, afin qu'il fütaifé k chacun de s'y adrefler.3- II doit auffi également recevoir Sc écoutertous grands & petits, riches Sc pauvres, êtreouvert k tous : dont un fage le compare k 1'autelauquel on s'adreffe étant prelfé & affiigé, poury recevoir du fecours & de la confolation.4- Mais ne fe communiquer point k plufieurs;Sc ne fe familiarifer, fi ce n'eft avec fort peu'Sc iceux bien fages & fenfés, Sc fecrétement; carcela avilit l'autorité, trouble & relache la fermeté& vigueur néceffaire. Cleon appellé au gouvernementdu nuhlir 5iTp mH, * •r, „ ^ l t l u l a LUUS l e s a m i S )^renonca k leur amitié comme incompatible avecfa charge; car, dit Ciceron , celui dépouille leperfonnage d'ami qui foutient celui de juge.5. Son office eft principalement en deux chofesfoutenir& gardêr 1'honneur, la dignité & le droitde fon fouverain & du public qu'il repréfente:^>'cer.!. ii>ffic.•geren perfonam civitatïs , ejus dignitatem & decus. fuflinere, avec autorité & une douce févérité6. Puis comme bon & loyal truchement &-officier du Prince, faire garder exacfement favolonté, c'eft-a-dire, la loi, de laquelle il eft.exafteur, Sc eft fa charge de faire obferverI tous dont il eft appellé la lói vive , la loi pariante.//. Partie. p


4Ll6 DE LA SAGESSE,7. Combien que le Magiftrat doive prudemmentattremper la douceur avec la rigueur , fi vautmieux un magiftrat févere Sc rigoureux, qu'undoux, facile Sc pitoyable ; Sc Dieu délendd'avoirpitié en jugement. Le févere retient les fujets enFobéiffance des loix; le doux Sc pieux fait mépriferles loix Sc le Magiftrat, Sc le Prince quia fait tous deux. Bref, pour bien s'acquitter decette charge, il faut deux chofes, prud'hommie& courage. Le premier a befoin du fecond. Lepremier gardera le Magiftrat net d'avarice, d'acceptionde perfonnes , de préfens, qui eft la pefte& le banniffement de la vérité. Acceptatio munerumprxvaricatio ejl veritatis , de corruption de lajuftice, que Platon appellé vierge facrée. Auffides pafiions, de haine, d'amour Sc autres , toutesennemies de droiture & équité. Mais pour tenirbon contre les menaces des grands, les prieresimportunes des amis, les cris Sc les pleurs desmiférables , qui font toutes chofes violentes ,toutefois avec quelque couleur de raifon Sc juftice, Sc qui emportent fouvent les plus affurés ,il faut du courage. C'eft une principale qualitéSc vertu du Magiftrat, que la conftance fermeSc inflexible, afin de ne craindre les grands Scpuifians, Sc ne s'amollir a la mifere d'autrui , Scencore que cela ait quelque efpece de bonté; maisil eft défendu d'avoir pitié du pauvre en jugement.


L I V R EIII.az 7CHAPITREXVIII.Devoir des Grands & des Petits.L E devoir des grands eft en deux chofes, prêtermain forte 6c employer leurs moyens tk fang kla manutention 8c coniervation de ia piété, jufticedu Prince tk de 1'état, tk généralemtnt dubien public, duquelils doivent être les colonnes,le foutien, & puis a la défenfe tk proteftion despetits affligés, öc opprimés, réfiftant k la violencedes méchans; tk comme le bon fang courir k lapartie bleffée, felon le proverbe, que le bon fang,c'eft-a-dire , noble Sc généreux , ne peut mentir ,c'eft-a-dire, faillir oii il fait befoin. Par ce moyenMoïfe fe rendit capable d v être le chef de la na_tion des Juifs, entreprenant la défenfe des injuriéstk foulés injuftement. Hercule fut déihe, déüvrantde la main des tyrans les oppreffés. Ceux quiont fait le femblable ont été dit héros 6c demi-Dieux; 6c a tels tous honneurs ont été anciennementdécernés, fcavoir, eft aux bien méritansdu public, 6c libérateurs des oppreffés. Ce n'eftpas grandeur de fe faire craindre 6c redouter,(finona fes ennemis) tk faire trembler le monde,comme font aucuns qui auffi fe font haïr. Oderintdum metuant. II vaut mieux être aimé cpi' doré.Cela vient d'un naturel altier, faroucbc, dont ïhP ijExod, 3.


2.228 DE LA S A G E S S E,morguent Sc dédaignent les autres hommes comme1'ordure Sc la voirie du monde, Sc comme s'ilsn'étoient pas aufïï hommes; de-la dégénéré,it a.la cruauté, Sc abufent des petits, de leurs corpsSc biens, chofe toute contraire k la vraie grandeurSc nobleffe , qui en doit prendre la défenfe.Le devoir des petits envers les grands elf auffien deux chofes, les honorer Sc relpecTer, nonfeulementpar cérémonie Sc contenance , qui fecioit rendre aux bons Sc aux méchans, mais decoeur & d'affeclion , s'ils le méritent Sc font amateursdu public. Ce font deux, honorer Sc eftimer,deux aux bons & vraiment grands; aux autresployer le genouil, faire inclination de corps nonde cceur , qui eft eftimer Sc aimer. Puis parhumbles Sc volontaires fervices leur plaire Scs'inftnuer en leurs graces. Principibus placuijje vlrisnon ultimo, laus ejl, Sc fe rendre capabf s de leurproteclion. Que fi l'on ne peut fe les rendreamis, au moins ne les pas avoir pour ennemis ;ce qui fe doit avec mefure & difcrétion. Cartrop ambitieufement décliner leur indignation,ourecliercherleur grace,outre que c'eft témoignagecle fbibleffe , c'eft tacitement les offenfer Sc accuferd'injuftice ou cruauté. Non ex projejfo cavere.aut fugere: nam qium quis fugit, damnat; ou bienleur faire venir 1'envie de 1'exercer, Sc d'excéder,voyant une ft profonde Sc peureufe foumiffion.


LIVRE Hl.l 2*DE LA FORCE, TROISIEME VERTU.P RM FACE.L ES deux vertui prècidentes reg'.ent Chomme encompagnie & avec autrui: ces 'deux fuivantes lesregiem en foi & pour foi ; regardent ks deux vifagesde la fortune , les deux chefs &g e n r e s d e t o u saccidens, Profpérité & Adverfité; car la force Üarrnecontre^ Vadverfui, la temperance le conduit en laprofpérité. Toutes deux pourroiem ê;re comprifes &entendues par ce mot de co,.fiance, queft une'droite& égale fermeté d'ame , pour toutes fortes d'accidens& chofes ex ternes , par h quelle elle ne s'éleve pourla profpérité , ni ne s'abaijfe pour l'adverfité.C H A P I T R EXIX.De la Force ou Vaillance en général.VAILLANCE ( car cette vertu eft bien plus proprementdite ainli que force ) eft une droite Sc He la vaillan­r.Dc-fcriptionce.forte aflurance, égale Sc uniforme de 1'ame k1'encontre tous accidens dangereux, difficiles &douloureux, tellement que fon fujet & la matiereaprès laquelle elle s'exerce, c'eft la difficulté Scle danger: bref,tout ce que la foibleffe humaineP iij


Senec.i.Sa recomniendation.Senec.VDes imparfaitesoufaulïes vaillances.VniUancemilitaire.23O DE LA S A G E S S E ,peut craindre , Timendorum contemptrlx , quizterribJla , 6* fub jugum libtralitalzm nojlram mittentia^dejpicit, provocat, franglt.De toutes les vertus la plus en honneur Sceftime Sc la plus noble eft celle-ci, laquelle , parprérogative a été appellée fimplement vertu. C'eftla plus difficile, la plus glorieufe , qui produit deplus grands , éclatans Sc excellenseffets, elle comprendmagnanimité , patience , conftance , perfévéranceinvincible , vertus héroïques , dontplufieurs ont recherché les maux avec faim pouren venir a ce noble exercice. Cette vertu eft lerempart imprenable, le harnois complet, 1'armureace» ée Sc k 1'epreuve a tous accidens, munimentumimbecülitatishumantz inexpugnabïU : quod quicircumdedit Jibi, Jecurus in hac vit


L i r R M HL* 131pure vanité). Or, ce n'eft qu'une petite parcelle& bien-petit rayon de la vraie, entiere, parfaiteöc univerfelle, pour laquelle 1'homme eft tel feulqu'en compagnie, en un lit avec les douleursqu'au camp , auffi peu craignant la mort en lamaifon qu'en 1'armée. Cette militaire vaillance eftpure 8c naturelle aux bêtes chez lefquelles elleeft pareille aux femelles qu'aux males ; auxhommes elle eft fouvent artificielle, acquife parla crainte 8c appréhenfion de captivité , de mort,de douleur, de pauvreté , defquelles chofes labéte n'a point de peur. La vaillance humaine eftune fage couardife , une crainte accompagnée dela fcience d'éviter un mal par un autre , colere eftfa trempe 8c fon fil , les bêtes l'ont toute pure.Aux hommes auffi elle s'acquiert par 1'ufageinftitution, exemple,coutume, 8c fe trouve ès amesbaffes 8c viles. De valet 8c facteur de boutiquefefait un bon 8c vaillant foldat, 8c fouventfansaucune teinture de la vertu 8c vraie vaillance phi-1 _ _ i- •luiupiuque.La feconde condition , elle préfuppofe connoiffancetant de la difficulté, peine 6c danger4;Témérité' ouftupidité.qu'il y a au fait qui fe préfente , que de labeauté, honnêteté , juftice 6c devoir requis en1'entreprife ou foutien d'icelui. Parquoi faillentceux qui mettent vaillance en une témérité inconfidérée, 011 bien bêtife &ftupidité. Non ejl Senec;inconfulta temeritas, nee periculorum amor, neeP iv


Force corporelle.^3 2 DE LA S A G E S S E ,formidabilium appetuio , diligentijfima in tmdafuifonitudo eft: & eadem patientijjïmaeorum quibufalja Jpeciesmalorum ejl. La vertu ne peut être fan sconnoiffance & appréhenfion , l'on ne peutvrarement méprifer le danger , que l'on ne fcait fil'on .ne veut auffi reconnoïtre cette vertu auxbêtes. Et de Tait ceux ordinairement qui entreprennentfans avoir appréhendé & reconnu ,quand ce vient au point de 1'exécution, Ie nezleur faigne.La troifieme condition, c'eft une réfolution & fermctédWondéefurie devoir & fur 1'honnêteté& juftice de l'entrpnt-ifp 1-, HA .•. , mqueiie reioiution nerelache jamais, quoiqu'il avienne, mais quiachevegenéreufement ou 1'entreprife ou la vie. Contrecette condition faillent plufieurs , premiérement&bien lourdement ceux qui cherchent cettevertu au corps, &e nla force & roldeur desmembres. Or, vaillance n'eftp a squalité du corps,mais d'ame ; fermeté non des bras & desjambes , mais du courage. L'eftimation &pnxd'un homme confifte au cceur & k la volonté:c'eft oh git fon vrai honneur, & l ef eu!avantage &la vraie vidoire fur 1'ennemi; c'eftlepouvanter & faireforce a fa conftanee &vertu : tous autres avantages font étrangersempruntés; roldeur de bras & de jambes eft qualitéd'un porte-faix; faire broncher fon ennemi, luifaire filler les yeux k la hieur du SoHll e&c'eft


L I V R E 111. 233;un coup de la fortune. Celui qui ferme en foncourage pour quelque danger de mort, ne re-I lache rien de fa conffance & aifurance, bien qu'ilI tombe , il eft battu non de fon adverfaire, quileft podible en effet un poltron, mais de la for-I tune. D'oii il faut accufer fon malheur & nonI fa lacheté. Les plus vaillans font fouvent les plusI infortunés. Encore plus faillent ceux qui s'émou-Ivcnt &c font cas de cette vaine &c trafonienne; troigne de ces épouvantés vieillaques , qui parun port hautain, fiere contenancc & parole brave,I veulent acquérir bruit de vaillance & hardis, ü'• on leur vouloit tant prêter k crédit que de les en.I croire.Ceux auffi qui attribuent la vaillance k la rufe|& fineffe, ou bien k l'art 6k induftrie; mais c'eftItrop la prophaner, que de la faire jouer un röle' ffi bas & chétif. C'eft déguifer les chofes, &t fubftituer une faufle pierre pour une vraie. Lesi Lacédémoniens ne vouloient point en leurs villesdes maitres qui appriffent k lutter, afin que leurt jeunefTe le feut par nature &c non par art. Nous •f tenonspour hardi & généreux de combattre avé*c> le lion , Tours , le fanglier , qui y vont felon1 la feule nature ; mais non avec les mouches,; guêpes, car elles ufent de fineffe. Alexandre ne• vouloit point jouer aux olympiques , difant queI la partie feroit mal faite: pource qu'un particulier; y pourroit vaincre , & un Roi y être vaincu.6.Art & iaduftrie.


7'Paffion.&34 'D x L A S A G E S S E ;Ainfi n'eft-il bi enféant qu'un homme d'honneur ftJfonde & mette la preuve de fa valeuren chofe,Ien laquelle un poltron appris en école peut gagner. jCar telle vicfoire ne vient de la vertu ni duilcourage, mais de quelque foupleffe Sc mouvemensiartificiels , lefquels les plus vilains feront ce qu'un:vaillant ne fcauroit ni ne fe foucieroit faire.L'efcrime eft un tour d'art qui peut tomber en'perfonnes laches & de néant. Et combien de:vaut-néants par les villes, Sc de ces coquins tous


L I V R E III. 135s comme les efpions , pionniers , traitres, marchans1 fur mer , foldats mercenaires ; fi par ambition tk.| pour la réputation , pour être vus tk eftimésj vaillans, comme la plupart de nos gens de guerre,[ qui difent tout naïvement en y allant, que s'ils;y penfoient laiflerla vie ils n'iroient point; fi parsennui de vivre en peine tk douleur, comme leIfoldat d'Antigous, qui travaillant & vivant en[ peine a caufe d'un fiftule , étoit hardi tk s'élancoit; aux dangers , étant guéri les fuyoit; fi encore[ pour quelqu'autre confidération particuliere, ce1 n'eft vaillance ni vertu.La quatrieme condition, elle doit être en fons exécution prudente tk difcrete , par ou font rejjettéesplufieurs fauftes opinions en cette matiere,iqui font de ne fe couvrir point des maux tk in-(convéniens qui nous menacent; n'avoir peur qu'ilstnous furprennent, ne s'enfuir voire, ne fentir[point les premiers coups, comme d'un tonnerre,td'une arquebufade, d'une ruine. Or , c'eft mal: entendre ; car moyennant que 1'ame demeure(ferme & entiere en fon alfi. tte & en fon difcours ,[fans aitération, il eft eft permis de fe remuer,treffentir au-dehors. II eft permis, voire louableid'efquiver, gauchir & fe garantir des maux parttous moyens tk remedes honnêtes: tk ou n'y atremede, s'y porter de pied ferme. Mens immota8.Indiicrétïon»1 ma.net: lacrymce volvuntur inanes. Socrates fe moquei de ceux qui condamnoient la fuitë. Quoi, dit-il,


DE LA S A G E S S E,feroit-ce lachetc de les battre & vaincre en leurfaifant place ? Hómere loue en fon Uliffe lafcience de fair. Les Lacédémoniens profeffeursde vaillance en la journée des platées, reculerentpour mieux rotnpre tk diffoudre la troupe Perfienne,quils ne pouvoient autrement, & vainquirent.Cela ont pratiqué les nations plus belliqueufés.D'ailleurs les Stoïciens mêmes nermettentde palir tk trémouffer aux premiers coupsinopinés, moyennant que cela ne paffe pas plusoutre en Pame: voici de la vaillance en gros.De la Force ou F alliance en particulier.Propofltion•u Partitiondecette mat.POUR tailler la matiere tk le difcours de ce quieft ici a dire, cette vertu s'occupe tk s'emplovecontre tout ce que le monde appellé mal. Or,ce mal eft doublé, externe & interne , 1'un vientde dehors; Pon 1'appelle d'une infinité de noms,adverfité, afflicfion, injure , malheur , accidentmauvais & finiftre, L'autre eft au-dedans en Pame,mais caufépar celui de dehors. Ce font les paffionsfacheufes de crainte , trifteife, colere tk tantd'autres. II nous faut parler de tous les deux,fournir remedes & moyens de les vaincre, domptertk régler. Ce font les argumens tk avisde notre vertu de force tk vaillance. II y auradonc ici deux parties, 1'une des maux, ou mauvais


LIVRE III. 237aaccidens, 1'autre des pafïïons qui en naifTent. Lesavis généraux contre toute fortune bonne 6cmauvaife ont été dits ci-delfus : nous parieronsici plus fpécialement Sc particuliérement.CH APITREXX.Première Partie des maux extemes.3N"ous confidérons ces maux externes en trois ISDiftinaion&manieres , en leurs caufes, ce qui fe fera en ce comparaifondes maux pacchapitre, puis en leurs elfets , finalement en leurs caufes.eux-mêmes diftincTement , Sc particuliérement:hacune efpece d'iceux. Et par-tout fournironsnvis 6c moyens de s'affermir par vertu contre:ceux.Les caufes des maux 8c facheux accidens quimrrivent a chacun de nous, font ou publiques& générales, quand en même-temps elles touchentnlufieurs , comme pefte , famine , guerre ,yyrannie. Et ces maux font pour la plupartIfleaux envoyés de Dieu 6c du ciel, au moinsaa caufe prochaine n'eft pas aifée a reconinoïtre; ou particulieres ou reconnues , fcavoir,)aar le fait d'autrui. Ainfi l'on fait deux fortes demaux , publics 6c privés. Or , les maux publics,;':'eft-a-dire, venant de caufe publique , encore]p'ils touchent un chacun en particulier, font en


3bAvis contreles maux publics.I'rovidence,defti«ée.2.38 DE LA S A G E S S E,divers fens tk plus tk moins griefs , pefans &dangereux que les privés qui ont cauTe connuejiIls le font plus, car ils viennent k la foule liaffailliffent plus impétueufement avec plus dlbruit, de tempête tk de furie ; ont plus grandijfuite tk trainée; font p'us éclatans , produifenajplus de défordre & confufion. Ils le font moins|car la généralité tk communauté femble rendre ?chacun fon mal moindre. C'eft efpece de foula;de n'être feul en peine; l'on penfe que c'eft plutöimalheur commun , ou le cours du monde, tkla caufe eneft naturelle, qu'affliction perfonnelleEt de fait ceux que 1'homme nous fait piquenlplus fort, navrent au vif & nous alterent beaucoup.Toutes les deux fortes ont leurs remedes& confolations.Contre les maux publics il faut confidérer dequi tk par qui ils font envoyés, tk regarder aleur caufe. C'eft Dieu , fa providence, de laquellevient tk dépend une néceffité abfoiue qui gouverne& méprife tout, a laquelle tout eft fujet.Ce ne font pas, a vrai dire, deux loix diftincTesen effence, que la providence & la deftinée ounéceflité, providentia & neceffitas, ne font qu'uneLa diverfité eft feulement en la confidération tkraifon différente. Or, gronder & fe tourmenterau contraire, c'eft premiérement impieté tellequ'elle ne fe trouve point ailleurs ; car touteschofes obéiffent doucement, 1'homme feul fait


L i r R E HL 239S i Tenragé. Et puis c'eft folie; car c'eft en vain &Ï tfans rien avancer. Si l'on veut fuivre cette fou-, > veraine & abfolue maitreffe de gré a gré, elleluentrainera & emportera tout par force. Ad hoeIs \ facramtntum adacli fumus ferre mortal ia, nee per-Aiturbari iis, qua vitare nofira potejlatis non ejl: in41 regno nati Jumus , Deo parere libertas ejl. Dejïnea \fata Deum fiecli fperare querendo. II n'y a pointas i de meilleur remede que de vouloir ce qu'elle veut;31 i & felon 1'a vis de fageffe faire de néceffité vertu,Si mon ejl aliud effugium necefjitatis, quam veile quode, lip fa cogat.En voulant efcrimer ou difputer contreït telle, nous ne faifons qu'aigrir & irriter le mal.1 J Lxto animo fere quidquid acciderit, quaji tibi vo-I ilueris accidere : debuiffes enim veile, fi feijjes ex(decreto Deifieri. Outre que nous en aurons meilleureimarché, nous ferons ce que nous devons, quijj teft de fuivre notreGénéral & Souverain quie 11'a ainfi ordonné. Optimum pati quod emendare non\.\poJJis\ & Deum , quo autore cuncla proveniunt,(j Ifine murmuratione comitari. Malus miles ejl qui imsfperatorem gemens fequitur. Et fans contefter trouveru lbon ce qu'il veut. C'eft grandeur de courage de», Ife donner k \m.Magnus animus quife Deo tradidit.I (C'eft lacheté &défertion que gronder & difputer ,:r ppufillus & degener, qui obluclatur de ordine mundi| mialè exijlimat, & emendare mavult Deum, quam fe.iContre maux privés qui nous viennent dut ffait d'autrui, & nous pénetrent plus, il fautDiflinclionte> mauxpri»rés.


I.Avis conrreiceux général240 DE L A S A G Ê S S Ë,premiérement bien les diftinguer afin de ne femécompter. II y a déplaifir, il y a oftlnfe. Nous!recevons fouvent déplaifir d'autrui, qui toutefoislne nous a point offenle de fait ni de volonté, Icomme quand il neus a demandé ou refufé quel-1que chofe avec raifon , mais qui étoit lors mal Ik propos pour nous: de telles c'eft trop grande Ifimpleffe de s'en facher, puifque ne font offenfes.Vr , les ohenles lont de deux fortes , les unestraverfent nos affaires contre Péquitë , c'eft nousfaire tort; les autres s'adreflent a la perfonne quieft par elle méprifée & traitée autrement qu'il n'appartient,fok de fait ou de parole. Celles-ci fontplus aigres tk plus difticiles k fupporter que touteautre forte d'amiclion.,U I Lv_ u anuciiuil.Le premier & général avis contre toutes cesfortesde maux eft d'être ferme tk réfolu k ne fe laiiferaller k 1'opinion commune , mais confidérer fansc—„„v. , uiao v_uiiiiut;iei lanspaffion ce que portent & pefent les chofes, felonvérité tk raifon. Le monde fe laiffe aller & menerpar impreffion. Combien y en a-t-il qui font moinsde cas de recevoir une grande playe qu'un pètitfoufflet ? Plus de cas d'une parole que de Ia mort ?Breftoutfe mefure paropinion,& 1'opinion offenfeplus que le mal. Et notre impatience nous faitplus de mal que ceux defquels nous nous plaignons.ParticuFers Les autres plus particuliers avis & remedes fetirés As nousmêmes.tirent premiérement de nous-memes( & c'eft cii ilfaut premiérement jetter fes yeux & fa penféê )Ces


L I V R E UI. 141ces offenfes prétendues naiffent peut-être de nosdéfauts, fautes & foibleffes. Ce n'eft peut-êtrequ'une gauflerie fondée fur quelque dcfaut quieft en notre perfonne , que quelqu'un veut contrefairepar moquerie. C'eft folie de fe facher& fe foucier de ce qui ne vient pas de fa faute.Le moyen d'óter aux autres occafion d'en faireleurs comptes eft d'en parler le premier, &montrer que l'on le ftait bien; fi c'eft de notrefaute que 1'injure a pris fa naiffance, & qu'avonsdonné occafion a eet affront; pourquoi nous eacourroucerons-nous ? Ce n'eft pas offenfe, c'eftcorreöion, laquelle il faut recevoir & s'en fervircomme d'un chatiment. Mais bien fouvent ellevient de notre propre foibleffe, qui nous renddouillets. Or, il fe faut défaire de toutes cestendres délicateffes qui nous font vivre a notreaife, mais d'un courage male , fort & fermeméprifer & fouler aux pieds les indifcrétions &folies d'autrui. Ce n'eft pas figne qu'un hommefoit fain quand il s'écrie a chaque fois que l'onle touche. Jamais vous neferezen repos, fi vousVOUS formalifp7 dp tnnt ce> ,; f n—- «-^ 4 I e preienre.6.Ils fe tirent auffi de la perfonne qui offenfe. De ceux quiRepréfentons-nous en général les mceurs & humeursdes perfonnes avec lefquelles il nous fautoffenfent.vivre au monde. La plupart des hommes ne prendplaifir qu'a mal faire, ne mefure fa puiffance queparle dédain & injure d'aiu rui. Tant peu y en a//. Partie. Q


241 D E L A S A G E S S E ,qui prennent plaifir a bien faire. II faut donc faireétat que de quelque cöté que nous nous tournions,nous trouverons qui nous heurtera tk offenfera.Par-tout oii nous trouverons des hommes, noustrouverons des injures. Cela eft li certain tk finéceffaire que les légiilateurs mêmes , qui ontrégler le commerce tk les affaires du monde, ontcontinué tk permis en la juftice diftributive tkcommutative plufieurs paffe-droits. Ils ont permisde fe décevoir tk bleffer jufqu'a la moitié dejufte prix. Cette néceffité de s'entreheurter tk©ffenfer, vient premiérement de la contrariété tkincompatibilité d'humeurs tk volontés. D'oii vientque l'on s'offenfe fans le vouloir faire. Puis deconcurrence tk oppofition des affaires, qui porteque le plaifir, profit tk bien des uns, eft le déplaifir, dommage tk mal des autres; tk ne fepeut faire autrement, fuivant cette commune tkgénérale peinture du monde , fi celui qui vousoffenfe eft uninfolent, fou& téméraire, ( commeil eft, car un homme de bien ne fait jamais torta perfonne) pourquoi vous plaignez-vous, puifqu'iln'eft non plus a foi qu'un infenfé ? Vousfupportezbien d'un furieux fans vous plaindre ,voire en avez pitié; d'un bouffon , d'un enfant,d'une femme, vous vous enriez: un fou, ivrogne,coleré , indifcret, ne vaut pas mieux. Parquoiquand telles gens vous attaq tent de paroles, neleur faut point répondre. II fe faut taire tk les


L i r R £ UI. 243,qukter la* C'eft une belle 8c glorieufe revanche,& cruelle pourun fou, que de n'en faire compte.Car c'eft lui öter le plaifir qu'il penfe prendre envous fachant, puis par votre filence il eft condamnéd'impertinence, fa témérité lui demeure enla bouche; fi on lui répond, on fe compare k lui,c'eft 1'eftimer trop Sc faire tort k foi. Male loquuntur,quia bené loquinefciunt,faciunt quodfoient& fciunt, male quia mali, & feeundiim fe.Voici donc pour conclufion 1'avis Sc confeilde fageffe. II faut avoir égard k vous, k celui quivous offenfera. Quant k vous, aviféz ne fairechofe indigne Sc méféante de vous laiffer vaincre.L'imprudent Sc défiant de foi fe p?ffionnant fanscaufe, s'eftime en cela digne qu'on lui faffe affront.C'eft faute de cceur ne fcavoir méprifer 1'offenfe;1'homme de bien n'eft fujet k 1'injure. II eft inviolable.Une chofe inviolable n'eft pas feulementcelle qu'on ne peut frapper,mais qui étantfrappée ne recoit plaie ni bleffure. C'eft le plusfort rempart contre tous accidens que cette réfoiuüon; que nous ne pouvons recevoir que denous-mêmes. Si notre raifon eft telle qu'elle doit,nous fommes invulnérables. Et pource nousdiions toujours avec le fage Socrate, Anitus ScMelitus me peuvent bien faire mourir, mais ilsne me fcauroient mal faire. Ainfi 1'homme debien,comme il ne donne jamais occafion k perfonnede 1'injurier, auffi nepeut-ilrecevoifinjure. Ladere7- .Concluüondes avis ave*la regie defageffe.


244 DE LA SA GES SE,enim lailaue. conjunclum ejl. C'eft un mur d'airainque l'on ne fcauroit pénétrer; les brocards, lesinjures n'arrivent point jufqu'a lui. Joint qu'iln'y aura celui qui n'efb'me 1'aggretTeur méchant,Sc lui pour homme de bien ne méritant tel outrage.Quant a celui qui vous a offenfé, fi vousle jugez impertinent & mal fage, traitez-le commetel Scle laiflêz-la; s'il eft autre , excufez-le, préfumezqu'il en a eu occafion, que ce n'a pas étépar malice , mais par inadvertence & mégarde.II en eft faché lui-même, & voudroit ne Pavoirpas fait. Encore dirai-je que comme bons ménagersnous devons faire notre profit, Sc nous fervirde la commodité que nous préfentent les injures& offenfes. Ce que nous pouvons pour le moinsen deux fortes , qui regardent 1'offenfant &1'offenfé. L'une qu'elles nous font connoitre ceuxqui nous les font pour les fuir une autre fois.Tel a médit de vous, concluez il eft malin, &ne vous fiez plus a lui. L'autre. qu'elles nous.montrent notre infirmité & 1'endroit par lequelnous fommes battables , afin de le remparer ,amander le défaut, afin qu'un autre n'ait fujetde nous en dire autant ou plus. Quelle plusbelle vengeance peut-on prendre de fes ennemis,que de profiter de leurs injures, Sc en conduiremieux 8c plus sürement fes affaires.


L I V R E 111. 245C H A P I T R E X X I .Des maux externes conjidérés en leurs effets &fruits.A PRÉS les caufes des maux venons aux effets8c fruits, oii fe trouveront aufïi des vrais antidotes8c remedes. Ces effets font plufieurs, fontgrands, font généraux tk .particuliers. Les générauxregardent le bien, le maintien & culturedel'univers. Premiérement le monde s'étourferoit,fe pourriroit 6c perdroit, s'il n'éto't changé ,remué 6c renouvellé par ces grands accidens depefte, famine, guerre, mortalité , qui moiffonnent,taillent, émondent, afin de fauver le refte, &mettre le total plus aularge 8c k 1'aife. Sansiceuxl'on ne pourroit ici fe remuer ni demeurer.Davantage outre la variété, viciflitude 8c changementalternatif qu'ils apportent k la beauté tkornement de eet Univers , encore toute partie dumonde s'accommode. Les barbares 8c farouchesfont polies 6c policées , les arts 6c fciences fontrépandues 6c communiquées k tous. C'eft commeen un grand plantis auquel certains arbres fonttranfplantés , d'autres entés , autres coupés 8carrachés; le tout pour le bien 8c la beauté deverger. Ces belles 8c univerfelles confidérationsdoivent attefter 6c accoifer tout efprit raifbnnable9-»jErFets géné-rauxtrès-uti-'es.


z.Particuliersdivers, voyezla ï.des? vériiésc. 11.Exercice.246 DE LA S A G E S S E ,& honnête , & empêcher que l'on ne trouveces grands & éclatans accidens fi étranges & fauvages,puifque ce font ceuvres de Dieu &Nature, & qu'ils font un fi notable fervice au gros&c général du monde. Car il faut penfer que cequi femble être perte en un endroit, eft gain en1'autre. Et pour mieux dire rien ne fe perd, maisainfi le monde change öc s'accommode. Virjapiensnihil indignetur jibi accidere , jciatque Ma ipfa ,quibus ladi videtur, ad confervationem univerfipetinere , & ex his ejfe, quce curjum mundi officiumvonjummant.Les particuliers font divers, felon les diversefprits öc états de ceux qui les recoivent; car ilsexercent les bons, relevent & redreffent les tombés& dévoyés , puniffent les méchans. De chacunun mot; car il en a été traité ailleurs. Ces mauxexternes font aux bons un très-utile exercice &trés-belle école en laquelle (comme athletes &efcrimeurs, les mariniers enla tempête, les foldatsaux dangers, les philofophes en 1'académie& toutes autres fortes de gens en 1'exercice férieuxde leur profeffion) ils font inftruits , duits, faits& formés a la vertu, a la conftance & vaillancea la vicfoire du monde & de la fortune. Ils apprennenta fe connoitre: ils s'efTayent & voyentla mefure de leur valeur; la force & portée deleurs reins ; jufqu'oü ils doivent efpérer &promettre d'eux-mêmes , puis s'encouragentde&


L i v R x III. 147s'affermiffent a mieux , s'accoutument & s'endurciflenta tout, fe rendent réfolus , déterminés &invincibles , oii au contraire le long calme de laprofpérité lés relache , ramollit & appoltronit.Dont difoit Demetrius qu'il n'y avoit gens plusmiférables que ceux qui n'avoient jamais fentide traverfe Öc d'afflicf ion, appellant leur vie la me rmorte.Aux fautiers 6c délinquans, une bride pour les 2Médecine 8cretenir 5c empêcher qu'ils ne bronchent; ou une < chktiment.reprimande öc verge paternelle après leur chüte,pour les y faire penfer ÖC fouvenir, afin de n'yretourner plus. C'eft une faignée öc médecine oupréfervative, pour divertir öc détourner les fautesqu'elles n'arrivent, ou purgative, pour les nettoyer6c expier.Aire méchans Sc nprdns rmnitinn . iinp fancilleI r— ,pour les couper 6c enlever ou les atterrer , pourtrainer encore 6c languir miférablement. Or, voila.de très-falutaires 6c bien néceffaires effets quiméritent bien que non-feulement l'on neles eftimeplus maux, 6c qu'on les recoive doucement enpatience, 8c en bonne part, comme exploitsdela juftice divine; mais que l'on lesembrafle commegages 6c inftrumens du foin , de 1'amour 6c providencede Dieu, 6c que l'on en faffe fon profitfuivant 1'intention de celui qui les envoye 6cdépartit, comme il lui plaït.QivSupplice.


24^ DE LA S A G E S S E,A V E R T I S S E M E N T .Des maux externts en eux-mêmes & particuliérement.Au 1. LÏT.T ous ces maux qui font plufieurs 6c divers,lont privatifs de biens , comme aulTi porte lenom 6c le naturel de mal. Autant donc qu'il ya de chefs de biens, autant y a-t-il de chefs demaux. L'on les peut réduire 6c comprendre aunombre de fept. Maladie, douleur, je mets cesdeux en un , captivité, banniffement, indigence,infamie, perte d'amis , mort, qui font privationde fanté , liberté , moyens , honneurs , amis ,vie, defquels a été parlé ci-deflus au long. Nouschercherons donc ici les antidores 5c remedespropres 6c particuliers contre ces fept chefs demaux, 6c briévement fans difcours.C H A P I T R E X X I I .De la maladie & douleur.I 1. c. 6.jN" OUS avons dit ci-deffus que la douleur eft Ieplus grand, & a vrai dire, le feul mal, le plusfacheux qui fe fait le plus fentir & oü y a moinsde remedes 8c d'avis. Toutefois en vojci quelque*


L I V R E HL 249uns qui regardent la raifon , la juftice , 1'utilité,1'imitation & reffemblance , grands & illuftres.C'eft une commune néceffité d'endurer, ce n'eftpas raifon de faire pour nous un miracle. II nefe faut pas facher s'il avient a quelqu'un ce quipeut avenir a chacun.C'eft chofe auffi naturelle; nous fommes nés 1.a cela, en vouloir être exempt, eft in juftice. IIfaut fouffrir doucement les loix de notre condition.Nous fommes pour vieillir , affoiblir ,douloir , être malades : il faut apprendre a fouffrirce que l'on ne peut éviter.Si elle eft longue , elle eft légere & modérée:c'eft honte de s'en plaindre; fi elle eft violente,elle eft courte & met tot fin, ou a foi ou aupatiënt qui revient prefque tout k un. Confide,fummus non habet tempus dolor. Si gravis , brevis;fit bongus, bevis.Et puis c'eft le corps qui endure, ce n'eft pasnous qui'fommes offensés. Ou 1'offenfe diminuede 1'excellence & perfettion de la chofe; & lamaladie ou douleur tant s'en faut qu'elle diminue,qu'au rebours elle fert de fujet & d'occafion 2une patience louable, plus beaucoup que fanté.Et ou il y a plus d'occafion de louange , il n'y; a pas moins de bien. Si le corps eft inftrumentde 1'efprit, qui fe plaindra quand Tinftrument: s'ufera en fervant celui a qui il eft deftiné ? Lecorps eft fait pour fervir k l'efprit. Si 1'efprit


6.DE LA S A G E S S E,s'affligeoit pour ce qui arrivé au corps , 1'efpritferviroit au corps. Celui-la ne feroit-il pas tropdélicat qui crieroit & hueroit, pource que l'onlui auroit gaté fa robe ? que quelque épine la luiauroit accrochée? quelqu'un paffant la lui auroitdéchirée ? Un vil frippier peut-être s'en plaindroit,qui en voudroit fon profit. Mais un grand &riche s'en riroit, & n'en feroit compte, comparantcette perte au refte des biens qu'il a. Or,ce corps n'eft qu'une robe empruntée pour faireparoitre notre efprit fur ce bas & tumultuairethéatre, duquel feul devons faire cas , & procurerfon honneur & fon repos. Et d'oü vient que l'onfouffre avec tant d'impatience la douleur ? C'eftque l'on n'eft pas accoutumé de chercher foncontentement en 1'ame , non afiueverunt animocjje contenti, nimium illis cum corpore fuit. La trop de commerce avec le corps. II femble quela douleur s'en orgueilliffe nous voyant tremblerfous elle.Elle nous apprend a nous dégoüter de ce qu'ilnous faut laiffer, & a nous déprendre de la piperiede ce monde, fervice très-notable.La joie & le plaifir de la fanté recouvrée, aprèsque la douleur aura fait fon cours , ce fera commeune lumiere belle & claire, tellement qu'il fembleque nature nous ait prêté la douleur, pour 1'honneur& fervice de la volupté & de 1'indolence.


L l V K ü I l LijtOr , fus donc, fi la douleur eft médiocre , la 7*patience fera facile; fi elle eft grande , la gloirele fera auffi; fi elle femble trop dure , accufonsnotre molleffe 8c lacheté : fi peu y en a qui lapuiffent fouffrir, foyons de ce peu. N'accufonsnature de nous avoir fait trop foibles; car il n'eneft rien ; mais nous fommes trop délicats. Si nousla fuyons , elle nous fuivra; fi nous nous rendonsk elle lachement Sc nous laiffons vaincre , nousn'en ferons traités que plus rudement , 8cle reproche nous en detneurera. Elle nous veutfaire peur, tenons bon, 5c qu'elle nous trouveplus réfolus qu'elle ne penfe. Notre tendreur luiapporte cette aigreur 5c dureté ,Jlare f denter, nonqu'ia diffic'dia non audemus, fed quia non audemus,difficilia funt.Mais afin que l'on ne penfe pas que ce foientt.Exemples.de beaux mots de théoriqne , mais que la pratiqueen eft impoffible, nous avons les exemples tantfréquens 8c tantriches non-feulement d'hommes,mais de femmes 8c enfans, qui non-feulementont foutenu de longues 8c douloureufes maladiesavec tant de conftance, que la douleur leur aplutöt emporté la vie que le courage ; mais quiont attendu, ont fupporté avec gaieté, voire ontcberché les grandes douleurs 8c les exquistourmens. En Lacédémone lesjeunes enfans s'entre*fouettoient vivement quelquefois jufqu'a la mort,fans montrer en leur vifage aucun reffentiment


*5* D E L A S. A G t iSE ',de douleur pour s'accoutumer a endurer pourlepays. Le page d'Alexandre fe laiffa brüler d'uncharbon fans faire frime aucune ni contenance defe plaindrepour ne troubler le facrifïce: & ungarcon de Lacédémone fe laiffa ronger le ventrea un renard, plutöt que de découvrir fon larcin.Pompée furpris par Ie Roi Gentius qui vouloitie contraindre de décélerles affaires publiques deRome, pour montrer qu'aucun tourment ne luiferoit dire, il mit lui-même le doigt au feu, &le laiffa brüler jufqu'a ce que Gentius même 1'enretira: pareil cas avoit auparavant fait Mutiusdevant un autre Roi Porfenna , & plus que tousa enduré le bon vieil Regulus des Carthaginois.Mais fur tous eft Anaxarque , qui demi brifé dansles mortiers du tyran, ne voulut jamais confefferque fon efprit fut touché de tourment; pilez,broyez tout votre faoul le fac d'Anaxarque,car quant a lui vous ne le fcauriez bleffer.CHAPITREXXIII.De la Captlvité ou Prifon.C ETTE afflicTion n'eft plus rien, & eft tropaifée a vaincre après ce qui a été dit de la maladie& de la douleur. Car ceux-ci ne font prefquepoint fans quelque captivité aulit, en la maifon


L r i R E in. 151»cn la gêne, & enchérilTent beaucoup au-deffusd'icelle; toutefois deux ou trois mots d'elle. IIn'y a que le corps, la manche, la prifbn de 1'amequi eftcaptive; 1'efprit demeure toujours libre &a foi en dépit de tous , comment fcait-il & peut-ilfentir qu'il eft en prifon, puifqii'aufli librement& encore plus, il peut s'égayer & promener oiiil voudra ? Les murs & la clöture de la prifoneft bien trop lom de lui pour le pouvoir enfermer.Le corps qui lui touche & lui eft conjoint,ne le peut tenir ni arrêter. Celui qui fcait femaintenir en fa liberté & ufer de fon droit, quieft de n'être pas enfermé même dedans ce monde,fe moquera de ces chétives barrières. ChrijlianusTertul.etiam extra carcerem fceculo renuntiavit; in carcereetiam carceri: nihil interejl ubi fitis in fceculo , quiextra fizculum ejlis, auferamus carceris nomen ; fecefumvoctmus , & fi corpus includitur , caro detinetur,omnia fpirituipatent, iotum hominem animuscircumfert: & quo vult transfers.La prifon a recu bénignement en fon fein plufieursgrands & faints perfonnages; a été 1'afyle& le port de falut, & la forterefTe a plufieursqui fe fuffent perdus en liberté , voire qui ont eurecours a elle pour être en liberté, ont choifie& époufée pour vivre en repos & fe délivrerdn monde è carcere in cuflodiarium tranflati. Ce quieft clos &fermé fous la clefeft bien mieux gardé.II vaut mieux être enfermé fous la clef qu'être


Tertul.1J4 D £ LA S A G £ S S £,contraint 8c ferfé de par tant de lacs & de cepsjdivers, dont le monde eft plein : les placespubliques, les palais, les cours des grands quejles tracas 8c tumulte des affaires apporte, lesfprocés, lesenvies, malices, humeurs épineufes& violentes. Si recogitemus , ipfum magis muncarctrtm effe, exijfe nos è carcere quam in carintroijfe intelligemus , majores tenebras habetmqua hominum prtzcordia exccecant, graviores cinduit, qua ipfas animas conftringunt, pejores imunditias expirant libidines hominum ,plurespoJreos continet univerfum genus hominum. Plufiefont fauvés de la main de leurs ennemis, deigrands dangers & miferes par le bénéfice de (alprifon. Aucuns y ont compofé de livres, s'y fontfaits fcavans & meilleurs. Plus in carcert fpiritusacquirit quam caro amittit.. Plufieurs que la priaprès avoir gardé & préfervé un temps, a vomijj& envoyé aux fouveraines tk premières dignitésJd'autres elle a exhalé au Ciel, 6c n'en a re§ujaucun qu'elle n'ait rendu.


L t r R EIII.M5EC H A P I T R E X X I V .Du Bannijfemenc & Exil.XIL eft un changement de lieu qui n'apporteaucun mal linon par opinion ; Sc eft une plainteSc une affliction purement imaginaire: car felonraifon il n'y a aucun mal: par-tout, tout eft demême: ce qui eft compris en deux mots, natureSc vertu.Par-tout fe trouve la même nature commune,même Ciel, mêmes élémens. Par-tout le ciel &les étoiles nous paroiffent en même grandeur,étendue, Sc c'eft cela qui eft principalement a confidérer,Sc non ce qui eft delfous & foulons aux"pieds. Aufti ne pouvons-nous voir de terre quedix ou douze lieues d'une vue. Anguftus animusquem ttrrena deleSane. Mais la face de ce grandciel azuré, paré Sc contrepointé de tant de beaux& reluifans diamans , fe montre toujours a nous&afïn que le puiffions tout voir, il tourne continuellementautour de nous. II fe montre tout ktous en tous endroits, en un jour, en une nuit.La terre qui avec les mers & tout ce qu'elleembraffe, n'eft pas la cent foixantieme partie dela grandeur du Soleil, ne fe montre a nous qu'a1'endroit oh nous 1'habitons ; mais encore cechangement du plancher de delfous n'eftrien.2.Nature.


Ye?tu.156 DE LA SAGESSEjQu'importe être né en un lieu & vivre en un autre ? :Notre mere fe pouvoit accoucher ailleurs; c'eftr encontre que nous naiftions ga ou la. Davantage jtoute terre porte, produit &c nourrit des hommes;fournit tout ce qui eft néceffaire. Toute terre Iporte des parens: la nature nous a tous conjoints )de fang & de charité. Toute terre porte des Iamis ; il n'y a qu'a en faire , & fe les concilierpar vertu & fageffe. Toute terre eft pays a 1'homme |fage, ou plutöt nulle terre ne lui eft pays. C'eft jfe faire tort, c'eft foibleffe & baffeffe de cceur itde fe porter ou penfer étranger en quelque lieu. |II faut ufer de fon droit, & par-tout vivre comme jichez foi & fur le fien, omnes terras tanquam fuavidere , & fuas : tanquam omnium.Et puis quel changement ou incommodité nousapporte la diverfité de lieu? Neportons-nous pastoujours notre même efprit & vertus ? Qui peutempêcher, difoit Brutus, que le banni n'emporteavec foi fes vertus ? L'efprit ni la vertu n'eft pointfujet ou enfermé en aucun lieu , eft par - toutégalement & indifféremment; 1'honriête hommeeft citoyen du monde, libre , franc, joyeux &content par-tout, toujours chez foi, en fon quarré,toujours même, encore que fon étui fe remue& tracaffe : animus facer & ceternus ubique eJDiis cognatus, omni mundo & cevo par. C'eft êtchez foi &en fon pays par-tout ou l'on fe trouvebien, ne dépend point du lieu, mjis de foi-même.Combien


L ï V R E 111. *57Combien de gens fe font bannis volontairementpour diverfes confidérations ? Combien d'autres,qui s'étant bannis par la violence d'autrui, puis.après rappellés , n'ont point voulu retourner, tkont eu leur exil non-feulement tolérable , maisdoux tk voluptueux; & n'ont penfé avoir vêciique le temps qu'ils ont été bannis , comme cesgénéreuxRomains Rutilius, Marcellus? Combiend'autres ont été tirés par la main de la fortunehors leur pays , pour être grands & puilfansen terre étrangere ?4.Exemple,C H A P I T R Ê X X V .De la Pauvreté , Indigence, Perte de biens.C ETTE plainte eft du vulgaire fot tk miférable,qui met aux biens de la fortune fon fouverainbien, & penfe que la pauvreté eft un très-grandmal. Mais pour montrer ce qui en eft , dilette& défaut des chofes néceffaires tk requifes k nature, celle-ci n'arrive prefque jamais , étantnature fi équitable, & nous ayant formé de cettefacon, que peu de chofes nous font néceffaires,&icelles fe trouvent par-tout, ne manquent point,parabile e/l quod natura dejiderat, & expojitum,ni encore guere celles qui font a fuffifance tkregardent Pufage modéré tk la condition d'unII. Partie.KtPauvretddoublé, i.Dilette deschofes nécefiaites.


Proverb.10.Louange dela fuffifance.I


L I V R E III. 259fommes , & en avons befoin. Plus riche, c'eftun royaume, une ample feigneurie. Magnce di-I. Timot. i.vitice lege natum compofita paupertas , magnusqwzflus pietas cum fufficientia. Plus paifible & affuréeelle ne craint rien , fe peut défendrefoi-mêmecontre tous fes ennemis: etiam in obftjj'a via paupertaspax ejl. Un petit corps qui fe peut recueilir& couvrir fous un bouclier, va bien plus sürementque ne fait un bien grand , qui eft découvert &Copportun aux coups. Elle n'eft fujette a recevoirde grands dommages , ni charges degrandstravaux. Dont ceux qui font en eet état, fonttoujours plus gais & joyeux; car ils n'ont pastant de fouci & craignent moins la tempête. Cettetelle pauvreté eft délivrée, gaie , affurée, nousrend vraiment maitres de nos vies, dont les affaires,les querelles, les procés qui accompagnent néceffairementles richeffes, emportent la meilleurepartie. Hé quels biens font ce-la, d'oii nous viennenttant de maux ? Qui nous rend efclaves, qui nous faitendurer des injures, qui trouble le repos de 1'efprit,qui apporte tant de jaloufies , foupcons, craintes,frayeurs, defirs ? Qui fe fache de la perte defes biens , eft bien miférable; car il perd & lesbiens & 1'efprit tout enfemble. La vie des pauvreseft femblable a ceux qui navigent terre a terre;celle des riches a ceux qui fe jettent en pleinemer. Ceux-ci ne peuvent prendre terre, quelqueenvie qu'ils en ayent: il faut attendre le vent &cRij


l6o DE LA $ A G E S S E;ia marée: ceux-la viennent a bord quand ils veulenr.'Finalement il fe faut repréfenter tant de grands& généreux perfonnages, qui fe font ri de tellespertes, voire l'ont pris a leur avantage, & ontremercié Dieu, comme Zenon, après fon naufrage, les Fabrices, les Serrans, les Curies. Cedoit bien être quelque chofe d'excellent & divin,que la pauvreté, puifqu'elle convient aux Dieuximaginés nuds, puifque les fages Font embraffée,au moins Font fouffert avec grand contentement.Et pour achever en unmot, entre perfonnes nonpaffionnées elle eft louable, mais entre quels quece foit, elle eft fupportable.C H A P I T R E X X V I .De Vlnfamie.C ETTE afflicTion eft de plufieurs fortes. Si c'eftprivation ou perte d'honneurs tk dignités , c'eftun grand gain; les dignités ne font qu'honorablesfervitudes, par lefquelles Fon fe privé de foimêmepour fe donner au public. Les honneursne font que flambeaux , d'envie, jaloufie, tkenfin exil & pauvreté. Qu'on repaffe par la mémoire1'hifloire de toute 1'antiquité , l'on trouveraque tous ceux qui ont vêcu & fe fontcomporté dignement & vertueufement, ont achevé


L T V R E 111.S.6I4eur courfe, ou par poifon , ou par autre mortviolente ; témoin entre les Grecs , Ariftides ,Thémiftocles , Phocion , Socrates. A Rome,Camille , Scipion , Ciceron , Papinian : entreles Hébreux, les Prophetes; tellement que c'eftla livrée des plus honnêtes hommes , c'eft larécompenfe ordinaire du public a telles gens. Sipour un mauvais bruit commun & opinion populaire, tout galant homme doit méprifer cela, &cn'en faire mife ni recette , celui fe dégrade &déclare n'avoir aucunement profité en 1'étude de^ageffe, qui fait cas & fe foucie des jugemens,bruits & paroles du peuple, foit en bien ou enmal.C H A P I T R E X X V I I .De la Perte tfAm'is.J E comprends ici parens, enfans & toutes cheresperfonnes. Premiérement faut fcavoir fur quoieft fondée cette plainte ou afflidtion prétendue,fur leur intérêt ou fur le notre, Sur le leur; je medoute que nous dirons oui; mais il ne nous en fautpas croire. C'eft une ambition feinte de piété,par laquelle nous faifons mine de plaindre & nousdouloir du mal d'autrui , du dommage public,mais fi nous tirons le rideau, & fondons bienau vif, fe trouvera que c'eft le notre particulier


l6l DE LA S A G £ S S £,z.3>qui y eft enveloppé , qui nous touche. Nousplaignons notre chandelle qui s'y brüle & s'yconfomme , ou eft en danger. C'eft plutöt uneefpece d'envie que vraie piété, car ce que nouslamentons tant fous le mot de perte de nos amis,de leur abfence & éloignement de nous, c'eftleur vrai & trés-grand bien; mcerere hoe eventuminvidi magis quam amlci ejl. Le vrai ufage de lamort c'eft mettre fin aux miferes. Si Dieu eütfait notre vie plus heureufe, il 1'eüt faite pluslongue.C'eft donc a vrai dire fur notre intérêt qu'eftfondée cette plainte, cette amiction. Or, celaeft déja méféant; c'eft efpece d'injure d'avoirregret au repos de ceux qui nous aiment, pourceque nous en fommes incommodés ,fub incommodisangïnon amicum ,Jed Jeipfum amantis ejl.Après il y a k cela un très-bon remede quela fortune ne nous peut öter, c'eft que furvivansa nos amis, nous avons moyen d'en faire d'autres:l'amitié eft un des plus grands biens de la vie,auffi eft-il des plus aifés k acquérir. Dieu fait leshommes, & les hommes font les amis. A qui lavertu ne manque point, les amis ne manquerontjamais: c'eft 1'inftrument avec lequel on les fait,& avec lequel, quand on a perdu les anciens,on en refait de nouveaux. La fortune nous a-t-elleöté nos amis, faifons-en de nouveaux; par ce moyennous ne les aurons pas perdus, mais multipliés.


LIVRE 111. 163DE L A MORT.I L en a été tant au long & en tous fens parléen 1'onzieme &C pénultieme chapitre du fecondlivre , qu'il ne me refte plus rien a dire ici, dontje renvoyeda.SECONDE PARTIE DES MAUXINTERNES, PASS 10NS FASCHEUSES.P R É F A C E .DE tous ces maux fufdits naiffent & fourdenten nous diverfes pajjions & affeclions cruelles ; ca rétant iceux pris & conjidérés tout fimpltment commetels , naiffent crainte qui apprèhende les maux encorea venir, trijleffe qui les regarde prèjens, & s'ils fonten autrui c ejl compajfon & miféricorde. Etant conjidéréscomme venans &procurés par le fait d'autrui,naiffent les paffions de colere, haine envie, j'aloujie,dépit, vengeance & toutes celles qui nous font regarderde mouvais ozil ceux qui nous caufent dudéplaifir. Or, cette vertu de force & de vaillanceconfife a réglement & felon raifon recevoir tousces maux, s'y porter courageufement, & en cefaifantfe tenir & garder net & libre de toutes cespajjions^R iv


264 DE LA S A G E S S E ,qui en viennent, Mais pource qu elles ne fubfiflenque par ces maux, Ji par le moyen & fecours detant d'avis & remedes ci-deffus apportés, Ion peuvaincre & méprifer tous ces maux, il ny rejleraplus aucun lieu aces pajjions. Et cejl le vrai moyena"en venir a bout & s'en garantir, ainfi que cejllemeilleur pour éteindre le feu, que fouftraire le bois,qui ejl fon aliment. Toutefois nous ne laifferonsd'apporter encore avis paniculiers contre toutes cpajions, bien qu'elles ayent été tellement dèpeinteI, c, 2 27ci-deffus , quil ejl très-facile de les avoir en horreur& fuivans.& en haine.C H A P I T R E X X V I I I .Contre la Crainte.PRENONS loifir d'attendre les maux, peut-êtrequils ne viendrontpas jufqu'a nous, nos craintesfont auffi fujettes a fe tromper que nos efpérances.Peut-être que le temps que nous penfons devoirapporterdel'afflicTion, amenera de la confolation.Combien peut-il furvenir de rencontres qui parerontau coup que nous craignons ? Le foudrefe détournera avec le vent d'un chapeau, & lesfortunes des grands états avec un petit moment.Un tour de roue met en haut ce qui étoit en bas,& bien fouvent d'oii nous attendons notre ruine,


L I V R E HL 2.65nous recevons notre falut. II n'y a rien fi fujeta être trompé que la prudence humaine. Cequ'elle efpere lui manque, ce qu'elle craint s ecoule,ce qu'elle n'attend point lui arrivé. Dieu tientfon confeil apart; ce que les hommes ont délibéréd'une facon, il le réfout d'une autre. Ne nousrendons point malheureux devant le temps, Scpeut-être ne le ferons-nous point du tout. L'avenirqui trompe tant de gens , nous trompera auffitöten nos craintes qu'en nos efpérances. C'eft: unemaxime fort célebre en la médecine, qu'ès maladiesaigues les prédicTions ne font jamais certaines: ainfi eft-il aux plus furieufes menaces dela fortune; tant qu'il y a vie, il y a efpérance;1'elpérance demeure aufli long-temps au corpsque 1'efprit, quandiu fpiro , Jpero.Mais pource que cette crainte ne vient pastoujours de la difpofition de nature, mais fouventde la trop délicate nourriture ( car pour n'avoirété de jeunefTe nourri a la peine 6c au travail,nons appréhendons des chofes fouvent fans raifon )il faut de longue main nous accoutumer h cequi nous peut plus épouvanter, nous repréfenterles dangers les plus effroyables, oii nous pouvonstomber, 6c de gaité de cceur tenter quelquefoisles hafards, pour y eflayer notre courage , dévaneerfes mauvaifes aventures, 6c faifir les armesde la fortune. II nous eft: bien plus aifé de luiréfifter quand nous 1'aflaillons, que quand nous2;


3.66 DE LA S A G E S S E ,nous défendons d'elle. Nous avons lors loifir denous armer, nous prenons nos avantages, nouspourvoyons a la retraite; ou quand elle nousaffaut, elle nous furprend & nous choifit commeelle veut. II faut donc qu'en 1'affaillant nousapprenions k nous défendre , que fouvent nousnous donnions de fauffes alarmes , nous nouspropofions les dangers qu'ont paffe les grandsperfonnages; que nous nous fouvenions commeles uns ontévité les plus grands pour ne s'en êtrepoint étonnés, les autres fe font perdus ès moindrespour ne s'y être pas bien réfolus.C H A P I T R E X X I X .Contre ia Trijleffe.L ES remedes contre la tritteffe ( décrite ci-deffuspour la plus facheufe , dédommageable & injuftepaffion ) font doublés : les uns font obliques.J'appelle les droits ceux que la philofophie enfeigne, & qui confifient a regarder ferme &affronter les maux & les dédaigner, ne les eftimantpoint maux, ou fi petits & légers ( encorequ'ils foient grands & preffans) qu'ils ne fontdignes que notre efprit s'en émouve & s'en altere; & que s'en plaindre & contrifter c'eft unechofe injufte & méféante, ainfi parient les Stoïciens,


L I V R E HL 2.67Péripatéticiens & Platoniciens. Cette maniere defe préferver de trifteffe & de toute paffion douloureufeeft très-belle & très-excellente , maisauffi très-rare des efprits de la première claffe. IIy en a une autre auffi philofophique , encorequ'elle ne foit de fi bonne & fainte familie , quieft bien facile & bien plus en ufage , & eft oblique,c'eft par diverfion & détournement de fon efprit& fa penfée a chofe plaifante & douce, au moinsautre que celle qui nous amene la trifteffe ; c'eftgauchir , décliner & rufer au mal; c'eft changerd'óbjet. C'eft un remede fort fréquent & quis'ufite prefqu'en tous maux, fi l'on y veut prendregarde tant du corps que de 1'efprit. Les medecinsqui ne peuvent purger le catarrhe, le détournent,& dévoyent en autre partie moins dangereufe,k qui il faut appliquer la lancette , le cautere, lefer ou le feu. Ceux qui patiënt les précipices,ferment les yeux , détournent la vue ailleurs. Lesvaillans en guerre ne goütent & ne confidérentaucunement la mort ; 1'ardeur du combat lesemporte. Tant qui ont fouffert la mort doucement, voire qui fe la font procurée & donnée,ou pour la gloire de leur nom, comme plufieursGrecs & Romains, ou pour 1'efpérance d'unemeilleure vie, comme les martyrs , les difciplesd'Hegefias , & autres après la leéture de 1'Axioquede Platon: ou pour fuir les maux de cette vie,ou pour autres raifons. Tout cela n'eft-ce pas


't68 DE LA S A G E S S E;diverfion ? Peu y en a qui confiderent les mail*en eux-mêmes, qui les goütent & accointentcomme fit Socrates, la mort, & Flavius condamnépar Néron a. mourir par la main de Niger.Parquoi aux finiftres accidens & méfaventures,& k tous maux externes il faut détourner fonefprit k d'autres penfées. Le vulgaire fcait biendire, n'y penfez pas. Ceux qui ont en chargeles affligés, doivent pour leur confolation prudemment& doucement fournir d'autres objetsè1'efprit affailli. Abducendus ejl animus ad aliaftudiafolicitudines,curas,negotia; locideniaue mutationtfcepe curandus ejl.C H A P I T R E X X X .Contre la CompaJJion &Mijéricorde.t.i.c.32.J t y a doublé miféricorde, 1'une forte , bonne& vertueufe, qui eft en Dieu & aux Saints , quieft par volonté & par erfet fecourir aux affligés&ns s'affliger foi-même, fans rien ravaler de lajuftice & dignité; 1'autre eft une fotte & fémininepitié paffionnée, qui vient de molleffe & foibleffed'ame, de laquelle a été parlé aux paffions cideffus.Contre icelle, la fageffe apprend de fecourir1'affligé, mais non pas de fléchir & compatiravec lui. Ainfi eft dit Dieu miféricordieux. Comme


L 1 V R £ III.ityle médecin a fon patiënt, 1'avocat k fa partieapportent toute diligence Sc induftrie , mais nefe donnent au cceur de leurs maux Sc affaires :ainfi le fage fait fans accepter la douleur, &noircir fon efprit de fa fumée. Dieu commanded'avoir foin Sc aider aux pauvres, prendre leurcaufe en main, ailleurs il défend d'avoir pitié dupauvre en jugement.C H A P I T R E X X X I .Contre la Colere.L ES remedes font plufieurs Sc divers, defquels1'efprit doit être avant la main armée Sc bienmunie , comme ceux qui craignent d'être affiégés,car après n'eft pas temps. Ils fe peuvent réduirea trois chefs, le premier eft de couper chemin&c fermer toutes les avenues k la colere. II eftbien plus aifé de la répouffer & lui fermer lepremier pas, qu'en étant faifi s'y porter bien ÖCréglément. II faut donc fe délivrer de toutes lescaufes Sc occafions de colere qui ont été cidevantdéduites en fa defcription, fcavoir; 1. foibleffe,molleffe. 2. Maladie d'efprit en endurciffantcontre tout ce qui peut avenir. 3. Délicateffetrop grande , amour de certaines chofes , s'accoutumanta la facilité Sc fimplicité, mere deLÏV. I. G. 29.paix


2 70 D £ L A S A G £ S S £,& repos. Ad omnia compofiti fimus, quce bonaparatiora, fint nobis meliora & gratiora, c'eft ladoctrine des fages. Cotys Roi ayant recu depréfent plufieurs très-beaux & riches vaiffeauxfragiles & aifés a caffer, les rompit tous pourn'être en danger de fe colérer , avenant qu'ilsfuffent caffés. Ce fut la défiance de foi, lacheté& crainte, qui le poufla a cela. II eüt bien mieuxfait, fi fans les rompre il fe füt réfolu de ne fecourroucer, pourquoi il en fut avenu. 4. Curiofité,a 1'exemple de Cefar, qui viétorieux, ayant recouvréles lettres, écrits, mémoires de fes ennemis,les brüla tous fans les vouloir voir. 5. Légeretéa croire. 6. Et fur-tout 1'opinion d'être méprifé ÖCinjurié par autrui, laquelle il faut chafier commeindigne homme de cceur; car combien qu'ellefemble être glorieufe & venir de trop d'eftimede foi ( vice grand cependant ) fi vient - ellede bafiefle & foiblefle , car celui qui s'eftimeméprifé de quelqu'un, eft en quelque fens moindreque lui , fe juge ou craint de 1'être en véritéou par réputation, & fe défie de foi. Nemo noneo , a. quo fe contemptum judicat, minor efi. II faudonc penfer que c'eft plutöt toute autre chofeque mépris , c'eft fottife , indifcrétion , néceflité& défaut d'autrui. Si le mépris prétendu vientdes amis , c'eft une familiarité. Si de nos fujets,fcachant que l'on a puiffance de les chatier &faire repentir, il n'eft k croire qu'ils y ayent


L I V R E III. 171penfé. Si de viles 8c petites gens, notre honneurou dignité tk indignité n'eft pas en la main detelles gens : indignusCefaris ira. Agatocles tkAntigonus fe rioient de ceux qui les injurioient,8c ne leur firent mal les tenant en leur puiffance.Cefar a été excellent par-defliis tous en cette part,mais Moyfe , David 8c tous les grands en ontfait ainfi, magnam fortunam magnus animus decet.La plus glorieufe eft vief oire d'être maitre de foi,ne s'émouvoir pour autrui. S'en émouvoir , c'eftfe confeffer atteint; convitia , fi irafcare , agnitavidentur, Jpreta exoUfcunt. Celui ne peut êtregrand qui plie fous l'offenfe d'autrui; fi nous nevainquons ;la colere, elle nous vaincra, injuriasoffenfiones fupernè defpicere.Le fecond chef eft de ceux qu'il faut employerlors que les occafions de colere fe préfentent, 8cqu'il femble qu'elle veut naïtre en nous, qui font,1. arrêter 8c tenir fon corps en paix 8c repos,fans mouvemens 8c agitation; laquelle échauffele fang tk les humeurs, 8c fe tenir en lilence tkfolitude. z. Dilation k croire 8c prendre réfblution,donner loifir au jugement de confidérer. Si nouspouvons une fois difcourir , nous arrêteronsaifément le cours de cette fïevre. Un fage confeilloitk Augufte étant en colere de ne s'émouvoirque premiérement il n'eüt dit 8c prononcé leslettres de 1'alphabet. Tout ce que nous difons tkfailons en la chaude colere, ne doit être fujet,2.2. Chef.


ZJZ DE LA S A G E S S E ,pource faut-il faire alte. Nihil tibi liceatdum ira/cerisQuare ? Quia vis omnia licere. Nous nous devonscraindre Sc douter de nous-mêmes; car tant quenous fommes émus, nous ne pouvons rien fairea propos: la raifon lors empêtrée des paffionsne nous fert non plus que les ailes aux oifeauxenglués par les pieds. Parquoi il faut recourir anos amis, Sc mürir nos coleres entre leurs difcours.4. Auffi la diverfion Sc toute chofe plaifantea la mufique.Le troifieme chef eft aux belles confidérations,3. Chefs.defquelles doit être abreuvé Sc teint notre efpritde longue main. Premiérement des actions &mouvemens de ceux qui font en colere, qui nousdoivent faire horreur tant elles font méféantes;c'eft 1'expédient que donnent les fages pour nousen détourner, confeillant de feregarder au miroir.Secondement & au contraire de la beauté, qui eftde la modération, fongeons combien la douceurSc la clémence ont de grace, comme elles fontagréables aux autres , Sc utiles a nous-mêmes;c'efl: 1'aimant qui tire a nous le cceur & la volontédes hommes. Ceci eft principalement requisen ceux que la fortune a colloqué en haut degréd'honneur , qui doivent avoir les mouvemensplus remis Sc tempérés. Car comme leurs aétionsfont plus d'importance, auffi leurs fautes font plusdifficiles k réparer. Finalement y a 1'eftime Scl'amour que nous devons porter a ia fageffe quenous


L I V R E III. 273nous étudïons ici, laquelle fe montre principalementa fe retenir & fe commander , demeurerconftante &c invincible: il faut élever fon amede terre & la conduire a une difpofition femblablea cette plus haute partie de 1'air , qui n'eftjamais offufquée de nuées ni agitée de tonnerres ,mais en une férénité perpétuelle , ainfi notre amene doit être obfcurcie par la trifteffe, ni émuepar la colere, & fuir toute précipitation, imiterle plus haut des planettes qui va le plus lentementde tous.Or, tout ceci s'entend de la colere interne,couverte&qui dure jointe avec mauvaife affection,haine, defir de vengeance , qua in Jinu Jlulti requiefcit,ut qui reponunt odia ; quodque favce co~gitationis indicium ejl , jecreto juo jatiantur. Carcette externe & ouverte , eft courte, un feude paille, fans mauvaife affect ion qui eft pour fairereffentir k autrui fa faute, foit aux inférieurs parrepréhenfions & réprimandes ou autres, pourleur remontrer le tort & indifcrétion qu'ils ont,c'eft chofe utile, néceffaire & bien louable.Se coléYf-rII eft bon & utile pour foi & pour autrui de quand bon &iquelquefois fe courroucer, mais que ce foit avec utile pourfoi.modération & regie. II y en a qui retiennentleur colere au-dedans, afin qu'elle ne fe produife,& qu'ils apparoiffent fages & modérés; mais ilsrongent au-dedans & fe font un effort qui leurcotite plus que ne vaut tout. II vaudroit mieuxII. Partie.S


S74 D S LA S A G £ S S B,fe courroucer & éventer un peu ce feu au-dehors,afin qu'il ne fut fi ardent 8c ne donnat tant depeine au - dedans. On incorpore la colere en lacachant. II vaut mieux que fa pointe agiffeun peuau-dehors que la replier contre foi. Omnia vitiain aptrto leviora funt, & tune perniciofifjima cuJimulata fanitate fubjidunt.Auffi contre ceux qui n'entendent ou ne fePour autrui.lailfent guere mener par raifon, comme le genrede valets qui ne font que par crainte, faut quela colere y fupplée, vraie ou fimulée, fans laquellefouvent n'y auroit réglement en la familie. Maisque ce foit avec ces conditions ; 1. non fouvent8c a tous propos; i. ni pour chofes légeres. Carétant ordinaire viendroit a mépris, 8c n'auroitpoids ni effet. 3. Non en 1'air 8c a coup perdu,grondant 8c criaillant en abfence; mais qu'ellearrivé 6c frappe celui qui en eft caufe, 6c dequi l'on fe plaint. 4. Que ce foit vivement ,pertinemment 6c férieufement fans y mêlerrifée,afin que ce foit utile chatiment du pafte 8? provifiona 1'avenir. Bref il en faut ufer comme d'unemédecine. Tous ces remedes au long deduits fontauffi bons pour les fuivantes paffions.


L l T R B l I L 275C H A P I T R E X X X I I .Contre la Haine.POUR fe défendre contre la haine il faut tenirune regie qui eft vraie, que toutes chofes ontdeux anfes par lefquelles l'on les peut prendre ,par 1'une elle nous femble grieves & pefantes, par1'autre aifée 6c légere. Prenons donc les chofes parla bonne anfe, & nous trouverons qu'il y a debon a aimer en tout ce que nous accufons 6chaiifons. Car il n'y a rien au monde qui ne foitpour le bien de 1'homme. Et en ce qu'il nousoffenfe, nous avons plus de fujet de le plaindreque de le haïr; car il eft le premier offenfé & enrecoit le plus grand dommage, pource qu'il perden celal'ufage de la raifon, la plus grande pertequi puiffe être. Tournons donc en tel accident lahaine en pitié, & mettons peine de rendre dignesd'être aimés ceux que nous voudrons haïr, ainfique fit Lycurgue a celui qui lui avoit crevé 1'ceil,lequel il rendit pour peine de 1'injure un honnête,vertueux & modefte citoyen par fa bonne inftrucfion.S ij


Ij6 BS LA S A G E S S E,C H A P I T R E X X X I I I .Contre VEnvit.C ONTRE cette paffion confïdérons ce que nouseftimons bien Sc envions a autrui. Nous envionsès autres volontiers des richefles, des honneurs ,des faveurs. C'eft faute de fcavoir ce que leurcofite cela. Quinous diroit : vous en aurez autantamêmeprix, nous n'en voudrions pas. Pour lesavoir il faut flatter, endurer des afflictions , des injures,bref perdre fa liberté, complaire 8c s'accommoderaux voluptés 8c paffions d'autrui. L'on n'arien pour rien en ce monde. Penfer arriver auxbiens , honneurs, états , offices, autrement, 8cvouloir pervertir la loi , ou bien la coutumedu monde , c'eft vouloir avoir le drap 8c 1'argent-Pourquoi toi qui fais profeffion d'honneur 8cde vertu , te faches-tu fi tu n'as ces biens-la quine s'acquierent que par une honteufe patience?Ayez donc plutöt pitié des autres qu'envie. Sic'eft un vrai bien qui foit arrivé a autrui, nousnous devons réjouir, car nous devons defirerle bien les uns des autres ; fe plaire au biend'autrui, c'eft accroitre le fien.


L I V R E 1 IL 277C H A P I T R E X X X I V .Contre la Vengeance,C ONTRE cette cruelle paffion, il faut premiérementfe fouvenir qu'il n'y a rien de fi honorableque de fcavoir pardonner. Un chacun peut pourfuivrela raifon & la juftice du tort qu'il a recu ,mais donner grace & rémiffion , il n'appartientqu'au prince fouverain. Si donc tu veux être Roide toi-même & faire acte royal, pardonne librement& ufe de grace envers celui qui t'aoffenfé.Secondement, qu'il n'y a rien de fi grand Scvictorieux que la dureté & infenfibilité ccurageufeaux injures , par laquelle elles retournent& rejailliffent entieres aux injurians, comme lesroideaffenés aux chofes très-dures & folides , quine font autre chofe que blefTer & étourdir la main& lebras du frappeur; méditer vengeance eft feconfefferbleffé : fe plaindre , c'eft fe dire atteint& inférieur. Ultio doloris eonfejjio ejl : non ejlmagnus animus quem incurvat injuria : ingens animus1 & verus ejlimator fut non vindicat injuriam , quia.non fentit.L'on objedte qu'il eft dur, grief & honteux1 de fouffrir une offenfe; je 1'accorde Sc fuis d'avisS iij3'


• 5-Clén.ence.%7% DE LA S A G E S S E,de ne fouffrir, ains de vaincre & demeurer maitre ;mais d'une belle & honorable facon, en la dédaignant8c celui qui la fait, & encore plus enbien faifant. En tous les deux Cefar étoit excellent.C'eft une glorieufe vicfoire de vaincre 5c fairebouquer 1'ennemi par bienfaits, Sc d'ennemi lerendre ami. Et que la grandeur de 1'injure nenous retienne point. Au contraire eftimons queplus elle eft grande, plus elle eft digne d'êtrepardonnée , 6c que plus la vengeance en feroitjufte, plus la clémence eft louable.Et puis ce n'eft raifon d'être juge 5c partie,comme l'on veut Ia vengeance : il s'en faut remettreau tiers, il faut pour le moins en avoirconfeil de fes amis &r des fages , 6c ne s'encroire pas foi-même. Jupiter peut bien feuldarder les foudres favorables 6c de bonne augure;mais quand il eft queftion de lancer les nuifibles6c vengeurs, il ne le peut faire fans le confeil8c affiftance de douze Dieux. C'eft grand cas queIe plus grand des Dieux qui peut de lui-mêmebien faire k tout le monde, ne peut nuire aperfonne qu'après une folemnelle délibération.La fageffe de Jupiter craint même cle faillir quandil eft queftion de fe venger : il lui faut du confeilqui le retk'nne.II faut donc nous former une modérationd'efprit, c'eft la vertu de clémence, qui eft unedouceur 8c gracieufeté qui tempere, retient 5c


LIVRE IJL 179réprime tous les mouvemens. Elle nöus muniracle patience, nous perfuadera que nous ne pouvonsêtre offenfés que de nous-mêmes; que des injuresd'autrui, il n'en demeurera en nous que ce quenous en voudrons retenir. Elle nous concilieral'amitié de tout le monde , nous apportera unemodeftie tk bienféance agréable a tous.C H A P I T R E X X X V .Contre la Jaloufle.IJ E feul moyen de 1'éviter eft de fe rendre dignede ce que l'on defire. Car la jaloufie n'eft qu'unedéfiance de foi-même, tk un témoignage de notrepeu de mérite. L'Empereur Aurele, a qui Fauftinefa femme demandoit ce qu'il feroit fi fon ennemiCaffms gagnoit contre lui la bataille, dit: je nefers point fi mal les Dieux, qu'ils me veulentenvoyer une telle inrortune. Ainfi ceux qui ontpart en 1'affection d'autrui, s'il leur avient quelquecrainte de la perdre , difent, je n'honore pas fipeu fon amitié qu'il m'en vueille priver. La confiancede notre mérite eft un grand gage de lavolonté d'autrui.Qui pourfuit quelque chofe avec la vertu, eftaifé d'avoir un compagnon a la pourfuite ; car ilfert de reliëf tk d'éclat a fon mérite. L'imbécillitsS iv


aSo DE LA S A G E S S E ,3'feule craint la rencontre , pource qu'elle penfequ'étant comparéeavec un autre, fon imperfecTionparoïtra incontinent. Otez 1'émulation , vousótez la gloire & 1'éperon a. la vertu.Le confeil aux hommes contre cette maladie,quand elle leur vient de leurs femmes, c'eft quela plupart des grands ;& galans hommes fonttombés en ce malheur, fans qu'ils en ayent faitaucun bruit. Lucullus , Cefar, Pompée, Caton ,Augufte, Antonius & tant d'autres. Mais diras-tu,le monde le fcait & en parle ; & de qui neparle-t-on en ce lens du plus grand au plus petit ?On engage tous les jours tant d'honnêtes hommesen cereproche en ta préfence ; fi tuten remues,les dames mêmes s'en moqueront : la fréquencede eet accident doit meshui en avoir modéré1'aigreur. Au refte fois tel que l'on te plaigne ,que ta vertu étouffë ce malheur , afin queles gens de bien ne t'en eftiment rien moins,mais en maudilfent 1'occafion.Quant aux femmes il n'y a point de confeilcontre ce mal, leur nature eft toute,conüte enfoupcon, vanité, curiofité. II eft vrai qu'ellesmêmesfe guériffent aux dépens de leurs maris,verfant leur mal fur eux , & guériffent leur malpar un plus grand. Mais fi elles étoient capablesde confeil , l'on leur diroit de ne s'en foucier nifaire femblant de s'en appercevoir , qui eft unedouce médiocrité enrre cette folie jaloufie, &


L I V R E III. 281cette autre oppofite qui fe pratique aux Incles ,& autres nations oii les femmes travaillent d'acquérirdes amis & des femmes a leurs maris,cherchant fur-tout leur honneur (Or c'eft untémoignage de la vertu, valeur & réputation auxhommes en ces pays-la, d'avoir plufieurs femmes )& plaifir ; ainfi Livia a Augufte , Stratonique auRoi Dejotarus : ou bien multiplication de lignée ,comme Sara , Lia, Rachel a Abraham & Jacob.C H A P I T R E X X X V I I .De la Tempérance, quatrieme Vertu: de la Temperancetn général.TEMPERANCE fe prend doublement en terme 1.Temperancegencicu, puur une moaeration cx aouce attrempanceen toutes chofes/Et ainfi ce n'eft point unedoublé , générale.vertu fpéciale , mais générale & commune , c'eftun affaifonnement de toutes ; & perpétuellementrequife, principalement aux affaires oii y a de ladifpute & conteftation , aux troubles & divifions.Pour la garder il n'y a que de n'avoir pointd'intentions particulieres, mais fimplement s'entenir k fon devoir. Toutes intentions légitimesfont tempérées, la colere, la haine, font au-deladu devoir & de la juftice, & fervent feulementk ceux qui ne fe tiennent a leur devoir par laraifon fimple.


3-DeferiptionAv IJ Tempérance.l8a DE LA S A G E S S E ,Spécialement pour une bride tk regie auxchofes plaifantes, voluptueufes, qui chatouillentnosfens& nos appétits naturels. Nous la prendronsici plus au large pour la regie tk le devoir entoute profpérité , comme la force étoit la regieen toute adverfité , & fera la bride, comme laforce 1'éperon ; avec ces deux nous dompteronscette partie brutale , farouche tk revêche despaffions, qui eft en nous, tk nous nous porteronsbien & fagement en toute fortune & en tousaccidens, qui eft le haut point de fageffe.La tempérance a donc pour fon fujet tk objetgénéral toute profpérité , chofe plaifante & plau-fible, mais fpécialement & promptement la volupté,de laquelle eft retranchement & réglement,retranchement de la fuperflue, étrangere, vicieufe;réglement de la naturelle tk néceffaire. Voluptatïbusimperat, alias odit & abigit, alias difpenfatCV ad Janurn modum redigit: ntc unquam ad MasDropter Mas venit , feit optimum effe modum cpitorum, non quantum velis, Jed quantum debeasC'eft l'autorité & puiffance de la raifon fur lescupidités & violentes affecTions qui portent nosvolontés aux plaifirs & voluptés. C'eft le freinde notre ame & 1'inftrument propre a écumer lesbouillons qui s'élevent par la chaleur & intempérancedu fang, afin de contenir 1'ame une tk.égale a la raifon, afin qu'elle ne s'accommodepoint aux objets fenfibles; mais plutöt qu'elle les


L I V R E Hf. 283accommode & faffe fervir a foi. Par icelle nousfevrons notre ame du lait doux des délices dece monde, & la rendons capable d'une plus folide& fucculente nourriture. C'eft une regie laquelledoucement accommode toutes chofes a la nature,a. la néceflité , limplicité, facilité, fanté, fermeté.Ce font chofes qui vont volontiers enfemble, tkfont les mefures tk hornes de fageffe ; comme aurebours, l'art,le luxe & fuperfluité, la variété tkmultiplicité, la difficulté, la maladie tk délicateffefe font compagnie , fuivant 1'intempérance & lafolie , fimpiici cura conflant necejfaria , in deliciislaboratur. Ad parata nati fumus : nos omnia nobisdifpZcilia facilium fajlidio facimus.C H A P I T R E X X X V I I .De la Profpérité & avis fur icelle.L A profpérité qui nous arrivé doucement parle commun cours tk train ordinaire du monde ,ou par notre prudence & fage conduite, eft bienplus ferme tk affurée, & moins enviée que cellequi vient comme du ciel avec éclat, outre tkcontre 1'opinion de tous, tk 1'efpérance de celuiqui en eft étrenné.La profpérité eft très-dangereufe: tout ce qu'ily a de vain & léger en 1'ame , fe fouleve au


1%4 DE LA S A G E S S E,premier vent favorable. II n'y a chofe qui tantperde tk faffe oublier les hommes, que la grandeprofpérité, comme les bleds fe couchent par tropgrande abondance, tk les branches trop chargéesfe rompent, dont il elf bien requis comme en unpas glilfant de fe bien tenir tk garder, tk fur-toutde 1'infolence, de la fïerté tk préfomption. II yen a qui fe noyent a deux doigts d'eau, tk a lamoindre faveur de la fortune s'enflent, fe méconnoiffent, deviennent infupportables , qui eftla vraie peinture de folie.Deda il vient qu'il n'y a chofe plus caduquetk qui foit de moindre durée que la profpéritémal confeillée, laquelle ordinairement change leschofes grandes tk joyeufes entrifles & calamiteufes,Sela fortune d'amoureufe merefe change en cruellemaratre.Or , le meilleur avis pour s'y bien porter, eftde n'eftimer guere toute fortes de profpérité tkbonnes fortunes, tk par ainfi ne la defirer aucunement;fi elles arrivent de leur bonne grace,les recevoir tout doucement & allégrement, maiscomme chofes étrangeres nullement néceffaires,defquelles l'on fe fut bien palfé , dont il ne fautfaire mife ni recette , ne s'en haulfer ni baitfer.Non ejl tuum , fortuna quod facit tuum. Quitutamvitam agere volet, ifta vifcata beneficia devitet, nildignum putart quod fperes. Quid dignum habeifortuna, quod concupifcas.


L i r M. M III. 285C H A P I T R E X X X V I I I .De la Volupté & avis fur icelle"VOLUPTÉ eft une perception& fentiment dece r.Defcriptionqui eft convenable a nature , c'eft un mouvement & diftinftionde volupté.;& chatouillement plaifant; comme a 1'oppoiitela douleur eft un fentiment trifte & déplaifant ,toutefois ceux qui la méritent au plus haut , &en font le fouverain bien, comme les Epicuriens,nelaprennent pas ainfi, mais pour uneprivationde mal & de plaifir, en un mot, indolence. Seloneux le n'avoir point de mal, eft le plus heureuxbien-être que 1'homme puilfe efpérer ici. Nimiumboni eft, cui nihil mali. Ceci eft comme un milieuou neutralité entre la volupté prife au fens premier& commun: &la douleur, c'eft comme jadis Iefein d'Abraham entre le Paradis & 1'Enfer desdamnés. C'eft un état & une aflïette douce Ó£paifible, une égale , conftante & arrêtée voluptéqui reffemble aucunement 1'euthymie & tranquillitéd'efprit, eftimée le fouverain bien par les philofophes; 1'autre première forte de volupté eftaftive, agente & mouvante. Et ainfi y auroittrois états, les deux externes oppofites douleur& volupté qui ne font ftables & durables, &toutes deux maladives. Et celui du milieu ftable,


2.•ontre elle.286 DE LA S A G £ S S E,ferme , fain , auquel les Epicuriens ont vouludonner le nom de volupté ( comme ce 1'eft auffi euégard a la douleur ) Ia volupté faifant le fouverainbien. C'eft ce qui a tant décrié leur école, commeSeneque a ingenuement reconnu & dit; leur malétoit au titre tk aux mots non en la fubftance,n'y ayant jamais eu de doftrine ni vie plus fobre,modérée tk ennemie des débauches & des vicesque la leur. Et n'eft pas encore du tout fans quelqueraifon qu'ils ont appellé cette indolence & étatpaifible, volupté; car ce chatouillement qui femblenous élever au-deffus de 1'indolence, ne vife qua1'indolence comme a fon but; comme par exemple1'appetit qui nous ravit a 1'accointance des femmes,ne cherche qu'a fuir la peine que nous apportele defir ardent & furieux a 1'affouvir: nous exempterde cette fievre tk nous mettre en repos.L'on a parlé fort diverfement, trop court tk.détrouffiément de la volupté, les uns l'ont déifiéeles autres l'ont déteftée comme un monftre, tkau feul mot ils trémouffent ne le prenant qu'aucnminel. Ceux qui la condamnent tout a plat,difent que c'eft chofe , i. courte tk brieve , feude paille, même fi elle eft vive tk aftive, 2.frêle& tendre, aifémsnt & pour peu corrempue tkemportée, une once de douleur gatera une merdeplaifir ; cela s'appelle 1 artillerie enclouée.3. Humble, baffe , honteufe , s'exercant par vilsoutils en lieux cachés tk honteux, au moins pour


L i r * x Ui. 2.87la plupart, car il y a des voluptés pompeufes tkmagnifiques. 4. Sujette bientöt a fatiété. L'hommene fcauroit demeurer long-temps en la volupté:il en eft impatient, dur , robufte autrement a ladouleur , comme a été dit, fuivie le plus fouventdu repentir; produifant de très-pernicieux effets,ruine des perfonnes, families , république , tkfur-tout ils alleguent que quand elle eft en fonplus grand effort, elle maitrife de facon que laraifon n'y peut avoir accès.. 1. c.é. art.4-D'autre part l'on dit qu'elle eft naturelle créée Pour ellevoyez 1. 2.& établie de Dieu au mende , pour fa confervationtk durée, tant en détail des individus qu'enc. 6.gros des efpeces. Nature mere de volupté confervecela qu'ès actions qui font pour notre befoin,elle y a mis de la volupté. Or , bien vivre eftconfentir a nature. Dieu , dit Moyfe, a créé lavolupté , plantaverat Dominus Paradifum voluptatis,a mis tk établi l'homme en un état, lieu& condition de vie voluptueufe; tk enfin qu'eftceque la félicité derniere & fouveraine, finonvolupté certaine tk perpétuelle ? Inebriabuntur abubertate domü^tua ; torrente voluptatis tuct potabistos: fuis contenta finlbus res ejl divina voluptas. Etde fait les plus réglés philofophes tk plus grandsprofeffeurs de vertu , Zeno , Caton , Scipion,Epaminondas, Platon, Socrates même, ont étépar effet & amoureux & buveurs , danfeurs,


a88 DE L A S A G E S S E ;joueurs, & ont traité, parlé, écrit de 1'amour& autres voluptés.4-Diftmffion Parquoi ceci ne fe vuide pas en un mot toutdes voluptés. fimplement : faut diftinguer, les voluptés fontdiverfes. II y en a de naturelles & non naturelles ;cette diftincfion comme plus importante fera tantötplus confidérée. 11 y en a de glorieufes, faftueufes,difficiles; d'autres fombres , doucereufes, faciles&C prêtes. Combien qu'a la vérité dire la voluptéeft une qualité peu ambitieufe, elle s'eftime affezriche de foi fans y mêler le prix de la réputation,& s'aime mieux a 1'ombre. Celles auffi qui fonttant faciles & prêtes, font laches , morfondues,s'il n'y a de la malaifance & difficulté; laquelleeft un alléchement, une amorce, un aiguillon kicelles. La cérémonie, la vergogne &difficultéqu'il y a de parvenir aux derniers exploits de1'amour , font fes aiguifemens & allumettes, c'eftce qui lui donne le prix & la pointe. II y en ade fpirituelles & corporelles , non qu'a vrai direelles foient féparées ; car elles font toutes del'homme entier & de tout le fujet compofé; &une partie de nous n'en a point de fi propres que1'autre ne s'en fente, tant que dure le mariage& amoureufe liaifon de 1'efprit óè du corps en cemonde. Mais bien y en a auxquelles 1'efprit aplus de part que le corps, dont conviennent mieuxa l'homme qu'aux bêtes, & font plus durables,comme celles qui entrent en nous par les fensde


L i r R E III. 289Ia vue & de 1'ouie, qui font deux portes de1'efprit, car ne faifant que paffer par-la , 1'efpritles recoit, les cuit & digere, s'en paït & délecïelong-temps; le corps s'en fent peu. D'autres oüle corps a plus de part, comme celles du goüt& de 1'attouchement, plus groffieres &matérielies, efquelles les bêtes nous font compagnie,telles voluptés fe traitent, exploitent, s'ufent &achevent au corps même, 1'efprit n'y a que 1'affiftance& compagnie, & font courtes, c'eft feuae pame.Le principal en ceci eft fcavoir comment il fe f.Avis furfaut comporter & gouverner aux voluptés, ceicelles.que le fage nous apprendra; c'eft 1'office de lavertu de tempérance. II faut premiérement fairegrande & notable différence entre les naturelles& non naturelles. Par les non naturelles nous Qui font lefnon-naturelles.n'entendons pas feulement celles qui font contrenature, & le droit ufage approuvé par les loix;mais encore les naturelles mêmes , fi elles dégénerenten trop grand excès & fuperfluité, quin'eft point du röle de la nature , qui fe contentede remédier a la néceffité, a quoi l'on peut encoreajouter la bienféance & honnêteté commune.C'eft bien volupté naturelle , d'être clos &couvert par maifon & vêtemens , contre la rigueurdes élémens & injure des méchans; maisque ce foit d'or, d'argent, de jafpe & porphyre,il n'eft pas naturel. Ou bien fi elles arrivent parII. Partie.T


6.Regie première& générale.7«Pegles pouleo Baturell290 DE LA S A G E S S E,autre voie que naturelle , comme fi elles fontrecherchées & procurées par artifice, par médicamens& autres moyens non naturels. Ou bienqu'elles fe forgent premiérement en 1'efprit, fufcitéespar paffion, & puis de-la viennent au corps,qui eft un orire renverfé; car 1'ordre de natureeft que les voluptés entrent au corps , & foientdefirées par lui, & puis de-la montent en 1'efprit.Et tout ainfi que le rire qui eft par le chatouillementdes aiflelles, n'eft p3S naturel ni doux, c'eftplutöt une convulfion , auffi la volupté qui eftrecherchée & allumée par 1'ame, n'eft point naturelle.Or, la première regie de fageffe aux voluptéseft celle-ci, chaffer & condamner tout-a-fait lesnon naturelles comme vicieufes , batardes ( carainfi que ceux qui viennent au banquet fans yêtre conviés font k refufer; aufli les voluptés quid'elles-mêmes fans être mandées & conviées parla nature, fe préfentent, font a rejetter) admettre& recevoir les naturelles; mais avec regie &modération : & voila 1'office de tempérance engénéral , chaffer les non naturelles, régler lesnaturelles.:sOr, la regie des naturelles eft en trois points:premiérement que ce foit fans offenfe , fcandale,dommage &c préjudice d'autrui.Le fecond, que ce foit fans préjudice fien, de


LIVRE III. aifon honneur, fa fanté, fon loiilr, fon devoir, fesfontfions.Le tiers, que ce foit avec modération , ne lesprendre trop a cceur non plus qu'a contre-cceur,ne les courir ni fair ; mais les recevoir tk prendrecomme on fait le miel , avec le bout du doigt,non en pleine main, non s'y engager par trop ,rïi en faire fon propre fait tk principal affaire,moins s'y enivrer tk perdre; ce doit être 1'accefloire,une récréation pour mieux fe remettrecomme le fommeil qui nous renforce , tk nousdonne haleine pour retourner plus gaiement aFceuvre. Bref en ufer & non jouir. Mais fur-toutfe faut garder de leur trahifon ; car il y en a quife donnent trop cherement, nous rende.it plusde mal tk de déplaifir ; mais c'eft traitreufement:car ils marchent devant pour nous amufer tktromper, & nous cachent leur fuite cruelle,nous chatouillent tk nous embraffent pour nousétrangler. Le plaifir de boire va devant le malde tête : tels font les plaifirs & voluptés de 1'indifcrettetk bouillante jeunefTe, qui enivrent. Nousnous plongeons dedans, mais en la vieilieffe ellesnous laiffent comme tous noyés, ainfi que la merfur la greve en fon reflux ; les douceurs que nousavons avallé fi glouttement, fe fondent puis en amertumestk repentirs & rempliffent nos efprits d'unehumeur vénéneufe , qui les infecfe tk corrompt.Or, comme la modération tk regies aux voluptésTij


8.Déréglementpréjudiciable1C)1 B E L A S A G E S S E ,eft chofe tres-belle & utile felon Dieu, nature,raifon; aufti I'excès tk déréglement eft la plusnpfmnpufA rit» trui toe 011 miklt^ &r 0,1 n A«^^,1I A«pernicieule de toutes au public tk au particulier.La volupté mal prife ramollit & relache la vigueurde 1'efprit tk du corps. Debilitatem induxere delitits,blandijfima dominx, apoltror it tk effémineles plus courageux , témoin Annibal, dont lesLacédémoniens qui faifoient profeffion de méprifertoutes voluptés, étoient appellés hommes,& les Athéniens mols& délicats, femmes. Xerxespour punir les Babyloniens révoltés , tk s'affurerd'eux a. 1'avenir, leur öta les armes & exercicespénibles & difficiles , tk permit tous plaifirs tkdélices. Secondement elle chafle tk bannit lesVertus principales qui ne peuvent durer fous unempire fi mol & efféminé. Maximas virtutesjacercoportet voluptate dominante. Tiercé ment, elle dégénérébientöt k fon contraire , qui eft la douleur,le déplaifir, le repentir ; comme les rivieresd'eaudouce courent tk vont mourir en la mer falée:ainfi le miel des voluptés fe termine en fiel dedouleurs , in prcecipiti ejl, ad dolorem vergit, incontrarium abit, nifi modum teneat. Extrema gaudiluclus occupat. Finalement c'eft le féminaire detous maux, de toute ruine. Malorum efca voLuptas.D'elle viennent les propos tk intelligencesfecrettes& clandeftines, puis les trahifons , enfin les éve: -fions & ruines des Républiques. Maintenant nousparierons des voluptés en particulier.


K, / r x. M 1 Ih i$LESC H A P I T R E X X X I X .Du Matiger & Boire , & Sobriétc.viandes font pour la nourriture, pourfoutenir& réparer 1'infïrmité du corps; 1'ufagemodéré, naturel & plaifant 1'entretlent, le rendpropre & habile inftrument a 1'efprit; comme1'excès au contraire non naturel 1'affoiblit, apportede grandes & facheufes maladies, qui font lesfupplices naturels de 1'intempérance; fimphx exfimplici caufa, vahtudo ; muitos morbos , fupplieialuxurïce, mu/ta fircula fecerunt. L'homme fe plaintde fon cerveau de ce qu'il lui envoye tant dedéfluxions, fondique de toutes les maladies plusdangereufes; mais le cerveau lui répond bien.Dtfine fundere, & ego dejinam fluere. Sois fobrea avaler, & je ferai chiche k couler. Mais quoi1'excès & apparat, la multitude , diverfité, &exquis appareil des viandes eft venu k honneur;nos gens après une grande fumptuofité & fuperfluité,prient encore de les excufer de n'avoirpas affez fait.Combien eft préjudiciable & k 1'efprit & aucorps , la replétion des viandes, la diverfité, curiofité,1'exquis & artificiel appareil, chacun lepeut fentir en foi-même; la gourmandife & 1'ivrogneriefont vices laches & groffiers, i!s fe décrientTiijBiUfage i*ifiandes.


Sobtiété recommandée.Hiéron.194D E L AS A G E S S E,affez e\rx-mêmes par les geftes & contenances deceux qui en font atteints ; defquelles laplusdouceSc honnête eft d'êtreaflbupi Sc hébêté, inutileatout bien: jamais homme aimant fa gorge & fonventre ne fit belle oeuvre ; aufii font-ils des gensde peu Sc bétails , mêmement 1'ivrognerie quimene a toutes chofes Indignes, témoin Alexandre ,autrement grand Prince, taché de ce vice , dontil en tua fon plus grand ami Ciitus , &c puisrevenant a foi, fe vouloit tuer. Bref elle öte dutout le fens, & pervertit 1'entendement. Vinum clavocaret, dementat fap'untis , facit repuerafcere fencs.La fobriété bien que ne foit des plus grandesSc difficiles vertus , qui ne donne peine qu'auxfots Sc forcats , ft elle eft un progrès Sc acheminementaux autres vertus: elle étouffe les vicesau berceau, les fuffoque en la femence ; c'eft lamere de fanté, la meilleure Sc plus süre médecinecontre toutes maladies , Sc qui fait vivrelonguement. Socrates par fa fobriété avoit unefanté forte Sc acérée , Mafiniffa, le plus fobreRoi de tous, fit enfans a 86 ans & k 92 , vainquitles Carthaginois, oü Alexandre s'eniv rant, mouruten la fleur de fon age, bien qu'il fut le mieuxné & plus fain de tous. Plufieurs goutteux Scatteints de maladies incurables aux médecins,ont été guéris par diettes , voila pour le corps,plus longue Sc plus faine. Elle fert bien autantou plus a 1'efprit, qui par elle eft tenu pur ,


LIVRE 11 L 295Capable de fageffe & bon confed. Sahibrlum confiliorumparens fobrietas. Tous les grands hommesont été grandement fobres, non-feulement lesprofeffeurs de vertu finguliere & plus étroite,mais tous ceux qui ont excellé en quelque chofe ,Cyrus , Cefar, Julien FEmpereur , Mihumet ,Epicure , legrand docleur de volupté,paffent tousen cette part. La frugalité des Curies & FabricesRomains, eft plus haut levée que leurs belles &Cgrandes viöoires. Les Lacédémoniens tant vaillansfaifoient profeffion expreffe de frugalité & fobriété.Mais il faut de bonne heure & dés la jeunefTeembraffer cette partie de temperance , &c nonattendre a. la vieilleffe douloureufe, & que l'onfoit foulé & preffé de la maladie , comme lesAthéniens , a qui l'on reprochoit qu'ils ne demandoientjamais la paix qu'en robes de dueil ,après avoir perdu leurs parens & amis en guerre,& qu'ils n'en pouvoient plus. C'eft trop tards'avifer. Sero in fundo parcirnonia, c'eft vouloirfaire le ménager quand il n'y a plus rien a ménager,chercher a faire fon emploite après quela foire eft paffée.C'eft une bonne chofe de ne s'accoutumer auxviandes délicates , de peur qu'en étant privés ,notre corps en vienne ir.difpofé , & d'en uferd'ordinaire des plus groflieres, tant pource qu'ellesnous rendentplus forts & plus fains, que pourcequ'elles font plus aifées a recouvrer.Tiv


29* DE IA S A G E S S E,CHAPITREXL.Du Luxe & Débauche en tous couverts & paremens,& de Frugalité.I.i. c. 14. I L a été dit ci-deffus que le vêtir n'eff pointoriginel,ni naturel, ni néceffaire a l'homme ; maisartificiel, inventé & ufurpé par lui au monde. Or ,a la fuite qu'il eft artificiel ( c'eft la coutume deschofes artificielles de varier, multiplier fans fin& fans mefure, la fimplicité eft amie de nature )il s'eft étendu & multipHé en tant d'inventions( car è quoi la plupart des occupations & traficsdu monde, finon a la couverture & parure descorps ?) de diffolutions & corruptions , tellementque ce n'a plus été une excufe & un couvert dedéfauts&nécefïïtés; mais unnid de vices. Fexillumfuperbice, nidus luxurix. Sujet de riottesck querelles;car de-la premiérement a commencé la propriétédes chofes, le mien & le tien , & la plus grandecommunauté qui foit, fi font toujours les vêtemenspropres, ce qui eft montré par ce motfranfois, dérober.C'eft un vice familier & fpécial aux femmes ,que le luxe & 1'excès aux vêtemens, vrai témoignagede leur foibleffe, voulant fe prévaloir& rendre recommandables par ces petits accidenspource qu'elles fe fentent foibles & incapablesde f e faire valoir a meilleures enfeignes: de grande


L i r R B III. 297vertu , 5c courage s'en foucient beaucoup moins.Par les loix des Lacédémonlens il n'étoit permisde porter robes de couleur riches & précieufesqu'aux femmes publiques; c'étoitleur part commeaux autres la vertu Sc 1'honneur.Or, le vrai Sc légitime ufage de fe couvrircontre le froid, le vent & autres rigueurs dePair. Pource ce doivent-ils être tirés a autre fin:& par ainfi non excefiifs ni fomptueux, ni auffivilains Sc déchirés. Nee affectatie fordes, nee exquïfitcemunitix. Caligula fervoit de rifée a. touspar la diffolution de fes habillemens. Auguftefut loué de fa modeftie.3.C H A P I T R E X L I .Plaifir charnel, Chajleti, Continence.L A continence eft une chofe très-difficile, & 1Voyezl. 1.de très-pénible garde; il eft bien mal aifé de ré- jc.23.fifter du tout a nature : or, c'eft ici qu'elleeft plus forte Sc ardente.Auffi eft-ce la plus grande recommandation 3nqu'elle ait que la difficulté, car au refte c'eft unevertu fansadtion Sc fans fruit, c'eft une privation,un non faire, peine fans profit; la ftérilité eftfignifiée par la virginité ; comme aufli 1'incontmencefimple 6c fèule en foi, n'eft pas des grandes


105 V Z LA S A G E S S E ,Avis.grandes fautes, non plus que les autres purementcorporelles tk que la nature commet en fes actionspar excès ou défaillance fans malice. Ce qui ladécrie tk rend tant dangereufe , c'eft qu'ellen'eft prefque jamais feule ; mais ordinairementaccompagnée tk fuivie d'autres plus grandesfautes, & infeftée de méchantes tk vilaines circonftances,des perfonnes, heux, temps prohibés ,exercée par mauvais moyens , menteries, impoftures,fubornations , trahifons ; outre la pertedu temps, diftraftions de fes fonctioris, d'oü ilavient après de grands fcandales.Et pource que c'eft une paffion violente tkenfemble pipereffe, ilfe faut remparer contre elle& fe garder de fes appas: plus elle nous mignardeplus défions-nous en ; car elle nous veut embrafferpour nous étrangler: elle nous appate de mielpour nous faouler de fiel. Parquoi confidéronsces chofes. La beauté d'autrui eft chofe qui efthors de nous, chofe qui tourne auffi-töt en malqu'au bien: ce n'eft en fomme qu'une fleur quipaffe, chofe bien mince & quafi rien que lacouleur d'un corps , reconnoiffant en la beautéla délicate main de nature, la faut prifer commele foléil tk la lune, pour 1'excellence qui y eft.Et venant k la jouiffance par tous moyens honnêtes,fe fouvenir toujours que 1'ufage immodéréde ce plaifir ufe le corps , amollit 1'ame, affoiblit1'efprit. Et que plufieurs, pour s'y être adonnés ,


L I V R E 111. 199ont perdu les uns la vie, les autres la fortune,les autres le r efprit. Et au contraire, qu'il y 3plus de plaifir & de gloire de vaincre la volupté,qu'a la poflédér. Que la continence d'Alexandreöc de Scipion a été plus haut louée que les beauxvifages des fiiles öc femmes qu'ils ont prifescaptives.II y a plufieurs fortes tk degrés de continencetk incontinence. La conjugale eft la première tkqui importe plus de toutes pon- le public tkpour le particulier ; parquoi elle doit être detoutes en plus grande recommandation. II fe fautretenir dedans le chafte fein de la patrie , quinous a été deftinée pour compagne. Qui faitautrement , viole non-feulement fon corps , lefaifant vaiffeau d'ordure, mais toutes loix; la loide Dieu qui commande chafteté; de Nature quidéfend de faire commun ce qui eft propre k untk commande de garder fa foi ; du pays qui aintroduit les mariages : le droit des families,transférant injuftement le labeur d'autrui k unétranger ; la juftice apportant des incertitudes,jaloufies 6c querelles entre les parens; dérobeaux enfans 1'amour des peres , 6c aux parens lapiété des enfans.


•5°°B E t A S A G E S S g' fC H A P I T R E X L I I .De la Gloire & de CAmbition.fcl.21 8c 2;.L'AMBITION , le defir de gloire & d'honneur( defquels a été parlé ci-deffus ) n'eft pas du touten tout fens a condamner: premiérement il efttrès-utile au public, felon que le monde vit,c'eft lui qui caufe la plupart des belles acfions \qui pouffe les gens aux effais hafardeux, commenous voyons en la plupart des anciens, lefquelstous n'ont pas été menés d'un efprit philofophique;des Socrates , Phocion , Ariftides, Epaminondas,des Catons & Scipions; par la feule vraie & viveimage de vertu, car plufieurs & en bien plusgrand nombre, ont été pouffés de 1'efprit ; deThemiftocles, d'Alexandre, de Cefar; & bienque ces beaux exploits n'ayent pas été chez leursauteurs & opérateurs, vraies ceuvres de vertumais d'ambition, toutefois les effets ont été trèsutilesau public. Outre cette confidération ,encore felon les fages, eft-il excufable & permisen deux cas: 1'un eft aux chofes bonnes & utiles,mais qui font au-deffous la vertu, & communesaux bons & méchans, comme font les arts &fciences. Honos alit artes: incenduntur omnes adftudiagloria, les intentions, 1'induftrie, la vaillancemilitaire; 1'autre eft pour demeurer en la bien-


L I V R E III. 501veillance d'autrui. Les fages enfeignent de nerégler point fes aöions par 1'opinion d'autrui,fauf pour éviter les incommodités qui pourroientavenir de leur mépris de 1'approbation & jugementd'autrui.Mais au fait de la vertu & de bien faire pourla gloire, comme li c'en étoit le falaire, c'eft uneopinion faufTe & vaine. Ce feroit chofe bienpiteufe tk chétive que la vertu, fi elle tiroit farecommandation tk fon prix de 1'opinion d'autrui,c'eft une trop foible monnoie tk de trop basaloi pour elle. Elle eft trop noble pour allermendier une telle récompenfe ; il faut affermirfon ame, & de facon telle compofer fes affecTions,que la lueur des honneurs n'éblouiffe point notreraifon , & munir de belles réfolutions fon efprit,qui lui fervent de barrière contre les affauts de1'ambition.II fe faut perfuader que la vertu ne cherchepoint un plus ample ni plus riche théatre ,pour fe faire voir , que fa propre confcience; plus le Soleil eft haut , moins fait-ild'ombre,plus la vertu eft grande, moins cherche-t-ellede gloire , gloire vraiment lemblable k. 1'ombre qui fuit ceux qui la fuyent, & fait ceuxqui la fuivent; fe remettre devant les yeux quel'on vient en ce monde comme k une comédie,1 ou l'on ne choifit pas le perfonnage que l'on veutjouer; mais feulement l'on regarde k bien jouer


301 DE LA S A G E S S E ,celui qui eft donné ; ou comme en un banquetauquel l'on ufe des viandes qui font devant,fans étendre le bras a 1'autre bout de la table,ni arracher les plats d'entre les mains des maitresd'hótel.Si l'on nous préfente une charge dontnous foyons capables , acceptonsda modeftement,& 1'exercons fincérement ; eftimant que Dieunous a lü pofés en fentinelle, afin que les autresrepofent fous notre foin: ne recherchons autrerécompenfe de notre labeur, que la confcienced'avoir bien fait, & defirons que le témoignageen foit plutöt gravé dedans le cceur de nos conc'toyens, que fur le front des ceuvres publiques.Bref tenons pour maxime que le fruit des bellesactions, eft de les avoir faites. La vertu ne fcauroittrouver hors de foi récompenfe digne d'elle.Réfuter & méprifer les grandeurs, ce n'eft pastant grand miracle , c'eft un effort qui n'eft fidifficile. Qui bien s'aime & juge fainement, fecontente de fortune moyenne & aifée : lesmaitrifes fort acfives & paffives, font pénibles ,& ne font defirées que par efprits malades.Otanes, 1'un des fept qui avoient droit a la fouverainetéde Perfe , quitta a fes compagnons fondroit, pourvu que lui & les fiens vêcuffent enctt empire hors de toute fujettion & maitrife, faufcelles des loix anciennes, impatient a commander&c être commandé. Diocletian quitta & renon^a1'Empire , Celeftinus le Papat.


L I T R E I I I . 303C H A P I T R E X L I I I .De la Tempérance au parler, & de VEloquence.CECI eft un grand point de fageffe, qui regiebien fa langue en un mot, il eft fage , qui inverbo non offendit, hic perfeclus «ƒ?._ Ceci vient dece que la langue eft tout le monde , en elle eft. I. C. IJ.le bien & le mal, la vie 6c la mort, comme aété dit ci-devant. Or, voici les avis pour la bienrégler.Que le parler foit fobre 8c rare: fcavoir fetaire eft un grand avantage a bien parler; 8c qui Regies auparler , fix.ne fcait bien 1'un , ne fcait 1'autre. Bien dire 8cbeaucoup n'eft pas le fait de même ouvrier; le smeilleurs hommes font ceux qui parient le moins,difoit un fage. Qui abondent en paroles , fontftériles k bien dire 8c a bien faire ; comme lesarbres qui jettent force feuilles, ont peu de fruit,force paille , peu de grain. Les Lacédémoniensgrands profeffeurs de vertu & vaillance, 1'étoientaufti du filence, ennemis du langage : dont a ététant loué 8c recommandé par-tout, le peu parler,la bride k la bouche. Pone, domine, cujlodiam orimeo. En la loi de Moyfe le vaiffeau qui n'avoitfon couvercle attaché étoit immobile; en cecife connoit & difcerne l'homme: le fage a la langueau cceur, 6c le fol a le cceur k la langue.2.


hap.ro.304 DE LA S A G E S S E,Véritable; 1'ufage de Ia parole eft d'aider a lavérité , tk lui porter le flambeau pour la fairevoir. Et au contraire découvrir tk rejetter lemenfonge ; d'autant que la parole eft Poutil pourcommuniquer nos volontés & nos penfées: elledoit bien être véritable tk fidelle, puifque notreintelligence fe conduit par la feule voie de laparole. Celui qui le faufle , trahit la fcciété publique, tk fi ce moyen nous faut & nous trompe,nous ne nous tenons plus,-nous ne nous entreconnoiflbnsplus : de menterie en a été dit.Naïf, modefte tk chate , non accompagnée devéhémence & contention , il fembleroit qu'il yauroit de la paffion , non artificiel ni affecté ,non débauché & déréglé ; ni licencieux.Sérieux & utile , non vain & inutile: il ne fauts'amufer a compter ce qui fe fiiit en la place ouau théatre , ni a dire fornettes tk rifées, cela tienttrop du bouffon, & montre un trop grand tkinutile loifir, otio abundantis , & abutentis. II n'eftpas bon auffi de conter beaucoup de fes actions& fortunes; les autres ne prertnent pas tant deplaifir a les ouir , que nous a les conter; maisfur-tout non jamais offenfif, la parole eft 1'inftrument& le courretier de la charité : en ufercontre elle c'eft en abufer contre 1'intention denature. Toute forte de médifance, détrattion,moquerie eft très-indigne de l'homme fage tkd'honneur,Facile


LIVRE Ut. 30JFacile & doux, non épineux , difficile 6cennuyeux: il faut éviter en propos communs lesqueftions fubtiles & aiguës , qui refïemblent auxécrevilfes, ou y a plus a éplucher qu'a manger,la fin n'eft que cris tk contention.Ferme, nerveux 6c généreux , non mol, lache& languiffant. Et par ainfi faut éviter Ie parlerdes pédans , plaideurs 6c des filles.I7»S.A ce point de tempérance appartient celui degaraer naeiemenr ie ïecret, üont a ete parle enla foi ) non - feulement qui a été recommandé& donné en garde , mais celui que lachap.Saprudence tk difcrétion nous- didte devoir êtrefupprimé.Or, comme la parole rend l'homme plus excellentque les bêtes , auffi 1'éloquence rend fesprofeffeurs plus excellens que les autres hommes.Car c'eft la profeffion de la parole , c'eft une plus9-De l'élö»qr.ence , farecommandation.exquife communication du difcours tk de la raifon,le gouvernail des ames qui difpofe les cceurs& lesaffections, comme certains tons, pour en faire unaccord mélodieux.L'éloquence n'eft pas feulement une clarté,io.Defcription,pureté, élégance de langage, que les mots foientbienchoifis, proprement ageancés, tombans enune jufte cadence, mais elle doit auffi être pleined'ornemens, de graces, de mouvemens; que lesII. Partie,V


306 DE I A S A G E S S Ë fparoles foient animées, premiérement d'une voixclaire , ronde & diftincte, s'élevant Sc s'abaiffantpeu a peu; puis d'une grave Sc naïve adfion, oiil'on voye le vifage, les mains Sc les membres dePorateur parler avec fa bouche , fuivre de leurmouvement celui de 1'efprit, & repréfenter lesaffeclions ; car Porateur doit vêtir le premier lespaffions dont il veut frapper les autres. CommeBrafidas tira de fa propre plaie le dard dont iltua fon ennemi: ainfi la paffion s'étant concueen notre cceur, fe forme incontinent en notreparole, car elle fortant de nous , entre en autrui,Sc y donne femblable impreffion que nous avonsnous-mêmes par une fubtile Sc vive contagion.Par-la fe voit qu'une fort douce nature eft malpropre a 1'éloquence , car elle concoit par lespaffions fortes Sc courageufes , telles qu'il lesfaut pour animer bien 1'oraifon ; tellement quequand il faut déployer les maitrefles voiles de1'éloquence en une grande Sc véhémente act ion,ces gens-la demeurent beaucoup au-deffous ;comme feut bien reprocber Ciceron a Callidius,qui accufoit Gallus avec une voix & aftion froide& iache , tu nifi fingeres , Jic ageres ; mais étantauffi vigoureufe tk garnie de ce qu'a été dit,elle n'auroit pas moins de force ni violence queles commandemens des tyrans , environnés deleurs gardes & fatellites: elle ne mene pas feulement1'auditeur, mais elle 1'entraïne , regne


L t V R È 111. 307parrrii les peuples , s'établit un violent empirefur les efprits.L'on peut dire contre 1'éloquence que la véritéfe foutient tk défend bien de foi-même , qu'il n'ya rien plus éloquent qu'elle. Ce qui eft vrai, oir.les efprits fontpurs, vuides & nets de paffions;mais la plupart du monde par nature ou par art&c mauvaife inftrucf ion , eft préoccupé, mal né& difpolé a la vertu tk vérité dont il eft requisde traiter les hommes, comme le fer qu'il fautamollir avec le feu , avant que le tremper en1'eau. Auffi par les chaleureux mouvemens de1'éloquence, il les faut rendre fouples tk maniables,capables de prendre la trempe de la vérité. C'eft aquoi doit tendre, 1 éloquence , & fon vrai fruiteft armer la vertu contre le vice , la vérité contrele menfonge tk la calomnie. L'Orateur , ditTheophrafte , eft le vrai médecin des efprits ,auquel appartient de guérir la morfure des ferpenspar le chant des flütes, c'eft-a-dire, les calomniesdes méchans par l'harmonie de la raifon. Or,puifque l'on ne peut empêcher que l'on ne s'emparede 1'éloquence pour exécuter fes pernicieuxdeffeins, que peut-on moins faire que nous défendrede mêmes armes , ft nous ne nous enVoulons aider, tk nous préfentons nuds au combat,ne trahiffons-nous pas la vertu & la vérité ? Maisplufieurs ont abufé de 1'éloquence tk a de mé-*Vijn.Ohje&ioflréponduei


30S BB LA S A G E S S S,chans defFeins', & k la ruïne de leur pays:c'eft vrai, & pour cela n'eft-elle k méprifer,cela lui eft communavec toutes lesplus excellenteschofes du monde, de pouvoir être tournee kmal & k bien, felcn que celui qui les pofTedeeft mal difpofé; la plupart des hommes abufentde leur entendement , ce n'eft k dire qu'il n'enfaille avoir.F Ilf.


309T A B L EDESCHAPITRESQuicompofent les premier & fecond Volumede eet Ouvrage.LIVREPREMIER,Qui eft la connoiffance de Soi & de 1'humaineCondition.CHAPITRE I. Pré/ace a tout ce Livre pag. i.CHAP. II. de la. peinture gén. de Vhomme. pag. 11.CHAP. III. de la vanitL pag. 13.CHAP. IV. de la fublejfe.P- io-CHAP. V. de Vinconftance. p. 3 5-CHAP. VI. de la mifere. ?• 2.6.CHAP. VII. de la préfomption. p. 57-CHAP. VIII. de la feconde confidèratioti de Vhomme,qui ejl par comparaifon de lui avec tous les autresanimaux. P- 69.CHAP. IX. diflinUion première & générale deVhomme.P- 86^CHAP. X. du corps humain en général. p. 88.CHAP. XI. ie la fanté, beauté , & du vifage. p. 91-CHAP. X11. des fens de nature plus nobles piecesdu corps. P- 98"V Hj


3 io T A B L ECHAP. XIII. du voir, ouir, parler. p. 104.CH AP. XIV. Vèternent du corps. p. 109.CHAP. XV. de 1'ame humaine en général. p. in.CHAP. XVI. des parties de 1'ame humaine. p. 1 27.CHAP. XVII. de la mémoire. p. 145.CHAP. XVIII. de l'imagination & opinion. p. 146.CHAP, XIX. de la volonté. p. 149.CHAP. XX. des pajjions en général. p. 152.CHAP. XXI. del amour en général. p. 159.CHAP. XXII. de Vambition. p. 160.CHAP. XXIII, de Vavarice & fa contraire paffion.p. 167.CHAP. XXIV. de l'amourcharnel. p. 171.CHAP. XXV. Dejirs , cupidités. p. 174.CHAP. XXVI. EJpoir, défefpoir. p. 176.CHAP. XXVII. de la colere. p. 177.CHAP. XXVIIL Haine. p. 182.CHAP. XXIX. Envie.P-)i§3-CKAP. XXX. Jaloujie. p. ihid.CHAP. XXXI, Vengeance. p. 184.CHAP. XXXII. Cruauté. p. 187.CHAP. XXXIII. Triftejfe. p. 188.CHAP. XXXIV. CompaJJïon. p. 194CHAP. XXXV. Crainte. p. ,9/CHAP. XXXVI. de l''eflimation, briévcté, defcriptionde la vie humaine , & fes parties. p. 198.CHAP. XXXVII. de la différente & inégalité deshommes en général, p. 206,


DES C H A P I T R E S . 311CHAP. XXXVIII. de la première difiinclion & différencedes hommes , naturelle & efentielle , tiréede la diverfe affiette du monde. P- 2.09.CHAP. XXXIX. Seconde difiinclion &diffèrenceplusJubtile des efprits, & fuffifance des hommes, p. 117.CHAP. XL. Troifieme difiinclion & différence deshommes accidentelle, de leurs degrés,états &charges. ?• x x l mCHAP. XLI. du commander & obéir. p. 226.CHAP. XLII. dumariage. P- "8.CHAP. XLIII. des parens & enfans.p.241.CHAP. XLIV. Seigneurs , efclaves , maitres &ferviteurs. P- 2 4


3 Ti TABLECHAP. LV. Nobleffe. p. 280.CHAP. LVI. de 1'honneur. p. 184.CHAP. LVII. de la fcience. p. 286.CHAP. LVIII. des richeffes & pauvreté. p. 288.LIVRESECOND,Contenant les inflruclions & regies générales deSagcffe.CHAP. I. Exemption & affranchiffement des erreurs& vices du monde, & des paffions. p. 295.CHAP. II. Univerfelle & pleine liberté d'efprit, tanten jugement qu'en volonté: feconde difpofition aUSageffe. p. 303.CHAP. III. Vrait & efentielleprud'hommie : premièrefondamentale partie de fageffe. p. 318.CHAP. IV. Avoir un but & train de vie certainP-34I-CHAP .V.Etudier a. la vraie piété. p. 345.CHAP. VI. Régler fes defirs & plaifirs. p. 367.CHAP. VII. Se porter modérément & également enprofpérité & adverfitè.P-376'CHAP VIII. Obéir & obferver les loix, coutumes &cérémonies du pays;comment & en quel fens.p. 390.CHAP. IX. Se bien comporter avec autrui. p. 404.CHAP. X. Se bien conduireprudemmentaux affaires.p. 410.


DES CHAPITRES. 313CHAP. XI. Se tenir toujours pret a la mort, fruit defageffe. P- 4"«CHAP. XII. Se mainteniren vraie tranquilité d''efprit,le fruit & la couronne de fageffe , & conclufion dece livre. P- 447'LIVRETROISIEME,AuQUEL font traités les avis particuliers de SagefTepar les quatre Vertus morales.CHAP. I de la prudence, première vertu. p. 2.CHAP. II. Première partie de cette prudence politique& gouvernement d'état,qui ejl de la provifion.p. 9.CHAP. III. Seconde partie de la prudence politique &du gouvernement d'état,qui ejl de Vaclion & gouvernementdu prince. P- 45*CHAP. IV. de la prudence requife aux affaires difficlles,mauvais accidens publics & privés. p. 82.SECT. I. des maux & accidens qui nous menacent.p. 83.SECT. II. Maux& accidens préfens , preffans &extrémes. P*SECT. III. Affaires douteufes & amblguïs. p. 87.SECT. IV. Affaires difficlles & dangereufes. p. Ibld.SECT. V. Conjurations. P- 8 8 'SECT. VT. Trahifon. V- 9 2 -SECT. VII. Emotionspopulaires. p-


314 T A B L ESECT. VIII. Faclion & ligue. p, 94,SECT. IX. Sêdition. p. 96.SECT. X. de la tyrannie & rèbellion. p. 98.SECT. XI. Guerres civiles. p. 100.SECT. XII. Avis pour les particuliers en toutes lesfufdites diviftons publiques. p. 102.SECT. XIII. des troubles & divijions privées. p. 106.CHAP. V. de la juftice , feconde vertu.v.ibid.CHAP. VI. de la juftice & devoir de Vhomme a foimême.p_T 1 1.CHAP. VII. Première partie qui eft des devoirs gén.& communs de tous envers tous ; & premiérementde Vamour ou amitié. p. j 10.CHAP. VIII. de la foi, fidélité,perfidie , fecret. p. 131.CHAP. IX. Vérité & amonition libre. p. 136.CHAP. X. delafiatterie,menterie&dijjimul p. 136.CHAP. XI. du bienfait, obligation & reconn. p. 146.CHAP. XII. Devoir des mariés. p. 163.CHAP. XIII. Ménagerie. p. T66.CHAP. XIV. Devoir des parens & enfans. p. 168.CHAP. XV. Devoirs des maitres & ferviteurs. p. 210.CHAP. XVI. Devoirs des fouverains & fujets. p. 212.CHAP. XVII. Devoir des magijlrats. p. 221.CHAP. XVIII. Devoir des grands & des petits. p. 227.CHAP. XIX. de la force ou vaillance en général.p. 219.CHAP. XX. Première partie des maux externesp. 237.CHAP.XXI. des maux externes conjidèrès en leurseffets & fruits. p- 2.45.


DES CHAPITRES. 315CHAP. XXII. de la maladie & douleur. p. 248.CHAP. XXIII. de la captivitè ou prifon. p. 252.CHAP. XXIV. du banniffement & exil. p. 2 5 5.CHAP. XXV. de la pauvreté,biens.indigence, perte deP-257*CHAP. XXVI. de tinfamie. p. 260.CHAP. XXVII. de la perte d'amis. p. 261.CHAP. XXVIII. contre la crainte. p. 264.CHAP. XXIX. contre la trifeffe. p. 266.CHAP. XXX. contre la compaffion &miférkorde.p.268.CHAP. XXXI. contre la colere. p. 269.CHAP. XXXII. contre la haine. p. 275.CHAP. XXXIII. contre 1'envie. p. 276.CHAP. XXXIV. contre la vengeance. p. 277.CHAP. XXXV. contre la jaloufie. p. 279.CHAP. XXXVI. de la tempérance , quatrieme vertu,de la tempérance en général. p. 281.CHAP. XXXVII. de la profpérité & avis fur icelle.p. 283.CHAP. XXXVIII. de la volupté & avis fur icelle.p.285.CHAP. XXXIX. duman. & boire, & fobriété. p. 293.CHAP. XL. du luxe & débauche en tous couverts &paremens , & de frugalité. P- 296.CHAP. XLI. Plaifir charn. chafietè, contin. p. 297.CHAP. XLII. de la gloire & de Vambition. p. 301.CHAP.XLIII. de latemp.auparler&de tèloq.p. 303.Fin de la Table.

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