12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>une chance pour l’éco<strong>le</strong> »« Il y a un vrai enjeu dereconnaissance de cequ’apportent <strong>le</strong>senfants de migrants àl’éco<strong>le</strong> »chez <strong>le</strong>s enseignants mais aussichez <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>scents qui peuventregretter <strong>le</strong> décalage entre cequ’on <strong>le</strong>ur a dit et ce qu’ils peuventfaire. Quand je <strong>le</strong>s vois en consultation,ils se disent déjà cassés orc’est à l’éco<strong>le</strong> que se joue cettepossibilité d’ouvrir des perspectivesvers une vie future.Se pose aussi la question dela place à l’éco<strong>le</strong> des parentsde migrants ?M. R. m. La place des parents demigrants dans l’éco<strong>le</strong> française esttrès diffici<strong>le</strong>. Trop souvent, <strong>le</strong>sparents ne rentrent pas dansl’éco<strong>le</strong>, trop impressionnante poureux. Ils ont souvent une image« déme<strong>sur</strong>ée » des enseignantsdans <strong>le</strong> sens où cela <strong>le</strong>s empêchede se considérer <strong>le</strong>ur égal. Il faudraitque l’éco<strong>le</strong> accepte demettre des moyens au service deces parents qui ont des languesdifférentes et des rapports ausavoir différents. Il faudrait destraducteurs par exemp<strong>le</strong> ce quin’est pas une pratique courante. Ilfaudrait considérer ces parentscomme des parents capab<strong>le</strong>s depar<strong>le</strong>r. Un exemp<strong>le</strong> : certaineschoses ne sont pas encore acceptéespar l’éco<strong>le</strong> notammentlorsque <strong>le</strong>s parents envoient ungrand frère ou une grande sœurà <strong>le</strong>ur place. Or c’est aussi unemanière pour eux de participer àl’éco<strong>le</strong> en envoyant par exemp<strong>le</strong><strong>le</strong>urs aînés. Il faudrait ouvrir l’éco<strong>le</strong>en disant aux parents vous êtes<strong>le</strong>s bienvenus et on a besoin devous pour éduquer vos enfants etpour <strong>le</strong>ur transmettre <strong>le</strong> savoir. Onne s’adapte pas vraiment. Comme<strong>le</strong> français est considéré commesacré, <strong>le</strong>s informations ne sontjamais données dans <strong>le</strong>s languesdes parents. Or ce qui est sacréc’est la compréhension, <strong>le</strong> faitd’accéder à une information. Dansdes éco<strong>le</strong>s parisiennes, une expériencea lieu, deux heures parsemaine, <strong>le</strong>s parents sont invitésà al<strong>le</strong>r à l’éco<strong>le</strong> pour apprendre<strong>le</strong>ur métier de parents d’élèves. Ilsapprennent avec des traducteursce qu’est un carnet de correspondance,une coopérative... Àchaque fois, cela représente pour<strong>le</strong>s parents un grand honneur, ilsen sont très satisfaits. Mais celareste des expériences tout à faitmargina<strong>le</strong>s et pas généralisées.Comment généraliser laformation et mettrel’éducation à la diversité enpriorité absolue ?M. R. m. Une résolution du Par<strong>le</strong>menteuropéen d’avril 2009 <strong>sur</strong> l’éducationdes enfants de migrants enEurope a analysé l’ensemb<strong>le</strong> desétudes à notre disposition <strong>sur</strong> laréussite des enfants de migrantsà l’éco<strong>le</strong> dans toute l’Europe. El<strong>le</strong>en a tiré certaines recommandations,une dizaine, qui s’imposentaux États mais qui pour l’instantne sont mises en œuvre que dans<strong>le</strong> Nord de l’Europe. Cette résolutionpréconise, entre autres, l’existenced’une diversité culturel<strong>le</strong> etsocia<strong>le</strong> des enseignants à l’éco<strong>le</strong>.«L’éducation à ladiversité est unepriorité absolue »C’est de la discriminationpositive ?M. R. m. Oui on peut dire ça. C’estextrêmement diffici<strong>le</strong> à mettre enplace en France. On pourrait dire :<strong>le</strong>s enseignants représentent lasociété et <strong>le</strong>s enfants peuvents’identifier à différents personnages.Cette présence d’unediversité culturel<strong>le</strong> supposeraitque l’on fasse de la discriminationpositive dans <strong>le</strong> recrutement desenseignants mais cela peut sefaire autrement dans l’organisationd’équipes mixtes par exemp<strong>le</strong>autour de projets pédagogiques.Une autre recommandation est defaire de l’éducation à la diversitéculturel<strong>le</strong> une matière scolaire.C’est l’idée que dans notre société,il faut reconnaître <strong>le</strong>s apports multip<strong>le</strong>squi la constitue, utiliser pour<strong>le</strong>s analyser l’histoire, la géographie,la linguistique... et valoriser<strong>le</strong>s liens entre ces apports, <strong>le</strong>smétissages, <strong>le</strong> vivre ensemb<strong>le</strong>...Cela suppose d’apprendre àenseigner cette diversité culturel<strong>le</strong>.Il y a beaucoup de travauxqui ont été réalisés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet. Untroisième point qui me semb<strong>le</strong>très important est la reconnaissancede la langue des enfants et<strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong> se traduit par la possibilitéd’utiliser des compétencespour être des objets pédagogiquespartagés avec l’ensemb<strong>le</strong>de la classe. On a des exemp<strong>le</strong>s,des théories et des pratiques.Après, il faut une véritab<strong>le</strong> volontépolitique pour mettre en placetous ces ingrédients et <strong>le</strong>s généraliserau sein de l’éco<strong>le</strong> française.Propos recueillis par fabienne berthetq Rencontrer un « passeur » !Pour Marie Rose Moro, la rencontre avec un passeur est très importantepour <strong>le</strong>s enfants de l’immigration. « Les enseignants ont une placeessentiel<strong>le</strong>, ils ont l’accès au savoir et à ce titre, ils jouent souvent ce rô<strong>le</strong> ».On <strong>le</strong>s retrouve dans <strong>le</strong> par<strong>cours</strong> des enfants de migrants qui ont réussi àl’éco<strong>le</strong>. Ces enseignants ont comme caractéristiques de donner envie des’approprier <strong>le</strong> monde extérieur mais aussi de reconnaître la différence deces enfants. Être passeur c’est avoir accès aux deux rives, <strong>le</strong> mondefrançais et celui d’où viennent <strong>le</strong>s élèves. « Mais pour être passeur, il fautavoir un certain enthousiasme, un certain idéal, il faut rendre <strong>le</strong> mondefrançais désirab<strong>le</strong> et avoir une connaissance du monde des enfants ». Celasuppose de la formation, de la curiosité, de la pluridisciplinarité… Que <strong>le</strong>senseignants puissent accéder à la linguistique, à l’anthropologie « ce quiest peu <strong>le</strong> cas actuel<strong>le</strong>ment. Effectivement, il existe une sorte d’idéalpartagé. On compte tous <strong>sur</strong> cette utopie. Mais pour y croire, il ne faut pascompter seu<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> des grains de folie individuels, il faut que ce soitporté par la formation, l’institution, la société… Sinon c’est du militantismeet cela ne suffit pas ! »93ENFANTETSOCIÉTÉ
GRANDINTER-VIEWBERNARDLAHIREBernard Lahire, professeur de sociologie à l’Éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong> supérieure de Lyon,a commencé sa carrière de chercheur autour de la question scolaire. Sestravaux ont alors porté <strong>sur</strong> la production de l’échec scolaire à l’éco<strong>le</strong> primaire,<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s modes populaires d’appropriation de l’écrit et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s réussites scolairesen milieux populaires. Il s’est depuis interessé aux pratiques culturel<strong>le</strong>s desFrançais, aux conditions de vie et de création des écrivains et à l’œuvre deFranz Kafka. À l’heure de la refondation <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong> et vingt ans après la publication de sonpremier ouvrage, il revient <strong>sur</strong> la question scolaire et donne sa vision de l’éco<strong>le</strong>.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201294© EMMANUELLE MARCHADOUR