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le journal de l'exposition - FRAC Auvergne

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Sous l’Amazone cou<strong>le</strong> un f<strong>le</strong>uve40 artistes <strong>de</strong> la col<strong>le</strong>ction du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>CommissariatAssistanteRégisseurChargée <strong>de</strong>s publicsChargée <strong>de</strong> la pédagogieChargé <strong>de</strong> la techniqueAccueilEnseignant associéStagiaire médiationJean-Char<strong>le</strong>s VergneSéverine FaurePhilippe CrousazLaure ForlayCaro<strong>le</strong> FerriéLuc TarantiniEricka ChomettePatrice LerayAmandine Cou<strong>de</strong>rtAvec <strong>le</strong> soutien et <strong>le</strong> mécénat <strong>de</strong>Conseil Régional d’<strong>Auvergne</strong>DRAC <strong>Auvergne</strong>Crédit Agrico<strong>le</strong> Centre FranceGroupe Elanz CentreAtalante ProductionsLe Carré MagmaExposition du 2 février au 12 mai 2013.Du mardi au samedi <strong>de</strong> 14 h à 18 h, <strong>le</strong> dimanche <strong>de</strong> 15 h à 18 h. Sauf jours fériés. Entrée gratuite.Reproductions couvertures : Eric Poitevin, Pierre-Olivier Arnaud - Col<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Avec <strong>le</strong> mécénat <strong>de</strong>


L’année 2013 marque <strong>le</strong> trentième anniversaire <strong>de</strong> la création <strong>de</strong>s <strong>FRAC</strong>.Depuis 30 ans, ces institutions uniques au mon<strong>de</strong> irriguent l’ensemb<strong>le</strong> du territoire pourrendre présente la création contemporaine auprès du plus grand nombre.Depuis 30 ans, <strong>le</strong>s artistes <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s générations se voient soutenus par <strong>de</strong>s acquisitions,par <strong>de</strong>s productions, par un travail <strong>de</strong> médiation et <strong>de</strong> pédagogie, par <strong>de</strong>s publications, par<strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nces et par la communication qui <strong>le</strong>ur est nécessaire.Depuis 30 ans, <strong>de</strong>s partenariats tota<strong>le</strong>ment inédits ont été créés avec d’innombrab<strong>le</strong>sinterlocuteurs, tous secteurs confondus, pour faire vivre cette création partout sur <strong>le</strong> territoire.Depuis 30 ans, grâce à un intense travail <strong>de</strong> prospection, <strong>le</strong>s <strong>FRAC</strong> ont constitué unpatrimoine public <strong>de</strong> tout premier plan, parmi <strong>le</strong>s plus riches du mon<strong>de</strong>.Au moment <strong>de</strong> fêter cet anniversaire, il nous importe tout à la fois <strong>de</strong> rendre plus visib<strong>le</strong>l’immense action entreprise avec tous nos partenaires et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>sperspectives qui permettront à nos structures <strong>de</strong> se développer. Pour <strong>le</strong>s artistes. Pour <strong>le</strong>public. Pour nous tous.Pour <strong>le</strong>s célébrations organisées dans toutes <strong>le</strong>s régions <strong>de</strong> France, <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>(créé en 1985) proposera dans ses murs en 2013 trois importantes expositions col<strong>le</strong>ctives.Les <strong>de</strong>ux premières permettront <strong>de</strong> découvrir ou <strong>de</strong> redécouvrir plus <strong>de</strong> 100 œuvres <strong>de</strong>sa col<strong>le</strong>ction. La troisième s’élaborera autours d’œuvres photographiques majeures <strong>de</strong>la plus gran<strong>de</strong> col<strong>le</strong>ction d’art contemporain <strong>de</strong> France, <strong>le</strong> FNAC (Fonds National d’ArtContemporain), grâce à un partenariat exclusif avec <strong>le</strong> Centre National <strong>de</strong>s Arts Plastiques.Le <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> a constitué, <strong>de</strong>puis 1985, une col<strong>le</strong>ction <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 500 œuvres acquisesauprès <strong>de</strong> 175 artistes, principa<strong>le</strong>ment tournée vers <strong>le</strong>s questions <strong>de</strong> la picturalité et <strong>de</strong>l’image. Accompagné par ses partenaires publiques et par un club d’entreprises mécènestrès actif, <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> fait rayonner sa col<strong>le</strong>ction sur l’ensemb<strong>le</strong> du territoire régiona<strong>le</strong>t au-<strong>de</strong>là afin <strong>de</strong> permettre au public <strong>de</strong> découvrir la richesse et la diversité <strong>de</strong> la créationactuel<strong>le</strong>, accomplissant ainsi une sensibilisation permanente à l’art contemporain. Quesoient remerciés cel<strong>le</strong>s et ceux qui accompagnent <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> <strong>de</strong>puis sa création, luiaccordant <strong>le</strong>ur confiance et <strong>le</strong>ur fidélité.


Sous l’Amazone cou<strong>le</strong> un f<strong>le</strong>uveL’année <strong>de</strong>rnière, lors d’un entretien avec Laure Ad<strong>le</strong>r sur France Culture 1 , l’écrivain PhilippeDjian était invité à s’exprimer sur la question du sty<strong>le</strong> en littérature : «Il est très compliqué <strong>de</strong>par<strong>le</strong>r du sty<strong>le</strong>, <strong>de</strong> la langue, d’expliquer ce que c’est. On a découvert un f<strong>le</strong>uve énorme sousl’Amazone, beaucoup plus grand : c’est ça la langue. Quand vous lisez une histoire, <strong>le</strong> petitf<strong>le</strong>uve qui est au-<strong>de</strong>ssus peut être sympathique (miroitement, tranquillité...), mais si cettechose est capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> transformer votre vie c’est parce qu’il y a quelque chose en <strong>de</strong>ssous, etce sont souvent <strong>de</strong>s textes dont <strong>le</strong>s histoires ne nous ont pas spécia<strong>le</strong>ment marqués. C’estcomme <strong>le</strong>s infrasons : je crois qu’il y a un infra-récit, qu’il y a quelque chose en-<strong>de</strong>ssous.Si la littérature ne sert pas à ça, el<strong>le</strong> ne sert à rien. Si vous vou<strong>le</strong>z <strong>de</strong>s histoires, achetez <strong>le</strong>sjournaux, il y a p<strong>le</strong>in d’histoires dans <strong>le</strong>s journaux. Si vous al<strong>le</strong>z vers la littérature, n’y al<strong>le</strong>zpas pour lire <strong>de</strong>s histoires. Ce qui est important, pour un auteur, c’est <strong>de</strong> mettre au point unelangue et un sty<strong>le</strong>.»L’art n’a pas pour finalité <strong>de</strong> raconter <strong>de</strong>s histoires et, inversement, <strong>le</strong>s histoires n’ont pasnécessairement besoin <strong>de</strong> l’art pour être racontées. Marcel Proust ne dit rien d’autre quand,dans à la Recherche du temps perdu, il montre son personnage définitivement bou<strong>le</strong>versépar la vision <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>aux d’Auguste Renoir, à tel point que sa vision <strong>de</strong> la réalité s’en trouvedéfinitivement modifiée : <strong>le</strong>s femmes sont <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s Renoir, <strong>le</strong>s voitures, l’eau, <strong>le</strong> cielsont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s Renoir 2 ... Le mon<strong>de</strong> n’est plus <strong>le</strong> même avant et après <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>aux <strong>de</strong>Renoir, non pas que Renoir ait créé une nouvel<strong>le</strong> image du mon<strong>de</strong> ou qu’il ait raconté tel<strong>le</strong> outel<strong>le</strong> histoire inédite : <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>versement provient <strong>de</strong> la langue pictura<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même. Quelquechose s’est passé avec ces peintures, <strong>le</strong>ur intonation, <strong>le</strong> vibrati<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs cou<strong>le</strong>urs, et unfiltre nouveau s’est déposé sur la réalité, comme une <strong>le</strong>ntil<strong>le</strong> polarisante. C’est ce que <strong>le</strong>philosophe Gil<strong>le</strong>s De<strong>le</strong>uze nomme l’ «opération poétique», un état singulier <strong>de</strong> la languequi «tremb<strong>le</strong> <strong>de</strong> tous ses membres». Cela signifie que comprendre une œuvre d’art, cen’est plus seu<strong>le</strong>ment la considérer dans sa signification ou dans une supposée logiquemais admettre qu’el<strong>le</strong> soit la résultante d’une «opération poétique» par laquel<strong>le</strong> la langue«n’est plus seu<strong>le</strong>ment une instance <strong>de</strong> connaissance mais qu’el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient, par <strong>le</strong> sty<strong>le</strong>, unepuissance.» 3 La très bel<strong>le</strong> image <strong>de</strong> ce f<strong>le</strong>uve invisib<strong>le</strong>, qui se déploie à 4000 mètres <strong>de</strong>profon<strong>de</strong>ur, bien plus <strong>le</strong>nt mais bien plus vaste que l’Amazone, constitue <strong>le</strong> point <strong>de</strong> départ<strong>de</strong> cette exposition qui rassemb<strong>le</strong> plus <strong>de</strong> 60 œuvres réalisées par une quarantaine d’artistes<strong>de</strong> la col<strong>le</strong>ction du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>.1- France Culture, Hors-Champs, 30 août 2012.2- Marcel Proust, « Le Côté <strong>de</strong> Guermantes II », à la recherche du temps perdu, Gallimard, pp.999-1000.3- Christophe Fiat, La Ritournel<strong>le</strong>, Editions Léo Scheer, 2002, p.62.


Les espaces du rez-<strong>de</strong>-chaussée regroupent <strong>de</strong>s œuvres qui entretiennent une relationspécifique au cinéma et au statut <strong>de</strong> l’image. Si certaines d’entre el<strong>le</strong>s citent explicitement<strong>de</strong>s films - The Departed <strong>de</strong> Scorsese, Vertigo d’Hitchcock, Fight Club <strong>de</strong> Fincher, BlowUp d’Antonioni -, el<strong>le</strong>s posent avant tout la question <strong>de</strong> la langue cinématographique et <strong>de</strong>ses extensions vers <strong>le</strong>s autres arts que sont la peinture, la photographie, <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin, la vidéoou la sculpture, et doivent permettre <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> répondre à ces trois questions qui sont<strong>le</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’histoire du cinéma : qu’y a-t-il sur l’image, qu’y a-t-il <strong>de</strong>rrière l’image,comment puis-je m’insérer dans l’image ?Le premier étage pourra donner <strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>s œuvres se déploient selon <strong>de</strong>ux voiestoujours parallè<strong>le</strong>s qui, au final, constituent <strong>de</strong>ux manières possib<strong>le</strong>s d’appréhen<strong>de</strong>r ceparcours. L’une, narrative en apparence, conduit <strong>le</strong> spectateur d’un rapport ombre/lumière(première sal<strong>le</strong>) jusqu’à l’abstraction (<strong>de</strong>rnière sal<strong>le</strong>) en passant par <strong>le</strong> contemplatif, <strong>le</strong>paysage, la déambulation, <strong>le</strong> documentaire, <strong>le</strong> sensib<strong>le</strong>. L’autre voie est plus souterraine :<strong>de</strong>s images dédoublées <strong>de</strong> la première sal<strong>le</strong>, jusqu’à la <strong>de</strong>rnière peinture <strong>de</strong> ce parcours,cette secon<strong>de</strong> manière d’abor<strong>de</strong>r l’exposition tente <strong>de</strong> rejoindre ce f<strong>le</strong>uve souterrain qui estcelui <strong>de</strong> la langue, du sty<strong>le</strong>, <strong>de</strong> la puissance qui se dissimu<strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s œuvres. Si, pourGauguin (évoquant la peinture <strong>de</strong> Cézanne), «rien ne ressemb<strong>le</strong> plus à une croûte qu’unchef-d’œuvre », il faut admettre que la force <strong>de</strong> l’art ne rési<strong>de</strong> pas uniquement à la surface<strong>de</strong>s choses et que, sans doute, sous l’Amazone cou<strong>le</strong> un f<strong>le</strong>uve. Gil<strong>le</strong>s De<strong>le</strong>uze dit d’édithPiaf qu’«el<strong>le</strong> avait ce truc <strong>de</strong> chanter faux et <strong>de</strong> rattraper perpétuel<strong>le</strong>ment la fausse note,cette espèce <strong>de</strong> système en déséquilibre où on ne cesse pas <strong>de</strong> rattraper, parce que ça meparaît être <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> tout sty<strong>le</strong>» 4 et l’on pourrait dire, à l’inverse, que <strong>le</strong> rock est un mouvementmélodique opposé à celui <strong>de</strong> Piaf, où l’on commence par chanter juste pour faire dérail<strong>le</strong>rla voix en fin <strong>de</strong> phrase : nous ne sommes pas très éloignés dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cas <strong>de</strong> certainesœuvres qui figurent dans la toute <strong>de</strong>rnière sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> cette exposition...Enfin, ajoutons que <strong>le</strong>s œuvres n’ont <strong>de</strong> sens que parce qu’el<strong>le</strong>s ont cette formidab<strong>le</strong> etétonnante capacité à déplacer nos perceptions, parce que <strong>le</strong>ur signification n’est pas cel<strong>le</strong><strong>de</strong>s mots employés pour <strong>le</strong>s décrire (et <strong>le</strong>s notices qui constituent ce livret n’ont qu’uneva<strong>le</strong>ur très relative), parce que <strong>le</strong> souvenir que nous gardons <strong>de</strong>s œuvres et la manière dontcel<strong>le</strong>s-ci surgissent inopinément dans notre mémoire obéissent assurément au profond et<strong>le</strong>nt mouvement d’un f<strong>le</strong>uve inexprimab<strong>le</strong> qui donne à l’art sa va<strong>le</strong>ur absolue.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne4- Gil<strong>le</strong>s De<strong>le</strong>uze, «O comme opéra», Abécédaire, film <strong>de</strong> Pierre-André Boutang, 1988.


62813475Rez-<strong>de</strong>-Chaussée


1 David REEDNé aux États-Unis en 1944Vit aux États-UnisThe Kiss - 2005Photographie - Ed. 8/1520 x 153 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Don <strong>de</strong> l’artiste en 2008The Kiss inaugure cette exposition etintroduit <strong>le</strong>s espaces du rez-<strong>de</strong>-chaussée,consacrés aux relations qui unissentpeinture, <strong>de</strong>ssin, photographie, volumeet cinéma. Ces relations font l’objet <strong>de</strong>puisquelques années d’acquisitions régulièresdu <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> afin d’enrichir unecol<strong>le</strong>ction qui, dès sa création, s’estspécialisée sur la peinture pour ensuiteétendre son champ d’intérêt au statut <strong>de</strong>l’image dans son sens <strong>le</strong> plus large.Dans <strong>le</strong>s années quatre-vingt, l’œuvre dupeintre américain David Reed a connu untournant passionnant. Ses préoccupationsse sont progressivement étendues à lafaçon dont la peinture abstraite pouvaitfaire <strong>le</strong> lien entre un héritage historiqueet <strong>le</strong>s médias contemporains comme <strong>le</strong>cinéma. Ses tab<strong>le</strong>aux, peints avec <strong>de</strong>scou<strong>le</strong>urs irradiantes sur <strong>de</strong>s formatsproches du cinémascope, ont peu à peutrouvé un certain nombre d’extensions ausein d’installations où <strong>le</strong> cinéma joue un rô<strong>le</strong><strong>de</strong> premier ordre. The Kiss, photographiecomposée <strong>de</strong> quatre images, est <strong>de</strong> cepoint <strong>de</strong> vue caractéristique. Extraite d’unmontage vidéo créé par David Reed, el<strong>le</strong>présente la célèbre séquence du filmVertigo, réalisé par Alfred Hitchcock en1958, dans laquel<strong>le</strong> David Reed a incrustéune <strong>de</strong> ses œuvres, visib<strong>le</strong> sur la premièreimage, en arrière-plan.omniprésente dans tout <strong>le</strong> film. Spira<strong>le</strong> dugénérique, chignon <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ine, spira<strong>le</strong>vertigineuse <strong>de</strong> l’escalier <strong>de</strong> l’église,parcours <strong>de</strong> la voiture <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ine serendant chez Scottie, tronc du séquoia oùMa<strong>de</strong><strong>le</strong>ine situe sa propre mort, la spira<strong>le</strong>est l’élément souterrain du film d’Hitchcockqui, bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la trame du scénario,permet au réalisateur <strong>de</strong> développer unvocabulaire cinématographique novateur.Cette spira<strong>le</strong>, qui provoque <strong>le</strong> vertigedu film, est aussi la forme centra<strong>le</strong> <strong>de</strong>speintures <strong>de</strong> David Reed <strong>de</strong>puis plusieursdécennies. Développée en arabesquessuperposées et emmêlées, el<strong>le</strong> est <strong>le</strong>fon<strong>de</strong>ment du vocabulaire pictural <strong>de</strong>l’artiste américain et trouve ses originesdans <strong>le</strong>s plis <strong>de</strong>s tentures et <strong>de</strong>s vêtements<strong>de</strong> la peinture baroque italienne du 17èmesièc<strong>le</strong>.Jean-Char<strong>le</strong>s VergneDans cette séquence, Scottie (interprétépar James Stewart) et Ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ine (KimNovak) échangent un long baiser, filméselon un travelling à 360 <strong>de</strong>grés qui reprendsymboliquement la figure <strong>de</strong> la spira<strong>le</strong>,


2 David LYNCHNé aux États-Unis en 1946 - Vit aux États-UnisI See Myself - 2007Lithographie - Ed. 24/30 - 66 x 87 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012C’est lors <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s à l’Académie <strong>de</strong>sBeaux-Arts <strong>de</strong> Pennsylvanie, à Phila<strong>de</strong>lphiedans <strong>le</strong>s années 60 que David Lynchdébute, presque acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment, sacarrière <strong>de</strong> cinéaste. Ces années d’étu<strong>de</strong>seront déterminantes pour l’élaborationd’un langage cinématographique dans<strong>le</strong>quel l’histoire <strong>de</strong> la peinture occupe uneplace prépondérante. C’est en 2007, àl’occasion d’une importante exposition <strong>de</strong>ses œuvres à la Fondation Cartier à Paris ,que David Lynch découvre l’atelier d’artI<strong>de</strong>m et déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> venir y travail<strong>le</strong>r chaqueannée pour créer <strong>de</strong>s lithographies.L’utilisation <strong>de</strong> la lithographie ne décou<strong>le</strong>pas d’une volonté <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s œuvresen plusieurs exemplaires mais doitse comprendre dans une relation trèssingulière qu’entretient l’artiste au supportlithographique lui-même. La pierre lithographiqueprend son sens pour DavidLynch dans ses spécificités minéra<strong>le</strong>s,mémoriel<strong>le</strong>s (la pierre, sablée aprèsutilisation, porte la mémoire <strong>de</strong>s œuvresantérieures faites par d’autres que lui) etdans la nécessité <strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r à l’envers,en miroir, rejoignant ainsi l’un <strong>de</strong>s thèmesfondateurs <strong>de</strong> son univers. La pierre estenvisagée comme une scène <strong>de</strong> théâtreoù se joue l’œuvre avant sa disparitionpar effacement, scène sur laquel<strong>le</strong> sedéploie un mon<strong>de</strong> inversé (comme <strong>le</strong> sont<strong>le</strong>s univers <strong>de</strong> ses films, <strong>de</strong> la black lodge<strong>de</strong> Twin Peaks aux jeux <strong>de</strong> miroirs <strong>de</strong> LostHighway, en passant par toutes <strong>le</strong>s scènes<strong>de</strong> théâtre où la logique s’inverse – dansEraserhead, Rabbits, Mulholland Drive…)A l’occasion <strong>de</strong> l’exposition Man WakingFrom Dream, consacrée en 2012 à DavidLynch, <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> a acquis un<strong>de</strong>ssin et une série <strong>de</strong> six estampes. L’uned’entre el<strong>le</strong>s, I See Myself, représenteun espace théâtralisé, encadré <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxri<strong>de</strong>aux ouverts sur une scène. Sur cettescène, un corps blanc, allongé, duquelémane un second corps en négatif, flottantdans l’air comme un corps astral. Les <strong>de</strong>uxcorps sont liés l’un à l’autre par une matièrehybri<strong>de</strong>, à la fois feu et é<strong>le</strong>ctricité. Cetteestampe synthétise <strong>le</strong>s grands thèmesqui parcourent l’œuvre lithographiqueet cinématographique <strong>de</strong> David Lynch.Dualité, complémentarité, scission <strong>de</strong>scorps et <strong>de</strong>s âmes, énergie, théâtralité,interaction, intériorité, regard, se fon<strong>de</strong>nten une seu<strong>le</strong> réalisation jouant d’un effetmiroir, redoublé par l’exécution en miroirdu <strong>de</strong>ssin sur la pierre lithographique.Chez David Lynch, <strong>le</strong>s univers sontfragmentaires, brisés, scindés ; <strong>le</strong>s corpssont segmentés, démembrés ; et pourtanttous ces mon<strong>de</strong>s, tous ces corps, toutesces réalités atomisées ten<strong>de</strong>nt toujoursvers une réunification, vers une unitéretrouvée.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


3 Ned VENANé aux États-Unis en 1982 - Vit aux États-UnisThe Departed - 2008Miroir, aci<strong>de</strong> - 152 x 305 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2009Dans <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Ned Vena <strong>de</strong>uxcultures se rencontrent. La culture dite«savante», cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s mouvancesartistiques, au sein <strong>de</strong>squel<strong>le</strong>s il puise <strong>de</strong>nombreuses références empruntées auMinimal Art, au courant Hard Edge et à<strong>de</strong>s artistes parmi <strong>le</strong>squels Frank Stella,originaire <strong>de</strong> Boston tout comme lui,constitue l’une <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s sources.La culture populaire, d’autre part, danslaquel<strong>le</strong> Ned Vena trouve ses techniques,inspirées <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s graffeurs et <strong>de</strong>sproduits utilisés dans <strong>le</strong>s actes <strong>de</strong>vandalisme. The Departed appartient àune série d’œuvres réalisées par projectiond’aci<strong>de</strong> sur du miroir pour en graver lasurface. La technique employée fait échoaux drippings <strong>de</strong> Jackson Pollock, auxpeintures du mouvement d’avant-gar<strong>de</strong>japonais Gutaï, aux Oxydation Paintingsd’Andy Warhol.L’aci<strong>de</strong> a rongé <strong>le</strong> miroir, rendant aveug<strong>le</strong>toute sa partie centra<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> justement<strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> spectateur cherchespontanément son ref<strong>le</strong>t. Face à l’œuvre,<strong>le</strong> spectateur se trouve comme face àun ang<strong>le</strong> mort, un point aveug<strong>le</strong> dontseu<strong>le</strong> la périphérie continue <strong>de</strong> refléterl’environnement extérieur. Le titre <strong>de</strong>l’œuvre <strong>de</strong> Ned Vena est une citation dufilm <strong>de</strong> Martin Scorsese (Les Infiltrés enversion française). Si l’aci<strong>de</strong> évoque <strong>le</strong>vitriol aspergé sur <strong>le</strong>s visages en guise<strong>de</strong> représail<strong>le</strong>s, ce film sur la mafia <strong>de</strong>Boston s’attache éga<strong>le</strong>ment à la question<strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité. Il raconte l’histoire<strong>de</strong> la confusion i<strong>de</strong>ntitaire d’un policier(Leonardo DiCaprio) infiltré dans un ganget d’un mafieu (Matt Damon) infiltré dansla police.Présentée en vis-à-vis <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> DavidLynch, The Departed trouve sa significationprolongée par son environnement. El<strong>le</strong>reflète I See Myself et la fait apparaîtretel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> fut exécutée, à l’envers, sur lapierre lithographique par David Lynch. El<strong>le</strong>propulse <strong>le</strong> jeu <strong>de</strong> miroir du personnagese voyant lui-même dans un troub<strong>le</strong> digne<strong>de</strong> ses films : <strong>le</strong> personnage se dédoub<strong>le</strong>sur une scène, el<strong>le</strong>-même dédoublée etinversée... Enfin, une relation triangulaires’opère entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux œuvres et <strong>le</strong>urspectateur. Si, avec David Lynch, il estpossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> se voir soi-même, ce regards’effectue toujours avec un retard. Siavec Ned Vena <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t est immédiat, la<strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la surface par l’aci<strong>de</strong> excluetoute possibilité d’image.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


4 Emmanuel LAGARRIGUENé en France en 1972 - Vit en FranceJust With Your Eyes I Will See - 2007Installation sonore100 x 100 x 100 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2008Les sculptures et installations d’EmmanuelLagarrigue sont généra<strong>le</strong>ment réalisées àpartir <strong>de</strong> matériaux souvent connotés par<strong>le</strong>ur simplicité et par <strong>le</strong>ur appartenanceau registre plastique utilisé par <strong>le</strong>s artistes<strong>de</strong> l’Art Minimal il y a quelques décennies(rails d’aluminium et néons notamment). Cevocabulaire épuré et <strong>le</strong>s formes qu’il utilise(<strong>le</strong> cube revient <strong>de</strong> manière récurrente),servent <strong>de</strong> support, d’armature, à la miseen place <strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> sonorisation oùrien n’est dissimulé : <strong>le</strong>s réseaux <strong>de</strong> fils,<strong>le</strong>s dominos <strong>de</strong> raccor<strong>de</strong>ment, <strong>le</strong>s hautpar<strong>le</strong>urs,<strong>de</strong>meurent nus, donnant ainsi auxpièces un aspect brut.Emmanuel Lagarrigue considère <strong>le</strong>son diffusé par <strong>le</strong>s œuvres comme unélément sculptural à part entière. Sadiffusion répartie sur <strong>le</strong>s quatre faces ducube invitent <strong>le</strong> spectateur à se déplacercomme on <strong>le</strong> fait habituel<strong>le</strong>ment pour voirune sculpture, afin <strong>de</strong> reconstituer, autantque faire se peut, <strong>le</strong> fil narratif tissé par<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s qui s’échangent. Le son faitl’objet d’un travail très méticu<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> lapart d’Emmanuel Lagarrigue qui en est<strong>le</strong> <strong>de</strong>signer. Les bribes <strong>de</strong> voix proférant<strong>de</strong>s textes écrits par l’artiste, <strong>le</strong>s sons etmusiques, composés et mixés par lui, sontorganisés <strong>de</strong> manière à être diffusés <strong>de</strong>façon très précise par <strong>le</strong>s haut-par<strong>le</strong>urs quinon seu<strong>le</strong>ment doivent être perçus commeéléments plastiques mais aussi commemoyens <strong>de</strong> spatialiser la ban<strong>de</strong> sonore.Just with your eyes I will see donne au sonune amp<strong>le</strong>ur spatia<strong>le</strong> subti<strong>le</strong> et <strong>le</strong> déplacementdu spectateur autour <strong>de</strong> l’œuvreimporte. La lumière diffuse <strong>de</strong>s néons et <strong>le</strong>mo<strong>de</strong> d’élaboration <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s sonores -voix chuchotantes, bribes <strong>de</strong> textes à peineintelligib<strong>le</strong>s, sonorités et musiques sour<strong>de</strong>s -génèrent une atmosphère enveloppanteaux propriétés cinématographiques, maisqui seraient cel<strong>le</strong>s d’un cinéma sansimage. Ici <strong>le</strong>s images sont menta<strong>le</strong>s, àpeine esquissées peut-être par <strong>le</strong>s indicesdonnés par <strong>le</strong>s mots échangés entre <strong>de</strong>sprotagonistes que nous ne verrons paset par l’ambiance étrange distillée par<strong>le</strong>s sons é<strong>le</strong>ctroniques qui couvrent <strong>le</strong>ursvoix. Ici, contrairement à scène circulaired’Hitchcock reprise par David Reed, c’est<strong>le</strong> spectateur qui tourne autour d’une scèneinvisib<strong>le</strong> pour en créer une image menta<strong>le</strong>.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


5 Fabian MARCACCIONé en Argentine en 1963Vit aux États-UnisSans titre -1999Acrylique, encre, silicone sur toi<strong>le</strong>5 x (71 x 48) cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2002Depuis 1989, Fabian Marcaccio a réaliséprès <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> <strong>de</strong>ssins (voir ci<strong>de</strong>ssous)qui constituent un alphabetpictural qu’il recyc<strong>le</strong> dans ses peintures.Faux coups <strong>de</strong> pinceaux, détails <strong>de</strong>trames <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>s, symbo<strong>le</strong>s politiqueset guerriers, coulures méticu<strong>le</strong>usement<strong>de</strong>ssinées, etc. s’agencent comme autant<strong>de</strong> greffes pictura<strong>le</strong>s. Ces motifs peuventêtre numérisés puis sérigraphiés surbâche synthétique ou être modélisés entrois dimensions et <strong>de</strong>venir <strong>le</strong>s matrices<strong>de</strong> moulages en silicone <strong>de</strong>stinés à êtrefixés à même <strong>le</strong>s œuvres. Cette chirurgieplastique, au sens <strong>le</strong> plus littéral du terme,transforme <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin originel et l’intègredans un ensemb<strong>le</strong> constitué <strong>de</strong> centaines<strong>de</strong> mou<strong>le</strong>s utilisab<strong>le</strong>s individuel<strong>le</strong>mentou combinab<strong>le</strong>s entre eux. La languefait corps. A ces <strong>de</strong>ssins s’ajoute uneimportante base <strong>de</strong> données <strong>de</strong> photographiesnumérisées et retouchées. Uncoup <strong>de</strong> pinceau numérisé supporte unmoulage <strong>de</strong> coup <strong>de</strong> pinceau en silicone,jouxte un «vrai» coup <strong>de</strong> pinceau exécutéà l’hui<strong>le</strong> ou à l’acrylique, un objet moulése transmute en coup <strong>de</strong> pinceau brosséqui <strong>de</strong>vient lui-même partie prenanted’un corps sérigraphié… et l’on passe enpermanence d’une dimension à l’autre,d’une échel<strong>le</strong> à l’autre, du macro aumicroscopique. Cette pluralité <strong>de</strong> points<strong>de</strong> vues, au lieu d’instaurer une relationfronta<strong>le</strong> et immobi<strong>le</strong> à l’œuvre, fait appel àune grammaire <strong>de</strong> type cinématographiqueau sein <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> se succè<strong>de</strong>nt zoomsavant, travellings arrière, accélérations,ra<strong>le</strong>ntis, flous, fondus.Sans titre réalise, au sens filmique duterme, un zoom avant dont <strong>le</strong> point <strong>de</strong>départ est un nu traité avec maints effetssurjouant l’héritage impressionniste etdont la finalité consiste à opérer une explorationorganique <strong>de</strong> l’intériorité <strong>de</strong> ce nu.La phrase <strong>de</strong> Paul Valéry selon laquel<strong>le</strong> «<strong>le</strong>plus profond, c’est la peau» trouve ici sonsens <strong>le</strong> plus littéral puisqu’il s’agit, dansce polyptyque, d’entrer à l’intérieur mêmedu corps représenté sur <strong>le</strong> premier élément.Ce travelling reprend, en l’inversant,celui qui tient lieu <strong>de</strong> générique au film<strong>de</strong> David Fincher, Fight Club : d’abordsituée à l’intérieur d’un cerveau, la caméraeffectue un zoom arrière, s’extrait <strong>de</strong> latête du personnage (interprété par EdwardNorton) par un pore <strong>de</strong> la peau du frontsous la forme d’une goutte <strong>de</strong> sueur.Dans l’œuvre <strong>de</strong> Fabian Marcaccio, cetravelling «endoscopique» pénètre <strong>le</strong> corps<strong>de</strong> la peinture jusqu’à atteindre une formed’abstraction organique.Jean-Char<strong>le</strong>s VergneFabian Marcaccio - Sans titre - 2005 - Feutre sur toi<strong>le</strong> - 22 x 30 cm - Col<strong>le</strong>ction privée.


6 Alain JOSSEAUNé en France en 1968 - Vit en FranceTime Surface (Blow Up) - 2009Pierre noire et fusain sur papier180 x 300 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Si Fabian Marcaccio nous convie à uneplongée spatia<strong>le</strong> à l’intérieur d’un corpshumain, qui est aussi <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> lapeinture, Alain Josseau ajoute quant à luila dimension du temps à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’espace.Ses œuvres concernent principa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>squestions du temps, <strong>de</strong> la représentationet <strong>de</strong> l’image dans un dialogue permanententre <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin et <strong>le</strong> cinéma. Trois filmsen particulier l’ont conduit ces <strong>de</strong>rnièresannées à réaliser <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> grandsformats réunis dans une série intituléeTime Surface : Fenêtre sur Cour (AlfredHitchcock, 1954), Blow Up (MichelangeloAntonioni, 1966) et Bla<strong>de</strong> Runner (Rid<strong>le</strong>yScott, 1982). Dans ces films sont à l’œuvreune même implication du spectateur dansl’acte <strong>de</strong> voir comme acte <strong>de</strong> voyeurisme.Ils engagent une réf<strong>le</strong>xion sur l’optiqueet <strong>le</strong> point <strong>de</strong> vue et dérou<strong>le</strong>nt uneintrigue calée sur une enquête où l’imagephotographique, par l’intermédiaire <strong>de</strong> sesagrandissements ou <strong>de</strong> la puissance dutéléobjectif, sert <strong>de</strong> révélation et permetd’accé<strong>de</strong>r aux moindres replis du visib<strong>le</strong>.Alain Josseau rejoue la même investigation,la même plongée dans l’image. Mais c’esten employant <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin qu’il opère <strong>le</strong>remake, <strong>le</strong> passage d’un écran à l’autre.«Dans ses <strong>de</strong>ssins, toutes <strong>le</strong>s scènes sontremises à plat, c’est-à-dire que ce qui estrendu possib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> temps dans <strong>le</strong>s films(plans, mouvements <strong>de</strong> caméra, montage)est ici compilé en une seu<strong>le</strong> image. Ici,la surface c’est du temps et cel<strong>le</strong>-ci estproportionnel<strong>le</strong> à la durée <strong>de</strong> la séquence.Dans la séquence <strong>de</strong> l’agrandissement<strong>de</strong> Blow Up, <strong>le</strong> photographe effectueune suite d’agrandissements, une suited’immersions dans une unique image,chaque agrandissement partant d’unezone <strong>de</strong> l’agrandissement précé<strong>de</strong>nt qu’acirconscrite <strong>le</strong> photographe au crayon.L’image étant agrandie, <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>signes élémentaires composant l’imagediminue proportionnel<strong>le</strong>ment au tauxd’agrandissement. L’image est donc <strong>de</strong>plus en plus altérée et comporte <strong>de</strong> moinsen moins <strong>de</strong> signes d’autant plus qu’ilre-photographie à chaque fois <strong>le</strong> tirageprécé<strong>de</strong>nt. Cette immersion dans l’image adétruit une part <strong>de</strong> l’information organisée,créant une image à la limite <strong>de</strong> l’abstrait,composée <strong>de</strong> grains. L’espace <strong>de</strong> BlowUp est un espace discontinu, un espacetroué, construit <strong>de</strong> plans successifsavec au milieu... du noir. Dans ce <strong>de</strong>ssintoute la séquence (et donc <strong>le</strong>s différentsagrandissements) est remise à plat,mélangeant par là-même <strong>le</strong>s niveaux <strong>de</strong>définition et permettant ainsi d’apercevoir,dans ce qui n‘est déjà plus que <strong>de</strong>s taches,un pisto<strong>le</strong>t, une main, un visage.» 11- Daniel<strong>le</strong> Delouche, Alain Josseau, à la vitesse <strong>de</strong>s images, Ga<strong>le</strong>rie Claire Gastaud / Le Bar, 2012, pp.18-19.


7 David LYNCHNé aux États-Unis en 1946 - Vit aux États-UnisDancing Machines Create Image - 2007Lithographie - Ed. 10/3066 x 89 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Le philosophe Gil<strong>le</strong>s De<strong>le</strong>uze déclarait que«l’inconscient n’est pas un théâtre, maisune usine, une machine à produire». Dansl’univers <strong>de</strong> David Lynch, l’inconscient estcertainement <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux à la fois.Théâtre, comme <strong>le</strong> démontre <strong>le</strong> nombreimpressionnant <strong>de</strong> scènes dans sesfilms : théâtre-mon<strong>de</strong> du radiateur dansEraserhead, chambre <strong>de</strong> Dorothy Val<strong>le</strong>nsagencée comme une scène dans BlueVelvet, concerts dans Twin Peaks ou dansWild at Heart, scène du club <strong>de</strong> jazz dansLost Highway, du Si<strong>le</strong>ncio et <strong>de</strong>s plateaux<strong>de</strong> tournage dans Mulholland Drive, misesen abîme du cinéma dans Inland Empire…Usine et machine à produire, à coupsûr, tant l’inconscient lynchien fabriquecontinuel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong>squelsd’ail<strong>le</strong>urs l’univers industriel n’est pasabsent comme en attestent <strong>le</strong>s usinesdélabrées <strong>de</strong> Eraserhead, <strong>le</strong> contexte <strong>de</strong>révolution industriel<strong>le</strong> <strong>de</strong> E<strong>le</strong>phant Man,la scierie <strong>de</strong> Twin Peaks ou, plus symboliquement<strong>le</strong>s plateaux <strong>de</strong> tournage <strong>de</strong>l’industrie du cinéma dans MulhollandDrive ou Inland Empire.La qualité singulière <strong>de</strong> la pierrelithographique est <strong>de</strong> n’être pas à usageunique mais <strong>de</strong> subir, après emploi, uneffacement par sablage qui la prépare àêtre <strong>le</strong> réceptac<strong>le</strong> d’une œuvre à venir. Lesimages qui s’y créent se superposent auximages anciennes, effacées, qui continuentnéanmoins <strong>de</strong> hanter la surface <strong>de</strong> la pierretel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s survivances fantomatiques. Unepierre lithographique est une scène. El<strong>le</strong>est, comme tout lieu <strong>de</strong> représentationscénique, un espace clos, une enceinteque d’autres ont arpenté avant que <strong>le</strong>support n’ait été débarrassé, arasé, remisà neuf pour d’autres représentations,d’autres créations. Une scène est un lieudépouillé où à la vacuité spatia<strong>le</strong> suppléel’alternance <strong>de</strong> l’ombre et <strong>de</strong> la lumière.L’encre lithographique est l’ombre <strong>de</strong>la scène, crée la théâtralité du micromon<strong>de</strong>qui se déploie sur cette surfacevouée à l’effacement, à la disparition :un tombeau. Une pierre est une scène<strong>de</strong> théâtre accueillant une gestuel<strong>le</strong>, unemise en espace, un point <strong>de</strong> vue frontal.L’omniprésence <strong>de</strong> la théâtralité dans <strong>le</strong>sfilms <strong>de</strong> David Lynch ne pouvait que trouverson prolongement naturel sur la surfacelithographique dont l’expression fina<strong>le</strong>sur <strong>le</strong> papier impressionné est une vueinversée. Dancing Machines Create Imageest la synthèse <strong>de</strong> l’univers lynchien. Unescène <strong>de</strong> théâtre sur laquel<strong>le</strong> une machineentre mouvement, créant ainsi une image,une béance noire sur <strong>le</strong> mur du fond,semblab<strong>le</strong> à l’optique d’une caméra : ainsiDavid Lynch compose-t-il une allégorie <strong>de</strong>la naissance du cinéma.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne1- Gil<strong>le</strong>s De<strong>le</strong>uze, Pourpar<strong>le</strong>rs, Editions <strong>de</strong> Minuit, 1990, p.197.


8 éric BAUDELAIRENé aux États-Unis en 1973 - Vit en FranceSugar Water - 2006Vidéo HD - 72 mnCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2008Par ses photographies et ses films, EricBau<strong>de</strong>laire mène une réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>statut <strong>de</strong> l’image contemporaine. Avec <strong>le</strong>film Sugar Water, il construit une véritab<strong>le</strong>machine à disséquer l’image en employant<strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> représentation et <strong>de</strong>réception qui appartiennent tout autantau registre <strong>de</strong> la photographie qu’à celuidu cinéma. La scène se dérou<strong>le</strong> dansune station <strong>de</strong> métro, dont <strong>le</strong> nom a étérebaptisé «Porte d’Erewhon», en référenceau roman <strong>de</strong> Samuel But<strong>le</strong>r, Erewhon(1872). Le titre procè<strong>de</strong> à la fois d’unretournement <strong>de</strong> la langue et d’un jeu <strong>de</strong>mots : «erewhon» est l’envers <strong>de</strong> nowhere(nul<strong>le</strong> part) qui, scindé en <strong>de</strong>ux parties,donne now here (maintenant ici). AvecSamuel But<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> nul<strong>le</strong> part est éga<strong>le</strong>mentun « ici et maintenant ».Sugar Water repose sur la même articulation: il s’agit d’une œuvre sans lieu,d’une station <strong>de</strong> métro située «porte <strong>de</strong>nul<strong>le</strong> part», d’une action utopique ; ils’agit aussi d’une action qui se dérou<strong>le</strong>dans un non lieu par excel<strong>le</strong>nce où l’onne fait que passer. Le nom <strong>de</strong> la stationdonne ainsi l’indice d’une action sanslocalisation ou, plutôt, se déroulant dansun lieu artificiel, fabriqué <strong>de</strong> toutes pièces.Nous sommes effectivement dans un fauxlieu, dans un décor <strong>de</strong> cinéma à l’intérieurduquel tous <strong>le</strong>s protagonistes sont enréalité <strong>de</strong>s acteurs. Ils interprètent unelongue scène parfaitement réglée autourd’un col<strong>le</strong>ur d’affiches posant un à un <strong>le</strong>sdifférents lés <strong>de</strong>stinés à constituer uneaffiche publicitaire. Alors que l’image serévè<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s usagers du métro montent et<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt d’une rame dont on n’entendque <strong>le</strong> bruit. Progressivement, l’imageposée au mur dévoi<strong>le</strong> son contenu, unesimp<strong>le</strong> rue parisienne où sont garées<strong>de</strong>s voitures. Puis <strong>le</strong> col<strong>le</strong>ur d’afficherecouvre cette image par une secon<strong>de</strong>,dans laquel<strong>le</strong> la voiture garée au premierplan explose. Puis une troisième imagecouvre la secon<strong>de</strong>, montrant la voiture enflammes. Une quatrième image présente lacarcasse calcinée du véhicu<strong>le</strong> avant qu’uncinquième et ultime recouvrement redonneau panneau publicitaire son aspect initial,un grand monochrome b<strong>le</strong>u semblab<strong>le</strong> àune peinture d’Yves K<strong>le</strong>in. Simultanément,<strong>le</strong>s figurants qui interprètent <strong>le</strong>s usagers dumétro vont se succé<strong>de</strong>r autant <strong>de</strong> fois qu’ily a d’images, refaisant <strong>le</strong>s mêmes gestes,parfois permutant <strong>le</strong>urs rô<strong>le</strong>s. à aucunmoment ils ne prêteront attention à laséquence d’images qui se dévoi<strong>le</strong> sous <strong>le</strong>uryeux comme <strong>le</strong> plan séquence d’une scènecinématographique ra<strong>le</strong>nti à l’extrême.La vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la scène, littéra<strong>le</strong>ment«développée» par <strong>le</strong> col<strong>le</strong>ur d’affiches,<strong>le</strong>ur échappe soit par indifférence, soitparce que ce développement qui mixe <strong>le</strong>stechniques <strong>de</strong> la photographie à cel<strong>le</strong>s ducinéma se loge dans un laps <strong>de</strong> temps troplong qui rend fina<strong>le</strong>ment l’image exsangue<strong>de</strong> tout contenu spectaculaire.Il s’agit ici <strong>de</strong> réfléchir à la manière d’étirerau maximum <strong>le</strong> mécanisme du suspensecinématographique pour lui ôter touteffet. Dans ce film, ce sont trois espacestempsqui se juxtaposent sans jamais serencontrer : l’espace-temps extérieur duspectateur que nous sommes, l’espace-


temps ra<strong>le</strong>nti <strong>de</strong>s photogrammes <strong>de</strong>l’explosion, et celui <strong>de</strong>s usagers, inexorab<strong>le</strong>mentpris dans une bouc<strong>le</strong> spatiotemporel<strong>le</strong>,reproduisant à l’infini <strong>le</strong>s mêmesgestes, <strong>le</strong>s mêmes parcours sur ce quai <strong>de</strong>«nul<strong>le</strong> part». Le titre du film, Sugar Water,fait référence à une phrase <strong>de</strong> Bergsondans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> philosophe expliqueque pour prendre la p<strong>le</strong>ine mesure <strong>de</strong>l’écou<strong>le</strong>ment du temps, il suffit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>run sucre fondre dans un verre d’eau. Letemps très long du film - 72 minutes - etson action démesurément étirée donnentcette dimension à la durée. Eric Bau<strong>de</strong>lairedéclarait d’ail<strong>le</strong>urs se satisfaire tout à faitque l’on puisse ne regar<strong>de</strong>r que quelquesminutes du film pour éventuel<strong>le</strong>ment envisionner un autre passage plus tard dansla visite <strong>de</strong> l’exposition.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


546273334 3513893210312928272612 13112230212524181517 1420231916Premier étage


1 Andreas ErikssonNé en Suè<strong>de</strong> en 1975 - Vit en Suè<strong>de</strong>Car passes at 16:47 15/12 - 2010Car passes at 19:42 27/12 - 2010Acrylique sur dibond - 100 x 85 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011C’est à l’occasion <strong>de</strong> la 54 ème Bienna<strong>le</strong> <strong>de</strong>Venise en 2011 que ces œuvres ont étécréées, pour <strong>le</strong> Pavillon Nordique confiéà Andreas Eriksson. Les peintures titréesCar passes, presque <strong>de</strong>s monochromes,appartiennent à la série <strong>de</strong>s ShadowPaintings dont Andreas Eriksson expliquequ’el<strong>le</strong>s sont <strong>de</strong>s peintures exécutéesd’après <strong>le</strong>s ombres projetées la nuit par lafenêtre, dans sa maison, lors du passage <strong>de</strong>voitures sur la route. Réalisées au pisto<strong>le</strong>tà peinture, <strong>le</strong>s ombres se dissolvent,fantomatiques, jouent d’une persistancerétinienne, témoignent d’instants fugacesfixés dans <strong>le</strong> temps par <strong>le</strong>s titres donnésà chacune <strong>de</strong>s œuvres : l’ombre portée <strong>de</strong>l’encadrement <strong>de</strong> la fenêtre est vue <strong>le</strong> 15décembre 2010 à 16h47, la même fenêtreencadre l’ombre <strong>de</strong>s branches d’un arbresitué à proximité <strong>le</strong> 27 décembre à 19h42.Tout se joue dans <strong>le</strong> lisse <strong>de</strong> la peintureréalisée sur dibond, matériau utilisé pour<strong>le</strong> contrecollage <strong>de</strong> photographies. L’imageobtenue est absolument plane, ne laisseapparaître aucun geste, se constituecomme un artefact d’image photographique.Mais l’écart entre la photographieet la peinture ne s’effectue pas tant dansune tentative virtuose à reproduire avecexactitu<strong>de</strong> l’instantané photographiqueque dans un rapport particulier au temps.Si <strong>le</strong>s phares <strong>de</strong> la voiture qui passeéclairent, comme un flash, la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong>la maison par l’ouverture <strong>de</strong> la fenêtre etprojettent une image furtive sur un mur(reconstituant ainsi la mécanique d’unecamera obscura), la peinture <strong>de</strong>vra êtreméticu<strong>le</strong>usement et longuement travailléepour rendre compte <strong>de</strong> l’événement.Ce rapport au temps, où l’instant s’étiredans sa reproduction pictura<strong>le</strong>, impliqueune relation particulière à l’attente et à l’ennui.Andreas Eriksson vit dans une maisonisolée <strong>de</strong> la campagne suédoise en raisond’une hypersensibilité é<strong>le</strong>ctromagnétique,une pathologie qui l’oblige à s’éloigner <strong>de</strong>toute source d’on<strong>de</strong>s. Cet éloignement<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s vil<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>puis l’âge <strong>de</strong> 25 ansalors qu’il était l’assistant <strong>de</strong> l’artiste TobiasRehberger, eu <strong>de</strong>s conséquences radica<strong>le</strong>ssur sa production artistique qui, en peu<strong>de</strong> temps, s’est orientée vers <strong>de</strong>s préoccupationstrès différentes, fondées surl’observation <strong>de</strong>s espaces naturels auprès<strong>de</strong>squels il vit désormais. «J’ai commencéà col<strong>le</strong>ctionner <strong>le</strong>s ombres parce que jen’avais ni lumière é<strong>le</strong>ctrique, ni télévision,et quand vous êtes allongés sur un sofa lanuit, ce que vous voyez est ce qui se passeà l’extérieur, <strong>le</strong>s lumières qui se déplacentdans la pièce ; et j’ai commencé à en fairecol<strong>le</strong>ction.» 1 Cette col<strong>le</strong>ction d’images qui,tel<strong>le</strong> un théâtre d’ombres, bâtit la série <strong>de</strong>sShadow Paintings, engage une relationparticulière à l’espace, à l’attente, ausurgissement <strong>de</strong> la lumière et <strong>de</strong> l’imagedans une obscurité contrainte. Les voiturespassent <strong>de</strong> manière très épisodique dansla nuit <strong>de</strong> la campagne suédoise et c’estce surgissement qui ponctue l’attentedont Andreas Eriksson rend comptedans <strong>de</strong>s peintures presque invisib<strong>le</strong>s etcontemplatives.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne1- “Andreas Eriksson interviewed by Daniel Birnbaum and Hans Ulrich Obrist at Mo<strong>de</strong>rna Museet on 11 February, 2011”,Andreas Eriksson, Mo<strong>de</strong>rna Museet, Sternberg Press, 2011. Trad. J-Ch Vergne.


2 Pierre-Olivier ARNAUDNé en France en 1972 - Vit en FranceSans titre (Projet : Cosmos - ciel 04) - 2011Sérigraphie sur papier - 100 exemplaires175 x 119Col<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Pierre-Olivier Arnaud mène sur <strong>le</strong> statut<strong>de</strong> l’image un travail dont <strong>le</strong>s fon<strong>de</strong>mentsconceptuels sont à la mesure <strong>de</strong> lasensibilité poétique qui émane <strong>de</strong> sesœuvres, qui obéissent toujours au mêmeprocessus : une image photographiéeou trouvée est retouchée <strong>de</strong> façon à enamoindrir <strong>le</strong>s qualités plastiques, à ensoustraire <strong>le</strong>s aspects spectaculaires.L’image est, pourrait-on dire, délavée,réduite à <strong>de</strong>s va<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> gris (<strong>le</strong> noir et<strong>le</strong> blanc sont exclus), parfois en négatif(c’est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> Ciel 04), produite en centsérigraphies <strong>de</strong>stinées à être collées aumur tel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s papiers-peints. Ce protoco<strong>le</strong>inclut une disparition programmée <strong>de</strong>l’œuvre dans <strong>le</strong> temps : chaque présentationdoit être consignée dans un registreet, lorsque sera atteinte la centièmeprésentation, son existence prendra fin.Le processus obéit avec cohérence à laréf<strong>le</strong>xion menée par l’artiste sur <strong>le</strong> fluxd’images auquel nous sommes soumisen permanence et ces «anti-images» sontune réaction à cette incessante logorrhéepictura<strong>le</strong> sans qualité.Pourtant, ces images dévaluées (dans<strong>le</strong>ur forme comme dans <strong>le</strong> temps qui<strong>le</strong>ur est imparti), qu’el<strong>le</strong>s soient <strong>de</strong>svues <strong>de</strong> cieux marqués par <strong>le</strong> passaged’avions, <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s feux d’artifices,ou <strong>de</strong> maigres détails sur <strong>de</strong>s dégradés<strong>de</strong> gris, opèrent chez <strong>le</strong> spectateur untravail autant esthétique que mémoriel.Il se passe dans ces œuvres quelquechose d’assez analogue aux <strong>de</strong>rnièresimages du film L’éclipse, réalisé en 1962par Michelangelo Antonioni (cinéaste <strong>de</strong>référence pour Pierre-Olivier Arnaud).Avec ces images sublimes, qui adviennentalors que l’histoire racontée par <strong>le</strong> film estterminée, nous assistons à une succession<strong>de</strong> situations optiques et sonores pures quiimprègnent la séquence d’une temporalitésuspendue, au sein <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> finissentpar se confondre <strong>le</strong> temps d’une réalitéhumaine et celui, astronomique, <strong>de</strong>l’éclipse qui survient à la toute fin du film.Ces vues urbaines en noir et blanc (jetd’eau, immeub<strong>le</strong> en construction, arbresagités par <strong>le</strong> vent, ombre <strong>de</strong>s arbres sur<strong>le</strong> bitume...) semb<strong>le</strong>nt exclues <strong>de</strong> tout filnarratif et sont l’illustration parfaite <strong>de</strong> cecourant souterrain, <strong>de</strong> ce «f<strong>le</strong>uve sousl’Amazone». Ce rapport au temps dans<strong>le</strong> cinéma d’Antonioni est en adéquation,d’une certaine manière, avec la question<strong>de</strong> la surface en peinture ou avec cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>la syntaxe en poésie. C’est dans cette zoneindicib<strong>le</strong> que rési<strong>de</strong> ce qui, sans même quel’on s’en aperçoive, va travail<strong>le</strong>r longuementdans la mémoire du spectateur <strong>de</strong> l’œuvre.Et bien que Pierre-Olivier Arnaud use d’unprotoco<strong>le</strong> <strong>de</strong> dévaluation <strong>de</strong>s images,el<strong>le</strong>s n’en <strong>de</strong>viennent que plus puissantes,aptes à s’insérer subrepticement comme<strong>de</strong>s filtres polarisants sur <strong>le</strong> réel et il y afort à parier que ce ciel resurgisse inopinémentdans la mémoire <strong>de</strong> certains d’entrenous, plus tard. Plus précisément, cen’est pas <strong>de</strong> ce ciel là dont nous noussouviendrons car celui-ci est une imageen négatif, mais <strong>de</strong> l’image première,en positif, que nous ne verrons jamais :l’œuvre porte en réalité, intrinsèquement,<strong>de</strong>ux images.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


3 Dove ALLOUCHENé en France en 1972 - Vit en FranceAnonyme - 2011Encre, mine <strong>de</strong> plomb sur papier112 x 236 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Cette œuvre, acquise à l’issue <strong>de</strong>l’exposition <strong>de</strong> Dove Allouche au <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong> en 2011 avec un second <strong>de</strong>ssindu même format, fait l’objet d’indicationstrès précises <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’artiste quantà son processus technique. Il s’agit d’une«rehausse à l’encre <strong>de</strong> Chine noire puis d’un<strong>de</strong>ssin à la mine <strong>de</strong> plomb sur estampe àl’encre pigmentaire jet d’encre imprimée surpapier bfk rives, d’après une photographiestéréoscopique anonyme sur plaque <strong>de</strong>verre <strong>de</strong> 1917 numérisée et traitée enhaute définition». Ces éléments importentcar quiconque veut abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> travail <strong>de</strong>Dove Allouche doit avant toute chosecomprendre que toutes ses œuvres sontsous-tendues par une recherche liée auxmodalités <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> reproduction<strong>de</strong>s images. Dove Allouche a acquis<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années une connaissanceencyclopédique <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s techniquesqui se rapportent à la manière <strong>de</strong> faire<strong>de</strong>s images : photographie, radiographie,gravures, virages à l’or sur papier gélatinoargentique,héliogravure, <strong>de</strong>ssin hyperréalisteà la mine <strong>de</strong> plomb, encre <strong>de</strong>chine, etc. La chimie photographique, laqualité <strong>de</strong>s papiers et, plus globa<strong>le</strong>ment,l’histoire matériologique <strong>de</strong>s images n’ontpas <strong>de</strong> secret pour cet artiste fasciné parla manière dont cel<strong>le</strong>s-ci se fabriquent,se transmettent, se conservent, ren<strong>de</strong>ntvisib<strong>le</strong> l’invisib<strong>le</strong>, disparaissent, s’inscriventdans la mémoire col<strong>le</strong>ctive, etc.Anonyme est une doub<strong>le</strong> image, virtuose,exécutée durant <strong>de</strong>s semaines à partird’une plaque stéréoscopique, ancêtre <strong>de</strong>l’image 3D qui permettait, notamment, auxphotographes envoyés sur <strong>le</strong>s champs <strong>de</strong>batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Première Guerre mondia<strong>le</strong><strong>de</strong> ramener <strong>de</strong>s images saisissantes <strong>de</strong>l’horreur pour que l’opinion publique puisseprendre connaissance avec un réalismeoptimal <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong>s massacres. Cetteplaque, acquise par Dove Allouche dansune vente aux enchères, a fait l’objet d’unagrandissement démesuré qui supprimel’effet stéréoscopique originel, annihi<strong>le</strong><strong>le</strong> spectaculaire <strong>de</strong> l’image. Ce cadavreabandonné dans une tranchée ne sera pasvu selon l’optique voyeuriste avec laquel<strong>le</strong>la prise <strong>de</strong> vue avait été réalisée et, bien plusencore, <strong>le</strong> verre <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> l’œuvreopère une mise à distance supplémentaire<strong>de</strong> cette doub<strong>le</strong> image qui en réalité n’enest pas une. En effet, un examen attentifpermet <strong>de</strong> voir que ces <strong>de</strong>ux images sontdécalées l’une par rapport à l’autre pourrendre possib<strong>le</strong> la vision tridimensionnel<strong>le</strong><strong>de</strong> la plaque <strong>de</strong> verre d’origine. «L’effet<strong>de</strong> relief est désamorcé : <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux vues,qui, pour produire l’effet stéréoscopiquedoivent optiquement se superposer, sontici juxtaposées. L’image ne fonctionne pascomme un indice <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur, mais aucontraire, en se dédoublant, manifeste soncaractère <strong>de</strong> surface.» 1Cette œuvre, ainsi que <strong>le</strong> second <strong>de</strong>ssinacquis par la col<strong>le</strong>ction du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>seront présents dans l’exposition que<strong>le</strong> Centre Pompidou consacrera à DoveAllouche en juin 2013.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne1- Philippe-Alain Michaud, «Point <strong>de</strong> vue», Dove Allouche, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il sous la mer, <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>, LaM, 2011, p.8.


4 Alain SICARDNé en France en 1963 - Vit en France2.70.100.11.KL - 70 x 100 cm - 20111.70.100.10.KL - 70 x 100 cm - 201015.70.100.10.KL - 70 x 100 cm - 20102.70.96.12.KL - 70 x 96 cm - 20129.70.100.10.KL - 70 x 100 cm - 2010Hui<strong>le</strong> sur KlöcknerCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> - Acquisition en 2012Alain Sicard a peint <strong>de</strong>puis 1996, plus <strong>de</strong>1300 peintures qui constituent un <strong>journal</strong>pictural <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s gestes, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>ssurfaces, <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s accords coloréspossib<strong>le</strong>s. Il peint, dorénavant, sur unpapier Klöckner qui lui permet <strong>de</strong> peindreassez longuement dans <strong>le</strong> frais et mêmed’effacer la peinture pour la recommencer.Chaque peinture est faite en une séancependant laquel<strong>le</strong> il peint sur une feuil<strong>le</strong>,efface, recommence, jusqu’à trouver lasolution ou jusqu’à épuiser cette surface.Soit la peinture est acceptée par l’artiste,soit el<strong>le</strong> est refusée, mais el<strong>le</strong> n’est jamaisreprise. Il y a une gran<strong>de</strong> rapidité dans <strong>le</strong>geste et peu <strong>de</strong> temps d’arrêt. Il s’agit pourlui <strong>de</strong> peindre d’un geste autoritaire jusqu’àce qu’il trouve quelque chose.Alain Sicard peint à partir <strong>de</strong> souvenirs <strong>de</strong>peinture, <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> peintures vuesen vrai ou <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> peintures vuesen reproduction ou, pour être plus précis,Alain Sicard peint et, parfois, il rencontreau cours <strong>de</strong> sa séance pictura<strong>le</strong>, <strong>de</strong>ssouvenirs, <strong>de</strong>s échos et <strong>de</strong>s réminiscences<strong>de</strong> peinture. La peinture trouve sa solutionlorsque l’écho, la réminiscence évoquentun possib<strong>le</strong> pictural encore inusité oulorsque un élément active une mémoireinvolontaire qui provoque <strong>le</strong> reste <strong>de</strong>la peinture – bien que cela ne soit pasforcément un gage <strong>de</strong> réussite. Ainsique l’artiste l’affirme : «Je ne pense mapeinture que par rapport à la Peinture.Une fois <strong>de</strong>vant la feuil<strong>le</strong> blanche parcontre, j’oublie tout ça, je re<strong>de</strong>vienspeintre. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> tout <strong>de</strong> même ceque chaque séance va bien pouvoir merévé<strong>le</strong>r : s’il s’agit <strong>de</strong> la mémoire <strong>de</strong>s petitsmaîtres que j’affectionne tant, Waldmül<strong>le</strong>r,S<strong>le</strong>vogt, Zorn, Boldini ou autres, tout vabien, mais parfois l’image qui apparaît<strong>de</strong>vient insoutenab<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> sens oùel<strong>le</strong> fait resurgir un référent nauséabond,entrevu un jour dans un mauvais salon <strong>de</strong>peintres du dimanche. Peindre, c’est unpeu comme retourner <strong>de</strong> grosses pierres,je ne sais jamais ce que je vais trouver en<strong>de</strong>ssous! 1 »Chaque peinture est donc un souvenird’une peinture réappropriée qu’il peutmettre en scène dans <strong>de</strong>s ensemb<strong>le</strong>s quipermettent <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s écarts picturaux, <strong>le</strong>sbonds stylistiques, l’hétérogénéité formel<strong>le</strong>si présente dans ce travail mémoriel. C’estce que cet ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> peintures tente<strong>de</strong> montrer, comment, dans <strong>de</strong>s formatspresque rigoureusement i<strong>de</strong>ntiques, sefont <strong>le</strong>s bonds et se constituent <strong>le</strong>s écarts.Notons, enfin, qu’Alain Sicard, appartientà cette génération née en même tempsque <strong>le</strong> concept <strong>de</strong> Musée Imaginaired’André Malraux et qu’il entreprend cethommage aussi distancié que passionnéen partant, justement, <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> lareproduction à l’œuvre dans <strong>le</strong> concept <strong>de</strong>Malraux, que ce soient <strong>le</strong> cadrage <strong>de</strong> détailcomme l’agrandissement photographique :«Lorsque vous regar<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s cataloguesavec <strong>de</strong>s reproductions en noir et blanc,vous vous préparez un magnifique momentd’émotion : découvrir un jour l’original dansun musée. J’aime ces distorsions entre lapeinture et sa reproduction. 2 »éric Suchère1 et 2- Alain Sicard, « entretien avec Audrey Gay-Mazuel », dans Alain Sicard, Peintures 2003/2011, Musée <strong>de</strong>s Beauxarts<strong>de</strong> Rouen, 2011, n. p.


5 Camil<strong>le</strong> SAINT-JACQUESNé en France en 1956 - Vit en FranceLIII 364, Cuyahoga Mist - 2010Aquarel<strong>le</strong> sur papier Ingres 135 g258 x 158 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Depuis sa première exposition à la fin <strong>de</strong>sannées 1980, Camil<strong>le</strong> Saint-Jacques autilisé toutes <strong>le</strong>s techniques et l’on pourraitdire tous <strong>le</strong>s sty<strong>le</strong>s. Depuis maintenantplus d’une dizaine d’années, <strong>le</strong>s moyensplastiques se sont réduits et l’artiste afini par se concentrer sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin etla peinture sur papier dans une volonté<strong>de</strong> réduction liée à une économie <strong>de</strong> lapratique. Il s’agit <strong>de</strong> faire un travail quine coûte rien, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> juste un coin <strong>de</strong>pièce pour être fait et quelques euros <strong>de</strong>matériel. Les <strong>de</strong>rnières œuvres, quoique <strong>de</strong>grand format, sont faites sur <strong>de</strong>s feuil<strong>le</strong>sajointées et l’ensemb<strong>le</strong> peut aisémentêtre replié et rangé sous un lit. Sur cesgran<strong>de</strong>s feuil<strong>le</strong>s, il peint d’abord un cadredans la feuil<strong>le</strong> laissant apparaître unemarge blanche autour d’el<strong>le</strong>. C’est dans cecadre, figure du tab<strong>le</strong>au mais non tab<strong>le</strong>au,que l’image va s’imposer. Des imagesfaites à l’aquarel<strong>le</strong>, moyen pauvre, légeret somptueux que Camil<strong>le</strong> Saint-Jacquesutilise avec une préparation au «drawinggum» – qui est une gomme que l’on peuten<strong>le</strong>ver et qui laisse en réserve la partie <strong>de</strong>la feuil<strong>le</strong> qui en a été recouverte. Quant auximages el<strong>le</strong>s-mêmes, el<strong>le</strong>s sont simp<strong>le</strong>s : laflaque d’eau formée par la pluie qui s’estaccumulée dans un trou formé par <strong>le</strong>s jeux<strong>de</strong>s enfants dans <strong>le</strong> jardin du pavillon <strong>de</strong>banlieue, <strong>le</strong> ciel et ses modulations vuespar la lucarne <strong>de</strong> la petite chambre danslaquel<strong>le</strong> Camil<strong>le</strong> Saint-Jacques peignaitjusqu’il y a encore très peu <strong>de</strong> temps ou,parfois, quelques portraits d’amis. Camil<strong>le</strong>Saint-Jacques évoque souvent, à propos<strong>de</strong> ces thématiques, l’exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> JohnConstab<strong>le</strong> : «Mon art limité et particulierse trouve au pied <strong>de</strong> chaque haie et danschaque chemin <strong>de</strong> campagne, là où parconséquent, personne ne pense qu’il vautla peine d’al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> ramasser…»L’œuvre du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> intitulée LIII364, Cuyahoga Mist tire son origine d’unerivière vue dans <strong>le</strong>s environs <strong>de</strong> C<strong>le</strong>velandoù l’artiste passe une partie <strong>de</strong> ses vacancesd’été : «C’est une eau limoneuse, lisse ici,bouillonnante ail<strong>le</strong>urs (…) chaque fois queje la regar<strong>de</strong>, je m’attends à y découvrirquelque vie végéta<strong>le</strong>, anima<strong>le</strong> ou humaine»et cette image s’est, toujours selon sespropres mots, pulvérisée pendant qu’il lapeignait, d’où <strong>le</strong> titre – qui signifie brouillard<strong>de</strong> Cuyahoga –, brouillard somptueux <strong>de</strong>taches irisées sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s flottentquelques pulvérisations semblab<strong>le</strong>s à <strong>de</strong>sfeux fol<strong>le</strong>ts ou à <strong>de</strong>s émanations gazeusesdans une peinture liqui<strong>de</strong> et sans repèrequi évoque autant <strong>le</strong>s nymphéas <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>Monet qu’une lointaine réminiscence <strong>de</strong>la peinture <strong>de</strong> Jackson Pollock à laquel<strong>le</strong><strong>le</strong> titre <strong>de</strong> la peinture fait écho – Laven<strong>de</strong>rMist, Number 1 <strong>de</strong> 1950.éric Suchère


6 A K DOLVENNée en Norvège en 1953Vit en Norvège et en Gran<strong>de</strong>-BretagneChange My Way Of Seeing - 2011Peinture et cadmium sur aluminium - 13 x (20 x 40) cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Internationa<strong>le</strong>ment reconnue pour sontravail <strong>de</strong> peinture et <strong>de</strong> vidéo, A K Dolvencherche dans ses œuvres à mettre enbalance la position <strong>de</strong> l’individu en tantqu’être social et être naturel. Sans quel’on puisse pour autant qualifier sontravail <strong>de</strong> féministe, la figure <strong>de</strong> la femmeest récurrente. Se situant néanmoins au<strong>de</strong>làd’une approche politique fronta<strong>le</strong>,ses travaux ont régulièrement recours aupaysage norvégien <strong>de</strong>s î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lofoten, oùse trouve un <strong>de</strong> ses ateliers, auquel el<strong>le</strong>confronte la figure humaine, qu’il s’agisse<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’artiste ou <strong>de</strong> son modè<strong>le</strong>. Siel<strong>le</strong> a effectué une partie <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>sen France, notamment à l’éco<strong>le</strong> Nationa<strong>le</strong><strong>de</strong>s Beaux-Arts <strong>de</strong> Paris, <strong>le</strong> travail d’A KDolven a paradoxa<strong>le</strong>ment été peu montréen France au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années.Change My Way Of Seeing est <strong>le</strong> titre d’unensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents peinturesréalisées quotidiennement, dans la lumièrematina<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’atelier londonien au cours<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années. Peintes sur<strong>de</strong>s plaques d’aluminium recouvertesd’un gesso traditionnel, ces peinturessont réalisées à base d’un mélange subtil<strong>de</strong> blanc <strong>de</strong> zinc et <strong>de</strong> cadmium appliquéau couteau sur la surface métallique dutab<strong>le</strong>au. Jouant <strong>de</strong> la pression <strong>de</strong> soncorps et d’acci<strong>de</strong>nts sciemment infligés aumarteau sur la face intérieure ou extérieure<strong>de</strong> la plaque d’aluminium, l’artiste faitapparaître <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> lumière qui ne sontpas sans rappe<strong>le</strong>r ceux <strong>de</strong> son aïeul Pe<strong>de</strong>rBalke (1804-1887), surnommé <strong>le</strong> «Turnernorvégien».Cet ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents peintures,appelé à se disperser dans plusieurscol<strong>le</strong>ctions publiques et privées, formeici, avec ses treize exemplaires acquis parla col<strong>le</strong>ction du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>, une séquencequi peut être accrochée librement,en polyptyques verticaux ou horizontaux,ou <strong>de</strong> façon dispersée, selon la décision<strong>de</strong> celui qui procè<strong>de</strong> à l’accrochage, selonl’espace imparti, selon la lumière du lieu.Envisagées comme ensemb<strong>le</strong>, ces treizepeintures ren<strong>de</strong>nt compte d’impressionslumineuses archivées chaque jour parl’artiste et constituent une sorte <strong>de</strong><strong>journal</strong> <strong>de</strong> bord <strong>de</strong> perceptions oculairesoù la luminescence matina<strong>le</strong> oscil<strong>le</strong> entre<strong>le</strong>s atmosphères brumeuses <strong>de</strong>s cieuxlondoniens et l’aveug<strong>le</strong>ment provoqué par<strong>le</strong>s premiers rayons du so<strong>le</strong>il, fixés jusqu’àl’éblouissement. Andreas Eriksson déclare,à propos <strong>de</strong>s Shadow Paintings présentesdans la sal<strong>le</strong> précé<strong>de</strong>nte, avoir souhaité«faire col<strong>le</strong>ction» <strong>de</strong>s ombres observées lanuit dans son atelier, il en va d’un processussemblab<strong>le</strong>, en négatif, pour A K Dolvenet <strong>le</strong> projet consiste bien à se mesurer àla représentation d’une quasi invisibilité.Ses peintures affirment, tout comme <strong>le</strong> fontcel<strong>le</strong>s d’Andreas Eriksson ou comme lagran<strong>de</strong> aquarel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Camil<strong>le</strong> Saint-Jacques,<strong>le</strong>ur statut d’exercice <strong>de</strong> contemplationet <strong>de</strong> transcription mémoriel<strong>le</strong> d’instantsfugaces dont la représentation ne cherchepas tant l’exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’image peintequ’une sincérité dans la reconstitutiond’une sensation.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


7 Gabrie<strong>le</strong> CHIARINée en Autriche en 1978 - Vit en FranceSans titre (Aquarel<strong>le</strong> n°60) - 2009Aquarel<strong>le</strong> et encre Sumi sur papier73 x 110 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Gabrie<strong>le</strong> Chiari pratique uniquementl’aquarel<strong>le</strong>, un entre-<strong>de</strong>ux selon ses proprestermes, entre <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin et la peinture, dansun format qui est presque exclusivement<strong>le</strong> même, toujours utilisé à l’horizonta<strong>le</strong>qui permet, selon l’artiste, «une <strong>le</strong>cture<strong>de</strong>s parties vers un tout» et dans uneproduction raréfiée puisqu’el<strong>le</strong> ne réalisequ’une dizaine d’œuvres chaque année.Les œuvres sont résolument abstraiteset ne font jamais référence à un élémentfiguratif – sinon dans un rapport analogiquequi est foncièrement réducteur ou n’est que<strong>le</strong> produit <strong>de</strong> l’inconscient du spectateur.Plus que d’images, il s’agit <strong>de</strong> thématiques,<strong>de</strong> «thèmes qui me préoccupent : austérité,plis, sensualité, étrangeté…» Chaqueœuvre procè<strong>de</strong> d’abord d’une imagementa<strong>le</strong>. Si l’aquarel<strong>le</strong> n’est réalisée quedans l’atelier, l’image menta<strong>le</strong> peut provenird’une expérience qui a lieu en <strong>de</strong>hors : «Cequi me nourrit <strong>le</strong> plus ce sont <strong>le</strong>s longuesmarches dans <strong>de</strong>s paysages rocheux.Dans ces moments <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce, <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>,<strong>le</strong>s choses peuvent surgir, prendre forme.Je peux <strong>le</strong>s laisser surgir, prendre forme.Je suis très présente au paysage, trèsconcentrée, j’ai une gran<strong>de</strong> disponibilité.»Il y a, d’abord, <strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur et <strong>de</strong>préparation du papier, qui amènent à l’œuvredéfinitive après <strong>de</strong> nombreuses tentativesinfructueuses ou insatisfaisantes. Le papierpeut être mouillé à certains endroits, laissésec à d’autres, la feuil<strong>le</strong> peut être déforméepar un élément placé sous el<strong>le</strong>… Il s’agit<strong>de</strong> «Faire et refaire. Faire et refaire jusqu’àintérioriser <strong>le</strong> geste, connaître <strong>le</strong>s élémentsen jeu et <strong>le</strong>ur réaction <strong>le</strong>s uns aux autrespour que l’aquarel<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> se faire d’el<strong>le</strong>même.Écarter tout ce qui encombre, toutce qui est lourd. Un rien peut être <strong>de</strong> trop.Une cou<strong>le</strong>ur trop peu diluée, trop <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>sur la feuil<strong>le</strong>, un geste trop intentionnelou trop d’aléatoire, un dispositif tropcompliqué». C’est la préparation dupapier, <strong>de</strong> la cou<strong>le</strong>ur et la qualité du gestequi amène à l’œuvre définitive, dans untravail ouvert à l’aléatoire puisque Gabrie<strong>le</strong>Chiari ne sait jamais tota<strong>le</strong>ment commentla chimie – ou la magie – va opérer et quel’œuvre se révè<strong>le</strong> dans et par la qualitédu papier, comme dans et par <strong>le</strong>s bords<strong>de</strong> la forme : «Dès qu’il y a séchage, il a<strong>de</strong>s bordures qui marquent. Le tout est<strong>de</strong> jouer avec ça. Le statut spécifique <strong>de</strong>l’aquarel<strong>le</strong> est autonome, c’est-à-direqu’el<strong>le</strong> produit un <strong>de</strong>ssin indépendant <strong>de</strong>mon intention.» Il faut «être disponib<strong>le</strong>,suivre <strong>le</strong> mouvement, laisser la juste placeà l’aléatoire». Le geste doit «faire par<strong>le</strong>r <strong>le</strong>matériau et ce qu’il enregistre au passage.»Une fois que l’œuvre est effectuée et quel’idée a pris forme, il n’y a pas <strong>de</strong> redite,pas <strong>de</strong> répétition d’un savoir faire dansune autre œuvre semblab<strong>le</strong>, même si<strong>de</strong>s œuvres peuvent semb<strong>le</strong>r similaireset procè<strong>de</strong>nt d’un air <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> oscillant,comme l’œuvre du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>, entrela salissure, l’écou<strong>le</strong>ment corporel, la traceévanescente, dans un peu, un presque rien,un pas grand chose, une légèreté à la foisdérisoire et somptueuse dont l’aquarel<strong>le</strong>est <strong>le</strong> sismographe.éric Suchère


8 Martial RAYSSENé en France en 1936 - Vit en FranceMontsalvatché (série du Graal) - 1984Technique mixte sur toi<strong>le</strong>, cadre peint - 80 x 120 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 1985Le parcours <strong>de</strong> Martial Raysse est <strong>de</strong>splus atypiques et probab<strong>le</strong>ment l’un <strong>de</strong>splus libres qui soient. Ayant accédé à uneimportante célébrité à la fin <strong>de</strong>s années50 en tant que peintre abstrait, il déci<strong>de</strong><strong>de</strong> remettre en question la totalité <strong>de</strong> sapratique pour se consacrer, dès <strong>le</strong> début<strong>de</strong>s années 60 à <strong>de</strong>s œuvres conçues àpartir <strong>de</strong> matériaux plastiques. Prochedu Pop Art américain et membre, dès safondation, du mouvement du NouveauRéalisme, il <strong>de</strong>vient, aux côtés <strong>de</strong> Niki<strong>de</strong> Saint-Phal<strong>le</strong>, Arman, Jean Tinguely etYves K<strong>le</strong>in, l’un <strong>de</strong>s représentants <strong>le</strong>s plusen vue <strong>de</strong> l’avant-gar<strong>de</strong> française. Mais<strong>le</strong>s événements <strong>de</strong> Mai 68 vont susciterchez Martial Raysse une interrogation surla raison d’être <strong>de</strong>s œuvres d’art et surl’emprise du marché. En 1969, il se retirehors du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’art, n’expose plusmais ne cesse pas pour autant <strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r.Cette crise, tant politique qu’artistique,va déc<strong>le</strong>ncher, à nouveau, une remise àplat complète <strong>de</strong> sa manière d’envisagerla création et <strong>le</strong> conduira, en 1970, às’orienter vers <strong>le</strong> cinéma et la vidéo avant<strong>de</strong> revenir à une œuvre plus intimiste ausein <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin et la peintured’après nature prennent une importanceinédite jusqu’alors. Son sty<strong>le</strong>, dès lors,ne cessera d’évoluer pour s’ancrer dansune pratique <strong>de</strong> plus en plus classique,tant dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s sujets traitésque dans <strong>le</strong>s techniques employées.«Parfois il répète <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s grécoromaines; parfois il retrouve ces récits <strong>de</strong>science-fiction qui mélangent coutumesarchaïques, rites obscurs et technologiemo<strong>de</strong>rne. La peinture <strong>de</strong> Martial Raysseprovoque ces récits. El<strong>le</strong> nous situeaussi face à <strong>de</strong>s espaces où s’opère laconciliation <strong>de</strong>s contraires, où se découvrece que <strong>le</strong> peintre nomme "la lumièrecachée".» 1 Son univers bascu<strong>le</strong> vers unedécouverte pictura<strong>le</strong> <strong>de</strong>s campagnes, <strong>de</strong>sarbres, <strong>de</strong> la mer, <strong>de</strong>s nuages, <strong>de</strong>s astreset <strong>de</strong>s rapports qui s’établissent entre ceschoses.En 1985, à l’occasion <strong>de</strong> la Nouvel<strong>le</strong>Bienna<strong>le</strong> <strong>de</strong> Paris, il présente <strong>le</strong>s cinqpeintures <strong>de</strong> la série du Graal, dont faitpartie Montsalvatché, disposées sur <strong>de</strong>petites tab<strong>le</strong>ttes. à l’entrée <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>, <strong>le</strong>visiteur pouvait lire, grâce à un miroir, unephrase inscrite à l’envers : «Par la justemesure dans <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et pursavoir d’amour au travers du Montsalvatvers <strong>le</strong> Graal.» Dans <strong>le</strong> Parsifal <strong>de</strong> RichardWagner, Montsalvat est <strong>le</strong> nom du châteauoù vivent <strong>le</strong>s chevaliers gardiens du SaintGraal et <strong>de</strong> la Lance Sacrée. La peintureMontsalvatché, imprégnée d’onirisme, jouedu «doub<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>» évoqué par MartialRaysse dans cette phrase uniquementlisib<strong>le</strong> dans un miroir. Cet arbre mène <strong>de</strong>la lumière à la nuit, son arborescencelaisse croître végétaux irréels et f<strong>le</strong>ursextraordinaires, la peinture el<strong>le</strong>-même sort<strong>de</strong> sa fenêtre vitrée, la nuit débor<strong>de</strong>, couvrela partie supérieure du cadre, intégrantdès lors celui-ci à l’œuvre <strong>de</strong> manièreinextricab<strong>le</strong> : <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s se joignent.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne1- Gilbert Lascault, Martial Raysse 1970-1980, Centre Pompidou, 1981, p. 40.


9 Adrian PACINé en Albanie en 1969 - Vit en ItaliePer Speculum - 2006Vidéo - 6’53Dépôt du Centre National <strong>de</strong>s Arts Plastiquesau <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> <strong>de</strong>puis 2011Tourné dans <strong>le</strong>s campagnes anglaisesverdoyantes du Northamptonshire, PerSpeculum est un magnifique film dont <strong>le</strong>sens concerne tout autant notre manière <strong>de</strong>voir qu’une certaine conception poétiquedu réel. Une caméra filme <strong>de</strong>s enfants,l’image vacil<strong>le</strong>, comme soumise aux effetsdu vent. Le <strong>le</strong>nt déplacement <strong>de</strong> la caméradévoi<strong>le</strong> <strong>le</strong> dispositif utilisé par Adrian Paci :ce que nous voyons n’est en réalité que <strong>le</strong>ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> la scène, filmée par <strong>le</strong> truchementd’un grand miroir fiché à la vertica<strong>le</strong> dans<strong>le</strong> sol, au milieu du paysage. Un enfant sortun lance-pierre <strong>de</strong> sa poche, vise <strong>le</strong> miroir,et <strong>le</strong> brise, fracassant l’image idyllique. Lesenfants se dispersent, courent au milieu<strong>de</strong>s herbes en direction d’un sycomore.La scène fina<strong>le</strong> montre <strong>le</strong>s enfants perchéssur <strong>le</strong>s branches <strong>de</strong> cet arbre majestueux,jouant à renvoyer l’éclat du so<strong>le</strong>il à l’ai<strong>de</strong><strong>de</strong>s morceaux du miroir brisé.Les œuvres d’Adrian Paci ont souventaccordé une place importante à la famil<strong>le</strong>et il n’est pas rare qu’il fasse appel à sesproches pour la réalisation <strong>de</strong> ses films. Si,dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> ce film, <strong>le</strong>s acteurs ne sontpas issus <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s branchages dusycomore permettent néanmoins l’analogieavec <strong>le</strong>s représentations souvent utiliséespour représenter <strong>le</strong>s arbres généalogiques.Per Speculum, qui littéra<strong>le</strong>ment signifie «aumoyen d’un miroir», se réfère à la tradition<strong>de</strong> l’image et <strong>de</strong> ses mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fabrication.Le film propose une réf<strong>le</strong>xion (dans tous<strong>le</strong>s sens du terme) sur la différence entre<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong>, réel, et ses modalités <strong>de</strong>représentation : l’image n’est qu’un ref<strong>le</strong>t,une illusion <strong>de</strong> la réalité. Le film est uneallégorie dans laquel<strong>le</strong> voir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> perspeculum (à travers <strong>le</strong> filtre <strong>de</strong> l’œuvre, <strong>de</strong>l’artiste) c’est voir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> à travers unfiltre déformant.Plusieurs références parcourent cetteœuvre. Le paysage en lui-même évoque <strong>le</strong>stab<strong>le</strong>aux <strong>de</strong> John Constab<strong>le</strong> et la peintureromantique anglaise. Le gros plan sur <strong>le</strong>spieds d’un enfant cite explicitement ladimension mortifère <strong>de</strong>s trois enfants <strong>de</strong>cire que l’artiste italien Maurizio Cattelanavait pendus à un chêne sur une place <strong>de</strong>Milan, suscitant l’émoi et <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong>. Maisla source la plus importante est sans doutecel<strong>le</strong> <strong>de</strong> La C<strong>le</strong>f <strong>de</strong>s Champs, <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>aupeint par Magritte en 1936, qui représenteune vitre brisée ouverte sur un paysage :<strong>le</strong>s débris <strong>de</strong> verre, tombés à l’intérieur<strong>de</strong> la pièce, reflètent <strong>le</strong> paysage commeautant <strong>de</strong> morceaux <strong>de</strong> miroirs fixés parun impossib<strong>le</strong> procédé photographique.Le paysage apparaît comme brisé, toutcomme il semb<strong>le</strong> se briser dans <strong>le</strong> filmd’Adrian Paci.Jean-Char<strong>le</strong>s VergneRené Magritte - La C<strong>le</strong>f <strong>de</strong>s champs (détail) - 1936 - Hui<strong>le</strong> sur toi<strong>le</strong> - 80 x 60 cm - Coll. Thyssen-Bornemisza, Madrid.


10 Eric POITEVINNé en France en 1961 - Vit en FranceSans titre - 1994Cibachrome - 170 x 210 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 1997Hormis une série consacrée aux ancienscombattants <strong>de</strong> la Première Guerremondia<strong>le</strong> ainsi qu’un ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> visages<strong>de</strong> religieuses, <strong>le</strong> travail photographiqued’Eric Poitevin s’est essentiel<strong>le</strong>ment portésur ce que l’on peut appe<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s naturesmortes, que cel<strong>le</strong>s-ci soient constituées par<strong>de</strong>s cadavres d’animaux (<strong>le</strong>s «chevreuils»<strong>de</strong> 1993, <strong>le</strong>s «papillons» <strong>de</strong> 1994, voire <strong>le</strong>s«crânes» <strong>de</strong> la même année) ou par <strong>de</strong>sfragments <strong>de</strong> nature ne comportant pasd’élément habituel<strong>le</strong>ment associé à l’idée<strong>de</strong> vie.Ici, la surface d’une mare ou d’une rivièredisparaît presque entièrement sous <strong>de</strong>s<strong>le</strong>ntisques ou d’autres végétaux envahissantsqui évoquent une sorte <strong>de</strong>pourriture. Il est pourtant diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> lirel’image au sens traditionnel <strong>de</strong> l’opération<strong>de</strong> <strong>le</strong>cture. Nul<strong>le</strong> iconographie ne s’endégage, qui renverrait à un hors champ,à <strong>de</strong>s événements passés ou à <strong>de</strong>s lieuxspécifiques que l’on pourrait revisiter.Si existe une ouverture, c’est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>la surface el<strong>le</strong>-même et non d’un hypothétiqueau-<strong>de</strong>là abstrait. L’image photographique,dans <strong>de</strong>s dimensions quil’imposent au corps entier du spectateuret non aux seu<strong>le</strong>s capacités d’analyse <strong>de</strong>sa vision, est un plan tendu par sa proprefragmentation : uni par la cou<strong>le</strong>ur et parune planéité permise par <strong>le</strong> manque <strong>de</strong>repères, il est en même temps dispersé enune pulvéru<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> va<strong>le</strong>urs lumineuses,<strong>de</strong> taches colorées. L’impossibilité où s’esttrouvé <strong>le</strong> photographe <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> point surun objet privilégié («Quand l’eau est troub<strong>le</strong>,tu ne peux pas faire <strong>de</strong> mise au point, tu nesais pas où la faire..., du coup l’eau <strong>de</strong>vientun volume, une masse») conduit à uneétrange dispersion <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> flou et <strong>de</strong>netteté sur l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la composition,sans possibilité <strong>de</strong> distinguer du coup uncentre et une périphérie. Cette dispersionest encore accrue par la dissémination<strong>de</strong>s rares éléments distincts - <strong>le</strong>s restes <strong>de</strong>branchage, tel<strong>le</strong>s plaques plus épaisses <strong>de</strong>végétation, tels morceaux d’eau aff<strong>le</strong>uranted’un b<strong>le</strong>u laiteux - dont la distinction nedébouche cependant sur aucune sorte <strong>de</strong>hiérarchie. Eric Poitevin déclarait «qu’il y adu flou partout, même si j’essaie d’y mettreun peu <strong>de</strong> netteté. Je crois que c’est peutêtremon travail : la netteté dans <strong>le</strong> flou».éric <strong>de</strong> Chassey


11 Marc COUTURIERNé en France en 1946 - Vit en FranceLauzes - 1993Lauzes - 35 x 317 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 1998«Son travail puise en quelque sorte dans<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong> <strong>de</strong>s choses et tente <strong>de</strong>révé<strong>le</strong>r au regard et au mental <strong>de</strong> chacunce qu’au fond tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> voit etressent». Tel<strong>le</strong> était présentée la démarche<strong>de</strong> Marc Couturier dans <strong>le</strong> catalogue <strong>de</strong> lafameuse exposition, Les Magiciens <strong>de</strong> laTerre, organisée par Jean-Hubert Martinen 1989. Entre visib<strong>le</strong> et invisib<strong>le</strong>, l’art <strong>de</strong>cet artiste nous révè<strong>le</strong> en effet du mon<strong>de</strong>une dimension d’autant plus inattenduequ’el<strong>le</strong> procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mise en évi<strong>de</strong>nced’une situation qui nous est donnée maisque l’on ne voit pas nécessairement. Il fautdire que, pour ce faire, Marc Couturier n’estéconome d’aucun paradoxe : ici, il recourtà <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>ssinées laborieuses quin’en finissent pas d’inscrire l’espace ; là,il redresse toutes sortes d’objets trouvés<strong>le</strong>ur empruntant <strong>le</strong>s images formées dans<strong>le</strong>ur matérialité même ; là encore, il placeen lévitation dans <strong>le</strong> mur tant <strong>de</strong> sublimeslames dorées que <strong>de</strong> trivia<strong>le</strong>s lignes <strong>de</strong>pierres plates. Jadis, l’art <strong>de</strong> Marc Couturierexploitait l’opa<strong>le</strong>scence <strong>de</strong> plaques <strong>de</strong>pain azyme pour constituer <strong>de</strong> curieusesrosaces au travers <strong>de</strong>squel<strong>le</strong>s la lumièrecherchait un passage. Hier, il recouvraitl’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s parties vitrées d’un centred’art à l’ai<strong>de</strong> d’un film sérigraphié àl’image agrandie et multipliée d’une feuil<strong>le</strong>d’aucuba, puis cel<strong>le</strong> d’une petite serre <strong>de</strong>jardin pour <strong>le</strong> transformer en un milieu <strong>de</strong>retrait, proche <strong>de</strong> la cellu<strong>le</strong>.L’art <strong>de</strong> Marc Couturier est requis parl’immatérialité et <strong>le</strong> suspens, voire <strong>le</strong>sidérant, et la façon qu’il a <strong>de</strong> s’inventerchaque fois <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s situations <strong>le</strong>dispute à la réalité d’une donnée matériel<strong>le</strong>avec laquel<strong>le</strong> il lui plaît <strong>de</strong> composer. Si<strong>le</strong>s matériaux dont il exploite <strong>le</strong>s qualitésplastiques sont volontiers rudimentaires,sinon élémentaires, c’est pour mieux enfaire éclater la force magique. Quoi <strong>de</strong> pluscommun que ces lauzes, pierres platesordinairement utilisées dans la construction,soit comme dal<strong>le</strong>s, soit commetui<strong>le</strong>s ?A l’instar <strong>de</strong> ces lames recouvertes <strong>de</strong>feuil<strong>le</strong>s d’or qu’il fiche au mur et dont<strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong> ref<strong>le</strong>ts <strong>le</strong>s font paraître tel<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, comme <strong>de</strong>s objets incongrus,proprement sublimes, Marc Couturier use<strong>de</strong> ces lauzes pour <strong>le</strong>s établir dans unesemblab<strong>le</strong> configuration. Placées un peuplus qu’à hauteur d’homme, sans que<strong>le</strong>ur alignement ne <strong>de</strong>ssine aucune forme,ni ne constitue aucun dispositif précis,el<strong>le</strong>s gagnent une troublante légèreté.Paradoxa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> «redressement» se faitici à l’horizonta<strong>le</strong> et l’œuvre est forte d’unetension qui sous-tend <strong>le</strong> mur sur <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong>est installée. Parce que rien n’est laisséà voir <strong>de</strong> la mise en œuvre technique, ily va <strong>de</strong> l’idée d’une lévitation dans cettequalité <strong>de</strong> suspens qui caractérise chaquegeste <strong>de</strong> l’artiste et qui crée <strong>le</strong>s conditionsd’un exercice spirituel d’où tout labeur estabsent, visant à restaurer <strong>le</strong> regard dansune conscience <strong>de</strong> soi, légère comme uneruse <strong>de</strong> l’âme.Philippe Piguet


12 34 Achyara VYAKULNé en In<strong>de</strong> en 1930 - Décédé en In<strong>de</strong> en 20001234Sans titre - 1999 - 27 x 20 cmSans titre - 1994 - 20 x 30 cmPigments naturels sur papierCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisitions en 2011Pendant près <strong>de</strong> 30 années, Vyakulpratiqua une peinture populaire anonymecomme n’importe quel autre citrakara (nomindien donné à ces peintres). Il n’avait pasd’atelier et ne peignait que lorsque cela <strong>le</strong>submergeait – reste à définir <strong>le</strong> cela – etrefusait d’exposer. Si <strong>le</strong> directeur du MuséeNational <strong>de</strong>s Arts Populaires <strong>de</strong> Delhi,découvrant cette œuvre l’assimila à l’arttantrique – et c’est ainsi que ces peinturesfurent diffusées en Occi<strong>de</strong>nt –, il en restetrès éloigné. Discutant <strong>de</strong>s rapports entreVyakul et l’art tantrique avec Franck AndréJamme – qui avait attiré l’attention sur sontravail lors <strong>de</strong> l’exposition Les Magiciens<strong>de</strong> la Terre, au Centre Georges Pompidouet à la Gran<strong>de</strong> Hal<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Vil<strong>le</strong>tte en 1989 –,celui-ci m’avait lâché que cette peinturene pouvait être qualifiée <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>, maisplutôt d’art brut. Pourtant, Vyakul étaitun peintre <strong>le</strong>ttré et sanskritiste, ainsi quedirecteur d’un musée privé consacré àl’art populaire indien. Le caractère <strong>le</strong>ttréet sa connaissance <strong>de</strong>s arts populaires nepeuvent accréditer cette thèse mais il estvrai que l’idée d’une peinture faite dansl’urgence <strong>de</strong> la création avec <strong>de</strong>s moyensrudimentaires, <strong>le</strong>s doigts comme pinceauxet <strong>de</strong>s pigments naturels tels que l’urine<strong>de</strong> vache, <strong>de</strong> l’argi<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs ou <strong>de</strong>spoudres <strong>de</strong> minerais peuvent, évi<strong>de</strong>mment,permettre cette <strong>le</strong>cture. Vyakul a, luimême,défini son esthétique :«- Écoutez, la base fut indienne, populaireet tantrique, mais j’ai enjambé cela il y abien longtemps. Que suis-je maintenant ?Juste un peintre mo<strong>de</strong>rne avec <strong>de</strong>s racines,voilà tout.«- Vous vou<strong>le</strong>z dire un peintre contemporain ?«- Non, pas contemporain. Tous <strong>le</strong>s peintresqui peignent aujourd’hui sont contemporains.Je suis un peintre mo<strong>de</strong>rne, j’ytiens, <strong>de</strong> ceux qui portent l’abstractionaussi haut que la représentation figurative.Vous savez l’abstraction, c’est la vie, c’estma vie. Je n’arrête pas <strong>de</strong> filtrer, <strong>de</strong> tenter<strong>de</strong> dévoi<strong>le</strong>r l’axe <strong>de</strong>s choses. 1 »Acceptons donc cet art poétique et l’idéeque la peinture <strong>de</strong> Vyakul puisse êtreabstraite et mo<strong>de</strong>rne – et je ne sais si celaa un quelconque sens <strong>de</strong> projeter uneconception occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnitésur un artiste du Rajasthan. Si l’on essaie<strong>de</strong> faire cette <strong>le</strong>cture, plusieurs élémentsfont sens. Tout d’abord l’idée d’une représentation<strong>de</strong> l’essence <strong>de</strong>s chosesplutôt que <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur apparence. Si certainespeintures <strong>de</strong> Vyakul évoquent <strong>de</strong>s plantesou <strong>de</strong>s figures anthropomorphes, el<strong>le</strong>sdépouil<strong>le</strong>nt ces représentations <strong>de</strong> toutcaractère anecdotique pour ne retenirpresqu’un signe qui tend vers l’abstraction.Il y aurait, ensuite, l’idée du primitivisme.Les peintures <strong>de</strong> Vyakul ramènent souventà un art <strong>de</strong>s origines, à <strong>de</strong>s pictogrammesancestraux qui ne sont pas sans rappe<strong>le</strong>rl’art du paléolithique – et <strong>le</strong> primitivisme estun <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. On pourrait,éga<strong>le</strong>ment, envisager l’invention formel<strong>le</strong>ou la création <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s techniques –ou la réutilisation <strong>de</strong> techniques anciennesmais non académiques – et la peinture <strong>de</strong>Vyakul, <strong>de</strong>s tracés digitaux à l’utilisation <strong>de</strong>la tache et <strong>de</strong> l’informe peut s’insérer danscette histoire <strong>de</strong> la transgression technique1- Franck André Jamme, « Cinq notes », dans Vyakul, Paris, ga<strong>le</strong>rie du Jour Agnès B., cat. expo., 1993, n. p.


mo<strong>de</strong>rne. Enfin, il y aurait <strong>le</strong> mysticisme<strong>de</strong> cette abstraction comme <strong>le</strong>s thèmes<strong>de</strong> Vyakul – la nature, <strong>le</strong> sexe, l’énergie,la terre, <strong>le</strong> cosmos… d’après ce que l’onpeut lire intuitivement <strong>de</strong> ces peintures –,peuvent évoquer certains <strong>de</strong> nos grandsmaîtres abstraits.On peut, aussi, ne pas tenter <strong>de</strong> rabattrela peinture <strong>de</strong> Vyakul à une <strong>de</strong> nos quelconquescatégories et l’on peut simp<strong>le</strong>mentla regar<strong>de</strong>r. Ni vraiment abstraite, pasvraiment figurative, ni réel<strong>le</strong>ment tantrique,pas tel<strong>le</strong>ment populaire, mais d’uneénergie sauvage, d’une brutalité extrême –où aff<strong>le</strong>urent souvent <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>subtilité chromatique –, d’une réductionradica<strong>le</strong>, ces peintures, dont <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong> possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux exemp<strong>le</strong>s, réussissentl’exploit <strong>de</strong> réunir <strong>de</strong>s culturesque tout oppose – l’Orient et l’Occi<strong>de</strong>nt –et <strong>de</strong> concentrer, dans un même espace,l’archaïsme et la mo<strong>de</strong>rnité, <strong>le</strong> sauvage et<strong>le</strong> cultivé. La conception <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> Vyakuly est sans doute pour beaucoup, lui quiconsidérait que «L’art [était] la manifestationémotionnel<strong>le</strong> et créative d’une interminab<strong>le</strong>joie. 2 »éric Suchère2- Les Magiciens <strong>de</strong> la Terre, Centre Pompidou, 1989, p. 253.


13 Roland COGNETNé en France en 1957 - Vit en FranceArbre strié - 2002Acacia, ciment - 34 x 150 x 34 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2002Roland Cognet inscrit son œuvre dansune réf<strong>le</strong>xion dont <strong>le</strong>s enjeux côtoient<strong>le</strong>s réalisations d’autres sculpteurs toutautant attachés aux qualités sensib<strong>le</strong>s <strong>de</strong>smatériaux et à une poétique <strong>de</strong> la matière,comme c’est <strong>le</strong> cas par exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> MarcCouturier, présent dans la même sal<strong>le</strong>, ou<strong>de</strong> Toni Grand (dont une sculpture figuredans la col<strong>le</strong>ction du <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>).Si «au début <strong>de</strong>s années 1980, l’artisteformu<strong>le</strong> un enjeu, catalyser dans un mêmecorps sculptural <strong>le</strong>s quatre essencesfondamenta<strong>le</strong>s : <strong>le</strong> minéral, <strong>le</strong> végétal,l’animal et l’humain» 1 , cet enjeu <strong>de</strong>meure<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> vingt ans <strong>le</strong> fil conducteur <strong>de</strong>ses créations qui, passant indifféremmentdu registre abstrait à la figuration la plusdirecte, bâtissent une œuvre d’une gran<strong>de</strong>sensibilité. «Chaque pièce, chaque sérieinnove dans sa métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail,associant s’il <strong>le</strong> faut <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>lages <strong>de</strong>matières indurées : ciment, plâtre, résine.La sculpture s’affirme alors postura<strong>le</strong>,fortifiant l’espace intérieur, se mesurantau paysage, in<strong>de</strong>xant ses va<strong>le</strong>urs ou <strong>le</strong>glorifiant. Et si la chose est périssab<strong>le</strong>comme <strong>le</strong> bois, l’artiste s’adresse à el<strong>le</strong> par<strong>le</strong> verbe du geste : caparaçonner, protéger,mou<strong>le</strong>r, soutenir, peindre, prolonger,creuser, soigner, et cautériser même.» 2fois en adoptant l’idée <strong>de</strong> la greffe d’uneforme contre une autre. Ici, <strong>le</strong> matériauinitial est toujours un tronc sectionné maisil est prolongé par l’ajout d’un élémentsculpté en ciment brut ajusté à la sectiondu bois. Le bois, préalab<strong>le</strong>ment, a ététravaillé par l’artiste : <strong>le</strong>s scarificationset <strong>le</strong>s striures reprennent <strong>le</strong>s nervuresdu bois, et il s’agit ici <strong>de</strong> renforcer <strong>le</strong>spropriétés visuel<strong>le</strong>s et tacti<strong>le</strong>s intrinsèquesau matériau initial. La forme en ciment jouesur un registre semblab<strong>le</strong>. Réalisée avec<strong>le</strong>s doigts, mo<strong>de</strong>lée comme on travail<strong>le</strong> unepâte, ses bosselures ren<strong>de</strong>nt compte duprocessus d’élaboration. L’appendice <strong>de</strong>ciment apparaît comme un prolongementsimultanément naturel et artificiel du troncd’arbre. Il en constitue à la fois <strong>le</strong> bourgeon,émanation organique et saisonnière, et lagreffe pétrifiée. Simultanément, ce rajoutest un retour au sol. Sa forme incurvée faitraccord entre <strong>le</strong> bois coupé et scarifié et<strong>le</strong> sol, évoquant ainsi son enracinementoriginel.Jean-Char<strong>le</strong>s VergneArbre strié est la troisième œuvre <strong>de</strong> RolandCognet acquise par <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>.Si <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux premières sculptures, datées<strong>de</strong> 1992, obéissaient à un principe <strong>de</strong>recouvrement d’une forme naturel<strong>le</strong> –un tronc d’arbre – par une peau d’acier,l’œuvre <strong>de</strong> 2002 continue à recourir à lajuxtaposition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux matériaux mais cette1- Frédéric Bouglé, «Sculpture possib<strong>le</strong>, et manège d’ateliers», Roland Cognet, Le Creux <strong>de</strong> l’enfer, 2011, p.7.2- Ibid., p.8.


14 Jean-Luc MYLAYNENé en France en 1946 - Vit dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>N°367 - Février-mars 2006 - 2006Photographie - 125 x 155 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Depuis la première photographie datée <strong>de</strong>juil<strong>le</strong>t 1978, cela fait maintenant près <strong>de</strong> 35ans que Jean-Luc Mylayne photographieexclusivement <strong>de</strong>s oiseaux, <strong>de</strong>s oiseauxpartout dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, dans tous <strong>le</strong>spaysages possib<strong>le</strong>s, urbains ou ruraux,par tous <strong>le</strong>s temps, toutes <strong>le</strong>s saisons ettoutes <strong>le</strong>s lumières… Si <strong>le</strong> catalogue <strong>de</strong>ses œuvres compte plus <strong>de</strong> 500 créations,c’est fina<strong>le</strong>ment assez peu en regard <strong>de</strong>ces 35 années <strong>de</strong> travail – à peine unequinzaine <strong>de</strong> photographies par an – carJean-Luc Mylayne peut prendre un tempsinfini avant d’appuyer sur <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>ncheur.Il faut d’abord que l’artiste ait vu quelquechose – appelons cela une scène –et qu’ensuite cel<strong>le</strong>-ci se reproduise àl’i<strong>de</strong>ntique – ou quasi – pour qu’il puissela photographier. La lumière doit donc êtresimilaire à la scène primitive et l’oiseau – ou<strong>le</strong>s oiseaux – doivent passer ou se placerà un endroit précis. Alors la photographiepeut être prise. Le premier travail <strong>de</strong> Jean-Luc Mylayne est donc l’affût, l’attente d’unesituation optima<strong>le</strong> qui peut durer plusieurssemaines, plusieurs mois, voire plusieursannées.Cette attente du bon moment, <strong>de</strong> la bonneprise est à la fois consubstantiel<strong>le</strong> à laphotographie – puisqu’il s’agit <strong>de</strong> saisirun fragment <strong>de</strong> temps – en même tempsqu’el<strong>le</strong> est assez étrangère à l’art duphotographe puisqu’en général <strong>le</strong>s photographesmultiplient <strong>le</strong>s prises pour faireune sé<strong>le</strong>ction après coup comme si la prisephotographique était un aveug<strong>le</strong>ment – cequ’el<strong>le</strong> est avec un ref<strong>le</strong>x puisque <strong>le</strong> miroirse relève au moment du déc<strong>le</strong>nchementet obture la vue <strong>de</strong> celui qui vise. Dans <strong>le</strong>cas <strong>de</strong> Jean-Luc Mylayne, la décision dudéc<strong>le</strong>nchement d’une seu<strong>le</strong> prise, <strong>de</strong> laprise <strong>de</strong> l’image juste, <strong>de</strong> la saisie parfaite<strong>de</strong> l’instant est métaphorisée par l’oiseau,par sa vélocité ou <strong>le</strong> caractère impromptu<strong>de</strong> son apparition ou <strong>de</strong> sa disparition.Si Jean-Luc Mylayne s’intéresse auxoiseaux, aux plus communs comme auxplus rares, il n’est pas un artiste ornithologue,l’oiseau est <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> saphotographie, du temps passé à attendre,du temps du déc<strong>le</strong>nchement, et <strong>de</strong> cetaprès qui voit s’évanouir ce qui a été àpeine saisi.Mais l’oiseau est aussi une présencediscrète dans <strong>le</strong> paysage. Dans <strong>le</strong> fouillis<strong>de</strong>s buissons et taillis ou dans l’ombre <strong>de</strong>sgranges ou <strong>de</strong>s branchages, il faut êtreattentif pour <strong>le</strong> saisir, scruter <strong>le</strong> paysage,focaliser et défocaliser constamment.C’est ce que la photographie <strong>de</strong> Jean-Luc Mylayne saisit grâce à une optiquepermettant d’obtenir, dans la même photographie,une alternance et une succession<strong>de</strong> plans flous et nets, <strong>de</strong> découper <strong>de</strong>sséries <strong>de</strong> plans dans la totalité <strong>de</strong> l’espace,d’opérer <strong>de</strong>s jonctions entre <strong>de</strong>s pointspourtant éloignés et sa photographierenvoie <strong>le</strong> spectateur à cet acuité dans lavision. Il faut parfois que celui-ci cherchepour voir l’oiseau, non dans <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> jeud’une énigme cachée dans l’image, maisdans l’exercice plus captivant qui consisteà balayer la surface du mon<strong>de</strong> pour saisir<strong>de</strong>s rapports entre <strong>le</strong>s choses, à apprendreà regar<strong>de</strong>r au lieu <strong>de</strong> voir.éric Suchère


15 Stephen MAASNé en Gran<strong>de</strong>-Bretagne en 1956 - Vit en FranceSingaringasong - 1998 - Aquarel<strong>le</strong> sur aluminium - 200 x 100 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisitions en 2001Stephen Maas est sculpteur maisaccompagne souvent ses sculpturesd’aquarel<strong>le</strong>s sur papier ou tô<strong>le</strong> d’aluminium.Ses œuvres se manifestent par <strong>le</strong>ur fragilitéet utilisent <strong>de</strong>s matériaux peu propices àla constitution d’un corpus pérenne. Lesréférences littéraires parcourent son travailqui, notamment, cite souvent SamuelBeckett avec <strong>le</strong>quel il partage cetteparticularité <strong>de</strong> naviguer en per-manenceentre une langue maternel<strong>le</strong>, l’anglais, etune langue d’adoption, <strong>le</strong> français. Commel’écrivain irlandais, Stephen Maas utilise <strong>le</strong>spossibilités ludiques offertes par <strong>le</strong> langageet ses écarts, et <strong>le</strong>s titres <strong>de</strong> ses œuvresprocè<strong>de</strong>nt régulièrement <strong>de</strong> jeux <strong>de</strong> motsà tiroir qui lui permettent d’instaurer unclimat mêlant poésie, humour, absur<strong>de</strong>et tragique. L’essentiel <strong>de</strong> sa productionrenvoie au domaine <strong>de</strong> l’ornithologie,véritab<strong>le</strong> passion héritée <strong>de</strong> son père. Lesoiseaux ont constitué pendant <strong>de</strong>s annéesun fil conducteur privilégié à son travail, àtel point que l’artiste a passé <strong>de</strong>ux ans à<strong>le</strong>s observer à la jumel<strong>le</strong> dans la garrigue,voyageant à vélo d’un point d’observationà un autre, fasciné par <strong>le</strong>ur liberté,<strong>le</strong>ur fragilité et par la beauté <strong>de</strong> <strong>le</strong>urstrajectoires, pour réaliser ensuite une séried’aquarel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s oiseauxsont représentés, seuls ou en groupe, prisau piège dans un col<strong>le</strong>t ou emprisonnésdans <strong>de</strong>s structures ressemblant à <strong>de</strong>scages.<strong>de</strong>ux oiseaux, trois silhouettes <strong>de</strong> clocheset une main fermée. En anglais, «to ring»signifie baguer (un oiseau) et sonner ; «singa song» signifie «chanter une chanson»,«ring a song» peut se traduire par «fairesonner une chanson» ou «faire retentirune chanson». Une légère transformation<strong>de</strong> « ring « donne «wring» (en ajoutantun W, première <strong>le</strong>ttre renversée du nom<strong>de</strong> l’artiste, comme sont renversées <strong>le</strong>scloches) qui signifie «tordre» («to ring abird’s neck» : tordre <strong>le</strong> cou d’un oiseau).La main est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’artiste enserrant unoiseau, <strong>le</strong>s cloches sonnent <strong>le</strong> glas, la lignevertica<strong>le</strong> est cel<strong>le</strong> d’une chute vertigineusevers <strong>le</strong> sol. Enfin, la qualité réfléchissante<strong>de</strong> l’aluminium renvoie tout autant àl’éblouissement du so<strong>le</strong>il dans <strong>le</strong>s jumel<strong>le</strong>sutilisées pour l’observation qu’à la qualitéparticulière du matériau grâce auquel <strong>le</strong>smotifs aquarellés semb<strong>le</strong>nt flotter, glisser,vo<strong>le</strong>r à la surface <strong>de</strong> l’œuvre. Le nom <strong>de</strong>l’artiste, né en Gran<strong>de</strong>-Bretagne, prend sesorigines du hollandais «Maas» qui signifie«entre <strong>le</strong>s mail<strong>le</strong>s du fi<strong>le</strong>t»... Il faut ici selaisser porter par la dimension poétique etla délicatesse <strong>de</strong> cette œuvre ancrée dans<strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong> langage qui sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>scréations <strong>de</strong> Stephen Maas.Jean-Char<strong>le</strong>s VergneSingaringasong présente la conjonction <strong>de</strong>trois événements ou types <strong>de</strong> motifs : uneligne vertica<strong>le</strong> prolongée par la rencontre <strong>de</strong>


16 Marie VOIGNIERNée en France en 1974 - Vit en FranceLe Bruit du canon - 2006Vidéo - 27 mnCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2009«Est-ce une conséquence <strong>de</strong> la chutedu Mur <strong>de</strong> Berlin ? En tout cas, ils sontarrivés quelques années après, parmilliers, d’Europe <strong>de</strong> l’Est. Depuis, cecoin paisib<strong>le</strong> <strong>de</strong> Bretagne est <strong>de</strong>venu unnouveau Vietnam : ils tiennent <strong>le</strong> ciel et <strong>le</strong>spaysans se terrent. Comme <strong>le</strong> bétail. […]Les pouvoirs publics <strong>le</strong>s ont abandonnés.Les armes chimiques sont interdites, <strong>le</strong>scoups <strong>de</strong> feu inoffensifs, rien n’est autorisé,tout est inefficace : <strong>le</strong> mal ne fait que sedéplacer».C’est ainsi que Yann Lar<strong>de</strong>au présentait <strong>le</strong>film <strong>de</strong> Marie Voignier dans <strong>le</strong> programmedu festival Cinéma du Réel en 2007 aucours duquel cette œuvre reçu <strong>le</strong> Prix duCourt-Métrage, la plaçant immédiatementsous <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> l’ambiva<strong>le</strong>nce. En effet,Le Bruit du canon est incontestab<strong>le</strong>mentambigu dès ses premières scènes,succession <strong>de</strong> témoignages <strong>de</strong> paysansbretons fustigeant l’arrivée massive d’unepopulation étrangère <strong>de</strong>venue indélogeab<strong>le</strong>et incontrôlab<strong>le</strong>. Les termes sont lourds <strong>de</strong>sens, <strong>le</strong> vocabulaire particulièrement directet imprégné <strong>de</strong>s re<strong>le</strong>nts nauséabonds <strong>de</strong> laxénophobie.Pourtant, il ne s’agit pas d’immigration maisd’une véritab<strong>le</strong> plaie naturel<strong>le</strong> qui, chaqueannée, entre octobre et mars, s’abat surla région <strong>de</strong> Locarn en Bretagne sous laforme d’une nuée <strong>de</strong> 500000 étourneauxqui dévastent <strong>le</strong>s cultures et pil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>sexploitations agrico<strong>le</strong>s. Les agriculteursont tout essayé pour lutter contre ce fléau.Ils nous racontent <strong>le</strong>urs diverses tentatives,plus ou moins léga<strong>le</strong>s, plus ou moinsréussies, pour chasser plus loin <strong>le</strong>s oiseauxou pour <strong>le</strong>s tuer.Marie Voignier rend sensib<strong>le</strong> la comp<strong>le</strong>xité<strong>de</strong> l’histoire en s’interdisant touteexplication causa<strong>le</strong> unilatéra<strong>le</strong>. [...] Ilfaut ainsi <strong>de</strong> longues minutes pourcomprendre que <strong>le</strong> motif du Bruit du canonrési<strong>de</strong> dans l’invasion d’étourneaux [...]d’autant que <strong>le</strong>s mots employés par <strong>le</strong>spaysans du coin - “population”, “souci”,“gazer”, “ramasser”, etc. - peuvent nouségarer un instant et entrer en écho avecune sombre histoire, sinon une sinistreactualité sur <strong>le</strong>s politiques d’immigration.[...] Les premiers plans fixes d’étourneauxrévè<strong>le</strong>nt progressivement la menace qu’ilsreprésentent pour <strong>le</strong>s habitants, créant unétonnant rapprochement avec <strong>le</strong> célèbremontage d’images qui précè<strong>de</strong> l’attaque<strong>de</strong> l’éco<strong>le</strong> dans Les Oiseaux d’Hitchcock. 1Dork ZabunyanLe Bruit du canon a obtenu <strong>le</strong> Prix Qualité du CNCen 2008.1- Dork Zabunyan, «Les cartographies <strong>de</strong> l’indécidab<strong>le</strong>», Marie Voignier, Editions A<strong>de</strong>ra, 2011, n.p.


17 Manuela MARQUESNée au Portugal en 1964 - Vit en FranceContact 1 - 2011C-print - 95 x 118 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisitions en 2012Contact 1 appartient à un ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>photographies réalisées à São Paulo,entre 2010 et 2011. Extraits <strong>de</strong> l’entretien<strong>de</strong> Manuela Marques et Jacinto Lageira,réalisé lors <strong>de</strong> ses expositions au MuséeCol<strong>le</strong>ction Berardo à Lisbonne et à laPinacothèque <strong>de</strong> São Paulo 1 .Jacinto Lageira : Vos travaux récents jouentsur <strong>le</strong> général et <strong>le</strong> particulier, <strong>le</strong> détail etl’ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong> proche et <strong>le</strong> lointain. Quelrô<strong>le</strong> joue la focalisation sur un point, unmoment inaperçu, une situation délaissée,sachant que votre approche n’est nidocumentaire ni socia<strong>le</strong> ?Manuela Marques : Je pense qu’il fautrevenir à la genèse <strong>de</strong> ce travail qui s’estconstitué autour <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> tentative.Tentative <strong>de</strong> rendre compte en quelquespoints visuels d’une vil<strong>le</strong>, d’une mégapo<strong>le</strong>,en l’occurrence cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> São Paulo. Àchaque séjour, la question se pose : quephotographier ? São Paulo est une vil<strong>le</strong> auxcontours flous où toute image cherchant àla circonstancier est bien sûr possib<strong>le</strong>, maisforcément inadéquate si l’on veut rendrecompte <strong>de</strong> sa dimension physique ethumaine. Cette vil<strong>le</strong> était ainsi toute requisepour mettre en œuvre cette rechercheautour <strong>de</strong> la tentative photographique. Rienne semb<strong>le</strong> joué d’avance et <strong>le</strong>s différencessocia<strong>le</strong>s, culturel<strong>le</strong>s ou architectura<strong>le</strong>scoexistent souvent dans un même espace.J.L. : Peut-on réel<strong>le</strong>ment ignorer cetespace social en tant que tel, même siaucune narration ou état évi<strong>de</strong>nt ne nousest présenté ; que <strong>de</strong>vrions-nous voir oupercevoir selon vous ?M. M. : Je ne pense pas ignorer l’espacesocial ; je dirai que mon travail s’en empareen lui donnant une forme particulière.Prenons ces scènes en plongée commevues au travers <strong>de</strong> caméras <strong>de</strong> surveillance.Ce qui se trouve présenté par ce type <strong>de</strong>prise <strong>de</strong> vue n’ouvre aucun champ à cequi serait habituel lorsqu’un photographecherche à rendre compte d’une situationurbaine : l’idée <strong>de</strong> documenter une réalité.Je pense que mon travail est aussi <strong>de</strong> l’ordredu politique, au sens premier du terme. Jecrois aussi que <strong>le</strong> réel n’est pas solub<strong>le</strong>dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong>. La plupart <strong>de</strong>s photographiesont été réalisées dans <strong>de</strong>ux ou trois lieuxrelativement dangereux <strong>de</strong> São Paulo :<strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> trafic, <strong>de</strong> consommation <strong>de</strong>crack, <strong>de</strong>s lieux dégradés par toute uneprécarité et une misère engendrant <strong>de</strong>ssituations conflictuel<strong>le</strong>s. Je me suis miseen situation d’observation, bien qu’au final<strong>le</strong> compte-rendu visuel indique très peu <strong>de</strong>choses <strong>de</strong> ce qui a été observé. Il s’agitdans cette proposition photographique <strong>de</strong>ne donner aucune réponse précise par uneinterprétation unique <strong>de</strong> ce qu’il y auraità voir dans ces images. J’accomplis pluscertainement une sorte <strong>de</strong> soustractiondu visib<strong>le</strong> pour mettre en évi<strong>de</strong>nce que laréalité est par nature multiforme, abstraiteet fuyante. C’est bien pour cela, sansdoute, que, plus qu’aucun autre médium,la photographie ou la vidéo sont <strong>le</strong>s outilsadéquats pour cette tentative d’infiltrationentre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux pô<strong>le</strong>s du visib<strong>le</strong> et du caché,<strong>le</strong> dérobé en quelque sorte. Ce qui crée <strong>le</strong>doute est <strong>le</strong> moteur <strong>de</strong> mon travail. C’est làoù je pense être au plus près <strong>de</strong> ce que l’onnomme «réel».1- Extraits <strong>de</strong> l’entretien entre Manuela Marques et Jacinto Lageira à l’occasion <strong>de</strong> l’exposition ‘BESphoto 2011’, MuseuCo<strong>le</strong>cção Berardo, Lisbonne, 2011.


18 Jean-Christophe DE CLERCQNé en France en 1966 - Vit en FranceSans titre (n°28) - 2001Encre et acrylique sur papier - 56 x 90 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2001Peindre, <strong>de</strong>ssiner, c’est faire empreinte,laisser trace sur un support adapté, etqualifier <strong>le</strong>s exigences <strong>de</strong> la pensée dansla formulation <strong>de</strong> la tournure du tracé. AvecJean-Christophe De C<strong>le</strong>rcq, c’est bienla gestuel<strong>le</strong> qui prime [...]. Les <strong>de</strong>ssins,<strong>le</strong>s lavis, <strong>le</strong>s graphismes et <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>ursmêmes participent au couronnement <strong>de</strong>cette gestuel<strong>le</strong> manuel<strong>le</strong>, nécessitant pourson sacre une discipline <strong>de</strong>s mouvements àcinq doigts et une endurance, une <strong>de</strong>xtérité,une respiration, fruits d’un sens aigu <strong>de</strong>l’observation. Lorgnant <strong>le</strong>s mystères <strong>de</strong>sformes <strong>de</strong> la nature et <strong>le</strong>s survivantessubsistances humaines du sacré, guignant<strong>le</strong>s petits mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> textures organiqueset minéra<strong>le</strong>s, convoitant <strong>le</strong>s récréationsnaturel<strong>le</strong>s du gaz, <strong>de</strong> la roche et du sab<strong>le</strong>,l’artiste en déduit la création <strong>de</strong> motifsméconnaissab<strong>le</strong>s et abstraits et unediscipline stricte <strong>de</strong> travail. Son gestea acquis, c’est certain, un rythme, unepériodicité et une motivation personnel<strong>le</strong>,innovant <strong>de</strong>s formulations qui prennentparfois l’aspect <strong>de</strong> grands <strong>de</strong>ssins à effetvisuel absorbant. [...]Ces <strong>de</strong>ssins, ces phénomènes figurés,traversent un <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> grumeaux serrés,<strong>de</strong> bul<strong>le</strong>s éclatées, <strong>de</strong> plumes crayonnées,<strong>de</strong> membranes échevelées et <strong>de</strong> frisesasymétriques cerclées. Des trames en noiret blanc, pigmentées et tachetées <strong>de</strong> points,mouchetées et piquetées <strong>de</strong> petits fi<strong>le</strong>tsnoirs, domestiqués ou affolés, et parfoiscolorés d’une ombre portée, s’étirent,s’éta<strong>le</strong>nt, et se retirent sur un grain fin, <strong>le</strong> plussouvent papier. [...] Son graphisme réfléchi,ses peintures aux cou<strong>le</strong>urs endormiesreproduisent <strong>de</strong>s images aléatoires. Despetits traits s’agitent, véritab<strong>le</strong>s résidus <strong>de</strong>copeaux graphiques animés d’extravagancesé<strong>le</strong>ctromagnétiques, et sa visiondu réel s’attache à la pensée <strong>de</strong> manièreconcrète sans que bientôt nul ne puisse ni<strong>le</strong>s ignorer ni s’en séparer. De ces germes <strong>de</strong><strong>de</strong>ssin, <strong>de</strong>s micro-organismes improbab<strong>le</strong>snaissent et <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s animés apparaissentqui tantôt se construisent, tantôtse détruisent. [...] Quand <strong>le</strong> signe, <strong>le</strong>pictogramme, l’idéogramme vali<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>tracé tel un phonème fixé <strong>de</strong> Gaston Planet,l’effet qui s’ensuit au niveau <strong>de</strong>s sens nepeut être présagé. Dans cet inventaire <strong>de</strong>représentations où rien n’est statique, oùtout est régulé par <strong>de</strong>s lois, <strong>de</strong>s forces,<strong>de</strong>s chaos, <strong>de</strong>s tensions, ce sont ici <strong>de</strong>smusc<strong>le</strong>s osseux, <strong>de</strong>s coquil<strong>le</strong>s enroulées,<strong>de</strong>s excroissances spiralées, <strong>de</strong>s nervuresvrillées, <strong>de</strong>s cristaux d’encre <strong>de</strong> Chineponctués, <strong>de</strong>s spires, <strong>de</strong>s volutes, <strong>de</strong>slimaçons, <strong>de</strong>s lèvres, <strong>de</strong>s opercu<strong>le</strong>s quiconstruisent un regard intériorisé.L’œuvre <strong>de</strong> Jean-Christophe De C<strong>le</strong>rcqdécidément est bien étrange, méditative,étrange à son temps, étrange à el<strong>le</strong>-même.El<strong>le</strong> se nourrit pourtant <strong>de</strong> science exacte,<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> la nature, et <strong>de</strong> la structureabyssa<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses configurations vertébra<strong>le</strong>s.Sensuel<strong>le</strong>, précise, entêtante, délicate,hors gravité ainsi que la graine cotonneusedu peuplier, el<strong>le</strong> s’affirme sans modè<strong>le</strong>, etse laisse emporter par <strong>de</strong>s vents d’unepoétique peu rationnel<strong>le</strong>.Frédéric Bouglé


19 Dominique PETITGANDNé en France en 1965 - Vit en Franceà la merci (At the mercy) - 1988-2010Installation sonore pour <strong>de</strong>ux hauts-par<strong>le</strong>ursCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Dominique Petitgand conçoit, composeet réalise <strong>de</strong>s pièces sonores, parlées,musica<strong>le</strong>s et si<strong>le</strong>ncieuses qui se donnentà entendre selon différents dispositifs :installations sonores, diffusions dansl’obscurité, éditions <strong>de</strong> CD. Ces dispositifsfont l’objet d’un réglage très précis <strong>de</strong> lapart <strong>de</strong> l’artiste qui fournit toujours, avecses œuvres, un protoco<strong>le</strong> d’installation et<strong>de</strong> diffusion qui doit être rigoureusementrespecté. Ainsi, pour à la merci (At themercy), il indique :«L’installation sonore à la merci (At themercy) occupe un espace en entier, el<strong>le</strong> nepeut pas cohabiter avec une autre œuvre.El<strong>le</strong> nécessite <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce dans l’espacequ’el<strong>le</strong> occupe et aux a<strong>le</strong>ntours. La durée<strong>de</strong> l’œuvre n’est jamais indiquée, que cesoit sur <strong>le</strong> cartel ou sur une documentationpublique.L’installation à la merci (At the mercy) estcomposée d’un enregistrement sonore,diffusé sur <strong>de</strong>ux haut-par<strong>le</strong>urs fixés surun premier mur, et d’une traduction soustitréeen anglais diffusée sur un écran vidéofixé sur un second mur. L’enregistrementsonore est composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux voix et seprésente comme une archive : un enfantfait répéter à un adulte une phrase à latournure alambiquée, en lui dictant <strong>le</strong>smots un par un, parfois syllabe par syllabe.Ce document sonore laisse planer <strong>le</strong>doute sur sa véracité. El<strong>le</strong> prend l’apparenced’un plan-séquence brut qui met enscène une situation apparemment irréel<strong>le</strong> :un enfant sachant à peine par<strong>le</strong>r dicteune longue phrase, inaudib<strong>le</strong> et illisib<strong>le</strong>dans sa globalité, qui s’apparente à undiscours d’artiste. Sur <strong>le</strong> côté, en décalageà la frontalité <strong>de</strong> l’écoute, un écran diffusela traduction (dans cette version, enanglais) <strong>de</strong> chaque paro<strong>le</strong>, comme undécalque visuel reprenant la scansion, <strong>le</strong>bégaiement et <strong>le</strong>s répétitions <strong>de</strong> la phraseen construction.»Ce protoco<strong>le</strong> a non seu<strong>le</strong>ment pourobjet <strong>de</strong> respecter <strong>le</strong> dispositif créé parDominique Petitgand dans ses dimensionsspatia<strong>le</strong> et technique mais aussi <strong>de</strong>fournir <strong>le</strong>s indications et indices relatifs àl’intention poursuivie par l’œuvre, commeen atteste la terminologie employée parl’artiste : iso<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l’œuvre dans unespace, absence d’indication temporel<strong>le</strong>,archive, véracité, plan-séquence, illisib<strong>le</strong>,bégaiement, etc. Ces précisions importentet révè<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s voies explorées par cetteœuvre : construction du langage, transmission,apprentissage, vérité, contexte,cinéma (sans images)...Simultanément, à la merci (At the mercy)instaure une circulation poétique du sens<strong>de</strong>s mots, une ambiguïté sur <strong>le</strong> statut <strong>de</strong> sesprotagonistes (S’agit-il d’un fils et <strong>de</strong> sonpère ? Pourquoi <strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s sont-ils inversésdans ce mécanisme d’apprentissage ?),et permet l’éclosion d’un onirisme dépourvud’images, constitué par <strong>le</strong>s projectionsmenta<strong>le</strong>s du spectateur. «Mes récits nesont pas <strong>de</strong>s «images» pour l’auditeur,qu’ils excluraient alors [...]. Ils mettent,au contraire, en route chez lui une activitépensante et affectée qui l’intègre. Chaquemot prononcé, chaque son, commeune main qui vient prendre littéra<strong>le</strong>mentl’auditeur pour l’y mettre <strong>de</strong>dans.»1- D. Petitgand, «Notes, 2004-2009», Domnique Petitgand, Installations (documents), éditions MF, 2009, p.204.


20 Erwan BALLANNé en France en 1970 - Vit en FranceThanks for all lulu, e.t.c... - 2001Verre, silicone, bois, métal, fils <strong>de</strong> scoubidou2008- 160 x 160 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011La peinture d’Erwan Ballan est unepeinture polymorphe dans ses matériaux: miroirs, silicone, bois, pattesmétalliques, scoubidous… Tous ceséléments, combinés ensemb<strong>le</strong>, peuventdonner lieu à <strong>de</strong>s objets picturaux. Celaimplique, d’abord, une distance face àla peinture, aux matériaux traditionnels<strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci et aux objets produits par cesmatériaux traditionnels. Il y a, ensuite,une hétérogénéité matériel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s œuvres.El<strong>le</strong>s apparaissent comme impures,composées d’éléments aboutés, gagnéespar <strong>de</strong>s proliférations inattendues ougangrenées par <strong>de</strong>s pâtes plastiquesdébordantes. Erwan Ballan utilise etréutilise tous <strong>le</strong>s registres matériologiqueset expressifs, dans une peinture <strong>de</strong> la combinatoire,du recyclage et du montage –et qui dit recyclage, mixage ou montagesuppose une transformation <strong>de</strong>s signesutilisés et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs sens. Ainsi, citantSergueï Eisenstein, Erwan Ballan, affirmait :«Il ne faut pas créer une œuvre, il faut lamonter avec <strong>de</strong>s morceaux tout faits,comme une machine. Montage est unbeau mot. Il signifie mettre <strong>de</strong>s morceauxtout prêts 1 .» C’est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> Thanks forall Lulu e.t.c…. qui combine un dripping<strong>de</strong> scoubidous s’échappant <strong>de</strong> blocs <strong>de</strong>cou<strong>le</strong>urs informes eux-mêmes écrasésentre une plaque <strong>de</strong> verre et <strong>de</strong>s structures<strong>de</strong> bois qui se dissimu<strong>le</strong>nt mal commesupports <strong>de</strong> l’épanchement coloré.Non seu<strong>le</strong>ment, la peinture d’Erwan Ballanest polymorphe dans ses matériaux, maisel<strong>le</strong> produit <strong>de</strong>s objets qui échappent à ceque la peinture produit traditionnel<strong>le</strong>ment :c’est-à-dire <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>aux. On pourraitcependant penser qu’il s’agit <strong>de</strong> semblants<strong>de</strong> tab<strong>le</strong>aux : <strong>le</strong> fait que ces œuvres soientaccrochées au mur dans un rapport frontalau regar<strong>de</strong>ur, à une hauteur qui est plusou moins cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son regard, permettraitd’envisager cette hypothèse. Mais plutôtque <strong>de</strong> tab<strong>le</strong>aux, je crois qu’il faudrait par<strong>le</strong>rd’anti ou <strong>de</strong> contre-tab<strong>le</strong>aux. Souvent <strong>le</strong>mur est visib<strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière l’œuvre, <strong>le</strong>s œuvreslaissent apparaître <strong>le</strong>ur machinerie, <strong>le</strong>sbords et traces <strong>de</strong> fabrication. Pourtant,l’œuvre laisse échapper <strong>de</strong>s indicesd’affects. Ainsi, <strong>le</strong>s scoubidous dansThanks for all Lulu, e.t.c…. ramènent, par<strong>le</strong> matériau, à l’enfance, «univers qui necesse <strong>de</strong> nourrir mon rapport <strong>le</strong> plus intimeavec <strong>le</strong>s matières, <strong>le</strong>s gestes. 2 ». Le titre estun hommage à sa grand-mère décédéeet <strong>le</strong> e.t.c. ne signifie pas et cetera, maisfait référence à la comparaison que faisaitWalter Benjamin entre la peinture et lamarel<strong>le</strong> – autre jeu d’enfance – et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>uxy sont, pour lui, entre «Enfer, terre et ciel etautres choses semblab<strong>le</strong>s». Une <strong>de</strong>rnièrecitation <strong>de</strong> l’artiste éclairera, sans doute,ce rapport <strong>de</strong> l’enfance à la peinture :«Je me souviens par exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> cettevio<strong>le</strong>nce d’enfant (la mienne et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>mon frère) par laquel<strong>le</strong> nous écrasionsnos petites voitures sous <strong>le</strong>s pieds d’unlit. El<strong>le</strong>s <strong>de</strong>venaient <strong>de</strong>s amas <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ursutilisab<strong>le</strong>s. Comme faire revenir dans lapeinture quelque chose <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>, oùla “vio<strong>le</strong>nce” rési<strong>de</strong> peut-être moins dans lapart <strong>de</strong> décision que dans la mise en œuvre<strong>de</strong> potentialités inédites <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong>sgestes qui <strong>le</strong>s font s’articu<strong>le</strong>r ensemb<strong>le</strong> ?»1- Eisenstein cité par Erwan Ballan, Hors champs, Nantes, Éco<strong>le</strong> Régiona<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Beaux-arts, 2006, p. 4.2- «Entretien avec Pierre Manuel», op.cit., p. 42.Éric Suchère


21 Gilgian GELZERNé en Suisse en 1951 - Vit en FranceSans titre - 2010 - 200 x 150 cmGraphite et crayons <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur sur papierSans titre - 2010 - 22 x 16 cmAcrylique et crayons <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur sur carton entoiléCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisitions en 2012Le <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> possè<strong>de</strong> dorénavant unensemb<strong>le</strong> conséquent d’œuvres <strong>de</strong> GilgianGelzer (<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> 1998, une peinture<strong>de</strong> 1999, une peinture et un <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong>2010). C’est entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>ssinset peintures (auxquels il faudrait ajouter laphotographie) que se construit la pratique<strong>de</strong> Gilgian Gelzer.Chez lui, <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin est une pratiqueautonome. Il n’est en rien une étu<strong>de</strong>préparatoire aux peintures mais constitueun équiva<strong>le</strong>nt à cel<strong>le</strong>s-ci. Au recouvrementpar voi<strong>le</strong>s, par transparences, construisantl’espace pictural par une série <strong>de</strong>palimpsestes, répon<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ssins dans<strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s différentes strates restentsur une même surface, annu<strong>le</strong>nt enpartie la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s peintures parcequ’ils sont sans masse. L’espace n’estplus un espace physique mais mental.En 2010, l’artiste a réalisé un ensemb<strong>le</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins constitués <strong>de</strong> réseaux <strong>de</strong>lignes s’enchevêtrant et se recouvrant –à l’instar <strong>de</strong> pelotes <strong>de</strong> fils colorés.Ces grands <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> 200 x 150 cm,constituent <strong>de</strong>s variations où l’épaisseur<strong>de</strong>s lignes, <strong>le</strong>ur amplitu<strong>de</strong>s, la cou<strong>le</strong>ur, la<strong>de</strong>nsité <strong>de</strong>s recouvrements… donnent <strong>de</strong>schamps <strong>de</strong> force variab<strong>le</strong>s pouvant aussibien évoquer <strong>de</strong>s réseaux sanguins <strong>de</strong>scartographies contemporaines, <strong>de</strong>s parcourssismographiques aux résonancesgazeuses, liqui<strong>de</strong>s, minéra<strong>le</strong>s, corporel<strong>le</strong>s,moléculaires… où l’œil, jamais au repos,erre sans but dans un espace autantchaotique que fractal.Pour <strong>le</strong>s peintures, ainsi que l’affirmaitl’artiste «il s’agit <strong>de</strong> la présentation<strong>de</strong> quelque chose qui se situerait auxconfins <strong>de</strong> la figure et <strong>de</strong> l’espace, unétat intermédiaire, <strong>de</strong> fusion». La peinturejoue toujours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux éléments, à lafois figure et espace, à la fois corps etterritoire. La peinture est «l’expressiond’un certain sentiment <strong>de</strong> la réalité» dont<strong>le</strong>s référents <strong>de</strong>meureraient absents etqui évoquerait <strong>le</strong> corps par son caractèreorganique et <strong>le</strong> territoire par la manièredont l’espace se constitue. La métho<strong>de</strong><strong>de</strong> travail est aléatoire et empirique.Des formes naissent sans programmepréétabli, se modifient. Les couchesdérivent <strong>le</strong>s unes <strong>de</strong>s autres, sans qu’ilsoit possib<strong>le</strong> d’établir une logique. À moinsque la logique soit l’absence <strong>de</strong> règ<strong>le</strong>s,la possibilité constante d’un désordre,d’une dissymétrie, d’un effondrement<strong>de</strong>s constructions classiques habituel<strong>le</strong>s.La seu<strong>le</strong> chose qui semb<strong>le</strong> structurerl’ensemb<strong>le</strong> est la compacité étonnante <strong>de</strong>sdifférentes formes colorées qui, tout à lafois, se maintiennent <strong>le</strong>s unes <strong>le</strong>s autresà la surface en même temps qu’el<strong>le</strong>s setrament, s’écrasent et se dissolvent :surfaces opaques, éléments transparents,contrastes brutaux, dissonances nonpréparées, jus subtils, éléments rectilignescontre surfaces courbes… il semb<strong>le</strong> quetout concourt à former un organisme touten préparant, dans <strong>le</strong> même temps, safaillite possib<strong>le</strong> : «Je me rends compte queje peins toujours <strong>de</strong>s formes hétérogènes<strong>le</strong>s unes aux autres. El<strong>le</strong>s s’interpénètrent,se différencient et se mê<strong>le</strong>nt. Je cherche


une construction mais cette constructionest comme minée, mise en péril par <strong>le</strong>squestions qu’el<strong>le</strong> pose. (…) En fait, ce quime préoccupe dans mes <strong>de</strong>rnièrespeintures, c’est d’arriver à peindre unedissolution. Ce qui m’intéresse, aujourd’hui,c’est la désorganisation <strong>de</strong>s choses».Ces <strong>de</strong>rnières années ont vu la raréfaction<strong>de</strong>s peintures, particulièrement <strong>de</strong>sgrands formats et l’apparition <strong>de</strong> peinturessur isorel ou d’acryliques dans <strong>de</strong>sdimensions restreintes – c’est <strong>le</strong> cas pourl’œuvre acquise par <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> –,dimensions réduisant <strong>le</strong>s possibilités <strong>de</strong>comp<strong>le</strong>xité compositionnel<strong>le</strong>s, peinturesallant plus directement à l’essentiel et où <strong>le</strong>sanalogies corporel<strong>le</strong>s semb<strong>le</strong>nt disparaîtreet, sans doute, que la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ssins dans la même pério<strong>de</strong> imposait cecontrepoint.éric SuchèreGilgian Gelzer - Sans titre (détail) - 2010 - Graphite et crayons <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur sur papier - 200 x 150 cm - Coll. <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>.


22 Patrick CONDOURETNé en France en 1965 - Vit en FranceRelief n°2 - 2005Acier, fil <strong>de</strong> coton - 61 x 38 x 16 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011On peut classer <strong>le</strong>s sculptures <strong>de</strong> PatrickCondouret en trois catégories. Il y a <strong>de</strong>sassemblages, souvent <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> réduite –c’est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> l’œuvre du <strong>FRAC</strong> –, <strong>de</strong>stab<strong>le</strong>s où coexistent assemblages etobjets trouvés ou à peine retouchés et<strong>de</strong>s installations souvent anarchiques quidépassent souvent l’échel<strong>le</strong> humaine.On retrouve, dans ces trois types <strong>de</strong>propositions <strong>de</strong>s préoccupations communes.Il y a, d’abord, un goût pour l’hétérogénéitématériel<strong>le</strong> : fil <strong>de</strong> fer, coton, tissus,barquettes <strong>de</strong> plats surgelés, vieux bouts<strong>de</strong> bois, anneaux <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> douche,morceaux <strong>de</strong> ficel<strong>le</strong>, papiers, lacets,ga<strong>le</strong>ts, mousses <strong>de</strong> polyuréthane… toutpeut servir et tout peut être recyclé dans<strong>le</strong>s sculptures. Il s’agit avant tout d’êtrevigilant sur <strong>le</strong>s qualités <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur, <strong>de</strong>surface, <strong>de</strong> matière que ces objets ont.Bien que souvent dérisoires, c’est la miseen contraste <strong>de</strong> ses propriétés par cel<strong>le</strong>sd’autres objets qui fait que la cou<strong>le</strong>urclaque, resp<strong>le</strong>ndit, que la surface prendun certain luxe, que <strong>le</strong>s matières uséesreprennent un peu <strong>de</strong> lustre. Le travail<strong>de</strong> Patrick Condouret tient à ces misesen écho, à ces contrastes souvent inattendus– comme, par exemp<strong>le</strong>, dans Reliefn° 2, dans <strong>le</strong> rapport plus que contrastéentre <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> coton et une structured’acier.Il y a, ensuite, <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> constructionqui n’appartiennent pas forcément auxtechniques traditionnel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la sculptureet qui tiennent soit du bricolage, soit dudéplacement d’une pratique à une autre.L’artiste a établi une liste <strong>de</strong>s actionspossib<strong>le</strong>s : « Je tords, je plie, je réunis, jecouds, j’agrafe, je <strong>de</strong>ssine, j’assemb<strong>le</strong>, jedécalcomanie, j’autocollant, je plastique,je col<strong>le</strong>, je punaise, je mo<strong>de</strong>lage, j’éping<strong>le</strong>,je dérape, je m’amuse, je recommence. 1 »Dans <strong>le</strong> Relief n° 2, l’opération estsimplissime puisqu’el<strong>le</strong> consiste à nouer<strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> coton autour d’une structureen acier, mais cette opération simplissimeproduit, ainsi, <strong>de</strong>ux réseaux linéairesqui se complètent et se comp<strong>le</strong>xifientmutuel<strong>le</strong>ment, <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins qui se déploientdans l’espace – grâce à la structureen acier – et se réunissent dans l’ombre quiest projetée au mur.Le résultat est souvent d’une gran<strong>de</strong>fragilité et d’une gran<strong>de</strong> précarité. Celasemb<strong>le</strong> ne tenir à presque rien et l’ons’approche souvent avec précautions<strong>de</strong> ces petits objets évidés, ligaturés,entortillés, agrafés, pincés, tressés outout simp<strong>le</strong>ment collés, et, sans doute,<strong>le</strong> spectateur, à cause <strong>de</strong> cette fragilitéinhérente aux matériaux et affirmée dansla production, <strong>de</strong>vient plus attentif, seconcentre un peu plus sur ce peu, plusque s’il se trouvait <strong>de</strong>vant une machinerieimposante et coûteuse et, in fine, peutobserver ce qui ressort à la fois du plaisirenfantin, un plaisir enfantin souventhumoristique <strong>de</strong> l’inventivité manuel<strong>le</strong> etce qui nous amène à un regard renouvelésur <strong>le</strong>s subtilités du presque rien et du pasgrand chose qui nous entourent souvent.éric Suchère1- Cité dans Cédric Loire, «Déplacements, proliférations et reflux», Patrick Condouret - Laurent Mazuy, AGART, 2006, n.p.


23 Nicolas GUIETNé en France en 1970 - Vit en FranceSregqrseg - 2008Acrylique sur toi<strong>le</strong> lycra tendue sur structure en bois120 x 40 x 20 cmDépôt du Centre National <strong>de</strong>s Arts Plastiquesau <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> <strong>de</strong>puis 2011«La première incertitu<strong>de</strong>, au sujet <strong>de</strong>speintures <strong>de</strong> Nicolas Guiet, tient à <strong>le</strong>urappartenance à la catégorie du tab<strong>le</strong>au.Ses œuvres ne sont pas planes, <strong>le</strong>ur formatn’est pas quadrangulaire, el<strong>le</strong>s ne recè<strong>le</strong>ntni figures ni facture, et el<strong>le</strong>s s’accrochentdans <strong>le</strong>s creux et <strong>le</strong>s ang<strong>le</strong>s plutôt qu’aumilieu <strong>de</strong>s murs. [...] à propos du volume<strong>de</strong> ses œuvres et <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur rattachement àla sculpture ou à la peinture, Nicolas Guietchoisit, [...] répond par <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin : «Je fais<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins, explique-t-il, qui définissent<strong>de</strong>s châssis sur <strong>le</strong>squels je tends unetoi<strong>le</strong> que je peins. Il s’agit donc pour moi<strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r avec tous <strong>le</strong>s constituantspropres au tab<strong>le</strong>au.» [...] Au sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> saconception, et dans <strong>le</strong> cas où il s’inscritdans un ang<strong>le</strong> entre <strong>de</strong>ux murs [commec’est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> l’œuvre présente dans cetteexposition], <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> chaque tab<strong>le</strong>audoit d’abord répondre à une situation <strong>de</strong>symétrie : comment la forme va-t-el<strong>le</strong> sedéployer d’un mur à l’autre ? Comment vat-el<strong>le</strong>négocier <strong>le</strong> passage ? Nicolas Guietne s’interdit aucune possibilité et c’estl’infinité <strong>de</strong> réponses qui permet la richesse<strong>de</strong>s formes. [...] Certains tab<strong>le</strong>aux longentsimp<strong>le</strong>ment l’ang<strong>le</strong>, tandis que d’autressemb<strong>le</strong>nt l’enjamber, gonf<strong>le</strong>nt comme uneexcroissance du mur ou se répan<strong>de</strong>nten motifs symétriques ou non. [...]Tab<strong>le</strong>aux aux volumes «exagérés», selonla formulation <strong>de</strong> l’artiste, ces œuvresappel<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> toucher autant qu’ils sollicitentla vue. à mesure qu’il y a eu à voir (une ou<strong>de</strong>ux cou<strong>le</strong>urs, texture en aplat, absence<strong>de</strong> figure et même <strong>de</strong> motif) s’éveil<strong>le</strong> <strong>le</strong>désir <strong>de</strong> toucher, comme pour apporterla réponse aux questions que posent cesvolumes : sont-ils p<strong>le</strong>ins ou creux, durs oumous ? Là où <strong>le</strong> monochrome historiquesollicitait la contemplation et la distance,<strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Nicolas Guiet appel<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>toucher. Paradoxa<strong>le</strong>ment, ces tab<strong>le</strong>auxjouent <strong>de</strong> la contradiction entre l’incitationet l’interdiction du toucher. [...]Afin <strong>de</strong> contrecarrer la tentation<strong>de</strong> l’interprétation ou <strong>de</strong> l’analogieimmédiate, <strong>le</strong>s titres sont délibérémentincompréhensib<strong>le</strong>s. Nicolas Guiet recourt àun protoco<strong>le</strong> simp<strong>le</strong> par <strong>le</strong>quel la premièrepersonne qui a besoin d’un titre pourdésigner une pièce est chargée <strong>de</strong> <strong>le</strong> luidonner, l’opération consistant à frapper, àl’aveug<strong>le</strong>, une suite <strong>de</strong> <strong>le</strong>ttres sur <strong>le</strong> clavier<strong>de</strong> l’ordinateur. [...] Curieusement, <strong>le</strong>stitres ainsi obtenus (opmpojk, oihlinpuo,qapdùc...) ne sont pas sans évoquer –précisément parce qu’ils sont littéra<strong>le</strong>mentinsensés – un babil ou <strong>le</strong>s gestes d’un bébétripotant un clavier. Ces titres ne sont pas<strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions et ne fournissent aucuneexplication <strong>de</strong>s œuvres.» 1Karim Ghaddab1- Karim Ghaddab, «Mycoplasma laboratorium, ou la peinture synthétique», Nicolas Guiet, otrtreotrpoto, Ga<strong>le</strong>rie JeanFournier, éditions Lienart, 2010, pp.10-14.


24 Olivier SOULERINNé en France en 1973 - Vit en FranceSans titre (G/lacis vert) - 2007Acier sur tissu quadrillé - 80 x 120 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Olivier Sou<strong>le</strong>rin se définit comme peintremême si ses interventions pictura<strong>le</strong>speuvent être <strong>de</strong> l’ordre, naturel<strong>le</strong>ment, <strong>de</strong>tab<strong>le</strong>aux ou, moins naturel<strong>le</strong>ment, d’objetstridimensionnels qui ne s’accrochent pasau mur, mais se posent au sol [...] Pour nepar<strong>le</strong>r que <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>aux, puisque l’œuvredu <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> en est un, ceux-ci sont,en général, assez discrets. Les peinturesd’Olivier Sou<strong>le</strong>rin ressemb<strong>le</strong>nt, <strong>de</strong> loin, à<strong>de</strong> tranquil<strong>le</strong>s monochromes aux teintespâ<strong>le</strong>s ou pastels qui ne laissent pastransparaître au visiteur qui déambu<strong>le</strong> enregardant inattentif ce qui est <strong>le</strong>ur projetou propos ou objectif ou raison d’être. Lespeintures d’Olivier Sou<strong>le</strong>rin <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ntà ce qu’on <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong> <strong>de</strong> près, <strong>de</strong> trèsprès, d’aussi près qu’il <strong>le</strong>s a lui mêmepeintes, pour voir ce qui s’y joue. Lespeintures d’Olivier Sou<strong>le</strong>rin montrent <strong>le</strong>plus souvent – comme cel<strong>le</strong> du <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong> –, un support domestique asseztrivial – du genre serviette ou torchon –sur <strong>le</strong>quel un réseau coloré assez simp<strong>le</strong>a été déposé, réseau qui vient perturber latrame donnée par <strong>le</strong> motif du support et quicrée un troub<strong>le</strong> optique <strong>de</strong> type moirage,<strong>de</strong>ntelure, vibration ou création d’un réseaufantôme… par sa cou<strong>le</strong>ur, sa transparence,son <strong>de</strong>ssin, sa direction. Si <strong>le</strong> processusest simp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> résultat étonne par son luxe,par <strong>le</strong> fait qu’un matériau pauvre et qu’unedécision formel<strong>le</strong> aussi simp<strong>le</strong> puissentproduire une comp<strong>le</strong>xité dans la cou<strong>le</strong>ur,l’illusion spatia<strong>le</strong> ou la perturbation <strong>de</strong> larelation entre fond et forme.Les peintures d’Olivier Sou<strong>le</strong>rin font, ainsi,interagir, par un processus déductif, <strong>le</strong>squalités rudimentaires du ready-ma<strong>de</strong> quisert <strong>de</strong> support avec une cou<strong>le</strong>ur-<strong>de</strong>ssinqui n’agit pas comme forme sur un fondmais comme révélateur permettant d’entremê<strong>le</strong>rl’un et l’autre, <strong>de</strong> dévoi<strong>le</strong>r par unesimp<strong>le</strong> adjonction la richesse du peu, <strong>de</strong>laisser entrevoir son potentiel décoratif etesthétique.Cette réf<strong>le</strong>xion se retrouve dans toutes<strong>le</strong>s pièces d’Olivier Sou<strong>le</strong>rin, que ce soitdans <strong>le</strong>s objets cités plus haut ou dans<strong>le</strong>s photographies – dont certaines ont étéréunis dans <strong>le</strong> livre Prises <strong>de</strong> vues édité parla ga<strong>le</strong>rie In Extenso à C<strong>le</strong>rmont-Ferrand.Ces photographies d’espaces urbainssemb<strong>le</strong>nt toutes êtres <strong>de</strong>s peinturestrouvées où la qualité d’une cou<strong>le</strong>ur,la relation entre <strong>de</strong>ux teintes, la formeparticulièrement abstraite d’un motif, laprésence d’une structure géométrique…peuvent bien sûr nourrir la pratiquepictura<strong>le</strong>, mais surtout, montrent que <strong>le</strong>regard d’Olivier Sou<strong>le</strong>rin est un regardpictural, un regard pictural et attentif quisait voir et se saisir <strong>de</strong>s différentes qualités<strong>de</strong>s surfaces du visib<strong>le</strong> offertes par <strong>le</strong>mon<strong>de</strong>. Aussi, la peinture d’Olivier Sou<strong>le</strong>rinn’est pas strictement formaliste – mêmes’il a <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s accointances avec <strong>le</strong>sartistes que l’on qualifie comme tels – maisest, au contraire, une peinture ouverte sur <strong>le</strong>réel dans une pratique qui permet d’établir<strong>de</strong>s relations phénoménologiques sur <strong>le</strong>sobjets qui nous entourent, <strong>de</strong> tracer <strong>de</strong>sliens secrets, <strong>de</strong>s constructions menta<strong>le</strong>sdans et par <strong>de</strong>s artefacts apparemmentinnocents.Éric Suchère


25 Roland FLEXNERNé en France en 1944 - Vit aux états-UnisSans titres #11, #17, #48 - 2000 - 17 x 24 cm chaqueEncre indienne et savon sur papier recouvert d’argi<strong>le</strong>Col<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2009Le contact avec <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> RolandF<strong>le</strong>xner génére, souvent, une séried’interrogations quant à <strong>le</strong>urs modalités <strong>de</strong>création. S’agit-il <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins, d’impressions,<strong>de</strong> photographies ? Concernent-el<strong>le</strong>s lagéologie, la beauté <strong>de</strong> paysages mentaux,l’imagerie astronomique, ou sont-el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>pures abstractions ? Comment ont-el<strong>le</strong>s étécréées pour être si comp<strong>le</strong>xes, si détaillées,si délicates ? Et la surface, pourquoi laisset-el<strong>le</strong>un sentiment d’étrangeté, alors qu’ilne s’agit que <strong>de</strong> papier, mais un papierdont la texture ne ressemb<strong>le</strong> pas tout àfait à cel<strong>le</strong> d’un papier ordinaire, un papierdont on sent bien qu’il possè<strong>de</strong> un veloutéparticulier, un grain très subti<strong>le</strong>, commeune peau <strong>de</strong> pêche ?Roland F<strong>le</strong>xner pratique <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s annéesune métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin qui n’utilise ni lamain ni <strong>le</strong>s outils habituels au genre, maisun mélange très précisément dosé d’eau,<strong>de</strong> savon et d’encre indienne appliqué surun papier recouvert d’une mince pellicu<strong>le</strong>d’argi<strong>le</strong>. Les <strong>de</strong>ssins sont obtenus par <strong>le</strong>souff<strong>le</strong>. L’artiste a développé une gran<strong>de</strong>virtuosité dans la maîtrise <strong>de</strong> techniquesorienta<strong>le</strong>s anciennes qui lui permettent<strong>de</strong> doser avec exactitu<strong>de</strong> la quantité et <strong>le</strong>débit d’air nécessaires à la production <strong>de</strong>bul<strong>le</strong>s qui, une fois déposées sur la feuil<strong>le</strong><strong>de</strong> papier, éclatent et déposent l’empreinted’un cerc<strong>le</strong> à l’intérieur duquel se constitueun mon<strong>de</strong> à part entière. Il s’agit d’agir surquatre variab<strong>le</strong>s qui déterminent la naturedu <strong>de</strong>ssin, sa <strong>de</strong>nsité, sa forme. Le papier,tout d’abord, méticu<strong>le</strong>usement choisi etpréparé. Le choix du tube, dans <strong>le</strong>quel labul<strong>le</strong> est soufflée, sé<strong>le</strong>ctionné parmi unensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> pinceaux chinois troués en<strong>le</strong>ur centre, <strong>de</strong> différentes longueurs etépaisseurs, auxquels il adjoint l’emploid’un humidificateur qui lui permet d’obtenir<strong>de</strong>s bul<strong>le</strong>s plus résistantes. Le médium luimêmeensuite, fait d’un mélange d’encre et<strong>de</strong> savon, substances non miscib<strong>le</strong>s dont<strong>le</strong> dosage détermine <strong>le</strong>s transparenceset <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs du <strong>de</strong>ssin souhaité. Lesouff<strong>le</strong>, enfin, sa modulation, sa durée,voire l’intervention <strong>de</strong> la vibration <strong>de</strong>scor<strong>de</strong>s voca<strong>le</strong>s. Lorsqu’une bul<strong>le</strong> souffléese dépose sur la feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier, RolandF<strong>le</strong>xner l’étudie attentivement. Les motifset la composition créés par <strong>le</strong> mélanged’eau, d’encre et <strong>de</strong> savon sur la surfaceglobulaire et mouvante <strong>de</strong> cette peauéphémère mutent très vite et c’est lorsquel’agencement lui semb<strong>le</strong> prometteur qu’ilfait exploser la bul<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> papier.Cet art, que sans doute Victor Hugo, MaxErnst, ou André Masson auraient apprécié,utilise l’aléatoire en interaction avec lamaîtrise, <strong>le</strong> taux d’humidité <strong>de</strong> l’atmosphère,l’ang<strong>le</strong> selon <strong>le</strong>quel la bul<strong>le</strong> estsoufflée, la vitesse du souff<strong>le</strong>... Lesœuvres produisent <strong>de</strong>s microcosmesqui, simultanément, trouent la surface etémergent <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci, cosmogonie réversib<strong>le</strong>pour l’imaginaire. Ces incroyab<strong>le</strong>scartographies, où se mê<strong>le</strong>nt la fascinationd’une découverte quasi magique etl’étonnement <strong>de</strong> trouver dans <strong>le</strong>s vestiges<strong>de</strong> formes détruites au moment mêmeoù el<strong>le</strong>s se révè<strong>le</strong>nt une suspension dutemps, déc<strong>le</strong>nchent un sentiment <strong>de</strong>merveil<strong>le</strong>ux.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


26 Walter SWENNENNé en Belgique en 1948 - Vit en BelgiqueCailloux (Blanc) - 2011Hui<strong>le</strong> sur toi<strong>le</strong> - 100 x 80 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011On dit <strong>de</strong> Water Swennen qu’il aurait étépoète avant d’être peintre, ce qui <strong>le</strong> relierait,comme artiste belge, à cet autre poèteplasticien qu’était Marcel Broodthaers –avec <strong>le</strong>quel il avait été ami – et à un usageparticulier du langage. Sans doute et peutêtremais s’il fallait l’inscrire dans un champ,ce ne serait sûrement pas celui <strong>de</strong> la poésieet s’il fallait lui trouver <strong>de</strong>s antécé<strong>de</strong>nts, ceserait plutôt, belgitu<strong>de</strong> oblige, du côté <strong>de</strong>la «Pério<strong>de</strong> vache» <strong>de</strong> René Magritte qu’ilvaudrait mieux al<strong>le</strong>r voir car on y retrouveapparemment une figuration idiote p<strong>le</strong>ined’images improbab<strong>le</strong>s et imbéci<strong>le</strong>s traitéesavec la plus gran<strong>de</strong> désinvolture ou dans<strong>le</strong> plaisir <strong>le</strong> plus jubilatoire du mauvais goûtaffirmé recherchant <strong>le</strong> ratage absolu dumal léché étudié.Walter Swennen a peint sur tous <strong>le</strong>ssupports possib<strong>le</strong>s et imaginab<strong>le</strong>s, toutes<strong>le</strong>s images possib<strong>le</strong>s ou toutes <strong>le</strong>s nonimages possib<strong>le</strong>s – puisque l’on peutconsidérer que certaines <strong>de</strong>s peinturessont abstraites même si un doute persistecomme dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> l’œuvre du <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong> – et ses différentes œuvres sontpeintes sans sty<strong>le</strong> caractéristique, sansrien qui permette d’i<strong>de</strong>ntifier la main ou lapatte <strong>de</strong> l’artiste – et <strong>le</strong> résultat est souvent– mais pas tout <strong>le</strong> temps – humoristique etsouvent – mais pas uniquement – dérisoirepar la pauvreté – relative – du <strong>de</strong>ssin et<strong>le</strong> caractère caricatural <strong>de</strong> la figuration– quand el<strong>le</strong> est présente – et passantallégrement <strong>de</strong> la haute culture aux sousproduits<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> masse. C’est doncdit, mais il faut se méfier <strong>de</strong>s apparences.Ainsi, une déclaration ancienne <strong>de</strong> l’artisteétonne : «Le problème <strong>de</strong> l’image, c’estqu’il faut en trouver une qui par<strong>le</strong> à chacun,moi compris et qui soit suffisammentneutre. Ce sont <strong>de</strong>s représentationsqui se trouvent dans une sorte <strong>de</strong> zonefrontière entre l’image intime et l’imagepublique. 1 » C’est-à-dire, pour paraphraser,que l’image ne doit rien dire en el<strong>le</strong>même,qu’el<strong>le</strong> doit être indifférente et nonsymbolique – non fermée. Mais on peutéga<strong>le</strong>ment étendre ce questionnement àla facture, cel<strong>le</strong>-ci doit être impassib<strong>le</strong>, nerien dire <strong>de</strong> l’artiste et <strong>de</strong> son ego et nerien trahir d’une quelconque position sur<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et son état. Donc, <strong>le</strong>s peintures<strong>de</strong> Swennen posent <strong>de</strong>s strates d’imagesà la fois col<strong>le</strong>ctives et intimes qui accoléesensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>viennent impénétrab<strong>le</strong>s etqui peintes dans un non sty<strong>le</strong> ne peuventêtre rabattues à une esthétique privilégiée.Ou : la peinture <strong>de</strong> Swennen oscil<strong>le</strong> entre<strong>le</strong> sublime et <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>, entre <strong>le</strong>s effets<strong>le</strong>s plus somptueux et <strong>le</strong>ur mise en criseimplacab<strong>le</strong> sans qu’il soit possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> direce qui vraiment l’emporte, sauf à ne voirque <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>. Ainsi, Cailloux (blanc), peutêtre envisagé comme une représentation<strong>de</strong> cailloux simplifiés, dont certainsauraient été recouverts ou comme unepeinture abstraite expressionniste auxrepentirs gestuels ou comme une peintureoù s’affronterait la dualité d’un tracé avecla subtilité d’un rapport entre <strong>de</strong>s tachesà la limite du perceptib<strong>le</strong> ou comme unefiguration enfantine taclant <strong>le</strong> bon goûtpotentiel <strong>de</strong>s regar<strong>de</strong>urs ou comme toutcela à la fois et plus encore.Éric Suchère1- Cité par Pierre Sterckx dans «La peinture, <strong>le</strong>s images selon René Magritte et Walter Swennen», Artstudio n°18,Images du Nord, automne 1990, pp. 116-118.


27 Jean LAUBENé en France en 1959 - Vit aux états-UnisBouc<strong>le</strong>- 2007- 40 x 56 x 7,5 cmAcrylique sur panneau découpé et colléCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Dans <strong>le</strong>s années 1990 jusqu’au début<strong>de</strong>s années 2000, <strong>le</strong>s peintures <strong>de</strong> JeanLaube étaient <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>aux réalisés sur<strong>de</strong>s panneaux <strong>de</strong> bois dans <strong>le</strong>squelss’établissait une hésitation permanenteentre une abstraction géométrique etdécorative et <strong>de</strong>s illusions d’espacestridimensionnels. Les premières peintures,parmi cel<strong>le</strong>s-ci, étaient all-over et entretenaientun rapport évi<strong>de</strong>nt avec <strong>de</strong>s frisesornementa<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>s soient cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> laRenaissance ou bien cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s décors quiagrémentent nos ensemb<strong>le</strong>s d’habitationsurbains. Entre 2005 et 2006, Jean Laubeconstruisit <strong>de</strong>s Chambres, petits théâtresoptiques contenus dans <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong>carton fabriquées sommairement que <strong>le</strong>spectateur était amené à manipu<strong>le</strong>r pourcontemp<strong>le</strong>r, en réduction, <strong>de</strong>s simulationsd’espaces, maquettes scénographiquessans action où <strong>le</strong> dérisoire s’opposait àl’inquiétu<strong>de</strong> qui pouvait sourdre <strong>de</strong> cespièces désolées, assez souvent en ruine,évoquant quelques désastres non nommés.Si l’aspect extérieur <strong>de</strong>s premières boîtesétait fina<strong>le</strong>ment assez neutre – simp<strong>le</strong>sparallélépipè<strong>de</strong>s privilégiant ce qui passaità l’intérieur – <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rnières <strong>de</strong>vinrent,toujours à l’extérieur, <strong>de</strong> plus en plusélaborées, parfois peintes, parfois petitesconstructions qui pouvaient évoquer, par<strong>le</strong>ur caractère bricolé, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Picassoentre 1912 et 1914.entre <strong>le</strong>s reliefs d’ang<strong>le</strong> <strong>de</strong> Vladimir Tatline,certains assemblages <strong>de</strong> Jean Pougnyou ceux <strong>de</strong> Kurt Schwitters. Si l’on oublieces références et que l’on se recentre sur<strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Jean Laube, ces reliefssemb<strong>le</strong>nt faire <strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong>s peinturessemi-abstraites <strong>de</strong>s années 1990 et <strong>le</strong>sChambres du début <strong>de</strong>s années 2000.Ce sont toujours <strong>de</strong>s théâtres, mais,cette fois, abstraits où la cou<strong>le</strong>ur vientparfois contredire la pliure d’un support,où une ombre portée vient s’opposer à labidimensionnalité <strong>de</strong> ces plans superposéset la cou<strong>le</strong>ur apposée en jus mats produitun <strong>de</strong>ssin qui complète ou perturbe celuidonné par la découpe <strong>de</strong>s éléments dusupport. Comme dans <strong>le</strong>s peintures <strong>de</strong>sannées précé<strong>de</strong>ntes, il y a bien une relationdia<strong>le</strong>ctique – au sens <strong>de</strong> logique formel<strong>le</strong> –entre l’espace réel et l’espace figuré, entre<strong>le</strong> virtuel d’un espace coloré et la réalitésensib<strong>le</strong> d’une touche qui en recouvre uneautre. Dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> l’œuvre du <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong>, intitulée Bouc<strong>le</strong>, la cou<strong>le</strong>ur enarabesques arrondies passe d’un panneauà un autre, est oblitérée par un plan,s’interrompt brusquement dans la découped’une plaque et joue avec <strong>le</strong>s intersticesqui transforment <strong>le</strong> mur en une partie<strong>de</strong> l’œuvre, participant à son économiegénéra<strong>le</strong>.éric SuchèreLes pièces qui suivirent, dont la piècedu <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> est représentative,donnent une plus gran<strong>de</strong> amp<strong>le</strong>ur à cesconstructions pour <strong>le</strong>s transformer enassemblages ou reliefs autonomes oscillant


28 29 Michel GOUéRYNé en France en 1959 - Vit en France2829Ray Gun, Série Z - 2012Céramique émaillée- 27 x 21 x 30 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> - Don <strong>de</strong> l’artiste en 2012Frère Javel - 2010Céramique émaillée- 195 x 60 x 30 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> - Acquisition en 2012Michel Gouéry est né en 1959. Il étudie àl’éco<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Beaux-arts <strong>de</strong> Rennes au début<strong>de</strong>s années 1980. La peinture qu’il fait, ausortir <strong>de</strong> l’éco<strong>le</strong>, est une peinture hésitantentre un répertoire abstrait et figuratif.En 1986-1987, <strong>le</strong>s formes figuratives ou<strong>le</strong>urs résidus sont confrontés <strong>de</strong> plus enplus à <strong>de</strong>s motifs répétés qui insistent surl’effet décoratif du tab<strong>le</strong>au. Au fil <strong>de</strong>s ans,<strong>de</strong>s éléments clairement reconnaissab<strong>le</strong>sfont irruption dans ces peintures trèsformel<strong>le</strong>s : colonnes, œufs, coquillages,fossi<strong>le</strong>s… tout un répertoire qui évoque,à la fois, <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong>s grotesquesromains ou bien du baroque, mais aussi<strong>de</strong>s organismes étranges – souvenirs <strong>de</strong>sétu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> biologie que Michel Gouéry avaitentreprises avant d’al<strong>le</strong>r aux Beaux-arts –ou certaines images <strong>de</strong> films <strong>de</strong> sciencefiction.Michel Gouéry peint, donc, <strong>de</strong>simages très diverses qu’il fait bascu<strong>le</strong>r dansun champ qui semb<strong>le</strong> abstrait tout en étantfiguratif. Les premières images réel<strong>le</strong>mentfiguratives apparaissent au milieu <strong>de</strong>sannées 1990 ; <strong>de</strong>s images d’assez mauvaisgoût, n’apparaissant pas vraiment commedotées d’une gran<strong>de</strong> logique formel<strong>le</strong>. Ils’agit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la bonne peinture avec<strong>de</strong>s images impossib<strong>le</strong>s ou incongrueset <strong>le</strong>s aberrations iconographiques <strong>le</strong>stirent vers une certaine abstraction mêmesi cel<strong>le</strong>-ci <strong>de</strong>meure grotesque. Dontacte et on y repensera en regardant <strong>le</strong>scéramiques. En attendant, <strong>le</strong>s peinturesvont proliférer, certaines avec <strong>de</strong>s trous,d’autres prenant du relief, d’autres encoredans <strong>de</strong>s combinaisons où <strong>de</strong>s imagescentra<strong>le</strong>s sont entourées <strong>de</strong> ce que l’onpourrait appe<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s images margina<strong>le</strong>s.En 2004, Michel Gouéry arrête la peinture.Si 2004 voit la fin <strong>de</strong> la peinture, <strong>le</strong>ssculptures apparaissent à la fin <strong>de</strong>sannées 1990. Michel Gouéry s’est expliquésur cet arrêt <strong>de</strong> la peinture au profit <strong>de</strong> lasculpture : «Les peintures que j’ai faites àla fin, avant <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> peindre, étaient<strong>de</strong> plus en plus longues à faire ; certainesétaient même programmées à l’avance.La fabrication n’était donc pas toujourstrès drô<strong>le</strong>. Lorsque j’ai commencé lasculpture, je suis re<strong>de</strong>venu comme unenfant en train <strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r sa pâte àmo<strong>de</strong><strong>le</strong>r sur la tab<strong>le</strong>. Il y avait une forme<strong>de</strong> jubilation due au fait <strong>de</strong> pouvoir faireune pièce en quelques heures. 1 » En 2000-2001, <strong>le</strong>s sculptures vont <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plusen plus comp<strong>le</strong>xes avec, principa<strong>le</strong>ment,<strong>de</strong>s sculptures d’assemblages colorés.Plutôt qu’assemblage, il faudrait plutôtdire empi<strong>le</strong>ment. Soit il peut s’agir d’unmammouth <strong>de</strong>venant <strong>le</strong> porteur d’osse<strong>le</strong>ts,<strong>de</strong> viscères, d’un cœur enflammé ounon… soit d’un pied <strong>de</strong> champignon auxallures schtroumpfesques ou <strong>de</strong>venantun go<strong>de</strong>miché surmonté d’élémentssimilaires. L’empi<strong>le</strong>ment permet <strong>de</strong> toutfaire et <strong>de</strong> tout mettre sans qu’il y aitnécessairement <strong>de</strong> logique. L’empi<strong>le</strong>mentest un générateur assez généreux quipermet <strong>de</strong> se libérer <strong>de</strong>s contraintes <strong>de</strong>sens. L’empi<strong>le</strong>ment crée <strong>de</strong>s aberrationsau sens d’égarement ou <strong>de</strong> folie à l’aspectkitsch évoquant un mauvais pied <strong>de</strong>lampe où l’on trouve toujours un goût pourl’hybridation – que l’on trouvait déjà dansla peinture.1- Entretien entre Michel Gouéry et Camil<strong>le</strong> Saint-Jacques, août 2011.


À partir du milieu <strong>de</strong>s années 2000,<strong>le</strong>s sculptures prennent une dimensionanthropomorphique inattendue et lacomp<strong>le</strong>xité gagne <strong>le</strong>s sculptures qui<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus techniques dans<strong>le</strong> travail <strong>de</strong>s surfaces : trames, pustu<strong>le</strong>s,spaghettis ou nouil<strong>le</strong>s chinoises… Il s’agitbien d’empi<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s surfaces et <strong>de</strong> laisserfaire l’imagination : «Par exemp<strong>le</strong>, uneforme peut suggérer une couronne autourd’une tête. Dans un autre cas, tu vois, unpied supportera la tête d’un loup. Quelquesfois, il y a un jeu assez évi<strong>de</strong>nt entre <strong>de</strong>uxou trois formes. De temps en temps, c’estune espèce d’encroûtement comme ceuxque l’on pourrait trouver au fond <strong>de</strong> la meret, comme au fond <strong>de</strong> la mer, <strong>le</strong>s corauxvont pousser <strong>le</strong>s uns à côté <strong>de</strong>s autressans plus <strong>de</strong> raisons que cela. 2 » Ainsi, FrèreJavel est un sorte <strong>de</strong> mixage sur un corpsà échel<strong>le</strong> 1, d’un écorché anatomique àla manière d’Honoré Fragonard avec unefigure qui pourrait rappe<strong>le</strong>r cel<strong>le</strong>s quel’on trouve à bord du Hollandais volantdans Pirates <strong>de</strong>s Caraïbes. El<strong>le</strong> nousfait passer sans transition du grotesquerenaissant à l’industrie cinématographiqueaméricaine ou à <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> muséesethnographiques. El<strong>le</strong> articu<strong>le</strong> <strong>le</strong> sacré etl’humour, <strong>le</strong> pastiche et la terreur, <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>et l’élégance… sans que l’on ne puissejamais déci<strong>de</strong>r qui l’emporte sur l’autre.éric Suchère2- Entretien avec l’auteur du 13 décembre 2011.


30 Rémy JACQUIERNé en France en 1972 - Vit en FrancePing<strong>le</strong> - 2011Pong<strong>le</strong> - 2011Pigments et fusain sur papier210 x 150 cm chaqueCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisitions en 2012L’œuvre <strong>de</strong> Rémy Jacquier, bien quecentrée sur la pratique du <strong>de</strong>ssin est uneœuvre multip<strong>le</strong> et polymorphe où <strong>de</strong>smaquettes d’architectures imaginairesdialoguent avec <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong>musique insolites pouvant donner lieu à<strong>de</strong>s performances. Le <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux œuvres <strong>de</strong> cet artiste, uneœuvre <strong>de</strong> 2001 intitulée Tomlinson et undiptyque datant <strong>de</strong> 2011 intitulé Ping<strong>le</strong>,Pong<strong>le</strong>, composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux grands <strong>de</strong>ssins.Ping<strong>le</strong>, Pong<strong>le</strong> a été travaillé tout comme<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong>s années précé<strong>de</strong>ntes, ausol, mais à distance, puisque ces <strong>de</strong>ssinssont <strong>de</strong>s surfaces colorées recouvertesd’une couche <strong>de</strong> fusain, que l’artiste vientfrapper avec une bal<strong>le</strong> <strong>de</strong> tennis. L’impact<strong>de</strong> la bal<strong>le</strong> sur la feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier pulvériseune partie <strong>de</strong> la surface volati<strong>le</strong> et révè<strong>le</strong>la couche sous-jacente. Proches d’uneautre série <strong>de</strong> l’artiste, Les Phosphènes,el<strong>le</strong>s renvoient, comme l’écrit KarimGhaddab, «autant à la pupil<strong>le</strong> qu’à unetache persistante sur la rétine. L’image ducorps – du moins <strong>de</strong> l’organe <strong>de</strong> la vision –fait retour <strong>de</strong> manière inattendue. 1 ».Alors que la plupart <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ssins sontmarqués par l’entrelacs, l’enchevêtrement,la circonvolution, ce diptyque semb<strong>le</strong> êtreplus simplifié et marqué par la figure dupoint, mais cette notion du point, <strong>de</strong> laponctuation, rejoint, en partie, la question<strong>de</strong> l’écriture qui est à l’œuvre dans la plupart<strong>de</strong> ses travaux et que ces points d’impactspeuvent être aussi regardés comme <strong>de</strong>snœuds. Comme l’artiste l’affirmait il y adéjà quelques années : «Dessiner, c’estpour moi faire faire <strong>de</strong>s nœuds à la pensée,c’est rendre compte <strong>de</strong> l’encombrementque ces nœuds peuvent représenter. Fairefaire <strong>de</strong>s nœuds à la pensée revient àparcourir toutes <strong>le</strong>s articulations possib<strong>le</strong>s<strong>de</strong> la pensée, d’une pensée aussi bienvisuel<strong>le</strong> que textuel<strong>le</strong> et <strong>de</strong> la faire passerà travers la ligne seu<strong>le</strong> (ce qui n’a doncrien à voir avec l’écriture automatique).Dessiner serait multiplier <strong>le</strong>s points <strong>de</strong> vueset <strong>le</strong>s foca<strong>le</strong>s (retour à l’accommodation)».Enfin, <strong>le</strong> nombre d’impact sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>uxfeuil<strong>le</strong>s correspond à celui <strong>de</strong>s pointsd’acupuncture dans la mé<strong>de</strong>cine classiquechinoise, autre manière d’évoquer paranalogie <strong>le</strong> corps qui est à l’œuvre, maisaussi <strong>de</strong> constituer un diagramme entreces ponctuations qui peuvent semb<strong>le</strong>rhasar<strong>de</strong>uses, autre manière <strong>de</strong> reliermenta<strong>le</strong>ment du discontinu.L’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces références n’est pas àprendre <strong>de</strong> manière illustrative, ni mêmecomme un jeu culturel mais sert plutôt <strong>de</strong>nœud associatif, constitue l’arrière pland’une œuvre qui ne sait pas exactementoù el<strong>le</strong> va quand el<strong>le</strong> se constitue. El<strong>le</strong>sétablissent simp<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s échos quine doivent pas forcément être lisib<strong>le</strong>set qui sont équiva<strong>le</strong>nts au gigantesquepalimpseste qu’est <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin, aux tracesenfouis, à ce qui aff<strong>le</strong>ure, est effacé,recouvert, se corrompt, n’apparaît quefragmentaire : sismographe <strong>de</strong> la penséeen train <strong>de</strong> s’établissant et s’abolissantdans <strong>le</strong> même geste.Éric Suchère1- Karim Ghaddab, « L’organologie <strong>de</strong> Rémy Jacquier », Rémy Jacquier, Ga<strong>le</strong>rie Bernard Ceysson et Domaine <strong>de</strong>Kerguehennec, 2011, p. 27.


31 Dominique LIQUOISNée en France en 1957 - Vit en FranceBad Stream - 2009 - 152 x 150 cmHui<strong>le</strong>, acrylique sur toi<strong>le</strong>, tissu, rembourrage, filCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Après avoir fait partie d’un groupe <strong>de</strong>performers au Mexique au début <strong>de</strong>sannées 1980, Dominique Liquois s’estconsacrée à la peinture. De cette partie<strong>de</strong> sa vie au Mexique, el<strong>le</strong> a gardé ungoût pour <strong>le</strong>s traditions populaires etpour <strong>le</strong> syncrétisme qui marque encore sapeinture. Une peinture qui est, <strong>de</strong> primeabord, abstraite, dans une abstractiongéométrique et ludique, une peinture<strong>de</strong> la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong> signes hétérogèness’interrompant brusquement, inscrivant<strong>de</strong>s motifs géométriques aux registresparfois contradictoires dans <strong>de</strong>sasymétries et <strong>de</strong>s bascu<strong>le</strong>ments constantset jouant d’une polychromie joyeusefaite d’aplats dissonants. L’interventionpictura<strong>le</strong> est, somme toute, assez formel<strong>le</strong>et <strong>le</strong>s tissus qui viennent sur la peintureaccentuent ce formalisme langagier voiregrammairien. Des morceaux <strong>de</strong> tissusrembourrés font saillie, gonf<strong>le</strong>nt la surfacepictura<strong>le</strong>, débor<strong>de</strong>nt ou s’agrippent au mur.L’adjonction <strong>de</strong> ces éléments cousus à latoi<strong>le</strong> même viennent donner une qualitétacti<strong>le</strong> que la peinture seu<strong>le</strong> n’avait pas ;mais, bien évi<strong>de</strong>mment, ces élémentsajoutés donnent une tridimensionnalité quijoue ou contredit la planéité <strong>de</strong>s surfacespurement pictura<strong>le</strong>s, fait qu’un motif prenddu relief et <strong>de</strong>vient objet, qu’un aplat envenant sur un volume se déforme et quel’œuvre <strong>de</strong>vient <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> chausse-trappesperturbant la manière dont nous lisons cesespaces simulés ou réels.éléments abstraits, mais gar<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>urorigine, se lisent comme <strong>le</strong>s impuretésd’un mon<strong>de</strong> trivial et vernaculaire faisantirruption dans <strong>le</strong> langage cultivé et raffiné<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> peinture abstraite. Desmorceaux <strong>de</strong> tissus africains ou indiensou sud-américains viennent, dans <strong>le</strong>spein-tures <strong>de</strong> Dominique Liquois, s’insérerdans cette histoire <strong>de</strong> l’abstraction et lamette en danger, viennent la contaminer,la rendre impure tout en nous amenantà voir <strong>le</strong>ur force décorative. La qualité<strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Dominique Liquois est <strong>de</strong>provoquer ces confrontations forcées quicassent autant un registre que l’autre.D’autant que Dominique Liquois ne rava<strong>le</strong>pas ces tissus au rang <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s motifs,mais préserve <strong>le</strong>ur caractère symbolique– qu’ils ont encore en Afrique ou enIn<strong>de</strong>, par exemp<strong>le</strong>. Le motif <strong>de</strong> l’œil – quiapparaît dans Bad Stream – «possè<strong>de</strong> unesignification traditionnel<strong>le</strong> précise, ajouteune charge ethnique et concrète quevient contrebalancer la géométrisation <strong>de</strong>l’espace pictural qui lui fait pendant. 1 » Ainsi,<strong>de</strong>s éléments ornementaux sur <strong>le</strong>squels segreffent <strong>de</strong>s roses vénéneuses, <strong>de</strong>s pénismous, <strong>de</strong>s vulves satinées ou <strong>de</strong>s pochesaux claires allusions anatomiques viennentprendre <strong>de</strong>s significations multip<strong>le</strong>s quiirriguent cette peinture d’une force à la foissymbolique et humoristique.Éric SuchèreCes éléments <strong>de</strong> tissus sont bien reconnaissab<strong>le</strong>set ne per<strong>de</strong>nt jamais <strong>le</strong>ur i<strong>de</strong>ntité,ne <strong>de</strong>viennent pas tota<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s1- L’artiste citée par Marion Daniel dans «Dominique Liquois, objets mimétiques», Conflicto barroco, Espace d’artcontemporain Camil<strong>le</strong> Lambert, 2011, p. 4.


32 Al MARTINNé en France en 1949 - Vit en FranceEidétique paressante - 2009-2010365 couches d’acrylique poncées sur toi<strong>le</strong>42 x 35 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Depuis <strong>le</strong> milieu <strong>de</strong>s années 1970, Al Martinprocè<strong>de</strong> à une exploration <strong>de</strong>s possibilitésmatériologiques <strong>de</strong> la peinture dans unedémarche fortement processuel<strong>le</strong>. Il s’agit<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>le</strong>s potentialitéspictura<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> format obligé du tab<strong>le</strong>auet <strong>de</strong> voir ce que cel<strong>le</strong>s-ci révè<strong>le</strong>nt. Chaquesérie est l’occasion dans un protoco<strong>le</strong>souvent strict, parfois humoristique, <strong>de</strong>magnifier ce que seu<strong>le</strong> la peinture sait faire :produire <strong>de</strong>s surfaces spécifiques qui sonten même temps <strong>de</strong>s images.L’œuvre que possè<strong>de</strong> <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>a pour titre Eidétique paressante. El<strong>le</strong> date<strong>de</strong> 2009-2010 et est constituée <strong>de</strong> 365couches d’acrylique poncées sur toi<strong>le</strong>.L’explicitation du processus est simp<strong>le</strong> :chaque jour, Al Martin ajoute une couche<strong>de</strong> peinture à la surface du tab<strong>le</strong>au.Chaque couche est constituée d’unecou<strong>le</strong>ur différente. Après une année et,donc, 365 couches différentes, la phasepréparatoire est achevée et Al Martin peutprocé<strong>de</strong>r à la phase inverse. Il s’agira <strong>de</strong>creuser à l’ai<strong>de</strong> d’une gouge la surfacepictura<strong>le</strong> couche par couche. Ainsi, unepremière couche est en<strong>le</strong>vée, puis unecouche encore plus gran<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong> lapremière, puis une couche encore plusgran<strong>de</strong>, etc. Le tab<strong>le</strong>au est achevé quand365 couches ont été en<strong>le</strong>vées – il va <strong>de</strong> soique ce n’est pas la totalité <strong>de</strong> la couche quiest en<strong>le</strong>vée mais uniquement un fragment.Enfin, précisons que la surface est unifiéepar un ponçage manuel au papier <strong>de</strong>verre et à l’eau afin d’obtenir une «pente»douce sans décrochages. Le résultat estune «peinture inversée» – titre sous <strong>le</strong>quelAl Martin regroupe ces peintures qu’i<strong>le</strong>ffectue <strong>de</strong>puis maintenant plus d’unequinzaine d’années.Il est donc question, d’abord, <strong>de</strong> dépôt etla peinture est, fondamenta<strong>le</strong>ment et matériel<strong>le</strong>ment,cette opération <strong>de</strong> dépôt,ce recouvrement d’une couche par uneautre – par glacis ou empâtement. Si cetteopération est respectée dans un premiertemps, el<strong>le</strong> est contredite dans un <strong>de</strong>uxièmepuisqu’il y a dépôt puis excavation, miseen œuvre d’une archéologie <strong>de</strong> la peinture,carottage dans ses sédiments ou voyagetemporel comme, dans cette œuvre, lacouche la plus ancienne est aussi visib<strong>le</strong>que la couche la plus récente et commel’œuvre est achevée quand la couche laplus ancienne émerge enfin. Il est, donc,question <strong>de</strong> temps, d’accumulation <strong>de</strong>temps – 365 dépôts et 365 creusements –et <strong>de</strong> rendre visib<strong>le</strong> ce temps physiquement.Il est à noter éga<strong>le</strong>ment que ce qui apparaîtcomme étant <strong>le</strong> «fond» est en fait la <strong>de</strong>rnièrecouche et que ce qui apparaît comme laforme est en quelque sorte <strong>le</strong> fond. Onnotera éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s «barbes» sur <strong>le</strong> bord<strong>de</strong> la peinture produite par la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>l’accumulation pictura<strong>le</strong> pouvant évoquer,par analogie, <strong>de</strong>s stalactites. La peintured’Al Martin est, ainsi, une doub<strong>le</strong> mémoire ;non seu<strong>le</strong>ment la mémoire <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>scouches qui ont amené à sa <strong>de</strong>rnièresurface, mais aussi mémoire <strong>de</strong> toutes<strong>le</strong>s opérations visib<strong>le</strong>s qui ont permisl’achèvement <strong>de</strong> la peinture. Il y a, en plusd’un temps révélé et démontré comme unagenda ou un <strong>journal</strong> intime, un <strong>journal</strong> <strong>de</strong>peinture.


Mais l’opération n’est pas simp<strong>le</strong>mentun processus poétique et poïétique. Ladoub<strong>le</strong> opération permet d’obtenir unevibration <strong>de</strong> la cou<strong>le</strong>ur par la finesse <strong>de</strong>screusements que l’on ne pourrait obtenirpar ail<strong>le</strong>urs dans une richesse qui évoqueindubitab<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> certaines imagesfracta<strong>le</strong>s – d’ail<strong>le</strong>urs la <strong>de</strong>rnière coucheobtenue par <strong>le</strong> ponçage est toujours unrond – et cette analogie est souventrenforcée par la symétrie du <strong>de</strong>ssincomme c’est <strong>le</strong> cas pour l’œuvre du <strong>FRAC</strong><strong>Auvergne</strong>. Enfin, petite note sur <strong>le</strong> titreénigmatique : une image eidétique estune image d’une netteté hallucinatoire ouqui se représente <strong>le</strong> réel tel qu’il se donneou qui concerne <strong>le</strong>s essences, abstractionfaite <strong>de</strong> l’existence (définitions donnéespar Le Petit Robert) et, peut-être, quecette peinture concerne l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> cespropositions en passant, ou paraissantcomme tel<strong>le</strong>s ou <strong>de</strong> manière un peuparesseuse ou… mais <strong>le</strong> titre n’est jamaisqu’un contrepoint au visib<strong>le</strong>.éric Suchère


33 Jessica WARBOYSNé en Gran<strong>de</strong>-Bretagne en 1977Vit en France et en Gran<strong>de</strong>-BretagneMasked - 2011Cyanotype sur toi<strong>le</strong> - 345 x 219 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2011Films, peintures, sculptures, objets,écrits... l’œuvre <strong>de</strong> Jessica Warboys estpolymorphe et cette polymorphie trouvesa cohérence dans l’intérêt que portel’artiste à la question <strong>de</strong> la temporalitéet du mouvement. Il en va ainsi <strong>de</strong>s SeaPaintings, ces œuvres <strong>de</strong> formats souventmonumentaux, réalisées sans interventionhumaine, juste par l’action du temps et <strong>de</strong>l’érosion créée par <strong>le</strong>s éléments naturels.De gran<strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>s imprégnées <strong>de</strong> pigmentssont immergées sous la surface <strong>de</strong>l’océan pour que <strong>le</strong> flux et <strong>le</strong> reflux crée <strong>de</strong>vastes champs colorés. Si la mer est miseà contribution pour <strong>le</strong>s Sea Paintings, il enva <strong>de</strong> même avec <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il pour Masked,acquise par <strong>le</strong> <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>. Cetteœuvre emprunte sa technique à cel<strong>le</strong>du cyanotype mais en déplaçant cel<strong>le</strong>ci,habituel<strong>le</strong>ment réservée à <strong>de</strong> petitsformats, vers une réalisation monumenta<strong>le</strong>.Un mélange photosensib<strong>le</strong> est appliquésur la surface <strong>de</strong> la toi<strong>le</strong> puis mis à sécherdans l’obscurité, ce qui lui donne unecou<strong>le</strong>ur jaune verdâtre. Jessica Warboysinso<strong>le</strong> <strong>le</strong>s pans <strong>de</strong> toi<strong>le</strong> au so<strong>le</strong>il en ayantpréalab<strong>le</strong>ment disposés sur ceux-ci <strong>de</strong>sobjets qui, une fois l’insolation opérée,apparaissent en négatif alors que <strong>le</strong>reste du support prend une cou<strong>le</strong>urb<strong>le</strong>ue obtenue par réduction du fer sousl’action <strong>de</strong>s rayons ultravio<strong>le</strong>ts. Le résidu<strong>de</strong> fer encore présent sur la toi<strong>le</strong> estéliminé par rinçage à l’eau. Les différentslés utilisés pour la réalisation <strong>de</strong> cecyanotype sont ensuite montés <strong>le</strong>s unsavec <strong>le</strong>s autres, comme on monterait <strong>le</strong>srushs d’un film, afin <strong>de</strong> constituer ce qui<strong>de</strong>viendra l’œuvre fina<strong>le</strong> et, comme dansun montage, certaines parties peuventfaire l’objet <strong>de</strong> redécoupages pour êtreajustées avec d’autres parties. Ainsi, <strong>le</strong>s<strong>de</strong>ux carrés tronqués qui figurent dansla partie inférieure <strong>de</strong> l’œuvre coïnci<strong>de</strong>ntparfaitement avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux carrés tronquésqui bor<strong>de</strong>nt cel<strong>le</strong>-ci sur <strong>le</strong> côté gauche :ces <strong>de</strong>ux parties n’en formaient qu’une audépart et ont été découpées et «montées»postérieurement. Du coup, <strong>le</strong> spectateurqui relie menta<strong>le</strong>ment ces formes entreel<strong>le</strong>s peut tenter la même opération avec<strong>le</strong>s autres formes quadrangulaires <strong>de</strong>la partie supérieure qui, en définitive,ne coïnci<strong>de</strong>nt avec rien, et permettentd’imaginer que la partie tronquée <strong>de</strong> cesformes ait été «coupée au montage» pourêtre définitivement abandonnée ou, peutêtre,servir dans un autre «montage», uneautre œuvre. Cette œuvre, qui tient autant<strong>de</strong> la peinture que <strong>de</strong> la photographie,utilise <strong>le</strong> découpage et l’assemblage surun mo<strong>de</strong> que l’on peut aisément qualifier<strong>de</strong> cinématographique - l’artiste menantpar ail<strong>le</strong>urs une activité <strong>de</strong> cinéaste d’unegran<strong>de</strong> importance dans son œuvre.Masked est dès lors une œuvre peinte qui,au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s masquages qu’el<strong>le</strong> utilise pourcréer ses motifs, «masque» ses proprescaractéristiques stylistiques, enfouissantla peinture <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> cyanotype, <strong>le</strong>cyanotype <strong>de</strong>rrière un format hors ducommun, et une forme expérimenta<strong>le</strong> <strong>de</strong>cinéma <strong>de</strong>rrière une abstraction et unetechnique d’assemblage qui cache cequ’el<strong>le</strong> est vraiment.Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne


35 Jonathan PORNINNé en France en 1979 - Vit en Al<strong>le</strong>magneSans titre- 2011Hui<strong>le</strong> sur toi<strong>le</strong> - 70 x 70 cmCol<strong>le</strong>ction <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Acquisition en 2012Jonathan Pornin peint <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>auxapparemment abstraits aux dimensionsrelativement mo<strong>de</strong>stes. Ses tab<strong>le</strong>auxont l’apparence <strong>de</strong> l’abstraction commeils évoquent son histoire tant par <strong>le</strong>sformes que par <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs mais ilspourraient tout autant provenir du réel :éléments empruntés à l’univers texti<strong>le</strong>,à l’imagerie scientifique, à <strong>de</strong>s éléments<strong>de</strong> cartographie, à <strong>de</strong>s signes urbains…Ils rabattent vers l’abstraction tousces éléments, <strong>le</strong>s font tendre vers. Sespeintures sont <strong>le</strong> plus souvent constituées<strong>de</strong> trames qui s’entremê<strong>le</strong>nt dans unerythmique assez simp<strong>le</strong> ou <strong>de</strong> motifs posés<strong>de</strong> manière lapidaire sur <strong>de</strong>s surfacesunifiées peintes en aplats mats. La plupartdu temps, ce sont tout simp<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>soppositions <strong>de</strong> surfaces. Il s’agit autant<strong>de</strong> colliger que <strong>de</strong> provoquer la collisionentre <strong>de</strong>s éléments non miscib<strong>le</strong>s. Levocabulaire est comp<strong>le</strong>xe – peut l’être –mais la grammaire est simp<strong>le</strong>. La questionest cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’étrangeté <strong>de</strong>s rapports pas<strong>de</strong> la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur organisation. Cequi est mis en scène est l’étrangeté d’unrapport formel, d’une relation entre <strong>de</strong>uxéléments, d’un passage ou d’une coupure<strong>de</strong> l’un vers l’autre. La question est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>la mesure <strong>de</strong> ces hiatus : ni trop éloignée,ni trop proche, ni trop réglée, ni tropdéréglée.évoquent la figuration. La question n’estpas tant l’opposition entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux – oula réunion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux – que <strong>de</strong> jouer, dansune figuration primaire, avec l’ambiguïté<strong>de</strong> la représentation. L’évi<strong>de</strong>nce presquenaïve <strong>de</strong> la figuration est un jeu amusétant avec <strong>le</strong> spectateur qu’avec <strong>de</strong>sco<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la représentation. L’on hésitequant au registre : figuration schématiqueou abstraction naïve ou figuration naïveou abstraction schématique et sespeintures tentent <strong>de</strong> maintenir l’hésitation<strong>le</strong> plus longtemps possib<strong>le</strong>. Commel’affirme l’artiste : «La plupart du temps jecommence une toi<strong>le</strong> par un recouvrementtotal <strong>de</strong> la surface par une cou<strong>le</strong>ur ou parune trame ou gril<strong>le</strong>. Dans ce sens-là c’estd’abord abstrait. Par la suite s’ajoutent<strong>de</strong>s indices <strong>de</strong> paysage qui peuvent être à<strong>le</strong>ur tour recouverts d’éléments empruntésà la géométrie, à l’imagerie scientifique,aux schémas, aux cartes 1 » ou «En effeton peut par<strong>le</strong>r d’ambiguïté car je chercheà créer une ouverture sur <strong>le</strong> flou pour <strong>le</strong>regar<strong>de</strong>ur. D’un côté il y a une possib<strong>le</strong>vision abstraite, cou<strong>le</strong>urs, formes géométriques,lignes et trames. De l’autre unsemblant <strong>de</strong> paysage. Ces <strong>de</strong>ux visionss’entremê<strong>le</strong>nt ce qui peut produire uneétrangeté. 2 »Éric SuchèreParfois on croit voir dans une surface unindice <strong>de</strong> paysage – ciel ou sol. Parfoison voit un paysage : ciel b<strong>le</strong>u, nuages etherbe dans une figuration qui apparaît,pour <strong>le</strong> moins, naïve. S’il y a une apparenced’abstraction, beaucoup <strong>de</strong> peintures1- Entretien avec Philippe Cyroulnik, Corinne Chotycki, Jonathan Pornin, Centre d’art contemprain Le 19, 2012, n.p.2- Ibid.


DAVID LYNCH / Man Waking From Dreamédition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne, Pierre Zaoui, Mathieu Potte Bonnevil<strong>le</strong>.184 pages - 100 reproductions - 32 x 24 cmCouverture carton brut et dorure à chaud - 2012 - 29 €Dove ALLOUCHE / Le So<strong>le</strong>il sous la merCoédition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> / LaM- Lil<strong>le</strong> Métropo<strong>le</strong>Philippe-Alain Michaud, Marc Donnadieu, Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne.144 pages - 80 reproductions - 20 x 28 cm - Couverture soup<strong>le</strong>2011 - 20 €Michel GOUéRY / Sortie <strong>de</strong> VortexCoédition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> / Centre d’Art ACMCM.Catherine Mil<strong>le</strong>t, Michel Gouéry, éric Suchère192 pages - 111 reproductions - 28 x 20 cmCouverture rigi<strong>de</strong> et dorure à chaud - 2012 - 22 €GILGIAN GELZER / Face TimeCoédition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> / Ludwig Museum Kob<strong>le</strong>nz / Le 19Olivier Kaeppelin, Éric Suchère, Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne130 pages - 80 reproductions - 22 x 16 cm - Couverture soup<strong>le</strong>2004 - 15 €FABIAN MARCACCIO / Paintant ArcheologyÉdition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne72 pages - 84 reproductions - 26 x 21 cm - Couverture soup<strong>le</strong>2005 - 15 €STEPHEN MAASÉdition <strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong>Éric Suchère, Jean-Char<strong>le</strong>s Vergne52 pages - 24 reproductions - 27 x 21 cm - Couverture soup<strong>le</strong>2001 - 10 €


Du mardi au samedi <strong>de</strong> 14 h à 18 h, dimanche <strong>de</strong> 15 h à 18 h - Entrée gratuite.<strong>FRAC</strong> <strong>Auvergne</strong> - 6 rue du Terrail - 63000 C<strong>le</strong>rmont-Ferrandcontact@fracauvergne.com - 04 73 90 5000Visites guidées gratuites <strong>le</strong> samedi, à 15 h et 17 h, <strong>le</strong> dimanche à 16 h 30.Visites pour groupes et scolaires sur rdv : 04 73 74 66 20 - laure@fracauvergne.comwww.fracauvergne.com


Sous l’Amazone cou<strong>le</strong> un f<strong>le</strong>uveDove ALLOUCHEPierre-Olivier ARNAUDErwan BALLANEric BAUDELAIREGabrie<strong>le</strong> CHIARIRoland COGNETPatrick CONDOURETMarc COUTURIERJean-Christophe DE CLERCQA K DOLVENAndreas ERIKSSONRoland FLEXNERGilgian GELZERMichel GOUERYNicolas GUIETRémy JACQUIERAlain JOSSEAUEmmanuel LAGARRIGUEJean LAUBEDominique LIQUOISDavid LYNCHStephen MAASFabian MARCACCIOManuela MARQUESAl MARTINJean-Luc MYLAYNEAdrian PACIDominique PETITGANDEric POITEVINJonathan PORNINMartial RAYSSEDavid REEDCamil<strong>le</strong> SAINT-JACQUESAlain SICARDOlivier SOULERINWalter SWENNENNed VENAMarie VOIGNIERAchyara VYAKULJessica WARBOYS

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