© <strong>Inra</strong> / Maurice Mahieu1 L’élevage en régions chaudes :un enjeu pour la rechercheEn 2050, <strong>les</strong> prospectives internationa<strong>les</strong> tablent sur le doublement des productions anima<strong>les</strong>,localisées surtout dans <strong>les</strong> « pays du Sud ». L’élevage a, dans ces régions, un poidséconomique et social particulièrement fort. Mais il est confronté à trois problématiques :une consommation en augmentation, une compétition entre <strong>les</strong> terres destinéesà l’alimentation animale et cel<strong>les</strong> consacrées à l’alimentation humaine, et enfin <strong>les</strong> impactsenvironnementaux des activités d’élevage.Dans la plupart des pays, onobserve que l’augmentationde la consommationde viande est directementproportionnelle à l’augmentation desrevenus. Ce phénomène général estparticulièrement marqué depuisvingt ans dans des pays émergentstels que la Chine, le Brésil et l’Inde. Ledoublement des productions anima<strong>les</strong>anticipé pour 2050 permettraseulement aux habitants du Sud d’atteindreun tiers de la consommationdes habitants du Nord.L’élevage gagne du terrainet s’intensifie au SudL’élevage au Sud tend à s’intensifier età se spécialiser, ce qui répond à desfinalités d’économie d’échelle etd’accès au marché. La taille moyennedes élevages augmente rapidementdans de nombreuses régions tandisque le nombre d’éleveurs diminue(FAO, 2009). Les élevages se spécialisentet tendent à se concentrer à lapériphérie des vil<strong>les</strong> au détrimentdes zones rura<strong>les</strong>. Ce sont <strong>les</strong> élevagesde monogastriques qui se développentle plus vite : +280% et +200%respectivement pour <strong>les</strong> effectifs devolail<strong>les</strong> et de porcs, depuis 1960,contre seulement +50% pour <strong>les</strong>ruminants. L’intensification induitdivers effets négatifs selon <strong>les</strong> régions,tels que : surpâturage en terres semiarides(Afrique et Inde), déforestationen Amazonie, accumulationChiffres clés• 70% des animauxd’élevage sont chez deséleveurs hors paysindustrialisés• La moitié des culturesvivrières dans <strong>les</strong>agricultures familia<strong>les</strong> despays en développementutilise des animaux de trait• L’élevage emploie 1,3milliard de personnes dansle monde et contribue à fairevivre 1 milliard de pauvresdans <strong>les</strong> pays du SudIIINRA MAGAZINE • N°19 • DÉCEMBRE 2011
d’effluents d’élevage (Asie du Sud-Est,régions insulaires) ou encore régressiondes systèmes polyculture/ élevagedans <strong>les</strong> régions tropica<strong>les</strong> d’altitude(Afrique centrale, corne de l’Afrique,Indonésie, Népal).L’élevage remis en questionDeux conséquences apparaissent critiques.D’une part, l’augmentationprévisible des surfaces consacrées àl’élevage, dans un contexte de compétitionpossible avec <strong>les</strong> cultures alimentaireshumaines. Car il fautcompter non seulement <strong>les</strong> pâturages,qui occupent déjà près de 30% desterres émergées hors gel, mais aussi<strong>les</strong> cultures pour nourrir <strong>les</strong> animaux(un tiers des terres cultivées sontdédiées à la production d’alimentspour le bétail).D’autre part, au Sud comme au Nord,<strong>les</strong> impacts défavorab<strong>les</strong> de l’élevagesur l’environnement sont pointés dudoigt depuis <strong>les</strong> années 90, avec unpoint d’orgue lors de la parution d’unrapport de la FAO (1), selon lequel <strong>les</strong>activités d’élevage contribueraient àel<strong>les</strong> seu<strong>les</strong> à 18% des émissions de gazà effet de serre d’origine humaine (2).Plus récemment, deux autres rapportsmajeurs (3) nuancent ce constat enprenant en compte <strong>les</strong> services écologiquesofferts par l’élevage, son rôleéconomique et social, et <strong>les</strong> bienfaitsdes produits animaux sur la santéhumaine, en particulier sur le développementdes enfants (voir tableau).◗Pour une vision d’ensemble des impacts de l’élevage(cas des ruminants)IMPACTS POSITIFSSource de protéines anima<strong>les</strong>Valorisation des espaces prairiauxet des végétaux non consommab<strong>les</strong>par l’hommePourvoyeur majeur de fertilisationorganiqueLA COMPLEXITÉ des impacts contrastés de l’élevage fait qu’il est très difficile d’en établir unbilan global positif ou négatif, et ce d’autant plus qu’il existe une grande variété de systèmesprésentant des impacts également très divers.L’élevage ne sert pasqu’à produire des alimentsLa logique de l’intensification répondprincipalement à la fonction productivede l’élevage (viande, lait, œufs,laine…). Mais l’élevage possède biend’autres rô<strong>les</strong> qui sont de plus en plusconsidérés dans <strong>les</strong> réflexions internationa<strong>les</strong>.D’abord, particulièrementau Sud, il représente un capital surpied qui participe à la sécurisation desfamil<strong>les</strong>. Nombre d’éleveurs ne s’inscriventpas dans une logique de marchéoù primerait la productivité, maisdans des stratégies de préservation deleur troupeau face aux aléas pourIMPACTS NÉGATIFSConsommation de ressources : eau,énergie, phosphates, etc.Compétition animal/humain pour<strong>les</strong> ressources alimentairesPollution des eaux et des sols(nitrates)Emissions de gaz à effet de serre(CH 4 , CO 2 , N 2 O)Prairies : stockage de carbone Déforestation : émission de CO 2Traction pour l’agricultureSécurisation monétaire, valeursculturel<strong>les</strong>, religionSelon <strong>les</strong> systèmes : maintien de labiodiversité et entretien du paysageCompaction et dégradation des solsSelon <strong>les</strong> systèmes : dégradationde la biodiversité et du paysagegarder une réserve monétaire. De plus,<strong>les</strong> formes de polyculture/élevage,souvent moins productives que <strong>les</strong> élevagesspécialisés, ont un rôle économiqueindirect en modelant <strong>les</strong>paysages et en maintenant une diversitéde ressources, là encore bénéfiqueen cas d’aléas.Ces fonctions supplémentaires de l’élevagediffèrent selon <strong>les</strong> régions,Sahel, Amazonie, Vietnam, etc. Larecherche <strong>les</strong> prend en compte, ainsiPâturages versus forêt : quel bilan carbone ?Un exemple de recherche pour tenter d’évaluer <strong>les</strong> impacts contradictoires de l’élevage consiste à mesurer <strong>les</strong> gains et pertesen émissions de GES lorsqu’on remplace de la forêt tropicale par des élevages de ruminants. C’est le cas en Guyaneoù la forêt représente 90% du territoire et où des portions de cette forêt sont défrichées pour développer, entre autres, lafilière bovine, qui ne couvre actuellement que 15% de la consommation. Le projet CARPAGG*, qui associe étroitement le Ciradet l’<strong>Inra</strong>, s'appuie sur des installations de mesure de flux de carbone (C) mises en place par <strong>les</strong> deux instituts à la fois enforêt et dans des prairies issues de déforestation, ce qui permet d’avoir des mesures comparab<strong>les</strong>. Les résultats en coursmontrent que le stock de carbone du sol des prairies augmente avec le temps jusqu’à dépasser celui des forêts d'origine :de 130 à 141 tonnes de C par ha <strong>sous</strong> prairies de plus de trente ans, contre 80 à 112 tonnes de C par ha dans <strong>les</strong> sols desforêts témoins. Les prairies tropica<strong>les</strong> guyanaises sont donc capab<strong>les</strong> dans certaines conditions de compenser <strong>les</strong> pertesen C du sol occasionnées par la déforestation. Par contre, au niveau de la biomasse végétale aérienne, <strong>les</strong> stocks de carboneaccumulés par la forêt restent supérieurs : 150 et 250 tonnes par ha en Guyane. Ces travaux, en lien avec <strong>les</strong> autresdispositifs de CARPAGG (mesures des flux de CO 2 atmosphérique, de méthane et de N 2 O) fourniront des références pour<strong>les</strong> autres pays de la zone amazonienne comme le Brésil où le processus de défrichage en faveur de l’élevage a été jusqu'àprésent de bien plus grande ampleur.* Le projet CARPAGG, « CARbone des PAturages de Guyane et GES », 2010-2013, co-financé par <strong>les</strong> Fonds européens de développement régional (Feder) et leCirad, est coordonné par l'UMR SELMET : Systèmes d'Elevage en milieux Méditerranéens et Tropicaux), et associe <strong>les</strong> unités INRA UREP (Unité de recherche surl'Ecosystème Prairial) de Clermont-Ferrand, URZ (Unité de Recherches Zootechniques) des Antil<strong>les</strong> et l'UMR ECOFOG (Ecologie des Forêts de Guyane).INRA MAGAZINE • N°19 • DÉCEMBRE 2011III