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Même pas peur<br />
AVRIL 2016/ N°7 /3 €<br />
N° 7 2016 - Belgique 3 € - www.memepaspeur-lejournal.net/ Editeur rerspons. Etienne Vanden Dooren, 28 rue de l’Ange 6001 Marcinelle (B)<br />
dossier Les contre-pouvoirs<br />
et aussi : une recette calaisienne, à la santé du business,<br />
jan Bucquoy, noël godin, Jean-claude garot...
2 / Même pas peur N o 76 / AVRIL MARS 2016<br />
Entretien avec Noël Godin, précurseur de la résistance rigolote. Propos recueillis par Etienne Vanden Dooren<br />
Noël Godin, entarteur récidiviste<br />
Interviewer Noël Godin, c’est passer<br />
une heure délicieuse ponctuée d’éclats<br />
de rire, de délires syntaxiques et de<br />
rocambolesques bouffées d’oxygène.<br />
L’homme, comme son combat, est charmant<br />
donc...<br />
« Nos tartes sont sucrées. L’accusation<br />
qui circule et qui dit que nous utilisons du<br />
savon à barbe, c’est une calomnie ! »<br />
Es-tu un contre-pouvoir à toi<br />
tout seul ?<br />
Oh, je ne suis pas seul, heureusement !<br />
Je fais partie de bandes de joyeux lurons.<br />
Nous opposons au pouvoir d’autres<br />
modes de fonctionnement, des combats<br />
inattendus qui surprennent tout d’un<br />
coup l’ennemi et là, je suis plutôt optimiste,<br />
car c’est moins désespéré qu’on<br />
ne pourrait le dire avec le réveil des<br />
communautés de combat. Mais ne nous<br />
illusionnons pas, trouvons de nouveaux<br />
moyens de contre-attaquer !<br />
Le combat doit s’étendre ?<br />
Évidemment ! J’applaudis pour ma part<br />
toute forme de combat, du moment qu’il<br />
soit imaginatif, ludique, rigolo. Je crois<br />
qu’on est en train de revenir à une sorte<br />
de contestation cocasse comme il n’y en<br />
avait pas toujours en mai 68 où l’esprit<br />
de sérieux militant régnait. Il y a beaucoup<br />
plus de joie de vivre dans la contestation<br />
actuelle. On rencontre encore de<br />
sinistres contestataires, mais leur soif de<br />
pouvoir semble se racrapoter.<br />
Cette envie de délire joyeux<br />
vient-elle d’une désespérance ?<br />
C’est exactement ça. On est arrivé<br />
au bout du bout du bout. On se rend<br />
compte que pour guerroyer contre<br />
toutes les saloperies trônantes, il y a lieu<br />
de retrouver les tendances farceuses<br />
de notre enfance et là, l’ennemi est mal<br />
équipé pour faire face à des plaisantins<br />
de mieux en mieux organisés.<br />
Le moine du « Nom de la Rose »<br />
dit : Le rire tue la peur et, sans<br />
la peur, il n’y a pas de foi. Il<br />
veut donc interdire le rire,<br />
ce danger ! Ne serait-ce pas<br />
éminemment actuel ?<br />
Totalement ! Et donc, notre salut est<br />
dans le rire de combat, le rire en acte.<br />
De joyeux rebelles apparaissent çà et<br />
là et innovent dans leur mode de combat.<br />
Les Liliths, par exemple, ont rompu<br />
avec les trop sérieuses Femens et leurs<br />
faits d’armes sont truculents, comme<br />
l’enfrittement de Charles Michel à la<br />
mayonnaise, nouveau mode de combat !<br />
D’autres belles diablesses, ce sont les<br />
pétroleuses du collectif anonyme qui,<br />
la veille de Noël en 2014, surgissent sur<br />
la Grand-Place de Bruxelles, demandent<br />
ses papiers au petit Jésus. Il n’en a pas.<br />
Elles l’arrêtent et partent avec. Grand<br />
scandale ! Elles sont aussi intervenues<br />
en zombie lors de l’inauguration d’un<br />
grand magasin de vêtements, provoquant<br />
la panique ! Leurs opérations<br />
gags se succèdent et c’est réjouissant ! En<br />
Grèce, notre ami Yannis Youlountas à<br />
lancé « l’enyaourtage ». à chaque pays<br />
ses méthodes de combat !<br />
Et toi, comment as-tu commencé ?<br />
Oh, c’est né d’un canular, il y a cinquante<br />
ans, et nous nous sommes rendu<br />
compte qu’avec une petite tarte de rien<br />
du tout, on pouvait mettre en panique<br />
les puissants de ce monde. Les médias<br />
ont suivi, ce qui nous a aidés.<br />
Qui était la première victime ?<br />
Marguerite Duras. Elle nous exaspérait<br />
et son attitude dans l’affaire du<br />
« Petit Grégory », où elle a accusé, dans<br />
un délire, les parents, nous a confortés<br />
dans notre position. On pouvait « tuer »<br />
par le ridicule !<br />
Pourtant, le ridicule ne tue pas...<br />
La plupart de nos cibles ont très mal<br />
vécu leur entartement car on choisit des<br />
êtres grincheux, ivres de pouvoir, narcissiques<br />
et en les entartant, on écorne<br />
leur image à laquelle ils sont accrochés<br />
visqueusement. Et dans ces cas-là, le<br />
ridicule peut tuer.<br />
Chevènement, devant le tribunal,<br />
expliquait qu’ « en nous entartant, on<br />
attente à notre image et donc à notre capital<br />
politique ». La salle était tordue de rire.<br />
Il a été jusqu’à dire qu’il aurait préféré<br />
avoir de vraies gifles, voire des pétards<br />
corses en pleine figure plutôt qu’une<br />
tarte qui a souillé son image et il nous<br />
attribuait sa défaite électorale.<br />
On vote donc pour des<br />
politiques qui préfèrent la<br />
violence au rire !<br />
Oui. Même si notre rire aussi est extrêmement<br />
violent, mais le mal est symbolique<br />
et éventre uniquement leur<br />
amour-propre. Nous nous revendiquons<br />
terroristes, mais terroristes burlesques.<br />
La meilleure plume qui ait existé sur le<br />
sujet est Charles Fourier, le fameux utopiste,<br />
qui proposait qu’on n’hésite pas<br />
à continuer de se faire la guerre, mais<br />
avec uniquement des petits pâtés.<br />
Finalement, nous sommes presque des<br />
anti-djihadistes lorsque nous arrivons<br />
avec nos mystérieux paquets et tout<br />
d’un coup « Boum, boum. Gloup gloup »,<br />
plein de crème et pas de bobo ! Ce qui<br />
nous fait plaisir, c’est d’apprendre la<br />
généralisation de l’attentat pâtissier. De<br />
plus en plus de bougres et de bougresses<br />
niquent les autorités à coup de tartes,<br />
partout. On reçoit plein de coups de fil<br />
délicieux de gens qui nous demandent<br />
de passer à l’attaque contre des patrons,<br />
des contremaîtres...<br />
Et tu réponds ?<br />
Je leur dis : on comprend absolument<br />
que vous ne le fassiez pas vous-même<br />
pour ne pas être viré, mais la solution<br />
est là, l’échange guilleret de bons procédés.<br />
Vous allez entarter le patron d’une<br />
autre usine et vice-versa ! Et on reçoit<br />
alors des coups de fil pour nous dire<br />
« On l’a fait ! ». Ça se répand en dehors<br />
de toute médiatisation !<br />
« ... et l’anecdote est vraie : je suis convoqué<br />
à la police et le commissaire sort son<br />
portefeuille et me dit « Monsieur Godin,<br />
combien voulez-vous pour entarter le<br />
chef au bal de la police ? » J’ai dû lui expliquer<br />
que je n’étais pas un mercenaire,<br />
mais un flibustier qui n’entartait pas sur<br />
commande. »<br />
Comment vois-tu l’avenir ?<br />
Il me semble que toutes les analyses, ma<br />
foi intéressantes, doivent se prolonger de<br />
plus en plus dans des actions loufoques<br />
contre notre ennemi qui n’y est pas préparé.<br />
Qu’importe où cela nous mène du<br />
moment que ce soit un non non non non,<br />
nous ne nous laisserons pas écrabouiller.<br />
Pas d’illusion, bien sûr, nous n’allons<br />
pas créer un nouveau mouvement révolutionnaire<br />
qui va niquer tous les autres,<br />
mais les petites résistances personnelles<br />
spitent maintenant mieux que jamais<br />
sans qu’on en parle.<br />
Si cet esprit se développe, que<br />
pourrait-il se passer ?<br />
Pour moi, l’idéal serait de revenir à l’esprit<br />
de mai 68, que des assemblées révolutionnaires<br />
se forment et réinventent le<br />
pays, le monde, les décisions étant prises<br />
réellement par tout le monde dans un<br />
inévitable foutoir. Abolition des politiciens,<br />
des hiérarchies. Des délégués sont<br />
décrétés par ces assemblées qui peuvent<br />
être destitués à tout moment s’ils nous<br />
trahissent.<br />
Dans le quartier Exarcheia à Athènes,<br />
un quartier libéré, sans fric ni flic, plus<br />
de lieu de culte, avec plein de magasins<br />
gratos, une joyeuse autogestion. En<br />
Espagne aussi des quartiers sont libérés<br />
ou en voie d’être libérés dans la joie et les<br />
chansons. Cela va peut-être se répandre<br />
dans le monde.<br />
Dans un autre style, les « Yes Men »<br />
viennent de réaliser -le 12 janvier- un<br />
nouveau canular au Parlement européen<br />
de Bruxelles où Andy se présente<br />
en boss de « Global Security Response »<br />
et présente l’airbag humain pour se protéger<br />
du terrorisme.<br />
Il faut revenir à des unités de<br />
vie à volume humain ?<br />
Oui, de petites unités, mais qui se<br />
fédèrent pour orchestrer un vaste mouvement,<br />
en veillant à ce que la subjectivité<br />
de chacun puisse bien se déchaîner. Sans<br />
oublier l’esprit de fête, avec de bonnes<br />
boissons, en n’hésitant pas à se caresser<br />
voluptueusement dans des assemblées<br />
rebelles ! Ressuscitons quelques modèles<br />
historiques. Pas mal d’exemples d’insurrections<br />
ont réussi pendant quelque temps<br />
avant d’être écrabouillés dans le sang.<br />
Les cosaques de la liberté en Ukraine,<br />
entre 1917 et 1921, ont envoyé balader<br />
toute forme d’autorité, de pouvoir,<br />
d’argent, de toutes les contraintes. Et ça<br />
a marché avant de se faire zigouiller à la<br />
fois par les Tzaristes et par les Bolchéviques<br />
et l’armée conduite par Trotski !<br />
Mon exemple historique préféré, ce<br />
sont les communautés pirates. Des flibustiers<br />
sont passés dans le camp de<br />
l’anarchisme total. Ils ont créé une cité<br />
utopiste, Libertalia, sur l’ile de Madagascar<br />
qui a existé pendant vingt-cinq<br />
ans au 17 e siècle. Il n’y avait aucune loi,<br />
ils partageaient tout et c’était la joie de<br />
vivre explosive. Des filles arrivaient<br />
d’un peu partout pour participer à cette<br />
expérience libertaire.<br />
Formons, nous aussi, des communautés<br />
pirates ! Essayons, lors des insurrections<br />
qui arriveront forcément contre<br />
la vie chère, contre les banques, de les<br />
pousser à se dévergonder !<br />
Tu n’as pas peur que la<br />
résistance rigolote soit prise de<br />
vitesse par une insurrection<br />
violente, style guerre civile ?<br />
Si. Mais la guerre civile, ça peut être<br />
chouette. On fera pour le mieux. Nous<br />
serons quelques-uns, et, je suppose,<br />
l’équipe de votre canard, à faire tout<br />
pour guerroyer dans la poésie et l’humour<br />
frappadingue en veillant à ce que<br />
toutes nouvelles formes d’autorité qui<br />
voudront apparaître soient étouffées<br />
dans l’œuf. Et si ça rate, on repartira à<br />
l’attaque ! Nous continuerons le sabotage<br />
inventif !<br />
Conseillé par Noël Godin :<br />
« Crack capitalism »<br />
Un texte très important, de John<br />
Holloway, que je recommande, Il<br />
démontre, d’une magnifique plume,<br />
que même de minuscules révoltes<br />
peuvent faire des dégâts chez l’ennemi.<br />
Une personne qui dit non,<br />
même un petit non, fait déjà un pas<br />
dans la révolte. Halloway fait beaucoup<br />
de bien aux lecteurs qui ont<br />
l’impression d’être totalement essorés<br />
par le pouvoir...<br />
« Que la fête commence »<br />
Une publication récente, aux éd.<br />
Libertaires, à laquelle j’ai collaboré.<br />
« Desproges bande encore »<br />
Un livre de Francis Schulle (Les<br />
Echappées belles), avec, en bonus,<br />
l’interview inédit de Desproges par<br />
l’entarteur.<br />
« Faut savoir se contenter de beaucoup »<br />
Un film de JH Meunier sorti le 10<br />
février. Un film sincère et sensible où<br />
l’humour, la légèreté luttent contre<br />
l’oppression. Un film libre et précieux.<br />
[avec Noël Godin]
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 3<br />
L’Éditorial<br />
Nous sommes<br />
tous des<br />
contrepouvoirs<br />
Etienne Vanden Dooren<br />
Nos dirigeants ont les mains libres pour imposer<br />
leur jeu préféré, celui qui les excite, le jeu du<br />
« J’ fais ma loi, j’étouffe les dissonants et j’étends<br />
mon pouvoir le plus profondément possible ». On<br />
va l’avoir dans le cul. Ils sont en passe de réussir.<br />
Les résistants ont de plus en plus de mal à se<br />
faire entendre. Une grande partie de la population<br />
abdique et/ou soutient le jeu liberticide.<br />
Porte ouverte<br />
Il faut prendre la parole. Nous devons dire que<br />
les mesures sécuritaires prises soi-disant pour<br />
nous protéger sont uniquement des moyens<br />
de nous museler. Il faut oser, car, silencieux et<br />
dociles, nous ouvrons grande la porte à une<br />
société - déjà bien dessinée - où pouvoir et<br />
finance, main dans la main, iront sifflotant sur<br />
les chemins. Ils pourront bientôt supprimer les<br />
opposants, évincer les artistes, précariser plus<br />
encore les précaires, dissoudre enfin les pauvres<br />
et bouffer leurs cadavres.<br />
Donner son avis<br />
Ce n’est pas facile de donner son avis. On se dit<br />
qu’il n’est peut-être pas pertinent, qu’on n’est<br />
pas spécialiste et que d’autres « savent mieux ».<br />
Ben oui, on voit ce que ça donne quand on laisse<br />
faire ceux qui « savent mieux »...<br />
Pas facile. On craint d’être montré du doigt,<br />
raillé, exclu. On se dit qu’il est plus simple de<br />
se couler, bronze de luxe, dans le moule imposé<br />
par les puissants. Oui, ce n’est pas facile, mais<br />
on est tellement content quand le voisin dit tout<br />
haut ce qu’on a auto-étouffé dans le fond d’un<br />
tiroir neuronal. Alors, essayons !<br />
à mon avis (!), donner le sien est le meilleur<br />
moyen d’arriver, peu à peu, à développer<br />
un esprit critique, à créer un mouvement, à<br />
reprendre nos vies en main, à construire des<br />
contre-pouvoirs. Et ce jour-là, ou le lendemain,<br />
nous pourrons enfin envoyer les oligarques fous,<br />
qui nous imposent ce système débile de consommation<br />
aveugle, se faire mettre par des Tyrannosaurus<br />
Rex politicophiles sur Béta du Scorpion !
4 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
la grève,<br />
ça agace<br />
et on s’en lasse<br />
André Clette<br />
« Trop de grèves tuent la grève » a dit<br />
naguère Madame Milquet. Et d’ajouter :<br />
« On doit demander aux syndicats de réfléchir<br />
à d’autres modes d’action sans remettre en<br />
cause le droit de grève. »<br />
Faut croire qu’elle lit les journaux,<br />
Madame Milquet. Et qu’elle suit les<br />
médias, et aussi les réseaux sociaux.<br />
C’est écrit partout : « Trop de grèves à Air<br />
France », « Trop de grèves à la SNCF », « 72 %<br />
des Martiniquais trouvent qu’il y a trop de<br />
grèves ». « Une grève de trop » titrait il y a<br />
peu le Journal de Montréal. Même au<br />
Mali, on trouvait que la récente grève des<br />
profs d’unifs était « une grève de trop ».<br />
Même chose à Tunis et à Madagascar :<br />
pour les éditorialistes, chaque grève est<br />
« une grève de trop ». Le phénomène est<br />
mondial. Tapez « une grève de trop » sur<br />
Google, vous obtenez 12.700.000 résultats.<br />
La Belgique n’est pas en reste. Les<br />
grèves nuisent gravement : … (au choix)<br />
au relèvement de la Wallonie, à l’essor de<br />
nos entreprises, à notre image, à la croissance,<br />
aux usagers, aux travailleurs, aux<br />
étudiants…<br />
On voit bien que les travailleurs ne<br />
pensent qu’à nuire. Les patrons se<br />
désolent. Ils vivent l’enfer. Leurs charges<br />
sont trop lourdes, leur havane les fait<br />
tousser, le glaçon de leur whisky goutte<br />
la flotte et leur foie gras sent le pâté. Nos<br />
patrons ne se sentent pas aimés. Si on ne<br />
les retenait pas, ils délocaliseraient...<br />
Heureusement, il y a le MR. Et aussi la<br />
N-VA. Et l’Open VLD. Et le CD&V, même<br />
s’il fait mine de bouder un peu. Et, pour<br />
être de bon compte, disons qu’il y a aussi<br />
le cdH et le PS. Sans ça, ils se sentiraient<br />
bien seuls, nos patrons.<br />
Les travailleurs ne sont pas business<br />
friendly. Ils n’entendent rien à la flexibilité.<br />
Ils ne veulent pas comprendre que,<br />
si on les précarise, c’est pour leur bien,<br />
vu que c’est pour le bien de l’entreprise<br />
et que sans ça, l’investisseur ira investir<br />
ailleurs. Passe encore qu’ils arrêtent le<br />
travail, mais les piquets qui empêchent<br />
ceux qui le souhaitent de se rendre à leur<br />
travail, ça non.<br />
Le MR l’a bien compris. La proposition<br />
de loi visant à interdire les piquets<br />
de grève est ficelée. Attention, hein ! Il<br />
ne s’agit pas de faire entrave au droit de<br />
grève. C’est juste que le déjeuner saucisses<br />
grillées, au coin du feu de palettes,<br />
arrosées de bière en canettes, ça ne peut<br />
pas plaire à tout le monde.<br />
Mais sans piquets de grève, c’est tout<br />
un pan de la civilisation qui s’effondre.<br />
Déjà que faire grève, c’est toujours un<br />
peu plan-plan, ça deviendra bientôt aussi<br />
ennuyeux et vain que d’aller voter. Nos<br />
glorieux ancêtres, morts pour le droit de<br />
grève et le droit de vote, mourront une<br />
seconde fois.<br />
Épargnons-leur ce sort cruel et rendons-leur<br />
plutôt hommage en réactivant<br />
quelques traditions ancestrales qui<br />
témoignent de leur créativité.<br />
bénéficier à tour de rôle sans surcharger<br />
les autres. Si tu joues perso, on te fera la<br />
peau.<br />
Le freinage permet d’économiser ses<br />
forces en traînaillant discrètement, en<br />
allongeant les temps de pause, en travaillant<br />
au ralenti. Là aussi, un minimum de<br />
collaboration et de coordination entre<br />
travailleurs sera souhaitable pour imposer<br />
un rythme de travail inférieur à la<br />
norme exigée par la direction.<br />
Plutôt que de faire grève, il suffit souvent<br />
d’appliquer un respect intégral des<br />
consignes et des procédures. Une bonne<br />
grève du zèle peut paralyser totalement<br />
tout appareil de gestion, quel qu’il soit.<br />
Les procédures qualité mises en place<br />
depuis quelques décennies sont, pour<br />
cela, d’une grande aide. Profitons-en.<br />
Quoi de plus agréable que de paralyser<br />
l’entreprise en faisant exactement ce<br />
qu’elle demande de faire.<br />
Le freinage peut aussi se pratiquer en<br />
solo. On peut même en profiter pour se<br />
faire bien voir. N’hésitez pas à fayoter en<br />
lançant : « Comptez sur moi, Chef, ce sera<br />
fini avant le week-end. ». Vous savez parfaitement<br />
que vous auriez pu terminer le<br />
travail le mardi, mais pourquoi vous priver<br />
des trois jours de flemme tout en inspirant<br />
confiance. (C’était un conseil Même<br />
Pas Peur. Ne nous remerciez pas, c’est tout<br />
naturel.)<br />
À mauvaise paie, mauvais travail, c’est<br />
ainsi que le leader anarcho-syndicaliste<br />
Émile Pouget (1860-1931) résumait sa<br />
pensée : Phrase-choc qu’il accompagnait<br />
d’explications lumineuses du genre : si tu<br />
ne peux pas te payer un chapeau à cinq<br />
francs, tu achètes un chapeau à trois<br />
francs. Il sera de moins bonne qualité.<br />
Le chapeau est une marchandise. Si une<br />
pièce de bœuf coûte trois francs et que<br />
tu n’en offres que deux, tu auras de la<br />
mauvaise viande. La viande est une marchandise.<br />
Si ton travail est aussi une marchandise<br />
et si tu n’en obtiens pas le bon<br />
prix, fournis un travail de moins bonne<br />
qualité. Tu n’es pas là pour faire la charité<br />
au patron. 1<br />
Il donne l’exemple de terrassiers américains<br />
qui, apprenant qu’on allait réduire<br />
leur salaire, rognèrent leurs pelles de<br />
deux pouces et demi, en déclarant : « À<br />
petit salaire, petite pelle ».<br />
Si le freinage et l’absentéisme sont<br />
assez basiques, le sabotage est déjà plus<br />
élaboré. Il s’applique à la qualité plutôt<br />
qu’à la quantité. « Le sabotage, dit encore<br />
le roboratif Émile Pouget, c’est le tirage à cul<br />
conscient, c’est le ratage d’un boulot, c’est le<br />
grain de sable roublardement fourré dans l’engrenage<br />
minutieux, c’est le coulage systéma-<br />
1 Almanach du Père Peinard, 1898.<br />
tique du patron... Tout ça pratiqué en douce,<br />
sans faire de magnes 2 , ni d’épates. »<br />
Un exemple ? Aux États-Unis toujours,<br />
les travailleurs d’une chaîne de montage<br />
de voitures s’amusaient à glisser une<br />
canette vide derrière la garniture des<br />
portières. La voiture en roulant faisait un<br />
bruit bizarre. Il fallut rappeler des milliers<br />
de voitures qui ne révélèrent rien<br />
jusqu’à ce que, par hasard, la chose fut<br />
découverte. Les coupables courent toujours<br />
et en rigolent encore…<br />
On voit par là qu’il suffit de très peu<br />
de choses pour foutre un sacré bordel.<br />
Un simple bout de plastique dans une<br />
barre chocolatée, et c’est l’hystérie collective.<br />
Attention, il s’agit de s’attaquer<br />
à l’employeur, il ne s’agit pas de nuire au<br />
public. Tricher sur les émissions de CO2,<br />
falsifier la date de péremption d’un produit,<br />
frauder sur la qualité des matériaux,<br />
programmer l’obsolescence, trafiquer les<br />
balances, les directions font ça très bien.<br />
On ne va pas le faire à leur place, sauf à le<br />
faire en sens inverse.<br />
Ajoutons que le sabotage est un excellent<br />
moyen de lutte contre le stress et la souffrance<br />
au travail. On sait que le burn-out<br />
est la maladie des travailleurs consciencieux<br />
qui aiment le travail bien fait et qui<br />
se donnent à fond à l’entreprise. Ils trouveront<br />
dans le sabotage un excellent dérivatif<br />
à leur passion morbide, et beaucoup<br />
d’occasions d’exercer leurs compétences<br />
avec soin, persévérance et esprit d’initiative.<br />
Ces qualités que l’on exige habituellement<br />
des travailleurs sont aussi<br />
celles que requiert un sabotage bien fait.<br />
Ainsi, l’informaticien doué qui introduit<br />
un cheval de Troie dans le réseau de son<br />
entreprise, sachant que celui-ci ne s’activera<br />
qu’après son départ, acceptera son<br />
licenciement avec beaucoup plus de sérénité.<br />
Et c’est toujours mieux que de se suicider<br />
sur son lieu de travail.<br />
La perruque est une pratique de résistance<br />
des plus répandues, même si le<br />
nom est peu connu. Faire la perruque est<br />
une manière de joindre l’utile à l’agréable<br />
en profitant des outils, des machines et<br />
des matériaux mis à disposition par l’employeur<br />
pour fabriquer des objets utilitaires<br />
ou décoratifs à son propre usage.<br />
C’est vieux comme le monde et toujours<br />
actuel à l’ère du numérique. Quoi de<br />
plus simple que de téléphoner longuement<br />
à ses amis aux frais de l’entreprise,<br />
2 Manières.<br />
d’imprimer ses documents personnels<br />
avec l’imprimante du bureau, d’utiliser<br />
la connexion internet à des fins personnelles,<br />
de faire tourner la photocopieuse,<br />
de glisser son courrier personnel parmi<br />
celui de la boite… même si ce n’est guère<br />
original, cela procure la même estime de<br />
soi que le travail bien fait. Et c’est toujours<br />
ça de pris.<br />
Attention toutefois, les managers sont<br />
rusés. Ils ont inventé le télétravail. Ça<br />
peut présenter des avantages, mais si<br />
l’employé doit utiliser son propre ordinateur,<br />
son propre smartphone, et transformer<br />
en bureau une de ses pièces d’habitation,<br />
c’est lui qui se fait perruquer ! Même<br />
pas moyen d’aller faire caca au frais du<br />
patron.<br />
La passion pour la destruction<br />
est aussi une passion créative!<br />
(Bakounine)<br />
Nous ne saurions terminer ce tour d’horizon<br />
des alternatives à la grève, sans<br />
évoquer ces grands ancêtres que sont les<br />
luddites.<br />
Dans les années 1810, ces ouvriers qualifiés<br />
des industries textiles anglaises,<br />
confrontés à l’utilisation de machines<br />
nouvelles par de la main-d’œuvre<br />
moins qualifiée, permettant de réduire<br />
les salaires et de fabriquer des produits<br />
médiocres, s’employèrent à détruire les<br />
machines. Sans hostilité particulière<br />
envers les nouvelles technologies, ils préféraient<br />
que celles-ci ne soient pas utilisées<br />
à leurs dépens pour le seul enrichissement<br />
des propriétaires. Et ils tenaient à<br />
le faire savoir.<br />
On pourrait trouver bien des situations<br />
analogues aujourd’hui. Sans sombrer<br />
dans la technophobie, il faut bien reconnaître<br />
que les nanotechnologies sont le<br />
plus souvent de véritables nuisances, que<br />
les bornes biométriques, les caméras de<br />
surveillance et autres technologies issues<br />
du milieu carcéral ne servent qu’un<br />
vaste flicage robotisé, que les robots<br />
qui assistent le personnel dans les maisons<br />
de repos et de soin finiront par les<br />
remplacer, et que ce n’est pas les robots<br />
qu’il faut combattre, mais le capitalisme,<br />
ses nuisances et ses flics… sans bouder<br />
le plaisir de casser la gueule à un robot<br />
humanoïde. Ils ressemblent tellement à<br />
des animateurs de télé.<br />
Ami lecteur, si toi aussi tu as des idées<br />
d’alternatives à la grève pour faire plaisir<br />
à Madame Milquet, fais-en part à Même<br />
pas peur. Les meilleures suggestions<br />
seront publiées<br />
Réfléchissons à d’autres moyens<br />
d’action (en nous inspirant de<br />
l’histoire)<br />
La grève, disait un travailleur dans le<br />
journal La Guerre Sociale en 1909, c’est « la<br />
lutte du buffet vide contre le coffre-fort<br />
bien garni ». Manière de dire que c’est pas<br />
gagné.<br />
Alors qu’il y a bien d’autres manières de<br />
résister au travail, comme l’absentéisme,<br />
le freinage, le sabotage, la perruque…<br />
Ralentir unilatéralement le rythme de<br />
la production et la durée de travail sont<br />
évidemment des réflexes d’autodéfense<br />
naturels assez spontanés.<br />
L’absentéisme permet de profiter un<br />
peu de la vie et de préserver sa santé.<br />
Chacun sait qu’une fois son certificat de<br />
maladie en poche, on se porte déjà beaucoup<br />
mieux. Attention : une bonne gestion<br />
de l’absentéisme exige une régulation<br />
collective pour que chacun puisse en
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 5<br />
Je suis<br />
un contre-pouvoir à moi tout seul !<br />
Je vole, je dupe, je trompe, je sabote,<br />
j’élude l’impôt, je n’habite pas où je<br />
suis domicilié, je fais de fausses<br />
factures, je ne travaille pas (je fais<br />
semblant), je me moque de l’argent,<br />
je fais des pieds de nez aux agents<br />
de sécurité et des doigts d’honneur<br />
Le Scoop de WATRIN<br />
Comment hurler au monde<br />
qu’on est contre tout,<br />
en cachant qu’on n’est pour rien ?<br />
C’est un point sur lequel Karl Marx et<br />
Jésus auraient pu tomber d’accord : on a<br />
toujours au-dessus de soi quelqu’un pour<br />
nous pourrir la vie. Même si, a priori,<br />
personnellement, je m’imagine mieux<br />
me faire exploiter la force de travail au<br />
fond d’une mine de charbon (surtout<br />
qu’il n’y en a plus chez nous) qu’être<br />
crucifié et ressusciter (y a quand même<br />
pas mal de risques que ça rate), je suis<br />
de ceux qui, à choisir, préfèreraient une<br />
troisième option. Hélas, aujourd’hui, on<br />
ne nous demande plus notre avis, alors<br />
qu’on n’a jamais été aussi nombreux à<br />
vouloir le donner. Résultat : la frustration,<br />
mère de tous les antidépresseurs, est<br />
omniprésente.<br />
Heureusement, il y a les armes du<br />
contre-pouvoir. Et le terrain d’expression<br />
suprême de celui-ci, le paradis du « mens<br />
blabla in corpore salaud », ce sont les<br />
forums des médias. Alors, sans plus (bâ)<br />
tarder, langues de vipère, de couleuvre<br />
ou de serpent à sornettes : forums, mode<br />
d’emploi !<br />
aux militaires, je me connecte sur<br />
le réseau du premier passant, je<br />
n’utilise que des logiciels craqués,<br />
j’escamote, je détourne, j’ai grandi<br />
dans les arbres où l’on maraude<br />
des fruits condamnés à pourrir, j’ai<br />
moins d’enfants que je n’en déclare,<br />
D’abord, le choix du média. Il importe<br />
peu ! Quand il est composé de 100% de<br />
haine 100% bio, le contre-pouvoir, c’est<br />
comme le morpion de base, il peut s’accrocher<br />
à tout. L’important, c’est d’être<br />
contre. Sa cible préférée ? Quelle bête<br />
question ! Y en a pas. Le puissant ou le<br />
quidam, le proche ou le lointain, le connu<br />
ou l’inconnu, tout fait farine (moisie) au<br />
moulin (à paroles).<br />
L’essentiel pour faire autorité dans un<br />
forum, c’est de réunir quelques ingrédients<br />
de base. D’abord, une orthographe<br />
cryptée ! Il faut éviter à tout prix<br />
les formes correctement conjuguées et<br />
tout ce qui peut faire phrase construite.<br />
On doit être dans le fast-foutre : directement<br />
de la main au clavier sans passer<br />
par la case de tête. « Moi, je la butterais,<br />
cette raclure !», ça fait réplique ringarde<br />
de Navarro ou envie de meurtre prémédité.<br />
« Mwa, jla buterai set raclur ... », ça<br />
fait saine expression spontanée d’une<br />
colère légitime. Ensuite, il faut un bon<br />
pseudo, la parure de camouflage total à<br />
prix cassé ! Les plus percutants sont ceux<br />
qui expriment une passion (genre Barssaforever<br />
ou Jhonny Fandetoujour), ceux qui<br />
délivrent un message (justissedupeuple<br />
ou Refugier dehor), ceux qui mettent à<br />
l’honneur un personnage célèbre au nom<br />
délicatement égratigné (Albert Echtein ou<br />
chegevara) ou ceux qui distillent un jeu de<br />
mots désopilant (Alain Proviste ou Marie<br />
je brûle les feux rouges, je méprise<br />
les priorités de droite et si elles<br />
étaient de gauche, ce serait le même<br />
tarif, je mens aux flics, aux chefs, je<br />
ne vote pas parce que personne n’est<br />
digne de me représenter, je conchie<br />
les bien-pensants, je compisse la<br />
bambel). Enfin, le message. Là, je suis unanime<br />
avec moi-même : il faut être hostile<br />
à fond. Primitivement, bestialement. De<br />
la vraie détestation qui sent mauvais en<br />
dessous des bras et bave de la mousse.<br />
Sinon, circulez et contre-pouvez ailleurs !<br />
Bon, petit guide pratique maintenant.<br />
Lexique niveau 1 : la base, la<br />
haine pour la haine<br />
« Création d’un piétonnier à Marche » Type<br />
de réponse à écrire : Et les voiture alor ?<br />
Aprè sa, on s etonera ke les sentre vile<br />
meures !!!<br />
« Le centre de Marche désormais mieux<br />
accessible aux voitures » Réponse : Et les<br />
piètont alor ? Combien d mors avan kon<br />
les protèges ???<br />
Niveau 2 : la haine<br />
personnalisée<br />
« Le ministre signe le contrat d’armement » :<br />
Bien sure et combien il à toucher pour sa,<br />
pouri ! kan on ressois 30000 euro par moi<br />
ou plus on san fou des ouvrié qui gagn<br />
just assé poure mangé !<br />
« Le ministre refuse de signer le contrat<br />
d’armement »: L’amploi des ptit, il sen fich<br />
Dominique Watrin<br />
evidament ! kan on ressois 30000 euro<br />
par moi ou plus on san fou des ouvrié qui<br />
gagn just assé poure mangé !<br />
Niveau 3 : la haine du bonheur<br />
et du malheur de TOUS les<br />
autres<br />
« La présentatrice XX file le parfait amour<br />
avec le journaliste XY » : Kesse kel lui trouv<br />
franchment ! Un nimbu, une grande<br />
g..., vrémen, ya plu ke l argen ki conte<br />
maintnan.<br />
« La présentatrice XX et le journaliste XY :<br />
c’est fini !» : Kesse kel lui trouvais franchment<br />
! Un nimbu, une grande g..., vrémen,<br />
ya plu ke l argen ki conte maintnan.<br />
Niveau 4 : la haine de la<br />
consonance étrangère<br />
Jules B.<br />
religion, j’emmerde la mode, j’encule<br />
la mort, le cancer et la cirrhose, je<br />
crache à la gueule de banques, des<br />
banquiers et des banquières, je hais<br />
les drapeaux, je suis de partout et de<br />
n’importe où, mes racines sont là ou<br />
je me trouve…<br />
Je vous emmerde.<br />
Je vous aime.<br />
Je suis heureux.<br />
Je vis.<br />
« Ahmed M. condamné pour vol » : Ancor<br />
un suedoit ???<br />
« Antoine M. condamné pour vol » : Pour<br />
un foi pa un suedoit !!!<br />
« A. M. condamné pour vol » : On peu<br />
conaitre son prénon ? Ancor un suedoit san<br />
doute ??? »<br />
Niveau 5 : la haine du coupable<br />
« Le banquier escroc condamné à 6 mois de<br />
prison »: Sais pas assé ! une balle dan la<br />
tette, pluto.<br />
« Le violeur d’une touriste condamné à mort<br />
en Inde » : Sais pas assé ! une balle dan la<br />
tette, pluto.<br />
« Le policier ripou se suicide avec son arme<br />
de service » : Sais pas assé ! une balle dan<br />
la tette, pluto.<br />
Voilà ! Après cette courte initiation,<br />
vous êtes désormais tout-contre-puissants.<br />
N’hésitez pas en abuser… Et si<br />
vous voulez rigoler, contre-pouvez à<br />
contresens. Magnifique le nouveau piétonnier<br />
de Marche ! Bravo au ministre<br />
pour son contrat d’armement ! Contreattaque<br />
générale assurée…<br />
Bonne décharge de haine à tous !
6 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
Changer les<br />
contre-pouvoirs<br />
Sokolov<br />
Les contre-pouvoirs ne seraient plus ce<br />
qu’ils étaient, ma bonne dame, tous aux<br />
barricades, haut le drapeau, hasta la victoria<br />
siempre companeros !<br />
Les contre-pouvoirs ne seraient plus ce<br />
qu’ils étaient, mon bon monsieur, rapports<br />
de force socio-démocrates policés<br />
d’un petit pays de coalitions politiques,<br />
champion de la concertation sociale.<br />
Trente, que dis-je, quarante ans de<br />
résistance défensive au rouleau compresseur<br />
de la dérégulation néolibérale<br />
du capitalisme et de la démolition systématique<br />
des idéaux d’égalité et de justice<br />
au prétexte de l’échec des expériences de<br />
socialisme réel ont transformé les partis<br />
socialistes en collabos du libéralisme<br />
prétendument social, les syndicats en<br />
perdants tristes, les militants en humanitaires<br />
tentant d’éviter le pire.<br />
Ce n’est pas une raison pour désespérer<br />
ou pour avoir envie de restaurer des<br />
partis qui visent la prise de pouvoir et,<br />
une fois qu’ils l’exercent, découvrent leur<br />
impuissance face à l’anonyme pouvoir<br />
du capital relayé par les gouvernements<br />
« amis » et les institutions internationales.<br />
Ce n’est pas une raison pour se<br />
résigner à ne faire que défiler du Nord<br />
au Midi en sachant que le lendemain il<br />
faudra retourner au chagrin tandis que<br />
les résultats des négociations patronssyndicats<br />
n’arriveront qu’à peine à préserver<br />
nos droits, tandis que navetteurs,<br />
collègues et médias dénigreront notre<br />
conservatisme…<br />
Les contre-pouvoirs ne seraient plus<br />
ce qu’ils étaient ? Grand bien leur fasse !<br />
Nous allons pouvoir imaginer autre<br />
chose. Foin de la nostalgie de la soumission<br />
à l’avant-garde du parti ou de<br />
celle du temps de la grève générale illimitée.<br />
Délaissons le vote « un peu plus<br />
à gauche que le PS, pour lui mettre la<br />
pression » et n’attendons pas plus que ce<br />
qu’elles peuvent donner de ces manifs<br />
convenues du Nord au Midi.<br />
Il se passe d’autres choses et je ne parle<br />
pas de cet anachronisme d’un parti communiste<br />
marxiste-léniniste qui lifte sa<br />
com’ sans changer le fond, remisé discrètement<br />
dans ses statuts 1 , qui soumet<br />
toujours le militant et les travailleurs au<br />
parti unique éclairant les masses à coup<br />
de centralisme unitaire et d’exigence<br />
d’autocritique publique.<br />
D’autres types de projet et d’action sont<br />
expérimentés, tentant de tirer les leçons<br />
du passé, celles de la fascination pour<br />
1 http://statutsptb.blogspot.be/2015/06/<br />
statuts-du-ptb-9e-congres-congres-de-la.<br />
html<br />
le pouvoir absolu ou de l’impuissance<br />
relative des contre-pouvoirs imbriqués<br />
dans les structures du pouvoir, tentant<br />
d’échapper à l’insondable tristesse de ce<br />
fatras entrelaçant marchandises et individus,<br />
tentant de changer des manières<br />
de produire, d’échanger, de militer, ici et<br />
maintenant.<br />
Il n’y a plus de modèles et de chemin<br />
prédéfini à suivre ? Tant mieux ! C’est<br />
ici et maintenant qu’il faut créer de la<br />
liberté, de la solidarité, du collectif. Pas,<br />
comme on nous le serine, parce que chacun,<br />
isolé dans sa petite vie pourrait<br />
faire des petites choses pour changer<br />
les choses : éteindre la lumière, fermer<br />
le robinet pendant que tu te brosses les<br />
dents et prendre les transports en commun.<br />
Ça ne mange pas de pain pour<br />
sûr, mais ça ne change pas les rapports<br />
sociaux.<br />
Cultiver durable, voire bio, s’insérer<br />
dans des circuits courts d’échange,<br />
mettre les gens en relation à travers ce<br />
qu’ils produisent, achètent, mangent,<br />
cela crée aujourd’hui de la contre-agriculture<br />
et de la contre-culture. Lancer<br />
«Tout Autre chose», en revendiquant<br />
l’apprentissage du mouvement en marchant,<br />
l’absence de centralité et de hiérarchie,<br />
la réflexion pour cerner des<br />
alternatives et une certaine joyeuseté,<br />
c’est essayer de créer de la liberté et<br />
de l’égalité maintenant, sans attendre<br />
demain. Créer une monnaie alternative<br />
peut changer des rapports d’échange.<br />
Créer des communs, peu importe : du<br />
moment que ce soit une mise en pratique<br />
de rapports et de relations différents.<br />
Pas de liste d’initiatives « politiquement<br />
correctes » donc. À chacun de se demander<br />
ce qu’il peut produire pour se sortir<br />
la tête du cul, secouer cette immense<br />
gueule de bois qui nous empêche de<br />
nous libérer, ne fût-ce qu’un petit peu,<br />
des rets intérieurs de la soumission. Au<br />
boulot, à la maison, à la réunion syndicale,<br />
dans le quartier… Sans se prendre<br />
au sérieux, parce que c’est très sérieux.<br />
Et assez urgent. En riant, parce que si<br />
votre militance est sinistre aujourd’hui,<br />
elle risque d’être fatale demain.<br />
La révolution n’est pas pour demain,<br />
mais elle ne se fera que lorsque nous nous<br />
serons dépêtrés des toiles d’araignée de<br />
nos nostalgies, du sentiment d’impuissance<br />
créé par cette putain de table qui<br />
ne peut être renversée. Expériences nouvelles<br />
ou nouvelles manières d’investir<br />
les contre-pouvoirs défensifs syndicaux<br />
ou associatifs, nos façons de faire et de<br />
penser doivent contenir aujourd’hui ce<br />
que nous voulons pour demain. Le changement<br />
ce doit être maintenant, mais ce<br />
doit surtout être nous.<br />
Résister, c’est créer, résister à la tristesse,<br />
ne pas désirer le pouvoir, résister<br />
sans maîtres, à la normalisation, au<br />
repli, à l‘ignorance… Résister, c’est créer<br />
des pratiques dans la multiplicité, créer<br />
des liens, des collectifs… 2<br />
2 Manifeste du Réseau de résistance alternatif.
couille molle a des choses à dire<br />
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 7<br />
L'oe i l de l’Observatoire<br />
Bruxellois du Clinamen<br />
Un rebelle<br />
L’autre jour, à la pause de dix<br />
heures, mon pote Couille Molle 1<br />
est venu s’installer en face de moi.<br />
Il s’est tu un moment en regardant<br />
à gauche et à droite, avant<br />
de me lancer : — C’est vendredi,<br />
fieu. On va bientôt pouvoir redevenir<br />
soi-même…<br />
Comme je devais avoir l’air surpris,<br />
il a poursuivi.<br />
- Là, comme tu me vois, je suis<br />
en costard cravate, mais c’est pour<br />
donner le change. Le weekend, je<br />
porte un t-shirt Che Guevara… ça<br />
me convient mieux. Moi, je suis<br />
un rebelle, fieu. Tiens, quand je<br />
croise cet imbécile de Poil Decul<br />
dans le couloir, tu sais, l’intellectuel<br />
de gôche qui est le chouchou<br />
de la direction, une fois sur deux,<br />
je ne lui dis pas bonjour. C’est pas<br />
poli ? M’en fous. Personne ne me<br />
dicte ce que je dois faire. Je ne suis<br />
pas du genre à m’aplatir. Je ne<br />
suis pas une carpette, moi, fieu !<br />
Je suis un désobéissant.<br />
Tiens, quand ça bouchonne sur<br />
l’autoroute, je prends la bande<br />
d’arrêt d’urgence, fieu. Et je<br />
dépasse tout le monde. Je ne suis<br />
pas du genre à me laisser emmerder.<br />
En ville, pareil. Je prends les<br />
couloirs de bus, c’est toujours<br />
plus dégagé. Sinon, tu es obligé<br />
de faire des queues de poisson.<br />
Et s’il y a un bus qui klaxonne, je<br />
lui fais un doigt. Et je ne suis pas<br />
du genre à m’arrêter aux passages<br />
pour piétons pour laisser passer<br />
les caves. N’ont qu’à attendre. Et<br />
les lignes blanches, même chose.<br />
Connais pas. Je suis un insoumis.<br />
Je ne mets jamais mon clignotant.<br />
Ça se voit bien que je tourne,<br />
non ? Le code de la route, c’est<br />
bon pour les moutons.<br />
Je suis un insoumis et un dissident,<br />
fieu... Quand tu vas pisser au<br />
Quick, ça te coûte normalement<br />
35 cents. 35 cents pour pisser ! Tu<br />
te rends compte ? Alors, quand la<br />
dame pipi n’est pas là, j’en profite<br />
pour vider sa soucoupe. Sinon, en<br />
prévision, je garde toujours des<br />
pièces de un ou deux cents. J’en<br />
laisse tomber deux ou trois dans<br />
la soucoupe, en les faisant bien<br />
sonner. Et puis, je me tire vite fait<br />
avant qu’elle se rende compte. Il y<br />
en a même qui disent merci… 35<br />
cents pour pisser, non, mais.<br />
1 NDLR : les noms et prénoms ont été changés pour<br />
préserver l’anonymat de l’intéressé.<br />
André Clette<br />
Aux toilettes, je ne tire jamais la<br />
chasse. Je sais que ça fait chier les<br />
autres, mais, après tout, c’est pour<br />
ça qu’ils y vont non ? Haha.<br />
Les sacs-poubelle de la commune,<br />
j’en n’achète jamais. Je<br />
fourre tout dans des sacs ordinaires<br />
et je vais les déposer discrètement<br />
dans un coin tranquille<br />
au bord de la route.<br />
Si je fumais, je ferais exprès de<br />
mettre mon mégot à côté du cendrier.<br />
Quand je promène mon<br />
chien et qu’il veut chier dans le<br />
caniveau, je le ramène au milieu<br />
du trottoir.<br />
L’autre jour, dans le métro,<br />
j’étais en train de téléphoner.<br />
Un connard qui prenait toute<br />
la place avec son journal, m’a<br />
demandé de baisser la voix. Je<br />
lui ai répondu du tac au tac : « si<br />
tu veux la paix, t’as qu’à prendre<br />
un taxi ». Un autre jour encore,<br />
je suis monté dans le métro en<br />
même temps qu’une femme<br />
enceinte. Bien enceinte, hein ! Tu<br />
aurais dit qu’elle allait accoucher<br />
là, sur le quai. Eh bien, j’ai réussi<br />
à prendre la dernière place assise<br />
juste avant elle. Tu aurais vu sa<br />
tête. Sûr qu’elle devait pas tirer<br />
la même tête quand elle s’est fait<br />
mettre en cloque.<br />
Ça ne se fait pas ? Justement. Ce<br />
qui me plaît à moi, c’est de faire<br />
ce qui ne se fait pas. Je suis un<br />
hors-la-loi, sans foi ni loi. Quoi ?<br />
Incivilité ? Et alors ? M’en fous du<br />
« politiquement correct ». J’ai pas<br />
de tabou, fieu. Tant pis si ça doit<br />
me faire du tort, mais je le dis.<br />
Tu comprends, si j’ai un bon<br />
poste dans cette boîte, c’est parce<br />
que je sais me faire respecter. La<br />
vie, c’est un combat. Celui qui<br />
s’écrase, il est mort. On n’est pas<br />
chez les bisounours.<br />
Et ma bagnole, je la gare où je<br />
veux. Il y a toujours bien de la<br />
place sur les passages pour piétons.<br />
Ou alors sur les places pour<br />
handicapés. Dans les parkings, il<br />
y a toujours des places réservées<br />
qui restent vides. Ce sont toujours<br />
les meilleures. Autant en<br />
profiter…<br />
Couille Molle s’emballait de<br />
plus en plus. C’est à ce moment-là<br />
qu’est arrivé Monsieur Proetmacher,<br />
le chef comptable. Il a fait<br />
remarquer à Couille Molle que le<br />
quart d’heure de pause était terminé<br />
depuis trois minutes. Il lui a<br />
tendu les clés de son Audi en lui<br />
demandant d’aller la garer convenablement,<br />
parce qu’un connard<br />
s’était mis sur son emplacement.<br />
Couille Molle a dit : oui Monsieur<br />
Proetmacher ; tout de suite Monsieur<br />
Proetmacher, et il est sorti<br />
tout rouge.<br />
Au fait, je dois préciser que<br />
Couille Molle n’est pas vraiment<br />
un pote. C’est juste un collègue de<br />
bureau.<br />
du chocolat<br />
comme<br />
contrepouvoir<br />
sournois<br />
Dr Lichic<br />
La santé d’une nation, on nous le serine<br />
assez, se mesure à son volume d’activité<br />
économique. Telles les courbes féminines,<br />
celles de la croissance sont d’autant plus<br />
contemplées qu’elles atteignent sommets<br />
et inflexions. Les échanges et flux de<br />
matières sont et font lois, et, sous la férule<br />
joyeuse des organisations patronales, le<br />
gouvernement n’a de cesse de vouloir augmenter<br />
ces derniers, par tous les moyens<br />
mis à sa disposition, aussi incitatifs que<br />
coercitifs. Cette noble tâche lui incombe<br />
d’autant plus que d’ordinaire aucun de<br />
ceux qui y siègent n’a jamais géré une<br />
société, un bureau d’étude, une usine ou<br />
un magasin ; c’est là un gage d’impartialité<br />
évident. Les citoyens laissent faire,<br />
vaquant à leurs occupations, comme on<br />
se soucie peu des activités incompréhensibles<br />
des occupants des asiles pour<br />
aliénés. Mais comme à toute industrie<br />
il faut un adepte du sabotage révolutionnaire,<br />
un contre-pouvoir s’est érigé en<br />
catimini pour contrecarrer odieusement<br />
l’œuvre salutaire de nos édiles. Parmi les<br />
nombreux contre-pouvoirs occultes et<br />
ignorés du bon peuple, il en est en effet<br />
un particulièrement sournois, tapis dans<br />
l’ombre ventripotente des commerçants<br />
du centre-ville. Traître à sa caste, cette<br />
engeance félonne n’a de cesse de ralentir<br />
à tout prix la progression du PIB du<br />
Royaume : j’ai nommé, lecteur, l’heure est<br />
grave comme un accent : les vendeuses de<br />
pralines.<br />
Cette peste ourdit en effet au quotidien<br />
un terrible complot ; mais poussons plutôt<br />
la porte d’une de ces officines : invariablement,<br />
une file conséquente, preuve même<br />
du travail de sape de l’action gouvernementale,<br />
attend le client innocent. Derrière<br />
le comptoir, sous des dehors anodins,<br />
voire caprins, voire bovins, les vendeuses<br />
baillent aux corvidés. Préposées à l’oisiveté,<br />
dindes diplômées, elles rivalisent de<br />
lenteur pour servir le chaland. Bercée par<br />
un caquetage oiseux et savamment entretenu,<br />
la clientèle se laisse aller à rêvasser<br />
devant les vitrines. On étale la turpitude<br />
d’anecdotes sans attraits ; on jacasse surtout<br />
de rien et d’un peu de tout ; ces dames<br />
mettent des heures à choisir chaque<br />
Manon, en désignant d’un doigt boudiné<br />
l’objet de leur convoitise, que l’on met<br />
cinq bonnes minutes à identifier, les vendeuses<br />
feignant de se tromper, temps mis<br />
à profit pour hésiter, et changer d’avis, et<br />
commenter à loisir la satisfaction gustative<br />
attendue. Le ballotin se remplit pièce<br />
par pièce, avec un excès de manières et de<br />
minauderies, et chaque étage se construit<br />
avec pour prix une lenteur digne de l’élévation<br />
d’une pyramide. Le cérémonial<br />
final de l’emballage, ode interminable à<br />
l’ennui, ponctuera en acmé de vacuité cet<br />
empilage de flatteries hépatiques. Je vous<br />
épargne, cher lecteur, le solde de ces descriptions<br />
horripilantes qui affligent toute<br />
âme raisonnable, laquelle se désole de<br />
voir les cerveaux aussi bien fourrés que<br />
les confiseries.<br />
Car ! Pendant tout ce temps précieux,<br />
c’est l’économie qui patine, Mesdamessieurs,<br />
c’est le PIB qui débraye, des salariés<br />
soustraits à leur labeur productif !<br />
Des fonctionnaires distraits par de stupides<br />
truffes ! Des tâches ménagères<br />
négligées sans vergogne ! Des enfançons<br />
délaissés, le lange empesé, au profit d’orgies<br />
de cœurs-fondants ! Avec un effet<br />
multiplicateur dans chaque transaction,<br />
temps perdu à l’achat, temps perdu à la<br />
dégustation ! Voilà la vérité qu’il me faut<br />
dénoncer, l’action néfaste de cette bassecour,<br />
déclinée dans un réseau dense de<br />
magasins habilement disséminés dans<br />
tous les centres d’activité économique !<br />
Assez, assez ! Patriotes, au boycott ! Sus<br />
aux vendeuses de pralines !
8 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
Un journal contre les pouvoirs, c’est toujours possible. Propos recueillis par Manuel Abramowicz<br />
Jean-Claude garot est pour<br />
Personnalité incontournable du<br />
monde de la presse à contre-courant,<br />
Jean-Claude Garot est à l’origine de<br />
nombreux débats. Cet hyperactif, créateur<br />
de journaux alternatifs est passé de la presse<br />
gauchiste à un groupe de journaux sportifs<br />
implantés notamment outre-Atlantique. Son<br />
nom et sa réputation sont liés à POUR. Cet<br />
hebdomadaire autogestionnaire fut le creuset<br />
du journalisme d’investigation de gauche.<br />
Né en 1973, il est mort en 1982, après un<br />
attentat d’extrême droite contre ses locaux.<br />
En 2015, POUR est ressorti de presse. À<br />
nouveau, dans l’objectif d’être un outil<br />
d’« agit-prop » au service des luttes et pour<br />
la liberté.<br />
Qualifiés comme les « chiens<br />
de garde de la démocratie »<br />
et formant un « quatrième<br />
pouvoir », les journalistes<br />
et leurs médias sont-ils<br />
toujours aujourd’hui un<br />
contre-pouvoir ?<br />
Non, ce n’est plus le cas. Pour démontrer<br />
la situation dans laquelle se<br />
retrouvent « nos » médias, il faut avoir<br />
une analyse fine de leur fonctionnement.<br />
On constate que les grands titres<br />
de la presse écrite et les chaines de<br />
télévision privées ont été siphonnés à<br />
coup de millions par de grands groupes<br />
industriels et financiers dans l’intention<br />
de s’accaparer d’autres leviers de<br />
pouvoir pour encore mieux exercer le<br />
leur sur l’ensemble de la société. Le but<br />
final : la soumission totale d’une population<br />
considérée comme de simples<br />
consommateurs.<br />
En possédant les plus importants<br />
médias de masse, entre 80 et 95 % du<br />
paysage médiatique, ces « patrons<br />
de presse » les utilisent abusivement<br />
comme des plates-formes au service de<br />
leurs intérêts économiques. Dans cette<br />
optique, ces propriétaires de médias,<br />
dont le premier métier reste exclusivement<br />
le commerce international de<br />
biens de consommation utiles ou futiles,<br />
les exploitent également comme des<br />
outils de propagande pour diffuser<br />
leur vision politique géostratégique du<br />
monde. Dans un objectif de domination.<br />
Ainsi la boucle est bouclée. Le rachat et<br />
la nouvelle ligne idéologique insufflée<br />
sournoisement permettent une nouvelle<br />
forme de contrôle social.<br />
Pour entraver leur travail<br />
d’information, les journalistes<br />
sont également régulièrement<br />
mis sous pression.<br />
En effet, la situation des journalistes<br />
n’est pas très joyeuse. Dans plusieurs<br />
pays du monde, dès qu’ils révèlent les<br />
coulisses peu reluisantes du régime, des<br />
tentatives pour les museler sont opérées,<br />
sans aucune retenue : censure, interdiction<br />
de paraitre, arrestation et emprisonnement.<br />
Chaque année, des reporters<br />
sont assassinés aux quatre coins du<br />
monde. Chez nous, si la censure n’est<br />
pas appliquée et les journalistes ne sont<br />
pas arrêtés, l’autocensure - pour éviter<br />
d’être l’objet de pressions diverses et être<br />
frappé d’ostracisme - existe bel et bien.<br />
Face à cette situation des plus<br />
inquiétantes, de nos jours,<br />
que peut être une presse de<br />
contre-pouvoir ?<br />
Restons positifs. Il existe encore des<br />
îlots médiatiques autonomes et de<br />
liberté. Je pense au « Canard enchainé »<br />
qui résiste, contre vents et marées,<br />
depuis des décennies à la commercialisation<br />
extrême des médias. C’est encore<br />
le cas du web-journal « Médiapart » ou<br />
de l’émission radio « Là-bas si j’y suis »,<br />
diffusée avec succès sur Internet depuis<br />
janvier 2015, après sa suppression de la<br />
grille de France Inter.<br />
Faire un journal n’est qu’un travail de<br />
production. Sortir un journal n’est pas<br />
l’essentiel. Il ne peut pas être une fin en<br />
soi et juste réalisé pour se donner bonne<br />
conscience. Pour survivre et rester un<br />
contre-pouvoir, cette presse alternative<br />
doit impérativement être professionnelle<br />
et novatrice en proposant un large<br />
éventail d’offres de communication :<br />
journaux papier de qualité, livres de<br />
réflexion, sites Internet grand public,<br />
capsules vidéos pédagogiques, etc.<br />
Dans un journal engagé, il faut toujours<br />
injecter de l’idéologie pour changer le<br />
rapport de force. Il doit se consolider en<br />
établissant des liens de solidarité forts,<br />
dans un esprit collectif. La presse alternative<br />
doit être contre tous les pouvoirs<br />
de domination. Le développement de<br />
son existence s’intègre dans une vision<br />
globale et sur le long terme, des luttes à<br />
mener.<br />
Existe-t-il encore un lectorat<br />
intéressé par la presse<br />
engagée ?<br />
Qui lit encore des journaux aujourd’hui<br />
en général, des journaux partisans en<br />
particulier ? Il s’agit d’une fraction de<br />
la population qui se réduit progressivement<br />
d’année en année.<br />
Comment toucher ce lectorat ?<br />
Pour y parvenir, la seule solution est<br />
d’établir des synergies coopératives<br />
avec les dernières organisations de<br />
masse existantes, telles que les syndicats<br />
et les mutuelles, dont le nombre<br />
d’affiliés s’élève encore à des millions<br />
de personnes ! Sans oublier les ONG du<br />
monde associatif sociopolitique, comme<br />
ATTAC, et des think tanks.<br />
Il faut donc une stratégie éditoriale<br />
bien huilée, se reposant sur des réseaux<br />
permettant une diffusion massive. Il<br />
faut une version de journal destiné à<br />
un lectorat déjà acquis, qui peut être<br />
vendu en librairie ou par abonnement.<br />
Puis, une édition grand public distribuée<br />
directement sur le terrain, dans les<br />
entreprises et les associations par des<br />
délégués syndicaux, des travailleurs et<br />
des militants.<br />
C’était le même principe du<br />
« premier » POUR, réalisé,<br />
imprimé et diffusé par<br />
l’organisation d’extrême gauche<br />
à laquelle vous avez appartenu<br />
de 1973 à 1982 ?<br />
En 1973, nous nous sommes construits<br />
sur un modèle de communisme économique.<br />
Avec un salaire identique, tout le<br />
monde faisait tous les métiers d’un journal<br />
: recueillir l’information, écrire des<br />
articles, les mettre en page, imprimer,<br />
diffuser et vendre le journal. On passait<br />
de tâche en tâche. Par rotation. L’expérience<br />
et l’existence de l’hebdomadaire<br />
POUR a été possible grâce à ce front de<br />
solidarité dans lequel se retrouvaient<br />
des journalistes venant de différents<br />
journaux, des travailleurs sociaux politisés<br />
et de très jeunes militants.<br />
Vous ne faisiez pas que publier<br />
le journal !<br />
Non, nous avons développé en parallèle<br />
des actions collectives : resto bon<br />
marché, café de discussion, théâtre et<br />
cirque populaires... Nos colonnes se sont<br />
ouvertes à la contre-culture des années<br />
septante, à la musique folk progressiste,<br />
au rock alternatif et au punk anti-système.<br />
Avec le journal, nous organisions<br />
des concerts dans des usines occupées<br />
par leurs ouvriers. Nous étions aux<br />
avant-postes des luttes de solidarité<br />
avec les immigrés. Ce fut une époque<br />
remarquable.<br />
Ce n’est plus le cas<br />
aujourd’hui ?<br />
Depuis 2008 le pouvoir économique<br />
contrôle le politique ! Ce fut un choc et<br />
un tournant de la plus grande importance.<br />
Les organisations de masse ne<br />
l’avaient pas vu venir et les syndicats se<br />
sont retrouvés en position de faiblesse.<br />
De cet échec, il faut tirer des enseignements<br />
pour rebondir et mener les combats<br />
de demain. Il est impératif de lutter<br />
autrement. Avec sans doute moins d’actions,<br />
mais beaucoup plus de réflexion.
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 9
10 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
Les contes qu’on nous raconte<br />
Grande récup<br />
et vieilles casseroles<br />
Sylvie Kwaschin<br />
Cher Sokolov,<br />
J’ai lu ton papier « Changer les contrepouvoirs<br />
» (p. 6) avec intérêt, comme je<br />
lis tout dans Même Pas Peur. Changer<br />
aujourd’hui les rapports sociaux, économiques,<br />
politiques au travers de projets<br />
collectifs, écris-tu. D’accord avec<br />
toi pour échapper au délire du parti<br />
unique, à la lâcheté des partis sociodémocrates,<br />
pour trouver des formes de<br />
résistances joyeuses et radicales. Mais<br />
faisons gaffe aux attrape-nigauds, même<br />
si nous sommes futés, et ne lâchons rien.<br />
Économie collaborative, collabos<br />
de l’économie<br />
Prends par exemple l’économie dite<br />
« collaborative » ou « de partage » (mais<br />
non, pas comme le carême), censée être<br />
pétrie de relations - horizontales - entre<br />
les gens. Certains n’hésitent pas à y<br />
voir « une alternative au modèle de la compétition<br />
» 1 et à présenter pêle-mêle une<br />
longue série d’exemples mélangeant avec<br />
enthousiasme des cas où une firme fait<br />
faire ses innovations de produits gratos<br />
par les consommateurs 2 , une plate-forme<br />
« permettant aux entreprises d’accéder (…)<br />
à une main d’œuvre variée (surtout dans<br />
les pays émergents) pour des micro-tâches<br />
(…) payées des micro-montants » 3 , Linux,<br />
Wikipédia, des communautés de bricoleurs<br />
qui proposent des plans pour des<br />
outils à la ferme, les plates-formes de circuits<br />
courts de distribution, les systèmes<br />
d’échange local (SEL)…<br />
Leurs critères : une logique horizontale<br />
(en réseau), la mutualisation des outils et<br />
connaissances, une logique coopérative<br />
étendue dont découlent notamment « la<br />
redistribution des rôles, des décisions,<br />
1 Et il est dommage que ce soit des écologistes… Masset<br />
Delphine, Luyckx Eric, L’économie collaborative, une<br />
alternative au modèle de la compétition, Analyses, Etopia<br />
mars 2014.<br />
2 MindStorm, projet Lego.<br />
3 Amazon Mechanical Turk.<br />
des responsabilités », « (…) un partage<br />
orienté vers les communs ». Certes, ils<br />
mettent en garde contre les exemples de<br />
« récupération », mais pas au point, soit<br />
d’exclure ces exemples de leur liste, soit<br />
d’indiquer clairement quand ça pue. Or,<br />
permettre aux entreprises d’accéder à des<br />
petites mains bon marché (et sans doute<br />
non déclarées), ça pue ! Faire bosser les<br />
consommateurs et empocher les bénefs,<br />
ça pue ! Considérer que la redistribution<br />
des décisions et des responsabilités<br />
découle du réseau et de la collaboration,<br />
c’est ne rien connaître à la gestion<br />
par projets dans les entreprises ! Elles<br />
font cela très bien d’exploiter les gens en<br />
réseau !<br />
Malheureusement, ils ne sont pas les<br />
seuls à se complaire dans la confusion 4 .<br />
Où est le problème ? Le problème est qu’à<br />
aucun moment, ils ne posent la question<br />
des rapports de pouvoir (qui décide) et<br />
d’exploitation (qui bosse et qui empoche<br />
le fric). Leur problème est l’indigence de<br />
la définition et des critères d’une économie<br />
collaborative dont ils voient l’origine<br />
dans « l’héritage culturel du monde du logiciel<br />
libre, du web et d’une posture contestataire<br />
(hackers, altermondialistes…) ». Comme si<br />
la coopération et les communs avaient<br />
attendu internet ! Un peu de culture<br />
politique éviterait sans doute de dire pas<br />
mal de conneries. Perso, quand on peut<br />
mettre tout et n’importe quoi sous un<br />
vocable, mieux vaut changer de vocable !<br />
Si l’objectif est de sortir des rapports<br />
marchands (ce qui est indispensable,<br />
mais non suffisant pour sortir du productivisme),<br />
alors il faut aussi « démarchandiser<br />
» le travail, sortir les activités<br />
du rapport salarial dans lequel la force de<br />
travail de chacun d’entre nous est achetée<br />
4 Le portail belge de la consommation collaborative<br />
(www.consocollaborative.be) renseigne sous la catégorie<br />
« travail » la location de bureau en business center,<br />
la location de parking chez l’habitant (mais oui,<br />
dans ton allée de jardin dont tu ne fais rien toute la<br />
journée !), le gardiennage de maison pour vacances<br />
gratuites… Honnêtement, des projets plus intéressants<br />
sont répertoriés, mais il y a une confusion entre l’usage de<br />
biens dont on n’est pas propriétaire, ce qui s’appelle de la<br />
location, et la sortie des rapports de propriété.<br />
comme une marchandise pour générer<br />
de la plus-value et permettre son appropriation<br />
par les propriétaires du capital<br />
(et via les hauts salaires et autres stockoptions<br />
par les managers-valets).<br />
Ça ne veut pas dire bosser gratis. Ça<br />
veut dire établir ensemble les règles<br />
qui permettront de décider qui a accès,<br />
comment et à quelle « hauteur » aux produits<br />
(monétaires ou non) de l’activité<br />
commune.<br />
Certes, il n’y a pas que la question<br />
salariale et l’exploitation du travail dont<br />
il faut se dégager. Mais, si nous n’examinons<br />
pas comment fonctionnent les<br />
projets de ce point de vue là ou si nous<br />
ne sommes pas attentifs à cela dans nos<br />
propres projets, alors il y a peu de chance<br />
que les décisions quant au contenu du<br />
projet, à son financement, à la gestion de<br />
son fonctionnement soient collectives.<br />
Autrement dit, si on ne se préoccupe<br />
pas de l’exploitation, on a peu de chance<br />
d’éviter la domination.<br />
Exploitation et contre-pouvoir<br />
syndical<br />
En parlant d’exploitation, cher Sokolov,<br />
les attaques vis-à-vis des travailleurs en<br />
général, et des plus faibles en particulier,<br />
sont incessantes. Il n’y a pas que la N-VA<br />
qui veut sabrer dans la sécurité sociale<br />
pour résoudre les problèmes budgétaires<br />
ni le MR qui attend au tournant l’échec<br />
des interlocuteurs sociaux pour légiférer<br />
contre le droit de grève (et je ne te<br />
rappelle pas les exclusions du chômage,<br />
le saut d’index, l’âge de la pension, etc.).<br />
Le ministre social-chrétien (CD&V) Kris<br />
Peeters déborde d’idées pour flexibiliser<br />
le travail. Cela donne dans une traduction<br />
française d’une qualité douteuse<br />
l’idée d’une future loi sur le « travail faisable<br />
» et « l’agilité dans l’emploi » 5 . Oh, je<br />
les vois déjà sauter gaiement, légèrement<br />
et rebondir d’un boulot à l’autre ! Quant<br />
à faisable, c’est « qui peut se faire ». On<br />
5 De Wet Werkbaar Wendbaar Werk. La traduction en<br />
français n’est pas de mon fait, mais de la version officielle<br />
risque même d’y perdre l’idée d’emploi<br />
convenable !<br />
Parmi les dix pistes soumises aux interlocuteurs<br />
sociaux : l’épargne carrière de<br />
temps ou d’argent pour pouvoir un jour<br />
faire une pause (ben oui, tu supprimes les<br />
crédits-temps et ensuite tu fais financer<br />
les interruptions de carrière par les travailleurs)<br />
; créer un statut de « travailleur<br />
autonome » « entre le statut de travailleur<br />
et celui d’indépendant » ; permettre les<br />
contrats d’intérim à durée indéterminée ;<br />
transformer l’indemnité de rupture de<br />
contrat en indemnité de transition avec<br />
un régime fiscal favorable pour l’ancien<br />
employeur, le nouvel employeur (activer<br />
l’indemnité de rupture ?).<br />
Cerise sur le gâteau, un autre projet<br />
envisage de permettre, via le règlement<br />
de travail, de prévenir le travailleur à<br />
temps partiel, donc souvent la travailleuse,<br />
de son horaire de travail seulement<br />
24 h avant le début de sa prestation. En<br />
clair, on passe du cadre de la loi d’ordre<br />
public à la négociation d’entreprise,<br />
qu’il y ait ou non conseil d’entreprise 6<br />
ou délégation syndicale. Si ce n’est pas<br />
de la dérégulation, ça y ressemble. Le<br />
comble, c’est que cela ne permettra même<br />
plus de cumuler deux ou plusieurs petits<br />
boulots…<br />
Tout cela est encore nébuleux, mais,<br />
cher Sokolov, je me demande, pour paraphraser<br />
Béranger, si l’alternative c’est toujours<br />
malin ? Certes, les syndicats ne font<br />
plus rêver et semblent empêtrés dans<br />
des actions qui font râler les usagers qui<br />
se pensent « pris en otage » (qu’ils aillent<br />
voir Al-Qaïda pour savoir ce que cela veut<br />
vraiment dire !) et déroutent jusqu’à leurs<br />
propres militants à force de « on y va »,<br />
« on se calme ». Mais on a encore besoin<br />
du droit du travail et du droit social. Ne<br />
les désertons donc pas. Radicalisons-les !<br />
6 Existe seulement dans les entreprises de plus de cent<br />
travailleurs. Voir le compte-rendu analytique de la<br />
séance plénière de La Chambre du 3 mars 2016, p.14<br />
et ss.
Ce sont les petits<br />
grains de sable qui<br />
font de grandes<br />
plages ! Mickaël Serré<br />
Dans le précédent MPP, nous constations<br />
que le libéralisme mondialisé est<br />
loin d’être moribond, face à une société<br />
dans laquelle on voudrait nous emmurer,<br />
les alternatives semblent bien dérisoires<br />
et confidentielles. Assurément elles le<br />
sont, il n’en demeure pas moins que les<br />
résistances sont bien là, œuvrant souvent<br />
dans l’ombre (ce journal en témoigne). Les<br />
lieux de contre-pouvoirs sont multiples.<br />
Ils peuvent tout aussi bien surgir d’un<br />
coup vers la lumière et détonner dans<br />
un paysage assagi. La Grande Parade de<br />
«Tout Autre Chose/Hart boven Hard», en<br />
fut une belle illustration ici en Belgique,<br />
l’an passé, gageons que la prochaine du<br />
20 mars pétera le score de 2015 (20 000<br />
personnes à Bruxelles !). Autre indice : les<br />
villages Alternatiba 1 , qui fleurissent un<br />
peu partout, initiés à Bayonne en 2010 et<br />
qui se sont propagés en 2015 dans plus de<br />
80 villes européennes investissant l’espace<br />
public pour présenter des milliers<br />
de structures, actions populaires... D’innombrables<br />
connexions multiples entre<br />
militants sont actives et pour qui veut<br />
s’engager, l’offre est bien là, démontrant<br />
une volonté et un attrait pour d’autres<br />
vivre-ensemble, d’autres mondes pos-<br />
1 https://alternatiba.eu/ - Processus de mobilisation de<br />
la société civile face au défi du changement climatique.<br />
sibles. Plateformes citoyennes, réseaux<br />
locaux, une diversité d’actions existe,<br />
allant du potager collectif au Repair’<br />
Café, de l’habitat groupé à l’échange de<br />
services... ces petits gestes et groupuscules<br />
sont certes dérisoires, mais leur<br />
existence même est un pied de nez aux<br />
rouleaux compresseurs du marketing et<br />
de l’individualisme, du consumérisme et<br />
de la pensée unique.<br />
Notre bête noire, la force de frappe des<br />
libéraux et des conservateurs, c’est notre<br />
résignation. Celui qui se tait, qui se plie<br />
sans résistance, tue en lui sa force créatrice,<br />
sa raison d’être, sa force vitale. Sans<br />
espoir, pas d’avenir.<br />
Pour vous donner quelque envie de<br />
donner un petit coup dans la termitière,<br />
je vous invite à visionner les incroyables<br />
actions des Yes Men 2 (les béni-oui-oui) :<br />
deux activistes américains du canular,<br />
qui, sous les pseudonymes de Andy<br />
Bichlbaum et Mike Bonanno, dénoncent<br />
le libéralisme en le tournant en dérision.<br />
Leur démarche est simple : usurper<br />
l’identité de représentants de multinationales<br />
(tels que Mac Donald, Dow Che-<br />
2 The Yes Men Fix the World est visible ici : https://<br />
www.youtube.com/watch?v=nK3ov-okSZY sinon<br />
achetez leurs DVD et fouillez sur le Net !<br />
mical...) ou de l’OMC, et, ce faisant, piéger<br />
leur assistance lors de discours sans<br />
langue de bois dévoilant le cynisme crapuleux<br />
des ultra-libéraux. Ils rétablissent<br />
la vérité dans des séminaires et interventions<br />
publiques éminemment impertinentes.<br />
À hurler de rire !<br />
Dans une moindre mesure, il est possible<br />
de rendre notre quotidien plus<br />
ludique en sabotant tout ce qui nous<br />
démoralise : la pub, l’individualisme,<br />
le consumérisme... Pour cela nul n’est<br />
besoin d’élaborer des plans compliqués,<br />
d’ailleurs l’un des collaborateurs de MPP<br />
(désirant rester anonyme) nous dévoile<br />
quelques astuces d’enquiquineur chevronné,<br />
se désignant lui-même comme<br />
un foutrassier partisan de la masse critique<br />
minimale... Laissons-lui la parole :<br />
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 11<br />
« Nul n’échappe à son moi. Il le suit partout,<br />
dans sa vie de tous les jours. Moi est derrière<br />
lui. Et ce moi est superfétatoire : ce n’est pas<br />
la super-fête. À la fois calculé, joué d’avance,<br />
et en même temps inutile, remplaçable. Nous<br />
sommes remplaçables. Tous des déchets.<br />
Les flux ont tout envahi : réseaux routiers<br />
ou numériques, relations sociales, économiques,<br />
culturelles. Alexandre Vialatte l’a<br />
écrit : « L’Homme est devenu fluide. Je l’ai<br />
connu quand il était encore granuleux ».<br />
Pourtant il fait masse. Masse critique. Ce<br />
concept subtil et chimérique m’est venu justement<br />
en revenant d’une masse critique de<br />
cyclistes. Pédalant sur le chemin de la maison,<br />
je voyais bien que ma seule présence sur la<br />
chaussée crispait trois ou quatre automobilistes<br />
obligés de ralentir. Ma seule présence,<br />
pourtant polie, entravait le flux. J’étais une<br />
masse critique à moi tout seul !<br />
Le premier contre-pouvoir individuel qu’on<br />
peut dresser dans la dictature du fluide, c’est<br />
de retourner à notre granularité. Notre masse<br />
critique individuelle qui ronfle, pète, éternue,<br />
rote, rit, aime et pleure, et qu’il faudra enterrer<br />
un jour à grands coups de pelle. C’est du<br />
boulot !<br />
On peut coller un autocollant sur une publicité.<br />
Remettre un os de poulet au rayon viande<br />
du supermarché. Ou le tube de dentifrice<br />
vide. Ou le rouleau de PQ terminé. Au rayon<br />
fruits, avez-vous déjà enfoncé votre doigt<br />
dans une mangue ? C’est bien agréable. À la<br />
caisse, acceptez la carte de fidélité en posant<br />
de nombreuses questions. Mais ne l’utilisez<br />
pas. Et reprenez là encore et encore. Faites la<br />
collection 3 . Et si vous payez par carte, donnez-vous<br />
10 secondes pour taper le code. Une<br />
éternité. Vous êtes là, pourquoi vouloir si vite<br />
être ailleurs ?<br />
On peut prendre sa voiture pour participer<br />
à l’embouteillage un jour où on s’en donne le<br />
temps. Favorise l’empathie. Ou participer à<br />
pied en traversant 10 fois le passage piéton au<br />
carrefour encombré. Favorise la méditation.<br />
Dites-vous bien qu’en vérité, vous n’avez rien<br />
de mieux à faire.<br />
Vous pouvez aussi n’avoir pas de portable.<br />
Ou pas de frigo.<br />
Penser à tout ce qu’il bon d’avoir quand on ne<br />
le possède pas.<br />
À vous de jouer.<br />
Et surtout de déjouer. »<br />
Eh bien voilà, merci l’ami ! Vous avez<br />
maintenant quelques exemples de grains<br />
de sable à introduire délicatement entre<br />
les rouages de la machine à décerveler.<br />
Délicatement, joyeusement et sans scrupules<br />
aucuns. Juste pour rendre la vie<br />
un peu moins mécanique et éprouver<br />
ce petit frisson anodin, mais ô combien<br />
jouissif !<br />
3 Collection inégalée à ce jour, visible sur demande et<br />
bientôt exposée !
12 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
Questions à<br />
un expert en<br />
contre-pouvoir<br />
Réponses recueillies par M.AZ<br />
Jan Bucquoy<br />
Artiste belge, né en Flandre idéologiquement<br />
anar et inconditionnellement républicain,<br />
Jan Bucquoy s’attaque, de manière situationniste,<br />
aux mythes de l’histoire du royaume :<br />
de Tintin au roi Baudouin. Le premier est<br />
devenu une star porno sous les coups de pinceaux<br />
du peintre libertaire, le second, il l’a<br />
décapité symboliquement sur la Grand-Place<br />
de Bruxelles, il y a déjà 25 ans. Lors de cet<br />
acte révolutionnaire, des Dupont-Dupond<br />
arrêtèrent Jan de façon violente. Nous avons<br />
soumis Jan, personnage emblématique du<br />
contre-pouvoir à la sauce belge, à une séance<br />
de questions-réponses express.<br />
Comment définir un contre-pouvoir ?<br />
Par son contraire.<br />
Un homme célèbre dans l’histoire de<br />
Belgique l’illustrant ?<br />
Didier Odieu.<br />
Une femme contre le pouvoir ?<br />
Louise Michel.<br />
Un journal ?<br />
Le journal satirique français Hara Kiri.<br />
Un film culte ?<br />
« L’an 01 » 1<br />
Un livre ?<br />
« 1984 », de George Orwell édité en 1948.<br />
Les contre-pouvoirs existent-ils encore ?<br />
Oui<br />
Où sont-ils ?<br />
Dans nos têtes.<br />
1 Film français réalisé en 1973 par Jacques Doillon,<br />
Gébé, Alain Resnais et Jean Rouch. Il s’agit d’une<br />
adaptation cinématographique de la BD du même<br />
titre de Gébé, rédac’ chef à partir de 1969 d’« Hara<br />
Kiri », puis de « Charlie Hebdo », jusqu’en 1985.
La cuisine désobéissante<br />
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 13<br />
La recette<br />
de marcel<br />
de la jungle<br />
Jean-Philippe Querton<br />
Calais !<br />
Ses traditions bourgeoises, son port, son<br />
église Notre-Dame, son musée de la dentelle,<br />
sa jungle !<br />
Calais !<br />
Ce haut lieu touristique par excellence,<br />
pour preuve, ces voyageurs baptisés<br />
migrants qui, fermement décidés<br />
à rejoindre l’Angleterre, posent leurs<br />
bagages dans les merveilleux campings<br />
de la côte d’Opale, séduits par l’accueil<br />
des indigènes, la générosité des paysages,<br />
les embruns qui ravivent le teint et l’eau si<br />
pure qu’on pourrait s’y baigner.<br />
Sans oublier la cuisine régionale, ces<br />
spécialités issues d’un terroir où se<br />
mélangent savamment les produits de la<br />
terre et ceux de la mer.<br />
La mer !<br />
Cet infâme espace salé qui empêche le<br />
migrant d’accéder au rêve britannique.<br />
Mais ce rêve aura-t-il encore du sens<br />
quand le Syrien, loin de la terre qui le vit<br />
naître aura dégusté la cassolette d’escargot<br />
au maroilles ? Attention, il s’agit de<br />
vrais escargots, on ne la lui fait pas à<br />
notre joyeux convive, il sait que la plupart<br />
des conserves ne contiennent que<br />
des achatines, cette grosse limace noirâtre<br />
que l’on trouve en Afrique et que<br />
les autochtones eux-mêmes répugnent à<br />
manger, même en cas de famine.<br />
Dans la cantine de la jungle, Marcel, le<br />
cuistot, féru de véritable cuisine issue de<br />
la tradition française — sans défendre<br />
l’identité nationale pour autant — fera<br />
fondre une belle tranche de maroilles,<br />
un trait de crème fraîche épaisse et une<br />
poignée de gruyère râpé, il aura ajouté<br />
au mélange un trait de vin blanc sec et<br />
quelques tours de moulin à poivre, puis<br />
sur la douzaine de bestioles posées au<br />
fond un caquelon, il versera le mélange<br />
fondu, avant d’enfourner sous le grill à<br />
180° pendant quelques minutes, le temps<br />
qu’une croûte brunâtre et frémissante se<br />
forme, signal qu’il est temps de passer à<br />
table.<br />
Pas repu pour autant notre estivant en<br />
quête de sensation forte lâchera un rôt<br />
guttural, histoire que Marcel se magne<br />
avec la suite, c’est qu’il n’a pas que ça à<br />
faire, notre migrant, y a de l’expulsion<br />
dans l’air, y a le bruit des grues qui point<br />
à l’horizon, on démantèle son camp de<br />
vacances. Il y a la perspective d’autres<br />
contrées gourmandes à découvrir, pas<br />
simple de fuir l’état islamique, pas facile<br />
de survivre à la terreur du djihad et puis,<br />
ça creuse, toutes ces émotions, même si<br />
l’image de Bachar el Assad n’est pas pour<br />
mettre en appétit.<br />
Tant pis, en route pour le gratin de<br />
pommes de terre au hareng fumé. Il y a<br />
de la typicité, de la rusticité dans ce plat<br />
qui tient chaud au corps. C’est roboratif,<br />
fortifiant et donc essentiel pour que notre<br />
ami syrien puisse reprendre la route vers<br />
d’autres contrées où l’attendent potées<br />
et hochepot, gigots, cuissots et navarins.<br />
Pour lui et ses trois frères affamés,<br />
prévoir un bon kilo de pommes de terre<br />
de chair ferme, 500 grammes de hareng<br />
fumé, 40 centilitres de crème fraîche 5<br />
oignons (oui, le migrant tient à ce que<br />
l’on utilise l’orthographe traditionnelle).<br />
Émincez-les, faites-les revenir dans un<br />
peu de matière grasse. Épluchez les féculents,<br />
tranchez-les sur trois centimètres,<br />
rincez-les et cuisez-les à l’eau, tout en<br />
veillant à ce qu’elles conservent un peu<br />
de résistance sous la pointe du couteau.<br />
Une fois prêtes, vous en verserez la moitié<br />
dans un plat, vous déposerez les harengs,<br />
les oignons, puis le reste de patates. Salez,<br />
poivrez, versez la crème fraîche et passez<br />
au four à 200° pendant 10 minutes.<br />
Et maintenant, regardez-les, nos amis<br />
syriens. Ne sont-ils pas admirables de<br />
dignité dans leur goinfrerie ? Observez le<br />
pétillement de leurs yeux émus et fatigués.<br />
Une fois l’assiette saucée, il faudra que<br />
tu partes amis réfugiés.<br />
Une nouvelle aventure t’attend à<br />
Knokke-le-Zoute où le bourgmestre trépigne<br />
d’impatience à l’idée de t’initier<br />
aux joies de la noix de Saint-Jacques au<br />
beurre de caviar, aux plaisirs simples du<br />
millefeuille de foie gras truffé, à la jubilation<br />
que procure le ragoût de homard…<br />
Bon vent, l’ami.<br />
Tu ne connais pas ta chance.<br />
L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />
Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Sylvie Kwaschin, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel<br />
Abramowicz Mise en page Etienne Vanden Dooren, Serge Delescaille Contributeurs dessins Thomas Burion, Carbo (Bruno Carbonnelle), Yvan Carreyn, André Clette, Philippe Decressac, Serge Delescaille, Slobodan<br />
Diantalvic, Jacques Flamme, Jason, Kanar, Mickomix (Mickaël Serré), Rafagé, Jacques Sondron, Sticki, Yakana Contributeurs textes Manuel Abramowicz, Laura Camassi, André Clette, Bernard Hennebert, Sylvie<br />
Kwaschin, Dr Lichic, Mickomix, Jean-Philippe Querton, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Dominique Watrin.<br />
Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 7 de Même pas peur !<br />
Le site : http://www.memepaspeur-lejournal.net N° de compte BE28 0017 5410 1520
14 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016<br />
à la santé du business<br />
l’avoir dans le...<br />
sang Laura Camassi<br />
Oui vous voyez bien de quoi je veux parler...<br />
les petites crèmes pour avoir la peau douce,<br />
les produits de beauté, les 36 000 sortes de<br />
médicaments, les produits pour maigrir, pour<br />
se nourrir en protéines, compléments alimentaires...<br />
j’en passe. Voici ma paranoïa du mois.<br />
Rencontre du sale type Un<br />
Je suis malade. Physiquement, biologiquement.<br />
J’ai le diabète de type I. Il m’a<br />
fait coucou dès l’aube de mes 10 ans. C’est<br />
le diabète le plus rare. On peut dire que<br />
je me débrouille, ça va faire 11 ans que je<br />
l’ai et 4-5 ans que j’ai une pompe. Mais ça<br />
on s’en fiche, ne faites pas les saintes-ni<br />
touches, ce n’est pas cette partie de ma vie<br />
qui vous intéresse. En fait, dans ma paranoïa<br />
quotidienne et dans mes réflexions<br />
qui n’en finissent jamais, je me suis posée<br />
un instant.<br />
Lorsqu’à la télévision nous entendions,<br />
mes parents et moi, les avancées sur la<br />
guérison définitive du diabète, mon père<br />
était beaucoup plus enthousiaste que moi.<br />
Sérieusement, après quelques espoirs<br />
perdus, j’ai compris qu’il ne fallait pas<br />
m’emballer. Que je guérirais sans doute<br />
vers 30 ans (dans l’esprit d’un gosse, c’est<br />
tellement loin... maintenant que j’ai 21<br />
ans, ça me parait bizarrement plus près !).<br />
Depuis quelques années, je me dis que je<br />
ne guérirai jamais.<br />
Longue vie aux diabétiques<br />
Et puis, même si le diabète augmente les<br />
risques d’accident vasculaire et toute une<br />
série de cancers, de suicides et bla-blabla,<br />
je suis sûre que je vivrai bien longtemps<br />
avec mon pancréas déficient juste<br />
parce que la vie a décidé de m’ennuyer.<br />
Selon une enquête, «...parmi les certificats<br />
de décès de personnes résidant en France,<br />
34 599 mentionnent un diabète parmi les<br />
causes multiples de décès (6,3 %) et 11 675<br />
identifient le diabète comme la cause initiale<br />
du décès (2,1 %) ». Alors que par exemple,<br />
le cancer, les chiffres sont tout de suite plus<br />
lourds : « Ainsi, entre 1980 et 2012, on<br />
observe une augmentation du taux d’incidence<br />
de 27,9 % chez l’homme et de 42,9<br />
% chez la femme... » On a donc plus de<br />
chance à s’en aller d’un cancer que d’un<br />
diabète de type II (souvent après 75 ans).<br />
Pourquoi le diabétique vit-il<br />
vieux sans guérir ?<br />
En fait, tout cela veut dire qu’il y a peu<br />
de chance que je connaisse une vie normale<br />
(à part quand je mange en oubliant<br />
de faire mon test glycémique). En effet,<br />
si on supprime cette maladie, que vont<br />
devenir les diabétologues ? Que vont<br />
devenir les firmes qui produisent le<br />
matériel (seringues, pompes, insulines,<br />
tigettes, carnets, lancettes, testeurs glycémiques,<br />
housse de protection pour les<br />
testeurs, les ceintures pour accrocher/<br />
attacher la pompe, cathéters etc) ? Que<br />
vont devenir les infirmières ? Les podologues<br />
? Les ophtalmologues ? Les chausseurs<br />
spécialisés dans les godasses thérapeutiques<br />
pour les pieds diabétiques<br />
(cette journée du pied quand je vais en<br />
rendez-vous me pompe !) ? Les petites<br />
crèmes pour guérir la peau, les petites<br />
lingettes désinfectantes... tout un business<br />
qui s’en va ! Que va-t-on faire de<br />
ces gens qui travaillaient en symbiose<br />
avec le diabète ? Ils partiront en sucette !<br />
Quelle perte financière !<br />
Bref, pour du fric, je ne guérirais pas<br />
du diabète. Je mourrai avec. Je veux être<br />
enterrée avec mon testeur. Après je vous<br />
entends déjà dire : mais quelle pessimiste<br />
celle-là ! Gna gna gna... Allez-y, cassez du<br />
sucre sur mon dos, mais faites-le quand<br />
je suis en hypoglycémie, merci !<br />
Le problème avec les terroristes qui se font exploser, c’est qu’ils se<br />
dispersent.<br />
JPh
Claude François n’est pas mort, car il<br />
chante encore. Ce sera le 2 avril à Forest<br />
National, une grande soirée en hommage<br />
au plus ringard des chanteurs de variétoche<br />
à deux balles… Alors, Claude François,<br />
artiste ou businessman ?<br />
Non seulement la majorité de nos médias<br />
continuent encore aujourd’hui d’occulter<br />
auprès du grand public tout un pan de la<br />
création (de Léo Ferré à François Béranger<br />
ou Anne Sylvestre, pour ne citer que<br />
quelques noms) parallèlement au matraquage<br />
unilatéral des yé-yés dont Claude<br />
François constitue un symbole majeur,<br />
mais, concernant ce dernier, si on n’en a<br />
que pour lui, aucune investigation contradictoire<br />
n’a été entreprise à son propos. Et<br />
pourtant, il y a matière !<br />
Ce 2 avril 2016, Cloclo sera à nouveau<br />
l’objet d’une admiration quasi sectaire lors<br />
d’une soirée de commémoration organisée<br />
au temple bruxellois de la variétoche,<br />
Forest National.<br />
N’ayons pas peur de jouer l’empêcheur de<br />
tourner en rond. Voilà quelques infos peu<br />
connues qui vous permettront de mieux<br />
comprendre l’aspect tyrannique du personnage<br />
et de découvrir la manière bien<br />
peu artistique par laquelle il s’est installé<br />
dans l’Olympe des chanteurs à succès.<br />
AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 15<br />
Cloclo : beaucoup de mes<br />
disques ne sont pas si bons !<br />
Bernard Hennebert<br />
Je suis si puissant<br />
Quelques jours avant de donner un<br />
concert à l’Albert Hall, le chanteur se<br />
confiait au quotidien anglais The Guardian.<br />
Ses propos permettent de découvrir<br />
que ce n’est pas nécessairement la qualité<br />
des chansons et le respect du public qui<br />
guident les choix des médias : « Tous mes<br />
disques ont été numéro un au hit-parade »,<br />
déclare l’idole. « Quand ils ne sont pas numéro<br />
un au départ, parce qu’ils ne le méritent pas<br />
-je veux dire que la chanson n’est pas assez<br />
bonne- je suis si puissant à la télévision, que les<br />
gens, après avoir entendu la chanson dix fois,<br />
achètent le disque qui devient alors numéro un.<br />
C’est ce qui se passe tout le temps. Beaucoup<br />
de mes disques qui ne sont pas si bons ont été<br />
numéro un ».<br />
Presse pour jeunes<br />
Dans le même entretien, le chanteur<br />
explique comment il produit le mensuel<br />
qu’il vend à ses fans : « Je sais exactement<br />
comment faire Podium. Si je le faisais mieux,<br />
d’un seul coup, il ne se vendrait plus. Il doit être<br />
très rigide, très bête, ce qu’il est. J’ai un échantillon<br />
de six filles à l’étage, sur lesquelles je teste<br />
ce que je veux, comme ça je peux dire exactement<br />
ce qui est nécessaire ».<br />
Peu après la mort de Claude François,<br />
j’avais interviewé une de ses Claudettes :<br />
« Dans Podium, Claude ne disait que ce qu’il<br />
voulait bien. Parfois c’était vrai... Cette presse<br />
aux idoles prépare les gosses à lire ensuite la<br />
presse à sensation. Les propriétaires des journaux<br />
à idoles (souvent des producteurs de<br />
certaines vedettes ou des firmes de disques)<br />
mettent en évidence leurs poulains. Le public<br />
choisit dans le choix qu’ils ont déjà fait ou alors<br />
par le biais des hit-parades souvent bidons ».<br />
Alors que Dave n’avait pas encore fait en<br />
France son coming-out (à l’époque, en Hollande<br />
où la mentalité était différente, au<br />
contraire, il ne cachait pas son homosexualité<br />
et c’était plutôt vendeur), il explique<br />
ainsi comment il recourait aux services de<br />
l’agence de mannequins de Cloclo : « Ma<br />
fiancée hollandaise, c’était un mannequin de<br />
Claude François. C’est un coup, une histoire<br />
qu’on avait montée. Presque tous ces articles en<br />
sont. Je trouve ça tout à fait normal... »<br />
Quel marteau ?<br />
Le contenu du répertoire mérite également<br />
réflexion. Le 11 avril 1978, au cours<br />
d’une soirée d’hommage présentée en<br />
direct sur la première chaîne télé de la<br />
RTBF, l’animateur Edmond Blattchen<br />
donna la parole au journaliste Jacques Vassal<br />
(mensuel Rock & Folk). Celui-ci sortit de<br />
sa poche une lettre publique dont la lecture<br />
fit scandale à l’époque. Extrait : « ...Comme<br />
des milliers d’hommes et de femmes pour qui<br />
la chanson représente le moyen d’expression<br />
populaire par excellence, je t’en ai voulu d’avoir<br />
fait d’une chanson américaine de combat, un<br />
éloge du conformisme bourgeois... ».<br />
Il s’agissait de « Si j’avais un marteau »,<br />
inspiré d’une chanson de Pete Seeger qui,<br />
dans sa version initiale, prêchait la reconnaissance<br />
des droits civiques dans une<br />
Amérique du Nord ségrégationniste.
16 / Même pas peur N o 74 / AVRIL NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016<br />
2015<br />
Brèves...<br />
de trottoir<br />
► ► ► Philo<br />
Après le « Pari de Pascal », le « Pari de<br />
Couille Molle » :<br />
— Moi, je ne crois pas en Dieu, mais je lui<br />
fais croire que j’y crois. Comme ça je suis<br />
tranquille.<br />
► ► ► Libéralisme<br />
On croit souvent que les libéraux sont<br />
tous des calculateurs. C’est faux. Tiens,<br />
regarde Jacqueline Galant…<br />
► ► ► Probabilités<br />
Couille Molle : — Tu as vu ce que je lis<br />
sur le journal, fieu ? « La probabilité d’être<br />
victime d’un attentat est actuellement<br />
aussi faible que de gagner le gros lot à<br />
Euro millions »… Bon, mais c’est toujours<br />
pas ça qui m’empêchera de jouer à<br />
Euro millions.<br />
► ► ► Économie<br />
Tu as voté pour la loi de l’offre et de la<br />
demande, toi ?<br />
► ► ► Actu<br />
Le parlement wallon approuve le saut<br />
d’index des loyers.<br />
Couille Molle : « Moi je te le dis, fieu : si les<br />
syndicats de locataires continuent à exiger<br />
toujours plus des propriétaires, ceuxci<br />
finiront par délocaliser… »<br />
► ► ► Asile<br />
Un type qui tient des propos incohérents,<br />
c’est quelqu’un qui a été déchu de sa<br />
rationalité ?<br />
► ► ► Religion<br />
Que celui qui n’a jamais péché apprenne.<br />
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