PHOTOGRAPHIE Qu’est-ce qui vous a amené à la photographie ? C’est un mélange de visites d’expos de Beaux-Arts et d’art moderne. Rapidement je me suis intéressé au portrait et j’ai pensé que j’avais plus à apprendre dans les œuvres de Van Eyck et Vélasquez que dans la photographie contemporaine. En 1995 j’ai vu une exposition de Mondrian à Washington où j’ai été fasciné par le paradoxe entre le désir de faire quelque chose - la volonté de rigueur d’un artiste - et la limite humaine du projet -voir face à la peinture la « main qui tremble ». J’ai vraiment pris ça comme un étalon dans mon travail. Mes 1ers portraits photographiques se déroulaient dans un cadre très contrôlé, au sens vertical, horizontal, perpendiculaire. Il y avait cette frontalité qui pouvait ressembler à des aplats, puis j’ai pris des libertés par rapport à l’espace, aux perspectives et à la frontalité, plus sous l’influence de la peinture de Bacon que de la photographie de Richard Avedon. Pourquoi ne vous êtes-vous pas lancé dans la peinture ? Quand j’ai commencé à faire de la photographie, je me suis retrouvé face aux travaux historiques de Sander et à la photographie des voyageurs et grands photographes du XIX ème siècle qui m’ont particulièrement inspirés. Peut-on dire que la composition est essentielle dans vos photographies, comme dans un tableau ? L’idée de la composition -le choix des couleurs, des espaces, des catégories, des silhouettes et des personnes- est essentielle dans mes photos. Plus l’environnement a été pris en compte dans sa complexité, plus il a fallu travailler la composition. Quand on commence un projet dans un couloir, dans une école ou dans un régiment de la légion étrangère, on n’a pas le même rapport à la surface et à l’espace que lorsqu’on se retrouve face à la chaîne des Pyrénées. Je suis parti d’une approche très frontale et minimale pour arriver progressivement à intégrer la nature, l’espace, le mouvement et c’est encore des choses sur lesquelles je me questionne. Ainsi, dans mes 1 ers projets entre 1998 et 2001 je ne travaillais pas du tout en studio et je recherchais un fond abstrait, une matière, une texture de peinture, le grain d’un mur ou d’un papier peint. Il fallait cet équilibre entre le portrait de la personne en uniforme, la production même de cet uniforme qui apportait une certaine forme d’abstraction, et le fond qui était assez minimal. Quel matériel photo utilisez-vous ? Je travaille avec un appareil numérique Phase One en 80 millions de pixels. J’utilise des lumières de studio et je me sers toujours du flash. J’éclaire tout ! Comment faite-vous pour trouver vos sujets ? Je suis sur un projet en plusieurs chapitres dans lesquels j’avance logiquement comme si j’avais une mission, mais il y a toujours une part de hasard. Parfois c’est en feuilletant un magazine touristique, parfois c’est dans une station-service en faisant le plein –pour mes éléphants peints–, parfois c’est en visitant une maison que je trouve mes sujets. Et puis il y a des rencontres. Il y a toujours une quête de groupes et de communautés qui pourraient correspondre à mon travail. Au-delà d’un regard porté sur un groupe, peut-on dire que vous travaillez sur l’identité fantasmée ? Exactement ! Les milieux que je photographie ont des identités parfois proches de la mascarade avec leur costume scolaire, militaire, sportif ou religieux. Désormais les groupes qui m’intéressent ont plus à voir avec une certaine forme de théâtralité et de mise en scène de soi qui fait que souvent c’est l’identité fantasmée du groupe qui prime sur l’identité d’une personne en costume. D’ailleurs dans la plupart de mes derniers projets, on ne voit pas le visage des gens. Ici, l’aboutissement du projet est de faire une image où on a l’impression de faire face à une créature, une silhouette, où on ne se pose pas la question de qui est en dessous, même si cela a une importance d’un point de vue documentaire. Pouvez-vous nous parler de votre série sur les basques, où justement on ne distingue pas les visages des personnages ? Quand j’ai exposé au musée basque à Bayonne il y a 2 ans 1/2, j’ai vu un film de 1930, sur la culture basque où on voit une pastorale qui est un spectacle en plein air. C’est le type le plus ancien de théâtre en Europe. Il est codifié, frontal, et les personnages ont une élocution particulière. Les scènes durent 3 h et impliquent la presque totalité des habitants des villages qui sont volontaires et qui répètent toute l’année. J’ai donc débuté une nouvelle série qui s’appelle « La suite Basque ». Les 1ers portraits représentent une histoire datant de l’inquisition, où un inquisiteur venu de Bordeaux avait brûlé des femmes qu’il voyait comme des sorcières avec leurs coiffes traditionnelles très évocatrices. Ensuite il y a 2 pastorales avec des personnages religieux, des aristocrates qui portent tous un bâton. Pour finir, j’ai réalisé 2 séries en couleurs qui représentent, Les Ainarates, les filles du pays basque espagnol qui traversaient les Pyrénées
PHOTOGRAPHIE 4 _ Majorettes, 2000-2001 © Charles Fréger _ Fantasias, 2008 © Charles Fréger _ Empire, 2004-2007 © Charles Fréger