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L’énigme

Comment s’explique l’opacité totale qui plane sur les niveaux de prix des médicaments? Qui intervient dans la chaîne de valeur? Quelles sont les marges des différents intervenants dans la chaîne de commercialisation? Et pour quelles raisons les pouvoirs publics sont-ils, dans un secteur pourtant névralgique, devenus adeptes d’un laisser-faire suspect? Cette enquête dévoile les dessous de la fixation des marges à la fois des grossistes et des pharmaciens et rappelle que, souvent, les prix prohibitifs des médicaments trouvent leur source dans les dépenses marketing exorbitantes des grands laboratoires pharmaceutiques. Une série de contre-vérités seront démystifiées grâce à cette investigation qui préfigurera, quelques années plus tard, la baisse massive des prix de 1.500 médicaments dont le ministre de la Santé Houcine Louardi fut l’instigateur.

Comment s’explique l’opacité totale qui plane sur les niveaux de prix des médicaments? Qui intervient dans la chaîne de valeur? Quelles sont les marges des différents intervenants dans la chaîne de commercialisation? Et pour quelles raisons les pouvoirs publics sont-ils, dans un secteur pourtant névralgique, devenus adeptes d’un laisser-faire suspect? Cette enquête dévoile les dessous de la fixation des marges à la fois des grossistes et des pharmaciens et rappelle que, souvent, les prix prohibitifs des médicaments trouvent leur source dans les dépenses marketing exorbitantes des grands laboratoires pharmaceutiques. Une série de contre-vérités seront démystifiées grâce à cette investigation qui préfigurera, quelques années plus tard, la baisse massive des prix de 1.500 médicaments dont le ministre de la Santé Houcine Louardi fut l’instigateur.

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020<br />

Consommation par paniers de soins à la CNSS<br />

Élément plaidant pour la baisse des prix des médicaments, la part<br />

prépondérante des affections de longue durée (26%).<br />

Hospitalisation<br />

68%<br />

Source: CNSS<br />

ALD<br />

26%<br />

Maternité<br />

2%<br />

Enfant<br />

5%<br />

d’entre elles seraient en difficulté.<br />

«Aujourd’hui, le pharmacien est lui-même<br />

malade. Il réalise un chiffre d’affaires<br />

moyen de 500.000 dirhams, le chiffre le<br />

plus bas de tout le monde arabe bien que<br />

notre industrie pharmaceutique soit des<br />

plus performantes», tonne-t-il.<br />

Pire encore, la profession agit dans<br />

un environnement miné du fait de<br />

l’anarchie qui règne dans la distribution<br />

du médicament. Des laboratoires,<br />

des communes sans parler des contrebandiers…Tout<br />

ce monde vend des<br />

médicaments au Maroc constituant<br />

ainsi une concurrence déloyale vis-à-vis<br />

des pharmaciens.<br />

Chère, chère… la promotion<br />

Si la situation des pharmaciens est<br />

aussi déplorable, où réside donc alors le<br />

problème du prix du médicament? Estce<br />

au niveau des frais de douane? De la<br />

TVA? Du prix de base des laboratoires<br />

eux-mêmes?<br />

À l’origine, le prix du médicament est<br />

fixé à l’international par le laboratoire<br />

qui le produit. C’est ce qu’on appelle le<br />

FOB, Free on board, le prix du fabricant<br />

hors taxes. «Et c’est là où il faut agir»,<br />

expliquent plusieurs sources médicales.<br />

Pointés du doigt, les laboratoires montent<br />

au créneau. «Le marché est réglementé.<br />

Les laboratoires internationaux ne<br />

représentent que 58% du prix final public.<br />

Le reste va aux marges des grossistes et des<br />

Enquête|Santé<br />

pharmaciens», se défendent les responsables<br />

de Maroc Innovation santé (MIS),<br />

un groupement de 13 multinationales<br />

pharmaceutiques.<br />

Cela dit, ils conviennent que leur<br />

produit est cher car la recherche est<br />

chère. «Un laboratoire dépense jusqu’à 1<br />

milliard de dollars pour inventer une molécule,<br />

avec le risque que tout cet argent parte<br />

en fumée au bout de 10 ans de recherche»,<br />

soutiennent les responsables du MIS.<br />

Sans compter les frais de formation des<br />

médecins et de promotion. Justement,<br />

combien ces frais de promotion représentent-ils<br />

dans le prix du médicament?<br />

Aucune indication n’a été donnée par<br />

le MIS. «Chaque laboratoire a sa propre<br />

politique de promotion», s’y contentet-on<br />

d’avancer. C’est la question qui<br />

fâche. Une grande partie du flou qui<br />

entoure le prix du médicament réside au<br />

niveau des frais de promotion. En 2005,<br />

un livre du docteur belge, Dirk Van<br />

Duppen, «La guerre des médicaments.<br />

Pourquoi sont-ils si chers?», paru aux éditions<br />

Aden, a jeté un pavé dans la mare.<br />

L’auteur y rapporte que les firmes pharmaceutiques<br />

investissent deux fois plus<br />

dans le marketing que dans la recherche.<br />

Des frais de marketing qui, au final,<br />

sont supportés par le consommateur.<br />

En toute logique, le Maroc ne peut<br />

pas être un cas isolé de ce qui se passe<br />

à l’international. Mais les laboratoires<br />

internationaux préfèrent détourner<br />

l’attention sur un autre sujet. «Toute cette<br />

«Quand un laboratoire fixe le prix d’un médicament<br />

innovant au Maroc, ce prix-là n’est pas révisé<br />

comme cela se fait dans le pays d’origine»<br />

polémique sur le prix du médicament n’est<br />

que la partie visible de l’iceberg. À l’origine,<br />

c’est notre système de santé qui est défaillant<br />

à cause de la pauvreté du budget du<br />

ministère de la Santé», soutient un cadre<br />

d’un laboratoire international de renom.<br />

Il n’en demeure pas moins que la<br />

problématique du prix international de<br />

référence est le véritable enjeu. «Quand<br />

un laboratoire fixe le prix d’un médicament<br />

innovant au Maroc, ce prix-là n’est<br />

pas révisé comme cela se fait dans le pays<br />

Les droits de douane,<br />

un faux problème<br />

Les droits de douane sont-ils responsables du<br />

prix élevé du médicament? Rien n’est moins<br />

sûr, même si les laboratoires pharmaceutiques<br />

s’en plaignent. Car les médicaments portant sur<br />

les pathologies lourdes, qui posent réellement<br />

problème au niveau des prix, sont soumis au<br />

droit minimum de 2,5%. «Notre logique est<br />

d’imposer au minimum les produits sensibles<br />

pour permettre au patient d’y accéder. Par<br />

contre, la fiscalité douanière augmente pour les<br />

produits importés qui ont des similaires au Maroc.<br />

Dans ce dernier cas, il s’agit d’une mesure<br />

protectionniste», explique un responsable de la<br />

Douane.<br />

Normalement, les droits de douane sont évolutifs.<br />

Chaque fois que le Maroc a besoin d’une<br />

technologie innovante à l’international, cette<br />

dernière bénéficie du régime le plus favorable,<br />

car c’est un enjeu de santé publique. Pour les<br />

autres médicaments, qui ne présentent pas un<br />

réel enjeu de santé ou dont des copies existent<br />

au niveau local, les taux sont assez importants.<br />

Ils vont de 7,5% à 35%. Des taux qui, de toutes<br />

les façons, sont appelés à baisser à cause du<br />

démantèlement.<br />

d’origine», glisse un opérateur médical.<br />

Légalement, chaque fois que ses prix<br />

baissent à l’international, un laboratoire<br />

doit aviser le ministère de la Santé<br />

pour que cette baisse soit répercutée<br />

au Maroc. Cette procédure est aussi<br />

exigée pour les changements de taux de<br />

change. «Mais le ministère de la Santé ne<br />

révise pas facilement», confie le dirigeant<br />

d’un laboratoire. Pourquoi? Malgré nos<br />

multiples sollicitations, ni le ministère<br />

de la Santé ni l’Agence nationale de<br />

l’assurance maladie (ANAM) n’ont<br />

voulu répondre à nos questions. De quoi<br />

aiguiser la suspicion sur ce dossier.<br />

Tout compte fait, le grand responsable<br />

est identifié. «Le prix public des médicaments<br />

est fixé par le ministère de la Santé.<br />

Si le ministère veut un prix plus bas, il<br />

peut l’obtenir», conclut un membre de la<br />

commission d’information parlementaire.<br />

Le mot est lâché. Ce sont nos réglementations<br />

qui posent problème. Et<br />

il est grand temps qu’elles soient révisées<br />

pour tirer au clair cette nébuleuse qui<br />

entoure le prix du médicament. E|E<br />

Economie|Entreprises Avril 2009

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