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Marianne

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l’éditorial de jacques julliard<br />

la carrière<br />

ou le destin ?<br />

Parlons franchement : si Emmanuel Macron<br />

réalise au bout de cinq ans le programme dont<br />

il a donné les grandes lignes dans son interview<br />

du Point du 31 août, il sera le plus grand<br />

président de la V e République après Charles<br />

de Gaulle, peut-être même à égalité avec lui.<br />

Certes, la plupart de ces mesures figuraient<br />

déjà dans son programme électoral, mais les<br />

réaffrmer plus de trois mois après son élection, alors<br />

que sa cote de popularité est en forte baisse, témoigne<br />

d’un certain cran, d’aucuns diront d’une vraie témérité.<br />

Je cite, un peu en vrac : réformer, après le code du<br />

travail, l’assurance chômage et surtout ce Léviathan, la<br />

formation professionnelle ; réviser de fond en comble<br />

les politiques de l’emploi, du logement, de la santé ;<br />

redresser l’Education nationale qui donne de la gîte, et<br />

investir massivement dans la recherche scientifique ;<br />

réformer le bac et instaurer la sélection à l’entrée du<br />

supérieur ; moderniser nos armées confortées dans<br />

leurs tâches, restituer sa souveraineté à l’Europe, la<br />

doter d’un budget conséquent et se donner les moyens<br />

d’une véritable défense commune ; lutter effcacement<br />

contre le terrorisme islamiste.<br />

En un mot, « rendre sa fierté » au pays et refaire de la<br />

France « une grande puissance », en « renouant avec<br />

l’héroïsme politique » (je cite textuellement). Est-ce là<br />

un programme de gauche ? Non, naturellement non,<br />

parce qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de programme de<br />

gauche digne de ce nom, et qu’il ne peut y en avoir à court<br />

terme. Pourquoi ? Parce que la gauche institutionnelle,<br />

du PS résiduel au PCF résiduel, en passant par Hamon<br />

et Mélenchon, n’a pas d’autre dessein que la défense du<br />

statu quo, considéré comme un indépassable sommet<br />

de félicité. Soit ! Le hic, c’est que les moyens préconisés<br />

reposent tous sur une augmentation massive des<br />

dépenses et sur une réduction non moins massive des<br />

recettes. En bout de ligne, impossible d’imaginer autre<br />

chose qu’une sorte de Venezuela à la française. Grand<br />

merci ! La révolution étant hors de saison, la réforme<br />

écartée avec dédain et le statu quo impossible, il ne<br />

reste au fond du chaudron de la gauche qu’un magma<br />

informe qui n’a de nom dans aucune langue.<br />

Alors, est-ce un programme de droite ? Oui, à bien des<br />

égards puisque l’on commence par donner satisfaction<br />

au patronat, par matraquer les classes moyennes en<br />

ménageant les grandes fortunes (ISF), tandis que, a<br />

priori, il s’agira dans le meilleur des cas pour les classes<br />

populaires d’un jeu à somme nulle. La cause paraît<br />

entendue. Notons toutefois que, lors de son retour au<br />

pouvoir, le général de Gaulle passait alors pour beaucoup<br />

plus à droite que Macron aujourd’hui : réactionnaire<br />

pour les uns (Mitterrand, Mendès France), néocapitaliste<br />

pour les autres (Serge Mallet) ; bonapartiste<br />

et antirépublicain pour les uns (René Rémond), fasciste<br />

pour les autres (le Parti communiste).<br />

Pourtant, quatre ans plus tard, chacun devait bien<br />

convenir que le bilan du Général n’était pas spécialement<br />

de droite : décolonisation de l’Algérie, relance de<br />

l’économie, renforcement des institutions républicaines,<br />

indépendance nationale. Autrement dit, de Gaulle avait<br />

gouverné à gauche de son électorat, en se plaçant résolument<br />

en surplomb de celui-ci et en faisant, en somme,<br />

à la France le don de sa personne…<br />

La situation d’Emmanuel Macron en 2017 n’est pas<br />

sans points communs avec celle de De Gaulle en 1958.<br />

Avec même une diffculté supplémentaire : il a été élu<br />

à partir d’un socle de premier tour modeste (24 % des<br />

voix). Son centrisme, minoritaire, risque de le devenir<br />

chaque jour davantage, à mesure que le danger lepéniste<br />

s’éloigne et que les épreuves du pouvoir se rapprochent.<br />

Sa seule voie de salut est donc de prendre de la hauteur<br />

par rapport à sa base électorale. De Gaulle se gardait<br />

bien d’être « gaulliste », et on imagine mal le bon Dieu<br />

« pratiquant ». Macron n’a donc pas intérêt à être macronien<br />

; il doit demeurer Macron, tout court, c’est-à-dire<br />

un ovni politique. Il est donc condamné à être seul et<br />

unique et à le devenir chaque jour davantage. Prononçons<br />

un gros mot : à exercer un pouvoir personnel. Dans<br />

les moments diffciles, la Rome antique avait recours<br />

à une sorte de « dictature républicaine » provisoire :<br />

c’est parfois le seul moyen de sauvegarder les libertés<br />

démocratiques. Et de réveiller le pays.<br />

Pour accomplir ses 12 travaux, Hercule a besoin de<br />

se souvenir qu’il est fils de Jupiter… C’est dire qu’Emmanuel<br />

Macron a parfaitement conscience de son équation<br />

personnelle : elle passe par le contact direct avec le<br />

peuple et l’établissement de ce que les Anglo-Saxons<br />

appellent le leadership démocratique. Tel n’est pas le<br />

cas pour le moment. Il est jeune, il est beau, il est béni<br />

des dieux : autant de handicaps auprès des Français,<br />

qui préfèrent en général en pareil cas le magistère d’un<br />

vieillard, au moins cela dure moins longtemps.<br />

Dans ces conditions, renouer avec le parlementarisme,<br />

fût-il modernisé, rationalisé, revigoré, serait pour<br />

lui une erreur mortelle. Il ne serait plus alors qu’un frêle<br />

esquif centriste, coincé et ballotté entre les deux gros<br />

paquebots remis à flot de la droite et de la gauche.<br />

Il reste donc à Macron de devenir un entraîneur,<br />

comme l’avait été de Gaulle. « C’est entendu, ce sont le<br />

centre et la droite qui me soutiennent ; mais moi, c’est la<br />

France, toute la France, que j’entends soutenir. Aidez-moi ! »<br />

Il ne suffra pas de le dire. Il faudra le prouver. Macron<br />

est-il capable de risquer sa carrière pour accéder<br />

à un destin ? n<br />

6 / <strong>Marianne</strong> / 8 au 14 septembre 2017

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