2 / Même pas peur N o <strong>15</strong> / JANVIER 2017 JANVIER 2017 / Même pas peur N o <strong>15</strong> / 3 L’Éditorial Jean-Philippe Querton Détour vers le futur Parlez-moi d’avenir et les références cinématographiques se bousculeront automatiquement dans mon petit cerveau torturé. Il est vrai qu’en la matière, le septième art compte pléthore d’exemples, dont peu cependant offrent de réjouissantes perspectives. Dans La route, Viggo Mortensen et son gamin fuient l’apocalypse sous un ciel noirci par la pollution, la cendre finissant par avoir la peau du paternel après d’interminables quintes de toux. Sombre destin également pour une humanité frappée d’infertilité (non, on ne se réjouit pas) dans Les fils de l’homme, où les voitures piégées explosent à tous les coins de rue. Les différentes versions de Mad Max ont ceci en commun que des barakis roulent comme des pétés dans des bagnoles tunées et s’étripent pour le pétrole. Dans ce sinistre paysage filmique d’anticipation, il arrive quelquefois que les Mark Harris sociétés ne soient pas totalement disloquées. Elles tiennent alors à coups de médocs (Equilibrium), de mesures totalitaires (V pour Vendetta) ou par la crainte de voler en taule avant d’avoir fait quoi que ce soit (Minority report). Mais le must en matière de contrôle des populations, c’est de maintenir les hominidés dans l’illusion d’un monde parallèle, comme dans la trilogie Matrix. Pratique, peu risqué et pas cher ! Quand ces foutus bipèdes ne sont pas assez malins pour se gérer eux-mêmes, il est également possible de déléguer cette tâche à des machines qui, elles, s’épargneront les états d’âme (I, robot). Occasionnellement, il est même possible de voir un bête type vivre une folle histoire d’amour avec son système d’exploitation (drôle de nom, quand on y pense) qui, il est vrai, ne coûte pas cher en restos, ferme sa gueule quand on lui demande et n’aura jamais l’audace de vous faire un procès en éjaculation précoce (Her). Reconnaissons donc que certains tas de métal peuvent nous sembler éminemment sympathiques, tel ce pauvre Wall-E réduit à dénicher la dernière plante que les anthropoïdes, devenus obèses, n’ont pas fait crever. Mais ma palme revient à Idiocracy, dont le pitch est particulièrement savoureux : « Joe Bowers, l’Américain moyen par excellence, est choisi par le Pentagone comme cobaye d’un programme d’hibernation, qui va mal tourner. Il se réveille 500 ans plus tard et découvre que le niveau intellectuel de l’espèce humaine a radicalement baissé et qu’il est l’homme le plus brillant sur la planète... ». En 2507 donc, un type relativement médiocre passe pour un génie auprès de ses pairs (américains, sinon c’est pas crédible) abrutis par la télévision, gavés d’une boisson chimique dont ils s’étonnent qu’elle ne fasse pas pousser les plantes et gouvernés par un président demeuré s’étant autrefois illustré dans le catch. Heureusement, tout ceci n’est que de la fiction… Charlie-Hebdo, deux ans après… Ils sont morts pour rien, c’est l’évidence. On a observé un déferlement des manifestations de soutien, une mobilisation internationale sans précédent et des centaines de milliers de cris lancés pour défendre la liberté d’expression, pourtant l’ère de la peur et du silence s’est bel et bien installée et on ne sait pas trop quand on en sortira. Pour ceux qui ont pris le parti d’en rire, les temps sont durs, c’est l’amertume qui a pris le pas sur les autres manières de s’exprimer. Il nous faudra continuer à nous battre pour défendre tous les moyens d’expression, surtout les plus alternatifs, il nous faudra continuer à écrire, à publier, à dessiner, à peindre, à faire des films, à chanter, à faire de la musique, à organiser des rencontres, à nous retrouver pour nous nourrir mutuellement de nos réflexions individuelles, à partager nos savoirs, nos analyses, nos lectures de ce monde qui prend une étrange direction. Parce que nous sommes nombreux et qu’il est important d’en prendre conscience pour s’extraire de nos solitudes, de l’isolement dans lequel le système nous pousse à nous confiner, parce que nous sommes assoiffés de changement, parce que nous voulons un monde en mouvement, un monde qui rigole, un monde d’espoir et de tolérance, nous continuerons donc à faire la fête et à revendiquer de faire autre chose de nos vie que de travailler pour un salaire plutôt que pour le plaisir, parce que le vrai sens de l’existence, c’est la liberté. Que votre vie soit fête et résistance, voilà le souhait que nous vous adressons pour cette année qui démarre.