10.02.2018 Views

Epistemologie des sciences sociales

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ecoupe également le couple du génotype et du phénotype, de sorte qu’au cours <strong>des</strong> années soixante sa<br />

théorie ouvrit à Chomsky un dialogue étendu avec les <strong>sciences</strong> de la vie, puis de la cognition. Il devenait<br />

tentant de voir dans la langue un organe, et de chercher un parallèle entre l’ordre linguistique <strong>des</strong><br />

structures profon<strong>des</strong> et l’ordre neuronique ; de même, la formalisation de la machine logique qu’est toute<br />

grammaire, et les opérations de permutation et de substitution qui composent les transformations entre «<br />

niveaux » profonds et de surface, offraient de prometteuses passerelles entre la linguistique générative et<br />

les <strong>sciences</strong> de l’ordinateur. La formalisation logique <strong>des</strong> performances linguistiques, et les espoirs mis<br />

dans les logiciels de traduction, ou dans <strong>des</strong> dialogues homme-machine toujours plus proches de la parole<br />

vernaculaire, doivent beaucoup à l’innéisme et au « cartésianisme » défendus par Chomsky. Inversement,<br />

l’essor <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de pragmatique au cours de ces mêmes années a permis de prendre une autre<br />

conscience de la complexité <strong>des</strong> échanges linguistiques ordinaires, et nous éclaire mieux sur les limites<br />

ou sur le piétinement <strong>des</strong> modèles logico-déductifs ou cartésiens dans ce domaine.<br />

Le tournant pragmatique<br />

Revenons à la sémiotique constructiviste (et non représentationnaliste) de Peirce. Elle anticipait de<br />

plusieurs manières la pragmatique, en refusant par exemple de ranger les signes dans <strong>des</strong> catégories fixes<br />

: il n’y a pas de signe en soi, ni de signes qu’on puisse dire totalement indiciel, icônique ou symbolique,<br />

tout est affaire de ground et d’interprétant, en bref de contexte et d’usage. En envisageant les signes en<br />

acte, et en répétant que leur sens réside dans l’usage, cette sémiotique dynamique annonçait clairement les<br />

thèses du « second Wittgenstein » (celui <strong>des</strong> Investigations philosophiques de 1953). Mais si d’autre<br />

part nous ne pouvons penser hors <strong>des</strong> signes, nous ne pouvons pas davantage et pour la même raison<br />

penser seuls : contre Descartes, Peirce refusait avec vigueur la possibilité d’une intuition privée, ou<br />

immédiate ; il soutenait que toute acquisition de connaissance est un processus collectif, que notre savoir<br />

ne reflète pas nos états mentaux mais relève d’habitu<strong>des</strong> et de dispositions, que l’individu isolé ne peut<br />

s’ériger en juge absolu de la vérité et que le for intérieur, ou l’homme privé, n’est jamais un point de<br />

départ ni une cause mais le produit d’interactions publiques, un maillon dans une chaîne de facteurs<br />

biologiques, psychologiques, sociaux, techniques, sémiotiques, langagiers… Du même coup, Peirce<br />

retournait Descartes comme un gant ; ce que celui-ci avait mis dedans (le cogito, les évidences<br />

rationnelles), lui le projetait au-dehors, dans le réseau indéfiniment mouvant de nos relations. Ce primat<br />

de la relation constitue l’autre grand motif, anticartésien, d’une pragmatique en général. Une troisième<br />

distinction enfin, celle du token et du type, anticipait directement l’une <strong>des</strong> plus nobles conquêtes <strong>des</strong><br />

<strong>sciences</strong> du langage poststructuralistes, la distinction de l’énoncé et de l’énonciation. Étude de<br />

l’énonciation et <strong>des</strong> contextes d’usage, inflexion de ces usages verbaux en direction moins de la<br />

connaissance que de routines d’influence et d’action, primat enfin de la relation : ces trois axes bien<br />

présents chez Peirce se retrouvent échelonnés dans la mouvance pragmatique telle qu’elle se développe<br />

depuis les années 1960 pour analyser les conditions concrètes de la parole et de l’acheminement du sens,<br />

en réaction – ou en complément – aux étu<strong>des</strong> structuralistes, puis génératives, <strong>des</strong> co<strong>des</strong> de la langue.<br />

Les déictiques et les marqueurs d’énonciation<br />

Le plus simple pour aborder ce premier cercle ou ce noyau dur de la pragmatique est de repartir de la<br />

très claire distinction du type et du token d’une phrase, en remarquant que la vérité de certains énoncés<br />

est context free, indépendante <strong>des</strong> conditions de leur énonciation : c’est le cas <strong>des</strong> énoncés logiques ou<br />

scientifiques jadis privilégiés par les analyses philosophiques du langage, du type « Socrate est mortel »<br />

ou « Le bois flotte sur l’eau »… Par contre, la phrase : « Longtemps je me suis couché de bonne heure »,

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!