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Epistemologie des sciences sociales

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On aimerait pouvoir poursuivre l’énumération pour la sociologie et révéler un noyau aussi dense et<br />

circonscrit d’opérations de connaissance. Or, si les variations autour du centre sont, pour chacune <strong>des</strong><br />

disciplines décrites, multiples et parfois fort lointaines, il n’en demeure pas moins qu’un centre est<br />

clairement identifiable. Les choses sont beaucoup moins nettes pour la sociologie, qui semble moins se<br />

définir par un pôle méthodologique partagé que par un espace de débat récurrent. Trois traits sont<br />

cependant impliqués dans la majeure partie de ses multiples variations :<br />

l’intérêt pour la modernité, c’est-à-dire, non seulement pour le social en général, mais pour<br />

l’identification, la thématisation du monde en devenir perpétuel qui se construit à partir du xvii e<br />

siècle en Europe et rompt avec les équilibres antérieurs. Un jeu homologue d’oppositions<br />

conceptuelles trace ainsi, dès la fin du xix e siècle, la frontière entre les sociétés traditionnelles,<br />

domaine de la « Gemeinschaft » pour Tönnies, de la « solidarité mécanique » pour Durkheim et la<br />

société moderne, domaine de la « Gesellschaft » ou de la « solidarité organique ». À la différence<br />

<strong>des</strong> lois d’évolution définissant les étapes du développement social, que l’on trouve chez Comte,<br />

Marx ou Spencer, ces dichotomies rectrices ont été d’autant plus utilisées qu’elles permettaient de<br />

thématiser la coexistence et la transmutation <strong>des</strong> deux modèles dans les sociétés modernes. On peut<br />

considérer comme un déplacement de cette opposition l’intérêt contemporain pour les oppositions<br />

alternatives modernité/postmodernité, modernité/surmodernité ;<br />

le souci <strong>des</strong> faits empiriques, organisant l’appel à une batterie de techniques de recueil et de<br />

traitement de données subsumables sous le terme commun d’enquête. Mais, à la différence <strong>des</strong><br />

autres <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ici considérées – si l’on excepte l’ethnologie où le terrain, au sens moderne,<br />

a été précédé de divers mo<strong>des</strong> de collecte de matériaux – les canons de l’enquête sociologique, qui<br />

constituent aujourd’hui un patrimoine commun de la discipline, ne se sont élaborés que relativement<br />

tard, entre les deux guerres mondiales, alors que les premières gran<strong>des</strong> œuvres de la discipline<br />

datent de la fin du siècle dernier. Cependant, si le rapport aux matériaux ne prend pas la forme d’une<br />

codification ou d’un engagement stricts comme dans les autres disciplines, la nécessité de sa<br />

présence est affirmée par la plupart <strong>des</strong> courants sociologiques [20] ;<br />

la prétention à la construction d’une connaissance générale, théoriquement ou scientifiquement<br />

pertinente. L’opposition entre les deux termes ne concerne pas l’ampleur de la prétention – ou de sa<br />

dénégation dans certains courants critiques, comme l’ethnométhodologie – mais ses modalités : la<br />

sociologie peut-elle élaborer <strong>des</strong> lois du social, à l’image <strong>des</strong> autres <strong>sciences</strong>, que ces lois soient de<br />

simples régularités statistiques, <strong>des</strong> lois de devenir ou <strong>des</strong> lois impliquant un critère<br />

compréhensif [21], ou relève-t-elle d’un autre modèle, celui de la théorie philosophique dérivant le<br />

réel d’une architectonique conceptuelle ?<br />

À l’intérieur de ce cadre général, la sociologie a élaboré un style de recherche largement partagé :<br />

considéré comme intéressant pour sa capacité à « dire le social », un phénomène est d’abord sélectionné,<br />

puis inscrit dans une problématique, inséré dans un plan de recueil et d’analyse <strong>des</strong> données et enfin<br />

interprété en fonction de la signification sociale que l’ensemble de ces opérations permet de reconstruire.<br />

Dans la pratique, cet enchaînement admet de nombreux assouplissements et itérations ; il peut mobiliser, à<br />

chaque étape, un corps de ressources théoriques, méthodologiques et techniques diverses, voire éclatées.<br />

Mais, à l’exception de travaux exclusivement <strong>des</strong>criptifs ou spéculatifs, il constitue, depuis une<br />

soixantaine d’années, une trame disciplinaire impérative d’investigation de la modernité.

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