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Epistemologie des sciences sociales

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l’individualisme démocratique, l’idée que chacun est une singularité, une exception, mais une exception<br />

prête à se joindre à d’autres exceptions pour produire une règle collective [1]. Et, contrairement à<br />

l’hypothèse de la prégnance généralisée du devoir civique, il rend compte du fait que plus les électeurs<br />

sont certains que leur candidat va passer avec une très forte majorité, moins ils ont tendance à se déplacer<br />

pour voter, et que, plus ils se sentent liés à <strong>des</strong> groupes minoritaires mais impliqués dans <strong>des</strong> conflits<br />

politiques, plus ils vont voter, enfin que, lorsqu’ils pensent que le corps électoral est très partagé, et qu’il<br />

est difficile d’estimer les rapports entre normalités et marginalités d’exception, il vont moins voter que<br />

s’ils savent à peu près quels sont les rapports de force et que de faibles déplacements de voix peuvent<br />

être décisifs.<br />

Ce ne sont pas simplement là <strong>des</strong> questions théoriques, mais <strong>des</strong> problèmes épistémologiques. Si les<br />

agents suivent <strong>des</strong> raisonnements contextuels, devons-nous affaiblir la formalisation pour tenir compte de<br />

ces discontinuités entre contexte, ou bien devons-nous combiner une formalisation forte <strong>des</strong> décisions<br />

individuelles à l’intérieur d’un contexte limité et <strong>des</strong> procédures d’analyse macroscopique <strong>des</strong> effets<br />

collectifs ?<br />

Les simulations du collectif<br />

Pour rendre compte de ces distorsions entre les comportements sociaux effectifs et les calculs de l’agent<br />

rationnel, on peut aussi, au lieu de prêter aux agents la complexité cognitive <strong>des</strong> raisonnements<br />

contextuels, suivre une démarche opposée. On se bornera à étudier les effets collectifs de comportements<br />

stylisés. Mais, au lieu de se borner à une étude macroscopique et statistique, on choisit de construire ces<br />

effets collectifs en faisant interagir <strong>des</strong> agents simplifiés. On donne simplement aux agents <strong>des</strong> fonctions<br />

de réaction (à telle action d’autrui, ils répliquent toujours de telle manière), et on introduit une évolution<br />

en permettant aux seuls agents qui ont dépassé un seuil de gain de se « reproduire ». On entre ainsi dans<br />

la théorie <strong>des</strong> jeux évolutionnaires, où l’on simule sur ordinateur les interactions de n joueurs ainsi<br />

réduits à leurs fonctions de réaction. On dispose là encore de notions d’équilibre, qui tiennent aussi<br />

compte <strong>des</strong> gains réalisés dans <strong>des</strong> rencontres entre membres d’une même population (le critère décisif<br />

est que la stratégie d’une population de joueur est évolutionnairement stable, relativement à une deuxième<br />

stratégie, si un joueur de la population originelle fait mieux contre un <strong>des</strong> joueurs de la deuxième stratégie<br />

que celui-ci contre un joueur de sa propre population – par ailleurs le gain d’un joueur de la première<br />

contre un joueur de la seconde est supérieur au gain d’un joueur de la seconde contre sa propre<br />

population). On voit apparaître et perdurer <strong>des</strong> stratégies dont la théorie <strong>des</strong> jeux classiques montrait<br />

qu’elles n’étaient pas satisfaisantes, mais qui subsistent à cause de l’environnement spécifique constitué<br />

par les stratégies <strong>des</strong> autres populations. L’intérêt de cette approche est de pouvoir imaginer <strong>des</strong><br />

phénomènes proprement collectifs, qui tiennent à l’environnement que les acteurs de différentes espèces<br />

constituent les uns pour les autres. Mais ici la cognition est réduite à néant, et l’action à <strong>des</strong> fonctions de<br />

réaction. On cherche à doter ces acteurs minimaux de quelques capacités très limitées d’anticipation,<br />

mais l’interprétation <strong>des</strong> résultats <strong>des</strong> simulations devient alors encore plus difficile.<br />

Ces simulations nous font envisager les effets macroscopiques <strong>des</strong> interactions individuelles. Ce qui a fait<br />

le succès épistémologique de l’économie théorique, c’est qu’elle a été capable de fournir <strong>des</strong> modèles<br />

formels <strong>des</strong> relations micro-macro, en calculant un équilibre collectif <strong>des</strong> échanges à partir <strong>des</strong> deman<strong>des</strong><br />

et offres individuelles. Il est ensuite possible d’analyser les échanges au niveau macro, par exemple les<br />

échanges globaux entre <strong>des</strong> biens et <strong>des</strong> services. Le problème est que, là encore, on doit partir de<br />

l’équilibre, dont on montre l’existence – ce qui est déjà beaucoup – mais sans savoir comment y parvenir<br />

à partir d’une situation donnée. Quand on imagine <strong>des</strong> raisonnements <strong>des</strong> acteurs, qui se fonderaient sur

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