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Epistemologie des sciences sociales

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Il faut donc toujours partir de ce que les individus pensent et veulent faire, « partir du fait que les<br />

individus sont guidés dans leurs actions par une classification <strong>des</strong> choses et <strong>des</strong> événements établie selon<br />

un système de sensations et de conceptualisation qui a une structure commune », et que nous connaissons<br />

parce qu’il est aussi le nôtre. C’est d’ailleurs de cette communauté de points de vue que les phénomènes<br />

sociaux tirent leur signification : « Ce sont les conceptions individuelles, les conceptions que les gens se<br />

sont formées d’eux-mêmes et <strong>des</strong> choses qui constituent les vrais éléments de la structure sociale. » Cette<br />

dernière tient les conditions de sa reproduction de ce que les individus sont les foyers d’un réseau de<br />

relations. Pas plus que les individus et les situations dans lesquelles ils se trouvent ne doivent être pris en<br />

considération par leurs seules qualités objectives, cette reproduction n’est automatique : <strong>des</strong> effets<br />

inattendus peuvent résulter de la conjonction d’actions indépendantes. Les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> se proposent<br />

donc, elles aussi, de réviser les concepts courants et, éventuellement, de les remplacer par <strong>des</strong> catégories<br />

d’analyse plus appropriées. Le danger est, dès lors, de mélanger les idées qui sont constitutives du<br />

phénomène à expliquer avec les vues spéculatives qu’il suscite et les théories auxquelles il donne lieu.<br />

Les pseudo-entités qu’engendre cette confusion ne doivent pas être traitées comme <strong>des</strong> faits. Il faut partir<br />

<strong>des</strong> concepts qui guident les individus dans leurs actions, et non <strong>des</strong> résultats de leur réflexion théorique<br />

sur celles-ci : « C’est là le trait caractéristique de cet individualisme méthodologique étroitement lié au<br />

subjectivisme <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>. »<br />

« Synthétiques » et non « analytiques » comme les <strong>sciences</strong> de la nature, les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> travaillent<br />

sur <strong>des</strong> ensembles c’est-à-dire <strong>des</strong> groupes d’éléments structurellement liés, qui ne sont pas donnés mais<br />

construits. L’objectivisme scientiste traite les phénomènes sociaux comme <strong>des</strong> objets directement perçus ;<br />

il ne s’intéresse pas aux attitu<strong>des</strong> individuelles qui forment les éléments de la structure <strong>des</strong> complexes<br />

sociaux ; il en vient à tort à considérer comme <strong>des</strong> faits les théories qui sont provisoires, et à verser dans<br />

le réalisme conceptuel. La conception totaliste est, en outre, erronée, précise Hayek, parce qu’une saisie<br />

n’est jamais globale ; abstraction et sélection sont toujours à l’œuvre ; tel phénomène n’est constitué en<br />

objet d’analyse qu’en raison <strong>des</strong> questions que nous nous posons sur lui : il est relatif à une curiosité.<br />

Associant ainsi objectivisme et totalisme d’une part, subjectivisme et individualisme d’autre part, Hayek<br />

estime que les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> doivent emprunter <strong>des</strong> voies conformes à leur vocation – qui n’est pas de<br />

spéculer sur <strong>des</strong> ensembles donnés, mais de « constituer ces ensembles en construisant <strong>des</strong> modèles à<br />

partir d’éléments connus. Ces modèles reproduisent la structure <strong>des</strong> relations existant entre certains <strong>des</strong><br />

nombreux phénomènes que nous observons toujours simultanément dans la vie réelle ». On cessera alors<br />

de postuler <strong>des</strong> entités métaphysiques comme l’État, le marché ou le capitalisme, pour voir que chaque<br />

terme en question « ne correspond pas à une chose unique et observable, mais à <strong>des</strong> relations structurelles<br />

que l’on ne peut décrire qu’au moyen d’une représentation schématique ou d’une théorie d’un système<br />

persistant de relations entre <strong>des</strong> éléments toujours changeants ». Se dissipera alors l’illusion que les<br />

éléments à partir <strong>des</strong>quels on construit <strong>des</strong> ensembles ne peuvent être compris qu’au moyen <strong>des</strong><br />

ensembles, et se dissipera aussi celle que ces « modèles d’ensembles » puissent être autre chose que le<br />

résultat d’une activité théorique.<br />

L’argumentation exposée par F.-A. Hayek n’est pas séparable d’une théorie générale, centrée sur les «<br />

forces spontanées », que l’auteur de La route de la servitude (1944) a maintes fois présentée. On en<br />

trouve la trace dans le dernier chapitre de scientisme et <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, sous le titre : « La finalité <strong>des</strong><br />

formations <strong>sociales</strong>. » Il y est question de l’absence d’une théorie synthétique <strong>des</strong> phénomènes sociaux<br />

qui seule permettrait de comprendre comment l’action indépendante de nombreux individus peut produire<br />

<strong>des</strong> ensembles cohérents. « Nous observons souvent, est-il indiqué, dans <strong>des</strong> formations <strong>sociales</strong><br />

spontanées que leurs parties se comportent comme si leur but était la préservation <strong>des</strong> ensembles (…).

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