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Epistemologie des sciences sociales

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l’historien que s’il reproduit mentalement les attitu<strong>des</strong> individuelles qui le composent.<br />

Au comparatisme et à ces opérations d’identification mentale, s’ajoutent <strong>des</strong> procédures générales de<br />

vérification. Dans l’analyse microsociologique, on peut, en effet, avoir l’impression de comprendre – et<br />

donner une fausse interprétation en projetant sur l’acteur sa propre subjectivité. La parade consiste à<br />

vérifier que la théorie issue de l’analyse en question est compatible avec les données macrosociologiques<br />

dont on dispose. Selon que les conséquences qu’on en tire sont ou non congruentes avec les données en<br />

question, la théorie est acceptée ou rejetée. Pour R. Boudon (1982), une théorie sociologique peut donc<br />

être soumise « à <strong>des</strong> procédures de “critique rationnelle”, au sens que Popper donne à cette expression,<br />

absolument identiques à celles qui sont utilisées dans les <strong>sciences</strong> de la nature et qui définissent<br />

implicitement la notion de connaissance scientifique ». Mieux : la faculté qu’a l’observateur de<br />

comprendre les actions et ce qui en résulte ne doit pas le dispenser de soumettre son interprétation à une<br />

critique rationnelle ; et les moyens employés pour ce faire dans les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ne sont pas<br />

fondamentalement différents de ceux qui sont utilisés dans les <strong>sciences</strong> de la nature ; il n’y a pas<br />

d’opposition radicale entre les mo<strong>des</strong> de connaissance relative aux deux ordres du réel : la nature<br />

physique et la nature sociale.<br />

Autour de cette question s’est noué un débat qui a culminé, en 1961, au Colloque organisé par la Société<br />

allemande de sociologie à Tübingen, où K. R. Popper et Th. W. Adorno ont confronté leurs positions. De<br />

Vienne à Francfort, cette querelle allemande <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> mit aux prises positivistes –<br />

préoccupés par le problème de la validité scientifique – et dialecticiens – d’abord intéressés par la<br />

spéculation philosophique (cf. Der Positivismusstreit in der deutschen Sociologie, 1969). La catégorie<br />

de la totalité fut dénoncée par les premiers comme résidu mythologique et legs d’une époque<br />

préscientifique. La « panacée du trial and error » fut présentée par les seconds comme réductrice et<br />

mutilante, en ce qu’elle sacrifie nombre de facteurs. La critique développée par Adorno porta sur la<br />

substitution de la question <strong>des</strong> critères de validité à celle de la vérité, la conception du travail<br />

scientifique comme simple reconstitution – ce qui serait une limitation d’ordre anti-intellectualiste –, la<br />

conversion du positivisme défini comme « le puritanisme de la connaissance » en idéologie du « monde<br />

administré ». On en sait la conclusion : « Résignée, la sociologie renonce à une théorie critique de la<br />

société ; on n’ose plus penser l’ensemble parce qu’il n’y a pas d’espoir de le changer. » Les enjeux de<br />

cette controverse n’étaient pas seulement d’ordre idéologique. Il y allait surtout et de l’objet de la<br />

connaissance et <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> pour s’en saisir, avec <strong>des</strong> vues divergentes sur la totalité, la légalité<br />

scientifique et l’approche globale dans les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>.<br />

À l’arrière-plan de cette « querelle », un autre « conflit », complètement interne aux <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong><br />

celui-là, revêt une importance plus grande quant à l’opposition holisme/individualisme. Il s’agit du<br />

conflit <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui, en Allemagne, dans la seconde moitié du xix e siècle, divisa les tenants de la<br />

méthode abstraite et déductive <strong>des</strong> classiques et les champions de la méthode concrète et inductive de<br />

l’ancienne école historique. Examinant l’économie politique du point de vue de la méthode historique, G.<br />

Rosher (1843), B. Hildebrand (1848) et K. Knies (1853) mirent l’accent sur la multiplicité <strong>des</strong><br />

motivations humaines, la diversité <strong>des</strong> situations, le caractère contingent, provisoire et conditionnel <strong>des</strong><br />

lois historiques – et la nécessité de découper l’évolution en phases et ensembles pour lesquels on peut<br />

dégager <strong>des</strong> uniformités. À ce triumvirat, au reste sans unité, se rattache le principal représentant de ce<br />

que Schumpeter appelle la « Jeune école historique » : Gustav Schmoller. De la même façon que Roscher<br />

déclarait : « Gomme chaque existence, la vie nationale forme un ensemble ; pour en comprendre<br />

scientifiquement un seul, il faut les comprendre tous ; il importe d’arrêter son attention sur la religion,<br />

l’art, la science, le droit, l’État, l’économie », ce dernier annonçait : « Dans l’avenir viendra pour

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