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Epistemologie des sciences sociales

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Philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> et philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong><br />

<strong>sociales</strong><br />

En un peu moins d’un demi-siècle, la philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> a dû abandonner la plupart de ses<br />

prétentions. Pour les positivistes logiques classiques (Carnap, 1956) et leurs compagnons de route<br />

critiques (Popper, 1973 ; Nagel, 1979 ; Hempel, 1965), la philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> avait deux objectifs<br />

assez clairement définis :<br />

1. Établir <strong>des</strong> critères de démarcation entre la science et la non-science, c’est-à-dire <strong>des</strong> critères<br />

formels (sémantiques, logiques) qui nous permettraient de justifier la séparation entre <strong>sciences</strong> et<br />

mythes, pseudo-<strong>sciences</strong>, métaphysique, savoirs pratiques, etc.<br />

2. Évaluer, à la lumière de ces critères, les différentes disciplines qui se présentent comme <strong>des</strong><br />

<strong>sciences</strong> (de la physique à l’astrologie en passant par la linguistique ou la sociologie).<br />

L’examen donnait toujours les mêmes résultats. La physique passait brillamment l’épreuve (ce qui n’avait<br />

rien d’étonnant puisqu’elle était taillée exactement à sa mesure). L’astrologie était systématiquement<br />

recalée (ce qui était aussi couru d’avance). Les <strong>sciences</strong> humaines et <strong>sociales</strong> – psychologie, histoire,<br />

anthropologie, sociologie, économie, etc. – obtenaient <strong>des</strong> résultats médiocres accompagnés de<br />

commentaires con<strong>des</strong>cendants (du genre : « Peut mieux faire », « Possibilités limitées en matière de<br />

prédiction », « Un peu plus de rigueur ne serait pas inutile », etc.) qui finissaient par agacer les<br />

spécialistes de ces disciplines (Lazarsfeld, 1970).<br />

Mais ce n’est évidemment pas le ton moralisateur de cette philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> normative (c’est-àdire<br />

évaluative et prescriptive, mais surtout à l’égard <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>) qui finit par la rendre<br />

suspecte. En fait, il est apparu progressivement qu’il n’y avait pas d’accord sur les critères formels de<br />

démarcation entre science et non-science ni même d’accord sur la possibilité d’en trouver. De nombreux<br />

philosophes (et peut-être aussi quelques scientifiques) ont été impressionnés par le critère proposé par<br />

Popper : la réfutabilité ou la falsifiabilité (Popper, 1973). D’après Popper, pour savoir si une théorie est<br />

scientifique, il ne faut pas se demander à quelles conditions elle pourrait être vraie ou, plus exactement,<br />

vérifiée (elle ne le sera jamais) mais à quelles conditions elle pourrait être fausse ou, plus exactement,<br />

réfutée (ce qu’on peut démontrer). Mais il n’est pas très facile de savoir si une théorie est réfutable ou<br />

pas. Popper lui-même semble avoir eu les plus gran<strong>des</strong> difficultés à se servir de son critère. À propos de<br />

la psychanalyse, il a toujours plus ou moins confondu ces deux thèses différentes et incompatibles : 1 / La<br />

psychanalyse est irréfutable, ce qui lui interdit d’être scientifique. 2 / Même lorsque la psychanalyse a été<br />

réfutée ou invalidée, ses disciples refusent de le reconnaître (ce qui revient à dire que la psychanalyse<br />

n’est pas irréfutable : Grünbaum, 1996).<br />

De la difficulté à trouver un critère de démarcation formel qui puisse faire l’objet d’un accord assez<br />

large, il ne suit pas, bien sûr, qu’il n’en existe aucun, d’aucune sorte (informel, par exemple). C’est<br />

pourtant ce que certains philosophes pressés ont conclu. D’après eux, en l’absence de critères de<br />

démarcation formels, la philosophie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> doit renoncer à ses prétentions normatives. Elle doit<br />

être naturalisée, c’est-à-dire céder la place à <strong>des</strong> disciplines plus mo<strong>des</strong>tes, purement <strong>des</strong>criptives telles<br />

que l’histoire, la psychologie ou la sociologie <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> (Kitcher, 1992). Tout ce que la philosophie<br />

<strong>des</strong> <strong>sciences</strong> peut faire à la rigueur, c’est tirer toutes les conséquences théoriques de cet état de choses (au

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