Epistemologie des sciences sociales
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En résumé, cet ensemble d’arguments tend à montrer que, du fait qu’une relation est saisie du premier<br />
coup, directement, on ne peut nullement conclure que ce n’est pas une relation causale.<br />
En second lieu, il est faux de dire que l’explication causale n’a absolument rien à voir avec une<br />
attribution de responsabilité. C’est vrai de la relation causale singulière peut-être, mais l’explication<br />
causale est aussi sélective que l’explication par les raisons. C’est sous une certaine <strong>des</strong>cription<br />
seulement qu’une explication causale est valable. Je peux décrire un vase de Chine comme un cadeau de<br />
ma tante et comme un objet ayant une certaine masse. Supposons que je fende le crâne de ma tante en lui<br />
envoyant un vase de Chine. Je peux dire indifféremment que c’est le cadeau de ma tante ou un objet ayant<br />
une certaine masse qui lui a fendu le crâne, si je m’en tiens à la <strong>des</strong>cription de la relation causale. Mais je<br />
ne peux pas dire que c’est parce que c’est un cadeau de ma tante que le vase de Chine lui a fendu le<br />
crâne. C’est en tant que le vase a une certaine masse qu’il a pu exercer l’effet causal désiré. Ce qui est<br />
pertinent dans l’explication causale, ce n’est pas la propriété d’être un cadeau de ma tante, mais d’avoir<br />
une certaine masse. Si, comme il me semble que ce soit le cas, l’explication causale ne vaut que sous une<br />
<strong>des</strong>cription, on peut dire qu’elle est intentionnelle ou, plus exactement, intensionnelle au sens logicolinguistique.<br />
La lettre « s » sert à marquer la différence avec l’intentionnalité au sens étroit qui est la<br />
propriété caractéristique <strong>des</strong> états mentaux (la propriété « représentationnelle » en gros). Dire qu’un<br />
énoncé est « intensionnel », au sens logico-linguistique, signifie qu’on ne peut pas remplacer une<br />
expression de cet énoncé par une autre qui fait référence à la même chose (qui est équivalente au point de<br />
vue extensionnel) sans altérer la valeur de vérité de l’énoncé (pas de substitution possible salva<br />
veritate). On illustre habituellement cette théorie au moyen de l’exemple suivant : Si Cicéron n’est autre<br />
que Marcus Tullius, on devrait pouvoir dire : du fait que Ciceron est un bon orateur, il suit que Marcus<br />
Tullius est un bon orateur. Mais en préfixant ces phrases du verbe « croire », la situation se modifie : elle<br />
devient opaque, intensionnelle. Du fait que je croie que Cicéron est un bon orateur, il ne suit pas que je<br />
croie que Marcus Tullius est un bon orateur. D’après Davidson, l’explication causale serait intensionnelle<br />
en ce sens. Tout cela lui permet de conclure que ce n’est certainement pas le caractère intensionnel d’une<br />
explication qui lui interdit d’être causale.<br />
En troisième lieu, même s’il est incontestable que l’explication par les raisons présente <strong>des</strong> aspects<br />
normatifs (les relations internes entre croyances, désirs et actions, entre autres), il n’en résulte pas<br />
qu’elle n’a absolument rien de causal. Dans les explications physiques aussi, il y a <strong>des</strong> aspects normatifs<br />
(ceux qui relèvent <strong>des</strong> systèmes de mesure, par exemple). Cela ne nous interdit pas de penser qu’elles<br />
peuvent être authentiquement causales. Pour qu’une explication n’ait rien de causal, il ne suffit pas qu’elle<br />
ait <strong>des</strong> aspects normatifs, il faut aussi qu’elle ne tienne aucun compte de ce qui peut se passer à un autre<br />
niveau d’analyse (le niveau de la relation causale) et que les liens entre ces niveaux soient<br />
inconcevables.<br />
On pourrait faire observer, à cet endroit, que ni la thèse <strong>des</strong> adversaires de la causalité par les raisons ni<br />
l’objection de Davidson ne tiennent compte de l’argument le plus classique en faveur de l’indépendance<br />
<strong>des</strong> raisons d’agir et <strong>des</strong> actions. Pour les causalistes les plus stricts, il est parfaitement possible<br />
d’identifier les raisons d’agir indépendamment <strong>des</strong> actions, parce qu’il n’y a aucun lien logique entre nos<br />
pensées et nos actions. L’exemple <strong>des</strong> actions verbales est particulièrement significatif de ce point de<br />
vue. Lorsque nous mentons, ou lorsque nous manions l’ironie, ce que nous faisons (nos énonciations) est<br />
logiquement indépendant de ce que nous pensons (Fodor, 1975). Cependant, cet argument ne peut pas<br />
valoir dans le contexte de cette discussion. Lorsque Davidson affirme que nos croyances et nos désirs ne<br />
peuvent pas être conçus indépendamment de nos actions, c’est parce que, d’après lui, une action n’est pas<br />
un simple mouvement corporel ou un mouvement précédé d’une croyance et d’un désir. Comment