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Epistemologie des sciences sociales

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nier la même proposition en même temps », etc.). Mais dire que la proposition générale tirée de la<br />

psychologie est une prémisse (et non une règle d’inférence ou un principe général d’explication) est<br />

insuffisant. Car il existe toutes sortes de prémisses. S’agit-il d’une sorte de vérité conceptuelle ou a<br />

priori ? D’une généralisation empirique amendable et même réfutable, en partie au moins ? D’une sorte<br />

de norme ou d’instruction pour la recherche sans valeur absolue mais que nous adoptons parce que c’est<br />

la moins mauvaise de celles qui existent actuellement ? Et quelles sont les conséquences pour l’idée que<br />

nous pouvons nous faire <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> dans chaque cas ?<br />

Quoi qu’il en soit, il me paraît assez évident que « la proposition la plus générale » de Homans n’est pas<br />

une « proposition » au sens qu’il donne à ce terme. Soit l’énoncé : « Si Roméo veut revoir Juliette et qu’il<br />

croit qu’elle est à Vérone, il ira à Vérone. » D’après le schéma d’Hempel (corrigé par Homans), le<br />

conséquent du conditionnel devrait pouvoir jouer le rôle d’une prédiction : « Roméo va à Vérone. »<br />

Cependant, si Roméo ne va pas à Vérone, on ne dira pas que la prédiction a été démentie. On dira<br />

seulement qu’en réalité Roméo ne désirait pas suffisamment revoir Juliette ou ne croyait pas vraiment<br />

qu’elle était à Vérone. De fait, « aller à Vérone » n’est pas une prédiction mais un critère<br />

d’identification <strong>des</strong> désirs et <strong>des</strong> croyances de Roméo. Ce n’est pas, à proprement parler, une<br />

conséquence observable d’une proposition indépendante portant sur les désirs et les croyances de<br />

Roméo. Si cet exemple est une bonne illustration de ce que Homans appelle la « proposition la plus<br />

générale <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> », alors cette dernière n’est pas du tout une proposition. C’est un énoncé<br />

aussi vide que les prétendues propositions générales culturalistes ou fonctionnalistes. En définitive, l’un<br />

<strong>des</strong> problèmes <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> n’est pas que leur proposition la plus générale soit « psychologique<br />

» et « connue de tous ». C’est qu’il n’y a, pour le moment, aucune proposition générale susceptible de<br />

satisfaire aux conditions fixées par Hempel (revues par Homans). S’ensuit-il que les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ne<br />

sont pas <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> ? Il faudrait que le seul moyen d’obtenir son ticket d’entrée à ce club prestigieux<br />

soit de satisfaire aux exigences du modèle nomologique-déductif. Mais nous savons que tel n’est pas le<br />

cas. Tout ce qu’on peut dire, en conclusion, c’est que les principes de la psychologie ordinaire et<br />

quelques autres grands principes (fonctionnalistes ou culturalistes, etc.) ne satisfont pas à ces exigences,<br />

en dépit de ce que leurs promoteurs ont l’habitude de déclarer.<br />

Conclusion<br />

Selon l’une <strong>des</strong> principales traditions de recherche, la bonne science sociale ne peut se faire qu’au niveau<br />

supra-individuel. C’est à ce niveau seulement que les prédictions ont <strong>des</strong> chances raisonnables d’être<br />

confirmées. C’est à ce niveau aussi qu’on peut se débarrasser de tout le vocabulaire confus de la «<br />

psychologie ordinaire » (croyances, désirs, intentions, conscience, etc.) et de ses explications dépourvues<br />

du moindre intérêt informatif (« Je vais à la pharmacie parce que j’ai mal à la tête et que c’est un bon<br />

moyen d’avoir de l’aspirine », etc.). Cependant, on reconnaît aussi, dans cette tradition, que, pour être<br />

vraiment « bonne », la science sociale ne peut pas se contenter d’être supra-individuelle. Elle doit aussi<br />

éviter d’attribuer à <strong>des</strong> entités supra-individuelles <strong>des</strong> propriétés d’individus humains (<strong>des</strong> désirs, <strong>des</strong><br />

pensées, <strong>des</strong> croyances, une volonté, etc.) et d’individus physiques non humains (la propriété d’entretenir<br />

<strong>des</strong> relations causales). Ces deux exigences sont-elles compatibles ? Sans doute, mais lorsqu’elles sont<br />

toutes les deux respectées, il semble bien que la science sociale perde sa raison d’être : sa capacité<br />

d’expliquer. Lorsqu’elles respectent strictement ces exigences, tout ce qui reste aux <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, ce<br />

sont <strong>des</strong> corrélations, lesquelles peuvent être infiniment raffinées, sans jamais atteindre aucun mécanisme<br />

réel.

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