Retour sur une
franchise historique
mais aussi : rétro soderbergh, l’instant séries, blackkklansman, naissance d’une nation...
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3
eDiTo
Cet été promet d’être
«Sauvage»…
Ce mois d’août sera placé sous le signe
de la Croisette avec pas moins de cinq
films présentés cette année au Festival
et qui seront diffusés dans nos chères
salles climatisées. Ne vous inquiétez pas,
il y en aura pour tous les goûts et toutes
les couleurs mais s’il y a bien un film qui
retient notre attention c’est le premier
long-métrage de Camille Vidal-Naquet.
Formidable portrait d’un homme aussi
libre, que sauvage et amoureux au coeur
de la prostitution masculine. Nous avons
pu discuter avec le réalisateur et ses deux
acteurs principaux malheureusement
nous sommes trop courts pour pouvoir
vous dévoiler l’entrevue mais il n’empêche
qu’on ne peut que chaudement vous le
conseiller. Spike Lee quant à lui dévoile
son côté sauvage avec le bouillonnant
BlacKkKlansman, inspiré d’une histoire
vraie et véritable film à charge contre
l’Amérique «so-white» de Donald Trump.
L’été est là, nous sommes champions du
monde, il fait beau, aimez-vous, soyez
heureux, soyez sauvages.
Margaux Maekelberg
4
5
sOmMaIrE
P.6 P.20 P.72
P.80 P.104 P.108
P.18 • Crazy rich asians : 25 ans c’est long !
P.40 • Critiques
P.75 • David Robert Mitchell
P.92 • Naissance d’une nation
P.116 • Alison brie : Lutter pour mieux
exploser
P.120 • Instant séries
DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG
MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG
RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, MARION CRITIQUE, TANGUY RENAULT, TANGUY BOSSELLI, VANESSA BONET
& WADE EATON
MERCI À NOTRE TIPEUR THIBAULT !
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MISSION : IMPOSSIBLE
LA SAGA DE TOUS LES POSSIBLES
SANS L’OMBRE D’UN DOUTE, LA FRUCTUEUSE FRANCHISE “MISSION :
IMPOSSIBLE” ET SES NOMBREUSES SUITES, EST LE SYMBOLE PARFAIT DE
LA TOUTE-PUISSANCE DE TOM CRUISE, ET DE SON POUVOIR DÉCISIONNAIRE
DANS LA CITÉ DES VICES HOLLYWOODIENS.
CINQ CARTONS PLUS OU MOINS FRACASSANTS (QUI EN APPELLENT
ÉVIDEMMENT UN SIXIÈME D’ICI AOÛT PROCHAIN), MAIS SURTOUT SIX
PRODUCTIONS AUSSI FASCINANTES QU’ELLES FURENT SOUVENT HOULEUSES,
QUI ONT CONSTITUÉS RIEN DE MOINS QUE L’UNE DES FRANCHISES LES PLUS
SINGULIÈRES DU SEPTIÈME ART RICAIN, TANT CHAQUE CINÉASTE IMPOSÉ À
SA BARRE, A SU SUBTILEMENT IMPOSER SA MARQUE AU FIL DES ÉPISODES.
par jonathan chevrier
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Tout commence avec une série télévisée, “Mission : Impossible”,
show culte des 60’s ayant fait la gloire de la chaîne CBS durant
sept saisons, avant de connaître un court reboot sur une chaîne
concurrente, ABC, entre
1988 et 1990 - “Mission
impossible, 20 ans
après”, dont le seul vrai
lien est la présence de
Peter Graves dans la
peau du MIF -
Mission Impossible
Force -, une équipe
d’agents secrets
américains détachés de
la CIA, membres de l’IMF
(Impossible Missions
Force) à qui l’on réserve
les missions les plus
délicates.
Culte de chez culte (le générique d’ouverture
et la musique de Lalo Schifrin sont entrés
dans la légende), la série avait longtemps
réussi à passer
entre les mailles
du filet des
adaptations sur
grand écran,
avant que
Tom Cruise,
fraîchement
auréolé du carton
surprenant de
“La Firme” en
1993, ne décide
de se jeter
dessus.
Wannabe next big thing Hollywoodienne
qui accumule les succès avec une
frénésie proprement indécente (“Risky
Business”, “Top Gun”, “Jour de Tonnerre”,
“La Couleur de l’Argent”, “Né un 4 Juillet”,
“Des Hommes d’Honneurs”), le - toujours
- jeune Tom désire pourtant prendre un
petit peu plus de galons dans le système,
en initiant par lui-même un projet
ambitieux dont il serait l’acteur vedette
(cascades perso comprises), tout en le
produisant aux côtés de son amie et agent
Paula Wagner, via leur toute pimpante
nouvelle société : C/W Productions.
Hébergé
chez
Paramount,
Cruise pense
instinctivement à
confier le projet à Sydney
Pollack, histoire de reformer le
trio magique de “La Firme”, mais
peu de temps après s’être attelé au
Mission Adaptation
projet, le papa de “12 Hommes en Colère” jette l’éponge tant la
direction que prend la production ne lui convainc plus.
Pas de panique pour autant, l’acteur arrive sensiblement à attirer
dans ses filets à l’aube du début d’année 1994, le grand Brian De Palma,
qui engage dans la foulée Steven Zaillian (qui vient tout juste de chiper un
oscar pour “La Liste de Schindler”) et David Koepp (avec qui il vient de travailler
sur l”’Impasse”) pour s’occuper du scénario, avant que Robert Towne (“Chinatown”,
“La Dernière Corvée”) ne vienne peaufiner l’ultime jet à quelques heures du début de
tournage.
Malgré les désaccords entre le cinéaste et son acteur vedette (De Palma a longtemps bataillé
pour booster le budget de 50M$ et faire en sorte que le film ait une impressionnante scène
d’action finale), les gros travers en interne (De Palma ne participera pas à la promotion du film, le
compositeur Danny Elfman remplacera en pleine postproduction Alan Silvestri) et la polémique
monstrueuse causée par les comédiens de la série originale (qui renie férocement le film, surtout
le traitement osé du personnage de Jim Phelps), “Mission : Impossible” débarque dans les salles
obscures en 1996, et incarne sans forcer l’un des plus gros succès de la saison des blockbusters.
Thriller De Palma-esque en diable (le cinéma même du cinéaste se base sur les apparences
trompeuses, un suspense intense et la dénonciation de la tromperie par l’image), reprenant
le ton général du matériau d’origine (des missions d’espionnages supposément impossibles
in fine réalisées par des agents surentraînés) et le personnage phare du show original pour
mieux articuler une nouvelle équipe autour du personnage d’Ethan Hunt (totalement créé pour
l’occasion), quitte a totalement trahir les fans - qui s’en sont bien remis -; “Mission : Impossible”,
maîtrisé de bout en bout, alignant fulgurances de réalisation et les moments de bravoure
dantesque (le vol de la liste des agents de la CIA est anthologique) jusque dans un final qui
dénote complètement du reste du métrage, est un savoureux jeu de dupes et de trahisons où
tout le monde est souvent berné - même le spectateur -, malgré les nombreux indices disséminés
dès le générique d’introduction.
Percutant et brillant, même si la majorité des critiques US de l’époque, mauvaises langues
évidentes, jugeront son intrigue totalement incompréhensible...
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Mission HK style
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Sans trop de surprise face au succès monstre du
film (450 M$ de recettes au B.O. international pour
80 M$ de budget), la Paramount donne très vite le
feu vert à Cruise pour enclencher la production d’un
second opus, un temps promis à Oliver Stone (qui
avait dirigé le big Tom quelques années auparavant
pour “Né un 4 Juillet”), avant que le projet ne
prenne un retard conséquent suite à l’engagement
de l’acteur vedette au dernier long-métrage de feu
Stanley Kubrick, “Eyes Wide Shut”, qui s’est étalé
sur plus d’un an et demi outre-Manche.
De retour au pays de l’Oncle Sam, le comédien
confiera in fine le bébé à John Woo, qui vient tout
juste de connaître son premier vrai gros succès
outre-Atlantique, le jouissif “Volte/Face”, histoire de
pleinement démarquer cette suite du premier long
- pas difficile vu les habitudes de mise en scène du
cinéaste hongkongais.
Avec toujours Robert Towne au scénario, obligé de
taire son envie de remake officieux des “Enchainés”
de king Hitchcock pour composer comme il le peut,
une histoire au milieu des nombreuses scènes
d’action imposées par Woo, “Mission : Impossible
2” va connaître comme son aîné, plus d’une galère
durant son tournage, occupant une bonne partie
de l’année 1999 : réécriture de scénario à l’arrache
(jugé au final trop simple) qui casse les prises de
vues, divergences artistiques entre l’acteur et son
metteur en scène (notamment sur la violence du
film, qui ne colle pas à l’esprit PG-13 voulu par
Cruise) et nombreux reports de sorties.
Il n’empêche que malgré tous ses tracas, “M:I 2”
sort en pleine été 2000 et cartonne au box-office,
explosant même les scores du film original... mais
pas sa qualité.
Blockbuster ricain dans toute sa splendeur,
férocement régressif autant qu’il est un brillant
exercice de style quand Woo laisse s’exprimer
tout le lyrisme de son cinéma (ici totalement
décomplexé et démesuré), souvent tronqué
par la faiblesse de son intrigue (qui privilégie
l’action à la psychologie de ses personnages, plus
caricaturaux tu meurs) mais visuellement superbe
et grisant; le film, nerveux et prévisible, qui dénote
complètement de la vision de De Palma (sobre et
imprévisible, avec une vraie mission impossible à
la clé), peut aisément se voir comme le maillon
faible de la saga, aussi spectaculaire et plaisant à
voir soit-il.
Ce qui n’empêche pas Tom Cruise de planifier un
“M:I 3” dans la foulée, lui qui contrôle de la tête et
des épaules, la franchise, sa franchise.
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Dès 2002, Cruise annonce au
monde que le génial David
Fincher, nom totalement
improbable mais férocement
bandant sur le papier, sera le
papa de “Mission : Impossible
III”. Le hic, c’est que le
comédien, qui n’a jamais
travaillé avec le papa de “Fight
Club” auparavant, va très vite
être confronté à la vision
profondément sombre du
cinéaste, et être totalement
rebuté par son idée mère,
pourtant alléchante : impliqué
Hunt dans une enquête sur le
trafic d’organes en Afrique.
Jugé trop sombre par l’acteur,
le jet de Fincher sera vite mis
au placard, obligeant de facto
le cinéaste à tourner les talons,
avant que Cruise ne se rabatte
sur l’un des jeunes cinéastes en
vue à l’époque, Joe Carnahan,
qui vient tout juste de faire
son trou dans l’industrie avec
l’excellent “Narc”.
Toutes les étoiles semblaient
alignées, un tournage était
même prévu pour l’été 2004,
mais à quelques heures des
premières prises de vues, la
collaboration entre Carnahan et
la production suit la même lignée
que celle entre elle et Fincher
: le futur papa de l’adaptation
ciné d’”Agence Tous Risques”
est proprement éjecté du projet
pour divergences artistique, son
script (axé sur les mouvements
politiques d’extrêmes droites
américains) étant lui aussi jugé
trop dark pour l’agent Hunt.
Repoussé d’un an - Cruise
partant tourner “La Guerre des
Mondes” -, “M : I : III” sera au final
confié au bleu J.J. Abrams, dont
la série “Alias” avait sensiblement
séduit le comédien.
Modifié de A à Z par le cinéaste, le
script change complètement de
tournure et zappe totalement le
casting d’origine (adieu Carrie-
Anne Moss, Scarlett Johansson
et Kenneth Branagh) pour
judicieusement lui en préférer
un nouveau (feu le grand Philip
Seymour Hoffman, Maggie Q
et Billy Crudup), et débarque
à la vitesse de la lumière dans
les salles obscures pour l’été
des blockbusters 2006, où
il se paye un accueil glacial,
officieusement causé par les
dérives médiatiques d’un Tom
Cruise visiblement très (trop
?) content d’avoir conquis le
coeur de la pétillante Katie
Holmes. Un échec injuste tant
l’opus, de loin le plus fidèle à la
série, renouait avec l’essence
même du thriller d’espionnage
profondément explosif initié
par De Palma.
Haletant avec son scénario
à tiroirs passionnant (entre
kidnappings, traques et
sauvetages divers) et
profondément ancré dans
la réalité, porté par un vrai
méchant imposant - Owen
Davian - et à la hauteur de la
stature imposante de Hunt
(plus humain, déterminé et
invincible que jamais); le film,
qui n’hésite jamais à mettre
(enfin) son héros au pied du
mur, se démarque tout du
long de M: I 2 et impose les
nouveaux codes de la saga
: un film d’espionnage et
d’action populaire, qui ne
bride pas son histoire au profit
du spectaculaire, et qui injecte
continuellement de nouveaux
visages.
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Mission : Renaissance
Moins performant que les premiers films au
box-office (400M$ au B.O mondial), “Mission :
Impossible 3” marquera la fin (pour un temps)
de la collaboration entre la Paramount et Tom
Cruise, la firme étant sensiblement lassée (pour
être poli) des apparitions publiques - entre folie
furieuse et défense féroce de la scientologie - de
son mégalomane d’acteur vedette.
Officieusement, la petite histoire veut que ce soit
la (jeune) femme de Sumner Redstone, big boss
de la Paramount à l’époque, pas fan du comédien,
qui aurait poussé son PDG de mari à se séparer
de Cruise, doutant fortement de son pouvoir
d’attraction auprès du public.
Après trois ans d’une brouille sans nom, où
Cruise cherchera à reprendre les rênes du studio
United Artist (“Lions et Agneaux”, “Walkyrie”,
“Night and Day”), sans forcément retrouver son
succès d’antan, le rabibochage se fera presque
naturellement, ouvrant sensiblement dans la
foulée, la porte à un “Mission : Impossible 4”, entre
reboot et vraie suite de la franchise.
Toujours chapeauté de loin par J.J. Abrams,
uniquement producteur même s’il impose Josh
Appelbaum et André Nemec au script (“Alias”), dit
script qui sera retravaillé par - déjà - Christopher
McQuarrie (“Usual Suspect”, “Walkyrie”), “Protocole
Fantôme” étonnera surtout par la grosse prise
de risques entreprise par Cruise : imposer le
talentueux Brad Bird, loin d’être rompu au
tournage live à l’époque, à la réalisation; cinéaste
avec lequel il avoue avoir toujours voulu travailler.
Infiniment plus physique pour Cruise d’un point
de vue scène d’action (l’acteur avait tout à
prouver après son gros passage à vide), plaçant
le curseur encore un petit peu plus haut en terme
de spectaculaire (tempêtes de sable, acrobaties
sur le plus haut gratte-ciel du monde,...) tout en
hésitant pas à foutre un bordel monstre dans la
storyline de la saga (le MIF est désavoué suite à
un attentat au Kremlin, obligeant ses agents à
agir sous les radars pour contrer leur principal
opposant : le Syndicat), sans forcément rendre
son pitch plus complexe que les précédents (la
notion de groupe est de nouveau au centre des
débats); “Mission : Impossible - Ghost Protocol”,
volontairement plus drôle (humour pince-sans-rire
et présence renforcée de Simon Pegg à la clé) et
détournant avec malice les passages obligés de la
saga, est un menu Best-Of transpirant pleinement
la patte virtuose de Bird, qui n’aura eu aucune
peine à trouver son auditoire en salles, à l’aube
des fêtes de Noël 2011.
694,7 M$ à l’international en bout de course et
des critiques unanimes, Ethan Hunt renaît de ses
cendres de manière totalement improbable, avant
de prouver qu’un vrai héros (tout comme s’affirme
Cruise à l’écran) ne meurt jamais.
Impossible
is
nothing
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Véritable tout foutraque qui
tient admirablement bien la
route en fin de compte, la
franchise “Mission : Impossible”
s’offrait en 2015, un cinquième
opus autant espéré que mérité
après le retour en grande pompe
opéré via “Protocole Fantôme”.
Offert au nouveau BFF de
Cruise, Christopher McQuarrie,
passé de scénariste talentueux
à honnête faiseur de rêve avec
Jack Reacher (déjà porté par
l’éternel interprète de Maverick),
et déjà derrière les retouches
scénaristique du quatrième
opus, “Mission : Impossible -
Rogue Nation”.
Volontairement plus old school
et incarnant une suite directe -
une première dans la saga - du
film de Bird puisqu’il prolonge la
lutte du MIF contre le Syndicat
(et que, tout comme lui, il
s’attache de nouveau à suivre au
plus près les aléas du destin de
Hunt tout en faisant revenir la
majorité des personnages), tout
en créant une vraie continuité au
sein de la saga, “Rogue Nation”
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s’échine à conter cette poursuite vers l’inconnu, vers cet ennemi
de l’ombre là où le MIF, pourtant constamment en danger, se voit
finalement démantelé par une CIA ne digérant plus les loupés des
missions passées (l’explosion du Kremlin dans “Ghost Protocol”, le
piratage de l’agence dans “Mission : Impossible”).
Pire, symbole même de cette section de l’impossible, Ethan Hunt ici
élevé au rang de légende vivante, se verra traqué par la CIA pour en
faire un fugitif - tout comme ses petits camarades.
Tout convergeait donc presque, pour que ce cinquième film soit le
dernier de la saga, un épisode définitif avec des citations avouées
à la saga et des ressemblances frappantes (Sean Harris/Solomon
Lane s’impose comme un négatif de Hunt, tout comme Dougray
Scott/Sean Ambrose), appuyées par une intrigue Hitchockienne
aux vérités floues que n’aurait pas renié Brian De Palma.
Ce qu’il n’est finalement pas, évidemment (surtout que la Paramount
avait annoncé avant même sa sortie, la mise en chantier d’un “M :
I - 6”).
Vrai film d’espionnage aux enjeux solides et captivants, d’une
tension de chaque instant magnifié par des scènes d’action toutes
plus renversantes les unes que les autres - défiant aussi bien la
concurrence que les standards imposés par les films précédents -,
qu’une étude des personnages franchement remarquable (Ethan
Hunt arrive à prendre encore un peu plus d’ampleur malgré cinq
films au compteur, et chacun a droit à son moment de gloire);
“Rogue Nation” est un délice de chaque instant aussi maîtrisé
qu’exigeant, un véritable sommet de dramatisme et d’esthétisme
(la scène de l’Opéra de Vienne reste un must-see indécent) old
school et moderne à la fois, où tout est est dosé à la perfection,
de la fluidité de la narration à la caractérisation des personnages
(tous merveilleusement joués), du montage nerveux au suspense
savamment millimétré, de la rugosité des scènes d’action à la finesse
de son humour et de ses émotions.
Une réussite exemplaire, qui convaincra Cruise que son duo formé
avec Christopher McQuarrie, se devait de revenir une ultime fois
à la barre d’une mission impossible, quitte à totalement renier le
mode de fonctionnement de la franchise jusqu’alors (un film : un
réalisateur différent).
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Fallout...
the end ?
Après quelques petits soucis de production visant à faire
gonfler le chèque de Tom Cruise (les négociations assez
tendues, ont durées plusieurs mois), puis quelques soucis
de tournage avec la blessure d’un big Tom plus casse-cou
que jamais, “Mission : Impossible - Fallout” est enfin appelé
à atteindre nos salles obscures d’ici le 1er août prochain,
suite une nouvelle fois direct de “Protocole Fantôme” et
“Rogue Nation”, qui aura «encore plus de décors et de
cascades incroyables, et une histoire très divertissante et
convaincante», dixit Hunt himself.
Et à la vue de son excellente campagne promotionnelle,
on ne peut que le croire sur parole, cette ultime (avant
la septième ?) mission se voulant comme une conclusion
pétaradante et haletante et totale de la lutte entre le MIF
et le Syndicat.
Célébré, conspué, boycotté avant d’être revenu des limbes
d’Hollywood plus fort que jamais... plus les opus passent,
plus Tom Cruise est à l’aise avec un héros pour lequel
il ne rechigne plus de dévoiler les failles (son mariage
douloureux, son envie de tout quitter) tout autant que
son statut iconique (il se bat pour préserver le bien du
mal, même si la frontière entre les deux est difficile à
percevoir) et cartoonesque de quasi-Superman légendaire,
dont l’invincibilité a rarement été aussi mis en image que
rudement mis à l’épreuve.
Vingt-deux ans et cinq films plus tard, Ethan Hunt n’a
jamais paru aussi populaire et adoré que jamais, mais
surtout, la franchise “Mission : Impossible” a subtilement
su, à la différence de nombreuses sagas d’action misant
sur la quantité au détriment de la qualité (coucou “Fast
and Furious”), s’installer comme une référence du cinéma
d’action racé et intelligent, aux côtés, entre autres, de la
saga (trilogie hein) “Die Hard”.
Dire donc que l’on attend le premier août avec une
impatience folle, est un put*** d’euphémisme...
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Crazy
À l’heure où le cinéma
commence à se faire secouer le
derrière que ce soit par les femmes
bien décidées à prendre les choses
en mains ou des communautés qui
aspirent à plus de représentation
- «Noire n’est pas mon métier», un
ouvrage co-écrit par seize actrices noires
pour éveiller les consciences sur la sousreprésentation
des femmes de couleur au
cinéma -, «Crazy Rich Asians» tombe à point
nommé.
Adapté du roman éponyme de Kevin Kwan - gros
succès de 2003 -, «Crazy Rich Asians» fait parler
de lui surtout pour son casting composé à 100%
d’acteurs et actrices asiatiques (Constance Wu,
Henry Golding, Gemma Chan & Lisa Lu entre autres).
De quoi réveiller un peu l’industrie hollywoodienne qui
n’avait pas proposé de film avec un tel casting depuis…
25 ans («Le Club de la chance» de Wayne Wang, 1993).
De quoi - peut-être - éveiller les consciences sur le manque
de représentation de la communauté asiatique au cinéma
qui avait déjà secoué les réseaux sociaux il y a quelques
temps à travers le hashtag #ExpressiveAsians en réponse
à un directeur de casting expliquant que les asiatiques
n’étaient pas choisis car pas assez expressifs. Une pratique du
«whitewashing» d’ailleurs encore récemment pointée du doigt
lors de la sortie de «Ghost in the shell» et que révèle également
Kevin Kwan, auteur du best-seller, qui a expliqué qu’un producteur
25 ans c’est
19
Rich Asians
a essayé de le convaincre de transformer son héroïne principale
en une jeune femme caucasienne.
Réalisé par Jon M. Chu - à qui l’on doit notamment
«Insaisissables 2» -, «Crazy Rich Asians» suit les
extravagantes vacances d’été de Rachel Chu, professeur
d’économie, et son petit ami Nicholas Young à
Singapour. La seule chose dont Rachel n’était pas au
courant, c’est que son compagnon est le fils d’une
des familles les plus riches du pays. De quoi attiser
la jalousie de certaines, prêtes à tout pour mettre
le grappin sur le jeune homme.
Cette véritable romcom assumée n’est
cependant pas non plus épargnée par la
critique, de nombreuses personnes accusant
le film de ne représenter qu’une minorité des
asiatiques - à la peau claire - et finalement
très peu d’asiatiques du sud avec la peau
plus foncée. Le film, qui sort en salles
le 29 aout prochain, aura au moins le
mérite de faire parler de lui et de faire
un premier - petit - pas en avant
concernant la représentation de la
communauté asiatique au cinéma.
Margaux Maekelberg
long !
20
la rétro de
la rédac
21
Sexe, mensonges
et video
Premier long-métrage tourné en très peu de temps par un Soderbergh d’à peine 26 ans, “Sexe, mensonges
et vidéo” intrigue. D’autant qu’il a été couronné d’une Palme d’or, faisant de son réalisateur le plus jeune
détenteur de la récompense cannoise suprême. Trente ans plus tard, que reste-t-il de cette œuvre intimiste
mettant à mal l’”American way of life” ?
Réflexion sur la sexualité dans une Amérique puritaine, “Sexe, mensonges et vidéo” met en parallèle des
personnages renfermés, qui hésitent, tergiversent, et d’autres gouvernés par leurs pulsions, qui foncent
bille en tête. Ann (Andie MacDowell, desperate housewife avant l’heure) fait partie des premiers alors que
son mari John (Peter Gallagher) compte parmi les seconds : ne pouvant satisfaire toutes ses envies avec sa
femme, il batifole avec Cynthia (Laura San Giacomo), la sœur de cette dernière, plus à l’écoute de son corps
que son aînée. Un trio boiteux, mais qui fonctionne, sauvegardant les apparences de bonheur conjugal.
Cette harmonie de façade, c’est – comme souvent – un élément extérieur qui va venir la bousculer. Fauteur
de troubles de prime abord inoffensif, Graham (James Spader, prix d’interprétation à Cannes) est un ami
de John, perdu de vue depuis des années. Comme Ann, il fait partie des gens qui doutent, observent et
ont tendance à vivre dans leurs fantasmes. Pour satisfaire ses désirs, il filme des femmes se confiant sur
leur sexualité, vidéos qu’il se repasse en boucle sur son magnétoscope. Tel “Le Voyeur” de Michael Powell,
il utilise sa caméra comme une protection contre le monde, un écran derrière lequel il se sent à l’abri des
regards et des corps. Graham n’ira certes pas aussi loin que le Mark du film du maître britannique, qui fait
de sa caméra une arme de mort ; il n’en reste pas moins que c’est par elle que se révéleront les personnages
de “Sexe, mensonges et vidéo”… à leurs risques et périls.
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Avec sa mise en scène minimaliste créatrice d’une atmosphère froide, à la limite du clinique, Soderbergh
nous invite, notamment, à pénétrer la psyché féminine, les deux sœurs de l’histoire se laissant convaincre
par l’intérêt de la séance de «thérapie» de Graham. Le poids des interdits qui gangrènent la société
américaine – le film reste très américano-américain – est prégnant, mais nul besoin d’attendre les moments
de confessions pour le comprendre. Des frustrations d’Ann aux préjugés dont est très certainement victime
Cynthia, la femme est toujours coincée, avec pour seule alternative le rôle de la maman ou de la putain.
Si le personnage d’Ann, tout comme celui de Graham, est bien traité, ceux de Cynthia et John sont à
peine effleurés, sortes de caricatures de la jeune femme délurée hippie sur les bords et du riche avocat
opportuniste chaud bouillant. Ces deux-là sont clairement mis de côté pour laisser s’épanouir leurs doubles
plus introvertis. Dans sa dernière partie, le film, dont la trame scénaristique est somme toute assez mince,
gagne en intensité : lors de sa séance de «confession», Ann, poussée à bout par les événements, sort de son
rôle de femme soumise, qui attend et observe pour s’imposer, prendre la caméra des mains de Graham et
lui retourner ses fameuses questions en plein visage. Un moment salvateur, tant pour elle que pour lui, qui
donne à ce premier long-métrage une saveur particulière.
Trente ans après sa sortie, force est de constater que “Sexe, mensonges et vidéo” fait toujours son petit
effet. Intrigant et malin, le premier long de Soderbergh n’est cependant pas le chef-d’œuvre que laisse
espérer sa réputation.
Vanessa Bonet
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Ocean’s Eleven
Début des années 2000. Dans ce premier opus de la fameuse trilogie
des “Ocean”, Steven Soderbergh impose son œuvre comme étant une véritable
référence dans les films de braquage. Porté par un casting quatre
étoiles, “Ocean’s eleven” s’inscrit dans l’histoire du cinéma comme étant
un film subtilement classe et savoureux. Le pitch est simple mais férocement
efficace : Danny Ocean retrouve sa liberté après avoir été emprisonné
durant deux années pour vol. À sa sortie, il ne perd pas une minute
pour mettre en place un plan mûrement réfléchi (chaque détail est intelligemment
pensé). Ce casse sera le casse du siècle et Danny compte bien
arriver là où beaucoup d’autres se sont royalement plantés avant lui. Pour
se faire, il s’entoure d’une dizaine de malfrats expérimentés dans leur domaine
de prédilection. L’objectif est clair : cambrioler simultanément les
trois plus imposants casinos de Las Vegas et ce, malgré leur grande sécurité.
Steven Soderbergh possède un sens incroyable de la mise en scène
et le prouve avec ce film divertissant, sans prétention. Tout s’enchaîne
de manière plutôt fluide, rythmé par quelques rebondissements, le tout
enveloppé par cette incroyable bande originale signée David Holmes (qui
renforce d’ailleurs le côté glamour de l’oeuvre). Les acteurs sont géniaux
et semblent réellement s’amuser dans ce qui paraît être une véritable réunion
de famille, nous offrant alors un plaisir vraiment communicatif. La
classe légendaire de George Clooney est par ailleurs brillamment mise en
avant dans un rôle qui lui colle véritablement à la peau. “Ocean’s eleven”
réunit les ingrédients parfaits pour passer un bon moment et fait défiler
le temps à vitesse grand V tant on ne s’ennuie pas une seule seconde
durant 116 minutes. Un thriller comique et culte, véritable pionnier dans
son genre ; un habile coup de maître.
Marion Critique.
26
Full
Frontal
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Le cinéma de Steven Soderbergh depuis “Hors d’atteinte” essaie de repousser les limites de la condition
de l’auteur, mêlant dès lors des œuvres grand public, telles la trilogie “Ocean’s” et d’autres expérimentales
de la tête au pied. “Full Frontal”, sorti en 2002, méconnu et considéré assez injustement comme le film de
vacances de son réalisateur entre ses blockbusters, fait donc partie de la deuxième partie de sa filmographie.
Réputé pour être un cinéaste de l’instantanéité, entre ses supports filmiques novateurs et sa direction
d’acteurs plus ou moins régulée, Soderbergh atteint ici l’extrême de son obsession dans la diégèse,
superposant des strates de récit où se mélangent la réalité et la fiction, l’improvisation et l’écriture. De cette
configuration naît une satire hollywoodienne, où toute tentative de sortir du carcan habituel et morose
ouvre malheureusement une dimension dramatique inattendue. Le grain de la pellicule 35mm du film de
Constantine Alexander inclus dans le film de Steven Soderbergh – est-ce clair ? – préfigure alors l’artificialité
du cinéma, réduit à l’époque à une texture unidimensionnelle déviant du réel. Ici, un seul rempart peut
lutter contre ce manque de vie : la caméra-épaule, quasiment cachée du réalisateur, filme en DV via la
caméra numérique Canon XL-1s; et intercepte les coulisses d’une société rongée de l’intérieur. Pour autant,
l’un répond à l’autre par les rebondissements scénaristiques, quoique asymétriques. Hollywood devient
alors un mécanisme enjoliveur de la vérité : ces ressorts dramatiques qui bouleversent les rapports et les
liens n’offrent dans le réel numérique de Steven Soderbergh qu’un ralentissement narratif et jamais un
basculement total.
Au-delà de cette obsession de signifier la captation de l’instant et la fréquente vacuité de celui-ci, Steven
Soderbergh fait de “Full Frontal” sa déclinaison personnelle du Dogme 95, pour faciliter les intentions et les
cohésions entre les acteurs, inciter à l’improvisation et donc prendre de soi pour trouver sa place dans cet
univers choral à deux mouvements. Malgré l’extrême durée du film au vu de ce qu’il raconte, et la cohérence
narrative assez vaine sur la durée, le geste ici puise sa source dans la production originale effectuée, à
base de restrictions de codes pourtant classiques, comme l’absence d’équipe HMC (Habillage-Maquillage-
Coiffure), de loges ou de transports privés payés par les studios. Ce pacte, fait de dix commandements
questionne alors la limite de l’acting et son remplacement par, uniquement, la persona de l’Homme derrière
l’Acteur. L’engagement sur la traite des Noirs, le manque de réussite dans la ville des Étoiles, le producteurshowman
qui fait de son poste un rôle cinématographique… L’ensemble des métiers et des rôles présents
dans Full Frontal se retrouve dilué pour n’offrir qu’un message : être, peut aussi être synonyme de jouer.
Tanguy Bosselli
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Haywire (Piegee)
Aussi fou que cela puisse paraître, le premier - et unique - passage dans le cinéma d’action de
Steven Soderbergh, “Haywire”, est totalement passé inaperçu ou presque, la faute à une sortie
estivale maladroite en 2012 (quelques semaines avant son plus populaire “Magic Mike”) et un
squattage intense sur les plateformes de téléchargements avant même que sa campagne
promotionnelle hexagonale ne débute.
Une petite bombe condamnée à l’oubli donc, un comble quand on sait la manie fort louable
du papa de “Hors d’Atteinte”, de constamment révolutionner son cinéma et de disséquer des
genres qui ne lui sont pas forcément familiers.
Partant d’un postulat assez basique (une machine de combat qui monnaye ses talents, décide
de partir à la retraite, et ça ne plait pas du tout du tout à son employeur qui veut l’éliminer...
) tout en étant porté par une pro de la tatane encore novice dans le business (la sublime
Gina Carano, ex-championne du monde à l’UFC), Soderbergh délivre un thriller d’action
sympatoche, aux combats renversants (mais un peu courts), mais qui ne décolle jamais. Car si
l’intrusion de flashforwards/flashbacks et l’approche frontale et expérimentale de l’itinéraire
pas comme les autres d’une femme pas comme les autres sent bon la « Soderbergh Touch
«, la courte durée du métrage, ses lacunes (et déviances) scénaristiques ainsi que le manque
de profondeur des persos masculins (incarnés par un casting de talent proprement indécent)
empêchent au film de réellement emballer le spectateur et de pleinement exploser à l’écran
comme toute bonne série B qui se respecte.
Un peu trop terre à terre, même s’il est nerveusement découpé et qu’il a le mérite de rendre
Barcelone et Dublin plus accessible que jamais, la péloche ne vaut au final que pour ses
moments de bravoure « fightés «, son cast de mâles qui fait beau au générique, et pour
l’envoûtante Gina.
Un problème en soi ? Pas vraiment, tant le mélange des trois reste un cocktail certes imparfait
mais des plus jouissifs sur un peu moins de 90 minutes, et que la partition physique puissante
et hors du commun de Carano, parachève de rendre infiniment charmant ce petit moment
de cinéma rondement bien mené et suffisamment dosé en action pure et frontale, pour
qu’il mérite qu’on lui prête un minimum d’attention, entre tous les bijoux qui parsèment la
filmographie du bonhomme.
Jonathan Chevrier
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Contagion
Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Laurence Fishburne, Marion Cotillard, Bryan
Cranston… Difficile de s’entourer d’un meilleur casting que celui-ci pour un tel thriller dramatique
international. Écrit en 2011 par Scott Z. Burns, peu de temps après que l’épidémie H1N1 n’ait
inquiété le monde entier, “Contagion” offre à Soderbergh l’opportunité de porter un regard
plus réaliste que jamais sur les rapports sociaux qui se font et se défont à l’approche d’une
épidémie mortelle dont l’origine nous est inconnue.
Avec son approche aux antipodes des standards des films de virus sortis au même moment,
“Contagion” préfère se concentrer sur le destin de quelques individus uniquement, n’ayant au
départ aucun lien entre eux mais qui, sans le savoir, vont finir par influencer les destins d’autrui
par le biais de leurs actes, aussi anodins soient-ils. Ainsi, les conséquences de cette épidémie
nous sont ici relatées à travers une exploration de classes sociales radicalement opposées
l’une de l’autre, allant du père de famille sans histoire au blogueur conspirationniste jusqu’aux
grandes pontes politiques de la santé, en théorie sécurisées par leurs privilèges.
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Cette opposition sociale constante permet au film de traiter ce sujet à échelle mondiale à
travers un minimalisme saisissant et sans artifice, privilégiant la force émotionnelle de ses
comédiens (Matt Damon en tête) et le point de vue plus que pessimiste de l’écriture de Burns.
Soderbergh, quant à lui, complète cette vision d’une humanité vouée à l’échec par une mise
en scène à la fois épurée mais en lien avec son exploration de la paranoïa qui entoure ses
personnages et qui prend ici deux formes : une paranoïa d’abord épidémique mais qui va de
plus en plus laisser place à une paranoïa diplomatique.
Enfin, cette épuration à l’extrême de l’intrigue, sans surplus ni tentative émotionnelle en trop,
permet tout justement à “Contagion” d’être une des œuvres les plus réalistes que l’on ait pu
voir dans le genre de l’épidémie. Une course contre la montre désespérée orchestrée par la
musique angoissante de Cliff Martinez et qui nous laisse aussi terrifié que marqué devant ce
flash-back final incendiaire.
Tanguy Renault
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Magic Mike
Dans la filmographie bien riche de Soderbergh s’il y a bien un film
auquel on ne s’attendait pas forcément c’est bien «Magic Mike». Le
destin de Mike vivant de petits boulots la journée et qui enfile son
- non - costume de strip-teaseur la nuit dans un club de Floride.
L’outsider qui se rêvait plus que simple objet du désir féminin chaque
soir - il souhaiterait fabriquer des meubles et devenir entrepreneur
-. Un jour il tombe sur Adam, un jeune qui travaille avec lui sur un
chantier la journée et décide de le prendre sous son aile et l’intègre
au club.
Là où ne brille pas forcément le film est dans sa forme. Aussi correct
qu’il est prévisible, le film de Soderbergh brille avant tout par son
casting sur-vitaminé entre un Channing Tatum qui capte toute
l’attention - nouveau chouchou de Soderbergh vu également dans
«Piégée» et «Effets Secondaires» -, big beast à l’origine de ce projet
puisque le bonhomme bodybuilé était strip-teaseur lorsqu’il avait 19
ans. Les seconds couteaux sont loin d’être en reste entre un Matthew
McConaughey qu’on découvre sous un nouveau jour ainsi que le
poulain Alex Pettyfer qui trouve enfin un rôle à sa hauteur après
être passé par divers teen movies à la qualité plus que discutable.
Sur la forme, «Magic Mike» n’a rien de bien transcendant outre les
scènes tournées dans la boîte lors des divers shows de Mike et sa
bande pour leur offrir un côté spectaculaire et rythmé loin d’être
déplaisant mais outre ça, le film se perd dans des sous-intrigues
inutiles entre la boîte qui cherche à s’agrandir à Miami et le jeune
Adam qui se retrouve mêlé à une affaire de trafic de drogues -
prévisible -.
Une petite coquille vide bien loin d’être à la hauteur de ses autres
films mais qui a le mérite de rester divertissant. Ce qui ne l’a d’ailleurs
pas empêché de récolter plus de 112M de dollars de recettes au
box-office.
Margaux Maekelberg
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Ma vie avec
Liberace
Censé être son ultime péloche avant un repos du guerrier bien
mérité (SPOILERS pas du tout connu de tous : il est sortie de sa
retraite peu de temps après), “Ma Vie avec Liberace”, officiellement
téléfilm de la HBO mais vraie proposition de cinéma à part entière,
était surtout la meilleure des manières pour Steven Soderbergh, de
traiter au plus près deux de ses thèmes les plus chers : le paraître et
le mensonge, via le prisme de la love story décadente entre Walter
Liberace, king du kitsch absolu (même Elton John ne rivalise pas
avec lui) et le jeune Scott Thorson.
Sans voyeurisme ni effets mélodramatiques superflus, intime,
captivant et d’un humour délectable, la péloche pourrait même
clairement se voir comme une version gay de “Gatsby le Magnifique”,
avec qui il partage énormément de points communs (même monde
pimpant et luxueux, même atmosphère pleine de solitude, même
personnages, soit un candide fasciné d’un riche et populaire homme
qui le fait goûter à sa vie dorée,...).
Classique dans sa structure - et du coup, assez prévisible -, ultrakitsch
et haut en couleur mais surtout profondément soigné (des
décors rococo aux costumes et accessoires, le travail abattu est
dantesque) et maîtrisé, le film, d’apparence dramatique (Liberace
était un pianiste virtuose, un être aussi fantasque que solitaire,
qui mourut du sida sans n’avoir jamais fait son coming-out de son
vivant), s’avère in fine un biopic déluré et franchement irrésistible,
d’un outrancier toujours assumé, à l’ironie autant piquante que sa
tendresse est bouleversante.
Porté par un duo de comédiens surréalistes et à la limite de la
caricature, Matt Damon (qui joue avec délectation de sa virilité, en
amant désespéré et un peu en retrait) et Michael Douglas (immense,
tout en excentricité et en générosité), “Ma Vie avec Liberace”,
glamour et fou - dans tous les sens du terme -, est une romance
bouleversante et universelle, une observation tendre d’un freak
bigger than life, rongé par la solitude et une constante bataille pour
sauver la face aux yeux du monde.
Jonathan Chevrier
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The Knick
ou quand le passe nous renvoie le futur
Metteur en scène touche à tout, Steven Soderbergh ne pouvait reste
éloigné ad vitam aeternam du petit écran. De “Fallen Angels” (Steven
Golin, 1993-1995) dont il réalise deux épisodes, à “K Street” (2003) en
passant par “Mosaic” (2018), le talent de l’Américain s’est exporté sans
soucis. Pour autant, c’est bien dans “The Knick” (Jack Amiel et Michael
Begler, 2014-2015) que sondit talent s’exprime sans doute le mieux sur
le poste. Réalisateur, monteur (en tant que Mary Ann Bernard), chef
opérateur (en tant que Peter Andrews) et producteur exécutif, le style
du natif d’Atlanta est visible dans tous les recoins de cette série prenant
place au Knickerbocker Hospital du New York de 1900.
Regard historique autant que moderne sur un monde qui nous sépare
de plus d’un siècle : “The Knick” est un univers étourdissant où divers
enjeux et critiques se chevauchent (hubris, cupidité, sexisme et racisme)
sur fond d’une médecine qui ne cesse de se muer cadavres à l’appui.
Emmené par un casting bouleversant, une bande-son électro envoûtante
qui rompt avec l’archaïsme médical, un scénario composé de plusieurs
excroissances captivantes et une mise en scène sublime, “The Knick” est
un véritable petit bijou. Par-delà son intérêt documentaire évident, pardelà
la reconstitution diablement crédible ou la leçon de sociologie, la
série réalisée par Steven Soderbergh parvient à nous rappeler à ceux et
celles qui en doutaient que la télévision est le huitième art.
On a regretté que la chaîne Cinémax (petite sœur d’HBO) n’ait souhaité
prolonger l’aventure au sein de l’hôpital new-yorkais, mais après réflexion,
il apparaît que cette difficile décision fut la bonne. Qui d’autre que le
cinéaste de l’expérimentation et de la contagion aurait pu donner vie à un
tel bébé ? Personne et surtout par ces yes man mortifères…
Wade Eaton
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Logan Lucky
Quatre ans après une pseudo-retraite qui l’a vu jouer, plus que jamais,
les touche-à-tout un peu partout, Soderbergh revenait l’an passé frais
comme un gardon avec “Logan Lucky”, sorte de “Ocean’s Eleven” au pays
des rednecks prenant les atours cocasses d’une satire plus ou moins
féroce du pays de l’Oncle Sam (encore plus pertinente depuis l’avènement
à la présidence de Trump), sympathique et fun film de casse transpirant
de tous ses pores son cinéma si unique.
S’il joue logiquement sur le même terrain de jeu que Joel et Ethan Coen
- le pays des rednecks - dans une étude assez fine et (volontairement)
bordélique de ces oubliés de l’American Dream, et qu’il recycle habilement
les codes et clichés inhérents d’un genre qu’il a abordé plus d’une fois
dans sa carrière, Soderbergh n’en fait pas moins de son dernier essai en
date, un film qui lui ressemble de A à Z.
Que ce soit dans son montage très découpé (le cinéaste n’a rien perdu
de son habitude à aligner les ellipses à la pelle), ses dialogues ciselés, ses
portraits soignés et humains de personnages franchement singuliers, ou
sa manière de jouer autant avec son scénario classique (et c’est loin d’être
un défaut) que la perception qu’en a le spectateur; “Logan Lucky” est un
film Soderberghien sur le bout des ongles.
Prenant tout du long - sans ne jamais les juger - fait et cause de son
attachante bande de bras cassés - dans tous les sens du terme -
cherchant à faire le coup parfait et s’offrir le petit brin de réussite que la
vie leur refuse, tout en accumulant les foirades jouissivement absurdes,
le cinéaste signe une excellente, ironique et modeste comédie noire, une
grosse récréation au casting impliqué (Daniel Craig en tête, en parfait
contre-emploi).
Bref, sans faire de bruit, le grand Steven Soderbergh revenait dans nos
salles obscures, et cela fait franchement du bien.
Jonathan Chevrier
39
40
C’est l’histoire d’un projet que plus personne
n’attendait, mais qui ressurgit subitement
en 2015. Steven Soderbergh allait-il
relancer en même temps que “Ghostbusters”
de Paul Feig et “ExpendaBelles” de Robert
Luketic sa célèbre franchise “Ocean’s”,
mais uniquement avec des personnages féminins
? Alors que le premier reçut un accueil
entre le mitigé et le glacial, et le deuxième
en est encore au stade de gestation
; le troisième sort en juin, réalisé par l’élève
de la plus jeune Palme d’Or de l’Histoire du
cinéma, Gary Ross. Exit le casting original,
bienvenue à Sandra Bullock, Cate Blanchett,
Anne Hathaway ou encore Rihanna pour un
nouveau tour de piste, espéré classique… Et
classieux.
Malheureusement, le talent de Gary Ross
s’étant interrompu à “Pleasantville”, il est compliqué
pour ce réalisateur de tirer à nouveau une
épingle du jeu dans une imagerie visuelle allant
complètement à l’encontre de ce que son scénario
raconte. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que
plus qu’une bande de potes, la trilogie menée
par Danny Ocean dévoile au fil des films un programme
abstractisant sa trame narrative pour ne
faire accroître que de la suffisance volontaire de
tous ses protagonistes. Ainsi, “Ocean’s Twelve”
et le sous-estimé “Thirteen” se retrouvent être
un terreau d’expérimentations pastichées, alignant
les genres et les techniques cinématographiques
comme les perles pour faire les personnages
du film eux-mêmes des personnages
dont ils prennent progressivement conscience,
dans des saynètes où ils se donnent la réplique.
Leurs archétypes définissent dès lors le changement
de leur mentalité, où la nécessité et l’urgence
deviennent vaines au détriment de leurs
postures et leurs légendes désormais connues
dans la diégèse et chez le spectateur dans la
salle. Il était évident qu’un biopic se devait d’effacer
ces caractéristiques pour reconstruire un
univers, mais le chemin arpenté par la narratologie
se révèle bien trop usée par les tics de la
saga qu’il reboote et les clins d’œil putassiers se
révèle bien dangereux pour proposer un nouveau
segment de qualité. Si l’idée de se dire «
Les femmes peuvent très bien faire ce que les
hommes font » est louable, l’absence de gentrification
de la trilogie originelle – franchement,
que ce soit des hommes ou des femmes, le résultat
aurait été le même – et la reprise quasi scène
par scène de la moitié des actions des trois précédents
métrages inquiètent sur les bienfaits de
cette réadaptation.
La pénibilité de la mise en scène de Gary Ross
fait également bien défaut, réduisant ses actrices
à des archétypes qu’il est difficile de comprendre,
du fait d’un manque de progression
caractérielle. Seule Anne Hathaway tire son
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13/06
Ocean’s 8
DE GARY ROSS. AVEC SANDRA BULLOCK, CATE BLANCHETT... 1H50
épingle du jeu dans son rôle de jet-setteuse archétypale
mais à la palette actorale étonnamment
bien contrastée. Dans l’imagerie primaire
du film résident aussi de nombreuses failles :
l’absence de déclinaison des logos de Warner et
Village Roadshow Pictures, à associer bien évidemment
aux premières images du film pour en
obtenir la confirmation, promettaient – et c’était
une réelle surprise ! – un film plus réaliste et
terre-à-terre. Le braquage confirme cela, ne se
contentant que de suivre sans jamais perdre de
vue tous les protagonistes pour fluidifier le braquage
et le rendre crédible. De plus là où l’envie
de localiser le film uniquement à New York aurait
pu promettre un pastiche, cette fois-ci, des
drames satiriques New-Yorkais contemporains,
des œuvres de Woody Allen à “Mad Love in New
York” des frères Safdie, il n’en reste qu’au stade
premier, très lisse et aseptisé. Si le manque de
grammaire cinématographique se retrouve vite
flagrant et tuant dans l’œuf la possibilité de voir
ceci (un comble, de la part d’un réalisateur qui
a pu signer “Pleasantville”, pastiche très réussi
d’un sitcom classique et empli de codes vétustes),
il ne semble pas non plus comprendre
la volonté de son scénario d’accentuer un geste
réaliste, en parasitant son long-métrage d’incompréhensibles
transitions en volet. Le geste
même du réalisateur se trouve alors coincé dans
un paradoxe, entre l’émancipation et la citation,
qui poussent sans cesse à sortir du film tout en
donnant une infime légitimité à des flash-backs
poussifs et d’une utilité encore très questionnable.
Il est toujours étonnant de voir qu’un heist-movie
au casting all-star soit souvent signe d’un
pilotage automatique. Cela devient bien plus
alarmant quand la saga la plus absurde de ce
sous-genre, volontairement vide et abstraite, se
retrouve piégée par l’auto-référence, aux thématiques
– osons le terme – sans double-fond…
Tanguy Bosselli
42
13/06
Désobéissance
43
Pour les amateurs de ces deux actrices aussi belles que talentueuses, un film avec
l’une des deux Rachel, McAdams et Weisz, ça s’attend toujours avec une certaine impatience.
Mais un film avec les deux actrices ensemble, sous la caméra d’un cinéaste
talentueux déjà organisé, Sebastian Lelio (“A Fantastic Woman”), le projet devient
tout de suite gentiment immanquable.
Adaptation du roman éponyme de Naomi Alderman, et plaçant son intrigue au sein
de la communauté juive-orthodoxe de Londres, où les libertés individuelles sont sacrifiées
sur l’autel de la croyance et de la tradition, “Désobéissance» s’attache au retour
forcé (suite au décès de son père, éminent rabbin apprécié de tous) dans ce cadre
rigide et restrictif de Ronit, dont l’apparence physique et la vie personnelle (elle est
photographe à New-York), dénote complètement avec ses anciens contemporains.
Presque paria d’une communauté qu’elle a quitté pour d’obscures raisons (mais faciles
à déceler) et qui la renie poliment - sans forcément être hostiles comme d’autres
communautés -, elle y retrouvera deux amis de jeunesse, Dovid, devenu disciple du
rabbin, et sa femme Esti, avant de très vite troubler la quiétude et la discrétion de
leur quotidien...
Tragédie sentimentale bouleversante et nécessaire sur un amour impossible entre
deux êtres malades de ne pas pouvoir établir la moindre connexion par manque
de liberté (ce qui tranche avec les premiers mots de l’ouverture, annonçant que les
humains au contraire des anges et des démons, sont libres de choisir leur destinée),
malades de ne pas pouvoir assumer, être ce qu’elles sont réellement tant elles sont
enfermées dans un mode de vie trop formel et ritualisé pour elles. Deux âmes perdues
et divisées, qui se retrouvent, se connectent, se dévorent du regard dans un
balai des sens aussi romantique qu’il est puissant de désir inassouvi.
Véritable homme de la situation (remember son fantastique “Gloria”), Sebastian Lelio,
jamais juge ni bourreau pour ses personnages, transcende la certaine prévisibilité de
son oeuvre (qui peut douter qu’Esti résistera à la tentation incarnée par Ronit ?) pour
en faire un beau drame humain à l’atmosphère aussi bouillante qu’anxiogène, où la
complexité des émotions est le ciment d’un conflit inévitable, où l’idée de suivre son
coeur peut avoir des conséquences proprement dévastatrices.
Authentique, intense et forcément intime, pas exempt de quelques longueurs (surtout
dans sa seconde moitié) mais à l’épilogue étonnamment ouvert, criant de vérité
sans aligner une pluie de dialogues, «Désobéissance» magnifie la retranscription de la
passion sur grand écran, et ne serait pourtant rien sans les prestations ahurissantes
de justesse de Rachel Weisz (flamboyante), Alessandro Nivola (juste et touchant)
mais surtout de Rachel McAdams (parfaite), véritable pivot dramatique du métrage
en femme tiraillée au plus profond de son coeur.
La désobéissance et l’amour ont un prix, l’honnêteté encore plus.
Jonathan Chevrier
DE SEBASTIAN LELIO. AVEC RACHEL WEISZ, RACHEL MCADAMS... 1H54
13/06
hérédité DE
ARI LESTER. AVEC TONI COLETTE, GABRIEL BYRNE... 2H06
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Aussi étrange que cela puisse paraître, le cinéma
de genre US qui, passé quelques années de disette
ou seulement quelques pépites arrivaient à
surnager au-dessus des radars du nauséabond
et du cruellement classique, se paye depuis peu
une cure de jouvence non négligeable, nous envoie
à une semaine d’intervalle à peine, deux de
ses péloches horrifiques les plus célébrées et
buzzées du moment : «Hérédité» d’Ari Aster ces
jours-ci, et «Sans un Bruit» de John Krasinski la
semaine prochaine. Deux films plaçant la cellule
familiale en son coeur (berceau fertile pour les
mystères et les secrets les plus fous), en s’ancrant
solidement dans le réel pour mieux glisser
dans l’horreur pure et laisser la terreur s’y immiscer
avec une virtuosité proprement indécente.
Mais si le film de Krasinski rappelle les premières
heures (glorieuses) du cinéma de M. Night Shyamalan,
celui d’Aster lui, se place instinctivement
dans les pas tutélaires des oeuvres phares de
l’horreur : «Psychose» d’Alfred Hitchcock et «Les
Innocents» de Jack Clayton en tête.
Plongée angoissante dans l’intimité d’une famille
à l’équilibre plus qu’incertain (et dont le quotidien
est déjà gangrené par l’incommunicabilité entre
tous ses membres), les Graham, tourné comme
une tragédie dramatique sur les névroses familiales
virant tranquillement mais sûrement dans
son second tiers vers le cataclysme funeste profondément
oppressant où chacun des personnages
est prisonnier de son sort et n’a aucun
contrôle sur un destin déjà tracé; «Hérédité» déjoue
constamment les attentes de son auditoire
(qu’il manipule autant que ses personnages,
finement croqués) pour mieux l’emprisonner
dans un cauchemar follement introspectif à la
précision scénaristique et aux visions horrifiques
d’une puissance graphique rare, visions dont on
ne se remet jamais vraiment même longtemps
après avoir quitté son siège.
Magistral, imprévisible, hypnotique et totalement
désespéré, jamais écrasé par ses nombreuses
références (parfaitement digérées) et
thèmes aussi forts que casse-gueule (la transmission
comme le suggère le titre, la paranoïa,
la schizophrénie ou même l’occultisme) tout en
étant constamment sublimé par une direction
d’acteurs appliquée (Toni Colette trouve aisément
ici l’un de ses plus beaux rôles à ce jour);
«Hérédité» est de ces petits miracles sur pellicule
aussi fou et halluciné qu’hallucinant, dont
la maîtrise diabolique de son jeune cinéaste, ne
peut que laisser pantois.
Pour son premier passage derrière la caméra,
Ari Aster fait (très) mal, et s’inscrit instinctivement
dans la liste des jeunes cinéastes ricains à
suivre de près, au même titre que Jordan Peele
et Trey Edward Shults.
Jonathan Chevrier
45
13/06
midnight sun
DE SCOTT SPEER. AVEC BELLA THORNE, PATRICK SCHWARZENEGGER... 1H33
Dans l’étonnamment riche catégorie des comédiens
« fils de cherchant à se démarquer de
l’image imposante de leur paternel tout en se
rattachant à des projets qu’eux n’auraient jamais
touchés même sobres « (oui, c’est un gros intitulé),
Patrick Schwarzenegger se pose bien là, juste
derrière un Scott Eastwood qui accumule autant
les mauvais choix que les prestations difficilement
défendables. Essayant de faire son trou
comme il peut à Hollywood et n’ayant ni l’accent
gentiment prononcé - pour être poli - ni les
put*** de biscottos monstrueux de son papounet,
le voilà en vedette de la bluette adulescente
de ce (presque) début d’été : «Midnight Sun», où
il tente de vivre une love story ‘’impossible mais
pas trop’’ aux côtés de la craquante chanteuse/
actrice Bella Thorne, au C.V plus fourni mais pas
forcément plus foufou non plus.
Porté par un pitch un poil abracadabrantesque
badigeonné de guimauve, tiré d’un film japonais
- «Taiyo No Uta» de Norihiro Koizumi - qu’il
pille sans vergogne et basant une nouvelle fois
son intrigue (coucou syndrome “Love Story”)
sur une potentielle maladie orpheline/tragique
de son héroïne amoureuse - elle ne peut pas
être exposée à la lumière du jour sous risque
d’être frappée par un cancer foudroyant -, tout
en jouant des talents de chanteuse de son actrice
vedette (coucou syndrome «Le Temps d’un
Automne»); «Midnight Sun», qui se rêve évidemment
original, recycle sans frémir tous les poncifs
du genre et les clichés romanesques pour
accoucher d’une bande à la limite de l’orgie du
mauvais goût, sommet de fadeur pataude dans
lequel se perd un couple vedette mal assorti et
jouant constamment avec les pieds (Arnie doit
payer des cours d’acting à son rejeton fissa),
pire que dans la plus nunuche et bas du front
des telenovelas mal doublées.
Teen movie sur un amour condamné prévisible
et lisse comme ce n’est pas permis, partiellement
émouvant, beaucoup trop niais et shooté
aux bons sentiments pour causer plus l’empathie
que la consternation, «Midnight Sun», qui
cherche tout du long les chaudes larmes de son
auditoire mais ne récolte qu’un ennui poli, incarne
le nivellement vers le bas d’un genre qui
pourtant, parfois quand toutes les étoiles sont
bien alignées, arrive à faire mouche (merci John
Green, mais pas que). Toutes les étoiles se sont
gentiment fait la malle cette fois...
Jonathan Chevrier
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20/06
sans un bruit
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Printemps 2017, une petite bombe indépendante («Get Out») concoctée
par un jeune cinéaste que l’on n’a pas vu venir (Jordan Peele) offrait un
coup de fouet non négligeable à un cinéma de genre ricain qui en avait
bien besoin, tout en faisant gentiment exploser le box-office mondial.
Printemps 2018... bis repetita.
Passé deux premiers essais qui n’ont pas forcément fait grand bruit («Brief
Interviews with Hideous Men» et le sympathique «La Famille Hollar»), le
génial John Krasinski passe à la vitesse supérieure avec «Sans un Bruit»,
film de monstres tendu comme la ficelle d’un string, dont l’excellence est
appelée à marquer son époque.
Sommet de survival/terreur intime alignant les sursauts traumatiques avec
une justesse rare, distillant avec parcimonie de vrais morceaux de terreur
tétanisant tout en puisant sa force autant dans une rigueur scénaristique
exceptionnelle qui nous préserve majoritairement des habituelles facilités
du genre (même si Krasinski se perd un peu plus dans le dernier acte, et
qu’il est obligé de se laisser aller à quelques jumps scares dispensables)
dans une réalisation inspirée et totalement vouée à la mise en valeur du
hors-champ et de l’inconnu; “Sans un Bruit», tout en suggestion, revient au
fondement du suspense horrifique adulte au classicisme formel imparable.
Articulant son oeuvre sur deux artifices simples au sein d’un cadre faussement
apocalyptique (une invasion de monstres à l’ouïe hyper développée
et la nécessité d’une famille à ne pas faire de bruit pour survivre) et enlacé
au plus près de ses personnages, volontairement ordinaires (pour accentuer
l’empathie et la charge émotionnelle du récit), «A Quiet Place» ne révolutionne
jamais le genre, mais va constamment à l’essentiel et exécute son
électrochoc avec une telle minutie - proche de la perfection -, qu’il exhale
une angoisse sourde et obsédante qui ne peut que marquer durablement
son auditoire.
Cauchemar sur pellicule singulier, silencieux - évidemment - et authentique,
à la photographie crépusculaire et interprété à la perfection (Krasinski et
Blunt sont convaincants en parents aimants mais fermes, Millicent Simmonds
confirme tout le bien que l’on pense d’elle depuis «Wonderstruck»),
«Sans un Bruit» est un petit bijou au charme subtil, un bel exemple de divertissement
racé et intelligent à la synthèse minimaliste, qui n’est pas sans
rappeler les premières oeuvres pré-craquage égocentrique, de M. Night
Shyamalan. Vivement le prochain long de John Krasinski...
Jonathan Chevrier
DE JOHN KRASINSKI. AVEC JOHN KRASINSKI, EMILY BLUNT... 1H30
20/06
how to talk to
girls at parties
Cinéaste au cinéma profondément singulier, véritable amoureux de la culture punk
s’étant sensiblement assagi avec son dernier long-métrage en date, le douloureux
«Rabbit Hole» (déjà avec Nicole Kidman), John Cameron Mitchell a volontairement pris
son temps pour revenir dans nos salles obscures, mais le bonhomme y a mis les formes,
avec un retour aux sources improbable et férocement jubilatoire. Avec «How To Talk To
Girls at Parties» (passé par la Croisette... l’an dernier), Mitchell renoue avec la folie de
ses débuts pour adapter le pitch WTF-esque de la nouvelle d’un auteur lui aussi gentiment
barré, Neil Gaman («Sandman», «American Gods»), dans laquelle trois lascars
cherchent, dans le Londres de 1977, un after (mais surtout des filles) et se retrouvent in
fine dans une fête avec un paquet de créatures venues d’ailleurs sexys et fan de latex.
Gros trip cinéphilique façon teen movie SF shooté au cultissime «The Rocky Horror
Pictures Show», le quatrième long-métrage de Mitchell a beau être plus sage et moins
politiquement incorrect/tordu que «Hedwig and The Angry Inch» et «Shortbus», il n’en
est pas moins une petite bulle de légèreté et de lyrisme savoureusement kitsch, aussi
bien ancré dans son époque (contestataire, l’aspect anarchique du rock et du mouvement
punk, étant à son zénith) qu’elle fait continuellement la part belle à l’humour et à
la romance au sein d’une bizarrerie pop et nostalgique délirante, porté par un couple
vedette Elle Fanning/Alex Sharp joliment empathique.
Autant récit initiatique et ode à la liberté et à l’anticonformisme que vrai trip loufoque
à l’inventivité exceptionnelle, drôle (certaines privates jokes sont awesome), profondément
impertinent et énergique (B.O d’enfer en prime), «How To Talk To Girls at Parties»
est un petit OFNI inclassable, merveilleusement bordélique, excessif et enchanteur.
Bref, le petit film insolite que notre été avait besoin, entre deux blockbusters ricains
rutilants et pas toujours bandants...
Jonathan Chevrier
DE JOHN CAMERON MITCHELL. AVEC ELLE FANNING, NICOLE KIDMAN... 1H42
48
49
50
budapest
DE
XAVIER GEN
S. AVEC MANU PAYET, JONATHAN COHEN... 1H42
51
27/06
Comme une sorte de rencontre au sommet entre trois
figures phares de l’humour français issu de la culture internet,
“Budapest s’avère être une comédie bien moins
creuse qu’il n’y paraît. Si son premier quart peut d’abord
nous faire craindre un “Very Bad Trip sorti 10 ans trop
tard, il se détache finalement assez vite de son esprit beauf
pour, à l’inverse, se remettre en question et prendre du
recul sur les conséquences néfastes de cette vision vulgarisée
du monde extérieur.
De même, la réalisation de Xavier Gens (plutôt habitué
aux films d’horreur à la subtilité relative) sied à l’atmosphère
du scénario de Manu Payet et de Simon Moutairou
d’une belle manière, oscillant toujours entre une stylisation
clipesque de la folie nocturne de la capitale hongroise
et un maintien constant du retour insidieux vers
la réalité, personnifié ici par les génialement garces Alice
Belaïdi et Alix Poisson.
Néanmoins, c’est bien l’alchimie du trio Manu Payet/Jonathan
Cohen/Monsieur Poulpe qui porte véritablement
le film, lui donnant une ambiance décontractée, rafraîchissante
et souvent drôle, mettant l’accent sur le grand
talent d’improvisation de ces trois têtes d’affiche. Tous
ces éléments permettent au final à “Budapest” d’être un
moment agréable qui, à défaut d’être marquant sur le
long terme, a le mérite de se suivre sans déplaisir et d’éviter
de tomber dans le piège de l’œuvre gratuitement provocatrice.
Tanguy Renault
27/06
love, simon
Outre quelques divagations romantico-légères pas toujours très digestes, gageons que le
giron du teen movie US cher à feu John Hughes va bien, voire même de mieux en mieux,
soyons fou. Et, entre un “13 Reasons Why” qui joue du buzz et un “Midnight Sun” qui fait
franchement peine à voir, “Love Simon” n’y est décemment pas étranger à ce net regain de
forme. Estampillé premier vrai film d’ado gay porté de manière totalement improbable par
une grosse major - la FOX -, le film de Greg Berlanti (scénariste sur la référence “Dawson”)
est surtout, enfin, une chronique adolescente qui compte sur grand écran.
Une mini-révolution LGBT, un vrai coup de pied dans la fourmilière visant autant à divertir
le spectateur qu’à faire résonner une belle vérité en lui : celle d’un coming out aussi touchant
qu’il est d’une légèreté salvatrice, opéré entre les casiers d’un lycée (grille de lecture/
extension cruelle de la vie courante) où les existences sont déjà rudement conditionnées.
Greg Berlanti a totalement conscience de l’importance de sa péloche, et il fait les choses
bien dans son adaptation du roman populaire “Moi, Simon, 16 ans, Homo Sapiens” de Becky
Albertalli, recyclant habilement tous les codes habituels du genre tout en déjouant également
les clichés faciles associés à l’homosexualité, pour mieux étayer un propos simple et
symbolique du teen movie - l’acceptation de soi-même pour mieux se faire accepter des
autres et trouver sa place -, au sein d’un joli récit mi-initiatique mi-love-story semblables aux
autres, pétrie de drôlerie et d’intelligence, mais qui se démarque par la justesse d’un souffle
émotionnel vibrant et universel.
Bienveillant (trop peut-être, on n’est décemment pas chez Gregg Araki et son réalisme douloureux)
dans sa déclinaison inédite et nécessaire de la chronique adolescente, solidement
interprété (Nick Robinson en impose pour son premier vrai grand rôle), comique et à la
mécanique bien huilée (même si le climax est trop shooté à la guimauve), “Love, Simon” est
un beau et lucide petit moment de cinéma certes pas exempt de quelques facilités, mais qui
s’assume tel qu’il est, tout comme son attachant héros.
Bref, le teen movie ricain fait enfin son coming out de manière publique sur grand écran, il
était (vraiment) temps.
Jonathan Chevrier
52
DE GREG BERLANTI. AVEC NICK ROBINSON, KATHERINE LANGFORD... 1H50
53
27/06
parvana
Parfois, entre quelques divertissements amusant grandement nos petites têtes blondes -
mais pas que -, le giron animé du septième art nous offre quelques petites pépites que l’on
ne voit pas forcément venir, mais qui nous marque longtemps après vision.
Et dans la riche année ciné 2018, qui est en passe d’entamer sa mi-course, le sublime
“Parvana, Une Enfance en Afghanistan” de Nora Twomey, sera décemment de ceux-là.
Adaptation tout en délicatesse et dureté du premier tome de la saga littéraire de Deborah
Ellis, l’histoire suit celle de la jeune Parvana dans l’Afghanistan du début des années 2000,
obligée de se grimer en garçon pour travailler (son père à été emprisonné pour avoir éduquer
les femmes de son foyer) et ne pas subir de plein fouet la tyrannie des Talibans qui nie avec
violence, le droit des femmes.
Conte universel, onirique et touchant jamais moraliste malgré la gravité de son sujet
(compréhensible par tous, et qui pousse instinctivement son auditoire à la réflexion), jamais
trop douloureux et se permettant même quelques envolées tendres et drôles tout en ne
masquant pas la barbarie (in)humaine de son cadre, “Parvana”, esthétiquement remarquable,
est une vraie ode à l’imaginaire et au féminisme, à la résistance face à l’oppression et à la
misogynie assumée d’un régime abusivement - et le mot est faible - autoritaire.
À travers le combat vibrant de sa jeune héroïne humaniste, Nora Twomey nous rappelle à
une vérité bien réelle, et nous touche en plein coeur avec un second essai aussi réaliste et
politique qu’il est merveilleusement poétique.
Jonathan Chevrier
DE NORA TWOMEY. 1H33
54
Tully DE
27/06
JASON REITMAN. AVEC CHARLIZE THERON, MACKENZIE DAVIS... 1H36
55
On avait laissé le cinéma de Jason Reitman pas forcément au beau fixe il y a un tout petit
peu plus de trois ans maintenant avec le peu fameux «Men, Women and Children», tentative
désespérée de revenir aux sources de son cinéma bienveillant (que beaucoup n’hésiteront
pas à taxer de surcoté et complètement inoffensif) au regard hautement affuté, mais sans
la présence tutélaire de Diablo Cody au scénario.
Un manque que n’aura décemment pas son retour sur grand écran, «Tully», puisque le bonhomme
a fait en sorte de réunir autour de lui le duo magique qui avait fait de son brillant
et amer «Young Adult», son dernier grand film : Cody au scénario et Charlize Theron face
caméra; pour une vision loin d’être idyllique de l’accomplissement maternel.
Décortiquant l’envers du décor de ce moment de grâce qu’est le miracle de donner la vie,
le septième long-métrage de Reitman ne se prive jamais de montrer les mille et une difficultés
que peut rencontrer toute femme choisissant d’être mère, de la fatigue accumulée à
la cadence infernale des habitudes d’un quotidien presque ingérable appelées à se répéter
sans cesse (une exploration prenante des thèmes de l’épuisement parental et de la dépression
postpartum). Avec une approche intimiste proche du documentaire, «Tully», plus
encore que «Young Adult», appelle au droit à l’imperfection de ses super-héroïnes de la vie
de tous les jours, obligées de plier sous le poids d’exigences impossibles, et Marlo (Charlize
Theron, fantastique et douloureusement empathique), la mère courage au bout du rouleau
du métrage, a cruellement besoin d’aide. Une aide qui prendra les traits angéliques de Tully
(Mackenzie Davis, touchante), une baby-sitter tout en énergie et en délicatesse, qui viendra
prendre le relai une fois la nuit venue, et qui bouleversera dans les grandes largeurs le quotidien
de la matriarche fraîchement quarantenaire.
Comédie acerbe et inspirée glissant tendrement vers la tragédie mélancolique, plongeant
souvent tête la première dans les scènes attendues et les tics de tout drame indépendant
US tout en épousant, à travers certains dialogues, une vérité aussi brutale que nécessaire,
sublimé par des comédiennes totalement impliquées; «Tully» s’inscrit dans la droite lignée
du précédent long du trio Reitman/Diablo/Theron (et peut-être même de «Juno», au fond),
et incarne un portrait tendre et humain de la quarantaine, de cet âge du milieu de vie tiraillé
par les questionnements et les conséquences de nos choix passés.
Un beau film simple, vrai, mature et joliment bouleversant, qui nous réconcilie clairement
avec le cinéma du rejeton d’Ivan Reitman.
Jonathan Chevrier
56
27/06
pur-sang
57
PaDire que l’on donnerait presque le bon Dieu sans confession à la magnifique
Olivia Cooke est presque un doux euphémisme, tant la jeune comédienne
a réussi à faire de son joli minois, l’un des plus plaisants à suivre ces
dernières années, aussi bien sur le petit que sur le grand écran.
Et alors qu’elle est en passe de s’offrir un joli billet pour la renommée suite au
carton d’estime du méchamment jouissif “Ready Player One” du roi Steven
Spielberg, et au triomphe critique du formidable premier essai de Wayne
Roberts, “Katie Says Goodbye” (où elle est extraordinaire), c’est au tour de
“Thoroughbreds”, sortie dans l’anonymat le plus complet malgré un buzz
positif intense outre-Atlantique, que les amateurs de l’actrice se doivent de
porter leur attention en ces premières heures d’un été bien plus riche que
l’on aurait pu le croire.
Premier film du cinéaste Cory Finley (mais surtout dernier de feu le regretté
Anton Yelchin), sorte de teen movie noir scindé en plusieurs parties/chapitres,
sur une amitié orageuse/fusionnelle entre deux ados BCBG supposément
opposées (l’animalité glaciale face à la candeur attachante) mais
complémentaires, qui s’associent dans le crime pour liquider le beau-père
prétentieux de l’une des deux; “Thoroughbreds” - titré “Pur-Sang” par chez
nous -, se rêve tout du long comme un sommet de thriller ambiguë et tendu
comme la ficelle d’un string, sur une jeunesse aussi froide qu’inquiétante
(trompant l’ennui de leurs quartiers huppés en concoctant l’impensable,
troublante mise en images de la vie inerte de la « haute société « contemporaine),
mais se perd continuellement dans un amas de bavardage à peine
divertissant (même si le duo Cooke/Taylor-Joy en impose) qui amenuise
considérablement l’aspect foncièrement étrange d’un script tortueux mais
bancal, un jeu de massacre boitant jusqu’à un dernier acte jamais marquant
ni déstabilisant.
Coming-of-age movie façon conte macabre maladroit et singulier à l’ambiance
pourtant enivrante grâce à la photographie soignée de Lyle Vincent
(“The Bad Batch”, “A Girl Walks Home Alone at Night”), n’embrassant jamais
assez sa part d’ombre - prometteuse - et son immoralité pour pleinement
convaincre (même si la jeunesse dorée dépeinte inspiré bel et bien le sentiment
de dégoût recherché), “Pur-Sang”, belle déception cynique vu les
talents impliqués, ne vaut alors que pour l’alchimie magnétique et électrique
d’Anya Taylor-Joy et Olivia Cooke, deux étoiles montantes d’un septième art
ricain qui serait bien avisé de les faire jouer le plus possible.
N’est pas Bret Easton Ellis qui veut...
Jonathan Chevrier
DE CORY FINLEY. AVEC ANYA TAYLOR-JOY, OLIVIA COOKE... 1H33
58
OuIl y avait énormément de quoi tiquer sur le papier, à l’idée de voir débarquer dans les
salles obscures, une suite au formidable “Sicario” de Denis Villeneuve, cornaqué non plus
par le bonhomme mais par un autre cinéaste, Stefano « Gomorra « Sollima (pas un étranger
du crime organisé donc), le tout avec une histoire occultant complètement l’héroïne du
film original, campée par la sublime Emily Blunt, pour totalement se focaliser sur celui, au
demeurant plus mystérieux et passionnant, d’Alejandro campé par Benicio « Fucking « Del
Toro - avec celui de Josh Brolin également.
Quelque part entre la violence décomplexée et anxiogène du sous-estimé “Cartel” de Ridley
Scott, et le réalisme d’exécution du grand “Miami Vice” de Michael Mann (l’un des meilleurs
polars de ces dix dernières années), le tout en rappelant l’intensité criante du film d’origine,
“Sicario La Guerre des Cartels”, prenant place quelques années après les évènements de
Juarez, enfonce le clou du divertissement racé et intelligent instauré par l’écriture majestueuse
de Taylor Sheridan (qui s’impose de plus en plus en digne héritier du grand Sam
Peckinpah), pour mieux incarner une oeuvre coup de poing; un uppercut sondant autant
les traumas de la société contemporaine US (dont la situation politique n’a jamais été aussi
houleuse et hypocrite) que les tréfonds de l’âme humaine via le prisme d’une humanisation
salvatrice - même si un poil forcé - d’un homme charismatique en pleine quête de rédemption
après une existence engluée dans l’enfer des cartels - mais pas que.
Un antihéros crépusculaire presque d’un autre temps (un héros westernien, cher à Sheridan,
qui n’est pas sans rappeler le Leon de Luc Besson, sous certains aspects), confrontant
la violence bruyante par une autre, plus sourde mais pas moins destructrice.
Manipulant à sa guise son spectateur avec un propos aussi corrosif qu’il est humain et
criant de vérité (la peur du terrorisme, la question de l’immigration comme véhicule de la
violence, la différence incroyable entre deux pays aussi proches physiquement qu’éloignés
dans leurs politiques), tout en enrobant sa charge avec une action marquée et cadrée à la
perfection (et on pense, instinctivement, à la référence “Heat”) par une mise en scène stylisée
et enlevée (d’ailleurs, la direction d’acteurs s’aligne sur le même niveau de qualité), ainsi
qu’une atmosphère dense et suffocante aux douloureuses allures de descente aux enfers
saisissante; “Sicario La Guerre des Cartels”, qui prend le contre-pied du premier film tout
en lui offrant un prolongement aussi atypique que solide et cohérent (le personnage de
Brolin, passionnant d’ambiguïté morale, en sort grandit), est un divertissement calibré pour
les amateurs de B movie, un moment de cinéma percutant et nihiliste à souhait, au rythme
volontairement infernal.
S’il subit évidemment la concurrence avec son glorieux aîné (moins populaire dans sa facture,
parfois plus irréaliste et métaphorique) et que sa nécessité/légitimité pourra toujours
être discuté par beaucoup, il n’en est pas moins une franche - et étonnante - réussite.
Jonathan Chevrier
DE STEFANO SOLLIMA. AVEC BENICIO DEL TORO, JOSH BROLIN... 2H02
59
27/06
Sicario
La Guerre des Cartels
60
DE BRAD BIRD. AVEC LES VOIX DE DE GÉRARD LA
Passé la (petite) frustration de voir que la tant attendue
suite du bijou de Brad Bird s’inscrit directement à la suite
du premier opus (on aurait adoré voir Jack-Jack grandir
et les enfants prendre un peu de bouteille), impossible
pour tout amoureux des premières bandes de la firme à
la lampe, de ne pas être épris d’une nostalgie folle à la vision
des premières secondes des “Indestructibles 2”, tant
la famille Parr, même quatorze ans après, n’a pas pris une
seule ride - à la différence de nous hein.
Et si le premier opus offrait une radiographie pleine de
sens du genre super-héroïque (avec une intrigue au beau
milieu des 60’s, entre film de super-héros et film d’espionnage
‘’Bondien’’), en plein essor à l’époque (la concurrence
était considérablement réduite en comparaison à
aujourd’hui), ce second film - produit un poil à la va-vite -
arrive carrément au coeur de la bataille, à une heure où la
demande devient de manière totalement contradictoire,
aussi lassante qu’enthousiasmante.
Mûrement réfléchi, bien ancré dans son époque en renversant
- mais pas que - gentiment les rôles en s’attachant
au prisme de la vie de foyer du point de vue du
père de famille (c’est à Bob, vite dépassé, de s’occuper
des enfants et à Hélène cette fois-ci, de bouter du méchant)
et en rayant le concept d’image publique (à une
heure où les réseaux sociaux font rage), encore plus ‘’spy
movie’ et volontairement vintage que le précédent et
déjouant pleinement la règle du ‘’bigger and louder’’ de
toute suite made in Hollywood; “Les Indestructibles 2” enfonce
le clou du bon goût jusqu’au fondement et incarne
une suite aussi étonnante et visuellement impeccable
que brillante, plaçant la famille, et non les super-pouvoirs
(tous symboliques de la dynamique familiale), au coeur
des débats, poussant de facto l’empathie et l’attachement
du spectateur pour les Parr à son paroxysme au
sein d’une intrigue certes un poil prévisible, mais tout du
long prenante.
Vrai/faux film de super-héros inventif et thématiquement
dingue, rythmée façon pure comédie familiale sur la banalité
du quotidien la guerre des genres, portée par des
séquences d’action anthologiques et un score cuivré virtuose
de Michael Giacchino, “Les Indestructibles 2” a bon
à tous les niveaux, sublime les envolées cartoonesques
autant que les vrais moments de bravoure de ses héros.
Bref, Brad Bird prend à contre-pied la production actuelle
et tue une nouvelle fois le game avec un petit bout de
cinéma sincère, magique et drôle, tout simplement.
Jonathan Chevrier
NVIN, LOUANE EMERA... 1H58
61
04/07
les indestructibles 2
62
à la dérive
Baltasar Kormákur ou définitivement l’un des plus honnêtes et sympathiques faiseurs
de séries B de ces dix dernières années au sein de la jungle Hollywoodienne, un bonhomme
au talent certain qui aligne les péloches jouissives et qualitatives à la pelle.
Bref, un ami de la famille quoi.
Habitué des survivals en terre hostile (il est le papa du mésestimé “Everest”), le voilà de
retour en ces premières heures de juillet avec son “All is Lost” à lui, “À la Dérive” (oui, le
même titre que le tâcheron de Guy Ritchie avec son ex-femme Madonna) aka “Adrift”,
mise en images du véritable calvaire vécu en mer par Tami Oldham et Richard Sharp.
Moins puissant que le chef-d’oeuvre de J.C Chandor, qui puisait autant sa force de son
récit intime et épuré - dans tous les sens du terme - que dans la prestation habitée de
la légende Redford (parfait) et définitivement loin d’être tourné vers le même public
(malgré la présence solaire de Shailene Woodley), “À la Dérive” joue sur l’émotion (facile)
que suscite ce calvaire en plein désert maritime, et s’avère même presque vibrant
quand il ne se perd pas dans une pluie de flashbacks visant à maladroitement aérer
une intense et éprouvante quête de survie (la nature est et restera le plus terrifiant et
crédible des antagonistes au cinéma).
Et c’est bien là que le bât blesse : la volonté de faire de cette incroyable histoire vraie
un prétexte à une romance racoleuse pour un public facilement influençable (tout
63
04/07
DE BALTASAR KORMÀKUR. AVEC SHAILENE WOODLEY ET SAM CLAFLIN... 1H38
comme le récent “La Montagne entre Nous”, avec le bien plus talentueux couple Kate
Winslet/Idris Elba) plutôt que de se focaliser pleinement sur cette miraculeuse survie
(et pourtant loin d’être original sur grand écran), la force de vivre merveilleuse transpirant
de cette femme courage qui va se battre jusqu’au bout pour sauver sa peau et
celle de l’homme qu’elle aime.
Vaincre la morosité d’un présent terrible et (presque) sans espoir en le contrebalançant
avec le passé proche et les prémices d’une romance qui mènera inéluctablement les
jeunes héros vers le premier cas de figure, l’idée est plutôt créative, et le choix aurait
même pu être payant si le réalisateur, plutôt solide derrière la caméra - et auteur de
quelques plans plutôt enlevés-, arrivait à nous impliquer un minimum dans son histoire
et l’amour - jamais empathique - qui unit ses deux tourtereaux.
Si nous n’avons pas envie de croire en eux, pourquoi se passionner pour leur quête de
survie ?
C’est la grosse question qui entoure donc cet honnête survival, plus romantique qu’existentiel,
qui ne renouvelle décemment pas le genre (malgré une scène de tempête réellement
terrifiante), mais qui divertit gentiment son monde.
On a vu pire, mais on a surtout - évidemment - vu mieux.
Jonathan Chevrier
64
04/07
joueurs
Alors que beaucoup (pour ne pas dire la majorité) de comédiens et comédiennes ne choisissent
leurs rôles qu’en fonction de la notoriété ou du nombre conséquent de billets verts
qu’ils peuvent en tirer, certains se montrent en revanche, beaucoup moins égocentriques
et cherchent avant tout à relever des défis... comme Tahar Rahim, dont la carrière singulière
et en dehors des clous, parle définitivement en sa faveur.
Passé un “Marie-Madeleine” douloureusement maladroit (où il campait rien de moins que
Judas) sortie fin mars dernier, le voilà de retour dans les salles obscures en ces douces premières
heures d’été aux côtés de la délicate Stacy Martin, avec “Joueurs” de Marie Monge
(qui a fait un petit tour sur la Croisette en mai dernier, du côté de la Quinzaine des Réalisateurs),
attendue comme une plongée inédite dans le septième art hexagonal, au coeur du
monde du jeu et de l’addiction qu’il suscite chez certains, une addiction qui peut prendre le
pas sur tout - même l’amour.
Une vision pimpante et underground du Paris by Night où jouer ne rime jamais vraiment
avec gagner, capté via le prisme enchanteur d’un couple supposément mal assorti (Tahar
Rahim, irrésistible, et Stacy Martin, parfaite), mais fou l’un de l’autre; deux coeurs gangrenés
par un milieu où il est impossible de ne pas payer, que ce soit de son compte en banque
ou carrément de sa personne.
Filmé comme un polar noir réaliste (plus que dans un reportage télévisé racoleur) et stylisé
plus ou moins virtuose (mention au montage dynamique couplé à la belle photographie de
Paul Guillaume), n’ayant jamais peur de se perdre dans le volontairement outrancier sans
trop crouler sous ses nombreuses références (les films de Marty Scorsese en tête), vraie
chronique sombre où le romantisme se mêle à la violence et l’excitation du jeu (joli parallèle
entre les deux relations loin d’être si différente) de manière palpable; “Joueurs”, sorte de
True Romance - toute propension gardée -, est un thriller aussi prenant qu’énergique, pas
dénué de quelques défauts dommageable certes, mais un habile petit moment de cinéma
porté par un couple, une belle paire d’as, séduisant en diable.
Encore un premier long à ajouter à la jolie liste des réussites du cinéma hexagonale de cette
(très) bonne cuvée 2018.
Jonathan Chevrier
DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45
65
04/07
american nightmare :
les origines
Avec “The First Purge” (“Les Origines”) réalisé par Gerard McMurray, la série de films “The
Purge” (“American Nightmare” chez nous) de James DeMonaco (2013-) prend un tournant
diablement politique abandonnant la bourgeoisie de Los Angeles pour la «capitale du crime»
: New York.
Agissant comme un prequel, James DeMonaco et Gerard McMurray nous expliquent avec
“Les Origines” comment nous en sommes venu.e.s à un monde où les États-Unis d’Amérique
autorisent douze heures par an un déchaînement de violences non réprimées intitulé la
purge par ses participant.e.s (sorte de « deux minutes de haine » orwellienne). Afin de voir
si l’expérience serait concluante, le site new-yorkais de Staten Island est choisi : population
noire et taux de pauvreté conséquent se côtoient. Un choix idéal pour les conservateurs
nouvellement élus (les Nouveaux Pères Fondateurs) : le but étant d’amener à l’anarchie (au
sens néfaste) et justifier une purge nationale l’année suivant l’épisode de Staten Island.
Pour se faire, quoi de mieux que de profiter de la pauvreté et de la stigmatisation du
lieu ? Entre arrangements et incitations à la participation, les Nouveaux Pères Fondateurs
accomplissent tout ce qui est en leurs pouvoirs pour que les classes sociales les plus faibles
s’éliminent entre elles. Un « plan pauvreté » avant l’heure ?
Si la force de la série de James DeMonaco n’a jamais été cinématographique, malheureusement,
sa véracité sociologique est tout à fait édifiante. On serait presque à se demander si “American
Nightmare : Les Origines” ne va pas plus loin que le “Black Panther” de Ryan Coggler (2018)
dans sa vision des minorités. Et pour cause, le film est en parfaite non-mixité, érige les
blancs bourgeois comme les véritables (et seuls) ennemis, convoque explicitement l’épisode
tragique de Ferguson (et tant d’autres) ainsi que le mouvement Black Lives Matter (« Nigga,
we gon’ be alright ») !
Wade Eaton
DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45
66
11/07
dogman
Pas qu’un petit personnage ce Matteo Garrone, papa des excellents “Gomorra” et “Reality”,
tous deux primés par le Grand Prix à Cannes (en 2008 et 2012), mais surtout chef de file du
renouveau du cinéma transalpin qui avait bien besoin d’un regain de fraîcheur. À l’image du
génial Nanni Moretti, le bonhomme a fait de la Croisette son nouveau terrain de jeu d’exception,
pas forcément une bonne chose au souvenir de son hautement mitigé “Tale of Tales”.
Trois ans plus tard et toujours aussi ambitieux, il revenait toujours sur la Croisette avec
“Dogman”, thriller crépusculaire façon western urbain aux doux contours de huis clos puissant
engoncé dans un cadre proprement apocalyptique et totalement coupé du monde
(telle une véritable forteresse de solitude face à la mer); où un père aimant/dresseur de
chiens capable d’amadouer le plus dur des chiens, se fait brutaliser par un ‘’ami’’, ancien
boxeur accro à la cocaïne sortie de prison.
Plus tôt dans l’année, Samuel Benchetrit adaptait son propre roman pour faire de “Chien”,
une fable politico-ironique surréaliste sur la déshumanisation de la société contemporaine
par le biais d’un homme devenant peu à peu, un chien docile.
Garrone, tout aussi inspiré, s’attaque à une descente aux enfers similaires mais infiniment
plus psychologique et tendue, d’un homme entraîné dans une spirale de violence implacable
et devant, comme un animal acculé par la peur et l’incapacité d’encaisser plus qu’il
ne l’a déjà trop fait, répondre en suivant la voie de la colère. Parce que tout appelle, dès les
premières minutes, à ce que cette douloureuse histoire finisse mal.
Noir, désespéré, retors, surréaliste - parfois à la limite de l’absurde -, formellement sublime,
offrant une auscultation proprement déroutante des laissés-pour-compte et porté par des
comédiens habités (Marcello Fonte, chien battu au regard crève-coeur, est formidable),
“Dogman”, mécanique huilée à la perfection, est un drame humain tragique et cathartique
à la tension permanente, un uppercut que l’on voit tout du long venir, mais qui nous met
k.o sans le moindre effort.
Jonathan Chevrier
DE MATTEO GARRONE. AVEC MARCELLO FONTE, EDOARDO PESCE... 1H42
11/07
paranoïa
Passé une « plus ou moins « retraite qui a vu le bonhomme avoir un emploi du temps au
final aussi chargé qu’avant, le touche-à-tout de génie Steven Soderbergh revenait aux affaires
et derrière la caméra l’an dernier avec le jouissif “Logan Lucky”. Toujours prêt pour
les expérimentations les plus folles pour mieux réinventer son art, le bonhomme suit les pas
de Sean Baker et son “Tangerine”, en tournant son nouveau long-métrage, “Unsane” - “Paranoïa”
par chez nous - entièrement à l’iPhone.
Un sacré challenge technologique visant à rendre encore plus immersive et troublante
(surtout) cette nouvelle incursion dans le thriller psychologique à forte tendance horrifique
(huit ans après le magistral “Contagion”), contant les aléas d’une femme flanquée accidentellement
- ou pas - dans un hôpital psychiatrique, et qui désespère de prouver sa bonne
santé mentale avant de se voir frapper par un fantôme du passé bien décidé à la hanter.
Sur le papier, cette plongée intime et labyrinthique dans les arcanes du système hospitalier
et du calvaire intime d’une patiente façon” Vol au-dessus d’un nid de coucou” infernal à forte
tendance Lynchienne - avec la très demandée Claire Foy en vedette -, vendait suffisamment
de rêve pour qu’on soit un minimum attiré par la chose au-delà même de la présence de
Soderbergh derrière la caméra.
A l’écran en revanche, la déception pointe (très) vite le bout de son nez aussi bien d’un
point de vue visuelle (l’image est terne et souvent mal cadrée malgré quelques plans un poil
recherché plaçant instinctivement le spectateur en position de voyeur, le découpage est
archaïque...) que scénaristique, tant ce huis-clos paranoïaque et cauchemardesque dévoile
de manière bien trop précoce son jeu, ramant dès lors péniblement à développer l’intérêt
pour une intrigue minimaliste aussi peu originale que paresseuse - voire même limite ennuyeuse
-, manquant cruellement d’ampleur (un peu comme son “Effets Secondaires”, thriller
à tiroirs qui alignait les twists sans saveur) et n’exploitant jamais vraiment les nombreux
thèmes abordés, jusqu’à un final plus convenu tu meurs.
Privilégiant maladroitement la forme (bancale mais osée) au fond (jamais crédible ni prenant,
le cul coincé entre deux sièges dans son mélange des genres), “Unsane”, qui se rêve
aussi tortueux et ambiguë qu’un “Shutter Island” ou “L’Échelle de Jacob”, ne vaut alors que
pour la partition impliquée - et le mot est faible - d’une Claire Foy lumineuse, qui semble
tout du long croire en la force viscérale du métrage, vraie prise de risque assumée même
dans ses nombreux travers. Et elle est (sûrement) bien la seule.
Jonathan Chevrier
DE STEVEN SODERBERGH. AVEC CLAIRE FOY, JOSHUA LEONARD... 1H41
67
68
18/07
come as you are
Au sein de la plus ou moins riche sélection du dernier CEFF, qui vient tout juste de signer
son clap de fin, “Come As You Are”, au même titre qu’un “Piercing” ou même qu’un “Paranoïa”
(“Unsane”) de Steven Soderbergh, apparaissait aisément aux yeux des cinéphiles avertis,
comme l’une des séances les plus immanquables, en bonne bête de festivals qu’il est.
Avec la grosse étiquette ‘’Sundance Approved’’ collée sur le coin de la pellicule, et celle
encore plus imposante - mais moins rassurante - d’adaptation de roman YA - “The Miseducation
of Cameron Post” d’Emily Danforth -, le tout porté par un casting de jeunes talents
alléchant, le second long-métrage de Desiree Akhavan s’attaque à un sujet costaud sur le
papier : l’apprentissage et l’affirmation de la sexualité chez les adolescents, poussés littéralement
au redressement dans un sinistre camp de ‘’conversion gay’’ évangélique quand
ceux-ci éprouvent une attirance pour un jeune du même sexe; une tare qu’il faut corriger
en poussant constamment au self shaming et au matraquage psychologique (lavages de
cerveau, humiliations publiques etc...).
Vrai drame façon fable coming-of-age sur l’acceptation de soi, reflet honnête et amer de
l’incertitude déchirante de l’identité et de la sexualité adolescente tout en étant étonnamment
ouvert à la compréhension et à la réflexion sur tous les points de vue (le film ne charge
jamais à outrance le camp des oppresseurs pieux, et la ferveur religieuse n’est jamais moquée),
“Come As You Are”, teen movie autant provocateur et sombre qu’il est infiniment poignant,
traite frontalement et avec une vérité cru l’enfer ‘’pavé de bonnes intentions’’ vécu
par une poignée d’ados combattant tout du long dans un cadre répressif, pour s’affirmer
tels qu’ils sont réellement.
D’une candeur et d’une sincérité rafraîchissante tout en s’amusant continuellement à déjouer
les attentes du spectateur avec quelques pointes d’humour salvatrices, solidement
interprété (Jennifer Ehle et Chloé Grace Moretz y trouvent leurs plus beaux rôles), le film
de Desiree Akhavan est un beau et modeste moment de cinéma, qui peut offrir une contreséance
parfaite au plus bienveillant - mais pas moins pertinent - “Love, Simon” de Greg
Berlanti.
Jonathan Chevrier
DE DESIREE AKHAVAN. AVEC CHLOÉ GRACE MORETZ, SASHA LANE... 1H31
69
70
Un boulevard s’ouvre pour la comédie française cet été entre
quelques sorties de blockbusters made in USA. Tandis que certains
films sont assez attendus («Au Poste !», «Neuilly sa mère, sa mère» ou
encore «Le Monde est à toi»), on redoute également la sortie d’autres
comédies françaises qui sont bien loin de donner ne serait-ce qu’une
once d’envie (coucou «Christ(off)» et «Ma Reum»). Et c’est donc dans
cette - petite - vague estivale de comédies que débarque Julien Guetta
et son premier long-métrage «Roulez Jeunesse».
Oscillant constamment entre drame et comédie avec une facilité assez
déconcertante pour quelqu’un qui réalise là son premier film, «Roulez
Jeunesse» tient surtout grâce à la composition d’Eric Judor - absolument
sous-estimé l’année dernière avec son dernier film «Problemos» - qui
trouve ici certainement l’un de ses plus beaux rôles. Abandonnant
ainsi tous ses tics et l’humour qu’on lui connaissait pour nous offrir
un véritable rôle de composition qui nous prouve que le bonhomme
en a sous le pied, et bien plus qu’on le pense même. À contre-courant
de tout ce qu’il a pu nous proposer auparavant - à contrario de son
comparse de toujours Ramzy Bedia qui s’est déjà essayé plusieurs
fois, avec succès, au drame -, l’acteur de 48 ans trouve dans ce film
un nouveau terrain de jeu où le spectateur peut apprécier une palette
de jeu époustouflante, beaucoup plus dans la retenue. Eric Judor c’est
Alex, 43 ans, dépanneur automobile dans le garage de sa mère, qui se
retrouve du jour au lendemain avec deux gosses et une adolescente
sur les bras après un coup foireux d’une nuit.
Corde tendue entre la comédie dans sa première moitié de film avant
de basculer un petit peu plus vers le drame avec de vrais moments
bouleversants, «Roulez Jeunesse» réussit cependant à rester dans
le feel-good movie profondément humain et tendre envers tous ses
personnages. D’ailleurs pour l’épauler, Erico judo peut compter sur
une belle brochette d’acteurs et actrices dont la formidable Laure
Calamy ainsi que le jeune Ilan Debrabant d’une candeur à croquer.
Véritable surprise de cet été, «Roulez Jeunesse» est une bouffée d’air
frais dans la comédie française plutôt indigeste ces derniers temps.
En plus de confirmer les talents d’Eric Judor, il permet surtout à Julien
Guetta d’imposer sa patte dans le cinéma français avec ce véritable
bonbon aussi sucré que subtilement acidulé.
Margaux Maekelberg
DE JULIEN GUETTA. AVEC ERIC JUDOR, LAURE CALAMY... 1H24
71
25/07
roulez
jeunesse
72
ERIC JUDOR
L’HURLUBERLU INCOMPRIS
73
Il y aura quelque chose
d’assez fou, voire même
d’assez révoltant, dans le fait
de lire durant ces prochains jours,
des papiers professionnels - ou non -
affirmer avec un aplomb assuré, que le
mésestimé Eric Judor casse enfin son
image de clown amusant (ou con, pour
les mauvaises langues) en signant un
rôle aussi dramatique qu’adulte dans
l’excellent premier essai de Julien
Guetta, «Roulez Jeunesse»; comme
si l’éternel binôme de Ramzy Bedia
n’avait justement pas essayé depuis
plus d’une décennie maintenant, à
se renouveler, à s’éloigner de sa zone
de confort en proposant autre chose
que des comédies volontairement
régressives qui ont fait son succès - et
celui de Ramzy, évidemment.
Un oubli volontaire de la conscience
collective, à l’instar de ceux ayant
frappés des carrières plus prestigieuses
comme celles de Jim Carrey ou même
de Jack Black, furieusement injuste
pour ce touche à tout aussi génial
qu’ambitieux, symbole comique de
toute une génération.
Souvent là au bon moment (Fun Radio,
M6 avec les mots puis Canal + avec
«H»), membre important de la nouvelle
vague humoristique qui passera de la
scène et du petit écran au plus grand
au début des années 2000 à coups de
comédies pas toujours défendables -
mais cultes -, Eric a beau ne pas avoir
toujours eu le nez fin (notamment
dans sa courte phase parodique avec
le jouissif «La Tour Montparnasse
Infernale» et les moins bons «Double
Zéro» et «Les Dalton»), il a néanmoins
su se constituer un vrai cinéma en
solo, par la force d’implication dans
des projets singuliers - chez Quentin
Dupieux en tête - et surtout, par la force
de sa propre plume.
Vrai auteur à part entière qui n’a pas
peur d’assumer sa vision burlesque et
satirique (mais également teintée de
douceur) du monde et de l’industrie au
sein de la merveilleuse série «Platane»
(dont la troisième saison est à l’écriture)
ou encore du brillant «Problemos»
(furieusement Judor-esque même si
le scénario est de Blanche Gardin et
Noé Debré), et qui n’hésite même pas
à littéralement décortiqué le concept
même de suite d’une comédie débile
en le rendant encore plus follement
absurde (l’hybride «La Tour 2 Contrôle
Infernale»); Eric Judor a beau tordre les
limites de la comédie jusqu’à l’extrême,
il remporte constamment l’adhésion en
rendant - comme les frangins Farrelly
- l’intégralité de ses personnages
réellement empathiques, même quand
ils sont indéfendables («Platane» again).
Alors tant pis s’il semble se perdre encore
un peu dans le divertissement populaire
de masse («Les Nouvelles Aventures
d’Aladdin» et sa suite «Alad’2», où il
retrouvera Jamel Debbouze et Ramzy),
Eric Judor est un vrai artisan de l’humour,
au manque de reconnaissance un poil
ingrat, qui n’a pas peur de faire fausse
route mais qui surtout, n’a pas peur de
faire rire de tout, quitte à ne pas faire rire
tout le monde.
Jonathan Chevrier
08/08
under the
silver lake
C’était l’événement de la compétition cannoise,
bien au-dessus des retours en fanfare de Matteo
Garrone, Nuri Bilge Ceylan ou encore Jean-Luc
Godard : David Robert Mitchell est enfin de retour,
trois ans après l’excellent “It Follows”, avec
“Under The Silver Lake”, relecture décalée du film
Noir post-moderne des années 70. Si le choix du
genre peut surprendre quitte à s’inquiéter de
la cohérence thématique de son auteur, pas de
panique : l’adolescence, le nihilisme et le refoulement
reviennent ici au centre du récit, focalisé
sur un Andrew Garfield méconnaissable.
Pour autant, le bât blesse très vite, le réalisateur
américain n’arrivant jamais à remodeler ses
messages dans les travers de sa narration alambiquée.
Bien qu’assez passionnant par rapport à
son personnage principal complètement allumé
et faible, mal rasé et un peu bedonnant, David
Robert Mitchell manque de liant entre toutes
ses thématiques, quitte à complètement délaisser
le lien possible entre sa définition de la ville
de Los Angeles, espace cinématographique dédié
uniquement à l’image et au paraître, et son
personnage en proie à une crise amoureuse et
identitaire, ne le résumant qu’à de simples tautologies.
Blindé de références pour définir ses
espaces, comme dit précédemment, le réalisateur
use de la citation jusque dans son mouvement
de caméra (les couleurs et la musique en
hommage à Hitchcock côtoient la brutalité du
cadre et du cut chez Terrence Malick) mais a du
mal à se façonner une identité qui aurait pu, au
travers de tout ce système, faire naître un piratage
à l’intérieur de celui-ci. Le long-métrage
manque alors de mordant et suit inlassablement
un système narratif sans variations, emprunté
à Lynch mais trop usé et trop timide, pour n’en
sortir qu’en 140 minutes le message de la fin
de l’adolescence et d’un siècle entier de révolutions
religieuses, cinématographiques et technologiques.
A24 a, après la projection de “Under
The Silver Lake” à Cannes, rapatrié le film pour le
sortir dans six mois au lieu des deux prévus. Un
remontage serait alors envisageable pour réorganiser,
raccourcir et peut-être relever quelques
idées mal amenées ou malvenues. Et si le cas
étant, grand bien leur en fasse…
Tanguy Bosselli
DE DAVID ROBERT MITCHELL. AVEC ANDREW GARFIELD, RILEY KEOUGH... 2H19
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75
DAVID
ROBERT
MITCHELL
Avant de parler à un public, le
cinéma est très souvent un art où
l’on parle de soi. De notre point de
vue politique, du monde dans lequel
on évolue, de nos angoisses ou bien
encore de notre passé. David Robert
Mitchell, à bien des égards, s’est
axé sur cette dernière thématique
mais à l’inverse de toute cette mode
de revival eighties qui fleurit un peu
partout, il va surtout questionner le
sens caché derrière la culture de
son passé, de sorte à la remettre au
goût du jour et proposer quelque
chose de plus surprenant et plus
entouré de mystère.
76
U n mystère qui
débute même
par l’origine de son réalisateur.
David Robert Mitchell ne
laisse filtrer que très peu
d’informations sur sa vie
privée. Tout juste nous savons
qu’il est né en 1974 dans le
Michigan et qu’il est parvenu
à atteindre les hautes sphères
du cinéma grâce à son petit
boulot de monteur de bandesannonces.
C’est justement ce
manque total d’informations
sur le personnage qui nous
fait dire que nous avons là un
cinéphile comme les autres,
ayant sûrement bénéficié d’un
peu de chance mais ayant
surtout évolué dans une culture
américaine propice à générer
toutes sortes de fantasmes et
de créativité.
Après trois court-métrages
remarqués dans plusieurs
festivals dans le début des
années 2000 (“Flashbulb Kiss”,
“Fourth of July” et “Virgin”), c’est
en 2010 que sort son premier
long-métrage, “The Myth of
The American Sleepover”.
Instantané d’une soirée
lycéenne comme les autres
mais où de simples événements
seront majeurs pour ces jeunes
adultes à en devenir, ce premier
essai synthétise d’ores-etdéjà
la fascination de son
réalisateur pour l’imaginaire
de l’adolescence évoluant sans
véritable but dans une banlieue
délabrée. Pas de grande ville
ici, toute l’action de ses films
se concentre sur de petits
quartiers sans histoire, effacés
par les grandes métropoles, là
où les légendes urbaines se
créent. De même, l’aspect visuel
si léché de ses films prend déjà
origine ici, avant de connaître
son véritable essor sur son film
suivant : “It Follows”.
Quiconque s’intéresse de près
ou de loin au cinéma d’horreur
n’a pas pu passer à côté du
film qui a véritablement fait
émerger David Robert Mitchell
sous les projecteurs. Multirécompensé
et acclamé dans
le monde entier, “It Follows” est
assurément destiné à devenir
culte dans les années à venir.
Comme une sorte de mise à
jour de “La Féline” à la sauce
John Carpenter, le réalisateur
prolonge son exploration
thématique du teen-movie, en
l’occurrence ici la sexualité,
mais le confronte avec des
problématiques actuelles. D’un
concept si simple et pourtant
si efficace (une malédiction
sexuellement transmissible qui
va poursuivre éternellement
notre jeune héroïne), c’est une
véritable leçon de suspense et
de mise en scène qui défile sous
nos yeux, mettant en valeur
aussi bien la menace constante
qui rôde sur nos personnages
que le Detroit à l’abandon dans
lequel ils
77
évoluent, sachant toujours à merveille quand et comment surprendre et
terrifier son audience.
Difficile de succéder à un tel engouement critique et public et il aura fallu
attendre presque 4 ans pour que Mitchell revienne sur le devant de la
scène avec un film nettement plus ambitieux, intitulé “Under The Silver
Lake”. Si cet opus a pu être vu comme une déception lors de son passage
au dernier Festival de Cannes, il n’en demeure pas moins une continuité
parfaite de l’exploration de l’envers de l’imaginaire culturel américain, ici
dans sa dimension la plus absurde et paranoïaque. Toujours aussi multiréférencé,
“Under The Silver Lake” est un film volontairement étouffant,
bordélique et fourre-tout. A mi-chemin entre du Alfred Hitchcock et du
Gregg Araki, le film semble clôturer une sorte de « trilogie de la pop-culture
pré-2000 », atteignant ici la limite des années 90 avec un personnage
enfin adulte, tout du moins en théorie, ayant quitté son nid d’enfance
pour un Los Angeles tout aussi labyrinthique.
Il ne reste plus qu’à prédire (ou espérer) que son quatrième film partira
vers une toute autre direction. On sait qu’il a longtemps travaillé sur un
projet relatant les 24h d’une jeune femme venant de se faire larguer
mais qui sait ce que le bougre peut nous réserver de plus surprenant à
l’avenir. Ses films ont beau ne pas tout le temps faire l’unanimité, il est
indéniable que sa maîtrise sans faille de son héritage, qu’il soit littéraire,
musical, cinématographique ou même vidéo-ludique, fait de lui un des
porte-paroles d’une génération ayant envie de faire enfin bouger les
choses, sans pour autant renier là d’où ils viennent vraiment.
Tanguy Renault
15/08
le monde
est à toi
Dans la continuité de son premier long-métrage “Notre Jour Viendra”,
imparfait mais rempli d’idée, Romain Gavras prolonge l’exploration de
son univers visuel barré, directement influencé par l’imagerie fantasmée
de la banlieue ainsi que par sa carrière polémique dans le clip-vidéo.
Avec comme prétexte une histoire à base de Mr. Freeze au Maghreb, nous
sommes embarqués dans une sorte de pastiche du film de gangster absurde
à l’extrême, porté par des personnages tous plus stupides les uns
que les autres, mais néanmoins sincères et jusqu’au-boutistes dans leurs
démarches. Il faut à ce titre saluer l’immense force de frappe de l’intégralité
du casting, choisi à la perfection et dont les performances sont
absolument jouissives, tout particulièrement Vincent Cassel et Isabelle
Adjani, totalement en décalage avec son image habituelle et aussi détestable
qu’attendrissante.
Ce cocktail d’éléments détonants donne ainsi une comédie d’action sans
repères préconçus, avançant toujours là où on ne l’attend pas (malgré
quelques passages scénaristiques obligés) et adoptant constamment
un ton grinçant et insolent sur de nombreux thèmes politiques actuels,
sans jamais toutefois se moquer des clichés qu’il convoque, riant plutôt
de l’absurdité des oppresseurs que de celle des opprimés. Un OVNI décalé
qui (se) fait plaisir, entre esthétique bling-bling et comédie douceamer,
sur fond de Booba, de Toto et de Daniel Balavoine.
Tanguy Renault
DE ROMAIN GAVRAS. AVEC KARIM LEKLOU, ISABELLE ADJANI... 1H34
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79
80
ADAM DRIVER
Melody revêt sa robe d’avocate pour prendre la défense
d’Adam Driver. Formidable touche à tout et désormais
figure incontournable du cinéma américain, le bonhomme
a injustement été critiqué pour sa performance dans
la nouvelle saga Star Wars. Prochainement à l’affiche
du BlacKkKlansman de Spike Lee, Melody nous prouve
- s’il faillait seulement le prouver -, qu’Adam Driver
est certainement l’un des meilleurs acteurs de sa
génération.
SUR TOU
S LES FRONTS
81
82
A
dam Driver est un des meilleurs
acteurs de cette génération. Et je pèse mes mots.
Si son nom vous est familier, c’est parce
que, quels que soient vos goûts en matière de
cinéma ou séries, vous avez forcément déjà
entendu parler de lui. C’est un acteur touche à
tout qui a œuvré aussi bien dans des drames
que dans des comédies ou de la saga spatiale.
Peu d’acteurs ayant moins de dix ans de carrière
peuvent se vanter d’avoir tourné avec autant
de grands noms : Clint Eastwood, J.J. Abrams,
Steven Spielberg, les Frères Coen, Jim Jarmush,
Martin Scorsese, Terry Gilliam, ou encore
prochainement Spike Lee font partie de son CV
déjà bien rempli.
Pourtant, Adam Driver n’était pas destiné à
une carrière de comédien. Né en Californie
en 1983, il rejoint les US Marine Corps après
les attentats du 11 septembre 2001, mais est
démobilisé pour raisons médicales deux ans
plus tard, quelques mois avant que son unité ne
parte pour l’Irak. Il retourne alors à l’Université,
puis étudie le théâtre à la célèbre Julliard School
pendant quatre ans. Il s’installe à New-York, où il
enchaîne les castings, et les apparitions dans des
séries TV, avant d’apparaître pour la première
fois sur grand écran en 2011 dans le biopic «J.
Edgar», de Clint Eastwood (pour un premier rôle
au cinéma, excusez du peu).
En 2012, après avoir notamment fait partie de
la distribution de «Lincoln» de Steven Spielberg
et «Frances Ha» de Noah Baumbach, il décroche
l’un des rôles principaux de la série de Lena
Dunham, «Girls». La série fait beaucoup parler,
et son interprétation du très étrange Adam
Sackler attire l’attention.
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Il enchaîne d’autres films notables, tels que le
formidable «Inside Llewyn Davis» des Frères
Coen ou «While We’re Young» où il retrouve
Noah Baumbach, avant de tourner son premier
blockbuster : il est casté pour interpréter
l’antagoniste de la nouvelle trilogie «Star War»s,
Kylo Ren, dans le nouvel opus réalisé par J.J.
Abrams, «Le Réveil de la Force».
Son implication dans le space opera ne l’empêche
pas de tourner d’autres excellents films, bien au
contraire, puisqu’il agrandit sa filmographie avec,
entre autres : le film de science-fiction «Midnight
Special» de Jeff Nichols, le poétique «Paterson»
de Jim Jarmush, le sublime «Silence» de Martin
Scorsese, ou encore le loufoque «Logan Lucky»
de Steven Soderbergh, avant de reprendre son
rôle de Kylo Ren dans «Les Derniers Jedi», réalisé
par Rian Johnson.
Dernièrement, il est l’un des rôles principaux
de «L’Homme Qui Tua Don Quichotte», le film de
Terry Gilliam au parcours tumultueux, et il sera
bientôt à l’affiche du nouveau film de Spike Lee,
«BlacKkKlansman». On ne peut pas dire que le
jeune homme chôme.
84
Quand je vous disais en début d’article
qu’Adam Driver est un des meilleurs
acteurs de cette génération, et surtout
si j’ai précisé que je pèse mes mots, c’est
parce que je trouve son talent beaucoup
trop sous-estimé.
J’ai vu la grande majorité de sa
filmographie, et honnêtement, rarement
un acteur m’a convaincue dans autant
de rôles différents. Qu’il joue un petitami
inquiétant, un prêtre évangéliste, un
barman braqueur à ses heures perdues,
un chanteur de country, un réalisateur
impliqué, un chauffeur de bus poète
ou un antagoniste tiraillé, il n’y a pas
UN rôle où il n’est pas d’une justesse
irréprochable.
A en voir sa filmographie, évidemment
que son talent est reconnu par la
profession, et ce n’est que justice. Les
grands réalisateurs ne se trompent
pas en lui confiant des rôles de plus en
plus importants dans leurs œuvres, et
gageons que c’est loin d’être terminé.
Mais je suis très surprise de ne pas le
voir plus récompensé pour ses rôles. Je
sais bien qu’on ne mesure pas le talent
d’un acteur au nombre de trophées qu’il
déposera sur sa cheminée, mais j’estime
que certains de ses rôles auraient mérité
d’être vraiment récompensés.
Pour prendre un exemple récent : son
rôle de Kylo Ren dans Les Derniers Jedi
est pour moi probablement sa meilleure
performance en tant qu’acteur.
Etant une grande fan de Star Wars, je
suis obligée de faire un petit aparté sur
le sujet. Je vais vous le dire directement :
Kylo Ren est mon antagoniste préféré de
toute la saga. Pourquoi ? Parce qu’il est
tiraillé, il a des failles, et c’est justement
cette fragilité qui rend le personnage
intéressant. Ce n’est pas juste un grand
méchant pur. Il a basculé du côté obscur,
mais on sent les failles et le tiraillement.
On les ressentait déjà dans «Le Réveil de
la Force», et elles ne sont que renforcées
dans «Les Derniers Jedi».
Une scène illustre particulièrement pour
moi tout le tiraillement du personnage :
cette scène des «Derniers Jedi», que
l’on voyait déjà dans le trailer du film,
où Kylo Ren ressent la présence de sa
mère Leia sur le vaisseau, et hésite à tirer
pour le faire exploser, avant de renoncer
au dernier moment. Adam Driver et
la regrettée Carrie Fisher font une
performance absolument remarquable
dans cette scène. Il n’y a pas besoin de
mots, absolument tout passe dans leurs
regards. Toute la tension du moment,
toute l’émotion, se dégagent uniquement
de leurs regards. Brillant.
Tout le reste du film, Kylo Ren passe
d’un extrême à l’autre, en se liant
progressivement avec Rey, jusqu’à tuer
lui-même son maître, puis en reprenant
la tête du Premier Ordre lorsque Rey
refuse de s’allier à lui. Et pourtant, même
là, si on en juge par la dernière scène
du personnage (où là encore, tout se
85
passe dans les regards de Driver et Daisy
Ridley), on peut voir que son destin
n’est pas scellé et que le tiraillement est
toujours présent. On ne peut clairement
pas prédire comment l’arc narratif de
ce personnage va se clore, et c’est
sûrement ce qui va rendre le neuvième
opus de la saga passionnant. Dieu que ce
personnage est classe.
Pourtant, ce rôle de Kylo Ren, s’il l’a fait
vraiment connaître auprès d’un public
plus large, n’a hélas pas apporté à Adam
Driver que des admirateurs, et ce, dès
«Le Réveil de la Force».
« Kylo Ren est moche LOL, il aurait dû
garder son casque MDR, et l’acteur est
trop pas crédible. » Je me permets de
synthétiser les nombreux commentaires
négatifs que j’ai lus à son sujet. Déjà,
on passera sur l’attaque absolument
gratuite sur le physique (parce que bon,
juger un acteur uniquement parce que
son physique ne vous sied pas, c’est un
peu faible). D’autant plus que je sais que
c’est subjectif, et que chacun son point
de vue, mais non, Adam Driver n’est
pas moche. Loin de là. Et son physique
atypique fait justement tout son charme.
C’est mon avis. Mais là n’est pas la
question. Je voudrais surtout lever ici
une tribune de défense pour son talent.
Adam Driver confère à ce personnage de
Kylo Ren/Ben Solo toute sa subtilité de
jeu, parfaite pour ce rôle d’antagoniste
fragile (dans le bon sens du terme). C’était
déjà visible dans «Le Réveil de la Force»,
et c’est encore plus mis en avant dans
«Les Derniers Jedi», à tel point que je
pense sincèrement qu’il livre la meilleure
performance de tout le casting.
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Je défendais déjà le personnage de Kylo Ren après «Le Réveil de la Force», tout en
laissant dire les critiques. Mais après «Les Derniers Jedi», je refuse catégoriquement
d’entendre dire que Kylo Ren n’est pas un personnage passionnant. Même, vous
savez ce qui m’a fait vraiment plaisir quand le film est sorti ? De lire ou d’entendre
ça et là que certaines personnes qui n’aimaient pas le personnage dans l’épisode VII
l’ont trouvé génial dans le VIII, et ont revu leur jugement.
Adam Driver est bon. Il est même excellent. Et c’est pourquoi je ne comprends
toujours pas que sa performance dans ce rôle, et spécialement dans Les Derniers
Jedi, n’est pas plus été récompensée, ou au moins nommée, alors que toutes ses costars
dans le film l’ont été, à de multiples reprises (et je suis très fière pour eux, mais
Adam Driver deserves it too).
Pour toutes ces raisons, et parce que je sais qu’Adam Driver n’est qu’au début d’une
carrière déjà très prometteuse, je n’aurais de cesse de défendre le talent encore trop
sous-estimé, à mon sens, de cet acteur en tous points remarquable.
Melody Revers
87
88
22/08
89
BlacKkKlansman :
Spike Lee enragé
90
Disparu des radars cannois depuis 2002 dans la
section Un Certain Regard avec «Ten Minutes Older»,
Spike Lee a fait un retour en grandes pompes
sur la Croisette en amenant son dernier film «BlacKkKlansman»
directement en Compétition officielle et
grand bien lui fasse puisque le réalisateur est reparti
avec entre ses mains le Grand Prix. Une distinction
éminemment politique faisant autant écho au passé
qu’à l’Amérique «so white» de Donald Trump.
«BlacKkKlansman» c’est l’histoire vraie de Ron
Stallworth, premier officier Noir américain du Colorado
Springs Police Department qui, bien décidé
à faire bouger les choses dans une société encore
réfractaire aux droits des noir·e·s au début des années
70, se lance dans une mission quasi-suicide :
infiltrer le Ku Klux Klan et dénoncer ses malversations.
A travers des échanges téléphoniques, Ron
réussit à intégrer l’Organisation - comme ils aiment
s’appeler - et devient un interlocuteur privilégié avec
Davis Duke, «Grand Wizard» du KKK alors que c’est
son collègue Flip Zimmerman qui est en charge de
prendre la place de Ron lors des rendez-vous avec
les membres du Klan. Au cours de cette enquête
périlleuse, Stallworth et Zimmerman découvriront la
tactique du KKK consistant à épurer son discours
pour le faire passer en douceur auprès du plus grand
nombre tandis que d’autres membres préparent une
attaque meurtrière envers un groupe d’afro-américain•e•s
revendiquant leurs droits.
À l’heure où l’Amérique de Donald Trump est encore
marquée par les terribles évènements survenus
à Charlottesville, Spike Lee s’invite dans la danse
pour mettre un bon coup de pieds dans les corones
du gouvernement US et malgré l’action se déroulant
dans les années 70, le réalisateur n’hésite pas
à envoyer quelques piques bien senties à l’actuel
président avec notamment des reprises de ses plus
célèbres phrases avec par exemple un des membres
91
du KKK clamant vouloir redonner sa grandeur au
pays («give back America her greatness») ou encore
lors de cette scène d’ouverture avec un Alec Baldwin
- qu’on rappelle presque imitateur officiel de Donald
Trump dans le Saturday Night Live - vociférant
des insanités sur fond de Naissance d’une nation
(1915). La charge est immense - et tristement d’actualité
- pour Spike Lee qui veut son film comme une
réponse au racisme non seulement aux Etats-Unis
mais également dans le monde entier. Mais loin de
faire seulement de «BlacKkKsman» un film politique,
c’est également - et peut-être avant tout - une véritable
comédie prête à tourner au ridicule racistes et
extrémistes en tout genre.
Porté par un duo aussi drôle que dynamique et charismatique
Adam Driver/John David Washington et
des seconds couteaux loin d’être en reste que ce
soit le grand manitou David Duke (Topher Grace)
certain de différencier un noir d’un blanc à sa façon
de s’exprimer ou encore Felix Kendrickson (Jasper
Pääkkönen), extrémiste parmi les extrémistes.
S’il fallait lui trouver un défaut à ce «BlacKkKlansman»
il résiderait dans sa conclusion en total décalage
avec l’esprit du film où s’enchaîne images
terribles de manifestations, de violences envers les
minorités et ces terribles images de Charlottesville
lorsqu’une voiture a foncé sur des manifestants anti-racisme
faisant un mort, une jeune femme à qui
le film est dédié. Malgré les portes déjà grandes ouvertes
que Spike Lee défonce à la fin de son film -
appuyant un sous-texte déjà limpide -, on ne pourra
pas lui retirer une chose : le réalisateur de 61 ans n’a
toujours rien perdu de sa hargne et ça nous rassure.
Margaux Maekelberg
92
LE «BLACKKKLANSMAN» DE SPIKE LEE S’OUVRE SUR UN ALEC BALDWIN INCARNANT UN SU-
DISTE DÉBLATÉRANT INEPTIES SUR INEPTIES ALORS QUE LES IMAGES DE «NAISSANCE D’UNE
NATION» DÉFILENT SUR SON VISAGE. CE FILM DE 1915 EST UN JALON DANS L’HISTOIRE AU-
TANT POLITIQUE QU’ARTISTIQUE DES ETATS-UNIS. OEUVRE OUVERTEMENT RACISTE QUI SUS-
CITA POLÉMIQUES SUR POLÉMIQUES PENDANT DES ANNÉES ET PARADOXALEMENT OEUVRE
FONDAMENTALE DANS L’HISTOIRE DU CINÉMA, SES TECHNIQUES ET VÉRITABLE RAZ-DE-MA-
RÉE AU BOX-OFFICE, RETOUR SUR LE FILM QUI AURA DES RETOMBÉES INESPÉRÉES SUR LE
PAYS - ET LE CINÉMA EN GÉNÉRAL -.
MARGAUX MAEKELBERG
93
94
Thomas Dixon
Encore récemment se posait la question «Peut-on
séparer l’artiste de l’oeuvre ?» après les soulèvements
et vents de contestation qu’ont provoqués les
mouvements #MeToo #BalanceTonPorc… Mais
qu’en est-il d’une oeuvre sur la forme absolument
révolutionnaire mais complètement abjecte sur
le fond ? La question peut encore faire débat
aujourd’hui.
Entre 1902 et 1907, Thomas Dixon - ancien acteur
député de la Caroline du Nord - a publié une trilogie
littéraire («The Leopard’s Spots», «The Clansman» et
«The Traitor») dans lesquels s’entremêlent histoires
d’amour, mise en avant du Ku Klux Klan comme une
alternative efficace contre l’oppression faite contre
la race blanche et des propos baignant dans un
racisme indigeste. Des oeuvres qui lui ont valu bon
nombre de critiques à l’époque. Et comme si ça ne
suffisait pas, Dixon rajoute de l’huile sur le feu en
adaptant ses deux premiers romans dans une pièce
prénommée «The Clansman». Absolument admiratif
de la manière dont le Ku Klux Klan a été décrit par
Dixon dans sa pièce - les preux chevaliers au secours
des pauvres blancs agressés par des noirs -, D.W
Griffith achète les droits à Dixon pour la modique
somme de 2 500$ auxquels s’ajoutent 25% sur les
recettes totales du film. Sans savoir qu’il serait un
succès au box-office, Dixon est ainsi devenu l’auteur
ayant reçu le salaire le plus élevé pour une cession
de droits pour une adaptation cinématographique.
Bien joué le Dixon !
95
extrait de ‘‘naissance d’une nation’’
Le tournage début le 4 juillet 1914 pour une durée de neuf semaines et une sortie prévue en
février de l’année d’après. On comptabilisera environ 500 figurants et un budget avoisinant les
110 000 dollars. Un film à petit budget comparé aux millions qu’il engrangera - la polémique
aidant largement -. Le film suit le destin croisé de deux familles : les Stoneman au Nord et les
Cameron au Sud tout en s’appuyant sur ce qui se passe avant, pendant et juste après la guerre
de Sécession (1861 - 1865). Griffith fait dans l’inédit en proposant un long-métrage d’une
durée - exorbitante - de 3h15 pour dépeindre les différents problèmes que rencontrent ces
deux familles. Au casting on y retrouve de grands noms du cinéma muet comme Lillian Gish
- avec qui il tournera 13 films - ou encore Mae Marsh. Griffith use de ses talents - oui il faut le
reconnaître - de réalisateur et de metteur en scène pour crée un montage qui permet au film
de supporter ses trois heures et ainsi garder un certain fil tendu tout au long de l’histoire. Que
ce soit en utilisant les flashbacks, les gros plans et - quelques - travellings (la plupart du temps
nous étions face à une caméra fixe), Griffith sait utiliser les procédés mis à sa disposition pour
donner à «Naissance d’une nation» presque des allures de documentaire. Alternant fiction et
encarts historiques (cf. L’assassinat d’Abraham Lincoln multipliant les points de vue est filmé
de manière très intéressante et d’ailleurs la plupart des reconstructions historiques tiennent
d’une grande minutie), le film de Griffith a des allures de superproduction pour son époque
avec ses scènes de batailles, et notamment dans sa seconde partie - plus que contestable sur
son fond évidemment - où le rythme et le montage défilent à une cadence folle et notamment
dans son dernier quart d’heure de par un montage alterné entre Ku Klux Klan libérant les
blancs oppressés et début de révolte chez les noirs.
96
Véritable révolution dans le cinéma,
«Naissance d’une nation» n’en reste pas
moins une oeuvre contestable dans son
propos - propos qui lui vaudra d’ailleurs bien
des ennuis après sa sortie - qui engendra
des changements autant au cinéma que
dans les plus hautes sphères politiques.
Si l’on outrepasse l’aspect purement
technique du film, de nombreux points ont
de quoi en choquer plus d’un. Notamment
la représentation des noirs qui apparaissent
comme de simples sauvages, pilleurs,
destructeurs, violeurs et avides de pouvoir
- le Quinté gagnant - tandis que l’Américain
caucasien - et bourge évidemment - apparaît
comme le sauveur de la population et le Ku
Klux Klan comme les Chevaliers de la table
ronde dans un élan patriotique défiant toute
concurrence. Le tout avec un casting 100%
blanc - les noirs étant tout simplement des
acteurs blancs maquillés -, Griffith coche
toutes les cases du film 100% raciste. Bingo.
Lorsque la NAACP (National Association
for the Advancement of Colored People) a
eu vent de la sortie de ce film, elle a tout
fait pour l’interdire - connaissant déjà les
précédentes oeuvres de Dixon - avant même
de l’avoir vu. Malheureusement leurs craintes
rassemblement de la NAACP
se sont confirmées lorsqu’ils ont finalement
pu visionner le film. À la suite de quoi, elle
demande au siège nationale de la NAACP à
New-York d’agir.
« [Le film est] historiquement inexact
et, avec un certain génie, conçu pour
excuser et justifier les lynchages et
autres actes de violences commis à
l’encontre du Nègre. »
Les diverses branches de l’association
mettent en place des campagnes
pour interdire la diffusion du film. Des
contestations dont les voix se font de plus
en plus fortes poussent même le président
Woodrow Wilson à nier d’avoir approuvé ce
film - alors qu’il l’a diffusé à la Maison Blanche
pour faire plaisir à Thomas Dixon qui était
un ancien camarade de lycée -. D’un autre
côté, ce vent de colère attise aussi l’ennemi.
On recense régulièrement des accrochages
et agressions dont la mort d’un lycée noir de
15 ans, abattu par un homme blanc sortant
du film à Lafayette dans l’Indiana.
Cependant, la NAACP se retrouve bien vite
prise à son propre piège quant à la demande
de censure de «Naissance d’une nation», les
97
organisations fébriles à l’idée que des manifestations se transforment en publicité gratuite pour
le film. Et après de moult efforts, la récompense est loin d’être à la hauteur du travail fourni
puisque dans la plupart des états le film est diffusé après qu’il ai subi quelques légères coupes
(la poursuite de Flora Cameron par un noir, le harcèlement que subit Elsie Stoneman de la part
de Silas Lynch et la vengeance du Ku Klux Klan contre celui qui a provoqué le suicide de Flora)
excepté dans l’Ohio et le Kansas où le film est interdit. Néanmoins il faut souligner le fait que les
plus grandes craintes des hauts dirigeants de la NAACP ne se sont pas réalisés c’est-à-dire des
assassinats de masse ou des émeutes raciales. Et d’ailleurs bien des années plus tard, le film fut
interdit dans plusieurs Etats durant la Première Guerre mondiale afin d’éviter des tensions entre
soldats noirs et blancs.
extrait de ‘‘naissance d’une nation’’
Non, le dégât le plus important
qu’a provoqué «Naissance
d’une nation» est bel et bien
la renaissance du Ku Klux Klan
impulsé par William J. Simmons
- enseignant en Alabama -
qui tira du film l’image qu’on
connaît aujourd’hui du Klan,
celle d’un cavalier avec une
croix en feu. Les publicitaires
du film s’en donnent alors à
coeur joie en créant produits
dérivés sur produits dérivés
en passant par les coiffes, les
robes et s’offrant même les
services de cavaliers vêtus de la
tenue ‘’officielle’’ du Klan pour
promouvoir le film. Même si le
film n’a pas eu d’impact direct
sur le nombre d’adhérents - il
n’augmentera qu’après 1921
lors que le Klan se lancera dans
le recrutement professionnel -,
Simmons avoue que le film a eu
un effet bénéfique pour le KKK.
Un Ku Klux Klan qui, il faut le
noter, a changé son idéologie
pour l’élargir et ainsi attiré le
plus d’Américains possibles -
blancs évidemment - contre une
menace extérieure (et non plus
seulement intramuros) venait
notamment de l’Europe.
98
99
Mais là où le paradoxe est finalement assez drôle, c’est
lorsque Griffith - réalisateur considéré alors plus que
«bankable» pour son époque - sort en 1916 «Intolérance»,
un pamphlet sur l’acceptation de l’autre. Ironique non ? Ce
film signera d’ailleurs le déclin de la carrière d’un homme qui
finalement, a peut-être juste voulu faire du cinéma.
Car là où Thomas Dixon avec ses oeuvres littéraires se
proclamait haut et fort chef de file de la propagande - il
n’hésite d’ailleurs pas à souhaiter que «tous les Nègres
[soient] chassés des Etats-Unis» et affirme que sa pièce
«The Clansman» avait pour but premier de «développer
un sentiment de répulsion chez les personnes de race
blanche, et particulièrement chez les femmes, contre les
hommes de couleur… d’éviter les mélanges entre le sang
blanc et le sang nègre par le biais des mariages mixtes» -,
D.W Griffith ne cherchait qu’à faire du cinéma. D’ailleurs à
bien y lire l’introduction de sa seconde partie : «Ceci est une
représentation historique de la Guerre Civile et de la Période
de Reconstruction, et n’a pour but de refléter aucune race
ou population d’aujourd’hui.»
Alors simple égarement, maladresse ou foutage de gueule
complet ? On ne le saura jamais. Il n’empêche qu’on le
veuille ou non, «Naissance d’une nation» aura marqué bien
plus qu’un pays, il aura autant révolutionné le cinéma muet
que secoué les cercles politiques de l’époque dont le statut
est reste flou mais au moins on pourra se mettre d’accord
sur une chose : Griffith aura posé l’un des fondements du
cinéma, celui de susciter des débats encore bien des années
après.
100
29/08
101
Sauvage
La Semaine de la critique recèle très souvent de jolis morceaux de
cinéma et a largement confirmé son statut de dénicheur de perles
que ce soit avec «Grave» (Julia Ducournau), «Ava» (Léa Mysius) ou
encore «Oh Lucy !» (Atsuko Hirayanagi). Et cette année le film qui a
fait trembler la Croisette est français cocorico ! Premier long-métrage
de Camille Vidal-Naquet, «Sauvage» cache plutôt bien son jeu derrière
son scénar aussi simple qu’il est brut de décoffrage : un jeune homme
de 22 ans qui se prostitue pour (sur)vivre cherche désespérément
l’amour sans jamais le trouver.
102
Nous allons de surprise en surprise avec «Sauvage», quel paradoxe qu’est
ce film. Aussi doux qu’il est âpre, aussi tendre qu’il est violent… Le long-métrage
de Vidal-Naquet est absolument sans concession - au sens propre
comme au sens figuré -, plongée intimiste au coeur de la prostitution masculine
à travers Léo, un jeune homme de 22 ans qui enchaîne rencontres
sur rencontres alors que le garçon est clairement en recherche d’amour.
Il craque d’abord pour Ahd, un autre jeune homme qui se prostitue mais
qui ne l’aime pas en retour - il le clame même haut et fort, il n’est pas
gay - et cherche juste un homme plus âgé pour se sortir de cette galère.
Ensuite il s’éprend pour un autre garçon avant de se résigner - plus ou
moins - à vivre aux crochets de Claude. Sauf qu’entre-temps, Léo galère
pas mal entre des rencontres qui ne finissent pas toujours bien, un organisme
qui le lâche à petit feu et cette envie consumante de connaître
l’amour avec un gigantesque A. Un trop plein de sentiments qui joue de
mauvais tours à Léo, le menant de désillusion en désillusion.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Vidal-Naquet ne passe pas par
quatre chemins. Complètement brut de décoffrage, le film se permet d’aller
là où personne ne va jamais - le terrain de la prostitution masculine
bien plus tabou que la féminine - avec une attention et un regard profondément
humain, jamais moralisateur sur ces hommes tapis dans l’ombre
à la lisière de la forêt, survivant comme ils peuvent, chacun avec sa personnalité
entre un qui cherche l’amour, l’autre l’argent ou encore un autre
qui fait ça pour le plaisir. La caméra filme les corps aussi abruptement
que sensuellement dans des scènes aussi torrides que violentes - aussi
physiquement que psychologiquement -. Et au coeur de ce déchaînement
corporel, une lueur d’espoir pour Léo, celle d’aimer et surtout d’être
aimé en retour : par un homme surtout, mais même la moindre marque
d’affection lui conviendra - cette longue étreinte entre Leo et le docteur
qui le soigne - et tant pis s’il doit être roué de coups pour y parvenir, il
s’accroche jusqu’au bout.
«Sauvage» est une formidable pépite du cinéma français porté par un
Félix Maritaud (déjà aperçu dans «120 BPM») transcendant de justesse et
d’émotion et récompensé - à juste titre - du Prix Fondation Louis Roederer
de la Révélation. Une découverte de l’amour, une découverte de soi,
un formidable film où se côtoie les extrêmes et où les corps et les coeurs
abîmés sont perpetuellement en quête de ce quelque chose qui semble
toujours innacessible.
Margaux Maekelberg
DE CAMILLE VIDAL-NAQUET. AVEC FÉLIX MARITAUD, ERIC BERNARD... 1H39
103
104
Félix Maritaud :
À corps et à sang
105
Il ouvrira et clôturera cet été 2018 : le 27 juin avec
«Un Couteau dans le coeur» et le 29 août avec
«Sauvage» dans lequel il tient le rôle principal. Félix
Maritaud avait déjà attiré les projecteurs l’année
dernière en tenant un rôle dans le film coup de
poing 120 Battements par minute mais cette année
il revient seul à la barre dans le tout premier longmétrage
de Camille Vidal-Naquet. À seulement 25
ans, le jeune homme s’est donné corps et âme pour
son premier grand rôle, une performance qui marque
certainement le début d’une grande carrière.
Pourtant les débuts du natif d’un petit village du
Berry ne sont pas de tout repos comme le relate Le
Monde. Parti parcourir l’Europe et vivant de petits
boulots dégotés par ci par là, il entre finalement
aux Beaux-Arts de Bourges avant de quitter sa
formation faute de moyens et de retourner vivre
chez ses parents. C’est finalement un coup de fil qui
va bouleverser tous ses plans de carrière alors qu’il
avait accepté un travail de jardinier pour la ville de
Metz. Un appel où on lui propose de se présenter
au casting de «120 battements par minute». Le
hasard faisait finalement bien ses choses, Félix
Maritaud est retenu pour jouer le rôle de Max. Un
tournage de 33 jours pour un film qui aura eu un
retentissement incroyable sur la Croisette avec une
critique dithyrambique que ce soit en France ou à
l’international - à défaut de récupérer la Palme d’Or
-.
« Dès le premier jour du tournage, on savait
tous qu’on allait faire un grand film. Le
tournage, c’est une aventure collective.
Celle-ci a été énorme. »
Le garçon enchaîne les tournages de courts-métrages
dont le premier «Les îles» s’est fait sous la direction de
Yann Gonzalez, réalisateur qu’il retrouvera encore cette
année à Cannes puisqu’il joue dans son dernier longmétrage
«Un Couteau dans le coeur» avec notamment
Vanessa Paradis. Mais c’est bel et bien à la semaine
de la critique que le garçon brille de mille feux. Dans
«Sauvage» il incarné Léo, un jeune prostitué de 22 ans
libre, fougueux et amoureux. Un rôle aussi physique
que psychologique pour l’acteur qui a pris des cours
de danse avec le chorégraphe Romano Bottinelli pour
appréhender son corps et sa façon de tomber au sol.
« Quand j’ai lu le scénario la première fois, je
pense que je suis tombé amoureux de lui dans
le sens où j’étais devant un mec en dehors de
toute convention. »
Véritable film qui s’est joué à l’instinct pour
Félix Maritaud et qui ne l’a pas laissé totalement
indemne. Lui qui a l’habitude d’être plus dans le
mental, il a du faire tomber ses barrières pour se
jeter à corps perdu dans ce rôle et ressentir son
personnage non plus avec l’esprit mais avec le
corps. Un tournage qui fut fatigant pour le jeune
homme dont le corps a été mis à rude épreuve et
qui a eu besoin d’un petit temps de ré-adaptation
et ré-appropriation de soi. Il revient d’ailleurs sur
un moment marquant dans ce tournage : «J’ai
perdu le contrôle une fois, et j’ai chialé toute une
demi-heure après une prise sans comprendre ce
qui se passait. C’était intense.»
Nouvelle gueule - prometteuse - du cinéma
français, Félix Maritaud ne compte certainement
pas s’arrête en si bon chemin puisqu’il se lance
dans une nouvelle aventure : celle de l’écriture en
préparant un long-métrage tiré d’un livre de Jean
Genet qu’il tournera d’ici quatre ans. En tout cas
on a déjà hâte.
Margaux Maekelberg
106
29/08
guy
Après “Le talent de mes amis” (2015), Alex Lutz revient derrière la caméra avec “Guy”,
film de clôture de cette 57e Semaine de la Critique à Cannes. Faux documentaire qui se
consacre à un chanteur de variété rappelant Claude François, “Guy” est une très belle mélancolie
s’abandonnant à la nostalgie.
En filmant Guy Jamet (Alex Lutz), cet artiste has been depuis plusieurs années, Gauthier
(Tom Dingler), jeune journaliste enquête aussi sur ce qui pourrait s’avérer être son père
suite à mystérieux mot laissé par sa mère. Inévitablement le film joue sur ce faux qui devient
vrai (ou ce vrai qui devient faux), malheureusement, la chose n’est pas assez poussée
à cause du générique d’introduction qui évacue rapidement les doutes. Cela est regrettable,
car il y a un réel travail de toute l’équipe pour amener à une totale immersion et un fort
réalisme dans cet univers si singulier.
Car, outre quête évidente du père de Gauthier ou celle de Guy Jamet pour renouveler son
public autant que l’entretenir, c’est la quête d’Alex Lutz pour raviver un passé pas tout à fait
mort, mais plus tout à fait vivant : celui de la variété française qui nous intéressera le plus.
Genre musical singulier qui a vu éclore France Gall, Claude François et tant d’autres ! De ces
recherches diverses, mais ayant le même but, la même volonté : découvrir qui sont-ils, d’où
viennent-ils, Gauthier, Guy et Alex dégagent une tendresse certaine face à un monde qui se
dérobe à eux. Pire même, qui les fuit. Tout le contraire de la mise en scène d’Alex Lutz qui
nous confronte directement à ces personnages. Impossible d’échapper à leur misère, leur
détresse, leurs questionnements, leurs moments de joie ou ceux d’égarement. Et au fond,
veut-on y échapper ? Le cocon formé par “Guy” nous rend à notre tour nostalgique et nous
rappelle à notre bon vouloir ces paradis perdus que chacun.e tente, un jour ou l’autre, de
retrouver.
Wade Eaton
DE ALEX LUTZ. AVEC ALEX LUTZ, TOM DINGLER, PASCALE ARBILLOT... 1H41
107
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Douze hommes
en colere
LITTÉRALEMENT PARLANT, LE TERME HUIS CLOS SIGNIFIE ‘’PORTES ET FENÊTRES CLOSES’’
AINSI, L’ACTION DOIT SE DÉROULER DANS UN SEUL ET MÊME LIEU TOUT AU LONG D’UNE ŒUVRE.
UNE ISSUE SUR LE MONDE EXTÉRIEUR SE FERME ALORS, CLOISONNANT LES PERSONNAGES
ENTRE EUX. UN VÉRITABLE PROCÉDÉ THÉÂTRAL QUI SE REFUSE D’UTILISER LES LIBERTÉS
DE DÉCORS VARIÉS POSSIBLES AU CINÉMA POUR SE RÉDUIRE À UN UNIVERS PROCHE DE LA
SCÈNE. LE HUIS CLOS EST ANCRÉ DANS LE SEPTIÈME ART DEPUIS DES ANNÉES COMME ÉTANT
UN VÉRITABLE SOUS-GENRE CINÉMATOGRAPHIQUE À PART ENTIÈRE, GRÂCE NOTAMMENT À
CETTE MANIÈRE SUBTILE QU’IL A DE SUBLIMER L’INTIME ET LE PRIVÉ.
MARION CRITIQUE
109
110
“Douze hommes en colère” respecte d’une main de maître les règles fondamentales d’un
parfait huis clos, bien souvent cité comme étant la référence absolue du genre. Le rideau
s’ouvre sur une salle d’audience qui traite d’un véritable drame familial. Un jeune homme,
originaire d’un milieu pauvre, est accusé d’avoir assassiné son père en lui plantant un couteau
dans le cœur. Les preuves sont formelles et accablantes. Les douze jurés se retirent alors
dans la salle de délibération pour juger à l’unanimité de la culpabilité du jeune homme. S’il
est prononcé coupable, ce dernier sera condamné à la chaise électrique. Dans un premier
temps, la totalité des jurés sont persuadés que le jeune homme a bel et bien assassiné son
père, excepté le juré numéro huit. Celui-ci est bien décidé à ne pas être responsable de la
mort de l’accusé, sans avoir pris le temps d’en discuter sérieusement. S’ensuit alors une
incroyable remise en question générale et une féroce bousculade de convictions.
Le premier long-métrage de Sidney Lumet persiste et signe après plus de soixante ans en
traversant les années et en conservant son unicité et sa légende. Toute la force du film réside
dans les personnages qui nous offrent un florilège de personnalités remarquablement bien
étudiées. Les douze hommes aux origines sociales variées, sont tous différents, cependant
chacun a son rôle à jouer quant à l’avancée de la délibération. Les interventions des uns et
des autres pour convaincre l’assemblée sont subtilement menées et mettent en avant une
véritable bataille entre les influents et les influençables. L’objectif même du film n’est pas
111
réellement de connaître la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, mais bel et bien d’analyser
les différentes réactions des jurés. Sidney Lumet en véritable chef d’orchestre, nous montre
à quel point l’humanité et la force de conviction d’un seul homme peut parfois tout faire
basculer et mettre en doute des certitudes personnelles.
“Douze hommes en colère” tient son public en haleine et ne perd pas de son intensité durant
quatre-vingt-quinze minutes de film. Le suspense est acharné pendant que les indécisions
et les remises en question surplombent les esprits. Le spectateur devient donc le treizième
juré et se retrouve à s’interroger en même temps que les douze hommes qui débattent sur
la culpabilité du jeune accusé. La morale de l’histoire s’installe alors; le dénouement d’une
vie peut-elle se décider sur un seul mot : ‘’coupable’’ ? Avec son œuvre, Sidney Lumet
marque au fer rouge l’histoire du cinéma et prouve que le Huis clos est un procédé riche et
intense malgré une certaine simplicité. Henry Fonda crève l’écran et porte le film dans son
rôle d’agitateur d’esprits, grâce notamment à son charisme légendaire et son jeu qui frôle la
perfection. “Douze hommes en colère” est un plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine
de mort qui dénonce l’égoïsme détaché de certains à pouvoir envoyer un accusé à la mort,
sans états-d’âme, ni prise de temps. Un véritable diamant brut qui n’a pas perdu de son
éclat, coupable d’être un parfait chef-d’œuvre éternel.
112
Buried Rodrigo
Cortés (2010)
Débrouillard dans sa manière de maximiser la petitesse de son budget et de son cadre,
minimaliste à l’extrême (un cercueil... et c’est tout), intelligent dans sa critique virulente du
système gouvernemental contemporain (la bureaucratie en prend plein la poire) et plus
directement de la politique du pays de l’Oncle Sam (les implications morales de ses politiciens
dans les conflits internationaux en tête) tout en traitant sobrement du sujet bouillant du
terrorisme, effrayant - surtout pour les claustrophobes -, et au final jusqu’au-boutiste et
déchirant; le film de Cortés nous fait le témoin privilégié d’un cauchemar six pieds sous
terre tendu à l’extrême, en nous pliant complètement dans tous les sens, alors que le tout
se passe, uniquement, dans une petite boite. Singulier, réglé comme une horlogerie suisse
(pas de flashbacks, d’aérations inutiles ou de divers stratagèmes visuels, on y voit juste
un homme, son téléphone, ceux qui sont au bout du fil, et son cercueil) et Hitchockien en
diable (on pense instinctivement aux brillants “La Corde” et “Lifeboat”), “Buried” ne serait
cependant rien sans la partition habitée d’un Ryan Reynolds proprement monstrueux (son
plus beau rôle à ce jour). Avec son sens du timing hors du commun - il ne joue pas Paul
Conroy, il il l’est -, littéralement au bord de la rupture (mentalement et physiquement, ses
doigts étaient en sang et son corps rempli de terre quasiment à chaque fin de journée de
tournage), l’acteur se détruit littéralement en dévoilant face caméra toute la rage, la peur,
la colère, le désespoir et la frustration d’un homme injustement condamné à mort. Bref, un
pur trip claustro qui en impose et qui tient méchamment en haleine durant une heure et
demi, tout simplement.
Jonathan Chevrier
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John Carpenter (1983)
the thing
Après avoir foulé le genre avec une certaine réussite pour le bouillant et engagé Assault,
relecture moderne et totalement assumée du cultissime “Rio Bravo” de son idole Howard
Hawks, et ayant vu sa côte méchamment grimpé à Hollywood avec le carton maousse
costaud d’”Halloween, La Nuit des Masques”; le roi John Carpenter était revenu au huis clos
horrifique avec rien de moins que son meilleur film : “The Thing”, remake de “La chose d’un
autre monde” de Christian Nyby et... Howard Hawks. Sommet d’horreur paranoïaque incisif
autant sur le fond que sur sa forme, s’attachant au destin funeste d’une équipe de chercheurs
américains basé en Antarctique, attaquée par une forme de vie extraterrestre métamorphe;
“The Thing” est un pur chef d’oeuvre qui prend le parti de la suspicion généralisée et de
l’absence de solidarité dans le groupe pour incarner un moment de cinéma aussi tendu qu’il
est radical et effrayant, une lente descente aux enfers dont personne ne peut sortir sain et
sauf (pas même le spectateur).
Sobre et sans happy-end plombant, avec une distribution exclusivement masculine (Kurt
Russell et Keith David en tête), des effets spéciaux hallucinants signés par un Bob Bottin
alors au sommet de son art, une image nihiliste de l’âme humaine et une musique composée
par Ennio Morricone, le métrage est d’une perfection quasi absolue; un bijou de huis clos qui
sera pourtant adoubé sur le tard par les cinéphiles ayant in fine attendu sa sortie en VHS
pour en faire un monument du culte. Mieux vaut tard que jamais comme on dit..
Jonathan Chevrier
114
locke Steven
Knight (2014)
Terre à terre, minimaliste, emplit de pudeur et follement immersif, à travers cette chronique
dans la banalité du quotidien sous forme de marathon/cauchemar éveillé dans lequel on ne
peut se réveiller complètement indemne, “Locke” nous offre toute une tranche de vie d’un
homme bien sur qui tout le monde compte, mais qui se voit rattrapé par les conséquences
d’un acte isolé, remettant en jeu tous les fondamentaux de son existence : son mariage,
ses enfants, son travail et même sa relation avec lui-même et sa conscience. Odyssée
puissante et passionnante dans les recoins de la conscience d’un être intègre, rationnel,
au calme permanent, confronté au poids d’un passé (aussi bien son moment d’égarement
une ancienne conquête d’un soir prête à accoucher, que son enfance avec l’image d’un
père absent qu’il ne veut pas reproduire), qui ressurgit abruptement et qui l’oblige à vivre
des moments de vérité dévastateurs (tout dire à sa femme, qui ne voudra plus lui parler, et
même à son patron, alors qu’il est attendu le lendemain à la tête d’un projet architectural
très important), même s’il cherchera tout du long à tout contrôler et nuire à personne. Filmé
en temps réel, vite débarrassé des limites de son unique et exigu unité de lieu (une voiture),
de temps et de personnage, en nourrissant son suspense habilement écrit par une mise
en scène discrète et inventive ainsi que par la partition dantesque d’un Tom Hardy fort
et vulnérable à la fois; “Locke” est une vraie expérience émotionnelle - les larmes ne sont
jamais loin -, personnelle (la notion des valeurs morales), intense et haletante, à la solitude
constamment palpable.
Jonathan Chevrier
Le saviez-vous ?
DOUZE HOMMES EN COLÈRE (SIDNEY LUMET, 1957)
- “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” EST L’ADAPTATION D’UNE PIÈCE THÉÂTRALE DU MÊME NOM, ÉCRITE PAR REGINALD ROSE.
L’ŒUVRE EST ÉGALEMENT À L’ORIGINE DE DIVERSES ADAPTATIONS DEPUIS SON SUCCÈS (DONT CELLES RÉALISÉES PAR NIKITA
MIKHALKOV OU BIEN WILIAM FRIEDKIN).
- HENRY FONDA, QUI TIENT LE RÔLE PRINCIPAL DU FILM, EN EST ÉGALEMENT LE PRODUCTEUR. IL CONFIE ALORS LA RÉALISATION
À SIDNEY LUMET ET LUI OFFRE DONC SON PREMIER EXERCICE. IL S’AGIT DONC DES PRÉMICES D’UNE IMMENSE CARRIÈRE
CINÉMATOGRAPHIQUE.
- SOUCIEUX DE RESTER FIDÈLE À LA TECHNIQUE THÉÂTRALE, “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” RESPECTE À LA LETTRE LA RÈGLE
CLASSIQUE DES TROIS UNITÉS : UNITÉ DE LIEU, D’ACTION ET DE TEMPS.
- DURANT L’INTÉGRALITÉ DU LONG-MÉTRAGE, AUCUN PATRONYME N’EST RÉVÉLÉ. EN EFFET, LES PROTAGONISTES NE SE
NOMMENT QUE PAR LEUR NUMÉRO DE JURÉ. LE SPECTATEUR DÉCOUVRIRA CEPENDANT LES NOMS DES DEUX PREMIERS
PERSONNAGES EN FAVEUR DE LA NON-CULPABILITÉ DE L’ACCUSÉ LORSQUE CES DERNIERS QUITTERONT LA SALLE D’AUDIENCE.
BURIED (RODRIGO CORTÉS, 2010)
- HISTOIRE D’APPROFONDIR LE RÉALISME DU FILM, DES PRISES DE SIX MINUTES SANS AUCUNE COUPE DE RYAN REYNOLDS ONT
ÉTÉ ENREGISTRÉES. L’INVESTISSEMENT DE CE DERNIER A ÉTÉ SI INTENSE QU’IL A QUITTÉ LE TOURNAGE ÉMOTIONNELLEMENT
ET PHYSIQUEMENT ÉPROUVÉ.
- SUITE À CELA, RYAN REYNOLDS A D’AILLEURS DÉCLARÉ « JE NE ME PLAINDRAI PLUS JAMAIS SUR UN TOURNAGE (…) »,
TANT LA DURETÉ DE CET EXERCICE SEMBLE L’AVOIR PROFONDÉMENT MARQUÉ. CEPENDANT, LE TOURNAGE N’A DURÉ QU’UNE
DIZAINE DE JOURS DANS UN STUDIO À BARCELONE, EN ESPAGNE.
THE THING (JOHN CARPENTER, 1983)
- L’ENSEMBLE DE L’ÉQUIPE DE TOURNAGE PRÉSENTE SUR LE PLATEAU ÉTAIT SEULEMENT COMPOSÉE D’HOMMES (LES ACTEURS
AINSI QUE LES TECHNICIENS). L’UNIQUE FEMME POTENTIELLEMENT PRÉSENTE EST TOMBÉE ENCEINTE BIEN AVANT LE TOURNAGE
ET A ÉTÉ REMPLACÉE PAR UN HOMME.
- CLINT EASTWOOD ÉTAIT TOUT D’ABORD PRESSENTI POUR INTERPRÉTER LE RÔLE PRINCIPAL DE MACREADY. CEPENDANT,
JOHN CARPENTER S’EST FINALEMENT TOURNÉ VERS KURT RUSSEL, SON ACTEUR FAVORIS.
- “THE THING” EST SORTI DANS LES SALLES OBSCURES LE 25 JUIN 1982, TOUT COMME UN AUTRE FILM CULTE DE SCIENCE-
FICTION : “BLADE RUNNER”.
- LA VOIX VIRTUELLE FÉMININE DE L’ORDINATEUR DE MACREADY EST CELLE D’ADRIENNE BARBEAU, ANCIENNE ÉPOUSE DE
JOHN CARPENTER.
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Alison Brie :
Lutter pour
mieux exploser
« J’ai suivi un entraînement vocal à la Cal Arts où on nous a fait travailler la
langue, le palais et tout le reste. Une discipline qui m’aura bien servi par la
suite, car, de tous les atouts dont on dispose en tant qu’actrice, le corps est
assurément le plus important. »
Elle n’a pas si tort que cela,
la Brie, dont le joli minois
aura assurément marqué
les amoureux de la sitcom
“Community” - mais pas que.
Comme toute wannabe actrice
désireuse de faire son trou à
Hollywood et de perfectionner
son acting avant de, peut-être,
taper dans l’oeil des producteurs
et des pontes des grosses
majors (une bonne initiative que
devrait suivre bon nombres de
jeunes comédiens/comédiennes
qui pointent chaque année le
bout de leur nez dans divers
blockbusters), c’est par la petite
lucarne que la belle Alison fera
ses gammes et remplira les
premières lignes de son C.V
bien fourni, après une double
formation dramatique à la Cal
Arts (California Institute of Arts)
et la Royal Scottish Academy of
Music and Drama.
Passée par «Hannah Montana»
(ouch), la web-série «My Alibi»
(mieux) et la cultissime «Mad
Men» (quasi-jackpot), c’est in
fine avec le rôle d’Annie Edison
dans le show «Community»
des frangins Russo, véritable
vivier de talents, que l’actuelle
madame Dave Franco à la ville,
se paiera son billet pour attirer
les regards sur grand écran.
Inconditionnelle des covers
musicaux (avec les actrices de
la web-série «My Alib «, Cyrina
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Fiallo et Julianna Guill, elle a formé le cover
band «The Girls», spécialisé dans les reprises de
chansons célèbres) mais aussi de la franchise
«Scream» de feu Wes Craven, son premier grand
rôle après quelques bifurcations dans le cinoche
indé ricain, se fera justement au casting du
quatrième - et excellent - opus de la saga, où elle
ne fera malheureusement pas long feu.
« Adolescente, j’étais accro aux «Scream»,
dont je connaissais les dialogues par coeur, et
je me souviens qu’ils ont tourné le second près
de chez moi. Je suis allé voir le tournage, et les
voir travailler comme ça, tard dans la nuit,
c’était vraiment cool. J’étais vraiment obsédée
par la trilogie, et avec des amis, on a même
tourné une petite parodie en vidéo intitulée
Yell. Quelque part en jouant dans le quatrième
film, la boucle est bouclée. »
Mais loin de s’enterrer dans un potentiel statut de
Scream Queen qui ne réussit guère à la majorité
des jeunes comédiennes, c’est tout naturellement
vers la comédie que sa personnalité pétillante
va faire des ravages, autant en tant que second
couteau de luxe («5 ans de Réflexion», «The
King of Summer», «En Taule : Mode d’Emploi»,
«Les Bonnes Soeurs», «The Disaster Artist»), que
premier rôle remarqué (l’excellent «Jamais entre
Amis», le moins défendable «Célibataire : Mode
d’Emploi»).
«GLOW» (dont la seconde saison est actuellement
disponible sur la plateforme), où elle joue
une actrice désespérément au chômage se
reconvertissant en catcheuse professionnelle
pour les besoins d’un show télévisé de plus en plus
populaire (son lien avec Netflix s’étend même avec
sa présence au casting vocal de la merveilleuse
série animée «BoJack Horseman»), elle s’est offert
une apparition chez rien de moins que Steven
Spielberg, dans le brillant «Pentagon Papers»,
sortie plus tôt cette année et reparti étonnamment
bredouille de la course aux statuettes dorées.
En attendant qu’un cinéaste de renom - ou pas
- lui offre enfin le grand rôle qui lui permettrait
de pleinement exploser au sein de la jungle
Hollywoodienne et aux yeux des cinéphiles du
monde entier, l’actrice, trente-cinq au compteur
(elle ne les fait pas), balade tranquillement mais
sûrement son joli minois sur les deux médiums
majeurs.
D’ailleurs, on la retrouvera à nouveau, vocalement,
d’ici février prochain au casting du très attendu
«La Grande Aventure LEGO 2».
Et force est d’avouer que, même si beaucoup
d’entre nous n’aiment pas forcément le brie, il est
nettement plus difficile de ne pas vraiment adorer
la Brie (désolé...) !
Jonathan Chevrier
Mieux, alors qu’elle porte sur ses larges épaules
la série originale - et vraiment délirante - Netflix
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Instant
séries
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g ow
On ne va pas se mentir, hormis un chef d’oeuvre bouillant et émouvant,
mettant en lumière la carrière - et la vie - brisée d’un catcheur en bout
de course, tout autant que la passion évidente de la lutte qui transpire
d’un circuit indépendant rude, peu gratifiant et littéralement écraser par
la surpuissance de la WWE - “The Wrestler” de Darren Aronofsky -; on ne
peut pas vraiment dire que le monde de la lutte et du catch spectacle a
réellement été mis en valeur autant sur le petit que sur le grand écran au
fil des décennies.
Et ce malgré, il est vrai, quelques essais remarquables (le dernier tiers de “La
Taverne de l’Enfer” de Sylvester Stallone en tête) qui ne viendront pourtant
pas rattraper quelques tâcherons bien gras - “No Holds Barred” avec Hulk
Hogan...
Alors, voir que Netflix se lançait tête baissée sur le sujet
l’an dernier, via un versant pas forcément attractif pour
les non initiés sur le papier - une division de catch féminin
dans les 80’s -, à une époque compliquée où l’âge d’or du
catch semble un poil révolu (gageons sur les années 2000
furent son dernier gros temps fort) et où les femmes n’ont
pas toujours les moyens de truster quasiment tous les rôlestitres
d’un show; “GLOW” avait tout du pari casse-gueule,
même si les années 80 semblent férocement réussir à Netflix
(“Strangers Things”).
Chapeautée par le duo Liz Flahive/Carly Mensch (“Weeds”,
“Nurse Jackie”) et de loin par Jenji “Orange is The New Black”
Kohan, la série s’avérait in fine être l’une des plus belles
surprises de 2017, comptant avec punch les coulisses de l’un
des shows les plus ovniesques de la télévision US : Gorgeous
Ladies of Wrestling aka GLOW, qui avait su se frayer un petit
bout de chemin à l’antenne à une époque où les fans de
catch ne vibraient - uniquement ou presque - que pour les
«Wwwwhhhhooooo « de la légende Rick Flair, ou le charisme
incroyable du roi Hogan - sans qui le catch ne serait pas ce
qu’il est aujourd’hui.
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Loin de n’être qu’une simple émission sur la lutte, ou quatorze
femmes (actrices, top modèles, danseuses, cascadeuses,...) se
crêpent le chignon en tenues colorées et sexy, ou poussaient
même la chansonnette pour divertir des milliers de téléspectateurs
: “GLOW” était avant tout une fenêtre de vision incroyable pour
une poignée de femmes talentueuses, qui ont construites toutes
seules leur route vers le succès.
Dans la droite lignée d’”Orange is The New Black” avec sa galerie de
personnages féminins hétéroclites et hautes en couleurs, véritables
outsiders hors normes selon les conventions sociales, appelées
à dévorer le petit écran à chaque épisode, la série, spectacle
dans le spectacle, était une intelligente dramédie, attachante et
férocement nostalgique (la reconstitution des 80’s est certes facile,
mais franchement convaincante), totalement tournée vers sa pluie
d’héroïnes en quête d’émancipation, elles-mêmes se déjouant
continuellement des clichés qu’elles sont supposées incarner -
autant dans le catch que dans la société US des années Reagan -;
un condensé de loufoquerie franchement prenant, dominé par une
Alison Brie étincelante, dans un premier rôle (celui de l’enthousiaste
mais instable leader du groupe, Ruth, pas si éloignée de la Piper
de OITNB) enfin à la mesure de son talent - et ce, sans pour autant
qu’elle vampirise le reste du casting.
Véritable ode au girl power drôle (vraiment), énergique et
émouvante, aussi subtilement engagée et politique qu’elle est
didactique (notamment sur les arcanes artificielles du catch
business), folle (mais pas autant que les comédies sportives de
l’inégalable Will Ferrell, même si l’on pense souvent à “Semi-Pro”)
et d’un charme fou; “GLOW”, évidemment loin des canons de la
désormais vénérée Netflix (le moule de sa production commence
tout de même à sentir le réchauffé, malgré des pitchs originaux),
n’en était pas moins un excellent show qui frappe juste et fort
(surtout quand il se déplace entre les cordes), et qui enchante par
son infinie légèreté et la finesse de son écriture, magnifiée par un
casting impeccable.
Succès oblige, elle passe la seconde ces jours-ci et enfonce le clou
du bon goût en transcendant les bons points de sa première salve
d’épisodes pour rendre encore plus attachantes et consistantes ses
vedettes (dont les ambitions diverses sont encore plus développés),
cette fois-ci bien ancrée dans les joies de la télévision US - à une
heure pas simple pour autant pour capter l’audience.
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Féminine jusqu’au bout des ongles, avec sa mise en lumière criante de
vérité d’une poignée de femmes tentant de s’imposer dans un monde
du showbusiness à la dominance masculine abusive, férocement 80’s
dans sa facture sans pour autant décliner une once d’engagement bien
moderne (l’ombre de l’affaire Weinstein est plus ou moins directement
citée, avec le big boss détestable de la chaîne); la saison 2 de “GLOW”,
politique et cynique en diable, tord encore plus les préjugés entre
les cordes avec malice, même si la dynamique de groupe laisse ici
plus volontiers la priorité aux personnages forts de la troupe (une
fois encore, c’est Ruth/Alison Brie qui en sort grande gagnante de la
saison).
Sans trembler, cette seconde cuvée, aussi addictive que la précédente
- voire plus -, tient bon le compte de trois et prouve que le combat
d’une femme pour exister dans la société ne se limite jamais qu’à
travers un cadre bien précis, mais bien au jour le jour, 24h sur 24h.
Vivement une troisième saison, si Netflix ne joue pas la carte de
l’abandon ou de la disqualification...
Jonathan Chevrier
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Cloak and Dagger
Marvel a (enfin) trouvé son teen
drama référence
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On ne reviendra pas sur la qualité hautement discutable des shows
Marvel qui, hors Netflix (et encore, on n’oublie pas la calamiteuse “Iron
Fist”, dont la seconde saison est plus que jamais dans les tuyaux),
aura aligné plus de déceptions (“The Gifted”, “The Runaways”, “The
Inhumans”,...) que de shows vraiment immanquables (“Legion”); reste
adaptation d’une aventure papier sur le petit écran, un événement à
part entière... et encore plus quand ledit comics n’est pas forcément
connu du grand public.
Librement adapté du plus ou moins confidentiel “La Cape et L’Épée”
et chapoté par Joe Pokaski (scénariste de “Heroes” et de “Daredevil”),
qui en modifie grandement la substance (changement de lieu, de
background pour la naissance des pouvoirs et du statut social des
héros en tête), “Cloak and Dagger” se paye également un pitch plutôt
couillu pour un show de la firme : l’itinéraire de deux adolescents issus
de milieux sociaux différent, Tyrone Johnson et Tandy Bowen, qui
se découvrent des super pouvoirs les liant mystérieusement l’un à
l’autre (le premier peut générer une étrange substance qui lui permet
de se téléporter, la seconde peut faire jaillir des lames brillantes de
ses paumes), dit pouvoirs qui sont encore plus imposants quand ils
sont associés, mais qui pourraient presque s’apparenter à un fardeau
commun.
Transcendant son simple statut de show super-héroïque, la série
s’impose dès son excellent épisode pilote comme un solide et grisant
teen drama férocement ancré dans son époque et son cadre (la
Nouvelle-Orléans, dont les stigmates de l’ouragan Katrina sont toujours
bien présents), tant il traite avec justesse des maux douloureux qui
gangrènent l’Amérique sous Trump : les inégalités sociales, le racisme,
la pauvreté et la violence sous toutes ses formes (les gangs, la police,
l’école,...).
Un monde empoisonné où la vie d’adulte, même dans les quartiers
plus huppés, s’appréhende à la dure; un réalisme rafraîchissant
auquel le show ajoute une description étonnamment profonde de
ses personnages et de leur mal-être évident, renforçant de facto le
sentiment d’empathie envers eux que peut ressentir un spectateur
conquis par ce regard juste et désespéré de l’adolescence, et cette
romance contrariée.
Sans vrai nemesis (pour le moment tout du moins) pas dénué de
quelques clichés mais porté avec conviction par un couple Olivia Holt/
Aubrey Joseph à l’alchimie étincelante, “Cloak and Dagger” est un
teen drama cohérent, tendu, mature et bien rythmé, une belle petite
surprise que l’on n’attendait pas et qui démontre que quand Marvel y
met les formes, la qualité ne peut qu’être au rendez-vous...
Jonathan Chevrier
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Luke Cage saison 2
Passé une première réunion commune - “The
Defenders” - franchement pas bandante pour un
sou, où aucun héros de la bande n’a vraiment pu
tirer son épingle du jeu au cours d’une intrigue
partagée maladroite et d’un ennui poli (sans
compter qu’elle prenait vraiment, vraiment son
temps pour démarrer), et une seconde salve
d’épisodes plutôt réussie autour de la merveilleuse
Jessica Jones (même si la première saison reste un
gros cran au-dessus), le MCU sauce Netflix entame
pleinement sa phase 2 avec le retour en grande
pompe du Power Man number one de New-York,
Luke Cage, pour une seconde saison que l’on
espérait un poil moins mitigée que la précédente.
Suite directe des évènements du shared universe,
toujours politiquement aussi engagé et plaçant
une nouvelle fois les thèmes de la famille et de
l’affirmation de soi au coeur des débats (et non, le
baraqué bonhomme n’en a toujours pas fini avec
son passé, et ce n’est pas le seul dans ce cas),
les nouveaux épisodes de “Luke Cage” ne perdent
pas de temps pour rentrer dans le vif du sujet
et démontrer de manière flagrante aussi bien les
grandes lignes fortes de ce retour, que ces infinies
faiblesses, en plaçant Harlem - point fort - au
coeur d’une guerre des gangs entre le Harlem’s
Paradise (géré désormais par Mariah Strokes/
Dillard depuis qu’elle a zigouillée son cousin), et les
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Stylers, un gang de jamaïcains
mené par le charismatique
Bushmaster (vilain majeur de
la saison, qui a d’ailleurs plus
d’un point commun avec Cage
malgré une caractérisation
opérée à la truelle); le tout -
point faible - arbitré par un big
Luke de plus en plus « Batmanesque
«, qui assume pleinement
son statut de symbole/vigilante
pour sa communauté, au point
de dangereusement glisser du
côté obscur de la justice, malgré
l’aide de sa BFF Misty Knight -
l’alchimie Mike Colter et Simone
Missick est encore plus éclatante
cette saison.
Pur western urbain façon polar
radical, groovy et référencé
(“Blaxploitation”, “The Wire” ou
encore le cinéma de Quentin
Tarantino, jusque dans ses
longues et jouissives tirades),
moins Shakespearien mais
toujours totalement conscient
de son héritage culturel et
développant à merveille sa
propre musicalité (autant du
point de vue du style que de sa
bande originale, encore au poil),
cette seconde salve d’épisodes,
au demeurant divertissante,
souffre néanmoins encore et
toujours des mêmes tares que
son illustre aînée : une écriture
souvent pataude qui étire en
longueur des thèmes et intrigues
convenues (sans oublier une
pluie de nouveaux personnages
jetés à l’écran sans être un
minimum esquissé), un rythme
décousu, un aspect bavard - voir
sur écrit - et une action parfois
un poil trop mécanique.
Dommage car, à l’instar
de Mahershala Ali dans la
saison une, Mustafa Shakir
crève l’écran en némésis
charismatique en diable (tout
autant que Colter, mais avec un
temps de présence nettement
moindre), et vole la vedette à
tout le monde, Alfre Woodard
en tête (entre cabotinage forcé
et vrai jeu nuancé); tandis que
le showrunner Chao Hodair
Coker interroge subtilement
son auditoire sur ces sujets
d’actualités encore bouillants
(Black Lives Matter, le racisme
et la violence policière, sans
oublier la corruption politique).
Baraqué mais encore fragile et
passif dans le ton - et même
le contenu -, déclinant avec
intelligence ses bonnes bases
sans forcément consolider
les nombreuses fissures qui
parsèment son édifice (à la
différence de “Daredevil”), la
seconde saison de “Luke Cage”
frappe fort, presque autant que
celle de “Jessica Jones”, mais pâti
terriblement de la comparaison
autant avec sa première saison,
qu’avec les autres shows de la
firme (excepté le tâcheron “Iron
Fist”, présent ici pour un court -
mais fun - épisode).
On reste fan, et le personnage
n’a rien perdu de son potentiel
iconique, mais si troisième
saison il y a, on est clairement
en droit d’en attendre un peu
plus des aventures de Power
Man, surtout quand on sait que
le Punisher lui, ne ménage pas
ses efforts pour être le nouveau
show-stealer du MCU made in
Netflix...
Jonathan Chevrier