Désolé j'ai ciné #6
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Le <strong>ciné</strong>ma de Steven Soderbergh depuis “Hors d’atteinte” essaie de repousser les limites de la condition<br />
de l’auteur, mêlant dès lors des œuvres grand public, telles la trilogie “Ocean’s” et d’autres expérimentales<br />
de la tête au pied. “Full Frontal”, sorti en 2002, méconnu et considéré assez injustement comme le film de<br />
vacances de son réalisateur entre ses blockbusters, fait donc partie de la deuxième partie de sa filmographie.<br />
Réputé pour être un <strong>ciné</strong>aste de l’instantanéité, entre ses supports filmiques novateurs et sa direction<br />
d’acteurs plus ou moins régulée, Soderbergh atteint ici l’extrême de son obsession dans la diégèse,<br />
superposant des strates de récit où se mélangent la réalité et la fiction, l’improvisation et l’écriture. De cette<br />
configuration naît une satire hollywoodienne, où toute tentative de sortir du carcan habituel et morose<br />
ouvre malheureusement une dimension dramatique inattendue. Le grain de la pellicule 35mm du film de<br />
Constantine Alexander inclus dans le film de Steven Soderbergh – est-ce clair ? – préfigure alors l’artificialité<br />
du <strong>ciné</strong>ma, réduit à l’époque à une texture unidimensionnelle déviant du réel. Ici, un seul rempart peut<br />
lutter contre ce manque de vie : la caméra-épaule, quasiment cachée du réalisateur, filme en DV via la<br />
caméra numérique Canon XL-1s; et intercepte les coulisses d’une société rongée de l’intérieur. Pour autant,<br />
l’un répond à l’autre par les rebondissements scénaristiques, quoique asymétriques. Hollywood devient<br />
alors un mécanisme enjoliveur de la vérité : ces ressorts dramatiques qui bouleversent les rapports et les<br />
liens n’offrent dans le réel numérique de Steven Soderbergh qu’un ralentissement narratif et jamais un<br />
basculement total.<br />
Au-delà de cette obsession de signifier la captation de l’instant et la fréquente vacuité de celui-ci, Steven<br />
Soderbergh fait de “Full Frontal” sa déclinaison personnelle du Dogme 95, pour faciliter les intentions et les<br />
cohésions entre les acteurs, inciter à l’improvisation et donc prendre de soi pour trouver sa place dans cet<br />
univers choral à deux mouvements. Malgré l’extrême durée du film au vu de ce qu’il raconte, et la cohérence<br />
narrative assez vaine sur la durée, le geste ici puise sa source dans la production originale effectuée, à<br />
base de restrictions de codes pourtant classiques, comme l’absence d’équipe HMC (Habillage-Maquillage-<br />
Coiffure), de loges ou de transports privés payés par les studios. Ce pacte, fait de dix commandements<br />
questionne alors la limite de l’acting et son remplacement par, uniquement, la persona de l’Homme derrière<br />
l’Acteur. L’engagement sur la traite des Noirs, le manque de réussite dans la ville des Étoiles, le producteurshowman<br />
qui fait de son poste un rôle <strong>ciné</strong>matographique… L’ensemble des métiers et des rôles présents<br />
dans Full Frontal se retrouve dilué pour n’offrir qu’un message : être, peut aussi être synonyme de jouer.<br />
Tanguy Bosselli